HIVER 2020
ARTS ET CULTURE DE CORÉE
RUBRIQUE SPÉCIALE
La peinture populaire
Le minhwa ,
peinture porte-bonheur VOL. 21 N° 4
ISSN 1225-9101
IMAGE DE CORÉE
L’année où disparurent nez et bouches
C
’était en 2020, se rappellera-t-on. Sur les visages, seuls des yeux où se lisait l’inquiétude émergeaient de larges bandes de tissu recouvrant nez et bouche… Cette vision qui paraissait tout droit sortie d’un cauchemar allait peu à peu faire partie du quotidien, et l’humanité, se résigner à cette catastrophe avec une inquiétante facilité. Le plus souvent, le mot « masque » peut évoquer le roman classique L’homme au masque de fer, les masques de bois peint du théâtre traditionnel ou un bal costumé, voire les étudiants qui descendent dans la rue ou manifestent sur leur campus. Depuis quelque temps, existent aussi des masques spéciaux contre une pollution désormais endémique, notamment par le sable jaune, ces fameux modèles de type KF94 dont veillent à se munir les citadins coréens, tout comme moi-même, lors de chacune de leurs sorties. De mon point de vue, ces pratiques antérieures à la survenue de la pandémie de Covid-19 sont peut-être au nombre de celles qui ont permis de combattre ce fléau. Quand, dans quelques années, nous nous remémorerons ce terrible printemps 2020, nous reverrons en esprit les files d’attente qui s’étiraient devant les pharmacies où chacun devait présenter une pièce d’identité pour acheter ses masques en nombre limité. Aujourd’hui, leur emploi constitue la norme dans les rapports humains, car l’efficacité sans pareille en a été démontrée pour se prémunir d’une contamination par des personnes asymptomatiques ou faiblement atteintes. En de manquement à cette « règle » dans les lieux publics, les contrevenants sont passibles d’une amende, le port d’un masque ne résultant donc plus d’un choix personnel, mais d’une obligation imposée au nom de la santé publique. De nouvelles tendances n’ont pas tardé à se manifester dans ce domaine, notamment l’apparition des fameux « KF Health Masks » et « KF-AD Droplet Blocking Masks », qui sont respectivement des masques sanitaires et de blocage des gouttelettes, mais tous deux à usage estival, auxquels sont venus s’ajouter divers accessoires tels que les sangles, certains consommateurs faisant passer les considérations esthétiques avant l’exigence d’une protection optimale. « Avez-vous vu ces yeux ? » semblent parfois dire du regard les femmes qui se ruent désormais sur les crayons à yeux, fards à paupières et mascaras, délaissant les produits destinés aux autres parties du visage, comme en attestent leurs ventes en chute libre. Quand donc viendra le jour où, nez et bouche enfin découverts, nous pourrons de nouveau goûter au plaisir simple de voir quelqu’un sourire près de nous ?
Kim Hwa-young Critique littéraire et membre de l’Académie coréenne des arts © Yonhap News
Lettre de la rédactrice en chef
Comme un vaccin de l’esprit où retrouver l’espoir Alors qu’approche la fin de cette année 2020, le monde n’en finit pas de se battre avec une pandémie qui étend partout ses ravages, impuissant à enrayer sa progression, puisque pas moins de 68 014 594 cas de contamination et 1 553 169 décès ont d’ores et déjà été dénombrés par l’Université Johns Hopkins. En Corée du Sud, sa recrudescence actuelle jette chacun dans l’incertitude et remet en question la réussite des mesures déjà adoptées pour lutter contre la maladie. Dans ce contexte des plus sombres, l’administration d’un nouveau vaccin constitue une nouvelle fort encourageante, bien que sa portée reste dans l’immédiat limitée et que des doutes subsistent quant à la fiabilité et à l’efficacité du produit, ces premières inoculations marquant en tout état de cause l’entrée dans une nouvelle phase de la guerre du coronavirus. Au cours de ces longs mois qui ont vu proscrire réunions et déplacements, la parution de notre revue s’est heurtée à d’exceptionnelles difficultés, mais souhaitons que son aboutissement au présent numéro intitulé Le minhwa, peinture porte-bonheur apporte à sa façon une bouffée d’oxygène dans la lourdeur de l’atmosphère actuelle. D’abord et avant tout, cette livraison se veut l’expression de notre espoir que l’humanité jugule enfin cette crise et retrouve dès que possible un mode de vie normal. Les articles de sa rubrique spéciale permettront au lectorat de découvrir ou redécouvrir l’univers si particulier de cette peinture populaire coréenne dont les charmantes œuvres, créations d’artistes anonymes, surent faire renaître la joie et l’espérance en des temps où malheur et maladie semblaient insurmontables aux hommes. Choi Jung-wha Rédactrice en chef
ÉDITEUR
Lee Geun
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Kang Young-pil
RÉDACTRICE EN CHEF Choi Jung-wha RÉVISEUR
Suzanne Salinas
COMITÉ DE RÉDACTION
Han Kyung-koo
Benjamin Joinau
Jung Duk-hyun
Kim Hwa-young
Kim Young-na
Koh Mi-seok
Charles La Shure
Song Hye-jin
Song Young-man
Yoon Se-young
TRADUCTION
Kim Jeong-yeon
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE
Kim Sin
RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
Ji Geun-hwa, Ham So-yeon
DIRECTEUR ARTISTIQUE
Kim Ji-yeon
DESIGNERS
Jang Ga-eun, Yeob Lan-kyeong
CONCEPTION ET MISE EN PAGE
Kim’s Communication Associates
240-21, Munbal-ro, Paju-si,
Gyeonggi-do 10881, Korea
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ABONNEMENTS ET CORRESPONDANCE Prix au numéro en Corée : 6 000 wons Autres pays : 9 $US AUTRES RÉGIONS, Y COMPRIS LA CORÉE Voir les tarifs d’abonnement spéciaux à la page 80 de ce numéro.
ARTS ET CULTURE DE CORÉE Hiver 2020 IMPRIMÉ EN HIVER 2020 Samsung Moonwha Printing Co. 10 Achasan-ro 11-gil, Seongdong-gu, Seoul 04796, Korea Tel : 82-2-468-0361/5 © Fondation de Corée 2020 Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 55 Sinjung-ro, Seogwipo-si, Jeju-do 63565, Korea https://www.koreana.or.kr
Pie et tigre Anonyme Début du XXe siècle Encre et couleurs sur papier, 88 cm × 52 cm Musée Gahoe
Tous droits réservés.Toute reproduction intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de la Fondation de Corée, est illicite. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction de Koreana ou de la Fondation de Corée. Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprès du ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n°Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais, allemand et indonésien.
Le minhwa, peinture porte-bonheur 04
RUBRIQUE SPÉCIALE 1
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RUBRIQUE SPÉCIALE 3
Un art de la paix et du bonheur
Une symbolique de la vie
Chung Byung-mo
Im Doo-bin
12
30
RUBRIQUE SPÉCIALE 2
Mon tres cher minhwa Yoon Yul-soo
RUBRIQUE SPÉCIALE 4
La peinture populaire traditionnelle du XXIe siecle Moon Ji-hye
© Musée national d’art populaire
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DOSSIERS
Ces clips de K-pop qui révolutionnent la musique
48 ESCAPADE
64
Méditations sur un sentier de montagne
Un itinéraire initiatique trouble et captivant
Lee Chang-guy
Kim Yoon-ha
40
HISTOIRES DES DEUX CORÉES
La mémoire des enfances oubliées
Choi Jae-bong
56
INGRÉDIENTS CULINAIRES
Tout est bon dans le lieu jaune Jeong Jae-hoon
Kim Hak-soon
44
AMOUREUX DE LA CORÉE
Des rêves en deux langues Cho Yoon-jung
APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
60
MODE DE VIE
Une voiture en guise de tente Kim Dong-hwan
Vertiges Kim Se-hee
RUBRIQUE SPÉCIALE 1
Le minhwa , peinture porte-bonheur
UN ART DE LA PAIX ET DU BONHEUR En Corée, la peinture populaire d’autrefois, par sa double aspiration à éloigner les esprits maléfiques et à susciter l’espérance, témoignait sous forme artistique de l’optimisme et de la résilience du peuple, comme en atteste encore le renouveau qu’elle connaît dans une version plus actuelle. Chung Byung-mo Professeur au Département des biens culturels de l’Université de Gyeongju
Paravent pliant à quatre panneaux avec pivoines, XIXe-début XXe siècles. Encre et couleurs sur soie. 272 cm × 122,5 cm (par panneau). Musée du Palais national de Corée. Évoquant depuis toujours richesse et prestige, la pivoine est l’un des motifs de prédilection de la peinture populaire, outre qu’elle se trouve souvent dans les décors du mobilier et les impressions de l’habillement. Les paravents pliants ornés de ce motif, qui peuvent se composer de quatre, six ou huit panneaux, viennent agrémenter intérieurs et salles de cérémonie des mariages.
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E
n des temps lointains où les Coréens voyaient dans les épidémies l’œuvre de forces malfaisantes, ils avaient coutume d’accrocher à leur porte des images de Cheoyong, le fils du Roi Dragon, censé combattre le Dieu de la Variole appelé yeoksin. Cette pratique était apparue sous le royaume de Silla unifié, plus précisément à l’époque du roi Heongang (r. 875-886), où paix et prospérité régnaient comme jamais auparavant sur toute la péninsule depuis le XVIIe siècle et la réunification des Trois Royaumes. Une légende veut que ce monarque, lors d’un séjour dans le village côtier de Gaeunpo, l’actuelle Ulsan, ait été importuné par un soudain amoncellement de nuages et, inquiété par ce phénomène, qu’il en ait demandé la raison à l’astronome de la cour, lequel lui répondit : « C’est l’œuvre du Roi Dragon. Il convient de l’apaiser ». Le souverain s’exécuta sans plus attendre en ordonnant la construction d’un temple voué à cette divinité qui chassa aussitôt brumes et nuées. Afin d’être récompensé de son aide, le Roi Dragon demanda à son fils Cheoyong de partir pour Silla, où le roi lui confia une importante charge de l’État et lui trouva une épouse
d’une grande beauté. Ce trait eut malheureusement de funestes conséquences, car il suscita le désir du Dieu de la Variole lui-même, que Cheoyong découvrit auprès de sa femme en revenant chez lui par une nuit de clair de lune. À la vue de cette scène, il laissa échapper la plainte suivante : « Deux de ces jambes sont miennes, mais à qui appartiennent les deux autres ? Les deux premières étaient miennes, mais que faire si quelqu’un s’en est emparé ? » À ces mots, il préféra s’effacer, mais le Dieu de la Variole, ému par la grandeur d’âme de Cheoyong, fit le serment de ne jamais s’approcher d’une maison dont la porte serait à son effigie.
Sources et symbolisme
Si l’art du minhwa provient à l’origine des peintures rupestres de la préhistoire, les premières représentations graphiques ayant figuré dans un document écrit sont les images de Cheoyong. La manière dont ce dernier, au lieu de céder à la colère, fit preuve de noblesse de cœur en chantant et dansant devant le Dieu de la Variole, est tout aussi remarquable. Pendant la période de Joseon (1392-1910), des images de dragons ou de tigres se joignirent
1. Masque de Cheoyong à chapeau orné de pivoines et pêches. Le traité Akhak gwebeom, ou « Canons de la musique » (1493), rédigé par l’Académie royale de musique de Joseon présente, dans son neuvième tome, des illustrations du masque et du costume portés par les exécutants de la Danse de Cheoyong. 1
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2. Chaekgeori, XIXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 45,3 cm × 32,3 cm. Collection privée. Les peintures dites « chaekgeori » abondent en symboles de bon augure. Les livres représentent le succès, tandis que la pastèque symbolise de nombreux fils, la pêche, la longévité, et la fleur de lotus, le bonheur.
à son portrait sur les portes des habitations et, quand arrivait le Nouvel an lunaire, on en apposait même de part et d’autre de celles-ci. Tandis que le tigre avait pour mission de chasser les esprits malveillants, le dragon se devait d’attirer les plus favorables, la présence de ces deux animaux poursuivant donc un même but par un biais différent dans cette pratique incantatoire destinée à assurer paix et bonheur dans les familles. Au XIXe siècle, l’essor du commerce coréen eut pour conséquence de favoriser le goût de la peinture dans toutes les catégories sociales, et par-là même, une diversification du style et des sujets propres au genre du minhwa. Son imagerie ayant vocation à exprimer un souhait de bonheur, Fumikazu Kishi, historien de l’art et professeur japonais de l’Université de Doshisha, proposa en son temps de désigner le minhwa par l’expression « haengbokhwa », c’est-à-dire « peinture du bonheur ». Une même intention se manifeste dans la peinture populaire d’autres pays d’Asie, tels la Chine, le Japon ou le Vietnam, dont certaines œuvres comportent des caractères chinois désignant les souhaits, chers au peuple, de bonne fortune, succès et longue vie. À cela s’ajoutent souvent des représentations de pivoines, fleurs de lotus, phénix et chauves-souris, tous symboles de bonheur, tandis que pastèque, grenade, raisin ou graines de lotus évoquent une nombreuse descendance masculine et qu’amarante, queue de paon, livre et carpe signifient un souhait de succès, le vœu de longévité étant quant à lui suggéré par le bambou, la grue, le soleil et la lune, la tortue, le cerf et le champignon de l’immortalité. Par les préoccupations spécifiques qu’elle traduit, la peinture populaire de l’Extrême-Orient se distingue de celle des pays occidentaux, où amour et hantise de la mort s’ajoutent au thème du bonheur. La valeur symbolique de noblesse d’âme et de prospérité dont est revêtue la pivoine tire sa source d’un poème chinois intitulé Sur l’amour du lotus que composa l’illustre penseur néo-confucianiste Zhou Dunyi au temps de la dynastie des Song. Les mots « noble fortuné » y sont employés à son propos, tandis que ceux de « reclus » et de « gentilhomme » désignent res-
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pectivement le chrysanthème et le lotus. Dans la société de Joseon, l’usage de cette symbolique aurait paru choquant eu égard à cette pensée de Confucius, que révéraient les lettrés d’alors : « Il me suffit de manger du riz, de boire de l’eau et de poser la tête sur mon bras replié pour éprouver de la joie. Les biens et honneurs mal acquis ressemblent à mes yeux aux nuages qui passent dans le ciel ». Jamais les érudits de jadis ne se seraient abaissés à évoquer la richesse, la noblesse ou la gloire, toutes choses matérielles ici-bas.
Les vertus confucéennes
Au XIXe siècle, la pivoine fut préférée à toute autre fleur en peinture et, afin de pouvoir jouir d’une vie harmonieuse, chaque famille se devait de posséder son paravent magnifiquement décoré de ce motif qui ajoutait en outre une touche de
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gaieté aux réunions festives. Cette évolution peut s’expliquer par la démarche plus réaliste qu’adoptèrent les lettrés confucianistes suite aux quatre longues guerres que dut mener le pays contre les envahisseurs japonais (1592-98) et mandchous (1627, 1636-1637) : les adeptes d’hier du débat philosophique centré sur la quête des valeurs fondamentales s’ouvraient à une réalité visant à la satisfaction de besoins concrets. Si les sujets de Joseon se lancèrent assez tardivement dans la « course au bonheur », ils embrassèrent cette aspiration avec plus de ferveur que les autres peuples d’Extrême-Orient. Pour autant, le genre du minhwa ne put s’affranchir tout à fait des contraintes inhérentes au confucianisme et l’espoir de bonheur qu’il véhiculait dut se conformer au cadre éthique qui lui était imparti par cette idéologie en adoptant des formes d’expression nouvelles. Les idéogrammes ornés du genre dit munjado en fournissent un bon exemple. Tandis qu’ailleurs en Extrême-Orient, les caractères privilégiés de cette iconographie consistaient en ceux de bon augure vis-à-vis du bonheur, de la réussite ou de la longévité, ils se composaient, pour les gens de Joseon, de ceux qui représentaient les huit vertus confucéennes que sont la piété filiale, l’amour fraternel, la loyauté, la fiabilité, la courtoisie, la respectabilité, la frugalité et la capacité à éprouver le sentiment de honte. Au fil du temps, idéogrammes ornés rappelant ces idéaux cédèrent la place à une imagerie fondée sur les fleurs et oiseaux qui revenait à exprimer le souhait d’un bonheur très prosaïque sous les dehors d’une conformité aux plus hautes valeurs. C’est ainsi que la peinture idéographique confucéenne se fit l’écho de l’aspiration au bienêtre matériel, plutôt que de la bannir, sans pour autant se départir de son symbolisme traditionnel.
Une sensibilité heureuse
Né de l’aspiration humaine au bonheur, le minhwa engendre l’allégresse en recourant aux traits d’humour et couleurs vives, et ce, non seulement en vue de véhiculer un sens de manière symbolique, mais aussi pour le simple plaisir des yeux que procurent ses images éclatantes. Pour le royaume de Joseon, la seconde moi-
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Au XIX e siècle, l’essor du commerce coréen eut pour conséquence de favoriser le goût de la peinture dans toutes les catégories sociales, et par-là même, une diversification du style et des sujets propres au genre du minhwa .
tié du XIXe siècle allait comporter d’importants enjeux politiques et économiques, notamment en raison de la violation de ses eaux territoriales par des puissances occidentales telles que la Russie, l’Angleterre, la France et les États-Unis, et de ce fait, le voir s’affaiblir progressivement jusqu’à son annexion par le Japon. À ces heures sombres de son histoire, les productions du minhwa s’avérèrent pourtant le plus souvent gaies, agréables et presque totalement dépourvues de morosité, à l’instar d’un peuple qui s’efforçait d’affronter ses difficultés de manière constructive. Curieusement, cette forme d’art d’origine ancienne semble avoir conquis les Coréens d’aujourd’hui, notamment, dans un premier temps, des femmes au foyer qui, à leurs heures perdues, se sont essayées à cette peinture traditionnelle appelée à devenir un genre à part entière sur la scène contemporaine. Au fur et à mesure qu’il accroît sa présence dans ce domaine et qu’il suscite de nouvelles vocations chez les artistes, le minhwa semble ainsi revivre ses heures de gloire. À n’en pas douter, ce renouveau tient à la dimension de porte-bonheur que revêtent ses images et, bien que cette dimension propitiatoire repose sur de simples croyances, l’impression de gaieté qui s’en dégage paraît insuffler à l’observateur une énergie saine et communicative qui pourrait bien
Dragon et tigre (détail), XIXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 98,5 cm × 59 cm (par panneau). Collection privée. Les croyances populaires attribuaient au dragon le pouvoir de chasser les esprits maléfiques. Les bouddhistes y voyant le protecteur du dharma, c’est-àdire de la loi et de l’ordre cosmique, il figure souvent parmi les motifs qui ornent les temples. Au panneau présenté ci-contre, s’ajoute un second à décor de tigre, l’un et l’autre de ces animaux dits féroces étant représentés ici de manière comique.
