HIVER 2017
ARTS ET CULTURE DE CORÉE
RUBRIQUE SPÉCIALE
GANGWON
TERRE de MONTAGNES,
de mythes et de mémoire
Lever de soleil sur la mer de l’Est ; La province de Gangwon racontée par la mer, la montagne et les rivères ; L’hiver et ses activités à Gangwon ; Une généreuse nature propice aux activités humaines ; Un village de la côte où des réfugiés ont le mal du pays
La province de Gangwon,
VOL. 18 N° 4
1225-9101 ARTS ET CULTURE DE ISSN CORÉE 83
IMAGE DE CORÉE
Les Pojangmacha,
ces diligences sans chevaux et toujours à l’arrêt Kim Hwa-young Critique littéraire et membre de l’Académie coréenne des arts
«E
n cet hiver 1964, qui n’a pas vu, le long des rues, ces estaminets de fortune ouvrir le soir pour proposer soupe à la pâte de poisson, moineaux grillés et alcools de trois sortes différentes ? Quand le chaland y entrait en soulevant un pan de la tente qui les recouvrait et claquait sous la bourrasque glaciale, il était accueilli par la mince lueur vacillante des lampes à carbure et un vieux serveur à la veste militaire teinte qui lui apportait à boire et à manger. C’est dans une de ces échoppes que nous nous sommes rencontrés cette nuit-là…» Ainsi commence le roman Séoul Hiver 1964 de Kim Seung-ok évoquant ici l’une de ces pojangmacha, les « diligences » que désignait ce mot, mais qui, contrairement à celles du Far West, restaient toujours au même endroit, car dépourvues d’attelage puisqu’elles ne servaient pas au transport. Seul point commun entre les deux, l’emplacement extérieur de ces bistrots improvisés s’avérait pratique pour les passants pressés, qui pouvaient s’y arrêter le temps d’avaler en-cas ou boissons avant de repartir tout aussi rapidement. Fermées dans la journée, elles faisaient partie intégrante du paysage urbain nocturne et, si l’on n’y faisait pas bombance, c’est que la misère régnait en cette année 1964. Aujourd’hui, ces petits établissements proposent des menus plus variés où la soupe à la pâte de poisson côtoie quantité de plats tels que les myxines, pattes de poulet ou côtelettes de porc, le boudin farci, les fritures en tout genre, les tteokbokgi, ces bâtonnets de pâte de riz en sauce piquante, les nouilles de style japonais appelées udong et bien d’autres, mais plus les fameux moineaux grillés des années 1960. Les lampes à carbure ont elles aussi disparu au profit des ampoules électriques et l’uniforme teint de la Guerre de Corée a cédé la place aux tenues plus décontractées des jeunes serveurs en jeans. Dans les séries télévisées, c’est à la pojangmacha que le héros va boire pour oublier une déception sentimentale ou les dettes qui l’accablent et que surgit une femme au grand cœur qui, touchée par son chagrin, vient le consoler bien qu’il ne la comprenne guère dans son ivresse. Les mots : « à suivre » s’étalent alors sur l’écran, faisant espérer de nouvelles péripéties au téléspectateur … En Corée, ces petites gargotes des rues où tout un chacun peut entrer et sortir à sa guise font toujours naître la nostalgie d’époques révolues. De nos jours, chose curieuse, les pojangmacha doivent souvent se réfugier entre quatre murs pour acquérir la légalité commerciale qui leur fait défaut dans la plupart des cas, mais qu’importe, car, quelles qu’elles soient, toutes continuent de témoigner des joies et peine des Coréens. © HANKHAM
Lettre de la rédactrice en chef
ÉDITEUR
Vie et art de la province de Gangwon
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Yoon Keum-jin
À une sombre époque où subsistaient les derniers vestiges des dictatures militaires, de jeunes peintres acquis à la cause des opprimés dépeignirent la dure condition de ces laissés-pour-compte qu’étaient les ouvriers et paysans pauvres dans des œuvres de style hyperréaliste que le public n’osait admirer qu’à demi-mots. Jusque dans les années 1980, les artistes allaient se heurter à de tels interdits, que brava Hwang Jai-hyoung, l’un des représentants du mouvement artistique Minjung, en choisissant de s’établir dans une lointaine ville minière de la province de Gangwon. Notre équipe allait avoir la chance de redécouvrir ses tableaux de mines de charbon et portraits de mineurs sous le soleil et au beau milieu des montagnes, dans cette ville de Yanggu qui lui a consacré un musée. Les rédacteurs et photographes de cette rubrique spéciale étaient allés y visiter l’exposition qui se tenait à l’occasion de la remise du Prix artistique Park Soo Keun. Créée voilà peu, cette distinction a rendu hommage à l’artiste qui, dans les années 1950 et 1960, s’attacha inlassablement à représenter les plus humbles de ses concitoyens qu’il côtoyait au quotidien. Pour sa première de couverture, Koreana a choisi une œuvre aux tonalités à la fois sereines et puissantes qui illustre parfaitement ce qui a fait de son auteur le tout premier lauréat du prix évoqué plus haut. Outre la sincérité et la simplicité caractéristiques de ce peintre comme de celui qui a donné son nom à cette récompense, tous deux ont en commun d’employer des matières qui, bien que différentes, sont comparables par leur texture. Leurs œuvres constituent l’aboutissement d’un travail considérable dans leur exécution, mais aussi d’une recherche sur les produits et techniques les plus susceptibles de servir cet art. Au tour d’horizon proposé par l’exposition, a donc succédé un entretien avec Hwang Jai-hyoung, lequel exerce encore tout en s’impliquant avec dynamisme dans la vie locale (voir page 46), près de ce mont Taebaek qui se dresse au cœur de la province de Gangwon.
RÉDACTRICE EN CHEF
Choi Jung-wha
RÉVISEUR
Suzanne Salinas
Lee Sihyung
COMITÉ DE RÉDACTION
Bae Bien-u Charles La Shure Choi Young-in Han Kyung-koo Kim Hwa-young Kim Young-na Koh Mi-seok Song Hye-jin Song Young-man Werner Sasse
TRADUCTION
Kim Jeong-yeon
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE
Kim Sam
RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
Ji Geun-hwa Park Do-geun, Noh Yoon-young
DIRECTEUR ARTISTIQUE
Kim Do-yoon
DESIGNERS
Kim Eun-hye, Kim Nam-hyung, Yeob Lan-kyeong
CONCEPTION ET MISE EN PAGE
Kim’s Communication Associates 44 Yanghwa-ro 7-gil, Mapo-gu Seoul 04035, Korea www.gegd.co.kr Tel: 82-2-335-4741 Fax: 82-2-335-4743
ABONNEMENTS ET CORRESPONDANCE Prix au numéro en Corée : 6 000 wons Autres pays : 9 $US
Choi Jung-wha Rédactrice en chef AUTRES RÉGIONS, Y COMPRIS LA CORÉE Voir les tarifs d’abonnement spéciaux à la page 80 de ce numéro. FONDATION DE CORÉE West Tower 19F Mirae Asset CENTER1 Bldg. 26 Euljiro 5-gil, Jung-gu, Seoul 04539, Korea Tel: 82-2-2151-6546 Fax: 82-2-2151-6592
ARTS ET CULTURE DE CORÉE Hiver 2017 IMPRIMÉ EN HIVER 2017 Samsung Moonwha Printing Co. 10 Achasan-ro 11-gil, Seongdong-gu, Seoul 04796, Korea Tel: 82-2-468-0361/5
Publication trimestrielle de la Fondation de Corée 2558 Nambusunhwan-ro, Seocho-gu Séoul 06750, Corée du Sud http://www.koreana.or.kr
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Allongé dans la montagne
Tourisme (Autorisation n°Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée
Hwang Jai-hyoung 1997–2005, boue et matières diverses sur toile, 227,3 cm x 162,1 cm.
en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais, allemand et indonésien.
© Pyeongchang county
RUBRIQUE SPÉCIALE
La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
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RUBRIQUE SPÉCIALE 3
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RUBRIQUE SPÉCIALE 5
Lever de soleil sur la mer de l’Est
L’hiver et ses activités à Gangwon
Un village de la côte où des réfugiés ont le mal du pays
Lee Chang-guy
Choi Byung-il
Song Young-man
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RUBRIQUE SPÉCIALE 2
La province de Gangwon racontée par la mer, la montagne et les rivières Lee Soon-won
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AMOUREUX DE LA CORÉE
RUBRIQUE SPÉCIALE 4
Une généreuse nature propice aux activités humaines Lee Byung-oh
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LIVRES ET CD
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INGRÉDIENTS CULINAIRES
De la diplomatie aux traductions françaises de littérature coréenne
One Hundred Shadows (cent ombres)
Choi Sung-jin
Un conte de fées moderne à l’atmosphère à la fois réaliste et magique
Kwon Oh-kil
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The Frontline of Korean Architecture: DOCUMENTUM 2014–2016 (« l’avant-garde de l’architecture coréenne : DOCUMENTUM 2014–2016 » )
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ESCAPADE
Mille et une ruelles aux senteurs de pommiers en fleur Gwak Jae-gu
À la découverte d’une architecture coréenne futuriste Charles La Shure
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APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
Quand la chaleur humaine côtoie le froid anonymat d’une supérette 24h/24 Choi Jae-bong
Je cours les supérettes Kim Ae-ran
UN JOUR COMME LES AUTRES
Ce bonheur qui donne du goût à tout Jo Eun
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Ces huîtres rendues célèbres par la berceuse Bébé de l’île
DIVERTISSEMENT
Ce qui va changer avec Netflix Jung Duk-hyun
RUBRIQUE SPÉCIALE 1 La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
LEVER DE SOLEIL SUR la mer de l’Est Une imposante chaîne de montagnes s’étirant à l’infini avant de plonger dans la mer, avec une majesté qui s’oppose à la dure vie des hommes en un contraste bouleversant : cette image vient certainement à l’esprit de bien des Coréens lorsqu’ils pensent à leur province de Gangwon. Les senteurs épicées des calycanthes, le blanc lumineux des champs de sarrasin au clair de lune et le magnifique spectacle grandiose du soleil levant sur la mer de l’Est sont autant d’impressions familières qu’ils ont tous ressenties et ceux d’entre eux qui n’ont jamais visité la région la connaissent forcément par les nombreuses œuvres littéraires et musicales qui l’évoquent. Lee Chang-guy Poète et critique littéraire Ahn Hong-beom Photographe
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ur une scène improvisée aux faibles éclairages, un chanteur entonne en grattant sa guitare la chanson Five Hundred Miles de Peter, Paul and Mary. Dans la salle, les bruits cessent aussitôt et les spectateurs profitent de l’obscurité pour contenir tant bien que mal leurs émotions ou cacher leurs larmes. Cette scène qui se déroule dans le café d’une petite ville américaine est celle d’un clip diffusé sur YouTube. Au gré des abstractions et associations d’idées, l’histoire est mise en chanson dans cet air qui évoque, par le biais d’un vagabond séparé des siens et de sa ville natale, les bouleversements qu’ont entraînés la construction des chemins de fer, la guerre civile, la Grande Dépression et les licenciements de milliers de gens, ces souvenirs touchant forcément le cœur de tout Américain. Quoi de plus normal qu’une chanson qui a su nous émouvoir, ne serait-ce qu’à un moment de notre vie, nous permette de mieux comprendre ce que vivent d’autres peuples du monde, par-delà les idées reçues et malgré les différences qui séparent les cultures ? S’agissant de la province de Gangwon dont traite cet article, il serait judicieux, pour mieux aborder le sujet, d’écouter la chanson Le col de Hangyeryeong qu’a composée Ha Deok-kyoo et interprétée Yang Hee-eun.
