Koreana Winter 2008 (French)

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Arts

et

Culture

de

C o r Ée

Vo l . 9, N° 4 H iver 2008

Vol. 9, N° 4 Hiver 2008

Le kimchi ISSN 1225-9101




BEAUTÉS DE CORÉE

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La pierre à encre ou « byeoru » A

u temps jadis, les quatre trésors des travaux d’écriture se composaient du papier, du pinceau, de l’encre de Chine et de la pierre à encre dite « byeoru », laquelle permettait d’obtenir ce liquide en y frottant un bâton d’encre humecté d’eau. Doublement apprécié des lettrés aux fins de cette préparation indispensable à la rédaction de leurs oeuvres poétiques, peintes et calligraphiques dénommées « siseohwa » ainsi que pour sa beauté, cet article était d’un emploi très courant dans leur vie quotidienne. Comprenant deux parties, le « yeondang » et le « yeonji », respectivement destinées à recevoir le bâton d’encre et à recueillir le liquide ainsi produit, le « byeoru » possédait une forme ronde ou rectangulaire, lorsqu’il ne représentait pas une tortue, une fleur de lotus ou quelque autre symbole de bon augure appartenant au règne naturel et consistant le plus souvent en un motif de dragon, grue, tortue, phénix, poisson, raisin, abricot, orchidée, chrysanthème ou bambou auquel pouvaient se substituer divers idéogrammes chinois et qui figurait également sur le capot ou couvercle dont se munissait parfois cet accessoire.

Créé la plupart du temps à partir d’une roche, il pouvait aussi mettre en œuvre jade, céramique, magnétite ou fer, mais dans le premier cas, la pierre naturelle devait présenter une surface uniforme et susceptible de permettre l’accumulation d’encre afin de retenir celle-ci dans le « yeonji » pendant plus de dix jours. En Corée, celles qui sont extraites près de Nampo, dans la province de Chungcheongnam-do, furent longtemps les plus prisées pour sa fabrication et en raison de leur qualité, le renom des « byeoru » de cette origine s’étendit jusqu’en Chine et au Japon au cours de la dynastie Joseon (1392-1910), où ils demeurent aujourd’hui encore célèbres. Sur le spécimen de forme arrondie figurant ci-dessus, « yeondang » et « yeonji » sont ceints d’un motif de raisins et feuilles de vigne qui symbolisait souvent la riche érudition, à l’image de ces abondantes grappes, à laquelle aspiraient les lettrés d’alors. Ces fruits et leur feuillage y sont représentés avec raffinement et minutie du détail dans ce chef-d’oeuvre qui se distingue aussi par le remarquable poli de surface de la roche naturelle.


Arts et Culture de Corée

Vol.9, N° 4 Hiver 2008

Spécialité culinaire d’origine ancienne, le kimchi est, dans le monde entier, tout aussi emblématique de la Corée sur le plan gastronomique que sur celui de sa culture au sens large, puisque dans la plupart des foyers, un repas ne saurait se concevoir sans lui, mais il s’avère également doté de vertus pour la santé qui en font l’un des aliments les plus sains au monde, le site internet www.kimchi.or.kr abondant en informations sur ces divers aspects.

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Le kimchi 8

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Origines et histoire du kimchi coréen Jo Jae-sun

12 Les bienfaits du kimchi Park Kun Young

16 Diversité régionale du kimchi

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Han Bokryeo

26 Le kimchi en partage avec le monde Nam Sang-won

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Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sud www.kf.or.kr

DOSSIER

Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie 2008 : des olympiades philosophiques à Séoul | Lee Myung-hyun 38

« Je suis mon devenir » 44

ÉITEUR Yim Sung-joon DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Hahn Young-hee REDACTRICE EN CHEF Park Jeong-yeop PHOTO DIRECTEUR Kwon Tae-kyun DIRECTEUR ARTISTIQUE Kim Ji-yeon DESIGNER Han Su-hee RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Heo Jae-hoon, Yi Jun-sung COMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek, Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim Youngna

ENTRETIEN Le poète Ko Un | Choi Jae-bong

ARTISAN Yoo Young-ki

Un maıˆtre artisan cherchant à concilier force et souplesse de l’arc et de la flèche | Park Hyun Sook 50

CHEFS-D’ŒUVRE

D’élégantes figurines en terre cuite dans l’esprit de l’époque Silla Song Yi-chung

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CHRONIQUE ARTISTIQUE

Exposition Magnum Corée : La Corée et les Coréens vus par Magnum Sohn Young-sil

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| Lee Soo Jin

SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Sung Shi-yeon

Une modeste mais énergique présence sur scène 68 76

| Anna S. Roh

ESCAPADE Jeongseon

Des montagnes et rivières à la beauté immuable

| Lee Yong-han

CUISINE

Le « yaksik » : un dessert au riz doté de vertus médicinales 80

IMPRIMÉ AU HIVER 2008 PAR Samsung Moonwha Printing Co. 274-34, Seongsu-dong 2-ga, Seongdong-gu, Séoul, Corée du Sud Tél : 82-2-468-0361/5 Fax : 82-2-461-6798

| Paik Jae-eun

| Laure Coudret Laut

VIE QUOTIDIENNE

Des commandes promptement livrées 87

CONCEPTION ET MISE EN PAGE Kim’s Communication Associates 398-1 Seogyo-dong, Mapo-gu, Séoul, Corée du Sud Tél : 82-2-335-4741 Fax : 82-2-335-4743 www.gegd.co.kr

REGARD EXTÉRIEUR

Premières impressions de la Corée 82

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À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE Kevin O’Rourke

Un traducteur épris de littérature coréenne

ABONNEMENTS Prix d’abonnement annuel : Corée 18 000 wons Asie (par avion) 33 USD, autres régions (par avion) 37 USD Prix du numéro en Corée 4 500 wons

| Song Doyoung

APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

Koo Hyo-seo Une entraıˆnante chorégraphie évoluant aux frontières de la vie Kim Young-chan

Les sacs de sel

| Traduction : Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Koreana sur Internet http://www.koreana.or.kr © Fondation de Corée 2008 Tous droits réservés. Toute reproduction intégrale, ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de la Fondation de Corée, est illicite. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles des éditeurs de Koreana ou de la Fondation de Corée. Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprès du Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.


Le kimchi Aliment fermenté traditionnel d’origine végétale le plus souvent composé de chou chinois, auquel peuvent se substituer des légumes variés tels que les jeunes navets, concombres ou poireaux, le kimchi coréen acquiert une réputation mondiale depuis que des études récentes en ont révélé les bienfaits exceptionnels pour la santé et dans la mesure où il fait partie du quotidien des Coréens, sa découverte est aussi l’occasion de faire connaissance avec ce peuple et sa culture.

Autrefois, à l’automne, venait le temps de faire le kimchi et de le conserver, pour le consommer à la saison froide dans de gros pots en terre cuite où il subissait une fermentation qui lui apportait sa saveur particulière et ses éléments nutritifs, tels le lactobacillus et différentes vitamines. © Eurocreon

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Origines et histoire du kimchi coréen L’apparition du kimchi est liée à celle de procédés de conservation des légumes au moyen de sel, dont la part allait peu à peu se réduire au profit d’autres assaisonnements assurant une meilleure fermentation par l’action de l’acide lactique et conférant à cet aliment la variété qui le caractérise. Jo Jae-sun Professeur émérite au Département des sciences et techniques alimentaires de l’Université Kyung Hee

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’hiver étant peu favorable aux cultures potagères en Corée, comme dans bon nombre de pays, l’idée est née partout de confire les légumes frais dans la saumure à l’automne pour les conserver en vue de leur consommation à la saison froide, mais rares sont les préparations qui égalent le kimchi coréen par la diversité de leurs ingrédients, dont l’alliance confère à ce dernier toute sa saveur si particulière. Aux sources du kimchi L’usage du sel aux fins de l’assaisonnement et de la conservation remonte aux temps préhistoriques et en Corée, la pratique de l’agriculture allait donner lieu à un procédé de conservation des légumes reposant sur leur fermentation naturelle au moyen de l’acide lactique pour obtenir le kimchi, ce simple saumurage des débuts se complétant par la suite d’assaisonnements divers, notamment à base de piment rouge en poudre, de poisson saumuré aux épices et de viande. En Corée, en Chine et au Japon, tous pays d’Extrême-Orient où règnent de basses températures en automne comme en hiver, le saumurage des aliments en vue de leur bonne conservation représente une pratique ancienne, dont attestent les documents d’archives historiques faisant état d’une importante consommation entre les V e et VII e siècles. Un document chinois rédigé dans le domaine de l’agriculture au début de cette époque dresse un inventaire précis de ces différentes préparations, de même qu’une tablette de bois japonaise qui,

cent ans plus tard, faisait notamment mention du concombre et du son de riz mariné et avait pour destinataire, il convient de le noter, un ressortissant du royaume de Baekje (18 av. J.-C.- 660), ce qui laisse supposer que ces marinades chinoises avaient franchi les frontières jusqu’au royaume coréen de Goguryeo (37 av. J.-C. - 668), à partir duquel elles se seraient par la suite acheminées vers ceux de Baekje et Silla (57 av. J.-C. 935) situés plus au sud, avant de parvenir au Japon. Certains éléments contextuels présents dans cette documentation permettent d’en déduire que l’apparition du kimchi se situe au plus tard à l’époque des Trois Royaumes, c’est-àdire entre le premier siècle avant JésusChrist et le septième siècle de notre ère. Dans le manuscrit chinois dit Chronique des Trois Royaumes , il est dit au chapitre intitulé « Peuples de l’Est » que « Le peuple de Goguryeo fait preuve d’un grand avancement dans le brassage de l’alcool, la confection des sauces de soja et la préparation du poisson saumuré aux épices. Goguryeo s’est livré au pillage du poisson et du sel de Woju [Okjeo] ». Il apparaît, au vu de cette évocation, que le peuple de Goguryeo connaissait déjà le rôle indispensable du sel, en tant que principal ingrédient du kimchi, et maîtrisait le procédé de la fermentation, de même que dans un texte coréen datant de 1145 et s’intitulant Samguksagi (Chronique historique des Trois Royaumes), lequel rapporte quant à lui : « En 683, le peuple du royaume de Silla Unifié aimait à consommer de l’alcool,

Cette couleur écarlate si caractéristique du kimchi actuel provient du piment en poudre qui y est généreusement employé, tandis que dans les recettes d’origine, l’assaisonnement n’intervenait que très peu dans un plat confectionné à base de légumes fermentés, tels que le radis blanc. © Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse

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des sauces de soja et des fruits de mer marinés lors des cérémonies nuptiales ». Au nombre des objets qui subsistent de cette époque, figure d’ailleurs une jarre en pierre provenant du Temple de Beopjusa, où elle se trouvait depuis l’an 720 du royaume de Silla Unifié et aurait été destinée à la conservation du kimchi. Témoignages historiques C’est dans la chronique historique de Goryeo (918-1392) que l’on relève la première occurrence du mot « kimchi » dont fait mention un traité d’art culinaire intitulé Yeji à propos des différentes préparations de ce type devant se trouver au nombre des offrandes alimentaires des rites consacrés aux ancêtres, comme celles au persil japonais, aux pousses de bambou, au navet ou à la ciboulette chinoise. Un célèbre lettré d’alors, Yi Gyubo (1168-1241), fit quant à lui figurer dans son anthologie poétique intitulée Donggugisanggukjip (Recueil d’œuvres du Chancelier Yi de Corée) un poème évoquant la préparation du navet mariné et du kimchi doux, de même que la consommation de ce dernier.

Quant à une revue médicale datant de cette même époque, le Hyangyakgugeupbang (Remèdes d’urgence de la médecine coréenne), elle stipule que le concombre, le melon velu, la ciboulette chinoise, la mauve crépue, la laitue, le poireau et le radis constituent les principaux ingrédients du kimchi, tandis qu’un certain nombre de poèmes écrits entre les treizième et quinzième siècles évoquent également cet aliment, aux côtés d’autres marinés, témoignant ainsi de la grande faveur dont il jouissait chez les sujets de Goryeo en dépit de la moindre quantité d’ingrédients qui entrait dans sa composition, à savoir un ou deux légumes conservés dans du sel. La dynastie Joseon (1392-1910) se caractérisa par une certaine renaissance littéraire dont la production, qui portait notamment sur les domaines agricole et culinaire, allait s’étendre à tout le pays et fournit donc aujourd’hui une idée assez précise des évolutions qu’a connues le kimchi. Dans sa première époque, c’est le lettré Seo Geo-jeong (1420-1488) qui le premier en évoqua les assaisonnements dans un texte poétique : « Nous plantons navets, radis, laitues et persil

japonais dans l’arrière-champ, ainsi que gingembre, ail et poireau pour fabriquer notre kimchi aux cinq saveurs », l’avant-dernière des plantes qu’il citait constituant en Corée un aliment de base depuis des temps anciens, puisqu’il figure même dans le mythe fondateur du royaume de Gojoseon (Joseon ancienne) dont le créateur, Dangun, descendit du ciel à cette fin en l’an 2333 avant Jésus-Christ. C’est dans un texte médical datant de 1525 qu’est fait un premier usage du terme « dimchae », lequel désigne des légumes ayant macéré dans l’eau salée et auparavant dits « chimchae », et allait plus tard céder la place à celui de « kimchi », une telle étymologie démontrant que, contrairement à ce qui se produit dans d’autres pays, les aliments saumurés coréens présentent la particularité de destiner pareillement à la consommation le liquide dans lequel sont plongés leurs légumes. Enfin, un document d’archives datant du dix-septième siècle répertorie onze variétés de kimchi à base de radis, chou, melon velu, fougère et soja, le premier de ces légumes également accom-

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Le vocable « kimchi » provient selon toute vraisemblance de l’association de deux idéogrammes chinois « 沈菜 » désignant des légumes marinés et dont la prononciation d’origine allait passer de « chimchae » à « dimchae », puis au gré de diverses évolutions, à l’actuel « kimchi ».


modé à l’eau, mais sans laisser supposer, là encore, que le piment rouge ait été employé dès alors.

piment rouge importé du Japon est toxique », s’il n’allait trouver que beaucoup plus tard la place qui est aujourd’hui la sienne parmi les ingrédients du kimchi, c’est par méconnaissance de son emploi dans l’assaisonnement. Son usage allait par la suite se répandre sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs, notamment en raison des progrès réalisés dans les techniques agricoles ou de grandes pénuries alimentaires provoquées par des catastrophes naturelles comme inondations ou sécheresse, pour devenir de grande ampleur dès le dix-huitième siècle, comme en atteste cet extrait d’une chronique de 1765 : « Ces jours-ci, le piment rouge est cultivé et apparaît sur les marchés en grande quantité ». En 1766, le Jeungbosallimgyeongje (Complément à l’administration forestière) signale l’association de cette plante avec le chou dans l’une des vingt recettes de kimchi qui y sont recensées, après que le Gyuhapchongseo (Séries des quartiers des femmes) eut décrit en 1749 l’assaisonnement du kimchi au moyen de poisson saumuré aux épices, une préparation dont l’usage remonte

Le kimchi aujourd’hui À l’heure actuelle, la préparation du kimchi fait appel aux trois principaux ingrédients que sont le chou chinois, le piment rouge et le poisson saumuré aux épices classés par ordre d’importance, puisque les deux derniers assurent l’assaisonnement, cette composition ne remontant en fait qu’au dix-septième siècle et les deux suivants, à partir de la fin de ce dernier jusqu’à celle du dixneuvième, en ayant vu de nombreux autres faire leur entrée dans les recettes, tels le piment rouge, le poireau, l’ail, le gingembre ou les fruits de mer marinés. Par le passé, les traités de médecine soulignaient aussi les vertus médicinales du chou chinois dont la culture semble avoir pris un grand essor à la fin de la première moitié du seizième siècle aux fins de son emploi dans le kimchi. Quant au piment rouge, dont l’introduction daterait des invasions japonaises de 1592 à 1598 et à propos duquel un document daté de l’an 1613 précise : « Le

à l’époque des Trois Royaumes, mais qui n’allait véritablement s’imposer qu’à la fin de la première moitié du dixhuitième siècle, quoiqu’il autorise une réduction du salage. S’il est vrai que chou chinois, piment rouge, ail et fruits de mer marinés entraient dans la composition du kimchi dès le début du dix-huitième siècle, comme cela est encore le cas aujourd’hui, ce condiment coréen se décline maintenant, selon la nature et la provenance de ses ingrédients, en variantes aussi nombreuses qu’évolutives grâce à la création constante de nouvelles recettes, laquelle est appelée à se poursuivre à l’avenir en raison des changements des pratiques alimentaires, du développement scientifique et technologique et d’une diffusion croissante à l’étranger.

2 Premier traité culinaire rédigé par dame Jang (1598-1680) en alphabet coréen ou « hangeul », Comprendre la saveur des aliments rassemble les différentes recettes de kimchi allant des plus ordinaires à celles qui mettent en œuvre des ingrédients de haute qualité réservés à certaines occasions. 3 Les jarres de terre cuite destinées à la fermentation et à la conservation du kimchi possèdent leurs spécificités régionales propres, notamment par leur forme, tantôt basse et arrondie au sud, tantôt plus étroite et creuse, au nord, pour recevoir une plus grande quantité de matière.

© Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse

1 C’est dans l’anthologie poétique intitulée Donggugisanggukjip (Recueil d’œuvres du Chancelier Yi de Corée), où ce sujet érudit du royaume de Goryeo Yi Gyu-bo (1168-1241) évoque la préparation du kimchi de radis blanc, qu’il est fait pour la première fois mention du kimchi dans un document historique.

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Les bienfaits du kimchi Le kimchi acquiert une réputation mondiale par ses propriétés bénéfiques pour la santé, notamment, comme le démontrait il y a peu une étude, en raison de sa richesse en lactobacillus et autres nutriments aux effets préventifs contre le cancer, l’artériosclérose et le vieillissement, autant de motifs de s’intéresser de plus près à cet aliment d’une haute valeur diététique et aux vertus scientifiquement avérées. Park Kun Young Professeur au Département des sciences alimentaires et de la nutrition de l’Université nationale de Pusan

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armi les cinq aliments les plus diététiques du monde retenus en 2006 par la revue américaine Health , figuraient l’huile d’olive, le soja, les lentilles et le yaourt, mais aussi le kimchi, que sa forte densité en fibres rend particulièrement adapté à différents régimes alimentaires, outre qu’il contient une grande quantité de vitamines A, B et C, ainsi que de lactobacillus aux effets bienfaisants contre le cancer, toutes ces propriétés bénéfiques pour la santé ayant été démontrées par de nombreuses études scientifiques.

Le kimchi se décline en d’innombrables variantes en fonction de ses ingrédients et régions d’origine, la plus courante étant à base de chou chinois. © Imageclick

Les nutriments Si le terme « kimchi » désigne un aliment pouvant se composer d’ingrédients très divers, il fait presque toujours référence, dans l’usage courant, à une variante à base de chou, dont la teneur est faible en calories, puisque cellesci n’y sont présentes qu’à raison de 18 kcal pour 100 grammes, mais forte en fibres qui possèdent de grandes qualités diététiques contre la constipation et le cholestérol, tout en assurant le drainage de l’organisme. Outre qu’il renferme de nombreux minéraux et vitamines, ce légume est avant tout riche en vitamines C et en bêta-carotène, mais fournit aussi en abondance, outre les vitamines B que synthétise sa fermentation, calcium, fer et phosphore qui participent au bon état du squelette et préviennent l’anémie. Omniprésent dans la préparation du kimchi, l’ail est nanti d’un composé aux fortes propriétés antibactériennes, l’allicine, qui a éveillé l’intérêt de la presse lorsque le kimchi s’est avéré, avant tout autre facteur, avoir permis à la Corée d’être relativement épargnée par le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) comme par la grippe aviaire, qui sévissent en Asie depuis quelques années. En permettant à l’organisme de fixer plus longtemps la vitamine B1 ou thiamine, l’ail exerce par ailleurs un im-

portant effet tonifiant et tranquillisant. Quant au piment rouge indispensable à l’assaisonnement du kimchi, il se distingue par une teneur sans pareille en vitamine C et par ses effets réducteurs sur l’action des micro-organismes indésirables, assurant ainsi une meilleure fermentation des lactobacillus et de ce fait, une importante augmentation de la valeur nutritive de cet aliment. Enfin, ces deux ingrédients sont dotés d’exceptionnelles propriétés anticancérigènes que l’on pourra donc optimiser en employant le premier d’entre eux en plus grande quantité, et plus encore en procédant de même pour le second. Du point de vue diététique, le kimchi s’avère tout aussi bienfaisant puisque ses différents légumes présentent une teneur faible en calories et forte en fibres, tandis que la capsaïcine, qui est le principal composé du piment rouge, favorise l’élimination des graisses par la stimulation du métabolisme. À ce propos, des études ont démontré qu’à quantités égales, le piment rouge exerçait mieux ses effets dans le cadre d’un régime lorsqu’il se consommait sous forme de kimchi, cette conclusion ayant été corroborée par une expérience menée sur des souris blanches dont le poids ne s’élevait que faiblement moyennant que cet aliment leur soit fourni en association avec une alimentation grasse. La composition du kimchi fait aussi intervenir nombre d’autres substances qui remplissent des fonctions spécifiques qui pour certaines d’entre elles, biologiquement actives, restent encore à explorer par de futures recherches laissant entrevoir la découverte de nouvelles propriétés. L’alchimie de la fermentation Le kimchi met en œuvre pour sa fabrication une fermentation naturelle dont le procédé détermine la saveur et l’arôme de cet aliment. Hiver 2008 | Koreana 13


les défenses immunitaires et favorisent la réaction du métabolisme aux agents toxiques et aux corps étrangers. Comme dans le cas des nutriments, ces différentes propriétés atteignent leur plus haut degré à l’aboutissement du processus de fermentation, après quoi leur efficacité va s’amenuisant, le kimchi qui parvient à ce stade s’avérant donc d’un goût plus savoureux, mais aussi d’une consommation plus saine que lorsqu’il se trouve en deçà ou au-delà de ce point. L’harmonieuse alliance du riz et du kimchi Servant en règle générale à accompagner le riz pour suppléer à l’absence d’assaisonnement qui caractérise presque toujours la préparation de ce dernier, le kimchi fermenté comme il se doit se marie bien avec cette céréale à laquelle il apporte un goût épicé, une impression de fraîcheur, un arôme et une couleur uniques en leur genre pour fournir un repas complet. Aliment d’origine animale, le poisson saumuré aux épices peut aussi entrer dans la composition du kimchi en fournissant l’apport de protéines qui fait

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Les principaux ingrédients et leurs propriétés Chou - Ingrédient de prédilection du kimchi, ce légume constitué à 95% d’eau possède une faible teneur calorique, tandis qu’il abonde en vitamines, minéraux et composés chimiques aux nombreuses ver tus médicinales, dont la méthylméthionine, ce dérivé biologiquement actif de la méthionine qui intervient dans le traitement de l’artériosclérose, et le méthylesystéine -sulfoxyde qui réduit le taux de cholestérol.

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Radis - Assurant l’alcalinité du liquide organique en raison de cette même propriété qui est la sienne, le radis se compose principalement d’eau et de nutriments en petit nombre. Il se caractérise par une forte teneur en vitamines C et la présence d’enzymes digestives favorisant l’assimilation lorsqu’il se consomme cru, le nombre des premières se trouvant doublé dans la peau par rapport au coeur, de sorte qu’il convient, non de les éplucher, mais de les rincer soigneusement à l’eau avant l’emploi.

Piment rouge - Se prêtant à une longue conservation, le piment rouge tient la saveur piquante qu’il confère au kimchi de la capsaı¨cine, une substance qui possède en outre la particularité de limiter, voire d’empêcher la prolifération les bactéries, d’augmenter la sécrétion de salive et des sucs gastriques favorisant la digestion, ainsi que celle de stimuler plusieurs métabolismes de l’organisme. Ail - Premier composé stimulant de l’ail, le sulfure d’allyl est un stérilisant quinze fois plus efficace

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Au fur et à mesure de leur fermentation, ses ingrédients de base riches en nutriments libèrent sous l’action des micro-organismes, par une complexe alchimie, des lactobacillus et diverses substances fonctionnelles comprenant plusieurs acides organiques, ainsi que des vitamines B et C, les premiers de ces produits favorisant la synthèse d’acides aminés, dont la proportion dépasse alors son niveau de départ. À ce propos, il faut savoir que cette production peut atteindre cent millions de lactobactillus pour un gramme, soit quatre fois plus que dans le cas du yaourt. Ce produit de la fermentation, de même que les acides lactique, acétique et de divers autres types organiques, exercent des effets particulièrement bienfaisants sur les intestins en luttant contre la constipation, la prolifération des cellules mutées et la formation de tumeurs intestinales constitutives, c’est-à-dire contre le cancer du côlon. Lactobacillus et acides organiques offrent en outre d’excellentes vertus dermatologiques, notamment contre le vieillissement, puisqu’ils fortifient l’épiderme, produisent le collagène et chassent l’oxygène actif des cellules. Enfin, ils accroissent


© Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse

1 La conservation du kimchi à une température moyenne de 5ºC permettant d’optimiser ses qualités tant gustatives que nutritives, celle-ci est maintenue à un niveau constant en recouvrant les jarres d’un matelas de paille.

