Koreana Summer 2009 (French)

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Vol. 24, Vol. No.10, 2 Summer n° 2 Été 2009

The Royal Tombs of La protection des zones humides en Corée the Joseon Dynasty ISSN 1225-9101 1016-0744




Beautés de Corée

Petite louche creusée dans une gourde

© Seo Heun-kang

A

vant que d’entreprendre un voyage, les érudits de jadis veillaient à se munir d’une canne de bambou et d’une paire de sandales en paille de rechange, mais aussi d’une petite louche réalisée dans le fruit vide d’une gourde, qu’ils suspendaient vraisemblablement à leur manteau traditionnel dit « dopo » et dont ils feraient usage pour prélever l’eau des sources se situant sur leur itinéraire afin d’épancher leur soif en toute dignité, sans avoir à se courber, comme il seyait à leur condition sociale. Cet ustensile était d’origine entièrement naturelle, puisqu’il provenait du fruit d’une plante grimpante qui, après avoir été semée au printemps, poussait rapidement jusque sur le toit des maisons, puis se couvrait au printemps de fleurs blanches qui se faneraient l’été venu pour donner un fruit arrivant à maturité en automne. C’est celui-ci, la gourde, que l’on coupait en deux moitiés avant de le vider de sa pulpe, de le faire cuire à la vapeur, puis sécher afin de s’en servir comme récipient de forme arrondie ou piriforme dite « horibyeong » où placer graines et liquides, mais aussi de l’eau à consommer aussitôt. Au fil du temps, ces petites louches traditionnelles allaient voir se transformer leur forme et leur matière, le spécimen d’époque Joseon qui figure ci-dessus étant constitué de bois et orné de motifs de pêche, mais qu’elles fussent creusées dans le fruit ou artificielles, elles étaient dans tous les cas pourvues d’un anneau

de suspension en vue d’y fixer aisément une corde. Dans un mariage traditionnel, les époux se devaient de boire à l’aide de louches différentes, mais provenant d’un même fruit, qu’ils accrocheraient côte à côte au mur de leur chambre lors de leur nuit de noces en guise de symbole de leur union conjugale et c’est dans cette perspective que les parents des jeunes filles en âge de se marier faisaient par avance des semis de cette plante. Le souverain lui-même remettait la moitié du fruit au général qu’il envoyait accomplir une mission périlleuse et en conservait l’autre moitié en formant le vœu de « le retrouver sain et sauf, et de boire à cette même gourde », de sorte que de semblables récipients ont été découverts dans les effets de grands militaires, à commencer par celui en forme de pêche du célèbre amiral Yi Sun-sin (1545-1598) qui combattit sous la dynastie Joseon. En réalité, il en existe en Corée de nombreux autres types qui se différencient par leur forme et leur matière, laquelle peut consister en argile, fer, os, bronze, cuir, coquillages, papier ou pierre. La production de série d’articles en matière plastique a mis fin à l’emploi de leurs équivalents végétaux, dont certains apprécient néanmoins encore les agréables lignes naturelles et encouragent ce faisant la poursuite de leur fabrication artisanale, car pour tout amoureux des montagnes et vallées coréennes, il semblerait inconcevable de s’abreuver autrement qu’avec ce récipient à la source limpide qui coule au cœur d’une forêt.


arts et Culture de Corée

Vol.10, N° 2 Été 2009

Situées à Changnyeong-gun, dans la province de Gyeongsangnam-do, les zones humides d’Upo, qui constituent la plus grande étendue naturelle de ce type en Corée, figurent en première de couverture sur une vue prise, un matin d’automne, par la photographe Serene Cho (www.serenecho.net), organisatrice de l’exposition «Chuchotements avec les zones humides » lors de l’édition 2008 de la Conférence de Ramsar des parties contractantes. © Serene Cho

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La protection des zones humides en Corée 8

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Présent et avenir des zones humides coréennes Koh Chul-hwan 44

14 Les zones humides de Ramsar en Corée Han Dong-uk

24 Splendeurs primitives des zones humides d’Upo Kang Byung Kuk 68


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Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sud www.kf.or.kr

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Bang Yeon-Ok tisse les fils aériens de la ramie |

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CHronIQue artIstIQue

Vieux partenaire (Wonang Sori ) et le cinéma indépendant coréen Yang Sung Hee

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L’anguille grillée, une délicieuse recette contre les langueurs de l’été | Shim Young Soon reGard extÉrIeur

Le sens de l’effort à la coréenne |

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L’escalade prend la pente ascendante Charles La Shure

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Cheon Woon Young Une aiguille où pourrait s’engouffrer tout l’univers | Les aiguilles | Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Seo Young-chae

Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprès du Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.


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Véritable trésor de la nature, les zones humides d’Upo abritent des myriades d’espèces animales et végétales.

La protection des zones humides en Corée Surnommées les reins de la Terre, les zones humides assurent des fonctions écologiques vitales sur la planète, mais pour ses habitants, que la vie moderne a éloignés de la nature, elles offrent aussi un sanctuaire naturel dont ils tirent de précieuses informations sur leurs écosystèmes, à l’instar de celles de Corée, dont le présent numéro dresse un état des lieux global en commençant par les sites inscrits sur la Liste de Ramsar.

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Présent et avenir des zones humides coréennes Si la politique de protection des zones humides est d’origine assez récente en Corée, les préoccupations écologiques y sont en progression dans le grand public et la Conférence de Ramsar qui s’y est déroulée en 2008 a permis de soulever, dans le domaine de l’environnement, une série de questions auxquelles il convient d’urgence d’apporter une réponse. Koh Chul-hwan Professeur d’écologie marine à l’École des sciences de la Terre et de l’environnement de l’Université nationale de Séoul Kown Tae-kyun Photographe

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Au Parc naturel de la Baie de Suncheon, les immenses lits de roseaux sont parcourus d’allées qui permettent aux visiteurs d’admirer à loisir les splendeurs du paysage.

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© Lee Chang-soo

ans l’une de ses publications intitulée « Millennium Ecosystem Assessment » (Evaluation des écosystèmes pour le millénaire), l’Organisation des Nations Unies soulignait, en 2006, les dégradations considérables qui sont intervenues, au cours des cinquante dernières années, sur soixante pour cent des écosystèmes en termes qualitatifs généraux, le plus souvent suite à des abus ou négligences d’origine humaine. Cette étude rappelait, par ailleurs, que près d’un quart de la superficie mondiale était mis en culture et que quinze des vingt-quatre milieux naturels soumis à examen avaient subi des dommages, tandis que dans les écosystèmes marins, près de quarante pour cent de toutes les espèces ichtyologiques se trouvent en voie d’extinction en raison d’une pêche excessive. En fait, les scientifiques n’auraient que peu d’espoir quant à l’avenir des écosystèmes terrestres, car, dans les années à venir, ils prévoient une accentuation des phénomènes qui se manifestent depuis quelque temps, alors dans ces conditions, qu’en est-il du cas de la Corée ? Un pas dans la bonne direction Pour commencer, il convient de signaler cette nouvelle plutôt bonne en provenance de la Ville de Suncheon, une agglomération de la Province de Jeollanam-do, qui vient de prendre la décision de déposer tous les poteaux mis en place par les services publics à proximité de la Baie de Suncheon-man, à commencer dans l’immédiat par deux d’entre eux, à titre symbolique. Sur le pourtour de cette échancrure, s’étend une zone humide où croissent les halophytes, outre qu’elle constitue le lieu de nidification hivernale de prédilection de quinze espèces de grues aujourd’hui menacées de disparaître de la surface de la planète. C’est suite à la chute au sol, accompagnée de blessures, d’une grue moine qui avait entravé ses pattes dans un câble de transmission que la municipalité de Suncheon a décidé de faire procéder à la dépose de ces Été 2009 | Koreana


Le héron blanc, qui interrompait chaque année son périple migratoire le temps d’une halte aux marais d’Upo, a aujourd’hui élu domicile en ces lieux.

poteaux par les services publics concernés en raison du danger qu’ils peuvent présenter pour les oiseaux lorsqu’ils sont en vol. À l’annonce de ce énième d’une longue série d’incidents du même type, les édiles allaient donner leur autorisation de supprimer tous les poteaux et câbles aériens situés à l’intérieur d’une zone cultivée s’étendant sur quelque trois cents hectares en bordure de la Baie de Suncheon, ainsi que dans les régions voisines du Parc naturel de Suncheon, une telle décision étant à mes yeux porteuse d’espoirs, car révélatrice de l’importance croissante qu’accordent les pouvoirs publics à l’écologie, ainsi que de leur volontarisme politique en la matière. La Conférence de Ramsar 2008 Du 28 octobre au 4 novembre derniers, les parties contractantes à la Convention de Ramsar tenaient leur conférence annuelle à Changwon, cette ville de la Province de Gyeongsangnamdo, le prestige de leur aréopage international ne pouvant que rejaillir sur son pays hôte. Cette manifestation d’une large portée, puisqu’elle allait rassembler quelque deux mille participants, au nombre desquels figuraient les représentants de près de cent soixante nations, organisations internationales et ONG, allait offrir aux pouvoirs publics comme à la population coréenne l’occasion exceptionnelle et tout à fait opportune de mieux comprendre et apprécier l’importance des écosystèmes en zone humide. La Convention de Ramsar se distingue tout particulièrement des accords habituels conclus par les Nations Unies et d’autres organismes multilatéraux, par les modalités de sa création, en cela que ce sont plusieurs organisations internationales qui en ont décidé d’un commun accord avant qu’elle ne prenne la forme d’une convention mondiale, dans les années quatre-vingts. Elle en 10 Koreana | Été 2009

diffère également par le fait que, si ses participants ont qualité de délégués de leurs nations respectives, ceux-ci n’en sont pas moins sensibles à l’influence des organisations internationales dont ils suivent les interventions avec grand intérêt. Enfin, elle accueille plus de membres des ONG qu’aucune autre manifestation internationale et consigne scrupuleusement leurs communications dans ses comptes rendus, de sorte que tout au long de ses différentes sessions, se fait sentir de manière tangible la passion avec laquelle ces divers participants œuvrent à l’accomplissement de l’objectif précis qu’ils se sont fixé de protéger les écosystèmes humides du monde. Lors de cette manifestation, l’occasion m’a été donnée d’ouvrir un débat sur le devenir des zones humides d’Asie de l’Est sous l’intitulé suivant : « Être ou ne pas être, telle est la question pour les zones humides côtières de l’Asie de l’Est ». Associations civiles et scientifiques venues des quatre coins du globe s’étaient jointes aux représentants des pouvoirs publics pour dresser un bilan de la situation des marais côtiers coréens en recherchant les moyens d’assurer leur existence à long terme, et définir les liens qui unissent les écosystèmes alluviaux à l’homme et aux oiseaux migrateurs. Je suis persuadé que ce symposium aura fourni aux représentants des États la possibilité de soumettre ces questions à plus mûre réflexion, mais aussi, grâce à l’organisation réussie de cette conférence et au poids qui est le sien, d’affirmer à la communauté internationale leur ferme volonté de mettre tout en œuvre pour garantir l’avenir des zones humides coréennes et notamment de ses marais côtiers. De l’assèchement à la conservation Un long chemin reste néanmoins à parcourir en vue de la défense des zones aujourd’hui menacées à des titres

divers, mais aussi de la réhabilitation de celles qui ont déjà été sacrifiées sur l’autel de l’aménagement du territoire, à savoir les marais côtiers. Force est de reconnaître que la Corée a beaucoup tardé à entreprendre une action en vue de la conservation et de l’exploitation rationnelle des écosystème humides côtiers, de tels objectifs mobilisant pourtant la communauté internationale depuis un certain temps déjà, notamment en vue de la protection de l’habitat naturel des oiseaux migrateurs et d’eau. Il aura fallu attendre jusqu’à l’année 1999 pour que la Corée se dote d’un premier dispositif législatif aux fins de la défense de ses zones humides, dont le public n’allait percevoir l’importance que dans la décennie suivante. S’agissant d’un pays doté d’une géographie rocheuse sur près de soixante-


dix pour cent de sa superficie, les zones humides représentent certes une part infime de cet ensemble, mais celles du littoral ouest figurent en revanche parmi les plus étendues au monde, ce qui n’a pas empêché l’État, comme dans les autres nations d’Asie de l’Est, d’entreprendre de grands travaux d’assainissement des marais en faisant fort peu de cas du sort des plaines alluviales, de sorte que se pose aujourd’hui la question décisive de savoir s’ils entendent ou non réaliser d’autres projets d’envergure analogue. Il semblerait toutefois que cela ne soit pas le cas, à en juger par certaines initiatives révélant que le pays renonce à l’assèchement de ces zones pour privilégier leur conservation par des solutions plus respectueuses de l’environnement, comme dans le canton de Seocheon situé dans la Province de Chungcheongnam-do, les

pouvoirs publics s’étant engagés, par la Déclaration éponyme, d’invalider tout projet important de cette nature afin de conférer à la région la double vocation d’une destination touristique et d’un pôle scientifique. En Corée, cet exemple d’une autre mise en valeur possible des plaines alluviales de Seocheon fait figure d’emblème de la conservation durable de tels écosystèmes à l’échelle nationale. Par ailleurs, on ne peut que se féliciter des installations qui ont été réalisées à l’intention des visiteurs sur les bras de la baie bordant ces zones et qui constituent un exemple d’aménagement écotouristique bien conçu, autant d’initiatives témoignant de la compatibilité de politiques de conservation et d’exploitation raisonnée menées comme il se doit. Suite à la Conférence de Ramsar, le ministère coréen de l’Environnement a

exprimé sa volonté de porter à seize le nombre des sites coréens répondant aux critères de Ramsar et, à trente, celui des zones humides protégées, à l’horizon 2012, en parallèle avec la conservation d’au moins vingt pour cent des zones humides côtières, d’ici à 2017 et dans ce même délai, il prévoit d’ordonner la réhabilitation de certaines zones déjà assainies sur près de quatre-vingt-un kilomètres carrés, soit environ dix pour cent de leur superficie. Toutefois, rien ne permet d’affirmer avec une certitude absolue que c’en est désormais fini des grands travaux d’assainissement, puisque la construction éventuelle de centrales marémotrices est encore en discussion, sous l’impulsion des nouveaux projets énergétiques verts, auxquels pourrait être consacrée une partie considérable des marais côtiers. Été 2009 | Koreana 11


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Sur la façade occidentale de la péninsule coréenne, les plaines alluviales qui bordent le littoral de la Mer Jaune possèdent, du point de vue écologique, tout autant d’importance que celles de la Mer des Wadden, pourtant plus célèbres, et c’est pour mettre en commun l’expérience acquise dans ce domaine que la Corée, au mois de mars dernier, a signé avec les trois pays riverains de cette mer européenne, un accord de coopération visant à promouvoir la défense de ses marais côtiers.

Mer des Wadden et Mer de l’Est Les marais côtiers de la façade occidentale coréenne jouent un rôle important en fournissant une halte salutaire aux oiseaux qui empruntent l’itinéraire migratoire australasien ou est-asiatique. Or, s’il existe déjà nombre de zones humides classées et protégées, celles-ci ne représentent pas pour autant de vastes superficies car de grandes étendues telles que les marais côtiers en demeurent exclues, et ce, bien que les plaines alluviales du littoral péninsulaire occidental abritent à la fois les frayères d’une grande variété de poissons et d’abondantes réserves de pêche apportant aux communautés riveraines recettes commerciales et produits alimentaires de base. 12 Koreana | Été 2009

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1 L’Observatoire de Yongsan offre une vue pittoresque sur la Baie de Suncheon. 2 La Conférence de Ramsar, qui se déroulait l’année dernière à Changwon, dans la Province de Gyeongsangnam-do, a dressé un état des lieux précis des plaines alluviales d’Asie de l’Est. 3 La Baie de Suncheon constitue l’habitat de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau, tel ce héron commun.

De la conservation des plaines alluviales dépend celle des ressources de la pêche, en dépit de quoi, dans les années quatre-vingt-dix, les gigantesques travaux d’assainissement de Saemangeum et Sihwa ont été réalisés au mépris des prescriptions internationales tandis qu’aujourd’hui encore, la construction de nouvelles digues est à l’étude en vue de créer des centrales marémotrices, mais la Corée a le devoir de réexaminer les incidences que peuvent avoir de tels projets sur la conservation des plaines alluviales, le fonctionnement des écosystèmes et le bien-être de l’humanité. Le Danemark, l’Allemagne et les Pays-Bas, en tant que pays riverains de la Mer des Wadden, dont le nom signifie précisément « plaine alluviale », se sont engagés à garantir la protection de son écosystème, conformément à la déclaration commune qu’ils avaient proclamée en 1982, et par toute mesure qui peut leur être propre telle que la création de parcs nationaux constitutés de ces zones humides, dans le cas de l’Allemagne. En outre, dans le cadre de son Programme sur l’Homme et la Biosphère, l’UNESCO a déclaré zones protégées la totalité de ces plaines alluviales de la Mer des Wadden qui sont également répertoriées par la Convention de Ramsar. La somme de ces efforts entrepris en commun pour sauvegarder cette aire de quinze mille kilomètres carrés démontre à quel point est indispensable la préser-

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vation de cet écosystème marin unique en son genre. Baignant la Chine, la Corée du Nord et la Corée du Sud, la Mer Jaune ourle le littoral occidental de ce dernier pays de plaines alluviales qui sont les deuxièmes au monde, après celles de la Mer des Wadden, par leur superficie avoisinant deux mille cinq cents kilomètres carrés. L’avenir de ces zones alluviales se pose aujourd’hui de manière aiguë, comme pour toutes celles de ce type, d’autant que la Corée n’a pas acquis suffisamment d’expérience dans leur gestion, ainsi qu’une bonne connaissance des moyens d’en faire bénéficier au mieux la population tout en les préservant et le savoir-faire correspondant.

Conscient de ces lacunes, l’État coréen a conclu avec les pays riverains de la Mer des Wadden un accord de coopération visant à multiplier les mesures conservatoires, notamment par la mise en œuvre de programmes portant sur les marais côtiers coréens. L’ensemble de ces dispositifs devrait permettre à la Corée d’adopter une démarche plus systématique tout en augmentant la portée et l’efficacité de son action. Dans l’immédiat, si les pouvoirs publics coréens semblent encore partagés entre l’aménagement des zones humides nationales et leur exploitation raisonnée, il est à espérer que les tenants de leur conservation puissent l’emporter à l’avenir.

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Les zones humides de Ramsar en Corée La Convention de Ramsar, signée en 1971 dans la ville iranienne du même nom, constitue aujourd’hui l’un des grands axes de l’action entreprise à l’échelle mondiale en vue de maintenir la biodiversité par la conservation des zones humides qui sont inscrites à cet effet sur la Liste de Ramsar et qui sont au nombre de onze en Corée. Han Dong-uk Directeur général de l’Institut d’écologie et des zones humides PGA Kown Tae-kyun, Lee Gap-chul Photographes

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Les zones humides d’Upo, dont l’origine remonterait à quelque cent quarante millions d’années, sont des marais salants primitifs qui ne gèlent pas en hiver. Été 2009 | Koreana 15


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es onze sites coréens déclarés zones humides conformément à la Convention de Ramsar possèdent tous des caractéristiques et une valeur écologique propres, mais parmi ces précieux dons de la nature, les spécialistes citent en tout premier lieu, par leur importance environnementale, la Haute lande de Yongneup au Mont Daeam, où selon la légende, un dragon, dit « yong » en coréen, aurait trouvé le repos avant de reprendre son envol, suivie de celle de l’Île de Jangdo, qui fournit l’illustration vivante de l’importance des zones humides dans l’approvisionnement en eau potable, puis de la Baie de Suncheon, qui offre une halte salutaire à différents oiseaux migrateurs tels que la grue moine, et enfin, de l’habitat du « maehwamarum » de Ganghwa, première rizière coréenne classée zone humide. La Haute lande de Yongneup, au Mont Daeam C’est par la haute lande de Yongneup s’étalant sur le Mont Daeam qu’a débuté l’inscription des zones humides coréennes sur la Liste de Ramsar et, en raison

de sa situation d’autant plus isolée qu’elle se trouve à l’intérieur de la zone démilitarisée délimitant le territoire des deux Corées, elle est d’un accès particulièrement difficile aux visiteurs. Du fait de son emplacement à 1 304 mètres d’altitude, elle présente un ciel brumeux pendant une bonne moitié de l’année, tandis que ses températures fraîches descendent au-dessous de 0 °C pendant cinq mois, de sorte que l’eau qui s’accumule dans les dépressions créées au sommet de la montagne n’a guère tendance à s’évaporer, mais plutôt à stagner. Cette étendue sauvage, qui serait apparue voilà quatre mille cinq cents à cinq mille ans de cela, se compose des Grand et Petit Yongneup qui s’étendent respectivement à des altitudes comprises entre 1 180 et 1 200 mètres et entre 1 240 et 1 260 mètres, sur près de cinquante-sept mille mètres carrés. Première lande acide localisée en Corée, Yongneup a éveillé l’intérêt de la communauté scientifique mondiale, au début des années soixante-dix, à l’occasion d’une étude d’environnement réalisée sur le terrain par une équipe de cher-

cheurs coréens et étrangers en plusieurs points de la zone démilitarisée. Les qualités environnementales de ce site lui ont valu d’être déclaré monument naturel, zone d’écotourisme et réserve naturelle. Il faut savoir que, sur les landes acides telles que celle-ci, les végétaux morts se décomposent, à un rythme plus lent qu’ailleurs, en une couche de tourbe spongieuse que l’eau acidifie. Lors de la découverte du site, cette couche tourbeuse atteignait une épaisseur approximative de cent cinquante centimètres. L’eau qui s’y accumule sous forme de pluie, neige ou grêle, ainsi que de vapeur condensée dans l’air, finit par s’infiltrer dans le sol et alimenter les rivières souterraines, tandis qu’en surface, elle vient grossir les cours d’eau qui coulent jusqu’aux villages situés en aval et assure ainsi un approvisionnement régulier en eau potable tout au long de l’année. Plusieurs espèces de plantes carnivores telles que le rossoli à feuilles rondes (Drosera rotundifolia ) et l’utriculaire blanc jaunâtre (Utricularia ochroleuca ) prospèrent en se nourrissant d’insectes, qui constituent l’une des rares ressour-

1 Sur la haute lande de Yongneup, les touffes de laîche (Carex dispalata) semblent tournoyer sous le vent. 2 Le Caltha palustris ouvre sa corolle jaune sur la haute lande de Yongneup.

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2 1 Pieds de Veratrum patulum sur la haute lande de Yongneup. 2 Le rossoli à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) est une espèce insectivore poussant sur la haute lande de Yongneup.

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ces alimentaires dans ces milieux acides. Il convient aussi de noter la présence du Trientalis europaea var. arctica , du Menyanthes trifoliata et du goral à longue queue (Naemorhedus caudatus ) aujourd’hui en voie d’extinction et exclusivement représentés dans les zones humides de la haute lande coréenne, tandis que douze espèces animales jusqu’alors inconnues en Corée, dont celle du lépidoptère Grapholita dimorpha , ont été répertoriées dans ce milieu naturel qui s’avère ainsi propice à la biodiversité. Les combats qui ont fait rage dans cette région, lors de la Guerre de Corée, l’ont malheureusement mise à mal, de même que, par la suite, les manœuvres militaires qui s’y sont déroulées, d’autant que l’on n’était alors guère conscient de la valeur écologique qui est celle des zones humides et aujourd’hui encore, les réglements très stricts qui en limitent l’accès en vue de leur conservation ne dissuadent pas les riverains de s’aventurer dans la montagne pour y ramasser des légumes sauvages. 18 Koreana | Été 2009

La haute lande de l’Ile de Jangdo L’habitat exceptionnel qu’offrent les zones humides à la flore aquatique et à divers organismes vivant sur les terrains imprégnés d’eau se double d’une aptitude à filtrer et purifier l’eau de manière tout aussi efficace que naturelle. Au large de Sinan, une ville de la Province de Jeollanam-do, la haute lande qui s’étend sur l’Ile de Jangdo forme, sur les hauteurs de ces terres rocheuses, une tourbière à ciel ouvert qui draine les eaux pluviales avant de les laisser pénétrer dans le soussol dont elles ressurgissent pour s’écouler jusqu’aux villages situés dans la vallée, où la population est donc particulièrement sensible au rôle des zones humides dans ce type d’approvisionnement. Cette île de petites dimensions appartient au Parc national maritime de Dadohae qui borde le littoral sudouest de la péninsule et se compose d’un grand nombre d’îlots dont les falaises aux formes pittoresques font le renom, tandis que dans le cas de Jangdo, c’est plutôt la haute lande s’étendant à 267 mètres d’altitude qui impressionne par la variété des espèces animales qui y sont représentées, mais aussi de ses types humains.

