JEUDI 17 AVRIL 2014 WWW.SUDOUEST.FR
Bordeaux rive droite
LORMONT
Auprès de leur arbre, ils veulent encore vivre heureux BOIS FLEURI L’abattage émouvant et joyeux de l’arbre-symbole du quartier en rénovation urbaine s’est déroulé hier matin YANNICK DELNESTE y.delneste@sudouest.fr
M
quartier. « Cet automne, devant la nécessité de l’abattre, nous avons sollicité José Le Piez dont le travail sur les arbres nous intéressait beaucoup. Pour que la disparition de celui-ci, à forte charge émotionnelle, soit l’objet d’une création. »
Monique n’était pas en reste, question souvenirs : mes enfants et petits-enfants sont allés dans l’école aujourd’hui disparu », raconte-t-elle. «. Mon mari et mon fils sont récemment décédés alors ce quartier, sa vie, c’est quelque chose, vous savez. » Et de sourire, de charrier la voisine, bluffante d’énergie. Nu, l’arbre est découpé presque à sa base, et s’élève, sanglé par l’engin qui le transporte de l’autre côté de la friche pour le retourner. Les grosses branches forment un trépied contre lequel les habitants se prennent en photos. Et Monique de refaire un câlin à son arbre chéri, d’étreindre José, bourreau et ressusciteur d’ifs urbains. Ou pas.
onique serre l’arbre dans ses bras, à l’étonnement… de ceux qui ne la connaissent que peu. Monique Dupont promène son chien trois fois par jour, et trois fois par jour, elle fait un câlin à son arbre. Le sien mais aussi celui de Bernadette, Mansour dit « Tonton », Guylène et les autres. Ces habitants de Génicart 3 auprès de qui on insiste pour dire aujourd’hui plutôt « Bois fleuri », moins connoté « rive droite qui craint ». Bernadette, Monique ou Mansour ne sont pas délinquants et ils ont habité Génicart III, symbolisé par ces trois tours Aquitanis disparues voilà trois ans environ. De l’ancien quartier où se déployait aussi une école, il restait cet arbre. Que les habitants et l’aménageur avaient voulu sauver mais que les racines enchevêtrées aux réseaux ont promis à la mort. « Les habitants avaient réussi à conserver l’arbre pendant la totalité de la démolition », raconte Émilie Darroux, médiatrice de la régie de
Souvenirs Et là, on peut le dire : il y a une vie après la mort. L’arbre fait l’objet d’un projet artistique et social, chaleureux et atypique, sous la houlette du sculpteur. Il animera des ateliers de sculpture au fil du printemps mais fera de la dépouille un arbrasson, sculpture sonore dont il a inventé le concept magique : caresser l’arbre et l’entendre. Hier vers 9 h, José était sur les branches de l’arbre, élaguant les dernières feuilles, découpant des rondelles de bois qu’il offrait aux habitants. « J’ai emménagé dans la tour 29 au 17e étage en octobre 1970 », explique Bernadette Naud qui habite depuis 2001 dans un collectif un peu plus loin. « Cet arbre, c’est une page qui se tourne, un deuil qui se termine peut-être. » Son mari est décédé ici en 1986.
Le manteau de laine dont il avait été habillé. PHOTO C. COSTE
Pendant l’élagage terminal, le plasticien José Le Piez a déjà offert quelques souvenirs précieux et boisés
Après la laine fraîche Au sein de la régie de quartier, la maison du projet travaille avec les habitants la transition de Génicart III vers le Bois fleuri, côté humain. Des jardinières jalonnant la future rue des Arts qui reliera tram et médiathèque, mais aussi du tricot graffiti qui a ensoleillé l’hiver dernier dans le coin. « Une femme de Tucson a inventé le yarn bom-
Autour de l’arbre, des habitants qui ont vécu avec lui et participé à son recyclage artistique. PHOTOS Y. D.
Il est 10 h 15 quand l’arbre nu est détaché de sa souche devant quelques habitants. Il se dirige vers sa deuxième vie…
bing », explique Monique qui a importé le concept à Lormont. Habiller les éléments urbains de laine, des chandails pour la ville. Au Bois Fleuri, les tricoteurs ont eu du succès, et notre arbre-vedette, parmi d’autres, a eu chaud quand il faisait froid. Charnière symbolique dans la mutation du quartier, la journée d’hier a été rythmée par des rencontres, un pique-nique. De l’émotion aussi, pas mal.
150 LOGEMENTS
Le chantier de rénovation du quartier Génicart 3 / Bois Fleuri va reprendre au mois de mai : 150 nouveaux logements devraient voir le jour sur deux ans entre privé (50 chez Bouygues), accession à la propriété (60 chez Axanis) et locatif social (90 chez Aquitanis). Un îlot de 50 nouveaux logements a déjà été livré en 2010 (Plantagenêt).
L’arbre va laisser place, rue des Arts, à un nouvel habitat. Le festival Panoramas s’y est installé jusqu’en septembre
Quelques mètres plus loin, l’arbre est retourné. Dans le cadre d’un projet concerté, il va devenir sculpture