2 Autrefois, toutes les maisons avaient leur emplacement réservé à la conservation du kimchi dans des jarres enveloppées de paille.

que l’acide carbonique et améliore le métabolisme, allégeant les douleurs, prévenant la constipation et agissant contre les toxines. Il est réputé prévenir l’aggravation des maladies comme la tuberculose, l’intoxication alimentaire, les staphylococcies et le typhus. Il est particulièrement efficace contre le cancer et l’artériosclérose. Poireau - Présentant une teneur en eau d’environ quatre-vingts pour cent, ce légume riche en calcium, phosphore, fer et vitamines, notamment A et C, contient aussi des composés d’allyl produisant un goût particulier et détruisant microbes et insectes.

défaut au riz, ces dernières renfermant du calcium suite à leur décomposition en acides aminés lors de la fermentation, tandis que les légumes constitutifs de ses autres ingrédients de base, outre qu’ils contiennent en abondance ce même minéral, ainsi que du cuivre, du phosphore, du fer et du sel, facilitent l’assimilation des vitamines C et B1, cette dernière, dite thiamine, étant d’un apport d’autant plus précieux lorsque le riz représente l’aliment de base. Effets préventifs Les acides organiques, lactobacillus et fibres diététiques qui sont présents dans le kimchi possèdent des propriétés efficaces contre la constipation et le cancer du côlon, d’autant plus, dans ce dernier cas, que la fermentation en est optimisée. Cet aliment présente en effet la particularité de réduire la production de substances cancérigènes par les intestins et l’acidité intestinale propice à l’apparition du cancer, puisque sa consommation en grande quantité permet de multiplier par un facteur de cent à mille le nombre des lactobacillus présents dans le côlon, lesquels permettent la fermentation des fibres alimentaires

Gingembre - Caractérisé par une même proportion d’eau que la précédente plante, le gingembre s e caractérise par la présence de nombreux minéraux, mais surtout par un arôme distinctif et un goût relevé que lui confèrent ses composés, les gingerols, lesquels améliorent la résistance gastrique et la transpiration, ainsi que l’efficacité des régimes diététiques. Sel - Du point de vue nutritionnel et biologique, nul minéral n’égale le sel qui, lors de son assimilation par l’organisme, se décompose en sodium et en chlore qui améliorent la fluidité du sang, des sucs

diététiques et la mort programmée ou apoptose des cellules cancéreuses. De nombreux essais réalisés en laboratoire sur des extraits de kimchi ont apporté la preuve que ce dernier limitait la prolifération des cellules cancéreuses et augmentait au contraire celle des cellules anticancéreuses, démontrant en outre que la capsaïcine issue du piment rouge permet de renforcer le système immunitaire, d’empêcher le développement du cancer et de stopper les inflammations. En outre, il est communément admis que le kimchi possède un effet préventif à l’encontre des maladies infectieuses d’origine virale telles que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et la grippe aviaire, dont l’agent pathogène est annihilé par l’association des lactobacillus avec les solutions bactériennes qu’ils produisent dans cet aliment, plusieurs études étant en cours pour connaître avec précision l’action antivirale de ce dernier et de ses composants lactiques. Enfin, le kimchi provoque la diminution du taux de cholestérol dans le sang et la décomposition des fibrines responsables de la formation des caillots sanguins entraînant l’artériosclérose.

digestifs et fluides tissulaires, tout en contribuant à la régulation de la pression osmotique, ainsi qu’à la stimulation des muscles et nerfs. En fonction de sa qualité, il accroıˆt plus ou moins les propriétés anticancéreuses du kimchi et son efficacité dans le traitement de cette maladie, celui que l’on fait griller dans une canne de bambou ou par d’autres procédés plus classiques s’avérant plus bénéfique encore contre celle-ci, ainsi que contre les mutations.

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Diversité régionale du kimchi Si la préparation du kimchi fait toujours appel au processus de la fermentation, la mise en œuvre de ce dernier, ainsi que les ingrédients alimentaires, présentent d’importantes variations en fonction des climats et traditions propres aux différentes régions d’un pays péninsulaire qui s’étend du nord au sud, autant de facteurs participant d’une diversité culinaire dont traite exclusivement le présent article. Han Bokryeo Présidente de l’Institut de cuisine royale coréenne

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Il existe autant de variétés de kimchi que d’ingrédients végétaux entrant dans sa composition et de ceux qui assurent son assaisonnement, en fonction de la provenance régionale. © Timespace

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’une région à l’autre de la Corée, le kimchi offre ses innombrables saveurs, celui du sud se distinguant par sa coloration rouge vif, sa forte saveur et son aspect très peu fluide, tandis qu’au centre de la péninsule, la présence bien équilibrée du piment rouge et de la sauce donnent un produit plus dilué d’une légère teinte rougeâtre, et qu’il se caractérise dans le nord par une importante proportion de liquide, une saveur moins forte et une consistance croquante. Autant de versions d’un même plat qu’explique une orientation péninsulaire où la diversité géographique et climatique qui s’observe du nord au sud entraîne également celle des ingrédients, assaisonnements et procédés de fermentation concourant à des préparations très variées. Si la clémence du climat méridional incite à un fort dosage de sel pour éviter une fermentation trop rapide du kimchi, plus on remonte au nord, plus l’emploi de cette substance tend à diminuer et l’assaisonnement, à se simplifier, au profit des légumes dont la fraîcheur est ainsi mise en valeur, alors que les régions du centre, tout en privilégiant les épices, parviennent à une saveur moyennement relevée. Une émanation de la production et du mode de vie régionaux Outre le sel ajouté à la marinade et la poudre de piment rouge destinée à l’assaisonnement et à la coloration du produit, la préparation met en œuvre nombre d’ingrédients comportant notamment du poisson saumuré aux épices et soumis à un long processus de fermentation naturelle par des méthodes qui varient selon les régions et les cuisiniers. C’est dans cet aliment que résident les particularités locales du kimchi, puisqu’à l’anchois le plus en usage dans le sud, se substituent le poisson-sabre ou le maquereau blanc sur le littoral est, les18 Koreana | Hiver 2008

quels font eux-même place aux corvines et crevettes dans les provinces du centre. Dans le premier cas, on procède par salage et macération d’un poisson frais provenant exclusivement de la pêche locale, la préparation obtenue recevant l’appellation d’« anchois marinés » lorsque cette opération s’est poursuivie durant deux ou trois mois, tandis qu’elle est dénommée « sauce aux anchois saumurés » si sa durée est supérieure à la moitié d’une année. Quant à la marinade de poissonsabre, elle s’obtient en saupoudrant de sel le poisson entier et en lui faisant subir une fermentation de plus d’un an au terme de laquelle il devient brun foncé et permet de provoquer celle du kimchi. Si chaque région se distingue par l’emploi d’ingrédients différents, c’est que le kimchi constitue un plat populaire que l’on confectionne au moyen de produits locaux disponibles en abondance, à l’instar du poisson saumuré aux épices, qui permet d’empêcher une fermentation et une décomposition trop avancées du kimchi tout en lui apportant une saveur corsée produisant une impression de fraîcheur, sous réserve qu’il ne s’utilise pas en trop grande quantité, faute de quoi il dégagera plus intensément la forte odeur qui est propre au poisson. C’est d’ailleurs pour neutraliser celleci que viendront s’ajouter ail, gingembre et poudre de piment rouge à l’ingrédient de base que représente ce condiment dans le kimchi, qui se dotera en outre d’une texture plus ferme et d’une teneur en calcium et phosphore bienfaisants grâce à l’emploi d’une algue récoltée en eau peu profonde sur les rochers du littoral. À ces ingrédients distinctifs, viennent s’ajouter en quantité, dans la plupart des préparations de Goheung et de la province de Jeollanam-do, huîtres ou coques de provenance locale qui apportent toute leur délicieuse saveur de fruits de mer, ou encore le cédrat qui atténue

Le kimchi peut être assaisonné au moyen de sel, fruits de mer marinés tels que les anchois, poisson-sabre, corvine ou crevette fermentés, les seconds en relevant particulièrement la saveur tout en fournissant l’apport en protéines, calcium et matières grasses qui font défaut dans les légumes.


© Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse

le goût amer du kimchi par son arôme délicat. Dans la province de Gangwon-do, la ville de Donghae-si a pour spécialité le kimchi à la seiche, dont la fabrication, à base de ce mollusque et de radis râpé, coïncide avec la saison de la pêche sur cette partie du littoral oriental. Quant au kimchi enveloppé de Gaeseong, il tire sa renommée d’un goût subtil et d’une généreuse composition associant plus de trente-cinq ingrédients tels que pommes, poires, pignons, jujubes, noix de ginkgo, poulpes et abalones que vient envelopper une feuille de chou

entière. À Pyeongyang, le kimchi au chou se décline en nombreuses variantes où figurent des champignons aux effets bienfaisants pour la santé, notamment ceux du type shiitake et de rocher, l’ensemble de la préparation se caractérisant par un goût peu salé et une grande fluidité. Aujourd’hui, le développement des moyens de communication tend à atténuer ces particularismes en facilitant des voyages qui incitent les Coréens à privilégier leurs goûts au détriment de la tradition régionale, notamment dans l’agglomération séoulienne où résident

vingt-cinq pour cent de la population et s’entremêlent des recettes provenant de toute la province en gommant ainsi les particularités de ses différentes régions à la faveur d’un kimchi d’une saveur plus universelle, à laquelle contribue aussi l’emploi du poisson saumuré en tant que dénominateur commun de ces préparations. Il n’en demeure pas moins possible de conserver à ces spécialités toute leur saveur et leur couleur locale au moyen d’ingrédients tels que les lançons marinés qui sont en usage dans les provinces de Chungcheong-do et de Gyeonggi-do. Hiver 2008 | Koreana 19


© Institut de cuisine royale coréenne

Jejudo Île la plus méridionale de Corée, Jejudo bénéficie d’un climat doux qui supprime le besoin de saler les légumes en vue de leur conservation hivernale, mais qui se traduit également par une moindre variété de préparations, comme ailleurs dans des conditions analogues, ainsi que par une faible durée de stockage avant la consommation. Parmi ses spécialités, figure le « dong-

ji kimchi » que les habitants préparent lors de la première pleine Lune du Nouvel An lunaire en employant du chou resté tout l’hiver en terre et c’est lorsqu’éclosent ses fleurs jaune pâle dites « dongji » qu’ils ramassent ce légume, qu’ils feront alors tremper dans la saumure, puis, une fois dûment égoutté, additionneront simplement d’anchois mariné, d’ail et de piment rouge, avant de lui faire subir une courte fermentation qui lui apportera une grande fraîcheur de goût.

Jeolla-do Les appétissantes préparations de cette province possèdent une saveur piquante que vient parfois apaiser la douceur d’une pâte. Composée de riz glutineux, celle-ci permet d’amoindrir la force des épices et l’amertume du sel tout en rehaussant les riches qualités gustatives du kimchi. Débouchant sur la mer par ses côtes méridionales et occidentales, la province de Jeolla-do offre en abondance ses fruits de mer marinés

ou consommés tels quels, notamment la corvine et la crevette marinée dont l’usage est particulièrement répandu, tandis que l’anchois est le poisson le plus apprécié. Quant au piment rouge, il entre pour une large part dans la composition du kimchi, dont graines de sésame et châtaigne râpée fournissent l’agréable garniture, ce légume ne se présentant pas ici sous forme de poudre, mais mélangé au poisson mariné après avoir été grossièrement écrasé en vue de l’assaisonnement du plat. La province de Jeollado est réputée pour son kimchi épicé à

base de racine amère de laitue coréenne, lequel existe également dans une variante à l’eau à Naju, comme pour celui aux feuilles de moutarde marinées, qui constitue la spécialité de Haenam.

Gyeongsang-do Sur le littoral sud, les habitants font un grand usage de l’ail et du piment rouge, tandis que le gingembre y est peu répandu, et emploient une saumure d’un type particulier dans laquelle ils plongent le chou en l’y maintenant fermement enfoncé pour en extraire le liquide, puis procèdent à l’assaisonnement au moyen d’un mélange composé d’une grande quantité de poisson mariné, l’ensemble étant étroitement enveloppé. Caractérisé par sa forte teneur en

poisson qui consiste le plus souvent en anchois, cette saumure se différencie de l’épaisse et lourde sauce aux anchois marinés employée à Séoul par sa longue fermentation et sa couleur rougeâtre rappelant celle de la sauce de soja. Connue indifféremment sous les noms d’« aekjeot », de « myeoljan » et d’« eoja », elle constitue, comme cette dernière, l’assaisonnement favori de toute préparation culinaire. Les différents ingrédients évoqués se complètent souvent de poisson-sabre cru que l’on émince finement, comme tous les aliments consommés en cet état, et que l’on relève de piment rouge en poudre et de sel avant de l’ajouter au kimchi.

Dongji kimchi

Kimchi de radis jeune © Musée Pulmuone du kimchi

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Kimchi de radis aux huıˆtres © Institut de cuisine royale coréenne


À la version méridionale du kimchi, qui se distingue dans cette partie de la péninsule par une coloration rouge vif, une saveur relevée et un aspect très peu fluide, s’opposent celles du centre où la présence bien équilibrée du piment rouge et de la sauce donnent un produit plus dilué d’une légère teinte rougeâtre, mais aussi du nord, que caractérise une importante proportion de liquide, une saveur moins forte et une consistance croquante.

Très prisé dans les provinces de Jeolla-do, le kimchi à la feuille de moutarde agrémente les plats qu’il accompagne d’un goût prononcé de piment, dont la poudre est ici employée en abondance, ainsi que de la saveur amère particulière à ce végétal doté de vertus apéritives. © Topic Photo

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Préparé au quotidien sous forme de gros dés que l’on découpe dans cette grosses racine, le kimchi de radis blanc bénéficie à l’automne, plus qu’en toute autre saison, de sa saveur douce et de sa consistance ferme, sa consommation accompagnant souvent celle des huıˆtres sur le littoral coréen. © Topic Photo

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Chungcheong-do Moins salé ici que dans d’autres régions, le kimchi y est en outre d’une composition plus simple qu’à Séoul ou dans la province de Gyeonggi-do, ses ingrédients de prédilection étant la feuille de moutarde, le persil, le poireau, le piment rouge fermenté et les algues. Choux et radis sont salés et mis à mariner en entier, puis conservés dans

des jarres différentes en fonction de leur teneur en sel, mais peut se substituer à ce procédé le découpage des choux et radis en gros morceaux que l’on mélange et arrose d’une marinade de fruits de mer le plus souvent à base de corvine et de crevette marinée. Enfin, il existe une variété assez répandue de kimchi au radis jeune qui se distingue toutefois de celle préparée à Séoul avec du radis blanc par son assaisonnement léger et sa saveur toute en fraîcheur et en simplicité.

Kimchi de chou et radis © Musée de kimchi Pulmuone

© Timespace

Séoul / Gyeonggi-do Comme cela est souvent le cas des aliments consommés dans les zones urbaines à forte densité de population, le kimchi se caractérise à Séoul et dans la province voisine de Gyeonggi-do par une saveur ni trop salée, ni trop fade, pas plus que fortement marquée d’une origine régionale, et convenant de ce fait aux goûts du plus grand nombre. Si toutes les variantes de ce plat s’y trouvent représentées, les plus prisées sont celles au navet, au chou et au radis jeune ou blanc, ainsi que le kimchi enveloppé. À cela s’ajoutent de célèbres spécialités telles qu’une préparation au condiment de soja qui prenait jadis place sur les

Gangwon-do Si les spécialités de cette province font rarement appel aux fruits de mer, elles n’en tirent pas moins leur renom de la saveur marine que leur donnent les lieux et seiches frais en provenance de la Mer de l’Est. Composé d’un ensemble d’ingrédients variés, son assaisonnement est proche de celui des régions du centre, à l’exception de l’emploi de seiche crue et de lieu séché finement émincés

qui ne font qu’accroître toujours plus la teneur en calcium et les valeurs nutritionnelles d’une préparation constituée de gros morceaux de radis saupoudrés de piment rouge et enveloppés dans plusieurs couches de feuille de chou.

Kimchi enveloppé

tables royales, celles composées de radis à la vapeur ou de concombre, ainsi que ce plat dit aux écailles dont la surface gravée rappelle la peau d’un poisson. Ces légumes variés acquièrent une saveur plus prononcée grâce à un assaisonnement qui peut se composer d’une saumure de poisson, de crevette ou de corvine et peuvent en outre s’associer, en raison des nombreuses origines régionales représentées dans la capitale, à de nombreux ingrédients crus tels que crevette, lieu, poisson-sabre et anchois marinés à profusion.

Kimchi de racine de campanule © Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse

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Kimchi de courge

Hwanghae-do Le climat de cette province différant peu de celui de Séoul et de celles de Gyeonggi-do et Chungcheong-do pareillement situées sur le littoral ouest, saveurs et ingrédients constitutifs du kimchi présentent également des analogies entre eux. La préparation de cet aliment s’y distingue en revanche par l’emploi d’épices tels que la coriandre et le fruit du frêne épineux, qui entrent respectivement dans la composition du kimchi de chou et de courge. Comme

dans la province de Chungcheong-do, ce dernier se compose d’un mélange de courge et de chou saumuré découpé en gros morceaux que l’on sale et fait fermenter, la préparation pouvant ainsi s’accommoder en ragoût. Dans cette partie du pays, le kimchi se caractérise aussi par l’emploi d’une marinade de fruits de mer le plus souvent à base de corvine ou de crevette, ainsi que par une teneur en sel et une fluidité moyennes.

le petit piment rouge que l’on émince finement, le lieu, le poisson-sabre, la palourde et la crevette crue, auxquels s’ajoutent en moindre quantité poissonsabre, corvine et crevette saumurée, ainsi qu’une assez faible dose de piment rouge en poudre. Ce kimchi substitue à la saumure en usage dans la province de Hamgyeong-do un bouillon de bœuf dégraissé et salé aussi goûteux que désaltérant, qu’accompagnent parfois des nouilles froides et c’est d’ailleurs pour son kimchi blanc servi avec celles-ci, de même que pour son kimchi de radis à

l’eau, qu’est surtout réputée la gastronomie de la province de Pyeongan-do.

© Institut de cuisine royale coréenne

Pyeongan-do Ici, les préparations se distinguent par leur grande fluidité et leur assaisonnement très léger, celles au chou et au radis étant tantôt réalisées à part, tantôt mélangées et placées dans une même jarre. L’un et l’autre de ces légumes sont relevés par divers ingrédients qui sont le radis râpé, le poireau, l’ail, le gingembre, le piment rouge en poudre,

Kimchi de radis blanc © Société coréenne pour le Commerce

des produits agricoles et de la pêche

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Kimchi de radis blanc à l’eau © Institut de cuisine royale coréenne

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© KnJ Entertainment

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Hamgyeong-do D’une saveur corsée, le kimchi de cette province contient en revanche peu de sel et offre un aspect très fluide, ainsi qu’une acidité et des qualités désaltérantes remarquables lorsqu’il est fermenté à point. Assez analogue à celui d’autres régions, il s’en différencie par la sauce épicée dont on arrose irrégulièrement le chou plutôt que 5de l’y répandre uni-

formément, ce procédé se traduisant par l’apparition de petits points rouges lors du découpage ultérieur des légumes. Aux fruits de mer marinés, se substituent en règle générale lieu ou poisson plat cru émincés et saupoudrés de piment rouge en poudre avant de prendre place dans une enveloppe de feuille de chou.


Dans le kimchi de radis blanc à l’eau, ce légume, soit entier, soit en dés, est arrosé d’un assaisonnement liquide qui en adoucit la saveur et sa conservation durant tout l’hiver permet l’obtention d’une durée minimale de fermentation d’un mois. © Timespace

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Le kimchi en partage avec le monde À l’heure où les aliments fermentés suscitent toujours plus d’intérêt par leurs effets bienfaisants sur la santé, notamment dans le cadre d’études scientifiques, le kimchi fait lui aussi apprécier ses vertus dans le monde en diversifiant ses recettes traditionnelles à l’intention des gourmets de tous pays par des évolutions évoquées dans le présent article. Nam Sang-won chef de l’équipe des stratégies d’exportation de la Société coréenne pour le Commerce des produits agricoles et de la pêche

Ces préparations alliant le kimchi à des spécialités françaises telles que gaufres, pudding ou fromage ont été exposées au Salon international de l’agroalimentaire de Paris (SIAL). © Société coréenne pour le Commerce des produits agricoles et de la pêche

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À

l’étranger, le kimchi est indéniablement perçu comme une spécialité coréenne car c’est la première qui vient à l’esprit des personnes que l’on interroge à ce sujet, même si elles n’y ont personnellement jamais goûté. Aujourd’hui, quelque quarante pays du monde en consomment, cette diffusion grandissante ayant incité la Corée, dès 1994, à faire œuvre de normalisation internationale dans ce domaine, ce qui est chose faite depuis l’adoption d’un texte sur le kimchi, au mois de juillet 2001, par la Commission du Codex alimentarius réunie en séance plénière. Cette décision, qui constitue une première mondiale en matière de cuisine traditionnelle coréenne, réaffirme ainsi l’origine nationale de ce produit dont la diffusion se poursuit inexorablement, puisque dès le mois de mars 2006, la revue américaine Health le classait parmi les cinq aliments du monde les plus bienfaisants pour la santé et qu’il allait prendre son envol dans l’espace près de deux ans plus tard. Taille du marché mondial En Corée, il se produit et se consomme chaque année quelque cent cinquante mille tonnes de kimchi, dont la variante au chou représente à elle seule soixante-dix pour cent de ce poids, c’est-à-dire pas moins de cent mille tonnes, un chiffre qui atteste de la faveur dont elle jouit dans la population, outre qu’elle est la plus connue des étrangers, les trente pour cent restants se composant de légumes variés comme le navet, le concombre, la feuille de moutarde et le jeune radis. Sur la base des prix à la consommation, le kimchi coréen représente une part de marché annuelle d’environ cinq mille milliards de wons, soit près de cinq milliards de dollars, et sa production concerne près de six cents entreprises. Selon une étude réalisée par la Société coréenne du commerce des produits Hiver 2008 | Koreana 27


agricoles et de la pêche, ce chiffre d’affaires annuel atteint à l’international un milliard de dollars l’an, dix pour cent de ce montant, soit près de cent millions de dollars, correspondant à une production d’origine coréenne dont le Japon est le plus gros importateur. Dans ce dernier pays, les ventes de kimchi devraient s’élever à environ soixante-six milliards de yen, c’est-à-dire sept cent millions de dollars, les produits en provenance de Corée ne représentant que vingt pour cent de ce chiffre, car pas moins de trois cents entreprises japonaises se consacrent à cette fabrication, une cinquantaine d’entre elles faisant appel à la grande distribution pour sa commercialisation, autant d’indications de la bonne implantation dont jouit sur l’archipel un produit au départ importé de Corée. Le kimchi coréen enregistre aussi une avancée dans des pays tels que Taïwan, les Etats-Unis et la Chine, où il réalise une part de marché d’une centaine de millions de dollars, tandis que dans ces deux premières nations, elle s’élève respectivement à dix et cinq pour cent des ventes de produits agroalimentaires, ces chiffres s’avérant peu élevés

par comparaison avec ceux réalisés par la Chine, qui exporte quatre-vingt-quinze pour cent de sa production en Corée et au Japon. Si le kimchi possède une présence croissante sur le marché mondial, la place qu’y occupe la Corée demeure des plus modestes si l’on pense qu’il s’agit du pays d’origine. Une action de promotion internationale Chaque année, se tiennent en Corée nombre de petites et grandes festivités qui prennent le kimchi pour thème et dont les plus réputées se déroulent à Gwangju et Séoul, celle de la capitale s’intitulant « Fête des amoureux du kimchi ». Outre qu’elles fournissent un aperçu des différentes formes qu’a pu prendre cet aliment au cours du temps, plus particulièrement entre l’époque des Trois Royaumes (I er siècle av. J.-C.V e siècle) et celle de la dynastie Joseon (1392-1910), ces manifestations offrent la possibilité de déguster des préparations ne relevant pas de la consommation courante, comme celles réalisées dans les temples ou destinées aux cé-

Procédé de fabrication industrielle du kimchi

Découpage des têtes de chou, suivi de leur nettoyage et de leur marinage dans l’eau salée pendant vingt minutes.

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Rinçage du chou salé plusieurs fois à l’eau claire.

rémonies accomplies en l’honneur des ancêtres, voire autrefois servies sur les tables royales. Elle font aussi une large place à l’innovation en proposant des créations qui procèdent par fusion de cet aliment avec la gastronomie étrangère aux fins de la communication avec d’autres peuples. En outre, les visiteurs des nombreux salons internationaux qui se tiennent en Corée dans le domaine agroalimentaire se voient systématiquement conviés à déguster du kimchi, mais aussi à s’essayer à diverses activités de préparation de cet aliment, en plus de la découverte qu’ils en font en parcourant ces expositions. Dans ce domaine, les pouvoirs publics ont eux aussi pris le parti de la mondialisation par la mise en œuvre d’actions de relations publiques et de stratégies de marketing visant expressément à son exportation, à l’instar du projet qu’a lancé en 2007 le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture, de la Forêt et de la Pêche pour mieux faire connaître la cuisine coréenne dans le monde et qui a donné ses premiers résultats en permettant l’édition d’un livre de recettes intitulé Trois cents beaux

© Entreprise agroalimentaire Hansung

Vérification soigneuse de l’état de toutes les feuilles.

Badigeonnage des feuilles sur leurs deux faces à l’aide d’une mixture de fruits de mer marinés, piment rouge en poudre, ail et autres ingrédients.


