2019 Koreana Winter(French)

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HIVER 2019

ARTS ET CULTURE DE CORÉE

RUBRIQUE SPÉCIALE

BUSAN

port de passions et de poésie Ma ville natale, cette mosaïque tout imprégnée de lyrisme ; Au carrefour des échanges maritimes ; Un marché qui fait dialoguer bruit et silence ; Souvenirs d’une « capitale de guerre » ; D’importantes infrastructures au service du septième art

BUSAN,

VOL. 20 N° 4

ISSN 1225-9101


IMAGE DE CORÉE

Le kimjang


Prélude à l’hiver Kim Hwa-young Critique littéraire et membre de l’Académie coréenne des arts

A

© imagetoday

u temps de mon enfance, quand les arbres s’apprêtaient à perdre leurs dernières feuilles rouges, une soudaine effervescence s’emparait de notre maisonnée affairée aux travaux annonciateurs de l’hiver, rapportant du jardin et entassant dans la cour de gros choux aux feuilles et trognon bien fermes. Il fallait alors les trancher en deux moitiés qui faisaient apparaître leur cœur tout jaune, puis placer celles-ci dans de grandes bassines contenant la saumure. Ces préparatifs prenaient l’allure d’une fête célébrant le kimjang, c’est-à-dire la confection du kimchi d’hiver, dont l’odeur piquante se répandrait bientôt dans toutes les pièces. Condiment de base de l’alimentation coréenne depuis des temps anciens, au point de faire aujourd’hui figure de symbole culturel, le kimchi permet la conservation de légumes en vue de leur consommation tout au long de l’hiver grâce à la fermentation, qui les gorge d’acide lactique et de riches saveurs. La variété coréenne de chou dite baechu, que l’on met dans une saumure d’eau fortement salée, n’en conserve pas moins sa fraîcheur et les enzymes qui y sont présentes provoquent la fermentation de sa chair. Quant à l’assaisonnement agrémentant cette préparation, il se compose d’ingrédients d’origine tant végétale qu’animale sous forme de radis chinois émincé, d’ail, de poireau, de piment rouge, de fruits de mer salés, de calmar frais et de pignons de pin qui participent tous de la parfaite conservation du kimchi ainsi obtenu. Ce dernier prendra place dans de gros pots enterrés que l’on ne rouvrira qu’à la saison froide, mais les foyers modernes sont désormais équipés de réfrigérateurs conçus à cet effet et certes beaucoup plus pratiques. La recette du kimchi se décline en plus de deux cents variantes régionales, mais peut aussi différer d’une famille à l’autre. Si le piment rouge entre dans sa composition depuis la fin de la première moitié du XVIIIe siècle, le baechu, qui en constitue pourtant l’ingrédient principal, n’a été employé que plus tard, suite à son introduction en Corée à la fin du XIXe siècle. En 1988, le public étranger allait découvrir le kimchi à l’occasion des Jeux olympiques de Séoul et, à peine deux ans plus tard, démarraient ses premières exportations, tandis qu’en décembre 2012, l’inscription du kimjang sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO allait attester de la valeur de cette tradition ancestrale. Il n’en demeure pas moins que nombre de nos contemporains, rechignant à perpétuer cette pratique, préfèrent se contenter des produits conditionnés en sachet de plastique que leur proposent les supermarchés ou le commerce en ligne. Pour ma part, quand vient l’époque du kimjang, je ne peux m’empêcher de céder à la nostalgie en me souvenant du bon vieux temps où tantine fourrait dans ma bouche grande ouverte l’une de ces feuilles de kimchi que j’attendais impatiemment en penchant la tête en arrière.


Lettre de la rédactrice en chef

ÉDITEUR

Busan, de 1950 à 2020

DIRECTEUR DE

Pendant la Guerre de Corée (1950-1953), dans un pays en proie aux ravages causés par ce conflit, la ville de Busan offrit à la nation un recours salvateur en accueillant sa capitale provisoire, ainsi que de précieux points d’accès au territoire dans ces ports et aérodromes qui permirent aux forces armées de l’ONU de recevoir les indispensables renforts et approvisionnements en vue de dominer l’ennemi grâce aux moyens matériels et logistiques. Seul port sud-coréen alors en mesure de brasser un important volume de fret, il occupe désormais le sixième rang mondial dans ce domaine. À l’approche de cette année 2020 qui marquera le soixantedixième anniversaire du déclenchement de la Guerre de Corée, Koreana a souhaité consacrer la rubrique spéciale de son numéro d’hiver à Busan. Les auteurs de ses articles, tous originaires ou habitants de longue date de cette ville, entraîneront le lecteur dans un voyage qui lui permettra de découvrir le lieu plein de vitalité et d’inventivité qu’elle est aujourd’hui. La nouvelle Le temps du Mildawon complètera ce tour d’horizon très opportunément par l’évocation du refuge qu’offrit Busan aux écrivains et artistes contraints à l’exode. Choi Jung-wha Rédactrice en chef

LA RÉDACTION

Lee Geun Kim Seong-in

RÉDACTRICE EN CHEF Choi Jung-wha RÉVISEUR

Suzanne Salinas

COMITÉ DE RÉDACTION

Han Kyung-koo

Benjamin Joinau

Jung Duk-hyun

Kim Hwa-young

Kim Young-na

Koh Mi-seok

Charles La Shure

Song Hye-jin

Song Young-man

Yoon Se-young

TRADUCTION

Kim Jeong-yeon

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE

Kim Sam, Kim Sin

RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS

Ji Geun-hwa, Ham So-yeon

DIRECTEUR ARTISTIQUE

Kim Ji-yeon

DESIGNERS

Kim Nam-hyung, Yeob Lan-kyeong

CONCEPTION ET MISE EN PAGE

Kim’s Communication Associates

44 Yanghwa-ro 7-gil, Mapo-gu

Seoul 04035, Korea

www.gegd.co.kr

Tel: 82-2-335-4741

Fax: 82-2-335-4743

ABONNEMENTS ET CORRESPONDANCE Prix au numéro en Corée : 6 000 wons Autres pays : 9 $US AUTRES RÉGIONS, Y COMPRIS LA CORÉE Voir les tarifs d’abonnement spéciaux à la page 80 de ce numéro.

ARTS ET CULTURE DE CORÉE Hiver 2019

IMPRIMÉ EN HIVER 2019 Samsung Moonwha Printing Co. 10 Achasan-ro 11-gil, Seongdong-gu, Seoul 04796, Korea Tel: 82-2-468-0361/5 © Fondation de Corée 2019 Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 55 Sinjung-ro, Seogwipo-si, Jeju-do 63565, Korea https://www.koreana.or.kr

Tous droits réservés.Toute reproduction intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de la Fondation de Corée, est illicite. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction de Koreana ou de la Fondation de Corée. Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprès du ministère de la Culture et du Tourisme

Montagne rouge Choi So-young 2019, jean sur toile, 46 cm × 46 cm.

(Autorisation n°Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais, allemand et indonésien.


RUBRIQUE SPÉCIALE

Busan, port de passions et de poésie 04

RUBRIQUE SPÉCIALE 1

22

RUBRIQUE SPÉCIALE 3

Ma ville natale, cette mosa que tout imprégnée de lyrisme

Un marché qui fait dialoguer bruit et silence

Kim Soo-woo

Lee Chang-guy

16

28

RUBRIQUE SPÉCIALE 2

Souvenirs d’une « capitale de guerre »

Park Hwa-jin

Choi Weon-jun

42

58

LIVRES ET CD

Le nécessaire apprentissage de la réconciliation en vue de la réunification

Mixed Korean: Our Stories

Kim Hak-soon

The Rabbit’s Tale 2020

Une émouvante anthologie Un conte populaire revisité

46 ESCAPADE Miryang, quintessence de la terre natale

Si un palais nous était conté par son guide Kim Heung-sook

D’importantes infrastructures au service du septi me art Jeon Chan-il

62

REGARD EXTÉRIEUR

De quelle Corée êtes-vous ? La Corée Starbucks ou la Corée pojangmacha ? Pascal Dayez-Burgeon

Soompi

Le rendez-vous obligé des fans de culture pop coréenne Charles La Shure

Lee Chang-guy

54 UN JOUR COMME LES AUTRES

RUBRIQUE SPÉCIALE 5

RUBRIQUE SPÉCIALE 4

Au carrefour des échanges maritimes

HISTOIRES DES DEUX CORÉES

36

60 DIVERTISSEMENT Fiction et vérité du film historique Lee Hyo-won

64

APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

Souffrances et espoirs nés de la guerre Choi Jae-bong

Le temps du Mildawon Kim Dong-ni


RUBRIQUE SPÉCIALE 1

Busan, port de passions et de poésie

Ma ville natale, cette mosaïque tout imprégnée de lyrisme Premier port du pays, ainsi que sa deuxième ville, Busan enchante aussi les touristes par ses paysages superbes et le dynamisme de sa vie culturelle, notamment émaillée de festivals à la programmation riche et variée : autant d’aspects témoignant d’une diversité et d’une ouverture d’esprit qui participent du charme de ce lieu. Kim Soo-woo Poète

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Première destination touristique coréenne, la plage de Haeundae accueille chaque année plus de 10 millions de vacanciers. Assurés de profiter d’un bon ensoleillement et de belles vagues, ils apprécient également les sentiers de randonnée du bord de mer, les festivals et les installations de loisirs dont ils disposent tout au long de l’année. C’est dans les tours résidentielles du bord de mer que les prix de l’immobilier sont les plus élevés de Corée, après ceux de Séoul. © Office du tourisme de Busan

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Marine City

Olyukdo Islands

Olympic Yachting Center Diamond Bridge BEXCO

Îlots d’Oryuk

Plage de Haeundae

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Centre de voile de la baie de Suyeong

South Port Bridge

Cimetière commémoratif des Nations Unies

Pont de Gwangan


Young-do Island

Busan South Port Busan Grand Bridge

Dadae-po Beach Gwangan-ri Beach

UN Memorial Cemetery Song-do Beach

Plage de Gwangalli

Île de Yeongdo

Ruelle des libraires

Pont du port de Busan

Village culturel de Gamcheon

Busan Station Cinéma multiplexe de Busan

Mémorial de la capitale provisoire

Quartier chinois

Marché de Jagalchi

© Ahn Hong-beom

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A

ux confins sud-est de la péninsule coréenne, la région de Busan déroule déroule sur près de trois cents kilomètres son littoral aux courbes tout à la fois douces et puissantes. En s’apprêtant à rencontrer les eaux de la mer du Sud, le bleu cobalt de celle de l’Est perd de son intensité. Sur l’ensemble de ces rivages aux formes poétiques, la nature dépose en toute saison ses offrandes qui ravissent les hommes et les incitent à se donner corps et âme à eux. La sensibilité et l’imagination qu’ils inspirent est une source qui ne tarit jamais et la ville qui les déploie se fait mosaïque de rêves en résonnant d’innombrables échos.

Une terre aux aspects divers

Busan ne possède pas moins de sept plages de sable blanc dont l’une, que l’on trouve en sortant de la ville par l’est, se nomme Imnang, tandis qu’à l’opposé, s’étend la première plage artificielle de Corée, Songdo, qui fut inaugurée voici plus d’un siècle, ainsi que celle de Dadaepo, qu’agrémente la plus grande fontaine musicale au monde. Quant à la partie la plus fréquentée de cette côte, elle se trouve à Haeundae, ce lieu vibrant d’activité dont la zone résidentielle située sur le front de mer se classe au deuxième rang du pays pour le prix de l’immobilier, juste après la capitale. À Igidae, Taejongdae et Morundae, le visiteur découvre avec émerveillement des falaises qui plongent directement dans la mer, puis, en se dirigeant vers l’intérieur des terres, d’ancestrales forêts qui abritent les spécimens d’une faune et d’une flore aujourd’hui aussi rares que précieuses. Ce luxuriant écrin de végétation fait ressortir encore davantage le bleu intense de la mer. De nuit, le voyageur ne

manquera pas de s’offrir un intermède romantique en s’embarquant pour une croisière qui lui permettra de s’imprégner de l’atmosphère nocturne de ces côtes. Pas moins de soixante cours d’eau s’y jettent dans la mer en de larges embouchures propices à la pêche qui raviront les amateurs et livrent les richesses de leurs fonds à des plongeuses habiles à récolter des fruits de mer très prisés des gourmets pour leur fraîcheur. De magnifiques ponts jetés sur l’océan offriront une vue splendide sur ses eaux à l’automobiliste qui empruntera ces ouvrages et lui permettront de gagner la plage de Songdo, située au sud de la ville, en franchissant successivement ceux de Gwangan, du port de Busan et du port du Sud. Ce faisant, il traversera le port de Busan, qui assure aux navires de fret un mouillage sûr et d’importantes capacités d’accueil dont témoignent sa forêt de grues et ses alignements de conteneurs. Non loin de là, le voyageur pourra gagner l’ouest de la ville en passant par le pont d’Eulsuk.

Brassage et tolérance

La rumeur des vagues fait toujours naître dans l’esprit des images très variées, car elle parle à l’imagination de chacun en fonction de son vécu et ces vagues qui s’écrasent sur les rives font écho à celles qui l’habitent. Si elle fait palpiter les jeunes cœurs, les solitaires y devinent la présence de l’âme sœur, tandis que ceux qui sont las de la vie y trouvent un réconfort et qu’elle apaise les plus irascibles. Les pêcheurs l’associent à leur moyen de subsistance, les écrivains, à une riche source d’inspiration et les navigateurs, à des voyages au long cours. Le sage y reconnaît l’expression des lois de

1. Achevé en 1986, le centre de voile de la baie de Suyeong est ouvert au public depuis 1988. Il a accueilli les compétitions de cette discipline lors des Jeux asiatiques de 1986 et 2002, ainsi qu’aux Jeux olympiques de 1988. 2. Les îlots d’Oryuk, ces « cinq à six îlots » parsemés dans la baie de Busan, figurent parmi les lieux emblématiques de cette ville, outre qu’ils sont désormais classés au 24ème rang des sites les plus pittoresques. Seul celui de Deungdaeseom est habité. Son nom signifie « îlot phare ». 1 © Imge Today

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2 © Ville de Busan (Photographe : Kwon Jeong-uk)

la nature et ceux qui ont soif d’apprendre, un encouragement à persévérer. La fillette aux longs cheveux qu’agitait le vent matinal cède la place à une vieille dame aux mains ridées quand vient le soir. En ville, les vestiges néolithiques épars en de nombreux endroits sont autant de témoins d’une vocation ancienne pour la pêche. Dans le chapelet de villages qui s’égrène en suivant les sinuosités de la côte, les habitants perpétuent les rituels chamaniques coutumiers voués à Magohalmi, ou « grand-mère Mago », cette divinité géante à laquelle ils attribuent la création de la Nature et la révélation du roi

Dragon, qui fait l’objet d’un culte. Par leur proximité avec une métropole tentaculaire, ces villages autrefois paisibles se peuplent toujours plus d’habitants animés du désir de gagner leur vie. Au cours de l’histoire moderne et contemporaine du pays, Busan a été frappée de plein fouet par les conséquences de plusieurs grands événements, notamment sous l’occupation japonaise (1910-1945), où son port accueillit les nombreux

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navires qui assuraient les liaisons avec le Japon. Elle fut aussi destinataire de l’exode qui se produisit à partir des quatre coins du pays quand éclata la Guerre de Corée, en 1950, et, par la suite, elle assista aux transports de troupes effectués lors de la guerre du Vietnam, outre que les eaux qui s’étendent au large de ses côtes sont le théâtre d’une pêche hauturière à grande échelle. Chaque fois que l’on s’y est réfugié en grand nombre, Busan s’est mise en devoir d’offrir le gîte et le couvert, ce dont elle s’est acquittée sans compter. Au fil de ses siècles d’existence, l’histoire lui a enseigné des valeurs d’ouverture et de tolérance vis-à-vis des nouveaux venus, dans lesquels elle a su voir autant d’apports humains enrichissants qui ont fait d’elle ce creuset culturel caractéristique du fameux « esprit de Busan ». Brassage et tolérance, ces deux composantes qui ont permis à la ville d’affronter sereinement les éprouvantes commotions de l’histoire, sont inséparables du caractère foncièrement généreux de sa population et forment le terreau d’une culture régionale florissante. Par leur vitalité et leur inventivité, ses habitants ont su se doter de riches traditions populaires, mais aussi évoluer vers ses formes d’expression plus modernes que sont la musique pop, le cinéma et les festivals.

Collines et inspiration onirique

Les quartiers qui s’accrochent au flanc des collines participent aussi de la poésie de la ville. L’industrialisation qu’elle a connue au lendemain de la Guerre de Corée en a repoussé les confins et les plus démunis se sont construit des abris de fortune sur les hauteurs environnantes. En portant le regard plus loin que l’interminable succession de toits surmontés de citernes à eau, c’est une Busan bien différente qui apparaît en contrebas. Pour ceux qui y menaient une dure existence, la mer représentait l’ouverture vers une vie nouvelle dont ils se sont saisis pour réaliser leurs rêves de l’autre côté du Pacifique ou de l’Atlantique. Ayant vu le jour dans le quartier de Yeongdo qui s’étend lui aussi sur une colline, j’ai moi-même observé la mer, de nuit, à ma fenêtre. Parfois, un énorme bateau y était à l’ancre, tout illuminé de ses vives lueurs pareilles à des fils d’or et d’argent parsemés sur l’ébène des eaux, puis il s’éloignait, bientôt remplacé par un autre. Ce sont de telles scènes qui m’ont permis d’appréhender ce vaste monde dans toute sa richesse et sa profondeur en faisant naître une imagination dont vit aujourd’hui le poète et vagabond que je suis, l’esprit nourri par ses voyages à travers le monde.

Une vie culturelle dynamique

Au bord de cette mer qui incite à l’ouverture, Busan ne pouvait que répondre à l’appel de la créativité, laquelle s’exprime à l’occasion de très nombreux festivals dont le plus célèbre est son Festival international du film, mais auquel s’ajoutent une Biennale d’art contemporain, un festival des arts de la mer, des festivals internationaux de

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rock, des arts du spectacle, de théâtre et de littérature de mer, certaines de ces manifestations jouissant d’une renommée mondiale. D’autres encore sont tout empreints de couleur locale, tel le Festival de Jagalchi, qui met l’accent sur le fort lien unissant la ville à la mer et comporte un rite propitiatoire traditionnel destiné à implorer le roi dragon Yongsinje de veiller sur les voyageurs et de fournir d’abondantes prises au pêcheur, ainsi qu’une prière pour le repos de l’âme des poissons. À la Fête du sable de Haeundae, des artistes


L’île de Yeongdo, qui s’étend sur 14,15 km² au large de la côte sud de Busan, a accueilli nombre de réfugiés pendant la Guerre de Corée. Le chantier de rénovation qui y a eu lieu en 2011 a permis la création du village dénommé Huinyeoul Maeul, c’est-à-dire des « rapides blancs », décor de prédilection des films et séries télévisées coréennes. De sa digue de trois mètres de hauteur, on distingue à l’horizon l’île japonaise de Tsushima. © Ville de Busan (Photographe : Kwon Gi-hak)

originaires de nombreux pays viennent sculpter des statues et édifier des constructions à l’aide de ce matériau. Lorsqu’arrive l’automne, le Festival du feu d’artifice brode ses motifs de lumière colorée dans le ciel de la ville. Quant à la Fête de l’anchois, elle s’avère tout aussi débordante d’énergie que les vagues où nagent ces poissons, tandis que le Festival de la mer se déroule simultanément sur cinq des plages de la ville, mais bien d’autres manifestations consacrées au thème de la mer sont gage de plaisir tout au long de l’année dans l’atmosphère romantique de ces lieux. Enfin, le parc de Yongdu accueille des compétitions de B-boys où s’expriment la passion et l’impétuosité inhérentes au fort tem-

pérament des gens de Busan et toujours présentes dans l’évolution d’une culture ouverte à des formes d’expression marginales telles que l’art ou la critique artistique indépendants, désormais partie prenante du renouvellement de l’identité de la ville. Les vagues demeurent, chatoyantes sous le soleil, et les eaux irisées épousent les formes de leurs ondulations invisibles, mais sans cesse changeantes, qui résonnent à l’esprit de tonalités graves, chaudes et puissantes, tels les vers d’un poème.

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Quand le jean s’orne de paysages qui font chaud au cœur Kim Soo-woo Poète

L

’esthétique particulière de Busan a inspiré une

semble fait main. Quand j’étais étudiante en deu-

création originale chez plusieurs artistes, dont

xième année, j’ai commencé sur un jeans usé, puis je

Choi So-young, qui s’attache à exprimer l’ambiance

suis passée peu à peu à des pièces de plus grandes

chaleureuse de cette ville en représentant mer,

dimensions.

montagnes et routes sur l’étoffe de jean délavée. Qu’est-ce qui, selon vous, fait la particularité de 1 © Yonhap News Agency

Pourquoi travailler sur le jean ?

Busan ?

