Arts
et
Culture
de
C o r Ée
Vo l . 9, N° 3 A u t o mn e 2008
Vol. 9, N° 3 Automne 2008
Joseonwangjosillok, les Annales de la dynastie Joseon ISSN 1225-9101
BEAUTÉS DE CORÉE
Le « jangdo »
© Seo Heun-kang
M
uni d’un fourreau et décoré de motifs, le « jangdo » s’employait aussi bien pour se défendre d’un adversaire que pour découper viande, fruits et autres denrées alimentaires, ainsi qu’à d’autres fins quotidiennes de type pratique ou ornemental. La tradition voulait qu’à l’âge adulte, on portât sur soi cet objet qui existait pour homme comme pour femme. Chez le premier, il s’accrochait à la ceinture ou à une ganse de veste au moyen d’un cordonnet en fils de soie, la seconde le fixant à la ceinture qui se plaçait sous la robe ou le laissant pendre sur celle-ci tout comme le « norigae », cette parure en passementerie. Cet accessoire à la double fonctionnalité se popularisa sous le royaume de Goryeo (918~1398) et fut couramment en usage à l’époque Joseon (1392~1910), où l’on en faisait présent à l’occasion du mariage ou du passage à l’âge adulte pour exprimer le vœu qu’il préserve son
propriétaire des mauvaises fortunes en tous genres. S’il arrivait plutôt aux femmes, contre toute attente, de se donner la mort au moyen de cette arme, c’était pour garder leur chasteté intacte et le « jangdo » allait ainsi symboliser cette vertu chez les nobles dames de Joseon. À l’argent ou au bronze blanc qui composaient la plupart du temps la poignée et le fourreau pouvaient se substituer l’or, le jade, le bronze noir, l’ambre, l’os de bœuf, l’ivoire, le corail ou le bambou, ainsi que d’autres matières. Quant aux éléments ornementaux, ils variaient considérablement par leur nature et leur forme, mais les plus riches d’entre eux étaient les « norigae ». Le plus souvent constituée d’acier, la lame était, au gré de chacun, gravée de lettres ou motifs décoratifs et pouvait s’accompagner de baguettes en argent servant de révélateur de poison lors des repas pris à l’extérieur.
Arts et Culture de Corée
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Portant sur quatre cent soixante-douze années consécutives de la dynastie royale de Joseon (1392-1910), le Joseonwangjosillok (Annales de la dynastie Joseon) relate la vie de ses monarques et sujets en un prodigieux recueil documentaire de 133 968 pages réparties sur 1 893 volumes que l’UNESCO a inscrit en 1997 à son Registre de la Mémoire du monde. Photographie : Seo Heun-kang
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Joseonwangjosillok,
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les Annales de la dynastie Joseon 8
Chef-d’œuvre de la chronique historique Park Hong Gab
16 Efforts de préservation du Joseonwangjosillok
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Shin Byung Ju
22 Revalorisation du Joseonwangjosillok à l’ère numérique Shin Myung-ho
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Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sud www.kf.or.kr
DOSSIER
Séoul et sa nouvelle vocation de centre mondial du design Siège de la Direction du design de Séoul
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Une grande chamane coréenne 44
| Cho Yong-ho
ARTISAN Park Sung Kyu
Travaille les cuirs forts d’une main de maıˆtre 50
ÉITEUR Yim Sung-joon DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Hahn Young-hee REDACTRICE EN CHEF Park Jeong-yeop PHOTO DIRECTEUR Kwon Tae-kyun DIRECTEUR ARTISTIQUE Kim Ji-yeon DESIGNER Han Su-hee RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Heo Jae-hoon, Yi Jun-sung COMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek, Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim Youngna
ENTRETIEN Kim Keum Hwa
| Chae Euibyoung
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« Amants au clair de lune » Amour-passion et tourments de la séparation
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CHRONIQUE ARTISTIQUE
Au Festival de printemps de Séoul, quand la musique de chambre envahit la grisaille de la ville Park Yongwan
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À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE Brian Barry
Quand le cœur de Bouddha exulte à la pointe du pinceau 64
| Shim Eenbo
SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Kim Hee-jin
Danseuse contemporaine internationale : une gestuelle d’envol infini Jang Seung-heon
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ESCAPADE
Gongju, une harmonieuse union de montagnes, fleuves et cultures Na Tae-joo
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Koreana sur Internet
REGARD EXTÉRIEUR
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VIE QUOTIENNE
Le VTT et le BMX à la pointe du cyclisme coréen 87
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Les « pasanjeok », des brochettes au poireau 80
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Joseonwangjosillok, les Annales de la dynastie Joseon De 1392 à 1910, régnèrent les monarques de la dynastie Joseon, qui fut aussi marquée par la prépondérance accordée à la conservation des documents, telles ces annales dites Joseonwangjosillok (Annales de la dynastie Joseon) relatant les événements survenus à cette époque et répondant au besoin de créer un fonds documentaire dont l’indépendance et la bonne organisation garantirait un enregistrement fidèle des faits historiques aux fins de l’archivage. Portant sur une période comprise entre 1392 et 1863, soit quatre cent soixante-douze années durant lesquelles montèrent sur le trône vingt-cinq souverains dont le premier fut le roi Taejo (r. 1392-1398) et le dernier, Cheoljong (r. 1849-1863), le Joseonwangjosillok est étudié ci-après sous des angles divers, tant du point de vue de son contenu que des usages auxquels il se prête aujourd’hui encore.
Couverture et page du Sejong sillok (Annales du roi Sejong) où sont consignés les faits et gestes du quatrième souverain de la dynastie Joseon (r. 1418 – 1450), lequel s’illustra notamment par l’invention de l’alphabet coréen dit « hangeul ». © Institut d’études coréennes Gyujanggak
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Chef-d’œuvre de la chronique historique Le Joseonwangjosillok , c’est-à-dire les Annales de la dynastie Joseon, remplissait la double fonction de traité de gouvernement permettant aux souverains de se référer aux événements passés pour s’acquitter dignement de la conduite des affaires, et de recueil vivant d’enseignements moraux incitant chacun à une réflexion sur soi dans la perspective d’être jugé par les générations à venir. Le présent article a pour but d’exposer les fondements philosophiques qui sous-tendent cette importante chronique dynastique d’une demi-millénaire, ainsi que les procédés qui furent mis en œuvre pour sa compilation. Park Hong Gab Chef de la Division des recherches et compilations de l’Institut national d’histoire coréenne
Merveilleuse chronique historique des quatre cent soixante-douze années où régnèrent vingt-cinq monarques, le Joseonwangjosillok a été conservé tel qu’il se présentait à l’origine. © Seo Heun-kang
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e vocable coréen correspondant au mot français « annales » dans le titre de cet ouvrage désigne très précisément, selon la définition qu’en fournissent les dictionnaires, une « relation des accomplissements politiques et de tout autre nature qui surviennent sous le règne d’un souverain », mais aussi une « présentation des faits tels qu’ils sont » susceptible aujourd’hui encore de concerner des personnes et événements ne touchant pas à la royauté, l’acception moderne du terme s’étant toutefois limitée à cette dernière et à son histoire. Histoire du Joseonwangjosillok En Extrême-Orient, c’est sous les dynasties chinoises du Sud et du Nord (420-581) que firent leur apparition les premières annales d’histoire, dont Zhou Xing réalisa deux volumes consacrés à la famille impériale des Liang (502-557) et auxquels allaient faire suite, après l’avènement des Sui (581-618) et des Tang (618-906), des chroniques portant spécifiquement sur chaque souverain et dont s’inspireraient non seulement les dynasties chinoises ultérieures, mais aussi les royaumes coréens qui, dès l’époque de Goryeo (918-1392), entreprendraient d’en constituer de semblables sans que l’héritage en soit parvenu jusqu’à nos jours en raison d’une histoire nationale tumultueuse par ses crises et invasions multiples. Fondée par le roi Taejo (r. 13921398) pour s’achever sous le règne de Sunjong (r. 1907-1910), la monarchie de Joseon compta vingt-cinq autres souverains qui firent ainsi l’objet d’annales dont la publication intervint toujours postérieurement à leur décès, à l’exception des vingt-sixième et vingt-septième respectivement dénommés Gojong et
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Sunjong puisque, l’Office d’enregistrement (Chunchugwan) ayant disparu sous l’occupation japonaise, son activité ne put s’exercer à l’égard de ces deux monarques conformément aux normes et règlements qui la régissaient strictement sous cette dynastie, le colonisateur japonais s’étant en outre employé à dénaturer considérablement les faits, de sorte que la valeur historique de leur relation s’en trouvait trop fortement dépréciée pour constituer des annales dignes de ce nom. En toute rigueur, le Joseonwangjosillok relate donc les faits qui s’étendent des règnes de Taejo à Cheoljong et porte de ce fait sur quatre cent soixante-douze années. Registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO Classé Trésor national n°151 en Corée, le Joseonwangjosillok appartient aussi à l’héritage documentaire mondial répertorié par l’UNESCO, cette dernière organisation, après s’être limitée à l’inscription de sites culturels, ayant adopté en 1997 le programme dit « Mémoire du Monde » pour s’intéresser désormais à l’héritage documentaire, c’est-à-dire aux archives et collections. Parmi les premières pièces inscrites à ce répertoire, allait figurer le Joseonwangjosillok aux côtés du manuscrit coréen s’intitulant Hunmin Jeongeum et consacré à l’alphabet coréen aujourd’hui connu sous le nom de Hangeul. Quant aux motifs pour lesquels il fut jugé que le Joseonwangjosillok participait de la « Mémoire du Monde », ils sont trop nombreux pour figurer dans ces paragraphes et on se bornera en conséquence à citer la durée particulièrement longue de quatre cent soixante-
douze années sur laquelle porte cette relation consacrée à une dynastie unique, l’aperçu qu’il fournit au lecteur du mode de vie et du contexte de l’époque, sa fiabilité et son authenticité supérieures aux autres documents du même type, son excellent état de conservation, son impression limitée à quatre exemplaires au moyen de caractères typographiques mobiles créés à cet effet et enfin, sa valeur historique inestimable aux fins de la recherche historique et des relations internationales en Extrême-Orient. Si tous les pays confucianistes procédèrent à la compilation d’annales, celles du Joseonwangjosillok présentaient des spécificités telles qu’elles furent les seules à être inscrites à l’héritage culturel mondial. En Chine, des ouvrages de ce type ayant trait aux dynasties Ming et Qing demeurent ainsi à nos jours sous forme de 2 909 volumes et près de trois mille tomes, mais ils représentent par leur ampleur moins de la moitié du Joseonwangjosillok et ne portent en outre que sur les affaires de politique nationale contrairement à celui-ci, dont le contenu est très riche en informations sur la société, la culture, l’économie, les affaires militaires, la diplomatie et les coutumes. Le Japon avait pour sa part réuni des documents en deux ouvrages intitulés Relation véritable du règne de l’empereur Montoku et Relation véritable du règne des trois souverains du Japon , dont l’origine remontait respectivement à la fin du neuvième siècle et au début du dixième, mais qui, en dépit de leur valeur pourtant exceptionnelle d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif, ne sont pas parvenus jusqu’à l’époque contemporaine.
© Yonhapnews © Musée municipal d’histoire
Premier état d’un texte où les historiographes rapportaient les faits et gestes du souverain et qui devait être destiné, à la mort de ce dernier, à prendre place dans le Joseonwangjosillok aux côtés d’autres du même type et de la documentation correspondante.
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Portant sur quatre cent soixante-douze années d’histoire dynastique, le Joseonwangjosillok évoque vingt-cinq de ses souverains, dont le premier fut Taejo et le dernier, Cheoljong. Composée de 1 893 volumes regroupés en 888 tomes, cette formidable chronique doit ses dimensions à la mine d’information qu’elle renferme, non seulement sur les circonstances politiques de ces règnes, mais aussi sur leurs aspects diplomatiques, économiques, sociaux et culturels.
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1~2 Il est vraisemblable qu’un historiographe suivait le souverain régnant dans tous ses déplacements afin de consigner très précisément ses moindres paroles et actes, notamment lors de ses déplacements officiels ou d’agrément. © Gimm-Young Publishers, Inc.
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Au XVIIIe siècle, le Vietnam se constitua également des annales rassemblant, sous le titre Relation véritable du règne de Dai Nam , quatre-vingt-cinq volumes biographiques qui ont trait aux grands personnages des différentes époques, mais s’avèrent d’une teneur assez restreinte, puisqu’ils traitent principalement des affaires politiques qui se déroulaient à la Cour. En revanche, le Joseonwangjosillok surprend tout autant par son ampleur que par sa précision, puisqu’il va jusqu’à faire figurer des commentaires formulés par les historiographes à propos de personnes et d’événements, justifiant encore ainsi pleinement son entrée au Registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO du fait des importantes connaissances qu’il apporte en matière sociale, culturelle et philosophique. Origines de l’ouvrage Dans des temps reculés, les hommes prenaient déjà des notes sur leur environnement avant même que ne soient inventés l’écriture ou le papier, comme en attestent les nombreux spécimens d’inscriptions, motifs simples, représentations d’animaux et poissons découverts sur les peintures et gravures pariétales. En Corée, l’enregistrement d’informations correspond à une pratique très ancienne dont les vestiges sont disséminés en divers points du territoire, notamment en raison du fort intérêt que suscite l’histoire dans les pays se réclamant du confucianisme, où le passé tient lieu de miroir permettant d’envisager l’avenir, de nombreuses occurrences du nom de cet objet étant d’ailleurs à signaler dans les titres des anciens rapports historiques. En permettant que soient relatés
impartialement les événements qui marquaient le règne d’un monarque, sans y effectuer ni ajout ni retrait d’information, le royaume tolérait un certain contrepoids à son pouvoir absolu. En Chine comme en Corée, historiographes et conseillers du roi exerçaient un contrôle sur cette autorité et si les seconds s’acquittaient de cette tâche de son vivant, c’est après sa disparition que les premiers se prononçaient sur ce personnage, ainsi que sur son action, et ce faisant le soumettaient à une épreuve plus redoutable encore. Même Yeonsangun (r. 1494-1506), l’infâme tyran de la dynastie Joseon, avait dit : « S’il est une chose que je crains plus que tout, c’est la relation des faits historiques ». Dans un Extrême-Orient caractérisé par une vision de l’histoire imprégnée de confucianisme, cette idéologie, bien que n’émanant pas d’une origine divine, pesait sur l’exercice du pouvoir monarchique par l’opération d’une conscience pieuse qui poussa plus que tout autre facteur à la compilation d’annales, la prédominance de l’antériorité sur l’idéologie, autre apanage confucéen, expliquant par ailleurs l’impartialité et la précision avec lesquelles fut effectué ce travail. Sans la moindre planification de celui-ci, plusieurs personnes rassemblèrent au cours d’un certain temps les divers documents constitutifs du Joseonwangjosillok , lesquels consistaient en une relation d’événements se produisant lors de tout nouveau règne. Malgré l’importante durée prise en considération, l’ouvrage allait narrer sans exception les faits survenus chaque jour de ces quatre cent soixantedouze années, comme le commandait la conscience historique évoquée propre au confucianisme et encourageant les
historiographes à faire œuvre d’objectivité et d’exactitude. Procédés de compilation En 1409, soit un an après la mort du fondateur de la dynastie Joseon, le roi Taejo, son successeur sur le trône, qui se dénommait Taejong (r. 1400-1418), ordonna aux fonctionnaires de compiler les annales relatives au défunt monarque. D’aucuns se déclarèrent alors partisans d’en ajourner la réalisation eu égard au décès encore récent du monarque et à l’inverse, au fait que tous les personnages étant intervenus dans l’histoire de son règne étaient toujours de ce monde, mais le travail n’en débuta pas moins à la demande instante de Taejong, qui donna ainsi le coup d’envoi de cette grande œuvre sur la dynastie. Les textes ébauchés par les historiographes et les documents de travail servant à la compilation des annales proprement dites consistaient en une relation des événements qui formaient la vie du monarque et étaient consignés quotidiennement. Durant toute la dynastie, pas moins de huit historiographes se relayèrent pour en dresser en permanence la chronique jusqu’à la disparition du roi, où ces écrits sommaires étaient soumis à l’Office de compilation des annales (Sillokcheong). Venaient s’y ajouter des documents rédigés par des particuliers, sous forme notamment de journaux que tenaient les différents offices gouvernementaux et auxquels il était également fait référence aux fins de la compilation. Créé à la mort du roi avec pour seul objectif de constituer ses annales pendant une durée de temps donnée, l’Office de compilation se composait de fonctionnaires de très haut rang comme
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riographes sur des événements particuliers de la vie privée. À ce travail normatif, succédait la mise en place des différents services placés sous la direction du responsable de la compilation et pourvus en personnel pour y travailler, cette division des tâches reposant sur la répartition temporelle des services par leur affectation à une époque donnée, chacun d’entre eux élaborant dès lors un projet d’annales destiné à traiter de celle-ci et soumis à examen pour parvenir à sa version finale révisée, une procédure en trois phases qui permettait de prévenir erreurs de traitement et omissions, mais apportait aussi la garantie plus importante encore de l’objectivité de l’ouvrage. L’ensemble des procédés mis en œuvre par l’Office de compilation des annales était en outre consigné, en vue
de sa conservation, dans des documents intitulés Manuels de l’Office de compilation des annales et lorsque l’œuvre entreprise arrivait à son terme, projets et versions finales des annales subissaient un nettoyage à l’eau courante, une opération qui, si elle visait à la réutilisation du papier, était aussi censée garder cette production secrète. Le Joseonwangjosillok obéit principalement à la structure et à la forme suivantes : 1. Si chaque volume portait d’ordinaire sur une année, il arrivait qu’il ne concerne que six mois, voire deux ou même un seul, comme dans le Seongjong sillok (Annales du roi Seongjong), pour une longueur de texte variable. 2. Les annales relatives à chaque souverain commençaient par des infor-
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de subalternes et établissait lui-même les normes et règlements qui régissaient son activité en fonction de la nature des informations à recueillir et de la procédure adoptée dans ce cadre. De telles prescriptions s’appliquaient à une large gamme de textes administratifs, fixait le plus souvent la quantité requise de documents de référence, de décrets royaux et édits promulgués sous le règne du souverain, d’informations sur les principaux serviteurs du roi décédés après ce dernier, de dates, d’informations météorologiques, d’indications sur le personnel et de rapports et propositions remis par chaque fonctionnaire, mais concernaient également les faits relatifs aux gouverneurs provinciaux, les affaires publiques et privées, ainsi que les conflits et altercations, se complétant en outre des commentaires personnels des histo-
1 En 1913, c’est-à-dire à l’époque coloniale, la Corée a malheureusement été spoliée par le Japon de l’un des originaux du Joseonwangjosillok , mais suite à la multiplication des appels en faveur de sa restitution, elle est rentrée en possession d’un grand nombre de documents en 2006, soit quatre-vingt-treize années plus tard, et ses historiens se penchent aujourd’hui sur ces textes afin de les expertiser.
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mations concernant sa personne, notamment son nom et celui de ses parents, sa date de naissance, son enfance et son instruction, son choix comme prince héritier, ou encore, dans le cas d’un fils adoptif, les noms de ses parents biologiques et les modalités de son adoption. Les annales comportent souvent en annexe des textes portant sur la vie privée du roi. 3. Les annales consistent en une relation chronologique pouvant comporter des lacunes en raison de difficultés et elles se complétaient alors de textes supplémentaires, à l’instar de celles des rois Sejong et Sejo, qui en comportaient pareillement, tandis qu’à celles du roi Danjong, était annexé un récit de son rétablissement sur le trône. 4. Sur les dates citées, figuraient
sur le Mont Odaesan situé à Pyeongchang-gun, commune de la province de Gangwon-do, une cérémonie commémore la restitution du Joseonwangjosillok par le Japon, le 11 août 2006.
© Newsbankimage
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© Yonhapnews
2~3 Au Temple de Woljeongsa qui s’élève
l’année, la saison, le mois et le jour du début du règne du roi et, si les premières annales réunissaient ces deuxième et troisième informations, la mention allait en être omise par la suite. 5. Les textes comportaient le signe « ○ » délimitant les jours ou sujets sur lesquels portait chaque narration, mais il ne s’y trouvait en revanche aucun espacement, sauf devant le nom du souverain régnant et de ses prédécesseurs. Des notas rédigés en petites lettres figuraient au bas des passages exigeant une explication. Contrairement à ce qui s’était produit dans les premiers temps de la dynastie Joseon, les articles des annales allaient au fil de temps perdre de leur diversité pour se centrer toujours plus sur des considérations politiques dont
la prédominance conduisit à leur appauvrissement et s’il s’en trouve pour affirmer que cette tendance résultait de critiques sur la distorsion des faits ou l’adulation de la classe dirigeante, elle tenait en fait à la nature dynastique du royaume et non aux limites de l’ouvrage lui -même. Quoi qu’il en soit, l’important est de retenir que cette œuvre de compilation procède d’une tradition millénaire s’étendant de la dynastie de Goryeo à celle de Joseon et que de ses produits, c’est le Joseonwangjosillok qui est parvenu jusqu’à nos jours dans le meilleur état de conservation, outre qu’il se caractérise par l’étendue sans pareille de sa précision et de sa portée, autant de facteurs concourant à la création d’un document historique d’une valeur réellement inestimable.
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Efforts de préservation du Joseonwangjosillok Le bon état de conservation du Joseonwangjosillok résulte de la gestion méthodique dont ont fait l’objet les archives nationales afin de les préserver des troubles intérieurs comme des invasions étrangères, ainsi que mesures diverses visant à accroıˆtre la durabilité des documents, notamment par leur protection contre les insectes et l’humidité, le principe et la nature scientifique de ces différents procédés d’entretien et de conservation étant examinés ci-après. Shin Byung Ju Professeur au Département d’histoire coréenne de l’Université Konkuk
Sur cette carte établie en 1872, figurent les archives du Mont Jeoksangsan qui s’élève à Muju-gun, une commune de la province de Jeollabuk-do où se trouvaient jadis tous les originaux du Joseonwangjosillok . © Shin Byung Ju
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© Choi Hang-young
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1 Situées dans l’ouest de l’ıˆle de Ganghwado, qui fait aujourd’hui partie de l’agglomération d’Incheon, les archives du Mont Jeongjoksan étaient rééditées à la mort de chaque souverain pour se compléter d’une partie consacrée à la chronique de son règne.
2 Créées en 1606, les archives du Mont Odaesan ont abrité une série d’éditions du Joseonwang-josillok qui s’étendaient jusqu’à 1910, ultime année de la dynastie Joseon, et dont s’est approprié le Japon trois ans plus tard, une reconstitution ultérieure ayant été réalisée à partir des chroniques portant sur ces archives.
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uvrage d’un niveau de qualité international en raison de son contenu, le Joseonwangjosillok , qui rassemble les annales de la dynastie Joseon, l’est aussi d’un point de vue scientifique par la complexité des procédés qui ont été mis en œuvre pour sa protection et sa conservation. Les bâtiments des archives ont été situés en zone montagneuse afin de conserver ce recueil comme il se doit à l’intention des générations futures, en prenant soin d’édifier à leur proximité des temples destinés à en assurer la garde en temps de crise. Le Joseonwangjosillok y était rangé dans des boîtes spéciales renfermant aussi des plantes médicinales le protégeant des insectes et de l’humidité, mais tous les deux ans il en était extrait pour l’aérer et le faire sécher, dans le cadre d’un contrôle et d’une maintenance constants. C’est la mise en œuvre régulière de ces mesures complexes qui allait permettre de conserver aussi longtemps en l’état cet ensemble de documents.