© Fête de l’amour du kimchi

Par sa composition à base de légumes fermentés, le kimchi se marie bien avec différentes cuisines du monde, mais il participe aussi d’un riche patrimoine gastronomique qui peut s’enrichir d’évolutions et faire naıˆtre une nouvelle branche de l’industrie agroalimentaire après s’être imposé à d’autres cultures.

plats coréens et décrivant les préparations classiques les plus simples à réaliser pour des néophytes, dont quatorze à base de kimchi traditionnel coréen. Autre outil de promotion du kimchi, le réseau internet fournit son support à la Société coréenne pour le commerce des produits agricoles et de la pêche qui y exploite, à l’adresse www.kimchi.or.kr, le site offrant les plus abondantes informations en la matière, notamment une description minutieuse des différents procédés de réalisation, qui comportent par exemple, dans le cas du kimchi au jeune radis, l’emploi de pâte de riz glutineux, laquelle s’obtient en mouillant quatre cuilllerées à soupe de poudre de riz de trois verres d’eau, ou la précision de la durée de salaison des légumes, qui se limite à trois ou quatre heures. Enfin, il permet aussi de découvrir de nombreuses recettes insolites telles que le shabu-shabu ou les tortillas au kimchi. Dans la presse audiovisuelle, les magazines télévisés consacrés à différents pays peuvent jouer un rôle important dans la commercialisation du kimchi coréen, comme au Japon, où les chaînes

de télévision ont fortement contribué à son succès en soulignant ses vertus pour la beauté et l’augmentation du tonus, cette action promotionnelle se poursuivant maintenant au profit de tous les aliments fermentés coréens, notamment les condiments à base de soja et de piment rouge. Enfin, différentes stratégies sont à l’étude pour élargir les débouchés du kimchi à l’exportation, par-delà sa zone exclusive actuelle qu’est le Japon, en Russie ou en Asie du Sud-Est par exemple, grâce à des manifestations commerciales organisées en partenariat avec leurs réseaux de grande distribution. Pour une normalisation du kimchi Composé pour partie de fruits de mer marinés d’espèces différentes et en quantités variables, le kimchi offre au consommateur toute une gamme de saveurs correspondant à autant d’assaisonnements à dominante piquante, en raison du piment rouge, et acide du fait de la fermentation, mais auxquels s’ajoutent nombre d’éléments participant d’une diversité de goût et d’aspect telle que les consomma-

À la Fête de l’amour du kimchi qui se tenait cette année au village traditionnel coréen de Namsangol, des épouses d’ambassadeurs étrangers en Corée ont présenté des préparations associant le kimchi à des spécialités culinaires de leurs pays respectifs.

teurs peinent parfois à choisir le produit le mieux adapté à leurs préférences. La tâche leur en serait considérablement facilitée en précisant d’emblée le degré de fermentation et la force de l’assaisonnement de chaque produit conformément à des normes qui restent à créer. Conscient de cet impératif, l’État a échafaudé un projet destiné à la normalisation de ces deux paramètres au terme d’études qui se sont déroulées sur plusieurs années. En ce qui concerne celui de l’assaisonnement, il a défini cinq différents niveaux selon le critère de la quantité de capsaïcine, ce composé à l’origine du goût piquant du piment rouge, ainsi que sur l’échelle de Scoville qui permet de classer les goûts du moins au plus fort, ces cinq degrés étant qualifiés de doux, légèrement épicé, moyennement épicé, très épicé et fortement épicé. Quant au niveau de fermentation, qui varie évidemment en fonction de la durée s’écoulant à partir de la fabrication du kimchi, il s’avère aujourd’hui d’une maîtrise beaucoup plus aisée grâce aux progrès récents du stockage à basse température effectué Hiver 2008 | Koreana 29


© Fête de l’amour du kimchi © Fête de l’amour du kimchi

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© Lim Dong-jun

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© Hansung Food Coporation

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par la filière de distribution. En se fondant sur les caractéristiques de niveau de pH et d’acidité totale, cette norme fixe trois différents niveaux de fermentation, à savoir, non fermenté, moyennement fermenté et longuement fermenté, qui permettent au consommateur de juger de l’acidité au goût afin de sélectionner l’une des quinze combinaisons des deux paramètres cités et ce faisant, une saveur particulière. Ce dispositif, dont la mise au point relève d’une véritable prouesse, jette les bases d’une diversification de la clientèle tant nationale qu’étrangère dans la perspective d’une plus grande diffusion du kimchi dans le monde et de l’essor de son industrie. D’indispensables mutations La création de nouvelles recettes du kimchi et de ses produits dérivés constitue le moyen le plus efficace d’assurer sa promotion dans les pays de culture différente où les consommateurs ne sont pas accoutumés à ses saveurs spécifiques, un objectif que poursuit activement la Corée, tant sur son sol qu’à l’étranger. D’ores et déjà très en vogue, la fusion de cet aliment avec la cuisine occidentale consiste à associer celui-ci à d’autres produits fermentés qu’emploie souvent cette dernière, tel le fromage, dans des préparations de spaghetti, de gratin ou de tortillas par exemple, pour en diminuer la texture grasse tout en rendant leur consistance plus croquante. Ces formules interculturelles comportent également les croquettes de riz, les rouleaux de printemps ou le bifteck de tofu haché, et bien d’autres auxquelles le kimchi sert d’assaisonnement. À cela s’ajoutent d’autres produits de l’industrie agroalimentaire qui offrent toute une palette de saveurs, couleurs et autres caractéristiques visuelles qui remettent en question le kimchi traditionnel dans son principe même, tel le kimchi au brocoli, au ginseng ou au jus de fruits, ainsi que d’originales recettes de chocolat, gâteau et pudding au kimchi.

Aujourd’hui en pleine évolution en Corée, le kimchi ne l’est pas moins dans d’autres pays, comme au Japon, où il connaît le plus fort succès y compris sous forme d’alliances inédites avec des spécialités japonaises que de nombreux restaurants proposent à leur menu. Norimaki, sushi, soba, misoshiru, nabe et riz aux anguilles au kimchi constituent autant de produits d’une imagination culinaire qui devrait en engrendrer bien d’autres encore à l’avenir. C’est une rencontre tout aussi étonnante qu’a faite le kimchi avec la cuisine française grâce à l’école du Cordon Bleu, l’un des trois fleurons mondiaux de l’enseignement culinaire et le créateur de vingt préparations faisant usage de cet aliment, telle cette friture de kimchi au camembert, ces cannelloni au saumon et kimchi ou ce potage au choufleur et kimchi et consignées dans un manuel édité à l’intention des vingt-six restaurants que compte cet établissement dans quinze pays différents. La Corée a aussi entrepris des recherches dynamiques ayant pour objectif de mettre au point des préparations de kimchi à usage thérapeutique, notamment au sein de l’Institut coréen de la recherche alimentaire qui s’est joint à des équipes de chercheurs universitaires pour entreprendre des études en ce sens et dont les travaux communs allaient aboutir, en novembre 2007, à la creation d’un produit fonctionnel possédant une teneur trois fois supérieure à celle du kimchi ordinaire en méthionine S-Adenosyl ou SAM, une substance biologiquement saine et naturelle que contiennent toutes les créatures vivantes et qui possèdent une efficacité avérée pour le traitement d’affections telles que toxicité hépatique, dépression, maladies neurologiques gériatriques, démence, arthrite ou forte teneur en cholestérol. Moins d’un an plus tard, ces mêmes scientifiques allaient en mettre au point un deuxième destiné à élever le niveau d’acide gamma-aminobutyrique (GABA), cet acide aminé qui est un neuro-transmetteur à l’action bénéfique


© Société coréenne pour le Commerce des produits agricoles et de la pêche

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reconnue sur l’irrigation sanguine du cerveau et les facultés mémorielles, la réduction de la pression artérielle, ainsi que l’élimination du stress, de la dépression et de l’insomnie. Les impératifs de la mondialisation Si le kimchi est appelé à voir son marché poursuivre sa progression à l’échelle mondiale, cette plus grande diffusion entraîne également des exigences accrues chez les consommateurs de tous pays, en conséquence de quoi il importe aujourd’hui de leur proposer une plus grande variété de produits et préparations susceptibles de répondre à leurs attentes. Pour autant qu’il faille perpétuer sa tradition spécifiquement coréenne, il s’avère tout aussi impératif de lui faire subir en parallèle d’audacieuses transformations et améliorations qui

lui conféreront une réelle portée mondiale. À cet effet, la Corée doit réaliser des recherches qui lui permettront de créer de nouvelles saveurs peu piquantes, désaltérantes ou aigres-douces par exemple à l’intention des consommateurs n’appéciant pas son goût prononcé et son odeur de fermentation afin de leur en laisser le choix, mais aussi dans l’optique d’une meilleure compréhension internationale. En tant que pays d’origine du kimchi, ce précieux élément du patrimoine gastronomique national qui peut s’enrichir d’évolutions et faire naître une nouvelle branche de l’industrie agroalimentaire après s’être imposé à d’autres cultures, la Corée a le droit et le devoir d’œuvrer à la promotion de cet aliment qui s’allie à merveille avec de nombreuses cuisines du monde.

1 Ce gâteau au kimchi apporte une illustration de l’heureuse fusion entre les cuisines coréenne et étrangères. 2 Pudding aux extraits de kimchi 3 Le chocolat aromatisé au kimchi est très demandé dans les boutiques hors taxe. 4 À l’occasion du 35ème Salon mondial de l’invention, des technologies nouvelles et des nouveaux produits qui se déroulait à Genève au mois d’avril 2007, l’entreprise agroalimentaire Hansung s’est vu décerner deux prix pour sa création du kimchi au brocoli. 5 Les chefs de différents pays présentent des recettes au kimchi lors d’une opération promotionnelle réalisée en partenariat avec Le Cordon Bleu, un fleuron de l’enseignement culinaire mondial.

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DOSSIERS

Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie 2008 : des olympiades philosophiques à Séoul Du 30 juillet au 6 août derniers, le Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie rassemblait à l’Université nationale de Séoul 2 098 philosophes venus de quatre-vingt-huit pays différents présenter 1 875 articles et débattre de questions variées lors de 479 séances de travail. Lee Myung-hyun Professeur émérite au Département de philosophie de l’Université nationale de Séoul et président du Comité organisateur du Contrès mondial de philosophie 2008

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Photographie : Association coréenne de philosophie

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u 30 juillet au 5 août derniers, Séoul accueillait le Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie, une manifestation également connue sous le nom d’Olympiades philosophiques, puisqu’elle représente le plus important forum de cette discipline, et organisée le plus souvent en Europe avec une périodicité de cinq ans depuis sa session inaugurale de 1900 à Paris, celle de cette année s’étant en revanche déroulée sur le continent asiatique et constituant de ce fait une première. C’est lors de la rencontre antérieure d’Istamboul, en 2003, que la Corée allait être élue pays hôte de cette conférence au détriment de la Grèce, pourtant tenue

pour le berceau de la philosophie occidentale, par une décision d’une portée fortement symbolique, car révélant un déplacement spatial d’ouest en est, et accompagnée du choix thématique de cette « Philosophie du monde » qui vise au rapprochement de l’Occident et de l’Orient. Si le mot « philosophie » évoquait avant tout les doctrines occidentales il y a encore peu, celles de l’Orient font aussi partie intégrante de son sens à l’échelle mondiale, comme vient de le démontrer amplement à un auditoire international, notamment par le biais des articles qui ont été distribués à celui-ci, cette conférence qui comportait des volets inédits

1~2 Le 30 juillet dernier, la cérémonie d’ouverture du Vingt-deuxième Congrès mondial de Philosophie comptait la présence de Lee Myung-hyun, directeur du Comité organisateur coréen, et de Peter Kemp, le président de la Fédération internationale des sociétés de philosophie. 32 Koreana | Hiver 2008

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1 Éminent phénoménologue enseignant à l’Université de l’État de New York, Cho Kah Kyung participait aussi à ce Vingt-deuxième congrès.

2 Professeur à l’Université de Michigan, Allan Gibbard figure parmi les plus grands spécialistes d’éthique.

3 Le professeur Vittorio Hosle, de l’Université de Notre Dame, estime qu’il convient d’accorder plus de place à la philosophie critique.

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4 Spécialiste d’éthique et de philosophie politique à l’Université Harvard, le professeur Tim Scanlon s’est centré sur l’analyse des relations entre individus.

5 Peter Kemp, Président de la Fédération internationale des Sociétés de philosophie.

sur le confucianisme, la pensée de LaoChuang et le bouddhisme. Par la mise en présence des pensées occidentale et orientale, le Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie de Séoul a permis de franchir une importante étape en rééquilibrant leurs places respectives dans la mesure où celle de la première était jusqu’alors prépondérante, à preuve l’absence totale de la seconde dans les cursus universitaires d’Occident.

Un rééquilibrage est-ouest L’édition 2008 de ces rencontres philosophiques comptait parmi les congressistes cent soixante-quatorze participants américains, cent soixante-six russes, cent trente-quatre japonais, cent vingtsix chinois, soixante-quatre indiens et cinquante-trois allemands, aux côtés de nombreux représentants de la philosophie orientale. Le mot « philosophie », dont l’étymologie provient de « philosophia » en grec ancien, c’est-à-dire l’« amour de la sagesse », fut à l’origine d’une acception

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générale englobant toutes les disciplines puisque ce n’est qu’à l’ère moderne qu’est intervenue la division des sciences, suivie de celle des disciplines d’études universitaires telles qu’elles se présentent aujourd’hui, un morcellement qui ne pouvait aller sans certaines transformations, mais en dépit duquel le questionnement philosophique demeure axé sur une compréhension de l’esprit humain et de l’univers acquise par une démarche méthodologique qui peut être élargie, fondamentale ou critique. La civilisation humaine connaıˆt actuellement de profondes mutations, car tandis qu’auparavant, les différents liens qui unissaient l’homme à la nature lui permettaient d’agir sur son environnement, la pratique de l’industrie allait, en succédant à celle de l’agriculture, modifier les modalités de ces relations avec le milieu naturel et ce faisant, donner naissance à diverses doctrines philosophiques. C’est à la mise en place d’un nouveau paradigme adapté aux évolutions à venir que se proposait de réfléchir le Vingt-deuxième Congrès mondial

de philosophie sur le thème « Repenser la philosophie aujourd’hui », ainsi qu’à un bilan de l’héritage philosophique dont dispose l’Homme en cette époque de transition cruciale, et s’il n’espérait pas de ces dialogues qu’ils débouchent sur l’établissement précis d’une feuille de route, il allait néanmoins permettre de recadrer le champ de la pensée philosophique en vue du proche avènement d’une nouvelle civilisation.

Thématique centrale et apports des penseurs Lors de cette vingt-deuxième session, les débats se déroulaient au sein de quatre grandes séances plénières intitulées « Repenser la philosophie morale, sociale et politique », « Repenser la métaphysique et l’esthétique », « Repenser l’épistémologie, la philosophie des sciences et technologies » et « Repenser l’histoire de la philosophie et la philosophie comparative ». Ces différents volets se subdivisaient eux-mêmes selon les cinq sujets « Conflit et tolérance », « Mondialisation et cosmo-


politisme », « Bioéthiques, éthiques environnementales et générations futures », « Tradition, modernité et post-modernité » et « Philosophie en Corée » qui allaient permettre de découvrir les tendances actuelles de la recherche universitaire en la matière grâce aux communications réalisées par d’éminents spécialistes à l’occasion de conférences, symposiums, tables rondes et autres cadres de délibération. Aux côtés de quelque deux mille six cents scientifiques venus d’une centaine de pays présenter environ mille sept cents articles, figuraient des personnalités aussi prestigieuses que l’Allemand Vittorio Hosle, grand philosophe et professeur à l’Université de Notre Dame, Timothy Williamson, un grand nom de la littérature britannique et américaine, Judith Butler, ce professeur de l’Université de Californie Berkeley qui est aussi l’une des principales théoriciennes du féminisme, dont l’évolution actuelle doit beaucoup à son apport, Kim Jae-gwon un professeur émérite de l’Université Brown qui s’est

illustré par ses écrits dans le domaine de la métaphysique et Tanella Boni, un professeur de l’Université ivoirienne de Cocody qui porte le flambeau des arts et cultures africains sur la scène internationale. Quant à Alain Badiou, qui intervenait à propos de « Repenser l’histoire de la philosophie et la philosophie comparative (tradition, critique et dialogue) », il doit être compté parmi les plus grands penseurs de la philosophie française contemporaine puisque Slavoj Zizek voit en lui le troisième d’entre eux après Jacques Derrida et Gilles Deleuze. Ce mathématicien titulaire d’un doctorat s’est aussi acquis le respect de ses condisciples dans le domaine philosophique pour son large champ de réflexion qui s’étend à des disciplines aussi diverses que l’art, les mathématiques, la politique et la religion. Qualifié de Nietzsche du XXI e siècle, Peter Sloterdijk suscite aussi un intérêt particulier par d’audacieuses constructions théoriques en rupture avec les icônes philosophiques comme en atteste le succès, inédit pour un ouvrage du domaine depuis la Seconde

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Guerre mondiale, qu’a remporté en 1983 son livre intitulé Kritik der zynischen Vernunft (Critique de la raison cynique). Allaient également contribuer à l’élévation du débat les communications de Luc Ferry, éminent philosophe français et ancien ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de Jacques Chirac, et de Kim Jae-gwon, ce professeur émérite mondialement connu de l’Université Brown.

Un grand pas en avant vers la réconciliation et le dialogue La pensée humaine, plus particulièrement en Occident, s’est structurée, tout au long des deux millénaires et demi passés, aux fins d’une certaine quête d’« absolu ». Toutefois, la prise de conscience de son inaptitude à réaliser cet idéal, voire de l’impossibilité de l’atteindre précipitant l’Homme dans un nihilisme désespéré, sa réflexion est tombée sous l’emprise psychologique puissante de cet « absolu nihiliste ». En partant de ce constat, le Congrès mondial de philosophie entendait

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1 En parallèle avec cette manifestation, plusieurs maisons d’édition exposaient les parutions philosophiques les plus récentes.

2 Le professeur Tim Scanlon prononce une communication à l’occasion d’un dıˆner.

3 Cérémonie de clôture du Vingt-deuxième congrès mondial de philosophie de Séoul.

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proposer des réponses aux inquiétudes philosophiques que peut susciter la condition humaine présente et future en réenvisageant la place de l’Homme au sein de l’univers afin d’en redéfinir adéquatement le cadre. À l’heure où se pose le défi civilisationnel de sa survie sur Terre à cette humanité qui a perdu la faculté de créer, tout en les intégrant, des liens susceptibles de l’unir non seulement à la nature, mais aussi à l’« autre », en raison des obstacles qui s’interposent entre ses cultures constitutives, son existence même semble donc gravement menacée. En tout premier lieu, l’Homme se doit donc impérativement de rechercher les modalités d’élaboration d’une pensée intégrée, tout en conservant l’ouverture d’esprit indispensable à sa réconciliation avec la Nature et en abattant les barrières culturelles qui séparent le Moi de l’Autre. Ce Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie aura donc notamment

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accompli la prouesse de soulever les grandes problématiques auxquelles fait actuellement face l’humanité et de jeter les fondements d’une nécessaire réflexion en vue de la construction d’une pensée et d’un cadre comportemental nouveaux, mais il ne saurait y avoir de création possible d’une telle philosophie, pas plus que d’une civilisation susceptible de se perpétuer, sans que l’Homme se départisse de son arrogance et de sa cupidité, alors il incombe au philosophe d’aujourd’hui d’entamer une recherche approfondie des modalités de réalisation d’une nouvelle civilisation où les individus puissent dialoguer pacifiquement entre eux. La démarche philosophique nouvelle que suppose un tel avènement a bien été abordée par ce Congrès mondial puisqu’il a effectivement ouvert un questionnement sur les perspectives qui s’offrent à nous pour répondre aux défis civilisationnels de l’époque contemporaine.

Par la mise en présence des pensées occidentale et orientale, le Vingt-deuxième Congrès mondial de philosophie de Séoul a permis de franchir une importante étape en rééquilibrant leurs places respectives dans la mesure où celle de la première était jusqu’alors prépondérante.


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ENTRETIEN

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Le poète Ko Un « Je suis mon devenir » Pressenti à deux reprises pour le Prix Nobel de littérature, l’illustre poète coréen Ko Un est un homme de lettres aimé de tous dans son pays, mais aussi mondialement apprécié pour ses quelque soixante-dix ouvrages où souffle un vent de résistance et de lutte, et qui semble défier le passage du temps par cet inlassable travail de recréation qui est sa passion. Choi Jae-bong Journaliste littéraire au quotidien The Hankyoreh Ahn Hong-beom Photographe

Le poète Ko Un passe de longues heures dans sa bibliothèque d’Anseong, ce paisible village de la province de Gyeonggi-do. Hiver 2008 | Koreana 39


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n cet après-midi du 10 septembre 2008, c’est une originale manifestation qu’accueillait la Galerie d’exposition du Centre culturel de la Fondation de Corée, sous les auspices de la Société littéraire de Séoul présidée par l’ambassadeur de Suède Lars Vargo et avec la participation des ambassadeurs de Colombie, de la République Tchèque, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Mexique, de Qatar, de la Suisse et de Turquie, puisque des poèmes de Ko Un, au nombre de deux ou quatre selon les cas, allaient y être lus dans la langue nationale de ces différents pays.

Un poète mondialement apprécié Dans son discours de bienvenue, l’ambassadeur Lars Vargo, qui, en 2006, avait déjà invité Ko Un à prononcer une conférence à l’occasion de la cérémonie commémorative de la société qu’il préside, allait affirmer à son propos : « Bien qu’il existe des traductions anglaises de ses œuvres, nous les dirons aujourd’hui en dix langues différentes pour rendre compte de leur portée mondiale » et les diplomates de s’acquitter aussitôt de cette tâche, qui en espagnol pour la Colombie ou le Mexique, qui en français puis en allemand dans le cas de la Suisse, la lecture des textes intitulés « Dans les bois » et « Les hirondelles de chez Su-dong » ayant particulièrement séduit le public. Pour marquer le cinquantième anniversaire des débuts littéraires de ce poète, la présentation de ses textes s’accompagnait en cette même journée d’une exposition qui réunissait des tableaux de sa création sur le thème du « Dessin des verbes » et que l’auteur allait lui-même ouvrir par la lecture de l’un de ses derniers textes s’intitulant « Le vide », au sujet duquel il allait avouer, lors d’un entretien avec la presse, que la publication d’un nouvel écrit produisait à chaque fois la même impression sur lui, avec ces quelques mots de commentaire : « Je me suis toujours senti à l’écart de cette poésie coréenne moderne qui est aujourd’hui vieille d’un siècle, jusqu’à ma langue maternelle qui me semble étrangère alors que je suis voué à m’exprimer par ce moyen ».

Une inaltérable soif de nouveauté L’incessante quête de nouveauté qu’a entreprise l’auteur au prix de ses habitudes et de son confort personnel est le ressort des évolutions artistiques qui ont abouti à sa vision actuelle d’un monde réconcilié en vertu du bouddhisme Seon, c’est-à-dire Zen en langue coréenne, après avoir prôné une esthétique nihiliste dans ses premières années, puis s’être engagé dans l’action militante, en un perpétuel cycle de changements et progrès qui allaient transformer peu à peu son écriture. Dans la préface du recueil de poèmes Chants tardifs qu’il publiait en 2002, Ko Un n’avait-il pas eu cette phrase : « Je suis mon devenir » par laquelle il semblait manifester son intention de tendre sans cesse vers son « moi »

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futur plutôt que de se complaire dans celui du temps présent ? D’une facture antérieure, mais non moins célèbre, son : « Je contribue davantage à l’extinction qu’à la création » révélerait pour d’aucuns la conception nihiliste du monde qu’il embrassa à ses débuts, alors qu’elle synthétise en réalité une volonté de rompre avec ses succès du passé pour se consacrer exclusivement à une production renaissant du vide qu’il réalise ce faisant à chaque fois. Tranchez tout, jusqu’aux parents et aux enfants ! Tout ce qui n’est ni l’un ni l’autre Et le reste. Tranchez-les au couperet de l’obscurité. Demain matin, Ciel et Terre s’empliront des débris de la mort, Qu’il nous appartiendra d’ensevelir à longueur de journée, Pour recréer un nouveau monde. (Destruction de la vie, traduction de Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas)

C’est au sein du recueil s’intitulant Au village Munui que l’auteur, dans ce texte édité en 1974 sous le titre Destruction de la vie , définit les origines et orientations de sa philosophie nihiliste, qui eut pour première manifestation, en 1952, sa décision de rejoindre les ordres monastiques pour fuir le monde temporel et apaiser le fort traumatisme psychologique que lui avait infligé la Guerre de Corée. Dans son premier vers, le poème se veut évocateur des préceptes propres au bouddhisme Seon, selon lequel quiconque, s’il « rencontre un moine, Bouddha même, se doit de les tuer », tandis que sa dernière ligne, qui se trouve délibérément éloignée des sept précédentes par un espace supplémentaire, signifie à l’évidence que ces idées de nihilisme et d’extinction procèdent par des voies complexes d’une décision mûrement réfléchie de reconstruire le monde. Cet ultime vers peut aussi faire référence à Jeon Tae-il, ce militant ouvrier qui dénonça la dure condition de travailleurs soumis à une exploitation systématique avant de s’immoler par le feu en 1970 et dont l’acte allait bouleverser la vision du monde et de la littérature qui était celle de l’auteur, quoique les mots « nouveau monde » demeurent d’une interprétation difficile dans un tel contexte poétique, tandis qu’ils désignent celui qu’il veut construire avec force et limpidité dans le recueil Route au petit matin qui paraıˆt en 1978 et comporte une importante œuvre de cette époque intitulée Flèches. Soyons des flèches ! Partons tous corps et âmes ! Partons en fendant les airs. Une fois partis, ne revenons plus.