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La passion d’un architecte Dès que l’on évoque la peinture populaire coréenne, le nom qui revient invariablement est celui de Zo Za-yong, aussi connu par son surnom de Monsieur Tigre, car, en dépit d’une expérience artistique restreinte, il s’emploie depuis toujours à faire redécouvrir la beauté et la valeur du minhwa par les Coréens, ainsi qu’à en révéler l’existence à l’étranger. Chung Byung-mo Professeur au Département des biens culturels de l’Université de Gyeongju
Q
ue ce soit par ses études ou sa carrière professionnelle, rien ne sem-
qui sont représentés en tant que divinités gardiennes de-
blait destiner Zo Za-yong à se passionner autant pour la peinture popu-
puis des temps anciens. Quelques années plus tard, elle
laire coréenne de type traditionnel : parti en 1947 étudier le génie civil à l’Uni-
allait prendre une valeur emblématique de l’ensemble de
versité Vanderbilt et titulaire d’une maîtrise d’architecture de l’Université de
la peinture populaire et inspirer la création de Hodori, le
Harvard, il allait retourner au pays sept ans plus tard et exercer dans le cadre
tigre mascotte des Jeux Olympiques de Séoul de 1988.
des nombreux projets de reconstruction entrepris dans l’après-guerre. Après
À sa suite, Zo Za-yong allait découvrir avec non moins
quelques hauts et bas, il allait peu à peu s’orienter vers des activités liées au
d’admiration une peinture intitulée Geumgangdo , c’est-à-
patrimoine culturel coréen.
dire mont Geumgang, dans laquelle se manifestaient une
Une révélation se produira, un beau jour, à la vue des quatre piliers de
conception de l’univers et un style artistique propres à la
pierre parfaitement alignés qui soutiennent l’imposant toit surmontant la
Corée. À une représentation réaliste du paysage, cette
grande porte du temple de Beomeo situé à Busan. Dès lors, Zo Za-yong
œuvre préfère un alignement fictif des légendaires douze
n’aura de cesse de parcourir le pays afin d’observer le plus grand nombre
mille cimes vertigineuses que Zo Za-yong allait interpréter
possible de constructions traditionnelles et d’en recueillir des tuiles, qui sont
comme une vision de la création de l’univers imprégnée
si caractéristiques de l’architecture prémoderne. C’est en 1967 qu’intervient
d’animisme et de l’esprit du minhwa.
un tournant dans sa vie lors de l’achat de moules à gâteaux de riz dans l’un de ces vieux magasins qui font la renommée du quartier séoulien d’Insa-dong,
Un art pragmatique
aux côtés de ses salons de thé à l’ancienne. Sur le papier d’emballage de ces
Dès ce moment, Zo Za-yong allait consacrer toute son
articles, était imprimée une image représentant deux figures de prédilection
énergie à mieux faire apprécier la beauté et la valeur ar-
de la peinture populaire traditionnelle coréenne, à savoir le tigre et la pie.
tistique du minhwa tant en Corée qu’à l’étranger, où il a
Cette illustration évocatrice
respectivement organisé à ce jour dix-sept et douze expo-
d’un tableau de Picasso le
sitions. Tout comme ces manifestations, les conférences
frappa particulièrement par
qu’il a données aux États-Unis et au Japon ont suscité un
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l’expression plutôt sympa-
intérêt particulier. Trésors du mont Geumgang , au Centre
thique et naïve du premier. Il
Est-Ouest de l’Université d’Hawaï en 1976, Esprit du tigre :
s’agissait d’une reproduction
art populaire de Corée , au Thomas Burke Memorial Was-
de la célèbre peinture intitu-
hington State Museum de Seattle en 1980, L’œil du tigre ,
lée Kkachi horangi , c’est-à-dire
la même année, au Musée international Mingei de San
« Pie et tigre », dans laquelle
Diego, Dragon bleu et tigre blanc , à l’Oakland Museum
Zo Za-yong verra une réfé-
of California, en 1981 et Gardiens du bonheur , au Musée
rence aux croyances popu-
d’artisanat et d’art populaires de Los Angeles en 1982 :
laires, puisque le tigre est au
autant de titres qui sont en eux-mêmes évocateurs des
nombre des quatre animaux
caractères distinctifs de la peinture populaire coréenne
que Zo Za-yong aspirait à mettre en valeur à l’intention du
de promotion à l’étranger et
public étranger par ces manifestations.
à faire édifier le temple de
Selon Zo Za-yong, les minhwa ont su s’affranchir des
Samsin, tout en travaillant à
limitations imposées par les canons de la beauté en pein-
la défense de la culture me-
ture en se présentant non comme des œuvres d’art, mais
nacée de disparition de nos
dans la perspective plus large de la vie et de la nature hu-
villages. » (Zo Za-yong, À la
maine dont ils sont partie intégrante. À ses yeux, les pein-
recherche de la matrice de la
tures de cour réalisées à des fins pratiques, notamment
culture coréenne [Uri mun-
décoratives ou rituelles, appartenaient au minhwa au
hwa-ui motae-reul chajaseo],
même titre que la peinture bouddhique ou chamanique.
2000, Ahn Graphics.)
En conférant ainsi un sens plus étendu à la peinture popu-
Au tournant du nouveau
laire, Zo Za-yong s’employait à la mettre en valeur et à en
millénaire, Zo Za-yong avait
faire reconnaître l’importance.
enfin réalisé un rêve qui lui
Par sa perception de cet art, il se démarqua donc de la
était cher en mettant sur
définition qu’en avait proposé le critique d’art japonais et
pied l’exposition Roi gobelin,
fondateur du mouvement de l’art populaire mingei Yanagi
du dragon et du tigre pour
Muneyoshi, pas plus qu’il ne se reconnut dans la notion
les enfants dans le cadre de
d’« art du peuple » proposée par William Morris, figure
l’Exposition universelle de
de proue du mouvement britannique des arts et métiers.
Daejeon, mais, alors que se
Enfin, il s’inscrivit aussi en faux contre l’idée avancée par
déroulait cette manifestation,
les historiens de l’art coréens selon laquelle minhwa et
il allait être emporté par une
peinture de cour constituent deux genres bien distincts.
maladie cardiaque, entouré
3 © Park Bo-ha
de ses minhwa bien-aimés. En 2013, la Société commémorative de Zo Za-yong a
La croyance en Samsin
été créée afin d’honorer sa mémoire et de perpétuer son héritage, tandis que,
L’amour et l’intérêt qu’éprouvait Zo Za-yong pour la
depuis 2014, le Musée Gahoe propose au début de chaque année son festival
peinture populaire l’incitèrent à entamer une profonde
culturel Daegal dans les locaux du Centre d’art Insa d’Insa-dong. Nul doute que Zo
réflexion sur l’esprit dont elle est animée. Par le biais du
Za-yong restera longtemps dans les mémoires en raison du travail de recherche
minhwa , il poussa sa recherche jusqu’aux sources de l’art
colossal qu’il a accompli pour remonter aux sources de la culture coréenne par le
coréen, de même qu’il s’employa à définir les fondements
biais de cette peinture populaire traditionnelle qu’il s’est attaché à faire connaître
de la vie spirituelle du peuple coréen et, par-là, de sa
de par le monde.
culture, ce qui le fit parvenir à la conclusion qu’elles reposaient sur la croyance du chamanisme en Samsin, cette « triple déesse » qui veille sur les naissances. S’agissant de ces études sur les origines de la culture coréenne, il affirma ce qui suit : « Mon travail sur les dokkebi [gobelins coréens], le tigre, le Dieu de la Montagne et la tortue m’a permis de commencer à comprendre, bien que de manière encore très limitée, de quoi était faite la culture de mes parents. J’ai retrouvé la matrice de la culture de notre peuple dans ce que j’appellerais minmunhwa , c’est-à-dire la culture populaire. […] C’est cette démarche qui m’a amené à chercher sans relâche des vestiges historiques, à recueillir des documents, à ouvrir un musée, à prendre l’initiative d’actions
1. Pie et tigre, fin du XIXe siècle. Encres et couleurs sur papier. 91,5 cm × 54,5 cm. Musée d’Art Leeum Samsung. Cette œuvre qui fascina Zo Za-yong au point de changer le cours de sa vie a par ailleurs, inspiré la création de Hodori, mascotte des Jeux Olympiques de Séoul en 1988. 2. Paravent pliant à huit panneaux représentant le mont Geumgang (détail). Date inconnue. Encre et couleurs sur papier. 59,3 cm × 33,4 cm (par panneau). Musée national d’art populaire. Ce spécimen de la peinture dite jingyeong sansuhwa, c’est-à-dire du « paysage authentique », fournit une illustration du style original de ce genre artistique créé par le peintre de cour Jeong Seon (1676-1759) sous le royaume de Joseon. Le panneau cicontre représente la Guryong Pokpo ou « chute des neuf dragons ». 3. Après des études d’ingénierie des structures effectuées aux États-Unis, l’architecte Zo Za-yong allait s’illustrer par nombre de réalisations remarquables, mais, après être tombé sous le charme d’une peinture de tigre due à un artiste anonyme, il consacra toute sa vie à des recherches sur l’art populaire coréen.
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Le minhwa , peinture porte-bonheur
MON TRÈS CHER MINHWA Tout au long de sa vie, Yoon Yul-soo s’est employé à rassembler, étudier et exposer des œuvres de cette peinture populaire coréenne qui est devenue sa passion dès son entrée au Musée Emille de Séoul en tant que conservateur. Aujourd’hui, il pose un regard empreint de tendresse sur les peurs et bonheurs qu’il y a connus aux côtés des tigres, dragons, pies, pivoines et fleurs de lotus qui peuplent les créations de l’art du minhwa . Yoon Yul-soo Directeur du Musée Gahoe
S
ituée dans la province du Jeolla du Nord, la petite ville de Namwon où j’ai grandi regorge de vestiges anciens remontant à la période des Trois Royaumes et il suffisait autrefois aux paysans de labourer leur champ pour tomber aussitôt sur quelques fragments de faïence, voire des récipients qui avaient conservé intacte leur forme d’origine. Dans mon enfance, je rapportais à la maison les tessons que j’avais trouvés pour les collectionner et cette habitude m’est restée. Ce goût des collections avait commencé par celui des timbres, dont je possédais déjà un nombre impressionnant quand j’étais au cours primaire, après en avoir accumulé plusieurs années durant. Malheureusement, certains d’entre eux me furent dérobés, ce qui me découragea de continuer et me fit rechercher des objets moins faciles à subtiliser. Mon choix s’est alors porté sur les bujeok, ces amulettes que les familles coréennes possédaient presque toutes. J’en ai réuni une grande quantité quand j’effectuais mon service militaire, car mes camarades, connaissant ma marotte, m’en
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rapportaient au retour des permissions, ce qui m’a permis d’en acquérir en provenance de tout le pays. En avril 1973, peu après mon départ du régiment, j’allais être engagé comme conservateur par le Musée Emille fondé par Zo Za-yong et m’y découvrir une passion pour la peinture populaire que je nourris aujourd’hui encore.
Le Musée Emille
Architecte de par la formation qu’il acquit aux États-Unis, Zo Za-yong était aussi un grand connaisseur de culture et d’art traditionnels coréens, en particulier de cette peinture populaire qu’il collectionnait avec ferveur. Le profane que j’étais dans ce domaine, en dépit de ma fonction de conservateur, s’asseyait presque tous les jours à ses côtés pour examiner une pièce donnée et en discuter longuement. À force de me livrer à ce rituel quotidien, j’allais me familiariser avec plusieurs centaines d’œuvres et, ce faisant, acquérir un jugement plus sûr dans cet art, mais aussi éprouver pour lui une véritable passion.
Pie et tigre, XXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 98,3 cm × 37 cm. Musée Gahoe. Cette œuvre se distingue par une originale composition plaçant les deux animaux le long d’un axe vertical sur fond de pivoines et reliefs montagneux.
ARTS ET CULTURE DE CORÉE 13
En novembre 1975, afin de faire découvrir l’art populaire coréen à l’étranger, Zo Za-yong met sur pied une exposition itinérante qui doit emporter trente-deux des peintures de la collection du musée aux États-Unis, en commençant par Hawaï. J’allais, dans ce cadre, être chargé de l’organisation de chacune de ces manifestations, dont celle qui s’est déroulée en 1981 à l’Oakland Museum of California, première étape du périple. Constatant l’engouement qu’elle suscitait dans le public, j’ai acquis la certitude que des perspectives prometteuses s’ouvraient à la peinture populaire coréenne. Deux ans après, le Musée Emille quittait le quartier séoulien de Deungchon-dong pour s’installer au pied du mont Songni situé dans le canton de Boeun, qui appartient à la province du Chungcheong du Nord. La démission que j’ai dû me résigner à remettre n’a entamé en rien la véritable passion que je voue au minhwa et, tout en occupant d’autres fonctions par ailleurs, j’en ai poursuivi l’étude sans discontinuer, ce qui m’a amené à sillonner le pays en quête de toujours plus de spécimens. Cette façon de procéder me paraissait la meilleure qui soit pour apprendre, outre que de nouvelles pièces venaient sans cesse grossir ma collection.
Le Musée Gahoe
Fort des connaissances et de l’expérience acquises au cours de trente années de carrière de conservateur, je nourrissais le rêve de diriger moimême un musée, mais c’est par le plus grand des hasards qu’il allait un beau jour se réaliser. La veille même de la clôture des candidatures, je suis tombé sur une offre d’emploi émanant de la Seoul Housing and Communities Corporation et portant sur le poste de directeur d’un musée devant prochainement ouvrir à Bukchon, un haut lieu du tourisme en raison de ses nombreuses maisons traditionnelles dites hanok. Avec l’aide de mon
Le général Zhang Fei, XIXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 111 cm × 64 cm. Musée Gahoe. Les nombreux événements et hauts personnages qu’évoque le roman historique chinois Romance des trois royaumes ont souvent fourni le sujet de peintures à but éducatif. L’œuvre ci-dessus représente avec humour l’intrépide général Zhang Fei qui prêta main forte au seigneur de guerre Liu Bei dans la reconquête de Shu Han.
14 KOREANA Hiver 2020
Par sa proximité avec le peuple dont il dépeint le quotidien, l’art du minhwa représente l’expression de l’âme coréenne et j’apprécie d’autant plus l’occasion qui s’offre à moi de diriger le musée qui lui est consacré au sein du village de hanok de Bukchon, ce lieu encore imprégné de l’atmosphère de jadis. épouse, je me suis empressé de réunir les documents requis afin de saisir cette exceptionnelle occasion de mettre à profit mes connaissances et de m’adonner à ma passion. Le minhwa et les hanok se mariaient admirablement : le premier, si proche du vécu du peuple et expression de la quintessence de l’âme coréenne, et les secondes, d’où émane un parfum de la vie d’autrefois. Que rêver de mieux que ce musée du minhwa situé au cœur du quartier de hanok de Bukchon ? Après de longs préparatifs, cet établissement allait enfin ouvrir ses portes en 2002 dans l’une des maisons du quartier. Après bien des discussions sur son organisation, son nom et la forme que prendraient les expositions, mon épouse et moi sommes parvenus à la conclusion qu’il convenait de relier les pièces entre elles afin de disposer d’un vaste espace décloisonné et d’opter pour un chauffage au sol. Bien des écueils m’attendaient, car j’avais déjà consacré toutes mes économies à l’acquisition de peintures anciennes et manquais donc de fonds, mais c’était sans compter sur l’indéfectible soutien moral et financier de mon épouse, sans laquelle le musée Gahoe n’aurait pu voir le jour. Ayant étudié l’histoire de Corée à l’université et étant de surcroît native de Séoul, elle comprenait tout l’intérêt que revêtirait un musée de ce type dans un tel lieu. Intitulée « La conjuration du mal », notre exposition inaugurale allait présenter les amulettes et œuvres de peinture populaire qui, parmi l’importante collection que j’avais constituée au fil du temps, étaient plus particulièrement destinées à chasser les esprits maléfiques. Les pre-
mières, d’une grande variété, comportaient notamment les dangsaju, qui évoquent l’avenir par une imagerie très simple afin d’être compris des personnes les moins instruites. Leurs coups de pinceau rappellent tout à fait ceux des secondes et, si leur style et leur fonction diffèrent fortement, elles n’en expriment pas moins dans les deux cas des sentiments humains. En revanche, tandis que les images de bonne aventure témoignent d’une certaine compassion envers l’homme et ses faiblesses, la peinture populaire se fait l’écho de l’aspiration universelle au bonheur. S’agissant d’une toute première exposition, le choix des dangsaju semblait donc pertinent, car, si d’autres manifestations de ce type avaient déjà été consacrées à ce thème, les amulettes elles-mêmes n’y avaient jamais figuré. Comme je ne disposais pas de suffisamment de place pour accrocher toutes ces images aux murs ou panneaux de la salle d’exposition, l’idée m’est venue de fixer l’excédent sur les traverses et chevrons du bâtiment, à la manière d’autrefois, les visiteurs devant dès lors s’allonger par terre pour pouvoir mieux les admirer. De manière fortuite, par le biais de cette exposition, je leur offrais donc la possibilité de découvrir par eux-mêmes les avantages du hanok, puisqu’ils pouvaient non seulement mieux apprécier les œuvres d’art, mais aussi retirer leurs chaussures, s’étendre et s’imprégner de l’atmosphère des lieux. C’est ainsi qu’est né le projet d’une deuxième exposition portant sur la peinture populaire qui recourt à la figure du tigre pour éloigner les forces malfaisantes. Présent dans la culture première des Coréens, cet animal emblématique était considé-
ARTS ET CULTURE DE CORÉE 15
ré par les anciens comme un être spirituel doté de pouvoirs mystiques, mais, avec le temps, le peuple lui a voué une grande affection.