Archivage en montagne Quand s’achevait la compilation d’un nouveau volume du Joseonwangjosillok , l’Office de compilation des annales faisait procéder à sa reliure lors d’une cérémonie après laquelle il en conservait lui-même un exemplaire dans ses locaux de Séoul, ainsi que dans tous les bâtiments des archives provinciales. Au début de l’époque Joseon (1392-1910), l’ensemble de cet ouvrage se trouvait donc entreposé à l’Office de compilation des annales, ainsi qu’aux archives de province, comme à Chungju, Jeonju et Seongju, où il courait toutefois le risque d’être détruit lors d’incendies ou de pillages, par exemple dans cette dernière ville où, sous le règne du roi Jungjong (r. 1506-1544), onzième de la dynastie, un homme qui chassait le pigeon mit le feu à l’édifice. Par la suite, les invasions japonaises qu’eut à subir la Corée de 1592 à 1598 révélèrent les risques importants que présentait un archivage dans les agglomérations à forte population ou à l’emplacement d’un grand passage de voyageurs, comme ce fut le cas, à Chungju et Seongju, où des bâtiments qui abritaient l’Office de compilation des annales et ses services d’archivage furent détruits par le feu parce qu’ils se trouvaient sur le trajet des envahisseurs, qui réduisirent en cendres les éditions du Joseonwangjosillok . Fort heureusement pour les archives de Jeonju, celles-ci avaient déjà été transférées près du Mont Naejangsan, grâce à l’aide et au dévouement de penseurs confucianistes tels que Song Hong-rok et An Ui qui permirent ainsi la préservation de ces ouvrages après bien des péripéties. Quand cessèrent les hostilités, les responsables des archives s’empressèrent
Taebaeksan et Odaesan, formant avec les temples qui en assuraient la garde et la protection un dispositif immuable qui survécut jusqu’à la chute de son dernier royaume. Rigueur de la maintenance Si le Joseonwangjosillok témoigne à lui seul de la bonne conservation du patrimoine documentaire de l’époque Joseon, le recueil intitulé Relation du statut des annales est lui aussi remarquable. Destiné à consigner l’état d’avancement de toute nouvelle édition des annales, il en relatait les opérations de reliure, de séchage au soleil et en plein vent, ainsi que tout retrait destiné à une présentation, sans oublier les réparations que nécessitaient les bâtiments d’archives, autant d’informations relevant d’une sorte de rapport d’inspection relatif au patrimoine documentaire. À chaque ouverture d’archive, la nature et le nombre de ses ouvrages constitutifs y étaient inventoriés aux
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côtés des noms des historiographes et du personnel qui leur étaient affectés, attestant ainsi d’un suivi permanent de cette documentation. Autre preuve de la grande rigueur qui présidait à l’entretien des documents, leur aération régulière visait à en éliminer l’humidité, ainsi qu’à en empêcher la décomposition et l’infestation par les insectes afin de prolonger leur durée de vie. Cette opération se déroulait le plus souvent par beau temps, au printemps ou en automne, sous la supervision d’un historiographe expressément dépêché à cet effet par ordre du roi, et donnait lieu à l’enregistrement de ses procédures et conditions particulières dans un document intitulé Hanwongosa . Il convenait d’aérer tous les deux ans chacune des éditions du Joseonwangjosillok . L’historiographe mandaté à cet effet par le roi procédait à l’ouverture des portes. À cette occasion, il avait revêtu un uniforme noir, et devait s’incliner
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de faire transporter celles-ci dans des régions de haute montagne, désormais conscients de la forte probabilité de guerre, d’incendie et de brigandage qui, dans les zones d’habitat dense, compromettait la sûreté de leur entreposage. En dépit des difficultés d’entretien et de conservation que supposait un tel emplacement, ils y firent édifier des bâtiments qui assureraient une bonne conservation documentaire à l’intention des générations à venir. Dès lors, outre l’Office de compilation des annales de Séoul, furent créés à la fin des invasions japonaises cinq centres d’archivage situés auprès des Monts Manisan, Myohyangsan, Taebaeksan et Odaesan se trouvant respectivement sur l’île de Ganghwado, ainsi que près des villes de Yeongbyeon, Bonghwa et Pyeongchang, qui appartiennent successivement aux provinces de Pyeongando, Gyeongsang-do et Gangwon-do. Quand firent irruption les envahisseurs de la dynastie des Jin postérieurs (1616-1636), à laquelle allait succéder celle des Qing, l’État fit déplacer les archives du Mont Myohyangsan jusque dans une zone militaire fortifiée s’étendant au pied du Mont Jeoksangsan, non loin de Muju, une ville de la province de Jeolla-do. À leur arrivée sur l’île de Ganghwado, en 1636, les guerriers mandchous allaient causer des ravages dans le centre d’archivage du Mont Manisan, puis l’incendie qui s’y déclara en 1653 conduisit, en 1660, au transfert de ce patrimoine documentaire dans des locaux situés au pied du Mont Jeongjoksan tout proche. Dans les derniers temps de la dynastie Joseon, quatre grands centres d’archives demeurèrent ainsi à proximité des Monts Jeongjoksan, Jeoksangsan,
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Détails de la conservation du Joseonwangjosillok en boîtes d’archivage Papier huilé - une feuille de papier huilé recouvrait chaque pile de volumes afin de protéger ceux-ci des infiltrations d’eau.
Boıˆtes d’archivage
Papier - une feuille de papier de grande qualité intercalée entre les différents volumes permettait de conserver individuellement ces derniers.
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Etoffe d’emballage rouge - l’ensemble des volumes était enveloppé d’étoffe rouge pour assurer leur meilleure protection tout en éloignant les esprits maléfiques grâce au pouvoir qui était prêté à cette couleur. blisher
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Sachet de plantes médicinales - Des plantes médicinales telles que le cnidium officinale et l’acorus calamus étaient destinées à protéger des insectes et de l’humidité les volumes archivés dans chaque boıˆte.
Archives
Fenêtres - ces ouvertures de grandes dimensions assuraient une ventilation adéquate, tandis que stores et paravents protégeaient du soleil et des précipitations.
Toits - ils s’élevaient à une grande hauteur et faisaient largement saillie hors des murs pour abriter les locaux de la pluie et réduire l’amoncellement de neige.
Parquet - sa réalisation au ras du sol aurait eu pour objectif d’empêcher les remontées d’humidité et d’accroıˆtre la circulation d’air.
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Suite aux invasions japonaises de la Corée (1592-1598), les archives nationales ont été transférées dans des bibliothèques judicieusement situées au pied de hautes montagnes afin d’en rendre l’accès difficile, notamment dans le but de sauvegarder le Joseonwangjosillok en cas de guerre, d’incendie ou de pillage. Désormais contraints d’accomplir un difficile parcours pour parvenir jusqu’à ces documents, les historiographes ne se sentaient pas moins honorés d’exécuter les ordres du roi aux fins de la préservation et de la gestion du précieux recueil et s’acquittaient alors de leur tâche avec un grand sens du devoir.
à quatre reprises devant les documents d’archive. Après avoir ouvert les portes et contrôlé l’état de l’archivage, il ouvrait les boîtes et aérait les ouvrages. Au cours de la dernière période dynastique, c’est un fonctionnaire lettré dénommé Shin Jeong-ha (1681-1716) qui fut chargé, à l’automne de 1709, de procéder à l’aération des ouvrages entreposés près du Mont Taebaeksan et la relation qu’il en fit à l’époque se présentait comme une chronique de voyage complétée d’un recueil de poèmes, la première décrivant avec précision les opérations qu’il avait effectuées. « Le bâtiment des archives est ceint d’un mur, à l’est duquel s’élève un bâtiment où l’historiographe séjourne à l’occasion de sa venue. L’officier et les moines qui assurent la garde et la protection des lieux sont installés à demeure dans le bâtiment des archives. Lorsque j’y suis parvenu, j’ai effectué quatre saluts et tiré le verrou pour en examiner l’intérieur. L’aération des ouvrages s’est déroulée trois jours durant, par un temps magnifique. Au cours de cette durée, j’ai assuré l’aération des livres rangés dans trente-six boîtes et après avoir terminé, j’y ai remis ceux-ci à leur place, ai scellé le tout et l’ai entreposé au deuxième étage du bâtiment des archi-
ves où il se trouvait initialement. » Si les centres d’archives se situaient dans de lointaines montagnes, les historiographes du roi ne s’en considéraient pas moins honorés de s’y rendre en expédition, estimant qu’il était de leur devoir sacré de s’assurer coûte que coûte de la parfaite conservation et de l’entretien de ces ouvrages d’intérêt national. À leur arrivée sur les lieux, ils étaient accueillis par les fonctionnaires provinciaux avec une grande hospitalité, car la conservation des archives représentait alors une affaire sérieuse. De nos jours, le Centre Gyujanggak de l’Université nationale de Séoul assure l’entreposage de quelque cinq cents volumes de la Relation du statut des annales , lesquels traitent notamment du contrôle régulier et de l’aération du Joseonwangjosillok et témoignent ainsi une fois de plus de la méticulosité qui caractérisait la conservation documentaire sous la dynastie Joseon. Un accès restreint C’est dans le but d’une conservation indéfinie que le Joseonwangjosillok était rangé dans des boîtes, à raison de quinze à vingt volumes dans chacune d’elles, du papier s’intercalant entre eux pour empêcher qu’ils ne soient directement au
contact l’un de l’autre et l’ensemble étant recouvert d’un morceau d’étoffe rouge qui assurait leur étanchéité tout en éloignant les flux d’énergie négative. Prenaient aussi place dans ces coffrets des sachets renfermant de la poudre de Cnidium officinale et du calame pilés qui étaient destinés à préserver les documents des insectes et de l’humidité, la première de ces substances étant une plante médicinale dont les racines et tiges produisent des effets calmants, sédatifs et fortifiants, tandis que la seconde, composée de joncs odorants, est aussi employée en phytothérapie, mais tous deux ayant également contribué, dans la plus large mesure, à prévenir toute détérioration du Joseonwangjosillok en le maintenant parfaitement en l’état. Quant aux boîtes elles-mêmes, elle se composaient d’un bois léger tel que le saule, le paulownia ou le tilleul et leur surface extérieure était revêtue d’un laquage évitant leur dégradation et assurant une bonne conservation des ouvrages. Elles comportaient en outre des poignées et quatre pieds, ainsi que des motifs décoratifs en fer forgé, laiton et résine de pin. Elles devaient être closes de manière parfaitement hermétique et leur verrou tiré avec soin, puisque les responsables de leur maintenance eux-mêmes n’étaient pas autorisés à les ouvrir à leur gré et que seul l’historiographe expédié par le monarque avait cette prérogative, tant leur contenu était jugé précieux. Si le Joseonwangjosillok a pu être conservé dans son état d’origine, c’est grâce à son entreposage en lieu sûr à compter de la dernière période dynastique et parce que les personnages chargés de son entretien et de son contrôle faisaient preuve d’une rigueur infaillible. Automne 2008 | Koreana 21
Revalorisation du Joseonwangjosillok à l’ère numérique Aujourd’hui, les différentes applications numériques et les possibilités d’accès qu’offre l’internet non seulement aux spécialistes, mais aussi au grand public, redonnent vie au Joseonwangjosillok, cette imposante chronique rédigée en idéogrammes chinois. Shin Myung-ho Professeur au Département d’histoire coréenne de l’Université nationale de Pukyung
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Le codage numérique du Joseonwangjosillok et sa traduction en langue coréenne à partir du chinois classique permettent désormais aux plus jeunes d’y accéder pour s’y référer ou effectuer des recherches sur un sujet donné. © Imageclick
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visée Daejanggeum , qui repose ainsi sur la lecture fortuite, dans le Joseonwangjosillok , de cette petite phrase évoquant la modeste soignante d’alors. Une mine d’information pour les feuilletons historiques De même, pour s’informer davantage sur le personnage-titre de l’œuvre Heo Jun , il suffira à quiconque de consulter les documents décrivant la pharmacie royale où exerçaient les docteurs, car sa traduction en langue coréenne est accessible aussi bien en ligne que sous forme d’un enregistrement sur CD-ROM. La saisie des mots clefs « pharmacie du palais » fait instantanément apparaître une liste qui ne comporte pas moins de six cent quatre-vingt-neuf entrées rassemblant dans les articles correspondants l’essentiel des données relatives à l’histoire et aux institutions de l’époque, mais aussi aux produits que renferma cette pharmacie au cours d’une dynastie longue de cinq siècles, outre
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aejanggeum , l’un des nombreux feuilletons historiques qu’a fait connaître ce qu’il est convenu d’appeler la « vague coréenne », résulte tout bonnement de la découverte que fit son réalisateur, Lee Byung-hoon, au hasard de la recherche documentaire entreprise pour une autre de ses créations intitulée Heo Jun sur le médecin attitré (1539~1615) d’un monarque qui régna à la fin de la première moitié de la dynastie Joseon. C’est en effet par pure coïncidence qu’il tomba alors, dans le Joseonwangjosillok , sur une très intéressante citation du roi Jungjong (r. 1506-1544), lequel affirmait notamment : « Nul ne connaît mieux ma maladie que Jang-geum », ce qui a de quoi surprendre s’agissant de la simple infirmière que représentait cette dernière, alors que tout souverain était à cette époque suivi par son praticien particulier. Intrigué par ce personnage, Lee Byung-hoon allait s’informer plus encore sur lui et finir par tirer des informations recueillies l’idée de l’œuvre télé-
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qu’ils recèlent certaines indications qui peuvent s’avérer très précieuses, tel ce court passage mentionné plus haut. Une mise à disposition de l’information aussi rapide et en un tel volume, qui contient en outre parfois la perle rare, résulte de l’opération de numérisation qu’elle subit quasiment en parallèle avec sa traduction en langue coréenne et dont la mise en œuvre a pour ainsi dire donné naissance au feuilleton Daejanggeum . Autre grand succès par son taux d’audience, l’œuvre télévisée intitulée Le Roi et Moi est un mélange subtil d’intrigue dramatique et d’évocation de personnages et anecdotes qui figurent dans le Joseonwangjosillok . Ce feuilleton retrace la vie de l’eunuque Kim Cheo-seon ( ?-1505), qui demeura au service de six monarques successifs de la dynastie Joseon, à savoir des dénommés Munjong à Yeonsangun (r. 1494-1506), et met exclusivement en scène des personnages réels cités par les documents d’archives, y compris celui d’Eoeuludong, qui apporte la détente au sein
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1 Inspiré de cette simple phrase du Joseonwangjosillok : « Nul ne connaıˆt mieux ma maladie que Jang-geum », le feuilleton télévisé Daejanggeum (Le Joyau du Palais) a largement participé de la vague coréenne dite « hallyu » qui s’est répandue dans le monde. 2 Le feuilleton historique Heo Jun évoque le grand médecin de ce nom qui vécut de 1539 à 1615, sous la dynastie Joseon dont il soigna le souverain régnant et sa famille, comme il en est fait maintes fois mention dans le Joseonwangjosillok . 3 Le film The King and the Clown conte la vie de Gonggil, ce bouffon de cour dont le Joseonwangjosillok révèle qu’il fut châtié pour avoir tenu des propos irrévérencieux à l’égard du roi. 4 Le film Singijeon retrace la mise au point de cette arme à feu sous la dynastie Joseon en se fondant sur force détails historiques puisés dans le Joseonwangjosillok .
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5 Le Joseonwangjosillok a été adapté à la bande dessinée pour permettre une meilleure compréhension de ses récits par les jeunes et moins jeunes, qui s’y sont montrés très réceptifs.
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d’une thématique grave en créant une ambiance romantique. Notoire pour ses relations adultères au temps du roi Seongjong, cette descendante de la grande lignée des Park s’adonna sans retenue à ces liaisons contraires à la bienséance après que son époux, parent de ce souverain, l’eut abandonnée, accumulant les partenaires sans distinction de condition sociale jusqu’à sa mort qui intervint dans des circonstances tragiques. Ce personnage emblématique du libertinage figure à plus de cent endroits du Joseonwangjosillok , qui reproduisent d’un point
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Cette année a vu l’achèvement d’un projet entrepris par l’Institut national d’histoire coréenne pour mettre en ligne le Joseonwangjosillok (Annales de la dynastie Joseon), notamment par le codage numérique du texte d’origine en langue chinoise provenant des archives de Taebaeksansa, qu’il est désormais possible de visualiser sur écran aux côtés de la photographie de cet ouvrage et de sa traduction coréenne en vue de la comparaison de ces deux documents.
de vue objectif et général les jugements que suscitait alors un tel symbole de liberté et d’originalité dans une société régentant la vie entière des femmes et émaillent leurs récits d’anecdotes dont le réalisateur pourra s’inspirer pour construire son œuvre de fiction. Par un accès en ligne au Joseonwangjosillok , le téléspectateur cesse de consommer passivement des œuvres fictionnelles pour prendre l’initiative de consulter les documents dont elles s’inspirent afin de confronter leur dénouement dramatique à la réalité des événements de l’histoire et ce faisant, acquiert
plus d’objectivité et d’indépendance d’esprit à divers égards. Une chronique historique et imaginaire Outre les feuilletons, les différentes productions de l’industrie de la culture se réfèrent au Joseonwangjosillok dont le riche contenu se prête à des usages multiples, car chacune de ses composantes peut créer un véritable effet de synergie moyennant d’établir les liens qui conviennent, comme cela s’est notamment produit dans la pièce de théâtre You qui met en scène un saltimbanque
nommé Gonggil. Dès sa première représentation, en l’an 2000, cette œuvre a remporté un vif succès en raison de son intrigue prenante et de ses personnages singuliers ayant réellement existé, au point qu’elle allait se voir décerner par l’Association de théâtre coréenne ses prix les plus prestigieux de la meilleure pièce de l’année, du meilleur scénario et de l’interprétation, puis faire l’objet en 2005 d’une adaptation tout aussi réussie au cinéma sous le titre The King and The Clown , puisque ce film allait attirer pas moins de 12,3 millions de spectateurs, c’està-dire plus que tout autre film produit auparavant, et enfin inspirer le roman du même nom qui allait réaliser les meilleures ventes de l’année 2005, cette triple prouesse théâtrale, cinématographique et éditoriale étant liée une fois encore à un emprunt au Joseonwangjosillok , à savoir le personnage historique de Gonggil. Comme dans le cas de Jang-geum, la
découverte de cette figure originale tient à un concours de circonstances, puisque le metteur scène Kim Tae-ung a appris l’existence de ce bouffon en se renseignant sur les jeux traditionnels coréens, qui se révélèrent en comporter un dont le nom de « jaedam » désigne un trait d’esprit divertissant. Quant au mot « gwangdae », il s’employait à l’égard de ces personnages facétieux qui, sous la dynastie Joseon, s’efforçaient d’amuser le roi par leurs plaisanteries et peut donc servir de mot clef en association avec celui d’acteur comique lors d’une recherche sur le jeu mentionné plus haut, laquelle aboutira entre autres à des textes traitant du bouffon Gonggil en ces termes : « Gonggil a cité les Analectes pour affirmer que le roi, tout comme le sujet, le père ou le fils, doit être digne de ce nom, car si le premier et le deuxième ne le sont pas, comment se nourrir même si la récolte est prospère ? Outragé par ces propos, le roi lui fit donner du bâton et exiler très loin. »
À cette lecture, le metteur en scène allait établir un lien entre le monarque, détenteur du pouvoir suprême, auquel s’adressaient des propos aussi audacieux, et le simple baladin issu de la lie de la société, qui les avait formulés, poussant plus avant une réflexion qui allait donner lieu à la création d’une pièce, elle-même inspiratrice d’un film et d’un roman. Aujourd’hui, on ne peut que s’extasier devant la puissance avec laquelle le scénariste sut brosser le portrait de cet acteur de palais à partir d’ un seul passage du Joseonwangjosillok , dont l’oeuvre You allait s’inspirer judicieusement au théâtre, avec un succès qui rejaillirait plus tard sur le cinéma et l’édition, et auquel les technologies de pointe ne donnerait que plus d’envergure. À l’affiche depuis le 4 septembre dernier, le film Singijeon évoque quant à lui l’arme à feu à projectile du même nom dont il est fait pour la première fois mention en 1448 dans le Sejong Sillok
1 Une exposition consacrée au Joseonwangjosillok a permis aux visiteurs d’en consulter les originaux.
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2 Volumes du Joseonwangjosillok conservés par l’Institut d’études coréennes Gyujanggak de l’Université nationale de Séoul.
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(Annales du roi Sejong) et qui résulte d’une évolution de celle dite « juwha » qu’avait mise au point Choi Mu-seon (?~1395) sous la dynastie de Goryeo. Procédant elle aussi d’une consultation approfondie du Joseonwangjosillok , cette œuvre évoque les différentes étapes de cette création dont prit l’initiative le roi Sejong en vue de doter le pays de moyens de défense autonomes face à la dynastie chinoise des Ming (1368~1644) et dans les différents conflits qui l’impliquaient, en se fondant sur des faits historiques situés dans le contexte subtilement dépeint des relations internationales et des rapports de force sociaux de cette époque. Cette chronique historique a donné lieu à d’autres types de publications dont les plus remarquables se destinent à un public de jeunes lecteurs sous forme d’albums de bandes dessinées édités à partir de 2003 en plusieurs numéros dont le dernier est à paraître d’ici 2011. Visant à vulgariser les informations du Joseonwangjosillok , ces ouvrages à la tonalité humoristique, se sont dores et déjà vendus à plus de deux cent mille exemplaires depuis leur parution et pourraient se doubler d’une version pour adultes à la demande des parents. En outre, l’alliance de ces deux genres dément l’idée préconçue selon laquelle les ouvrages historiques, d’une lecture difficile, ne s’adressent qu’aux initiés et n’en élargit que davantage leur audience, notamment auprès des enfants, démontrant ainsi que le Joseonwangjosillok peut être apprécié de tous. Ces albums disponibles au rayon histoire de toutes les grandes librairies apportent aussi nombre d’indications
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sur l’instruction et les méthodes pédagogiques qui étaient de mise à la Cour, ainsi que sur la vie quotidienne et les amours des dames de jadis, avec une précision qui ne se retrouve dans aucun autre document édité à ce jour. Enfin, il convient aussi de mentionner des ouvrages qui relatent des faits extraordinaires en remettant en question leur véracité pourtant avérée et dont la teneur insolite pourrait susciter de nouveaux thèmes de création nécessaires à l’essor de l’industrie de la culture. L’apport nouveau du numérique Aujourd’hui, on peut légitimement s’interroger sur le destin qu’auraient connu le Joseonwangjosillok en l’absence de traduction coréenne et de numérisation et sur les moyens dont auraient disposé les réalisateurs des feuilletons Daejanggeum et Heo Jun pour effectuer leurs recherches. Composé de 1 893 volumes et 888 tomes représentant 133 968 pages et rassemblant 189 867 695 lettres, ce formidable manuscrit est intégralement rédigé en caractères chinois qui subordonnent la compréhension du texte à leur connaissance et encore, les spécialistes qui en ont l’apanage ne peuventils que les lire à raison d’une cinquantaine de pages par jour tout au plus, ce qui revient à dire que l’ensemble de l’œuvre nécessiterait sept années. C’est le temps que devraient consacrer les experts les plus avertis à la localisation des passages traitant de la pharmacie royale, une opération que permettent d’effectuer en un rien de temps les versions enregistrées sur CDROM ou accessibles en ligne grâce à leur numérisation, qui tient presque du mi-
racle par la vitesse de traitement qu’elle autorise à l’intention de tout un chacun. Le manuscrit d’origine relate des faits historiques embrassant d’innombrables domaines aussi variés que la politique, la défense, la diplomatie, l’économie, la société et la culture spécifiques de la dynastie Joseon, mais aussi son histoire, ses grands personnages et ses institutions, les sciences qui s’y développèrent telles que l’astronomie, la médecine et sa pharmacopée, et la géographie, de même que la littérature et les arts dont celui de la musique, les religions, idéologies, règles d’éthique et moeurs, les récits de diverses natures, les hommes et leurs conditions de vie, le principe du yin et du yang et la cartomancie. En outre, il convient de signaler qu’il comporte une description minutieuse de l’ensemble des phénomènes sociaux, notamment la conduite des affaires par les monarques, les victoires et échecs politiques et de la vie privée, comme le ferait aujourd’hui un quotidien, et de ce fait, qu’il constitue une mine d’informations culturelles et historiques qui fut alors sans pareille dans le monde. Préalablement à sa traduction et à sa numérisation, cette vaste somme de connaissances s’avérait en même temps d’une exploitation malaisée en raison de cette même ampleur qui exigeait, nous l’avons vu, une quantité de temps et d’efforts considérable pour repérer un élément d’information particulier. À compter de 1910, la relégation au second plan de l’apprentissage des sinogrammes allait avoir pour conséquence, dès les années soixante, la présence d’un très faible nombre de personnes aptes à lire l’ouvrage dans le texte, une tâche
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Le défunt professeur Lee Woong-geun s’est employé sans relâche à faire enregistrer l’intégralité du Joseonwangjosillok sur CD-ROM, une titanesque entreprise qui a pris fin en 1995 après avoir exigé près de cinq milliards de wons d’investissement et mobilisé une équipe de chercheurs qui y a consacré quelque cent mille heures-hommes, l’ouvrage étant également accessible sur le site internet qu’a créé l’Institut national d’histoire coréenne.
qui devait s’avérer bien ardue pour les historiens eux-mêmes. C’est afin de remédier à cette situation qu’allait être entreprise en 1968 une traduction qui ne prendrait fin que vingt-six ans plus tard après avoir mobilisé pas moins de trois mille spécialistes et représente à ce jour, par son envergure et ses résultats, le projet le plus important qu’ait jamais consacré la Corée à sa culture depuis son indépendance. À cette première étape, allait succéder celle du stockage des informa-
tions sous forme numérique en vue de faciliter leur exploitation, sachant qu’en l’état, l’intégralité de cette traduction en quatre cent treize volumes aurait exigé quatre ans et trois mois de lecture à raison de cent pages par jour et qu’en raison des limitations inhérentes à la mémoire humaine, ce dépouillement intensif ne permettrait guère de toute façon d’acquérir une vision d’ensemble d’un document au contenu disparate, autant de facteurs qui rendaient indispensable sa numérisation aux
fins d’une recherche plus efficace et féconde. C’est en vue de l’enregistrement sur trois CD-ROM de cette traduction en 413 volumes du Joseonwangjosillok et de son édition en 1995 qu’allait être créé un Comité d’édition chargé de cette mission en avril 1994. Support de haute technologie, le CD-ROM assure le stockage d’informations variées qui prennent la forme de données, images ou sons, les modèles de douze centimètres de diamètre pouvant contenir jusqu’à trois cents millions de
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caractères, et leur format conforme aux normes de l’ISO assure leur compatibilité avec les équipements du monde entier. Par l’accès qu’il fournit à l’information, ce support s’avère aussi supérieur au livre, lequel exige dans un premier temps une recherche à l’index situé dans ses dernières pages ou dans le sommaire qui précède le texte, en localisant aussitôt ce même mot dans son contexte d’emploi et, par sa vitesse de traitement, en permettant d’accéder rapidement à l’article correspondant pour optimiser son exploitation. Dès lors, on comprend aisément l’avantage de telles capacités dans le cas d’un document aussi volumineux que le Joseonwangjosillok . Dans une telle chronique, les événements étant relatés au jour le jour, mois après mois et année par année, il convenait de doter aussi sa version enregistrée sur CD-ROM de fonctionnalités d’index et de sommaire chronologiques, ce qui a été fait pour permettre aux personnes les moins férues d’informatique de trouver sans difficulté les informations qu’elles souhaitent au moyen de la souris de leur ordinateur et apporte un avantage incommensurable, en termes de commodité et de rapidité, par rapport à une recherche classique en bibliothèque, où le lecteur doit retirer un à un les volumes et en feuilleter les pages. La Corée retrouve le Joseonwangjosillok Cette année a vu l’achèvement du projet entrepris fin 2005 par l’Institut national d’histoire coréenne et qui prévoyait la mise en ligne du Joseonwangjosillok et l’ouverture au public, en décembre 2007, d’un site internet cor-
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Par leur richesse et leur diversité, les récits et informations historiques que renferme le Joseonwangjosillok ont donné lieu à l’édition d’ouvrages historiques, romanesques ou éducatifs aussi nombreux que variés.
sant l’essor de l’industrie nationale de la culture et de la connaissance, autant de points positifs qui résultent foncièrement de l’heureuse alliance des textes du Joseonwangjosillok avec les technologies du traitement de l’information. Un support ouvert, perfectible et extensible Afin d’améliorer toujours plus cet outil, il importera d’y adjoindre un glossaire qui définisse clairement une terminologie technique que les historiens eux-mêmes s’accordent à juger complexe, d’effectuer des recherches pour enrichir les informations disponibles sur cet ouvrage et de rendre plus performant le traitement de l’information, mais aussi de s’employer à mieux satisfaire les besoins des usagers tant coréens qu’étrangers, notamment par l’éventualité de traductions en langue étrangère à l’intention de ces derniers. Grâce à l’analyse approfondie et à l’exploitation efficace du matériau culturel et historique que recèle le Joseonwangjosillok , ainsi qu’à la mise au point de solutions adaptées aux exigences et niveaux de spécialisation des usagers coréens comme étrangers, succéderont aux prodiges de la technologie numérique d’autres réalisations d’une envergure plus grande encore dans le domaine des sciences, de la culture et de l’économie.