© Comité organisateur des festivités célébrant les cinquante ans de création littéraire de Ko Un

Du 4 au 12 septembre derniers, la Galerie du Centre culturel de la Fondation de Corée accueillait une exposition de trente-cinq tableaux et dix-neuf oeuvres calligraphiées du poète Ko Un, dont des poèmes choisis ont été lus par des ambassadeurs étrangers en Corée dans leurs langues nationales à l’occasion d’une manifestation exceptionnelle, tandis que l’auteur récitait l’une de ses toutes dernières créations.

Dans la préface du recueil de poèmes Chants tardifs qu’il publiait en 2002, Ko Un avait eu cette phrase : « Je suis mon devenir » par laquelle il semblait manifester son intention de tendre sans cesse vers son « moi » futur plutôt que de se complaire dans celui du temps présent.

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Ne revenons plus : une fois enfoncés, Pourrissons avec la douleur du coup frappé. (...) La cible accourt dans les ténèbres du plein jour Et quand, bientôt, elle tombe en vomissant le sang, Une seule fois, tous ensemble, Flèches que nous sommes, versons notre sang! Ne revenons plus! Ne revenons plus! Ô flèches! Flèches de la patrie! Ô vaillants soldats! Âmes glorieuses! (Les flèches, traduction de Roger Leverrier)

Après l’adhésion au nihilisme des premiers temps, Ko Un allait s’engager dans le militantisme politique dans les années soixante-dix, que d’aucuns considèrent une parenthèse obscure dans sa production, sans pour autant que celle-ci ne dévie de son objectif premier qu’est la recherche de la vérité.

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Si d’aucuns ne manqueront pas de souligner la signification incertaine du mot « cible » présent dans ce poème, ce dernier traduit manifestement, eu égard aux circonstances qui régnaient dans les années soixante-dix où il fut composé avec le succès que l’on sait chez les étudiants et autres militants de l’époque, l’aspiration de l’auteur à se départir de ses vues nihilistes pour accéder à un nouvel univers politique. Une décennie plus tard, son entrée dans la vie politique réelle et la poursuite incessante de ses idéaux créeront une fructueuse synergie avec son activité littéraire. Tout en se situant alors au premier plan de la scène politique par sa production poétique comme par son militantisme, il recherchera en parallèle l’approfondissement et la diversification d’une démarche littéraire qui aura pour aboutissement, entre 1987 et 1994, la rédaction de Baekdusan , un ensemble de poèmes épiques en sept tomes traitant de l’accession de la Corée à l’indépendance et de sa marche vers la réunification, auquel succédera un autre chef-d’œuvre littéraire entrepris en1986, Maninbo (Dix mille vies). Encore dépourvue à l’époque de ses dimensions sociale et nationaliste, la littérature populaire dite « minjung » était le théâtre d’un débat qui opposait ses tenants en matière de style, tandis que Ko Un avait d’ores et déjà compris que ce peuple dit « minjung » se devait de pouvoir mener une existence épanouie à l’avant-scène du pays. En cet instant né entre toi et moi, S’élève l’étoile la plus éloignée. À des milliers de lis de Buyeo, Dans chaque village des cinquante-quatre nations de l’ancien Mahan, Se forment des rencontres. Puis, d’autres se fondant en une seule et même patrie ! Sur cette terre ancienne,


Séparation est expansion. Cortège sans fin des vies, Où nul ne peut exister seul ! Demain ! Ô l’homme ne peut être homme, et monde, que parmi d’autres! (Préface à Maninbo, traduction de Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas)

Constituée de trente tomes, le recueil Maninbo (Dix mille vies) procède d’une colossale entreprise qui se poursuivra jusqu’à l’année 2009 en vue de retracer la rencontre de toutes les personnes qu’a connues l’auteur dans sa vie et, si le nombre de celles-ci est entre-temps passé de dix à trois mille, elle n’en représentera pas moins, dans sa version finale, le brillant accomplissement d’un défi littéraire sans précédent, ainsi que la preuve incontestable de l’infini talent de son auteur.

Un regard lucide et intuitif Si, en l’espace d’un demi-siècle, la poésie de Ko Un a amorcé plusieurs changements d’orientation, elle n’a en rien perdu de l’allégeance à la philosophie Zen et de la vision pénétrante qui en font l’originalité. Quelle que soit l’époque de leur composition, ses poèmes se caractérisent par une alliance de fortes ruptures de continuité dans la pensée avec une création de paradoxes sémantiques créant l’effet d’un franchissement des limites de la sagesse formaliste et procédant dans une large mesure des dix années de vie monastique dont l’auteur a fait l’expérience et qui transparaissent plus manifestement encore dans tous les écrits postérieurs aux années quatre-vingt-dix. L’atmosphère mystique dont s’imprègnent ces textes éveille un vif intérêt chez les lecteurs étrangers et ce, d’autant plus qu’elle est inaccessible à la création fondée sur une conception occidentale du monde. Yi Mun-gu, le romancier et ami intime de Ko Un qui disparut en 2003, avait un jour affirmé à propos de ce dernier : « Si je devais qualifier d’un seul mot la personnalité littéraire de Ko Un, j’emploierais celui d’exhaustivité », ce jugement étant corroboré par une production qui s’élève à ce jour à quelque cent cinquante œuvres mêlant recueils de poésies, fiction, essais, récits de voyage, biographies critiques et commentaires, mais pouvant aussi se lire comme une invitation à aborder d’autres genres que la poésie, jusqu’alors éclipsés, afin de leur rendre la place qui est la leur. Cette insatiable curiosité et cette passion d’écrire ayant permis à Ko Un de transcender les barrières qui s’élèvent entre les genres, on serait tenté de se demander si elles ont aussi entraıˆné un tel dépassement entre la langue et la matière, au vu des trente-sept peintures acryliques, œuvres calligraphiques et peintures Zen que l’écrivain a réalisées en une dizaine de jours par une chaleur accablante et dont l’exposition à l’occasion des festivités a rencontré un accueil

enthousiaste chez les visiteurs, lesquels n’ont pas manqué d’y déceler l’expression d’un talent largement supérieur à celui d’un simple amateur. Valeurs littéraire et artistique ne feraient-elles qu’une ou alors, les différents arts seraientils voués à se fondre en dernier lieu l’un dans l’autre ? Les œuvres exposées s’avéraient d’autant plus étonnantes par l’épanchement des couleurs se répandant à la surface de la toile en n’y ménageant aucune place pour le vide, contrairement à la peinture orientale, qui se caractérise par une beauté simple et l’insertion d’espaces blancs. Lors de son entretien avec la presse, Ko Un allait d’ailleurs affirmer son refus de cette conception orientale du vide : « J’aime plus que tout l’exubérance physique et la sensualité qui se dégagent de la peinture à l’huile occidentale, ainsi que son aptitude à recouvrir l’ensemble de la toile de couleurs repoussantes », un tel point de vue dépassant le seul cadre de la peinture, puisque l’auteur ajoute : « Je me refuse à vivre le reste de mon existence en me contentant de ce que j’ai déjà accompli jusqu’à présent. Je ne cherche pas à répondre aux questions qui se sont posées pendant la première moitié de ma vie, pas plus que je ne m’efforce de les résoudre. En revanche, je me tiens prêt à affronter tout nouveau bouleversement ou défi que me réserve la vie ». Au cours de l’allocution qu’il a prononcée devant la Société littéraire de Séoul, le 10 septembre 2008, Ko Un précisait en outre : « Au lieu de me concentrer sur les cinquante ans qui viennent de s’écouler, j’entends passer le reste de mes jours à me construire un magnifique avenir », témoignant ainsi de son caractère inflexible et de son désir inextinguible de renouveau.

Une éternelle jeunesse Après la parution, prévue en 2009, du dernier tome de Maninbo , Ko Un souhaite s’atteler à la création de nouveaux chefs-d’œuvre tels que cette Vierge , un poème épique et métaphysique évoquant les hauts faits du célèbre personnage du conte Simcheong , qui se déroule au palais du roi de la mer et sur terre, ou ce Destin qui recherche les perspectives de création d’une nouvelle école de pensée fondée sur l’alliance des philosophies orientale et occidentale, ainsi que d’autres concepts. De son propre aveu, il est toutefois possible qu’il décide de renoncer à ces projets de longue haleine dans la mesure où il privilégie une « écriture automatique comme le destin ». Ko Un a indéniablement atteint une renommée internationale qui n’a pas sa pareille parmi les écrivains coréens et représente l’aboutissement de près d’un demi-siècle d’une production littéraire ininterrompue, mais comme l’estimait Yom Moo-ung en commentant son poème Le vide , il se pourrait que l’œuvre de Ko Un ne soit pas encore parvenue à son plus haut degré, ce qui rend d’autant plus pertinent le « Je suis mon devenir » de cet écrivain.

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ARTISAN

Yoo Young-ki un maître artisan cherchant à concilier force et souplesse de l’arc et de la flèche Sous la dynastie Joseon (1392-1910), la population coréenne était connue sous le nom de « dongi », c’est-à-dire « le peuple de l’est habile au tir à l’arc », la pratique de cet art occupant alors une grande place dans la vie quotidienne des souverains et de leurs sujets à des fins tant spirituelles que physiques et s’inscrivant ainsi dans une tradition spécifique profondément ancrée dans l’histoire, à l’instar du métier que Yoo Young-ki, un artisan qui s’est vu classer par l’État Important bien culturel immatériel n° 47, exerce avec passion, comme l’ont fait ses ancêtres depuis cinq générations. Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Seo Heun-kang Photographe 44 Koreana | Hiver 2008


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’aucuns affirment qu’une œuvre d’art incarne toute l’âme de son créateur parce qu’elle constitue le fruit de ses efforts inlassables, tels ceux qu’accomplit Yoo Young-ki, dont le regard acéré semble lire dans les pensées de ses interlocuteurs et dont le corps sans un pouce de graisse évoque la flèche mince et véloce atteignant sa cible. Celui qui, enfant, jouait déjà avec ces instruments et secondait son père en lui tendant cannes de bambou et plumes de faisan utiles à son labeur, les manie encore alors qu’il est aujourd’hui septuagénaire. « J’avais quinze ans quand éclata la Guerre de Corée et je me souviens que dans notre fuite, père n’emporta en tout et pour tout que les outils nécessaires à ses fabrications, en abandonnant au logis nos articles ménagers et importants titres de propriété. Si cette décision me parut alors incroyable, je la comprends aujourd’hui mieux avec l’âge, car pour le maıˆtre artisan qu’il était, l’arc et la flèche représentaient toute sa vie. À plus de soixantedix ans, j’affirme quant à moi n’en avoir toujours pas réalisé qui me satisfassent pleinement, car ils ont toujours quelque chose en moins ou en plus par rapport à ce que je souhaitais et je ne saurais donc cesser mon activité avant d’en obtenir un qui me contente tout à fait ».

Quand arc, flèche et homme ne font qu’un

La scène de chasse devant laquelle sont présentées ces flèches réalisées selon les règles de l’art par le maıˆtre Yoo Young-ki est celle d’une peinture murale située dans la Tombe de Muyongchong, ou « Tombe des figures dansantes », qui date du royaume de Goguryeo (37 av. J.-C.-668).

Depuis la dynastie Joseon, c’est au village natal de Yoo Youngki, dans la province de Gyeonggi-do, qu’a le plus prospéré une production d’arcs et de flèches à laquelle s’adonnait déjà Boksam, le père de l’artisan, dans l’atelier dont il avait lui-même hérité et dont les fabrications, parmi les plus abondantes de l’époque, approvisionnaient les plus grands champs de tir de tout le pays et attiraient par leur renommée des archers venus des quatre coins du territoire. « Si la qualité d’un produit tient en principe à celle des matières qui le composent, celle des flèches requiert en outre que son fabricant connaisse leur utilisateur final et qu’à cet effet, il ait rencontré celui-ci en personne pour prendre note de sa physionomie, de la longueur et de la force de ses bras, mais aussi de son tempérament, afin que le produit fini soit adapté à chaque individu, car pour que l’archer atteigne sa cible, il importe que le poids et la puissance de l’arme soient bien proportionnés par rapport aux caractéristiques de celui-ci et pour parvenir à un tel degré de qualité, l’artisan ne pourra se contenter d’avoir vu l’archer une fois ou deux. Chez celui-ci, les traits les plus propices aux meilleures fabrications sont pour moi l’amour de la vie et de l’art qu’il exprime en décrivant par le menu les impressions que font naıˆtre en lui le maniement de ces instruments, car une osmose me semble nécessaire entre artisan et archers ». Ces derniers, qui accouraient jadis auprès du premier comme s’amoncellent les nuages, représentaient pour lui des amis tout autant que des conseillers, et leurs relations étaient empreintes d’un respect mutuel de leur savoir-faire propre. S’ils se font aujourd’hui moins nombreux, ils n’en continuent pas moins de le solliciter en lui exposant, notamment en matière de poids des insHiver 2008 | Koreana 45


truments, des desiderata qui lui lancent autant de nouveaux défis et lui apportent la satisfaction d’avoir remédié aux lacunes qu’ils avaient mises en évidence, comme lorsque l’on a fait mouche, ajoute-t-il en se replongeant dans ses souvenirs. Loin de se limiter à un simple art martial dans la Corée de jadis, le tir à l’arc y figurait, aux côtés du protocole, de la musique, de l’équitation, de la calligraphie et des mathématiques, parmi les six « disciplines sociales » qui, selon la doctrine confucéenne, détenaient les plus hautes vertus aux fins de l’épanouissement du corps et de l’âme. « La générosité, comme le tir à l’arc, ne peut s’acquérir que par une grande maıˆtrise de soi », déclara Mencius, tandis qu’un ancien texte chinois s’intitulant Livre des rites précise que l’objectif du tir à l’arc est l’enrichissement spirituel : « Il est admis de longue date que sa pratique suppose une recherche de cette vertu qui se trouve au fond de notre cœur et c’est pour parvenir à la maıˆtrise d’eux-mêmes que les hommes vertueux s’y adonnent ». Présente en Corée dès le paléolithique, elle allait atteindre son apogée sous la dynastie Joseon, où l’appréciaient ses souverains aussi bien que leurs sujets, puis, jusque dans les années soixante et soixante-dix, continuer de donner lieu à des compétitions dans tous les villages du pays. « Pour atteindre sa cible, il faut dit-on se tenir parfaitement droit, en tendant tout à la fois son corps et son esprit afin d’effectuer un tir convenable, lequel constitue donc le meilleur moyen d’entretenir ceux-ci. Au musée que j’ai créé dans le but de promouvoir cet art actuellement en voie de disparition, les enfants venus l’apprendre me demandent parfois, dans toute leur charmante candeur, s’ils pourront y rencontrer Jumong, cet archer d’élite qui instaura le royaume antique de Goguryeo et s’il n’est plus aujourd’hui parmi nous, ses descendants que sont nos jeunes enfants prennent sa digne succession, comme je le leur explique ! » C’est au mois de mai 2001 que le Musée Young-jip de l’arc et de la flèche a ouvert ses portes aux visiteurs, auxquels il permet de découvrir sa collection de quelque deux cents arcs et flèches

provenant de l’Orient comme de l’Occident, ainsi qu’une reconstitution du « singijeon », un matériel d’artillerie d’époque Joseon capable de projeter simultanément plus de cent flèches.

Une tenacité à toute épreuve Les flèches traditionnelles coréennes peuvent être du type dit « jukjeon », lorsqu’elle se composent de bambou, ou « moksi » quand leur matière est le bois. Sous le royaume de Goguryeo (37 av. J.-C. - 668) qui s’était établi dans le nord de la péninsule, elles pouvaient être constituées de lespédézie bicolore, de saule ou de bouleau blanc, la première de ces variantes étant jugée supérieure aux autres. D’une exécution plus complexe et moins légers que celles-ci, les projectiles de bois en usage sous la dynastie Goryeo (918-1392) parcouraient en outre une distance moindre que leurs équivalents en bambou. De telles carences allaient mettre un terme à leur production, dès les premiers temps de la dynastie Joseon, au profit des traits de bambou que caractérisaient une solidité et une souplesse plus grandes tout en se prêtant à un maintien et une orientation plus précis qui faisaient d’eux les instruments les meilleurs qui soient. La fabrication d’une seule de ces flèches exige la mise en œuvre d’un procédé complexe qui débute à la fin novembre, où l’artisan entreprend un périple d’un mois dans tout le pays pour y trouver du bambou de la meilleure qualité et se poursuit par le séchage de ce dernier à l’abri du soleil durant une cinquantaine de jours, après quoi, les cannes dépourvues de leur écorce seront exposées à un feu de charbon de bois, avant de subir un polissage auquel succédera la sélection des tronçons les plus aptes à la fabrication. « Pour ma part, je préfère les espèces poussant en bord de mer à celles de montagne et pour obtenir le meilleur matériau, j’opte pour des arbustes de deux ans d’âge, qui présentent une épaisseur uniforme, ainsi que des nœuds dépourvus de fissures. Je procède alors au découpage des cannes retenues, sur une longueur de quatre-vingt-dix centimètres, en m’assurant que chaque tronçon se compose de trois segments de longueur iden-

1 Fondé par Yoo Young-ki, le Musée Young-jip de l’arc et de la flèche expose différents types de projectiles, dont un dit d’alarme, car son tir s’accompagnait de l’émission d’un bruit, et d’autres à usage militaire caractérisé par sa moindre longueur, ou encore à feu, de messagerie, de chasse ou à cordelette.

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2 Ultime vérification du produit fini.


« Depuis toujours, je fabrique des flèches sans être pour autant rompu au tir à l’arc, qui toutefois a été pour moi une école de vie car sa maıˆtrise exige de savoir doser son effort avec souplesse et d’adopter des positions évoquant celles d’un danseur, tout comme il faut à mon avis le faire dans l’existence ». 2


tique. En ce qui concerne la qualité de cette plante, j’ai constaté au gré de mes déplacements dans toutes les régions coréennes, de la province de Gangwon-do à l’ıˆle de Jeju, que sur près de cent mille sujets, seuls cinq mille se prêtaient à la production de flèches. Faute d’en découvrir de satisfaisants, il m’est souvent arrivé d’errer des journées entières à leur recherche, au point que dans les années soixante-dix où j’étais alors âgé d’une quarantaine d’années, j’ai un jour été pris pour un agent de renseignement nord-coréen alors que j’examinais un bouquet d’arbustes situé en bord de mer. Sans me décourager pour autant, j’ai pousuivi mes investigations avant de trouver non sans mal les spécimens souhaités et lorsque je redescendis de la montagne, m’arrêtant un instant pour reprendre mon souffle, je me demandai, face au soleil couchant, ce que j’aurais pu désirer de plus en ce monde. » Après avoir apprêté les cannes comme il précède, l’artisan réalise le montage des pièces métalliques, lanières de tendon de bœuf, lespédézies bicolores et plumes de faisan dont le maintien est assuré par une colle de poisson. Il procède ensuite à la réalisation des différents éléments constitutifs du projectile, que sont, dans l’ordre de leur exécution, le manche, la pointe, l’enco-

1 Après avoir séché à l’ombre pendant un mois, les cannes de bambou sont durcies au feu de charbon, puis aiguisées.

che où vient s’accrocher une cordelette et les plumes assurant l’orientation rectiligne de la flèche en vol, sachant que celles de tout un faisan suffisent à peine à en produire trois, tandis que la colle nécessaire à la fixation de la pointe s’obtient par des opérations complexes, après avoir longuement fait cuire des vésicules de poisson. Au terme de ce processus, il convient d’effectuer plusieurs pesages du produit fini avant d’en rectifier le poids, puis de procéder à l’aiguisage des pointes et au traitement de surface par polissage, lesquels sont d’une exécution assez simple, mais ne nécessitent pas moins de cent trente passes pour parvenir au résultat souhaité, d’où il s’avère que la production journalière ne peut en tout état de cause dépasser trois unités en dépit d’un travail incessant. Aujourd’hui, les impératifs du confort moderne et de la production de série ont substitué aux flèches de bambou traditionnelles des articles en matière plastique qui se prêtent à une production mécanisée et plus économique au grand dam de Yoo Young-ki, qui a dès lors entrepris la fabrication d’autres types traditionnels de ce projectile en vue de remettre celui-ci au goût du jour. En 1977, il a en outre publié un ouvrage traitant de son

2 L’élimination des moindres saillies permettra d’obtenir une surface parfaitement lisse.

4 La plume de faisan ébarbée vient

5 Les dimensions de la pointe prenant place

se fixer au bout de la baguette.

à l’autre extrémité de la baguette dépendent du poids et de la longueur de celle-ci.

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3 La baguette en bambou est enduite de colle de poisson à ses deux extrémités, puis recouverte de lanières de tendon de bœuf qui éviteront sa fissuration.

6 Tout défaut décelé lors du contrôle du produit fini est dûment rectifié.


Le maıˆtre artisan Yoo Young-ki essaie lui-même le fruit de sa production, dont chaque spécimen exige l’exécution de pas moins de cent trente opérations.

artisanat en en répertoriant les différents produits, procédés et techniques d’élaboration, matériels et outils. Au nombre des multiples pièces qui se trouvent exposées à son musée, figurent un « hyosi », qui est une flèche d’alarme dont le tir s’accompagnait de l’émission d’un bruit, un « pyeonjeon » dont la longueur de trente centimètres est inférieure de moitié à celle des instruments ordinaires, un projectile à feu dit « hwajeon », un « sejeon » qui servait à l’expédition des missives et un « sinjeon », à la transmission des ordres royaux, ainsi qu’un « jusal » de chasse sur lequel venait se fixer une cordelette. En 1996, Yoo Young-ki s’est vu octroyer par les pouvoirs publics le titre d’Important bien culturel immateriel n°47 en récompense de l’important savoir-faire qu’il a acquis dans ce métier artisanal où aucun professionnel n’avait jusqu’alors reçu pareille distinction.

Une tradition remontant à cinq générations Doté d’une force et d’une souplesse qui font sa spécificité, l’arc traditionnel coréen met en œuvre pour sa fabrication le bambou, le chêne, le mûrier, la corne de buffle et le tendon de bœuf, le deuxième, le troisième et le premier d’entre eux en composant respectivement le manche, les deux extrémités et la partie médiane à laquelle ce dernier confère une plus grande souplesse, tandis que des fragments des quatrième et cinquième de ces matières y sont fixés à l’aide de colle à base de vésicules de poisson-tambour, dont la texture liquide, ainsi que la diminution du pouvoir adhésif à haute température, exigent une interruption de

la fabrication en été. L’artisan tient à préciser que les produits obtenus s’avèrent d’autant plus solides qu’ils allient la souplesse du bambou à la dureté du chêne et du mûrier, outre les qualités des autres matières citées plus haut. « L’arc traditionnel coréen constitue une variante du « gakgung », lequel se compose de corne de buffle et de tendon de boeuf, tandis que par ses caractaristiques, il appartient à la catégorie des « ganggung », qui sont, en Corée, les plus robustes de toutes les armes traditionnelles de ce type », explique-t-il. Grâce à Yoo Young-ki, ces techniques artisanales se sont une fois de plus transmises de père en fils, créant ainsi une cinquième génération d’artisans au sein de sa famille. Aujourd’hui âgé de quarante-trois ans, ce fils cadet prénommé Se-hyeon a en effet grandi parmi les arcs et flèches que fabriquait son père, tout comme ce dernier par le passé, pour un jour renoncer à la sécurité de l’emploi et suivre la voie tracée par son prédécesseur. « Depuis toujours, je fabrique des flèches sans être pour autant rompu au tir à l’arc, qui toutefois a été pour moi une école de vie car sa maıˆtrise exige de savoir doser son effort avec souplesse et d’adopter des positions évoquant celles d’un danseur, tout comme il faut à mon avis le faire dans l’existence ». Par ce froid après-midi d’hiver balayé par la bise et pour la première fois depuis quelque temps déjà, Yoo Young-ki décoche l’une de ses flèches en se figeant dans une posture tout à la fois immuable et nonchalante, telle une rivière suivant inlassablement son cours insolite. Hiver 2008 | Koreana 49


CHEFS-D’ŒUVRE

D’élégantes figurines en terre cuite dans l’esprit de l’époque Silla Les deux élégantes figurines de cavaliers qui composent le Trésor national n°91 représentent un chef-d’œuvre de l’art de la faı¨ence coréenne par leur valeur esthétique et archéologique, mais témoignent aussi remarquablement, par le rendu précis et réaliste de l’homme et du cheval, notamment de leurs parures et accessoires, de la vie quotidienne et spirituelle des gens de Silla. Song Yi-chung Directeur du Département d’archéologie du Musée national de Corée Photographie: Musée national de Corée

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es fouilles réalisées dans les tombeaux de la dynastie Silla (57 av. J.-C.-935) ont permis la mise au jour de faı¨ences, projectiles en fer, selles de cheval et autres objets de nombreux types représentés en quantités variables, les premiers d’entre eux, par leurs styles et catégories très variés, apportant des renseignements très précieux sur la vie quotidienne des sujets du royaume et sur l’époque où furent creusées ces sépultures. Lors de son déblaiement, la Tombe dite de Geumnyeongchong, c’est-à-dire des cloches d’or, a livré un véritable chef-d’œuvre de l’art coréen ancien sous forme d’une statuette en terre cuite représentant un cavalier, en compagnie d’une seconde pièce, et se distinguant par d’exceptionelles qualités ornementales par comparaison à des objets plus ordinaires composés de ce même matériau tels que les plats ou bols destinés au quotidien, ainsi que par une grande minutie du détail résultant un rendu réaliste des figures humaine comme animale.

