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Saint-Julien-Chapteuil un village au pied des sucs

Par Agnès Willaume

D’aucuns l’appellent le Saint-Paul-de-Vence local. Avec ses presque deux mille âmes, ce petit village auvergnat déploie une énergie peu commune pour porter haut ses couleurs.

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Et revoici François au guidon de sa rutilante Moto Guzzi trail de 850 cm3, dont il n’est pas peu fier, bientôt en route pour Barcelonnette. Tout début septembre, le jeune retraité a décidé de laisser derrière lui les moulins à restaurer, les immeubles de coworking en construction, l’espace culturel en chantier… Tout quitter pour le salon Alpes Aventure Motofestival. Un vrai programme de vie pour le conseiller municipal, qui a décidément sans cesse la route qui le démange ! Quelques jours d’évasion bien mérités après cette année bien remplie… Il faut dire qu’à Saint-Julien-Chapteuil l’été a été dense. Comme chaque année, les fêtes de l’été ont mobilisé de nombreux bénévoles. À l’initiative de la principale association culturelle locale, l’Agora, les « mercredis de l’été » ont réuni quelque deux mille personnes, seules ou en famille, résidents ou vacanciers, qui ont investi les rues du village pour assister à des spectacles de rue divers et variés : concerts, cirque, théâtre, danse… il y en a eu pour tous les âges et pour tous les goûts ! Avec un programme de sept soirées officielles, précédées pour la première fois cette année de « racontines », lectures de contes pour les enfants dans l’après-midi, et de spectacles en « off », au chapeau, à 18heures. « Pour beaucoup de compagnies, la possibilité de jouer pour le off a été l’occasion de se confronter au public ou de roder un nouveau spectacle », constate Loïc Bardiot, président de l’Agora, qui tenait beaucoup à développer la dimension « spectacles de rue », très peu connue dans le département, avec des spectacles gratuits, ouverts à tous, et surtout « qui décoiffent et bousculent le rapport traditionnel scène/public ». La mairie finance et soutient l’évènement depuis le début. La préparation de l’initiative, qui a dépassé de loin cette année les espérances de l’Agora, a reposé cette année en grande partie sur une poignée de copains, passionnés par le spectacle de rue. Cela vient interroger les structures de bénévolat en place, parfois encore trop hiérarchiques et chronophages face aux nouveaux visages de l’engagement, plus ponctuel et motivé par des thématiques plus que par des boutiques. En attendant, cette réussite des soirées estivales conforte la conviction des élus que le nouveau pôle culturel en chantier et les propositions à venir dans la nouvelle salle de spectacle du village ont de l’avenir ! Tout naturellement, les conseillers municipaux sont donc une fois de plus venus appuyer les bénévoles des associations mobilisées pendant l’été. Malgré le temps peu clément, presque tous les spectacles ont pu avoir lieu, parfois reportés dans des lieux clos… « Du coup, on s’est transformés en contrôleurs de passes sanitaires ! » s’amuse François. Mais le public était au rendez-vous ! Il était là également lorsque François et ses collègues ont organisé un grand pique-nique au moulin de Guérin, dont le projet de restauration et d’entretien a été retenu par le tout récent club des mécènes de Haute-Loire de la Fondation du patrimoine. Une centaine d’habitants de Neyzac, le hameau qui abrite la plupart des moulins de SaintJulien-Chapteuil, sont venus célébrer l’événement en présence de sénateurs et d’officiels du cru au milieu des bois, dans le joyeux tumulte des clés à molette du groupe de polyphonie rurale Les Mécanos. Un choix avisé de François. Dans un autre registre, le petit village, situé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, a, cette année encore, accueilli bon nombre de pèlerins et voyageurs d’un soir en transit entre Genève et Le Puy-en-Velay. Habituellement, les « jacquards », comme on les appelle, sont une vingtaine chaque jour à transiter par le village, où ils sont toujours bien accueillis. En général, c’est de Saint-Jeures, à 21km