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respondant à l’adresse http://sillok.history.go.kr, afin de permettre la visualisation simultanée par les usagers de son texte d’origine, de la photographie de celui-ci et de sa version traduite en langue coréenne, ainsi que la fourniture de différents services. Cette réalisation présente d’autant plus d’intérêt dans la version provenant des archives de Taebaeksansa, dont le texte et les images entièrement numérisés permettent la conservation permanente et la consultation sur écran aux côtés de sa traduction coréenne en vue de la comparaison de ces deux documents. Par ailleurs, elle facilite considérablement la recherche sur des figures historiques données par la mise à disposition d’indications fournies par le Joseonwangjosillok à propos de la vie privée des grands personnages, de leur rang social, de leur situation et de leur carrière, ainsi qu’au sujet du « seonwongyebodo », c’est-àdire la généalogie royale. Si la numérisation des documents, de même que la création d’un site internet y afférant, se sont révélées bénéfiques à plusieurs égards, c’est avant tout par la plus grande accessibilité qu’elle a autorisé à l’intention du grand public, s’agissant d’archives autrefois réservées aux seuls spécialistes de la langue chinoise écrite, et qui ont suscité chez celui-ci un énorme regain d’intérêt et d’enthousiasme pour cette ancienne dynastie, tout en favori-
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DOSSIER
Séoul et sa nouvelle vocation de centre mondial du design
Après avoir privilégié une croissance purement quantitative axée sur une industrialisation rapide, Séoul a entrepris des mutations qui font d’elle une belle cité où l’homme vit dans un environnement harmonieux dont la gestion dynamique assure la multiplication des espaces verts, la restauration du patrimoine artistico-historique et l’application des technologies de l’information et de la communication aux activités culturelles, autant d’évolutions propices à sa transformation en un centre mondial du design. Siège de la Direction du design de Séoul | Photographie : Siège de la Direction du design de Séoul
Le projet intitulé « Galerie citadine » a pour objectif de faciliter l’accès du grand public aux arts et à la culture par l’exposition d’œuvres d’art en différents points de l’agglomération, comme cette œuvre qui fait découvrir toute une gamme de couleurs et textures aux usagers de la station de métro Oksu.
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ujourd’hui, les marques en tous genres se font omniprésentes dans la vie quotidienne et, en même temps que des objets, ce sont aussi certaines images et valeurs qu’achète le consommateur. En outre, ces dénominations ne se limitent plus désormais aux produits fabriqués par les entreprises, puisque pays ou villes en adoptent aussi pour eux-mêmes en s’efforçant d’optimiser leur portée par le biais du design, dont les futurologues affirment depuis longtemps déjà qu’il est appelé à jouer un rôle crucial dans la concurrence que se livrent les nations entre elles au point qu’il caractérisera notre siècle actuel, de même qu’industrie et information ont marqué les deux précédents.
Le design, maıˆtre mot de l’avenir pour Séoul À l’heure où le design se charge d’un contenu qualitatif et culturel, les grandes métropoles du monde industrialisé recourent à la création d’image de marque pour associer leur nom à certaines caractéristiques dans l’esprit des touristes de tous pays et ainsi les attirer jusqu’à elles, à l’instar de Séoul, tant il est vrai
qu’aujourd’hui, de leur compétitivité dépend celle de la nation tout entière. À cet effet, la capitale coréenne s’est dotée d’une nouvelle stratégie de développement économico-culturel dite « culturenomics », qui part du postulat selon lequel la culture produit une valeur ajoutée dans l’économie et dont les différents volets ont pour dénominateur commun le design, car en valorisant la marque de la ville, celui-ci en fera un moteur de croissance économique aux yeux des responsables de l’aménagement urbain. C’est en effet sur le design que repose la nouvelle politique mise en œuvre par Oh Se-hoon depuis son élection à la mairie de Séoul, voilà deux ans de cela, en vue d’y accroıˆtre la qualité de vie par un développement non plus centré sur le logement, l’industrie, la fonctionnalité et la productivité, mais sur la culture et l’esthétique urbaines, après avoir défini les quatre objectifs d’une ville qui soit en même temps « saine et écologique » en respectant le milieu naturel, « culturelle » à un haut degré, car forte d’une histoire et de traditions anciennes, « dynamique dans les secteurs de pointe » grâce à ses infrastructures ultramodernes dans le domaine des TIC et « basée sur la
connaissance à l’échelle internationale » en raison du haut niveau d’instruction de ses dix millions d’habitants.
Capitale mondiale du design
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Outre ses finalités purement esthétiques, le projet intitulé « Design Seoul Project » se fixe aussi pour objectif de réinventer la ville pour qu’elle devienne un lieu de vie sûr, pratique et agréable agrémenté d’un cadre d’ensemble harmonieux, mettant en œuvre à cet effet une politique urbaniste bien conçue alliée à divers dispositifs administratifs à l’intention des citadins.
Réunie en assemblée générale le 21 octobre 2007 à San Fransisco, le Conseil international des sociétés de design industriel (ICSID) a nommé la ville de Séoul capitale mondiale du design pour une durée de deux ans, à compter de 2010, en raison de son essor important dans le domaine du design et de l’exploitation de son fort potentiel dans celui-ci en mettant plus particulièrement l’accent sur l’aménagement de l’espace urbain, le développement économique et l’amélioration des conditions de vie des habitants. Cette décision s’avère d’autant plus importante qu’elle a été prise lors de la toute première réunion de cette organisation, au terme d’un appel à concours officiel pour succéder à Turin précédemment choisie à titre expérimental, et permet ainsi à la ville de se placer aussi en position de tête dans cette nouvelle vocation. Désireuse de s’engager résolument dans la voie qui s’ouvre ainsi à elle à l’horizon 2010, la municipalité a conclu avec le Conseil international des sociétés de design industriel (ICSID), le 17 mars dernier, un protocole d’accord qui définit dans leurs grandes lignes les droits, obligations et intérêts réciproques des deux intervenants et qui devrait permettre à la première de renforcer son potentiel pour réaliser les projets qui feront d’elle une véritable métropole mondiale du design d’ici à 2010. Quant aux Olympiades du design qui se dérouleront au mois d’octobre à Séoul à l’initiative de sa Mairie, il s’agit d’une manifestation internationale à caractère générique participant de l’élan que veut se donner la ville pour devenir un centre international du design. À cet effet, elle comportera à son programme un ensemble de conférences, expositions, concours et festivals destinés à consolider cette vocation, attirer les visiteurs et présenter des technologies et un savoir-faire des plus avancés en faisant appel aux créateurs célèbres et entreprises de pointe pour augmenter le niveau de compétitivité du pays dans ce secteur d’industrie. Par le choix du thème « Design is AIR », les organisateurs ont voulu exprimer l’idée que le design, tout comme cet élément, génère une énergie que nous percevons par de multiples sensations et qui nous entoure en permanence même si sa présence n’est pas tangible.
1 Le réaménagement du carrefour de Gwanghwamun est en cours dans le cadre d’un nouveau projet urbain visant à réserver une plus grande place aux piétons au centre de la capitale, d’ici à juin 2009.
2 À l’emplacement des anciennes installations sportives de Dongdaemun, la réalisation, à l’horizon 2010, d’un centre de design pourvu d’espaces verts doteront Séoul de nouveaux atouts pour devenir la capitale mondiale du design.
3 Le projet « Renaissance du Hangang » prévoit la mise en place
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de spectaculaires éclairages et jets d’eau sur toute la longueur du pont de Banpo, ainsi que la création d’installations de loisirs et d’espaces culturels dans les parcs adjacents.
Nouveaux symbole, couleur et lettrage Tout en se classant parmi les mégapoles mondiales par sa population de dix millions d’habitants, Séoul est encore à ce jour dépourvue d’emblèmes et en vue de pallier cette lacune, ses édiles ont procédé à des études, consultations d’experts et enquêtes d’opinion qui ont permis de sélectionner un symbole graphique, une couleur et des caractères d’imprimerie distinctifs susceptibles d’accroıˆtre son attrait en valorisant son image. En ce qui concerne le logo, il se compose de l’animal mythologique coréen dit « haechi», qui a été choisi pour les bonnes fortunes dont il est annonciateur et se présente sous forme d’une bête à cornes pourvue d’un grelot autour du col et, sous le haut des pattes de devant, de plumes semblables à celles d’un oiseau, ainsi que d’écailles sur tout le reste du corps, la légende voulant que cette créature vive l’été au bord de l’eau et l’hiver au milieu des pins. Décidée à faire de cette figure un emblème comparable au Merlion singapourien ou à l’ours berlinois, la Ville entend baptiser de son nom une rue entièrement réservée à des activités culturelles et lui consacrer un festival qui se déroulera sur les rives du Hangang et sur le Mont Namsan, ces initiatives s’inscrivant dans le cadre d’une stratégie plus globale de marketing international. Quant à la couleur symbolique de Séoul, il s’agit de ce rouge dit « dancheong » qui fait la particularité des palais et temples coréens et possède une valeur directionnelle selon le système
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chromatique traditionnel, puisqu’on lui prête des qualités propitiatoires de santé et de paix, outre qu’elle symbolise la vie et l’énergie, de sorte qu’elle a servi de symbole fédérateur des supporteurs de l’équipe de football coréenne lors de la Coupe du Monde de 2002. Dans les grands pays industrialisés, toutes les villes s’emploient à sélectionner des couleurs qui représentent avantageusement leurs particularités, comme l’a fait avec succès Berlin pour favoriser le processus de sa réunification, de même que Sydney ou Yokohama aux fins d’une meilleure compétitivité, tandis que Séoul, en négligeant cet aspect, a peu à peu laissé s’installer un paysage dépourvu de caractère en raison de sa composition disparate. En dotant celui-ci d’une dominante chromatique, la Ville entend affirmer son identité en tant que capitale riche de six siècles d’histoire, mais aussi acquérir l’image d’un urbanisme harmonieux et rationnel par l’emploi de cette teinte symbolique sur les équipements publics, panneaux publicitaires, autobus, taxis, métros et autres moyens de transport en commun, ainsi que sur les éléments situés aux abords du Hangang et qui participent également de cette vision d’ensemble. Enfin, les caractères d’imprimerie seront essentiellement de type « myeongjo » pour la variante « Seoul Hangang » ou gothique pour celle de « Seoul Namsan » et seront présentés dans les
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deux cas selon une mise en forme évoquant des traditions et cultures locales faites d’une alliance d’ancien et de moderne, l’irréductible liberté d’esprit des lettrés de jadis, l’habitat traditionnel à la structure ouverte et aux toits de tuile agréablement incurvés, entre autres beautés d’origine ancestrale. Nombre de villes vont jusqu’à créer un style typographique qui leur est propre afin de mieux s’approprier leur image, comme l’a notamment fait avec succès Bristol en mettant au point les caractères « Bristol Transit » destinés à l’énoncé « Bristol Legible City » de ses projets d’urbanisme, mais aussi Yokohama, pour représenter sa politique systématique de réaménagement
urbain, ou encore Londres et Paris par l’emploi de leurs styles respectifs dits « New Johnston » et « Parisien ». À Séoul, les nouveaux caractères adoptés par les collectivités locales figurent d’ores et déjà sur les textes des annonces publiées par l’Hôtel de Ville et les mairies d’arrondissement, de même que sur leurs plaques et celles des autres bâtiments publics, sur les panneaux indicateurs destinés aux piétons, les uniformes du personnel administratif et du métro, et les panneaux publicitaires extérieurs, les administrés pouvant quant à eux accéder à cette typographie en la téléchargeant à partir du site internet de la Mairie de Séoul, à l’adresse http://www.seoul.go.kr.
1 Cette exposition d’œuvres réalisées par les élèves de l’Institut national de Séoul pour malentendants s’inscrit dans le cadre du projet « Galerie citadine » destiné à introduire la création artistique et culturelle dans la vie quotidienne des Séoulites.
2~3 Les caractères d’imprimerie « Seoul Namsan » ont été normalisés pour la signalisation et l’information sur la voie publique, ainsi que dans les bâtiments administratifs.
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4 Retenu pour le nouveau logo de Séoul, le « haechi » est un animal mythologique
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annonciateur de bonnes fortunes.
5 En Corée, la sensibilité esthétique se nourrit des formes et couleurs caractéristiques des murs de pierre dit « doldam », des pins, des tuiles appelées « giwa », des feuilles de gingko, des eaux bleues et profondes du Hangang, ainsi que de ce rouge « dancheong » qui fait la particularité de l’architecture ancienne au point d’être aujourd’hui emblématique de la capitale (ci-dessous au centre).
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La municipalité envisage le lancement d’une campagne exclusivement consacrée à ce thème le 9 octobre prochain, qui marque la journée de l’alphabet « hangeul », ainsi que lors des Olympiades du design qui se dérouleront à Séoul, afin de recueillir l’unanimité de la population sur l’adoption définitive de ce lettrage en vue de son officialisation au mois de janvier 2009.
Le projet « Design Seoul Project » Cette initiative est née de la volonté d’ajouter aux aspects esthétiques de l’environnement urbain la réalisation de bonnes conditions de sécurité et de confort à l’intention des administrés, l’ensemble des mesures prises à cette fin devant obligatoirement se conformer à la politique de design préalablement définie, qu’il s’agisse de réaménagement urbain, de simplification des procédures administratives, d’affectation du personnel ou de modernisation du réseau de transport et c’est pour y veiller que la Ville allait mettre en place, au mois de mai 2007, son Bureau général du design, puis, un an plus tard, fixer les orientations à suivre dans ce domaine sous l’appellation « Directives sur le design à Séoul ». En termes concrets, le nouveau projet municipal s’est donné pour finalité d’embellir l’aspect visuel de l’agglomération en réaménageant des rues aujourd’hui encombrées d’innombrables dispositifs de circulation et panneaux de signalisation, de rompre la monotonie d’une architecture cubique alignant ses constructions en forme de boıˆtes d’allumettes et de supprimer tout élément totalement dépourvu de caractère. Il s’agit donc d’enjoliver le paysage urbain, tout en associant à ces priorités esthétiques des considérations visant à rendre aussi cet environnement plus sûr, plus pratique et plus agréable. Au nombre des principales initiatives qui s’inscrivent dans ce cadre, figurent deux ensembles de mesures qui, sur leurs thèmes intitulés « Renaissance du Hangang » et « Renaissance de Namsan », se fixent pour objectif de restaurer ces lieux hautement emblématiques de la ville et auxquels viennent s’ajouter celui de la « Renaissance des rues », qui, comme son nom l’indique, permettra d’engager la rénovation des artères, mais aussi des bâtiments administratifs, ou encore cette « Galerie citadine » destinée à faciliter l’accès à la culture, en exposant notamment des œuvres d’art en différents points de l’agglomération. Dans cette perspective, la municipalité a travaillé ces deux dernières années à la mise au point d’un schéma directeur qui a d’ores et déjà permis d’entreprendre certaines réalisations en vue de leur achèvement cet automne, en particulier l’installation dans toute la ville des bancs et chaises retenus par les administrés suite à un appel à concours, ainsi que la création, ce mois, de dix artères dites « Rues du design à Séoul » et la suppression des kiosques et étals sur la voie publique dans un tiers des arrondissements autonomes. Par ailleurs, d’ici à la fin de l’année en cours, la municipalité ouvrira au public de nouvelles stations de métro réalisées par des styliciens, améliorera l’aménagement des itinéraires de visite sur les forteresses et modernisera l’éclairage des ponts du Hangang
Les Olympiades du design qui se dérouleront à Séoul, sous les auspices de sa Mairie, à partir du 10 octobre démontreront qu’elles figurent à part entière au sein des plus grandes manifestations mondiales dans ce domaine en présentant les transformations que cette ville entend mettre en œuvre pour justifier de cette place.
en vue d’une meilleure esthétique nocturne, ce fleuve, ainsi que le Mont Namsan, devant voir son aspect se modifier d’ici à l’horizon 2009. Un an plus tard, la mairie entend faire édifier, à l’emplacement de l’actuel complexe sportif de Dongdaemun, un nouveau centre d’activité qui, sous son appellation provisoire de « Design Plaza et Parc de Dongdaemun », viendra renforcer l’image de capitale mondiale du design dont souhaite se doter la ville. À cela s’ajoute le projet de pourvoir celle-ci d’un monument emblématique tel que l’Opéra House de Sydney ou le Musée Guggenheim de Bilbao, ainsi que la tenue d’Olympiades du design d’une périodicité annuelle et d’une envergure internationale qui permettra de mieux faire connaıˆtre tout le potentiel de Séoul dans ce domaine, ainsi que ses perspectives d’avenir. Au moyen de l’informatique, différents projets prévoient en outre d’intégrer le design à l’administration urbaine en vue d’optimiser le rendement des services fournis aux administrés et démontre ainsi que cette création, loin de se limiter aux aspects purement visuels, s’intéresse également au contenu que ceux-ci dissimulent. Pour qu’une métropole soit en mesure d’exercer un rayonnement mondial, elle se doit de posséder des infrastructures et une culture propres à éveiller l’intérêt, mais aussi d’offrir à sa population un bien-être et une qualité de vie liés à un environnement dignes d’admiration. Dans cette optique, la Ville de Séoul, par l’action engagée voilà quelques années, a jeté les bases de ce centre du design qu’elle aspire à devenir et, en répondant constamment à de nouveaux défis, entend aussi connaıˆtre une nouvelle vie sous forme d’une agglomération sûre, pratique ou agréable, mais aussi riche par son histoire et ses traditions. Automne 2008 | Koreana 37
ENTRETIEN
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Kim Keum Hwa, une grande chamane coréenne Voilà soixante ans déjà que la célèbre chamane coréenne Kim Keum Hwa pratique l’exorcisme avec une égale extase. Cho Yong-ho Journaliste et chef de la rubrique culturelle du Segye Times Photographie : Ahn Hong-beom, Geumhwadang
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ccroché au versant d’une montagne dominant la côte accidentée de l’ıˆle de Gangwhado, l’Institut Keumhwadang, qui effectue des recherches sur la transmission du rituel d’exorcisme, a été fondé par Kim Keum Hwa, « chamane nationale coréenne » aujourd’hui âgée de soixante-dix-sept ans et classée important bien immatériel n°82. Dans sa salle de cérémonie située au premier étage, une baie vitrée occupant toute sa face exposée au sud offre une magnifique vue sur ce paysage dans lequel semblent se fondre les lieux. Tandis que sur sa droite, s’étendent des marécages changeant au rythme des marées, elle révèle en vis-à-vis un massif de petites et grandes montagnes se dressant à perte de vue et, à travers sa large ouverture, laisse filtrer une douce lumière matinale qui se répand jusqu’au milieu du « maru ». Là, entre soleil et ombre, une chamane à l’élégant « hanbok » traditionnel se tient assise et s’apprête à parler.