Sur cette île intégralement recouverte d’une couche de granit dur, l’eau de pluie s’accumule au creux des dépressions qui sont formées au sommet des hauteurs et s’emplit de végétaux morts qui, en se décomposant peu à peu, forment avec elle une tourbière. Riches en matière organique, les sols très perméables débarrassent l’eau de ses impuretés par filtrage, de sorte que celle-ci parvient aux habitants des villages situés en aval dans un état de propreté qui la rend apte à la consommation, au point que cet approvisionnement naturel en eau potable a donné lieu à des études scientifiques sur cette île. Par ailleurs, cette région offre un cadre de vie idéal à une variété d’oiseaux prédateurs tels que le faucon pèlerin (Falco peregrinus ), la bondrée orientale (Pernis ptilorhynchus ), l’épervier du Japon (Accipiter gularis ), les faucons hobereau (Falco subbuteo ) et de l’Amour (Falco amurensis ), ainsi que le pigeon violet (Columba janthina ), une espèce vivant exclusivement en milieu insulaire. Quant à la flore locale, elle comporte l’Impatiens koreana , le Hosta yingeri et la Rosa kokusanensis qui y côtoient l’orchidée des Samouraïs (Neofinetia falcata ) d’ores et déjà déclarée espèce en voie d’extinction, ainsi que l’oiseau tropical bulbul de Chine (Pycnonotus


Les zones humides de Ramsar en Corée

Habitat du « maehwamarum » de Ganghwa Inscription effectuée le 13 octobre 2008 / Ganghwa-gun, ville d’Incheon-si / 0,3 ha

cheon-gun, Province de Gangwondo / 1,7 ha

Marais de Du-ung Composée d’eau douce, cette zone humide qui s’est formée derrière ce monument naturel que constituent les dunes de Sinduri offre un refuge à quantité d'espèces rares ou menacées sur le reste du territoire, tels les grenouilles Rana plancyi chosenica , et Kaloula borealis, le lézard Eremias argus et l’autour chinois ou Accipiter soloensis. Inscription effectuée le 20 décembre 2007 / Taeangun, Province de Chungcheongnam-do / 6 ha

Moojechineup Dans la haute lande de Moojechineup, qui se déploie sur les hauteurs du Mont Jeongjok (700 m), au sein du Parc provincial du Mont Gaji, ont été répertoriées différentes espèces en voie de disparition de la flore comme de la faune, notamment la libellule Nannophya pygmaea, le chat léopard du Bengale (Prionailurus bengalensis) et le lézard Haute lande de Yongneup Eremias argus, ainsi qu’une plante de la famille des au Mont Daeam épines-vinettes connue sous le nom scientifique de Habitat du « maehwamarum » de Ganghwa Jeffersonia dubia et pousZones humides du parc sant dans les régions national d’Odaesan montagneuses. Il s’y trouve également une multitude de plantes Marais de Du-ung Bassin du Marais de Muan carnivores comme Cette plaine alluviale le rossoli à feuilles s’étendant en zone intertidale, rondes (Drosera rotundifolia), ainsi que les sur le bras inférieur de la Baie Utricularia racemosa et bifida. Marais d’Upo de Hampyeong, appartient Inscription effectuée le 20 décembre 2007 / Moojechineup aujourd’hui à un Parc Ulju-gun, Ulsan-si / 4 ha Bassin du Marais de Muan provincial qui dresse ses magnifiques falaises Marais d’Upo sur un littoral en dentelle. Elle constitue l’habitat Haute lande Baie de Suncheon de l’Ile de du poulpe commun aux longs tentacules et de Inscription effectuée Muljangori-Oreum Jangdo nombreux animaux benthiques tels que le Lumbrinele 2 mars 1998 / ris nipponica. Changyeong-gun, Mulyeongari-Oreum Inscription effectuée le 14 janvier 2008 / Muan-gun, Province de GyeongsanProvince de Jeollanam-do / 3 859 ha gnam-do / 854 ha Haute lande de l’Ile de Jangdo Inscription effectuée le 30 mars 2005 / Sinan-gun, Province de Jeollanamdo / 9 ha Baie de Suncheon Inscription effectuée le 20 janvier 2006 / Suncheon-si, Province de Jeollanam-do / 3550 ha Haute lande de Yongneup au Mont Daeam Inscription effectuée le 28 mars 1997 / Inje-gun, Province de Gangwon-do / 106 ha

Zones humides du parc national d’Odaesan Cette étendue de haute lande se compose de trois zones humides distinctes situées à Jilmoeneup, Sohwangbyeongsanneup et Jogaedongneup. La faune et la flore y comportent des espèces en voie d’extinction telles que la loutre eurasiatique (Lutra lutra), le goral à longue queue (Naemorhedus caudatus), l’aigle royal (Aquila chrysaeto), le coléoptère dit Callipogon relictus et la couleuvre sombre coréenne (Elaphe schrenckii). Inscription effectuée le 13 octobre 2008 / Pyeongchang-gun et Hong-

Muljangori-Oreum Cette zone humide se trouvant sur l’Ile de Jeju, dans le cratère d’un volcan parasite de dimensions assez importantes, fait l’objet d’un conte mythologique évoquant son apparition. Faucon pèlerin (Falco peregrinus), brève migratrice (Pitta brachyura nympha), milan noir (Milvus migrans), épervier japonais (Accipiter gularis), tchitrec de paradis (Terpsiphone paradisi), Fabriciana nerippe, léthocère et pivoine Obovata (Paeonia obovata) figurent parmi les espèces en voie de disparition qui y ont été répertoriées. Inscription effectuée le 13 octobre 2008 / Jeju-si, Ile de Jeju / 62,8 ha Mulyeongari-Oreum Située à 508 mètres d’altitude sur le Mont Suryeong, un cône volcanique parasite appartenant au massif montagneux qui s’étend au sud-ouest du Mont Halla, sur l’île de Jeju, cette zone humide accueille plusieurs espèces en voie d’extinction telles que le léthocère (Lethocerus deyrollei), la grenouille Kaloula borealis et l’orchidée Galeola septentrionalis présente à proximité des montagnes. Inscription effectuée le 18 octobre 2006 / Seoguipo, Namjeju-gun, Ile de Jeju / 31 ha


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sinensis ), autant de spécimens attestant d’une grande biodiversité. La Baie de Suncheon Aujourd’hui classées en vue de leur protection, la Baie de Suncheon et ses plaines alluviales adjacentes de Boseong Beolgyo sont globalement désignées par l’appellation de Baie de Suncheon sur la Liste Ramsar des zones humides où elles sont inscrites. Elles sont réputées pour la diversité de leur paysage où

les taches rouges du Suaeda japonicus qui surgit entre les touffes de roseaux contrastent avec la croûte noirâtre des plaines alluviales et au-dessus de ce lit végétal ourlant un bassin où l’océan pénètre profondément, on peut apercevoir une nuée d’oiseaux migrateurs en vol au nombre desquels figure la grue moine, ce qui vaut à cette baie d’être tour à tour qualifiée de « paradis du roseau » et de « pays de la grue moine ». C’est une impression de vitalité qui

émane de ce cadre naturel sous l’effet conjugué de plusieurs phénomènes, notamment le flot continu du Dongcheon et du Isacheon, ces ruisseaux qui, en se jetant dans la baie, renouvellent en permanence l’eau douce de ses plaines alluviales dont ils atténuent la salinité d’origine marine, d’où la concomitance en ces lieux du roseau et du Suaeda japonicus maritime. Dans ce qu’il est convenu d’appeler une zone saumâtre, se sont formés des marais salants entre les bras des estuaires et tandis que, sur la plupart du territoire, ceux-ci sont fermés par des barrages ou des retenues d’eau destinées à l’irrigation des terres cultivées, ils sont restés ici à l’état naturel et font de cette Baie une exception qui la rend d’autant plus précieuse. Outre le spectacle qu’offrent ces zones intertidales où abondent marais salants et lits de roseaux, la Baie de Suncheon présente de nombreux attraits et lieux de visite en tout genre, tels le Pavillon de l’écologie, l’observatoire astronomique, un dispositif de télévision en circuit fermé pour l’observation des oiseaux migrateurs et des sentiers conduisant le promeneur à travers les roseaux, ainsi que les observatoires de

1 Sur le littoral sud, une voie d’eau déroule ses méandres jusqu’à la Baie de Suncheon. 2 Située dans le Parc national maritime de Dadohae, qui borde le littoral sud-ouest de Corée, la haute lande de l’île de Jangdo s’étend à 230 mètres d’altitude. 3 Les lits de roseaux de la Baie de Suncheon.

La Convention de Ramsar totale de 170,32 millions d’hectares. Au mois de mars dernier, cent cinquante-neuf naLes zones humides de Ramsar tions adhéraient à la Convention de Ramsar, laquelle stipule que ses pays signataires, dont le nombre Conformément à la Convention, les zones humides ne cesse de s’accroître, sont tenus d’inscrire sur dites de Ramsar consistent en « des étendues de sa Liste des zones humides d’importance intermarais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelnationale au minimum l’une de leurs principales les ou artificielles, permanentes ou temporaires, régions correspondant à la définition des « zones où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâ2 humides de Ramsar ». Depuis sa ratification, voilà tre ou salée, y compris des étendues d’eau marine © Institut d’écologie et des zones humides PGA trente-huit ans de cela, sous l’appellation officielle dont la profondeur à marée basse n’excède pas six de « Convention relative aux zones humides d’importance internationale, mètres ». particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau », ce texte s’est transEn adoptant cette optique très large englobant les milieux très divers formé pour non seulement assurer la protection des oiseaux d’eau et de qui peuvent être placés sous son égide, puisqu’elle prend aussi bien en leur milieu naturel, mais aussi pour servir de cadre aux actions entreprises compte ceux d’origine naturelle ou artificielle et d’un emplacement côtier à l’échelle nationale ou dans le cadre de la coopération internationale en ou continental, ce texte entend favoriser une prise de conscience de leur vue de la préservation et de l’exploitation rationnelle des zones humides, valeur économique, culturelle, scientifique et esthétique afin d’empêcher ainsi que des ressources qu’elle renferme. À ce jour, les zones humides leur disparition en faisant enregistrer un nombre croissant d’entre elles et en ainsi répertoriées sont au nombre de 1 833 et représentent une superficie permettant ainsi la gestion et la protection des précieuses ressources qu’elles


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renferment, comme allait le faire la Corée, lors de son adhésion, en déclarant la présence sur le Mont Daeam de la haute lande de Yongneup, à laquelle s’ajouterait par la suite le marais d’Upo situé à Changnyeonggun, une commune de la province de Gyeongsangnam-do, suivies d’une série d’autres qui allaient porter à onze le nombre de ces zones humides dites de Ramsar. De l’inscription aux actions de défense L’inscription d’une zone humide sur la liste de Ramsar s’accompagne de la fourniture, à son propos, d’informations précises qui doivent être consignées sur une fiche descriptive normalisée par la Convention ainsi que de la délimitation exacte de son pourtour sur une carte géographique, sa sélection devant s’opérer selon l’importance qu’elle possède à l’échelle internationale en raison de sa valeur écologique, botanique, zoologique, limnologique et hydrologique. Contrairement aux textes relatifs au patrimoine mondial, la Convention de Ramsar entérine sur-le-champ toute inscription ainsi effectuée par ses parties contractantes, sans le moindre examen préalable, et entend ainsi leur donner toute latitude dans leurs

initiatives. Par la suite, toute modification apportée à la démarcation de ces zones doit, de même que toute évolution de leurs caractéristiques naturelles, être signalée au Secrétariat dans les plus brefs délais, et peut ultérieurement être mise en discussion à la demande du pays membre concerné. Par ailleurs, le retrait ou la réduction de surface d’une zone figurant sur la Liste sont autorisés en cas de situation d’urgence où l’intérêt national est en jeu, moyennant que l’État concerné assure le transfert des ressources qu’elle abritait dans des réserves naturelles aménagées à cet effet ou dans un autre milieu présentant les caractéristiques de l’habitat d’origine et pouvant se situer soit en un autre point de la même zone, soit dans une autre. D’une périodicité de trois ans, la Conférence des parties contractantes permet d’aborder des sujets aussi divers que les ajouts et modifications apportés à la Liste de Ramsar, les informations ayant trait à l’évolution des caractéristiques naturelles des zones concernées, ainsi que des recommandations générales ou particulières formulées à l’intention des parties contractantes en vue de la conservation et de l’exploitation rationnelle de ces milieux, mais aussi de la faune et de la flore qu’ils abritent.


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Yongsan et des plaines alluviales, autant de curiosités qui sont le fruit d’actions d’aménagement visant à faire de ce site une destination de l’écotourisme. À celles-ci s’ajoute un ensemble de mesures dont les différents volets concourent à la promotion de la biodiversité, notamment par la possibilité d’un transport touristique en autocar ou à bicyclette dans le but de limiter la circulation routière aux abords de la baie. Celle-ci n’abrite pas moins de deux cent vingt espèces ornithologiques dont trente-cinq sont en voie de disparition et parmi lesquelles figurent les grues moine (Grus monacha ) et cendrée (Grus grus ), l’huîtrier pie (Haematopus ostralegus ), la mouette de Saunder (Larus saundersi ), la petite spatule (Platalea minor ), la spatule blanche (Platalea leucorodia ), l’aigrette de Chine (Egretta eulophotes ), la cigogne orientale (Ciconia boyciana ), le bécasseau spatule (Eurynorhynchus pygmeus ), le chevalier tacheté (Tringa guttifer ), la sarcelle élégante (Anas Formosa ), le faucon pèlerin (Falco peregrinus ), le cygne chanteur (Cygnus Cygnus ), l’oie des moissons (Anser 22 Koreana | Été 2009

à l’économie locale grâce à ces précieux milieux naturels qui assurent la continuité des conditions favorables à diverses espèces aquatiques, mais participent également de traditions populaires spécifiques comme celles de leur traversée en barque.

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fabalis ), le busard Saint-Martin (Circus cyaneus ), la buse variable (Buteo buteo ), et la grue à cou blanc (Grus vipio ). À l’autre extrémité de la Baie de Suncheon, les plaines alluviales de Boseong Beolgyo offrent un habitat propice au Tegillarca granosa et au périophthalme (Boleophthalmus pectinirostris ) qui font la richesse de la pêche régionale, tandis que coquillages et crustacés tels que le Solen strictus ou la palourde asiatique (Corbicula fluminea ) contribuent aussi

L’habitat du « maehwamarum » de Ganghwa Dans la mesure où les rizières constituent en quelque sorte des zones humides artificielles s’intégrant dans un écosystème et un habitat donnés, elles sont susceptibles de faire l’objet d’une inscription sur la Liste de Ramsar, ce qui a été chose faite dans le cas de l’habitat du « maehwamarum » de Ganghwa, dont le recensement officiel au nombre des zones humides de Ramsar, lors de la Dixième Conférence de Ramsar, a représenté une première mondiale pour les rizières de l’Asie des moussons et a ainsi réaffirmé leur important potentiel en matière de conservation de la biodiversité. Dans le prolongement des mesures mises en œuvre pour conserver ces zones, différentes études ont été entreprises sur leur


© Institut d’écologie et des zones humides PGA

3 1 Célèbres pour leur situation en bordure d’un littoral accidenté aux pittoresques falaises, les plaines de boue de Muan ont été les premières zones humides coréennes à devenir un Parc provincial. 2 Des huîtriers pies dans la Baie de Suncheon. 3 L’habitat du « maehwamarum » de Ganghwa se situe dans une ancienne zone de cultures qui a été rachetée dans un souci de défense de l’environnement, plus exactement pour en protéger les arbres en voie de disparition.

faune et leur flore, de nouveaux projets étant en cours d’élaboration pour en répertorier les espèces les plus importantes. Le Japon a ainsi recensé quelque cinq mille espèces dont la présence dans les rizières favorise l’emploi de techniques agricoles plus respectueuses de l’environnement et le maintien de la biodiversité. Quant à la Corée, elle procède actuellement à une réévaluation du rôle de ses rizières en tant qu’habitats d’espèces en voie de disparition, tout en mettant en œuvre des mesures en vue de leur conservation, la renoncule flottante coréenne dite « maehwamarum » (Ranunculus kazusensis ) offrant un bon exemple de cette politique. Alors que cette plante aquatique avait été déclarée en voie d’extinction, des pousses en ont été découvertes dans des rizières de l’Ile de Ganghwa qui occupaient des terrains sur le point d’être urbanisés, le Crédit national coréen ayant alors décidé de racheter ceux-ci pour protéger l’espèce. Quoique

ces rizières ne représentent qu’une superficie assez faible, elles n’en ont pas moins été jugées dignes d’une inscription sur la Liste de Ramsar, aux fins de leur protection, qu’a également à cœur d’assurer le Crédit national de Corée qui, par un financement d’origine avant tout étatique, s’emploie à sauvegarder les zones qui présentent de l’importance sur le plan environnemental en en faisant l’acquisition, faute de quoi elles auraient été sacrifiées aux impératifs de l’aménagement du territoire. Dans l’habitat du « maehwamarum » de Ganhwa, comme dans les zones avoisinantes, les exploitants ont opté pour les procédés de l’agriculture biologique afin de préserver cette espèce végétale et leur production est commercialisée sous son appellation d’origine qui en accroît la valeur marchande. Aujourd’hui, la région attire les visiteurs en nombre par les intérêts tant écologiques qu’historiques qu’elle présente, notamment un

circuit d’observation des « maehwamarum » et un centre d’information situé à proximité des plaines alluviales, outre plusieurs sites d’origine ancienne. Dans les rizières et sur leur pourtour, on compte aussi des espèces animales en voie d’extinction telles que petite spatule, aigrette de Chine, grenouilles Rana plancyi chosenica et Kaloula borealis, ainsi que la couleuvre sombre coréenne (Elaphe schrenckii ). L’application des techniques de l’agriculture biologique à la riziculture devrait permettre à ces zones de continuer d’abriter plus d’une centaine de plantes aquatiques, comme la quenouille des rivières (Scirpus fluviatilis ) et diverses espèces végétales flottantes comprenant le limule, ainsi qu’animales, telles que l’escargot des rizières, l’escargot d’eau douce, le carassin, et le poissoncastor. C’est au début du mois de mai, juste avant le repiquage des plants, que les rizières se couvrent de « maehwamarum » en fleur. Été 2009 | Koreana 23


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’ est au Botswana que s’étend la plus vaste zone du monde au delta d’Okavango, telle une oasis accueillant une multitude d’espèces animales et végétales, et si les rivières aboutissent presque toujours à la mer, celle d’Okavango n’y parvient jamais, car son cours prend fin dans le désert de Kalahari, où la chaleur torride assèche son lit et n’en laisse subsister qu’une immense zone humide. Celle-ci représente un véritable paradis pour différents animaux carnivores et herbivores qui y trouvent un ultime refuge, notamment lions, éléphants, buf24 Koreana | Été 2009

fles et antilopes qui s’y trouvent rassemblés plus que partout ailleurs sur Terre et offrent à la vue un spectacle extraordinaire que nul ne saurait manquer. Un chef-d’œuvre de la nature D’aucuns affirment que les zones humides d’Upo sont à la Corée ce qu’est l’Okavango à l’Afrique, car il s’agit de la zone humide continentale la plus vaste du pays, mais aussi la plus ancienne, les scientifiques datant de cent quarante millions d’années la formation de ce marais à l’embouchure du premier fleu-

ve national, le Nakdonggang. Au sein de ce delta, le temps semble avoir épargné l’écosystème d’origine et si les grands fauves d’Okavango y sont absents, on y rencontre une multitude d’espèces de moindre envergure telles que le léopard nain d’Asie et la loutre d’Europe, ainsi que d’oiseaux, poissons et insectes en tout genre. Depuis le décès de mes parents, j’ai coutume, quand prend fin la semaine, de me rendre jusqu’à cette zone humide dont le merveilleux cadre m’offre le giron maternel le plus douillet qui soit.


Splendeurs primitives des zones humides d’Upo C’est à la fin des années quatre-vingt-dix qu’ont été découverts les véritables trésors que recèlent les zones humides d’Upo et s’il est à supposer que l’écotourisme mettra à la portée du public ces splendeurs primitives datant pour la plupart de quelque cent quarante millions d’années, la plus grande vigilance est de rigueur pour en préserver le fragile écosystème. Kang Byung Kuk Professeur à l’Université nationale Gyeongsang Vice-président de l’association des Amis verts d’Upo Kown Tae-kyun, Lee Gap-chul Photographes

La flore des marais de la zone humide d’Upo comprend des plantes aquatiques telles que la fougère flottante (Salvinia natans), la lentille d’eau géante à plusieurs racines ou spirodèle à plusieurs racines (Spirodela polyrhiza) et l’Hydrocharis dubia.

À tout moment, ces lieux résonnent du chant des oiseaux et, au début du printemps, qui marque la saison des amours chez les grenouilles, des bruyants coassements de ces animaux, puis l’été venu, rolle violet, loriot et alouette se grisent de leurs charmantes trilles, tandis que les insectes y font entendre le concert de leurs bourdonnements tout l’automne et qu’en hiver, oie sauvage, cygne de Bewick, canard malard ou mandarin rivalisent de beauté par leurs chants et plumages. Où que mon regard porte, j’y retrouve à profusion les arbres ou fleurs sauvages de

mon enfance et je me revois alors, dans mes jeunes années, pourchassant dans l’eau peu profonde cybister japonicus , scorpion aquatique et scarabée plongeur (hydrophilus acuminatus ), dont les images se dérobent à mon esprit comme les motifs changeants d’un kaléidoscope. Aux premiers jours du printemps, je m’assieds sur la rive et observe parfois la huppe à la crête pareille à un turban indien et tandis qu’elle se lance à la poursuite de quelque insecte, je la suis du regard, médusé, jusque dans un univers merveilleux, presque onirique.

Est-ce le réchauffement planétaire qui a provoqué l’arrivée précoce de cet oiseau, qui semble tout droit sorti d’un conte de fées, dans cette contrée bénie des dieux ? En y entendant chanter le loriot jaune, au début de l’été dernier, j’avais compris pourquoi ce merveilleux gazouillis qui emplissait les lieux de ses notes sonores était parfois comparé au timbre harmonieux d’une soprano. C’est l’oiseau qui donne vie aux zones humides d’Upo et c’est d’ailleurs pour sauvegarder l’habitat naturel de ses espèces migratrices qu’a vu le jour la Été 2009 | Koreana 25


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Convention de Ramsar, dans un monde confronté à l’inquiétante destruction de ce type de terrain par une pollution envahissante et un développement à tout crin. Quoi de plus agréable au regard que la vue de paisibles oiseaux et autres animaux tels qu’il s’en trouve dans ce milieu naturel idéal que constituent les zones humides d’Upo, comme en atteste la présence croissante du héron coiffé et du héron blanc, qui ont renoncé à leurs trajets migratoires pour s’établir en ces lieux, à l’instar des nombreuses autres espèces qui y ont élu domicile, attirées par les réserves alimentaires qu’ils leur offrent tout au long de l’année ? Si le spectacle des oiseaux en vol incite d’une certaine manière à la méditation, point n’est besoin de faire le vide 26 Koreana | Été 2009

dans son esprit ou de fournir le moindre effort pour le contempler à loisir, car c’est tout naturellement que les zones humides d’Upo invitent à atteindre l’anatman, cet état de « non-soi » du bouddhisme. « Au commencement, était la Parole », dit la Bible et dans les zones humides d’Upo, celle-ci retentit partout sous des formes aussi diverses que le chant des oiseaux, le souffle du vent, les clapotements de la pluie, le bruissement des pins et le bourdonnement des insectes auxquels se mêlent la voix des pêcheurs, les jacassements des femmes et les rires d’enfants. Voilà près de deux millénaires et demi, Bouddha déclara : « La plus grande discipline est de comprendre qu’il n’existe pas de Moi substantiel ». Dans cette perspective, les zones humides d’Upo sont

de véritables chefs-d’œuvre de la nature qui offrent un cadre idéal à l’ascète dans sa quête d’illumination, car les oiseaux sédentaires et migratoires y rivalisent d’harmonie par des chants et évolutions rythmiques. Dans la Province de Gyeongsangnam-do, ces dernières ont même inspiré la création d’une danse, dite des grues de Yangsan, qui enchante le public par la grâce et la fluidité de ses mouvements imitant ceux de ce palmipède, tandis que d’autres espèces ont aussi donné lieu à la création de différents jeux traditionnels populaires. Formation du Marais d’Upo La présence de milieux marécageux caractérise les régions de Changnyeong, Hapcheon et Uiryeong qui, dans la Pro-


2 1 Les zones humides d’Upo sont beaucoup moins profondes qu’un lac. 2 En été, les zones humides d’Upo grouillent d’espèces aquatiques telles que ces escargots.

vince de Gyeongsangnam-do, bordent le Nakdonggang sur son cours moyen et inférieur. Dans le traité intitulé Joseonjiji (Rapports géographiques de Joseon), figure le passage suivant les concernant : « De même que les cieux bénéficient du lac de Cheonji qui coiffe le Mont Baekdusan en son sommet, la Terre possède les zones humides d’Upo qui s’étendent à Changnyeong, Gyeongsangnam-do », alors si les Coréens anciens attribuaient à ce plan d’eau une valeur sacrée, c’est qu’ils vouaient une égale vénération à ces terrains marécageux, tout en exprimant leur profonde admiration pour leur charmant paysage. Dans les années soixante-dix, alors que s’accélérait l’industrialisation de la Corée, l’État a fait peu à peu procéder

à l’assainissement des zones humides pour disposer de plus de terres arables. En se fondant sur des études scientifiques et sur les témoignages de la population, on a estimé leur superficie d’origine à environ onze kilomètres carrés, soit cinq fois plus qu’aujourd’hui, et leurs réserves en eau douce, au poids de 1,25 milliard de tonnes, qui est égal à celui de la retenue d’eau du barrage d’Andong, cette ville de la Province de Gyeongsangbuk-do. Depuis lors, le ministère de l’Environnement a résolu de protéger ces zones par la création d’une pittoresque réserve écologique occupant près de 8,54 kilomètres carrés, dont 2,3 en milieu aquatique. Les zones humides seraient apparues au crétacé, époque à laquelle les dinosaures existaient encore sur Terre, puis, tout au long du Nakdonggang, les glaciations allaient profondément altérer la topographie, tandis que par la suite, la fonte des glaciers allait mettre le fleuve en crue, les alluvions limoneuses et sablonneuses apportées par ses eaux finissant par obstruer le cours de l’actuel ruisseau de Topyeong et créant une retenue qui allait se transformer en un vaste lac, lequel allait à son tour, au fil du temps, donner naissance aux zones humides d’Upo.

Dans cette région, se dresse un mont du nom d’Uhangsan tiré d’un vocable qui désigne l’encolure du bœuf, car cette hauteur évoque, par sa forme, la silhouette de cet animal lorsqu’il courbe la tête pour s’abreuver au marais et c’est encore lui qui se trouve à l’origine du toponyme de Sobeol, c’est-à-dire le « marécage aux bœufs », car il a longtemps trouvé sur ses rives une terre de pâturage. À cette appellation, allait plus tard se substituer celle d’« Upo», en raison de sa transcription en idéogrammes chinois qu’imposa le colonisateur japonais au début du XXe siècle pour la substisuer à l’écriture coréenne dite « hangeul » dans tous les noms de lieux. Les zones humides d’Upo se composent des quatre marais d’Upo, de Mokpo, de Sajipo et de Jjokjibeol, ces trois dernières dénominations faisant respectivement référence aux arbres, en raison des destructions qu’occasionnèrent les pluies torrentielles dans les forêts, au sable qui recouvre de vastes superficies et au morcellement qu’évoque une faible envergure, dans ce dernier cas. De même que d’autres zones humides intérieures, celles d’Upo atteignent une profondeur maximale d’un mètre qui est très inférieure à celle d’un lac. Dans ce milieu naturel unique en son Été 2009 | Koreana 2


genre façonné par la mer au gré du flux et du reflux, l’épaisseur des dépôts sédimentaires boueux a favorisé la prolifération de plantes aquatiques qui, en faisant obstacle au jusant, provoquent d’importantes inondations à la saison des pluies, tandis que le reste du temps, elles créent, en association avec les autres formes de vie, un habitat propice à de multiples microorganismes. Tandis que nombreuses espèces disparaissent sans laisser de traces, ces derniers, en décomposant les déjections animales, évitent la fétidité des eaux stagnantes et accroissent la présence de substances nutritives dans celles-ci, ce qui fournit un excellent exemple d’écosystème intégré à la riche biodiversité. D’une saison l’autre À l’approche du printemps, saules pleureurs ou pourpres (Salix gilgiana ) reviennent à la vie en gorgeant d’eau leur ramure, avant la feuillaison, et c’est alors qu’éclosent l’adonis, l’hamamélis de Virginie et le cornouiller officinal annonciateurs d’un imminent changement de saison, tandis que l’astragale se grise de sa splendeur. Sous l’eau, les minuscules nymphoïdes peltata redressent la tête à cette perspective pendant que s’agitent des myriades d’insectes tels que

le gerri, le scorpion aquatique et le cybister japonicus , alors que sur les arbres, des oiseaux sédentaires comme la pie s’empressent de faire leur nid avant l’époque de la reproduction. L’été venu, les femmes s’avancent nu-pieds dans les marécages pour y récolter des colimaçons, démontrant ainsi la participation humaine à l’écosystème de ces zones humides dont la surface se tapisse d’une couche végétale d’un vert éclatant où s’enchevêtrent quenouille orientale, calamus, Eleocharis kuroguwai , roseau et Euryale ferox , autant d’espèces déclarées en voie d’extinction par le ministère de l’Environnement et que côtoient d’autres plantes à la floraison estivale, dont la salvinie nageante, la châtaigne d’eau, la brasénie de Schreber, le nymphoïde peltata, l’Hydrocharis dubi et la Spirodela polurhiza . Au petit matin, le brouillard qui s’élève dans cette atmosphère humide confère aux lieux l’aspect primitif d’une peinture paysagère qui tour à tour, engendre la mélancolie par temps de pluie et resplendit quand le tapis de végétaux, sous le soleil automnal, se fait spectacle de lumière au son harmonieux du chœur des lucioles. À la saison froide, les zones humides offriront une excellente halte

aux oiseaux migrateurs qui envahissent les champs où les plantes succombent au froid hivernal et la vue de bandes de sarcelles tachetées volant dans le soleil couchant invite au lyrisme tout promeneur ayant la chance d’en être le témoin oculaire, tout comme celle, plus modeste, du canard mallard, de l’oie des moissons, du cygne chanteur et du canard mandarin en quête d’une pitance ou de quelques instants de repos. Une flore et une faune exceptionnelles D’aucuns voient en ce XXIe siècle le théâtre d’un combat silencieux qui met en présence des nations rivalisant d’efforts pour maintenir une biodiversité animale et végétale qui, de l’avis des futurologues, sera garante de prospérité et de puissance pour ceux qui parviennent à l’assurer. Celle qui règne dans les zones humides d’Upo s’avère exceptionnelle, comme en atteste l’existence en ces lieux du monopterus albus, cette extraordinaire espèce de taille inférieure à l’anguille japonaise, mais supérieure au poissoncastor, et dont les particularités, notamment son transsexualisme à l’âge adulte, attirent de nombreux et fidèles visiteurs, ainsi que des groupes d’écoliers en classe de découverte. Les zones humides d’Upo

Quoi de plus agréable au regard que la vue de paisibles oiseaux et autres animaux tels qu’il s’en trouve dans ce milieu naturel idéal que constituent les zones humides d’Upo, comme en atteste la présence croissante du héron coiffé et du héron blanc, qui ont renoncé à leurs trajets migratoires pour s’établir en ces lieux, à l’instar des nombreuses autres espèces qui y ont élu domicile, attirées par les réserves alimentaires qu’ils leur offrent tout au long de l’année ?

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1 (De gauche à droite) Une pupe se transformant en libellule, une gallinule poule-d’eau (Gallinula chloropus indica Blyth), le Monochoria korsakowi et des nymphoïdes (Nymphoides indica). 2 Les pétales jaunes des nymphoïdes peltata embellissent le paysage des zones humides d’Upo.