En cheminant au mont Kumgang La province de Gangwon rappelle la Suisse par sa géographie, car, de même que la seconde repose sur le socle alpin, la première est encadrée par le mont Kumgang, dont le nom aussi orthographié Geumgang signifie « montagne du diamant » et le mont Taebaek situé au centre de cette grande chaîne du Baekdu daegan qui constitue l’épine dorsale péninsulaire. Au temps où l’économie coréenne dépendait encore principalement de l’agriculture, la région était pour le moins peu attrayante par ses conditions de vie. Un traité d’anthropo-géographie datant de la période de Joseon, plus précisément du XVIIIe siècle, et intitulé Taengniji, c’est-à-dire « guide écologique de la Corée », décrit la province de Gangwon en ces termes : « Le sol y est si stérile et rocailleux qu’avec un mal [unité de mesure équivalant à appro ximativement 18 litres] de semence, on ne peut espérer récolter que quelques mal ». Aujourd’hui encore, cela est en grande partie vrai et explique que nombre de Coréens fuyant l’oppression politique et sociale aient cherché refuge dans les villages de montagne perdus qui leur fournissaient une cachette idéale. Pour donner une meilleure idée de l’hostilité du milieu naturel envers les activités agricoles, il convient de rappeler qu’à la lointaine époque où l’État levait l’impôt sur la vente des marchandises, la province de Gangwon ne possédait à cet effet que deux silos de céréales, c’est-à-dire bien moins qu’ailleurs 1 dans le pays, et que ces faibles capacités se retrouvaient dans
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À Bongpyeong, qui a vu naître Yi Hyo-seok (1907– 1942), ce grand champ de sarrasin rappelle l’une de ses œuvres. Les corolles blanches s’épanouissent quand arrive septembre, mois des différentes manifestations qui commémorent ce romancier.
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le nombre de bateaux qui transportaient du grain jusqu’à la capitale, ainsi que dans l’ampleur de leur cargaison. La région de Yeongdong faisait en outre exception à la règle par une mesure dérogatoire qui lui permettait de conserver ces recettes pour l’utiliser à ses fins. Cette exemption allait disparaître au XVIIe siècle, suite à la promulgation de la Loi d’uniformisation fiscale, dite daedongbeop, en vertu de laquelle le calcul de l’impôt n’était plus effectué en fonction du nombre de ménages, mais de la superficie des terres, outre qu’il portait désormais non plus sur certaines céréales, mais seulement sur le riz, de sorte que le fardeau supporté par les paysans pauvres allait s’en trouver considérablement réduit. Jadis, les lettrés confucianistes qui composaient la classe dominante se plaisaient à séjourner en montagne pour y cultiver leur esprit avec le raffinement qui seyait à leur condition et ils ne faisaient donc que passer dans la province de Gangwon
pour se rendre au mont Kumgang aujourd’hui situé en Corée du Nord. Ce sommet fut alors si révéré qu’un poète chinois nommé Su Dongpo écrivit à son sujet : « Comme j’aimerais être à Goryeo [ancien nom de la Corée] pour pouvoir admirer le mont Kumgang ! ». Il n’était pourtant pas chose aisée de s’y rendre, même pour les sujets de Goryeo. Si l’on venait de Séoul, il fallait compter presque un mois à dos d’âne ou en chaise à porteurs et s’accompagner dans ce dernier cas d’au moins quatre domestiques, ce qui exigeait bien sûr d’être fortuné. Pour une raison ou une autre, mais toujours dans un but d’épanouissement intellectuel, l’élite de la société et ses érudits, poètes ou artistes aspiraient à effectuer ce voyage au mont Kumgang. À l’époque pré-moderne, toute une thématique relative à cette montagne est ainsi apparue dans les chroniques de voyage, souvent accompagnée des mêmes descriptions banales de ses paysages et de sa topographie agrémentées de quelques impres-
sions personnelles. Un illustre lettré et peintre du XVIIIe siècle répondant au nom de Kang Se-hwang allait d’ailleurs décrier cet engouement en ces termes : « Il semble que les voyages en montagne divertissent beaucoup la noblesse, mais ces promenades au pied du mont Kumgang sont des plus vulgaires ». Tous ces récits n’étaient cependant pas d’une telle banalité, à l’instar de l’un d’entre eux intitulé Dongyuga, c’est-à-dire « chant du voyage à l’Est », et dû à un auteur anonyme des derniers temps du royaume de Joseon, car ce qui suit révèle une certaine observation des conditions de vie du peuple : « Parti de Cheorwon pour gagner ces lieux, j’ai vu / des montagnes qui s’enchaînent sans fin, parsemées de rares habitations / des gens s’éreintant à labourer des champs rocailleux avec deux pelles attachées par une corde. / Des auberges où, par manque d’huile, on fait brûler des branchettes de pin pour s’éclairer, / et des chambres à peine chauffées par un fourneau
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Cette Cascade de Sambuyeon figure dans le Haeakjeonsincheop , c’est-àdire l’« album qui révèle l’esprit de la mer et des montagnes » dû à Jeong Seon. 1747, encre et couleur sur soie, 31,4 cm × 24,2 cm. Sous le royaume de Joseon, si les lettrés confucianistes ne faisaient que passer dans la province de Gangwon pour se rendre au mont Kumgang, ils y effectuaient souvent une halte pour admirer les beautés du paysage. Frappé par celle de la cascade de Sambuyeon, qu’il découvrit à Cheorwon en cheminant vers ce célèbre sommet, le peintre Jeong Seon (1676–1759) s’y arrêta pour immortaliser ce spectacle.
© Fondation d’art et de Culture Kansong
d’argile et une cheminée installée dans un coin ». Ces conditions de vie sordides ne faisaient cependant pas exception au XIXe siècle et à l’époque napoléonienne, 85% des Français connaissaient aussi la misère. Dans la colonie japonaise que fut la Corée dans la première moitié du XXe siècle, cette extrême pauvreté ne concernait pas l’ensemble de la province aux yeux d’un écrivain. Calycanthes et champs de sarrasin Le romancier Kim Yu-jeong (1908–1937), benjamin d’une famille aisée qui vivait depuis des générations dans le village de Sille situé près de Chuncheon, une ville de la province de Gangwon, effectua de nombreux trajets entre celle-ci et la capitale lorsqu’il faisait ses études dans un établissement réservé aux plus brillants éléments. C’est à l’âge de 22 ans qu’il rentra définitivement dans cette commune peuplée qu’une cinquantaine de familles. Entretemps, beaucoup d’événements s’étaient produits, dont le décès prématuré de ses parents et la ruine dans laquelle son frère aîné avait entraîné sa famille par sa vie de débauche. Se retrouvant sans un sou pour payer ses études, outre qu’il venait de connaître une déception sentimentale et souffrait d’une maladie, Kim Yu-jeong n’avait d’au-
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tre possibilité que de retourner au village en espérant pouvoir entrer en possession de la part d’héritage qui lui revenait au terme d’un procès intenté contre son frère. Si l’argent n’allait pas alléger les maux de ce corps et de cette âme à bout de forces, l’écrivain allait trouver le repos qu’il cherchait en ce début de printemps sur les versants tapissés de corolles jaunes du mont Geumbyeong et un accueil aussi chaleureux que sincère chez les gens du pays, en particulier ces villageoises « solides et sans façons, à l’image de cette nature dont elles sont issues », ainsi qu’« incapables de la moindre vantardise ou fatuité ». Tandis qu’il passait ainsi sa convalescence dans son village et au contact de ses pays, Kim Yu-jeong entreprit de dispenser des cours du soir aux jeunes dans une chaumière qu’il avait fait aménager à l’arrière de son logis. C’est alors qu’une voisine lui conta l’histoire qu’elle tenait d’une deulbyeongi, l’une de ces marchandes d’alcool ambulantes qui se laissaient courtiser à l’occasion par leurs clients et qu’elle avait accueillie quelques jours chez elle. L’écrivain allait s’en inspirer pour écrire cette nouvelle intitulée Un voyageur au village de montagne par laquelle allait débuter sa carrière de romancier attaché à témoigner de la dure vie des gens qui l’entouraient.