Des manifestations internationales
Suite au succès de cette première initiative, notamment auprès de folkloristes coréens et de visiteurs étrangers intéressés par l’art et la religion populaires coréens, j’ai entrepris d’organiser chaque année une exposition temporaire qui rassemble des peintures provenant de ma collection personnelle. Quoique de faible envergure, ces manifestations m’apportent une réelle satisfaction, outre qu’elles me contraignent à procéder à un classement plus systématique des pièces que je possède. Ces expositions, dont le nombre s’élève à ce jour à vingt, ont comporté celles intitulées Idéo-
grammes ornés – Les vertus de la culture confucéenne (2003), À la recherche de l’origine de la religion populaire - Peintures du chamanisme (2004), La vie sur les berges du Cheonggye réhabilité (2005), Les peintures de pivoines (2006) et La beauté des peintures paysagères (2007). Par ailleurs, j’ai présenté certaines de mes pièces lors d’expositions qui se tenaient en province, car, quel que soit le cadre de ces manifestations, elles me permettent d’approfondir mes connaissances sur le sujet grâce aux catalogues très informatifs qui sont édités à ces différentes occasions. Après des débuts modestes au sein de notre petit musée, nous nous sommes diversifiés en étendant nos activités à l’international. Au nombre de nos expositions les plus mémorables, il convient de citer Onggi traditionnel coréen et peinture populaire (2006), qui a eu lieu au Musée Zanabazar des beaux-arts d’Oulan-Bator et mettait en évidence les traits d’esprit de l’art populaire coréen, Peinture populaire coréenne et livres illustrés (2010), au Musée d’art commémoratif Otani de la ville japonaise de Nishinomiya, La peinture chamanique coréenne (2010), au Centre culturel coréen de Paris, et Peinture populaire évoquant la longévité, le bonheur, la santé et la paix (2012), au musée Sayamaike d’Osaka. Entre les mois de janvier 2013 et de juillet 2015, huit autres manifestations se sont déroulées dans différentes villes d’Australie. Enfin, voilà deux ans, le Musée national d’art oriental de Moscou a accueilli une exposition de peinture populaire coréenne qui représentait une première du genre en Russie, suivi du Musée national d’art de Minsk où une manifestation a également eu lieu.
Les rêves d’aujourd’hui
Le musée Gahoe a ouvert ses portes en 2002 dans l’une des maisons d’autrefois qui composent le quartier de Bukchon situé au cœur de Séoul. Au nombre de ses deux mille pièces, se trouvent des œuvres de la peinture populaire, des amulettes et différents autres objets. Douze ans plus tard, cet établissement allait être déplacé en raison d’un plan d’urbanisme et il occupe aujourd’hui un bâtiment d’origine récente.
16 KOREANA Hiver 2020
Quarante années ont passé depuis que j’ai découvert le minhwa et j’ai aujourd’hui le projet de réunir cent peintures de tigres afin de monter une exposition temporaire sur ce sujet. Pour ce faire, il conviendra que j’effectue des recherches de manière très méthodique et rigoureuse à l’issue desquelles je présenterai le résultat de mes travaux dans un catalogue qui se devra d’intéresser le public aussi longtemps que possible, mais, avant de m’atteler à cette entreprise, il me faut reprendre un peu mon souffle.
Une vie pour moitié passée à étudier les chaekgeori C’est en 1973, lors d’un voyage en Corée, que Kay E. Black a découvert avec enthousiasme les
chaekgeori , ces peintures sur paravent qui représentent des livres et accessoires divers utilisés par les savants. Elle allait aussitôt se passionner pour cette forme d’art populaire traditionnel et se consacrer pendant près d’un demi-siècle à des recherches sur le sujet qu’évoque un ouvrage édité au mois de juin dernier à Séoul.
Lee Eun-ju Journaliste au JoongAng Ilbo
C
et été, un jour de juillet, je trouve
teure, j’ai été peinée d’apprendre qu’elle
sur mon bureau un livre que l’on y a
venait de décéder aux États-Unis. « Dès
études ». Pour ma part, j’ai entrepris de m’in-
déposé, comme cela se produit souvent,
la première impression, nous lui avions
former à son sujet auprès de différentes
puisque je me spécialise dans les arts, mais
fait parvenir un exemplaire », se souvient
sources et j’ai appris que cette native sans
à la différence toutefois que, cette fois-ci, il
tristement l’éditeur. « Bien que gravement
profession de Denver était partie pour
s’agit d’un ouvrage rédigé en anglais et in-
malade et alitée, elle était heureuse d’avoir
la Corée en 1973 en compagnie d’autres
titulé Ch’aekkori Painting: A Korean Jigsaw
son livre entre les mains, nous a-t-on dit,
amateurs d’art. Lors d’une visite au musée
Puzzle [la peinture coréenne : un puzzle co-
mais elle s’est malheureusement éteinte
Emille, parmi d’autres, elle n’avait pas man-
réen] dont l’auteur se nomme Kay E. Black.
peu après ».
qué de remarquer un paravent orné de
Intriguée, je l’ouvre à une page quel-
La maison d’édition le lui avait envoyé
chaekgeori qui l’avait aussitôt fascinée. Dès
conque et vois devant moi une superbe
par colis express à la fin du mois de juin et
son retour aux États-Unis, elle annoncera
image, puis quantité d’autres au fur et à
sa mort est survenue le 5 juillet à San Fran-
à sa famille son intention de reprendre ses
mesure que je feuillette l’ouvrage, et je ne
cisco, soit à peine dix jours plus tard, à l’âge
études, plus précisément dans le domaine
peux que m’en émerveiller, d’autant que
de quatre-vingt-douze ans.
des chaekgeori , et s’inscrira sans plus at-
ces œuvres datant de la période de Joseon
Dans l’espoir d’en apprendre davan-
tendre au Département des civilisations
ont été appréciées à leur juste valeur par
tage, je me suis penchée plus longuement
d’Asie de l’Université de Denver, foulant
une chercheuse étrangère dès les années
sur cette impressionnante étude scienti-
ainsi de nouveau le sol d’un campus à l’âge
1970.
fique des peintures dites chaekgeori dont
de quarante-cinq ans.
l’avant-propos au ton amical est signé
Plusieurs décennies de travail
d’Ahn Hwi-joon, un professeur émérite de
Une collaboration
Lorsque j’ai appelé l’éditeur de l’ouvrage
l’Université nationale de Séoul : « J’ai fait la
Les chaekgeori consistent en natures
connaissance de Kay E. Black à l'automne
mortes exécutées sur la toile d’un pa-
1996, pendant mon année sabbatique à
ravent et représentant des bibliothèques
pour tenter d’en savoir plus sur son au-
Après avoir découvert avec enthousiasme la peinture populaire coréenne lors de sa venue en 1973, Kay Black allait s’adonner à l’étude du genre du chaekgeori jusqu’à son décès survenu en juillet 2020.
l’Université de Californie de Berkeley. […]
chargées de livres ou des accessoires de
Lors de notre rencontre, j’ai aussitôt été
bureau tels que des instruments d’écriture,
frappé par l’authentique affection qu’elle
pots et brûleurs d’encens. Également dé-
éprouvait pour l’art coréen et par l’enthou-
signé par le terme chaekgado , ce genre,
siasme avec lequel elle y consacrait des
particulièrement prisé à la cour pendant
ARTS ET CULTURE DE CORÉE 17
tout le XVIIIe siècle et introduit dans l’art
recherches chez les universitaires coréens,
qui créa une unité d’études de la civilisation
populaire dès le XIX , connaît un regain
qui disposaient de sources écrites plus va-
coréenne à l’Université de Harvard ». Elle
de faveur depuis une dizaine d’années,
riées et plus abondantes. Si certaines des
exprimait aussi sa reconnaissance à Gari
comme en témoignent les importantes
idées avancées par Kay E. Black et Edward
Ledyard, ce professeur émérite de civili-
e
expositions dont il fait l’objet, alors qu’il
W. Wagner ont pu être rectifiées, voire
sation coréenne de l’Institut King Sejong
n’intéressait guère les chercheurs dans les
réfutées, leurs théories conservent toute
de l’Université de Columbia, pour lui avoir
années 1970.
leur valeur ».
présenté Edward W. Wagner au moment
Il y a donc lieu de s’étonner qu’il ait re-
Dans la préface du livre, la chercheuse
le plus opportun. Et d’ajouter : « J’ai l’espoir
tenu l’attention d’une touriste, de surcroît
affirmait quant à elle : « Douze années du-
que ces tout premiers efforts inciteront
étrangère, qui effectuait un simple voyage
rant, j’ai eu le privilège de travailler avec le
d’autres chercheurs à approfondir le sujet
d’agrément dans le pays au point de l’in-
regretté Edward W. Wagner (1924-2001),
et à reconstituer tout le puzzle ».
citer à entreprendre des recherches, dès la fin de la première moitié des années 1980, sur d’innombrables œuvres importantes du genre. Pour ce faire, elle allait photographier ces spécimens en Corée et dans nombre de pays, dont les EtatsUnis et le Japon, ainsi que d’autres en Europe. Au bout de quelques années, elle allait engager une collaboration avec le défunt Edward W. Wagner, ce professeur de civilisation coréenne de l’Université de Harvard dont les travaux sur la généalogie de la période de Joseon faisaient autorité. Ce spécialiste allait lui apporter son concours dans la recherche des lignées familiales complexes de plusieurs peintres de chaekgado , ces études donnant lieu à plusieurs articles dont les deux chercheurs furent co-auteurs dans les années 1990. S’exprimant à propos des études de Kay E. Black, Ahn Hwi-joon allait souligner : « Ils [les chaeokgeori ] étaient perçus comme l’œuvre d’anonymes et le reflet des goûts du peuple. Avec l’aide d’Edward W. Wagner, l’auteure allait cependant démentir cette idée reçue en montrant que certains artistes de cour pratiquaient aussi cet art apprécié jusque par les élites, voire par la royauté. La chercheuse les a classés selon trois catégories bien distinctes. » Ahn Hwijoon écrivait en outre : « La publication des articles de Kay E. Black et d’Edward W. Wagner a rapidement suscité de nouvelles
18 KOREANA Hiver 2020
2
Le courage et la persévérance
« C’est vraiment l’œuvre de toute une
Toujours plus curieuse de la vie de cette
vie », m’a-t-elle écrit. « Ma mère a été pour
courage et sa persévérance ». En refermant le livre, j’imaginais tous les
auteure remarquable, j’ai recherché
moi un merveilleux exemple. Elle m’a ap-
jours et toutes les nuits que Kay E. Black
l’adresse e-mail de sa fille Kate Black, qui
pris qu’il est possible de réaliser ses aspi-
avait dû passer à étudier ces peintures.
a étudié l’architecture au MIT et dirige ac-
rations, à condition d’en avoir vraiment la
Combien d’indices et de pièces du puzzle
tuellement les services de l’urbanisme de
volonté. Alors que ma sœur et moi allions
nous ont-ils échappé dans ces œuvres ?
la ville américaine de Piedmont. Comme
à l’université, ma mère a commencé ses
L’ouvrage de cette chercheuse semble
notre entretien intervenait peu après les
études d’art et de culture de Corée, qu’elle
nous montrer la voie qui nous permettra
obsèques de sa mère, j’ai formulé mes
a poursuivies pendant quarante-sept ans,
d’entrer dans l’univers mystérieux des
questions avec la plus grande précaution,
sillonnant le monde dans sa quête de pein-
chaekgeori et de redécouvrir notre fabu-
mais sa réponse m’a beaucoup touchée.
tures. J’ai le plus profond respect pour son
leux patrimoine culturel.
1
2
1. Chaekgeori, Yi Eung-rok (1808-1883), XIXe siècle. Encre et pigments minéraux sur papier. 163 cm × 276 cm. Musée des arts de l’Asie de San Francisco. La peinture dite chaekgeori consiste en natures mortes exécutées sur des paravents et composées d’objets dont se servent les savants, notamment des livres, pots, accessoires d’écriture et brûleurs d’encens. Ce genre particulièrement apprécié dans les derniers temps du royaume de Joseon était alors l’un des rares à avoir adopté la perspective linéaire propre à la peinture occidentale. 2. L’art du chaekkori : un puzzle à la coréenne, de Kay E. Black, qu’a édité l’Académie de critique sociale de Séoul en juin 2020. Aboutissement d’une étude universitaire très fournie, cet ouvrage réalise la synthèse de trente années de recherche effectuées par l’auteure. Relié, 336 pages.
ARTS ET CULTURE DE CORÉE 19
RUBRIQUE SPÉCIALE 3
Le minhwa , peinture porte-bonheur
UNE SYMBOLIQUE DE LA VIE Appréciée des gens du commun, la peinture populaire coréenne en fut aussi l’émanation et, si les amateurs qui les réalisèrent n’atteignaient pas le talent d’artistes professionnels, ils n’en créèrent pas moins un univers merveilleux par le recours à de nombreux symboles. Im Doo-bin Critique d’art
LES OEUVRES PAYSAGÈRES Dans tout l’Extrême-Orient, la conjonction d’influences confucianistes, bouddhistes et taoïstes a donné lieu à une longue tradition de vie en harmonie avec la nature, notamment en Corée, où la communion avec cet univers a donné naissance, dans l’art de la peinture, à un genre paysager dont le nom de sansuhwa signifie littéralement « peinture de la montagne et de l’eau ». Depuis toujours, le milieu naturel y fournissait l’un des thèmes de prédilection des artistes et, lors de son apparition, le minhwa adopta à son tour ceux de la peinture classique, notamment les jingyeong sansuhwa, ces « paysages authentiques » chers à Jeong Seon (1676-1759). Il s’agissait de représentations simples procédant par coups de pinceau grossiers et donc aisément réalisables par des amateurs, contrairement aux procédés d’exécution plus précis et élaborés mis en œuvre dans d’autres genres.
Mont Geumgang. Fin de la période de Joseon. Lavis d’encre et de couleurs sur soie. 50,2 cm × 34,6 cm. Musée de l’Université Sun Moon.
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ARTS ET CULTURE DE CORÉE 21
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LES THÈMES FLORAUX ET DES OISEAUX Si la peinture traditionnelle prenant pour sujet fleurs et oiseaux, dite « hwajodo », tendait vers la représentation la plus fidèle possible des beautés de la nature, les minhwa allaient s’en distinguer par une référence symbolique à l’union harmonieuse de l’homme et de la femme au sein du mariage, ainsi que par des qualités décoratives se doublant d’une dimension talismanique. Au nombre de leurs principaux motifs floraux, figuraient la pivoine, la fleur de lotus, celles du prunellier et du magnolia, ainsi que le chrysanthème, la jonquille et l’orchidée, auxquels s’ajoutait le fruit du grenadier, tandis que les oiseaux se composaient surtout de faisans, phénix, grues, oies sauvages, canards, poules, hérons blancs, canards mandarins, hirondelles, rossignols et moineaux. De toutes les fleurs citées, la plus appréciée était sans conteste la pivoine en raison de l’opulence et de la noblesse d’âme qu’elle évoquait. Quant à la grenade, sa présence se voulait le gage d’une descendance à l’image des nombreux pépins que renferme le fruit. Enfin, les couples de faisans et de canards mandarins ou domestiques avaient valeur d’emblème de l’amour et du bonheur conjugal. Fleurs et oiseaux. Fin de la période de Joseon. Encre et couleurs sur papier. 69,1 cm × 41,2 cm. Musée de l’Université Sun Moon.
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LES DIX SYMBOLES DE LA LONGÉVITÉ
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Associés au souhait universel d’une bonne santé et d’une longue vie, les symboles correspondants, connus sous le nom de sipjangsaengdo, se composent du soleil, des nuages, de l’eau, des montagnes, des rochers, de la tortue, de la grue, du pin, du cerf et du champignon de l’immortalité, qui se sont complétés au fil du temps de ceux de la pêche et du bambou, mais sont toujours considérés être au nombre de dix par l’emploi de l’expression s’y référant. Le symbolisme de cette imagerie proviendrait de croyances primitives liées au chamanisme, lequel se fonde sur l’adoration de la nature et sur la communication avec ses esprits. Dans les sociétés archaïques, le chamanisme occupa souvent une place analogue à celle d’une religion d’État par le pouvoir considérable qu’il détenait sur toutes les catégories de la population, de sorte qu’il marqua durablement le subconscient coréen de ses croyances et que son influence se perpétua après l’avènement du bouddhisme. Dans la peinture populaire, cette tradition spirituelle allait susciter la création des dix symboles de la longévité qui, par leur vif chromatisme, témoignaient d’une sensibilité particulière des Coréens à la couleur. Paravent pliant à dix panneaux orné des dix symboles de la longévité (détail). Seconde moitié du XVIIIe siècle. Encre et couleurs sur soie. 210 cm × 552,3 cm. Musée d’Art Leeum Samsung.
ARTS ET CULTURE DE CORÉE 25
LES IMMORTELS TAOÏSTES Le personnage du sinseon, c’est-à-dire de l’immortel taoïste, tire son origine des temps anciens du Gojoseon, ce « Vieux Joseon » qui constitua le premier État de l’histoire coréenne fondé par la légendaire figure de Dangun. Ancêtre du peuple coréen, il aurait à son tour rejoint ces immortels en qui le peuple ne voyait pas autant d’êtres mythiques, mais un idéal auquel devaient tendre les hommes en s’astreignant à une discipline spirituelle. En se détachant des choses matérielles pour se consacrer à la méditation sur le monde et sur eux-mêmes, les croyants aspiraient à atteindre l’éveil ultime qui leur conférerait la vie éternelle, comme en témoigne l’œuvre peinte des immortels taoïstes par l’espoir qu’elle exprime d’une existence sereine, en harmonie avec la nature et délivrée des souffrances. Paravent pliant à douze panneaux figurant des immortels taoïstes (détail). Choe U-seok (1899-1964). Date inconnue. Encre et couleurs sur soie. 181,5 cm × 285 cm. Musée national d’art populaire.