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© Ha Dong-chil

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offrent aujourd’hui un ultime refuge à ce poisson qui proliférait dans les marais, lacs artificiels et rizières de Corée jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Autre espèce en voie de disparition, le Triops longicaudatus (Le Conte) est tout aussi digne d’intérêt en raison de la véritable armure dont s’entoure son corps sous forme d’une carapace composée de trente à quarante segments et dont la partie médiane, au niveau du dos, est pourvue d’une paire de gros yeux située un peu à l’avant. Les mammifères sont quant à eux représentés, au sommet de la chaîne alimentaire, par le léopard nain d’Asie chasseur d’oiseaux et le spectacle qu’offrent alors ce prédateur et sa proie est tout aussi saisissant que ceux du delta d’Okavango ou de Serengeti. Des loutres ont aussi élu domicile dans ce milieu marécageux, mais y sont actuellement sur le point de disparaître, en raison d’une baisse considérable de leur population depuis l’industrialisation de la Corée, avant laquelle elle était estimée à des centaines d’individus. 30 Koreana | Été 2009

Parmi les plus remarquables plantes aquatiques, figure l’Euryale ferox , dont les larges feuilles peuvent atteindre deux mètres de diamètre et qui pousse par milliers en plein été, grâce à la protection dont elle jouit en tant qu’espèce en danger. Il s’y ajoute la brasénie de Schreber qui joua autrefois un tel rôle dans l’alimention populaire qu’un vieux dicton affirmait : « Le ginseng sauvage est aux montagnes et champs ce que la brasénie de Schreber est à l’eau », tandis qu’elle se fait aujourd’hui de plus en plus rare. Enfin, les zones humides d’Upo constituent la halte de prédilection du héron, qu’il soit blanc ou d’autres espèces, ainsi que de variétés de cygnes différentes et la vue qu’ils offrent, en hiver, lorsqu’ils glissent majestueusement sur l’onde, m’emplit de sérénité plus que toute autre au monde. L’avenir du marais d’Upo À la fin des années quatre-vingt-dix, les zones humides d’Upo ont révélé un à un tous les trésors qu’elles recelaient et se trouvent actuellement à une étape

décisive de leur histoire grâce à la politique dite « Réduction du gaz carbonique, croissance verte » par laquelle le gouvernement du président Lee Myungbak entend promouvoir l’écotourisme et entreprendre de grands travaux de réhabilitation des cours d’eau, conformément aux directives de la Conférence des parties contractantes à la Convention de Ramsar, qui s’est déroulée l’année passée. Cette ambitieuse initiative vise à faire des marais d’Upo, ainsi que de la zone démilitarisée, des lieux d’écotourisme importants au plan national, mais aussi susceptibles d’attirer un public mondial. La mise en œuvre de ces travaux d’aménagement est toutefois subordonnée aux conclusions d’études en cours de réalisation à l’Institut coréen de la Culture et du Tourisme et dont les résultats seront rendus publics à la fin du premier semestre. Ce sont près de deux cents milliards de wons, soit environ cent quatre-vingts millions de dollars, que l’État prévoit d’investir pour reconvertir les zones humides


Au cœur de l’été, le nénuphar épineux (Euryale ferox) parsème les zones humides d’Upo des taches de couleurs vives de ses fleurs s’ouvrant dans un buisson d’épines.

d’Upo dans la perspective d’un écotourisme de haut de gamme. La conception de ce projet, qui est due à des spécialistes des sciences de l’environnement, repose sur le principe que mieux vaut jouer la carte culturelle que de construire routes et bâtiments tous azimuts, mais aussi sur la protection des écosystèmes naturels, en vue de laquelle ils préconisent de déplacer les constructions déjà réalisées dans les zones riveraines pour préserver celles-ci de la pollution et y encourager l’essor de l’agriculture biologique. Les régions proposant de telles activités à caractère culturel ont déjà fait la démonstration de tout leur potentiel, comme en atteste la fréquentation du littoral de l’étang de Walden, qui attire chaque année quelque six cents mille visiteurs venus admirer la nature en toute tranquillité, à l’instar de Henry David Thoreau. Il importe en tout premier lieu que de tels aménagements ne portent pas atteinte au cadre naturel d’origine et, à cet effet, tout projet de réhabilitation du Nakdonggang doit s’accompagner d’une étude d’impact eu égard aux véritables trésors naturels que renferment les zones humides d’Upo. Si le curage du lit des cours d’eau permet de prévenir les inondations et d’entretenir sainement les écosystèmes naturels, il n’en est pas moins impératif de maintenir un niveau d’eau adéquat dans les zones humides d’Upo, afin de leur conserver toute la splendeur originelle qu’elles ont su conserver en cent quarante millions d’années. À cet effet, il conviendra de savoir tirer le meilleur parti des précieux enseignements qu’a d’ores et déjà livrés la gestion de sites écotouristiques comme ceux de l’étang de Walden, aux États-Unis, des marais hongkongais de Mai Po, ainsi que des zones humides de Kushiro, au Japon, et de Boondall, en Australie.

À la découverte des zones humides d’Upo

© Institut d’écologie et des zones humides PGA

Comment y aller En voiture, emprunter l’autoroute du centre (Autoroute n°45) reliant Daegu à Masan, et sortir à Changnyeong. Prendre à gauche, puis continuer sur environ dix kilomètres, en suivant les panneaux indicateurs jusqu’au Centre de découverte de la nature d’Upo, que dirige l’association des Amis verts d’Upo. De l’extrémité de la digue de Daedae, admirer le panorama d’Upo, de Mokpo et de Sajipo. Les moyens de transport en commun comportent une liaison par autocar ayant pour terminus la gare routière de Changnyeon, où sont disponibles taxis et correspondances par autocar. Dans ce dernier cas, marcher environ trois minutes jusqu’à la gare routière de Yeongsin et emprunter un autocar à destination d’Ibang ou de Yueo, qui dessert les zones humides d’Upo. En train à grande vitesse, descendre soit en gare de Dongdaegu, pour y prendre l’autobus, à l’arrêt Seobu, en direction de la gare routière de Changyeong, soit à celle de Miryang, où une ligne d’autobus conduit à cette même gare.

Visites En sortant du parc de stationnement de Sejin-ri, si le temps manque, marcher jusqu’à la digue de Daedae, puis gagner l’observatoire, avant d’avoir un rapide aperçu de Jjokjibeol et d’Upo. En revanche, pour prendre le temps d’en découvrir les zones humides, on optera pour l’itinéraire menant du parc de stationnement de Sejin-ri à la digue de Daedae, puis aux terrains situés derrière les installations de drainage, au ruisseau de Topyeong et au chemin qui relie Sajipo à Upo le long de la rive. Pour découvrir les zones humides et leurs mystères, à partir de Changnyeong, prendre l’autocar en direction de Ibang ou Daeji et descendre au village de Jangjae, d’où l’on peut se rendre à pied jusqu’aux rives du marais, en admirant en chemin les bosquets de Salix glandulosa, une espèce de saule qui offre une vue magnifique au printemps et à l’automne, ou l’Euryale ferox qui est d’une merveilleuse beauté en plein cœur de l’été.

Où manger Dans l’agglomération d’An-ri, qui se trouve entre les villages de Somok et Jangjae, dans le canton d’Ibang-myeon, à Changnyeong, existe une auberge du nom d’Upo Minbak, c’est-à-dire la pension d’Upo, qui propose des spécialités renommées de carpe à la vapeur et de tranches d’Ophicephalus argus cru auxquelles on préférera une soupe si l’on n’apprécie pas le poisson d’eau douce servi de cette manière. En poussant vers Sejin, aller jusqu’à Yueo, où se trouvent un grand nombre de restaurants non loin du parc de stationnement, tandis qu’à Changnyeong, les établissements Jangmaeul et Daega, qui se situent face au Mont Hwawangsan, proposent de délicieux barbecues à des prix tout à fait raisonnables.

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dossIers

La Bibliothèque numérique nationale,

fruit des TIC coréennes Fondée sur un tout nouveau principe de conception, la Bibliothèque numérique, qui est ouverte au public depuis peu, fournit au lecteur un accès rapide à plus de cent millions de documents publiés dans le monde entier et, à ce titre, remplit une fonction primordiale à l’heure de la société de l’information basée sur la connaissance. Nam Young-joon Professeur en sciences de l’information et des bibliothèques à l’Université Chung-Ang Ahn Hong-beom Photographe


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i la Bibliothèque numérique nationale (BNN) qui vient d’ouvrir ses portes le 25 mai dernier assure les missions classiques d’un établissement de ce type en matière d’information, elle fournit en outre des services et possibilités qui représentent une réelle innovation par rapport aux bibliothèques et systèmes de recherche documentaire déjà existants.

Un accès universel À Séoul, la Bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de Corée occupe une superficie de 38 014 mètres carrés sur les quatre étages et trois niveaux en sous-sol d’un immeuble qui est situé dans le quartier de Seocho-dong et dont la construction entreprise au mois

de décembre 2005 a exigé un chantier de trois années. Dotée d’installations ultramodernes comportant notamment des salles d’information multilingues, de lecture numérisée et de séminaire, ainsi qu’une médiathèque, d’un cinéma multiplex et de rayons automatisés pourvus d’étagères mobiles à neuf niveaux, elle constitue une première mondiale dans ce domaine, outre qu’elle offre divers espaces de repos et de détente, dont un parvis couvert d’une pelouse, un jardin de style coréen, un café-lecture et un jardin intérieur. La création de cet établissement ultramoderne s’explique par la présence en Corée de TIC de pointe, par l’accoutumance à celles-ci qu’a d’ores et déjà acquise le public et par l’impératif d’évolution auquel sont aujourd’hui confrontées les

bibliothèques. En revanche, il se démarque résolument, par son mode d’exploitation, des systèmes informatisés qui existent déjà en Corée comme à l’étranger et ne représentent que la page d’accueil du site d’un établissement réel aux collections duquel ils se contentent de fournir un accès en ligne, puisqu’il renferme une somme d’informations beaucoup plus vaste notamment issues de supports multimédias de type internet et venant s’ajouter à celles d’origine nationale, également importantes, qui se composent par exemple de bases de données commerciales numérisées. Autant de qualités faisant de lui cette bibliothèque idéale assurant la conservation, sous forme tant analogique que numérique, d’un riche fonds documentaire d’origine nationale ou internationale pour le mettre

La zone Groupe Ordinateur Productivité est une composante essentielle de la Bibliothèque numérique nationale.Summer 2009 | Koreana 33


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Ne cherchez pas de document papier dans les salles de lecture de la Bibliothèque numérique nationale, vous n’en trouverez pas, que ce soit sous forme d’ouvrages ou de publications imprimées, car c’est justement en cela que réside toute la nouveauté de son fonctionnement fondé sur la notion d’« information commons ».

1 À l’entrée de la bibliothèque, le kiosque à écran tactile permet d’accéder sans difficulté aux informations portant sur les services et installations de cet établissement. 2 Le Pavillon mondial répond aux besoins des familles multiethniques et des usagers étrangers en leur fournissant des renseignements en différentes langues étrangères. 3 Le Monument numérique bénéficie d’un éclairage naturel. 34 Koreana | Été 2009

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à la disposition du public, soit en personne, soit par mise en réseau.

Un fonctionnement nouveau Dans les salles de lecture munies de consoles informatiques en vue de la recherche documentaire à l’intérieur de ses collections intégralement conservées sur films numérisés, c’est en vain que l’on rechercherait des documents papier, que ce soit sous forme d’ouvrages ou de publications imprimées, car c’est justement en cela que réside toute la nouveauté de son fonctionnement fondé sur la notion d’« information commons ». Afin que ses lecteurs puissent aisément tirer le meilleur parti de ces supports et ressources numériques pour eux tout à fait nouveaux, la BNN se charge de les initier à leur emploi, assurant ainsi une bonne diffusion de l’information qu’ils renferment par cette forme d’aide directe beaucoup plus développée que dans les bibliothèques classiques et dont les nombreuses prestations obéissent aussi au principe d’« information commons » que la BNN a fait sien. Par ailleurs, les concepteurs de la BNN ont cherché à y créer un environnement fondé sur une égalité des chances dans l’accès à l’information, c’est-à-dire sans discrimination en raison du sexe, de la nationalité, du niveau d’instruction et de l’état de santé des lecteurs, notamment par l’aménagement d’installations d’un emploi simple pour les personnes à mobilité réduite, telles ces tables de lecture conçues pour recevoir des fauteuils roulants ou ces logiciels de synthèse de la parole qui adaptent les programmes de recherche documentaire aux besoins des non-voyants. À l’intention de ces deux catégories d’usagers, il existe dès maintenant des outils d’aide informatique auxquels est appelé à s’ajouter à l’avenir un volet destiné aux malentendants et aux personnes souffrant d’un handicap physique plus grave. La BNN apporte aussi une aide à la recherche documentaire à ses usagers non coréanophones, que ce soit sous forme d’informations pratiques ou au moyen de logiciels et matériels adaptés

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au traitement automatique des langues, ces dispositifs ne concernant à ce jour que les plus parlées d’entre elles en l’absence d’interface utilisateur pour celles de petite diffusion, comme le thaï, et devant en conséquence se diversifier afin de s’adresser à toujours plus de ressortissants étrangers, notamment des familles multiethniques.

Des ressources d’un accès facile Ces différents équipements et services de recherche et d’exploitation du fonds documentaire par les lecteurs se doublent aussi de dispositifs permettant à ceux-ci de créer ressources et contenus numériques personnalisés tels que les films vidéo qu’ils peuvent réaliser dans le studio

multimédia où sont mis à leur disposition des équipements de haute technologie en vue de la diffusion sur internet. Par ailleurs, la BNN fait appel au nouveau concept dit de la « bibliothèque 2.0 », qui porte sur la capacité du réseau de génération 2.0 en termes d’interactivité avec les usagers, en rassemblant quantité d’informations produites par ceuxci, notamment sous forme de blogues, et en y opérant des tris, la réserve ainsi constituée comprenant à ce jour près de quatre cent trente mille documents issus du réseau internet que la BNN entend porter à 2,7 millions. Celle-ci assure également, en partenariat avec nombre de serveurs informatiques, les fonctions d’un portail thématique sur Été 2009 | Koreana 35


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la région, la politique et les prestations sociales aux handicapés physiques et aux familles multiethniques. Comme dans une bibliothèque classique, le silence est de rigueur dans toutes les salles de lecture et de recherche informatique, en dépit de quoi la BNN s’attache à favoriser de fructueux échanges entre ses usagers par la mise à disposition de salles de séminaire à l’intention des groupes qui souhaitent ouvrir des débats à bâtons rompus sans pour autant déranger le reste des lecteurs. Entourés de cloisons en verre qui assurent une isolation acoustique, ces lieux de forum s’ouvrent sur l’extérieur en fournissant un accès internet de type filaire ou sans fil et le poste de travail correspondant en vue de lancer des recherches. Enfin, le cinéma multiplex permet aux usagers de visionner des films dont le son leur parvient par des écouteurs sans fil, tandis que des ordinateurs personnels ultramobiles disponibles au titre du prêt autorisent des recherches numériques en tout point de la bibliothèque. 36 Koreana | Été 2009

Un service pratique Bibilothèque hybride, au sens où ses prestations sont d’ordre aussi bien réel que virtuel, la BNN est dotée de portails garantissant un accès illimité aux collections de documents des plus grandes bibliothèques du monde, sous réserve de la protection des droits d’auteur, conformément à sa vocation fondamentale d’assurer la consultation aisée de ressources de qualité conservées sous forme numérique sur toute la planète, sans la moindre limitation d’ordre spatial ou temporel, notamment par le biais des principaux services suivants : Installations et équipements : - Espaces informatiques équipés d’ordinateurs personnels et d’imprimantes. - Espaces de formation permettant à des groupes d’usagers de participer à des séances de formation, des recherches ou des débats au moyen d’équipements numériques de pointe tels que vidéoprojecteurs à faisceaux parallèles, écrans à cristaux liquides et tableaux d’affichage

1 La Bibliothèque numérique nationale jouxte la Bibliothèque nationale de Corée. 2 La Bibliothèque numérique nationale, complexe culturel de conception nouvelle, révèle le haut degré d’évolution des TIC coréennes.

électroniques, ainsi que des systèmes de visioconférence assurant l’enregistrement et la diffusion des comptes rendus. - Espace cinématographique multiplex polyvalent doté d’un environnement numérique évolué à trois dimensions de réalité virtuelle, identification par radiofréquence, réseau de capteurs polyvalents et écrans tactiles. - Studio permettant la création de documents multimédia de qualité professionnelle au moyen d’équipements numériques destinés à la production, à l’édition et à la conversion de ces informations. - Café-lecture numérique aux fenêtres donnant sur une pelouse en vue de la détente. - Jardin intérieur de style coréen


aménagé dans les salles de lecture pour offrir un cadre agréable. Services aux lecteurs : Dénommé « Dibrary », une appellation composée des mots « digital » et « library », c’est-à-dire respectivement « numérique » et « bibliothèque », le portail d’information de la BNN permet d’accéder rapidement aux fichiers vidéo, ouvrages électroniques et innombrables documents téléchargés depuis la Corée ou l’étranger. En partenariat avec les plus grandes bibliothèques du monde, dont celles du Congrès américain, mais aussi avec de multiples entreprises, groupes et particuliers coréens ou étrangers, la BNN donne accès à plus de cent millions de documents différents. En outre, elle rassemble des ressources scientifiques ou culturelles en provenance du monde entier et réalise leur archivage sous forme numérique. Portail ouvert dédié aux informations scientifiques d’origine coréenne, « Dibrary » offre à ses lecteurs un accès illimité à toutes ses ressources libres de droits.

La BNN dans le monde Bibliothèque d’une toute nouvelle conception, la BNN permet de consulter une multitude d’informations en tout genre, fournit un cadre à la communication entre les individus, favorise les échanges culturels et crée une ambiance calme propice à la détente, tout en fournissant des prestations conviviales en ligne sept jours sur sept, tout au long de l’année. À ces différents égards, elle révèle ainsi le haut degré d’évolution des TIC en Corée, lequel témoigne à son tour d’un savoirfaire technologique et de réalisations culturelles qui suscitent l’admiration de par le monde. À sa suite, d’autres bibliothèques numériques évoluées sont appelées à voir le jour dans les pays développés, comme en atteste l’accord conclu par le Congrès des États-Unis avec l’UNESCO en vue d’une création de ce type à l’échelle mondiale, ainsi que la décision de l’Union européenne, en 2006, de se doter d’un tel dispositif afin de donner accès aux ressources électroniques conservées par

les grandes bibliothèques nationales de l’Ancien Continent. Dans le contexte de cette expansion mondiale, la Corée mettra toujours plus l’accent sur les deux mots d’ordre de la BNN que sont « information commons » et « services conviviaux optimaux » afin d’enrichir et de développer ces nouvelles prestations sur tout son territoire, de sorte que la création de la BNN peut à juste titre être considérée comme l’une des grandes étapes de l’histoire mondiale des bibliothèques. L’accumulation d’une quantité prodigieuse de ressources numériques exigera la mise au point de dispositifs technologiques garantissant leur usage licite et la réalisation d’études soulevant d’éventuels points de droit, tandis que les bibliothécaires, après avoir joué un rôle décisif dans l’initiative dite « information commons », seront tenus d’enrichir leurs compétences professionnelles par la formation continue et un recours systématique aux TIC de pointe afin de faire de la BNN une grande bibliothèque numérique du XXIe siècle. Été 2009 | Koreana 3


entretIen

Rhie Won-bok Dessinateur, professeur et pionnier de la bande dessinée culturelle Si Rhie Won-bok se présente plus volontiers comme « traducteur culturel » que comme dessinateur, c’est pourtant à ce dernier titre qu’il faisait partie du jury du concours « Illustrateur de l’année » qui se déroulait voilà peu à l’occasion de la Foire Internationale du Livre pour Enfants de Bologne, après en avoir été lui-même le lauréat vingt-sept ans auparavant et aujourd’hui, il livre ses réflexions sur le présent et l’avenir de l’illustration coréenne. Goo Bonjoon Directeur de la Division planification du Hankyoreh Ahn Hong-beom Photographe

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ans leur majorité, les Coréens ne soupçonnent certainement pas la place qu’occupe leur pays dans l’édition des bandes dessinées, dont une centaine d’albums différents sort pourtant chaque jour des presses, tandis que près de dix mille d’entre eux sont édités chaque année, ces résultats attestant de la prospérité d’un secteur que l’industrie japonaise a pour ainsi dire tué partout ailleurs en Asie, comme en témoignent aussi des ventes à l’exportation qui sont chose rare dans ce domaine, ainsi que la création de publications éducatives uniques en leur genre.

Le père de la BD éducative Destinée à permettre aux enfants de se cultiver sans effort et en s’amusant, la bande dessinée à caractère éducatif a fait son apparition au cours des années soixante-dix dans l’industrie coréenne de l’édition où elle constitue une forme de publication unique en son genre, qui au terme d’une importante évolution, figure parmi les plus recherchées et concurrentielles du marché. Si ce type de production spécifique a trouvé un terrain favorable en Corée, c’est que les parents d’aujourd’hui s’en sont nourris, enfants, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, notamment d’œuvres des débuts aussi appréciées que Terres éloignées , pays voisins, le premier succès de librairie du genre signé de Rhie Won-bok, qui est aujourd’hui âgé de soixante-trois ans. Dès sa publication, en 1981, sous forme de feuilleton paraissant dans un magazine pour enfants, cette œuvre séduira le grand public en permettant la découverte de l’histoire et de la culture de lointains pays d’Europe, à une époque où il n’est pas donné à tout un chacun de voyager, puis le titre se vendra à quelque quinze millions d’exemplaires au cours des vingt dernières années. Lorsqu’il crée ce genre particulier, Rhie Won-bok s’est déjà imposé en tant que dessinateur car, en dépit d’une formation d’architecte à l’Université nationale de Séoul, il a toujours revendiqué une vocation pour cet art, sans se cacher de l’intérêt qu’il voue exclusivement à la BD. Suite à ses études universitaires et alors qu’il a fait ses premiers pas dans la profession dès l’âge de seize ans, lorsqu’il se trouvait au lycée en classe de seconde, le jeune homme se décide à partir pour l’Europe pour suivre une formation qui lui permettra de se trouver un style propre. Il y fera la découverte de la série Astérix, qui exercera sur lui 38 Koreana | Été 2009


Le Professeur Rhie Won-bok fait figure de pionnier d’une BD éducative cherchant à favoriser le dialogue entre les cultures.


une influence décisive en l’amenant à modifier son style de graphisme, mais l’incitera aussi à travailler sans relâche à la création d’un nouveau genre doté d’un contenu culturel et historique enrichissant et c’est ainsi que verra le jour le feuilleton Terres éloignées, pays voisins. Par-delà le succès que remportera cette œuvre, celle-ci s’avérera des plus novatrices dans ce secteur particulier de l’édition coréenne en se démarquant résolument des productions antérieures et en l’élevant à un niveau intellectuel supérieur, ce qui vaudra à son auteur d’être considéré comme le père de la bande dessinée éducative et culturelle, mais aussi comme l’un des plus grands dessinateurs coréens.

Transmission de contenus et traduction culturelle En parallèle avec l’enseignement, qu’il exercera à son retour d’Europe, Rhie Won-bok continuera de s’adonner au dessin et livrera quantité de titres qui, en constituant autant de succès d’édition, ouvriront un nouveau chapitre de l’histoire de la BD coréenne. En tout premier lieu, il a accompli la prouesse de modifier le point de vue de ses aînés, qui voyaient dans la bande dessinée un genre culturel mineur réservé aux enfants, mais aussi celle, sans précédent en Corée, de mener de front professorat et dessin. Avant son irruption dans ce dernier domaine, la BD représentait l’une des formes les plus déconsidérées de la culture de masse, dont on aurait eu peine à imaginer que puisse s’y consacrer un professeur d’université ayant de surcroît fait des études à l’étranger, mais l’œuvre Capitalisme et socialisme, vus à travers les BD livrée par ce dernier n’en allait pas moins figurer parmi les titres les plus vendus en Corée. Le succès non démenti de ses créations s’explique vraisemblablement par le fait qu’outre leurs qualités divertissantes, elles fournissent informations culturelles et historiques en abondance. Ces œuvres renferment en effet de nombreux éléments de culture générale indispensables dans le monde actuel, qui y sont présentés par des procédés simples et plaisants, en recourant à des comparaisons ou des présenrations claires et précises, de sorte que l’on peut affirmer sans exagération que les Coréens ont pour la plupart découvert les particularités culturelles et historiques des pays européens « L’illustration coréenne commence tout juste à faire parler d’elle dans le dans Terres éloignées, pays voisins. monde et, à ma manière, j’entends être partie prenante à l’évolution de cette À cet égard, Rhie Won-bok réalise, forme d’art originale, car pétrie de culture coréenne». par-delà de simples dessins, la transmission de contenus et la traduction culturelle en abordant, au fil de ses œuvres, une large thématique qui va de la philosophie économique et à la religion aux sujets d’actualité, en passant par les meilleures façons d’apprécier le vin. Aujourd’hui sexagénaire, l’auteur ne semble pas le moins du monde marquer le pas, mais poursuit au contraire son travail de création dans son studio, en même temps que l’exercice de l’enseignement.

L’ancien lauréat aujourd’hui au jury Les Coréens sont aussi nombreux à ignorer qu’en 1982, Rhie Won-bok, alors étudiant en Allemagne, fut le premier Coréen à se voir décerner le Prix de l’« Illustrateur de l’année » à l’occasion de la Foire du Livre pour Enfants de Bologne, la remise de cette prestigieuse distinction, qui vient récompenser les meilleurs illustrateurs du monde, témoignant à quel point il s’était imposé dans le monde de l’édition. Si d’aucuns peuvent s’interroger sur la raison pour laquelle ce prix destiné à un illustrateur avait été remis à un dessinateur, la réponse à cette question est des plus simples, à savoir que ceux qui exercent cette dernière profession entrent dans celle, plus vaste, de la première. Rhie Won-bok ayant dispensé, vingt-cinq années durant, des cours d’illustration à la Faculté des arts graphiques de l’Université féminine de Duksung, il conviendrait mieux dans son cas de parler d’un dessinateur et illustrateur. C’est en qualité d’illustrateur que l’artiste participait, cette fois-ci au nombre des quatre membres du jury, au concours « Illustrateur de l’année» qui se déroulait à la Foire du Livre pour Enfants de Bologne, du 23 au 26 mars derniers, effectuant ainsi en cette nouvelle qualité un retour sur les lieux où il avait connu ses premières heures de gloire, vingt-sept années auparavant, en s’imposant par son talent artistique. Deuxième Coréen et premier illustrateur du pays à être digne d’un tel honneur, Rhie Wonbok se voyait ainsi récompensé d’une longue et admirable carrière de professeur d’illustration, mais aussi de sa renommée d’ancien lauréat de ce même prix, et sa sélection pour siéger au jury de cette 40 Koreana | Été 2009

1 Au nombre des œuvres de Rhie Won-bok, citons : La merveilleuse fête du fromage des souris.

2 Le Professeur Rhie a été nommé membre du jury lors du concours de l’« Illustrateur de l’année » qui se déroulait cette année à la Foire du Livre pour enfants de Bologne.


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manifestation s’avérait donc tout à fait judicieuse. Par un curieux concours de circonstances, la Corée se trouvait également être cette année l’Invitée d’honneur de ce même salon, qui lui consacrait, au nombre de ses principaux thèmes, celui de la nouvelle et prometteuse puissance culturelle que représente ce pays en Asie et à laquelle le professeur Rhie Won-bok a contribué pour une large part au moyen de son œuvre d’illustration. Ce domaine artistique, dont l’histoire n’est certes guère ancienne en Corée, a connu un essor extrêmement rapide, notamment grâce aux considérables améliorations qui ont été apportées à la littérature pour enfants et, si la renommée de nombre d’illustrateurs coréens s’est peu étendue à l’international, d’autres se distinguent particulièrement lors de grandes manifestations mondiales telles que la Foire de Bologne, comme en témoigne le choix de trois artistes coréens retenus, pour briguer le Prix de l’« Illustrateur de l’année » au nombre de quatre-vingts des 2 711 candidats qui avaient présenté des échantillons de leur œuvre. Si la personnalité de l’artiste joue un rôle crucial dans toute œuvre, celle-ci peut aussi comporter des composantes nationales spécifiques identifiables, comme cela est le cas sur un seul et même continent européen où sont manifestes les différences qui séparent les productions allemandes de celles de Grande-Bretagne ou d’Italie. Aux premières, marquées par un expressionnisme qui révèle une volonté d’insistance sur un affect intense et obscur, s’opposent les secondes, qui sont d’une originalité confinant à l’excentrique, car à l’instar du climat de ce pays, elles suscitent chez l’étranger un sentiment de morosité et d’ennui, tandis que les illustrations françaises se caractérisent par leurs traits 42 Koreana | Été 2009


vigoureux et leurs couleurs vives et que les italiennes semblent procéder d’une démarche joyeusement expérimentale qui a donné lieu à nombre de créations d’avant-garde. Enfin, l’illustration américaine, sans présenter de particularités prononcées, se signale par le réalisme de son rendu. Sur le continent asiatique, l’art de l’illustration se trouve assez bien développé dans des pays tels que le Japon ou la Corée, qui bénéficient d’un marché de l’édition en pleine expansion, l’archipel nippon faisant notamment figure de superpuissance dans ce secteur où il se distingue par son style à dominante achromatique, méditatif et introverti, quand, à l’inverse, l’illustration coréenne revendique bruyamment toute son exubérance. Cette dernière en est encore à ses balbutiements, comme s’en déclare convaincu le professeur Rhie Won-bok, et si elle traduit actuellement une préférence pour le genre fictionnel, où elle vient agrémenter le récit, plutôt que pour des textes de type informatif, les spécialistes s’accordent à penser que des illustrateurs aux styles très différents feront leur apparition dans un avenir proche et que prendra forme toute une culture spécifique dans ce domaine. À la question de savoir quelles sont les tendances qu’il a observées au cours de ces dernières années, ce membre du jury de la Foire Internationale du Livre pour Enfants apporte la réponse suivante : « J’ai compris à quel point il était important de découvrir de nouveaux moyens d’éveiller l’attention du public. Autrefois, les illustrations réalisées selon des procédés évolués étaient très appréciées, tandis qu’aujourd’hui, on privilégie créativité et originalité. Au lieu d’inculquer la technique à mes élèves, de les conseiller ou de corriger leurs créations, je les encourage plutôt à cultiver un style personnel, car c’est leur univers qu’ils seront appelés à représenter ». Dans un domaine où règne une concurrence aussi forte, seuls parviendront à s’imposer ceux qui expriment une personnalité et un style propres.