Les personnages de ses œuvres sont de ces pauvres hères tels qu’il en rencontrait dans son village, tels ce paysan de L’épouse qui, éprouvé par son dur labeur et toujours plus pauvre, en est réduit à pousser sa femme à se faire marchande ambulante d’alcool ou cet autre qui, dans Un champ de haricots où l’on récolte de l’or, en vient à penser que « mieux vaut creuser la terre pour y trouver de l’or que se démener comme un beau diable toute l’année à travailler la terre pour n’en tirer que quelques sacs de haricots », tandis que celui d’Une averse « erre de montagne en montagne en entraînant sa jeune femme à la recherche d’une vie meilleure ». Les récits qu’a livrés Kim Yu-jeong de ces existences misérables, dans cette écriture alliant candeur et humour qui lui est propre, figurent parmi les plus grandes œuvres littéraires du siècle dernier. Au traitement du thème de l’appauvrissement des campagnes résultant de la spoliation coloniale et transformant toujours plus les paysans en métayers, allait succéder, chez Lee Hyo-seok (1907–1942), une volonté de se soustraire à cette cruelle réalité en se réfugiant dans un univers artistique créé de toutes pièces. Dans son essai le plus important intitulé En faisant brûler les feuilles mortes, ce romancier originaire de Bongpyeong, un village du canton de Pyeongchang, compare l’odeur de la fumée dégagée par ce feu de feuilles mortes à celle de grains de café torréfiés, ce qui lui donne l’idée d’apprendre à skier et de faire un sapin de Noël quand viendra l’hiver. Il composa ce charmant texte en 1939, alors que faisait rage la deuxième guerre sino-japonaise (1937–1945) et que les Coréens souffraient le martyre sous le joug impitoyable du colonisateur. Par sa vision de la vocation de la littérature à « détenir le pouvoir magique de révéler la beauté de l’homme au milieu de sa trivialité et de son abjection », Lee Hyo-seok a échappé à la politique d’assimilation forcée que menait le Japon sur le plan culturel. Dans cette perspective, il serait opportun, aujourd’hui encore, d’analyser sous un autre jour la nouvelle Quand refleurit le sarrasin qui figure, de l’avis général, parmi les chefs-d’œuvre de la littérature coréenne, afin de la situer plus précisément dans le parcours de l’auteur, entre le réalisme maladroit de ses débuts et le lyrisme grandiose des années ultérieures. « La route s’accrochait au flanc de la montagne. Il était minuit passé et, dans le calme ambiant, Heo entendit la lune respirer tout près, comme une bête, tandis que les tiges de haricot et les épis de maïs détrempés paraissaient plus bleus que d’habitude au clair de lune. Ce versant de la montagne était tout planté de sarrasin et les fleurs à peine écloses, écloses, sereines comme du sel répandu à la douce lueur de la lune, étaient à couper le souffle. Leurs tiges rouges étaient aussi ténues qu’un parfum, et l’allure de l’âne, joyeuse ». [extrait de Quand refleurit le sarrasin].
C’est pour rendre hommage à ces deux romanciers et à leurs écrits que la Province de Gangwon a créé le Village littéraire Kim Yu-jeong et le Musée littéraire Lee Hyo-seok respectivement situés dans leurs villages de Sille et Bongpyeong, où se trouve encore leur maison natale. Cours d’eau, routes enneigées et autoroutes Dans la province de Gangwon, nombre de routes se situent à environ mille mètres d’altitude. Quant aux cours d’eau, ils prennent pour la plupart leur source en haute montagne et se jettent en aval dans le Han. Jusque dans les années 1930, ils servaient principalement au transport du bois, que la dangerosité des routes rendait préférable par ce moyen. Les rondins de bois de charpente provenant des cantons septentrionaux d’Inje ou de Yanggu flottaient en quantité sur le Bukhan et ceux du bois issus de cantons méridionaux tels que Jeongseon, Pyeongchang ou Yeongwol, sur le Namhan. Une fois réunis et montés sur des radeaux, ils descendaient ces fleuves jusqu’à Séoul en passant par Chuncheon, ce qui prenait une semaine d’Inje à Chuncheon et deux de Chuncheon à Séoul. Pour chasser l’ennui et la fatigue, les bateliers entonnaient souvent l’Arirang des Radeaux, une variante du chant folklorique Arirang de Gangwon-do qui en différait par ses paroles. Les radeaux transportaient aussi des cargaisons de porcelaine blanche de grande qualité, de plantes médicinales et de bois de chauffage en provenance de Yanggu ou Bangsan et destinés à être commercialisés dans la capitale. Le Bukhan jouait un rôle important dans le commerce fluvial pratiqué entre Séoul et Chuncheon. Les bateaux transportant le sel de Séoul ou les céréales de l’impôt récoltées dans la province de Gangwon y naviguaient jusqu’à la construction de barrages hydro-électriques qui eut lieu au début des années 1940. Leur lit s’est alors vidé de son eau pour les besoins de l’électrification de la province. Autrefois envahi par quantité de bois, le Naerin retentit aujourd’hui des exclamations et cris de joie des jeunes sportifs qui pratiquent le rafting. Autant les fleuves et rivières reliaient la province au monde extérieur, autant ses routes enneigées faisaient obstacle à ces échanges. Une marche sur l’une d’elles en plein hiver, quand la neige arrive jusqu’aux genoux, suffit à prendre toute la mesure de la dureté de ces vies pourtant si dignes dans leur détresse et l’on se dit alors que l’existence est comme un pain mouillé de larmes. En littérature et dans différents arts, elles prennent souvent valeur de métaphore des mortifications et souffrances éprouvées par le soldat blessé qui s’en retourne au pays. Une nouvelle de Hwang Sok-yong intitulée Sur la route de Sampo évoque ainsi les errances sur des routes enneigées de trois laissés-pour-compte de l’industrialisation coréenne qui cherchent un mystérieux village nommé Sampo. Dans le film Route enneigée, des jeunes filles, après avoir été réduites en esclavage sexuel pour servir au
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De même que dans la province de Gangwon, toutes les routes ont la particularité d’aboutir au littoral, la mer qui baigne celui-ci n’est pas comme les autres, car elle revêt une dimension mystique.
repos du guerrier sous l’occupation japonaise, rentrent au pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale en traversant les bois de bouleaux d’Inje, d’où elles aperçoivent l’horizon barré par les sommets du col de Daegwallyeong. En 1971, était mis en service le premier tronçon de l’autoroute de Yeongdong, suivi d’un second qui allait prolonger cette artère jusqu’à Gangneung en passant par Hoengseong et Pyeongchang. Sur les cols de la province de Gangwon, ont depuis fait leur apparition des sentiers de randonnée à l’intention des citadins, tout comme certaines plages de la côte Est autrefois réservées à un usage militaire sont désormais ouvertes au public. Dans les années 1970, la chanson La chasse à la baleine, que chantait Song Chang-sik dans la bande originale du film à succès La marche des fous, était très appréciée des jeunes qui la chantaient à pleins poumons en s’accompagnant à la guitare. Un morceau repris en chœur dit ainsi : «Allons à la mer sur la côte est ! ». C’était un temps où les vacances sur ces plages étaient considérées être un luxe, même si l’on campait et que l’on s’y rende par un petit train de montagne ou par un autocar roulant sur l’autoroute rectiligne. L’année même où celle-ci est entrée en service, la station de ski de Yongpyeong a ouvert ses pistes aux amateurs de sports d’hiver. Une cérémonie s’y est tenue l’année dernière en son point culminant dans la perspective des Jeux Olympiques d’hiver qui se dérouleront prochainement à Pyeongchang. Les routes de la mer de l’Est En décembre 2016, lors d’une veillée aux chandelles organisée pour protester contre la présidente de la République aujourd’hui destituée, la chanteuse Han Young-ae allait entonner de sa voix enrouée bien particulière, devant près de deux millions de personnes, la chanson Mon pays, Mon peuple qui commence par ces mots : « Regardez le soleil sur la mer de l’Est. / Sur qui darde-t-il ses rayons brillants ? / Sur nous, qui
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En différents points de sa côte, la province de Gangwon offre une magnifique vue du soleil qui se lève sur la mer de l’Est. Plus qu’une vaste étendue d’eau, celle-ci représente non seulement un endroit où les Coréens peuvent se détendre loin de leurs obligations quotidiennes, mais aussi un important lieu de mémoire, par les événements historiques qui s’y déroulèrent.
avons agi avec une noble pureté / lors de luttes sanglantes ». Cet air a été composé dans les années 1970 sur un texte de Kim Min-ki, à qui est également due la célèbre chanson engagée La rosée du matin datant de l’époque où il était étudiant. Quant à celle intitulée La chasse à la baleine, il s’agit d’une création de Choe In-ho, qui était alors un célèbre jeune romancier. L’ironie du sort a voulu que de tels succès populaires interviennent au même moment que la construction de cette autoroute de Yeongdong, à la fois réalisation d’un régime dictatorial et symbole d’une industrialisation qui allait engendrer un développement économique rapide. De même que, dans la province de Gangwon, toutes les routes ont la particularité d’aboutir au littoral, la mer qui
baigne celui-ci n’est pas comme les autres, car elle revêt une dimension mystique. Est-ce pour cette raison que ces voies franchissent d’innombrables et vertigineux cols tels que ceux de la chaîne du Baekdu daegan, à savoir les cols du Hangyeryeong, du Misiryeong et du Daegwallyeong ? Pour fuir le rythme frénétique de la vie moderne, le voyageur irat-il se délecter du spectacle vivifiant de la mer ou préférera-til s’arrêter de nuit sur une plage, après de longues heures de conduite sur l’autoroute, pour assister au premier lever de soleil de l’année le temps d’une brève halte ? Mais il faut cesser d’accorder les instruments, car le moment est venu de jouer.