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LES IDÉOGRAMMES ORNÉS La peinture populaire du minhwa peut aussi prendre la forme d’idéogrammes ornés dits munjado, lesquels se composent de caractères chinois classiques désignant les préceptes fondamentaux du confucianisme et calligraphiés au moyen d’épais coups de pinceau. Des motifs abstraits renvoyant à des récits populaires viennent agrémenter ces traits en s’y superposant ou en les encadrant. Quant aux huit vertus les plus fréquemment représentées, il s’agit de la piété filiale (孝), de l’amour fraternel (悌), de la loyauté (忠), de la fiabilité (信), de la respectabilité (禮), de la droiture (義), de l’intégrité (廉) et de la capacité à éprouver le sentiment de honte (恥). Chacun de ces caractères est illustré d’images d’animaux, de fleurs ou d’autres objets correspondant à sa signification, un décor de bergeronnettes étant le plus souvent associé à l’idéogramme de l’amour fraternel, car ces oiseaux sont évocateurs de ce dernier, des sanaengdu, ces myrtilles coréennes, pouvant aussi illustrer ce sentiment d’harmonie entre frères et sœurs. Par la multiplicité des alliances auxquelles elle recourt entre ces représentations écrites et graphiques, la peinture populaire idéographique atteint un remarquable équilibre entre abstraction et réalisme. 2
1. Idéogramme orné : l’amour fraternel (悌 ). Début du XXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 55 cm × 33 cm. Collection privée. 2. Idéogramme orné : la loyauté (忠 ). XIXe siècle. Encre et couleurs sur papier. 99 cm × 33 cm. Collection privée.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 4
Le minhwa , peinture porte-bonheur
LA PEINTURE POPULAIRE TRADITIONNELLE e DU XXI SIÈCLE Si les œuvres de minhwa de ce siècle n’obéissent pas toujours aux conventions du genre par leurs motifs ou leurs couleurs, elles lui permettent de se renouveler en se faisant l’écho d’intérêts et aspirations actuels. Moon Ji-hye Journaliste au mensuel Minhwa
V
oilà encore quelques dizaines d’années, le minhwa ne suscitait que peu d’intérêt sur le plan artistique. En ces années 1970 et 1980, seuls des marchands d’art étrangers venant notamment du Japon en achetaient pour les revendre, tandis que de rares hôtels de luxe faisaient l’acquisition des œuvres les plus classiques du genre, telles les morando, sipjangsaengdo et kkachi horangi, qui sont respectivement des peintures de pivoines, des dix symboles de la longévité et de pies et tigres. Aujourd’hui, le minhwa séduit en revanche des publics plus divers, dont celui de femmes au foyer qui s’y essaient à titre de passe-temps ou d’entreprises de mode et de cosmétiques qui s’en inspirent dans la conception de leurs produits. Ce regain de faveur résulte en premier lieu de l’influence de petits ateliers d’artistes qui, au cours de la décennie suivante, allaient diversifier leurs activités en intervenant dans la formation continue dispensée par les universités ou dans les loisirs proposés par les centres culturels des grands magasins. En s’adressant à un public non averti pour l’initier aux rudiments du genre, ces enseignements allaient faire naître de nouvelles vocations dans l’exercice de cet art populaire. Le nouveau millénaire allait voir ces artistes se multiplier et se perfectionner dans leur pratique, ceux qui ne se retrouvaient pas dans les codes du genre pour Le tigre moderne, Keum Goang-bok, 2020. Encre et pigments sur papier de mûrier (bâtonnet, poudre, tube, poudre blanche chinoise). 130 cm × 160 cm.
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exprimer les sensibilités et valeurs du monde moderne allant jusqu’à proposer une nouvelle lecture de son style.
Une vision plus actuelle
Pratiquant avec autant de talent les versions d’origine et modernisées du minhwa, Keum Goang-bok est à l’origine d’une célèbre et plaisante représentation de tigre à laquelle est prêté un pouvoir talismanique par l’aspiration qu’elle exprime à assurer la défense de la culture coréenne. « De même que le minhwa d’autrefois était à l’image de la vie quotidienne de nos ancêtres, ses œuvres actuelles se doivent de refléter celle d’aujourd’hui », estime cet artiste. « Par-delà le message de bonheur qui s’y trouve, la conscience de l’his-
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toire est impérative : il en va de la nécessaire évolution de l’art. » Ahn Seong-min, dont les activités se partagent entre Séoul et New York, est quant à elle célèbre pour l’atmosphère surréaliste qui entoure ses sujets de fleurs ou de ces portes et fenêtres en pierre brune si caractéristiques des constructions de New York. L’association de cet impressionnant décor avec l’alimentation quotidienne constitue ce qu’elle appelle les « paysage-nouilles ». Résidant sur l’île de Jeju, Kim Saeng-a fait pour sa part entrer des éléments du paysage et des contes populaires régionaux dans des œuvres dont le support peut se composer de morceaux de verre ramassés sur une plage et fondus dans un four. Ce faisant, le message
2
1. Une amitié immédiate, Kwak Su-yeon, 2010. Encre et couleurs sur papier de mûrier. 162 cm × 131 cm 2. Spielraum N°5, Choi Seo-won, 2020. Matières mixtes sur toile. 91 cm × 116,8 cm.
qu’elle entend adresser est qu’« à l’heure où l’île de Jeju connaît un problème de pollution, la moindre initiative peut contribuer à le résoudre, comme la collecte du verre jeté sur les plages, par exemple ».
Des démarches novatrices
Afin d’éveiller la curiosité et la sensibilité du public, des approches différentes du minhwa ont été expérimentées, notamment par la reproduction de motifs répétitifs sur du papier peint ou par la représentation de personnages fictifs en peinture. Tel est le cas de l’œuvre Chemin fleuri où Lee Jee-eun, avec une délicatesse et une lucidité remarquables, recourt à un procédé, dit « gestalt shift », qui permet de percevoir une image de deux manières dif-
férentes selon la perspective dans laquelle on se place. « D’ordinaire, la vue d’un crâne humain évoque la mort et stimule l’affect négatif », explique-t-elle, « mais l’idée m’est venue que celui d’une personne ayant eu une belle vie pouvait lui aussi être beau, ce qui m’a incitée à en représenter un de cette manière ». Témoignant d’un autre effort d’innovation, certaines œuvres prennent le parti de grossir certains détails de peintures déjà existantes afin qu’ils occupent toute la surface de la toile. Dans Étagères à livres, Yoon In-soo représente ainsi l’image agrandie d’un vase de fleurs caractéristique du genre du chaekgado, c’est-à-dire de la peinture de bibliothèques, qui produit ici un effet remarquable en faisant
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La reprise de certains traits distinctifs du minhwa dans nombre d’œuvres actuelles témoigne de l’attrait qu’exerce de nouveau cet art depuis sa redécouverte. ressortir les belles couleurs et la forme de ce récipient, alors qu’elles passent presque inaperçues sur l’œuvre d’origine. L’artiste, qui a suivi des cours intensifs dans un atelier d’artisanat afin de mieux saisir l’essence du minhwa, ne cesse de répéter à ses élèves que : « pour être capable d’innover, il faut d’abord maîtriser les styles traditionnels ». D’autres choisissent de faire figurer dans leur peinture des personnages d’œuvres de fiction tels que celui du « Petit Prince » tiré du roman éponyme d’Antoine de Saint-Exupéry, tandis que Kwak Su-yeon se distingue par sa série désormais célèbre consacrée aux animaux de compagnie, ainsi qu’en prenant pour sujet des bibliothèques et les dix symboles de la longévité auxquels elle ajoute une touche d’humour sous forme d’amusants chiens et chats.
Au-delà du purisme des traditions
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Nombre d’artistes pratiquant aujourd’hui le genre du minhwa ont entrepris de rechercher de nouvelles matières pouvant se substituer aux pigments et papier de mûrier classiques afin de créer leur propre langage visuel et, pour ce faire, ils se refusent à opposer matières orientales et occidentales, ce qui constituerait à leurs yeux une absurdité à l’ère de la mondialisation. Certains font ainsi usage de peintures acryliques ou de crayons pour colorer la toile, tandis que d’autres réalisent des collages de tissu, de papier peint ou d’autres matières dis-
du minhwa dans nombre d’œuvres actuelles témoigne de l’attrait qu’exerce de nouveau cet art depuis sa redécouverte.
La diffusion commerciale
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1. Lors de la Fashion Week qui se déroulait en septembre 2019 à l’Hôtel Bristol de Paris, le grand couturier Yang Heill a présenté cette robe inspirée du minhwa qu’il a créée pour la marque de mode HEILL. 2. Macaron sur pot de pivoines 02 (Série Bouquet de dessert), Ahn Seong-min, 2015. Encre et couleurs sur papier de mûrier. 75 cm × 50 cm.
ponibles en quantité pour obtenir des textures plus actuelles. Il en est même qui renoncent à toute représentation bidimensionnelle pour rechercher des formats nouveaux dans les arts d’installation ou des médias. L’un d’eux, Lee Don-ah, après s’être centré sur une iconographie traditionnelle et sa décomposition en hexaèdres et quadrilatères, recourt depuis 2015 à des procédés de l’art des médias tels que les images vidéo, l’imagerie lenticulaire et les façades médiatiques. La reprise de certains traits distinctifs
Le regain d’intérêt que suscite actuellement le minhwa dépasse les frontières du monde de l’art pour s’étendre aux secteurs de la beauté ou de la mode, voire des objets décoratifs pour la maison, car son esthétique spécifiquement coréenne peut participer de l’expression de cette identité. Dans le domaine des cosmétiques, c’est la marque Sulhwasoo qui a le plus recours au minhwa dans le conditionnement de ses produits, pour lequel elle fait appel à des artistes de renom. En ce qui concerne la décoration intérieure, le mobilier et la mode, une exposition qui avait lieu l’année dernière a permis de découvrir des créations de ce type intégrant des motifs traditionnels issus des deux genres très prisés que sont le hojeopdo et le hwajo yeongmodo, à savoir, respectivement, les peintures de papillons et celles de fleurs, d’oiseaux et d’animaux. Quant à la collection printemps-été de cette année que présentait la marque de haute-couture Heill et qui s’ornait de motifs d’éventails traditionnels appartenant au style du minhwa, elle a suscité le commentaire suivant chez sa styliste Heill Yang : « Je suis vraiment heureuse de pouvoir disposer d’aussi belles sources d’inspiration grâce au minhwa ». En 2017, la Première Dame Kim Jungsook en personne avait revêtu l’une de ses créations lors de la cérémonie de prise de fonction du président Moon Jae-in. À l’étranger, les plus grandes marques de l’industrie n’ont pas manqué de saisir le rôle que pouvait jouer l’esthétique spécifiquement coréenne du minhwa dans l’accès des produits coréens au marché mondial par la portée universelle des messages de bonheur et de bonnes fortunes que véhiculent ses représentations, alors, peut-être ce genre intemporel, en sachant se renouveler, est-il appelé à devenir un jour un « K-art » qui fera déferler une nouvelle vague coréenne.
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DOSSIERS
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1. Blackpink posant pour la scène finale du clip de DDU-DU DDU-DU, l’un des titres du premier single enregistré par le groupe en juin 2018, Square Up. Le 23 novembre 2010, le film allait être vu 1,4 milliard de fois sur YouTube, ce qui représente un record dans l’histoire de la K-pop. 2. Le clip du single à succès How You Like That édité en 2016 par Blackpink associe une puissante rythmique musicale à une chorégraphie d’une rapidité fulgurante. Il allait se hausser au plus haut niveau mondial en enregistrant cent millions de vues sur YouTube en un temps record.
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3, 4. Le clip de DNA, premier EP de BTS intitulé LOVE YOURSELF: Her, a atteint le milliard de vues sur YouTube le 1er juin 2020, soit trois ans à peine après les débuts du groupe. Les couleurs vives et la fraîcheur de ses images évoquent les impressions de jeunes gens tombant amoureux.
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Ces clips de K-pop
qui révolutionnent la musique Les vidéos de K-pop que regardent les fans de groupes tels que Blackpink ou BTS dans le monde entier se classent parmi les plus vues sur YouTube en raison de leurs remarquables qualités visuelles, de leur inventivité, de leurs superbes costumes, de leurs décors éblouissants et de leurs excellents jeux de scène. Kim Yoon-ha Critique de musique pop
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ur les plates-formes en ligne qui diffusent des clips de K-pop, le nombre de vues recensées témoigne à lui seul de la réussite internationale de ces petits films, dont celui du single How You Like That enregistré par la première girls’ band du genre, Blackpink. Le 8 septembre dernier, il allait atteindre cinq cent millions après à peine soixante-treize jours de diffusion sur YouTube, le clip Kill this love ayant établi ce même record l’année passée, mais au bout de cent six jours. Le succès s’est révélé quasi immédiat, puisque, à peine trente-deux heures après sa sortie, le nouveau clip totalisait pas moins de cent millions de vues, un chiffre, jusque-là inégalé sur YouTube, qui allait lui valoir de figurer à cinq titres différents dans le Guinness World Records. Deux mois plus tard, le clip de la chanson Ddu-Du Ddu-Du, également due à Blackpink, allait être vu 1,4 milliard de fois, ce qui représente une première pour ce répertoire et largement plus que le milliard de vues du DNA de BTS, pourtant le meilleur boys’ band actuel de K-pop, ou le nombre de celles du Gangnam Style de Psy. Pour prendre la mesure d’une telle prouesse, il faut savoir qu’un artiste de musique pop lambda peut espérer être vu tout au plus un million de fois et que le succès d’un Blackpink ou d’un BTS tient pour lui de l’impossible au vu des millions d’admirateurs qui visionnent les clips de ces groupes ou assistent à leurs concerts aux quatre coins du monde, les autres formations de K-pop ne suscitant pas autant d’enthousiasme.
Les groupes culte
En avril 2013, un single du groupe Girls’ Generation intitulé Gee allait atteindre le chiffre symbolique des cent millions de vues, ce qui représentait certes l’aboutissement d’une montée en puissance plutôt lente, amorcée en janvier 2009, par rapport au rythme fulgurant des succès d’aujourd’hui, mais ne relevait pas moins d’un exploit prometteur dans ce genre musical. Lentement mais sûrement, la K-pop faisait alors son chemin à l’international, aidée en cela par l’importance croissante qu’accorde le public à la dimension visuelle d’un spectacle. Des groupes aussi adulés que Bigbang, EXO,
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Loin de se limiter à un simple faire-valoir visuel de morceaux de K-pop, les clips vidéo se transforment en puissants supports de communication qui influent sur la structure même du marché mondial de la musique.
Seventeen ou Twice ont été les artisans du succès mondial naissant de la K-pop, aux côtés de grands chanteurs tels que G-Dragon, Taeyang, HyunA, Taeyeon et IU. Après leurs premiers records, le nombre de cent millions de vues allait prendre valeur d’indice pour juger du succès des productions de K-pop. C’est dans les années 1980 que le clip a fait son apparition dans l’univers de la musique pop coréenne, notamment sous l’impulsion de la chaîne musicale câblée MTV créée en 1981 aux ÉtatsUnis. Pour les amateurs de musique pop du monde entier, musique et paroles de leurs morceaux favoris prenaient forme grâce à l’image, comme dans le cas du titre anglais Video Killed the Radio Star auquel elle semblait donner vie. Cette « visualisation du son », qui exigeait jusque-là de recourir à son imagination, allait faire radicalement évoluer la musique pop et alimenter constamment son industrie en nouveaux clips tapageurs, voire outranciers, diffusés 24h / 24 et 7j / 7 par la chaîne MTV. L’image allait ainsi jouer rôle de premier plan dans le succès des figures emblématiques de cette décennie que sont Madonna, Michael Jackson et Prince. En Grande-Bretagne, des groupes tels que Duran Duran, Culture Club ou Eurythmics, en se dotant d’une image représentative de leur style musical dans leurs clips, allaient accéder à la notoriété mondiale en grande partie par ce biais. Quarante ans après, la K-pop a su tirer le meilleur parti de l’alliance de ces composantes visuelles et musicales, notamment ses agences de spectacle, qui mettent l’accent sur les premières en veillant à ce que tout groupe compte parmi ses membres une personne dotée d’un physique exceptionnel ou d’un grand talent pour la danse. C’est ce filon de l’artiste « agréable à regarder » qu’allaient exploiter dans
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leurs clips accrocheurs des groupes culte de première génération tels que H.O.T., S.E.S., Fin.K.L ou Sechs Kies. Composées d’images qui captivaient instantanément le spectateur, ces vidéos mettaient en valeur les atouts spécifiques de chacune des idoles au moyen de gros plans suggestifs de leur visage ou de leur manière de danser. Par la suite, elles allaient même se compléter de récits évoquant le vécu de ces artistes ou véhiculant un message à l’intention des jeunes de leur âge, comme dans Hope de H.O.T. et Now de Fin.K.L. Lorsque le boys’s band EXO allait faire appel à de tels clips narratifs ou à message pour illustrer l’ensemble des titres d’un album, et non plus un seul d’entre eux, les vidéos de ce type allaient se multiplier. Les membres de ce groupe se présentaient comme des êtres venant d’une exoplanète, c’est-àdire d’un astre situé en dehors du système solaire et leur infographie visait à évoquer la possession de pouvoirs surnaturels. D’innombrables éléments
visuels, dont des dizaines de teasers, participaient du tableau de leur « monde parallèle » où abondaient des symboles tels que l’arbre de vie ou les deux soleils, l’ensemble produisant un effet si abscons que les fans eux-mêmes affirmaient, sur le ton de la plaisanterie, qu’il leur faudrait retourner à l’université pour comprendre cet univers.
Les enjeux de demain 2
1. EXO se produisant dans le clip de Power, le morceau titre de son album studio The Power of Music. Il a été l’un des premiers groupes de K-pop à réaliser ces films où des artistes se livrent sur leur vécu ou formulent des messages universels repris dans tout l’album. 2. Clip de Tempo, morceau titre de l’album studio Don’t mess up my tempo d’EXO. Ce groupe s’est construit tout un univers fondé sur l’évocation de mondes parallèles et de pouvoirs surnaturels. 3. Le rappeur G-Dragon évoluant dans le clip de Crooked, un morceau de l’album Coup d’État dont la sortie en 2013 allait coïncider avec la diffusion du film sur YouTube. En janvier 2017, ce clip avait déjà été vu cent millions de fois sur YouTube, car, hormis le talent musical du chanteur, son style vestimentaire a séduit le public.