Une vie aux dures épreuves Après une enfance passée dans un absolu dénuement, la benjamine à qui sa famille aurait préféré un fils sera vendue à son futur époux à l’âge de quatorze ans, mais s’en reviendra deux ans plus tard chez les siens pour fuir une belle-mère qui la rossait cruellement. Le destin voudra alors qu’elle soit atteinte de cette maladie initiatique qui entraıˆnera son élection, à l’âge de dix-sept ans, aux fonctions de chamane qu’elle acceptera d’assumer et la novice accomplira dès lors d’innombrables cérémonies jusqu’à sa
rencontre avec celui qui l’épousera pour la quitter tout aussitôt aux seuls motifs de ce sacerdoce, alors elle poursuivra seule sa carrière en s’y dévouant corps et âme, tour à tour distribuant les bonnes fortunes ou apaisant les rancœurs. C’est dans les années soixante que s’étendra sa renommée suite à sa participation au Concours national des arts du chamanisme et qu’elle accédera au titre de spécialiste des rites dits baeyeonsingut et daedonggut , de sorte qu’elle est aujourd’hui considérée comme l’emblème vivant de l’art populaire coréen, notamment pour cette catégorie de croyances, tant dans son pays qu’à l’étranger. À l’occasion des festivités qui saluaient l’année dernière le soixantième anniversaire de son élection, elle exécutera pas moins de cinq mansudaetakgut , cette cérémonie qu’une prêtresse n’accomplit d’ordinaire qu’une fois dans sa carrière, alors face à une telle autorité, j’ai sollicité un avis éclairé sur l’avenir de notre pays. « Tout se passera bien, car il le faut. Il semble que le désordre règne partout et que rien ne puisse répondre aux attentes de la population, mais s’il est vrai, comme on le dit, que toute chose entamée est déjà à moitié réalisée, alors il faut garder espoir et voir la situation du bon côté. Un vieux dicton affirme que la générosité vient du grenier, c’est-àdire qu’il faut apaiser le pays pour que nous, chamanes, le soyons également et même si l’économie nationale ne peut s’améliorer du jour au lendemain, il faut envisager l’avenir avec optimisme, dans un état d’esprit qui se traduira par de meilleurs résultats. » Automne 2008 | Koreana 39
Selon la tradition du chamanisme coréen, une prêtresse n’a pas tant pour fonction de prévoir l’avenir que de soulager les souffrances humaines, d’apaiser les rancœurs et de prodiguer les bonnes fortunes, son rôle s’orientant donc plutôt vers celui de la direction morale ou de l’offre de sacrifices. Dans les campagnes d’autrefois, tout village comptait la présence d’au moins une prêtresse chamane auprès de qui les habitants se confiaient de leurs soucis en demandant conseil et celle-ci, après les avoir écoutés avec la plus grande attention, s’incarnait en eux et versait des pleurs à l’effet apaisant. À la saison des récoltes, elle aidait les paysans au travail dans les champs et rizières pour assurer sa subsistance grâce aux grains qu’elle recevait en contrepartie. Quand surviennent des tracas, il est humain de vouloir s’en remettre aux forces surnaturelles, les avis prodigués dans de telles circonstances pouvant se comparer à ceux du chirurgien avant une opération dans la mesure où ils auront une incidence directe sur l’avenir de la personne concernée. De ce fait, le réconfort et la guérison attendus ne peuvent provenir que d’une personne ayant elle-même vécu une pénible et douloureuse existence, à l’image de la vie mouvementée qui a prédisposé Kim Keum Hwa à devenir une grande chamane capable de soulager détresse et chagrins.
maladie contagieuse ? Ferait-elle du mal aux autres ? Je ne parvenais pas à comprendre qu’elle soit à ce point exclue de la société. » ( extrait de l’autobiographie de Kim Keum Hwa « Bidankkot Neomse ») Native de la province nord-coréenne de Hwanghaedo, Kim Keum Hwa a connu les affres de la Guerre de Corée (1950~1953). « Les victoires et défaites qui se succédaient en permanence dans l’un et l’autre camp avaient fini par causer d’énormes dégâts au village, alors, de par ma profession, j’en ai énormément souffert, par exemple en manquant être abattue par un soldat qui prétendait se trouver dans une situation sans issue suite à un rite que j’aurais moimême imparfaitement accompli. Après m’avoir traıˆnée dans la montagne, il était sur le point de m’exécuter quand ma mère s’est jetée en travers en implorant l’homme de la supprimer à ma place, puisqu’elle avait commis la faute de me donner le jour, et c’est ainsi que j’ai eu la vie sauve. » Ses yeux s’embuent à l’évocation de cette époque dont les terribles épreuves se sont peut-être enchaıˆnées inexorablement pour faire d’elle la « chamane nationale » qu’elle est aujourd’hui…
Des exorcismes sur la scène internationale « Quand venait un client, il me fallait pratiquer une divination, ce qui me causait une dépense d’énergie et une anxiété telles que j’avais l’impression de sentir mon cœur se flétrir et devenir aussi noir que le charbon. (…) Quand mon neveu m’a dit un jour, avec une air boudeur, que l’on se moquait de lui parce que sa tante était chamane, tout mon amour-propre s’en est révolté. Est-ce qu’une chamane commettrait des actes malhonnêtes ou serait atteinte d’une
C’est en 1982, à l’occasion du centième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques américano-coréennes, que Kim Keum Hwa se fera connaıˆtre d’un auditoire étranger en participant à cette manifestation en qualité de membre de la délégation culturelle. Quoique cette dernière eût d’abord craint une réaction négative du public face à ce personnage d’aspect plutôt effacé, au moment où les spectateurs s’apprêtaient à quitter la salle,
1 Kim Keum Hwa réalise un daedong-gut dans le cadre du Seohaean Pungeoje , un rituel qui, sur le littoral occidental, est souvent consacré au Dieu de la Mer pour qu’il assure la sauvegarde des pêcheurs et d’abondantes prises, mais l’exécutante de cette pratique chamane se double d’une artiste accomplie sachant faire naıˆtre une infinité d’émotions.
2 Affiche annonçant le rituel effectué à l’Université de Rome en 2005 par la chamane, qui allait également interpréter un jinhon-gut à l’intention du Pape.
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la chamane complètement absorbée par l’accomplissement du rite et parvenue au paroxysme de ses transes allait s’avancer pieds nus sur la lame du hache-paille, et tous de retenir leur souffle pour se concentrer au mieux, en communion avec la prêtresse dont les évolutions endiablées allaient créer un grand moment d’émotion. Suite à cet exceptionnel succès, celle-ci allait prolonger son séjour de plusieurs mois afin d’assurer des cérémonies dans tout le pays, devant un public à l’esprit toujours tolérant, ouvert aux autres cultures et dépourvu de préjugés, qui réserve encore un accueil toujours aussi chaleureux à cette porteuse de bonnes nouvelles. C’est depuis ce temps-là que Kim Keum Hwa s’envole chaque année vers des destinations étrangères où elle ne manque pas de s’attirer de nouvelles sympathies en transmettant son aptitude à la possession spirituelle à de jeunes adeptes, telles cette Allemande prénommée Andrea qui lui téléphone beaucoup et l’appelle « Maman ! »
© Musée folklorique national de Corée
« Dans la pratique du chamanisme, les cérémonies dites gut appellent toujours à l’apaisement et à l’indulgence, et non aux punitions, car notre peuple foncièrement bon, plutôt que de crier vengeance à la moindre offense, endure les affronts et évacue ses rancœurs par l’accomplissement de rites adéquats, parce qu’une vengeance ne fait qu’en entraıˆner une autre, voire provoquer de plus grandes calamités encore. »
en langue coréenne. Système de croyances ancestrales, le chamanisme coréen a été en butte au mépris et aux persécutions de l’occupant japonais de 1910 à 1945, pour ensuite subir le contrecoup de l’industrialisation et de la modernisation qu’allait connaıˆtre le pays dans les années soixante-dix, en dépit de quoi les Coréens y demeurent aujourd’hui attachés en raison du plus grand respect qui s’instaure depuis peu à l’égard des différents cultes religieux. Lors de visites de la salle d’exorcisme, il est ainsi arrivé que des religieuses d’obédience catholique établissent un parallèle entre les rites de la messe et ceux de ces cérémonies où circulent un verre d’alcool et des morceaux de pâtes de riz symbolisant respectivement bonnes fortunes et apaisement des rancœurs, tandis qu’à l’Université de Rome, le rituel de prière pour les morts dit Jinhongut a été accompli à l’intention du Pape. Automne 2008 | Koreana 41
« Comme il m’était demandé d’assurer une cérémonie, j’ai expliqué qu’il en existait plusieurs sortes et l’un des professeurs m’en a demandé une destinée à prier pour que le Pape aille au Ciel. Une fois celle-ci achevée, j’ai fait passer le verre parmi les fidèles et ce même professeur a alors tracé une croix qu’il a complètement arrosée de cet alcool. Dans le chamanisme, les rituels, qui ont un caractère festif et exaltant, constituent un moyen de réaction en même temps qu’une forme d’hommage aux ancêtres. Les cérémonies dites gut ont une finalité propitiatoire de bonnes fortunes, de vertu et d’abondance alimentaire. Elles appellent toujours à l’apaisement et à l’indulgence, et non aux punitions, car notre peuple foncièrement bon, plutôt que de crier vengeance à la moindre offense, endure les affronts et 42 Koreana | Automne 2008
évacue ses rancœurs par l’accomplissement de rites adéquats, parce qu’une vengeance ne fait qu’en entraıˆner une autre, voire provoquer de plus grandes calamités encore. » Après avoir prodigué ses conseils avec modestie au village natal, Kim Keum Hwa s’est haussée au rang d’une chamane à l’audience nationale, voire internationale, à force d’écouter le récit des tourments humains et de les faire siens afin de les atténuer. Dans son autobiographie intitulée « Bidankkot Neomse », elle affirme que le destin d’une chamane est « de ne pas être reconnue à sa juste valeur, tout en suant sang et eau à s’occuper des autres et à prier pour leur bonheur ». Si les hommes s’adressent à elles, tout comme aux dieux, c’est par besoin d’épancher leurs peines et pour revenir à leur conduite passée une fois ces problè-
mes résolus, mais Kim Keum Hwa n’en continue pas moins d’accomplir son labeur pour alléger les rancunes enfouies tout au fond de leur cœur et leur apporter le bonheur.
Une éternelle reconnaissance
Kim Keum Hwa réalise dans son intégralité la cérémonie du « seohaean pungeoje » aujourd’hui classée Important bien culturel immatériel n°82-2 pour la dimension à grand spectacle, voire théâtrale, que lui confère la grande dangerosité de la pêche en mer.
Au nombre des personnages illustres qui lui ont apporté leur aide, figure en premier lieu le philosophe et médecin traditionnel Kim Yong-oak, également connu sous le nom de plume de Do-ol et qui, assistant dans les années quatre-vingts à l’un de ses gut , pleura à chaudes larmes et l’enlaça vigoureusement après qu’elle eut marché et dansé sur la lame acérée du hache-paille, tandis qu’elle faisait quelques pas en arrière pour se dégager de cette embarrassante étreinte, pour comprendre au fil de ses voyages dans les pays occidentaux qu’il n’avait fait que la saluer chaleureusement, comme le veut là-bas l’usage. Son admirateur l’invitera alors à prononcer des conférences à l’Université Koryo et calligraphiera en idéogrammes chinois la plaque réalisée pour l’Institut « Keumhwadang » qu’elle a créé pour ré a l i s e r d e s re c h e rc h e s s u r l a transmission du rituel d’exorcisme, puis signera la préface de son autobiographie. Quant au romancier Hwang Sukyoung, il la conviera, après avoir publié son roman fleuve intitulé « Janggilsan », à accomplir un gut destiné à apaiser les rancœurs du faucon du Cap de Jangsan (Jangsangotmae) évoqué dans cette œuvre, mais aussi, à la vue des fils de fer barbelés qui bordent l’Imjingang, à s’engager dans un projet visant à la réalisation d’un gut propitiatoire de la réunification, autant d’initiatives montrant que sous l’effet de son style propre, cette cérémonie s’affranchit de tout préjugé pour s’élever au rang d’un rituel aussi envoûtant qu’harmonieux. En retour toutefois, qui apportera le réconfort à celle qui a choisi cette voie de solitude et de douleur ? « S’il est vrai que j’ai vécu une existence triste et solitaire qui m’inspire des regrets, que j’ai souvent connu la souffrance et l’oppression, je n’en considère pas moins être née à une bonne époque. Il incombe à la chamane que je suis de ne jamais se fixer d’objectif ou d’ambition, en s’estimant heureuse de n’être pas malade, en se résignant et en se souvenant combien il est gratifiant de pouvoir aider autrui. » La salle d’exorcisme où pénètrent de légers rais de lumière s’emplit du délicieux fumet d’un « cheonggukjang », c’est-à-dire un ragoût à la pâte de soja fermenté qui mijote au rez-de-chaussée, et je me souviens alors que, lors de notre première rencontre, la personne qui me l’avait présentée m’avait bel et bien averti qu’elle avait pour habitude d’offrir un repas à chacun de ses invités, témoignant par ce geste du chaleureux sens de l’hospitalité animant toute une génération qui a souffert de la faim et plus tard, c’est le ventre rassasié que je redescendrai les marches du Keumhwadang en me délectant de la brise automnale qui me tire de mes vagues réflexions. Automne 2008 | Koreana 43
ARTISAN
Park Sung Kyu, travaille les cuirs forts d’une main de maître Si la maroquinerie traditionnelle se pratique dans le monde entier, elle fait appel en Corée au procédé spécifique dit « chilpi », qui se caractérise par le laquage de la matière et connaıˆt aujourd’hui un renouveau entre les mains du maıˆtre artisan Park Sung Kyu après avoir disparu à la fin de la première moitié de la dynastie Joseon. Chae Euibyoung Rédactrice occasionnelle | Seo Heun-kang Photographe
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i l’emploi du cuir remonte aussi loin que la pratique de la chasse par les premiers hommes, la sensibilité à l’humidité et à la chaleur de cette matière exigent de l’en préserver par un revêtement d’enduit liquide pouvant provenir de l’arbre à laque ou sumac, dont la sève présente la particularité de protéger les surfaces de l’humidité, des insectes et des fortes températures. En Corée, c’est dès l’Âge de Bronze qu’apparut ce procédé sous différentes formes qui allaient se perfectionner après que l’on eut découvert son rôle protecteur contre l’usure et les déchirures, ainsi qu’en cas de nettoyage à l’eau, pour aboutir à une facture artisanale spécifique.
Renaissance de la maroquinerie traditionnelle laquée Park Sung Kyu s’est vu octroyer par les pouvoirs publics le titre de maıˆtre artisan du « chilpi » pour avoir donné une nouvelle vie à cette forme d’artisanat traditionnel qui a connu un essor en Corée jusqu’à la fin de la première moitié de la dynastie Joseon (1392-1910) pour quasiment tomber en désuétude par la suite, jusqu’à ce qu’une fascinante découverte, voilà près de trente ans de cela, se transforme en une passion et un métier que l’homme est aujourd’hui encore seul à exercer. Sans contester que la maroquinerie d’art existe de par le monde, il souligne qu’elle se complète en Corée d’opérations de 44 Koreana | Automne 2008
laquage et d’ornementation par incrustation de nacre ou par gravure de motifs qui en font la particularité. À ses débuts, Park Sung Kyu allait se faire connaıˆtre par ses fabrications traditionnelles de « najeon chilgi », ces laques nacrées réalisées selon un procédé spécifiquement coréen auquel il s’est initié à Iksan, son village natal situé dans la province de Jeollabukdo, voilà maintenant quarante ans, et c’est au hasard d’une visite de musée qu’il allait découvrir le « chilpi » pour s’y intéresser toujours plus par la suite. « Je me consacrais à la fabrication de “najeon chilgi” depuis une dizaine d’années, quand un beau jour, une passionnante exposition m’a permis d’admirer une petite boıˆte qui, à y regarder de plus près, comportait des coutures et c’est en observant ces points que je me suis aperçu qu’elle se composait de cuir. Intrigué par la fabrication de cette pièce de maroquinerie laquée, j’ai tenté moi aussi d’en réaliser une », se souvient l’artisan. « Cependant, comme ce type d’objet ne se fabriquait plus en ce temps-là, pas un seul document n’était disponible dans ce domaine, alors, faute de support d’apprentissage, de maıˆtre et de suffisamment de pièces anciennes dont j’aurais pu m’inspirer, j’en étais réduit à m’en remettre à moimême pour m’y initier et c’est ainsi que je me suis formé seul au travail et au laquage du cuir, de manière empirique et par un apprentissage sans fin. »
Détail de motifs de lotus et arabesques sur un coffre (71 × 26 × 71 cm)
Quand le cuir revit sous la laque Si la renommée de Park Sung Kyu est désormais établie dans ce secteur d’artisanat, il a aussi connu une succession d’échecs dans les premiers temps de sa carrière, notamment en s’essayant au laquage de chaussures pour doter celles-ci de l’aspect de finition discrètement teinté et satiné qui fait la particularité du « chilpi traditionnel », sans se douter que le produit fini allait se raidir et se figer, puis se craqueler une fois aux pieds. « Cette expérience a occasionné d’importantes pertes de matière et ma famille a ainsi fait les frais de cette passion à laquelle je m’adonnais sans songer un seul moment à y renoncer. J’entendais faire revivre l’artisanat traditionnel du « chilpi » sous sa forme authentique afin d’en léguer le savoir-faire aux jeunes générations, alors je me suis résigné à consentir toujours plus d’efforts pour y parvenir. Si cette fabrication n’avait représenté à mes yeux qu’un simple moyen de subsistance ou d’accumulation de revenus, jamais je n’aurais été en mesure de poursuivre sur cette voie », reconnaıˆt-il. L’homme de métier affirme que « chilpi » et « najeon chilgi » mettent tous deux en œuvre, quoique sur des supports de nature différente, des procédés analogues de laquage, incrustation de nacre et peinture de motifs. « Dans le cas du « chilpi », la fabrication débute par la confection d’un bâti en bois d’une structure adaptée à la pièce à réaliser, à savoir un meuble, un range-documents, une boıˆte ou un étui à sceau, et sur laquelle il convient de pratiquer un premier laquage de protection, suivi d’un deuxième dont plusieurs couches successives se superposeront à l’habillage
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1 Coffre à motifs de fleurs de lotus (71×36×71cm) 2~6 L’exécution d’un objet artisanal en « chilpi » est d’une longue mise en œuvre qui débute par la sélection et la préparation de pièces de cuir de grande qualité, suivies de la confection d’un bâti de bois revêtu de cuir et s’achève par la réalisation des motifs ornementaux sur plusieurs couches successives de laque.
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de cuir. S’ensuit alors la peinture ou la décoration de ce dernier, qui consistent respectivement à réaliser des motifs ou à incruster des fragments de nacre, le décor résultant faisant l’objet d’un ultime laquage de finition. » Nul ouvrage ne saurait s’achever sans l’exécution parfaite de ces dernières étapes exigeant l’application soigneuse de plusieurs couches de laque qui confèrent à la matière un lustre si délicat que celui-ci n’est pleinement apprécié que des connaisseurs. « La réalisation d’un « chilpi » de qualité et d’une durée de vie de plusieurs années est tout à fait subordonnée au nombre de couches mises en œuvre lors du laquage », précise le spécialiste. C’est ce processus minutieux qui permet à Park Sung Kyu de produire des pièces extrêmement élaborées et tout empreintes de la dignité du métier, tel cet élégant range-documents marron foncé à décors dorés ou ce coffre de toile aux splendides motifs d’arabesques et lotus qui possèdent tous deux une beauté raffinée, car dépourvue de toute ostentation. Ces deux derniers thèmes picturaux ont la faveur de l’artisan, notamment celui de la fleur qui, dans un pays appartenant à la zone d’influence du bouddhisme, fait figure de symbole de pureté, de noblesse d’âme, d’extrême retenue et de détachement vis-àvis des objets de convoitise en ce bas monde où règne le chaos et qui semble inspirer l’artisan dont ni la main ni le sourire ne semblent jamais faiblir tant il est absorbé par son dur labeur. »
Continuité d’une tradition Bravant les distances dans sa recherche d’objets anciens en « chilpi » dont il souhaite examiner la
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facture pour découvrir un moyen de les reproduire, Park Sung Kyu confie : « En l’absence de tout enseignement technique, l’étude de ces pièces a constitué ma principale méthode d’apprentissage et c’est en les observant de mes propres yeux que j’ai pu en comprendre la réalisation, tant au stade du laquage que de la décoration. » Riche d’une importante collection d’objets anciens en « chilpi », le Musée de l’Armée de Corée constitue l’un des lieux de prédilection de ses visites, de même que le village folklorique de Hahoe jouxtant la ville d’Andong, où il lui a été donné d’analyser la facture d’une armure militaire en cuir. « Contrairement à la plupart de ces armes défensives, celle-ci ne se composait pas de fer, mais de cuir de bœuf laqué, qui selon les manuscrits anciens, présentait l’avantage d’un port plus léger et silencieux, tout en offrant une résistance et une protection non moins grandes que celles du fer face aux balles et flèches », déclare-t-il. L’homme allait ainsi entreprendre un périple solitaire sur tout le territoire pour s’y consacrer à l’étude du « chilpi » de manière à se former lui-même à ses procédés de fabrication. Ces années d’un dur et incessant labeur allaient enfin porter leurs fruits en 1992, lorsque sa boıˆte de cuir laqué remportera le Prix du Ministre de la Culture au Concours national d’artisanat traditionnel, l’incitant à se consacrer désormais à doubler ses fabrications propres de la reconstitution d’objets en « chilpi » réalisés par le passé. Cette dernière activité lui a permis de reproduire de véritables chefs-d’œuvres de cet artisanat national, tel ce range-documents doré exposé au Musée d’his-
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Park Sung Kyu réalise des pièces extrêmement élaborées et tout empreintes de la dignité du métier, tel cet élégant range-documents marron foncé à décors dorés ou ce coffre de toile aux splendides motifs d’arabesques et lotus qui possèdent tous deux une beauté raffinée, car dépourvue de toute ostentation.
toire de Hambourg ou l’étui à sceau qu’abrite le Musée royal du Palais de Deoksugung, à Séoul, ou encore le range-documents du Musée de l’Université Wonkwang, ainsi que le coffre à uniformes du Musée de l’Armée de Corée.
Des créations intemporelles Si d’aucuns désapprouvent cette entreprise de retour sur des fabrications passées en arguant qu’elle ne revient en fin de compte qu’à la copie d’objets anciens, Park Sung Kyu ne s’en déclare pas moins résolu à poursuivre sur cette voie afin qu’hommage soit rendu à la sagesse des anciens dont la production avait atteint un tel degré d’évolution qu’elles demeurent hors de portée des artisans contemporains, d’un point de vue tant artistique que technique. « En matière de « chilpi », il n’est de moyen d’apprentissage plus efficace que ceux de l’observation et de la reproduction des objets anciens. Ceux qui seraient tentés de croire que la technologie moderne représente une avancée dans tous les domaines doivent savoir que les techniques et matières qui sont disponibles à l’heure actuelle dans ce domaine représentent au contraire une régression par rapport au passé. À titre d’exemple, les panneaux en contreplaqué ou en fibres de moyenne densité, dont l’emploi est aujourd’hui plus répandu que celui du bois naturel, pèchent cependant par une plus grande tendance à la fissuration et au flambage qui les mettent ainsi rapidement hors d’usage. Quant aux adhésifs modernes, ils ne s’avèrent pas supérieurs, car ils provoquent la désagrégation du cuir,
qui se décompose en lambeaux n’autorisant aucune réparation. Autrefois, la fabrication du mobilier faisait appel à des procédés beaucoup plus précis qu’aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle je m’efforce de recourir à ces méthodes et matières de jadis pour produire des motifs et couleurs plus actuels en faisant preuve de créativité. Dans ce travail qui est le mien, j’ai avant tout pour principe de reproduire humblement la maroquinerie d’art léguée par nos ancêtres tout en mettant au point un style personnel », conclut Park Sung Kyu. Au nombre d’une importante production, figurait le coffret à sceau officiel de l’ancien Président de la République, Monsieur Roh Moo-hyun, pour la conception duquel l’artisan a substitué à la structure classique en forme de cube une configuration à couvercle unique surmontant une section de base pyramidale et agrémentée de motifs incrustés en surface qui lui apportent une charmante touche de modernité. Cet objet illustre par excellence la possibilité d’accomplir des évolutions esthétiques en maroquinerie traditionnelle dans la continuité de sa qualité et de son esprit d’origine. En véritable maıˆtre du « chilpi », Park Sung Kyu a voué avec modestie toute son existence à la reproduction et à la perpétuation de cet art ancestral, donnant par chaque fabrication une nouvelle vie au rèche cuir brut dont il tire des objets d’art tout en luxe et souplesse et, en invoquant ainsi les traditions et l’âme de nos ancêtres, il a su dévoiler l’essence même de l’art traditionnel coréen qui renaıˆt jour après jour entre ses mains burinées sous forme de magnifiques pièces de maroquinerie dont le discret éclat n’a d’égal que la noblesse.
1 Oreiller orné d’un double phénix (35×35cm) 2 Plateau à fruits à cinq compartiments dont le couvercle s’orne de complexes motifs de phénix (97×36×35cm)
3 Park Sung Kyu peint une pièce en « chilpi » 1
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de couleurs vives qu’il complète d’incrustations de nacre.
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CHEFS-D’ŒUVRE
« Amants au clair de lune » Amour-passion et tourments de la séparation Œuvre de l’illustre peintre de mœurs Shin Yun-bok (vers 1758~après 1813), aussi connu sous le pseudonyme de Heywon dans la dernière période de la dynastie Joseon (1392~1910), « Amants au clair de lune » prend pour thème le cruel moment des adieux qui succède à une brève rencontre sous la clarté de cet astre en évoquant avec force le sentiment amoureux dans toute son humanité. Cho Insoo Maıˆtre de conférences à l’École des arts visuels de l’Université nationale des arts de Corée
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ur sa gauche, la toile a accroché un croissant de lune pardessus un toit de tuile tandis qu’à l’autre bout, elle met en scène la rencontre nocturne d’un couple dans la rue. Blanc pardessus et « gat », c’est-à-dire un chapeau en crin de cheval, révèlent la noble condition de l’homme, qui tient une lanterne dans sa main droite, tandis que l’autre tâte sa ceinture comme pour y chercher quelque objet, et dont les souliers de cuir sont teintés de vert tendre à leurs deux extrémités. Quoiqu’il s’apprête à se diriger sur sa droite, il tourne la tête pour regarder une dame qui se tient à l’opposé et dissimule son visage sous un long voile évasé de couleur bleu ciel se superposant à une veste bordée de pourpre au col et aux manches, témoignant elle-même par sa mise qu’elle appartient à une famille honorable. Le bas de son ample robe vert pâle laisse apparaıˆtre ses pieds menus aux chaussures écarlates et pointues recouvrant des socquettes. Émergeant à peine du voile, le visage est tourné vers l’homme, mais avec un léger mouvement vers le bas qui semble traduire l’hésitation. Les deux amants tournent le dos au biais d’un mur naissant à mi-largeur de la scène pour s’éloigner obliquement sur la droite, tandis que tout à leur gauche, une fenêtre s’entrouvre en haut d’un mur en pierre surmonté de la moitié visible du toit. Quant au croissant de lune, la blancheur lumineuse en est rehaussée par un pourtour de tons en dégradé et la verdure de feuillages subjacents.