Rayonnement artistique de Silla Capitale du royaume de Silla pendant plus d’un millénaire, Gyeongju abrite en son centre quelque deux cents tombes anciennes de vingt à soixante mètres de diamètre, parmi lesquelles figure une quarantaine de tertres à l’aspect extérieur peu endommagé caractéristique d’un bon état de conservation et aux multiples ceintures, colliers, bracelets et bagues en orfèvrerie laissant supposer qu’il s’agit de sépultures royales de la dynastie Silla dont ils révèlent ainsi la prospérité et l’épanouissement artistique. Parmi les nombreux trésors datant de cette époque, se trouvent quantité d’articles d’orfèvrerie qui permettent de situer les origines de ce tombeau entre la fin du cinquième et le début du sixième siècles, notamment plusieurs ceintures et une couronne, dont l’une de ces dernières lui a donné son nom de Geumnyeongchong, qui signifie la « tombe des cloches d’or », car elle était munie de deux clochettes constituées de ce métal précieux. Les dimensions assez réduites que présente celle-ci, ainsi que les accessoires découverts à ses côtés, ont fait supposer aux scientifiques que reposait dans cette sépulture un enfant en bas âge qui pourrait avoir été l’un des princes de sang. Si cette dernière tire sa dénomination d’un ornement en or, sa valeur archéologique ne réside pas dans

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Les motifs figurant sur les deux statuettes découvertes dans une tombe d’époque Silla représentent l’occupant de la tombe et son valet, la grande minutie apportée aux détails de la tenue vestimentaire et des accessoires d’équitation du premier fournissant de précieuses indications sur le mode de vie des nobles d’alors. (hauteur : 23,4cm, longueur : 29,4cm)

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Evidée de matière pour permettre d’y transvaser des boissons telles que le vin de riz par un orifice en forme d’entonnoir ménagé à l’arrière du cheval et pourvue d’un bec verseur situé à la base de l’encollure, cette pièce servit vraisemblablement aux libations précédant l’épandage de terre sur la tombe, à en juger par l’emplacement où elle se trouvait dans celle-ci.

ses bijoux et accessoires composés de ce métal, mais tient à la présence de quatre statuettes en terre cuite aux formes originales, puisqu’elles représentent deux cavaliers et deux navires mus à bras d’hommes, alors se pose la question de ce qui motiva la création par les artisans de Silla de ces figurines ensevelies aux côtés du défunt.

D’originales créations Tous quatre issus de Guemnyeongchong, ces articles de terre cuite constituent des produits caractéristiques d’un artisanat faı¨encier alors centré sur la représentation des hommes, des animaux et de la nature selon un style populaire né sous le royaume de Gaya (42-562) et légué à celui de Silla au cours du quatrième siècle. Qu’elles présentent une cavité intérieure ou soient surmontées d’une coupe, les statuettes de ce type assuraient une fonction de récipient qui les distinguait de celles en céramique pleine ou de la vaisselle en faı¨ence d’usage courant, ainsi que des amphores en terre cuite. Loin de répondre à une vocation pratique dans la vie quotidiennne, elles auraient selon toute vraisemblance fait office soit de vases rituels destinés à répandre du vin de riz ou de l’eau lors des cérémonies funèbres, soit d’objets mortuaires propitiatoires du repos de l’âme dans l’autre monde, au nombre d’autres articles en faı¨ence placés dans la tombe après la mise en terre, et revêtent ainsi une importante valeur en nous renseignant sur les coutumes funéraires et la vie spirituelle d’un peuple qui aspirait profondément à reposer en paix dans l’au-delà.

Le maıˆtre et son valet Les statuettes équestres représenteraient la figure d’un maıˆtre et de son valet au vu de leurs dimensions respectives de 23,4 centimètres de hauteur sur 29,4 centimètres de longueur et de 21,3 centimètres de hauteur sur 26,8 centimètres de longueur, mais aussi des atours aristocratiques du premier, qui arbore chapeau conique, épée courte, bride et selle ouvragées sur sa monture, tandis que le second, grossièrement vêtu, porte un fardeau sur ses épaules, autant d’éléments révélateurs de leur condition sociale, outre qu’ils étaient placés l’un devant l’autre, comme si le domestique était chargé de mener son maıˆtre dans l’autre monde. Une observation attentive de la coiffure de ce dernier révèle la présence de deux liens destinés à être noués sous le menton et de boutons circulaires ornant les rebords qui évoquent les casques en or découverts dans d’autres tombeaux de l’époque et laissent penser, dans la mesure ou ceuxci ne figurent pas sur les statuettes de Geumnyeongchong, qu’elle devait être portée par un adulte, et non par un jeune enfant pourtant supposé avoir occupé cette tombe, ce dernier ayant pu être représenté à l’âge adulte pour implorer qu’il jouisse d’une croissance saine dans l’autre monde. Quant au col et à la ceinture du haut de sa tenue, ils s’agrémentent de boutons circulaires

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1 D’une taille légèrement inférieure à celle de son maıˆtre, le valet possède un habillement plus modeste et une monture au harnais plus rudimentaire, la petite cloche qu’il tient en main étant de celles qui s’employaient jadis dans les cortèges funèbres (hauteur : 21,3 cm, longueur : 26,8 cm).

2 Lors de sa mise au jour, la statuette de valet se situait devant celle du maıˆtre pour suggérer que le premier avait mission de conduire le second dans l’autre monde.

richement décorés, le pantalon auquel se superpose l’armure présentant un motif à chevrons et descendant jusqu’à la cheville, tandis que les chaussures sont à bouts pointus, et qu’une épée courte à la poignée ronde vient se fixer à gauche de la ceinture. Ce premier personnage prend place sur une monture pourvue de toutes les pièces d’un harnais du type de ceux en métal que renfermaient les tombes de Silla et qui comportent rênes, anneaux d’extrémité et bride très ornementée. La crinière de l’animal est réunie vers l’avant en une houppe nette, deux grandes cloches pendent à son poitrail et des insignes en forme de cœur pendent au bout de la bride sur l’un et l’autre flancs, cette dernière comportant des fixations aux jointures, tandis que la selle est reliée aux rênes en anneau. Enfin, la couverture en laine recouvrant l’animal s’orne en bordure d’un motif rectiligne simple que l’on retrouve sur les rabats de la selle découverte dans la tombe de Cheonmachong et la coupe en entonnoir qui repose sur sa croupe est décorée de plumes. Quant au valet, il va nu-tête contrairement à son maıˆtre, à l’exception du bandeau qui enserre son toupet, a le torse également dénudé et porte un faix sur son épaule droite, la cloche située dans sa main droite possédant un sens important puisque la coutume funéraire ancienne voulait qu’un homme prenant la tête du cortège funèbre fasse sonner cet instrument pour conduire les porteurs de cercueil, ainsi que l’âme du défunt, et sa présence sur cette figurine atteste de l’observation de cette pratique traditionnelle par les sujets de Silla. D’un aspect analogue à celui de son maıˆtre, son pantalon n’est pas recouvert d’une armure, et les chaussures sont à bouts ronds, tandis que le harnais du cheval, de conception simple, ne présente ni rênes, ni anneaux, pas plus qu’une bride à motifs, et que sa crinière n’est pas attachée.

Aspiration à l’autre monde Les tombeaux du royaume ancien de Silla se signalent par leur richesse en objets fournissant de précieuses indications sur les traditions et idées qui avaient cours dans cette société, telles ces parures d’orfèvrerie, couronnes ou ceintures, qui dévoilent les splendides productions artistiques de l’époque, ou ces figurines de terre cuite livrées par la tombe de Geumnyeongchong et qui témoignent de la vie spirituelle d’alors, notamment en matière de rituels funéraires, de croyance en l’au-delà, mais aussi de rang social, qui transparaıˆt dans les dimensions physiques, la tenue vestimentaire et les autres effets personnels. Il y a peu, des fouilles effectuées dans d’autres tombes de Gyeongju et des environs de Gyeongsan ont permis la mise au jour de figurines équestres en terre cuite d’un type analogue, quoique plus rudimentaires, qui pouvaient donc appartenir aussi aux gens du commun et permettent, à l’instar de celles de Geumnyeongchong, de se faire une idée des coutumes funéraires et de la vie spirituelle des sujets du royaume de Silla, ainsi que des aspirations à vivre dans l’autre monde qu’ils exprimaient par leurs prières.

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CHRONIQUE ARTISTIQUE

Exposition Magnum Corée La Corée et les Coréens vus par Magnum Du 4 juillet au 24 août derniers, se déroulait au Musée d’art Hangaram du Centre des arts de Corée une exposition présentant des vues de la Corée réalisées par des photographes de Magnum que la profession est unanime à considérer comme les meilleurs au monde et dont les nombreux visiteurs qui ont patienté à l’entrée de cette salle étaient curieux de connaıˆtre la vision de la Corée et des Coréens d’aujourd’hui. Sohn Young-sil Critique photographique

Par son chromatisme exceptionnel, cette vue de la Tour de Séoul a valu nombre d’éloges à son auteur, Thomas Hoepker, un reporter photographe de renommée mondiale. © Thomas Hoepker, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

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e marasme chronique qui frappe aujourd’hui le monde de l’art dans son ensemble ne détourne nullement le public des grandes manifestations où sont exposées ses œuvres. En 2005 déjà, à une époque où le sixième art attirait pourtant peu de visiteurs, les Coréens avaient réservé un accueil enthousiaste à l’exposition commémorative qui présentait dans le même cadre les travaux du photographe français Henri CartierBresson. Du 4 juillet au 24 août 2008 derniers, une manifestation intitulée Magnum Corée allait à son tour ranimer leur flamme en présentant des vues de la Corée contemporaine réalisées par des professionnels mondialement connus de l’agence photographique Magnum et invitant les visiteurs à se plonger dans leur univers pour en découvrir les aspects méconnus, comme je l’ai fait moi-même en m’attardant plusieurs heures devant chacun de ces prestigieux clichés.

Une recherche de la vérité par l’immersion dans le réel L’agence Magnum est la première coopérative photographique au monde puisque c’est en 1947 qu’elle a été créée par un groupe d’amis composés de Henri Cartier-Bresson, George Rodger, David Chim Seymour et Robert Capa, avec ce dernier à leur tête, et partageant une même conception du rôle du photographe, à savoir de faire découvrir une époque donnée en faisant abstraction de l’idéologie dominante ou du pouvoir en place et en s’affranchissant des représentations stéréotypées de l’actualité par une démarche réllement autonome dans le choix des thèmes et du temps consacré à un projet donné. Au sein de l’agence Magnum, exercent les trois catégories de photographes constituées de membres dits probatoires, associés ou réguliers, l’accession à ces deux derniers statuts étant subordonnée à l’accord des deux tiers de l’effectif déjà existant, lequel s’élève actuellement à une cinquantaine de professionnels en activité. L’expression « photographie documentaire » désigne une notion assez large qui recouvre tout type de vues prises avec un appareil photographique et dont l’un des premiers exemples a été la production réalisée dans les années trente, aux fins d’un programme entrepris en 1929 par la Farm Service Agency (FSA), c’est-à-dire le ministère de l’Agriculture des États-Unis, pour pousser à l’exode les populations rurales du centre qu’avaient accablées de mauvaises récoltes aggravant les effets de la Grande Dépression. C’est en vue de sensibiliser l’opinion à la réalité de ces zones sinistrées que cet organisme allait en 1937 engager des photographes qui allaient entreprenHiver 2008 | Koreana 55


© Chris Steele-Perkins, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

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1 Attiré par les thèmes sociaux et humanitaires, le photographe Chris Steele-Perkins a voulu évoquer la partition péninsulaire par ces marins de la marine de guerre coréenne.

2 À la simple représentation de sujets,

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© Harry Gruyaert, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

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© Ian Berrys, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

Harry Gruyaert préfère une expression ténébreuse qu’illustrent ces curieuses images de personnes assises sur les bancs de l’Aéroport international d’Incheon.

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3 Qualifié de « photographe toujours présent, mais apparemment invisible », Ian Berry a livré ces clichés de Sungnyemun, porte du sud et Trésor national coréen n°1, que longent les passants de Séoul.


dre de rendre compte de manière objective et réaliste de cette situation, jetant ainsi les bases d’un nouveau genre qui serait plus tard connu sous le nom de photographie documentaire et qui, en dépit de sa vocation première d’ordre politique, allait marquer le sixième art d’une empreinte plus sociale en abordant le problème de la pauvreté. D’innombrables groupes et revues allaient faire œuvre de pionnier dans ce nouveau courant qu’allaient perpétuer les photographes de l’agence Magnum en s’imposant très vite sur la scène internationale par leur parti pris d’esprit critique et d’indépendance. Par la suite, la création de nouvelles agences telles que Gamma et Sygma fera progressivement évoluer la photographie documentaire en accordant une plus grande importance au rôle du reportage et de son « auteur », comme en atteste la démarche des jeunes générations de photographes dont fait partie Luc Delahayer au sein de l’agence Magnum et qui aspirent à dialoguer avec le public non seulement par le biais de supports classiques tels que les revues, mais aussi par celui, plus inédit, d’expositions réalisées dans les galeries d’art ou sur le réseau internet, autant de transformations qu’allait peu à peu connaıˆtre cette coopérative parallèlement à celles de la photographie documentaire.

Le présent oublié de la Corée L’exposition Magnum Corée se situait dans le prolongement logique d’un premier projet qui, en vue de découvrir les différents aspects de la vie en Corée, y avait envoyé l’année passée, pour des séjours d’une durée comprise entre quinze jours et un mois, une vingtaine de photographes représentant près de la moitié de l’effectif total et comptant parmi eux Harry Gruayaert, Alex Web, Guerogui Pinkhassov, Eliott Erwitt, Steve McCurry et Hiroji Kubota. Elle allait avoir pour aboutissement une manifestation qui proposait, outre l’exposition principale portant sur huit grands thèmes, vingt mini-expositions consacrées à une évocation de la personnalité des photographes. Ces dernières s’attachaient, on l’imagine, à bien mettre en relief le style propre à chacun d’entre eux et leur traitement particulier du sujet, comme dans cette « Série américaine » composée de portraits d’adolescentes à autonomie réduite qu’a réalisée Lise Sarfati en 2007 et qui s’intéresse principalement à ces jeunes filles pour la plupart lycéennes, tandis que Jean Gaumy évoquait les particularités géographiques de la péninsule en portant son choix sur la mer et des pêcheurs et en insérant dans chacune des vues présentées un élément de ces eaux bleues qui baignent le littoral est, ouest et sud de la Corée, ainsi que la présence de ces pêcheurs qui tirent leur subsistance de leurs généreux efforts. Steve McCurry adoptait quant à lui une perspective contemplative dans sa perception du bouddhisme, tandis que Ian Berry s’intéressait à la Porte Sungnyemun, premier trésor national coréen pour le saisissant contraste qu’elle y offre entre la tradition et la modernité avec ses gardes en costume se

mêlant à la foule des citadins vêtus à l’occidentale. Toujours à Séoul, Tomas Hoepker avait opté pour la Tour de Namsan dont il fournissait plusieurs vues superposées, Gueorgui Pinkhassov présentant de vagues formes et silhouettes émergeant d’une blafarde lumière urbaine et Alex Majoli s’attachant à créer une atmosphère surréaliste par un montage juxtaposant figures humaines et paysages, autant de vues différentes offrant un condensé des particularités et images d’un monde que les Coréens eux-mêmes ont oblitéré de leur univers conscient, accaparés qu’ils sont par leurs activités routinières. De toutes ces représentations, c’est celle de Martin Parr qui devait séduire le plus le public coréen par sa vision critique, voire satirique, du règne de la consommation et de la culture de masse mondialisée. Au sein de cette manifestation, ses œuvres se situaient dans la continuité de sa série de 1999 intitulée Sens commun , dans la mesure où il y saisissait, par des vues en grosplans prises au micro-objectif, des aliments ordinaires tels que les nouilles instantanées ou les « bungeo-bbang », ces pâtisseries en forme de poisson fourrées au haricot rouge et, par le choix de ces aspects prosaı¨ques du quotidien, faisait sourire le public par le sens de l’humour dont il y témoignait. Quant à l’exposition principale évoquée plus haut, elle se déclinait en huit thèmes s’intitulant « Religions coréennes », « Culture coréenne », « Séoul et la Cité », « Nature et vie », « Jouissez de la Corée », « Amour et mariage», « Succès et célébrité » et « Aspects sociaux coréens ». Le premier d’entre eux rassemblait des vues évoquant le tempérament passionné et la grandeur d’âme du peuple coréen, qui pratique de longue date des religions aussi diverses que le chamanisme, le bouddhisme et le christianisme, cette coexistence semblant avoir inspiré le photographe iranien Abbas, qu’avait déjà mis à contribution une manifestation consacrée à l’islam et qui s’est ici particulièrement intéressé au rituel chaman du « gut », ainsi qu’aux cérémonies bouddhistes et catholiques. Dans le domaine des traditions, Hiroji Kubota se centrait sur le cérémonial par lequel les Coréens rendent hommage à leurs ancêtres et Tomas Hoepker, aux étudiants qui jouent avec enthousiasme de leur « janggo », ce tambour folklorique en forme de sablier, tandis que Elliott Erwitt représentait un ensemble de danse contemporaine avec une certaine touche d’humour, ces différentes productions révélant au visiteur les multiples composantes d’une culture façonnée par les impératifs de la coexistence, de la concurrence, mais aussi de l’union qui accompagnent la mise en place de la diversité. Le volet « Nature et vie » évoquait les liens étroits qui unissent les Coréens à ce milieu naturel si profondément ancré dans leurs émotions et dans cette perspective, mettait à l’honneur les modestes agriculteurs et pêcheurs qui tirent leur subsistance de cet environnement rural épargné par la pollution. Dans « Jouissez de la Corée », les photographes s’employaient à montrer, par une série de vues consacrées aux activités de loisirs, que celles-ci sont à l’image du naturel généreux et jovial de Hiver 2008 | Koreana 57


© Abbas, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

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« Il est des plus surprenants que le chamanisme fasse toujours autant d’adeptes en Corée malgré la prépondérance du bouddhisme et du christianisme », estime Abbas, chez qui la dimension religieuse est souvent présente, le rituel du « Mansin Gut », exècuté par Kim Keum-hwa et propre à cette croyance étant représenté sur cette photographie.

la population, à l’instar de cette photographie, qu’a prise Steve McCurry lors de la Fête de la boue de Boryeong, une ville de la province de Chungnam, et sur laquelle figure une jeune femme dont le corps entièrement recouvert de cette matière symbolise les passions et le goût de la liberté qui caractérisent une jeune génération coréenne, aux antipodes de cette jeune Afghane qui faisait il y a quelque temps la couverture du National Geographic . Ian Berry y saisissait également des scènes d’activités sportives se déroulant dans des parcs aquatiques ou des stations de ski, tandis que David Alan Harvey, qui s’est intéressé à la culture hip-hop dans son livre intitulé Living Proof , braquait son objectif sur ces boıˆtes de nuit dont les concerts « live » font la renommée du quartier universitaire de Hongik. Sur le thème « Amour et mariage », étaient présentées des photos révélatrices d’une évolution de la conception de cette 58 Koreana | Hiver 2008

institution, Chen Chi Chang ayant traité plus particulièrement, au sein d’un livre récent intitulé Double Happiness , d’un mariage arrangé entre une jeune Vietnamienne et un Taı¨wanais d’âge moyen, en vue de souligner le rôle que jouent les familles multiculturelles dans cette mutation. Quant au volet « Succès et Célébrité », il se centrait sur l’engouement qu’éprouvent les Coréens pour les études, perçues comme la condition sine qua non de la réussite sociale, Tomas Hoepker y présentant notamment des vues de brillants étudiants du lycée d’élite Minjok et de l’Université nationale de Séoul. En point d’orgue de la dernière partie intitulée « Aspects sociaux coréens », figurait le remarquable portrait que dresse le célèbre reporter de guerre Bruno Barbey de marginaux toujours plus exclus de la société au fur et à mesure que se creuse le fossé entre riches et pauvres, tandis que Chen Chi Chang évo-


© Elliott Erwitt, Magnum Photos, Euro Photo-Magnum Korea

Des portraits tout en humour et finesse sont la marque de fabrique d’Elliot Erwitt, tel celui de l’actrice coréenne Moon So-ry.

quait de manière tangible, par ses images de soldats gardant la zone démilitarisée, la forte tension émotionnelle qui règne dans un pays divisé par l’affrontement idéologique et la lutte pour la suprématie.

Les enseignements à tirer Manifestation de grande envergure organisée dans le cadre des festivités marquant le soixantième anniversaire de la fondation de la République de Corée, l’exposition Magnum Corée se proposait de figer sur le papier l’image que présentait la Corée en 2007 pour la transmettre à la postérité et offrait ainsi un état de lieux de la société et de la culture contemporaines à travers l’objectif des photographes. Contrairement à d’autres projets de Magnum, qui s’étendent souvent sur de longues durées, les prises de vue ont été

réalisées en un temps assez limité, mais sous l’objectif de leurs auteurs de renommée mondiale, elles allaient livrer autant de tableaux aux tonalités tour à tour dynamiques, hétérogènes ou étranges, et familières puisque les Coréens eux-mêmes s’y sont parfaitement reconnus. La forte progression qu’enregistre l’usage des appareils photo numériques chez les non-professionnels, qui sont de ce fait toujours plus nombreux à s’éprendre du sixième art, éveille plus que jamais l’intérêt pour les productions de ce dernier, comme a su le faire, en sachant séduire le grand public ordinaire par le choix d’une thématique facilement abordable, cette exposition dont on conservera le souvenir en raison de son important apport à une plus large ouverture des perspectives qui s’offrent à une photographie documentaire jusqu’alors envisagée aux seules fins du photojournalisme. Hiver 2008 | Koreana 59


À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE

Kevin O’Rourke un traducteur épris de littérature coréenne Traducteur émérite des écrivains coréens en langue anglaise depuis déjà trente-cinq ans, Kevin O’Rourke parle de sa vie en Corée avec une grande aisance dans une langue dont il a fait un difficile apprentissage. Lee Soo Jin Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

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e fort attrait qu’exerce aujourd’hui la culture coréenne se manifeste depuis peu sous la forme du « hallyu », cette « vague coréenne » qui a déferlé en premier lieu sur l’Asie et porte essentiellement sur des productions de masse d’une diffusion et d’une consommation aisées, tels le cinéma ou la musique. En revanche, elle n’a concerné que dans une très faible mesure les œuvres littéraires, dont l’expression et la compréhension, contrairement à celle de la musique ou des arts visuels, se heurtent à la barrière de la langue, et exigent de ce fait une seconde opération de création, par le biais de leur traduction, en vue de les faire apprécier aux lecteurs étrangers.

Une deuxième création Si plusieurs sites internet proposent aujourd’hui gratuitement des prestations de traductions qui sont accessibles en cliquant simplement sur son ordinateur et si les textes ainsi obtenus, quoique d’une qualité approximative, sont suffisamment compréhensibles pour se dispenser de l’intervention d’un traducteur humain, il semble peu probable qu’elles soient à même de rendre, dans toutes leurs nuances, le sens et les sentiments subtils d’une œuvre littéraire, et par là même, de communiquer convenablement le message de l’auteur à des lecteurs appartenant à une sphère culturelle et linguistique différente. De telles questions ne me sont pas inspirées par quelque vague nostalgie d’une « ère analogique » où tout reposait sur le travail manuel, mais par le fait que la traduction littéraire ne saurait se résumer à un simple transcodage d’une langue à une autre, car les œuvres concernées font appel à la culture, à l’histoire et aux valeurs d’un pays, et ne peut parvenir à un niveau de qualité acceptable que par la mise en œuvre d’un processus complexe susceptible de satisfaire l’intérêt du lecteur dans un contexte culturel, historique et linguistique différent, constituant de ce fait en essence non une « conversion », mais une seconde création. Âgé de 68 ans et professeur émérite de littérature anglaise

à l’Université Kyung-hee, Kevin O’Rourke a consacré l’essentiel de sa carrière à la traduction d’œuvres littéraires coréennes aussi diverses que des poèmes, romans et nouvelles d’auteurs classiques et modernes, notamment il convient de mentionner Tilting the Jar, Spilling the Moon (La cruche renversée, la lune répandue), un recueil de poèmes d’époque Goryeo, Joseon et contemporains, The Dream Goes Home (Retour du rêve), un poème de Cho Byung-hwa, Poems of a Wanderer (Poèmes d’un vagabond), un ensemble de poèmes de Suh Jhung-joo, Mirrored Minds, a Thousand Years of Korean Verse (Le reflet des esprits, mille ans de poésie coréenne), The Book of Korean Shijo (Le livre des shijo coréens) et The Book of Korean Poetry (Le livre de la poésie coréenne), plusieurs poèmes datant de Silla et Goryeo, ainsi que Our Twisted Hero (Notre héros défiguré), un roman de Yi Mun-yol. Cet apport s’avère d’autant plus précieux à l’heure où rares sont les traducteurs de langue anglaise qui se spécialisent en littérature coréenne et, par sa puissance exceptionnelle révélatrice d’une véritable passion littéraire ainsi que d’une longue expérience en traduction, a été salué par ses lecteurs tant coréens qu’étrangers, comme en atteste le Prix du meilleur poème traduit que s’est vu décerner l’auteur par la Société britannique de poésie. « Quand j’étudiais la philosophie et la théologie au séminaire, j’éprouvais une attirance particulière pour la littérature et le riche passé que possède dans ce domaine mon pays d’origine, l’Irlande, a aussi joué un rôle important dans l’orientation que je me suis choisie. De même que la Corée s’est distinguée par sa peinture et sa céramique traditionnelles, l’Irlande compte de grands écrivains qui ont profondément marqué la littérature occidentale du vingtième siècle, tels James Joyce, William Yeats, Oscar Wilde, et Samuel Beckett, pour n’en citer que quelques uns ». C’est en 1964 qu’arrive dans ce petit pays d’Extrême-Orient,

Le Livre de la poésie coréenne (The University of Iowa Press, 2006) est une anthologie de poèmes dits « hyangga » et « gayo » qui furent composés sous les royaumes de Silla et Goryeo et dont la traduction en langue anglaise est due à Kevin O’Rourke.