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Chez BTS, le clip a également fourni une forme d’expression d’une certaine vision du monde et du récit fondateur du groupe, notamment dans les albums In the mood for love pt.1 et 2 sortis entre 2015 et 2016, ainsi que dans EPILOGUE: Young Forever, qui lui ont ouvert la voie à une carrière internationale. Quant au groupe Blackpink, dans les clips Whistle et Boombayah de son premier album, il a d’entrée de jeu revendiqué une image fougueuse. Celle-ci repose sur deux aspects, à savoir des personnages de musiciennes cool et branchées tels que les promeut leur agence artistique YG Entertainment, déjà très prisée du public étranger bien avant ce qu’il est convenu d’appeler l’« invasion de la K-pop », et une forte présence au quotidien par le biais de la mode avant-gardiste dont le quatuor est adepte. Sur les réseaux sociaux, ses membres se sont imposés en tant qu’influenceuses très suivies aux quatre coins du monde. Loin de se limiter à un simple faire-valoir visuel de morceaux de K-pop, les clips vidéo se transforment en puissants supports de communication qui influent sur la structure même du marché mondial de la musique. Quand le « mégatube » de Psy, Gangnam Style, est devenu viral sur YouTube en 2012 et a fait connaître au monde sa célèbre danse du cavalier, le Billboard Hot 100 a fait figurer de premiers clips de K-pop au classement qu’il diffuse sur ce même site. Pour les jeunes artistes coréens, allaient s’ouvrir de nouvelles perspectives d’accès au marché américain de la musique. L’exceptionnelle réussite internationale de la K-pop se double de la responsabilité tout aussi importante qui incombe aux producteurs de clips appartenant à ce genre d’anticiper les tendances naissantes, voire de conserver une longueur d’avance sur ces évolutions afin d’offrir des créations novatrices d’un niveau d’élaboration sans précédent. La pression à laquelle cette exigence les soumet en permanence induit le risque de céder à la tentation d’un plagiat aveugle ou d’un détournement de l’expression artistique et de son propos qui pourraient susciter des critiques dans le public : autant de problèmes qu’il convient d’aborder avec tout le sérieux nécessaire sachant que le succès des clips de K-pop ne se dément pas et laisse entrevoir de nouveaux horizons à ce genre musical.
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HISTOIRES DES DEUX CORÉES
1. Élève nord-coréen d’une école primaire de Budapest dans les années 1950.
1 Avec l’aimable autorisation de Kim Deog-young
La mémoire des enfances oubliées Le film documentaire Les enfants de Kim Il Sung , dont la réalisation a exigé seize années de travail, se propose de tirer de l’oubli un fait particulier survenu pendant la guerre de Corée, à savoir l’envoi de milliers d’orphelins nord-coréens dans des pays d’Europe de l’Est alors communistes pour y recevoir une instruction. Kim Hak-soon Journaliste et professeur invité à l’École des médias et de la communication de l’Université Koryeo Ha Ji-kwon Photographe
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2. Cette inscription figurant sur une plaque commémorative découverte à l’école centrale nationale n°2 de Plakowice révèle que des orphelins de guerre nord-coréens y étudièrent de 1953 à 1959.
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n cette année 1952 où faisait rage la guerre de Corée, des orphelins nord-coréens traversèrent l’Asie par milliers à bord du Transsibérien qui les emmenait en Europe. Au terme d’un périple de plusieurs jours, les petits passagers parvenaient en gare de Siret, une petite ville de Roumanie, où, impatients de descendre, ils mettaient la tête à la fenêtre et saluaient gaiement en agitant la main. Trois années d’un conflit meurtrier allaient laisser plus de 100 000 enfants orphelins et si, en Corée du Sud, nul n’ignore que nombre d’entre eux furent adoptés par des citoyens des États-Unis ou d’Europe, le mystère a longtemps plané sur le sort que connurent ceux de Corée du Nord. À l’affiche depuis le mois de juin dernier, le film documentaire Les enfants de Kim Il Sung lève le voile sur l’histoire de ces orphelins de guerre qu’accueillirent les pays du bloc de l’Est dans le cadre de programmes d’aide organisés par l’Union Soviétique. On estime à près de cinq mille le nombre de petits Nord-Coréens auxquels fut dispensée une instruction en Bulgarie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Pologne ou Roumanie et c’est pour découvrir leur histoire que le documentariste Kim Deogyoung a sillonné l’Europe de l’Est en y effectuant une cinquantaine de voyages qui se sont étalés sur seize années à partir de 2004. Dans cette longue quête, tout commence par l’histoire d’amour que lui conte le cinéaste et ami Park Chan-wook au sujet d’une dame roumaine qui se battit quarante années durant pour recevoir des nouvelles de son mari nord-coréen rapatrié à Pyongyang. « Jusque-là, j’ignorais tout des orphelins de guerre nord-coréens », avoue Kim Deog-young.
lointaine mine de charbon. Livrée à elle-même, Georgeta Mircioiu connaîtra dès lors une existence difficile aux côtés de sa petite fille qui souffre en outre d’une carence de calcium. Au nom de l’un des fondements de son idéologie officielle, le principe dit du juche, c’est-à-dire de l’autosuffisance, la Corée du Nord va alors entreprendre une campagne d’expulsions qui concernera jusqu’aux conjoints étrangers de ses citoyens. En 1962, Georgeta Mircioiu, en compagnie de sa fille, se voit donc contrainte de regagner la Roumanie, d’où toutes deux n’auront plus la possibilité de sortir pour se rendre en Corée du Nord. Ses derniers contacts avec son époux datent de 1967, mais, à près de quatre-vingt-dix ans, elle s’évertue aujourd’hui encore à solliciter des autorités nord-coréennes qu’elles lui fassent savoir si son conjoint est toujours en vie. Pour seule réponse, un message laconique lui est parvenu de Pyongyang en 1983, l’informant que l’homme avait été « porté disparu ». Résidant à Bucarest avec sa fille aujourd’hui âgée de soixante et un ans, Georgeta Mircioiu écrit inlassablement à des organisations internationales dans l’espoir d’obtenir des informations sur son cher mari. Elle porte toujours l’alliance en or sur laquelle est gravé « Jungho 1957 » et a appris le coréen pour perpétuer le souvenir de la vie commune et entretenir la flamme de l’amour conjugal. Ces études l’ont conduite à rédiger deux dictionnaires, l’un de roumain en coréen totalisant 130 000 entrées, et l’autre, en sens inverse, en comportant 160 000. En 2004, le documentariste Kim
L’union de deux enseignants
Nous sommes en 1952 et, à l’âge de dix-huit ans, la jeune Georgeta Mircioiu vient d’achever ses études à l’Institut de formation des maîtres. Elle se voit alors nommer à son tout premier poste, celui de professeur de dessin à l’École populaire nord-coréenne de Siret, un établissement d’enseignement primaire nord-coréen situé à une centaine de kilomètres de Bucarest. Ses effectifs se composent d’orphelins de guerre nord-coréens dont l’encadrement est confié à leur concitoyen de vingtsix ans, Cho Jung-ho. Une idylle naîtra rapidement entre les deux enseignants, qui s’uniront en 1957 après avoir obtenu les autorisations nécessaires de leurs gouvernements respectifs. C’est alors qu’intervient, deux ans plus tard, la soudaine décision du régime nord-coréen de rapatrier l’ensemble de ses jeunes ressortissants, Cho Jung-ho repartant de ce fait pour Pyongyang en compagnie de sa femme et de leur fille de deux ans. Peu après leur arrivée, lors d’une purge, il sera malheureusement arrêté et condamné aux travaux forcés dans une
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côtoyé les petits Nord-Coréens dans leur enfance et consigner les souvenirs qu’elles lui relataient. À l’issue de ses travaux, Kim Deog-young a estimé à plus de dix mille le nombre d’orphelins de guerre nord-coréens qui partirent pour les pays de l’Est, soit au moins le double du chiffre figurant dans les archives diplomatiques.
Une brutale séparation
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Deog-young évoquait déjà le tragique destin de ce couple dans le film intitulé Mircioiu : mon mari est Cho Jung-ho qu’allait diffuser la chaîne de télévision KBS dans le cadre d’une série d’émissions consacrées à l’anniversaire de la guerre de Corée. Le cinéaste poursuivait par ailleurs ses recherches sur les orphelins de guerre nord-coréens dans les cinq pays d’Europe de l’Est qui les avaient accueillis et, en consultant les archives cinématographiques roumaines, il allait tomber sur un film de quatre minutes et trente secondes montrant ces enfants à leur descente du Transsibérien. À la vue de ces images, l’ancienne maîtresse d’école, les larmes aux yeux, énoncera sans hésiter les noms de chacun d’entre eux. Dès ce moment, Kim Deog-young a acquis la conviction qu’il lui incombait d’œuvrer au nom du devoir de mémoire. Pour ce faire, il a entrepris de retracer l’histoire de ces jeunes Nord-Coréens arrivés dans les pays de l’Est au début des années 1950, ce en quoi il n’a pas eu la tâche facile, car il lui a fallu retrouver les documents d’archives, écoles et dortoirs qui témoignaient de leur présence, outre que les fonctionnaires en activité à l’époque étaient pour la plupart décédés, tandis que d’autres demeuraient introuvables. Le cinéaste allait toutefois parvenir à rencontrer des personnes qui avaient
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Dans l’une de ses scènes filmées en noir et blanc, Les enfants de Kim Il Sung montre des petits Nord-Coréens occupés à étudier ou à jouer avec des enfants de leur pays d’accueil, ainsi que d’autres moments d’une vie en collectivité qui exigeait tous les matins, après un lever à 6 h 30, de saluer le drapeau nord-coréen à l’effigie du dirigeant Kim Il-sung en entonnant L’hymne au général Kim Il-sung. Plus de cinquante ans après, leurs anciens camarades de classe roumains ou bulgares savent encore ce chant qui commence par ces mots : « Chaque colline du mont Paektu est gorgée de sang… » et qui précède aujourd’hui encore la célébration de toutes les grandes manifestations nationales. « À l’époque, nous jouions ensemble au football et au volley sur une colline. Nous étions comme des frères », se souvient le Bulgare Veselin Kolev, et d’ajouter que les enfants nord-coréens appelaient leur maître ou maîtresse d’école « papa » ou « maman ». L’une d’elles, dénommée Dianka Ivanova, a conservé une vieille photo où elle montre du doigt l’un de ces enfants : « Ici, c’est Cha Ki-sun, qui m’aimait beaucoup ». Au cours de ses recherches, Kim Deog-young apprendra que certains s’enfuyaient parfois de leur dortoir et s’établissaient dans les régions avoisinantes, où ils prenaient pour épouses des femmes du pays et travaillaient comme chauffeurs de taxi, mais, en dépit de ses efforts, il n’a pu retrouver leur trace. Selon toute vraisemblance, le programme d’aide à l’éducation dont bénéficiaient les orphelins de guerre devait résulter d’une initiative soviétique, car ce pays exerçait une grande emprise sur les États satellites du bloc de l’Est. Il s’inscrivait dans le cadre d’une opération de propagande visant à démontrer la soi-disant supériorité de son régime communiste et à fustiger les effets supposément néfastes de l’intervention américaine dans le conflit coréen. Kim Deog-young en conclut que la Corée du Nord a accepté l’offre qui lui était faite en se disant que des enfants bénéficiant d’une instruction dans des pays plus évolués sur les plans technique et culturel pourraient apporter une aide précieuse à la construction de la nation nord-coréenne. En 1956, alors qu’ils s’étaient adaptés à leur nouveau cadre de vie, les jeunes Nord-Coréens allaient être séparés de
leurs amis et enseignants par un concours de circonstances qui avait incité le régime à ordonner leur rapatriement : il s’agissait, en l’espèce, de la montée des dissidences à l’encontre de l’Union Soviétique dans les pays de l’Est, de l’« incident factieux d’août » survenu cette même année en Corée du Nord, à savoir la tentative avortée de renverser Kim Il-sung à la faveur de l’un de ses voyages en Bulgarie, et de l’arrestation de deux orphelins nord-coréens fuyant la Pologne pour gagner l’Autriche. C’est ainsi que les orphelins de guerre nord-coréens durent subitement dire adieu à leurs maîtres et petits camarades pour revenir dans leur pays natal, un retour qui s’opéra progressivement entre les années 1956 et 1959.
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Un point de vue objectif
Dans les courriers qu’ils leur adressèrent à leur retour en Corée du Nord, tous racontent qu’une fois entrés sur le territoire, des fonctionnaires les firent descendre à des gares différentes par groupes de deux ou trois personnes. Ce faisant, le pouvoir cherchait à les isoler les uns des autres pour éviter qu’ils n’entreprennent des activités collectives du fait des liens qu’avaient créés des années de vie à l’étranger. Cette correspondance allait se tarir moins de trois ans plus tard du fait de la censure implacable exercée par l’État nord-coréen, mais dans l’une de ses dernières lettres, un orphelin de guerre écrivit ce qui suit : « J’ai besoin de vêtements. Veuillez m’envoyer aussi des cahiers pour écrire ». Invariablement, leurs missives s’achevaient par les mots : « Maman, vous me manquez » à l’intention de leurs maîtresses d’école. Les enfants qui rentraient au pays voulurent laisser des traces de leur présence en gravant leur nom sur des stèles ou obélisques qui se dressent aujourd’hui encore dans la forêt, non loin de leur école d’alors. En Pologne, l’inscription suivante figure sur une plaque commémorative apposée sur un mur de l’école centrale nationale n°2 de Plakowice : « Nous, orphelins de la guerre de Corée, avons étudié dans cette école de 1953 à 1959 », suivie de tous les noms des enfants en coréen et en polonais. Non loin du village tchèque de Valeci, c’est sur un obélisque datant du Moyen Âge que sont gravés deux autres noms coréens. « À la vue de ces seuls noms, j’ai saisi toute la détresse de ces enfants contraints de repartir : elle était telle qu’ils sont allés jusqu’à escalader cette colonne de dix mètres de hauteur pour les y inscrire, tout en prenant garde de ne pas être aperçus », se souvient Kim Deog-young. Le réalisateur tient à souligner qu’il a veillé scrupuleusement à ne pas conférer à son film une quelconque coloration idéologique ou politique et à ne prendre en compte que des
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1. Kim Deog-young a réalisé le documentaire intitulé Les enfants de Kim Il Sung dans l’espoir de faire mieux connaître la Corée du Nord au public international. 2. La Roumaine Georgeta Mircioiu, ancienne professeure d’art d’une école populaire nord-coréenne, se tient aux côtés de son mari Cho Jung-ho, un enseignant qui encadrait les orphelins dans ce même établissement. 3. D’anciens écoliers d’Europe de l’Est se souviennent encore très bien de ces petits camarades de classe nord-coréens avec lesquels ils étudièrent et s’amusèrent voilà plus de soixante ans.
informations objectives, à l’exclusion de toute rumeur, afin d’éviter autant que faire se peut de susciter la polémique. La sortie en salle des Enfants de Kim Il Sung, qui coïncidait avec les commémorations du soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la guerre de Corée, n’a pas été couronnée de succès pour cause d’épidémie de coronavirus, mais sa diffusion mondiale sur le réseau Netflix, d’ailleurs créé par un Coréano-Américain, a permis de le découvrir dans quelque 130 pays différents. S’il n’a pas particulièrement conquis le public sud-coréen, il a été présenté dans pas moins de treize festivals internationaux du film, dont ceux de New York et Nice, ainsi qu’en Pologne.
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AMOUREUX DE LA CORÉE
Des rêves en deux langues
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De par son vécu personnel, Eva Lee, cette native de Russie et résidente de longue date en Corée, dispose d’un point de vue privilégié sur la question de la langue maternelle, qu’elle invite ses locuteurs coréens à mieux connaître. Par ailleurs, elle projette de réaliser une émission de télévision qui leur fera découvrir la littérature russe et, inversement, s’agissant des œuvres coréennes qu’elle souhaite introduire en Russie. Cho Yoon-jung Rédactrice et traductrice indépendante Heo Dong-wuk Photographe
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va Lee s’entend souvent dire qu’elle parle mieux le coréen que les Coréens eux-mêmes, comme en témoignent les nombreux commentaires formulés sur sa chaîne YouTube, mais aussi ses fréquents passages dans les émissions Daehan Oegugin, c’est-à-dire « ces étrangers sud-coréens », de la chaîne télévisée MBC Plus, ou Park Myung-soo’s Radio Show de la station de radio KBS Cool FM, où sa facilité d’élocution ferait presque oublier sa nationalité. Il arrive que des personnes qui s’expriment couramment en deux langues ne se sentent à l’aise ni dans l’une ni dans l’autre, pas plus que dans les cultures correspondantes qui devraient pourtant leur être familières, mais il en va tout autrement d’Eva Lee depuis son entrée à l’École d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des études étrangères (HUFS) en 2017, qui a marqué pour elle une révélation. La première fois qu’il lui a été demandé d’assurer l’interprétation consécutive d’un énoncé oral d’une durée de trois minutes, elle avoue avoir ressenti cette sorte de passage à vide que les Coréens appellent menbung et qui lui donnait l’impression de ne plus connaître aucune des deux langues. « J’étais même incapable de me souvenir de ce que j’avais entendu », raconte-t-elle. C’est pour suivre sa mère, que des missionnaires coréens résidant à Khabarovsk avaient invitée à venir enseigner le piano, après avoir fait la connaissance de sa grandmère maternelle à l’église, qu’Eva Lee allait partir pour la Corée et fréquenter à Uiwang, une petite ville de la province de Gyeonggi, une école primaire dont elle était la seule élève étrangère. « Plus qu’une oegugin [étrangère], j’étais une véritable oegyein [extraterrestre] », se souvient-elle, mais, après six années passées en Corée, le retour en Russie allait s’avérer difficile. Au bout de six autres encore, elle allait revivre ce choc culturel, mais à rebours, en repartant pour la Corée afin de poursuivre ses études au Département des médias de l’université HUFS en tant que boursière de l’État.