Les jeans plaisent aux hommes et femmes de tout

La mer, à n’en pas douter. J’aime cette ville où je suis

âge. On en porte dans le monde entier, que l’on soit

née, car elle offre toujours quelque chose à décou-

riche ou pauvre, et ils transcendent donc les bar-

vrir, même quand on l’a parcourue de long en large.

rières sociales, même s’il existe aussi des marques

Les montagnes, les rivières et la mer accueillent

de luxe pour ces articles. Cela m’a donné l’idée de

chacun à bras ouverts. Quand j’étais petite, je jouais

m’en servir comme support de communication avec

souvent dans le sable sur la plage de Haeundae et

le monde. Comme je suis attirée par les motifs qui

tout ce bleu qui s’étendait jusqu’à l’horizon est resté

évoquent l’harmonie avec la nature tels que la mer,

dans mon cœur. Mes créations exigent certes beau-

les montagnes ou les maisons, j’ai choisi ce tissu qui

coup de dextérité et de minutie, mais je les veux

2

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3


avant tout simples et pleines de sensations, comme cette mer que j’aime. À quelles valeurs doit-on rester attaché de nos jours ? Je pense que les hommes doivent être solidaires, car le besoin de protection est en chacun d’eux. Pour ce faire, il est essentiel de rester soi-même. Peu importe que l’on paraisse insignifiant aux yeux des autres, il faut demeurer fidèle à ce que l’on est. En se protégeant soi-même, on en fait aussi bénéficier autrui. L’univers intérieur resplendit sur les traits de celui ou de celle qu’il habite. J’éprouve du bonheur en me disant : « Je suis capable de cela, il suffit que je le fasse ». Que projetez-vous actuellement ? J’ai l’intention de partir quelque temps en voyage. Je souhaite aussi améliorer ma qualité de vie par le yoga, la méditation, une nourriture végétarienne et des randonnées. Je ne me soucie pas vraiment de la célébrité ou de la richesse matérielle. Je m’emploie progressivement, mais résolument, à trouver le moyen de rester telle que je suis, sans laisser le succès me monter à la tête.

1. Préférant le jean à la peinture comme moyen d’expression, Choi So-young représente sa ville natale de Busan sur cette toile. Déjà, voilà plus de dix ans, l’une des premières créations de la jeune femme alors âgée d’une vingtaine d’années allait faire monter les enchères jusqu’à plusieurs centaines de milliers de dollars à la salle de vente hongkongaise de Christie’s. 2. Opening the skies, 2019, jean sur toile, 73 cm × 53,3 cm. 3. Food Alley II, 2014, jean sur toile, 116,5 cm × 91 cm. 4. Yeongdo Bridge II, 2013, jean sur toile, 160 cm × 81,5 cm. 4

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L

e groupe de surf rock Say Sue Me a été créé à Busan

on fait un travail de création, il est impératif de savoir par-

en 2012 par quatre musiciens qui ont décidé d’unir leurs

tager ses émotions et nous avons beaucoup de chance de

talents, à savoir Choi Su-mi, Kim Byung-kyu, Ha Jae-young

pouvoir le faire.

et Kang Se-min, respectivement chanteuse et guitariste rythmique, guitariste, bassiste et batteur. Aux bars de la ville

De quelle influence vous réclamez-vous ?

dans lesquels ils jouaient à leurs débuts et au petit studio de

Pavement et Yo La Tengo ont beaucoup compté pour nous.

répétition situé sur le front de mer de Gwangalli, ont succé-

Dernièrement, nous avons rencontré Yo La Tengo et ils nous

dé concerts et tournées internationales. Lim Sung-wan a en-

ont vraiment impressionnés.

tretemps remplacé Kang Se-min à la basse, ce dernier ayant malheureusement été victime d’un accident de la route à

Que pensez-vous de la musique indépendante qui se fait

l’époque où le groupe enregistrait son deuxième album. Le

à Busan, par rapport à d’autres ?

batteur actuel est Lim Sung-wan.

Pour un musicien, peu importe telle ou telle tendance. Il joue ce qui lui plaît, sans trop penser à ce que font les autres ou

Quelle place la plage de Gwangalli occupe-t-elle dans

aux dernières tendances de la musique indépendante.

votre musique ? Quand nous jouons ou composons, nous avons parfois l’im-

Qu’avez-vous ressenti en entendant Elton John parler

pression d’être à un point mort. Dans ces cas-là, nous allons

d’Old Town à la radio ?

faire un tour sur la plage et nous nous accordons un mo-

C’était tellement incroyable qu’au début, nous n’avons même

ment de détente en partageant du poulet frit et de la bière.

pas réagi, mais, après avoir écouté toute l’émission, nous

Ça doit arriver à des gens qui font d’autres métiers, mais si

nous sommes sentis très fiers et très heureux.

Un groupe reconnaissant à Elton John Ryu Tae-hyung Chroniqueur musical

14 KOREANA Hiver 2019


1

2 © Agence de presse Yonhap

© Hung Shu Chen

Pourriez-vous expliquer comment vous composez ?

tout le cas en Corée. Alors, nous nous sommes dit que

Quand Byung-Kyu a une idée de chansons, il nous fait

ce serait formidable si les jeunes Coréens emmenaient

écouter la musique. Nous choisissons les morceaux que

leurs parents au concert.

nous trouvons valables et Su-mi se met à travailler sur les paroles. Quand tout est prêt, nous passons à l’enre-

Avez-vous des projets ?

gistrement en effectuant des arrangements pour obte-

Nous souhaitons présenter des morceaux de notre der-

nir la version définitive.

nier album sorti en octobre. C’est un double single qui a pour titres Good People et Your Book. Nous serons en

Que retenez-vous de vos concerts à l’étranger ?

tournée à l’étranger du 3 au 13 décembre, en commen-

Dans les villes où nous avons été, nous avons constaté

çant par Toronto, puis nous partirons à Chicago, San

le plus souvent que les gens ne venaient pas seulement

Francisco et Seattle. L'année prochaine, nous prévoyons

le week-end, mais aussi en semaine, et que le public re-

d’enregistrer un troisième album en studio.

présentait toutes les catégories d’âge, ce qui n’est pas du

1. En mars 2018 Say Sue Me s’est produit au Texas, dans le cadre du SXSW, l’un des plus importants festivals du monde en musique pop. 2. La guitariste rythmique et chanteuse Choi Su-mi sur scène au Megaport Music Festival de la ville taïwanaise de Kaohsiung, en mars de l’année dernière. 3. Différentes livraisons de Say Sue Me (de gauche à droite) : son premier album studio, We Sobered Up (2014), suivi de l’album EP Big Summer Night (2015), d’un deuxième album studio, Where We Were Together (2018), du single double Just Joking Around / B Lover (2018), de l’album EP Christmas, It’s Not A Biggie (2018), et d’un autre single double, Your Book & Good People (2019). 3 © Electric Muse

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RUBRIQUE SPÉCIALE 2

Busan, port de passions et de poésie

Au carrefour des échanges maritimes C’est à Busan que s’embarquèrent les Joseon Tongsinsa, ces missions que dépêcha la Corée au Japon à l’aube du XVIIe siècle pour tisser des liens pacifiques avec l’ancien envahisseur et la ville conserve aujourd’hui la place centrale qu’elle occupa dans les échanges entre les deux pays. Park Hwa-jin Professeur à l’Université nationale de Pukyong

P

rincipal point d’accès des importations coréennes, ainsi que premier lieu de départ des exportations du pays, le port de Busan occupe une place importante dans l’économie tant nationale que régionale. Par sa situation aux confins du continent eurasiatique, séparée par le détroit de Corée du Japon voisin, cette ville possède un fort potentiel commercial et logistique aux fins des échanges qui se développent entre les pays d’Extrême-Orient. Ses installations portuaires lui permettent d’accueillir plus de 60% des marchandises qu’importe et exporte la Corée, les services du port autonome ayant fait savoir que son chiffre d’EPV avait atteint 21 663 000 l’année dernière et lui avait permis de sa classer au sixième

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rang mondial pour le volume du fret au cours des deux dernières années. À Busan, l’existence d’échanges commerciaux par voie maritime remonte à l’Antiquité, comme en atteste l’ouvrage japonais du VIII e siècle intitulé Nihon Shoki, c’est-à-dire « chroniques japonaises », qui fait état d’une petite ville côtière proche de l’actuelle Busan. Aujourd’hui nommée Dadaepo, elle est désignée dans cet ouvrage par les toponymes « Tadairagen » ou « Tatara », ce qui laisse penser qu’elle joua à cette époque un grand rôle dans


Premier à s’être ouvert aux échanges avec le Japon en vertu du traité d’amitié de Ganghwa conclu en 1876, le port de Busan se classe aujourd’hui au sixième rang mondial par le volume de son fret. Depuis 2014, il est desservi par un pont long de 3 368 mètres qui porte son nom. © Ville de Busan (Photographe : Jeong Eul-ho)

les échanges commerciaux et culturels auxquels s’adonnaient la Corée et le Japon. Dans la langue de ce pays, ce nom désigne également un four traditionnel destiné à fondre le fer ou l’acier et remontant donc à l’introduction de la métallurgie du fer.

Un centre du commerce d’Extrême-Orient

Samguk yusa, ce recueil de légendes et récits historiques du XIII e siècle dont le titre signifie « souvenirs des trois royaumes », évoquait déjà la voca-

tion ancienne de Busan et de sa région pour le commerce maritime. Il y est conté que, non loin de la métropole d’aujourd’hui, le monarque Suro qui fonda le royaume de Geumgwan Gaya, c’est-à-dire de la « couronne d’or » (43–532), fit venir la princesse Heo Hwang-ok d’un certain royaume indien appelé « Ayuta » afin de la prendre pour femme, ce qui, de l’avis général, constitue aujourd’hui un fait historique avéré. Pour étayer l’hypothèse des origines indiennes de celle qui devint reine, les historiens invoquent la présence d’un motif peint de deux poissons sur la grande porte qui mène à la tombe du roi Suro située à Gimhae et soulignent son analogie avec l’iconographie de la civilisation indienne. Cependant, comme en témoignent les nombreux sites et vestiges d’époque Gaya qui ont été mis au jour près de Busan et à d’autres endroits de la province du Gyeongsang du Sud, les relations qu’entretenait ce royaume avec le monde extérieur ne se limitaient pas à l’Inde. À l’aube du Ve siècle, la chute de l’ancienne confédération de Gaya poussa nombre de ses sujets à trouver refuge au Japon où ils contribuèrent à l’évolution d’une civilisation ancienne en la faisant bénéficier de leur savoir-faire d’artisans dans la ferronnerie et la confection de poteries non émaillées dites sueki. Comme l’indique le toponyme de Gimhae, qui désigne littéralement une « mer de fer », le sous-sol de l’ancienne Confédération de Gaya recelait en abondance du minerai de fer. Riches de ces nombreux gisements, les États méridionaux qui bordaient la mer du Sud et le Nakdong se transformèrent en un important centre d’échanges commerciaux entre les pays d’Extrême-Orient. En ces temps où les différentes nations prenaient leur destin en mains suite à l’effondrement de la dynastie chinoise des Han, l’État de Gaya allait constituer une importante étape entre l’archipel japonais et le continent chinois. Sa situation sur une importante route maritime empruntée par les navires de commerce en provenance de différents pays allait lui permettre de se joindre à ces échanges par la fourniture de fer. Dans le Nihon Shoki déjà cité, il est indiqué qu’à la fin de la première moitié du IVe siècle, Geunchogo, roi de Baekje, fit transporter jusqu’au Japon un lot de marchandises qui comportait quarante pépites de fer. Ces pièces réalisées en martelant le fer pour le réduire en de minces barres fournissaient un matériau idéal pour la fabrication de produits en tous genres et on en retrouva de semblables dans les tombes de Baekje et de Silla, ainsi qu’à l’intérieur de sépultures japonaises anciennes. Les dizaines de spécimens qui en furent découverts dans les régions de l’ancien royaume de Gaya attestent de leur emploi répandu, non seulement comme objets funéraires, mais aussi sous forme de pièces de monnaie.

Quartiers chinois et japonais

En 1884, la dynastie Qing ouvrit un consulat dans un quartier de Busan aujourd’hui connu sous le nom de Chinatown, car des sujets de l’empire s’y étaient établis en grand nombre. Dans ses rues, qui

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2 © Ahn Hong-beom

s’étendent face à la gare de Busan, s’alignent encore restaurants, épiceries, bureaux de change et autres entreprises tenues par des ressortissants sino-coréens aux côtés des établissements scolaires qui accueillent leurs enfants. Ce Chinatown, le plus méridional de ceux que compte la Corée, accueillit à l’origine la maind’œuvre chinoise à laquelle recourut le royaume de Joseon aux XVII e et XVIII e siècles, c’est-à-dire dans sa dernière période, afin de remettre en état les installations portuaires et de construire les bâtiments du service des douanes maritimes chinoises, le gouvernement de ce pays octroyant une aide aux nouveaux arrivants. La population actuelle représente les troisième et quatrième générations qui succédèrent à ces travailleurs, tandis qu’à l’échelle de la ville entière, nombre de Chinois ont immigré après la Guerre de Corée. En 1953, le quartier de Chinatown allait considérablement changer d’aspect à la suite de la destruction de la gare de Busan par un violent incendie et de l’apparition de maisons closes dans ses rues. En 1992, l’établissement des relations diplomatiques sino-coréennes allait y provoquer un regain d’activité, le jumelage des villes de Busan et Shanghai intervenant à peine un an plus tard et le nom

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de Chinatown cédant la place à celui de « Rue de Shanghai », où se déroule chaque année le Festival culturel du même nom. Sous le royaume de Joseon, Busan abritait aussi plusieurs quartiers japonais que désignait le terme de waegwan et que le pays avait fait aménager dans ses ports francs pour faciliter la vie des ressortissants japonais et leur permettre de participer aux échanges commerciaux et diplomatiques, mais aussi pour qu’ils aident à repousser les pirates japonais qui sévissaient à faible distance des côtes depuis le XIVe siècle, époque à laquelle le royaume de Goryeo amorça son déclin. Trois ports furent successivement dotés de ces waegwan, à savoir ceux de Busanpo et Jepo situés à Jinhae, en 1407, suivis, dixneuf ans plus tard, de celui de Yeompo, qui se trouve à Ulsan, et l’ensemble qu’ils composaient fut désigné par le nom de Sampo Waegwan, c’est-à-dire les « trois ports des waegwan ». Ces quartiers japonais allaient cependant être rasés en 1544, à l’exception de celui de Busan, par représailles aux pillages commis par l’envahisseur japonais à Tongyeong. Lorsque, dans le cadre de la « diplomatie de bon voisinage » voulue par le premier shogun du Bakufu d’Edo, Tokugawa Ieyasu, Japonais et Coréens rétablirent les relations qu’ils avaient rompues suite aux invasions japonaises de 1592 et 1597, des quartiers japonais refirent leur apparition en plusieurs points de la côte sud-est. Alors que celui de Busan abritait quelque cinq cents âmes, la zone qui fut aménagée à Choryang vers la fin du XVII e siècle occupait une surface de 100 000 pyeong, soit environ 32 hectares, et faisait se côtoyer simples habitations, résidences d’émissaires et locaux du commerce.


1. À Busan, le quartier de Chinatown se compose des rues situées en face de la gare de Busan où des ressortissants chinois ont commencé de s’établir en 1884 et sont restés très présents jusqu’à nos jours. Ce haut lieu du tourisme local s’orne aujourd’hui d’un ensemble de peintures murales inspirées des récits et personnages de Sanguo yanyi, ce « roman des Trois Royaumes ». 2. À l’entrée de Chinatown, la Rue du Texas aligne ses boutiques de souvenirs et boîtes de nuit accueillant les nombreux marins qui débarquent des bateaux étrangers à quai.

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3. Ce bloc de pierre constitue un vestige de l’un des quartiers japonais, dits waegwan, qui furent aménagés à Dumopo en 1607 et subsistèrent plus de soixante-dix ans, jusqu’à la réalisation d’une nouvelle zone résidentielle située à Choryang.

© Sortie par une belle journée, blogue sur Naver

Si les bâtiments qui les abritaient étaient de construction coréenne, puisque fournis par l’État, ils possédaient des tatamis et une décoration intérieure de style japonais. Quant à leurs occupants, bien qu’empêchés d’en sortir à leur guise par des postes de garde disposés en périphérie, ils n’en constituaient pas moins une communauté à part entière, quoique de taille réduite, et reconnaissable dans la rue à ses tenues traditionnelles, dont celles des hommes qui cheminaient sabre à la ceinture.

Une source d’échanges culturels

À partir de l’Antiquité, des conflits armés ont opposé la Corée et le Japon à maintes reprises, hormis pendant la période d’Edo longue de 210 années et coïncidant avec les derniers temps du royaume de Joseon, époque à laquelle ces deux pays allaient entretenir des relations pacifiques grâce à la médiation que réalisaient les émissaires dépêchés par ce dernier. Au lendemain du rétablissement de ces liens survenu en 1607, il n’envoya ainsi pas moins de douze missions diplomatiques de grande envergure dans ce pays. Dans l’histoire du monde, rares sont les exemples d’un tel déploiement de moyens par deux pays voisins soucieux d’assurer lla paix et la compréhension entre eux par le dialogue. En 2014, les deux organisations non gouvernementales que sont

la Fondation culturelle de Busan et le Conseil de liaison avec les lieux de mémoire de Chosen Tsushinshi allaient travailler de concert à la recherche d’un ensemble de documents qu’elles allaient intituler Documentation relative à Joseon Tongsinsa / Chosen Tsushinshi : histoire du maintien de la paix et des échanges culturels entre la Corée et le Japon du XVII e au XIX e siècle et faire inscrire au Registre Mémoire du Monde de l’UNESCO en 2017. Composée de 63 textes et d’enregistrements, soit au total 124 pièces transmises par la Corée, ainsi que de 48 textes et d’enregistrements constitutifs de 209 pièces fournies par le Japon, cette documentation s’avère d’autant plus précieuse pour la ville de Busan qu’elle représente le premier élément du patrimoine documentaire municipal à figurer dans les archives de l’UNESCO. En outre, son classement par cette organisation témoigne d’une première reconnaissance de la coopération dans laquelle se sont engagés les deux pays grâce à l’action de leurs associations civiles respectives. Quant à l’effectif des missions dépêchées par le royaume de Joseon au Japon, il était d’ordinaire compris entre 400 et 500 personnes au nombre desquelles se trouvaient des émissaires, des assistants, des scribes, des officiers militaires et des musiciens. Parti de Séoul, ce cortège s’acheminait vers Busan où il séjournerait quelque temps pour préparer ses activités diplomatiques et attendre que le temps se prête à la traversée. Il convenait en effet d’être particulièrement attentif aux conditions météorologiques et aux vents, la navigation s’avérant souvent difficile dans le détroit de Corée. Quand les éléments semblaient favorables, les émissaires accomplissaient des rites propitiatoires voués aux dieux de la mer dans le pavillon de Yeonggadae, puis ils s’embarquaient sur six navires amarrés au quai tout proche.

Les missions de rétablissement de la paix

À leur entrée sur le sol japonais, qu’ils faisaient par l’île de Tsushima, ils poursuivaient leur route en direction d’Edo, l’actuel Tokyo, en effectuant 53 haltes sur leur trajet. Les dépenses engagées par le pays hôte en vue de leur accueil atteignaient d’énormes montants dont attestent les

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338 500 hommes et 77 645 chevaux que mobilisa la huitième de ces missions en 1711, ces chiffres paraissant aujourd’hui considérables. Dans le Japon d’alors, qui privilégiait une politique d’isolement lui interdisant d’ouvrir ses ports aux puissances occidentales, la visite d’émissaires coréens représentait un événement exceptionnel qui méritait d’être célébré en grande pompe. Ces envoyés suscitaient en outre une grande curiosité, non seulement de la part des autorités, mais chez les sujets de toute catégorie sociale, qu’ils soient soldats, roturiers, marchands ou paysans. La venue d’écrivains et d’artistes coréens honorait leurs confrères japonais, qui leur rendaient souvent visite à leur résidence pour échanger poèmes, critiques et autres écrits, ainsi que des peintures et œuvres calligraphiques. Occupés qu’ils étaient à répondre à ces nombreuses sollicitations, les envoyés coréens y consacraient parfois leur nuit, comme en atteste la description de ces scènes par des documents et peintures conservés tant en Corée qu’au Japon. Les artistes japonais se montrant particulièrement désireux d’adopter la culture de Joseon en cette période d’Edo, les échanges auxquels ils s’adonnaient favorisèrent vraisemblablement un grand foisonnement artistique et culturel dans leur pays. Ces liens fructueux y sont ainsi évoqués dans une centaine d’ouvrages, les écrivains et émissaires de Joseon ayant pour leur part rédigé de nombreux comptes rendus à ce sujet dès leur retour.