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Sur la muraille, le poème titré au bas duquel figure le nom d’artiste « Heywon », par lequel se faisait appeler l’auteur, dit « qu’au beau milieu de la nuit, quand la lune est sombre, les deux cœurs ne font qu’un ».
Un style tout en élégance « Amants au clair de lune » constitue l’une des scènes du « Heywonjeonsincheop », un recueil présentant sur trente pages les peintures de mœurs qu’exécuta le célèbre artiste dans les derniers temps de l’époque Joseon et que conserve aujourd’hui le Musée d’art Gansong à titre de Trésor national n°135. Aujourd’hui encore, l’on dispose de peu d’éléments précis sur la vie de ce peintre, hormis qu’il était issu d’une famille d’un rang social moyen où figuraient déjà plusieurs générations d’artistes peintres, à commencer par son père, le dénommé Shin Han-pyeong (1735?~après 1809), à qui un exceptionnel talent aurait valu de devenir le peintre attitré de l’Office royal des dessins et peintures. Si Shin Yun-bok semble lui avoir succédé à cette fonction, la rumeur voulut qu’il ait été limogé pour l’obscénité de ses dessins, peut-être en raison du thème alors rarement évoqué des relations amoureuses qu’il privilégia en dépeignant avec grâce et exactitude le mode de vie raffiné de l’aristocratie. En cette époque où la métaphysique représentait l’idéologie officielle de la monarchie de Joseon, régnait une grande rigueur morale notamment en matière de rapports entre le souverain et ses sujets, les parents et leurs enfants, l’homme et la femme.
La classe dirigeante des « yangban » poursuivait dans sa vie un idéal de vertu fondé sur l’instruction, la formation du caractère et le détachement vis-à-vis de tout désir, la peinture se devant dès lors d’être riche en apports culturels et pédagogiques, tandis qu’étaient taxées de vulgaires et prosaı¨ques les œuvres de mœurs représentant avec réalisme le raffinement de luxe et de plaisir existant en ce bas monde. Il convenait donc que ce genre apporte le témoignage de la saine et heureuse vie menée par les gens du commun aux fins d’une propagande visant à louer les mérites de la politique royale, à l’instar de celle d’un autre grand artiste de cette époque finale, Kim Hong-do (1745~vers 1806), dont l’œuvre intitulée « Battage du riz » évoque avec un réalisme simple d’enthousiastes paysans pleins d’ardeur au travail, cette vision de travailleurs tout sourire et débordants de santé éclipsant complètement le lot des pauvres hères affamés et en haillons qui n’étaient bons qu’à être exploités pour chanter la gloire et les idéaux du royaume. À l’inverse, Shin Yun-bok dépeint les nobles sans détour, dans toute leur hypocrite volupté, dans des œuvres très appréciées par le raffinement avec lequel s’y exprime une vision lucide de la réalité résultant vraisemblablement, à en juger par sa minutie du détail, d’une observation attentive du mode de vie des aristocrates. Des scènes de leur quotidien y sont représentées en jouant sur l’éclat des couleurs, les paysages et bâtisses présents en arrière-plan, les positions du corps et les manifestations visibles des sentiments en autant de situations concrètes que l’artiste
1 Caractéristique de la peinture de mœurs d’époque Joseon, cette œuvre de Shin Yun-bok intitulée « Jour du Dano » représente une scène de cette fête traditionnelle qui se déroule au cinquième jour du cinquième mois lunaire et s’accompagne d’agréables activités auxquelles s’adonnent ici plusieurs femmes au bord d’un ruisseau de montagne, qui montées sur une balançoire, qui se lavant la tête ou prenant un bain, sans manquer d’éveiller la curiosité de jeunes spectateurs épiant furtivement les alentours de derrière les rochers.
2 « Battage du riz » (27×22.7cm)
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de Kim Hong-do, un contemporain de Shin Yun-bok. Tandis que ce dernier se plaisait à porter un regard d’inspiration sociologique sur les amours de la noblesse et des courtisans, le premier s’intéressait plutôt à la vie quotidienne des gens du commun, en émaillant de détails humoristiques la représentation de ces bons vivants.
fait revivre devant nos yeux. Ses contemporains réservèrent en revanche un accueil mitigé à cette production, partagés qu’ils étaient entre une dénégation du plaisir pour des raisons morales et éthiques et celui qu’ils éprouvaient à l’admirer, tant par les perceptions visuelles que les émotions, entretenant en outre le désir secret de vivre eux-mêmes de telles scènes.
En premier lieu, l’examen de ce chef-d’œuvre attire l’attention sur les mots « au beau milieu de la nuit » qui figurent dans le poème titré et sembleraient donc situer l’action entre vingttrois heures et une heure du matin, alors que dans la capitale dynastique de Hanseong, était en vigueur un couvre-feu de vingt à quatre heures, d’où l’hypothèse d’un entretien secret réunissant les deux amoureux à l’insu de tous et ce, d’autant qu’en ces temps lointains, l’usage interdisait aux hommes et femmes de la noblesse de se retrouver seul à seul, à moins qu’ils n’appartinssent à une même famille, en vertu du précepte confucéen proscrivant « toute réunion en lieu quelconque d’un homme et d’une femme ayant atteint l’âge de sept ans ». À cet effet, les demeures aristocratiques comportaient deux quartiers bien distincts dits « sarangchae » et « anchae », soit respectivement les espaces réservés aux hommes et femmes. En outre, les dames de haute extraction ne sortaient jamais que dans un palanquin qui les soustrayait aux regards indiscrets et se trouvaient-elles amenées à faire quelques pas qu’elles devaient obligatoirement se couvrir le visage d’un voile et se faire accompagner d’une suivante. Eu égard à ce qui précède, en se rendant à un rendezvous galant en pleine nuit et en cachette, la jeune femme du tableau enfreint donc l’ordre moral de son temps. Quant à son compagnon, à en juger par son visage encore imberbe, il s’agit d’un jeune homme dont la tenue vestimentaire indique en outre l’opulence familliale, à l’instar de celle de cette jeune fille aux splendides atours, alors s’agirait-il d’un couple d’amis d’enfance, à moins que cette dernière ne soit la sœur cadette d’un camarade et qu’elle ne se soit peu à peu éprise jusqu’à braver le danger pour retrouver son bien-aimé, ou encore une femme mariée, si le voile dissimulait la perruque qui sied à cette condition, auquel cas la scène représenterait une liaison adultère. Quelle que soit la nature de leur rendezvous secret, il devait s’en donner de nombreux dans la capitale, de sorte que l’artiste ne manqua pas de s’y intéresser. Quant au poème titré, qui se compose d’une unique strophe à trois vers appartenant à un genre très prisé de l’époque, l’énoncé d’origine en évoquait le départ de l’amant à l’approche du jour et sa compagne s’inquiétant de leurs retrouvailles, l’accent étant moins mis, en l’occurrence, sur la nature furtive de la rencontre, que sur le moment des adieux et les regrets d’autant plus forts que celui-ci suscite après un épanchement mutuel, dans une atmosphère tout empreinte des émois ressentis par le couple, l’une parce qu’elle doit s’en retourner au logis, et l’autre qui la voit s’éloigner.
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Adieux déchirants
Une puissante représentation Dans son œuvre, Shin Yun-bok a su rendre avec force la confusion des sentiments à laquelle sont en proie les deux amants en mettant en œuvre tous les procédés picturaux lui permettant d’évoquer pareillement la joie des retrouvailles et la cruauté de la désunion, notamment par une mise en valeur des sujets exécutés avec un tracé fin qui se détache d’un arrièreplan flou réalisé au moyen d’une encre claire, ainsi que par leur positionnement sur la droite du décor de maison et clair de lune pour ménager un espace central où inscrire le texte poétique. Par ailleurs, le coloriage partiel de leurs vêtements et chaussures ne fait qu’accentuer l’atmosphère éphémère de cette scène où le croissant de lune, par son inclinaison excessive, suggère les sentiments ressentis par ses deux acteurs. Dans ces « Amants au clair de lune », Shin Yun-bok représente la séparation qui met fin à un doux tête-à-tête en traduisant remarquablement ce sentiment de douleur intense qu’éprouvent depuis toujours tous les amoureux en pareilles circonstances, en raison de leur attachement si grand qu’il suscite une irrépressible envie de se retrouver, mais l’amour ne réside-t-il pas justement dans ce désir immodéré qu’ils ressentent en dépit de l’imminente et cruelle désunion, ce qui fait de lui un bien d’autant plus précieux ? Autant de sentiments profondément humains qu’exprime puissamment ce tableau dans l’espace pourtant réduit qui lui est imparti. Automne 2008 | Koreana 53
CHRONIQUE ARTISTIQUE
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Au Festival de printemps de Séoul, quand la musique de chambre envahit la grisaille de la ville Au mois de mai dernier, parmi de capiteux parfums, se déroulait à Séoul le Festival de printemps, une manifestation de petite envergure qui n’en a pas moins ranimé l’atmosphère de la ville en conjuguant les suaves accents de la musique de chambre avec la douce chaleur du soleil. Park Yongwan Rédacteur en chef du mensuel L’Atmosphère Photographie : Festival de printemps de Séoul
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st-ce parce que je suis né à Séoul et y ai grandi que je m’en sens parfois fatigué, comme à chaque fois que j’y reviens après un voyage au Japon ou en Europe, dans la navette qui me ramène de l’aéroport vers cette agglomération à l’air terriblement pollué, aux foules oppressantes et au quotidien si terne ? Il suffit alors que l’autobus arrive en vue de la porte de Gwangwhamun et du Cheonggyecheon pour que je retombe sous le charme de ses quartiers et habitants en sentant bouillonnner l’énergie sous le vacarme ambiant, en constatant combien ce que l’on nomme « développement » a su allier ici tradition et modernité et en percevant l’humour qui se dissimule sous l’apparente indolence de ses passants. En effet, si Séoul peut de prime abord sembler plutôt morne, elle se révèle vite d’une vitalité débordante qui atteint son plus haut degré au printemps, en particulier quand vient le mois de mai, « roi des saisons » dans nombre de pays, y compris la Corée, qui jouit d’un climat aux quatre saisons bien distinctes. Alors, tandis que les cerisiers se dépouillent de leurs fleurs à notre grand regret, la ville se pare de verdure, les enfants se lancent bravement sous les jets d’eau de la fontaine de l’Hôtel de ville et les amoureux s’attardent pour profiter du beau temps, mais ce mois est plus encore attendu des mélomanes, car il voit se dérouler le Festival de musique de chambre de la ville, dont cette année a marqué la troisième édition.
Douze jours de musique Voilà maintenant deux ans que la Fondation culturelle de Séoul propose cette manifestation qui a acquis ses lettres de noblesse à Séoul et c’est dans ce cadre qu’était programmée cette année, du 2 au 13 mai derniers, toute une série de concerts de différents niveaux se donnant à raison d’un à trois par jour sans exception et complétés de plusieurs autres manifestations concourant à offrir des festivités d’envergure. D’une périodicité annuelle, celles-ci sont à chaque fois placées sous un nouveau thème consistant cette année en une « Histoire de la vie » retracée en différents volets intitulés « Jeunesse », « Crépuscule », « Foi », « Amour et passion », « Humour », « Amour et mort », « Enchantement » et « Amitié ». C’est lors du concert inaugural représenté le 2 mai au Sejong Chamber Hall qu’allait être abordé le premier de ces thèmes à travers des œuvres produites par de grands virtuoses dans leur enfance ou leur adolescence, telle la « Sonate à quatre n°3 » que Rossini composa à l’âge de douze ans ou la toute première création que fut chez Dohnanyi le « Quintette pour piano n°1 op.1 ». Si cette manifestation s’était ouverte sous le signe de la jeunesse, elle n’allait pas se clore sous celui du « Crépuscule », comme on aurait pu s’y attendre, mais de l’« Amitié », un choix d’autant plus apprécié qu’il rassemblait en ce 13 mai, dans la salle de concert du Centre des arts, nombre d’artistes et formations musicales pour le plaisir de partager leur musique lors d’un spectacle sous-titré « Pinchas 1 Organisé au mois de mai dernier à Séoul dans le cadre de manifestations communes avec celui du « Hi Seoul », le Festival de musique de chambre comporte chaque année à son programme un concert de musique de chambre qui se déroule sur la place de l’Hôtel de ville.
2 En clôture du Festival, le spectacle « Pinchas Zukerman et ses amis » a réuni tous les artistes sur la scène du Centre des Arts de Séoul pour y célébrer cette musique qui les unit.
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Zukerman et ses amis » et de s’y retrouver en toute amitié après avoir donné le meilleur d’eux-mêmes lors du Festival, notamment le directeur artistique Kang Dong-suk, les violonistes Park Jae-hong et Kim Sang-jin, le violoncelliste Cho Young-chang, la harpiste Isabelle Moretti, le clarinettiste Florent Heau et le violoncelliste Yang Sung-won, pour n’en citer que quelques-uns. Quant au violoniste Pinchas Zukerman, qui honorait plus encore de sa présence cette manifestation, il allait se joindre à ces musiciens pour interpréter la dernière œuvre à l’affiche de la soirée, le « Souvenir de Florence, sextuor à cordes en ré mineur Op. 70 » de Tchaı¨kovsky. De retour en Corée deux ans après sa précédente venue, au mois de février 2006, l’artiste s’était produit la veille lors d’un grand concert donné au LG Art Center en compagnie de son épouse et partenaire musicale de toujours, la violoncelliste Amanda Forsyth, ainsi que de la pianiste Tatiana Goncharova, pour exécuter des œuvres tirées du répertoire de Schubert, Franck et Kodály. En point d’orgue de cette édition 2008, a eu lieu le 10 mai, au Sejong Chamber Hall, un concert correspondant au volet intitulé « Amour et mort », le plus riche de cette « Histoire de la vie » par sa programmation eu égard, en premier lieu, à la qualité d’une interprétation qui traitait à la perfection du thème abordé et au contraste que celui-ci offrait avec le temps particulièrement beau et clément qui régnait ce jour-là. Tant il est vrai que la musique, si ce n’est l’art tout entier, a le pouvoir de transporter la vie dans un autre univers dont elle le fera pareillement ressortir pour qu’il revienne à sa situation antérieure, le spectateur envahi d’émotion aux accents pathétiques des mélodies de Chostakovitch, allait, au sortir de la salle, s’en retourner d’un pas léger en respirant la douce brise printanière. Peu avant la représentation, le violoncelliste Yang Sung-won était monté sur scène pour fournir quelques explications succinctes sur les morceaux interprétés tout en marchant tranquillement de long en large, l’air tout
1 La représentation des Bons Becs était ponctuée de facéties théâtrales interprétées par les artistes.
2 Pinchas Zukerman s’est lui-même produit lors d’un concert exceptionnel, aux côtés de la violoncelliste Amanda Forsyth, son épouse à la ville et sa partenaire à la scène.
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Si Séoul peut de prime abord sembler plutôt morne, elle se révèle vite d’une vitalité débordante qui atteint son plus haut degré au printemps, en particulier quand vient le mois de mai, très attendu des mélomanes pour son Festival de musique de chambre dont cette année marquait la troisième édition.
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1 Le palais de Deoksugung a servi de décor à un concert familial à l’affiche duquel figurait un ensemble de compositions.
2 Un concert s’est déroulé en la cathédrale de Myeongdong à l’occasion du centième anniversaire du compositeur français Olivier Messiaen, qualifié par d’aucuns de « Bach du XXIe siècle ».
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à fait détendu, une main glissée dans la poche de pantalon de son smoking. « Bien que j’aie horreur de ce type de présentation, j’ai décidé d’en faire une », allait-il tout d’abord déclarer, et ces préliminaires, certes arides, allaient s’avérer fructueux pour les véritables mélomanes qui composaient le public du Festival au côté d’oreilles moins exercées.
Attraits de la musique de chambre Conformément à sa vocation, le Festival allait réserver une place de choix à la musique de chambre puisque, à l’exception du concert familial qui se donnait au Palais de Deoksugung, ce genre musical allait accaparer presque toutes les scènes et peut-être ce dernier s’adresse-t-il davantage à ses interprètes qu’à l’auditoire, dans la mesure où les premiers sont plus en mesure de l’apprécier à sa juste valeur. De fait, l’entente parfaite à laquelle ils semblaient parvenir en échangeant quelques regards laissait entrevoir le « dialogue sans parole » qui se déroulait entre eux et aboutissait à une production d’autant plus belle et précise qu’elle se faisait discrètement et agréablement. Longtemps, la musique de chambre a suscité peu d’intérêt dans le public coréen, qui lui préfère aujourd’hui encore les compositions pour orchestre, une évolution étant toutefois en cours à cet égard. En effet, si le faste et la splendeur ont toujours été admirés en Corée et, dans le cas présent à Séoul, une métropole dont les mutations rapides et considérables éclipsent toute forme d’expression plus discrète, le Festival de printemps avait pourtant pris le parti d’axer sa programmation sur ce genre foncièrement simple, répondant en cela au souhait de ses intervenants les plus fidèles, notamment son directeur artistique Kang Dong-seuk, de mieux faire connaıˆtre les attraits d’une musique que peuvent s’approprier spectateurs et interprètes confondus. Le Festival s’est en outre fixé pour objectif principal d’assurer un meilleur accès au public en situant ses spectacles non seulement dans les plus grandes salles de la ville, dont le Centre des arts de Séoul, le Sejong chamber Hall et le LG Art Center, mais aussi sur des scènes de petite et moyenne envergure de l’ensemble de l’agglomération, ainsi que dans des palais et autres lieux publics. Cette année comme les précédentes depuis sa création en 2006, il a ainsi proposé tout un ensemble de concerts en plein air au Palais de Deoksugung, ainsi que, pour la présente édition, sur la voie publique, face à l’Hôtel de Ville de Séoul, dans le cadre de manifestations communes avec le Festival Hi Seoul ! aujourd’hui renommé dans la capitale en matière culturelle. Cette plus grande ouverture allait également se manifester par des places d’un montant plus abordable compris entre dix mille et cinquante mille wons.
En mai, c’est à Séoul qu’il faut séjourner L’année 2009 verra se renouveler cette manifestation de deux semaines à partir des premiers jours du mois de mai, alors pourquoi ne pas céder au charme de la musique de chambre à l’occasion d’un séjour dans la capitale ? Les manifestations se dérouleront pour la plupart au Sejong Chamber Hall du Centre des arts de Sejong, un établissement qui fête cette année son trentième anniversaire et qui, de par sa situation dans le cœur historique de Séoul, non loin de la porte de Gwanghwamun, a été le témoin de tous les changements politiques, économiques et culturels qui ont traversé le pays. C’est en 2006 qu’a ouvert ses portes cette salle réservée à l’art doux et raffiné de la musique de chambre et offrant ainsi un contraste avec l’image plus austère du Centre des arts de Sejong. En compagnie d’amis, on pourra y avoir un avant-goût de l’ensemble du Festival à venir, après avoir dégusté un thé dans un salon des alentours ou flâné le long des murs de pierre du Palais de Deoksugung en poussant jusqu’à la Place de l’Hôtel de ville, sachant toutefois que si ce monument historique reste ouvert au public de nuit pendant les mois de mars à octobre, tel n’est pas le cas à l’heure où s’achèvent les concerts et c’est avant ceux-ci qu’il faudrait donc s’y rendre. Encombrements stressants, passants marchant sur les pieds des autres sans demander pardon, modifications constantes du paysage urbain, autant de maux qui peuvent faire redouter cette nébuleuse métropole, mais alors c’est que l’on n’aura pas su en découvrir les réels attraits que masquent cette apparence, et pour ce faire, le mieux serait d’y séjourner au mois de mai, au beau milieu du printemps, lorsque douceur de l’air et richesse des manifestations musicales s’allient pour révéler les agréments de cette ville toute en générosité. Automne 2008 | Koreana 59
À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE
Brian Barry, quand le cœur de Bouddha exulte à la pointe du pinceau Quarante ans après son arrivée en Corée en tant que travailleur bénévole, Brian Barry se consacre sans relâche à représenter par son art la figure de Bouddha et ses préceptes miséricordieux que met ainsi en œuvre ce véritable Coréen d’adoption pour atteindre l’illumination. Shim Eenbo Graphiste et directeur de Brandnine | Photographie : Shim Eenbo
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C
’est en décembre 1967, alors que l’hiver s’annonce particulièrement rigoureux, que le jeune Brian Barry fait son arrivée en Corée pour y prendre ses fonctions, dans le cadre d’une mission médicale du « Peace Corps », à Buan, une ville de la province de Jeollabuk-do où il a été affecté. Si dans un pays où règnait alors une grande pauvreté, une localité aussi isolée ne pouvait qu’apparaıˆtre rude et vétuste, le nouvel arrivant n’aura d’yeux que pour la beauté de son milieu naturel préservé des maux de la modernité et ses gens du terroir sans façons ni arrière-pensées, qui lui feront apprécier toujours plus la Corée au fur et à mesure qu’il les côtoiera quotidiennement par le biais de ses consultations.