Une double exigence d’intégration
Menant de front ses études dans ses deux ports d’attache, Eva Lee sera confrontée en permanence à une alternance de langues et de cultures. « Je séjournais tour à tour quatre mois en Corée et un en Russie, mais, là-bas, rien ne changeait jamais, alors qu’il y avait toujours quelque chose de nouveau en Corée », explique-t-elle. En 2015, la jeune Russe obtiendra sa licence, puis se mariera avec un ancien camarade de classe dont elle prendra le nom pour des raisons pratiques, car la consonance étrangère de son nom de jeune fille, Kononova, occasionnait toujours des réactions de surprise chez ses interlocuteurs coréens. Son nom de femme mariée lui va d’ailleurs à merveille et elle passerait presque pour l’une de ces Coréennes comme les autres avec lesquelles on discute sur le palier de son immeuble. Dans son enfance, elle regardait elle aussi la célèbre émission Bangwi Daejang Ppungppungi (Ppungppungi, le roi du pet) et plus tard, elle allait patiemment attendre son fiancé pendant les deux années où il a été sous les drapeaux. Son régiment, il est vrai, se trouvait dans la banlieue de Séoul, plus précisément à Namyangju, alors, de l’aveu même de l’intéressée : « En fait, ce n’était pas si dur que cela. J’avais la possibilité de lui parler au téléphone et de le voir une ou deux fois par mois ». Et d’ajouter, faussement détachée, à la manière des Coréennes qui parlent de leur mari : « Ce n’était pas nécessaire de se voir aussi fréquemment. Je trouve que nous sommes trop souvent ensemble en La ressortissante russe Eva Lee vit depuis ce moment ». Du fait de la panlongtemps en Corée, démie de Covid-19, ce couple, où elle est arrivée, au départ d’un caractère assez enfant, en compagnie casanier, l’est plus encore en ce de sa mère. Aujourd’hui traductrice et interprète, moment. elle est souvent invitée En l’absence de crise sanià participer à des taire, les occasions d’assurer des émissions de télévision ou de radio. prestations d’interprète auraient
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sans nul doute été plus nombreuses, mais l’annulation des conférences internationales contraint cette professionnelle à se recentrer sur la traduction, ce qui n’est pas pour lui déplaire, car, dans cette seconde profession, il est possible de revenir en arrière et de corriger ses erreurs, contrairement à ce qui se passe dans la première. « Quand j’achève une traduction, je suis d’abord soulagée, puis je ressens un grand vide. Les traducteurs subissent le stress de devoir respecter des délais et leur travail ne les satisfait jamais assez, car il leur suffit de se relire aussitôt après pour se reprocher certaines formulations. En tout cas, ils produisent au moins quelque chose de concret ». Ces derniers temps, Eva Lee entreprend de se lancer dans la traduction littéraire et suit à cet effet les cours en ligne de l’Institut de traduction de la littérature de Corée dans l’espoir de pouvoir réaliser la traduction en russe du roman Pavane pour une infante défunte de Park Mingyu, ainsi que d’autres œuvres, outre qu’elle aspire à faire connaître la fiction russe en Corée. À l’heure actuelle, seuls de rares professionnels possèdent une égale maîtrise des deux langues pour s’acquitter convenablement de cette tâche, à l’instar d’Eva Lee, qui déclare avoir tout autant de facilité dans l’une que dans l’autre et peut ainsi les traduire et interpréter dans les deux sens.
Les compétences linguistiques
Si Eva Lee tire une grande satisfaction de son métier d’interprète et de traductrice, c’est par ses interventions dans des émissions de radio qu’elle a acquis sa notoriété et, dans les premiers temps, la principale motivation qui l’a poussée à dominer ses deux langues reposait en partie sur l’espoir d’animer un jour des émissions de télévision. Sa première apparition au petit écran allait avoir lieu lors du jeuconcours Urimal Gyeorugi consacré à la langue coréenne, où elle était en lice avec d’autres ressortissants étrangers et allait ravir le premier prix. Pendant ses études universitaires, elle présentait en outre une émission de la chaîne TV Chosun intitulée Les matinées de Gwanghwamun qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne se proposait pas d’al-
ler à la découverte de ce quartier situé dans le centre historique de Séoul, mais de différentes régions du pays dont Eva Lee présentait la gastronomie tout en s’initiant à des activités très variées. « Ma tâche était loin d’être facile, qu’il s’agisse de la pêche au poulpe, de la livraison de sacs de farine à des boulangeries ou du repiquage des plants de riz, qui fait partie des travaux agricoles les plus courants en Corée », indiquet-elle, non sans ajouter qu’elle a même dû apprendre à nourrir des loups et à plonger dans un endroit infesté de requins. Cette expérience lui a permis de constater que, si la Corée est un petit pays, les régions qui la composent sont d’une grande diversité et que le loup craint davantage l’homme que ce dernier n’a peur de lui. Sur les plateaux de télévision, elle a aussi découvert un monde où chacun doit jouer son rôle par une manière d’être bien particulière, comme les journalistes des émissions du matin, par exemple, à qui il est avant tout demandé de paraître débordants d’énergie et de vivacité. « En ce qui me concerne, m’étant aperçue que j’étais d’un tempérament plus calme que je ne l’avais pensé, je me suis en quelque sorte coulée dans ce personnage quand le besoin s’en faisait sentir », explique-t-elle. Ces multiples situations l’ont poussée à se poser beaucoup de questions sur la mode actuelle des émissions auxquelles peuvent participer des étrangers quelconques uniquement parce qu’ils peuvent s’exprimer en coréen. « En Russie, on voit très peu d’étrangers à la télévision », affirme-t-elle, car le seul fait de parler une langue ne présente pas d’intérêt en soi, et à plus forte raison s’il s’agit de celle des téléspectateurs. « En Corée, il suffit de parler la langue pour se voir inviter, ce qui est tout de même appréciable », conclut-elle. De temps à autre, Eva Lee en arrive à douter de l’importance de connaître une langue : « Il est vrai que les gens reconnaissent l’effort que cela suppose et s’amusent des fautes touchantes que commettent des personnes étrangères, à plus forte raison s’ils sont séduisants, de l’utilisation de mots du dialecte ou de maladresses dans la prononciation ».
Du fait de ses compétences linguistiques, elle serait parfaitement en mesure d’animer d’intéressants débats entre locuteurs coréens et étrangers, mais elle s’estime encore trop jeune et ne possède pas suffisamment de contacts pour ce faire. 46 KOREANA Hiver 2020
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La radio ayant foncièrement vocation à divertir, Eva Lee estime que « pour y faire son chemin, il faut beaucoup travailler et savoir se créer un personnage ». Eva Lee a beau se remettre en question, les auditeurs adhèrent sans réserve à celui qu’elle s’est construit, à savoir d’une étrangère parlant aussi bien que les gens du pays, ce qui a de quoi surprendre quelque peu. « Le public dit admirer mon intelligence, mais la maîtrise des langues se situe sur un autre plan. Si je l’ai acquise, c’est en l’étudiant. En revanche, la connaissance que j’ai de l’histoire et des traditions coréennes est restreinte et je ne suis capable de parler que de mon vécu. Je m’efforce donc en permanence d’apprendre pour remédier à ces faiblesses », confie-t-elle.
Des lacunes à combler
Si Eva Lee n’a pas renoncé à son rêve d’animer un jour des émissions de télévision, elle s’intéresse pour le moment aux possibilités qu’offre YouTube, étant plus accessible et moins restrictif dans son utilisation, ce qui autorise un contenu d’une plus grande diversité. Dans un monde en constante évolution, l’expérience de la vie à l’étranger ne suscite plus autant d’intérêt et, quoique mariée à un Coréen, la jeune femme n’envisage pas un seul instant de rester toute sa vie dans son pays d’accueil. Elle se contente de penser qu’elle y réside « pour le moment », tandis que son mari est désireux de passer quelque temps en Russie, le couple étant tout aussi disposé à vivre dans un pays tiers. À ses yeux, l’apport des ressortissants étrangers ne doit pas se résumer à faire l’éloge de leur pays d’accueil ou à
1. Eva Lee figure souvent parmi les candidats du jeu-concours Étrangers sud-coréens que diffuse la chaîne MBC et où elle s’est distinguée par son excellente maîtrise de la langue. 2. Eva Lee donnant un cours de coréen sur la chaîne YouTube The World of Dave qu’a créée l’Américain David Kenneth Levene, Jr. Ses élèves s’émerveillent toujours de sa compréhension des moindres subtilités du coréen.
comparer son peuple, sa cuisine et sa culture avec ceux de leur propre pays. « Ils pourraient fournir des conseils aux jeunes sur leur orientation professionnelle, par exemple, ou, dans le domaine économique, faire bénéficier les entrepreneurs de leur expérience », suggère-t-elle. Du fait de ses compétences linguistiques, elle serait parfaitement en mesure d’animer d’intéressants débats entre locuteurs coréens et étrangers, mais elle s’estime encore trop jeune et ne possède pas suffisamment de contacts pour ce faire. Par ailleurs, Eva Lee s’est fixé pour objectif d’œuvrer à la promotion des relations russo-coréennes en cette année qui marquait le trentième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, mais que l’actuelle pandémie a privée de plusieurs manifestations. La jeune femme n’en continue pas moins son travail dans ce domaine en effectuant des traductions sur Instagram, ainsi que des interprétations à titre bénévole pour un centre d’appels qui répond à des besoins aussi différents que l’indication d’une destination à un chauffeur de taxi ou le moyen de faire patienter une personne enfermée dans les toilettes d’un aéroport. Du haut de ses vingt-huit ans, Eva Lee déborde de talent et a toute la vie devant elle pour continuer de rêver… en deux langues, bien entendu.
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ESCAPADE
MÉDITATIONS SUR UN SENTIER DE MONTAGNE Accrochés aux flancs est et ouest du mont Jogye, dans la province du Jeolla du Sud, les temples de Seonam et Songgwang abritent des religieux appartenant aux deux grands ordres bouddhistes coréens et, si leur vocation première en fait des lieux de culte, ils attirent aussi nombre de promeneurs. Lee Chang-guy Poète et critique littéraire Ahn Hong-beom Photographe
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n saisissant les mots clés « temple de Songgwang » ou « temple de Seonam » sur un moteur de recherche coréen, les internautes verront aussitôt s’afficher l’entrée « sentier reliant les temples de Songgwang et de Seonam », car nombre d’autres se sont intéressés avant eux à ce parcours long de 6,5 kilomètres qui semble susciter autant d’intérêt que les deux sanctuaires eux-mêmes. Situés à l’extrémité méridionale de la péninsule coréenne, ces lieux de culte semblent se faire pendant de part et d’autre du mont Jogye et, s’il n’est pas rare, en Corée, de voir deux temples d’âge et d’envergure comparables au pied d’une même montagne, on en trouve fort peu en bois parmi eux. Le vent du sud soufflant sur ces contrées apporte un air chaud et humide propice à la croissance de quantité de feuillus et pins qui, voilà plus de mille ans, fournirent le matériau destiné à la construction de ces édifices dont les dégradations occasionnées par l’homme et les intempéries font aujourd’hui l’objet de travaux de restauration.
Des emplacements opposés
Si le temple de Seonam, qui se situe sur la face est du mont Jogye, s’élève à une plus haute altitude, la longueur du sentier qui le relie à son voisin du versant opposé se répartit équitablement entre les deux par rapport au sommet. À l’époque où quelques cars assuraient une desserte irrégulière du village d’Oesong, dont le nom signifie « pin extérieur » et qui s’étend jusqu’au temple de Songgwang, cet étroit chemin fournissait à ses habitants un raccourci jusqu’à la ville de Suncheon. Aujourd’hui, ceux-ci disposent d’une liaison régulière par la ligne n°111 dont les cars partent de la gare de Suncheon toutes les demi-heures à destination de ce sanctuaire. Alors que seuls l’empruntaient autrefois les villageois qui allaient ramasser des plantes médicinales, pratiquaient l’agriculture sur brûlis ou souhaitaient arriver plus rapidement à destination, le sentier des deux temples offre un circuit de randonnée d’une journée depuis la création du parc régional du mont Jogye dans les années 1980. Aujourd’hui encore, son succès ne se dément pas, puisque pas moins de 400 000 personnes le parcourent chaque année au coeur d’une forêt qu’embellit la présence des temples de Seonam et Songgwang. Ces derniers se distinguent de la plupart des autres temples de montagne par leur origine plus que millénaire, mais également parce qu’ils se trouvent dans des chongnim, ces fameuses et rares « forêts luxuriantes » qui abritent un important monastère où est assurée l’instruction religieuse. Songgwang, l’un des plus beaux temples que compte la Corée, réunit en son sein les trois piliers du bouddhisme que sont le culte du Bouddha, le dharma et un sangha, à savoir une communauté de bonzes appartenant ici à l’ordre bouddhiste coréen de Jogye. Ce dernier nom provient de celui de la montagne où s’élève cet édifice, lequel est lui-même dérivé de celui du mont chinois Caoxi
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1. Entre les temples de Seonam et Songgwang respectivement situés sur les versants oriental et occidental du mont Jogye, s’étend un sentier long d’environ 6,5 km qui permet de franchir le col de Gulmokjae. Aménagé par les moines de ces deux sanctuaires voilà plus d’un millénaire pour assurer les nombreux échanges qu’ils entretenaient, il fournit aujourd’hui un circuit de randonnée qui attire les marcheurs par dizaines de milliers. 2. Ces mâts totémiques, dits jangseung, se dressent au bord du sentier de Gulmokjae où ils servent de points de repère, tout comme ceux qui jalonnaient autrefois les routes, mais étaient surtout placés à l’entrée des villages pour représenter les divinités gardiennes.
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où s’établirent les premiers adeptes du bouddhisme zen. La plupart des moines les plus illustres de Corée y ayant séjourné, ceux d’autres pays aiment à le visiter, de même qu’il intéresse tous ceux qui étudient le bouddhisme coréen. Seonam, quant à lui, se rattache à l’ordre de Taego issu d’une scission avec celui de Jogye et a été inscrit en 2018 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO pour avoir participé à la conservation et à la transmission de la culture bouddhique coréenne, comme en témoigne aussi le classement de nombre de ses objets parmi les « trésors nationaux » du pays. La place et le rôle tout aussi importants de ces deux sanctuaires ne font qu’ajouter à l’exceptionnelle qualité d’un circuit pédestre suscitant l’engouement chez les jeunes et moins jeunes à l’idée de partir sur les traces des ascètes de jadis qui renoncèrent aux attaches et convoitises de ce monde pour entreprendre leur quête de l’illumination. Pour autant, tous ne sont pas de vieux moines austères et, tandis que les promeneurs d’une constitution peu robuste s’essoufflent à cette ascension comme s’ils fuyaient leur ombre, avant d’en entamer une nouvelle, d’autres, en sportifs aguerris des clubs de randonnée, l’effectuent à grandes enjambées, avec l’assurance d’un guide connaissant parfaitement les lieux… Dans les deux cas, les marcheurs aspirent pareillement à chasser momentanément leurs soucis en parcourant ce sentier aux effets apaisants. Les moindres petits cailloux et fleurettes sauvages qui le jonchent leur feront chaud au cœur le temps d’une randonnée.
Un certain réconfort
Le voyageur qui descend en gare de Suncheon hésite à commencer par l’un ou l’autre des temples, mais, si son choix se porte sur celui de Seonam, il se délectera de la vue du ruisseau aux eaux vives qui coule en contrebas et de l’ombre fraîche des imposants cyprès hinoki bordant la vallée. Puis, en découvrant la forme en arc-enciel du pont de Seungseon, c’est-à-dire « des immortels ancêtres », il se sentira aussitôt transporté dans la Terre Pure. Aux premiers jours du printemps, il tombera sous le charme des fleurs de prunelliers quatre fois centenaires plantés le long du mur de pierre qui s’élève à l’arrière du grand pavillon dit Daeungjeon, c’est-à-dire « du grand héros ». Peu après, les corolles des cerisiers lui réserveront un accueil tout aussi agréable. En franchissant la grande porte du temple, dite Iljumun, ou « du pilier unique », parviendra à ses narines le parfum suave d’osmanthes dont les myriades de petits pétales blancs tapisseront le sol, l’automne venu. Cette entrée compose, avec l’étang et de modestes bâtiments joliment disposés, un véritable village ayant pour centre ces arbres en fleurs, tout du moins à mon sens. Un parallèle est souvent établi entre le Pont des immortels ancêtres du temple de Seonam et le Pont de Samcheong, c’est-àdire « des trois divinités immaculées », du temple de Songgwang,
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où les bâtisseurs ont semblé remédier à quelque carence par l’adjonction du pavillon Uhwagak, cette construction d’une légèreté aérienne évoquant un immortel montant au ciel. Nul autre sanctuaire n’offre pareil lieu destiné au repos. Un ruisseau à l’eau fraîche vient amonceler à ses pieds les feuilles multicolores tombées d’arbres solitaires blottis au cœur de montagnes que personne ne vient admirer. Parti de Seonam dans la matinée pour gagner Songgwang au coucher du soleil, le promeneur pourra le dominer du regard au prix d’un peu d’escalade. Les lointaines collines s’enchaînant à l’infini,
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1. Pont de Seungseon conduisant au temple de Seonam, l’un des sept sanctuaires de montagne coréens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. L’arche de cet ouvrage s’orne, au centre de sa voûte, d’un surprenant haut-relief représentant une tête de dragon. 2. Le pont de Samcheong qui se trouve au temple de Songgwang, s’il est d’une taille plus modeste que celui du temple de Seonam, se distingue en revanche par sa couleur. En sortant du pavillon Uhwagak qui s’y élève, on débouche sur l’avant-cour du temple.
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1. Au temple de Seonam, ces deux pagodes de pierre datant de la période de Silla Unifié (676-935) se situent dans l’avantcour du grand pavillon Daeungjeon. Composées de trois étages qui reposent sur un socle à double niveau, elles ont été classées Trésor national n°395. 2. Le temple de Songgwang figure parmi les trois plus beaux de Corée, aux côtés de ceux de Haein et Tongdo. En raison des seize vénérables moines qui y vécurent et devinrent des précepteurs nationaux, l’expression de « joyau du sangha » est souvent employée pour désigner ce sanctuaire. 3. S’élevant sur la gauche du pavillon Uhwagak et constituant l’un des plus beaux édifices du temple de Songgwang, le pavillon Imgyeongdang est pourvu de grandes fenêtres qui laissent entrer la lumière à profusion.
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vues des galeries sombres du temple, composeront un spectacle empreint de quiétude qui lui laissera un souvenir durable. Face au grand pavillon, il découvrira la vaste cour qui constitue le cœur du sanctuaire. L’actuelle implantation du site résulte de la reconstruction des bâtiments d’origine détruits par un incendie pendant la guerre de Corée. Chacun de ses lieux mérite que l’on prenne le temps de s’y arrêter longuement pour en goûter la paix, ce bien aussi précieux qu’éphémère.