Un rapprochement à l’échelle humaine Alok Kumar Roy Professeur à l’Université des études étrangères de Busan

L

es 25 et 26 novembre derniers, tout Busan bruissait d’activités lors de la conférence au sommet qu’accueillait cette

ville à l’occasion du trentième anniversaire de l’adhésion de

la République de Corée à l’ASEAN. Cette effervescence s’est poursuivie le 27 par l’organisation d’une réunion de travail entre les dirigeants sud-coréens et ceux des pays du Mékong. En permettant de débattre des moyens d’œuvrer à la paix et à la prospérité dans la région, ces rencontres ont prouvé que le dialogue au plus haut niveau participait lui aussi d’une diplomatie culturelle où l’union fait la force.

Les relations du secteur privé Située à Busan, la Maison de la culture de l’ASEAN (ACH) a vocation à favoriser des échanges propices à une ouverture à d’autres cultures jugées jusqu’ici trop lointaines. Lieu de découvertes multiples qui vont des traditions culinaires ou vestimentaires des pays d’Asie du Sud-Est à leurs langues

Busan, œuvre issue de la série Saro seunggu (route maritime à la beauté pittoresque), Yi Seong-rin (1718-1777), 1748, encre et couleur sur papier. 35,2 cm × 70,3 cm. Artiste rattaché au Dohwaseo, le bureau royal de la peinture, Yi Seong-rin évoque ici le périple des émissaires de Joseon partis de Busan pour gagner Edo. Les trente scènes de cet ensemble constituent l’unique témoignage restant de cette mission entreprise en 1748 par le royaume de Joseon.

© Musée national de Corée

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Artisanat de l’ASEAN : de l’héritage au contemporain : cette exposition, qu’accueille la Maison de la culture de l’ASEAN, située à Busan, se déroule jusqu’au 15 janvier prochain à l’occasion du trentième anniversaire des relations et du dialogue entre la Corée du Sud et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

et cultures, cet organisme propose un ensemble d’activités donnant

treprendre en 2020 une mission analogue, mais axée sur le secteur

lieu à de nombreux et intéressants échanges créateurs de lien dans

financier et bancaire. Au cours de la seule année 2019, Busan aura mis

les domaines culturel et diplomatique. La coopération qu’il a mise en

en œuvre des actions de formation dans l’agriculture intelligente, le

place avec les établissements universitaires et professionnels des dix

développement des océans et de la pêche, la réanimation cardio-pul-

pays membres de l’ASEAN s’est répercutée sur l’ensemble de leurs

monaire et la sécurité routière, ces deux derniers volets ayant exclusi-

secteurs privés en favorisant plus de relations entre eux.

vement et respectivement concerné le Laos et l’Équateur.

Intégration et diversité démographique constituent aussi des objectifs clés pour la ville internationale qu’est aujourd’hui Busan, où pas

La visibilité mondiale

moins de 65 000 ressortissants étrangers, dont 12 000 étudiants, ap-

C’est aussi à l’initiative de Busan que la Citizen’s Eurasia Expedition se

portent leurs talents et savoir-faire nouveaux. Au nombre de ces po-

déroule chaque année, depuis maintenant quatre ans, dans le but de

pulations, figurent pour une large part celles issues de pays de l’ASEAN,

sensibiliser le public au potentiel économique de la ville et à ses affini-

qui se sont intégrées avec succès à leur ville d’accueil avec l’aide cha-

tés culturelles avec l’ensemble du continent eurasiatique. La mission

leureuse de ses habitants et de l’ACH, qui s’engage résolument dans

réalisée cette année, qui a emmené ses animateurs dans pas moins

des actions visant à promouvoir un rapprochement fructueux pour les

de dix villes de cinq pays différents, à savoir la Chine, la Mongolie, la

parties concernées.

Russie, la Pologne et l’Allemagne, s’était en outre fixé pour objectif de

Comme dans toute métropole d’envergure mondiale, la mise en

retracer l’histoire du mouvement coréen d’indépendance du 1er mars

œuvre de la diplomatie des villes représente aujourd’hui un impératif

à l'occasion de son centième anniversaire et d’entamer une réflexion

auquel la Ville de Busan s’emploie à répondre avec le concours de la

sur la question complexe de la réunification coréenne à la lumière de

Fondation de Busan pour la coopération internationale (BFIC) et à cet

la chute du mur de Berlin survenue en 1989.

effet, dans un esprit d’ouverture sur le monde, elle travaille à fournir

Enfin, le Centre mondial rattaché à la BFIC apporte son soutien aux

une passerelle entre différentes régions en faisant appel aux réseaux

ressortissants étrangers, qu’ils soient expatriés ou travailleurs immigrés,

humains. Désormais, le champ d’action de ce partenariat s’étend à de

en mettant à leur disposition des supports d’information, des pres-

nouveaux domaines, ce qui conduit à toujours plus de coopération

tations de traduction en treize langues différentes et des services de

avec des pays du monde entier.

conseil professionnel portant notamment sur le droit, l’immigration, le

Dernièrement, Busan a aussi acquis une plus grande visibilité à

travail, les mariages internationaux, les relations familiales et la fiscalité.

l’international en proposant des programmes de formation d’un nou-

En ces temps de turbulences où la mondialisation fait souvent

veau type. C’est dans ce cadre qu’elle a organisé, cette année, l’inter-

figure de défi, l’expérience dans laquelle s’est engagée Busan offre à

vention d’une équipe de vingt professionnels médicaux et techniques

tous de nouvelles perspectives à bien des égards, car, ce faisant, elle

népalais du Colombo Plan Staff College (CPSC) chargés d’étudier les

donne à l’idée de « distance » entre pays et cultures un sens nouveau

possibilités de développement des ressources humaines dans l’ensei-

qui témoigne d’une ouverture d’esprit et d’une volonté novatrice

gnement technique et sanitaire. Ce même établissement prévoit d’en-

d’abolir l’éloignement qui les sépare.

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RUBRIQUE SPÉCIALE 3

Busan, port de passions et de poésie

Un marché qui fait dialoguer bruit et silence 22 KOREANA Hiver 2019


Premier marché aux poissons traditionnel de Corée par sa superficie, le marché de Jagalchi figure parmi les principaux lieux touristiques de Busan et sa fréquentation ne connaît de déclin à aucun moment de l’année. Il s’étend dans le quartier de Nampo-dong situé à l’emplacement d’un ancien village de pêcheurs, non loin d’une jolie plage aux galets de la taille d’un poing dont le nom de jagal est à l’origine de celui du marché qui se tient en bord de mer. Lee Chang-guy Poète et critique littéraire Ahn Hong-beom Photographe

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Situé au sud du port de Busan, le marché de Jagalchi occupe notamment un bâtiment dont la forme évoque celle d’une mouette. Sur les 4 841 m² de l’ensemble du site, se trouvent quelque 700 magasins et étals de plein air. Les premiers, qui se trouvent au rez-de-chaussée, vendent des fruits de mer d’une grande fraîcheur, tandis que des restaurants proposent leurs repas au premier étage. Ces commerces ont succédé aux étals que tenaient des marchands sans patente sur la plage de galets lorsque les fonds qu’ils avaient mis en commun leur ont permis de faire bâtir une halle et d’ouvrir celle-ci au public en 1972.

ans l’interview qu’il accordait à un quotidien coréen, Jacob Fabricius, le nouveau directeur artistique de la Biennale de Busan, déclarait qu’en vue de cette manifestation qui aura lieu l’année prochaine, il souhaitait transformer l’espace urbain en une galerie d’art à ciel ouvert dont la pièce maîtresse serait le marché de Jagalchi. Il a expliqué ce qui suit : « Ce lieu palpitant d’énergie, les quais encombrés de gros bateaux qui vont et viennent, les ruelles en pente et les poissonniers occupés à réceptionner ou vendre les produits de la pêche attirent tout autant la curiosité que ce qui se passe dans les coulisses d’un théâtre ». De son côté, le comité d’organisation de la Biennale de Busan s’est dit très satisfait qu’il ait su capter l’identité fondamentale de la ville dans ces tranches de vie quotidienne d’une grande vitalité et qu’il prenne le parti de faire sortir l’art du cadre confiné d’une salle d’exposition. La biennale à venir devrait donc fournir l’occasion de redécouvrir la ville au gré d’expositions participatives et expérimentales qui viendront s’insérer dans les lieux de vie du quotidien. Originaire de la ville danoise d’Aarhus, Jacob Fabricius n’a jusqu’ici séjourné que très ponctuellement à Busan, mais, n’en ayant pas moins appréhendé à quoi aspiraient ses 3,4 millions d’habitants, il a été en mesure de porter un projet susceptible de créer un consensus. Quand j’imagine la manière dont il a découvert Busan, je me dis qu’il doit s’être comporté en voyageur comme les autres avant d’acquérir plus d’ouverture d’esprit dans sa vision de la ville, au fur et à mesure qu’il renonçait aux idées reçues, et c’est ce parcours que retracent les paragraphes qui suivent.

En s’en allant au marché

Quand on se rend pour la première fois dans une ville, mieux vaut commencer par l’observer à partir d’un point élevé pour en obtenir

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une vue d’ensemble qui donnera d’emblée une idée de sa géographie et de sa culture tout en épargnant bien des efforts de recherche. Pour mettre en pratique ce principe, Jacob Fabricius doit être monté sur la tour de Busan, qui s’élève à 118 mètres sur le mont Yongdu. En parvenant à son sommet, il se peut qu’il ait un peu eu le vertige en découvrant la vue spectaculaire de l’île de Yeongdo, qui dresse au sud de la ville sa formidable masse pareille à celle d’une montagne. Ayant ouï dire que l’île japonaise de Tsushima, qui se situe à environ cinquante kilomètres de Busan, était parfois visible, par temps clair, à l’est de celle de Yeongdo, il a certainement scruté les eaux qui s’étendaient au loin. Puis la vue des petites routes zébrant les versants escarpés des collines entre des villages aux maisons sagement alignées lui aura problement rappelé les environs de sa ville natale. Après être redescendu tout aussi prudemment, peut-être a-til gagné les quais pour assister au ballet des bateaux de différentes tailles qui vont et viennent tout au long de la journée, bien que le but de son déplacement ait été ce marché de Jagalchi que les touristes apprécient par-dessous tout. Lors de sa deuxième venue à Busan, il aura certainement imité les habitants de la ville en empruntant le métro pour se rendre au marché de Jagalchi, que trois stations à peine séparaient de son point de départ. Sur place, il doit s’être dit que le meilleur moyen de s’imprégner de l’atmosphère des lieux était de se

mêler à la foule pour observer les gens et les écouter parler, bien qu’il ne comprenne pas leur langue. Si le marché de Jagalchi se trouve à trente minutes à pied de la gare de Busan, Jacob Fabricius ne s’est peut-être décidé à y aller ainsi que lors de sa troisième visite. Quittant la grand-rue du village, il doit s’être enfoncé dans un pâté de maisons et engagé dans une ruelle de Chinatown, puis avoir remonté le chemin qui mène à Daecheong-dong. Tandis que des touristes friands de pittoresque auraient trouvé cet endroit par trop misérable et banal à leur goût, Jacob Fabricius doit en avoir pris d’innombrables photos en parcourant cette voie encore tout imprégnée des épreuves qu’ont vécues ses habitants. Quel que soit l’itinéraire qu’il ait emprunté par la suite, il n’a pu que deviner la proximité du marché de Jagalchi aux effluves qui lui en parvenaient, sans qu’il lui soit nécessaire de lire les panneaux indicateurs, l’odorat humain étant toujours sensible à l’odeur bien particulière qui est celle du poisson. En parcourant la distance qui s’étend

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1. La vente à la criée bat son plein au marché de la Coopérative de pêcheurs de Busan situé non loin du marché de Jagalchi. Les fruits de mer de la pêche y sont proposés quotidiennement de 22h00 à 4h00, sauf le samedi. 2. Les acheteurs se pressent parmi les nombreux étals du marché de Jagalchi de Busan, ce lieu également très fréquenté par les touristes qui comporte une partie couverte et une autre à ciel ouvert.

2 © Ville de Busan (Photographe : Ahn Jun-kwan)

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entre la grand-route et le port, Jacob Fabricius aura découvert la multitude d’étals et d’échoppes composant le marché de Jagalchi, qui se prolonge par le marché aux fruits de mer séchés situé sous le pont de Yeongdo, puis par le marché de l’Aurore de Chungmu-dong. Quand vient l’automne, le marché de Jagalchi accueille le festival qui lui consacré avec pour accroche thématique les mots « Oiso ! Boiso ! Saiso ! » qui signifient « Venez ! Regardez ! Achetez ! » en dialecte de Busan et résument bien l’esprit dans lequel est organisée cette manifestation. Dans une atmosphère festive, ses marchands proposent aux visiteurs spectacles de danse et de chant, démonstrations de pêche à mains nues et dégustations gratuites de fruits de mer. Partant à la découverte du plus grand marché aux fruits de mer de Corée, guidé par la forte odeur qui imprègne l’air à ses abords, Jacob Fabricius a peut-être commencé sa visite par les fruits de mer séchés, qui se trouvent dans sa partie est. Anchois, calmars, crevettes et filets de poisson côtoient algues et crustacés sur les étals où ils continuent de

3. Pour les gens du marché, la journée de travail commence à huit heures et ne prend fin qu’à des heures très tardives. Après la Guerre de Corée, ce commerce a fourni un précieux moyen de subsistance aux femmes qui avaient des bouches à nourrir et, aujourd’hui encore, celles que l’on appelle « Jagalchi ajimae » demeurent un symbole de force et de courage.

sécher sous l’action du soleil et du vent. En quittant ces lieux, il sera tombé sur un autre marché tenu, cette fois-ci, par la Coopérative de pêcheurs de Busan.

Une énergie débordante

Si une grande animation règne en permanence sur ce marché, celui-ci redouble encore d’activité quand vient la nuit, après la fermeture des étals et le départ des poissonniers, car commence alors le ballet des camions venus livrer les caisses de fruits de mer destinées aux deux ventes à la criée qui auront lieu avant l’aube. Une prodigieuse énergie se dégage de cette abondance de poissons en tous genres alignés sur le sol mouillé, de la guestuelle exubérante des marchands et des allées et venues des touristes qui ne veulent rien perdre du spectacle, les yeux étincelants de curiosité. Le chiffre d’affaires annuel généré par cette activité est estimé à plus de 200 milliards de wons. Non loin de là, se dresse un énorme bâtiment qui bouche l’horizon et cache la vue de la mer. Le visiteur finira par comprendre l’idée de départ de son architecte lorsqu’il l’aura traversé et verra s’étendre les eaux devant lui, puis, en se retournant, quand il appréhendera dans son ensemble cette construction qui épouse la forme d’une énorme mouette tournant le dos à la ville pour s’envoler vers la mer. L’intérieur du bâtiment s’avère tout aussi surprenant et a fait dire à certains qu’il leur rappelait les entrailles de la baleine qui engloutit

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Geppetto dans l’histoire de Pinocchio, d’autres y ayant vu le ventre parfaitement aménagé d’un sous-marin géant. De part et d’autre de sa partie centrale, se trouvent des coursives bordées d’échoppes de mêmes taille et conception intérieure qui semblent s’aligner à l’infini, puisque leur nombre dépasse sept cents. Dans l’aquarium qui se trouve devant chacune d’elles, évoluent des crustacés et poissons que l’on ne se lasse pas de regarder. Quand marchand et client sont convenus du prix de l’un de ceux-ci, il est aussitôt tué et la vision de ses derniers moments sur le tranchoir, puis celle des mouvements rapides du poissonnier qui le découpe habilement en filets évoque alors cette « énergie débordante » qui a tant séduit Jacob Fabricius. Les clients ont ainsi la possibilité de consommer le poisson de leur choix, accompagné de condiments divers et variés, dans l’un des restaurants situés au premier étage du bâtiment et peut-être Jacob Fabricius y aura-t-il entamé la conversation avec la personne assise à la table voisine. Avec un peu de chance, il se sera agi d’un natif de Busan qui s’y restaure à l’occasion d’un déplacement et lui aura probablement conseillé de goûter à d’autres spécialités de fruits de mer régionales telles que l’anguille ou les crustacés grillés. La patronne des lieux, qui chérit elle aussi sa ville natale, se sera peut-être jointe à

Pour nourrir leurs enfants et les envoyer à l’école, les Jagalchi ajimae tiennent jour après jour leur étal au mépris des bourrasques portées par le vent du large. cet échange pour rappeler que le bâtiment se situe à l’ancien emplacement de ce marché de Jagalchi qui vit le jour voilà un siècle sur la plage de galets et que, cinquante ans plus tard, ses marchands allaient tant bien que mal recueillir des fonds pour faire aménager le marché actuel. « Ce que vous ne trouverez pas ici, vous ne le trouverez pas ailleurs », aura-t-elle fièrement conclu.

Relatum - Narrow Gate, Lee Ufan, 2015 ; plaque de fer, 220 cm × 320 cm × 3 cm ; pierre, 100 cm × 100 cm × 100 cm. Dans sa série Relatum, Lee Ufan fait se côtoyer matériaux naturels et artificiels pour représenter par une métaphore l’opposition entre société industrielle et environnement.

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Un nouvel abri pour populations déplacées

Jacob Fabricius doit avoir compris la fierté dont faisait montre la restauratrice en visitant le Musée d’histoire moderne de Busan situé à peu de distance, car celui-ci permet de prendre la mesure des agressions et de l’exploitation qu’a eu à subir Busan de la part du Japon suite à l’ouverture de son port en 1876. Faute de cela, on n’imaginerait pas, sans cela, les conditions d’existence pires encore auxquelles fut soumise sa population sous le joug colonial qui lui fut imposé par la perte de la souveraineté nationale. Pour en revenir à la création du marché de Jagalchi, d’aucuns affirment qu’elle aurait été liée aux activités de pêcheurs de la région qui tenaient des étals de fortune sur la côte de Mongdol pour y vendre leurs prises du jour, à quelque distance du marché officiel soutenu par les capitaux de l’occupant. Au nombre de ces petits marchands, se trouvaient les haenyeo, des plongeuses de l’île de Jeju qui ramassent les fruits de mer sur les fonds marins et auxquelles rend enfin hommage une statue élevée sur l’île de Yeongdo, première étape de leur campagne de pêche jusqu’à Busan. Quand survint la reddition japonaise qui mit fin à la Seconde Guerre mondiale et ouvrit la voie à la Libération coréenne, nombre de ressortissants qui rentraient du Japon s’établirent à Busan, puis ce fut au tour des réfugiés d’y affluer pendant la Guerre de Corée, de sorte qu’il est légitime de s’interroger sur la raison de leur choix. En premier lieu, il faut savoir que la mer était réputée être particulièrement poissonneuse au large de Busan, certains affirmant plaisamment qu’il suffisait d’y jeter ses filets et d’attendre. Si la faune marine n’y est plus aussi présente aujourd’hui, jusqu’au siècle dernier, en revanche, des bateaux de pêche y convergeaient encore de toutes les côtes du pays quand arrivait l’hiver, époque des grandes migrations de la morue et du hareng. Au nombre des informations consignées par l’Association de promotion du marché de Jagalchi dans un ouvrage intitulé Histoire vivante de Jagalchi, il est dit qu’en 1903 et 1904, c’est-à-dire avant l’occupation japonaise, 862 pêcheurs japonais représentant 227 ménages quittèrent leur pays pour vivre et travailler sur l’île de Yeongdo. Équipés de matériel moderne et maîtrisant les nouvelles techniques, ils pratiquèrent une surpêche dont ils exportèrent les produits jusqu’en Chine. L’attrait qu’a exercé Busan dans l’histoire s’explique aussi par le fait qu’à partir de l’époque prémoderne, allaient s’y multiplier les marchés sauvages qui échappaient à l’impôt, comme ailleurs dans le pays. Cette tendance concernait plus particulièrement le commerce du poisson, qui allait connaître une croissance exponentielle par son volume et sa place dans l’économie en raison du haut niveau de l’offre et de la demande, ainsi que d’une relative facilité de manutention de ses produits. Pour les nouveaux venus de l’exode, celui de Jagalchi allait souvent procurer un précieux moyen de subsistance au lendemain de la guerre et de la partition de la péninsule. Aujourd’hui encore, on y recense un très grand nombre de ces marchandes que les habitants de Busan appellent « Jagalchi ajimae »,

ce dernier vocable d’origine dialectale correspondant au mot ajumeoni, qui signifie « femme d’âge moyen » en coréen. Pour nourrir leurs enfants et les envoyer à l’école, elles tiennent jour après jour leur étal au mépris des bourrasques portées par le vent du large. Avec un fort accent régional, elles font l’article et marchandent avec le client, tantôt implorant, tantôt haussant le ton comme pour se bagarrer et le flâneur qui assiste à ces scènes en conservera sans nul doute le souvenir. Tout comme l’histoire du marché de Jagalchi, l’atmosphère si particulière qu’y font régner les ajimae est devenue emblématique de la ville et représente le mieux le caractère de Busan par le « spectacle dynamique de la vie » qu’elle offre, selon les mots même de Jacob Fabricius.