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au terme de son premier voyage en avion, un jeune missionnaire irlandais de vingt-quatre ans de l’Ordre de Saint-Columban, pour un séjour qui représente à ce jour les deux tiers de son existence. Était-ce parce qu’il s’agissait de son premier voyage à l’étranger qu’il conserve des souvenirs aussi précis de son arrivée à l’aéroport de Gimpo gardé par un cordon de militaires en armes, puis de l’interminable trajet jusqu’à Séoul sur une route non bitumée, dans la poussière soulevée par une cohorte de véhicules. Alors qu’il s’était fait de la Corée l’idée d’un pays mystérieux aux paysages lugubres et à l’atmosphère oppressante créée par le pouvoir militaire, telle une chape de plomb pesant sur ses habitants, celui qui était alors un jeune prêtre de vingtquatre ans débordant d’enthousiasme et de curiosité se souvient avoir ressenti non de l’appréhension, mais de l’exaltation à la perspective des formidables défis que lui réservait sa nouvelle vie en Corée. Kevin O’Rourke n’aurait certainement jamais foulé le sol coréen en l’absence de motivations religieuses, alors dans quelles circonstances avait-il embrassé sa vocation ? « En Irlande, on se flattait alors d’avoir un ou deux membres du clergé dans sa famille, outre que l’on n’avait pas à se soucier à leur sujet de mariage ou d’études universitaires, alors n’avais-je pas fait le bon choix ? », explique-t-il avec un humour révélateur d’un naturel foncièrement optimiste.

Un étudiant avide de savoir Tout en officiant à la Cathédrale Saint-Columban de Séoul, Kevin O’Rourke s’initie au coréen à l’Institut de langue coréenne de l’Université Yonsei et au cours de la première année de cet apprentissage dans lequel il se plonge, il posera d’innombrables questions à ses enseignants et ne cessera de s’étonner de la difficulté que celui-ci présente alors qu’il a antérieurement appris le grec et le latin avec une certaine aisance. Quant à ses professeurs, ils se voient contraints de résoudre le véritable casse-tête des « Pourquoi ceci, pourquoi cela ? » dont il les harcèle car il existait de fait des lacunes méthodologiques en matière pédagogique ainsi qu’une pénurie de manuels à l’intention des apprenants étrangers, de sorte que les cours visaient principalement à l’apprentissage par cœur de mots situés hors de tout contexte. « Dans les premiers temps, la tâche me paraissait très ardue et je me demandais à quoi tenaient les difficultés de cette langue, en déplorant aussi que les linguistes coréens n’aient pas mis au point des méthodes pédagogiques qui facilitent son acquisition » se rappelle Kevin O’Rourke avec un large sourire. Trois années dans cet établissement vont finir par éveiller en lui une véritable passion pour ces études, qui l’avaient tant déconcerté de prime abord et qu’il entreprend de poursuivre par des cours de littérature coréenne. En 1970, soit six ans après son arrivée en Corée, il s’inscrit en troisième cycle à l’Université Yonsei pour y étudier la littérature coréenne et se fait immanquablement remarquer à une époque où son Département de langue coréenne, de même que 62 Koreana | Hiver 2008

ceux des autres universités du pays, ne comptent que très peu d’étudiants étrangers. Sans faire cas de la curiosité qu’il suscite et après avoir surmonté l’obstacle de la langue, il obtiendra sa maıˆtrise dans le cadre de laquelle il a rédigé un mémoire traitant de l’influence du naturalisme français sur les nouvelles de Kim Dong-in, un romancier naturaliste coréen des années vingt, puis poursuivant sur sa lancée, il entreprendra un cursus de doctorat qu’il conclura en 1982 par la soutenance d’une thèse sur l’influence de la poésie anglaise sur celle de Corée dans les années vingt. Premier titulaire de ce diplôme dans le domaine de la littérature coréenne, Kevin O’Rourke travaillera deux années durant comme rédacteur dans une revue scientifique de l’Université Yonsei avant d’entrer au Département de langue et littérature anglaises de l’Université Kyung-hee où il enseignera les lettres modernes jusqu’à sa retraite survenue en 2005, s’imposant à tous par la motivation et les exigences qui le caractérisent.

L’enchantement de la poésie coréenne La première traduction de Kevin O’Rourke consiste en une anthologie qu’il publie en 1974 sous le titre The Korean Short Stories (Les nouvelles coréennes) et s’il allait par la suite travailler sur de nombreuses œuvres contemporaines, notamment en poésie, il conserverait un émerveillement sans fin pour le genre des poèmes classiques du type « gayo » de Goryeo ou « hyangga » de Silla. « J’estime pour ma part que les plus grandes œuvres littéraires coréennes ont été composées sous le royaume de Silla (57 av. J.-C.-935) et la dynastie Goryeo (918-1392). À mes yeux, le plus remarquable poète de toute l’histoire de la littérature coréenne est Yi Gyubo (1168-1241), qui par l’universalité de sa démarche et de son écriture témoignant de son ouverture sur le monde, se situe à l’égal des grands auteurs chinois que furent Li Bai (701-762), Du Fu (712-770) et Shu Shi (1036-1101). Je me délecte de ses poèmes débordants d’imagination où il expose en toute sincérité ses faiblesses d’homme ». Inapte à vivre conformément à son idéal, il en concluait à ses propres lacunes et plus il s’éloignait de cette perfection, plus il s’enfonçait dans un désespoir dont il tirait toutefois son inspiration. Kevin O’Rourke a la conviction que le confucianisme, qui représentait l’idéologie dominante de la dynastie Joseon, exerçait un ascendant néfaste sur la littérature, car dans sa doctrine orthodoxe, il visait à priver le bouddhisme de son influence pourtant profondément ancrée dans l’âme coréenne depuis alors un millénaire et ce faisant, aurait selon lui étouffé les deux composantes essentielles de la littérature que sont lyrisme et passion. La première d’entre elles connaıˆtra cependant un semblant de regain lorsque d’illustres poètes de Joseon tels que Kim Si-seup (1435-1493) et Seo Geo-jeong (1420-1488) rédigeront des œuvres qui s’inscrivent dans la continuité de la tradition littéraire des époques antérieures. Quant à la poésie coréenne pré-moderne et moderne, elle


coréenne, Kevin O’Rourke recommande Notre héros défiguré , un roman de Yi Mun-yol qu’éclipsèrent les succè de librairie de l’auteur, mais qui l’a particulièrement séduit par son exceptionnelle puissance dès la première lecture qu’il en fit il y a vingt ans de cela. La traduction anglaise qu’il a réalisée de cette œuvre, dont l’intrigue se centre sur la thématique des relations de pouvoir s’exerçant au sein de la société et qui a été éditée en 2003, a été suivie de versions française, espagnole et allemande. Selon Kevin O’Rourke, la traduction constitue un « travail plaisant » qui, s’il exige parfois de consacrer tout un mois à la recherche d’un seul mot, lance toujours d’enrichissants défis. D’aucuns affirment qu’il faut s’y être consacré plus de dix ans avant d’en acquérir la compétence et de fait, comment trouver du plaisir à une tâche aussi méticuleuse si l’on ne possède ce savoir-faire que seules peuvent conférer une patience et une persévérance inifinies.

Une infinie passion

Premier docteur ès lettres étranger dans le domaine de la littérature coréenne, Kevin O’Rourke enseigne celle-ci, depuis l’obtention de son titre en 1982, au Département de langue et littérature anglaises de l’université Kyung-hee et tout au long de sa carrière universitaire longue de trente années, il s’est efforcé de faire partager sa passion littéraire et son cosmopolitisme.

est principalement représentée par Pak Mok-wol et Seo Jeongju, qui l’ont fait sortir de l’ombre dans laquelle les tenait la littérature occidentale et lui ont conservé ainsi son identité propre par un retour aux sources de l’esprit de Silla, ces deux poètes ayant à nouveau inscrit la création littéraire dans la perspective des grands courants de l’histoire coréenne. En tant que croyant de confession catholique, Kevin O’Rourke éprouve une fascination particulière pour le parfum de bouddhisme Zen dont s’imprègne la poésie coréenne et il a pour auteur moderne favori Seo Jeong-ju, dont il trouve les œuvres ultérieures particulièrement exquises. Au lecteur étranger peu familiarisé avec la littérature

Quarante années de vie en Corée, dont il a notamment connu la croissance économique rapide, ont valu à Kevin O’Rourke de se voir nommer « citoyen d’honneur » par la municipalité de Séoul en raison du travail qu’il a accompli dans le domaine littéraire. « L’avantage de ce titre », affirme-t-il en souriant à nouveau, « est qu’il permet de prendre gratuitement le métro », non sans regretter une évolution trop rapide : « Autrefois, les Coréens avaient bon cœur, tandis qu’aujourd’hui, ils s’emportent plus facilement et ont tendance à accorder davantage d’importance à la réussite matérielle ». « De nos jours, entendez-vous souvent prononcer le mot de « geulpi », interroge-t-il en soulignant que ce vocable spécifiquement coréen qui signifie « après-demain » est beaucoup moins en usage depuis ces vingt dernières années en raison du rythme si trépidant et du caractère éphémère du mode de vie actuel que l’on ne semble plus en mesure d’envisager l’avenir avec plus d’un jour d’avance. Aujourd’hui, seul demeure le souvenir de cette lenteur et de cette tranquillité qu’il avait tant appréciées en visitant les petits villages de montagne de la province de Gangwon-do voilà quelque trente ans de cela. Partageant maintenant son temps entre Séoul et l’Irlande, où il séjourne quelques mois, Kevin O’Rourke, bien que théoriquement en retraite, consacre encore ses journées à la lecture, à l’écriture et à la traduction d’œuvres littéraires d’époque Silla ou Goryeo. Le doctorat honoraire en littérature qu’il a obtenu dans une université nationale irlandaise il y a plusieurs années démontre que ses travaux littéraires sont tout aussi appréciés sur sa terre natale que dans son pays d’accueil. Cet homme qui voue à la poésie classique coréenne une passion plus forte que les Coréens a accordé à la littérature une place essentielle dans sa vie, s’y consacrant avec enthousiasme et en éprouvant une grande satisfaction pour demeurer à jamais ce jeune homme animé d’une passion débordante pour cet art. Hiver 2008 | Koreana 63


SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

Le 8 janvier dernier, Sung Shi-yeon, qui monte ici sur scène, dirigeait son premier concert coréen à la tête de l’Orchestre philharmonique de Séoul, au Centre Sejong des arts du spectacle.

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Sung Shi-yeon une modeste mais énergique présence sur scène Jeune chef d’orchestre coréenne pleine d’avenir, Sung Shi-yeon a particulièrement bien réussi dans un domaine où ses compatriotes, hommes ou femmes confondus, n’ont que rarement connu un succès international, comme en atteste la brillante prestation qu’elle fournissait encore il y a peu à la tête de formations américaines aussi prestigieuses que l’Orchestre philharmonique de Los Angeles et l’Orchestre symphonique de Boston. Anna S. Roh Editorialiste de musique Photographie : Orchestre philharmonique de Séoul

À

l’âge de trente-deux ans, Sung Shi-yeon possède cette sérénité qui ne fait qu’accentuer l’aspect très féminin d’une personnalité que chaque entrée en scène métamorphose cependant en lui conférant une contenance grave tandis qu’elle dirige baguette en main et se meut avec aisance en mobilisant toute l’attention de l’orchestre par les énergiques déplacements de ses bras, les mouvements de ses mains, ses signes porteurs d’un sens musical, l’expressivité de son visage et la coordination technique dont elle fait preuve, le public admirant quant à lui sa gestuelle de ballérine qui participe du spectacle au même titre que la musique. Son interprétation de Shostakovich apporte ainsi un certain point de vue féminin, tandis que celle de Moussorgsky (1839-1881) est une invitation au voyage dans un monde de rêve et d’imagination débridée.

Naissance d’un maestro La Corée a produit nombre de grands virtuoses de renommée mondiale, à commencer par la violoniste Kyung Hwa Chung, à laquelle allaient succéder Sarah Chang et Han-na Chang à ce même instrument, puis le pianiste Kim Sunwook allait à son tour s’illustrer, il y a peu, en remportant le Premier prix du Concours international de pianoforte de Leeds, de sorte que les organisateurs de ces épreuves ont envisagé la possibilité d’instaurer des règlements particuliers à l’intention des concurrents coréens en raison de la suprématie qu’ils s’assurent dans la compétition de haut niveau. À cet égard, la direction musicale fait toutefois figure d’exception puisque les Coréens sont rares à s’y être imposés en raison,

semble-t-il, de la nature et des techniques de cette discipline qui paraıˆt de prime abord se centrer sur la conduite de l’interprétation, mais dont la charge tient avant tout d’une gestion du personnel fondée sur les relations de personne à personne. Contrairement aux autres musiciens, le succès d’un chef d’orchestre est subordonné non à l’exercice exclusif de son talent propre, mais à son habileté à résoudre les questions d’ordre personnel ou relationnel par la maıˆtrise des deux domaines à première vue incompatibles de la politique et de l’art. À ce propos, il convient de rappeler que l’éducation musicale tend avant tout en Corée à la réussite personnelle, comme en atteste la présence assez limitée d’interprètes de ce pays qui se produisent dans les formations les plus prestigieuses par comparaison à celle des solistes, mais aussi le niveau plus élevé de ces derniers par rapport aux ensembles de musiciens. Comme une pierre gemme transformée par la taille en un joyau éclatant, la chef d’orchestre Sung Shi-yeon s’est d’autant plus remarquablement imposée sur les scènes coréennes et étrangères qu’elle a dû surmonter les difficultés inhérentes à sa condition féminine dans une discipline où les hommes règnent encore en maıˆtres et les femmes font figure de perles rares, quoique les inégalités qui existaient entre eux soient censées appartenir désormais à un passé révolu. Il lui a encore fallu compter avec ses origines asiatiques transparaissant dans une personnalité réservée et une corpulence menue a priori peu susceptibles de la prédisposer à son actuelle profession, mais dissimulant toute la passion qui l’a habitée dans son irrésistible ascension jusqu’à cette importante situation. Hiver 2008 | Koreana 65


Sung Shi-yeon affirme qu’un chef d’orchestre se doit d’avoir pour vertu cardinale cette humilité qu’inspirent forcément, à ses yeux, une réelle appréciation des compositeurs et de leurs oeuvres, ainsi qu’une interprétation fidèle de celles-ci, s’appliquant elle-même à en exprimer la quintessence par la réalisation d’une parfaite harmonie entre ses musiciens.

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Quand une pianiste prend la baguette Enfant, Sung Shi-yeon n’imagine pas un seul instant être un jour chef d’orchestre, puisqu’elle se sent une vocation pour le piano, dont l’apprentissage lui permettra de remporter plusieurs compétitions coréennes de haut niveau, mais la poursuite de ces études à l’Université des Arts de Berlin s’avérera par la suite insatisfaisante en raison de son incapacité à progresser plus avant dans cet art. Sur les conseils de son professeur, elle entreprendra alors d’élargir ses horizons musicaux à de nouveaux domaines jusqu’au jour où un clip-vidéo lui révélera toute la maestria du chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler (1886-1954) en lui produisant une si puissante impression qu’à une année à peine de son diplôme, elle changera brusquement de cap en s’inscrivant à l’École de Musique Hanns Eisler de Berlin en vue d’une spécialisation en direction musicale associée au piano et c’est alors que se produira sa rencontre avec Roff Reuter, lequel acceptera d’en faire sa première et dernière étudiante. « Il existe certes des femmes chefs d’orchestre en Europe, mais en nombre très limité. Roff Reuter vouait une véritable affection à chacun de ses élèves, mais je crois avoir bénéficié d’une attention particulière de sa part », se souvient-elle. Dispensant son enseignement avec enthousiasme, sans se contenter de transmettre uniformément des connaissances, il savait susciter l’épanouissement de tous en cernant leur personnalité et en décelant leurs points forts selon cette démarche personnalisée qui allait permettre à Sung Shi-yeon de mieux se connaıˆtre elle-même et de construire son identité de chef d’orchestre. Au terme d’un cursus d’un an en direction musicale, la jeune femme fera ses premiers pas à la baguette en dirigeant la « Flûte enchantée » de Wolfgang Amadeus Mozart, avant de remporter le Concours de direction musicale féminine de Solingen en 2004 puis, renouvelant ses prouesses deux ans plus tard, celui de Sir Georg Solti, qui consacre les meilleurs chefs d’orchestre du monde et fera d’elle la première lauréate de son grand prix en sa troisième édition, tandis que l’année suivante la verra ravir le deuxième prix du second Concours Gustav Mahler. Ces importantes manifestations qui, dans toute la profession, ont valeur de référence pour juger de l’aptitude d’un chef d’orchestre à connaıˆtre un succès international allaient, de manière inédite, révéler le talent d’une jeune femme de nationalité coréenne et lancer celle-ci dans sa carrière musicale, car les distinctions qui lui ont été décernées dans ce cadre lui vaudront de se voir nommée aux États-Unis. Quittant Berlin, elle partira au mois d’octobre 2007 pour Boston après avoir accepté d’y assister James Levine à la direction de l’Orchestre symphonique de Boston. « J’ai connu de difficiles débuts en raison de ma méconnaissance de la langue et de nombreuses différences culturelles en dépit desquelles les musiciens témoignaient tout autant de considération à mon égard que de professionnalisme, ne manquant jamais de ponctualité lors des répétitions et respectant

les points de vue que j’exprimais. Tout au long de nos séances, ils faisaient preuve de concentration sans jamais s’accorder le temps de bavarder entre eux et, s’il arrivait que leur dirigeant déçoive leurs attentes, rien ne le trahissait dans leur comportement et ce n’est qu’après avoir achevé leur travail qu’ils prenaient aussitôt la fuite, visiblement à bout de patience ».

Une recherche de bien-être par la musique Dans la sphère privée, le temps n’a pas épargné ses épreuves à Sung Shi-yeon puisque, survenu prématurément au mois de septembre dernier après une maladie soudaine, le décès de son mentor Roff Reuter, dont elle allait prendre connaissance dans sa chambre d’hôtel de Francfort, allait d’autant plus la peiner et la choquer que lors de la toute dernière visite qu’elle lui avait rendue à l’hôpital, l’homme lui avait prodigué des conseils pour son prochain concert dans cette ville, revoyant sa partition page par page avec elle. « Comme il m’était impossible d’annuler le concert en signe de deuil, il a bien fallu que je sèche mes larmes pour monter en scène, et bien que les musiciens qui composaient cet ensemble d’origine ancienne fussent tous de l’âge de mon père, j’ai pris la décision de surmonter mon chagrin pour assurer une représentation inoubliable, ce qui s’est avéré difficile, bouleversée que j’étais par la mort de mon maıˆtre et sentant les musiciens percevoir ma vulnérabilité. Le rapport de force qui s’instaure entre ces derniers et leur dirigeant repose toujours sur un délicat équilibre qui se manifestait par une apparente résistance à mon interprétation dans ce cas précis, mais dont fait souvent l’expérience tout nouveau chef d’orchestre.» « En d’autres temps, j’aurais su trouver la voie d’un compromis, mais il en allait tout autrement ce jour-là et j’ai alors compris que je me trouvais confrontée à la première crise de ma carrière de chef d’orchestre, tout en demeurant campée sur mes positions, par égard pour mon vénéré maıˆtre et pour assumer mon identité ». De ce premier conflit avec ses musiciens, elle allait sortir victorieuse puisque, apprenant la perte tragique qui l’affligeait, ceux-ci allaient lui en témoigner une vive émotion à la fin d’un spectacle qui serait par la suite couvert d’éloges. Poursuivant résolument sur la voie du succès, Sung Shiyeon estime qu’un chef d’orchestre se doit d’avoir pour vertu cardinale cette humilité qu’inspirent forcément, à ses yeux, une réelle appréciation des compositeurs et de leurs œuvres, ainsi qu’une interprétation fidèle de celles-ci, s’appliquant elle-même à en exprimer la quintessence par la réalisation d’une parfaite harmonie entre ses musiciens, car un chef d’orchestre pour lequel la musique prime sur toute autre considération ne peut qu’établir une fructueuse coopération avec ses musiciens. Voilà pourquoi, à chacune de ses entrées en scène, seule mais pleine de confiance en elle-même, Sung Shi-yeon rêve de ce jour où « tous les hommes seront frères, sous l’emprise des légères ailes de la musique » (Symphonie n°9 de Beethoven, « Choral »). Hiver 2008 | Koreana 67


ESCAPADE

Jeongseon Des montagnes et rivières à la beauté immuable C’est dans la région montagneuse de Jeongseon, où le relief culmine à mille mètres d’altitude et se creuse de vallées abritant de petits villages préservés par le temps, que fut composée la chanson populaire traditionnelle « Arirang de Jeongseon » sur le thème très coréen des souffrances et chagrins de la vie qui inspirent cette profonde mélancolie dite « han ». Lee Yong-han Poète | Ahn Hong-beom Photographe

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T

andis que je musarde sur les lacets d’un paisible sentier de montagne, j’éprouve l’impression de remonter le temps au sortir du bouillonnement d’activités de la ville. Au bas des hauteurs, les champs au relief inégal et pierreux étalent leur mosaı¨que de sarrasin, maı¨s et pieds de haricots, puis quand tombe le soir, des rubans de fumée s’élèvent des toits bas que surplomble la montagne et en un rien de temps, la pénombre inonde le village niché au fin fond des vallées, car le soleil paraıˆt s’y coucher plus tôt. Après avoir cheminé dans ce doux paysage, je m’élance au village, comme dans le giron maternel. Il se disait autrefois que qui allait à Jeongseon pleurait et en repartait de même, à l’instar des juges qui, lorsqu’ils y étaient affectés, maudissaient leur malchance d’avoir à habiter une contrée aussi lointaine, mais qui, une fois qu’ils s’y étaient établis, tombaient sous le charme de son magnifique arrière-pays et de ses habitants au naturel généreux, alors c’est à regret qu’ils la quittaient quand prenait fin leur mandat. Elle demeure aujourd’hui tout aussi isolée que par le passé et le relief en est si accidenté que d’aucuns affirment en plaisantant qu’ils pourraient tendre leur corde à linge entre ses montagnes environnantes.

Pittoresque Donggang Cerné par une chaıˆne ininterrompue de montagnes dépassant pour la plupart le millier de mètres, tel le Gariwangsan qui en compte 1 561, le village est traversé par les petits affluents du Joyanggang, un cours d’eau plus connu sous le nom de Donggang qui se jette dans le Namhangang au niveau de la ville de Yeongwol et offre à Jeongseon un magnifique spectacle constituant l’un des principaux attraits de cette localité. Avec une nonchalance évoquant les accents de l’« Arirang de Jeongseon », le Donggang déroule entre les montagnes son lit sinueux qu’enjambaient il y a encore peu, sur toute sa longueur, une multitude de ponts de fortune, les « seopdari » et « tongnamudari », qui, pour les premiers, se composaient de piles de bois revouvertes de branches de pin et de boue, tandis que les seconds, de conception plus rudimentaire, étaient constitués de longs rondins sur lesquels reposaient des madriers, les villageois en construisant de nouveaux à l’occasion d’une fête qui se tenait une fois l’an, dans la froidure de novembre.

Entre les parois escarpées encaissant les vallées, serpente le Donggang qui offre à la vue un paysage pittoresque tout au long de son cours.

Jeongseon

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La rivière offre au regard une vue de toute beauté sur l’ensemble de son cours, mais plus encore lorsqu’elle parvient à Yeonpo, ce village de l’arrondissement de Deokcheonri qu’elle enserre complètement d’une boucle se refermant au niveau de la caverne de Baengnyong. Les falaises où s’encaissent ses berges rehaussent encore le charme de l’agglomération en se dressant hors de l’eau sur une hauteur si vertigineuse qu’elles répandent leur ombre sur toute sa superficie et font dire à un vieil adage que « Le soleil se lève trois fois à Yeonpo », car il n’est donné à la population d’apercevoir l’astre du jour que lorsqu’il perce entre les faıˆtes de ce bouclier rocheux. Le village possède encore une auberge qui offrait jadis le gıˆte et le couvert aux marchands convoyant en amont, il y a vingt ans encore, des radeaux chargés de bois à destination de Séoul et, dont elle accueillit, à sa meilleure époque, de trente à quarante par jour aux dires de la vieille gérante qui tient encore cet établissement et se rappelle le spectacle exceptionnel des innombrables embarcations rangées en enfilade tout autour de cet abrupt méandre. Par la suite, les incessants progrès du monde moderne allaient avoir raison de ces moyens de navigation ancestraux et convertir leur voie fluviale en un parcours de rafting très prisé.