de là, qu’ils arrivent, soit cinq à six bonnes heures de marche en slalom entre les sucs volcaniques qui composent le paysage du Velay oriental. Il leur faut aussi traverser la foisonnante forêt du Meygal, à l’intersection des monts du Forez et du Vivarais, des massifs du Mézenc, du Pilat et du Devès… un panorama hors du commun pour ce gigantesque manteau d’épines réputé pour la richesse de sa flore, où se côtoient digitales, épilobes à épi, achillées, ancolies communes, serpolets, gentianes… sans oublier de belles poêlées de cèpes, morilles et girolles pour qui a l’œil averti. L’hiver, nos pèlerins peuvent même y croiser les amateurs de ski de fond. C’est alors que les marcheurs atteignent le point culminant du voyage, Raffy, à 1 276 mètres d’altitude. La descente qui suit passe par le village de Queyrières, niché au pied des orgues basaltiques, avant de rejoindre enfin Saint-Julien-Chapteuil, le Graal après une telle épopée !

À la bonne étape

Sur place, ils sont accueillis selon les disponibilités en gîte ou en dortoir pour les plus jeunes et les plus téméraires, en hôtel ou en chambre d’hôtes pour ceux qui sont plus sensibles au confort ou au calme. Ils atterrissent alors éventuellement chez Marinette Roubin, qui, depuis une dizaine d’années, avec son mari Roger, un ancien pompier volontaire et ami de François, héberge régulièrement les jacquards, comme le faisait sa grand-mère avant elle. « Ce que j’aime, c’est retrouver cet “esprit pèlerin” », explique Marinette avec entrain. À près de 80ans, elle marche encore régulièrement pour retrouver cette atmosphère de fraternité et d’entraide qu’elle a connue quand elle a elle-même fait le chemin de SaintJacques. Chez ses visiteurs d’un soir, elle retrouve une même quête de spiritualité, une recherche personnelle et un besoin de prendre le temps de réfléchir, de se poser pour prendre du recul sur sa vie. « C’est une démarche très gratifiante, parce que les pèlerins sont toujours très agréables et respectueux, reconnaissants d’être accueillis ! » ajoute Marinette. Même constat pour André Gallien, qui accueille depuis 2011, dans les anciennes chambres de ses enfants, les marcheurs venus de Suisse, d’Autriche, d’Allemagne, mais aussi d’autres régions de France. « Ce qui me plaît, c’est de manger avec eux en toute simplicité dans notre cuisine et d’entendre leurs histoires de route : d’où ils viennent, la situation de leur pays, leur métier, leur motivation… On voit de tout ! » Beaucoup de jeunes en burn-out professionnel, des personnes en rupture avec une ancienne vie, comme ce couple qui avait vendu tous ses biens personnels en Suisse pour prendre la route dans l’espoir de racheter un gîte en chemin. André se souvient de cette famille qui faisait le chemin avec des ânes depuis des mois et qu’il a recueillie au cœur d’un orage qui les a obligés à rester plus longtemps que prévu. Arrivés à Santiago, ils ont envoyé une carte touchante pour dire leur reconnaissance. Il y a eu aussi cette femme, dont le mari handicapé ne pouvait faire le chemin avec elle. Elle avait décidé de lui peindre un tableau par jour des plus beaux paysages rencontrés. Pour André, ça ne fait aucun doute, la marche est une excellente thérapie : comme il le dit souvent, « la thérapie des pieds vaut la thérapie de la tête ! » Au petit matin, les pèlerins peuvent reprendre la route en longeant la Sumène, traversant Eynac et son splendide rocher d’orgues basaltiques pour rejoindre Le Puy-en-Velay, dont le piton rocheux et la pharaonique statue de vierge semblent scruter de loin leur arrivée. Il n’est pas rare qu’ils envoient une carte postale à leurs hôtes d’un soir en signe d’amitié, comme pour leur rappeler qu’ils les ont un peu emmenés dans leur sac à dos… François, qui aime tant le voyage, a déjà fait quelques morceaux du parcours, à pied ou à vélo, mais jamais la totalité. Cependant, il sait toute l’importance de ce statut d’étape pour les jacquards, un attrait touristique important du village, au même titre que les activités de pleine nature. Il y a à Saint-Julien-Chapteuil un autre voyageur qui a dû faire une longue route pour atteindre les sucs : c’est le curé de l’ensemble paroissial Saint-Régis Mézenc-Meygal, Martin Randriamamory, jeune Malgache de 44 ans très apprécié de ses paroissiens. En trois ans, il a fait siens cette