Bien-être et médiocrité

De même que Busan ne fut pas une ville de nobles, mais de roturiers, son histoire n’est pas faite de victoires, mais d’exodes. Avant de se préoccuper de maintenir l’ordre ou de faire respecter l’autorité, il importe de répondre aux besoins les plus criants d’un peuple pour lequel la vie est un combat quotidien. Dans cette ville où il faut bien se contenter de remédier aux problèmes faute de pouvoir atteindre la perfection, l’artiste qui rentre d’une longue journée de dur labeur ne ressent ni quiétude ni bien-être, mais un pesant sentiment de honte et de médiocrité. Au Musée des beaux-arts de Busan, le visiteur est accueilli par un échafaudage en bois qui s’avère être une œuvre que l’artiste mondialement célèbre Tadashi Kawamata a créée au moyen de chutes de bois ramassées çà et là dans Busan. S’il est vrai qu’elle évoque assez bien cette ville, je conseillerai de prendre le temps de s’arrêter aussi devant celles qui sont dues à Lee Ufan. Le calme et le silence qu’a su déceler cet artiste dans des matériaux très présents à Busan, comme la pierre ou la tôle, ne s’apparentent en rien à l’éveil transcendantal et spirituel dont on peut faire l’expérience au cœur des montagnes. C’est l’image du marché de Jagalchi qui me vient immédiatement à l’esprit devant la représentation par Lee Ufan des « liens » et « dialogues » qui demeurent dans la cohue d’une ville entropique. Il en émane une impression d’extrême sérénité.

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RUBRIQUE SPÉCIALE 4

Busan, port de passions et de poésie

Au sud-ouest de Busan, le village de Gamcheon-dong s’est développé dans les années 1950 suite à la venue d’importants groupes d’adeptes du Taegeukdo, une nouvelle secte religieuse issue du taoïsme. Au flanc des collines où ils s’établirent, l’alignement de leurs maisons en terrasse et le dédale des ruelles qui les desservent composent un extraordinaire paysage.

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Souvenirs d’une « capitale de guerre » Du 18 août 1950 au 15 août 1953, pendant la Guerre de Corée, le gouvernement de la République de Corée se réfugia à Busan, qui devint de facto la capitale du pays, et y occupa le bâtiment qui abritait jusque-là le siège de l’administration provinciale du Gyeongsang du Sud, tandis que le conflit contraignait à l’exode une population qui allait devoir refaire sa vie dans cette ville sans savoir quand elle pourrait rentrer. Choi Weon-jun Poète et professeur au Centre de formation continue de l’Université Dong-eui

© Ville de Busan (Photographe : Jeong Eul-ho)

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 29


C

’est à l’une des plus grandes tragédies de l’histoire nationale, à savoir la Guerre de Corée, que Busan doit d’être aujourd’hui la deuxième métropole du pays par sa population, qui est passée de 470 000 à un million d’habitants entre 1949 et 1955, soit deux ans après l’armistice, en raison de l’arrivée de nombreux réfugiés en provenance de tout le territoire. Les nouveaux venus connurent des conditions d’existence particulièrement difficiles et durent notamment se loger dans des abris de fortune tels que ceux du quartier de Jungang-dong situé non loin de la gare et du port. Aujourd’hui encore, son célèbre escalier haut de quarante marches demeure le symbole d’épreuves et de souffrances dont rappellent le souvenir des statues représentant quelques-uns des nombreux réfugiés d’alors, tels cette jeune maman allant son bébé, ce marchand ambulant de maïs grillé et son réchaud ou ce porteur s’accordant un moment de repos, assis près de sa hotte lourdement chargée. Pour ces humbles travailleurs, les marches à gravir ou descendre marquaient la frontière entre le dur labeur et l’univers domestique. En descendant, cet escalier menait à un quartier où journaliers, marchands de chewing-gum à la sauvette, débardeurs et ouvriers trimaient du matin au soir, tandis qu’en montant, on découvrait les tentes et baraques d’un bidonville. Lorsqu’ils s’y asseyaient, ils s’étiraient et faisaient un petit somme, à moins qu’ils ne versent des larmes au souvenir de leur famille restée au loin. À Busan, il est un autre lieu évocateur des meurtrissures infligées aux réfugiés de guerre, à savoir ce pont de Yeongdo où ils prirent l’habitude d’afficher des messages sur les parapets dans l’espoir de retrouver les leurs, car l’ignorance du lieu où ils se trouvaient était plus insupportable que la pauvreté elle-même, sans parler de la crainte de ne plus les revoir. Cet ouvrage, qui porte le nom de la petite île qu’il relie au sud de Busan depuis sa construction en 1934, fut le premier du pays à assurer une telle liaison, ainsi que l’unique pont transbordeur que comptait celui-ci. Étant connu de tous à Busan, les nouveaux arrivants se disaient qu’ils auraient peut-être la chance d’y croiser un parent.

La capitale provisoire

Situé au sein de l’Université Dong-a, le musée Seokdang se penche sur cette période trouble de l’histoire de la ville. Il occupe un bâtiment que construisit le Japon colonial pour accueillir le siège de l’administration provinciale du Gyeongsang du Sud, lequel se trouvait jusqu’alors à Jinju, afin de tirer parti des infrastructures portuaires et de transport déjà existantes à Busan. Quand éclata la Guerre de Corée, le gouvernement y fut évacué et y demeura jusqu’à l’armistice, après quoi il abrita de nouveau le siège de l’administration provinciale, auquel allait succéder le tribunal de district de Busan quand ces services furent déplacés à Changwon. Cette construction est aujourd’hui inscrite sur la Liste du patrimoine culturel, qui inventorie les biens de ce type en vue de leur préservation et de leur affectation

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à certains emplois, à l’instar de celui de musée et de lieu de mémoire que lui a attribué l’Université Dong-a en 2009. Dernièrement, l’une des rues menant du campus de Bumin de cette université au Mémorial de la capitale provisoire a subi des aménagements afin d’y commémorer la place qu’a occupée Busan dans l’histoire en tant que capitale provisoire d’un pays en guerre. Cette artère est désormais jalonnée de sculptures représentant des scènes de cette époque révolue, tandis que le tramway et ses voies y ont été reconstitués. Le bâtiment qui abrite le Mémorial de la capitale provisoire date lui aussi de l’époque coloniale et le gouverneur de la province y résidait alors, mais le président de la République allait s’y établir à titre provisoire pendant la Guerre de Corée, ce

1 © Busan Heritage Night

1. Pendant la Guerre de Corée, qui vit la République de Corée prendre Busan pour capitale provisoire, ce bâtiment datant des années 1920 allait abriter la résidence présidentielle après avoir accueilli celle du gouverneur provincial japonais. Le Mémorial de la capitale provisoire y a pris place en 1984. 2. Ruelle des libraires de Bosu-dong. L’origine de ce commerce remonte à la Guerre de Corée et à l’arrivée d’un couple de réfugiés nord-coréens qui allaient se consacrer à la vente de livres et vieux magazines récupérés sur la base militaire ou auprès de brocanteurs américains. Alors que pas moins de soixante-dix librairies s’y trouvaient dans les années 1960 et 1970, on ne recense aujourd’hui qu’une quarantaine de magasins se livrant au commerce de livres neufs et d’occasion. 3. À l’ancien emplacement du bidonville de Jungang-dong, des statues évoquent le quotidien des réfugiés de naguère. Jour après jour, il leur fallait monter et descendre les quarante marches de cet escalier en portant une cruche d’eau sur le dos.


2

qui lui confère une valeur historique révélatrice du rôle que joua la ville au cours de ce conflit et du courage avec lequel elle sut traverser ces temps difficiles. Parmi les pièces qui y sont exposées, le visiteur découvrira la figure de cire en grandeur nature du président Rhee Syngman et une reconstitution de son bureau, ainsi que nombre d’objets qui fournissent un aperçu de la vie quotidienne d’alors, notamment des articles ménagers, de même qu’une reproduction d’une salle de classe pour enfants de réfugiés ou d’étals du marché de Gukje.

Les sentiers des collines

3

À Busan, les sentiers qui serpentent à flanc de colline s’étendent sur une impressionnante distance de soixante-cinq kilomètres, car les réfugiés qui plantaient leur tente ou construisaient une baraque devaient monter toujours plus haut en quête d’un terrain et créaient ces chemins

© Ahn Hong-beom

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 31


Créé par le commandement de cette organisation, le cimetière commémoratif des Nations Unies abrite les sépultures des soldats morts au combat pendant la Guerre de Corée. Depuis sa création en avril 1951, il attire nombre de visiteurs tant coréens qu’étrangers, les drapeaux des pays concernés y flottant en permanence aux côtés de celui de l’ONU.

en foulant le sol. Ils eurent à affronter des conditions de vie difficiles dans ces abris minuscules qui formaient des bidonvilles parcourus par un dédale de ruelles, mais attirent aujourd’hui les touristes, à l’instar du village culturel de Gamcheon. Ses rangées de petites maisons en terrasse sont visibles sur la droite de la route qui gravit la colline du même nom à partir du Centre hospitalier de l’Université de Pusan. Ce hameau fut édifié par les adeptes de la secte du Taegeukdo, c’est-à-dire de la « voie suprême », qui y élurent domicile pendant la guerre, les habitants de Gamcheon l’appelant quant à eux le « village du train », car, dans la nuit, l’enfilade de ses fenêtres faisait penser à celles d’un convoi parcourant le flanc de la colline, tandis que, de jour, leurs myriades de toits composaient un ensemble coloré rappelant les briques d’un légo. Çà et là, son lacis de ruelles se prolonge par la pente raide d’un escalier dont la desserte verticale fait pendant à celle, horizontale, de ces minuscules artères. Depuis peu, le village d’autrefois connaît une nouvelle vie par le biais des arts de la rue et ses murs s’ornent

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de fresques dont la création a été promue dans le cadre d’un projet de réhabilitation et que des organes de presse tels que Le Monde ou CNN ont fait connaître au public étranger.

Les marchés en plein air

Perdus dans une ville inconnue et confrontés à un rude quotidien, les réfugiés de Busan retrouvèrent l’espoir de subvenir à leurs besoins par la vente sur les marchés, dont ils tiraient de précieuses recettes. Parmi ces lieux très animés, figuraient en particulier ceux de Gukje et Bupyeong Kkangtong, que désignait parfois l’expression « dottegi sijang » signifiant « marché désordonné », car ils fourmillaient de chalands et regorgeaient d’étals improvisés proposant le plus souvent des surplus de l’armée japonaise récupérés à la Libération coréenne


En descendant, cet escalier menait à un quartier où journaliers, marchands de chewing-gum à la sauvette, débardeurs et ouvriers trimaient du matin au soir, tandis qu’en montant, on découvrait les tentes et baraques d’un bidonville.

© Ahn Hong-beom

ou des produits de première nécessité issus du marché noir alimenté par les bases de l’armée américaine. Le premier écoulait des vêtements d’occasion offerts par d’autres pays dans le cadre de l’aide humanitaire, ce qui allait lui valoir son nom de Gukje, c’est-à-dire « international » et sa transformation en un centre de la mode d’envergure nationale. Après la guerre, le commerce illicite de surplus militaires allait se déplacer vers le plus grand marché en plein air coréen, qui est celui de Bu­­pyeong Kkangtong. L’emploi de ce dernier vocable, qui désigne en coréen une boîte de conserve ou une canette, s’explique par la grande quantité d’articles américains de ce type que l’on y trouvait du fait de l’existence de bases militaires depuis la guerre. Ceux que l’on appelait les « marchands yankees » tiraient des bénéfices substantiels de la revente des boissons, cigarettes et produits alimen-

taires qu’ils achetaient aux compagnes de soldats américains. C’est sur ce même marché qu’allaient voir le jour quelquesunes des spécialités de la ville, dont la fameuse pâte de poisson dite eomuk ou le doeji gukbap, qui est un bouillon de porc au riz. On y confectionnait aussi une sorte de ragoût épais avec les restes de repas que laissaient les militaires américains et qui mijotaient longuement dans une cocotte. Appelée tantôt « ragoût de cochon » tantôt « soupe de l’ONU », cette préparation aurait été l’ancêtre du budae jjigae, ce « ragoût de l’armée », et fournissait aux réfugiés une précieuse source de protéines grâce au porc qu’elle contenait, notamment sous forme de saucisses et de jambon..

La ruelle des libraires

Particulièrement étroite et longue d’à peine cent cinquante mètres, la ruelle de Bosu-dong rassembla jusqu’à soixante-dix librairies qui constituaient le plus grand marché aux livres du pays. Pendant la guerre, les étudiants suivaient leurs cours dans des locaux de fortune aménagés sur les versants des collines de Gudeok ou des petites hauteurs adossées au quartier de Bosu-dong, ainsi que sur l’île de Yeongdo. Le ministère de l'Éducation nationale les y avait fait construire après avoir rassemblé la plupart des universités de Séoul au sein d’une « Union universitaire de temps de guerre » et c’est donc tout naturellement qu’apparurent des librairies dans cette ruelle de Bosu-dong qui se trouvait sur le trajet de leur « établissement ». Le secteur de l’édition ayant été durement frappé par la guerre, il devint difficile de se procurer des livres, et ce, d’autant plus s’agissant d’ouvrages universitaires, alors un commerce de livres d’occasion remédia à cette pénurie dans la ruelle de Bosudong, qu’allait bientôt animer la présence constante d’acheteurs et marchands, ces derniers se faisant toujours plus nombreux. Dans cette ruelle désormais célèbre, nombre d’intellectuels dans le besoin se résignèrent à vendre leurs précieux livres pour survivre et la grande quantité d’ouvrages qui s’y trouva ainsi concentrée allait en faire un réservoir de connaissances et l’un des hauts lieux de la vie culturelle de la ville. Consacré à la Guerre de Corée, le cimetière commémoratif des Nations Unies rend hommage aux 2297 soldats de onze pays différents qui moururent au champ d’honneur, dont des Australiens, des Canadiens, des Néerlandais, des Turcs et des Britanniques. À l’instar du Mémorial et musée d’Auschwitz-Birkenau ou du Mémorial de la paix d’Hiroshima, cet espace dédié aux valeurs de paix et de liberté est cher au cœur de ceux qui souffrent encore des meurtrissures de ce conflit. Non loin de là, les Parcs de la paix et des sculptures des Nations Unies participent également, aux côtés du Mémorial de la paix des Nations Unies, de l’expression de cette aspiration à la paix et au bien-être humains qui sont essentiels à l’harmonie du village planétaire.

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La cuisine régionale née de la guerre

À

ceux qui les interrogeraient sur les spécialités culinaires les plus connues de leur ville, les gens de Busan citeraient en premier lieu les milmyeon, ces nouilles de farine de froment, ou le doeji gukbap, c’est-à-dire un bouillon de porc

au riz. Aussi célèbres soient-elles, ces préparations ne datent que de la Guerre de Corée, au cours de laquelle les réfugiés qui affluaient de tout le pays fournirent à la cuisine locale de nouveaux apports résultant de goûts et habitudes alimentaires différents.

Les milmyeon Il s’agit d’une variante des nouilles froides servies

qui y trouvaient un moyen de nourrir deux per-

dans un bouillon froid et dites naengmyeon que

sonnes pour le prix d’un seul plat. Avec le temps, leur

consommaient les réfugiés nord-coréens dans leur

préparation s’est enrichie des généreuses saveurs sa-

ville natale et qui se composaient de farine de sar-

lées et épicées de la cuisine régionale, dont elles font

rasin. Celle-ci n’étant pas facilement disponible dans

désormais partie intégrante.

leur ville d’accueil, contrairement à son équivalent au

Si certaines différences peuvent exister dans

froment fourni dans le cadre de l’aide alimentaire,

les versions proposées d’un restaurant à l’autre, les

les milmyeon prirent rapidement le pas sur la recette

constantes en sont les nouilles elles-mêmes, compo-

d’origine.

sées ici de farine de froment et de fécule de pomme

Moitié moins coûteuses que les naengmyeon,

de terre, et un bouillon froid à base de cuisse de

ces nouilles à la farine de froment tenaient lieu d’er-

bœuf, légumes et plantes aromatiques, auxquels

satz pour les plus

pourra venir s’ajouter une sauce épicée. En son ab-

démunis,

sence, le bouillon additionné de glace confère aux nouilles qu’il contient une consistance tendre et une fraîcheur agréable, tandis que dans le cas contraire, épices et condiments s’allient en une préparation aussi forte que le tempérament des habitants de la ville. À la saison chaude, les milmyeon sont particulièrement prisées des Coréens qui, comme toujours, aiment à combattre le feu par le feu.

san Bu de e l l i ©V

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La recette des milmyeon, qui figure parmi les spécialités culinaires de Busan, fut introduite par les réfugiés nord-coréens qui arrivèrent dans cette ville pendant la Guerre de Corée. Ce plat, qui se consomme froid, est composé d’un bouillon garni de nouilles de farine de froment et de fécule de pomme de terre.


Célèbre préparation régionale issue du brassage de populations déplacées aux habitudes alimentaires différentes, le doeji gukbap réunit riz et tranches de viande dans un bouillon à l’os de porc que vient agrémenter une sauce servie séparément.

© Ville de Busan

Le doeji gukbap Autre spécialité réputée de Busan, le doeji gukbap se

très prononcée, elle s’obtient en faisant mijoter une

compose aussi d’un bouillon, mais que l’on garnit ici

tête et des intestins de porc. Enfin, le bouillon le plus

de belles tranches de porc bouilli auxquelles s’ajoutent

clair des trois, dont la recette provient de la province

ciboulette, ail, poivron rouge, oignon et kimchi, la co-

du Gyeongsang du Sud, est réalisé exclusivement au

pieuse préparation ainsi obtenue pouvant constituer

moyen de viande et s’avère en conséquence le plus

un plat de résistance à elle seule.

maigre et le plus léger.

Dans sa recette actuelle, le doeji gukbap est le

Différentes variantes de cette préparation

produit du brassage de populations venues de ré-

peuvent aussi exister en fonction de la viande

gions aux habitudes alimentaires différentes. Tandis

qu’elles emploient, la recette d’origine recourant au

que bouillon, riz et viande en tranches étaient jusque-

porc aussi bien pour le bouillon que pour la garni-

là toujours servis dans un bol unique, cette pratique

ture, tandis que les suivantes, dites sundae gukbap,

allait évoluer sous l’influence de nouveaux arrivants

naejang gukbap, seokkeo gukbap et modum gukbap

qui ont aussi apporté des modifications à la prépara-

se sont respectivement complétées de tranches de

tion elle-même.

porc bouilli et d’intestins de porc farcis, d’intestins de

Le bouillon, qui peut présenter un aspect opa-

porc, de tranches de porc bouilli et d’intestins et de

que, translucide ou clair, est réalisé, si l’on recherche

tranches de porc bouilli et d’intestins farcis ou non.

le premier, en faisant mijoter des os de porc pour

Enfin, dans d’autres versions, riz et bouillon sont ser-

donner une riche saveur qui rappellera le bouillon de

vis séparément, comme c’est le cas du ddaro gukbap,

porc aux sargasses de l’île de Jeju, dit momguk, ou

ou ensemble et garnis de tranches de porc bouilli, tel

les ramen tonkotsu de l’île japonaise de Kyushu, éga-

le suyuk baekban, tandis que le doeji guksu substitue

lement composés d’un épais bouillon à l’os de porc.

les nouilles au riz pour s’ajouter au bouillon. Autant

Quant à la version translucide du doeji gukbap, qui

de formules qui témoignent de l’alliance de traditions

est fidèle à la recette d’origine introduite par les ré-

culinaires issues de différentes régions au sein de

fugiés nord-coréens et se caractérise par une saveur

cette spécialité qui fait la renommée de Busan.

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 35


RUBRIQUE SPÉCIALE 5

Busan, port de passions et de poésie

D’importantes infrastructures au service du septième art

Le 3 octobre dernier, avait lieu la cérémonie d’ouverture du 24ème Festival international du film de Busan au Centre du cinéma de cette ville. Réalisé en 2011, l’ensemble architectural qui accueille cette manifestation est constitué de trois bâtiments, dont deux de quatre étages et un de neuf.

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Si Busan fait aujourd’hui figure de ville du cinéma, cette renommée ne s’explique pas tant par le Festival international du film (BIFF) qu’elle accueille chaque année que par les remarquables infrastructures dont elle dispose dans ce domaine sous forme d’installations et d’organismes variés. Jeon Chan-il Critique de cinéma et président de l’Association coréenne des critiques de contenus culturels

L

es perspectives qui s’offrent à Busan en tant que pôle d’activités culturelles sont évoquées dans un ouvrage intitulé Infrastructures culturelles et festivals de Busan que publiait en 2017 l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université nationale de Pukyong. Avant de participer à sa production, j’avoue avoir été assez sceptique à ce sujet, mais les recherches que j’allais effectuer dans ce cadre m’en ont donné une vision radicalement différente, tout au moins s’agissant de cinéma. Jusque-là, je ne m’étais guère penché sur la question des infrastructures dont pouvait disposer la ville dans ce domaine. Pour moi, le nom de Busan était associé au mot « cinéma » en raison du Festival international du film, mais je me trompais, car les infrastructures dont s’est dotée cette ville justifient amplement sa réputation dans le septième art. Parmi les nombreux organismes qui s’y trouvent, figurent en premier lieu le Conseil pour la promotion du cinéma et le Conseil de classification des produits audiovisuels coréens, un temps situés à Séoul et délocalisés à Busan en 2013. Si ces deux entités exercent leurs activités à l’échelle nationale, leur présence a sans conteste renforcé la place qu’occupe cette ville dans le cinéma coréen. Au niveau local proprement dit, celle-ci possédait d’ores et déjà les précieux atouts que sont la présence d’une cinémathèque, d’un Centre du cinéma et d’une Commission du film, ainsi que la création du Prix de la critique décerné lors de son festival.