Des villages de montagne pétris de tradition Les hauts sommets faisant les vallées profondes, celles de Jeongseon offrent leur écrin à de nombreux villages dont la visite constitue à mes yeux le meilleur moyen de découvrir la région et le mode de vie de ses habitants. Le voyageur qui parvient à celui de Hambawigol, sans nul doute le plus isolé

1 Au confluent de deux fleuves, Auraji servit jadis d’important débarcadère aux radeaux transportant des marchandises, lesquels ont aujourd’hui cédé la place à des bacs halés d’une rive à l’autre.

2 Longue d’environ cinq cents mètres, la grotte calcaire d’Hwaamgul abrite, entre autres curiosités, une impressionnante chute d’eau et une Grande stalagmite mesurant cinq mètres de circonférence sur huit de hauteur.

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1 Perché en pleine montagne, le village d’Andojeon possède un vieux moulin dont se servent encore les habitants.

2 Jeongseon a reconverti ses chemins houillers en pistes de vélo-rail à l’intention des familles en visite, qui en apprécient d’autant plus la pratique dans ses paysages aussi variés que charmants.

3 La falaise de Morundae, dont le nom signifie littéralement

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« lieu de rassemblement des nuages », dresse ses parois abruptes révélant un spectaculaire panorama qui inspira longtemps peintres et poètes.

d’entre eux au sein de l’arrondissement de Bukdong-ri, au terme d’un trajet de douze kilomètres sur la route de montagne non bitumée qui croise la très fréquentée route provinciale n° 424, est frappé par une solitude et un calme tels qu’il croirait y entendre murmurer des esprits dans les arbres. Il a aujourd’hui pour unique habitant le vieux Monsieur Choi, qui y réside depuis plus de cinquante ans et conserve à son domicile deux objets, aujourd’hui disparus, qui ne manquent pas d’attirer notre attention. Il s’agit d’un javelot employé à la chasse au sanglier et d’un « padae », cette corde en paille tressée qui permettait d’effaroucher oiseaux et animaux attirés par les champs, Monsieur Choi ayant fait un grand usage de l’un comme de l’autre dans sa jeunesse, et le second, dont la longueur supérieure à trois mètres est lestée d’un poids à ses deux extrémités, servant aujourd’hui encore tandis que le premier est tombé en désuétude. « Quand les corneilles picorent mon maı¨s ou que les sangliers déterrent mes pommes de terre, je le lance à la volée, de toutes mes forces, alors ils prennent peur à cause du bruit aussi fort que celui d’un coup de fusil et ils s’enfuient », explique l’homme. Surpris du recours à cette pratique ancienne sur une exploitation qui ne produit après tout qu’une faible quantité de maı¨s et navet, je lui demande naı¨vement s’il n’est pas tenté de quitter le village, mais il répond catégoriquement qu’il y vit parce qu’il l’aime, ajoutant : « Il y a beaucoup de calme, du bon air, de l’eau pure... Tout cela est merveilleux ! Pourquoi vivrais-je ici, si cela ne me plaisait pas? », sans paraıˆtre le moins du monde déplorer le manque de confort moderne. Près du bourg de Imgye-myeon, un petit village du nom d’Andojeon se trouve tout aussi isolé derrière une véritable barrière montagneuse atteignant mille deux cents mètres d’altitude. Ses constructions, qui selon leurs propriétaires possédaient encore des toits en chanvre jusque dans les années soixante-dix, où lui fut substitué l’étain, possèdent encore, notamment par le pisé et la pierre qui composent respectivement leurs murs à l’intérieur et à l’extérieur, nombre de caractères distinctifs d’un habitat local traditionnellement clairsemé propre aux régions de montagne coréennes. Dans les habitations des villages de montagne de la province de Gangwon-do, l’étable était attenante à la cuisine et non située dans la cour parce que le bétail faisait en quelque sorte partie de la famille, mais aussi et avant tout, en raison des attaques d’animaux des montagnes, dont les éleveurs se devaient de le protéger. Le village d’Andojeon comporte un moulin où ses habitants viennent encore moudre le produit de leurs récoltes, notamment millet, maı¨s et piment préalablement séché, mais aussi broyer le soja entrant dans la composition des condiments et sauces, tandis que lors des fêtes traditionnelles, ils y écrasent le riz cuit à la vapeur pour obtenir une pâte ferme et délicieuse à laquelle n’est comparable aucun des produits de l’industrie urbaine. Dans l’arrondissement de


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Beakjeon-ri, se trouve également un moulin à eau vieux d’un siècle qui permettait de moudre le grain et dont les habitants faisaient encore un usage collectif il y a dix ans de cela.

À Auraji, s’unissent les ruisseaux et par-dessus Morundae, s’amoncellent les nuages Où que l’on porte le regard, Jeongseon fournit ses vues spectaculaires, dont la plus appréciée et la plus rénommée se trouve sans conteste à Auraji en raison de sa situation au confluent de deux ruisseaux, le Soncheon et le Goljicheon, ainsi que de la présence de l’ancien embarcadère des radeaux qui emportaient leur cargaison de bois jusqu’à Séoul en empruntant le cours du Namhangang, un négoce qu’immortalise cette statue de la « Jeune fille d’Auraji » évoquée par la chanson folklorique du même nom, avec ses bacs halés à bras d’hommes et ses ponts de fortune. « Batelier d’Auraji, laissez-moi traverser la rivière ! Les camélias de Ssarigol pourraient perdre de leurs fleurs. Les fleurs peuvent tomber sur les feuilles mortes, Mais où mon cœur brisé ira-t-il, sans mon amour à mes côtés ? »

Il s’agit du passage le plus connu d’« Arirang de Jeongseon » et les villageois l’entonnent encore très souvent. Dans son arrondissement de Gujeol-ri, le village propose depuis peu un service de vélo-rail qui attire des amateurs venus des quatre coins du pays et tandis que cette localité présentait jusqu’alors un air de désolation avec sa mine de charbon désaffectée, elle constitue maintenant une nouvelle destination touristique grâce à la reconversion de ses chemins houillers en pistes cyclables qui s’étendent sur un circuit de 7,2 kilomètres de distance dans un paysage des plus agréables et variés. La région comporte encore d’autres attraits, tels la grotte de Hwaamgul, la source de Hwaamyaksu et la falaise de Morundae qui, s’ils sont certes moins réputés que les sites du Donggang ou d’Auraji, attirent davantage la population de Jeongseon que les lieux les plus touristiques. Ouverte au public de fraıˆche date, la première abrite une cascade de vingt-huit mètres, la plus élevée d’Asie, ainsi qu’une exceptionnelle concentration de stalagmites et stalagtites de très grande taille, et fournit au visiteur des informations instructives sur les mines d’or au moyen d’expositions expliquant la formation du minerai et son raffinage, ainsi que les emplois et l’histoire du métal précieux. Quant à la source de Hwaamyaksu, dont l’eau est célèbre pour ses vertus curatiHiver 2008 | Koreana 73


ves, notamment pour le traitement des maladies de la peau, des yeux et gastro-intestinales, elle a fait naıˆtre une légende selon laquelle toute méchante personne qui entreprend d’en boire, voit apparaıˆtre au-dessous du jet, par un effet d’illusion optique, un énorme serpent qui la met aussitôt en fuite. Autre merveille de la région qui attira par le passé nombre de poètes et peintres, la falaise Morundae tire son nom, qui signifie littéralement « lieu de rassemblement des nuages » d’une croyance selon laquelle elle était d’une telle beauté que les nuages eux-mêmes s’y arrêtaient pour en goûter la vue. Cette formation abrupte surplombe une vaste étendue rocheuse où pourraient s’asseoir toutes ensemble des centaines de personnes, tandis qu’en son sommet se

dresse un antique pin dominant la vallée. Est-ce la solitude et le sentiment de danger émanant des lieux qui plurent aux nombreux artistes venus y rédiger leurs poèmes ou peindre leurs tableaux ? Du centre-ville de Jeongseon à Morundae, une route paisible parcourt une nature encore sauvage en épousant de temps à autre des courbes pour contourner des escarpements rocheux, puis cette sérénité est rompue par l’abıˆme plongeant sous la paroi, tel un poème laconique, et au ras de ce précipice perdu dans les brumes, un vieux pin autrefois foudroyé dresse sa silhouette sur le paysage lugubre qui s’étend en contrebas. Quoique souvent boudée par les touristes, Morundae offrit aux poètes une source d’inspiration à

Dans la région de Jeongseon, modes de vie et paysages ont résisté au passage du temps, sans céder à l’agitation du monde extérieur, pour conserver tout son cachet à ce petit village dont le seul nom réveille un certain sentiment de nostalgie chez tout Coréen, mais inspire aussi les poètes, qui retournent comme au pays natal dans cette localité située à la confluence de deux fleuves, dont le Donggang roulant inlassablement ses eaux, et voisine de nombreux villages de montagne épargnés des progrès du monde moderne.

Un moine du temple de Jeongamsa côtoie le Stupa de Sumano, ce vénérable monument qui fut élevé sur le Mont Taebaeksan au moyen de briques faites d’agate. 74 Koreana | Hiver 2008


partir de laquelle ils furent nombreux à composer leurs « textes accidentés », et cela, aussi longtemps que les nuages s’immobilisant en ces lieux.

Jeongamsa, une halte propice au repos de l’esprit Né en 1938, le poète coréen Hwang Tong-gyu, qui voyait tout à la fois en Jeongseon un « rêve caché » et une « poésie enflammée », y observa non sans amertume les effets du développement et de la modernisation réalisés au cours de ces dernières décennies, préoccupé qu’il était du sacrifice des « valeurs de la ruralité » sur l’autel du confort de la vie moderne. Dans ce monde en constante évolution, le changement

s’avère inexorable dans les villages de montagne les plus reculés, comme en témoigne la transformation récente d’une ancienne mine de charbon en casino très prisé des touristes, puisqu’il s’y ajoute tout un complexe hôtelier fournissant hébergement, parcours de golf, stations de ski et les seules tables de jeux ouvertes à la population en Corée. Par ailleurs, de nombreux villages avoisinants proposent des circuits de découverte de la vie rurale. Malgré les métamorphoses qui se sont multipliées dans la région de Jeongseon, modes de vie et paysages ont résisté au passage du temps, sans céder à l’agitation du monde extérieur, pour conserver tout son cachet à ce petit village dont le seul nom réveille un certain sentiment de nostalgie chez tout Coréen, mais inspire aussi les poètes, qui retournent comme au pays natal dans la localité d’Auraji située à la confluence de deux fleuves, dont le Donggang roulant inlassablement ses eaux, et voisine de nombreux villages de montagne épargnés des progrès du monde moderne. Avant tout, on ne saurait omettre le Temple de Jeongamsa, cette halte propice au repos de l’esprit qu’évoque un poème de Hwang Tong-gyu et qui de ce fait invite les voyageurs à la méditation. Ce sanctuaire qui dégage une perpétuelle atmosphère de calme et de solennité s’élève dans une vallée qu’embellissent les fleurs écloses le printemps venu, tandis que l’été, la verdure étend son ombre sur la cour silencieuse, et qu’ à l’automne, les lueurs du soleil couchant s’unissent merveilleusement avec les teintes cramoisies des feuillages, puis la neige hivernale recouvre le sol sans le moindre bruit, tel le souffle embué d’un moine frappant sur son gong de bois en sortant du pavillon de Jeokmyeolbogung pour se diriger vers le Stupa de Sumano, en longeant les eaux où évolue le saumon d’eau douce. Édifié par le moine Jajangyulsa (590-658) sous le règne de la reine Seondeok (?-647), une souveraine de la dynastie Silla (57 av. J.-C.- 935), Jeokmyeolbogung possède l’appellation de pavillon, laquelle est réservée aux temples qui abritent des châsses renfermant les sariras de Bouddha, comme cela est le cas de celui de Jeongamsa et de quatre autres en Corée. À l’intérieur du Stupa de Sumano, un monument classé Trésor national n° 410, sont conservés ces sariras de Bouddha aux côtés de quelques dents. Quant à l’if commun qui se dresse devant le pavillon, il aurait été planté par Jajangyulsa lui-même voilà près de mille trois cents ans de cela. Composé d’agate, le Stupa de Sumano semble avoir été découvert au fond de l’eau, car une légende veut que, des trois pagodes précieuses d’or, d’argent et de ce quartz qui auraient été édifiées au Mont Taebaeksan, seule la dernière serait demeurée visible en ce monde. Ce monument se distingue en outre par son architecture, qui est celle d’une pagode aux sept étages faits de pierre, mais gravés comme de la brique. Hiver 2008 | Koreana 75


CUISINE

Le « yaksik » Un dessert au riz doté de vertus médicinales Aux yeux des Coréens, aliment et médicament n’ont longtemps fait qu’un, à preuve le vocable « yaksik » se composant respectivement du second et du premier de ces mots représentés par les idéogrammes « 藥 » et « 食 » , en conformité avec le précepte philosophique traditionnel selon lequel une bonne alimentation participe de la bonne santé et de la vigueur du corps. Paik Jae-eun Professeur en sciences alimentaires et en nutrition à la Faculté de Bucheon

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onfectionné au moyen de riz glutineux et représentant une variante du gâteau de riz traditionnel dit « tteok », le « « yaksik » prenait autrefois place sur les tables dressées à l’occasion du « Jeongwol Daebo-reum », c’est-à-dire le quinzième jour du premier mois lunaire, mais aussi dans certaines circonstances telles que cérémonies de mariage, fêtes d’anniversaire ou populaires. Dans le premier cas, sa consommation trouve son origine dans l’excursion qu’un souverain nommé Soji (?-500) effectua pour admirer la pleine lune, le jour du « Jeongwol Daeboreum » de la dixième année de son règne, au Mont Namsan qui s’élève au sud de la ville de Gyeongju, alors capitale du royaume de Silla (57 av. J.-C.-935). La légende veut qu’une bande de corbeaux ayant soudain volé jusqu’à sa royale personne pour lui révéler un infâme complot ourdi par la reine avec l’aide de plusieurs moines, le monarque souhaita payer l’oiseau de ses bienfaits en décrétant que cette journée serait désormais consacrée à un rituel en son honneur dit « ogiil » et fit préparer à cette fin un riz médicinal appelé « yakbap » dont la couleur était aussi sombre que son plumage, la tradition s’en perpétuant par la suite jusqu’à nos jours et le « yaksik » devenant le symbole de cette première pleine lune appelée « Daeboreum », mais aussi d’une âme reconnaissante.

Quand l’aliment se fait médicament En raison des ingrédients coûteux, car rares, qui entraient dans sa composition, tels le miel et le jujube, le « yaksik » était jadis exclusivement destiné à certaines occasions, tandis que de nos jours, l’abondance et le moindre prix de ses ingrédients traditionnels permettent 76 Koreana | Hiver 2008

d’en étendre la consommation aux régimes alimentaires répondant à un souci de santé toujours plus grand chez un nombre croissant de Coréens. En réponse à cette demande, ainsi qu’à une meilleure connaissance des effets bienfaisants des « ttok », les magasins spécialisés dans la vente de ces gâteaux de riz traditionnels proposent désormais quantité de « yaksik » soigneusement emballés qui peuvent tenir lieu d’en-cas comme de repas complet. L’étude de la terminologie culinaire traditionnelle révèle la présence du mot « yak » dans la formation de nombre d’appellations, outre celle de « yaksik », telles que le « yakju » désignant un alcool de riz. La raison en est qu’avant de recourir aux substances médicamenteuses pour soigner leurs maladies, les Coréens anciens pensaient que la consommation régulière de certains aliments constituait le meilleur gage d’une bonne santé, comme en témoigne le terme « yangnyeom », qui peut à peu près se traduire par « assaisonnement » en français et qui est dérivé de celui de « yaknyeom », c’est-à-dire un ingrédient bienfaisant servant à relever des plats sous diverses formes. Quant à l’expression « yaksik dongwon », qui renvoie médicaments et nourriture à une même origine, elle est d’un usage courant pour dénoter ce principe sous-jacent de l’alimentation coréenne, dont le « yaksik » constitue l’une des illustrations par excellence puisque les châtaignes, jujubes, pignons et fragments de cannelle qui le composent permettent également de confectionner des décoctions orientales. Aux féculents que renferment ces premiers fruits, viennent s’ajouter protéines, matières grasses, calcium, et vitamines A, B, ainsi que C, cette dernière accélérant la décomposition de l’alcool et incitant à leur consommation


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Par leur abondance et leur moindre prix, les ingrédients traditionnels du « yaksik » permettent d’étendre la consommation de ce plat, autrefois réservé à certaines occasions, aux régimes alimentaires répondant à un souci de santé toujours plus grand, de sorte que les magasins spécialisés dans la vente de gâteaux de riz proposent désormais quantité de ces préparations soigneusement emballées qui peuvent tenir lieu d’en-cas comme de repas complet.


Recette du « yaksik » Ingrédients 5 verres de riz glutineux, 10 châtaignes, 5 jujubes, 3 cuillerées à soupe de pignons, 1 verre de sucre, 3 cuillerées à soupe de sauce de soja, 6 cuillerées à soupe d’huile de sésame, 1 cuillerée à café de poudre de canelle, sauce caramel (6 cuillerées à soupe de sucre, 3 cuillerées à soupe d’eau, 3 cuillerées à soupe d’eau chaude)

Préparation 1 Rincer le riz glutineux et le tremper plus de six heures dans l’eau. Tapisser d’étoffe le fond d’un autocuiseur et recouvrir celle-ci de riz glutineux. Après une cuisson d’environ quarante minutes, arroser d’eau froide en mélangeant le riz à deux ou trois reprises. 2 Éplucher les châtaignes et les diviser chacune en deux ou en quatre. Épépiner les jujubes et les découper en deux ou en trois. Piler les pignons. 3 Faire le caramel en faisant chauffer le sucre et l’eau à feu doux pour la porter à ébullition, puis éteindre aussitôt le feu et remuer soigneusement ce mélange. Remettre celui-ci sur le feu et lorsqu’il commence à brunir, délayer en versant l’eau chaude. 4 Ajouter sucre, sauce de soja, caramel, huile de sésame et poudre de cannelle au riz glutineux à la vapeur en les incorporant avec soin. Ajouter châtaignes et jujubes. Laisser reposer deux heures. 5 Étendre la préparation sur l’étoffe recouvrant le fond de l’autocuiseur, la faire cuire une heure, puis la placer dans un bol et la décorer de pignons avant de laisser refroidir. 6 Découper le dessert en parts individuelles et servir. Mettre à congeler les portions superflues en vue de leur conservation.

quand on boit celui-ci en abondance, outre qu’elle stimule la croissance, chasse la fatigue, guérit certaines affections dermatologiques et combat la grippe. Quant aux féculents, ils comporteraient un enzyme catalyseur des fonctions gastriques et actif contre les maladies contractées à l’âge adulte, ainsi que pour la bonne santé des reins. En outre, le jujube possède des propriétés diurétiques, tonifiantes et sédatives qui expliquent sa présence dans quantité d’aliments et de produits pharmaceutiques, tandis que les matières grasses du pignon contiennent un acide non saturé qui abaisse la tension artérielle par la réduction du taux de cholestérol dans le sang, cette graine étant aussi d’un effet notoire sur l’éclat du teint. En fluidifiant la circulation du sang, la cannelle lutte contre l’hypersensibilité au froid de l’abdomen et de la poitrine, outre qu’elle stimule l’appétit, facilite la digestion, atténue les douleurs abdominales et exerce une action antiseptique s’opposant à toute fermentation anormale dans l’intestin. Principal ingrédient du « yaksik », le riz glutineux présente une teneur en amylopectine supérieure à celle du riz ordinaire et se prête ainsi à une meilleure digestion qui le fait apprécier des petits et des grands.

Un en-cas aussi savoureux qu’appétissant Sur le plan gustatif, le « yaksik » est aussi agréable aux gourmets étrangers que coréens par son goût sucré résultant de l’association de la châtaigne avec la cannelle et permettant notamment de faire disparaıˆtre l’arrièregoût de graisse laissé par la viande, cet aliment occidental de base, tandis que le rouge du jujube, le jaune du pignon et le jaune-brun du riz glutineux saupoudré de cannelle font les délices des yeux ainsi que du palais à l’occasion d’un dessert ou d’un en-cas bienfaisant. Il faut noter que certains divisent le « yaksik » en petites portions en vue de sa congélation. Contrairement à nombre d’aliments coréens destinés à des occasions spéciales, le « yaksik » est d’une confection plutôt simple, puisque après la cuisson du riz glutineux, il suffit de lui ajouter châtaignes, jujubes, sauce de soja, miel, sucre, huile de sésame et cannelle, d’étuver cette préparation en l’agrémentant de quelques pignons avant de la placer dans un petit plat où elle se solidifiera et pourra ainsi être divisée en petites portions à servir dans une assiette, celles qui restent après le repas pouvant être congelées pour une consommation ultérieure. Winter Hiver 2008 | Koreana 79


REGARD EXTÉRIEUR

Premières impressions de la Corée Modernisme, globalisation, internet et technologies de l’information n’ont pas fait disparaıˆtre le culte aux Anciens, la déférence familiale aux plus âgés, le sens de la famille... De ces contrastes naissent des forces que l’on ne perçoit pas tout de suite, la force du rêve et cette capacité coréenne à projeter une vision, un idéal, jusqu’à l’horizon, et ensuite de tout faire pour réaliser le rêve. Laure Coudret Laut Directeur du Centre Culturel Francais de Séoul

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’avais 17 ans quand j’ai pour la première fois rêvé qu’un jour sûrement je vivrais en Asie. J’habitais près de Genève, mon père m’avait dit qu’après mon baccalauréat, si je voulais étudier à Paris à l’Institut des Langues et Civilisations orientales, il fallait que je choisisse une langue qui m’ouvrirait des perspectives et je devais par ailleurs envisager des études plus sérieuses. Grâce à ma mère, j’ai pu m’initier très rapidement au chinois, dans des cours pour adultes, organisés par les magasins suisses Migros. J’ai alors découvert la langue chinoise, ses tons et son écriture grâce à une professeure extraordinaire, ancienne de l’Opéra de Pékin, traductrice dans les organisations internationales de Genève qui poursuivait des recherches sur l’écriture ancienne sur carapaces de tortue. Mon parcours s’est ensuite construit, à Paris, autour des sciences politiques à Science Po et du chinois que j’étudiais en cours du soir aux Langues’O. À 21 ans, mon père avait disparu, j’avais des attaches très fortes en France mais aussi le besoin de partir vers cette Asie extrême qui commençait à faire partie de ma vie. Boursière du gouvernement chinois, avec dix-neuf autres camarades, à une période où les 80 Koreana | Hiver 2008

contacts restaient très limités, j’ai appris la langue chinoise, en explorant Pékin pierre à pierre, munie du formidable guide Nagel, puis en sillonnant l’immensité chinoise à l’exception du Tibet, fermé aux étrangers. Ce lien avec l’Extrême-Orient, je l’ai renoué au Japon où ma fille est née en 1993, où mon mari a, en parallèle à son travail à l’Université des langues étrangères de Tokyo, entamé sa carrière littéraire et où j’ai travaillé longtemps pour la mission économique française. Nous sommes aujourd’hui de retour, tous les trois, en Extrême-Orient , en Corée. De la Corée, j’avais gardé quelques souvenirs. En 1988, à l’entrée des entreprises d’informatique que j’avais visitées, les principes fondateurs étaient écrits en caractères chinois, je pouvais les comprendre ; à l’usine Hyundai, hommes et femmes empruntaient des portes d’entrée différentes, j’avais été intriguée. En 1993, un séminaire économique régional nous avait amenés sur les bords du lac Bomun. Entre deux séminaires, nous avions été initiés à la période Shilla et au bouddhisme coréen par des visites qui nous avaient impressionnés : Gyeongju, Bulguksa et Seokguram.