Ainsi va la vie dans ce petit coin de France, un petit village dont chacun des habitants est, consciemment ou non, une pièce maîtresse du vivre-ensemble.

terre et ses habitants, dont il se dit fier de partager la vie. Il est aussi convaincu que cette expérience humaine et pastorale enrichira considérablement son ministère et compte bien rapporter au pays des idées, des pratiques et des réflexions pour son diocèse d’origine. À son arrivée en 2018, le père Martin a d’abord dû se familiariser avec le climat un peu rude de la HauteLoire, et quelque quatorze clochers. Un jeu d’enfant pas si dépaysant que ça pour le quadragénaire, qui arrive tout droit d’Antsirabe, ville de trenteneuf clochers nichée à 1 200 mètres d’altitude dans les hauts plateaux du centre de Madagascar. En revanche, il reconnaît avoir été quelque peu surpris par le nombre de pratiquants et la moyenne d’âge : « Chez nous, c’est exactement l’inverse ! Ce sont les plus âgés qui ne viennent plus à la messe, faute de route praticable pour s’y rendre en général, et les assemblées dominicales sont très jeunes ! » témoigne le père Martin, qui ne boude néanmoins pas la présence de musiciens, de chorales et de laïcs prêts à s’engager sur son nouveau lieu de ministère. Dans son déracinement, il apprécie beaucoup leur accueil, leur aide et leur soutien. « Pour mes dixans de sacerdoce en janvier, ils se sont même cotisés pour m’offrir une partie du billet pour ma prochaine visite familiale au pays ! » Le père Martin, qui ne parle pas encore parfaitement le français et a parfois du mal à se faire comprendre, peut compter sur de nombreux adultes relais, des « veilleurs », qui, dans chaque clocher, prennent en charge le fonctionnement matériel du lieu de culte et établissent des ponts entre le quartier ou le hameau et l’Église, quand ils ont connaissance de personnes en demande de présence, de sacrements ou de rencontres ou quand ils sont face à des situations auxquelles ils pensent que l’Église pourrait apporter son aide. Une feuille de route ambitieuse que chacun s’approprie du mieux qu’il peut dans un dynamisme collectif, dont le prêtre, quelque peu écartelé entre ses quatorze clochers, se félicite.

Une présence bénéfique

Le conseil paroissial est tenu au courant de tout et consulté régulièrement. Et, cependant, le père Martin a le sentiment d’avoir beaucoup plus de temps ici qu’à Madagascar : « Le téléphone, ça change tout », reconnaît le curé, attaché à préserver du temps pour la prière mais aussi pour les visites aux habitants, à travers lesquelles il apprend tant de choses. « Jamais il ne s’impose. Avec la barrière de la langue, ce n’est pas l’érudition ou les grands discours qui prennent le dessus : seule sa bonté rejaillit de sa personne », s’émerveille Cécile Crespy, qui fait partie de l’équipe d’animation pastorale et se trouve aussi être l’épouse du conseiller municipal Jo Crespy. « Au mois de juin, après les différents confinements, et à l’occasion de la fête de saint François Régis, patron de l’ensemble paroissial et très estimé dans notre région, Martin a donné le sacrement des malades à plus de trente personnes à la demande de l’aumônerie de la maison de retraite, célébré à l’église de Saint-Julien-Chapteuil une messe pour les malades organisée avec covoiturage, et fait en sorte de visiter les personnes isolées et malades que nous lui avions signalées. » Elle apprécie particulièrement ce fonctionnement profondément collaboratif. L’ancien évêque, Luc Crepy, n’y est pas étranger. Il a fait beaucoup pour la synodalité sur le diocèse, donnant toujours la première place à ceux qui en