Une ville pionnière

Afin d’assurer l’archivage et la projection d’œuvres cinématographiques, comme il incombe de le faire à toute cinémathèque, Busan allait précéder toutes les autres villes du pays en se dotant, dès 1999, d’un établissement de ce type au sein de son Centre de voile de la baie de Suyeong situé dans le quartier de Haeundae. La Cinémathèque de Busan s’attache plus particulièrement à faire découvrir œuvres méconnues, films d’art et productions indépendantes n’ayant pu faire l’objet d’une large distribution sur les circuits commerciaux, © NewsBank

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 37


mais, à l’intention du public, elle organise aussi, depuis 2007, des formations variées aux métiers du cinéma. Aujourd’hui, elle fait partie intégrante du Centre du cinéma qui a ouvert ses portes à Busan en 2011. Réputé pour sa conception originale due au cabinet d’architecture autrichien Coop Himmbelblau, le Centre du cinéma a orienté de manière décisive l’évolution qu’a connue la Cinémathèque de Busan, tout comme celle du Festival international du film. Première du genre en Corée et deuxième d’Asie, la Commission du film de Busan (BFC) a quant à elle vu le jour en 1999, à l’initiative de la municipalité. Dans un contexte de renouveau du septième art coréen, cet organisme allait permettre de faire face à ce regain d’activité en regroupant les différents services administratifs concernés. Par la suite, plusieurs villes allaient s’engager dans cette voie et créer douze autres commissions régionales du film. À la fin de 2018, pas moins de 1 300 films et autres créations audiovisuelles avaient bénéficié du soutien de la Commission du film de Busan, qui a par ailleurs apporté son appui à l’essor d’infrastructures locales dans le septième art. Au nombre des grandes réalisations à mettre au crédit de cet organisme, il convient de citer la création du Busan Cinema House Hotel et des Busan Cinema Studios, qui participent de l’amélioration de l’environnement des tournages, du Busan Cinema Venture Center,

qui accueille les activités d’entreprises spécialisées dans le cinéma et d’autres produits audiovisuels, de l’École du film asiatique de Busan, qui propose un cursus d’études en réalisation cinématographique, et du Centre des industries audiovisuelles, qui assure la formation de professionnels et fournit des prestations aux entreprises du secteur situées tant à Busan qu’à Séoul.

Le choix de l’indépendance

D’une apparition largement antérieure à ces différentes institutions ou initiatives, puisqu’elle remonte au mois de septembre 1950, c’est-à-dire en ces temps de Guerre de Corée où Busan était la capitale provisoire de la République de Corée, l’Association coréenne de la critique (KAFC) constitue le principal organisme coréen qui rassemble les professionnels de ce domaine. En 1958, elle s’est vu compléter par l’Association des critiques de cinéma de Busan (BFCA), qui constitue le premier groupe de critiques indépendants créé à l’échelle régionale. La BFCA s’est donné pour mission de favori-

1

© Ville de Busan

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lors de Hong Sang-soo, qui évoque le triangle amoureux composé par deux hommes et une femme, alors que cette même œuvre n’avait pas été récompensée lors de la remise du Prix de la critique de la KAFC, dont c’était la vingtième édition cette année-là et qui allait couronner Peppermint Candy par son prix du meilleur film. Cette œuvre exprimant les angoisses d’un individu sur fond d’événements historiques tragiques était due à Lee Changdong, qui allait ravir le prix du meilleur réalisateur à cette même manifestation, tandis que Bae Chang-ho, metteur en scène de My Heart, allait passer pratiquement inaperçu lors de la remise du Prix de la critique de Busan. Cette tendance allait se manifester de nouveau, en 2018, par l’attribution du Prix du meilleur film, dans le cadre du choix de la critique, à 1987: When the Day Comes, de Jang Joon-hwan, évoquant les militants à l’origine du

ur gue s xi, blo nhox © Eu r Nave

ser l’essor d’une vie culturelle riche et dynamique en faisant découvrir les œuvres de valeur du cinéma coréen et étranger au public, en lui apprenant à mieux les apprécier et en réalisant des recherches, outre qu’elle a été un temps l’organisatrice du concours du Film Buil, dont le prix était décerné par le quotidien régional Busan Ilbo. Par une critique extrêmement poussée et d’une grande objectivité quant à la qualité des œuvres, cet organisme a favorisé l’essor du cinéma coréen tout en permettant au public de ce pays d’affiner ses capacités d’analyse et de jugement dans ce domaine. Dès l’an 2000, la BFCA allait créer et décerner des prix selon un choix souvent guidé par des critères de couleur locale et d’anticonformisme, cette tendance étant révélatrice d’une volonté d’encourager les oeuvres qui se distinguent par leur originalité et se démarquant par-là même de l’optique dans laquelle sont remises les distinctions de la KAFC. Ces différences d’approche sont apparues au grand jour lors de l’attribution des premiers Prix de la critique de Busan, celui du meilleur film étant revenu à Virgin Stripped Bare by Her Bache-

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1. Cinéphiles assistant à une projection en plein air sur l’esplanade du BIFF lors du 24 ème Festival international du film de Busan. C’est là, au cœur du quartier historique de Nampo-dong, qu’ont eu lieu les moments forts de cette manifestation jusqu’en 2003, tandis qu’ils se déroulent désormais sur la plage de Haeundae.

3

2. Lady-Bird-Transformation, Ralf Volker Sander, 2012, acier inoxydable, 10,2 m × 4,6 m × 2,6 m. Cette œuvre, qui orne le parvis de Dureraum, au Centre du cinéma de Busan, a été retenue à l’issue d’un concours international opposant de nombreux compétiteurs. En l’observant de face, on reconnaît la silhouette d’une femme, tandis que, de profil, elle évoque celle d’une mouette. 3. Spectateurs applaudissant au spectacle en plein air que proposait en 2017 le Centre du cinéma de Busan dans le cadre de la Busan Food Film Festa. © Centre du cinéma de Busan, Busan Food Film Festa

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© Showbox

© Centre du cinéma de Busan

© Moon Jin-woo

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1. Des étudiants s’initient à la production vidéo à l’Institut du cinéma rattaché au Centre du cinéma de Busan. Dans son cursus annuel, cet établissement propose une cinquantaine de cours différents aux aspirants cinéastes. 2. Film à succès réalisé en 2016 par Yeon Sang-ho, Train to Busan a été tourné dans les studios de cinéma de Busan. Placés sous la responsabilité de la Commission du film de Busan, ils comportent deux studios d’intérieur, l’un d’une superficie de 826 m² et l’autre, de 1 653 m². 3. Nombre d’endroits de la ville ont servi de lieux de tournage, comme le quartier Beomil-dong qui apparaît dans bien des films à succès, tels Friend de Kwak Kyung-taek (2001), Low Life d’Im Kwon-taek (2004) ou Mother de Bong Joon-ho (2009). 4. Scène de Nameless Gangster: Rules of the Time, realisé en 2012 par Yoon Jong-bin et en partie sur les chantiers navals qu’exploite Hanjin Heavy Industries & Construction sur l’île de Yeongdo.

2 © Next Entertainment World

mouvement pour la démocratie qui venait de se déclencher au mois de juin de cette même année. Le Prix de la critique allait quant à lui récompenser The Remnants, un documentaire traitant de la résistance qu’opposèrent des riverains à la démolition de leur quartier dans le cadre du plan d’urbanisme de Séoul et qui se solda par la mort de plusieurs d’entre eux dans un incendie alors qu’ils refusaient d’être expulsés par la police. Les deux associations ne divergent pas systématiquement par leurs choix, mais, en affirmant sa différence, la BFCA, quoique beaucoup plus modeste par sa taille et son effectif, légitime son existence et reste fidèle à ses principes, alors que la KAFC semble avoir perdu les siens de vue.

De nombreuses manifestations

Pour ce qui est du dynamisme du septième art à

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Busan, on ne saurait omettre d’évoquer les multiples associations et institutions qui y contribuent par leurs activités, notamment l’Association du film indépendant de Busan fondée en 1999 et organisatrice d’un festival consacré au cinéma indépendant dont cette année marquait la 21ème édition, le Prix Buil du film, qui repose sur un engagement d’équité et de transparence dans la sélection des œuvres en lice, et le Festival international du court métrage de Busan. À ces différentes manifestations, s’ajoute tout un cadre propice à l’essor du secteur, avec, en particulier, une Rue du Cinéma qui, dans le quartier de Haeundae, attire en grand nombre les habitants de la ville, mais aussi des quatre coins du pays et de l’étranger. Dans le quartier dit « Village du Texas », qui se situe face à la gare de chemin de fer, le restaurant chinois Jangseonghyang est réputé pour ses raviolis frits de style coréen tels qu’en mange un personnage du film à succès Old Boy réalisé par Park Chan-wook en 2003, tandis que dans le quartier de Jungdong, une grande animation règne tout au long de l’année sur l’avenue de Daecheong-ro : autant d’aspects de Busan qui expliquent sa réputation amplement méritée de « Ville du cinéma ».


Le BIFF fête son vingt-quatrième anniversaire

s’est illustrée en narrant brillamment un incident d’une tragique banalité évoquée par son titre et en brossant avec authenticité le portrait de personnages d’une grande innocence, l’ensemble étant servi par une mise en scène de western qui rappelle The Searchers (1956) de John Ford ou Unforgiven (1992) de Clint Eastwood et s’avérant particulièrement prometteur pour l’avenir

L

a vingt-quatrième édition du Festival international du film

du septième art kazakh.

de Busan (BIFF) qui avait lieu cette année s’est avérée très

À l’heure actuelle, un doute plane quant aux perspectives qui

satisfaisante par ses résultats comme par les grandes tendances

s’offrent au BIFF, car, bien que celui-ci se soit haussé au niveau

qui s’en dégagent. D’abord et avant tout, il a encore une fois dé-

des grands pays producteurs de films, sa fréquentation, deux

montré qu’il se plaçait au premier rang des manifestations d’Asie

ans après la restructuration de son comité exécutif, a enregistré

consacrées au septième art en présentant pas moins de 299 films

une baisse de près de six mille spectateurs par rapport à l’année

issus de 85 pays différents, dont 118 en première mondiale sous

dernière, où elle s’était élevée à 189 116 spectateurs en dépit du

forme de 95 longs métrages et 23 courts métrages, ainsi que 27

typhon qui avait frappé la ville. Selon toute vraisemblance, un tel

en première internationale qui comportaient 26 longs métrages

recul pourrait s’expliquer par cette ombre au tableau que repré-

et un court métrage.

sente la polémique toujours en cours quant à son indépendance

Parmi les différents volets de sa programmation, figurait une remarquable rétrospective qui portait sur le directeur de la photo-

face aux ingérences de l’État. Lors de son édition de 2014, les organisateurs du BIFF

graphie Jung Il-sung et étendait ainsi à d’autres professionnels du

allaient susciter la controverse en décidant de présenter le

cinéma l’hommage rendu habituellement par la Corée aux acteurs

documentaire Diving Bell intitulé dans sa version anglaise The

et metteurs en scène. Il est à parier que d’autres festivals d’enver-

truth shall not sink with Sewol, lequel dénonce l’insuffisance des

gure internationale s’inspireront de cette originale initiative.

moyens de sauvetage mis en œuvre lors du naufrage du ferry-

La projection en ouverture du film The horse thieves - Roads

boat Sewol survenu à peine six mois plus tôt. Cette catastrophe

of time a également innové dans la mesure où elle mettait ainsi à

allait provoquer la mort de 304 personnes dont la plupart était

l’honneur pour la première fois une œuvre originaire d’Asie cen-

des lycéens qui avaient reçu la consigne de rester à leur place au

trale. Réalisé conjointement par Yerlan Nurmukhambetov, lauréat

lieu de monter à bord des canots de sauvetage. En désaccord

du Prix New Currents pour Walnut Tree lors de la 20

édition

avec la projection de ce film, les pouvoirs publics et la Ville de

du BIFF, et par la réalisatrice japonaise Lisa Takeba, cette œuvre

Busan allaient ordonner qu’il soit déprogrammé, cette décision

ème

n’étant pas suivie d’effet. Deux ans plus tard, le maire de Busan allait présenter sa démission de la présidence du BIFF, suite à des allégations selon lesquelles il aurait tenté de faire taire les critiques à l’encontre du gouvernement. Soucieux de défendre la liberté d’expression des artistes, tous les organismes liés au cinéma coréen allaient appeler leurs membres au boycott du BIFF, lequel allait de ce fait avoir bien du mal à composer sa programmation. Aujourd’hui, nul n’est en mesure de savoir si les incidences de ce conflit ne sont que temporaires ou si elles constituent le signe alarmant d’un déclin durable et il importe donc d’en découvrir les causes profondes afin d’y apporter une véritable solution. Des cinéphiles entourent le cinéaste David Michôd (premier à partir de la droite), l’acteur vedette Timothée Chalamet (deuxième à droite) et toute l’équipe du film The King, qui a tant fait parler de lui à la dernière édition du Festival international du film de Busan. © Festival international du film de Busan

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 41


HISTOIRES DES DEUX CORÉES

Le nécessaire apprentissage de la réconciliation en vue de la réunification

Le Père Ben Torrey œuvre à la formation des jeunes générations de Sud-Coréens qui connaîtront la réunification de la péninsule, dont l’avènement est à ses yeux imminent. Dans l’accomplissement de son ministère comme par son travail sur le terrain, il perpétue les liens vieux de plus d’un siècle qu’a tissés sa famille sur pas moins de quatre générations avec les habitants de son pays d’accueil. Kim Hak-soon Journaliste et professeur invité à l’École des médias et de la communication de l’Université Koryeo Heo Dong-wuk Photographe

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itué en haute montagne, dans cette chaîne du mont Taebaek qui parcourt la province de Gangwon, le bassin versant de Samsuryeong, dont le nom signifie littéralement « passage des trois eaux », est alimenté par plusieurs cours d’eau coulant en direction de l’est, de l’ouest et du sud. En remontant vers le nord, une rivière bien différente irrigue la région environnante, puisqu’il s’agit de la formation que dispense le Père Ben Torrey, dans le cadre de son projet dit de la « Quatrième Rivière », à l’intention des générations futures qui connaîtront la réunification. Pour cet homme d’Église, il ne fait aucun doute que l’événement se produira du vivant de la « génération du millénium » que composent les jeunes âgés de 20 à 30 ans. Conscient du travail qui reste à accomplir pour qu’ils s’y préparent, il a entrepris, voici neuf ans, de leur apporter à cet effet les savoirs et compétences nécessaires dans le cadre de son programme appelé « Quatrième Rivière ». Celui-ci consiste en cours de formation proposés par le Centre de Samsuryeong qui se trouve à Taebaek, une ancienne ville minière vouée à l’extraction du charbon et située à 200 kilomètres au sud-est de Séoul. Cet établissement comporte l’École de la Rivière de Vie, une école secondaire alternative, et la Maison des jeunes des Trois Mers. Dirigé par Liz Torrey, la femme du pasteur, le premier de ces lieux a vocation à former de futurs « agents de réconciliation et de réunification » en mettant l’accent sur l’esprit de coopération et d’entraide que ceux-ci doivent acquérir, ce en quoi il s’inscrit en rupture avec l’impératif de concurrence mis en avant dans le système scolaire, sans pour autant manquer à l’obligation de suivre les programmes d’enseignement du collège et du lycée ni à celle du perfectionnement physique et intellectuel de ses élèves. « La formation des jeunes dirigeants de demain s’impose dès aujourd’hui, car le pays aura besoin d’eux quand il se haussera au rang de grande puissance mondiale suite à la réunification », estime le Père Ben Torrey. « D’ores et déjà, il ne manque évidemment pas d’éléments brillants dans la jeunesse sud-coréenne. Toutefois,

cette dernière ne manifeste aucun intérêt pour celle de Corée du Nord, pas plus qu’elle ne la comprend », poursuit-il. « Quand la réunification aura eu lieu, elle continuera de poser certains problèmes, voire de présenter des risques, en raison des différences qui existent dans les valeurs et la vision du monde, ainsi qu’au niveau culturel et linguistique. Il convient donc de se préparer à cette échéance avec le plus grand sérieux, en tirant des enseignements de ce que les Allemands ont vécu après la chute du mur de Berlin. Ce travail doit commencer dès maintenant. C’est l’objectif auquel répond le projet de la Quatrième Rivière ».

L’héritage familial

Le Père Ben Torrey est issu d’une famille dont la présence en Corée remonte à quatre générations et à l’arrivée de son arrière-grand-père, le révérend Reuben Archer Torrey (18561928), alors missionnaire en Chine. Son fils, le révérend Reuben Archer Torrey Jr. (1887-1970), suivit sa voie dans ce pays, ainsi qu’en Corée, où il allait participer à la restauration d’églises à la fin de la Guerre de Corée. Enfin, le Père Reuben Archer Torrey III allait travailler à la reconstruction du Séminaire théologique Saint-Michel, qui deviendrait plus tard l’Université Sungkonghoe située dans le sud-ouest de Séoul, et faire édifier l’Abbaye de Jésus à six kilomètres de Taebaek pour y créer une communauté d’ascètes. Quant au Père Ben Torrey, s’il appartient à l’Église assyro-chaldéenne d’Amérique du Nord, son père fut membre de l'Église anglicane et ses arrière-grand-père et grand-père, respectivement pasteurs des Églises congrégationaliste et presbytérienne. Né dans l’État américain du Massachusetts en 1950, le Père Ben Torrey a vécu une première fois en Corée dès l’âge de sept ans et jusqu’à dix-neuf ans. En compagnie de dix jeunes Coréens, dormant sous une tente militaire, il allait aider son père à construire le premier bâtiment de l’Abbaye de Jésus en 1965 sur un terrain dont son père avait fait l’acquisition dans les environs de Taebaek grâce aux conseils de ses paroissiens de confession anglicane.

L’appel de la vocation Le Père Ben Torrey répond aussi au nom coréen de Dae Young-bok, qui lui a été donné en l’honneur de son père, le défunt Père Reuben Archer Torrey III, qui portait lui-même celui de Dae Chon-dok. Le père Torrey s’est établi en Corée en 2005 en compagnie de son épouse et se consacre aujourd’hui à la formation de futurs « agents de médiation en vue de la réconciliation et de la réunification » dans le cadre du projet de la « Quatrième Rivière » qu’il a mis sur pied.

En 1969, le Père Torrey repartait pour les États-Unis afin d’y effectuer ses études universitaires et, s’il revint en Corée en 1978 et 1979 pour se joindre à d’autres travaux de construction dans la région de Samsuryeong, il ne projetait nullement de s’y établir pour de bon. Après avoir poursuivi une carrière d’informaticien, il y mit un terme en 1994 pour se consacrer à la création d’une école de missionnaires dans le Connecticut, la King’s School, dont il allait assurer jusqu’en 2004 la

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 43


présidence, ainsi que celle de sa fondation. C’est en 2002, lors des obsèques de son père plus connu sous son nom coréen de Dae Chon-dok, qu’allait lui venir son idée de Quatrième Rivière en entendant un ami de longue date du regretté Père Torrey III affirmer que si Samsuryeong possédait trois rivières, il y en avait quatre au Jardin d’Éden. Cette remarque allait aussitôt lui évoquer le rêve qu’avait toujours nourri son père de construire un établissement destiné à former les jeunes à la future réunification coréenne. Par la suite, loin d’oublier son idée, il n’aura de cesse qu’elle soit réalisée. Dès l’année suivante, convaincu de la nécessité de préparer les jeunes générations à l’ouverture de la Corée du Nord, il annoncera aux religieux de l’Abbaye de Jésus son intention d’intégrer celle-ci à la communauté des abbayes. Aussitôt choisi pour prendre la tête de la Maison de la jeunesse dite « des Trois Mers », le Père Ben Torrey, en compagnie de son épouse, allait revenir à Gangwon en 2005, tandis que leurs deux fils et leur fille continuaient leurs études aux États-Unis.