Découverte du bouddhisme coréen Brian Barry va alors faire la rencontre d’une bodhisattva admirable en la personne d’une vieille paysanne qui a accepté de prendre en pension ce jeune étranger en lui apprenant, comme s’il s’agissait de son propre fils, les pratiques vestimentaires et autres aspects pour lui méconnus de la vie en Corée. « Comme cette dame est d’une bonté et d’une générosité extrêmes, elle ne sait jamais dire « non » si on lui demande un service. Quoique peu fortunée, si elle sait que quelqu’un ne mange pas à sa faim, elle le conduira chez elle pour lui offrir un repas. En outre, c’est une croyante sincère ainsi qu’une pratiquante qui va souvent au temple et à celui de Wolmyeongam, que je fréquentais, les bonzes l’appelaient « grande bodhisattva », sans que je comprenne d’abord pourquoi. » Celle qui, par sa gentillesse, allait devenir une seconde mère pour le jeune homme qui a quitté le nid douillet de sa terre natale pour la rude vie de cette terre peu accueillante, exercera de ce fait une influence sur lui, notamment par la découverte du bouddhisme qu’il embrassera grâce à elle et qui orientera tout autrement sa vie. Au terme de deux années de bénévolat, Brian Barry repart pour les États-Unis, sans se résigner à quitter pour toujours la Corée, dont il foulera à nouveau le sol peu de temps après et à ceux qui s’étonnent d’une telle attirance, il rétorque en esquissant un sourire : « De retour aux États-Unis, le « kkoengwari » (petit gong) résonnait tant à mes oreilles que je n’ai pu que me laisser guider par lui. » Par-delà les sonorités de cet instrument, l’attrait du pays s’explique par d’autres facteurs qui se nomment tendresse et humanité, comme en prodigue sa population attachante et dont sont dépourvus les rapports dans le monde occidental, ainsi que cette bonté de l’âme qui voit en l’autre un alter ego malgré la pauvreté, et cette cuisine aux saveurs tout d’abord si différentes, mais dont on ne peut plus se passer après y avoir plusieurs fois goûté, tout comme des accents enivrants de sa musique, autant de raisons pour Brian Barry de se sentir désormais coréen au plus profond de son être. Au contact des Coréens et de leur culture, il éprouvera le sentiment d’être toujours plus des leurs, de sorte qu’assistant
un beau jour à un spectacle de « samulnori », ce genre musical traditionnel à quatre instruments à percussion, il en ressent une telle impression qu’il décide de s’y initier sur-le-champ avec le plus grand sérieux, en se joignant à un groupe régional dénommé Udogutpae afin de pouvoir à son tour y taper avec ardeur. Par ailleurs, il se lance en parallèle dans l’étude de la calligraphie chinoise dans le but de lire les canons bouddhiques dans le texte, un objectif qui le porte tout naturellement vers ce choix. Ce faisant, il en arrive à devenir plus coréen que bien des gens du cru, à moins que n’aient existé certaines prédispositions ? Comme tout ressortissant étranger habitant la Corée, Brian Barry déborde d’activités, de sorte qu’il ne connaıˆt jamais l’oisiveté. Sa journée commence par la pratique du gong au sein de l’ensemble de musique traditionnelle et se poursuit par l’apprentissage des idéogrammes chinois et leur calligraphie, auxquels succède la traduction, dans l’après-midi, pour se terminer, la nuit venue, par l’étude de la doctrine bouddhiste à l’Université religieuse du Temple de Daewonjeongsa. En outre, sa connaissance croissante de la culture coréenne l’incite désormais à faire partager celle-ci avec un enthousiasme qui fait de lui, au sein de la communauté étrangère, l’un des rares promoteurs, experts et traducteurs spécialistes de la religion bouddhiste. Tandis qu’il se plonge ainsi dans la vie de son pays d’accueil, les décennies vont passer et aujourd’hui, l’homme affirme se demander parfois ce qu’il a fait de sa jeunesse, alors on est tenté de l’interroger sur les raisons d’un tel choix de vie, ce à quoi il répond qu’il l’a fait en toute indépendance car c’est le plus naturellement du monde qu’il s’est établi en Corée, ce qui lui a permis de faire autant de rencontres, d’études et autres activités. Aux amis qui s’inquiètent de ce surmenage, il rétorque avec un petit sourire : « Est-ce qu’il y a un trou dans le ciel ? Dans ce cas, il faut s’en accommoder ! »
Les chemins de la peinture bouddhique L’année 1986 marque un véritable tournant dans la vie de Brian Barry, à l’occasion d’une visite au Temple de Bongwonsa où il doit servir d’interprète à un architecte américain désireux d’en admirer les peintures ornementales aux couleurs éclatantes. N’ayant jusque-là jamais éprouvé le moindre intérêt pour la décoration des sanctuaires, pas plus que pour les effigies de Bouddha dont s’ornent leurs murs, quoique s’étant longuement penché sur l’étude de cette religion après s’y être converti, il allait sentir tout son sang se glacer et son cœur se serrer à la vue des magnifiques représentations découvertes sur les lieux. Ornements peints à l’exécution splendide et extrêmement élaborée, mais dépourvue de toute ostentation et empreinte d’une grâce singulière s’allient aux portraits dont la décoloration progressive crée un effet toujours plus serein pour susciter chez leur admirateur l’impression que tous les liens qu’il a pu tisser dans le pays, de même que les différentes activités qu’il y a réalisées, n’avaient d’autre finalité que de le conduire dans cette cour de temple où il demeure ébahi et dont il s’en ira le cœur transAutomne 2008 | Koreana 61
porté de ferveur. Par la suite, il se rendra chez le bonze Manbong, un maıˆtre de la peinture ornementale d’architecture aujourd’hui classé Important bien immatériel n°48 (1910~2006) et lorsqu’il sollicitera une entrevue avec ce dernier, son collaborateur lui précisera que celle-ci exige de se prosterner devant lui en signe de vénération, comme s’empressera de le faire le visiteur en annonçant qu’il souhaite vivement apprendre la peinture bouddhique. Son hôte accédera à la demande si inattendue de cet étranger aux cheveux blonds et aux yeux bleus, dont il fera son disciple en dépit des mauvaises langues qui, parmi ses nombreux compagnons d’étude, croient pouvoir prédire son abandon rapide d’un apprentissage particulièrement astreignant. Celui-ci allait en effet s’avérer des plus âpres en raison des milliers de croquis à réaliser en conservant la posture accroupie à longueur de journée au point d’en ressentir sensations de brûlure et douleurs dans tout le corps, alors l’étudiant fera ses valises à cinq reprises pour revenir tout aussitôt au souvenir de ses esquisses dansant devant ses yeux, telle une gerbe d’étincelles, comme en proie à une addiction ou une maladie, comme si la voie à suivre était toute tracée... Dès lors, allaient s’ensuivre vingt-trois années de dévouement à la peinture religieuse et tandis que nombre de condisciples médisants s’en étaient allés un à un, l’étranger allait demeurer aux côtés de son maıˆtre, jusqu’au décès de ce dernier survenu en 2006 et suivi de son entrée au Nirvana.
Effigies accrochées derrière les statues de Bouddha des temples indonésiens de Haeinsa ou californien de Gobulsa, peinture du bodhisattva Avalokitesvar vêtu de blanc du Temple Munsusa de Boston et peinture du Dharma au temple russe de Dalmasa en Russie comptent parmi les nombreuses réalisations de l’artiste. Tandis qu’il fait don de ses œuvres traditionnelles aux temples concernés, il offre leurs versions plus modernes à ses amis ou s’en sert comme support d’enseignement religieux et si on lui demande d’en citer le prix, il s’y refuse catégoriquement en déclarant que la valeur de Bouddha est inestimable, alors après avoir passé des jours et nuits entiers à la tâche, il n’hésitera pas à faire présent du fruit de son travail à la moindre occasion. Il se voit parfois proposer de réaliser des peintures bouddhiques d’époque Goryeo en raison de la valeur artistique supérieure et de l’exécution plus raffinée qui leur sont attribuées par comparaison à celles de Joseon, l’artiste estimant toutefois que ces dernières sont plus appréciées du public et donc mieux aptes à toucher le cœur de l’homme. Par ailleurs, le peintre estime nécessaire que l’art bouddhique se modernise pour faire son entrée dans le quotidien, notamment sous forme de tee-shirts, tasses à thé ou souvenirs, une idée fondée sur la croyance que le Bouddha du temple demeure égal à lui-même dans la vie de tous les jours et faisant ainsi siens les enseignements de son maıˆtre, selon lequel petites et grandes représentations du Bouddha ne sont au fond guère différentes.
Peintures traditionnelles et modernes Brian Barry réalise deux types de peintures bouddhiques qui comprennent, d’une part, des portraits de Bouddha mettant en œuvre une technique traditionnelle, car destinés aux murs des temples, et de l’autre, des œuvres résultant d’une démarche de réinterprétation et de recréation dans une optique moderne. S’agissant de sa production, l’artiste ne s’y réfère en aucun cas par le terme « création », préférant employer celui de « service religieux », puisqu’elle revient bel et bien à un acte d’oblation réalisé sous forme ancienne ou plus actuelle. L’artiste ne se cantonne d’ailleurs pas à la Corée pour s’aquitter de ce service, qu’il a notamment accompli au temple royal de Wat Suthat Thepwararam qu’il visitait en 1999 en Thaïlande et dont le responsable s’est approché de lui pour s’enquérir de ses connaissances en la matière après avoir remarqué son éblouissement devant la beauté d’un tableau accroché au mur. L’étranger lui présentant quelques photos de ses propres œuvres, le religieux, après les avoir examinées un instant, allait le charger d’en peindre dans le pavillon principal du temple et sans plus attendre, Brian Barry s’installera en Thaï- lande pour y travailler trois mois durant. Dans toute l’histoire du pays, jamais un étranger ne s’était vu confier l’exécution de peintures bouddhiques et cette situation inédite allait donc prendre l’ampleur d’un événement auquel la chaıˆne télévisée 1 consacrera une émission diffusée dans le monde entier. CNN 62 Koreana | Automne 2008
Une vie de gratitude De même que les oiseaux migrateurs, guidés par leur instinct, accomplissent à certaines époques un long périple qui les ramène au pays natal, Brian Barry estime son retour en Corée tout aussi spontané, car mû par une mystérieuse force, n’a-til pas parcouru la moitié du globe terrestre à cette fin, pour finalement rencontrer une bodhisattva, découvrir sa religion et se consacrer à la peinture religieuse ? Si d’aucuns jugeraient un tel destin extraordinaire, il le considère quant à lui des plus normaux, de même qu’agréable par les voyages dans lesquels il l’a entraıˆné. Toutes ces années vouées à la promotion à l’étranger de la culture coréenne, dont il est spécialiste, en tant que rédacteur, traducteur et conférencier, ainsi que croyant chargé de diffuser sa religion dans le monde, ont participé d’un long cheminement vers la peinture bouddhique et, eu égard à cet aboutissement, il voue une profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué à sa vocation artistique. Accroché à la pente abrupte de l’une des hauteurs de Séoul, son logis fleure toujours bon l’encre et, à sa fenêtre, s’inscrit le caractère chinois « 心 » qui signifie « cœur », comme sur les murs du temple situé en vis-à-vis. « Si nos mains se vident de toute possession, il suffit que nous ayons le cœur bien préservé », se répète Brian Barry, aujourd’hui encore accroupi, pinceau en main, avant d’entreprendre l’un de ses voyages au paradis.
Ici à l’œuvre dans son studio de Séoul, Brian Barry affirme, au sujet de la discipline artistique rigoureuse qu’est la peinture bouddhique, qu’il suffit d’ouvrir son cœur pour que tout devienne possible. Automne 2008 | Koreana 63
SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
Kim Hee-jin, danseuse contemporaine internationale Une gestuelle d’envol infini Danseuse contemporaine de cette première génération qui s’est lancée sur des scènes internationales tout en s’illustrant en Corée, Kim Hee-jin allait quitter son pays à plus de trente ans pour connaıˆtre une véritable consécration au Japon et en France, mais n’entend pas s’en tenir là, puisqu’elle souhaite aujourd’hui faire son entrée dans la chorégraphie de niveau mondial. Jang Seung-heon Directeur artistique du MCT (Management of Culture&Theatre) et professeur à l’École des arts du spectacle de l’Université Kookmin Photographie : Management of Culture & Theatre
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«U
ne jeunesse explosive et sensuelle ! La rivalité ou la domination de l’amour sont remarquablement évoquées par la belle danseuse Kim Hee-jin âgée de 42 ans » (Le Figaro), « La danseuse coréenne Kim Hee-jin évolue, telle une créature de rêve, dans le cadre du Centre national chorégraphique de Grenoble, une pépinière d’étoiles alliant énergie, technique et inspiration poétique » (Le Nouvel Observateur). Aujourd’hui unanimement saluée par la critique, les chorégraphes et le public, Kim Hee-jin figure désormais parmi les plus grandes danseuses internationales après s’être produite durant une dizaine d’années sur les scènes japonaises, françaises et européennes. Les éloges qui lui sont adressés donnent de son talent une idée plus précise : « Une danseuse qui révolutionne la scène par d’acrobatiques mouvements auxquels sa haute taille confère vitesse et force » ; une « technique assimilant parfaitement l’ensemble de la gestuelle et une excellente condition physique » ; une « manière de se déplacer tel un rabot aux lames acérées ».
avenir. Dans un premier temps, elle s’y distinguera au Théâtre de danse comtemporaine coréenne en tenant le rôle vedette de « Judas », qu’elle est la seule femme à jamais avoir interprété, dans le spectacle « Jesus Christ Super Star » chorégraphié par Yook Wan-soon, qui passe pour la mère de la danse contemporaine coréenne. Cette prestation, que d’aucuns considéreront digne d’une véritable étoile, vaudra à Kim Hee-jin de se voir décerner les Prix de la Compétition de danse Dong-A et du meilleur espoir de l’Organisation coréenne de danse contemporaine, auxquels viendra s’ajouter le Grand Prix du deuxième concours de danse créative organisé en 1992 par la chaıˆne télévisée MBC, et lui permettra ainsi de faire la démonstration de son talent à l’échelle nationale. Par ses débuts, elle s’est ainsi démarquée de ses compatriotes exerçant actuellement dans le monde après avoir quitté très tôt leur patrie pour étudier à l’étranger en choisissant de centrer ses activités en Corée afin d’y atteindre d’abord la consécration indispensable à la réalisation de rêves plus grandioses.
Apparition sur la scène internationale
Scène de « Chemin du retour » (1993), une composition interprétée et chorégraphiée par Kim Hee-jin dans laquelle celle-ci évoque les traumatismes d’une femme longtemps frappée d’amnésie.
Centre européen de danse contemporaine, la France possède à Paris, ainsi qu’à Lyon, différentes salles se consacrant exclusivement à cet art telles que la « Maison de la danse » située dans cette dernière ville, tandis que le Festival de danse de Montpellier constitue une manifestation d’envergure internationale qui attire chaque été un public mondial toujours aussi enthousiaste, de sorte que tout interprète a le désir de s’y distinguer à l’instar de Kim Hee-jin, qui évolue aujourd’hui principalement sur ces scènes. Loin d’avoir bénéficié d’une formation précoce dans ce pays si avancé en la matière, puisque c’est en l’an 2000 que la jeune femme d’une trentaine d’années foulera son sol après avoir accompli l’intégralité de son apprentissage dans sa terre natale pour y développer ses talents et construire son
De nouvelles possibilités K im Hee -jin fera ses premiers pas à l’étranger après avoir rencontré JeanClaude Gallotta, l’actuel directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble qui, après avoir assisté en 1997 à l’une de ses représentations, la conviera à se joindre à la Troupe de danse du Centre des arts du spectacle (SPAC) de Shizuoka dont il assurait alors la direction artistique. En l’espace des deux ans et six mois fixés par son contrat, la danseuse eut alors l’obligation de s’imposer, sous peine de devoir interrompre sa carrière européenne pour rentrer au pays, où sa renommée déjà bien établie allait lui permettre de prendre d’autres engagements avant d’entrer pour cinq ans dans l’établissement de Jean-Claude Gallotta en tant que danseuse vedette. Automne 2008 | Koreana 65
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Par leur grâce et leur style inspiré d’un lyrisme romantique, les évolutions de Kim Hee-jin n’ont pas manqué d’être remarquées par maints chorégraphes et de séduire un public européen exigeant, mais celle que tous allaient qualifier de « danseuse née » entreprend aujourd’hui de ne plus se cantonner à ce rôle pour proposer des chorégraphies aux couleurs et parfums de son être.
À cette époque, elle ira à deux reprises se produire en Corée au sein de sa troupe, dans le cadre du Festival international de danse de Séoul, où elle interprétera notamment le « Mammame » de Jean-Claude Gallotta, toujours à l’affiche depuis sa première mise en scène de 1985. Celui-ci jugera ses évolutions en ces termes : « Vous créez une atmosphère bien particulière qui, pour une raison que les mots peuvent difficilement traduire de manière précise, vous différencie des autres danseurs exerçant en Europe. Votre gestuelle possède un grand charme. » Au fil du temps, elle saisira le sens de ces paroles évoquant l’originalité de ses mouvements de bras et une impression spécifiquement orientale produite par la respiration profonde à laquelle l’a astreinte dès son enfance la pratique de la danse traditionnelle coréenne. D’un lyrisme 66 Koreana | Automne 2008
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romantique, cette gestuelle particulière se situe au centre de créations qui ont tant charmé le regard de multiples chorégraphes et spec tateurs euro péens.
Le nouveau défi de la chorégraphe Évoquant la décennie passée, Kim Hee-jin affirme qu’elle lui a permis de « danser autant qu’elle le souhaitait », puis à l’âge de trente-neuf ans, elle quittera le Centre chorégraphique national de Grenoble. « J’ai suspendu un temps mes activités pour soigner la douleur physique dont je souffrais après avoir dansé huit années durant au Japon et en France. » Cette parenthèse allait s’avérer plus courte que prévu, car dans l’intervalle, la danseuse continuait non seulement d’exercer à titre indépendant en collaboration avec le Centre chorégraphique national de Grenoble et le Ballet Preljocaj,
obtenant aussi en parallèle un certificat d’aptitude à l’enseignement de la danse qui allait lui permettre de professer à l’Université de Grenoble, mais l’apogée de ce renouveau allait être le passage au nouveau métier de chorégraphe, qui lui permettra de s’engager aussi dans la création artistique, puis dès l’année 2007, de se doter d’une formation dénommée « MOM ». « La France impose cer taines contraintes à ceux qui pratiquent cette profession en indépendant, c’est-à-dire en dehors de toute association ou ballet et c’est dans le but d’être officiellement reconnue que j’ai créé ma troupe avec des amis français. Ce n’est qu’un modeste début, mais j’espère pouvoir mettre en scène des œuvres qui permettent un meilleur accès du public à la danse. » Son entrée en chorégraphie se déroule sur une scène de Séoul, en novembre 2007, où elle règle aux côtés du danseur
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1 Réglée en 1963 par Yook Wan-soon, l’œuvre intitulée « Peur » se situe pour beaucoup aux sources de la danse contemporaine coréenne.
2 « Société anonyme » (1996), un spectacle de sa composition qu’interprète Kim Hee-jin, traduit l’isolement et l’asservissement engendrés par un monde moderne qui semble presque dépourvu de contacts humains.
3 Interprétée et chorégraphiée par Kim Hee-jin et Ludovic Galvan, « Cellule de mémoire » (2006) a été couverte d’éloges par la critique pour son élan passionné et son inspiration poétique.
4 Également dû à Kim Hee-jin pour l’interprétation comme la chorégraphie, le spectacle « Rêve », dont la première a eu lieu en 1992, prévoit la destruction atroce des hommes par le machinisme qu’ils ont eux-mêmes créé.
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français Ludovic Galvan le ballet « Un voyage d’absence », dont les trois époques successives soulignent les limitations de l’existence humaine évoquées par son titre. « L’époque intitulée « Cellule de mémoire » portant sur les amours d’un jeune homme, a été bien accueillie par la critique européenne, qui y a apprécié l’expression poétique des passions nées entre deux êtres. Une spectatrice d’âge moyen m’avait ainsi confié qu’elle lui rappelait son vécu. »
Il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves Si l’on s’interroge sur ses débuts tardifs et ses regrets éventuels à ce sujet, elle déclare qu’elle aurait pu réaliser plus tôt de nombreux spectacles, forte des précieux enseignements qu’elle a tirés de sa jeunesse en Corée et qui, par la suite, allaient nourrir son inspiration durant ses
activités à l’étranger. Cet acquis allait également prendre valeur d’exemple pour les jeunes danseurs d’alors en leur indiquant la voie de la réussite sur les scènes du monde et à cet égard, elle formule les conseils suivants : « S’il importe sans nul doute de s’y lancer à un jeune âge, plus essentiels encore sont la maıˆtrise de soi et le talent qu’il est possible d’acquérir sur les scènes coréennes jusqu’à l’amélioration de ses aptitudes et au succès qui permettront de viser des lieux plus prestigieux et serviront ainsi de tremplin à une carrière internationale. Dans cette perspective, je recommande aux débutants de s’essayer à des œuvres aussi nombreuses et diverses que possible, sans considération de leur envergure. » Après s’être ainsi révélée dans une dimension autre que celle d’une « danseuse née » et en atteignant une maturité
harmonieuse dont attestent des chorégraphies aux couleurs et parfums de son être, Kim Hee-jin n’en conserve pas moins une forte présence sur les scènes coréennes et étrangères, notamment françaises, comme celle de la Triennale de la danse qui se déroulera en 2009 à Tokyo. Pour la quadragénaire d’aujourd’hui, la vie semble toujours inconcevable sans danse et le demeurera dans les années à venir. « Arrivée à la quarantaine, je me pose de nouvelles questions et souhaiterais me sentir plus proche du public en lui proposant des histoires simples inspirées de la vie quotidienne. » On ne peut qu’attendre avec impatience de découvrir ces œuvres par lesquelles la danseuse contemporaine si expressive au moindre mouvement de ses bras entraıˆnera l’âme meurtrie du public dans ses chorégraphies. Automne 2008 | Koreana 67
ESCAPADE
Gongju, une harmonieuse union de montagnes, fleuves et cultures Située au cœur de la province de Chungcheongnam-do, Gongju fut la seconde capitale de Baekje (18 av. J.-C. - 660), un royaume à la culture originale qui y connut un essor dont attestent aujourd’hui encore des vestiges aussi splendides que leur cadre naturel où s’unissent montagnes et fleuves. Na Tae-joo Poète | Ahn Hong-beom Photographe
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e par sa conformation topographique caractérisée par un emplacement au creux d’un bassin entouré de hautes montagnes, la ville de Gongju est généreusement pourvue par la nature en beauté et harmonie, à l’intersection du parc national de Gyeryongsan, dont les temples sont aussi nombreux que célèbres, et du fleuve Geumgang qui l’arrose. Elle comporte en outre des monuments datant de la préhistoire et du royaume de Silla (57 av. J.-C. - 935), ainsi que des vestiges artistiques de celui de Baekje, qui a connu son apogée en cette ancienne capitale, autant d’aspects culturels d’un grand attrait qui vont de l’aube de l’humanité aux temps modernes, en passant par l’époque des Trois Royaumes (57 av. J.C. - 935). En ces lieux dont rien ne vient troubler la sérénité, montagnes, fleuves et cultures se côtoient en toute harmonie.
Une sombre légende emportée par les flots du Geumgang Troisième fleuve sud- coréen après le Hangang et le Nakdonggang, le Geumgang s’écoule d’est en ouest au centre de la ville, tandis qu’en amont, son cours sinueux traverse les reliefs accidentés d’un important massif montagneux offrant un impressionnant spectacle, puis dans sa partie moyenne, il parcourt un bassin continental et une plaine alluviale bien développée qui 68 Koreana | Automne 2008
permit l’établissement de la civilisation ancienne de Baekje en la dotant d’abondantes récoltes et d’une géographie propice au développement de moyens de transport pratiques en toute direction. Signifiant « rivière de la soie », le nom Geumgang évoque des flots paisibles dont le bruissement est presque imperceptible à celui qui n’y prête pas une oreille attentive et ignore de ce fait dans quel sens ils s’orientent, d’autant que l’aménagement de barrages en amont a considérablement réduit le débit de ce fleuve, qui retrouve son cours généreux et ample lors des précipitations estivales. Le Geumgang est porteur d’une funeste légende associée à la ville de Gongju. Il y a fort longtemps, vivait un jeune chasseur qui, parti un jour à la chasse, découvrit une ourse endormie dans la montagne. Alors qu’il s’apprêtait à la percer d’une flèche, il arrêta son tir, soudain pris de compassion. Réveillée par les bruits alentour, l’ourse, soudain éprise du chasseur, l’emporta jusqu’à la grotte qu’elle habitait au bas de la hauteur, non loin de la rivière, et dont elle referma l’entrée à l’aide d’un rocher pour le retenir prisonnier. Un ou deux mois plus tard, la bête engrossée mit un enfant au monde, et apaisée par cette naissance, se mit en quête
Gongju
Coucher de soleil sur le Geumgang, fleuve qui arrose la ville de Gongju de ses flots soyeux et a contribué à l’épanouissement de la civilisation antique de Baekje. Automne 2008 | Koreana 69
de quelque pitance en laissant dégagée l’ouverture de sa grotte. Mettant à profit cet oubli momentané, le chasseur prit alors ses jambes à son cou pour gagner la rivière et monter à bord d’une barque et, comme il approchait de l’autre rive, lui parvinrent les pleurs de l’ourse, alors il se retourna et aperçut l’animal qui tenait le nourrisson dans ses bras et l’exhortait à revenir d’un signe de sa patte, tout en pleurant à chaudes larmes. Cependant, plutôt que de faire volte-face, il reprit sa traversée tandis que l’ourse se précipitait et périssait dans les flots avec l’enfant. Depuis lors, chaque année apporta son lot de maigres récoltes et noyades dans les eaux tumultueuses du fleuve, de sorte que l’on fit édifier un temple près du lieu où la bête était morte afin de calmer ses tourments. C’est de cette embarcation où mourut l’animal que la région tira son toponyme de « Gomnaru », dont la transcription chinoise (熊津) se lit « Ungjin » en coréen, et qu’elle conserva jusque dans les premiers temps du royaume de Goryeo (918~1392), plus précisément en l’an 940, où elle prit alors le nom de Gongju.
Le Mont Gyeryongsan S’élevant à huit cent quarante-cinq mètres d’altitude, le Massif de Gyeryongsan offre le magnifique paysage d’une vingtaine de cimes sculptées par l’érosion hydraulique et dont l’enchaıˆnement rocheux est tout à fait évocateur du dragon à crête de coq que dénote leur nom. À l’époque des Trois Royaumes, cette chaıˆne fut répertoriée parmi les cinq principales que compte le pays et, sous la dynastie Joseon (1392~1910), il fut même envisagé d’y établir la capitale en raison de sa situation au centre du territoire. Bénéficiant d’une topographie et d’un environnement naturel exceptionnels qui lui ont valu son classement en parc national arrivant en deuxième position après celui de Jirisan, le Massif de
Gyeryongsan fut en outre doté sur ses deux versants de plusieurs temples qui l’embellissaient plus encore et dont subsistent à nos jours ceux de Donghaksa à l’est, de Sinwonsa au sud et de Gapsa à l’ouest, outre l’emplacement de celui de Guryongsa sur sa face nord, ce qui fait de lui le seul relief coréen comptant des sanctuaires aux quatre points cardinaux. Réputé pour les pratiques ascétiques et la foi ardente de ses bonzesses, le premier d’entre eux abrite en outre l’Université bouddhiste de Donghak où ces religieuses se consacrent à l’étude. Des ruisseaux au lit profond et aux eaux cristallines apportent une note romantique sur les bords du chemin menant à ce sanctuaire composé de pavillons édifiés à la gloire des deux valeurs confucéennes que sont la fidélité et la piété filiale et qui émanent de l’alliance naturelle du bouddhisme et du confucianisme. Presque intégralement détruits pendant la Guerre de Corée, ces édifices allaient être reconstruits en 1975. Quant au Temple de Sinwonsa, qui s’élève sur la face méridionale du Mont Cheonwhangbong appartenant au Massif de Gyeryongsan, l’annexe, dite Jungakdan, en est plus imposante que le pavillon central. Sous l’influence de la religion folklorique, les sanctuaires coréens comportent pour la plupart de vastes bâtisses renfermant les châsses des Dieux de la montagne que désigne le terme « Sanshingak », tout en se trouvant plutôt à l’écart de bâtiments principaux aux dimensions encore plus importantes. À l’inverse, celle du Jungakdan présente la particularité d’adopter l’architecture d’un palais royal, ainsi que son implantation, car sa construction, réalisée sous le règne du roi Gojong (r. 1863-1907), c’est-à-dire dans les derniers temps de la dynastie de Joseon, avait pour objectif, à la demande de l’impératrice Myeongseong, d’abriter des cérémonies de prière appelant à la paix du royaume. Aux confins occidentaux du Massif de Gyeryongsan, se dresse le Temple de Gapsa, qui égale en réputation celui de Donghaksa
1 Longtemps considéré comme un site sacré en raison de sa situation favorable du point de vue de la géomancie, le Mont Gyeryongsan a servi de refuge à la population en période de trouble, accueillant aussi la pratique des rites du chamanisme et de différents groupes religieux.