prenaient le moins. « Lors de sa visite pastorale, il est venu rencontrer cinq familles de réfugiés sur l’ensemble paroissial », se souvient Cécile, qui se demande qui va prendre la place du père Crepy, parti rejoindre le diocèse des Yvelines début 2021. Pendant longtemps, elle s’est sentie chrétienne mais rebutée par l’institution. L’évêque fait partie de ces personnes qui l’ont un peu réconciliée avec l’Église. « Ce qui compte pour moi maintenant, c’est de partir des plus démunis pour trouver le Christ », résume Cécile. Entre autres responsabilités, Cécile s’occupe en équipe de l’accueil des familles en deuil et des obsèques. « Quand quelqu’un perd un proche, je suis à chaque fois étonnée et touchée de la façon dont les familles ont à cœur d’honorer leurs défunts, de cueillir le fruit mûr de cette vie », lâche Cécile. Alors, non, elle n’est jamais triste et elle tient à cet engagement. Pour les rencontres, pour le visage d’Église qu’elle a l’occasion de donner à des hommes et des femmes qui en sont souvent bien éloignés. Un visage souriant et ouvert qui donne envie de croire à la résurrection ! C’est peut-être pour ça que François aime bien ce couple. Dans sa vie passée de pompier, il a souvent été confronté à la violence. Les secours d’urgence aux personnes représentent 85 % des interventions – de l’activité opérationnelle des sapeurs-pompiers de France pour être précis – et, dans le monde rural, on est vite amené à intervenir chez des gens qui nous ressemblent, voire chez des proches. Il en a trop vu, des morts, pendant toutes ces années. Des comportements à risque, liés à l’alcool, même quand il est support de convivialité. Des accidents et des décès prématurés. Des suicides de collègues ou de leurs proches, trop souvent. François, qui ne se dit plus chrétien depuis bien des années, peut en témoigner : « Pendant toutes ces années, dans les événements difficiles, l’Église était toujours là. » La petite et la grande, parce que François a été de beaucoup de célébrations, des enterrements pour l’essentiel. Et c’est grâce à des gens comme Cécile qu’il ne lui a pas complètement tourné le dos. C’est peut-être aussi grâce à des gens comme eux que les relations entre la paroisse et la municipalité sont aussi paisibles. Le curé est invité aux vœux et aux célébrations du 11 novembre, et le maire aux rencontres du comité de soutien aux réfugiés, dont fait partie son épouse.

D’un village à l’autre

Car la paroisse est aussi lieu de solidarité concrète. Chaque année, elle aide financièrement une association humanitaire par les dons des paroissiens lors des quêtes de Noël dans les églises. C’est ainsi que la somme de 1 700 euros a été reversée à une récente association capitolienne : Zazakely mada43. Derrière cette association, il y a l’histoire de deux rencontres, une grande, celle du père Martin avec sa paroisse, d’ores et déjà solidaire de ses origines, d’une part, et, d’autre part, celle du père Martin avec… sa coiffeuse ! Dans les premiers temps, quand il allait se faire couper les cheveux, Laurie Anne, qui n’est pourtant pas une paroissienne, l’interrogeait beaucoup sur la vie à Madagascar et les difficultés rencontrées par la population de l’île. Très touchée par ses récits, elle a alors décidé de se mobiliser en créant la petite association capitolienne, qui apporte un soutien non négligeable en matière d’alimentation, d’éducation, d’hygiène et de santé aux enfants d’Antsahanandriana, village natal du prêtre. De quoi achever de convaincre ce dernier d’adopter et de se laisser adopter, comme François Cabanes l’a fait à son arrivée, par SaintJulien-Chapteuil, son village de cœur ! Et ainsi va la vie dans le petit village de Saint-JulienChapteuil, au gré des saisons et des hameaux. Ainsi va la vie dans ce petit coin de France, semblable à beaucoup d’autres et néanmoins unique en son genre, un petit village dont chacun des habitants – François, Cécile, Marinette, Martin, André et les autres – est, consciemment ou non, une pièce maîtresse du vivre-ensemble !

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