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À Pyeongchang, fête et musique font vivre la culture Ryu Tae-hyung Chroniqueur musical
La station de ski de Yongpyeong accueillait en 2004 la première édition du Festival de musique de Pyeongchang (PMFS). une manifestation musicale d’envergure dont la première édition a eu lieu voilà treize ans en ces mêmes lieux. Inspiré du célèbre Festival-école de musique américain d’Aspen, le PMFS se veut une sorte de salon estival de la musique alliant des concerts classiques à des stages de formation. Autrefois sinistrée après la fermeture des mines, cette petite ville américaine de 6 000 habitants allait connaître une nouvelle vie avec la création d’un festival de musique qui figure parmi les meilleurs du pays. C’est en prenant cette manifestation pour modèle que le professeur Kang Hyo, de la Juilliard School, allait mettre sur pied le PMFS avec l’aide des Solistes de Sejong. Cette création n’a pourtant pas bénéficié de conditions très favorables, car la grande scène de la salle Nunmaeul [Village de neige] n’étant pas conçue pour ce type de spectacle, il fallait faire usage d’amplificateurs pour que le public puisse bien entendre la musique, le bruit des différentes activités qui se déroulaient à proximité nuisant aussi à une bonne écoute. Il était même arrivé que les spectateurs sursautent pendant un concert en entendant les cris d’escrimeurs qui s’entraînaient dans une salle de sport voisine. En dépit de ces premiers obstacles, le PMFS allait attirer toujours plus de mélomanes par la variété de ses spectacles, mais aussi par la fraîcheur agréable qu’il offre en plein été de par la situation de la ville sur un plateau d’environ 700 mètres d’altitude. Sa programmation minutieusement élaborée à partir de thématiques chaque année différentes est particulièrement appréciée dans les milieux de la musique aussi bien étrangers que coréens. Adoptant un parti-pris d’éclectisme musical, il s’emploie, par-delà la représentation des plus grands morceaux classiques, à faire jouer en avant1 © Fondation d’Art et de Culture de Gangwon
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première des chefs-d’œuvre méconnus et des compositions contemporaines expérimentales de toute provenance.
En cultivant ses liens avec les entreprises, le PMFS bénéficie du soutien de celles-ci, à l’instar de la Yamaha
L’année 2010 allait voir l’ouverture au public de la salle de
Corporation, qui a fait don de quarante pianos destinés à
concert Alpensia, dont la conception est particulièrement bien
accroître la capacité d’accueil des salles de répétition destinées
adaptée à la musique classique et où les artistes renommés
aux artistes comme aux étudiants. Les appuis financiers
qui se sont produits cette année ont joué à guichets fermés.
proviennent aussi de compagnies aériennes et d’autres
Outre ces grands musiciens, de brillants étudiants et leurs
établissements commerciaux coréens tels que Terarosa
professeurs y ont accouru des quatre coins du monde.
Coffee. Les dirigeants d’agences artistiques nationales étaient
Un an plus tard, la violoncelliste Chung Myung-wha et la violoniste Chung Kyung-wha allaient se joindre au
aussi très représentés à cette manifestation qui fait désormais référence dans la profession.
comité organisateur du Festival pour en assurer la direction
Dans le cadre de la promotion des Jeux Olympiques
artistique et faire ainsi bénéficier cette manifestation de
d’Hiver de Pyeongchang, a aussi été créé dans cette ville,
leurs nombreuses relations dans le monde de la musique.
en février 2016, un Festival de musique placé sous le haut
Lors de sa huitième édition, qui se déroulait sur le thème de
patronage du ministère de la Culture, des Sports et du
l’illumination, le PMFS allait attirer le nombre record de 35 000
Tourisme et relevant pour son organisation de la Fondation
spectateurs.
des arts et de la culture de Gangwon. Figuraient au
Quant au thème choisi pour cette année 2017, c’était
programme de cette première édition axée sur l’éclectisme
celui des « Grands maîtres russes », avec notamment la
et la vulgarisation artistique des récitals et concerts de
représentation d’un célèbre opéra sous le « Chapiteau de la
musique de chambre interprétés par les lauréats du Concours
musique » dont s’est doté le festival en 2012 et par lequel
international Tchaikovsky, ainsi que des spectacles de jazz
il démontre sa capacité à dépasser sa vocation initiale
donnés par la chanteuse NahYoun-sun et le guitariste Ulf
centrée sur la musique de chambre pour s’étendre à l’art
Wakenius.
lyrique. Aux côtés d’autres jeunes musiciens, la pianiste Son Yeol-eum, qui est aussi la directrice artistique adjointe du Festival, allait offrir au public un spectacle d’une qualité exceptionnelle. Outre les concerts que donnent de célèbres artistes, une formation musicale est aussi proposée dans le cadre du Festival. Celle-ci permet de suivre un enseignement dispensé par de grands musiciens avec lesquels les élèves ont même l’occasion de faire connaissance dans les salles où ils jouent, mais aussi dans les restaurants ou cafés de la station et, pourquoi pas, au gré d’une randonnée ?
1. Placés sous la direction du maestro Zaurbek Gugkaev, l’Orchestre du Marinsky et la Compagnie de l’opéra de Saint-Pétersbourg interprètent L’amour des trois oranges de Sergei Prokofiev sous le Chapiteau de la musique d’Alpensia. C’est lors de la dernière édition du Festival de musique de Pyeongchang qu’a été donnée pour la première fois cette œuvre adaptée de la pièce de théâtre éponyme qu’écrivit au XVIIIe siècle le dramaturge italien Carlo Gozzi. 2. Dans le cadre du volet que consacrait cette manifestation à de grands virtuoses, les violoncellistes Chung Myung-wha, Lluís Claret et Laurence Lesser (de gauche à droite) interprètent le Requiem de David Popper, avec Kim Tae-hyung au piano.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 2 La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
La province de
GANGWON RACONTÉE par la mer, la montagne et les rivières Dans la province de Gangwon, la mer, les rivières et les montagnes qui composent le paysage ont forgé une forte identité culturelle mêlant le bouddhisme des temples nichés sur les versants aux mélodies tour à tour tristes et joyeuses des barcarolles d’Auraji que chantaient les bateliers en emportant le bois sur leurs radeaux. Lee Soon-won Romancier Ahn Hong-beom Photographe
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P
C’est dans le village d’Auraji situé non loin de Jeongseon, au confluent de deux cours d’eau qui se réunissent pour former le Namhan, que fut composé l’un des plus célèbres chants folkloriques coréens intitulé Arirang de Jeongseon . La région fut longtemps associée au transport du bois en provenance des lointaines montagnes de la province, se trouvant sur l’itinéraire des bateaux qui l’emportaient vers la capitale après y avoir fait escale.
ar son relief montagneux, sa bordure littorale et ses nombreux cours d’eau, la province de Gangwon exerce depuis toujours un grand attrait en toute saison. Aux baignades et sports nautiques de l’été, succède le spectacle des paysages changeants de l’automne, dont la vague rouge et jaune déferle peu à peu en direction du sud, suivi des joies du ski sur les pentes abondamment enneigées. C’est dans l’est de la péninsule coréenne que s’étend la province de Gangwon, de part et d’autre de la chaîne directrice du système montagneux du pays, qui est celle du Baekdu daegan. Pour s’y rendre en partant de Séoul, il faudra donc franchir soit les cols de Daegwallyeong ou de Jinburyeong, soit celui de Misiryeong situé plus au nord. Le voyageur pourra aussi emprunter le train qui, en direction du sud, relie Séoul à Gangneung en desservant les villes de Taebaek et de Jeongdongjin. Par la route, il portera son choix sur une destination plus méridionale encore en prenant la nationale 7 qui longe la côte jusqu’à Goseong par Samcheok, Donghae et Gangneung. La chaîne de montagnes du Taebaek, l’une des grandes subdivisions de l’axe formé par celle du Baekdu daegan, délimite les deux régions géographiques bien distinctes de Yeongdong et de Yeongseo, la première d’entre elles abritant les lieux dont il est fait mention plus haut. Quant à la seconde, dont la superficie est plus vaste, elle comprend les villes de Chuncheon, Hwacheon et Yanggu. Si la montagne est partout présente, le paysage côtier de Yeongdong s’oppose à l’abondante hydrographie de Yeongseo et le contraste qu’ils créent d’est en ouest, de chaque côté de l’épine dorsale du pays, est d’autant plus frappant au sein d’une même province. Principale artère montagneuse du pays, la chaîne du Taebaek aligne ses cimes qui culminent parfois à plus de 1500 mètres d’altitude, tels les monts Seorak, Odae, et Gariwang où se dérouleront les prochains Jeux Olympiques de Pyeongchang, ainsi bien sûr que le mont Taebaek lui-même, vénéré en tant que montagne sacrée en Corée du Sud. Si, aux côtés de ce sommet, le col du Daegwallyeong peut sembler une colline, il joue un rôle essentiel en permettant de franchir la chaîne du Taebaek pour passer d’une région à l’autre. Au temps où l’aménagement des routes se heurtait aux obstacles du relief, ce col qui s’élève à 832 mètres d’altitude entre Gangneung et Pyeongchang, constituait ainsi l’unique voie de communication entre les régions de Yeongdong et de Yeongseo. À mi-chemin entre montagne et colline, il continue de remplir cette fonction qui en fait la porte d’entrée de ces deux parties de la province. Au pied de la chaîne du Baekdu daegan, la topographie explique évidemment l’absence de villages, mais les vastes plateaux qui s’étendent aux environs du col du Daegwallyeong sont plus favorables à la présence humaine et, du début de l’été à
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l’automne, ils sont envahis par la verdure des légumes cultivés à haute altitude. Quand, à l’âge de dix-sept ans, je suis monté pour la première fois au Daegwallyeong et que j’ai découvert ces champs de choux et de radis qui s’étendaient à perte de vue, ils m’ont fait penser à ce plateau nord-coréen de Kaema que je n’ai pourtant jamais vu, pas même sur une photographie. Ce devait être sous l’influence du mot « gowon », signifiant « plateau » en coréen, que comporte le nom de ce lieu, puis j’allais entendre les adultes parler entre eux de « bisan biya » à propos du Daegwallyeong, c’est-à-dire ce qui n’est « ni montagne ni plaine ». Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher d’être triste en pensant à ce mont Geumgang qui, par-delà le Baekdu daegan, se dresse maintenant en Corée du Nord. Autrefois, mon défunt grand-père passait tout l’été dans le village d’Oncheon-ri qui s’étend au pied de cette montagne. En l’an 2000, l’occasion s’est présentée de me rendre en bateau jusqu’à ces lieux dont j’avais tant entendu parler mais, si mes compagnons et moi aurions aimé prolonger notre visite, cela allait malheureusement s’avérer impossible. Des temples nichés au cœur des montagnes Lorsqu’a été créée la zone démilitarisée (DMZ) qui matérialise la partition de la péninsule, le mont Seorak est devenu l’un des plus beaux sommets de Corée du Sud. Quand le marcheur parvient au rocher dit d’Ulsan, il s’émerveille devant le panorama qui s’offre à ses yeux et, si l’automne y ajoute la beauté de ses feuillages, il ne pourra retenir une exclamation admirative. Des temples bouddhiques s’élèvent toujours au flanc des montagnes environnantes. Le confucianisme ayant surtout connu un essor à Gangneung, les alentours de cette ville sont dépourvus de temples de
Province de Gangwon Mont Keumgang Corée du Nord Mer de l’ Est
Corée du Sud
Sokcho Mont Seorak
Pyongyang Séoul
Baekdu Daegan
Gangneung Pyeongchang Jeongseon Taebaek
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Mont Taebaek
Des ponts tels que ce seopdari , un ouvrage en branchages jeté sur l’Odae, qui coule au pied du mont du même nom, permettent aussi de franchir les nombreux et profonds ravins de la province.