Des Coréens, j’ai une connaissance nourrie par une longue amitié avec un ancien volontaire international qui travaillait dans mon équipe à Tokyo. Nos modes de vie nous ont rapprochés et c’est lui, le premier, qui nous a présentés la Corée moderne : sa mère était professeur de français en Corée. Ingénieur, il travaille pour une grande entreprise française, sa femme est haut-savoyarde comme moi. Ils se sont mariés dans le château d’un village de l’Ain en présence de toute sa famille coréenne qui portait les habits traditionnels, j’ai encore en mémoire cet arc-en-ciel de couleurs et cette première écoute de la langue coréenne. En découvrant Séoul, j’ai aussitôt compris comment les paysages de montagne avaient pu les rapprocher. Lorsque la proposition du ministère des affaires étrangères et européenne de venir en Corée s’est faite plus précise, toute la famille a manifesté son enthousiasme. Nous avions partagé cette première rencontre avec la Corée par l’entremise de cette famille franco-coréenne amie. La première impression à l’arrivée reste toujours imprimée dans votre esprit. Pour Séoul, il y a d’abord eu ce survol d’une poussière d’ıˆles très boisées, avant de revoir le continent, cette autoroute au-dessus des polders, et enfin la ville, adossée aux montagnes et traversée par un grand fleuve, une vision qui nous a immédiatement saisis et séduits. Chaque dimanche, guidés par l’écrivain et ses découvertes de la semaine, nous partons en repérage : un musée caché au creux d’une colline derrière les murailles du nord de la ville, une escapade à Bukhansan, une virée à Muido pour manger les premiers crustacés de l’hiver, les tombes des rois Seongjong, Jungjong et bien entendu les Palais. Notre découverte en famille est aussi celle des spécialités gastronomiques coréennes, des marchés du quartier de Izuyok pour nos achats quotidiens de légumes et de fruits frais. À mon arrivée en Corée, la saison des festivals culturels et artistiques de l’automne démarrait avec, pour la France, la commémoration du quarantième

anniversaire du Centre culturel français (CCF) autour de la deuxième édition du festival français « France Express », préparée en partenariat avec les plus grandes institutions culturelles coréennes. J’ai pris un plaisir incroyable, tout au long de ces quarante événements qui ont concerné sept disciplines artistiques, à rencontrer mes interlocuteurs coréens, directrices et directeurs de théâtres, de musées, de galeries, de festivals de spectacles de rue, de danse, professeurs de cinéma, de musique, d’arts plastiques, à approcher, toujours intimidée, les premiers artistes coréens présents à cette occasion. J’ai écouté, regardé les lieux, les publics, observé les façons de travailler. J’ai aussi consacré du temps à certains artistes français pour recueillir leurs impressions. De cet apprentissage de terrain, je constitue lentement le substrat de mon travail à venir au service de l’échange culturel entre nos deux pays, respectueux de la diversité de nos cultures, riche de nos traditions et de nos capacités à créer et à transmettre tant pour notre bien-vivre individuel que pour celui de nos sociétés. De cette première immersion, je retiens la curiosité des spectateurs coréens, leurs goûts éclectiques, leur attirance pour la modernité, le formidable accueil réservé par les institutions coréennes aux compagnies et aux artistes français, l’efficience de nos partenaires coréens et la fidélité de nos sponsors. Des milieux culturels et artistiques, je dirai surtout mon étonnement devant ces femmes coréennes, excellemment formées, très engagées dans les échanges internationaux, d’une extrême curiosité et qui peuvent prendre des risques pour montrer au public coréen le meilleur de la création d’aujourd’hui. C’est à elles, bien loin des stéréotypes de la société coréenne que nous avons en Europe que va en premier lieu mon admiration. J’espère qu’avec mon équipe nous saurons garder leur confiance. Ouvertes sur le monde, souvent responsables de l’éducation des enfants, elles sont l’une des clefs du futur de la Corée. Hiver 2008 | Koreana 81


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VIE QUOTIDIENNE

Des commandes promptement livrées Quiconque se fait régulièrement livrer des plats cuisinés à domicile dans un pays comme la Corée supporterait mal d’attendre plus de cinq minutes qu’ils lui parviennent, car cette prestation y est assurée plus rapidement que partout ailleurs au monde grâce à l’importance du réseau de distribution et à l’efficacité du personnel, comme permettra d’en juger ce bref état des lieux d’une activité unique en son genre. Song Doyoung Professeur au Département d’anthropologie culturelle de l’Université Hanyang

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out nouveau venu en Corée ne peut que s’ébahir du rythme fulgurant auquel évolue ce pays et s’interroger sur la finalité du mouvement perpétuel qui semble l’animer, à la vue des motos attendant par dizaines aux feux rouges sur les grandes artères, puis sillonnant les plus minuscules ruelles pour livrer les clients de restaurants, ou de ces camions décorés au logo de sociétés de livraison et affairés à cette activité de l’aube à la tombée du jour.

Quand vie quotidienne rime avec livraison

En Corée, des coursiers à moto sont disponibles pour effectuer de rapides livraisons en un point quelconque de la capitale et si leurs prestations sont plus onéreuses qu’un envoi postal ordinaire ou express, ils assurent des délais d’acheminement résolument plus courts qui conviennent parfaitement au rythme trépidant de la vie en Corée.

Au Service du planning de l’agence publicitaire où travaille A., un homme âgé de trente et un ans, le facteur temps possède une importance capitale dans toute réponse à un appel d’offre, car toute proposition est systématiquement refusée passé le délai imparti au soumissionnaire. Par la suite, il lui faudra en outre donner le meilleur de lui-même pour mettre au point la meilleure offre possible et la mener à bien jusqu’à son aboutissement, seconde après seconde, la recherche et l’exploitation des informations jouant alors un rôle capital, mais celles-ci se présentant parfois au tout dernier moment. En pareil cas, peutêtre serait-il préférable d’invalider cette première version et de la mettre à jour en intégrant tout nouvel élément afin de mettre toutes les chances de son côté, si toutefois le temps le permet, alors on se prend à rêver de pouvoir acheter ne serait-ce que quelques heures, minutes ou secondes supplémentaires… À l’issue de cette course contre la montre, on ne saurait songer à expédier par la poste les documents définitifs achevés au tout dernier moment au risque de compromettre le respect des délais exigés, puisque la durée d’acheminement par ce moyen est d’un ou deux jours, pas plus qu’à les faire porter par A. ou l’un ses collègues, en raison de la lourde tâche qui s’est accumulée et les attend à la suite de cette affaire. En Corée, la solution à ce problème consiste à faire appel aux prestations d’agences de courses que désigne dans ce pays l’expression « quick service » pour que, sur simple appel téléphonique, des coursiers à moto viennent enlever les plis en un temps record et les livrent à toute adresse située à Séoul en moins de quarante minutes, après quoi ils confirmeront sa remise à l’expéditeur par un message textuel, une telle qualité de service étant tout à fait digne d’éloges. Au souvenir de la Fête des parents de l’année dernière, B., qui a aujourd’hui vingt-sept ans et travaille depuis maintenant deux ans à Séoul, ne peut s’empêcher de pousser un soupir de soulagement, car ce fils unique que ses parents avaient comblé d’affection jusqu’à son départ pour la capitale ne s’est rappelé que dans l’après-midi qu’il aurait dû leur rendre visite à la fin de la semaine précédente en gage d’amour et de reconnaissance, et ce, à son grand regret, mais malheureusement trop tard, puisqu’un trajet de train de trois heures sépare Séoul de sa ville natale. Tout en consultant sa montre, il s’est alors rendu compte qu’il était encore temps de leur envoyer des fleurs et a allumé son ordinateur pour chercher un moyen de le faire sur l’internet, ce qui lui a permis de découvrir le site d’un service de livraison de fleurs sur le catalogue duquel il a alors choisi une jolie composition d’oeillets présentés dans une corbeille. Après en avoir vérifié le prix, il a rédigé le texte de la carte qui accompagnait son envoi, saisi l’adresse du destinataire et l’heure de livraison souhaitée en confirmant le tout d’un simple appui sur la touche « Confirmation » et le bouquet de son choix a sans plus tarder été apporté à ses parents tout heureux qui l’ont appelé pour le remercier avant même qu’il ne quitte son bureau. Voilà déjà longtemps que la livraison à domicile a fait son entrée dans la vie quotidienne des Coréens sous forme d’un service très efficace de coursiers disponibles partout et à tout moment par une simple commande au téléphone ou sur internet à la portée de tout un chacun, qui, se faisant apporter son petit déjeuner bien chaud chez soi tous les matins à l’heure souhaitée par manque de temps pour sa préparation, un aspect des plus pratiques se doublant d’un prix raisonnable dont atteste le succès de la formule, qui, désireux d’une alimentation saine et gage de beauté, commandant lait, yaourts ou jus de légumes pour les consommer sur le lieu de travail, qui enfin, y trouvant le moyen de prendre ses repas sur place faute de pouvoir sortir déjeuner. Une fois la journée finie, les actifs pourront encore, de retour chez eux, appeler un service de teinturerie qui fera enlever le linge sale en vue de sa livraison dès le lendemain matin, après l’avoir soigneusement lavé et repassé, mais aussi passer commande sur internet de produits Hiver 2008 | Koreana 83


de première nécessité et s’épargner un déplacement pour faire leurs courses, alors n’est-il pas permis d’affirmer sans exagération que les livraisons à domicile permettent de vivre sans jamais sortir de chez soi ?

1 Avec ses coursiers à moto qui apportent

Des moyens ultramodernes au service de la rapidité de livraison

2 Depuis toujours, les Coréens ont coutume

sans faute les plis à destination, le secteur des livraisons dit « quick-service » connaıˆt aujourd’hui un important essor et diversifie la gamme de ses prestations. d’échanger des cadeaux à l’occasion des fêtes traditionnelles telles que Chuseok, la Fête des moissons, et Seol, le Jour de l’An lunaire, à l’arrivée desquelles se produit une spectaculaire augmentation des livraisons de colis, comme ceux qu’enlèvent ici des livreurs au centre d’expédition d’un grand magasin.

Quiconque fait l’expérience d’une commande au téléphone livrée en moins de cinq minutes ne peut que s’étonner d’une rapidité et d’une exactitude telles, dont le secret tient à toute l’organisation mise en œuvre à cet effet. Dans le cas de l’agence publicitaire où A. dispose du choix, pour faire parvenir d’urgence sa proposition commerciale à un client potentiel par le biais du « quick service », entre une commande sur internet ou par appel téléphonique et opte pour ce dernier, après avoir composé le numéro de la société de courses, il sera accueilli par une aimable opératrice à laquelle il lui suffira alors de communiquer son numéro de référence comportant parmi ses principales coordonnées l’adresse et le numéro de téléphone de son bureau, puis de lui préciser le contenu du pli à expédier et sa destination, ainsi que l’un des trois tarifs dits urgent, ordinaire ou économique, à savoir le premier d’entre eux dans le cas présent en raison de sa rapidité particulière motivant un prix plus élevé. Dès l’enregistrement de la commande, la régie localise, au moyen d’un dispositif GPS, celui de ses livreurs qui se trouve le plus à proximité du point de départ de la course et lui transmet les informations correspondantes sur son assistant numérique personnel et après en avoir pris connaissance, le motocycliste se rend immédiatement sur le lieu de travail indiqué où il enlèvera le pli, puis s’élancera jusqu’à l’adresse de son destinataire en évitant les itinéraires engorgés grâce aux informations sur l’état de la circulation auxquelles lui donnent accès en temps réel les fonctions de navigation de son assistant numérique personnel. À la remise du document, il lui faudra encore en informer la régie pour que celle-ci puisse à son tour en avertir l’expéditeur par un message textuel qui lui parviendra sur son téléphone portable et comportera, outre cet avis de livraison, son heure précise et le nom de la personne qui l’a reçue, l’ensemble de ces opérations se déroulant en moins d’une heure de temps !

Une histoire moderne où la rapidité était une question de survie Comme dans nombre d’autres pays, cette originale pratique de la livraison au quotidien a connu un important essor en Corée, parallèlement au succès croissant du commerce électronique mondial, dans la mesure où elle en constitue le nécessaire complément, à la différence toutefois qu’ici la rapidité des prestations l’emporte sur toute autre considération. À preuve, ce propriétaire d’un restaurant chinois situé dans un quartier universitaire et dont la publicité affirme que tout paiement sera refusé si un client n’a pas été livré moins de cinq minutes après avoir passé commande, ce qui lui a valu le surnom d’« Éclair » et fait le renom de son établissement dans tout le pays. Face à de telles exigences de rapidité et d’efficacité, on est en droit de se demander depuis quand les Coréens en ont contracté l’habitude. C’est au début du siècle dernier que des Européens surnommeront la Corée « Pays du matin calme », en ces temps où ses habitants allaient le plus souvent tout de blanc vêtus et se comportaient avec circonspection et un certain dédain du rythme trépidant de la vie moderne en raison de leur conception étendue du temps et de l’espace, qui sont les fondements de la relativité. Ils convenaient de leurs rendez-vous afin que ceux-ci aient lieu après qu’ils aient « pris le temps de manger et de digérer ce qu’ils avaient absorbé » et délimitaient leur voisinage à une distance qu’ils puissent franchir « en un temps égal à celui qui est nécessaire pour fumer une cigarette », de telles formulations étant d’usage courant à l’époque. Dans la première moitié des années cinquante, la Guerre de Corée et son cortège de ravages allaient affliger le pays d’innombrables tragédies, dont reste en mémoire les déchirantes scènes de réfugiés escaladant les piles de ce qui reste d’un pont sur le Han84 Koreana | Hiver 2008

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© Yonhapnews

© Quickcall Se

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Les délais particulièrement courts et l’exceptionnelle chaıˆne logistique qui caractérisent l’activité de la livraison à domicile en Corée trouvent leurs origines dans la tragédie de guerres qui ont laissé ce pays dans un état de détresse morale et de complet dénuement où la rapidité s’avérait dès lors une question de survie et constitue toujours un atout précieux en ce XXIe siècle dominé par la mise en place de réseaux mondiaux et l’impératif d’accès à l’information.


1 Chargé d’un monceau de paquets, ce livreur, pour assurer une prestation en « quick-service », c’est-à-dire rapide et sans le moindre retard, consulte son dispositif GPS pour s’informer en temps réel de l’état de la circulation.

2 Les intempéries ne sauraient

© Ahn Hong-beom

décourager les consciencieux livreurs à moto, qui assurent des prestations d’une remarquable fiabilité.

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gang après un bombardement, de luttes acharnées pour monter à bord du dernier bateau quittant le port entre les coups de canon de l’ennemi ou de ces familles tentant désespérement de prendre place parmi les passagers entassés sur toute la hauteur des wagons d’un train afin d’échapper à une mort certaine. En pareilles circonstances, toute personne tardant à fuir le théâtre des combats était condamnée à être séparée des siens pour toujours, son destin se scellant dans les quelques secondes qui s’écoulaient après l’embarquement du dernier chanceux. Au cours des cinquante années suivantes, la Corée allait atteindre le rythme de croissance économique le plus élevé du monde malgré une carence en ressources naturelles qui la contraignait à faire appel à une nombreuse main-d’oeuvre pour assurer sa survie, tandis que la mise en place et l’entretien des relations de personne à personne s’avéraient de plus en plus cruciaux dans cette nation à forte densité démographique. Le travail ne se faisant jamais seul, tant de choses étant à faire et les liens si nombreux à tisser, le pays a adopté pour principe l’idée qu’il ne disposait jamais d’assez de temps afin de rattraper le retard le pris au départ de la course à la stabilité et à la prospérité matérielles et c’est dans un tel contexte historique qu’il a acquis cette sensibilité particulière à la vitesse qui allait transformer ce « Pays du matin calme » en « Corée dynamique », en l’espace d’un demi-siècle. Ainsi était née la rapidité sur les ruines de la guerre, dans un pays que celle-ci avait plongé dans un dénuement total et où la réussite était une question de survie. En procédant à la simplification des procédures se traduisant par l’économie d’efforts superflus pour plus de diligence, les Coréens allaient acquérir leur renommée de peuple « pressé », ce mot prenant ici une connotation négative pour représenter le pays tout entier à un moment donné mais constituant un trait de caractère qui allait jouer un rôle moteur dans sa croissance en ce XXI e siècle dominé par la mise en place de réseaux mondiaux et l’impératif d’accès à l’information. Dans une ère de l’information fondée sur la vitesse et où seuls ceux qui y sont aptes ont la faculté de survivre, les Coréens se sont montrés capables d’assimiler, sans la moindre réaction de rejet, des technologies de pointe en constante évolution afin de les adapter résolument à leurs besoins avec une rapidité qui convient parfaitement aux impératifs de l’univers numérique actuel. Aux yeux du futurologue Alvin Toffler, c’est cette même rapidité qui représente la principale spécificité de la Corée contemporaine, comme en atteste sa pratique très répandue des livraisons rapides que continuent inlassablement d’effectuer les livreurs au rythme trépidant de la vie dans les grandes métropoles en répondant aux besoins quotidiens tout aussi pressants de leur population.

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Aperçu de la littérature coréenne

Koo Hyo-seo

Koo Hyo-seo vit depuis toujours pour le roman puisque, en une vingtaine d’années, cet écrivain né en 1958 en a publié pas moins de quinze, outre sept recueils de nouvelles, en abordant des thèmes aussi variés que l’âme coréenne, les mentalités citadines ou le monde insondable des idées, et les lignes qui suivent permettront de partir à la découverte de celui qui s’est fait le chantre de ce genre littéraire durant la moitié de son existence.


CRITIQUE

Une entraînante chorégraphie évoluant aux frontières de la vie Kim Young-chan Critique littéraire et professeur au Département de langue et littérature coréennes de l’université Keimyung

«U

n romancier vivant pour le roman » : dans le cas de Koo Hyo-seo, cette formule n’est pas galvaudée, mais vient immédiatement à l’esprit si l’on dresse un bref inventaire de sa production lors des deux dernières décennies composant à ce jour une carrière littéraire marquée par la parution de quinze romans et sept recueils de nouvelles. Outre le nombre et le volume de ces écrits, on perçoit tout le poids de la réalité et du quotidien qui pèsent sur l’œuvre d’un auteur contraint de vivre exclusivement de celle-ci et s’inscrivant en cela dans un certain ordre économique par la nécessité de parvenir à un équilibre entre ces deux aspects de son existence, de sorte que le roman relève dans son cas d’un travail au sens le plus général du terme. Si ce mot peut à juste titre évoquer une création féconde, propre à faire prendre vie aux objets qui nous entourent, on ne saurait en faire par trop l’amalgame, car le sens profond de l’œuvre réside aussi ailleurs. Événements, groupes humains, paysages, sentiments et émotions y renaissent perpétuellement à travers son regard, qu’il porte donc depuis toujours sur eux par le biais du roman, dont la matière repose constamment sur cette vision du monde. Pour lui, le roman participe de la genèse de la vie en décryptant, assimilant et personnifiant un monde qui connaît de constantes et enrichissantes évolutions et dans lequel il peut ainsi, encore et toujours, se replonger et trouver refuge, alors la vie devient roman, et inversement, jusqu’à s’imbriquer dans l’écriture de manière indifférenciée. Pour la plupart d’entre eux, ses personnages se situent à la frontière de la vie et de la mort, du présent et du passé, de l’existence et de l’inexistence, du quotidien et de l’extraordinaire, de la mondanité et du détachement, c’est-à-dire en un point où deux mondes opposés sont mis en présence, mais en même temps communiquent et communient, en un « événement » que ces protagonistes vivent intensément dans leur corps et leur âme, tout en voyant leurs habitudes, principes moraux et discipline de vie totalement bouleversés par cette expérience insolite. L’intrigue s’émaille de circonstances extrinsèques et fortuites qui, tout en n’étant guère excep-

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tionnelles, sont lourdes de conséquences sur le quotidien et les sentiments des personnages, tout en suscitant une prise de conscience chez ces derniers, à l’instar de la mort d’une connaissance, de la simple découverte d’une photo, de la vue d’un paysage désolé, de la narration d’un récit insipide, voire de l’énoncé subit de sa condamnation à mort ou, dans le cas de la nouvelle « Les sacs de sel », lorsque le narrateur retrouve un livre qu’aurait lu sa défunte mère longtemps auparavant, à savoir « Crainte et tremblement » de Kierkegaard traduit en langue japonaise. Au hasard de découvertes survenant dans des lieux divers, les personnages entrevoient un « moi » et tout un long passé qui se trouvent profondément enfouis dans les objets concernés, le premier, loin de se limiter à une personne donnée, étant omniprésent, puisqu’il peut aussi bien se trouver dans la maison de son enfance, ou au coin d’une photo, sous forme de quelque objet semblant pourvu d’un regard fixé au ciel infiniment profond et obscur, au fond d’une forêt solitaire et tout enneignée par l’hiver, ou dans des histoires contées par des inconnus sur les rives d’un lac, ou encore dans les yeux d’un coiffeur de quartier. Chez Koo Hyo-seo, le « moi » affirme avoir inopinément découvert, à un moment donné, que tout son être devait son existence aux liens qui unissent le passé à l’avenir et l’autre à l’histoire, tels ces passages pareillement soulignés par la mère dans le texte japonais et par le narrateur de la nouvelle « Les sacs de sel », comme le fait observer celui-ci : « …c’était sous son influence que j’avais souligné sans les comprendre certains passages du mien. » Ce thème de la conscience de soi cher à l’œuvre romanesque de Koo Hyo-seo est bien évoqué par l’extrait suivant de sa nouvelle « Là où l’horloge avait été accrochée » : « Nulle part le « moi » ne peut exister. À moins de n’être le vent, la pluie, le ciel, le soleil, le nuage ou le rocher, je ne peux exister nulle part ». S’il est vrai que « je » suis partout, alors c’est que je ne saurais être nulle part, déclare l’auteur en représentant tantôt l’inexistence d’un « moi » abandonné à son sort au beau milieu de l’univers, dans un lointain espace temporel, tantôt l’existence d’un autre fait de chair, entretenant des relations avec le monde extérieur et dont l’homme a profondément conscience, l’ensemble se situant sur fond de nihilisme niant tout contenu à cette réalité à laquelle nous nous attachons, mais menant à l’introspection et à la résignation à ce qui n’est pourtant qu’une ombre de vie. L’originalité de l’œuvre de Koo Hyo-seo réside justement dans l’exutoire que trouve cette perception nihiliste dans une consolation et une réconciliation apaisantes qui permettent au sujet de se redécouvrir et d’adopter un état d’esprit optimiste au terme d’une introspection le conduisant aux limites de la vie et d’une démarche d’ouverture de son être au monde extérieur, pour enfin parvenir à se surpasser. En d’autres termes, le point de vue nihiliste qui s’exprime dans cette production repose en partie sur une volonté de paix découlant du constat bien assumé du vide de l’existence. La nouvelle « Les sacs de sel » n’a pas pour propos d’évoquer une résignation puérile face à un monde obscur, mais plutôt d’exposer au grand jour ces ombres de l’existence qui, en s’alliant aux souvenirs de cette mère au difficile mais courageux passé dans le contexte tumultueux de la guerre, suscitent d’autant plus l’émotion et la tendresse chez le lecteur. Ces sacs de sel qui produisent le « dubu » nourricier après avoir répandu leurs gouttes de saumure, telles des larmes, dans l’humidité et l’obscurité, représentent des ombres grandioses, tout comme cette mère qui, au mépris d’un affligeant et obscur destin, recueille ses enfants dans son giron en leur cachant ses pleurs et dont le personnage inédit dans l’univers fictionnel coréen jusqu’à sa brillante création au sein de ce récit, est celui d’une femme qui rend son dernier souffle après avoir farouchement défendu sa dignité d’être humain en dépit de la violence idéologique et guerrière du monde extérieur, mais aussi des agressions perpétrées par son époux au domicile familial.

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Publications de la Fondation de Corée Abonnement et achat de numéros

Koreana

Abonnement et achat de numéros Fondation de Corée Seocho P.O. Box 227 Diplomatic Center Building, 2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863, Korea www.kf.or.kr

Revue trimestrielle créée en 1987, « Koreana » a pour vocation de contribuer à une meilleure connaissance du patrimoine culturel coréen par la diffusion d’informations à caractère artistique et culturel. Au thème spécial dont traite chaque numéro en profondeur et sous différents angles, s’ajoute une présentation d’artisans traditionnels, d’aspects de la vie quotidienne et de sites naturels, ainsi que de nombreux autres sujets. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 33$US 60$US 81$US Autres 37$US 68$US 93$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 7$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Korea Focus

Webzine mensuel (www.koreafocus.or.kr) et revue trimestrielle, « Korea Focus » offre des analyses politiques, économiques, sociologiques et culturelles relatives à la Corée et complétées de questions internationales connexes. Créée en 1993, elle apporte ces informations essentielles selon un point de vue objectif tout en cherchant à favoriser une meilleure compréhension de la Corée sur la scène internationale et l’essor des études coréennes dans les établissements universitaires étrangers à travers une sélection d’articles extraits des principaux quotidiens, magazines d’actualité et revues scientifiques. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 28$US 52$US 71$US Autres 32$US 60$US 81$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 5$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Korean Cultural Heritage

Il s’agit d’un recueil d’articles et photographies issus des précédents numéros de « Koreana » sous forme de quatre tomes bien distincts. Ceux-ci fournissent une présentation complète et systématique de la culture coréenne par des études fouillées et une photographie en couleur de haute qualité. (Tome I Beaux-arts, Tome II Pensée et religion, Tome III Arts du spectacle, Tome IV Modes de vie traditionnels) Prix du tome : 40$US (frais d'envoi non compris).

Fragrance of Korea

Rédigé en langue anglaise et abondamment illustré, le catalogue « Fragrance of Korea : The Ancient GiltBronze Incense Burner of Baekje » est consacré à l’Encensoir en bronze doré de Baekje, un chef-d’œuvre ancien classé Trésor national coréen n° 287 et admiré pour sa délicate beauté qui témoigne d’un savoir-faire accompli dans le travail des métaux tel qu’il fut pratiqué en Extrême-Orient. Cet ouvrage de 110 pages illustrées de photographies et dessins comporte trois essais intitulés : « Signification historique de l’Encensoir en bronze doré de Baekje », « Dynamiques culturelles et diversité : du Boshanlu taoïste à l’encensoir bouddhique de Baekje » et « Le site du temple bouddhique de Neungsan-ri à Buyeo ». Prix du tome : 25$US (frais d'envoi non compris).


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