Un sentiment de quiétude
Au départ du temple de Seonam, le marcheur parvient à une première colline, dite de Gulmokjae, après avoir traversé un bois de hinoki où il a aperçu un rocher dont la forme lui aura fait penser à celle d’un tigre assis qui semble tout occupé à lire dans les pensées des passants, menton appuyé sur une patte. Nul doute qu’il trouvera la montée assez raide sur cette partie du sentier, à l’horizon duquel se dresse, au nord, la cime du mont Jogye, mais, à sa descente de cette hauteur, le parcours se fera moins éprouvant. En
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entamant au contraire sa marche à partir de Songgwang, il cheminera le plus souvent dans la vallée et franchira ce faisant un robuste pont en bois, puis passera devant un rocher dont la légende dit qu’il aurait dévalé toute la pente et menacé de s’arrêter au beau milieu du sentier, n’était l’intervention d’un moine doué d’un pouvoir spirituel qui l’avait stoppé net dans sa chute. Le toponyme de Gulmokjae est gravé sur un autre rocher situé non loin de là, la colline portant le nom de « Grand Gulmokjae » sur son versant s’élevant à partir du temple de Seonam et de « Petit Gulmokjae », sur celui qui abrite le temple de Songgwang. Cette dernière appellation provient du nom du bassin versant du mont Jogye situé sur la route des monts du Honam, l’actuelle province de Jeolla. Tandis que le ruisseau de la face est se jette dans la baie de Suncheon, celui qui coule à l’opposé se dirige vers le village côtier de Beolgyo. Passé la colline, le randonneur poursuivra un peu sa descente et aura la surprise de tomber sur un restaurant proposant des spécialités à base de grain d’orge. En Europe et en Asie, la consommation de seigle et d’orge recouvrait une même fracture sociale, à savoir qu’elle était le propre des catégories modestes, alors que pain blanc à base de farine de froment et riz blanc raffiné étaient réservés à une frange privilégiée de la population. L’orge s’est fait apprécier depuis par la valeur nutritive qu’elle possède et la nostalgie qu’elle suscite. Aménagé dans un ancien abri dont on se servait parfois pendant les travaux de culture sur brûlis, cet établissement fournit aujourd’hui une halte incontournable dans tout circuit de randonnée des environs. Composé d’orge et de riz cuits à la vapeur
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dans un grand chaudron en fonte et accompagnés de légumes sauvages du jardin et de la production locale, ainsi que d’une soupe au concentré de soja et aux feuilles de radis séchées, son menu, certes fort simple, constituera un véritable festin après une montée d’une heure ou deux à six cents mètres d’altitude. Certains groupes n’hésitent pas à entreprendre une escalade d’une vingtaine de minutes à partir du village de Jangan dans le seul but d’y goûter, d’autres choisissant de se rendre le plus rapidement possible dans ce restaurant renommé, en voiture, par une ruelle qui serpente jusqu’à la haute ville, où ils se gareront avant de faire quelques pas. Si le plat en question se révèle un peu fade, la vitesse à laquelle chacun l’engloutit fait dire de ce restaurant qu’il est « le meilleur » en son genre, et ce, bien que les mangeurs rassasiés n’en éprouvent pas une réelle satisfaction. Cette impression ne résulte
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1. En descendant du Gulmokjae, les promeneurs découvrent un restaurant vieux de quarante ans qui propose une cuisine à base d’orge. Ils pourront s’y délecter d’un simple plat de riz et légumes verts à l’assaisonnement relevé de concentré de piment rouge.
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pas du fait d’avoir mangé plus qu’à l’accoutumée ou digéré plus vite, mais peut-être de ce que l’on ne sait tout bonnement plus ce qu’est la faim.
Quelques rappels historiques
Il y a quelque chose d’éphémère dans tout chemin que l’on parcourt comme dans le réconfort et la paix que l’on peut y trouver ou dans l’état de satiété que procure un repas. Dans ces récits du rocher au tigre assis lisant dans les pensées et les sentiments des gens de passage ou du moine aux pouvoirs extraordinaires arrêtant le rocher en mouvement, il convient de voir, par-delà des créations fantaisistes de l’esprit, un condensé de l’histoire du sentier de Gulmokjae et des nombreuses péripéties qu’elle connut au cours d’un millénaire. S’agissant de l’histoire moderne du pays, le terme « ppalchisan » désigne une bande armée de partisans communistes telle qu’il en exista pendant la guerre de Corée et dont l’activité se déployait par-delà ce mont Jogye auquel les combattants accédaient à partir du mont Jiri qui constituait leur bastion. Ils trouvèrent notamment où se cacher dans la vallée de Honggol située à proximité du temple de Songgwang et c’est en ce même lieu que se déroula une sanglante bataille où ils furent exterminés, tout comme les nombreuses personnes âgées qui séjournaient au temple. Ainsi, ceux qui pourchassaient sans pitié l’ennemi le firent à leur tour. Un événement ultérieur allait être à l’origine d’un conflit d’une portée considérable par son envergure comme par sa durée. Peu après la fin de la guerre de Corée, en 1954, le président Syngman Rhee prohiba le mariage des moines au motif qu’il représentait un vestige de la colonisation japonaise. Si ces unions avaient été totalement proscrites dans un lointain passé, l’abandon du bouddhisme
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2. C’est à l’ermitage de Buriram, qui s’élève sur une colline située derrière le temple de Songgwang, que Beopjeong (1932-2010), un illustre religieux vénéré pour sa droiture et ses règles de conduite, vécut de la fin de la première moitié des années 1970 au début des années 1990 et composa son célèbre recueil d’essais intitulé « Non-possession ».
par le royaume de Joseon, dans les dernières années de cette période (1392-1910), conduisit souvent à considérer les moines qui assuraient l’entretien des temples comme des laïcs. Sous la domination japonaise (1910-1945), plus exactement à la fin de l’ère Meiji, les moines coréens subirent l’influence du bouddhisme japonais, qui commençait alors à autoriser le mariage des moines, et pas plus tard qu’en 1945, ils furent plus nombreux à s’unir qu’à observer le célibat. Dans un ouvrage intitulé Joseon bulgyo yusinnon, c’est-à-dire « restauration du bouddhisme coréen », qui parut en 1913, le moine et poète Han Yong-un (1879-1944) écrivait quant à lui : « Il est absurde d’affirmer qu’un être de chair et de sang ne ressent ni la faim, ni le désir charnel », après quoi il exhortait les religieux à choisir librement leur voie. L’intervention de l’État dans une question dont le règlement incombait à la seule communauté bouddhiste occasionna plus d’effets néfastes aux temples que la guerre elle-même. En 1969, la Cour suprême statua que seuls les moines ordonnés et célibataires pouvaient être investis d’une autorité religieuse, mais certains, s’insurgeant contre décision, créèrent alors l’Ordre bouddhiste coréen de Taego et lui donnèrent pour siège le temple de Seonam. Dès lors, l’époque était révolue où les moines des deux temples échangeaient entre eux maîtres, moines et enseignements, des litiges portant sur les droits de propriété de celui de Seonam étant même en cours aujourd’hui encore.
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Nidanas
Au temple de Songgwang, le service de l’aube revêt une pieuse solennité et s’accompagne de sonorités que le musicien Kim Yeong-dong a mises en valeur dans ses compositions rassemblées dans l’album Musique coréenne pour la méditation bouddhique qu’il a enregistré en 1988. Aux sons des quatre instruments du temple que sont le tambour du dharma, le poisson en bois, le gong en forme de nuage
et la cloche, ainsi que des psalmodies des prières et du Soutra Prajñā-paramita, s’ajoutent ceux du synthétiseur et des grande et petite flûtes en bois traditionnelles que sont respectivement le daegeum et le sogeum. Les amateurs de chants grégoriens y apprécieront particulièrement le dernier morceau intitulé Banya Simgyeong, ces mots étant la transcription en coréen de Soutra Prajñā-paramita. Cette livraison, dont se dégage une émotion tout autre que celle créée par la musique de méditation New Age, est également disponible sur un CD enregistré en 2010 par l’ingénieur du son professionnel Hwang Byeong-jun. Des sons de la nature tels que le bruit du vent y ont été supprimés pour faciliter la concentration sur le son et l’acoustique de l’ancien bâtiment en bois. Tandis que le charme de la musique de Kim Yeong-dong repose sur la révélation des bruits cachés de la nature et sur leur dissémination dans un nouvel espace, les créations de Hwang Byeong-jun nous entraînent dans une dimension temporelle qui disparaît sans laisser de trace. Kim Yeong-dong affirme que l’idée de son album lui est venue après avoir fait la rencontre du Vénérable Beopjeong (1932-2010) à l’ermitage de Buril situé au temple de Songgwang. Le renoncement aux biens de ce monde auquel s’astreignait ce religieux dans son mode de vie lui avait attiré un respect unanime, toutes confessions religieuses confondues. Devant l’entrée de l’habitation, se trouve toujours la chaise en chêne que le Vénérable fabriqua de ses mains et sur laquelle semble se reposer, assise, une feuille de pivoine qui y est tombée. En la voyant, nul doute que le saint homme aurait lancé à son intention : « Chère feuille, délasse-toi, car tu t’es donné bien du mal pour rester sur ton arbre ! ».
Lieux à visiter près du mont Jogye Temple de Songgwang
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Mont Jogye Temple de Seonam Parc provincial du mont Jogye
2 Lieu de tournage en extérieur, à Suncheon
Hôtel de ville de Suncheon
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1 Forteresse et village de Nagan
4 Réserve naturelle de la baie de Suncheon
Séoul 3
3 Parc national de la baie de Suncheon
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330 km Suncheon Mer du Sud
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INGRÉDIENTS CULINAIRES
Tout est bon dans le lieu jaune Le lieu jaune, ce poisson de l’hiver, prodigue de précieux bienfaits pour la santé par sa teneur plus élevée en protéines et plus faible en graisses que celle des espèces bleues, de sorte qu’il prend toujours place sur les tables des cérémonies traditionnelles coréennes. Jeong Jae-hoon Pharmacien et rédacteur culinaire
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e myeongtae, ou lieu jaune, figure parmi les principaux poissons employés dans la cuisine coréenne, comme en attestait déjà le volumineux recueil d’essais Imha pilgi, c’est-à-dire « textes écrits dans la forêt », où un savant de la période de Joseon, Yi Yu-won (1814-1888) en faisait mention en 1871. L’auteur y relate un fait survenu à Myeongcheon, une ville de la province de Hamgyeong aujourd’hui située en Corée du Nord où un pêcheur appelé Tae fit présent du poisson qu’il avait pris au gouverneur de cette région. Ce dernier l’apprécia tant qu’il demanda à en connaître le nom, lequel s’avéra être inconnu de tous, les seuls renseignements qu’il put obtenir étant que le pêcheur se nommait Tae et habitait Myeongcheon, et le gouverneur de décréter alors que l’on appellerait désormais ce poisson « myeongtae ». Si cette explication relève vraisemblablement de l’étymologie populaire, le fait que Yi Yu-won rapporte cette anecdote ne révèle pas moins que le lieu jaune était au nombre des poissons les plus communs de l’époque. Plus loin, cet érudit indique par ailleurs : « Min Jeongjung, pour sa part, affirma que cette espèce serait plus appréciée encore dans trois cents ans. Il semble bien que sa prédiction se soit réalisée, à en juger par la quantité que j’en ai vu amoncelée sur les berges de la O lors de mon passage à Wonsan et que je n’ai pas même pu évaluer, tant leurs tas s’élevaient haut, comme autant de piles de bois de chauffage ». En ce XVIIe siècle où Min Jeong-jung formula cette prévision, le lieu jaune n’appartenait pas encore aux ingrédients de base de la cuisine coréenne, ce dont témoignait en 1952 le Seungjeongwon ilgi, c’est-à-dire le « Journal du Secrétariat royal », en évoquant une douteuse préparation mêlant œufs de lieu jaune et de morue que fit parvenir la province de Gangwon au roi Hyojong. Trois siècles plus tard, l’abondance de cette première espèce allait néanmoins favoriser l’essor de sa pêche et de sa consommation, ainsi que sa présence parmi les offrandes rituelles des Coréens de toute catégorie sociale.
Les procédés de séchage
Jusqu’à l’apparition des appareils de réfrigération modernes, le lieu jaune n’était vendu sur les marchés que sous forme séchée, hormis l’hiver, et prenait une appellation différente selon le degré plus ou moins poussé de cette opération, à savoir celle de kodari quand il est à demi séché, éviscéré, débarrassé de ses branchies et présenté en guirlande, jjaktae, lorsque salage et séchage lui procurent une texture moelleuse, ou de bugeo, qui est l’autre nom du myeongtae de
jadis et désigne un poisson que l’on a brièvement fait sécher au soleil et à l’air de la mer sur la côte. À cela s’ajoute le lieu jaune dit « hwangtae », qui subit une exposition à des températures tour à tour froides et chaudes pour réduire ou augmenter sa teneur en eau, et ce, à plusieurs reprises pendant plusieurs mois de l’année, la chair devenant ainsi plus ferme. C’est l’alternance de l’état gelé la nuit et dégelé le jour qui, en entraînant la forma1. Réalisé à l’air libre pendant l’hiver pour obtenir le hwangtae, le séchage du lieu jaune consiste à faire geler et dégeler le poisson plus de vingt fois successives. Les parcs de séchage se situent en montagne, non loin du littoral de la province de Gangwon, notamment au col de Daegwallyeong ou de Jinburyeong, ainsi que dans l’agglomération de Pyeongchang. 2. On déchiquette du hwangtae dans le sens de la longueur pour l’ajouter à des soupes ou condiments, tandis qu’à peine grillé, il fournira un amuse-bouche à servir avec de la bière.
2 © gettyimages
tion de nombreux pores, confère à la chair sa texture spongieuse bien particulière. Si la proportion d’eau présente dans le bugeo est supérieure à celle du hwangtae, le second s’avère moins ferme et, donc, plus facile à mâcher en raison de la densité de ses pores. Chez ce dernier, en outre, la faible hygrométrie et l’abondance de vent qui caractérisent le climat montagnard éliminent l’humidité de la chair et permettent ainsi son séchage plus rapide sans qu’elle n’acquière plus de dureté. Du fait de cette consistance tendre, chaque poisson se détachera d’autant plus aisément de la cordelette qui le relie aux autres.
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Tandis que graisses et acides aminés tendent à jaunir au cours du séchage, puis du mûrissement, comme l’indique le terme hwangtae, dont le vocable « hwang » signifie « jaune », des températures très froides conservent au poisson sa chair blanche, qui lui vaut alors d’être appelé baektae, et de fortes chaleurs foncent au contraire celle du meoktae, les mots « baek » et « meok » voulant respectivement dire « blanc » et « sombre » ou « noir ». Le hwangtae séché du Daegwallyeong fait la réputation de ce col qui s’élève non loin du littoral oriental coréen et les photographes amateurs accourent des quatre coins du pays pour saisir dans leur objectif des images de ses parcs de séchage où s’alignent les claies recouvertes de neige.
De multiples façons de l’accommoder
Différentes par leur mode de production, les variétés de lieu jaune séché se prêtent à des préparations tout aussi diverses, à l’instar du hwangtae et du bugeo. À peine grillés, ils fourniront un excellent amuse-bouche et, pour accompagner le riz, il suffira de les attendrir en les mettant à tremper dans l’eau avant de les agrémenter d’un assaisonnement au concentré de piment rouge ou à la sauce de soja. On pourra aussi confectionner un savoureux plat épicé en découpant grossièrement du hwangtae que l’on fera mijoter avec oignon, poireau, piment rouge et pousses de soja, l’en-
semble étant assaisonné au goût de chacun et le kodari ou le bugeo pouvant se substituer au hwangtae plus coûteux. Particulièrement appréciée des Coréens, une délicieuse grillade de ce poisson est réalisable après l’avoir fait tremper dans l’eau, puis nappé d’une sauce composée de concentré de piment rouge et d’autres condiments, ce qui ne manquera pas d’inciter les mangeurs à se désaltérer. S’ils se marient donc fort bien avec l’alcool, hwangtae et bugeo s’avèrent aussi utiles pour en combattre les effets fâcheux des lendemains de beuverie. À cet effet, on se contentera d’en faire faire revenir des morceaux accompagnés de dés de radis chinois dans quelques gouttes d’huile de sésame ou de périlla, d’arroser d’eau et de faire bouillir le tout jusqu’à l’obtention d’une soupe blanchâtre à laquelle viendront s’ajouter au dernier moment un oeuf et un peu de tofu. Après les excès de la nuit, cette préparation accompagnée de riz provoquera une bienfaisante sudation chez le mangeur. Rien n’étant à jeter dans le lieu jaune, comme d’aucuns l’affirment, une friture de peau de bugeo fera les délices des gourmets, qu’elle soit ou non assaisonnée, branchies, viscères et œufs convenant quant à eux à des salaisons. C’est à partir de la Corée que les œufs en saumure, qui y sont appelés myeongnan, ont été introduits au Japon où ils ont pris le nom de mentaiko signifiant littéralement « œufs de myeongtae » et entrent dans la composition de différents en-cas tels que nouilles, boulettes de riz ou sandwichs. En Corée, la principale région pro1 ductrice de cette spécialité se situe à Busan, où différentes entreprises effectuent des recherches visant à la création de nouvelles recettes et, si la tendance actuelle veut qu’elle se consomme moins salée, les préparations relevées n’en sont pas moins recherchées. Aujourd’hui, les œufs en saumure connaissent de nouveaux usages consistant à agrémenter certains aliments simples, telles les algues séchées ou la croûte brûlée du riz qu’ils viendront recouvrir, outre qu’ils sont parfois commercialisés sous forme de pâte en tube. Toutefois, c’est sans conteste le myeongtaetang, ce ragoût de lieu frais, qui a le plus souvent la faveur des Coréens. À chaque cuillerée, ils se délectent de la tendre chair blanche qui © gettyimages
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Loin d’être prisé des seuls Coréens, le lieu jaune se classait en 2018 au deuxième rang des espèces les plus pêchées et consommées au monde.