grande envergure, que l’on trouve en revanche au mont Seorak, dans des endroits très reculés, tels les sanctuaires de Sinheung et Baekdam où vécut de longues années le moine Manhae, qui fut l’initiateur de la réforme du bouddhisme coréen, ceux de Woljeong et Sangwon se situant sur le mont Odae. Dans la cour du premier d’entre eux, s’élève une pagode en pierre octogonale datant du royaume de Goryeo et, en vis-à-vis, une statue de bodhisattva assis également en pierre, ces deux œuvres étant les seules à avoir été épargnées par les incendies destructeurs de la Guerre de Corée. Quant au temple de Sangwon, il renferme nombre de précieux vestiges parmi lesquels figure la plus vieille cloche en bronze de Corée et une statue en bois du bodhisattva Manjusri dans son jeune âge à propos de laquelle existe une légende. Atteint d’une grave maladie de peau, le roi Sejo, qui régna pendant la période de Joseon, tentait de se soigner dans l’eau des plus célèbres sources du pays. Un jour qu’il se baignait à celle d’un
ruisseau situé en contrebas du temple de Sangwon, Manjusri lui apparut et lui frictionna le dos, ce qui eut pour conséquence de le guérir. Si les peintures murales du temple font le récit de cette légende, d’aucuns affirment que la statue de Manjusri se trouvait à l’origine au temple voisin de Munsu où l’avait fait placer la princesse Euisuk, fille du roi Sejo, pour prier pour son fils, et qu’elle n’aurait été apportée que plus tard au temple de Sangwon. Point culminant de la chaîne qui porte son nom par une altitude de 1567 mètres, le mont Taebaek figure parmi les trois montagnes sacrées que comporte la Corée et il est révéré à ce titre. La légende qui s’y attache y est toujours très présente et concerne le roi Danjong, lequel, ayant été dépossédé de son trône par son oncle Sejo et cherchant refuge dans les montagnes de Yeongwol, gravit sur son cheval blanc les pentes du mont Taebaek dont il devint le dieu. Sur le plan historique, cette région est également célèbre par le fait qu’elle abrite les Joseon
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Quand viennent l’été et la fête du radeau traditionnel du village d’Auraji, le fleuve résonne des accents du chant folklorique Arirang qui fut composé dans la région. Cet air qui parle des joies et peines du peuple se fait alors entendre tout le long du fleuve, de Chungju jusqu’à Dumulmeori et Yangpyeong, cette dernière ville se trouvant au confluent de ce cours d’eau et du Bukhan.
wangjo sillok, c’est-à-dire les annales de la dynastie Joseon, ainsi que pour son temple de Jeongam à l’arrière duquel se dresse la pagode de Sumano. En un certain point de la chaîne du Taebaek, les montagnes bifurquent en formant celle du Sobaek, qui constitue la frontière physique et culturelle des provinces de Gangwon et de Gyeongsang. Des rivières qui sont un don de la nature À son extrémité est, là où elle rencontre la mer, la chaîne du Taebaek présente des versants escarpés plongeant brutalement dans l’eau, tandis qu’à l’ouest, elle décline plus progressivement à hauteur du bassin hydraulique du Han et du Nakdong. Dans l’un des quartiers de la ville de Taebaek nommé Samsu-dong, s’élève le mont Samsuryeong, dont le nom signifie littéralement « montagne aux trois eaux » parce que, comme il l’indique, c’est là que se situe la ligne de partage de trois cours d’eau différents, à savoir le Han et le Nakdong, qui se jettent respectivement dans les mers de l’Ouest et du Sud d’une part, et l’Osip, ce ruisseau dont le cours aboutit à la mer de l’Est. Dans un vieux conte, il est dit qu’une goutte de pluie provenant du sommet de la montagne se serait divisée en trois pour arroser les mers de l’Est, de l’Ouest et du Sud. C’est aussi dans le quartier de Samsu-dong que se trouvent le Hwangji et le Geomnyongso, ces lacs où ont respectivement leur source le Nakdong et le Han. Pour le peuple coréen, ce dernier, long de 514 kilomètres sur son cours principal, constitue une voie de communication vitale. Il prend sa source à Geomnyongso et franchit de nombreuses vallées où il reçoit ses affluents avant de parvenir à Jeongseon, qui est son lieu de rencontre avec le Songcheon, un ruisseau auquel donnent naissance les sources du mont Hwangbyeong. Au confluent de ces deux cours d’eau, se trouve le village d’Auraji, dont le nom signifie « deux eaux se rejoignant ». Outre qu’elle ajoute aux beautés du paysage, cette riche hydrographie confère à la région de Jeongseon la pureté de son eau et la fertilité de ses sols pourtant très rocheux, un tel environnement incitant
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les touristes à venir profiter de la vue tout en se délectant de poésie, de musique et d’autres arts. Autrefois, Auraji était aussi réputée pour le transport sur radeau du bois qui provenait du fin fond des montagnes de Gangwondo et était acheminé ainsi sur le Namhan jusqu’au quartier de Mapo situé dans la capitale, laquelle portait alors le nom de Hanyang. Quand viennent l’été et la fête du radeau traditionnel du village d’Auraji, le fleuve résonne des accents du chant folklorique Arirang qui fut composé dans la région. Cet air qui parle des joies et peines du peuple se fait alors entendre tout le long du fleuve, de Chungju jusqu’à Dumulmeori et Yangpyeong, cette dernière ville se trouvant au confluent de ce cours d’eau et du Bukhan né au mont Geumgang. En amont de Yangpyeong, ce fleuve arrose successivement les villes d’Inje, de Yanggu et de Chuncheon. En unissant leurs eaux, le Namhan et le Bukhan grossissent et forment un fleuve à part entière, ce dont bénéficient pareillement les régions situées tant en amont qu’en aval. Dans celles de Séoul et de la province de Gyeonggi, quelque 15 millions d’habitants consomment l’eau qui provient du Han, ce chiffre passant à seulement 800 000 en amont. Dans ces régions situées sur le cours supérieur du fleuve, l’eau n’est pas destinée à un usage industriel, mais avant tout aux adductions des particuliers et à l’emploi dans l’agriculture. C’est donc une eau d’une exceptionnelle pureté qui parvient aux habitations citadines. Dans l’esprit d’un Sud-Coréen, le mot « mer » évoque invariablement ces eaux bleues de la mer de l’Est qui les font accourir sur des plages comme celle de Gyeongpo située à Gangneung. Une autre, appelée Jeongdongjin, est si célèbre pour le spectacle du soleil qui se lève sur la mer que la foule s’y presse tous les week-ends pour l’admirer. Alors que peu de trains s’arrêtaient autrefois dans la gare de cette petite ville, ce tourisme de masse y a considérablement accru le trafic, puisque ce sont désormais vingt-six trains qui y marquent chaque jour l’arrêt. La vue du soleil levant y est sans conteste exceptionnelle, comme en tout autre point de la côte, mais elle s’avère
aussi particulièrement impressionnante, sur fond de clôtures de barbelés, au niveau du tronçon de ligne de démarcation qui s’étend dans la partie la plus septentrionale de la province de Gangwon. Quand vient l’aube sur la zone démilitarisée Il est un autre spectacle, celui des lumières de bateaux trouant le ciel de la nuit, qui le dispute en beauté à ces levers de soleil en mer de l’Est. Si l’expression « ville sans nuit » se réfère essentiellement au fait que les rues sont bien éclairées, la mer l’est plus encore, de nuit, quand des centaines de bateaux de pêche allument leurs myriades d’ampoules en partant pêcher le poulpe. Ils composent alors un paysage féérique, même vus du lointain sommet du Daegwallyeong, mais gagnent à être admirés de la côte. La grandeur et la beauté de cette vue n’ont d’égale que celles des durs labeurs accomplis de jour comme de nuit. Je me souviens encore des années de collège et de lycée que j’ai passées à Gangneung. Quelle que soit l’époque de l’année, les enfants de mineurs acquittaient toujours leurs droits de scolarité les premiers, tandis que ceux des paysans le faisaient quand ils le pouvaient et ceux des pêcheurs, quand les prises de poulpe étaient bonnes. Au nord de Gangneung, s’étend le canton littoral de Yangyang et, s’il ne se consacre pas particulièrement à la pêche, il possède un ruisseau nommé Namdaecheon où commence la montaison d’automne du saumon. Les poissons pas plus grands qu’un doigt qui en partent vers la mer de l’Est, avant d’entre-
prendre leur épuisant périple jusqu’à l’océan, y reviendront quelques années plus tard, gros comme le bras, après avoir traversé le Pacifique Nord par les mers de Béring et d’Okhotsk, et retrouveront ainsi leur ruisseau de Yangyang. En poussant un peu plus au nord de cette ville, le voyageur parviendra à celle de Sokcho, qui est le principal port de pêche de la côte est. À marée montante, les bateaux chargés de lieu jaune y accostaient en grand nombre, mais le réchauffement climatique a presque fait disparaître les poissons d’eau froide des océans. Sokcho n’en demeure pas moins pour autant le centre de l’industrie de la pêche sur le littoral oriental et, en remontant celui-ci, on constatera aussi en certaines saisons l’effervescence qui règne sur les quais des ports de Geojin, Daejin ou Ayajin situés dans le canton de Goseong. Quand le marcheur s’aventure toujours plus en direction du nord, par la route du mont Geumgang, il tombe sur les clôtures de la ligne de démarcation et le voyage s’arrête là, car seul l’Observatoire de la Réunification est ouvert au public. Aujourd’hui oubliée, une ligne de chemin de fer datant d’avant la libération qui a mis fin à l’occupation japonaise reliait Yangyang à Wonsan le long de la côte en passant par le mont Geumgang. La division de la péninsule le long du 38ème parallèle a mis fin à son exploitation et ses voies sont depuis lors désaffectées. Je me prends à rêver du jour où seront posés les rails tout neufs de cette liaison menant au mont Geumgang. Pour l’heure, il faut se résigner à contempler tristement les côtes nord-coréennes depuis l’Observatoire.