Encourager les générations montantes

Depuis près de vingt-cinq ans, Rhie Won-bok enseigne l’art de l’illustration à la Faculté des arts graphiques de l’Université féminine de Duksung.

Le Professeur Rhie Won-bok aime à souligner la place de premier plan qui est celle du livre d’images dans le métier d’illustrateur, dans la mesure où celles-ci, comme il le fait très justement remarquer, en constituant souvent les premières que découvre ce très jeune public, influeront plus tard considérablement sur sa future sensibilité esthétique. À cet égard, ce spécialiste estime que des recherches scientifiques doivent être entreprises avec dynamisme dans ce domaine, auquel il convient d’autant plus de s’intéresser afin que les parents soient à même de choisir des œuvres illustrées de qualité pour leurs enfants, de sorte que si ces derniers acquièrent en grandissant un sens esthétique aigu grâce à ces excellentes illustrations, le niveau culturel global de la population s’en trouvera rehaussé. C’est dans cette perspective que le professeur Rhie Won-bok met sur pied, en Corée ou en Allemagne, des expositions qui permettent de découvrir les œuvres de jeunes illustrateurs et représentent l’entreprise par lequel l’illustrateur chevronné et le pionnier qu’il est en Corée dans ce domaine apporte sa contribution personnelle à la formation d’une nouvelle génération d’illustrateurs. Ces expositions présentent des œuvres où les illustrateurs de différents pays traitent chacun à leur manière d’une thématique commune, selon un parti pris méthodologique qui vise à offrir à ces nouveaux artistes l’occasion de mettre en présence leurs traditions et spécificités culturelles respectives, tout en étant au contact de celles des autres, et de découvrir ainsi ce qui fait leur originalité et leur personnalité propres par le biais de ces découvertes interculturelles, tout comme l’ont fait autrefois leurs aînés pour créer l’univers qui est le leur. « L’illustration se situe désormais au cœur des arts visuels et les images que crée un illustrateur sont commercialisées sous forme de produits qui servent de support de diffusion culturelle. L’illustration coréenne commence tout juste à faire parler d’elle dans le monde et, à ma manière, j’entends être partie prenante à l’évolution de cette forme d’art originale, car pétrie de culture coréenne ». Été 2009 | Koreana 43


artIsan

1 La finesse de la toile de ramie tissée à Hansan lui vaut d’être souvent comparée aux ailes d’une libellule.

2 Détail d’une veste de femme en ramie finement tissée et teinte à l’indigo naturel. Broche en forme de fleur conçue par Bang Yeon-Ok.

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ne robe de ramie fine vert jade au ruban doré à la feuille d’or Flotte dans l’air et voltige parmi les nuages. Surprise, une hirondelle s’arrête pour la contempler.» Comme le sous-entendent les paroles de la chanson traditionnelle intitulée « Geune », c’est-à-dire la balançoire, l’étoffe très fine fabriquée avec la ramie semble aussi légère qu’un souffle d’air et à l’approche de l’été, quand venait la fête de « Dano », qui se situe au cinquième jour du cinquième mois lunaire, les jeunes femmes arboraient les tenues composées de cette matière qu’elles avaient précieusement conservées en vue de certaines occasions. À la saison chaude, ce sont ces pièces d’habillement qui se portaient le plus, suivies de celles en toile de chanvre dites « sambe », une matière rêche composée des fibres textiles tirées de cette plante et destinée à la réalisation d’articles ordinaires à l’intention des gens du peuple, tandis que les premières, dont la confection nécessitait un tissage fin d’une grande minutie, représentaient par leur luxe l’apanage des privilégiés, voire, pour celles de la plus haute qualité, aussi légères et transparentes que les ailes d’une libellule, selon l’expression d’alors, un tribut payé aux souverains de la dynastie Joseon (1392-1910).

Les enseignements de deux maîtres Si une production d’étoffe de ramie est pratiquée dans nombre de localités

des deux provinces de Jeolla-do, c’est dans celle de Chungcheongnam-do, plus précisément à Hansan et ses environs, que se situent les fabrications les plus reputées pour leur qualité. Dans son célèbre traité de géographie intitulé Taengniji (Guide écologique de la Corée), Yi Junghwan (1690-1756), un intellectuel qui, sous la dynastie Joseon, appartenait à l’École des sciences pratiques de « Silhak », répertoria, au nombre des différentes productions régionales, le tabac de Jinan, le gingembre de Jeonju, la laîche d’Andong et de Yean, mais aussi la toile de ramie d’Imcheon et de Hansan, cette dernière étant très prisée pour sa qualité et sa finesse exceptionnelles alliées à une solidité qui permettrait d’en faire tenir debout un rouleau dans un bol de riz. C’est une femme de soixante-cinq ans, Bang Yeon-Ok, qui perpétue aujourd’hui le tissage à la main de la toile de ramie de Hansan selon un procédé traditionnel classé Important bien culturel immatériel n°14. Bang Yeon-Ok s’initia autrefois à cette pratique auprès des deux maîtres artisanes que furent sa défunte mère et une voisine aujourd’hui âgée de quatre-vingtdeux ans, Mun Jeong-Ok. « Ma mère aimait à répéter que j’avais effectué mon premier tissage à l’âge de six ans. Je me souviens avoir vu, lorsque je n’étais encore qu’un nourrisson, maman scinder les tiges de ramie, le « jjaegi », en extraire les brins pour les mettre en écheveau, le « samgi »

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et transformer cette matière en fil, le « maegi », avec l’aide de mes sœurs et de notre voisine. Très vite, j’ai manifesté des dispositions particulières pour ces deux premières opérations, mais quand j’ai grandi, maman s’est refusée à m’en apprendre l’art et la manière exacte, car elle craignait qu’une fois lancée dans le métier, je ne pourrais plus en changer et travaillerais durement toute ma vie, car on pensait à l’époque que les femmes douées étaient condamnées à souffrir. En dépit de cela, j’ai pris l’habitude de regarder travailler maman par-dessus son épaule, et ce, jusqu’à l’âge de dix-sept ans, où j’ai tissé mon premier rouleau, qui a surtout été réalisé par elle. Par la suite, maman a bien tenté de me dissuader de continuer, moi la benjamine de ses neuf enfants, de mon fort penchant pour le travail de cette

Bang Yeon-Ok tisse les fils aériens de la ramie Jadis considérée comme la matière textile la mieux adaptée aux grosses chaleurs estivales par sa légèreté qui assurait la circulation de l’air et procurait ainsi une sensation de fraîcheur, la toile de ramie, dite « mosi » en coréen, se prêtait à un tissage fin ou « semosi », qui permettait la confection de vêtements représentant l’élégance absolue. Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

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1 Le fil de ramie est prêt à être placé sur le métier à tisser. 2 En l’an 2000, Bang Yeon-Ok s’est vu classer au patrimoine culturel immatériel suite au travail qu’elle a consacré au tissage de la toile de ramie de Hansan.

3 Un vêtement pour nouveau-né en toile de ramie naturelle.

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« En tissant la toile de ramie, on éprouve en permanence l’impression d’avancer pas à pas sur une fine couche de glace, car cette matière, notamment celle de qualité fine, est extrêmement délicate et exige un tissage très serré, son entretien nécessitant par la suite le plus grand soin, mais il n’est rien de plus élégant qu’un vêtement de bonne coupe composé d’une ramie fine dont la souplesse avantagerait jusqu’aux silhouettes les plus ingrates »

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matière, mais rien n’y a fait et je n’ai pas envisagé un seul instant de m’arrêter en route, car lorsque je manie le métier à tisser, j’oublie mes soucis en entendant son doux ronronnement ». Quant à Mun Jeong-Ok, native d’un village voisin et seconde maîtresse de Bang Yeon-Ok, c’est suite à son mariage, à l’âge de vingt-neuf ans, qu’elle s’était établie dans la ville de Hansan, où elle allait donner naissance à trois enfants, puis après avoir interrompu ses activités pour se consacrer à leur éducation, reprendre celles-ci lorsqu’allait naître le quatrième, dans sa trente-cinquième année et au terme d’une parenthèse de huit ans. Bientôt, ses talents feront d’elle une maîtresse-tisserande de renom et lui vaudront de se voir classer au patrimoine culturel immatériel. « C’est dans les années quatre-vingts qu’a débuté pour de bon mon apprentissage », se souvient-elle. « Le tissage est chose ardue à tous égards, mais plus encore lors des opérations de séparation des fibres, ainsi que d’assemblage et d’enfilage des brins car, à cette étape, la moindre erreur suffit à tout réduire à néant. Leur difficulté réside dans la division des brins en deux dans le sens de la longueur, puis, lors de la mise en écheveau, dans leur torsion méticuleuse. Pour apprêter les fils, il convient de les faire sécher au feu de paille de riz, sachant qu’en cas de trop forte chaleur, le fil peut se fragiliser, puis devenir cassant, et quoique ma maîtresse, d’un naturel peu disert, fasse toujours preuve de patience en m’apprenant le métier, elle se mettait vraiment en colère lorsque le fil se rompait, alors je m’appliquais autant que je le pouvais pour donner le meilleur de moi-même, mais si je com-

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mettais une erreur quelle qu’elle soit, je sentais mon ardeur disparaître ». Au cours de l’année 1981, Bang YeonOk avait déjà produit, en l’espace d’un mois, trois rouleaux d’étoffe d’une valeur unitaire qui pouvait atteindre à l’époque 120 000 wons et équivalait à celle de dix sacs de riz, puis viendra ce jour d’août 2000, près de vingt-trois ans après qu’elle eut achevé sa formation auprès de Mun Jeong-Ok, où elle se verra à son tour classer au patrimoine culturel immatériel.

Le procédé du tissage La réalisation d’une pièce de toile de ramie, selon le procédé traditionnel mis en œuvre à Hansan, comprend principalement le filage, qui consiste à extraire les fibres textiles à l’état brut, l’assemblage des brins, la coupe à longueur du fil, la mise en écheveau, l’enfilage, le dévidage pour créer la trame et enfin, le tissage proprement dit, la difficulté de la tâche que constituent ces diverses opérations n’entamant en rien l’amour du métier qui anime Bang Yeon-Ok et le principe qui est le sien de ne jamais s’interrompre en cours d’exécution. « En tissant la toile de ramie, on éprouve

en permanence l’impression d’avancer pas à pas sur une fine couche de glace », explique-t-elle. « La moindre distraction peut entraîner une erreur irréparable et il suffit de perdre patience pour laisser aussitôt échapper le fil. La toile de ramie, notamment celle de qualité fine, est extrêmement délicate et exige un tissage très serré, son entretien nécessitant par la suite le plus grand soin, mais il n’est rien de plus élégant qu’un vêtement de bonne coupe composé de cette matière fine. Les vêtements se portent amples pour permettre une circulation d’air qui procure une sensation de fraîcheur, l’étoffe étant ellemême d’une telle légèreté qu’elle avantage les silhouettes les plus ingrates, mais en dépit de sa solidité, elle se froisse aisément au moindre faux mouvement, alors les souverains eux-mêmes se mouvaient avec précaution lorsqu’ils la revêtaient ». Le procédé de fabrication de la toile met en œuvre toute une série d’opérations. « Il commence par le ramassage des tiges de ramie dans les champs en veillant à en sélectionner celles qui atteignent une longueur d’environ deux mètres et présentent une couleur jaunâtre au-dessus des racines. Les trois récolÉté 2009 | Koreana 4


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1 Un sac à main en toile de ramie réalisé par Bang Yeon-Ok et en vente au Musée de Hansan Mosi.

2 Principales étapes du processus de fabrication de la ramie (de gauche à droite) : retrait de l’écorce recouvrant les tiges de ramie à l’aide d’un couteau en forme de faucille ; avec les dents, division des fibres de ramie en brins ; effilement des fibres au moyen d’un instrument semblable à un peigne ; engagement des brins apprêtés dans le métier à tisser la toile fine.

3 Les fils ourdis sur le métier scintillent comme des filets d’eau.

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tes se déroulent successivement de la fin mai au début juin, en août et en octobre, la deuxième d’entre elles livrant les fibres de la meilleure qualité », commence l’artisane. Après avoir débarrassé ces tiges de leurs feuilles et branchages, il convient d’en retirer l’écorce à l’aide d’un petit couteau semblable à une faucille pour ne conserver que les «taemosi», c’està-dire les fibres blanches qui en constituent le cœur et qu’une fois extraites, on lie les unes aux autres en bottes que l’on laissera sécher à quatre ou cinq reprises en les étendant au soleil, puis au terme de ce séchage, il suffira de les diviser, avec les dents, en brins d’égale épaisseur, sachant que plus ils sont minces, plus s’élève leur qualité aux fins de l’obtention d’une toile fine et qu’inversement, elles se destinent à une étoffe de qualité faible ou moyenne. L’artisan doit alors tendre les brins ainsi realisés sur un métier appelé « jjeonji », puis les joindre entre eux un à un en en torsadant l’extrémité au creux de sa paume, et ce, à raison de quatre cents grammes de brins pour cinq écheveaux, auxquels devront s’ajouter cinq autres pour obtenir un rouleau d’étoffe. Quant à l’opération dite « nalgi », qui s’effectue sur un châssis en bois, elle consiste à couper les brins à la longueur voulue et à en sélectionner le nombre suffisant à l’obtention d’un « pil », c’est-àdire un rouleau mesurant le plus souvent 31,5 centimètres de largeur sur 21,6 de long. La grosseur des brins s’exprime par une unité de mesure dite « sae » qui correspond à quatre-vingts fils, le produit fini se composant la plupart du temps de sept à quinze « sae », douze d’entre eux

correspondant à un rouleau composé de neuf cent soixante brins et la présence de plus de dix caractérisant les « semosi » au tissage fin, dont chaque fil est plus mince qu’un cheveu. Toutefois, c’est le « maegi », à savoir l’amidonnage du fil, qui s’avère de l’exécution la plus complexe, aux dires mêmes de Bang Yeon-Ok. « Il s’agit tout d’abord d’extraire plusieurs brins à l’aide d’un peigne métallique qui se nomme « badi », de fixer l’une des extrémités du fil à l’ensouple sur laquelle est montée la chaîne et le bout opposé au dispositif dit « kkeulgae », lequel permet de régler le serrage du fil. Je badigeonne alors ce dernier d’une pâte composée de farine de haricot et d’eau salée à l’aide d’un pinceau afin d’en lisser les extrémités et d’éviter le boulochage, après quoi il le fera sécher au feu de paille de riz, de sorte qu’en été, cela me gène que l’on s’approche de moi à ce momentlà car je suis en sueur », avoue-t-elle. Suite à l’enroulement de la trame sur une navette en forme de bateau, commence le tissage à proprement parler, pour lequel il convient de placer sur le métier l’ensouple en vue du montage vertical de la chaîne, puis de tirer les fils au peigne, de façon à pouvoir alimenter le métier avec deux chaînes juxtaposées. À ces différentes opérations, succède un nouvel enfilage sur le peigne et le serrage des fils au moyen d’un rouleau, puis par appui sur la pédale qui actionne la barre horizontale rotative, le relèvement adéquat des chaînes en vue de leur engagement dans la navette. Bang Yeon-Ok précise que la production d’un rouleau représente quatre à cinq jours de travail. Le tissage doit avoir lieu dans une salle fermée présentant un haut degré d’hygrométrie, les fils étant davantage susceptibles


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de se rompre en atmosphère sèche, ce qui explique la coutume qu’avaient les habitants de Hansan d’aménager des pièces souterraines destinées à cette production, mais encore leur fallait-il aussi se munir d’un récipient plein d’eau qui servait à l’arrosage des fils en cas de sécheresse et a aujourd’hui fait place à un humidificateur d’air. Une fois le tissage achevé, l’artisan met l’étoffe réalisée à tremper dans de l’eau, puis la fait sécher au soleil plusieurs fois successivement afin de la blanchir, quoique la tendance actuelle soit à sa coloration à l’aide de pigments naturels.

Une solidité qui se confirme à l’usage « Les vêtements de ramie sont vraiment merveilleux, non seulement par leur élégance, mais aussi parce que leur résis-

tance s’accroît au fur et à mesure qu’on les porte, tandis que les lavages leur confèrent toujours plus de blancheur et de finesse. Si je croyais autrefois que toutes les ramies étaient les mêmes en Corée, j’ai découvert par la suite la blancheur et la solidité particulières de celle de Hansan », affirme-t-elle, en présentant une veste en toile blanche qu’elle conservait au fond d’un tiroir, avant de s’exclamer : « Regardez-moi cette veste ! C’est ma mère qui l’a tissée pour mon mariage, voilà maintenant cinquante ans ! » et, de fait, cet article vieux d’un demi-siècle semble comme neuf, par sa fraîcheur et son éclat. Le sourire de la jeune mariée d’alors éclaire un instant son visage, tandis qu’elle confie son intention de porter ce vêtement à l’occasion du Festival de la ramie qui aura lieu cette année à Hansan. « Autrefois, toutes les femmes

se devaient de tisser sur le métier et aujourd’hui, celles qui viennent me voir le faire au Musée du « mosi » de Hansan, où je me rends tous les jours dans ce but, me regardent, puis s’en vont sans se retourner, car ces personnes âgées ne veulent pas se remémorer les dures années de leur jeunesse où elles s’adonnaient à de cette activité. Il est vrai que comme dans leur cas, ce travail me donne mal au dos et me fatigue les yeux, mais en d’autres temps, ces femmes devaient en plus aller aux champs, battre l’orge et puiser l’eau pendant la journée, alors c’est de nuit qu’elles tissaient sans relâche, alors je comprends que certaines d’entre elles en conservent des souvenirs pénibles. En revanche, il est des personnes qui se plaisent à m’observer et déclarent que je leur rappelle leur mère, en particulier des hommes aujourd’hui âgés, tandis que les jeunes trouvent cela divertissant, sans plus. Quoiqu’il soit fatigant, ce travail me plaît et tous ceux qui me regardent un moment le faire me font la même réflexion : « Je ne me doutais pas que la toile de ramie exigeait autant de travail ! », et cela suffit à me rendre heureuse ! »

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CHeFs-d’ŒuVre

l’avènement du royaume de Goryeo, alors que l’art de la céramique se centrait sur le céladon, voit le jour une petite production de porcelaine blanche qui finira par supplanter ce dernier sous la dynastie Joseon (1392-1910), en raison de son succès considérable. L’État mettra alors tout en œuvre pour encourager sa production et superviser celle-ci, tandis que le grand public manifeste un goût prononcé pour ce nouveau style de poterie, de sorte que sa fabrication va connaître une grande expansion à la faveur du soutien et du succès dont elle jouit. Tandis que, dans les premiers temps, les fours de cuisson se situaient principalement aux environs de la capitale, notamment à Gwangju, cette ville de la Province de Gyeonggi-do, ainsi que sur les Monts du Gwanaksan et Bukhansan de Séoul, ils étendront peu à peu leur présence à toute la province, sans pour autant que Gwangju, qui abritait le four royal, ne cesse d’être le centre de cette production.

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Présentation générale de la porcelaine blanche d’époque Joseon L’histoire de la porcelaine blanche comporte principalement trois périodes, dont la première naît au début de la dynastie, c’est-à-dire en l’an 1392, pour s’achever au XVIIe siècle, et se caractérise par la production de pièces blanches incrustées qui disparaîtront au profit d’une céramique à la blancheur bleutée résultant d’une adaptation de divers styles chinois anciens pour convenir aux goûts coréens. La seconde période, qui va du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe,

est marquée par le déclin de la porcelaine blanc bleu face aux avancées du style tout différent qu’est celui à sous-glaçure fer-marron, non sans être brièvement remise au goût du jour dans les premières années du dix-huitième, une production à sous-glaçure rouge-cuivre faisant aussi son apparition en parallèle avec la première. Enfin, au cours de l’ultime période qui s’étend jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, la porcelaine blanche voit se développer une fabrication en grandes quantités, mais de qualité moindre, particulièrement dans sa variété blanc bleu éventuellement dotée d’une sous-glaçure bleu-cobalt. C’est au cours de la première période que se développera surtout la production d’une porcelaine blanche unie, c’est-à-dire dépourvue de tout décor, à laquelle s’opposera plus tard l’incrustation de divers motifs dont les plus appréciés sont la fleur de lotus, avec ou sans feuilles de vigne, différentes autres fleurs et plantes, ainsi que des nuages, et dont l’incrustation est réalisée de manière analogue à celle du céladon. Dans de très rares cas, motifs en relief ou idéogrammes servaient aussi d’ornement, tandis qu’ils seront dominants au cours de la deuxième période, laquelle voit en outre se généraliser la sous-glaçure bleu cobalt ou marron-fer. Parmi les motifs qui leur sont contemporains, figurent notamment des représentations de cannes de bambou aux côtés de fleurs de prunelier ou de pins, de compositions de fleurs de prunelier et chrysanthèmes, de symboles bouddhistes, de nuages, de symboles de longévité, d’animaux de bon augure, de raisins, d’orchidées, de poissons, de coquillages, de

Un bol royal à l’élégante sobriété

Une porcelaine blanche à motifs incrustés de lotus Réputée pour la grande diversité de ses décors et l’expressivité de ses techniques, la porcelaine blanche d’époque Joseon trouve son illustration dans ce bol à motifs de lotus incrustés d’une exécution toute en grâce et sobriété. Yoon Yong-yee Professeur d’histoire de l’art à l’Université Myongji Photographie Musée national de Corée

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crabes et d’oiseaux. Quant au blanc qui caractérise ces pièces et dont l’intensité varie en fonction de la qualité de l’argile, de la glaçure et des conditions de calcination, il sera tour à tour laiteux au XVe siècle, immaculé au XVIe, grisâtre au XVIIe et bleuté au XVIIIe, ainsi qu’au XIXe. En règle générale, la surface des pièces était enjolivée au moyen de différentes techniques destinées à renforcer ses qualités esthétiques par un aspect pouvant être blanc uni, incrusté, blanc bleu et à sous-glaçure marron-fer ou cuivre-rouge.

La porcelaine blanche à motifs incrustés de lotus Aujourd’hui classée Trésor national n°175, la porcelaine blanche à motifs incrustés de lotus qui fut réalisée à l’intention de la famille royale, de l’an 1460 à l’an 1470, représente la production de la meilleure qualité qui soit en son genre. Si nombre de pièces blanches incrustées d’époque Joseon sont pourvues d’une glaçure de qualité médiocre et de motifs à l’exécution maladroite, l’objet décrit dans le présent article, qui se rattache aux productions de même couleur, à pâte tendre, remontant à la dynastie Goryeo (918-1392), se distingue par sa finition précise, la légèreté de sa texture et la délicate exécution de son motif,

autant d’éléments qui participent d’une œuvre originale à l’élégance sobre. Dans le cas de ce bol, le procédé d’incrustation des motifs se déroulait selon plusieurs étapes successives, à commencer par leur gravure à la surface, à laquelle faisait suite le remplissage des lignes ainsi tracées à l’aide de pigment naturel ocre rouge et, après une première cuisson, venait la réalisation de la glaçure, suivie d’une deuxième passe au four qui colorait de noir les lignes précédemment gravées. Au terme de ces opérations, il convenait d’exécuter le décor de feuilles de vigne et fleurs de lotus écloses, des tiges et des feuilles au moyen de cette même technique d’incrustation noire qui créait une plaisante harmonie avec la surface d’un blanc laiteux. L’absence de tout ornement sur la surface intérieure du bol, à l’exception d’une frise qui agrémente ses bords des entrelacs sinueux de feuilles de vigne, confère à l’ensemble une beauté d’une élégante simplicité, tandis qu’à l’extérieur, deux lignes doubles tracées sur les parties supérieure et

Fleurs de lotus écloses, tiges et feuillages ornent ce bol de porcelaine blanche d’un motif en spirale à sous glaçure noire dans cet admirable spécimen de porcelaine blanche coréenne à motifs incrustés.

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La porcelaine blanche à motifs de lotus incrustés, qui se rattache à celle de même couleur, à pâte tendre, remontant à la dynastie Goryeo ( 18-13 2), se distingue par sa finition précise, la légèreté de sa texture et la délicate exécution de son motif, autant d’éléments qui participent d’une œuvre originale à l’élégance sobre.

inférieure du récipient sont séparées par des motifs incrustés de fleurs de lotus, tiges et feuilles. L’ensemble n’est pas sans évoquer les porcelaines chinoises blanc bleu qui furent produites au début du XVe siècle, sous le règne de l’empereur Xuande Di, cinquième monarque de la dynastie Ming, ce qui permet de conclure à l’existence d’échanges culturels sino-coréens dès cette époque. Les bords larges, faiblement évasés composent avec la forme arrondie du corps une silhouette en S s’élevant à partir d’une base au fort diamètre qui lui confère sa stabilité. La glaçure ivoire qui revêt sa surface présente de fines craquelures évoquant une couche de glace délicatement fendillée, tandis qu’à la base, la présence de marques granuleuses révèle que l’objet fut placé sur un fin lit de sable qui tapissait le four du potier.

Signification et origines des décors de lotus Depuis l’Antiquité, la fleur de lotus représente un symbole de vie, de création et de prospérité en raison de la grande vitalité qui la caractérise, comme en atteste le cas de l’une de ses graines, qui après être restée en terre durant tout un millénaire, finit néanmoins par germer avec succès, un fait attesté également par la description suivante, sous la dynastie des Ming, dans un texte chinois intitulé Rapports classifiés de la botanique médicale chinoise, qui fait état d’un cas analogue : « La vitalité du lotus est pratiquement illimitée. Ses fruits en regorgent et les tiges qui poussent de ses racines s’étendent à n’en pas finir, créant une vie sans fin ». Dans la religion bouddhiste, cette plante constitue un emblème de pureté et de chasteté, qu’évoque la vue de ses pétales immaculés préservés des souillures de la vase dont ils émergent, et ces vertus liées aux préceptes bouddhiques en font un symbole de transcendance, de purification et d’illumination suprême. En Corée, c’est aussi la réincarnation qu’elle représente de manière emblématique, comme dans ce conte s’intitulant « L’histoire de Sim Cheong », où l’héroïne,

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après s’être jetée dans la mer, en ressurgit au creux d’une énorme fleur de lotus qui flotte sur les eaux. « Poussant dans la boue, sans être souillée par elle », la fleur de lotus servait souvent de comparaison avec les érudits confucianistes, qui ne perdaient rien de leur noblesse d’âme malgré la pauvreté et la solitude auxquelles ils étaient réduits, tandis que dans la religion taoïste, elle était également présente sous forme d’un bougeoir sacré dont ne se séparait jamais XiaXiangu, l’une des huit figures saintes. Du fait que ses pétales s’ouvrent à l’aube et se ferment au crépuscule, ce végétal était associé à l’idée de soleil et à sa divinité, ce qui en faisait également un symbole d’énergie retrouvée. C’est en raison de ces différentes vertus dont il faisait figure d’emblème que le lotus allait être particulièrement apprécié dès l’instauration du royaume de Goryeo et jusqu’aux derniers temps de la dynastie Joseon, comme en témoigne son usage très répandu dans tous les genres artistiques et les motifs dont il orne le bol de porcelaine blanche évoqué dans cet article pourraient bien traduire la volonté de l’artisan de perpétuer toutes ces qualités.