à insuffler un esprit de coopération et à inciter à travailler ensemble plutôt qu’en concurrence, car cette approche constitue la clé du succès de la réunification ». Le travail occupe aussi une place importante dans le cursus de l’École, conformément aux enseignements de Saint-Benoît, qui exhortait à « prier et travailler » par les mots latins « ora et labora ». Quand vient le mercredi, nombre de tâches attendent chacun à l’Abbaye de Jésus, qui abrite, outre l’École et la résidence du Père Ben Torrey, les membres de la communauté interconfessionnelle d’ascètes, la Maison de la jeunesse et la Ferme des Trois Mers formant les agriculteurs coréens à l’élevage du bétail. Il s’agit de travaux de nettoyage, de jardinage, de désherbage et d’élagage des arbres, ainsi que d’ensemencement des pâturages et de lessive. D’une superficie de cinquante hectares, ces terres louées à l’Office coréen des forêts par le Père Reuben Archer Torrey III servent aussi aux classes de plein air, nature et labeur y coexistant donc en parfaite harmonie. Pour le Père Ben Torrey, c’est par le travail que s’apprend l’entraide et, dans

Cours et corvées

L’enseignement dispensé par l’École Rivière de Vie ajoute aux programmes du cycle secondaire des matières portant sur la Corée du Nord, dont l’étude comparative de la langue, de l’histoire et de la structure sociale des deux pays, la bibliothèque qui s’y trouve fournissant une abondante documentation dans ces divers domaines. De l’avis du Père Ben Torrey, l’enseignement actuel encourage par trop un esprit compétitif peu propice à l’écoute et à la compréhension de ce qui se passe en Corée du Nord. « À l’avenir, prévoit-il, seuls pourront prétendre à un rôle de dirigeant ceux qui savent se montrer sensibles aux difficultés de sa population et dialoguer avec elle malgré les écarts de développement. Nous nous employons donc

« Nous nous employons à insuffler un esprit de coopération et à inciter à travailler ensemble plutôt qu’en concurrence, car cette approche constitue la clé du succès de la réunification ». 44 KOREANA Hiver 2019

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1. Le Père Ben Torrey s’adressant à ses élèves dans la salle de classe aménagée dans la chapelle du Centre de Samsuryeong situé à Taebaek, cette ville de la province de Gangwon qui se consacra autrefois à l’extraction du charbon, mais connaît aujourd’hui un nouvel essor. 2. Le Père Ben Torrey présentant aux étudiants le fonctionnement du bassin versant de Samsuryeong, ce « passage des trois eaux » alimenté par des rivières coulant vers l’est, l’ouest et le sud. 3. Située à dix minutes de route du Centre de Samsuryeong, l’Abbaye de Jésus abrite la communauté chrétienne interconfessionnelle qu’a créée le Père Reuben Archer Torrey III en 1965, ainsi que la résidence du Père Ben Torrey.

son adolescence, il a aidé son père à bâtir l’Abbaye de Jésus quatre années durant en coupant du bois, ce qu’il fait aujourd’hui encore pour chauffer les locaux. L’été passé, il y a organisé une rencontre d’une semaine avec les jeunes d’autres établissements afin de les inciter à chercher à mieux comprendre leurs voisins de Corée du Nord et à se préparer à l’ouverture de ce pays. Il a demandé aux participants de s’abstenir de se servir de leur téléphone portable pendant tout leur stage. La construction d’un

nouveau local est en cours afin d’accueillir un effectif plus important d’élèves, qui y disposeront d’un dortoir. À la soixantaine de membres de la communauté de l’Abbaye de Jésus, s’ajoutent, le temps d’une visite, des personnes extérieures qui, moyennant réservation, peuvent y séjourner du lundi au mercredi afin de partager travaux et repas, ainsi que trois méditations quotidiennes et des prières pour le salut d’autrui, plutôt que d’eux-mêmes. Ces visiteurs sont également tenus de remettre leur téléphone portable à leur arrivée. Si l’hébergement leur est fourni à titre gracieux, puisque l’Abbaye bénéficie de dons, toute contribution de leur part est la bienvenue. Depuis le mois de mai dernier, désireux d’agrandir sa communauté de Samsuryeong, cette Quatrième Rivière, le Père Ben Torrey s’efforce à cet effet de recueillir des fonds, sans jamais douter que Dieu lui viendra en aide. Ses véritables sources de préoccupation portent sur les conflits et divisions qui affaiblissent l’Église comme la société sud-coréenne et face auxquels il affirme avec force : « Il faut absolument rétablir la cohésion nationale en vue de la réunification ».

ARTS ET CULTURE DE CORÉE 45


ESCAPADE

Miryang,

quintessence de la terre natale De par sa situation géographique qui en fait un carrefour d’influences et un point stratégique, la ville de Miryang occupe une place importante dans l’histoire de la Corée. Sur les berges du fleuve éponyme, elle conserve de nombreux vestiges du paléolithique et de l’âge du fer, ainsi que de la vie des lettrés confucianistes dans les derniers temps de la période de Joseon : autant de témoignages du passé qui donnent lieu à une importante fréquentation touristique. Lee Chang-guy Poète et critique littéraire Ahn Hong-beom Photographe

La création du lac artificiel de Wiyang, qui s’étend 63 000 m² au nord-ouest de Miryang, date du royaume de Silla et servit à approvisionner les paysans en eau. Dans les années 1940, il allait tomber dans l’oubli suite à l’aménagement, non loin de là, de celui de Gasan, mais il connaît aujourd’hui une nouvelle vie grâce au tourisme qu’attire le superbe paysage du pavillon de Wanjae édifié en 1900.

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ARTS ET CULTURE DE CORÉE 47


D

ans la première scène du film Secret Sunshine, qui est sorti sur les écrans en 2007, le personnage principal féminin entame la conversation suivante par ces mots : « Comment est-ce, Miryang ? » - Miryang ? Eh bien, que dire ? Sa situation économique n’est pas bonne… Elle vote pour le Grand parti national [conservateur] et… elle se situe près de Busan, alors on y parle vite, comme à Busan. Sa population est passée de 150 000 à 100 000 habitants… -Savez-vous ce que signifie « Miryang » ? -Non et cela n’intéresse personne. On peut très bien vivre sans le savoir ! -En caractères chinois, la première syllabe signifie « secret » et la deuxième, « ensoleillement ». C’est beau, non ? Ce dialogue se déroule entre une mère et un dépanneur,

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dans le véhicule qui tracte sa voiture à la sortie de Miryang, dont était originaire le défunt mari de cette femme. -Vous faites du tourisme ? -Non. Je vais habiter ici. Ce fils avec lequel elle vient d’arriver sera plus tard victime d’un enlèvement, puis d’un crime. C’est une ville où d’innombrables facteurs influencent la vie de la population, une ville qui suscite tantôt l’espoir, tantôt une souffrance indicible incitant à s’enfuir à la première occasion et où l’on se résigne le plus souvent à rester, faute d’avoir la force de s’en aller. Mais alors, au vu de ce qui précède, toutes les villes pourraient s’appeler Miryang, est-on tenté de se dire... Pour revenir au film de Lee Chang-dong en question, l’interprétation qu’y livre l’actrice Jeon Do-yeon de l’interlocutrice de ce dialogue lui a valu de se voir décerner le


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1. Perché sur une imposante falaise, le pavillon de Yeongnamnu, qui figure parmi les plus anciens édifices coréens traditionnels de ce type, domine le Miryang. Nombreux sont les illustres poètes, peintres et calligraphes du royaume de Joseon qui chantèrent les beautés de son cadre naturel, comme en attestent les plaques commémoratives situées dans le pavillon.

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prix du meilleur premier rôle féminin à la soixantième édition du Festival de Cannes et fait aujourd’hui encore l’objet d’articles élogieux pour la puissance émotionnelle qui s’en dégage.

La ville aux deux rivières

Située à environ cinquante kilomètres au nord-ouest de Busan, Miryang est baignée par la rivière du même nom qui décrit plusieurs courbes en direction de l’est, puis du sud, où elle se jette dans le Nakdong avant qu’il ne parvienne à son embouchure. Si le caractère chinois « yang » que comporte ce toponyme signifie « ensoleillement », il désigne la rive droite d’un cours d’eau lorsqu’il fait partie de son nom. De fait, le soleil brille abondamment sur cette ville de Miryang, ce qui n’a pas de quoi surprendre, sachant que montagnes et collines la bordent au nord et une rivière, au sud.

2. Non loin du pavillon de Yeongnamnu, s’élève celui de Chimnyugak, où logeaient jadis les invités et qu’un couloir en escalier reliait au premier..

La plus ancienne mention de son toponyme figure dans un traité d’histoire chinois du IIIe siècle intitulé Sanguozhi, c’est-à-dire « histoire des trois royaumes », lequel fait état d’une contrée du nom de Miri correspondant à l’ancienne transcription d’un mot d’ancien coréen, « mireu », qui signifiait « eau » ou « dragon » pour se référer au dieu de l’eau. Le sens d’ensoleillement secret que Lee Chang-dong donne au nom de Myriang dans son film relève donc d’une licence poétique que s’est accordée ce réalisateur en donnant libre cours à son imagination, comme il le reconnaît lui-même. Les berges du Myriang révèlent les traces d’une présence de l’homme remontant à plusieurs millénaires. En amont de la ville, la réalisation d’un barrage, dont le chantier allait s’achever en 2001, a permis de mettre au jour les vestiges d’un site paléolithique vieux de 27 000 ans qui atteste de l’existence d’une vie humaine très antérieure au

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IIIe siècle de notre ère. Les sites néolithiques et de l’âge du fer se disséminent dans les plaines alluviales qui s’étendent de part et d’autre du Miryang, notamment au village de Geumcheon, où était pratiquée l’agriculture. Des dizaines de milliers d’années s’étaient écoulées avant que les populations de ces lointaines montagnes ne se hasardent à « sortir de leur trou » pour s’établir dans les vallées fertiles. Elles y construisaient leurs habitations sur des digues naturelles, labouraient leurs champs sur les versants et cultivaient leur riz en contrebas. Quand venait le printemps, ces hommes de l’âge du fer creusaient la terre à l’aide de leurs outils pour y planter millet ou sorgho. Si leur manière de vivre et de penser n’est plus, le soleil brille toujours aussi « secrètement » sur les traces de leur passage en ces lieux où ils connurent eux aussi joies et peines.

Les témoins de la civilisation du fer

Une épave retrouvée dans le lit du Miryang donne à l’observateur une idée de la vie des hommes qui s’adonnaient à

Au pied du mont Cheontae, se dresse le temple de Bueun, c’està-dire « de la grâce du père », qui aurait été construit environ en l’an 200 à la mémoire du roi Suro, fondateur du royaume de Geumgwan Gaya et père du roi Geodeung. Du haut de cet édifice, on découvre en contrebas les ponts de Nakdong et de Samnangjin qui enjambent le cours sinueux du Miryang.

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la pêche, tant en amont qu’en aval, sur des bateaux à voile qu’ils construisaient à l’aide d’outils très divers témoignant du haut degré d’évolution technique de leur civilisation. À bord de ses embarcations, ce peuple au caractère aussi ouvert qu’audacieux s’aventurait parfois jusqu’au Nakdong et il en vint à conclure une alliance avec l’État de Garak, aussi connu sous le nom de Geumgwan Gaya, c’est-à-dire de la « couronne d’or », qui s’était établi en aval du Nakdong, non loin de l’actuelle Gimhae. Durant un demi-siècle, les artisans de Miryang s’adonnèrent à la métallurgie du fer avec un savoir-faire qui plaça la Confédération de Gaya au premier rang de cette industrie sur la péninsule coréenne. Deux villages situés sur le cours du Miryang présentent des traces attestant de cette activité, tout comme le nom de Geumgok qu’ils partagent et qui signifie « vallée du fer ». Dans l’un d’eux, furent découvertes des scories, produites par la fusion du métal, qui formaient une véritable montagne, tandis que dans l’autre, tout un ensemble d’installations destinées à cette production, du four à la décharge, témoignaient de l’étendue des gisements de sable siliceux qui s’étaient constitués au fil du temps, par altération et par érosion, sur les rives du Miryang. Ces découvertes archéologiques laissent supposer que Miryang se livrait à l’exportation du fer vers des États voisins tels que le Japon ou la Chine, ce qui permet d’en conclure que cette ville se montra particulièrement dynamique au sein de la confédération tribale des douze États de Byeonhan qui se développa jusqu’au IVe siècle en aval


du Nakdong. Sa production comportait de petites pièces de métal que les gens fixaient sur des cordelettes pour les transporter et s’en servir comme monnaie. Par la suite, cette confédération de Byeonhan allait céder la place à celle de Gaya également connue sous le nom de « royaume du fer ». Après son annexion par l’État naissant de Silla, Gaya allait transmettre à celui-ci l’ensemble des ressources et techniques nécessaires à cette métallurgie du fer qui allait participer de sa puissance dans l’Antiquité.

L’héritage bouddhiste

Comme partout ailleurs sur la péninsule, les temples bouddhistes de Miryang s’accrochent au flanc de magnifiques montagnes, à l’instar des sanctuaires de Bueun et Maneo que les gens de la région apprécient tout particulièrement. Au crépuscule, le premier dessine sur le ciel sa silhouette qui domine les eaux du Miryang, tandis que le second offre à la vue le spectacle, tout aussi pittoresque, de la vallée bordée de rochers noirs qui s’étend en contrebas. Ces deux temples sont considérés par la population comme d’importants lieux sacrés du bouddhisme datant de la période de Gaya. Dans les ouvrages historiques, il est indiqué que ce royaume en fit la religion d’État au Ve siècle environ, c’est-àdire avant l’avènement de celui de Silla. C’est à cette époque que fut édifié le temple de Wanghu, dans l’espoir qu’il soit propice à la destinée de la reine Heo Hwang-ok, aussi appelée Heo Wanghu, ce qui signifie « l’impératrice Heo », celle-ci étant l’épouse du roi Suro, fondateur du royaume de Geumgwan Gaya (43-532). En revanche, les récits historiques transmis par la tradition orale situent l’adoption du bouddhisme à une époque antérieure à la fondation de Gaya. Ils rapportent notamment le fait suivant : « Lorsque le roi Suro fit élever le temple de Maneo, les moines qui participèrent à la cérémonie marquant la fin de sa construction passèrent la nuit au temple de Bueun », ce qui peut corroborer l’hypothèse selon laquelle le royaume de Gaya se rallia à la pratique du bouddhisme au Ier siècle, marqué par l’arrivée de la reine Heo en provenance de l’Inde. À n’en pas douter, la pratique du bouddhisme au royaume de Gaya exerça une influence considérable sur celui de Silla, qui lui succéda et mit en œuvre d’importantes évolutions par le vecteur de cette religion. Dans le but de témoigner leur reconnaissance à leur prédécesseur, le royaume de Silla, puis celui de Joseon, décidèrent de rappeler l’apport original et important de sa civilisation par des cérémonies solennelles qui se perpétuent aujourd’hui encore. Une légende veut que la princesse indienne qui allait

devenir la reine Heo en épousant le roi Suro, lorsqu’elle se rendit dans ce but à Gaya, apporta de son pays les pierres qui auraient servi à construire la pagode de pierre dite « de Pasa ». L’ouvrage Samguk yusa évoqué plus haut affirme à ce propos : « Ce sont des pierres que l’on ne trouve pas ici ». En octobre dernier, le transport de ces mêmes pierres de Pasa sur la tombe de la reine Heo située à Séoul, dans la perspective de l’exposition temporaire L’esprit de Gaya : le fer et la corde qui se déroulera au Musée national de Corée jusqu’au 1er mars 2020, s’est accompagné d’une cérémonie destinée à annoncer ce transfert. La présence des nombreux politiciens et autres personnalités locales qui y assistaient prouve à elle seule que l’épisode relatif à cette grande figure ne se résume pas à une légende, mais a bel et bien sa place dans l’histoire, comme en attestent aussi les nombreuses enseignes sur lesqelles figure le nom « Gaya » à Miryang.

Une importante artère routière

La Yeongnam Daero, cette grand-route de Yeongnam, s’étendait entre la capitale du royaume de Joseon et celle de Dongnae située à l'extrémité sud-est de la péninsule. Dans l’intérieur du pays, elle constituait la principale voie de transport terrestre pouvant se substituer à celle, maritime, qui avait prédominé pendant plus d’un millénaire et sur le parcours de laquelle se trouvait la ville de Miryang. Au fur et à mesure que les gouvernements successifs réalisaient l’unité nationale, apparut un réseau routier qui reliait entre eux villes et cantons, puis s’étendit jusqu’à la Chine. La création de cette infrastructure répondait aussi à des préoccupations extérieures, du fait de la montée en puissance du Japon qu’autorisa le déclin de la dynastie des Yuan. Les pirates de ce pays, qui sévissaient le long des côtes coréennes, entravaient considérablement les échanges maritimes prospères du royaume de Joseon et ce fut donc par nécessité que celui-ci entreprit la construction d’un réseau routier digne de ce nom. Lors des invasions de la fin du XVI e siècle, le Japon allait malheureusement tirer parti de ces voies de transport pour mener des incursions terrestres. C’est ainsi qu’après avoir accosté au port de Busan, puis s’être emparées de la forteresse de Dongnae, ses troupes furent en mesure de s’avancer vers le nord du pays et, ce faisant, elles traversèrent Yangsan et Miryang, non sans y avoir affronté l’armée de Joseon à Jagwongwan. Cet ouvrage défensif, dont subsistent à ce jour les vestiges dans la ville de Samnangjin, constituait un important poste fortifié, ainsi qu’un nœud de transport entre Dongnae et Hanyang. Forte de dix mille hommes, l’armée japonaise eut raison des trois cents soldats

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de Joseon et poursuivit sa progression sur cette route qui lui permit de gagner la capitale en à peine dix-huit jours. Seuls les hauts faits d’un natif de Miryang, le moine Samyeongdang (1544-1610), apportèrent quelque réconfort aux vaincus. Prenant la tête de quelque deux mille moines-soldats, il se lança à l’assaut de la forteresse de Pyongyang et parvint à la reprendre. Quand prirent fin les combats, il fut nommé envoyé extraordinaire du royaume par le roi Seonjo et se rendit à Edo, l’actuelle Tokyo, où il signa un accord de paix avec le fondateur du shogunat qui gouverna le Japon de 1603 à 1867, Tokugawa Ieyasu, après quoi il rentra au pays en ramenant trois mille de ses prisonniers de guerre. Une statue à l’effigie de cet illustre personnage, également connu sous le nom de Grand Maître Seosan, s’élève au bord du chemin menant à la forteresse de Miryang qui domine le fleuve. Enfin, il faut aussi savoir qu’un siècle après la construction de la grand-route de Yeongnam sur l’itinéraire de laquelle se situait Miryang, cette ville, riche d’une civilisation tout aussi évoluée par sa maîtrise technique que par son brassage culturel et son ouverture aux échanges maritimes, allait attirer nombre de lettrés confucianistes pendant la période de Joseon. Ces derniers composèrent l’un des principaux groupes d’intellectuels de province, les sarim, qui occupèrent une place importante dans un pays où le confucianisme était religion d’État. L’un de ceux de Miryang, nommé Kim Jong-jik (1431-1492), exerça

Lieux à visiter à Miryang Lac artificiel 1 de Wiyang

1

2 Mont Jaeyak

3 Temple de Pyochung

Miryang Pavillon de Yeongnam 2

3

Barrage de Miryang 4 Pagode en pierre du temple de Maneo

Temple de Bueun 4

5

Séoul 350km Miryang

5 Pont de Samnangjin

Nakdong

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Situé en aval de Miryang sur le fleuve du même nom, le port d’Oujin constitua un important nœud de transport fluvial pour les besoins du paiement du tribut au royaume de Joseon et il se dota à cet effet d’un silo servant à entreposer les céréales. Au tournant du siècle dernier, suite à la construction d’une ligne de chemin de fer, il allait aussi accueillir une liaison par ferry-boat.

la commune de Samnang-ri, grouillait d’activité dans ses bureaux du gouvernement, entrepôts, tavernes, auberges et magasins jusqu’en 1905, où l’ouverture de la ligne de chemin de fer Séoul-Busan le long de la grand-route de Yeongnam allait mettre un terme à cette prospérité. Elle perdit peu à peu ses commerces, qui s’installèrent à proximité de cette liaison, et redevint le petit port de pêche qu’elle était naguère. Dans le premier roman coréen moderne, qui s’intitule Mujeong, c’est-à-dire « sans cœur », et fut publié en 1917, Yi Kwangsu (1892-1950) évoque l’arrivée de ces établissements dont fut témoin la gare de Samnangjin. Pour cet auteur, le train prend une dimension littéraire emblématique de la maîtrise de son destin par l’individu moderne.

Un motif littéraire

dans la fonction publique au cours de la seconde moitié du XVe siècle et, aux côtés de ses adeptes, en vint à représenter une force de poids sur le plan politique. Prônant la fidélité à l’État et le respect des bonnes pratiques, il ne s’abstint pas pour autant de dénoncer la corruption des fonctionnaires, voire certains agissements du roi. Au village de Bukbu-myeon, dans la maison natale de Kim Jong-jik et près de sa sépulture, l’académie confucianiste Yerim Seowon rend hommage à la mémoire de cet érudit en perpétuant son enseignement.