Ce bodhisattva assis en pierre orne la grande cour du temple de Woljeong qui s’accroche au flanc du mont Odae. Il s’agit d’une reproduction de l’œuvre du XIe siècle exposée au musée de ce même sanctuaire.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 3 La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
L’HIVER ET SES ACTIVITÉS à Gangwon
À la saison froide, la province de Gangwon constitue une destination de vacances privilégiée en Corée du Sud en raison de la variété des sports d’hiver qui peuvent s’y pratiquer, à commencer, bien sûr, par le ski et la randonnée à raquettes, mais aussi des nombreuses manifestations festives qu’elle accueille, dont la célèbre Fête de la truite de Hwacheon. Choi Byung-il Journaliste spécialisé dans les voyages et loisirs au Korea Economic Daily Ahn Hong-beom Photographe
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Ce Janggundan , ou « autel du Dieu de toutes choses », figure parmi les trois tables sacrées ancestrales que compte le mont Taebaek. Le Jour de l’an, nombre de Coréens font l’ascension de ce relief afin de mieux y voir le soleil se lever et de prier pour que la nouvelle année leur soit propice. Si l’escalade s’avère difficile en hiver, une simple randonnée permettra de découvrir le paysage enneigé, ce que beaucoup apprécient également.
© Développement du tourisme de Korail, province de Gangwon
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S
’il faut choisir l’époque de l’année où visiter la province de Gangwon, l’hiver surpasse indéniablement les autres malgré les attraits qu’elles offrent chacune à leur manière et pour profiter au mieux de cette saison, quoi de plus agréable que le ski ou une extraordinaire randonnée dans la splendeur d’un paysage de neige ? Me voilà donc parti, en ce jour d’abondantes précipitations, pour ce mont Taebaek si prometteur des joies de l’hiver à Gangwon. Envahi par les azalées rose vif au printemps, auxquelles succèdent en automne les fleurs sauvages qui en font un jardin merveilleux, son sommet révèle toute sa beauté sous cette neige qui fait étinceler la moindre branche d’arbre au soleil. Le fabuleux spectacle de ces milliers de rameaux enneigés que le vent agite comme autant de fins poissons argentés mérite sans conteste que l’on subisse les frimas pour aller l’admirer. Si le marcheur ne mettra pas plus de deux heures pour parcourir en été les quatre kilomètres du sentier qui mène à cette cime, il faudra compter jusqu’à deux fois plus l’hiver, car la neige où s’enfonceront ses chevilles retardera considérablement sa progression. Au terme de la partie la plus difficile de cette ascension, qui se trouve au niveau de la hauteur dite de Kkalttak, il se sentira à bout de souffle et ne sera tout à fait soulagé qu’après avoir dépassé le Cheonjedan, cet autel de cérémonie aménagé tout en haut de la montagne. C’est au moment où le vent glacial aura presque séché son visage et son corps en sueur qu’il découvrira enfin les crêtes boisées de la chaîne du Baekdu daegan. Non loin du sommet, s’étend une forêt d’ifs et, bien que dénudés, ces vigoureux arbres qui affrontent avec bravoure les terribles tempêtes hivernales semblent receler une énergie vitale qui n’attend que de pouvoir jaillir au grand air. Est-ce pour cette raison qu’on les dit capables de « vivre mille ans en ce monde et un autre millénaire dans l’autre » ? Dans le canton de Pyeongchang, la vue du temple de Woljeong sous la neige s’avérera tout aussi spectaculaire que celle du mont Taebaek. Sur l’une de ces routes toutes blanches que bordent des ifs, le promeneur qui chemine en laissant des traces de pas se laissera envelopper par le silence absolu des lieux. Partout alentour, la neige étouffe à ce point les moindres bruits que les mots seuls ne peuvent décrire la quiétude qui règne tandis que les flocons tombent sur la robe d’un moine se hâtant aux premières lueurs du jour pour vaquer à ses occupations, l’ensemble composant un paysage empreint d’une beauté sereine. Des festivités hivernales comme remède anti-stress Ceux que n’attire pas la randonnée en montagne auront néanmoins l’occasion de se détendre grâce aux nombreuses
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manifestations festives qui se déroulent ici en hiver, dont cette Fête de la neige du mont Taebaek où, en janvier, sont exposées des sculptures sur glace correspondant à des thèmes très actuels et réalisées avec art par les plus grands spécialistes coréens du domaine. Elle portera cette année sur les Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang tout proches. Outre la création d’œuvres qui sont un véritable régal pour les yeux, la glace, comme la neige, se prête à bien d’autres activités qui vont de la luge sur un grand sac en plastique à ces jeux de glissades qu’affectionnent les enfants, en passant par la consommation de boissons chaudes dans un café igloo où couples et familles pourront se réchauffer et bavarder un moment. Des attelages de chiens emporteront toute la famille en promenade, tandis que les amoureux de la vitesse préféreront enfourcher une motoneige pour foncer jusqu’ à la pinède qui fait face au Village des pensions de Taebaek. Assis dans un traîneau qui file sur la neige, tiré par des huskies sibériens, qui ne sentirait pas disparaître aussitôt son stress ? Quant aux amateurs de pêche, ils ne sauraient manquer de goûter aux plaisirs authentiques d’une partie de pêche hivernale dans le Hwacheon, car l’épaisse couche de glace qui recouvre les rivières de la région permet aussi cette activité. Quand arrivent janvier et février, se tient au bord de ce ruisseau une Fête de la truite très prisée des Coréens, mais aussi des étrangers, puisqu’elle se classe désormais désormais parmi les festivités hivernales les plus célèbres aux côtés du Festival international de la glace et de la neige de Harbin, du Festival de la neige de Sapporo et du Carnaval d’hiver de Québec. Au cours des onze dernières années, cette manifestation, qui figure même dans les manuels scolaires coréens, a attiré plus d’un million de visiteurs par an et la chaîne CNN estimait en 2011 qu’elle figurait parmi les « sept merveilles de l’hiver ». Sa principale attraction porte sur la pêche sous la glace ou à mains nues de la truite de montagne, dite sancheoneo. Les restaurants situés à proximité offrent la possibilité aux pêcheurs de cuisiner eux-mêmes leurs prises de ce poisson particulièrement riche en éléments nutritifs, puisque les immortels taoïstes chinois s’en seraient nourris et qu’il en était fait présent à la famille impériale japonaise. La truite est aussi à l’honneur lors de la Fête nocturne du Seondeung, c’est-à-dire de la « lumière guidant vers le monde des immortels taoïstes », où de jolies lanternes épousant sa forme s’allument sur les berges du Hwacheon et au marché. De moindre envergure, mais tout aussi appréciée, la Fête de la truite de Pyeongchang, qui se déroule sur les rives de l’Odae de la fin janvier à la fin février, propose aussi des activités de pêche sous la glace, à mains nues ou familiales, ainsi que de nombreux sports tels que la glissade sur glace, le rafting sur neige, le bobsleigh ou un circuit dans un train de glace.
Dans ce train touristique, dit « de la mer » parce qu’il circule le long de la côte, les sièges sont décalés en hauteur afin que tous les voyageurs disposent d’une vue dégagée sur la mer. © Développement du tourisme de Korail
Chacun, après s’être rapidement fait la main, attrapera sans difficulté deux ou trois de ces truites, à la chair si savoureuse entre l’hiver et le printemps, qui fourniront des grillades aussi légères que délicieuses ou pourront se consommer crues grâce à leur fermeté et à leur goût délicat. Berceau de la pisciculture consacrée à ce poisson, Pyeongchang s’est dotée en 1965 de la première exploitation du pays. Un lettré de la période de Joseon qui se nommait Seo Yu-gu et appartenait à l’école du Silhak, c’est-à-dire des sciences pratiques, écrivit dans son encyclopédie du poisson intitulée Nanho eomokji : « Sa chair est aussi rouge et claire que les nœuds d’un pin, d’où sa désignation en coréen par le même caractère chinois que celui qui signifie « pin ». La truite est le plus délicieux de tous les poissons de la mer de l’Est ». Jadis, au plus froid de l’hiver, elle fournissait un aliment précieux lorsque les autres venaient à manquer. Dans les criques de la côte, les pêcheurs l’effrayaient en donnant des coups de marteau sur les rochers et s’en saisissaient promptement quand elle tentait de s’enfuir. Cette pratique autrefois vitale pour l’homme a pris aujourd’hui une dimension ludique. Un romantique train des neiges Quand tout est blanc dehors, quoi de mieux que le train pour admirer les beautés du paysage en toute tranquillité ?