Essor de la porcelaine blanche sous Joseon Plusieurs études ont révélé dernièrement que la disparition du céladon au profit de la porcelaine blanche avait à plusieurs égards représenté une inexorable évolution, en tout premier lieu en raison du plus haut degré de pureté qui caractérisait l’argile blanche ou kaolin composant la seconde par rapport à la qualité d’argile du premier et qui supposait aussi une température de cuisson supérieure, puisqu’elle s’élevait à 1 300 ℃, alors qu’elle était dans l’autre cas comprise entre 1 270 et 1 280 ℃., outre que la glaçure de la porcelaine blanche offrait une meilleure stabilité. En d’autres termes, ce dernier matériau aurait résulté d’un progrès des technologies et du savoir-faire. Ce passage du céladon à la porcelaine blanche intervient aussi dans l’histoire de la céramique chinoise, sous la dynastie Yuan (1206-1368) qui constitue à maints égards une période de transition, car c’est à l’époque des Ming (1368-1644) que la longue hégémonie du céladon allait


prendre fin pour céder le pas aux porcelaines blanche et blanc bleu, qui allaient dès lors faire leur entrée dans la vie domestique impériale, mais aussi servir à présenter des plats aux émissaires étrangers ou à faire des présents à d’autres nations telles que la Corée. Il semble par ailleurs que l’introduction du coton en provenance de Chine, dans les derniers temps du royaume de Goryeo, par un haut-fonctionnaire dénommé Mun Il-jeom, ait aussi contribué à une évolution des goûts en ce domaine, après celle qu’il occasionna en matière vestimentaire. Suite à la mise en œuvre de la culture du coton sur de vastes superficies, au début du XVe siècle, les vêtements blancs confectionnés à partir de cette plante textile allaient se répandre dans toutes les couches de la population. Si l’on aime à dire que les Coréens affectionnent depuis l’Antiquité le blanc dans leur habillement, cette prédilection n’a fait que s’accentuer au fur et à mesure de l’essor qu’a pris la culture cotonnière. Le néoconfucianisme qui s’imposa parmi les érudits de Joseon peut aussi expliquer en partie la primauté acquise par la porcelaine blanche, si l’on pense que modestie, simplicité et innocence constituent les vertus cardinales de cette philosophie. Dans l’ouvrage intitulé Ojuyeinmunjangjeonsanggo (Expatriations fortuites d’Oju), que rédigea au XVIIe siècle un letttré du nom de Yi Gyu-gyeong, il est notamment dit : « Notre peuple a toujours aimé la couleur blanche, et, de même, Sa Majesté le roi fait usage de porcelaine blanche à la cour. Pourquoi ? Parce que nous aimons la modestie et la pureté ». Sous la dynastie Joseon, le succès que rencontra la porcelaine blanche résulta ainsi de la faveur qu’avait cette dernière couleur dans la classe dirigeante, pour des raisons philosophiques. Dans les années 1440, famille royale et érudits, notamment ceux de l’Institut de recherche royal, allaient se conformer toujours plus à la doctrine confucianiste et, de ce fait, voir dans la porcelaine blanche un symbole des vertus auxquelles ils aspiraient, celle-ci correspondant par ailleurs tout simplement à une certaine évolution des goûts dans la noblesse. Sous le règne du roi Sejong (r. 1418-1450), cette matière allait s’imposer dans la fabrication de la vaisselle pour une raison fondamentale. La dynastie chinoise des Ming ayant imposé un lourd tribut annuel à la Corée de Joseon et le roi Sejong n’étant pas disposé à répondre à cette demande, il résolut de limiter le poids d’argent remis à cet

empire sans pour autant pouvoir affirmer que son État ne disposait pas de ce métal en quantité suffisante, tant que serait utilisée de la vaisselle ainsi constituée pour servir à manger aux émissaires chinois. En conséquence, il donna ordre, tant à la cour que dans les offices royaux, de substituer à ces articles des poteries de porcelaine blanche, qui n’avaient par ailleurs rien à leur envier en termes de raffinement. Cette explication historique figure dans le passage suivant du Sejongsillok (Annales du roi Sejong) : « Sa majesté a ordonné de remplacer la vaisselle d’argent par de la porcelaine blanche à Munsojeon, le sanctuaire royal de la reine Sinui, et à Huideokjeon, le sanctuaire royal de la reine Soheon ».

Pièces anciennes en porcelaine blanche incrustée On sait fort peu de la porcelaine blanche à motifs incrustés du XVe siècle, dont on ne peut que supposer l’existence en se fondant sur quelques rapports fragmentaires, tel ce passage du tome 27 des Annales du roi Sejong, qui affirme qu’à la septième année du règne de ce monarque, dix services entiers de porcelaine blanche furent produits dans un four situé à Gwangju, dans la Province de Gyeonggi-do, à la demande de l’empereur Hongxi Di de la dynastie des Ming. Quant au traité intitulé Jeompiljejip et dû à Kim Jong-jik, il révèle qu’un inspecteur gouvernemental de haut rang témoigna de la forte impression que lui fit la vaisselle de porcelaine blanche employée aux repas qui lui furent servis dans une demeure où il effectua une halte à Goryeong, dans la Province de Gyeonsangbukdo en 1445, tandis que dans son ouvrage Yongjechonghwa (Différents écrits du maître Yongjae), Seong Hyeon rapporte qu’à la table du roi Sejong, la vaisselle se composait exclusivement de cette porcelaine. Les documents cités plus haut permettent ainsi d’en conclure à la production et à l’emploi de porcelaine blanche à cette époque, tout au moins à Gwangju et Goryeong. Hormis le bol de porcelaine blanche décrit dans le présent article, il existe un certain nombre de pièces incrustées du même type datant du XVe siècle, en particulier l’épitaphe de la tombe de la famille des Jeong de Yeongin, dans le canton de Jinyang-gun (1466), un tesson de vase à motifs incrustés de plantes et fleurs, une coupe à pied en porcelaine et une tablette gravée d’une épitaphe qui fut découverte dans le tombeau de Yun Jeung (1467), autant de spécimens dont les plus remarquables s’ornent toujours de motifs de lotus.

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CHronIQue artIstIQue

P

remière réalisation sur grand écran de Lee Chung-ryoul, jusqu’alors metteur en scène et producteur indépendant de dramatiques télévisées, Vieux partenaire (Wonang Sori) enthousiasmera les cinéphiles coréens dès sa sortie et battra tous les records de ventes de sa catégorie, celle du cinéma indépendant où un tel succès a particulièrement de quoi surprendre au vu du marasme que traverse actuellement le septième art national. Cette œuvre évoquant un couple d’octogénaires et son bœuf, ce compagnon de toujours qui se trouve aussi être le signe du zodiaque oriental correspondent à cette année 2009 où elle a fait sa sortie dans les salles obscures, attirant un public exceptionnellement nombreux de personnes d’âge moyen et du troisième âge.

Les protagonistes d’une œuvre

Vieux partenaire (Wonang Sori ) et le cinéma indépendant coréen

Dans les sept salles d’art et d’essai où ce film se trouvait tout d’abord à l’affiche, le succès inouï qu’il a remporté lui a valu d’être projeté par cent cinquante autres qui se répartissent sur tout le territoire et, en seulement dix semaines, ont vendu 2 860 000 entrées représentant une recette totale de 18 500 000 dollars américains quatre-vingt-dix fois supérieure au coût global de production, qui s’élevait à 200 000 dollars, dépenses de post-production et de marketing y comprises, réalisant ainsi une véritable prouesse par cette réussite sans précédent au box-office, ainsi que par ses répercussions sociales d’une portée considérable.

Au début de l’année, l’industrie du cinéma coréen avait le plaisir d’apprendre une bonne nouvelle, chose rare ces derniers temps, en l’occurrence le triomphe tout à fait inespéré d’une production au budget de moins de cent mille dollars qui s’intitulait Vieux partenaire et qui s’est non seulement imposée au box office, mais aussi par sa portée sociale considérable et dans l’ensemble du septième art où elle a suscité un intérêt plus vif pour les petites créations indépendantes. Yang Sung Hee Journaliste à la Section culture et loisirs du JoongAng Ilbo | Photographie Le Théâtre national de Corée

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Cette œuvre dont l’action se déroule à Bonghwa-gun, une commune de la province de Gyeongsangbuk-do, a pour principaux personnages un couple âgé qui possède un bœuf d’un âge tout aussi avancé puisqu’il a quarante ans, dont trente passés auprès de ses maîtres, ce qui tient presque du miracle sachant que l’espérance de vie de cet animal atteint en moyenne une quinzaine d’années. La bête fait en quelque sorte corps avec son maître, lequel boite depuis son enfance suite à une erreur d’injection, lui tient en permanence compagnie tandis qu’il tire sa charrette, et c’est encore lui qui a permis au couple d’envoyer ses neuf enfants à l’université, de sorte qu’il constitue leur bien le plus précieux, mais aussi l’alter ego, voire l’enfant du vieillard, qui s’abstient même de répandre des insecticides de crainte d’empoisonner par inadvertance son fidèle compagnon. Malgré sa quasi-surdité et les migraines dont il souffre pour une raison inconnue, le vieillard n’en poursuit pas moins le travail de la terre en se refusant à l’emploi des machines ou pesticides qui allégeraient son dur labeur, puisque sa bête passe avant tout, et en fournissant de ce fait toujours plus d’efforts, tandis que son épouse constamment soucieuse, se lamente de devoir ainsi se tuer à nourrir un animal. Contrairement à son mari qui travaille en silence, cette femme volubile exprime dans son dialecte d’incessantes récriminations portant sur les soucis que lui causent son époux et la vie difficile qu’elle mène depuis son mariage à l’âge de seize ans, en mère typiquement coréenne dont le pendant est l’archétype de la figure paternelle, ce vieillard dont la complicité avec son bœuf touche au cœur le public, tout comme le patois des monologues familiers de l’aïeule provoque son hilarité. Tout comme son vieux maître, l’animal travaillera sans relâche jusqu’à sa mort et tandis qu’il rend son dernier soupir en

tournant vers l’homme des yeux où coule une authentique grosse larme, ce dernier le débarrasse enfin du licou et de sa cloche nommée en coréen « wonang » en formant le vœu qu’il connaîtra la paix après cette longue et dure existence vouée tout entière au labeur. Le cinéaste affirme que, lors de ce passage, il a lu l’expression d’un saint sur les traits de l’acteur, et de poursuivre : « Le vieux monsieur m’a confié que lorsque le bœuf mourrait, il prendrait la tête du cortège funèbre et ferait organiser une cérémonie en bonne et due forme, car pour lui, la mort du bœuf ne ferait qu’annoncer son décès imminent, puisque cet animal représentait tout pour lui ».

Un hommage à un passé en voie de disparition Hymne discret à ces vestiges du passé qui sont voués à disparaître, Vieux partenaire se veut un hommage aux aïeuls aujourd’hui jetés aux oubliettes de l’histoire après toute une existence de sacrifice et de dévouement au dur travail manuel de la terre, sans machine ou produit chimique quels qu’ils soient, dans le respect de la nature, autant de caractéristiques aujourd’hui sur le point de disparaître. Au-delà du modeste agriculteur qu’il est de profession, ce vieil homme est emblématique de tous les travailleurs manuels grâce auxquels le miracle économique coréen a été possible en pareil laps de temps, mais aussi d’un mode de vie écologique se situant à l’opposé de celui de la ville par son refus du rythme effréné imposé par la mondialisation et son incitation à plus de lenteur. Quand le visage fripé du vieillard se superpose à celui de son animal, ils paraissent ne plus faire qu’un, de même que l’homme fait partie intégrante de la nature, à moins que ce ne soit l’inverse, comme s’attache à le montrer ce film, dont c’est là l’un des aspects les plus forts. Au cours de sa longue carrière de producteurs d’émissions télévisées, Lee Chung-ryoul a dû essuyer divers échecs qui l’ont

Scènes de Vieux partenaire, ce film documentaire qui évoque le lien symbolique unissant un paysan octogénaire à son boeuf moitié moins âgé et dans lequel le public a salué l’évocation pleine de sensibilité d’une vie rurale sur le point de disparaître.

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1 1~2 Après la mort de l’animal bien-aimé, le vieil homme libère celui-ci de la cloche qui ne l’avait jamais quitté.

3 La paysanne se plaint sans cesse d’une dure existence qui n’a pu s’améliorer du fait de l’opposition de son mari à l’emploi de pesticides au motif que ceux-ci pourraient nuire à la santé de l’animal.

poussé au bord du désespoir, arrivé à environ trente-cinq ans, mais c’est alors que le souvenir de son père lui a inspiré une telle compassion qu’il en a conçu l’idée d’un film documentaire qui dépeindrait un vieillard impotent et son vieux compagnon, un bœuf, entreprenant dès lors de parcourir le pays à la recherche de telles tranches de vie. Grâce à l’aide précieuse que lui apportent les dirigeantes d’organisations féminines rurales dont il a fait la connaissance lors de la réalisation d’émissions télévisées, le cinéaste va enfin rencontrer à Bonghwa la personne qu’il s’efforçait de trouver depuis cinq ans par une prospection méthodique, et c’est en 2005 que débute un tournage qui devait durer trois ans. Conçu en premier lieu pour le petit écran, son projet subira tant de remaniements à la demande de la direction de la chaîne télévisée qu’il se trouvera presque au point mort jusqu’à l’heureuse initiative d’un producteur de films indépendant d’assumer son financement en vue de la poursuite du tournage pour les salles obscures. « Au cours des six à sept premiers mois, ils nous a fallu gagner la confiance du vieil homme. Tandis que la vieille dame s’était accoutumée au tournage, nous le sentions tendu dès que la caméra se tournait vers lui, quoique nous ayons pour principe de ne jamais perturber leurs activités tout en suivant, autant que possible, les rapports quotidiens qu’ils entretenaient entre eux et avec leur bœuf, en une sorte de triangle amoureux tenant du véritable mélodrame ». Originaire de Yeongam, une localité de la province de Jeollanam-do, Lee Chung-ryoul est lui-même né dans une famille d’agriculteurs et s’est initié à l’élevage bovin dès son enfance, le titre du film, Wonangsori, se composant d’un mot coréen qui désigne le son de la cloche accrochée au cou de ces animaux et dont la résonance semble un « mantra le renvoyant aux temps de son enfan56 Koreana | Été 2009

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ce ». « Enfant, chaque fois que j’entendais le son du « wonang » et que je tournais la tête dans sa direction, j’apercevais papa et son bœuf », se souvient-il à propos de cette sonorité qui, bien que d’un timbre très bas dans le film, en rythme constamment le déroulement, tel un battement de cœur prenant valeur d’une métaphore de la vie tout entière, aux dires même du cinéaste, de sorte qu’il cesse aussitôt que meurt l’animal.

Un prodige du cinéma indépendant Dans la production indépendante antérieure, c’est le film Once (2007), au financement d’origine irlandaise, qui détenait jusqu’alors le record des ventes au box-office coréen après avoir totalisé 220 000 entrées, les œuvres bénéficiant d’un soutien exclusivement coréen ayant tout au plus attiré quelque cinquante mille spectateurs dans le meilleur des cas, comme Our School (2007), une œuvre qui s’intéressait aux Coréens des troisième et quatrième générations résidant au Japon et fréquentant le Lycée Chosun nord-coréen et qui a été vue par cinquante-cinq mille personnes, mais en réalité cent mille en comptant le public des projections pour les groupes, ce qui constituait un record dans le genre du film documentaire, tandis qu’au nombre des œuvres de fiction, c’est le film No Regret (2006) traitant d’une liaison homosexuelle qui est crédité de la plus grande audience, avec quarante-cinq mille places vendues. Quand Vieux partenaire va réunir plus d’un million de spectateurs au cours d’une seule et même journée, ce « chiffre de rêve » du cinéma indépendant va plonger dans l’extase la presse et le septième art tout entiers, car cet exceptionnel résultat n’avait d’égal que ceux de Seopyeonje (La chanteuse de pansori), une œuvre mise en scène par Im Kwon-taek en 1993 et qui représentait la première production coréenne ayant franchi le cap du mil-


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« Tandis que la vieille dame s’était accoutumée au tournage, nous sentions son mari tendu dès que la caméra se tournait vers lui, quoique nous ayons pour principe de ne jamais perturber leurs activités tout en suivant, autant que possible, les rapports quotidiens qu’ils entretenaient entre eux et avec leur bœuf, en une sorte de triangle amoureux tenant du véritable mélodrame ».

lion d’entrées, ou, dix ans plus tard, du Silmido de Kang Woo-suk, qui allait pour la première fois dépasser les dix millions d’entrées. Quant à l’exceptionnel succès de Vieux partenaire, il révèle que le cinéma indépendant coréen est en plein essor, contrairement à l’idée reçue selon laquelle ses œuvres ne sont appréciées que d’un petit nombre de cinéphiles, et qu’en réalité, si les productions antérieures n’avaient pas séduit le grand public, c’est en raison de leur caractère politisé à outrance ou de leur démarche trop expérimentale. C’est de bouche à oreille que s’est transmise la réputation de Vieux partenaire, après qu’il eut reçu le prix du meilleur documentaire au Festival international du film de Pusan, en 2008, ainsi que le prix du public, au Festival du film indépendant de Séoul, la même année, les cinéphiles ayant réagi positivement aux procédés originaux par lesquels il avait su les émouvoir. Un an plus tard, lors du Festival du film de Sundance, il s’illustrera à nouveau en tant que première œuvre coréenne à être nominée dans la catégorie des documentaires cinématographiques mondiaux et s’il n’y a pas été primé, son réalisateur affirme avoir, à cette occasion, trouvé confirmation du peu de différence qui sépare les publics de l’est et de l’ouest, s’agissant de leurs réactions émues, puisque les spectateurs occidentaux ont eux aussi versé des larmes à la vue du vieillard en totale communion avec la nature et au sentiment de la famille qu’exprimait son œuvre. Aujourd’hui, l’ensemble du septième art coréen a espoir que, dans la foulée du succès de ce film, d’importants changements surviendront au sein de cette industrie car, si Lee Chung-ryoul est parvenu à réaliser une œuvre, qui, à l’inverse des productions indépendantes traditionnelles de type militant ou politique, a reçu un accueil favorable du grand public, c’est surtout parce qu’il a su recourir à une méthodologie entièrement nouvelle en se fondant sur son expérience de producteur de télévision. En s’inspirant de

son exemple, le critique de cinéma Maeng Sujin exhorte d’autant plus les autres réalisateurs à innover que l’industrie est en proie au marasme depuis quelques années, en les invitant à « se libérer de la contrainte d’être politiquement corrects et à se lancer dans la diversité », ce en quoi Vieux partenaire a particulièrement bien réussi puisqu’il a attiré dans les salles des personnes âgées qui ne les fréquentaient pas d’ordinaire. Le succès au box-office de Vieux partenaire revêt une importance particulière au regard du déclin qu’accusait auparavant l’industrie cinématographique coréenne après la disparition des bulles qu’avait créées la fameuse « renaissance du cinéma coréen » qui s’est produite au début de l’an 2000. Ce documentaire a prouvé que point n’était besoin d’acteurs vedettes, de gros budgets ou de vastes et dynamiques actions de marketing pour que de petits films porteurs d’idées nouvelles et de nouveaux contenus parviennent à intéresser le grand public, mais aussi que ce dernier a soif de nouveauté. « La multiplication actuelle de petits films tels que Vieux partenaire est analogue à celle qui s’est produite voilà une dizaine d’années au Japon, où, tandis que l’industrie du cinéma était sinistrée et les grands réalisateurs en baisse d’audience, les petites productions se portaient relativement bien », commente le critique Lee Sang-yong. Moyennant qu’il soit original, drôle et bien construit, tout film est en mesure de plaire, et ce, qu’il participe des grandes tendances du moment, qu’il soit réalisé dans un but purement économique ou qu’il relève d’une initiative indépendante, de telles exigences obligeant l’industrie et le marché des films commerciaux à se diversifier, et les films à petit budget, à lutter pour survivre, ce qui constitue un défi exaltant. En fait, suite au succès de Vieux partenaire , les circuits de distribution manifestent de plus en plus d’intérêt pour ces petits films indépendants, comme en atteste la programmation d’une Été 2009 | Koreana 5


Extraits de Breathless, un film indépendant qui présente avec sincérité les dynamiques internes d’une famille en déclin et à ce faisant mis à rude épreuve les émotions du public.

série de telles œuvres à leur affiche, notamment le Daytime Drinking de Noh Young-Seok, qui brosse le tableau d’un jeune homme éprouvant un penchant pour les femmes et l’alcool, ou encore Breathless, qui a valu à son réalisateur Yang Ik-jun le Grand Prix du Festival international du film de Rotterdam, ainsi que le Prix du Jury du Festival du film asiatique de Deauville, de même que d’autres distinctions internationles. Noh Young-Seok a assuré à lui seul huit fonctions différentes dans le cadre de la première œuvre citée plus haut, dont celles de réalisateur, de scénariste, de directeur des prises de vue photographiques et de directeur artistique, tandis que le metteur en scène de la seconde, qui se trouve être aussi un acteur connu dans le cinéma indépendant, y interprétait aussi le rôle d’un personnage avec un talent phénoménal qui est désormais notoire dans tout le septième art.

De nouveaux moyens de production documentaire Vieux partenaire est un film documentaire qui a largement recours à des procédés propres aux œuvres de fiction, à savoir le développement de l’intrigue, la personnification et la mise en

Scènes de Daytime Drinking, un film indépendant décrivant un jeune homme qui éprouve un double penchant pour les femmes et l’alcool.

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scène, et a ainsi fortement contribué à étendre le champ d’action de la production documentaire coréenne. Lee Chung-ryoul a fait l’objet de critiques émanant de certains producteurs en raison de sa méthodologie en rupture avec le passé, car ils ont estimé que, même si elle lui avait permis d’assurer une adaptation cinématographique à laquelle le public se montrait sensible, elle portait atteinte à la crédibilité fondamentale du genre documentaire où il importe davantage de saisir le moment fugitif que de chercher à le reconstituer, car le processus et les techniques de création d’un film se devaient à leurs yeux de demeurer un acte de documentation. Certains spectateurs ont soulevé eux-mêmes cette problématique à propos du gros plan bouleversant du bœuf mourant qui verse une grosse larme en regardant le vieil homme et se sont posé la question de savoir si cette scène était réelle ou entièrement simulée. Au sujet, encore, de celle dans laquelle le vieil homme et le bœuf parcourent une rue où la foule hurle des slogans hostiles au projet d’Accord de Libre échange avec les ÉtatsUnis, ils se sont aussi interrogés sur l’intention qu’avait eu le


cinéaste en la plaçant à ce moment précis. En réalité, Vieux partenaire met en œuvre d’innombrables montages sonores, photographiques et scéniques, notamment par l’emploi des sons de cloche qui reviennent tout au long du film, tandis que bourdonnements d’insectes et cris d’oiseaux sont amplifiés pour créer un effet plus fort qu’il n’est en réalité. En outre, l’intrigue ne se déroule pas selon une chronologie linéaire, puisqu’elle est ponctuée de retours en arrière, comme s’en explique le cinéaste : « En réalisant le montage, j’ai avant tout pensé aux émotions qu’éprouveraient les spectateurs sous forme de rires ou de pleurs » . Néanmoins, ceux qui reprocheraient à ce film une déformation de la vérité, un excès de construction ou une présentation faussée de la réalité feraient preuve d’une méconnaissance des dernières tendances de la production documentaire mondiale, où voilà longtemps déjà que les frontières qui séparent le film documentaire de celui de fiction sont beaucoup moins nettement délimitées, dans la mesure où nulle œuvre documentaire n’est entièrement dépourvue d’intentions ou d’objectifs spécifiques, certains puristes allant jusqu’à déclarer que « Tout est fiction et plus rien n’est documentaire », d’aucuns se défendant même d’être documentaristes, tel Sato Makoto, le célèbre réalisateur japonais du film Out of Place: Memories of Edward Said. Michael Moore, dont le Fahrenheit 9/11 avait créé la surprise à Cannes et qui se singularise par des techniques de tournage provocantes, voire scandaleuses, ne dédaigne pas lui-même de procéder à quelques reconstructions et les créations appartenant au genre dit « docufiction », qui sous des aspects de documentaires décrivant la réalité, relèvent en fait de la plus pure fiction, mais permettent ce faisant de s’interroger sur la distinction entre imaginaire et vérité.

Quant au réalisateur Lee Chung-ryoul, il déclare à propos de son œuvre Vieux partenaire : « Je n’ai fait que reprendre des « noyaux » constitutifs de la vie quotidienne de ce vieux couple, telle que je l’ai filmée pendant plusieurs mois », ajoutant, toujours à ce propos : « Je ne vois pas où est le problème, tant que l’on ne déforme pas la nature des sentiments et relations d’origine », puis, de s’exclamer : « Quelle différence y a-t-il dès lors avec la télévision en circuit fermé, si l’on se contente de juxtaposer mécaniquement les images par ordre chronologique ! » C’est un point de vue que partage le professeur Nam In-young, de l’Université de Dongseo, en ces termes : « La question de savoir ce qui est faux ou déformé ne se poserait que si la relation d’amitié qui s’est construite entre le vieil homme et le bœuf était sans fondement, par exemple ». En outre, elle estime que le « cinéaste a réalisé un excellent travail, en créant un récit aussi émouvant sur les liens qui unissent le vieux couple à son bœuf, par un traitement approfondi de la matière dont il disposait et sans perdre de vue la manière d’émouvoir le spectateur ». À cet égard, Vieux partenaire a non seulement battu tous les records d’audience de la production coréenne, mais semble aussi s’être affranchi des techniques stéréotypées de la réalisation documentaire pour débarrasser le public de la conception simpliste et étriquée du documentaire comme représentation intégrale de la réalité brute, voire selon le principe d’après lequel « ce que l’on voit sur l’écran est vrai ». Cette œuvre s’inscrit aussi dans une nouvelle tendance culturelle caractérisée par la disparition du clivage entre documentaire et fiction, car, quelles que soient les vertus du premier et comme le veut la maxime selon laquelle « La réalité est plus dramatique que l’art dramatique lui-même», cette création nous convie à une réflexion sur la vocation du film documentaire.

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À la dÉCouVerte de la CorÉe

Alan Timblick

voit Séoul en « ville arc-en-ciel » Au mois de janvier 2008, la Ville de Séoul créait le « Seoul Global Center » en lui fixant pour objectif de promouvoir sa vocation de métropole mondiale sous la direction d’Alan Timblick, un ressortissant britannique qui réside en Corée depuis plus de vingt ans. Hwang Sun-Ae Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

A

près avoir fait figure de « Royaume ermite », la Corée s’ouvre aujourd’hui aux influences du monde extérieur, comme en atteste la spectaculaire progression qu’y enregistre le nombre de mariages mixtes et qui semble devoir se poursuivre à l’avenir, sachant qu’en 2005, ils représentaient déjà près de quatorze pour cent de toutes les unions conjugales célébrées sur tout le territoire, cette proportion passant à un tiers en zone rurale. La maîtrise de la langue anglaise s’avérant aujourd’hui indispensable dans la perspective de la mondialisation, les enseignants anglophones s’établissent en nombre en Corée, où ils constituent une communauté présentant des particularités culturelles et un haut niveau d’instruction. En outre, toujours plus de jeunes viennent poursuivre leurs études dans ce pays, qu’ils ont parfois découvert par le biais des produits de la culture de masse coréenne dite « hallyu », auxquels s’ajoutent les travailleurs immigrés à la recherche d’un emploi, dont le nombre est en constante augmentation depuis le début des années quatre-vingt-dix, au point qu’ils représentent aujourd’hui la plus grande part des populations d’origine étrangère.