2 Premier sanctuaire de Gongju,
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le Temple de Magoksa abrite six trésors nationaux, dont une pagode de pierre et de saintes écritures bouddhistes, mais c’est aussi dans ses murs que se réfugia Kim Gu (1876-1949), dans les premières années du Grand Empire Han, après avoir mené le mouvement de résistance à l’occupation japonaise.
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parce qu’il abrite le monument dédié à Younggyudaesa, lequel prit la tête des moines qui combattirent l’envahisseur japonais en 1592, puis à plusieurs reprises ultérieurement, jusqu’en 1598. Le printemps venu, l’éclosion par milliers des fleurs de prunellier jaunes ravit le regard du promeneur. Cette évocation des temples de Gongju ne saurait omettre celui de Magoksa, un lieu saint tout aussi important que grandiose, puisque lui sont rattachés les trois premiers cités précédemment. Il se niche au pied du Mont Taehwasan qui s’élève au-delà du Massif de Gyeryongsan et dont l’altitude moindre produit en revanche un effet plus humain et plaisant. Le promeneur y accède par un sentier qui ondule agréablement sur le relief vallonné, comme au rythme de la musique, et tout en y cheminant, s’absorbe dans une réflexion sur les grands thèmes du bouddhisme pour délaisser un temps ambitions et chagrins de ce monde, car pardelà les préceptes essentiels qu’enseignent les religieux, l’idée d’avoir situé de telles constructions en pleine zone montagneuse exhorte aussi à renoncer à tout désir de possession et à appré-
hender l’univers par les mouvements du corps. Ainsi en va-t-il des temples de Gongju, aussi nombreux que variés par leur histoire et leur beauté, car tandis que certains dégagent une impression de force virile, d’autres possèdent à l’inverse un charme et une douceur toutes féminines, mais sur leur Massif de Gyeryongsan, ils apportent la démonstration qu’une belle montagne ne peut qu’abriter un beau temple, ainsi que l’illustration des grandeurs et décadences de Gongju.
Éclats de la culture de Baekje À Gongju, sont visibles les traces d’une présence humaine qui remonte à l’époque du paléolithique, puis de celle des Trois Royaumes où elle fut capitale et connut un véritable âge d’or culturel au cours des soixante-trois années où se succédèrent leurs quatre souverains, pour enfin se convertir en un centre d’activités culturelles et administratives. Lors des inondations de 1964, l’effondrement d’une berge de l’agglomération de Seokjang-ri, en révélant des déblais d’origine Automne 2008 | Koreana 71
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préhistorique, allait déclencher des fouilles archéologiques qui se prolongeraient des dizaines d’années durant et jetteraient les bases de la recherche préhistorique coréenne, tout en attestant d’une ascendance paléolithique par la mise au jour de vestiges vieux de cinq cent mille à trente mille années, objets de la vie quotidienne et poteries témoignant d’une présence humaine à l’ère du prépaléolithique et du paléolithique moyen. De tels restes ont permis de découvrir que ces premiers hommes vivaient en groupes de huit à dix individus qui maıˆtrisaient le feu et, au sein du Musée de Seokjang-ri qui a été construit sur ce site, ils retracent ainsi les différentes étapes de la préhistoire coréenne. Tout aussi indissociables de la ville de Gongju, les monuments qui datent du royaume de Baekje permettent aujourd’hui encore de sentir souffler l’esprit de cette civilisation vieille d’un millénaire et demi car, de son centre historique à sa périphé72 Koreana | Automne 2008
rie, l’agglomération entière abonde en vestiges divers. À son arrivée dans cette ville, le visiteur se dirigera en premier lieu vers la forteresse de montagne dite de Gongsanseong, qui aurait abrité l’un des palais royaux de Baekje et où le roi Injo (r. 1623-1649), sous la dynastie Joseon, aurait trouvé refuge dix jours durant lors d’une insurrection. L’histoire dit que le souverain avait coutume de prendre appui sur les deux arbres qui s’y élevaient pour scruter l’horizon en direction de Séoul et c’est pour en évoquer le souvenir que fut construit le pavillon dénommé « Ssangsujeong », c’est-à-dire le pavillon des deux arbres jumeaux. L’ouvrage fortifié comprend quatre portes monumentales situées au sud-est et au nord-ouest et chacune de ses pierres s’imprègne encore de ce lointain passé, mais plus remarquable encore est l’épaisse et vaste forêt qui l’entoure en plein cœur de la ville pour le plus grand plaisir des habitants qui s’y adonnent à
l’escalade depuis leur plus tendre enfance. Érigée dans le but de repousser l’envahisseur étranger, cette enceinte abrite aujourd’hui un magnifique parc où la population recherche loisirs et délassement, tandis que les enfants, tout en marchant, s’y initient de visu à l’histoire de l’ancien royaume et de sa capitale, car l’histoire n’est pas tant un rapport discontinu au passé qu’un précieux apport spirituel et matériel susceptible d’enrichir le présent. Suite à la visite des lieux, il convient d’admirer le groupement de sept tombes antiques qui se trouve à Songsan-ri et que l’on considérait comme un spécimen des plus ordinaires de l’art funéraire de Baekje jusqu’à la mise au jour fortuite, lors de travaux de drainage effectués en 1971, de celle du roi Muryeong qui attestait ainsi de leur importance. Préservée de toute intrusion humaine jusqu’à son déblaiement, cette sépulture allait livrer un grand nombre de vestiges, parmi lesquels deux mille neuf cent six pièces ont été répertoriées en cent huit catégories différentes en comptant dix-sept de douze types qui ont par la suite été classées Trésors nationaux. Ces restes allaient aussitôt être transférés au Musée national de Gongju pour y prendre place dans un nouveau bâtiment aménagé à cet effet, en raison de leur importance et de leurs dimensions. Au vu des plaques commémoratives où figuraient les noms des personnages ensevelis, il s’avéra
1 Si l’édification de la forteresse de Gongsanseong répondait au besoin de défendre Gongju, la capitale de Baekje, d’éventuels envahisseurs étrangers, le pourtour de cet ouvrage vieux d’un millénaire et demi s’agrémente aujourd’hui d’un agréabale parc à la végétation dense.
2 Parmi les nombreuses tombes datant de l’époque des Trois Royaumes, celle du roi Muryeong se singularise par l’identification du souverain qui y repose, ainsi que par l’état intact de sa structure de brique décorée et de toutes les pièces qu’elle renferme.
3 La mise au jour de la tombe du roi Muryeong a livré d’innombrables
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trésors et objets constituant 2 906 pièces de cent huit types différents, dont dix-sept allaient être classées trésors nationaux.
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qu’il s’agissait du roi Muryeong et de son épouse gisant côte à côte, celui-ci, vingt-cinquième souverain du royaume (r. 501-523), s’étant illustré par ses réalisations dans le domaine de la protection sociale, de la consolidation du pouvoir royal et de l’accroissement de la présence nationale dans le monde.
Principaux attraits Outre le Musée national de Gongju et celui de Seokjang-ri, la ville compte nombre d’autres établissements aux vocations très colorées. Inauguré en 1997, le Musée de la Forêt de Chungcheongnamdo constitue un espace thématique entièrement consacré à la forêt, à travers un ensemble de salles d’exposition portant sur différents aspects historiques allant des bienfaits et usages divers de ce milieu naturel à son état de dégradation actuel et à ses perspectives d’avenir, tandis qu’à l’extérieur, une importante parcelle boisée propose activités ludiques, installations sportives et terrains de camping. Dans une vaste serre vitrée formant dôme, le visiteur pourra admirer plantes tropicales et subtropicales, tandis que le zoo abrite un ours noir de Mandchourie, des sangliers et oiseaux en tous genres, un arboretum et un jardin botanique fournissant par ailleurs de courts itinéraires de randonnée ou de promenade. Le Musée d’histoire naturelle de Gyeryongsan expose une importante collection de fossiles d’un niveau d’intérêt interna74 Koreana | Automne 2008
tional, tel celui du Brachiosaurus que l’on découvre à l’entrée et qui figure parmi les trois derniers spécimens subsistant aujourd’hui dans le monde. Cette espèce qui vécut sur Terre voilà cent quarante-cinq millions d’années est ici présentée dans une imposante posture et présente une longueur de vingt-cinq mètres sur une hauteur de seize, pour un poids atteignant quatre-vingts tonnes. On pourra en outre y observer un squelette de baleine bleue (Balaenoptera Musculus) qui fut découvert en Corée et sa longueur de trente mètres, ainsi que son poids de cent vingt tonnes, laissent penser qu’il pourrait s’agir du plus grand animal ayant existé au cours des 4,6 milliards d’années que compte l’histoire de notre planète. La visite s’achève sur des mammouths de Sibérie et la plus vieille momie de Corée. Le défunt Park Dong-jin (1916~2003), un illustre maıˆtre du « pansori » natif de Gongju, a inspiré la construction d’un centre de formation à cet art afin d’en léguer la maıˆtrise à de jeunes talents tout en commémorant le souvenir d’un artiste qui consacra envers et contre tout sa vie entière à ce chant et en proposant des cours d’initiation à celui-ci, ainsi que des spectacles et activités diverses à l’intention du grand public. Mention doit aussi être faite du Musée Woongjin de l’éducation et de sa collection de manuels scolaires allant de l’époque Joseon à nos jours, auxquels s’ajoutent romans antiques, archives et revues, tandis qu’espèces animales rares, insectes et fossiles du monde entier se trouvent au Musée d’histoire naturelle
Jidang. De même que la plupart des autres grandes villes de province, Gongju comprend des lieux qui commémorent les persécutions subies par les premiers catholiques et dans le cas présent, il s’agit de celui de Hwangsaebawui, où périrent deux cent quarante-huit martyrs dans les derniers temps de la dynastie Joseon. Après un recueillement en ces lieux de ferveur, le visiteur se rendra à la cathédrale Jungdong qui s’élève au cœur de la ville, un édifice à la beauté simple dont la construction s’inspira du style gothique médiéval et dont l’excellent état d’entretien suscite en tous la piété, qu’ils soient ou non de confession catholique. Réalisé de 1934 à 1936, il constitue ici l’un des rares bâtiments possédant une architecture contemporaine. Contrairement aux vestiges déjà évoqués, le champ de bataille d’Ugeumchi réveille le souvenir d’événements relativement récents puisqu’il s’agit des soulèvements paysans dits de Donghak que déclenchèrent les invasions impérialistes japonaises, en 1894, dans la province de Jeolla-do. Dirigé non seulement contre celles-ci, mais aussi à l’encontre des fonctionnaires spoliateurs de biens, ce mouvement allait rapidement s’étendre à Gongju, siège du Bureau d’inspection de la province de Chungcheong-do. C’est à l’entrée méridionale de la ville qu’allaient faire rage les combats entre bandes de paysans, forces alliées au Japon et armée régulière coréenne qui s’affrontèrent jour et nuit toute une semaine, les premiers payant le plus lourd tribut, puisque seul un millier d’entre eux survécut, le souvenir de ce sacrifice étant commémoré par le cénotaphe qui s’élève sur les lieux.
Centre régional Ancienne capitale de Baekje qui vit l’apogée de cette civilisation, Gongju occupe une place centrale dans le sud péninsulaire de par sa situation géographique et sa topographie, mais loin des gloires et splendeurs d’antan, elle connaıˆt aujourd’hui un essor assez
limité suite au transfert de la capitale de la province de Chungcheongnam-do à Daejeon, en 1932, qui la priva de son rôle de centre administratif. De ce fait, elle demeure fortement attachée à ses traditions ancestrales au détriment d’une croissance et d’un développement modernes, attirant nombre de visiteurs précisément en raison de cette richesse culturelle, ce qui ne peut que susciter une réflexion sur le sens de l’histoire. Le tourisme représentant aujourd’hui le secteur industriel qui possède la plus haute valeur ajoutée, Gongju se tient prête à relever le nouveau défi qui se pose à elle dans ce domaine en se fondant sur un patrimoine fait d’histoire de Baekje, de sites du Massif de Gyeryongsan et d’activités du Geumgang. Depuis le déplacement de la capitale provinciale, Gongju a su miser sur sa vocation éducative par la création, en 1938, d’une École normale qui attire les meilleurs éléments du pays, de sorte qu’un adage affirme qu’il faut « envoyer un étudiant à Gongju pour qu’il devienne un grand talent ». Si, dans ce secteur comme dans d’autres, il semble aujourd’hui difficile d’endiguer l’actuel mouvement de concentration des activités dans l’agglomération de Séoul, les plus brillants aspirants à la carrière professorale continuent d’accourir à Gongju pour y bénéficier d’une formation toujours aussi remarquable. Les citadins las du rythme trépidant de la vie moderne qu’ils mènent dans des villes au vacarme éprouvant et à la complexité déconcertante trouveront quant à eux une guérison à leurs maux dans cette ville où se sont superposées au cours du temps des strates successives de culture propres à différentes époques sur une terre ouverte, telle deux mains qui se joindraient en formant un creux pour recuillir de l’eau. Là, s’offrira le choix d’une randonnée au Massif du Gyeryongsan ou sur les berges du Geumgang, ou encore de la découverte de vestiges d’époques diverses qui lui permettront aisément de comprendre qu’aient pu y prospérer des cultures issues de sources variées, mais qui allaient s’y déverser comme autant de cours d’eau pour se mêler dans ces paisibles régions, tant il est vrai qu’encore aujourd’hui, la culture demeure un vecteur d’harmonie et d’unité au creux de ce vaste et agréable bassin où se côtoient tradition et modernité.
1 Le Musée national d’histoire de Gyeryongsan abrite notamment un squelette de Brachiosaurus.
2 Achevée en 1936, la cathédrale Jungdong de Gongju possède une magnifique architecture gothique dont elle constitue un rare spécimen dans la province coréenne.
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CUISINE
Les « pasanjeok », des brochettes au poireau Composées de viande ou poisson et légumes découpés dans le sens de la longueur et assaisonnés, les brochettes dites « sanjeok » se déclinent en plusieurs préparations selon les ingrédients employés, celle dite « pasanjeok », au bœuf et à la ciboule, figurant toujours en bonne place sur les tables de fête ou de banquet, outre qu’elle est très prisée en tant que collation ou amuse-bouche. Paik Jae-eun Professeur en sciences alimentaires et en nutrition de la Faculté de Bucheon
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ndispensables préparations des repas de fête, mariage et anniversaire, ainsi que des buffets des réceptions, les « sanjeok » comportent dans leur appellation le terme « jeok », qui désigne tout type de brochette constituée de viande, poisson, champignons ou autres légumes découpés à la longueur d’un doigt et assaisonnés et qui peut se compléter d’autres vocables en fonction de ses ingrédients, le bœuf entrant cependant toujours dans leur composition.
Des brochettes coréennes Comptant parmi les plus anciennes inventions culinaires, les grillades reposent sur le principe d’une cuisson directe réalisée sans le moindre ustensile et s’avérant de ce fait difficile en raison de la chaleur dégagée, ainsi que du manque d’uniformité de l’exposition au feu, d’où l’idée de réaliser cette opération après avoir placé les différents ingrédients sur une broche, qui a donné lieu à la recette actuelle du « jeok ». Hormis l’emploi de cet instrument, le mode opératoire ne diffère pas vraiment de celui d’une grillade, mais le mot « jeok » s’est imposé à propos de ce mets placé sur les tables d’offrande consacrées aux ancêtres ou servi dans d’autres grandes occasions. Dans les traités de cuisine anciens, le terme « jeok » désignait une préparation obtenue en faisant griller divers ingrédients préalablement embrochés. Des documents d’archives en décrivent ainsi la réalisation : « Découper la viande en morceaux de 6 à 9 cm de long, faire tremper ceux-ci dans un mélange d’huile et de pâte de soja. Saupoudrer ces morceaux de graines de sésame, les embrocher en disposant convenablement ceux des deux extrémités et faire griller sur un feu de charbon ». 76 Koreana | Automne 2008
Cette recette allait donner lieu à plusieurs variantes principalement composées des « nureumjeok » et « jijim nureumjeok », et plus particulièrement, à l’intérieur de cette première catégorie, des « pasanjeok » à la ciboule et au bœuf, « tteoksanjeok » à la viande et aux bâtonnets de pâte de riz, « songisanjeok » ajoutant à la viande des champignons de pin, ainsi que des « saseuljeok », qui allient la viande hachée à du poisson à chair blanche également découpé en bâtonnets. Dans la confection des « nurum -jeok », une première cuisson des ingrédients intervient avant leur positionnement sur les broches, tandis que celle des « jijim nureumjeok » suit un processus inverse, non sans avoir au préalable enrobé les ingrédients de farine et d’œuf. À l’instar des nombreux pays dont la gastronomie comporte des recettes de brochettes à la viande et aux légumes, tel le « satay » apprécié en Asie du sud-Est ou le « kebab » turc, les brochettes coréennes ravissent les convives des réceptions qui les tiennent tout simplement entre leurs doigts pour s’en régaler.
Les « Pasanjeok », faciles à préparer et d’une grande variété Figurant depuis toujours parmi les ingrédients de base de la cuisine orientale, la ciboule se caractérise par sa forte teneur en calcium, sel et vitamines, ainsi que par une saveur corsée qui procure une égale sensation de fraıˆcheur lorsqu’elle est consommée crue ou accommodée dans une préparation. Sa racine dotée de propriétés anti-bactériennes s’employait autrefois, aux côtés du gingembre, dans la confection de tisanes destinées à combattre les affections
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Brochettes confectionnées à l’aide de viande et ciboule, les « pasanjeok » font les délices des gourmets coréens en raison de leurs qualités aussi bien visuelles que gustatives, la variété jaune de cette plante leur conférant une saveur particulière et plus prononcée. Elles se consomment aussi à l’occasion de buffets, où elles équivalent aux aliments en bâtonnet existant dans les pays occidentaux, c’est-à-dire à des amuse-bouche que l’on saisit entre ses doigts.
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« Pasanjeok » Ingrédients 100 g de ciboule, 200 g de viande (faux-filet). Assaisonnement de la viande (deux cuillerées à soupe de sauce de soja, une cuillerée à soupe de sucre, quatre cuillerées à café de poireau émincé, deux petites cuillerées à café d’ail émincé, deux cuillerées à café de graines de sésame pilées, deux cuillerées à café d’huile de sésame, un peu de poivre)
Préparation 1 Nettoyer et couper la ciboule ou la ciboulette en morceaux de 5 cm de long. 2 Dans la partie la plus tendre et maigre de la viande, découper des tranches de 0,7 cm d’épaisseur et les entailler, puis les diviser en lamelles de 6 cm de long sur 1,2 cm de large que l’on assaisonnera uniformément. 3 Embrocher en alternance morceaux de viande et ciboule, en commençant et finissant par la viande, afin que celle-ci maintienne le tout en place lorsqu’on fera griller, après avoir laissé mariner une ou deux heures dans l’assaisonnement.
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4 Chauffer le grill ou la poêle à frire, huiler légèrement, puis faire griller des deux côtés.
grippales, mais elle possède, de même que sa tige, des vertus diurétiques et vermifuges. Comme son nom l’indique, la « ciboule des fossés » présente la particularité de pousser au fond de ces tranchées durant la saison froide, mais est également connue sous le nom de « ciboule jaune ». Associée à la viande de bœuf, cette plante poussant en abondance dans le pays entre dans la composition des « pasanjeok », dont sont très friands les Coréens parce qu’elles font les délices des yeux autant que des palais, que la variété jaune flatte particulièrement par son goût original et plus corsé. À ces deux principales composantes, les « pasanjeok » marient divers ingrédients apportant autant de touches de couleur et saveurs nouvelles, notamment dans le « tteoksanjeok » qui fait alterner à la broche viande, bâtonnets de pâte de riz et ciboule. La consistance croustillante de cette dernière y fait délicieusement pendant à celle, ferme, des « tteok » pour le plus grand plaisir des enfants qui les croquent à leur goûter. Quant aux « songisanjeok », elles s’agrémentent de ces champignons de pin automnaux d’un goût et d’un parfum si particuliers qu’ils sont extrêmement recherchés quand vient cette saison, d’où la difficulté de
s’en procurer en quantité suffisante, qui en fait un ingrédient d’autant plus précieux. La consommation de ce végétal a pour effet de réduire la présence de cholestérol dans le sang, de prévenir l’hypertension et les maladies cardiaques, ainsi que de stimuler et renforcer les facultés intellectuelles, d’où son emploi fréquent dans des préparations toniques, outre qu’ils renferment des substances anti-cancérigènes , comme l’ont démontré voilà peu certaines études. Dans la présente recette, on pourra toutefois leur substituer champignons shiitake ou agarics. Durant sa préparation, on veillera avant tout à la cuisson adéquate des aliments, en s’abstenant aussi d’abuser d’assaisonnement afin que la saveur résultante permette d’apprécier les ingrédients à l’état le plus naturel possible, comme le veut la recette authentique. D’une confection simple, ce plat se prêtera à une consommation aussi facile qu’agréable, puisqu’il suffit d’en détacher les ingrédients embrochés. À l’heure où la consommation de viande, par sa forte progression, suscite des inquiétudes sur l’éventualité de maladies chez les adultes, les « sanjeok » ont toujours plus la faveur du public qui y voit un plat traditionnel sain alliant viande et légumes de manière naturelle et dans des proportions équilibrées. Automne 2008 | Koreana 79
REGARD EXTÉRIEUR
Confidences, impressions coréennes, images et contrastes Modernisme, globalisation, internet et technologies de l’information n’ont pas fait disparaıˆtre le culte aux Anciens, la déférence familiale aux plus âgés, le sens de la famille... De ces contrastes naissent des forces que l’on ne perçoit pas tout de suite, la force du rêve et cette capacité coréenne à projeter une vision, un idéal, jusqu’à l’horizon, et ensuite de tout faire pour réaliser le rêve. Alain Nass Attache de Defense aupres de l'Ambassade de France
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enu à la Corée sur le tard et par obligation professionnelle, il y a un peu plus de 10 ans, ces lignes me donnent l’opportunité précieuse de prendre un peu de recul sur cette expérience unique, devenue la formidable chance d’une nouvelle vie, d’une ouverture à un autre monde. Et c’est un enrichissement dont on ne veut plus se séparer. Même si, comme le disait un Professeur aux Langues Orientales, « Vous n’aurez jamais assez d’une vie pour connaıˆtre et comprendre la Corée ». Mais le premier contact, en 1996, fut rude, un choc par bien des aspects, culturel, relationnel, esthétique, qui s’explique avant tout par la méconnaissance de cet autre monde, par le manque de maıˆtrise suffisante des indispensables clés (la langue d’abord, la connaissance de l’histoire, etc), et par une approche trop cartésienne, trop raisonnée, trop comparative de notre monde occidental. Car au premier contact, ce qui trompe et désoriente, c’est Séoul, cette capitale moderne et trépidante où vivent et se croisent quelques 20 millions d’habitants d’une conurbation qui continue à s’étendre, et d’ailleurs à s’étendre vers le Nord, ce qui invite à s’interroger quant au sentiment de risque. Lors de ce premier contact, immergé dans la Ville, la remise en question de notre vécu antérieur et des certitudes ne paraıˆt pas, de prime abord, nécessaire pour aborder et comprendre un environnement qui paraıˆt somme toute proche de ce que l’on connaıˆt par ailleurs. La Ville attire, elle est lumineuse, clinquante, bruyante, toujours active, trépidante, parcourue de foules jeunes, d’employés de bureau pressés. Elle est le symbole du matérialisme ambiant. Et c’est d’abord cette expérience-là que l’on veut faire, la Ville et 80 Koreana | Automne 2008
ses opportunités. Mais la Ville étouffe aussi, sature les sens, déclenche la quête d’autre chose de plus authentique, une trace d’un passé millénaire. Elle déclenche un besoin de pause, de calme, de verdure. Mais où sont donc les vieilles maisons traditionnelles ? On cherche et on trouve, des Anciens qui jouent au Baduk sous les frondaisons du parc Tapgol , une vieille dame qui étale les piments à sécher dans la ruelle d’un quartier en pente au nord de Namsan , un marché aux épices près de Cheongnyangni , et des gens qui, dans ces ruelles, vous proposent de partager leur repas, vous offrent du gâteau de riz. Il y a donc, au cœur de la Ville, des havres de paix où la Corée millénaire se dévoile au novice, mon préféré étant, en toutes saisons, Changdeokgung et son jardin Biwon , que l’on apprécie après s’être laissé distancer par le guide et son groupe de touristes pressés. Et il y a encore mieux, voir la Ville d’en haut, depuis la montagne Bukhansan qui, telle la proue d’un grand navire, fend de son étrave l’urbanisation et ses vagues qui remontent loin vers le Nord le long de ses flancs. Comme si la montagne voulait atteindre les méandres du Han qui coupent majestueusement la perspective vers le Sud. C’est peut-être aussi au creux de cette montagne préservée que s’ouvre une nouvelle étape de la réflexion, de cette quête de compréhension qui peut ensuite ne plus vous quitter. La montagne coréenne vous dévoile des temples nichés dans des sites d’une exceptionnelle beauté, et vous donne l’occasion de nouvelles rencontres, de partage et d’échange avec les occupants des lieux, avec les visiteurs.