Confortablement installé sur son siège, le voyageur sentira une douce chaleur envahir son corps et son esprit en regardant tomber cette neige propice à une atmosphère romantique malgré le froid mordant. Tandis que je m’apprêtais à monter dans ce « Train de rêve aux fleurs de neige » qui circule de décembre à février, les voyageurs massés sur le quai semblaient enthousiastes à l’idée de le prendre et, le temps d’une balade, d’oublier le stress des trajets quotidiens qu’ils effectuent dans des métros bondés ou sur des routes verglacées pour aller travailler. Cette excursion d’une journée, qui partait de la gare de Séoul, desservait celles de Chujeon, Seungbu et Danyang en traversant une pittoresque région aux profonds ravins recouverts de neige. À peine le train s’était-il éloigné du centre-ville que s’est offert au regard un charmant paysage aux toits de maisons, rizières et berges de ruisseaux tout enneigés. Malgré la faible vitesse du convoi qui allait cahin-caha, ses roues projetaient de la neige partout sur son passage. Tandis que je me laissais emporter en grignotant des gimbap et autres en-cas en compagnie d’un ami, d’autres voyages me revenaient en mémoire. Le train a effectué un premier arrêt en gare de Chujeon, cette ville située au pied du mont Taebaek qui, avec ses 855 mètres d’altitude, est le point le plus élevé du pays que l’on
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Créée en 1975 à Pyeongchang, la station de ski de Yongpyeong est le plus grand site que compte la Corée du Sud pour la pratique des sports d’hiver. Dès l’ouverture de la saison, skieurs et surfeurs des neiges y accourent des quatre coins du pays.
puisse atteindre par ce moyen de locomotion. On voit se dresser la gare en débouchant du tunnel de Jeongam, après avoir parcouru en huit minutes sa longueur de 4,5 km. Cette gare de Chujeon, dont le nom signifie « construite dans les trèfles du Japon », enregistre des températures annuelles moyennes très basses et connaît des hivers particulièrement longs. J’ai profité de ce que le train s’y arrêtait une vingtaine de minutes pour en descendre et me dégourdir les jambes sur le quai où j’ai senti un vent glacial cingler mes joues. Des cafés où se réfugier l’hiver À la saison des frimas, rien de mieux qu’un bon café pour se réchauffer ! Située sur la côte orientale, la ville de Gangneung fait depuis peu figure de paradis des amateurs de café, ce dont j’étais sceptique avant de constater par moi-même les raisons de cette célébrité. Outre les nombreux cafés qui s’alignent dans ses rues, elle abrite un musée consacré à cette boisson, ainsi que différentes exploitations ou usines qui la produisent et même une fête qui la célèbre depuis maintenant neuf ans. Le chiffre d’affaires annuel de ses quelque deux cents cafés dépasse deux cents milliards de wons, soit environ 180 millions de dollars, et on peut donc affirmer sans exagération qu’elle constitue le centre coréen du café. Sur place, le circuit du café commence au Port d’Anmok, renommé voici peu « de Gangneung », dont la désormais célèbre « plage des cafés » compte en effet plus d’établissements de ce type que de restaurants de poisson cru. Au Bohemian Roasters, le café-filtre est plus délicieux que partout ailleurs à Gangneung et son patron Park I-chu a été pour
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beaucoup dans la réputation nouvellement acquise par la ville à l’échelle nationale. Ce Japonais d’origine coréenne a figuré parmi les tout premiers baristas de Corée, les trois seuls autres étant soit décédés soit expatriés aux États-Unis, ce qui fait de lui le dernier à être encore en activité. Après avoir élu domicile à Gangneung, il allait non seulement y ouvrir un café, mais aussi entreprendre le formation de baristas et sa réputation de pionnier du commerce du café à Gangneung se justifie donc pleinement. Parmi les hauts lieux de sa consommation, se trouve aussi le Terarosa, qui est aussi connu sous le nom d’« usine à café » et a ouvert ses portes en 2002, année de la Coupe du Monde de football co-organisée par la Corée du Sud et le Japon. Son propriétaire s’adonne à son activité avec un tel sérieux qu’il pousse même le zèle jusqu’à acheter lui-même les grains en Ethiopie ou au Guatemala. Enfin, le Moulin Bong Bong de Gangneung mérite lui aussi le détour. Situé à Myeongju-dong, un quartier du centre-ville, il tient son nom de l’ancien moulin qui abrite aujourd’hui son local. L’une de ses pièces est réservée à des activités d’initiation dans ce domaine à l’intention de ses clients, qui peuvent s’y essayer à la préparation du café ou se plonger dans des lectures sur ce thème. Si ces établissements ont fortement contribué à améliorer la qualité de cette boisson à Gangneung, la diffusion de sa consommation est due sans conteste à l’entreprise Coffee Cupper, qui a été la première à assurer sa production et son commerce. Randonnée en montagne, voyage romantique en train, pêche sous la glace, fêtes hivernales ou simple café bien chaud : autant de raisons différentes de partir pour Gangwon et d’y découvrir les mille et une merveilles de l’hiver.
Située au centre de la côte orientale qui borde la province de Gangwon, Gangneung est célèbre pour les nombreux grands personnages qui y ont vu le jour, ainsi que par les vestiges et lieux historiques qui y abondent, mais à cette renommée, s’ajoute depuis peu celle de centre du café de la Corée du Sud. Tout commence, dans les années 1980, par l’apparition de distributeurs de boissons à Anmok, une plage de la banlieue de cette ville au charme un peu désuet. Dès lors, le bruit court que l’on y boit un excellent café, au point que certains font le déplacement dans le seul but d’y goûter. Les machines vont ensuite se multiplier et, en 2001, ouvrira, sur deux étages, un café branché à murs de verre dont la modernité détonnait quelque peu sur les maisons à toit d’ardoise de ce village de pêcheurs. À une époque où les Coréens ne connaissaient cette boisson que sous forme d’un breuvage composé de café lyophilisé additionné de beaucoup de sucre et d’un succédané de crème, le goût et l’arôme de ce café moulu sur place leur était étranger, outre que son prix
1. Choi Geum-jeong passant en revue des ob¬jets exposés au Musée du café. Elle mène de front cette activité avec celle de l’entreprise Coffee Cupper, car elle se consacre à la diffusion de cette boisson en Corée. 2. Les quelque deux cents établissements qui s’alignent dans la « rue du café » située entre le port et la plage d’Anmok ont valu à Gangneung de faire désormais figure de centre sud-coréen du commerce du café. Leur apparition remonte au début des années 2000.
dépassait de beaucoup celui pratiqué sur les distributeurs.
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Les habitués des cafés à l’ancienne plongés dans une semi-
Gangneung consacrée ville du café obscurité se sont alors demandé qui donc pouvait avoir envie de
de l’île de Jeju pour créer une plantation où l’on peut aujourd’hui
consommer à la vue de tous dans un lieu ainsi offert aux regards
acheter de jeunes plants. C’est aussi elle qui allait ouvrir le premier
et en ont conclu qu’il ne tarderait pas à fermer, ce en quoi ils
musée coréen du café. Situé à Wangsan-myeon, une commune
avaient tort. L’année ne s’est pas écoulée avant qu’ils ne voient
de la banlieue de Gangneung, cet espace de découverte présente
s’allonger les files d’attente devant cet établissement auquel
divers accessoires rares servant à la préparation du café et d’autres
allaient succéder nombre d’autres, de sorte que le front de mer
objets d’une collection que Choi Geum-jeong a constituée au fil des
allait en être envahi. Désormais, cette véritable « rue du café »
années et au gré de ses voyages de par le monde en compagnie
allait attirer les amateurs de café-filtre des quatre coins du pays.
de son mari.
Le premier de ces établissements à avoir ouvert en bordure
Choi Geum-jeong s’apprête à inaugurer mi-décembre, au
de mer s’appelait « Coffee Cupper » et possède actuellement cinq
centre ville, cette fois, un deuxième musée par lequel elle entend
succursales réparties dans différents quartiers de Gangneung.
assurer toujours plus la promotion du café.