Séoul face à la mondialisation Nonobstant le stade auquel se trouve la Corée dans sa mondialisation, il ne fait aucun doute qu’elle s’est résolument engagée en ce sens, comme en atteste la décision prise par la Ville de Séoul, au mois de janvier 2008, de se doter du « Seoul Global Center » (http://global.seoul.go.kr) chargé de tout mettre en œuvre pour l’élever au rang des grandes métropoles mondialisées, sous la supervision d’Alan Timblick, un résident de nationalité britannique qui s’est établi en Corée voilà plus de vingt ans et apporte sa contribution depuis un certain temps à cette politique municipale de mondialisation. Ce choix semble des plus logiques sachant que, depuis sa plus tendre enfance, il nourrissait le rêve de partir à la découverte du globe en quête d’aventure, et c’est donc tout naturellement qu’il est aujourd’hui appelé à s’impliquer dans l’ouverture au monde de cette capitale qui est celle de sa seconde patrie. « Quand j’étais petit, ma chambre était tapissée de planisphères et j’aspirais soit à embrasser la carrière diplomatique, soit à travailler pour des associations internationales à but humanitaire », explique-t-il. Interrogé sur sa motivation profonde, il la définit en ces termes : « Il devait s’agir de ce que les Allemands appellent « wanderlust », c’est-à-dire l’envie de voyager, le vagabondage. Mes souvenirs les plus anciens sont ceux que j’ai de l’Allemagne, où j’ai vécu enfant, et non de l’Angleterre. Dès que l’on apprend une langue étrangère et que l’on sort d’un moule culturel donné, alors l’esprit s’éveille et de nouveaux horizons s’ouvrent, ce qui, pour ma part, m’a permis de réaliser mon rêve de parcourir le monde ». Suite à l’obtention d’une licence d’histoire à l’Université d’Oxford, au début des années soixante, il entreprend une maîtrise d’économie agricole avec l’espoir d’entrer un jour dans une agence internationale d’aide à l’agriculture ou dans un institut britannique se consacrant à des projets de développement à l’étranger et de pouvoir par ce biais réaliser le rêve qu’il nourrissait depuis tant d’années. À l’université, son conseiller pédagogique l’incitera toutefois 60 Koreana | Été 2009


Enfant, Alan Timblick rêvait souvent de parcourir le monde en quête d’aventures et dans cette ville de Séoul si éloignée de son pays natal, il s’emploie aujourd’hui à promouvoir la mondialisation de la capitale de son pays d’accueil au sein du Seoul Global Center qu’il dirige.


© The Seoul Shinmun

« Le multiculturalisme est fortement lié aux comportements et activités concernant la religion, la musique et toutes les autres composantes de la culture. Une société multiculturelle sait accepter et apprécier à leur juste valeur les cultures de ses différentes communautés pour l’apport enrichissant qu’elles constituent », souligne Alan Timblick.

à compléter sa formation par un diplôme d’économie générale susceptible de faciliter son recrutement à l’étranger et, quelques années plus tard, il partira pour les États-Unis afin de poursuivre des études de sciences économiques à l’Université du Kansas, où il se verra confier le poste d’assistant de recherche, tandis qu’il fera aussi la rencontre de sa future épouse, une étudiante venue de Corée dans le cadre d’un échange, qui lui fera plus tard connaître une nouvelle région du monde. Embauché à la Barclays Bank, c’est en Corée qu’il effectuera en 1977 sa première mission ayant pour objectif la création d’une succursale de cet établissement dans la ville de Séoul et il s’acquittera si bien de sa tâche, durant son séjour de trois ans, qu’il sera aussi appelé à développer ces activités financières en Suède, en Finlande, en Belgique et au Luxembourg, avant de repartir définitivement pour la Corée en 1989. À Séoul, il assurera alors, en parallèle, la vice-présidence du Conseil consultatif sur l’investissement extérieur et la direction d’Invest Korea, une filiale de l’Agence Gouvernementale de Promotion des Investissements (AVPI), jusqu’à ce que lui soit proposé le poste qu’il occupe actuellement au « Seoul Global Center » et pour lequel il était tout désigné en raison de sa grande expérience professionnelle et de ses nombreuses années de vie en Corée. À ceux qui pourraient s’interroger sur la raison d’être d’un tel organisme, Alan Timblick rétorque qu’elle tient à l’importante évolution qui s’est produite dans les mentalités coréennes, au cours de ces dernières années, au sujet de la mondialisation. Il n’en demeure pas moins persuadé que le « Seoul Global Center » est appelé à jouer un rôle important, comme il l’explique en ces termes : « Le centre se trouve face à la lourde tâche d’aider les étrangers à résoudre les difficultés concrètes qu’ils rencontrent 62 Koreana | Été 2009

dans leur vie à Séoul et qui sont le plus souvent liées à la langue ». C’est à leur intention que cet organisme propose différents services, telle l’aide à l’achat d’une automobile ou à la recherche d’un logement, ainsi que dans toute autre situation de la vie quotidienne, et ce, en plus de ses prestations de conseil aux entreprises. En vue d’étendre son rayon d’action, il s’est pourvu de cinq succursales dénommées « Global Village Centers » et situées dans les zones de résidence étrangère de la région de Séoul. Outre l’objectif qu’il s’est fixé de résoudre les questions d’ordre pratique qui se posent dans la vie quotidienne, le « Seoul Global Center » offre différentes formules destinées à favoriser les relations entre habitants coréens et étrangers de la capitale, car la mondialisation suppose la compréhension mutuelle entre des personnes de culture différente. Ces échanges fournissent l’occasion de faire connaître la culture coréenne aux ressortissants étrangers, qui peuvent à leur tour faire découvrir la leur à des interlocuteurs coréens. À l’heure où immigration et mariage sont en forte hausse, de telles initiatives paraissent des plus opportunes.

Une « ville arc-en-ciel » Désormais, la Corée semble résolument engagée sur la voie de la diversité culturelle, car depuis déjà plusieurs décennies, le dialogue des cultures s’impose partout et de plus en plus. « Le multiculturalisme est fortement lié aux comportements et activités concernant la religion, la musique et toutes les autres composantes de la culture. Une société multiculturelle sait accepter et apprécier à leur juste valeur les cultures de ses différentes communautés pour l’apport enrichissant qu’elles constituent » , souligne Alan Timblick.


Afin de favoriser le dialogue interculturel, le « Seoul Global Center » propose aux résidents étrangers un ensemble d’aides portant sur la vie quotidienne, les activités économiques et les échanges culturels.

Néanmoins, comme il le fait aussi remarquer, les Coréens ont longtemps affirmé leur idéal d’homogénéité ethnique, comme en témoigne l’usage particulier qu’ils font du mot « uri », c’està-dire « nous » en coréen, et qui procède d’un état d’esprit contraire à l’avènement d’une société multiculturelle. « Les Coréens aiment ainsi à répéter : « « Nous » ne formons qu’un, « nous » avons le même sang, appartenons à la même race et parlons la même langue, et ce faisant, élèvent un mur qui divise ce « nous » d’eux ». Cette formulation revient constamment dans les situations de la vie quotidienne, jusque dans les prévisions météorologiques, où le présentateur emploie cet « uri nara », qui signifie « notre pays », alors que ni aux Etats-Unis ni en Angleterre, on n’entendrait jamais dire : « Dans notre pays, le temps sera comme ceci ou comme cela ». En conséquence, si une expression établissant une distinction entre ceux qui sont des nôtres et ceux qui ne le sont pas est d’un emploi aussi récurrent, il se peut que la construction d’une société multiculturelle connaisse des débuts difficiles, car les mentalités évoluent très lentement ». Le « Seoul Global Center » œuvre précisément en ce sens, en mettant particulièrement l’accent sur la façon d’éduquer les générations à venir et Alan Timblick déclare à ce propos : « L’important est l’état d’esprit des enfants, car ils ne doivent pas acquérir les préjugés de leurs parents. Il convient de s’assurer que les enfants des minorités culturelles ne soient pas exclus du système éducatif, mais qu’ils en bénéficient et soient acceptés pour s’intégrer à la société ». Afin que les petits Coréens puissent mieux comprendre les autres cultures, le « Seoul Global Center » apporte son soutien à l’organisation de sorties éducatives par les écoles, convie des orateurs étrangers à prononcer des conférences et fournit une aide

à la scolarisation des enfants d’origine étrangère en Corée. À l’intention des enfants nés de mariages mixtes, il met en place des sessions d’évaluation de leurs compétences linguistiques en coréen et projette de créer d’autres formules adaptées à leurs besoins spécifiques, mais comme le souligne Alan Timblick, l’entreprise est considérable dans la mesure où elle s’étend à l’ensemble du territoire et doit ainsi procéder selon une démarche systématique s’appliquant au système éducatif entier. Il estime par ailleurs que ce n’est pas par une formation effrénée à l’anglais que l’on assurera une véritable intégration des enfants au « village planétaire », car ceux-ci doivent faire l’acquisition non seulement des outils linguistiques, mais aussi de tous les autres aspects culturels de la Corée contemporaine. Conscient de l’importance excessive qui est accordée aux résultats scolaires dans le système éducatif actuel, Alan Timblick n’en demeure pas moins optimiste quant à l’évolution de la Corée à propos de laquelle il conclut : « Ce qui permet à la Corée de faire plus de progrès que tout autre pays, c’est cette forte volonté de s’améliorer qui n’existe nulle part ailleurs ». Cette intense aspiration s’est ainsi concrétisée par la création du « Seoul Global Center », qui traduit un fort désir d’évolution vers la mondialisation et la diversité culturelle qui permettront un jour aux populations autochtones et étrangères de vivre en pleine harmonie et de s’enrichir réciproquement. À ses heures de loisir, Alan Timblick va voir des films coréens ou visite des temples bouddhistes, dont les rituels lui rappellent l’église de son enfance et sa chorale où il chantait. Tous les mois, il rédige pour le quotidien Seoul Shinmun un article consacré à la mondialisation, afin d’y livrer ses réflexions sur les moyens susceptibles d’améliorer les conditions de la population du pays, tant coréenne qu’étrangère. Été 2009 | Koreana 63


sur la sCÈne InternatIonale

« À mon avis, la cuisine représente une sorte d’art immatériel », estime Edward Kwon, pour qui un chef cuisinier est un artiste à part entière et qui s’est illlustré par son « rouleau au samgyetang », cicontre à droite. 64 Koreana | Été 2009


À

l’occasion de la manifestation « Nuit coréenne » dont s’accompagnait cette année le Forum économique mondial de Davos, le chef coréen Edward Kwon, de son vrai nom Kwon Young-min, avait pris la tête d’une douzaine de cuisiners pour réaliser dix-neuf préparations coréennes de fusion, dont la recette du rouleau au « samgyetang », la poule au pot au ginseng, signée de l’ancien chef de l’hôtel sept étoiles Burj Al Arab de Dubaï, de même que le livre à succès Cooking Seven Stars (Book House), a reçu un très bon accueil des invités de marque qui s’y trouvaient présents. À la fin du mois de juillet prochain, s’ouvrira à Pyeongchang-dong, ce quartier de l’arrondissement séoulien de Jongno-gu, un restaurant de cent quatre-vingts places qui portera son nom et disposera d’une équipe de cinq chefs étrangers, dont le Français Eric Gouteyron, chef pâtissier de l’Hôtel Plaza de New York pendant quatorze ans.

Mondialisation de la gastronomie coréenne « Depuis toujours, je suis persuadé que la Corée a besoin, pour que sa cuisine se mondialise, de la présence de chefs étrangers comprenant sa culture et proposant des plats adaptés au goût des pays étrangers », estime-t-il en précisant qu’il projette lui-même d’en faire venir plus de dix d’ici à trois ans, dans son futur établissement. L’idée de son ouverture germait dans son esprit depuis un an, suite au Festival de cuisine coréenne qui s’était déroulé à l’Hôtel Burj Al Arab à son initiative, voilà un an de cela, et il avait alors eu la surprise de devoir informer les convives que le kimchi n’était pas une spécialité japonaise, mais aussi de se trouver dans l’incapacité de leur citer le moindre restaurant célèbre dans la capitale, comme ceux-ci le lui demandaient, comprenant alors que si un certain nombre d’établissements s’y consacraient à la haute cuisine, ils demeuraient peu accessibles à la clientèle étrangère et donc peu susceptibles d’en être appréciés. À l’origine, c’est à New York ou à Londres que Kwon Young-min envisageait d’établir un restaurant de cuisine asiatique, mais alors qu’une étude de marché démontrait la rentabilité du projet et que celui-ci disposait déjà de bailleurs de fonds potentiels, il allait finir par porter son choix sur Séoul. « Plus l’idée s’en concrétisait, plus il me semblait manifeste que la cuisine coréenne commencerait de se mondialiser en Corée », explique-t-il avant d’ajouter : « Par la suite, l’ouverture d’une succursale sera toujours possible à New York ou à Londres ». Après avoir mis sur pied sa future équipe au mois de février dernier, le chef a quitté le poste qu’il occupait à l’Hôtel Burj Al Arab pour un salaire annuel de cinq cents millions de

Edward Kwon, ou l’art de mondialiser la cuisine coréenne Le cuisinier coréen Edward Kwon, notamment célèbre pour avoir exercé à l’Hôtel Burj Al Arab de Dubaï, s’est encore illustré par son rouleau au « samgyetang », cette recette de poule au pot au ginseng, qui a émerveillé les personnalités venues assister à la manifestation « Nuit coréenne » se déroulant cette année en parallèle au Forum économique mondial de Davos. Seo Il-ho Chef de la section culturelle du Weekly Chosun | Lee Kwa Yong Photographe

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L’ardeur au travail dont fait preuve depuis des années Edward Kwon, qui se lève à l’aube et se couche tard dans la nuit, lui a valu, en 2003, d’être classé parmi les « dix meilleurs jeunes chefs » par la Fédération culinaire américaine.

wons, soit près de quatre cents mille dollars, assorti d’une voiture de sport voyante fournie à titre gracieux. « Pour certains, ma cuisine tiendrait d’une imitation pure et simple de la cuisine traditionnelle, mais je ne partage naturellement pas un tel point de vue. En ce qui concerne, par exemple, les « jajangmyeon », il faut savoir que cette recette de nouilles a été adaptée, pour flatter les palais coréens, de celle, chinoise, des « zha jang mian ». Par la brèche qu’a ainsi ouverte cette dernière, se sont engouffrées de multiples autres préparations. Selon le même principe, nous devrions proposer aux étrangers, non le « bibimbap » traditionnel, trop épicé à leur goût, mais des variations sur ce thème comme la salade au « bibimbap », qui aurait pour ingrédients les légumes entrant dans sa composition, de sorte qu’après avoir apprécié celle-ci, ils seraient prêts à passer à la recette traditionnelle », note-t-il. C’est dans la ville de Gangneung, à la Faculté de Yeongdong, que Kwon Young-min a effectué des études de restauration et hôtellerie qui lui ont permis de se spécialiser en cuisine française. Avant d’entrer à l’Hôtel Burj Al Arab, il a travaillé dans divers établissements tels que le Ritz Carlton de Séoul et San Francisco, le Sheraton Grand Hotel de Tianjin et le Fairmont de Dubaï. « Certaines agences spécialisées, un peu comparables à celles qui gèrent la carrière des sportifs, ont pour but d’assurer l’évolution professionnelle des chefs cuisiniers et, à chaque fois qu’elles placent l’un d’entre eux, elle perçoivent une commission qui peut varier de 17 à 25% du salaire annuel correspondant », souligne-t-il.

« Les dix meilleurs jeunes chefs » Ce natif de Gangneung, une ville de la province de Gangwondo, a découvert l’univers culinaire alors qu’il se trouvait en classe de troisième dans un lycée de Séoul et c’est dans la capitale qu’il 66 Koreana | Été 2009

occupera son premier emploi d’aide-cuisinier dans un restaurant. « Comme ma grand-mère s’y opposait catégoriquement, j’ai dû renoncer au rêve qui était le mien d’entreprendre des études de théologie chrétienne et, après être resté un certain temps désœuvré, j’ai résolu de m’installer à Séoul et de préparer les concours d’entrée à l’université, mais comme je me trouvais sans ressources, il m’a fallu travailler dans la cuisine d’un restaurant pour joindre les deux bouts », se souvient-il. «À cette époque, mes collègues me faisaient des compliments et me répétaient que j’étais doué pour la cuisine, quoique à bien y réfléchir, ils devaient surtout apprécier ma rapidité et mon aptitude à bien exécuter les ordres, mais comme ils m’avaient persuadé de mes talents culinaires, j’ai pris la décision de m’inscrire dans une école professionnelle pour me spécialiser dans ce domaine ». Au sortir de cet établissement, en 1995, le jeune homme obtiendra une première place à l’Hôtel Ritz Carlton de Séoul, qu’il quittera six ans plus tard pour San Francisco afin d’y exercer au Ritz Carlton Half Moon Bay, où prendront naissance ses ambitions internationales. Il en conserve le souvenir d’une expérience non dépourvue d’aléas, notamment lorsqu’il manquait d’ingrédients et qu’il lui fallait improviser, tandis qu’à Séoul, il passait beaucoup de temps dans les librairies à lire des livres étrangers et s’approvisionnait régulièrement dans les épiceries. «Tous les jours, j’achetais un petit morceau d’un fromage différent, parmi les centaines qui existent, pour le déguster sur du pain français », se rappelle-t-il. « C’était ma façon à moi de commencer ma « formation sur le tas » et, contrairement à l’idée répandue selon laquelle la langue est l’organe par excellence de la dégustation, c’est en réalité le cerveau qui le constitue en jouant le rôle de tour de contrôle de tous les sens que sollicite cette opération. Aujourd’hui, celui qui s’était vu décerner aux


« Pour que la cuisine coréenne se mondialise et soit mieux connue à l’étranger, il nous faut d’abord l’adapter au goût international et élargir sa diffusion ».

États-Unis le titre de meilleur cuisinier de l’année 2008 a perdu soixante-quinze pour cent de sa langue lors du traitement d’un cancer, mais il n’en continue pas moins d’exercer encore et toujours ». Aux États-Unis, Kwon Young-min était souvent aux fourneaux dès les premières lueurs du jour et ne s’en retournait qu’à des heures très tardives. « Pendant deux ans, j’ai travaillé vingt heures par jour, c’est-à-dire de cinq heures du matin à une heure le lendemain, sans prendre le moindre jour de congé. Après m’être aperçu que ma « déontologie » m’occasionnait quelques tensions avec mes collègues, je me suis alors appliqué à les apaiser, à chaque fois que j’en ai eu l’occasion, en affirmant que je ne connaissais pas même le dixième de ce qu’ils savaient et qu’il me fallait donc travailler dur pour m’en sortir ». Ces longues heures d’efforts allaient s’avérer fructueuses et, en 2003, lui valoir de se voir classer parmi les « dix meilleurs jeunes chefs cuisiniers » par la Fédération culinaire américaine, puis trois ans plus tard, suite à cette révélation, proposer une excellente place à l’Hôtel Fairmont de Dubaï, où, comme aux États-Unis, il côtoiera nombre de personnalités internationales. « Lorsque nous servons les clients, nous ne nous attardons qu’à la table de ceux qui sont célèbres, comme George Clooney, Sharon Stone, Pierce Brosnan, Jean-Claude Van Damme, Arnold Schwarzenegger ou Tiger Woods, que j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer. Barbara Streisand m’a même demandé de travailler pour elle à titre particulier tandis que Madonna s’est extasiée sur mes préparations en affirmant qu’elle les préférait au sexe ! Jusqu’à l’ancien président américain George H. Bush, qui est un jour venu en cuisine pour me dire de vive voix à quel point il avait apprécié mes plats », signale-t-il. Enfin, Kwon Young-min affirme que le fait d’avoir pu surmonter son appréhension de parler anglais a joué un rôle décisif dans son accession au succès mondial. « Tous les jours, je cherchais les équivalents d’expressions anglaises en coréen et les apprenais par cœur. Je suis fermement convaincu que, pour maîtriser cette langue, il faut absolument cesser d’avoir peur de la parler et, si mon vocabulaire reste très limité, il est tout au moins composé d’expressions utiles que je suis capable de manier avec aisance, de sorte que la communication ne pose aucun problème» confie-t-il.

Un institut culinaire coréen De son propre aveu, Kwon Young-min doit son succès à toute la profession. « Dans les restaurants occidentaux, il n’est pas rare de voir des chefs cuisiniers sortir eux-mêmes les poubelles ou balayer le sol, car ils préfèrent que le personnel se concentre sur la confection des plats. Ceux qui savent s’imposer de façon admirable, sans avoir à user de leur autorité, s’attirent le respect de leurs subalternes ».

L’homme cite aussi en exemple le premier grand couturier coréen, André Kim, qui a réalisé une tenue de chef spécialement conçue à son intention et l’a même convié à prendre part à son défilé de mode. Pour Kwon Young-min, un chef cuisinier, tout comme un créateur de grande couture, est un artiste à part entière. « À mon avis, la cuisine représente une sorte d’art immatériel dont l’exécutant se doit, dans l’idéal, non seulement d’exercer celui-ci, mais aussi d’y intégrer des éléments tirés de la mode, du design, de la musique, de l’architecture et des autres arts, mais il lui faut avant tout posséder la sensibilité d’un décorateur intérieur car, si la préparation culinaire constitue son principal objectif, le décor et l’ambiance de son établissement jouent aussi un rôle crucial ». L’homme estime par ailleurs que sa profession est à la portée de tout un chacun. « Que l’on cuisine pour soi ou pour les autres, on pratique ce métier d’une certaine manière et j’irais jusqu’à dire qu’il est à la fois le premier et le dernier de l’histoire de l’humanité ». En tant que chef de renommée mondiale, Kwon Young-min se fait une certaine idée de la cuisine coréenne dans le contexte de la mondialisation : «Pour que la cuisine coréenne se mondialise et soit mieux connue à l’étranger, il nous faut d’abord l’adapter au goût international. Si le public ne l’apprécie pas sous sa forme traditionnelle, c’est à nous qu’il incombe de la modifier en fonction de ses préférences. En outre, pour lui donner un rayonnement international, nous nous devons d’abord d’assurer une diffusion mondiale des ingrédients qui entrent dans sa composition. Quel bonheur serait le nôtre, si tous les restaurants de sushi du monde employaient de la sauce de soja fabriquée en Corée, et non celle de la marque japonaise Kikkoman !» Outre qu’il suit de près cette évolution de la cuisine, Kwon Young-min se préoccupe aussi de la formation des futures générations de chefs et, à cette fin, il entend créer un institut culinaire coréen, tandis que, dès le mois d’août de l’année dernière, une chaire lui était proposée au Département d’études culinaires de l’École professionnelle Hyundai. Quant à ses perspectives à long terme, il les résume en ces termes : « J’ai espoir de fonder un jour, en Corée, une école qui, sur le modèle des kibbutz, se situe à proximité d’une exploitation agricole qui permette aux étudiants de se procurer des ingrédients frais sans difficulté et à tout moment, tout en s’initiant aux rudiments de la cuisine et à la réalisation de recettes variées. Mon rêve le plus cher est de créer une école où les étudiants n’aient nul besoin de payer des droits d’inscription, mais pour que cela s’applique à des établissements de haute catégorie, il faut disposer de solides bases financières alimentées par de gros investissements. Afin de réaliser cette ambition, j’espère pouvoir tirer suffisamment de recettes de mon restaurant et de mes prestations de conseil culinaire. Été 2009 | Koreana 6


esCaPade

Goseong,

ville des dinosaures

Dans le sud péninsulaire, là où le relief décroît jusqu’aux falaises surplombant une mer d’un bleu transparent, il est une région riche d’une histoire de deux millénaires dont les vestiges se blottissent dans de beaux paysages et, s’il s’en émane aujourd’hui une impression de sérénité, les nombreuses traces qui l’émaillent tout au long des vallées ont de quoi attiser l’imagination du promeneur car elles attestent de la présence de dinosaures en ces lieux, à l’aube des temps. Kim Hyungyoon Essayiste | Kwon Tae-kyun Photographe

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Sur la plage de Deokmyeong-li située à Goseong-gun, dans le canton de Hai-myeon, se trouvent plus de 1 900 empreintes de dinosaures sur les bords d’un sentier long de six kilomètres qui traverse le Parc cantonal de Sangjogam.

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uatre jours à peine s’étaient écoulés depuis que j’étais revenu de voyage et voilà que j’éprouvais un irrépressible désir de repartir pour Goseong afin d’y découvrir la plage de Guryongpo, c’est-à-dire des neuf dragons, alors j’ai sauté dans le premier autocar pour m’y rendre aussitôt. Tandis que je m’étais déplacé en taxi pendant les trois journées qui composaient mon premier séjour, n’ayant découvert l’existence d’une desserte de Donghae-myeon, cette plage de la côte orientale, qu’après avoir acheté mon billet de retour à la gare routière, j’avais été, cette fois-ci, fortement tenté de modifier

mon itinéraire afin de parcourir ce littoral jusqu’à son extrémité la plus méridionale. J’y avais toutefois renoncé, persuadé de ne pas disposer d’assez de temps pour me lancer à l’aventure, mais à tort, comme j’allais le comprendre plus tard, avant de me décider à y repartir en avion, puis en autocar.

Sur les traces d’empreintes À la gare routière de Goseong-eup, l’autocar que j’ai emprunté partait toutes les heures et ses passagers étaient pour la plupart des personnes âgées habitant la région, tout comme le Été 2009 | Koreana 6


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2 1 Squelettes de dinosaures présentés à l’Exposition mondiale des dinosaures de Gyeongnam Goseong, en 2009.

2 L’empreinte de pas d’un ornithopode rappelle par sa forme une flèche à trois dents. 3 La Baie de Jaranman est parsemée d’ilôts.

chauffeur qui, tel Malttugi, ce personnage de serviteur de la danse des masques « Goseong ogwangdae », échangeait sans façons de hardies galéjades avec ces voyageurs qu’il semblait bien connaître, tout en longeant la mer par une route bordée de camélias rouges, de fleurs de prunelier blanches et d’azalées roses et c’est ainsi qu’une heure et demie plus tard, nous sommes enfin arrivés sains et saufs à Guhakpo. Dans cette agglomération comprenant les deux ports de pêche du Petit et du Grand Guhakpo, je suis descendu au premier d’entre eux et, après avoir demandé mon chemin à un villageois, me suis rendu à la fameuse plage aux empreintes de dinosaures où d’obscures dalles rocheuses m’ont aussitôt plongé dans l’univers de la préhistoire. Quelques jours auparavant, ma première visite m’avait déjà permis de constater plusieurs fois par moi-même l’existence de traces de ces animaux disparus de la surface de la Terre voilà quelque soixante-cinq millions d’années, dans une localité du nom de Deokmyeong-ri qui se situe à l’ouest de Goseong. C’était une fin d’après-midi, sur de grands rochers sombres battus par les vagues, que s’étaient présentées à mes yeux ces marques dont l’aspect évoquait de rudimentaires assiettes qu’auraient maladroitement façonnées un enfant et, n’était-ce des naïves pancartes illustrées qui en signalaient la présence, jamais je n’y aurais reconnu ces fossiles. Ayant déjà eu l’occasion d’observer plusieurs squelettes de dinosaures exposés dans des musées, je me souviens d’avoir été fortement impressionné par leur apparence très particulière, mais aussi par la qualité de leur restauration, et ne m’attendais donc pas à l’étrange sentiment qu’allaient m’inspirer celles-ci, d’autant qu’il ne s’agissait après tout que d’empreintes et non d’animaux en chair et en os. Il n’en reste pas moins qu’à leur vue, j’ai peu à peu senti tous mes sens en alerte, comme si j’étais tombé sous le charme de ces vestiges du passé aux contours indistincts dont je ne pouvais 0 Koreana | Été 2009

détacher mon regard. Comment aurais-je pu me douter que ce voyage me lancerait sur les traces de ces monstres formidables décimés en des temps si reculés, alors que je ne souhaitais au départ que visiter le village ?

Un lac du Crétacé C’est en 1982 que l’on découvrira en Goseong la ville des dinosaures, après qu’un spécialiste eut élucidé l’énigme que représentaient de mystérieuses traces auxquelles les villageois n’accordaient pas la moindre attention. D’aucuns s’étaient bien interrogés sur l’origine de ces curieuses marques qu’abritaient en quantité plages et forêts des montagnes, mais après tout, nombre de phénomènes ne demeuraient-ils pas inexpliqués, à l’instar de celui-ci ? La population allait donc se résoudre à les considérer comme un mystère impénétrable, tandis qu’il s’en trouvait pour y voir les restes d’excréments bovins, mais que d’autres, laissant libre cours à leur imagination, avançaient aussi l’hypothèse d’empreintes de dinosaures, plus tard corroborée par des études qui fermeraient ainsi une longue parenthèse d’oubli, et du jour au lendemain, feraient de cette région une terre d’élection d’espèces antédiluviennes, une œuvre du Créateur antérieure à l’arrivée de l’Homme sur Terre. À ce jour, ce sont plus de quatre mille trois cents groupes d’empreintes de pas de dinosaures qui ont été recensés à Goseong et dans sa région, la seule plage de Deokmyeong-ri en comportant pas moins de mille neuf cents dans un rayon de six kilomètres autour du Parc naturel cantonal de Sangjogam, ce qui a valu aux lieux de prendre place aux côtés de l’État américain du Colorado et de la côte occidentale argentine, avec lesquels il constitue l’un des trois sites qui abritent le plus grand nombre au monde d’empreintes fossilisées de ces animaux, lesquels sont pour la plupart répertoriés dans les familles des sauropodes, ornithopodes et théropodes. La première rassemble des dinosaures géants quadripèdes et herbivores tels que le brachiosaurus, qui pouvait atteindre vingt-cinq


mètres de longueur et peser soixante-dix-neuf tonnes, tandis que la deuxième se compose d’animaux à pieds d’oiseau et la troisième, d’espèces carnivores comme le tyrannosaurus. Les scientifiques font remonter la formation de la région de Goseong à cent trente-six millions d’années et supposent qu’elle comporta un lac de très grandes dimensions au Crétacé, c’est-àdire pendant soixante et onze millions d’années, après quoi se produisit une catastrophe dont nul ne sait s’il s’agissait d’une inondation, d’une éruption volcanique ou de bouleversements de la croûte terrestre, mais qui eut pour conséquence d’engloutir les terres dans les flots et avec elles, les empreintes de pas qu’avaient laissées les dinosaures dans les zones boueuses bordant le lac, ces marques n’étant pas les seules à se fondre dans l’abîme, puisqu’allaient les y rejoindre traces fossilisées de gouttes de pluie et de vagues.