Avec déjà un premier enseignement, la Corée ne s’approche pas par la raison, mais avec le cœur, les sens et l’émotion. Et peut-être aussi un deuxième, la Corée se mérite, se dévoile peu à peu, au gré des efforts que l’on veut faire pour la découvrir, pour aller au-delà des façades de la Ville et des comportements urbains, au-delà des relations mondaines. Mais qu’y a-t-il donc au-delà ? On se prend alors à vouloir soi-même, à avoir besoin d’équilibrer ce quotidien urbain trépidant, agressif par bien des aspects, et à rechercher son contraste apaisant dès que possible, la montagne, un spectacle de Pansori , de danse et de chant traditionnel qui séduit par la beauté du vêtement, par la grâce de gestes contenus et maıˆtrisés, qui envoûte par le son des instruments et des percussions, à vouloir une pause autour d’une tasse de thé
dans une maison traditionnelle. Car c’est aussi la Ville qui en premier nous confronte au quotidien à ces contrastes qui interpellent : à la fois le matérialisme assumé des comportements et la spiritualité des pratiques ancestrales. En même temps la Ville et ses contraintes, ses pollutions, et l’esthétique d’un lieu, d’un visage, d’une situation, d’un spectacle. Comment peut-on concilier ce matérialisme qui pousse au calcul et à la prudence, avec l’idéalisme jusqu’à l’extrême des engagements et des convictions ? Car le combat et le sacrifice pour la juste cause restent une réalité coréenne, honorable, honorée, qui éclaire particulièrement mon métier, militaire, et la façon de le faire et de le vivre en Corée. Modernisme, globalisation, internet et technologies de l’information n’ont pas fait disparaıˆtre le culte aux Anciens, la déférence familiale aux plus âgés, le sens de la famille, et le respect absolu dû à ceux qui se sont sacrifiés pour le pays. Et ce respect s’applique à ces jeunes Français venus combattre en Corée de 1950 à 1953, dans une guerre qui, ici, n’a toujours pas sa conclusion1). Ceux de nos Anciens qui ont pu revenir en Corée ne pourront jamais oublier le formidable accueil qui leur a toujours été réservé, ni les signes tangibles, durables, de cette sincère reconnaissance des sacrifices qu’ils consentirent ici. Ils gardent, gravée, l’émotion des retrouvailles avec leurs camarades de combat coréens. Cette reconnaissance est imprimée dans le marbre et les bronzes 2) des monuments dédiés à la participation française à la guerre de Corée et à ses héros, honorés ici, parfois méconnus dans leur propre pays. Elle s’affiche au travers d’une association coréenne 3) qui a vocation à faire vivre cette histoire bilatérale un temps oubliée, et à la transmettre aux jeunes générations. De ces contrastes naissent des forces que l’on ne perçoit pas tout de suite, la force de la femme coréenne qui, derrière une apparence fragile, menue, effacée, est le liant social millénaire le plus fort. Mais aussi la force du rêve et cette capacité coréenne à projeter une vision, un idéal, jusqu’à l’horizon, et ensuite de tout faire pour réaliser le rêve, et y parvenir. N’avons-nous pas, toujours, besoin de rêve ?
1 L'armistice signé en 1953 est toujours en vigueur, un traité de paix entre les belligérants reste à conclure. 2 Statue en bronze et monument prés de Hongcheon dédiés au médecin militaire Jules Jean-Louis, mort en secourant des Coréens blessés dans un champ de mines. Monuments dédiés au général Monclar et au Capitaine Goupil, premier commandant de la Compagnie coréenne du Bataillon Français, tué lors des combats de Crèvecoeur. 3 Association pour la mémoire de la participation des Forces Françaises de l'ONU à la guerre de Corée, créée en 2007, dont le président d'honneur est le général Paik Sun-yup, ancien ambassadeur en France. Automne 2008 | Koreana 81
VIE QUOTIDIENNE
Le VTT et le BMX à la pointe du cyclisme coréen Apparu dans la deuxième moitié des années quatre-vingts, le vélo tout terrain s’est bien implanté dans la pratique du cyclisme en Corée en tant qu’équipement de loisirs, vélos de route et minivélos connaissant aussi un grand succès qui atteste d’une diversification des goûts des utilisateurs et des applications de ce moyen de transport. Han Dong-Ok Rédacteur en chef du mensuel Bicyclelife
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ussi paradoxal cela puisse paraıˆtre, c’est dans les pays d’un niveau de développement élevé ou très faible que l’usage de la bicyclette est le plus répandu, soit qu’elle représente, dans ces derniers, un indispensable moyen de déplacement pour pallier l’insuffisance des transports en commun ou en automobile, soit, chez les premiers, qu’elle réponde à des préoccupations liées à l’environnement et la circulation urbaine, ou encore à une envie de loisirs, ce même équipement pouvant donc satisfaire des besoins très différents. Après y avoir essentiellement vu un moyen de transport pratique et bon marché, les Coréens, sous l’effet de la hausse du pouvoir d’achat provoquée par le développement des années quatre-vingts, allaient en faire leur accessoire de loisir favori en réservant la voiture à leurs autres trajets.
La bicyclette dans la vie quotidienne La décennie suivante marquera une montée en puissance de cet équipement dans les activités sportives et de loisirs qui se pratiquent souvent dans le cadre de clubs gérés par des magasins spécialisés ou des sites informatiques et, dans ses dernières années, ceux-ci connaıˆtront une importante expansion liée à celle du réseau de communication mondial. À l’aube du nouveau millénaire, le deux-roues poursuivra sa marche en avant et selon les données fournies par le Bureau des douanes, le marché correspondant passera d’un million à un million trois cent mille bicyclettes entre 2002 et 2007, soit un doublement de sa taille en cinq ans. En parallèle, le nombre d’usagers employant cet équipement dans le domaine des loisirs enregistrera une progression que ne fera qu’accentuer la tendance aux économies d’énergie engendrée par l’actuelle envolée 82 Koreana | Automne 2008
des prix du pétrole, autant d’évolutions dont bénéficieront tous les secteurs d’activité concernés, comme en attesteront les performances des valeurs mobilières de ces entreprises, mais aussi la multiplication des manifestations sportives, la commercialisation croissante de bicyclettes et leur entrée dans la vie quotidienne. Celle-ci résulte aussi, dans une large mesure, du parti-pris favorable adopté dans ce domaine par l’État et les collectivités locales, conscients de ce que les artères urbaines avaient jusqu’alors été conçues et aménagées pour l’automobile, au détriment de la circulation en toute sécurité des piétons et cyclistes, passerelles et passages souterrains construits à leur intersection rendant surtout celle-ci difficile pour les seconds, contraints de se faufiler dangereusement entre voies automobiles et trottoirs étroits. Animés de la ferme volonté d’apporter des solutions institutionnelles aux problèmes énergétiques et environnementaux, les pouvoirs publics allaient mettre en œuvre une politique dynamique en faveur du deux-roues, notamment par l’adoption d’une législation imposant la création de voies vertes dans les villes nouvelles et par la réalisation de véloroutes dans les parcs ou sur les berges de cours d’eau tels que le Hangang, ainsi que, voilà peu, de parcs de stationnement à télécommande. Ces dispositifs et avantages allaient inciter nombre de Coréens à délaisser les autres moyens de transport à la faveur de bicyclettes, des centres de prêt mettant celles-ci à leur disposition à tout moment, comme dans l’arrondissement de Songpa-gu.
Au paradis du VTT Si le deux-roues affirme aujourd’hui sa présence dans le domaine des loisirs, c’est grâce à l’arrivée, dans les années qua-
© Choi Jun-keun
Le relief montagneux de la Corée se prête parfaitement à la pratique du VTT, comme pour cette descente sur pente abrupte.
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tre-vingts, du VTT, dont la pratique allait par la suite progresser rapidement sous l’impulsion de clubs qui ont su le faire apprécier par de nombreux Coréens. Sur un territoire qui se caractérise à soixante-dix pour cent par une topographie montagneuse, le cross-country s’avère particulièrement bien adapté puisqu’il a pour principe d’effectuer des parcours sur des terrains accidentés, ce qui fait de lui la plus prisée de toutes les disciplines pratiquées au moyen de ce cycle, comme en témoignent les nombreux amateurs qui s’y adonnent chaque week-end sur les hauteurs les plus proches ou sur les versants plus escarpés de la province de Gangwondo où ils franchissent aussi des distances plus importantes. Parmi les autres usages du VTT, figure également la descente à grande vitesse de déclivités très abruptes, une activité qui a tardé à se développer du fait qu’elle oblige celui qui la pratique à escalader celles-ci jusqu’à leur sommet tout en transportant un engin particulièrement coûteux par ses dispositifs de sécurité, mais qui convient parfaitement au caractère extraverti d’un peuple avide de défis et d’action. Aujourd’hui, la descente à VTT remporte un succès grandissant qui s’explique notamment par un facteur exogène, à savoir l’essor du marché du cycle en Corée sous l’effet conjugué du recours croissant aux transactions en ligne, lesquelles permettent de passer directement commande de cet équipement auprès de grandes entreprises spécialisées, et d’importations accrues qui maintiennent les prix à un niveau raisonnable, tout en attirant nombre d’amateurs rêvant de posséder un article employé par les professionnels dans les championnats internationaux. Ces derniers temps, on assiste en outre à la multiplication de clubs spécialisés qui aménagent parcours adaptés et parkings pour deux-roues dans des stations de ski fermées durant la saison creuse, quand ils n’organisent pas leurs propres compétitions, toutes ces activités suscitant enthousiasme et dynamisme chez leurs amateurs.
Tel est le cas de Jeffrey, ce professeur d’anglais de 29 ans enseignant depuis deux ans à Séoul après être venu pratiquer le VTT en Corée, dont il a jugé sans la moindre hésitation qu’elle présentait les caractéristiques topographiques les plus adaptées à ce sport par comparaison aux autres pays qu’il avait envisagés lors de sa recherche d’emploi. « La Corée remplit absolument les conditions requises et a donc tout d’un paradis du VTT. Elle fait partie des plus grandes villes du monde, mais les montagnes qui l’entourent sont facilement accessibles, sans autre moyen de transport, ce qui représente un important avantage dans la mesure où l’on peut partir en randonnée en sortant de son travail et sans la moindre préparation ! », déclare-t-il. Quand s’achève la semaine, Jeffrey part à l’assaut de ces hauteurs en compagnie des autres adhérents de son club coréen. « On a bien du mal à parvenir au sommet en circulant en voiture sur des pistes aussi étroites qu’irrégulières, mais le stress disparaıˆt complètement quand je redescends à VTT », s’extasie-t-il. En Corée, ce vélo tout terrain règne en maıˆtre sur toutes les manifestations cyclistes, qui sont au nombre d’une vingtaine par an et dont la plus prestigieuse, mais aussi la plus appréciée, est sans conteste le Championnat national de VTT que parraine la société Samchuly Bicycle Co., Ltd dans la troisième semaine du mois de mai. Par ordre d’envergure, vient ensuite le Challenge de Gangchon qui attire chaque été près de deux mille participants dans le parc de loisirs du même nom, ainsi que les épreuves d’escalade qu’organisent la province de Gangwon-do et la province autonome spéciale de Jeju en vue cette fois-ci non de la descente, mais d’une ascension à grande vitesse sur un parcours long de plus de vingt kilomètres et qui, malgré leur caractère assez ardu, rassemblent chaque année nombre de participants accourus sur les lieux pour partager l’ivresse du défi et de la réussite.
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Le BMX, des sensations extrêmes Au VTT, une discipline de montagne qui exige une grande maıˆtrise de soi, fait pendant le BMX, un sport de l’extrême qui se pratique exclusivement en milieu urbain, dans les rues ou les jardins publics. Le terme BMX désigne une bicyclette capable d’atteindre la vitesse d’une moto tout en procurant la même impression de liberté que les patins à roues alignées et qui présente en outre la particularité d’une plus grande légèreté et d’un plus faible encombrement que les bicyclettes classiques. Pourvu de roues larges et robustes aux dimensions hors tout de vingt pouces, il se distingue aussi de celles-ci par ses pièces renforcées qui lui permettent de résister à des chocs plus forts, ainsi que par son guidon décrivant une rotation maximale de 360° pour autoriser sauts et brusques changements de direction qui lui valent le nom de « vélo acrobatique » sous lequel il est aussi connu. Il a la faveur des jeunes usagers qui, tout en escaladant des reliefs pentus, souhaitent exécuter des évolutions spectaculaires qui leur procurent une satisfaction personnelle donnant un exutoire à leurs émotions et à leur goût du défi, alors que le sport de loisir qu’est
dynamiques pour promouvoir les ventes de cet équipement. Si l’apparition de nouveaux sports de l’extrême allait raréfier ses fidèles usagers, ceux-ci ne continuent pas moins d’en porter le flambeau grâce aux performances accomplies par certains sportifs de haut niveau, plusieurs clubs poursuivant leurs activités tandis que des magasins se consacrent exclusivement à la commercialisation de ce véhicule.
Renouveau du vélo de route et irruption du minivélo
Type le plus important du cycle, le vélo de route est le plus utilisé dans le monde à des fins sportives, car ses roues peu épaisses, mais d’un fort diamètre, alliées à un guidon recourbé vers le bas, lui permettent d’assurer une importante accélération. D’un emploi très répandu par ailleurs, il n’attire que de rares usagers coréens, à l’exception des cyclistes professionnels, le VTT étant beaucoup plus présent sur route en raison du mauvais état de la chaussée, outre qu’il a la faveur du public. De ce fait, la plupart des compétitions de vélo de route s’adressaient jusqu’alors aux seuls professionnels et excluaient toute participation à leurs épreuves des rares adhérents aux clubs se consacrant à cette discipline. Avec le temps, l’évolution des mentalités et l’aménagement de nouvelles installations allaient Dès son introduction, le VTT s’est rapidement intégré aux activités de loisirs avoir pour effet d’accroıˆtre la dans un pays dont les conditions idéales représentent un véritable paradis pour fréquentation de ces derniers, ce sport, puisque la métropole séoulite est cernée de hauteurs dont l’altitude et un championnat étant même la topographie variées facilitent l’accès à leurs pentes par une population active organisé en 2005 à l’intention qui apprécie de pouvoir s’adonner aux joies de ce sport dès la sortie de leurs amateurs. Dénomde son travail, sans avoir à s’éloigner du centre-ville. m é e « To u r d e K o re a » , l a manifestation la plus importante que compte la Corée dans ce domaine, allait aussi le VTT offre l’avantage de favoriser le développement musculaire appeler à la participation d’amateurs à compter de son édition et du système cardio-vasculaire. 2007 et un an plus tard, en s’alliant à son équivalent japonais, se La pratique du BMX peut relever de la catégorie de la course voir rebaptisée « Tour de Korea-Japan ». ou du style libre, c’est-à-dire, en anglais, « race » ou « freestyle ». Très prisé du public depuis son apparition révolutionnaire en La première consiste à établir un record de vitesse sur une piste 2003, le minivélo se caractérise par un diamètre de roue inférieur extrêmement bosselée, tandis que la seconde comprend les deux à vingt pouces et une conception d’ensemble mieux adaptée aux sous-disciplines dites « vert » et « street », lesquelles reposent besoins quotidiens que celles du VTT et du vélo de route. Outre sur l’exécution de différentes figures appelées « tricks » qui se le faible encombrement de ses roues, il présente l’avantage d’un déroulent respectivement sur les saillies du sol compris dans un châssis pliable qui permet de l’emporter sans difficulté, notamtronçon de chemin donné, notamment en allant et venant sur des ment dans les moyens de transport en commun, alors nombreux sections cylindriques en demi-cercle, et sur le mobilier urbain, en sont ceux qui l’emploient sur des distances limitées pour se renempruntant plans inclinés, murs, rampes et murets d’escaliers dre à leur travail ou à l’école. Enfin, par-delà son caractère stricou toute autre installation non prévue à cet effet. tement fonctionnel, la large gamme de modèles dans laquelle il En Corée, ce sport a été lancé à la fin des années quatrese décline en fait aussi un accessoire de mode. vingts par une jeunesse à l’esprit intrépide qui subissait l’influenIndispensable équipement de la vie moderne, la bicylette fait ce de modes étrangères pour faire toujours plus d’adeptes dès désormais partie intégrante du quotidien et des loisirs coréens, le début de la décennie suivante en rassemblant d’authentiques faisant toujours plus d’adeptes et inspirant des mesures gouveramateurs sur le parvis de l’ıˆle de Yeouido, et inciter de ce fait les nementales susceptibles de la faire toujours plus apprécier de la population. constructeurs à mettre sur pied des équipes de commerciaux 86 Koreana | Automne 2008
Aperçu de la littérature coréenne
© Park Jae-hong
Kim Aeran
Appartenant à une nouvelle génération de romanciers, Kim Aeran obtient en 2005 le trente-huitième prix littéraire du quotidien Hankook Ilbo, alors qu’elle a vingt-cinq ans et n’a jamais publié d’autres œuvres par le passé, devenant ainsi la plus jeune lauréate dans l’histoire de cette distinction dont la remise fera couler beaucoup d’encre, d’autant que nombre d’éminents auteurs avaient été pressentis. Par ses récits brillamment inventifs qui tiennent le lecteur en haleine et soulèvent de subtiles problématiques, son écriture s’avère ainsi tout à fait représentative des évolutions qui s’opèrent dans la littérature coréennne.
CRITIQUE
Un imaginaire plaisant pour maîtriser le psychotraumatisme Kim Dong Shik Critique littéraire et professeur de langue et littérature coréennes à l’Université Inha
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ette année-là, une jeune femme de vingt-cinq ans allait se voir décerner l’un des plus prestigieux prix coréens par le quotidien Hankook Ilbo après avoir fait ses débuts d’écrivain moins de deux ans auparavant et ce choix allait provoquer bien des remous dans les milieux littéraires en raison du peu de précédents existant pour une première publication. Cette lauréate se nommait Kim Aeran et l’édition de son œuvre intitulée « Cours, papa ! » allait être saluée avec un réel enthousiasme par nombre de lecteurs avertis, ainsi que dans la critique. Si cet accueil chaleureux peut s’expliquer par plusieurs facteurs, le principal tient certainement au sens de l’observation remarquable dont l’auteur fait preuve avec originalité dans le traitement de la thématique des relations familiales qui domine la littérature coréenne.
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Longtemps, celle-ci s’est vu caractériser par des mots tels que blessures, peines et souffrance liés à une histoire nationale successivement marquée, dans la première moitié du vingtième siècle, par l’occupation japonaise, une guerre de trois années et la division du territoire qui en a résulté, suivies, au cours de la seconde, d’une modernisation et d’une démocratisation réalisées au prix de meurtrissures tant physiques que morales subies par nombre de Coréens, voire de leur vie même. Ces sentiments d’affliction et de douleur n’étaient donc que le reflet d’une histoire contemporaine qui allait imprimer sa marque à une production littéraire alors axée sur la vie de famille. Dans le tableau qui en est brossé, le personnage du père souvent occupe une position centrale, sous les traits d’un être à la double personnalité qui subit la violence de la so-
ciété en même temps qu’il en perpètre une autre dans sa famille et entretient la plupart du temps des relations conflictuelles avec ses enfants, compréhension et réconciliation ne s’instaurant que quand la mort approche. Dans un tel contexte, quel regard l’auteur porte-t-il sur ce parent ? Au sein du recueil intitulé « Cours, papa ! », la nouvelle « Salut d’amour » narre les retrouvailles d’un homme et de son père qui s’aperçoivent à travers les parois de verre d’un aquarium, plus de dix ans après l’abandon du second par le premier, en s’interrogeant sur les pensées qui assaillent l’enfant tandis qu’il attend comme convenu le retour paternel. Cette situation relève d’un cas type de traumatisme psychique dans lequel le sujet, tout en se sachant abandonné, se persuade qu’il s’agit d’une simple disparition, alors lorsqu’il arrive au centre d’accueil qui le prend en charge, la première phrase qu’il prononce est : « Je pense que mon père s’est perdu ». La scène traduit une volonté d’éviter tout traumatisme lié à la figure paternelle, mais aussi éventuellement, de ne pas se consumer de rancœur toute sa vie durant, car ce sentiment ne peut effacer les souffrances infligées par la vie, mais procède d’un désir de vengeance exercé en imagination pour trouver l’apaisement. Or, les œuvres de Kim Aeran ont pour protagonistes des êtres qui ne se laissent pas gouverner par les peines et rancunes éprouvées à l’endroit de leur père et échappent ainsi à une assimilation au concept du roman familial, quoi- qu’elles en empruntent la forme. « Cours, papa ! » relate l’histoire d’une jeune fille réduite à imaginer le père qu’elle n’a jamais connu. Dans un quartier pauvre de la capitale, le jeune provincial accueille dans son logement une jeune fille qui vient de quitter le domicile familial sans aucun but précis, à la suite d’une vive dispute avec son père. Après plusieurs jours de conflit, elle finit par céder à son compagnon à la condition expresse qu’il se procure sur le champ un moyen de contraception, et l’homme de prendre aussitôt
ses jambes à son cou, de même qu’il s’enfuit à l’annonce de la grossesse, le teint exsangue, pour ne jamais plus revenir, alors c’est toujours courant que l’imagine plus tard sa fille naturelle. Si la structure de l’intrigue est évocatrice du roman familial dans la mesure où elle se fonde sur l’idée du déni parental dont s’accompagne la fin de l’enfance et qui débouche sur l’idéalisation des parents en monarques ou aristocrates par un processus de compensation imaginaire créant l’illusion d’une vengeance ou dans le cadre d’un psychodrame visant à l’autocommisération. Ce concept repose avant tout sur l’idée que les parents sont à l’origine du psychotraumatisme et fournit alors un moyen de défense et de consolation en se servant de l’imaginaire pour détourner les facteurs de souffrance morale. La présente œuvre possède la particularité de ne recourir qu’en partie à une telle trame à l’aide du procédé caractéristique de représentation imaginaire du père biologique par la jeune fille, à l’exclusion de tout autre élément, notamment cette illusion de vengeance dictée par l’autocommisération. Elle se borne à narrer l’existence de cette enfant naturelle dont la naissance même pouvait être génératrice de traumatisme, sans laisser au père fugitif la possibilité de blesser la psyché, car il ne constitue qu’une moitié d’une origine biologique inexistante au départ, ainsi qu’un inconscient habitant un monde inconnu. Plus qu’une origine biologique autorisant l’être, il s’apparente à un symptôme engendré par l’inconscient refoulé. La figure paternelle s’affirme ici du début à la fin, de même que le Moi qui en proclame l’existence, dans une double assertion traduisant une aimable volonté de prévenir la douleur morale, mais aussi la domination du Surmoi. Cet original travail d’imagination par lequel le père, pourtant auteur des blessures, peut continuer de planer dans les hauteurs, représente une nouveauté littéraire coréenne propre à l’écriture de Kim Aeran, qui tout en déstructurant la trame romanesque classique, semble en retenir l’expression.
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