Le transport fluvial et ferroviaire

À la fin du XVIIIe siècle, le village de Samnang-ri se dota d’un grand silo destiné à entreposer le grain en vue de son acheminement par voie fluviale au titre de l’impôt, ce moyen de transport ayant été rétabli à cet effet à la faveur de la stabilisation des échanges internationaux et de la plus grande sécurité assurée dans le transport des céréales du tribut. Située à la croisée des voies de transport fluvial, par son cours d’eau, et routier, par sa grand-route de Yeongnam,

Due à Kim Jeong-han (1908-1996), la nouvelle L’embarcadère de Dwitgimi fait des lieux une description aux accents tantôt idylliques : « L’embarcadère de Dwitgimi se trouve en amont de Samnangjin, au point de confluence du Nakdong et du Miryang qui s’unit à ce cours d’eau. Beaucoup plus limpide qu’ailleurs, l’eau y attire vols d’oies et de canards dès le début de l’automne », tantôt tragiques : « Ces braves gens, ainsi que leurs fils et filles, ont été emmenés et réduits en esclavage, les femmes servant plus exactement au repos du guerrier pour les Japonais ». En outre, Miryang a vu naître le poète Oh Kyu-won (1941-2007), pour qui cette ville avait aussi deux visages, le premier étant celui de sa m ère, disparue alors qu’il n’avait que treize ans, et le second, paternel. À ces traits maternels « toujours paisibles et propices au repos », s’ajoute le ventre invitant « à s’endormir et à rêver », tandis que le visage du père fut pour lui « source de malheur et de pauvreté ». Incapable d’affronter plus longtemps ce conflit psychologique, Oh Kyu-won quitta Miryang, alors qu’il était au collège, pour ne jamais y revenir. Il écrivit que la ville de ses origines lui rappelait ce « corps maternel et son ventre, cet espace temporel incarnant à la fois le langage intérieur de la nature et celui, extérieur, de la réalité », affirmant qu’il se tenait lui-même « à la frontière entre les deux », alors peut-être Miryang représente-t-elle la quintessence de la terre natale.

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UN JOUR COMME LES AUTRES

Si un palais nous était conté par son guide De même que chacun se fait un plaisir de renseigner les touristes qui demandent leur chemin dans la rue, Chang Su-young éprouve toujours ce sentiment en faisant visiter les palais de Séoul. Kim Heung-sook Poète Heo Dong-wuk Photographe

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«

uand j’étais étudiante, j’ai vu pour la première fois le mont Jiri et je l’ai trouvé tellement beau que j’y suis souvent retournée par la suite. Je pars souvent deux jours, mais parfois aussi toute une semaine pour randonner d’un bout à l’autre de la chaîne. Quand j’atteins le sommet de son point culminant et que je vois une mer de nuages s’étendre à mes pieds, je me rends compte que mes soucis quotidiens n’ont pas grande importance et ne valent pas la peine d’y penser. Ce lieu exerce un effet apaisant sur l’esprit et c’est pourquoi j’éprouve encore le besoin d’y retourner régulièrement ». La guide Chang Su-young, bien que native du port de Busan, préfère aujourd’hui la montagne à la mer, si présente autour d’elle qu’elle ne la regardait plus, et cette nouvelle passion l’a entraînée sur les plus hauts sommets que compte le pays, dont ceux de la chaîne du mont Jiri, qui culmine à 1 915 mètres d’altitude et se classe au deuxième rang du pays, après le mont Halla situé sur l’île de Jeju. Pour autant, la jeune femme était loin d’imaginer à quel point ces montagnes allaient changer le cours de sa carrière professionnelle. « Quand je marche sur un sentier de montagne, je sens en moi une incroyable vitalité et je pense à ceux qui l’ont parcouru avant moi », confie Chang Su-young. « Pour les Coréens, le mont Jiri fait penser à une « Mère montagne », par ses reliefs tout en douceur, mais aussi aux patriotes qui s’y sont cachés pendant la Guerre de Corée. Encore aujourd’hui, ceux qui sont découragés ou que leur existence a durement éprouvés s’y retirent au soir de leur vie, alors

Chang Su-young se tient devant le Junghwajeon, cette « salle de l’harmonie centrale », aujourd’hui classée Trésor n°819, qui était celle du trône au palais de Deoksu. Si elle n’y exerce la profession de guide que depuis deux ans, avec le temps, elle se sent toujours plus investie d’une mission.

je me suis également intéressée à eux, comme à tout ce qui a trait à ces montagnes que j’aime tant. J’ai aussi eu le désir de partager ce que j’avais appris en partant sur les traces de nos ancêtres aux quatre coins du pays ». À l’issue d’études de langue et littérature anglaises qu’elle a poursuivies à l’Université Silla de Busan, Chang Su-young a enseigné pendant une dizaine d’années dans des écoles et instituts privés. Toutefois, ses excursions toujours plus nombreuses en montagne l’ont amenée à s’intéresser davantage à l’histoire et à la culture coréennes. À partir de juin 2017, après avoir beaucoup appris dans ces domaines, elle allait occuper le poste de guide officielle du palais de Deoksu, l’un de ceux qui se dressent en plein coeur de Séoul.

Les particularités du métier

Au palais de Deoksu, dont le nom signifie « palais de la vertu et de la longévité » et qui fut l’un des cinq où résidèrent les souverains du royaume de Joseon (1392-1910), les huit guides officiels se doivent de parler couramment au moins une langue étrangère, celle-ci étant, pour quatre d’entre eux, l’anglais, pour deux autres, le japonais et, dans le cas des deux derniers, le chinois. Ils fournissent leurs prestations dans le cadre de deux ou trois visites quotidiennes d’une durée d’environ cinquante minutes chacune. « De taille plus modeste que la plupart des autres palais de Séoul, celui de Deoksu accueille évidemment un nombre moindre de visiteurs, mais il s’avère être plus riche d’un point de vue historique, ce qui exige de posséder une connaissance d’ensemble de l’histoire coréenne afin de replacer dans son contexte ce lieu témoin de nombreux événements concernant plus particulièrement le Japon. De ce fait, l’exercice du métier de guide requiert ici des compétences spécifiques en ce qui concerne l’histoire des relations entre ces deux pays, et ce, afin d’être à même d’informer convenablement le public. Les questions épineuses ne manquant pas dans ce domaine, le guide se doit de peser chaque mot pour ne pas provoquer de malentendus », explique Chang Su-young. Le palais de Deoksu fut aménagé dans l’ancienne demeure du prince Wolsan, le frère aîné du roi Seongjong (r. 1469–1494), car c’était le seul édifice qu’avaient épargné les vagues d’invasions japonaises qui s’étaient succédé dans les années 1590, ravageant palais et autres constructions dans toute la capitale. Il ne servit jamais de résidence principale aux souverains du royaume, mais le roi Seonjo (1567-1608) y séjourna un temps à son retour dans la capitale, lorsque prirent fin les conflits. Quand lui succéda son fils Gwanghae (1608-1623), il se donna pour résidence le palais de Changdeok et le palais provisoire fut alors rebaptisé Gyeongun.

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« Aujourd’hui, le public s’intéresse toujours plus à l’ensemble de l’histoire et de la culture coréennes, où certains possédaient d’ores et déjà beaucoup de connaissances. »

Le roi Gojong s’y établit en 1896 pour échapper aux pressions constantes des puissances étrangères, après avoir trouvé refuge à la légation russe, et l’année suivante, en ces mêmes lieux, il proclama l’avènement d’un nouvel État qui prit le nom d’Empire de Corée. Le souverain reçut alors le titre d’empereur, qu’il ne conserva que jusqu’en 1907, année où, sous la pression du Japon, il fut contraint d’abdiquer en faveur de son fils Sunjong. Tandis que ce dernier se choisissait pour résidence le palais de Changdeok, le vieux Gojong demeura à Gyeongun, qui avait pris entre-temps le nom de Deoksu et où il assista, impuissant, à la chute de l’Empire coréen et à l’invasion japonaise qui allait faire du pays une colonie en 1910.

Un apprentissage sans fin

La guide qu’est Chang Su-young a pu constater par elle-même que l’intérêt des visiteurs ne se

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limitait plus au seul palais : « Aujourd’hui, le public s’intéresse toujours plus à l’ensemble de l’histoire et de la culture coréennes, où certains possédaient d’ores et déjà beaucoup de connaissances. » Cela résulte peut-être de l’apparition de nouvelles formes de culture comme la K-pop, le cinéma ou les séries télévisées, qui remportent un réel succès à l’étranger. Il arrive même que des visiteurs posent des questions aussi précises que « Pourquoi Gojong s’est-il fait couronner empereur, alors qu’il détenait déjà le pouvoir suprême ? ». J’ai expliqué, en l’occurrence, qu’il entendait affirmer l’indépendance de la nation afin de préserver sa souveraineté face à des puissances étrangères telles que le Japon », se souvient Chang Su-young. En outre, elle souligne certaines différences de comportement d’une nationalité à une autre. « Les Allemands m’impressionnent beaucoup. Ils veulent énormément d’informations, comme s’ils faisaient des recherches, et boivent mes paroles. Ce sont eux qui posent le plus de questions et il y en a même qui ont les larmes aux yeux en écoutant le récit des évènements qu’a connus le palais ». L’histoire du palais étant étroitement liée à celle des relations coréano-japonaises, les visiteurs s’interrogent aussi sur l’état actuel de celles-ci. « En pareil cas, je réponds qu’en dépit des tensions qui se manifestent dans les relations d’État à État, les échanges entre leurs populations respectives restent nombreux. Les guides qui travaillent exclusivement pour les touristes japonais s’entendent poser beaucoup plus de questions à ce sujet et doivent être en mesure d’apporter les explications nécessaires ».

Un impératif d’endurance

Pour Chang Su-young, le travail de guide s’avère toujours gratifiant par l’occasion qu’il offre de mieux faire connaître aux visiteurs étrangers le riche héritage historique qui est celui du palais de Deoksu. Dès 7h50, elle emprunte la ligne de métro circulaire n° 2 pour se rendre au palais de Deoksu, où elle arrive à 8 heures 30 et travaille de 9 heures à 18 heures. Dans l’exercice de ses activités, elle porte le costume traditionnel, dit hanbok, car, à ses yeux, celui-ci participe d’une atmosphère propice à la découverte de la culture coréenne. Au printemps et en automne, cette tenue se compose d’une veste blanche et d’une longue jupe bleu marine, la première étant beige ou bleu ciel et la seconde, bleu marine ou violette, quand vient l’été, et un long manteau surmontant l’ensemble à la saison froide. Dans certaines circonstances, elle peut bien évidemment déroger à la règle, notamment lors des canicules, où elle arbore blouse à manches courtes et pantalon léger, de même que pendant les grands froids, qui imposent de revêtir un


Vêtue d’un chemisier blanc, d’une jupe bleu marine et d’un manteau de la même couleur, Chang Su-young présente l’histoire et l’architecture des salles du palais à un groupe de touristes. Pour les guides qui exercent en ces lieux, le port du hanbok est de rigueur tout au long de l’année, hormis en période de canicule.

long manteau matelassé. Le palais de Deoksu étant fermé au public le lundi, celui-ci est aussi jour de repos pour Chang Su-young. À sa sortie du travail, trois soirs par semaine, elle se rend dans une salle de sport pour y pratiquer le yoga et le Pilates, tandis qu’elle prend des leçons de piano dans la soirée du mercredi. « Je rêvais de vivre près du mont Jiri avant d’être guide, mais, aujourd’hui, j’ai beaucoup à faire au palais. J’aspire à me perfectionner dans le métier, ce qui demandera beaucoup d’efforts. La première condition à remplir est d’éprou-

ver l’amour de son pays et de s’intéresser à sa culture. Il convient aussi de maîtriser une langue étrangère. De plus, il faut posséder une excellente condition physique pour assurer les visites par tous les temps, qu’il pleuve ou qu’il neige. C’est la raison pour laquelle je consacre une partie de mon temps libre au sport. Cependant, d’après moi, l’ouverture d’esprit est encore plus importante. Ces temps-ci, je lis donc tous les livres d’histoire de Corée actuellement disponibles en langue anglaise. Ma journée de travail ne pourrait mieux se terminer si les visiteurs estiment avoir beaucoup appris et affirment que ces informations leur donnent envie de revenir en Corée, y compris dans ce palais ». Chang Su-young se souvient encore de sa première visite guidée. « J’accompagnais une personne seule. C’était une étudiante chilienne très sympathique. D’emblée, je lui ai annoncé : « Vous êtes la première personne que je vais avoir l’honneur de guider dans ce palais », ce à quoi elle a répondu qu’elle en était tout aussi honorée. À ma demande, elle m’a aussi indiqué les principaux lieux touristiques de son pays en prenant la peine d’en citer de nombreux. Un jour, peut-être, cette jeune fille dont Chang Su-young n’a jamais su le nom reviendra visiter le palais de Deoksu, ce qu’elle espère vivement pour le lui faire découvrir mieux encore.

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LIVRES ET CD Charles La Shure

Professeur au Département de langue et littérature coréennes de l’Université nationale de Séoul

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Une émouvante anthologie Mixed Korean: Our Stories

Cerissa Kim, Sora Kim-Russell et al., 2018, livre électronique, Trupeny, Indiana, 299 pages, 9,99 $

Comme l’indique son titre, Mixed Korean: Our Stories rassemble des œuvres non romanesques dues à différents auteurs qui ont pour dénominateur commun leurs origines en partie coréennes. Souvent, ces enfants de couples mixtes sont issus de la rencontre d’une femme coréenne avec un soldat américain pendant ou après cette « guerre oubliée » que fut la Guerre de Corée pour les États-Unis. Nés d’un conflit passé aux oubliettes de l’histoire, voire sous silence, ils furent souvent ballottés entre le pays de leur mère, qui les considérait comme le fruit d’unions honteuses ne méritant pas même le qualificatif d’humain, et celui de leur père, où ils subissaient l’exclusion. S’il est vrai que les auteurs présentés ici n’ont pas toujours connu ce destin, ils ont tous fait, à des degrés divers, l’expérience des difficultés d’intégration, du sentiment d’exclusion et de l’impression de ne pas être à la hauteur, cette particularité ayant motivé le choix original de les réunir au sein d’une anthologie. Tout un chacun a, certes, tendance à vouloir juger et cataloguer autrui de manière définitive, et ce, d’autant que la complexité du monde actuel incite à schématiser, mais, sur le plan ethnique, par exemple, qu’en est-il des individus qui n’appartiennent ni à un groupe ni à un autre, qui ne sont ni tout à fait blancs, ni tout à fait noirs ou asiatiques ? Au mieux, on leur attribuera un caractère exotique, mais, en fin de compte, ils ne seront pas traités sur un pied d’égalité. Quoique le vécu des auteurs réunis par cette anthologie puisse varier considérablement par ailleurs, tous savent ce qu’il en coûte de ne pas faire partie intégrante d’un groupe social bien défini. Entre rires et larmes, mais le plus souvent dans le second cas, leurs récits sont empreints d’une bienveillance qui ravit le lecteur, tout en témoignant d’un évident mal de vivre engendré par des blessures qui ne semblent guère près de guérir. En réalité, l’être humain ne se prête pas au rangement dans des catégories préétablies, car il se caractérise au contraire par une grande diversité, et on ne saurait donc chercher à comprendre qui que ce soit en rattachant cette personne à une origine donnée. Cette propension à nous classer les uns les autres s’avère néfaste dans la mesure où elle met davantage l’accent sur ce qui divise que sur ce qui rapproche et conduit donc rapidement à ne voir en autrui que sa différence. Ainsi sont nés ces « -ismes » du nationalisme et du racisme, entre autres, qui fédèrent contre l’« Autre » en le cantonnant dans une catégorie inférieure. Les auteurs de la présente anthologie, écorchés vifs par leurs épreuves de marginaux, mais aussi forts de leurs souffrances et de l’amour des leurs, nous ouvrent leur cœur palpitant de vie. Ce texte ne pourra que toucher le lecteur par son ton direct et la sincérité de son propos, qu’il soit lui-même concerné au premier chef du fait de ses origines ou qu’il souhaite dépasser les clivages pour rechercher l’authenticité. À l’heure où les dirigeants de ce monde semblent vouloir dresser toujours plus de barrières, les textes de cet ouvrage encouragent au contraire à plus de proximité.


Un conte populaire revisité The Rabbit’s Tale 2020

Park Duk Kyu, traduit par Frère Anthony et Ga Baek-lim, 2019, Homa & Sekey, New Jersey, 185 pages, 16,95 $

Dans cette nouvelle lecture d’un conte traditionnel coréen, une tortue d’eau douce attire un lapin jusqu’à un palais sous-marin dont les occupants veulent lui ouvrir le ventre et en extraire le foie destiné à guérir le roi dragon malade. Ce conte fantastique qui, par sa forme, emprunte à la littérature classique en faisant parler les animaux et en plantant le décor d’un royaume immergé, s’inscrit aussi résolument dans son époque par la métaphore sociopolitique qu’il livre de la société féodale et de ses injustices. Si l’on situe l’origine de ce récit au XIIe siècle, voire antérieurement, les Coréens le connaissent le plus souvent par un opéra lyrique du genre traditionnel dit pansori. La version actuelle qu’en propose l’ouvrage en question apporte à l’oeuvre un nouvel encadrement qui mêle récits

oniriques de révélations divines et vieux grimoires créant une atmosphère particulière, comme entrée en matière à l’action. Tout en lui conservant ainsi son caractère médiéval, elle offre une nouvelle interprétation de son intrigue et de ses personnages, en particulier par la profondeur et la complexité plus grandes de ces derniers. Quant à sa représentation métaphorique de la société et des pratiques politiques de jadis, elle semble plus que jamais d’une grande perspicacité. Nul doute que l’auteur de ce livre était conscient des traductions et adaptations auxquelles celui-ci donnerait lieu, mais la beauté qui a conféré à l’œuvre originelle sa dimension de classique demeure intacte, alors la découverte de notre lapin et de ses aventures dans un palais plongé sous la mer ne pourra qu’enchanter le lecteur.

Le rendez-vous obligé des fans de culture pop coréenne Soompi

soompi.com, Viki Inc.

Premier site en langue anglaise consacré à la pop culture coréenne par son ancienneté, puisqu’il est apparu voilà plus de vingt ans, Soompi, qui se double maintenant d’une version espagnole, a été créé en 1998 par un fan du groupe H.O.T., l’un des pionniers de la désormais célèbre K-pop. Cet admirateur enthousiaste, qui se faisait appeler Soompi, entendait mettre à la disposition de tous les fans de cette musique un espace où ils puissent se retrouver et échanger. Celui-ci fournit aujourd’hui une mine d’informations dans ce domaine, ainsi que sur les autres formes d’expression de la culture pop coréenne que sont le cinéma ou la télévision et sur leurs artistes les plus célèbres. Hébergé conjointement à San Fran-

cisco et à Séoul, il accueille les visites et contributions d’internautes du monde entier. À sa rubrique principale, figurent les dernières actualités ayant trait aux vedettes de la K-pop et des clips vidéo de leurs morceaux, mais aussi des jeux consistant notamment à deviner dans quelle série se trouve tel ou tel personnage ou de quel groupe font partie des chanteurs et musiciens. Une rubrique intitulée « Communauté » permet aussi aux internautes d’afficher des informations de leur choix, tandis que celle du « Forum » est consacrée à de nombreux débats, l’ensemble de ces fonctions composant le cadre de rencontres fructueuses entre amoureux du hallyu. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 59


DIVERTISSEMENT

Fiction et vérité du film historique Nombre de films ou feuilletons ayant trait à l’histoire coréenne comportent une part d’invention par l’ajout de nouveaux éléments aux récits portant sur de grands personnages ou événements historiques, le succès n’étant pas toujours au rendez-vous quand la fiction prend trop de libertés avec la réalité historique. Lee Hyo-won Écrivain indépendant

A

u mois de juillet dernier, le film The King’s Letters, qui retrace la création de l’alphabet coréen, dit hangeul, s’est classé en deuxième place au box-office coréen, ce qui constitue rien moins qu’une prouesse face à des superproductions hollywoodiennes comme Le roi lion, Aladdin ou Spider-Man: far from home, mais il allait se voir reléguer en huitième position dès la semaine suivante, avant de disparaître une fois pour toutes du palmarès des meilleures œuvres. S’il n’a pas continué de gravir l’échelle du succès, c’est en raison de la vive polémique à laquelle a donné lieu la manière dont il présentait cette invention capitale pour la Corée que représente le hangeul.