Les témoins d’époques depuis longtemps disparues En plein cœur de la Corée méridionale, cernée à l’est par Busan et à l’ouest par Haenam, Goseong abrite le magnifique Parc national maritime de Hallyeo, tandis qu’en direction de l’arrièrepays, une vaste chaîne de montagnes de petite à haute altitude se déploie sous les yeux du promeneur.

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Celui-ci ne peut que rester sans voix devant le paysage grandiose que composent les chemins de sable blanc serpentant à la lisière de la plaine et de la forêt, jusqu’aux versants des montagnes, et dont l’un d’eux aboutit au Temple de Gyeseungsa, qui s’adosse à une paroi rocheuse escarpée du Mont Geumtaesan, dans le canton de Yeonghyeon-myeon, cette formation paraissant former une cascade, lorsqu’elle est vue du dessous. D’une construction assez récente, le Pavillon des Bodhisattvas prend place sur un socle rocheux à l’arrière duquel sept groupes d’empreintes de dinosaures ont été découverts, tandis que sa partie latérale gauche est constellée de traces de gouttes d’eau, des marques de vagues étant également manifestes sur la large dalle rocheuse située un peu en contrebas de ce même pavillon. La réalisation des fondations sur ce versant abrupt a exigé le tranchage ou la destruction de la roche sous-jacente en plusieurs points, puis le remblayage du sol au moyen de pierres, au-dessous desquelles sont visibles les empreintes de dinosaure et c’est pour préserver ces témoins de l’histoire géologique régionale que les pouvoirs publics allaient, en 2006, déclarer monuments naturels les couches sédimentaires et restes fossilisés qu’abrite ce

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1 À Danghangpo, ce monument à l’effigie de l’Amiral Yi Sun-sin commémore les hauts faits de ce militaire à la grande bataille de Danghangpo, durant laquelle il tint tête à une armada de navires japonais, en 1592.

2 Gros pots de terre cuite au fond de la cour du Temple d’Unheungsa, qui se dresse à mi-versant sur le Mont Waryongsan, en direction de la cime de Hyangno.

3 Ce tableau bouddhiste dit Gwaebultaeng n’est présenté au public qu’à l’occasion des rites de Yeongsanjae, au troisième jour du cinquième mois lunaire.

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« Où ont bien pu passer ces mystérieux animaux ? » se demande le visiteur en examinant leurs traces de pas et il se prend à imaginer les énigmes que recèlent les moindres rochers ou pierres et les fabuleuses légendes que peut lui livrer ce paisible paysage.

temple et qui apportent une excellente illustration de la structure sédimentaire crétacéenne. Partout à Goseong, nombreux sont les témoignages d’une époque depuis longtemps disparue, tels ceux de villes-États fortifiées antérieures à notre ère ou ces tombes anciennes datant du royaume de Gaya que l’on a mises au jour à Songhak-dong, ou bien encore des temples unissant le passé au présent. L’époque des maisons de style traditionnel dites « hanok » étant à jamais révolue, plus rien ne subsiste de l’élégante architecture d’antan hormis dans les temples bouddhistes et autres édifices anciens tels que les « hyanggyo » et « seowon », c’est-à-dire, respectivement, les écoles publiques cantonales et les instituts privés propres au confucianisme. Tout comme celui de Gyeseungsa, le Temple de Munsusa est arroché à un à-pic, situé cette fois au Mont Muisan, dans le canton de Sangni-myeon, et sur cet arrière-plan rocheux, ses plaisantes constructions ne se détachent qu’avec d’autant plus de netteté. Tandis que le visiteur gravit les degrés qui le mènent au Pavillon de Bouddha, la vue des avant-toits des constructions qu’il rencontre sur son passage lui procure une paisible et chaleureuse impression qui confère d’autant plus d’attrait aux lieux, puis après avoir dit ses prières à Bouddha, il admirera à la sortie de cet édifice le panorama qui s’y offre au loin du Parc national de Dadohae et c’est alors qu’il appréciera à sa juste valeur toute la splendeur du paysage de Goseong. Sur le Mont Waryongsan rattaché au canton de Hai-myeon, le

Temple de Unheungsa produit un effet de confort naturel, en raison peut-être de l’emplacement favorable de tous ses bâtiments. À l’arrière de son pavillon principal, les jarres de sauce apportent une touche de douce quiétude qui séduit de nombreux visiteurs et, si le temple tient en partie sa renommée du tableau bouddhiste Gwaebultaeng, qui n’est présenté au public qu’à l’occasion des rites de Yeongsanjae, au troisième jour du cinquième mois lunaire, ces récipients et leur estrade constituent, à mon humble vis, une remarquable expression de la miséricorde de Bouddha. Après avoir parcouru les différentes localités de la région pendant deux jours, j’ai demandé au chauffeur de taxi qui m’y avait conduit de me recommander les lieux de visite les plus intéressants de Goseong, ce à quoi cet homme y ayant toujours habité m’a cité en premier lieu le Temple d’Okcheonsa qui se dresse sur le Mont Yeonhwasan, dans le canton de Gaecheon-myeon. Ce sanctuaire très ancien et de belles dimensions ne comportant pas moins de douze bâtiments, dont le Daeungjeon, c’est-à-dire le grand pavillon de Bouddha, fut édifié en 1745, tandis que celui de Jabangnu est vieux de trois siècles, ces différentes constructions de grande taille présentant la forme d’une fleur de lotus, lorsqu’elles sont vues de haut, en raison de leur agencement particulier. Okcheonsa abrite aussi nombre de reliques bouddhiques précieuses, puisque les mérites du Bouddha sont inscrits lisiblement sur environ cent vingt objets cultuels, dont un tambour métallique appelé « Imjamyeong banja » que réalisèrent les artisans de Goryeo en 1252, une grande cloche, un encensoir en bronze et des tablettes en bois sur lesquelles est Été 2009 | Koreana 3


1 Élevé sur le Mont Geumtaesan, dans le canton de Yeonghyeon-myeon, le Temple de Gyeseungsa s’adosse à une abrupte paroi rocheuse. Les couches sédimentaires et fossiles datant du Crétacé qui y subsistent ont été classées monuments naturels.

2 Ce mur du village de Hakdong est composé d’ardoise extraite du Mont Sutaesan, qui s’élève aux confins de cette localité et constitue le Bien culturel n°258, ainsi que l’un des dix-huit murs coréens protégés par l’Office du patrimoine culturel.

3 Scène de la danse des masques « Goseong ogwangdae » typique de la région de Goseong et aujourd’hui classée Important Bien culturel immatériel n°7.

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consigné le canon bouddhique de Geumganggyeong, c’est-à-dire les soutras destinés à transmettre les préceptes du bouddhisme. Le Temple d’Okcheonsa domine une profonde vallée à laquelle mène un sentier qui descend en pente raide le Mont Yeonhwasan et sur le parcours duquel tout n’est que beauté : au printemps, fleurs blanches et rouges fraîches écloses et feuillage d’un vert tendre qui s’assombrit quand vient l’été, puis rougit ou jaunit à l’automne et disparaît pour ne laisser que les branches tout en angles de l’hiver. En toute saison, la région attire aussi de nombreuses familles, le temps d’un pique-nique, et des randonneurs qui escaladent les cimes pour admirer la vue de la mer violet foncé.

L’exposition mondiale sur les dinosaures Sur les rochers de la vallée qui s’étend en contrebas du Temple d’Okcheonsa, des dinosaures quadripèdes herbivores ont aussi laissé les marques de leurs pas dans la roche et, de même que les fossiles découverts au Temple de Gyeseungsa, ceux de la vallée du Mont Yeonhwasan attestent aussi de la présence d’un lac à proximité de Goseong et ainsi, à l’évidence, de ce que la montagne n’y a pas toujours existé. Voilà quelques années de cela, la municipalité de Goseong a décidé d’axer les activités touristiques de la région sur ces dinosaures qui s’y trouvèrent à profusion dans des temps anciens et, après la découverte d’empreintes de ces animaux dans le canton, d’y organiser sur ce thème l’Exposition mondiale dite Gyeongnam Goseong en 4 Koreana | Été 2009

2006, une manifestation qui allait remporter un succès considérable en attirant près d’un million et demi de visiteurs, une deuxième édition plus grandiose encore lui ayant fait suite ce printemps. Ce festival se déroule dans une région appelée Danghangpo, du nom de cette baie qui échancre largement le littoral de ses rives dentelées pour fournir un accès à la Mer du Sud. C’est dans ses eaux calmes qu’en l’an vingt-cinq du règne du roi Seonjo, l’amiral Yi Sun-sin, au terme de deux jours de bataille navale, remporta une victoire écrasante sur la flotte de l’envahisseur japonais, peu après qu’elle eut lancé son offensive sous le commandement d’Hideyoshi Toyotomi, le 6 juin 1592, et que deux ans plus tard, plus précisément le 4 mars 1594, ce grand militaire coréen triompha également en ces mêmes lieux. Afin de commémorer ces prouesses, la Ville de Goseong a fait édifier un monument sur l’une des hauteurs qui bordent l’agglomération, puis, désireuse de développer la vocation touristique de la région, elle a créé la zone de loisirs de Danghangpo, dont le parc, suite à la découverte des empreintes fossilisées, allait se compléter de diverses installations en vue de sa modernisation, ainsi que d’un musée d’histoire naturelle, d’un pavillon entièrement consacré à la présentation de spécimens de dinosaures, d’images stéréoscopiques et de dioramas, autant d’attractions qui font de ce parc un centre d’exposition d’envergure mondiale sur le thème de ces animaux. Les empreintes de leurs pas sont omniprésentes, non seulement sur le front de mer de Danghangpo qu’ils parcoururent en ces temps reculés, mais aussi dans toutes les localités où se déroulent aujourd’hui des manifestations, de sorte qu’il est impossible de visiter la région sans apercevoir ces témoignages de leur existence. En s’avançant en direction du large, on découvre une côte rectiligne qui s’étend à perte de vue d’est en ouest et où se succèdent villages, ports et plages créant un ensemble d’où émane une impression de sérénité, même si l’accès à ces dernières peut ou non être autorisé. Celle du Petit Guhakpo, dernière étape de mon trajet en autocar, étant ouverte au public, j’y ai progressé en direction de l’ouest, tantôt cheminant sur de grands lits rocheux, tantôt franchissant des écueils, ou encore foulant les galets de la grève, pour parvenir enfin au Grand Guhakpo, dont le rivage battu par les flots conserve les


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traces du passage de dinosaures. Quoiqu’il paraisse peu impressionnant au visiteur qui s’y trouve, le paysage s’avère véritablement grandiose lorsqu’il se place en hauteur, sur une colline par exemple, pour l’embrasser tout entier du regard et observer les innombrables empreintes qui se succèdent en enfilade dans la même direction et que vents et précipitations ont extraites de leur gangue rocheuse vieille de 650 millions d’années, suite aux déformations de la croûte terrestre. L’érosion y accomplit encore son œuvre merveilleuse, de sorte que, dans un avenir très lointain, peut-être les dinosaures du jurassique referont un jour leur réapparition sur cette partie du littoral.

Les dinosaures des temps modernes Au cours de l’après-midi entière que j’ai passée sur ce site historique à me prélasser au soleil, j’y ai fait la rencontre de vieilles dames qui, en quête de gastéropodes et d’huîtres, creusaient le banc de sable parsemé d’algues vertes et de coquilles d’huîtres laissées par la marée en se retirant. Comme je demandais à goûter une huître, elle se sont empressées de laver tout le contenu de leur panier à l’eau claire et m’ont présenté ces coquillages en m’invitant à en prendre autant que je voulais. Poursuivant mon chemin jusqu’à un village du nom de Janghang et sentant la faim me tenailler, puisque je n’avais pas déjeuné, je suis alors remonté en taxi pour explorer un peu plus la côte avant de m’arrêter en ville le temps d’un repas tardif.

Sur les recommandations du chauffeur, j’en suis descendu pour emprunter une ruelle où se trouvait un restaurant qui proposait de la viande de chèvre grillée au barbecue, dit « bulgogi » en coréen et malgré la forte odeur qui s’en dégageait, ce plat s’est avéré tout aussi savoureux qu’original. Le brassage des courants chauds et froids qui se produit à cet endroit du littoral fournit à profusion sole et rascasse au printemps, anguille en été, alose à gésier en automne et morue en hiver, mais ayant eu le loisir d’en déguster maintes fois, j’avais porté mon choix sur ces grillades qui me laisseraient un souvenir impérissable. Dans l’autocar qui me ramenait, j’ai évoqué en pensée ces plages de Goseong que j’avais parcourues et la destruction à laquelle elles étaient vouées par les chantiers navals qui les grignotent peu à peu. Aux alentours de Guhakpo, l’une de ces gigantesques structures métalliques qui envahissent peu à peu la côte, comme à Donghae-myeon et Georyu-myeon, m’avait ainsi contraint à dévier un moment de mon itinéraire en traversant le village. Face à un déclin démographique qui a porté la population de Goseong de cent à soixante mille habitants en vingt ans, il semble certes naturel que les collectivités locales aient dû se résoudre à entreprendre une politique axée sur la croissance et l’incitation des jeunes au retour au pays, mais il est à espérer que les dinosaures antédiluviens, ce don du ciel qui prospéra un temps sur Terre, auront raison de ces « dinosaures » des temps modernes qui laissent bien peu de place à l’imagination. Été 2009 | Koreana 5


CuIsIne

L’anguille grillée,

une délicieuse recette contre les langueurs de l’été En raison de sa grande richesse en protéines, l’anguille fait depuis longtemps figure d’aliment tonifiant qui, par temps de canicule, se consomme grillé, afin d’en éliminer les graisses, relevé d’un condiment pimenté mettant en valeur ses qualités gustatives comme visuelles et agrémenté d’une garniture de ginseng, l’ensemble composant une préparation, tout aussi savoureuse que nourrissante et capable de vivifier l’organisme sous les chaleurs les plus accablantes. Shim Young Soon Directrice de l’Institut ShimYoungSoon de recherche culinaire coréenne et auteur de Les meilleures saveurs de la cuisine coréenne Ahn Hong-beom Photographe

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’est l’anguille pêchée au large de Pungcheon, une ville située dans la province de Jeolla-do, qui s’avère la mieux adaptée à la cuisson par grillade, ce poisson proliférant tout particulièrement dans les cours d’eau du littoral de la Mer Jaune, car celleci y est caractérisée par un fort coefficient des marées. Ce toponyme se compose des vocables « pung » et « cheon » provenant du chinois, où ils signifient respectivement vent et ruisseau. Cette origine s’explique par la présence de deux bras de mer qui viennent grossir l’Incheongang au niveau de Seonunsa, ce temple qui s’élève à Gochang, dans la province de Jeollabuk-do, et l’emplissent d’anguilles comme « emportées par le vent », dont la qualité résulterait de la limpididé et de la forte salinité des eaux en ce point du littoral.

De nombreuses variétés Parmi les nombreuses variétés d’anguille qui existent, figurent la « cham-jangeo », une sorte d’anguilla japonica, la « bung-jangeo », c’est-à-dire l’anguille de mer que les Japonais nomment « anago », la « gaet-jangeo », qui est l’anguille des marais, et la « meok-jangeo » aussi connue sous le nom de « kkom-jangeo », ces différentes appellations pouvant aussi varier en fonction des régions. Le choix de la première, qui vit en eau douce, est indiqué en cas de grillades, tandis que toutes peuvent se servir frites et relevées de sauce de soja ou d’un condiment pimenté, mais aussi sur le riz des sushis, dits « deopbap » en coréen. C’est la « cham-jangeo » qui entre dans la composition des préparations décrites dans cet article. Contrairement à ceux du saumon, les alevins d’anguille remontent les rivières pour séjourner en eau douce pour une durée de cinq à douze ans, puis, entre les mois d’août et octobre, repartent jusqu’à la mer afin d’y frayer, puis ils y meurent. Suite à l’éclosion de ses œufs, l’anguille se déplace vers le nord près d’une année durant, puis gagne la côte où elle 6 Koreana | Été 2009


Anguille grillée et sa garniture de « susamginseng ». Contrairement à la recette japonaise équivalente, qui emploie la sauce de soja, la préparation coréenne recourt principalement au piment rouge qui lui donne sa couleur vive et sa saveur épicée. Summer 2009 | Koreana


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Qu’ils soient destinés à la viande ou au poisson, les assaisonnements à base de légumes constituent l’une des particularités d’une gastronomie coréenne associant saveur et nutrition, comme cela est le cas de l’anguille grillée, dont la recette fait appel à divers ingrédients et extraits végétaux.

franchit l’embouchure du cours d’eau. Capable de franchir de longues distances, y compris en hiver, et de survivre au fil des mois sans la moindre nourriture, l’anguille se caractérise par une espérance de vie plus longue que celle des autres espèces d’eau douce, et de longue date, les Coréens en apprécient particulièrement les propriétés tonifiantes à la saison chaude, ainsi que les bienfaits de sa consommation lors d’une convalescence, en raison de ses riches apports protéiniques bienfaisants pour les poumons et l’intestin gros.

Une grande valeur nutritive Comme chacun le sait, l’anguille est extrêment riche en vitamines A, D et E, ainsi qu’en acides gras omega-3, puisque, en ce qui concerne la première de ces substances, elle en contient 4 400 U.I. (unités internationales), cette teneur étant très supérieure à l’apport normalement recommandé et équivalant à cinq litres de lait ou dix œufs. Quant à la vitamine E qui y est aussi présente, elle neutralise le processus d’oxydation qui étouffe les cellules, limite les risques de maladies cardiaques ou cancers et évite l’artériosclérose susceptible de provoquer des accidents vasculaires. Enfin, les acides gras omega-3 qui abondent dans son organisme empêchent la formation de caillots sanguins à l’origine d’affections circulatoires, tandis que ses préciseuses protéines

favorisent la détoxification et le rajeunissement du corps.

Préparation du poisson Placer l’anguille sur une planche à hacher et y pratiquer une perforation à l’aide d’un poinçon, au-dessous des branchies, afin que celles-ci restent en place. Découper le poisson en deux, éviscérer, puis couper la tête et l’extrémité de la queue. Après avoir retiré l’arête, écailler le corps en le raclant avec un couteau. Plutôt que de nettoyer la chair à l’eau, on l’essuiera avec du papier de ménage ou un torchon sec, après quoi, on la découpera, selon les préférences, en portions correspondant à une bouchée. Avant la cuisson, l’anguille doit avoir mariné dans un mélange relevé d’épices végétales, comme cela est la coutume en Corée avec le poisson comme avec la viande, en vue d’obtenir un aliment aussi

1 Faire griller l’anguille à moitié, tout en la badigeonnant de sauce. 2 Pour la garniture, émincer le « susam-ginseng » en biais. 3 Faire mariner l’anguille dans une sauce épicée.

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Préparation de la grillade Ingrédients: 2 anguilles • Marinade: 2 cuillerées à soupe de sauce épicée, 2 cuillerées à soupe de vin, 1 cuillerée à café d’extrait de ginseng, 1 cuillerée à café de jus de pruneau • Sauce: 1 cuillerée à café de condiment au piment rouge, 1 cuillerée à café de poivre moulu, 2 cuillerées à café de sauce épicée, 1 cuillerée à soupe de jus de concombre, 1/2 cuillerée à soupe d’ail émincé, 1/2 cuillerée à café de gingembre râpé, 1 cuillerée à café de sirop d’amidon • Garniture: 2 racines de « susam-ginseng », 1 piment rouge, 1 piment de « cheong-yang », 1/2 cuillerée à soupe d’huile épicée, une pincée de sel

Préparation:

savoureux que nutritif. Afin de débarrasser la chair tout en même temps de sa graisse, qui s’y trouve en abondance chez ce poisson, et de son odeur assez forte, on la fera griller une première fois au feu de charbon. Tête et arêtes peuvent être réservées en vue de confectionner un bouillon, une marinade ou tout simplement une soupe. Enduire la chair de sauce épicée au cours de la cuisson, ainsi que pendant celle-ci.

Garniture au « susam-ginseng » La recette présentée dans cet article s’agrémente d’une garniture composée de ginseng, cette racine célèbre pour ses vertus médicinales, puisqu’elle contient une trentaine de variétés différentes de saponine, cette substance tonifiante qui stimule le métabolisme et facilite la digestion, ainsi que l’assimilation des nutriments. Elle produit en outre des effets anti-cancéreux reconnus en renforçant le système immunitaire et en augmentant la résistance aux maladies, de même qu’elle participe du bon fonctionnement hépatique et du maintien d’un faible niveau de cholestérol, tout en aidant à décomposer l’alcool au lendemain de soirées très arrosées. Autant de raisons qui font du « susam-ginseng », c’est-à-dire du ginseng non traité, un accompagnement très prisé de l’anguille grillée et d’autres plats

- Nettoyer et faire mariner l’anguille Eviscérer et écailler. Essuyer soigneusement avec du papier ménage ou un torchon sec, puis découper, selon les préférences, en portions correspondant à une bouchée. - Placer l’anguille dans la marinade et l’y laisser quelque temps, puis la faire griller au deux tiers au feu de charbon. - Enduire la chair grillée de sauce, puis remettre à griller à feu doux en recouvrant à nouveau de sauce. Quand elle est cuite à point, on doit pouvoir y enfoncer facilement une baguette. - Émincer le « susam-ginseng », puis le faire revenir. Lorsqu’il est presque cuit, ajouter les morceaux de piment rouge et vert. Suite à la cuisson, disposer autour de l’anguille grillée le ginseng et la garniture, puis servir.

Principaux ingrédients Entrent dans la composition de ce plat deux sauces épicées, dont une au soja, et une huile épicée qui, si l’on peut ne pas y être accoutumé, relèvent le goût d’ensemble de leur saveur noble. La cuisine comporte, parmi ses principaux ingrédients, l’ail émincé, la ciboule, le gingembre râpé, le poivre moulu, le poireau, le piment, les feuilles de sésame, le sésame broyé et la sauce au poisson, dont la confection nécessite beaucoup de temps et de travail, de sorte qu’elle pourra s’effectuer par avance en grande quantité afin de réaliser un gain de temps lors des préparations ultérieures successives. Ingrédients

Préparation

Sauce épicée

200 grammes de poire, 200 grammes de radis, 200 grammes d’oignon, 200 grammes d’ail, 10 grammes de gingembre

- Réduire les ingrédients en jus, soit à la main, soit à l’aide d’une centrifugeuse Verser le jus dans une bouteille en verre et placer celle-ci au réfrigérateur pour de futurs emplois.

Huile épicée

2 verres d’huile de cuisine, 2 piments rouges, 10 gousses d’ail, 2 morceaux de gingembre, 1 ciboule, 3-4 feuilles de sésame, 1/2 oignon

- Couper les piments en deux dans le sens de la longueur et épépiner. Découper l’ail et le gingembre en rondelles, couper la ciboule en diagonale, puis émincer oignon et feuilles de sésame. - Placer les ingrédients dans une poêle, verser de l’huile de cuisine et porter lentement à ébullition. Lorsque les légumes blondissent, les retirer. Laisser refroidir l’huile et verser dans une bouteille en vue de futurs emplois.

Sauce 2 verres de sauce de soja, 1/2 cuillerée de soja à soupe de sucre, 1/2 verre de sauce, épicée 1 pincée de poivre moulu, 3 piments rouges séchés, 5 feuilles de sésame, 2 cuillerées à soupe de sirop d’amidon, 100 grammes de bœuf, 2 morceaux de racine de gingembre, 1/2 verre de miel, 1/2 verre de vin blanc

- Commencer par faire bouillir tous les ingrédients, à l’exception de la viande et du miel, dans une poêle. Ajouter ensuite la viande et la laisser mijoter. Verser le miel, et porter à ébullition jusqu’à réduction de la sauce à environ deux verres. Egoutter et verser la sauce dans une bouteille en vue de futurs emplois.

d’une haute valeur nutritive. Été 2009 | Koreana


reGard extÉrIeur

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Le sens de l’effort à la coréenne Syvain Costof Ancien directeur d’Europcar

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on premier contact avec la Corée du Sud remonte à l’année 1993, date de ma rencontre avec ma future épouse d’origine coréenne travaillant à Paris. À partir de cette époque, mes rapports avec la Corée n’ont jamais cessé de s’intensifier. Une vie maritale bi-culturelle, un poste à l’export avec la responsabilité du marché coréen entre 1995 et 2000, et aujourd’hui une expatriation à Séoul m’ont en effet permis de me rapprocher et de connaître un peu mieux chaque jour la Corée, sa culture, son histoire, son peuple mais aussi ses valeurs. Avec le temps, une des valeurs dominantes de la société coréenne a particulièrement suscité ma curiosité et mon admiration ; la valeur de l’effort, l’envie de progresser. Cette admiration n’est pas venue spontanément mais elle s’est imposée à moi tout doucement. C’est seulement après plusieurs années de vie commune, de multiples séjours à Séoul, de nombreuses discussions et rencontres avec la famille et les amis de mon épouse, de tranches de vie coréenne vécues que j’ai compris combien l’effort était une valeur clé en Corée. Vous avez tous vu des photos ou lu des témoignages de la Corée dans les années 1953-1955. Après une colonisation de plus de 30 ans et une guerre terrible qui a déchiré le peuple coréen, la Corée s’est retrouvée financièrement ruinée, sans ressource naturelle, sans infrastructure moderne avec un peuple attristé. Moins de 60 ans après, la Corée a réussi son miracle en entrant dans le cercle des grandes nations économiques mais aussi en rayonnant culturellement au niveau international avec des artistes comme Chung Myun-Whun et Kim Tschang-Yeul. Comment cela a été possible aussi vite ? Grâce à son capital humain, à une volonté individuelle et collective de chaque Coréen de progresser et d’apporter sa contribution à son niveau. Les témoignages de mon beau-père et sa fierté d’avoir été parmi les bâtisseurs de ce retournement m’impressionnent et me touchent toujours. Je ne peux pas m’empêcher de vous citer un autre exemple qui me fait toujours sourire. La Corée après les JO de


1988 s’est battue pour organiser la Coupe du monde de football en 2002 qu’elle a finalement co-organisée avec le Japon. Ce type d’événement est souvent une chance formidable pour se faire connaître sur la scène internationale, une unique occasion de communiquer sur soi à l’échelle planétaire. Je n’étais malheureusement pas à Séoul à cette époque mais à Prague ou je suivais une formation avec des personnes de toutes les nationalités européennes et notamment des Espagnols, des Italiens et des Allemands. Nous nous réunissions tous pour voir les matchs ensemble et partager un bon moment. À deux reprises, la Corée a battu des équipes techniquement supérieures aux palmarès flamboyants : l’Espagne puis l’Italie. Je n’oublierais jamais la tête des Espagnols et des Italiens qui pensaient avoir eu de la chance de jouer contre la Corée estimant avoir plus de chance de gagner. Quelle fougue, quelle motivation, quelle envie de se dépasser! Aujourd’hui, mon quotidien à Séoul foisonne d’exemples. Quand je fais mes courses dans des centres commerciaux comme Hyundai Department store ou Kim’s Club par exemple, je vois toujours des jeunes gens élégamment vêtus qui accueillent les clients à l’entrée des parkings. Ils nous guident et nous remettent notre ticket. Ils sont toujours souriants et toujours disponibles pour nous aider et pour nous donner des renseignements. Une grande partie d’entre eux sont étudiants, finiront peut-être dans des grandes sociétés coréennes à des postes intéressants mais aussi beaucoup font ce travail pour gagner un salaire sans aucun complexe en dépit du coté répétitif et contraignant de la fonction. De la même façon quand vous prenez le métro, vous avez très souvent des personnes retraitées, habillées en uniforme impeccable, à l’entrée des stations. Elles sont là pour aider, guider les personnes qui en ont besoin. Toutes ses personnes ont travaillé toute leur vie mais elles se plaisent à être présentes par citoyenneté, par désir d’aider et de contribuer au bon déroulement des choses. Tous ses exemples illustrent à chaque fois l’effort dans le sens d’apprendre, d’entreprendre, et de s’investir pour progresser. Effort avec rigueur, avec humilité respectant l’harmonie du groupe, la hiérarchie des relations sociales et l’organisation de la société coréenne. Enfin, effort sans individualisme forcené, avec

respect qui n’oublie jamais les intérêts du groupe. Mais il faut aussi voir les aspects excessifs de cette valeur. Tous les Coréens subissent aujourd’hui une très haute pression à chaque étape de leurs vies : tout faire pour être le meilleur dès l’école primaire, pour rejoindre les meilleures universités, si possible à l’étranger, puis travailler dur pour rejoindre les entreprises les plus prestigieuses ….. ne sont que quelques exemples parmi beaucoup. Vous connaissez tous l’expression « palli, palli », toujours plus vite sans perdre de temps, l’expression qui traduit bien cette attitude et mentalité coréenne. Souvent beaucoup d’enfants qui n’ont pas encore 10 ans sont déjà en cours individuel jusqu’à plus de 22 heures tous les soirs, travaillant même une grande partie du week-end. Les adultes mêmes, lorsqu’ils arrivent à jouer au golf (tous les golfeurs connaissent la difficulté à réserver un départ) courent du Kart pour aller taper leur balle pour surtout ne pas perdre de temps. Pendant le golden weekend en Mai, nous avons passé quelques jours à Jeju. Le soleil était radieux et la piscine très agréable. Bien que complet, nous n’avons pas vu de famille coréenne en profiter en se prélassant dans l’eau pendant la journée. Discutant peu après avec un des managers de l’hôtel, il nous a expliqué que depuis leur arrivée, ils étaient en excursion toute la journée pour ne rien rater. Quelle pression pour les études, la réussite professionnelle, le golf…. Mais quand se reposent-ils ? Malgré tout, j’en reste admiratif parce que cette valeur lorsqu’elle s’applique collectivement est une des clés pour supporter une vision et un objectif commun et relever les challenges de demain. Mais aussi parce que cette valeur est unique à la Corée et ne se retrouve plus de façon aussi forte dans les sociétés les plus développées d’où je viens. Je souhaite juste que s’y rajoute une touche de modération, et que cette course sans fin puisse se faire sans ce carcan d’obligations que tous les Coréens ne peuvent pas porter et subir de la même façon. Enfin, je suis impatient de vivre et voir comment la Corée va trouver son équilibre entre son éternel désir de progresser, son mode de fonctionnement « palli, palli », et le recul et la modération qu’elle devra forcément prendre.