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fond dans la bouche et absorbent tout leur bol de riz d’autant plus aisément. Le lieu jaune, comme toutes les espèces marines, et contrairement aux animaux terrestres, n’ayant aucun effort à fournir pour résister à la gravité, sa chair s’avère naturellement moins coriace.
Situation en mer de l’Est
Les espèces évoluant en eau profonde, tels le lieu jaune ou la morue, possèdent une teneur plus élevée en protéines et plus faible en graisses que les espèces bleues, outre qu’elles se caractérisent par leurs fibres musculaires courtes formant des myotomes, lesquels se subdivisent en éléments fins et allongés. Une étude réalisée en 2019 par l’Université nationale de Singapour a révélé que cette structure en V résultait de facteurs environnementaux et plus précisément des frictions et autres contraintes produites par les mouvements du poisson dans l’eau.
1. La soupe de lieu jaune séché possède des vertus bien connues contre les désagréments de l’excès d’alcool. D’un aspect blanchâtre, elle s’obtient en faisant sauter des lanières de bugeo et de fines tranches de radis chinois dans quelques gouttes d’huile de sésame, après quoi il suffira de faire bouillir le tout dans l’eau. 2. On pourra confectionner d’excellents condiments à l’aide de bugeo ou de hwangtae dont on aura déchiqueté et fait tremper des fragments jusqu'à ce qu’ils soient tendres, après quoi on relèvera l’ensemble d’une sauce à base de concentré de piment rouge. 3. Les salaisons d’œufs de lieu jaune sont une denrée coûteuse qui se consomme arrosée d’huile de sésame et accompagnée de riz.
3 © PIXTA
Loin d’être prisé des seuls Coréens, le lieu jaune se classait en 2018 au deuxième rang des espèces les plus pêchées et consommées au monde. Depuis la révision à la baisse des quotas de pêche à la morue, le lieu jaune s’est rapidement imposé en tant que substitut de cette espèce menacée de disparition, tout en demeurant à ce jour l’une des ressources disponibles aux fins de la pêche durable. En outre, ce poisson fait souvent l’objet d’une transformation en surimi. Cependant, force est de constater que la population de lieus jaunes a été presque entièrement décimée dans les zones de pêche côtière coréennes et que le poisson frais ou séché qui se vend dans le pays, de même que ses œufs, sont presque toujours issus de l’importation. La raréfaction de cette espèce au large des côtes péninsulaires s’est produite sous l’effet conjugué de l’élévation de la température de l’eau et de la surpêche de sujets précoces. Quatre siècles ont passé depuis que le lettré Min Jeongjung rédigea ses écrits prophétiques et le lieu jaune s’avère en effet être tout aussi apprécié que sous le royaume de Joseon, quoique d’une inquiétante rareté. Fort heureusement, les actions entreprises pour assurer la protection de cette espèce et limiter sa pêche ont apporté un début d’amélioration de cette situation, puisque les prises de lieu jaune avoisinaient 21 000 unités en 2018. Si le spectacle de ces poissons entassés comme du bois de chauffage appartient désormais à des temps révolus, il est à espérer que les myeongtae de la pêche du jour en mer de l’Est feront un jour leur retour sur les tables coréennes.
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MODE DE VIE
Une voiture en guise de tente
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Dans le cadre de leurs loisirs, toujours plus de Coréens font le choix de se servir de leur véhicule pour camper et peuvent ainsi s’offrir quelques escapades à moindres frais à condition de n’être pas trop exigeants en matière de confort, la pandémie actuelle venant renforcer cette tendance du fait de l’impératif de distanciation physique. Kim Dong-hwan Journaliste au Segye Times
«C
ommencez par tirer autant que possible la banquette avant, puis repoussez la banquette arrière », explique un usager de YouTube en joignant le geste à la parole dans son propre véhicule utilitaire. Après avoir aménagé l’habitacle en moins de trente secondes, il procède à quelques mesures avant de placer le matelas. Les dimensions atteignent deux mètres de long sur un de large. Il n’y a plus qu’à se reposer. « Un adulte peut dormir tout à fait correctement dans ces conditions », affirme l’homme en souriant, « et, s’il est en compagnie de sa petite amie, ils n’auront pas à craindre un manque d’intimité ». Depuis sa mise en ligne sur YouTube, qui date déjà du mois de juillet 2019, cette vidéo avait été visionnée plus de cent mille fois en octobre dernier. Camper de cette manière revient en quelque sorte à bivouaquer dans une voiture, car le matériel nécessaire est réduit au strict minimum au détriment du confort et des commoCamping en voiture sur les rives du lac de Chungju. Cette pratique permet d’éviter les longues listes d’attente imposées par les réservations dans les campings classiques.
dités, les avantages offerts attirant en revanche les voyageurs qui disposent d’un petit budget, mais aussi ceux que rebutent les contraintes de réservation et d’organisation de leurs séjours. Entre la fin février et le début septembre derniers, l’effectif des adhérents du Club des campeurs en voiture est passé de 80 000 à 170 000 personnes, ce qui fait de cette communauté en ligne coréenne la première dans le domaine du camping. La survenue de l'épidémie de Covid-19 n’est évidemment pas étrangère au doublement de ce chiffre, non seulement parce que la liberté qu’autorise la pratique en question favorise une meilleure résistance psychologique et émotionnelle à la maladie, mais aussi du fait d’une vie en plein air qui évite une trop grande proximité entre les gens. Voilà peu, pas moins de 400 000 personnes allaient regarder la vidéo d’une YouTubeuse qui donnait son avis sur cette formule de séjour, à savoir qu’elle fournit la solution idéale à ceux qui souhaitent passer quelque temps seuls. En mars dernier, époque à laquelle se renforçait l’arsenal de mesures destinées à lutter contre la propagation de la maladie en imposant notamment le respect systématique de la distancia-
© Lee Jung-hyuk
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Cette pratique présente l’avantage de permettre de partir à tout moment et de se garer librement sans avoir à rechercher un camping ou un parc, ce qui supprime aussi la contrainte de la réservation.
1
tion physique, la célèbre émission de téléréalité coréenne Je vis seul consacrait l’un de ses numéros au cas de deux jeunes gens, l’un acteur et l’autre membre d’un boys’ band, qui avaient choisi le camping en voiture pour séjourner sur la côte en stationnant dans un parc. Suite à cette diffusion, les moteurs de recherche allaient être pris d’assaut par des internautes souhaitant s’informer sur le sujet, tandis que nombre d’autres se manifestaient sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram, où la saisie du mot dièse « camping en voiture » donnait accès à des milliers de résultats.
Des loisirs d’un genre nouveau
Le succès croissant de cette nouveauté en matière de loisirs s’explique par la possibilité de séjours improvisés et du choix plus facile de leur lieu. À tout moment, notamment en fin de semaine, quand le besoin de repos se fait sentir, les adeptes de cette formule peuvent sauter dans leur voiture dès le vendredi soir et trouver un endroit agréable où respirer un air plus pur. Ils y gareront
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librement leur véhicule et n’auront pas à rechercher un camping ou un parc, ce qui supprime aussi la contrainte de la réservation. Si les terrains de camping classiques accueillant tentes et véhicules de loisirs n’ont pas perdu de leur attrait, les places limitées dont ils disposent exigent de patienter longuement avant de pouvoir en retenir une et, à la haute saison, les vacanciers doivent commencer très tôt à organiser leur séjour, ce qui n’est pas sans déplaire à certains. Ils préfèrent alors camper dans leur voiture et, pour ce faire, choisissent le plus souvent de s’arrêter dans des parcs avec toilettes publiques situés en bord de mer ou de rivière. Parmi les nombreux lieux qui répondent à ces exigences, toujours plus en viennent à limiter la possibilité de cette forme de camping en raison des inévitables dégradations qu’occasionnent à l’environnement une longue présence de personnes motorisées et la cuisine qu’elles préparent régulièrement. Les points faibles du camping en voiture ne résident pas dans ces seuls inconvénients, car, en termes de
1. Intérieur d’un véhicule utilitaire sport adapté au camping. Contrairement au matelas, article indispensable, la décoration est laissée au choix du campeur. 2. Si le SUV est particulièrement adapté au camping en voiture de par son habitacle spacieux, la voiture particulière peut aussi s’y prêter en permettant de rabattre ses sièges et de régler leur position pour obtenir un meilleur confort.
2 © Kim Nam-jun
confort, le matelas pneumatique ne peut égaler une literie classique et n’est donc pas recommandé à ceux qui souffrent de problèmes de sommeil. En outre, le plancher d’une voiture étant rarement de niveau sur toute sa surface, il ne se prête guère à cette utilisation et si, depuis 2020, un aménagement de la réglementation autorise la conversion des voitures particulières en véhicules de camping, une totale planéité n’en reste pas moins irréalisable. En outre, pour des raisons évidentes, le camping en voiture n’est pas de nature à satisfaire ceux qui aiment à commencer la journée par une bonne douche ! Enfin, les vacanciers que tente cette pratique se doivent de prendre en compte les conséquences de certaines conditions météorologiques, car un long fonctionnement du chauffage ou de la climatisation d’une voiture n’est pas dépourvu de risques.
Un nouveau marché
L’industrie automobile et les fabricants d’équipements de plein air s’efforcent d’atténuer ces désagréments par une offre innovante, notamment
© gettyimages
dans le créneau du véhicule utilitaire, qui permet de transporter passagers et objets tout en fournissant suffisamment de place pour le couchage et une bonne protection contre les intempéries, ce qui en fait aujourd’hui un produit très répandu en Corée. Les ventes de camionnettes ont aussi fortement progressé dans le pays, puisqu’elles s’élevaient à près de 22000 unités en 2017 et ont atteint le chiffre d’environ 42000 l’année suivante, selon une étude réalisée par l’Association coréenne des constructeurs automobiles. Par ailleurs, l’Agence coréenne du camping et des activités de plein air a fait savoir que la taille du marché coréen du camping s’était accrue d’environ 30 % au cours de cette même période, ce qui a porté son chiffre d’affaires de 2 à 2,6 mille milliards de wons. Les informations recueillies au cours des mois de juin et juillet sur le site de commerce en ligne SSG. com révèlent que les ventes de matelas pneumatiques et de tentes de camping, qui sont aisément transportables à l’arrière de tout type de véhicule,
ont bondi respectivement de 90 % et 664 % en l’espace de deux mois. S’agissant des glacières, ces indispensables accessoires de camping, elles ont été multipliées par plus de dix et, pour ce qui est des chaises, tables de camping, sacs de couchage et matelas pneumatiques, tentes et ustensiles de cuisine destinés au camping, elles ont respectivement augmenté de 103,7 %, 37,6 %, 55,4 % et 75,5 % dans ce même laps de temps, d’après les données fournies par l’hypermarché Lotte Mart. En ce qui concerne les campeurs eux-mêmes, il va de soi que leurs exigences varient sur les plans quantitatif et qualitatif en fonction de leurs besoins spécifiques et du niveau de confort recherché. Alors que certains adeptes du camping en voiture se contentent d’emporter quelques plats cuisinés et une bouteille de vin, d’autres se montrent plus difficiles quant au niveau de confort, tel ce YouTuber qui disait dernièrement avoir renoncé à cette pratique en raison de son goût prononcé pour les produits de haut de gamme.
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APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
CRITIQUE
Un itinéraire initiatique trouble et captivant L’écrivaine de trente-trois ans Kim Se-hee brosse un tableau de la société contemporaine en s’intéressant plus particulièrement aux vécus et problèmes de jeunes qui, en faisant leurs premiers pas dans le monde des adultes, sont confrontés aux questions d’ordre générationnel que sont les rencontres, le mariage, l’emploi ou le logement. Choi Jae-bong Journaliste au Hankyoreh
L
’œuvre de Kim Se-hee se centre sur une thématique de l’initiation en plaçant ses personnages dans des situations où ils trouvent un premier emploi ou en changent sans qu’ils en soient forcément heureux. La précarité de ce siècle, ses incertitudes et la crainte de l’avenir qu’elles engendrent reviennent constamment au fil de ses écrits. Outre plusieurs nouvelles, Kim Se-hee a fait paraître en juin 2019 son unique roman intitulé L’amour du port, qui aborde le sujet de la « pseudo-homosexualité » chez les adolescentes en se fondant sur le vécu personnel de l’auteure. Le titre de l’oeuvre lui-même renvoie à ce port de Mokpo qui l’a vue grandir et où le personnage principal fréquente un collège, puis un lycée de jeunes filles. Comme elle, ses camarades lisent et écrivent des fanfictions peuplées d’héroïnes de leur âge entre lesquelles naissent des histoires d’amour. Pour ces jeunes filles, leur attirance réciproque les fait se rallier à un « camp » qu’elles jugent être celui de la normalité, tandis que les relations entre les deux sexes, en appartenant au camp opposé, relèvent a contrario d’une anomalie. Le personnage principal, une ancienne lycéenne devenue écrivaine une douzaine d’années plus tard, s’interroge sur la nature et le sens de ces passions d’alors, ce qui fournit à l’auteure l’occasion de faire revivre avec réalisme l’univers des collèges et lycées d’autrefois, mais aussi d’exprimer l’idée du nécessaire respect de la différence en matière amoureuse. Ce roman portant sur le thème de l’homosexualité, ainsi que d’autres parutions récentes qui y sont également consacrées, participe du débat qui se déroule actuellement en Corée sur cette question tout en lui ouvrant de nou-
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veaux horizons. S’agissant des recueils de nouvelles de Kim Se-hee, le premier d’entre eux, Les jours faciles, qu’a édité Minumsa en février 2019 et qu’allait récompenser le prix littéraire Shin Dong-yeop destiné aux jeunes écrivains, fait débuter sa nouvelle éponyme par la phrase significative suivante : « Ce dimanche, la veille de mon premier jour de travail, j’ai rencontré Jae-hwa à Daehangno ». Dans le texte coréen, le mot « premier » vient en tête de cet énoncé en s’appliquant au « jour de travail » qui suit immédiatement, l’entreprise qui a embauché le personnage principal féminin se montrant pourtant peu bienveillante à son égard, tout comme la société dans son ensemble, en dépit des apparences. Épuisée par la quantité de travail à abattre, la jeune femme s’en accommode tant bien que mal en trouvant quelques gratifications dans la reconnaissance de ses compétences. Sa tâche consiste à rédiger le blog d’un personnage fictif qui se fait l’écho des avis émis par des sponsors publicitaires au sujet de certains articles. La rédactrice finira par se rendre compte, mais « trop tard », de l’éthique douteuse de ce procédé qui revient à formuler un message mensonger sur un produit dans la mesure où il ne tient pas compte des effets qu’a pu entraîner celui-ci sur les utilisateurs qui l’avaient découvert sur son blog. Ainsi, certains d’entre eux, après s’être servis d’un désinfectant à usage domestique, qu’elle avait présenté très favorablement, ont été atteints de lésions pulmonaires irréversibles dont ils sont parfois morts. Cette intrigue n’est pas sans rappeler le cas, réel cette fois, d’un désinfectant toxique destiné à un humidificateur d’air qui aurait provoqué pas moins de 14 000 décès, sur lesquels 1 500 représentaient des cas avé-
femme à l’idée d’équiper son foyer d’objets déjà utilisés par d’autres. C’est la soudaine prise de conscience suscitée par ces réflexions que représente ici le mot « vertiges ». « Il est de ces moments où l’on est pris de vertige, où l’on ne peut qu’affronter la réalité, où une situation que l’on n’assumait pas resurgit brusquement en pleine lumière, où l’on aimerait fermer les yeux ou regarder ailleurs, ce qui n’est plus possible. Et voilà que l’un d’eux était arrivé ». C’est du passage ci-dessus que provient le titre de la nouvelle, les « vertiges » dont il y est fait mention renvoyant également au terme d’« épiphanie » au sens où l’a employé James Joyce. Si cette notion porte sur la perception soudaine et lucide de l’essence profonde d’une chose, alors les vertiges auxquels se réfère l’œuvre de Kim Se-hee relèvent davantage de la confusion et du découragement dont s’accompagne cette prise de conscience. La Kim Se-hee affirmait un jour : nouvelle s’achève sur la phrase : « Elle se « Depuis toujours, c’est dans la littérature que demandait quel souvenir elle pourrait bien conserver plus tard, beaucoup plus tard, de je puise la force de faire face aux situations cette journée et de cet instant précis », qui, auxquelles je suis confrontée ». si elle se prête tout autant à une interprétation optimiste que pessimiste, laisse pen© Marie Claire ser que la seconde est la plus plausible, eu égard à son contexte particulier. rés. Pour une raison d’ordre différent, la rédactrice du blog Interrogée sur l’origine de son inspiration, Kim Se-hee décidera en fin de compte de démissionner de ce premier déclarait lors d’un entretien : « Quelque chose d’insaisisemploi et s’abstiendra par la suite d’évoquer la fonction qui sable semble prendre forme dans une œuvre de fiction ». y était la sienne. Et d’ajouter : « Si un problème auquel on ne trouve Quant à la nouvelle Vertiges qui prend place dans le pas de solution reste présent à l’esprit, cela cache quelque même recueil, elle se veut le reflet des inquiétudes et égachose. Un indéfinissable poids que l’on porte en soi. C’est rements auxquels donnent lieu rencontres, mariage et proce fardeau que je m’attache à mettre au jour par la fiction. blèmes de logement pour une jeune génération représenEn créant, organisant et composant un récit, je découvre tée ici par Won-hee et son petit ami Sang-ryul. Décidant de parfois ce dont il s’agit ou, tout du moins, je parviens à le troquer leur studio contre un appartement à deux chambres nommer ». afin de concilier des rythmes de vie décalés, le couple porte Les mots suivants de la note de l’auteur qui clôt ce son choix sur un logement adéquat et y emménage après recueil vont dans le même sens : « En écrivant ces hisavoir fait l’achat d’appareils électroménagers d’occasion. toires, j’ai pu appréhender tous ces moments. Depuis touLeur nouvelle vie fera resurgir certains problèmes jusquejours, c’est dans la littérature que je puise la force de faire là passés sous silence, à savoir les préjugés de la sociéface aux situations auxquelles je suis confrontée », cette té à l’encontre des femmes qui vivent en concubinage ou démarche expliquant sans doute les liens de sympathie que la honte et l’impression d’être pauvre que ressent la jeune ses œuvres parviennent à tisser d’une génération à l’autre.
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