À l’épreuve des faits

Au cinéma comme au petit écran coréens, les films en costume d’époque font florès, à l’instar de The Admiral: Roaring Currents (2014), qui reste à ce jour la plus rentable de toutes les productions, ou de la série télévisée Les

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1 © CJ EN M

joyaux du palais (2003), intitulée en coréen Dae Jang Geum, qui figure toujours parmi les plus fidèles à la culture du pays tout en s’exportant mieux qu’aucune autre. Dans le public, l’accueil fait à ces productions n’est pas exempt de critiques du fait d’altérations d’événements réels enseignés à l’école et donc bien connus de la population. Au nombre de ces œuvres, les spectateurs ont reproché au film The Last Princess (2016) des exagérations et ajouts au sujet du personnage nommé Deokhye, qui vécut sous le royaume de Joseon. En dépit de son grand succès au petit écran, la série Mr. Sunshine (2018), qui situe son action à cette même époque (1392– 1910), n’a pas davantage été épargné par les accusations de déformation des faits historiques. Dernièrement, le film The King’s Letters allait à son tour faire les frais de la clairvoyance dont fait montre le public coréen. Alors qu’il semblait réunir tous les ingrédients susceptibles de lui valoir un succès commercial,

notamment par son principal interprète, Song Kang-ho, qui y incarne Sejong, cet illustre souverain à l’origine de l’invention du hangeul à l’aube du XVe siècle. Particulièrement apprécié par le public coréen, il a été l’un des premiers acteurs du pays à faire son entrée à l’Académie des arts et sciences du cinéma (AMPAS). Cette année aura marqué sa consécration, avec sa participation au film Parasite, lauréat de la Palme d’Or au dernier Festival de Cannes, puis au film historique The Throne qu’avait déjà ovationné la critique en 2014 et où il joue le rôle d’un autre monarque de la période de Joseon. L’un des scénaristes de ce dernier film, Cho Chul-hyun, allait d’ailleurs assurer la réalisation de The King’s Letters avec le concours de Song Kang-ho.

Une image dévalorisée

L’interprétation qu’allait livrer cet acteur du personnage du roi Sejong suscitait d’emblée un intérêt particulier après les innombrables portraits déjà réalisés de ce sage monarque qui


© Megabox Plus M

3

1, 4. Dès sa sortie dans les salles obscures, en 2012, le film Masquerade a remporté un grand succès commercial dû au personnage plein d’inventivité du bouffon qui se substitue au roi et s’avère être un souverain bienveillant. 4 © CJ ENM

2, 3. Lors de sa distribution, pourtant très attendue, The King’s Letters a fait l’objet, l’été dernier, de vives critiques mettant en avant ses graves inexactitudes historiques.

2 sM © Megabox Plu

mit au point un nouvel alphabet pour le bien de ses sujets, désireux de les faire bénéficier de ses connaissances. L’apparition d’un système d’écriture plus démocratique et accessible autorisa une évolution considérable en venant substituer ses caractères plus simples aux idéogrammes chinois très complexes jusqu’alors en usage, lesquels étaient peu maîtrisés par les gens du commun et restèrent donc longtemps réservés à l’élite d’un pays aux clivages sociaux extrêmement marqués. Nonobstant ce qui précède, le film The King’s Letters allait se faire l’écho d’une rumeur largement répandue, quoique non étayée, selon laquelle un certain moine bouddhiste dénommé Sinmi aurait pris part à la conception du nouvel alphabet de manière déterminante. Quant au roi Sejong, il y fait plutôt figure d’un passionné de l’écriture qui supervise certes cette création à chacune de ses étapes avec la plus grande vigilance, mais n’y intervient finalement pas au premier chef. Il en ressort l’impression que Sinmi fut le

véritable inventeur de la transcription unique en son genre des voyelles et consonnes par des points et lignes. Il est présenté non seulement comme un éminent linguiste, mais aussi comme le tenant d’un point de vue moral et d’un esprit critique qui se manifestent parfois à l’encontre du grand roi Sejong lui-même. L’incarnation de ce personnage qui osa ainsi tenir tête au monarque a été confiée à Park Haeil, d’ores et déjà couronné pour son interprétation dans des films à succès comme The Last Princess, ce choix témoignant d’une volonté de faire s’affronter deux brillants acteurs dans de grands rôles aussi antagoniques que complémentaires.

Une approche différente

Dans le cinéma historique coréen, il est déjà arrivé que des personnages caractérisés par leur franc-parler, qu’ils soient fictionnels ou entièrement fictifs, viennent s’ajouter à ceux qui existèrent réellement afin d’exprimer un désaccord avec le pouvoir en place. Le film Masquerade (2012), qui se

classe encore à ce jour parmi les dix premiers du box-office national, introduit ainsi l’association antinomique de l’homme riche et puissant et de son double pauvre dans son évocation de la vie de Gwanghae, ce prince qui suscita la controverse au XVIIe siècle. C’est une star du hallyu, Lee Byung-hun, qui interprète les deux rôles du roi et du roturier engagé pour se substituer à lui face à des menaces d’assassinat. Dans les premières scènes, cet homme simple se ridiculise en tentant maladroitement de s’initier aux rigueurs du protocole et au raffinement de la cour, mais, après avoir gagné en assurance, il s’enhardira à faire adopter d’audacieuses réformes en faveur des opprimés. Cette œuvre tire en grande partie son succès du postulat selon lequel les plus humbles, si l’occasion leur en était donnée, pourraient s’avérer être de meilleurs dirigeants que des monarques parfois tyranniques. La critique a également souligné qu’en tant que simple divertissement, ce film se distinguait par son intrigue partant de l’originale association de deux personnages que tout semblait a priori opposer. En revanche, les sévères remontrances qu’adresse Sinmi à son souverain n’ont pas remporté l’adhésion des spectateurs, au contraire choqués par la déformation d’une réalité historique bien connue, en dépit de la mention préalable selon laquelle il s’agissait « d’une reconstitution cinématographique fondée sur les informations recueillies çà et là à propos de l’invention du hangeul ». Cette réaction tendrait à prouver que, dans spectacles de type commercial où les événements de l’histoire peuvent se prêter à des interprétations très libres, celles-ci doivent néanmoins respecter certaines limites au-delà desquelles le public les désapprouverait.

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REGARD EXTÉRIEUR

De quelle Corée êtes-vous ? La Corée Starbucks ou la Corée pojangmacha ? Pascal Dayez-Burgeon

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es amoureux de la Corée savent qu’elle se décline au pluriel. La Corée des villes n’est pas la Corée des champs, pas plus que la Corée des vallées ne ressemble à la Corée des montagnes, la Corée des côtes à la Corée des rizières et - faut-il le mentionner ? - la Corée du Nord à la Corée du Sud. Or, à ces alternatives classiques, est en train de s’en greffer une nouvelle : la Corée des Starbucks contre la Corée des pojangmacha. Les statistiques confirment, s’il en était besoin, que l’enjeu est sérieux. En mai dernier, la Corée est devenue le pays le plus « starbucksisé » au monde. On n’y dénombre pas moins de 1 231 franchises, soit un café Starbucks pour 42 000 Coréens. C’est un quart de plus qu’aux États-Unis qui compte pourtant 6 031 établissements, mais pour 327 millions d’habitants, soit un Starbucks pour 55 000 Américains. En revanche, les pojangmacha, ces échoppes ambulantes qui, la nuit tombée, animent depuis si longtemps les rues coréennes, perdent chaque année du terrain. Estimés à 3 100 en 2012, ils se réduiraient de 5 à 10% chaque année. Uri Nara devient Starbucks Nara. Pour qui vient de France - où n’ont ouvert que 230 Starbucks, un pour 300 000 habitants -, cette transformation est un crève-cœur. Le Starbucks nous paraît lisse, mièvre, banal et surtout, si peu

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coréen avec ses banquettes en skaï, sa vaisselle en plastique et sa camelote sucrée. On s’y ennuie en papotant à mi-voix, en pianotant des SMS anodins et en postant des selfies inutiles. Alors que le pojangmacha, lui, est chaleureux, turbulent, plein de vie. On y refait le monde en s’y goinfrant de tak-pal, de mong-gae et de hae-sam (pas cette année : le concombre de mer ne supporterait pas le réchauffement climatique), on y rit à gorge déployée et on y boit jusqu’à plus soif. Comment peut-on préférer la platitude au baroque, la fadeur à l’euphorie, le cookie au soju ? Question oiseuse, nous dira-t-on. La Corée du Sud est une démocratie où chacun agit comme il l’entend. C’est indéniable. Sans compter qu’il doit souvent arriver que le même Monsieur Kim ou la même Mlle Park commencent l’après-midi au Starbucks et finissent la soirée dans un pojangmacha. C’est tout aussi exact. Il n’empêche que le tsunami des Starbucks et la décrue des pojangmacha interroge la Corée sur son identité et son rapport au monde. La Corée, on le sait, a une revanche à prendre sur l’histoire. Quoi de plus normal pour un pays mis à sac durant quatre décennies de colonisation, ravagé par une guerre sans merci et qu’il y a un demi-siècle encore, on prétendait condamné à la famine et au sous-développement ? Tout ce qui


souligne l’incroyable « miracle coréen » est donc bon à prendre : taux de croissance mirobolants, diplômés en hausse, prouesses technologiques, médailles sportives, Palme d’or à Cannes en attendant, un jour, un prix Nobel en sciences ou en littérature. C’est sans doute ainsi qu’on peut comprendre la prolifération des Starbucks. La 12e puissance économique en termes de PIB vaut bien la première. États-Unis et Corée jouent dans la même catégorie. Forts de cette insatiable curiosité qui les porte à s’enthousiasmer pour tout ce qui est nouveau, les Coréens peuvent même faire mieux que les Américains, consommer plus, passer davantage de temps au café. Le Starbucks, un signe, parmi d’autres, de la réussite coréenne ? C’est possible. Privilégier les marques du succès présente pourtant des risques. Celui de renier le passé, par exemple. On comprend que la Corée prospère ait tenu à effacer les stigmates de sa misère : villages de la lune, masures insalubres et ateliers borgnes. Mais à force, elle s’est prise au jeu. À quelques exceptions près, à Chong-no ou à Puk-chon, tout le passé a fini par y passer. Les vieux quartiers avec leurs hanok séculaires et leurs marchés traditionnels, les villas des années 60 et 70, à Sodaemun ou à Mapo, et même les premiers « apateu » des années 80 ; tout a été sacrifié sur l’autel de la modernité, remplacé par des immeubles toujours plus hauts et toujours plus nouveaux. Le déclin des pojangmacha relève de la même pathologie. On s’y amuse encore, mais sans s’en vanter. Ils fleurent trop la Corée d’autrefois, humble et démunie. La Corée d’aujourd’hui, opulente et chic, préfère tourner la page. Elle va au Starbucks.

L’autre risque qui guette la Corée dans sa frénésie de progrès, c’est la perte d’identité. Le journaliste Sylvain Tesson, dont les récits de voyages passionnés ont fait la réputation, le confiait encore au quotidien Le Monde en juillet dernier. « Nous sommes confrontés à l’uniformisation des modes de pensée, des comportements, des formes urbaines (…), à l’indifférenciation, au règne de l’Unique, à la reproduction du même. Appelons cela la starbuckisation du monde ». De fait, rien ne différencie un Starbucks à Miami ou à Ryad, sauf l’enseigne en hangeul, et encore, pas toujours. Sinon, c’est partout le même logo, le même sirop, le même topo. Soucieuse d’échapper au pittoresque exotique auquel la réduisent les guides touristiques, la Corée nourrit des rêves universels et c’est bien normal. L’ancien royaume ermite des confins de l’Eurasie est devenu un des pôles de la mondialisation. Mais l’universalité n’implique pas l’uniformité. Les artistes l’ont bien compris. Les Bangtan boys chantent en coréen. Lee Sang-bong a marié le hangeul et la mode. Les personnages de Hong Sang-soo se saoulent au soju. En un mot comme en cent, le hallyu est coréen. Pourtant son succès est universel. Précisément : c’est parce qu’il est coréen qu’il est universel. Il en va de même pour les pojangmacha. On y goûte l’âme de la Corée, fougueuse, frondeuse, chaleureuse. On s’y sent bien, on s’y sent humain, on s’y sent chez soi. Au Starbucks, on est comme partout, c’est-à-dire nulle part et plus vraiment en Corée. Vous souhaitez rester en Corée ? Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Demander au Starbucks du coin où trouver le pojangmacha le plus proche.

Normalien, agrégé d’histoire et ancien diplomate à Séoul, Pascal Dayez-Burgeon est un spécialiste des deux Corées. Outre de nombreux articles, il a publié Les Coréens (Tallandier Texto, 2013), La dynastie rouge (Perrin Tempus 2016, traduction en coréen en 2019), Séoul à Pyongyang, idées reçues sur les deux Corées (Le Cavalier Bleu, 2018) et Histoire de la Corée des origines à nos jours (Tallandier Texto, juin 2019).

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APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

CRITIQUE

Souffrances et espoirs nés de la guerre Durant la Guerre de Corée (1950-1953), le pays prit pour capitale provisoire la ville de Busan, laquelle représenta dès lors la destination la plus sûre d’un exode qui allait faire passer sa population de 470 000 à 840 000 habitants. Elle fut aussi le berceau d’un genre littéraire dit, « des réfugiés », dont les œuvres situent leur action en ces lieux où les nouveaux venus connurent un quotidien difficile et témoignent de la détresse, des souffrances et des vains espoirs d’êtres pourtant animés de l’amour de la vie. Choi Jae-bong Journaliste, The Hankyoreh

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ors du conflit qui a déchiré la péninsule coréenne, la vie s’est avérée particulièrement cruelle pour la communauté littéraire, notamment lors de la retraite du 4 janvier 1951 à laquelle se virent contraintes l’armée sud-coréenne et les forces de l’ONU par l’offensive du Nouvel An chinois. Après une avancée vers le Nord qui les avait menées jusqu’à la frontière sino-coréenne, elles allaient devoir abandonner Séoul et se replier au sud, ces événements ayant inspiré le thème de nombreux romans et poèmes aujourd’hui classés dans un genre particulier, dit « des réfugiés ». Au nombre de ces œuvres, figurent la nouvelle de Kim Dong-ni (1913–1995) intitulée L’évacuation de Hungnam (1955), ainsi que le roman Une grande échelle bleue (2013) dû à Gong Ji-young (1963–), qui évoquent l’évacuation d’innombrables civils nord-coréens réalisée en 1950 à partir du port oriental de Hungnam, de même que la nouvelle Sudistes et nordistes (1996) de Lee Ho-Cheol (1932-2016), lequel était originaire de la ville nord-coréenne de Wonsan et trouva refuge en Corée du Sud. Afin de définir plus précisément ce genre particulier, il conviendrait de préciser qu’elle a pour personnages ceux qui, lors de la retraite du 4 janvier1951, ont fui Séoul à destination de Daegu ou de Busan. Leur exode fut le plus souvent si soudain qu’ils arrivèrent dans ces villes méridionales sans la moindre possession, livrés à eux-mêmes pour se nourrir et se loger. Ce périple avait conduit la plupart d’entre eux jusqu’à

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Busan, cette deuxième métropole du pays située à l’extrémité sud-est de la péninsule et dotée d’un port où ils vécurent dans le dénuement, ce qui fut aussi le cas des écrivains. Ceux qui ne trouvaient pas à se loger à leur arrivée vivaient dans des abris de fortune qu’ils avaient construits de leurs mains sur les collines environnantes dans l’attente de la fin du conflit qui sonnerait l’heure du retour à Séoul. Dans sa nouvelle Sommeil hivernal (1958), Kim Yi-seok (1914-1964), ce réfugié natif de Pyongyang donne une idée de leur dure situation : « Le vent du nord, qui soufflait toute la journée, malmenait tant cette cabane à découvert dans un champ qu’il menaçait d’arracher ses planches et d’emporter son toit de tôle, traversant cruellement notre chambre de part en part ». En outre, rares étaient ceux qui offraient l’hospitalité à des réfugiés, même s’il s’agissait de proches. Lui-même d’origine nord-coréenne, l’écrivain Hwang Sun-won (19152000) décrit avec un grand réalisme, dans sa nouvelle autobiographique Acrobates (1952), les difficultés auxquelles sa famille et lui-même furent confrontés à Daegu comme à Busan. Hébergés par des familles qu’ils connaissaient pourtant, ils durent plusieurs fois s’en aller, tant celles-ci leur manifestaient ouvertement leur mépris et leur souhait de les voir quitter les lieux. Déplorant son incapacité à subvenir aux besoins des siens, au point que ses jeunes enfants doivent eux-mêmes gagner leur vie, l’écrivain réfugié compare sa famille à des artistes de cirque : « Mes petits Pierrots, j’espère que plus tard, quand vous dirigerez à votre tour une troupe


d’acrobates et d’autres petits Pierrots, vous n’aurez pas à vivre de telles scènes et accomplir de telles acrobaties ! » Venu seul à Busan de son nord natal, Lee Ho-cheol en fut réduit à travailler successivement comme docker, ouvrier d’une usine de nouilles et concierge, menant de front ces emplois et l’étude de la littérature. Par la suite, il allait faire ses débuts d’écrivain par une première nouvelle intitulée Départ du pays (1955) et s’ouvrant sur la scène du départ d’un réfugié à bord d’un convoi de fret : « Le wagon de marchandises où il était monté la nuit même disparaissait la suivante. Ainsi, il lui fallait aller plusieurs fois de l’un à l’autre ». Un jour de pluie (1953), cette autre œuvre signée d’un écrivain nord-coréen nommé Son Chang-seop (1922-2010), conte la fuite vers Busan d’un personnage appelé Dong-uk et de sa sœur Dong-ok lors de la retraite du 4 janvier. Dans la maison vétuste qu’il loue et où il accueille aussi son ami Won-gu, les pluies incessantes qui s’infiltrent par le toit sont à l’aune des difficultés auxquelles frère et sœur doivent faire face au quotidien. Cette dernière, malheureusement éclopée, réalise avec grand talent des portraits de soldats américains qui lui rapporteront un temps de quoi vivre, mais l’histoire se termine par le vol de ses précieuses économies et la disparition de la famille chassée de son logement. Il émane de ce récit une vision réaliste de la vie de réfugié qui procède d’un sentiment tragique et d’une angoisse existentialiste. De l’ensemble de la production littéraire caractéristique de cette époque et de cette ville, se détache aussi une nouvelle de Kim Dong-ni intitulée Le temps du Mildawon (1955). Sous des noms légèrement modifiés, elle fait évoluer des écrivains qui ont réellement existé dans l’atmosphère et le contexte social particuliers des cercles littéraires de province. Le critique littéraire Kim Byeong-ik (1938–), dans son Histoire du monde littéraire coréen, suppose que le personnage principal appelé Lee Jung-gu est inspi¬ré du romancier Lee Bong-gu (1916-1983). Dans ces années 1950 où nombre de grands noms de la littérature se retrouvaient presque quotidiennement dans le quartier séoulien de Myeong-dong, cet auteur, quoique gros buveur, conservait en toutes circonstances un calme imperturbable. Autres personnages, Jo Hyeon-sik représenterait le critique littéraire Cho Yeon-hyeon (1920-1981) et madame Gil, la romancière Kim Mal-bong (1901-1962). Figurent également à ce panthéon le poète natif de Busan, Jo Hyang (1917-1985) et le romancier Oh Yeong-su (1909-1979), qui répondent respectivement aux noms fictifs de Jeon Pil-eop et Oh Jeong-su. Quant à Park Un-sam, ce jeune poète tourmenté qui pleure le départ de sa maîtresse, hanté par la peur à l’idée des dangers qui menacent sa survie, il ne serait autre que Jeong

© Encyclopédie de la culture coréenne

Un-sam (1925-1953). Ce dernier mettra fin à ses jours, ce qui donne une idée de l’état d’esprit et de la détresse des écrivains qui vécurent ces événements. Quant au personnage principal de la nouvelle, il parvient à gagner Busan par le dernier train parti de Séoul le 3 janvier, à la veille de la grande retraite. Peu après son arrivée, il commence à fréquenter un café du quartier de Gwangbok-dong, le Mildawon, où se réunissent les artistes venant de Séoul. Il y fera la connaissance d’autres écrivains qui lui apporteront leur aide pour trouver à se loger, à se nourrir et à se procurer l’alcool dont il a besoin. De même que ces différentes figures, le café Mildawon a bel et bien existé, ainsi que le rond-point de Gwangbok-dong où il se trouve. Dans l’ouvrage cité plus haut, Kim Byeong-ik explique comme suit l’importance que revêtait ce lieu : « Ce café qui se trouvait à l’étage, au-dessus du siège de l’Association culturelle coréenne situé à Gwangbok-dong, fournissait aux écrivains qui n’avaient nulle part où aller tout à la fois un endroit où se reposer, une adresse où prendre contact avec des confrères sans point de chute, un bureau pour travailler, lorsqu’ils n’en avaient pas, et, assez souvent, un lieu où exposer des poèmes illustrés ». À ce propos, Lee Jung-gu se fait la réflexion suivante : « La mort et les adieux pour seul passé et seule perspective, pas plus que l’errance et la famine qui régnaient tout autour d’eux, ne pouvaient leur enlever cette joie de boire un café en compagnie d’êtres aux visages familiers ». Ce Mildawon prend ainsi la dimension d’un espace où l’amitié survit tant bien que mal au milieu des convulsions du pays et la nouvelle Le temps du Mildawon témoigne ainsi fidèlement des joies et peines d’une terrible époque où les écrivains s’efforçaient de survivre, entre rires et larmes.

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