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VIe QuotIdIenne

De dimensions assez massives, le Parc national de Bukhansan s’étend sur environ quatre-vingts kilomètres carrés et accueillerait chaque année près de cinq millions de visiteurs, ce qui lui vaut de figurer dans le Livre Guinness des records mondiaux, car cette fréquentation est la plus élevée au monde, s’agissant d’un parc national. 82 Koreana | Été 2009


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a péninsule coréenne se caractérise par un relief extrêmement rocheux ayant pour axe principal le massif de Taebaek qui borde le littoral oriental sur près de six cents kilomètres et à partir duquel de plus petites chaînes s’étendent d’est en ouest. Au cours des siècles, un tel milieu a influé de manière spécifique sur le climat et la culture du pays, mais aussi sur sa langue, et s’il a autrefois contribué à couper celui-ci de l’extérieur, ainsi que ses différentes régions entre elles, en limitant considérablement voyages et communications, il permet aujourd’hui d’échapper à une vie moderne trépidante en y trouvant refuge.

Séoul et ses montagnes En Corée, près d’un cinquième de la population se concentre aujourd’hui dans la capitale, Séoul, qui figure ainsi parmi les mégalopoles les plus peuplées du monde, dont elle partage aussi le rythme de vie effréné, à la différence près que ceux de ses habi-

tants qui ont soif de quiétude et d’harmonie naturelle n’ont qu’à emprunter métros ou autobus pour fuir cette gigantesque ébullition. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas, comme en atteste l’inscription au Livre Guinness des records des cinq millions de visiteurs par unité de surface qui fréquentent chaque année le Parc national de Bukhansan s’étendant sur quatre-vingts kilomètres carrés autour du mont éponyme jadis communément appelé Samgaksan, c’est-à-dire la « Montagne aux trois cornes », en raison des trois hauts sommets qui le composent, non loin d’une autre hauteur dite de Dobongsan. Le choix de l’emplacement de l’actuelle Séoul et de son bouclier montagneux ne doit rien au hasard, car c’est cette caractéristique qui présida à la sélection d’un site où établir la nouvelle capitale que voulait se donner la dynastie Joseon, ce qui fut fait en l’an 1392. Conformément aux principes de la géomancie, laquelle se nomme « pungsu » en coréen et « feng shui » en chinois, une

L’escalade prend la pente ascendante L’année passée, un colloque allait apporter une nouvelle confirmation du succès croissant que connaît l’escalade en montagne puisque, à la question de savoir quels étaient leurs types de loisirs favoris, 43,5 % des hommes et 35,6 % des femmes allaient citer cette activité, tandis que huit ans plus tôt, ils étaient respectivement 4,5 % et 5,5 % à l’avoir mentionnée. Depuis peu, la récession économique s’accompagnant d’une dépréciation du won, face aux principales devises, qui rend les voyages à l’étranger beaucoup plus onéreux, incite encore davantage les Coréens à découvrir les trésors que recèle leur environnement naturel. Charles La Shure Écrivain et professeur à l’École d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des études étrangères. | Ahn Hong-beom Photographe

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1 Au pied des montagnes très fréquentées, s’alignent ville se doit, pour bénéficier de la situation une excellente illustration du vieil adage les inévitables boutiques et étals en tout genre qui la plus favorable, d’être encadrée par coréen selon lequel « Ce sont les petits proposent vêtements et accessoires de randonune montagne et une rivière se trouvant piments qui sont les plus piquants ». Si le née, dont le commerce est florissant en dépit de la récession actuelle. respectivement au nord et au sud, cette point culminant de la Corée est le Mont 2 L’accès aisé au Mont Bukhansan par métro ou caractéristique présentant l’avantage Hallasan qui se dresse sur l’île de Jejudo et autobus ne saurait le faire passer pour un relief concret de préserver la péninsule, en leur que suit, sur le continent, celui de Jirisan, négligeable, car il est émaillé d’obstacles qui reopposant un obstacle naturel, des vents leurs altitudes respectives de 1 950 et 1 917 présentent un véritable défi pour les grimpeurs froids soufflant au nord depuis la Sibérie. mètres ne soutiennent certes pas la comles plus exercés. Dans le cas de Séoul, ce rôle de paravent paraison avec celles des plus grandes chaîserait ainsi assuré par la chaîne de Gwangju, dont l’arête rocheunes du monde, qui n’ont pas leur pareil, telles les Rocky Mountains se, qui surplombe celle de Taebaek, se compose des Monts de américaines (4 401 mètres), les Alpes, en Europe (4 808 mètres) Bukhansan et Dobongsan. ou l’Himalaya, en Asie (8 848 mètres), mais, de même qu’un petit Des critères militaires sont également pris en considération piment peut surprendre par la force de son goût, ces hauteurs pour retenir l’emplacement d’une ville en fonction de son relief, coréennes offrent une véritable manne de plaisirs délectables celui de Séoul, caractérisé par sa double ceinture de formations aux randonneurs épris d’aventure. Comme elles prennent le plus concentriques, ayant permis d’édifier des fortifications aux fins souvent naissance à proximité du littoral, elles présentent la parde sa défense. En partant de l’intérieur, ces hauteurs sont constiticularité d’être parcourues de longs sentiers et de posséder tuées des monts Bugaksan et Namsan, qui s’élèvent respectivedes formations particulièrement escarpées, nombre d’entre elles ment à 342 et 262 mètres, tandis que plus à l’extérieur, y succède reposant en outre sur un socle granitique dur dont la douce ossacelui de Bukhansan, qui culmine dans l’agglomération à 836,5 ture blanche qui fait saillie entre pentes et cimes corse d’autant la mètres d’altitude. Si les ouvrages défensifs qui se dressaient sur tâche des grimpeurs en formant parfois des pans rocheux presle pourtour de la ville ont, voilà longtemps déjà, été sacrifiés aux que dressés à la verticale où l’on peut s’essayer à la varappe besoins de projets d’urbanisme qui n’en ont laissé que les poret à la descente en rappel. tes dont ils étaient percés, il en subsiste néanmoins plusieurs Une même montagne à découvrir différemment tronçons qui confèrent aux lieux un cachet culturel et historique. À la question de savoir ce qui l’avait poussé à entreprendre Outre qu’elles sont d’un accès facile et participent du patril’ascension du Mont Everest, l’explorateur britannique George moine culturel et historique national par les murailles et temples Mallory eut cette célèbre réplique : « Parce qu’il était là » et, 1 y furent jadis élevés, les montagnes coréennes apportent qui si ces paroles peuvent paraître désinvoltes, elles révèlent bien 84 Koreana | Été 2009


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la volonté humaine de surmonter les obstacles pour conquérir de nouveaux sommets et le plaisir d’y parvenir, au terme d’une escalade, pour embrasser du regard tout le paysage s’étendant en contrebas, est à la portée de tous, contrairement à l’ascension des formidables parois de l’Everest. On ne saurait donc s’étonner de ce que 13,2 % des personnes interrogées lors d’une enquête réalisée en 2006 sur les loisirs favoris des Coréens aient cité en tout premier lieu l’escalade, selon les résultats rendus publics par le quotidien Dong-A Ilbo dans son numéro du 30 janvier 2009. En outre, tout un chacun, en raison de sa personnalité propre, est en mesure de découvrir autant d’aspects différents de la montagne, mais aussi de lui en apporter, tel ce couple de retraités, les Lee, qui au gré de leurs nombreux voyages dans le pays, ont sillonné ses montagnes. Tandis que Monsieur y voit la possibilité d’apprécier au mieux les beautés de la nature tout en se libérant des tensions nerveuses du quotidien, lorsqu’il affirme : « Quand je vais à la montagne, je me sens bien. La nature y est intacte, et comme c’est de là que nous venons, elle nous procure un sentiment d’aise », tandis que Madame en souligne les bienfaits pour la santé. Voilà à peine quelques années, suite à un diagnostic de cancer suivi d’interventions chirurgicales et de longs traitements en milieu hospitalier qui allaient s’avérer sans grands résultats, cette dame a alors décidé de recourir à des procédés plus naturels, en apportant des modifications à son alimentation et à son mode de vie, notamment par la pratique de la randonnée pédestre en montagne. « Si je n’avais pas escaladé toutes ces hauteurs, je ne serais certainement plus de ce monde, au jour d’aujourd’hui », confie-t-elle avant d’ajouter en guise de conclusion : « La randonnée m’a aidée à reprendre des forces ».

M. Kim est aussi un inconditionnel de ce sport. Au pied du Mont Bukhansan, une petite avancée rocheuse ressemblant à celles qui surmontent l’entrée d’une grotte, offre un abri contre le vent glacial à cet employé du secteur de la grande distribution qui planifie toujours ses livraisons de manière à disposer d’une journée libre pendant la semaine et pouvoir ainsi s’adonner à sa passion pour l’escalade sur les hauteurs environnantes de Séoul. En raison du calme résultant d’une moindre affluence les jours ouvrables, cette escapade lui offre une coupure bienfaisante dans sa semaine de travail. « Si l’on vient en montagne, c’est pour apprécier le moment présent et oublier la routine », affirme à ce propos M. Kim, pour qui la randonnée pédestre, si elle fournit un excellent moyen d’entretenir sa forme physique, possède des vertus qui dépassent cet objectif pour apporter un bien-être spirituel. Évoquant plusieurs cas de randonneurs qui s’étaient aventurés hors des chemin balisés ou avaient dépassé les limites de leurs capacités physiques au préjudice de leur santé, il se dit persuadé qu’il convient d’en tirer les enseignements : « La montagne m’impose une sorte de respect et l’escalade favorise toujours en moi le recueillement, le retour sur le passé et l’humilité ». Toutefois, la moindre promenade en montagne permet de constater qu’en Corée, nombreux sont ceux qui perçoivent avant tout ce sport comme une occasion d’être en société, à la vue des petits groupes d’hommes et de femmes d’âges divers qui gravissent les pentes, non sans s’arrêter parfois en chemin pour le plaisir d’y déguster un casse-croûte ou de converser. À ces particuliers, s’ajoutent maintes associations de randonnée et d’escalade Été 2009 | Koreana 85


Au pied du Mont Bukhansan, une petite avancée rocheuse ressemblant à celles qui surmontent l’entrée d’une grotte, offre un abri contre le vent glacial à M. Kim, un employé du secteur de la grande distribution qui planifie toujours ses livraisons de manière à disposer d’une journée libre pendant la semaine et pouvoir ainsi s’adonner à sa passion pour l’escalade sur les hauteurs environnantes de Séoul.

qui effectuent régulièrement des sorties, soit en se limitant à une hauteur donnée des environs de Séoul dont ils sillonnent les différents chemins, soit en se fixant pour objectif d’en découvrir plusieurs, quitte à parcourir de longues distances pour le seul plaisir d’avoir vaincu de célèbres sommets, quand bien même un seul d’entre eux. Quelle qu’en soit la motivation, la randonnée prend les dimensions d’une expérience métaphorique, et ce, à Séoul plus que partout ailleurs, lorsque, dans cette ville sur laquelle tombe souvent un rideau de brume grise, le grimpeur s’élève littéralement au-dessus de cette chape de plomb suffocante, mais aussi symbolique, quand il échappe à un rythme urbain endiablé, tandis que l’air frais vivifie son corps comme son esprit en les débarrassant de toutes leurs souillures. L’espace d’un moment, la ville prend un air paisible du haut de la montagne, ce qui représente l’un des attraits de celle-ci pour les Coréens, car en quel autre lieu pourraient-ils tout à la fois goûter à la compagnie de leurs amis et de leur famille tout en améliorant leur santé physique et spirituelle, loin du monde et de ses multiples préoccupations ?

Un passe-temps national S’agissant d’un pays où les villes sont entourées de montagnes, il semble naturel que la randonnée constitue un passetemps national dont l’essor a donné naissance à tout un secteur d’activité, comme on pourra aisément s’en rendre compte sur les montagnes de Séoul, où l’itinéraire des randonneurs est jalonné de magasins et étals qui proposent à leur intention vêtements composés de matières nouvelles absorbant instantanément la transpiration et équipements spécialisés tels que les crampons adaptés aux pentes neigeuses ou glacées. Ces produits ne s’adressent cependant pas aux seuls professionnels puisque, où que l’on aille en montagne, on s’aperçoit que les promeneurs arborent pour la plupart tenues et chaussures spécialement conçues pour ce sport, le visiteur étranger découvrant avec surprise que les Coréens délaissent tout habillement porté au quotidien, y compris blue-jeans et baskets, lors de la moindre randonnée ou escalade. L’essor que connaissent les industries liées aux activités de plein air, notamment cette dernière, en dit long sur la prédilection de la population pour cette forme de loisirs. Dans un de ses numéros de la fin de l’année 2008, le quotidien JoongAng Daily révélait que le commerce en ligne des vêtements et accessoires de randonnée connaissait une forte expansion, la cyberboutique Auction (www.auction.co.kr), qui figure parmi les premières du pays, ayant enregistré, pour les mois d’octobre et de novembre de cette même année, un chiffre d’affaires jour86 Koreana | Été 2009

nalier en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente, à la même époque. Parmi les produits les plus recherchés, figuraient le matériel de camping tel que tentes et réchauds dont les ventes avaient progressé de 88 % dans certains cas, mais aussi les chaussures de randonnée, dont la commercialisation avait progressé de 80 %. Toujours dans le JoongAng Daily, le 21 novembre 2008 cette fois, il était dit : « En période de difficultés, le sport de loisir le plus populaire est la randonnée, car elle est peu coûteuse et n’exige pas de se déplacer beaucoup pour sa pratique, et la nette progression des ventes que l’on a constatée dans ce domaine révèle à quel point la récession est une réalité ». D’autres secteurs d’activités tirent également parti du succès de la randonnée en montagne, car la moindre excursion étant propre à aiguiser l’appétit, une multitude de petits restaurants situés à proximité des hauteurs les plus fréquentées accueillent des hordes de randonneurs affamés qui y font une halte avant de rentrer dans leurs pénates, après une longue journée sur les chemins. Quoi de plus agréable que de terminer une journée de randonnée par un repas copieux composé des préparations les plus prisées, tels « dubu » (tofu) et viande grillée éventuellement arrosés d’un verre ou deux d’alcool coréen pour faire passer le tout ? Enfin, les associations de randonnée bénéficient également de la vogue que connaît cette forme de loisirs dans leurs activités de gestion d’agences de voyage et d’organisation d’excursions, à l’intention de groupes importants, à destination des principaux sommets du pays. S’il est vrai, comme d’aucuns l’affirment, que la manière dont on dépense son argent en dit long sur la personnalité, alors le succès enregistré par ces différents secteurs d’activité témoigne bien du goût prononcé que manifestent toujours plus les Coréens pour l’escalade en montagne. L’année passée, un colloque allait apporter une nouvelle confirmation du succès croissant que connaît l’escalade en montagne puisque, à la question de savoir quels étaient leurs types de loisirs favoris, 43,5 % des hommes et 35,6 % des femmes allaient citer cette activité, tandis que huit ans plus tôt, ils étaient respectivement 4,5 % et 5,5 % à l’avoir mentionnée. Depuis peu, la récession économique s’accompagnant d’une dépréciation du won, face aux principales devises étrangères, qui rend les voyages à l’étranger beaucoup plus onéreux, incite encore davantage les Coréens à découvrir les trésors que recèle leur environnement naturel. L’amour de l’aventure et de la nature qui les anime, ainsi que les caractéristiques de leur géographie, ont favorisé le développement de ce sport qui ne connaît ni frontières ni limites d’âge, chacun pouvant ainsi connaître ses joies, qu’il soit natif de la péninsule ou n’y effectue qu’un séjour temporaire.


Aperçu de la littérature coréenne

Cheon Woon Young

© Paik Da Huim

Aujourd’hui âgée de trente-huit ans, Cheon Woon Young a rejoint les jeunes écrivains coréens talentueux de cette décennie en produisant trois recueils de nouvelles intitulés Les Aiguilles,

Myeongrang et Ses modes d’emploi des larmes , ainsi que le roman Adieu , Cirque , la première de ces œuvres, qui fut aussi celle des débuts, ayant reçu un accueil très favorable de la critique par « les exceptionnelles capacités dont y fait preuve l’auteur pour amener le lecteur à partager son esthétique d’une sensualité puissante, voire agressive »


CrItIQue

Une aiguille

où pourrait s’engouffrer tout l’univers Seo Young-chae Professeur au Département d’écriture créative de l’Université Hanshin

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De l’avis général, l’entrée en littérature de Cheon Woon Young y a insufflé une nouvelle fraîcheur par la sensibilité hors du commun dont témoigne son écriture et par le pouvoir qu’y exerce l’auteur sur le lecteur, dès sa première œuvre, au moyen de procédés narratifs originaux caractérisés par une profusion d’images charnelles, voire brutales qui créent une atmosphère à l’esthétique sensuelle, faite de désirs refoulés et de fantasmes inavoués. Il en résulte un style spécifique par lequel se distingue l’ensemble de sa production et où se révèle un art consommé du traitement de l’intrigue jusque dans ses moindres détails, une telle minutie conférant un puissant réalisme aux textes descriptifs des premières œuvres, par exemple dans les passages qui portent sur le tatouage ou sur l’abattage du bétail. Fruit d’un méticuleux travail de recherche, cette maîtrise des techniques descriptives atteint son plus haut degré dans le roman Adieu, Cirque, qui relate les difficultés quotidiennes d’une Chinoise originaire de Corée et vivant dans ce pays. Quant au recueil Les Aiguilles , par lequel débute sa production au tournant du siècle, il se compose principalement d’un texte éponyme brossant le portrait d’une jeune femme qui réalise des tatouages à titre professionnel. L’évocation de l’introduction de l’aiguille qu’elle pratique à cet effet sous l’épiderme de la poitrine, du dos, des épaules, des cuisses et même des organes génitaux d’inconnus dans l’intimité de son appartement crée une atmosphère puissamment sensuelle. Tandis que cette opération fait naître le désir en l’homme pendant et après son déroulement, elle s’avère à chaque fois épuisante pour son exécutante, comme si elle s’était adonnée à des rapports charnels fougueux, la dimension sexuelle étant constamment présente dans la nouvelle de manière sous-jacente, alors pourquoi recourir à ce procédé détourné s’agissant d’un sujet qui n’est désormais plus tabou ? Les autres personnages s’inscrivent dans l’intrigue selon une disposition symétrique de part et d’autre de cette figure centrale, à commencer par celui de la mère, couturière de profession, à l’opposé de laquelle se trouve le séduisant jeune homme qui habite l’appartement situé à l’autre bout du couloir, la rupture de cet agencement mettant fin à la narration, lors de la recupération de l’aiguille de la première, à moins qu’il ne s’agisse d’un vol, puis de l’insertion d’une autre sous la peau du premier. Ce petit instrument prend un sens particulier pour la


jeune femme, comme antérieurement, pour sa mère, dont la précieuse trousse de couture excite aussi la convoitise filiale. Enfant, la protagoniste ne souhaitaitelle pas apprendre le métier de sa mère avant que celleci ne l’abandonne après sa guérison dans un temple où l’on pressent que quelque lien s’est tissé entre elle et le vieux bonze qui habite les lieux, sans pour autant qu’aucun détail ne vienne le confirmer ? Quoi qu’il en soit, à l’annonce du décès du religieux, la mère décide à son tour de quitter ce monde en se donnant la mort, non sans s’être auparavant accusée de celle de l’homme lors d’une enquête policière qui ne parvient pas à faire toute la lumière sur les faits. La seule clé fournie au lecteur réside dans cet étui que découvre la jeune femme dans la chambre à coucher lors du dénouement et dont les aiguilles aux pointes systématiquement coupées sous-entendent la culpabilité maternelle, ces mêmes aiguilles dont la fille tirait sa subsistance depuis son abandon, en s’adonnant non à des travaux de couture, mais au tatouage de corps humains. Quant à son jeune voisin vivant à l’autre bout du palier, dont la beauté est diamétralement opposée à son physique ingrat, il lui rend visite, après avoir compris la nature de ses activités en vue de l’exécution d’un motif viril comme en affectionnent la plupart des clients, mais alors qu’il exige la représentation d’une arme aussi redoutable que possible, la jeune femme dessine une aiguille qui n’est pas plus grande que l’auriculaire, ce qui semble des plus énigmatiques. La raison de ce choix tient à l’affirmation, maintes fois réitérée par sa mère, de la possibilité de donner la mort en mêlant chaque jour à la boisson favorite de la victime les pointes sectionnées des aiguilles, qui se transforment alors en autant d’armes meurtrières, bien qu’elles n’aient certes rien de commun avec les formidables instruments qu’avait imaginés le jeune homme, épées, flèches ou missiles. De ce motif, est suggéré le « chas étroit évoquant l’intimité d’une fillette » et si l’orifice de l’aiguille est susceptible d’engloutir tout l’univers, de même qu’à sa pointe, peut converger le monde entier, alors ces caractéristiques font d’elle une arme bien plus formidable que celles qui perforent, entaillent ou détruisent. Quand prend fin le récit, l’homme à la poitrine si puissamment ornée a pris l’habitude d’aller voir

chaque soir sa voisine en rentrant du travail et le lien symétrique qui unissait les trois protagonistes, déjà rompu par la disparition de la mère, se trouve dès lors brisé par cette fréquentation, seule demeurant l’étroite et effrayante entaille que représente l’aiguille au symbolisme physique fondamental. La nature du contexte socio-culturel dans lequel Cheon Woon Young a entamé sa carrière littéraire, à l’âge de vingt-neuf ans, vient encore ajouter à cette dimension métaphorique, car, à la différence des marques guerrières qui se voulaient jadis une exaltation de la bravoure et des pouvoirs magiques, le tatouage moderne peut constituer une expression de la mode prenant le corps pour support. Lors de la parution de cette nouvelle, le rigorisme qui avait jusqu’alors marqué la vie politique et culturelle était en train de céder la place à la logique du marché, tandis que sensibilité et créativité artistiques, longtemps bâillonnées au nom de l’idéalisme et de la spiritualité, commençaient à faire surface, notamment par un mode d’expression cru et sans détour, le corps lui-même devenant centre d’intérêt principal, plutôt qu’outil métaphorique. À la conception de l’amour comme une marque d’affection réciproque, telle que l’exposait la littérature issue de la révolution politique des années quatre-vingts, succédait ainsi, suite à la révolution culturelle de la décennie suivante, celle d’un simple moyen d’assouvir des désirs sexuels. Lorsque Cheon Woon Young fait irruption sur la scène littéraire, cette définition génératrice d’une certaine tension narrative au sein du roman s’efface déjà alors que se profilent d’autres désillusions, car l’accent n’y est plus mis sur le contact purement physique qui s’établit par le biais du sexe, mais par le lien qui, de manière inhérente, unit celui-ci à la mort. En représentant l’issue fatale vers laquelle s’achemine tout être vivant, cette aiguille ou entaille se fait alors métaphore de l’époque et l’important n’est plus dès lors le corps, par opposition à l’esprit ou au psychisme, mais les tendances de mort naturelle qui animent tout un chacun, ce même corps correspondant à l’idée de la mort. Tel est le message que véhicule la nouvelle Les aiguilles de Cheon Woon Young, par le biais de la symbolique de ces instruments, tout en abordant différentes problématiques du corps, dont les liens de celui-ci avec la mort.

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Publications de la Fondation de Corée Abonnement et achat de numéros

Koreana

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Revue trimestrielle créée en 1987, « Koreana » a pour vocation de contribuer à une meilleure connaissance du patrimoine culturel coréen par la diffusion d’informations à caractère artistique et culturel. Au thème spécial dont traite chaque numéro en profondeur et sous différents angles, s’ajoute une présentation d’artisans traditionnels, d’aspects de la vie quotidienne et de sites naturels, ainsi que de nombreux autres sujets. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 33$US 60$US 81$US Autres 37$US 68$US 93$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 7$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Korea Focus

Webzine mensuel (www.koreafocus.or.kr) et revue trimestrielle, « Korea Focus » offre des analyses politiques, économiques, sociologiques et culturelles relatives à la Corée et complétées de questions internationales connexes. Créée en 1993, elle apporte ces informations essentielles selon un point de vue objectif tout en cherchant à favoriser une meilleure compréhension de la Corée sur la scène internationale et l’essor des études coréennes dans les établissements universitaires étrangers à travers une sélection d’articles extraits des principaux quotidiens, magazines d’actualité et revues scientifiques. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 28$US 52$US 71$US Autres 32$US 60$US 81$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 5$US, plus frais d’affranchissement par avion.)

Korean Cultural Heritage

Il s’agit d’un recueil d’articles et photographies issus des précédents numéros de « Koreana » sous forme de quatre tomes bien distincts. Ceux-ci fournissent une présentation complète et systématique de la culture coréenne par des études fouillées et une photographie en couleur de haute qualité. (Tome I Beaux-arts, Tome II Pensée et religion, Tome III Arts du spectacle, Tome IV Modes de vie traditionnels) Prix du tome : 40$US (frais d'envoi non compris).

Fragrance of Korea

Rédigé en langue anglaise et abondamment illustré, le catalogue « Fragrance of Korea : The Ancient GiltBronze Incense Burner of Baekje » est consacré à l’Encensoir en bronze doré de Baekje, un chef-d’œuvre ancien classé Trésor national coréen n° 287 et admiré pour sa délicate beauté qui témoigne d’un savoir-faire accompli dans le travail des métaux tel qu’il fut pratiqué en Extrême-Orient. Cet ouvrage de 110 pages illustrées de photographies et dessins comporte trois essais intitulés : « Signification historique de l’Encensoir en bronze doré de Baekje », « Dynamiques culturelles et diversité : du Boshanlu taoïste à l’encensoir bouddhique de Baekje » et « Le site du temple bouddhique de Neungsan-ri à Buyeo ». Prix du tome : 25$US (frais d'envoi non compris).


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