Quant à la raison pour laquelle le café de Gangneung est
Voilà déjà seize ans que Coffee Cupper accueille les amateurs
aujourd’hui si fameux, elle tient à ce qui suit pour Choi Geum-
de cette boisson et les premiers couples à l’avoir fréquenté y
jeong, qui dirige cette entreprise : « Le barista Park I-chu a ouvert
reviennent aujourd’hui accompagnés de leurs enfants. Si les
ce café, puis l’usine de torréfaction, et la Ville a organisé la fête du
chaises y sont vieilles et le plancher grinçant, c’est à dessein, car
café, alors une synergie s’est créée entre tous ces facteurs ».
la propriétaire entend laisser intact ce décor pour conserver
Choi Geum-jeong elle-même a joué un grand rôle dans l’expansion qu’a connue Gangneung dans les activités liées au
son ambiance authentique et tous les chers souvenirs qui s’y rattachent.
café. Au début des années 2000, elle allait rapporter vingt caféiers
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RUBRIQUE SPÉCIALE 4 La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
UNE GÉNÉREUSE nature propice aux
ACTIVITÉS HUMAINES
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Caractérisée par un relief montagneux sur presque tout son territoire et par un climat plus froid que dans le reste de la Corée, la province de Gangwon s’adonne principalement à l’agriculture de haute montagne, à l’élevage et à l’exploitation forestière. Le tourisme constitue aussi l’un des axes de l’économie de cette région au riche milieu naturel alliant la beauté de ses nombreuses montagnes et rivières à celle d’une mer limpide baignant des côtes qui s’étendent à perte de vue. Lee Byung-oh Professeur au Département d’économie des ressources agricoles de l’Université nationale de Kangwon Ahn Hong-beom Photographe
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limat et topographie ont façonné à leur manière les paysages où se sont installés les hommes et, dans la province de Gangwon qui est la plus septentrionale de Corée du Sud, ce sont des températures basses et un relief accidenté qui prédominent. Ce dernier est en effet rocheux sur 81% du territoire provincial, soit beaucoup plus qu’à l’échelle nationale, où ce chiffre ne dépasse pas 63% en moyenne. Cette omniprésence des montagnes se ressent dans le mode de vie de la population comme dans l’industrie qu’elle a développée. Contrairement aux provinces méridionales et du centre, où la surface agricole occupée par les rizières est supérieure ou égale à celle des autres cultures, celle de Gangwon, située dans le nord-est du pays, est plus fortement tributaire de ces dernières, outre que son sous-sol recèle d’autres riches ses. Plusieurs chaînes de montagnes y accueillent des parcs nationaux, dont ceux des monts Seorak, Chiak et Taebaek, favorisant ainsi l’essor de l’industrie du tourisme. Dans son écrin de nature distant d’à peine une heure ou deux de route de la capitale, la province de Gangwon voit sa fréquentation touristique progresser considérablement quand l’automne colore les montagnes de tons rouges et jaunes éclatants, puis quand l’hiver les recouvre de neige où s’élancer sur des skis ou faire de la luge. En raison du cadre naturel privilégié dont elle bénéficie, la ville de Pyeongchang a été choisie pour accueillir les prochains Jeux Olympiques d’hiver. En raison de son climat et de son relief, la province de Gangwon est vouée à une forme spécifique d’agriculture qui fait sa renommée. Cultivés dans des champs s’élevant à des altitudes comprises entre 600 et 800 mètres, ses choux, radis blancs et autres légumes sont commercialisés sur l’ensemble du territoire et représentent plus de 90% de la production nationale.
On ne saurait toutefois résumer cette province à son relief montagneux, car son littoral aux eaux limpides participe aussi de son identité tout en constituant le principal moyen de subsistance de sa population. Une agriculture de montagne favorisée par les rigueurs du climat La province de Gangwon occupe 17 % de la surface totale du territoire national et s’étend donc sur 16 874 km², ce qui fait d’elle la deuxième par sa superficie après celle du Gyeongsang du Nord. Sa population, qui s’élève à environ 1,55 million d’habitants, ne représente en revanche que 3% de celle du pays et ne dépasse dans ce domaine que l’île de Jeju. Les agriculteurs y sont au nombre de 176 000 et représentent donc 11% de la population provinciale, cette proportion étant beaucoup plus forte que dans le reste du pays, où elle est de 5%. Les caractéristiques géographiques et climatiques de la région ont favorisé l’essor d’une agriculture pratiquée principalement à haute altitude. Chassés par la famine, les habitants venus des quatre coins du pays dans cette lointaine contrée sont montés jusqu’à 600, voire 800 mètres d’altitude pour y défricher la terre et pratiquer la culture sur brûlis. Des premiers jours de l’été à l’automne, une mer de légumes en tous genres noie dans la verdure les versants dans la verdure. En haute montagne, on a coutume d’effectuer les semis de légumes au début du printemps, après quoi les cultures se dérouleront l’été en vue des récoltes qui auront lieu de la fin août à la fin septembre. D’une culture plus délicate en été dans les régions plus chaudes, les choux coréens, radis blanc, choux verts, oignons, carottes et pommes de terre poussent en quantité sur les versants montagneux de Pyeongchang, Gangneung, Jeongseon et Taebaek. Très demandés sur les marchés des quatre coins du pays, ils représentent la principale source de re-
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venus pour les paysans des villages de montagne où l’activité agricole est en outre limitée par la géographie. Les cultures régionales de chou coréen et de pommes de terre représentent respectivement 93% et 42% de la production nationale. Par ailleurs, les fanes séchées de chou ou de radis, dites siraegi, permettent de confectionner la spécialité culinaire d’un village appelé « Bol à punch » qui se situe dans le canton de Yanggu, cette préparation étant très prisée pour sa saveur et sa teneur en nutriments. Les Coréens consommant presque tous du kimchi, ce condiment à base de légumes fermentés, le chou coréen et le radis blanc qui en sont les principaux ingrédients connaissent une forte demande tout au long de l’année. Pendant l’été et l’automne, la presque totalité des légumes nécessaires à la production nationale de kimchi provient de la province de Gangwon et de son agriculture de montagne, si bien que toute variation de ses rendements a une incidence immédiate sur les cours à l’échelle nationale. Du point de vue du développement durable, l’agriculture de montagne pose toutefois certaines problématiques. Les champs cultivés sur des versants abrupts sont souvent laissés en friche pendant la saison des pluies estivale et l’eau qui ruisselle des montagnes déverse alors des engrais chimiques dans les cours d’eau. Les fluctuations auxquelles sont sujets
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les prix des légumes incitant à la spéculation, des voix se sont élevées pour réclamer le reboisement de ces champs trop pentus et la pratique d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Ces derniers temps, en raison des changements climatiques, on assiste en outre à l’essor de cultures restées jusqu’alors rares dans ces régions, comme celles de l’orge, de la pomme ou du kaki pour n’en citer que quelques-unes. De plus, la forte valeur ajoutée générée par l’industrie des semences a incité les collectivités provinciales à promulguer une ordonnance visant à soutenir une agriculture qui assure une production de plus grande qualité destinée aux cultures de pommes de terre et de céréales. Enfin, l’horticulture d’altitude et la culture du melon et de l’asperge représentent désormais des productions stratégiques. La qualité de vie qu’offrent les bienfaits de la nature Dans la province de Gangwon, la forêt, plus présente que partout ailleurs en Corée, s’étend sur pas moins de 13 716 km², mais le relief particulièrement rocheux et accidenté ne permet pas de l’exploiter pour les besoins de l’industrie du bois. Étant surtout peuplée de pins et d’arbres à feuilles larges, sa production se limite aux pignons, champignons de pin, plantes aromatiques et légumes sauvages.
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Les champignons de pin provenant plus particulièrement du canton de Yangyang sont réputés être les meilleurs de Corée du Sud et se vendent à des prix dépassant 600 000 wons par kilogramme, c’est-à-dire tous ceux pratiqués dans le reste du pays. Ces produits de première qualité se distinguent par leur pied de 8 cm de longueur surmonté par un chapeau qui a la particularité de ne jamais perdre sa fermeté. Les meilleurs se récoltent au pied de pins de plus de vingt ans d’âge situés en montagne, à une distance de la cime d’environ deux tiers de l’altitude, car la forêt y est en général bien aérée et le sol, tapissé d’une épaisse couche d’aiguilles de pins. Ce type de terrain se retrouvant souvent dans le canton de Yangyang, il permet la production de champignons de pin d’excellente qualité dont la plus grande partie est réfrigérée aussitôt après le ramassage, puis conditionnée et transportée par avion au Japon. La province de Gangwon se consacre également à un élevage des bovins, porcs et volailles qui représente respectivement 7%, 4% et 3% de la production nationale. La viande de qualité supérieure constitue une part légèrement plus importante de la production bovine que la moyenne nationale, soit respectivement 86% et 84%. Cette différence s’explique bien évidemment par une géographie et un climat particuliers, mais aussi par les efforts entrepris en vue de cette amélioration. La disponibilité d’une herbe, d’une eau et d’un
1. Issus d’une race bovine spécifiquement coréenne, les hanu broutent l’herbe des pâturages de la fin mai à la mi-novembre, puis passent le reste de l’année dans les étables où ils se nourrissent de fourrage. Ceux qui proviennent de la province de Gangwon sont réputés pour leur viande tendre et goûteuse. 2. Parc de séchage du lieu à Yongdae-ri, un village du canton d’Inje. Le poisson y est accroché en rangées sur des bâtis en bois pour le faire sécher au vent froid de l’hiver qui lui conférera peu à peu sa belle couleur jaune et son goût délicat.
air non pollués, conjuguée avec un fort différentiel entre les températures diurnes et nocturnes, favorise l’accroissement du volume de graisse intramusculaire de ces bêtes qui donneront plus tard une viande réputée pour son goût et sa tendreté. Le bœuf en provenance des cantons de Hoengseong, Pyeongchang et Hongcheon se classe notamment parmi les meilleurs du pays et la production issue des deux premiers s’exporte à Hongkong sous leurs appellations d’origine respectives. Du lieu jaune séché vendu aux quatre coins du pays Sur le plan géographique, la province de Gangwon se distingue également par la présence de la mer qui la borde à l’est sur une longue distance et fournit des ressources d’autant plus abondantes à la pêche, notamment celle du calmar, qui constitue l’essentiel des prises. À cela s’ajoutent la pisciculture, dont la conchyliculture et l’élevage des tuniciers. Autrefois, les pêcheurs de Gangwon rapportaient aussi quantité de lieu jaune,
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Le champignon de pin est une spécialité du canton de Yangyang que le Japon importe en grande quantité.
mais les changements intervenus dans la température de l’eau ont mis à mal cette activité. Sous l’égide des collectivités provinciales, l’Institut de la recherche sur l’industrie de la pêche en mer de l’Est s’emploie à repeupler les fonds marins de cette espèce par des apports de jeunes poissons. Longtemps au nombre des poissons les plus prisés des Coréens, le lieu jaune peut s’accommoder de multiples façons, notamment en soupe, en ragoût, séché ou grillé. Préparés en saumure, ses œufs et boyaux respectivement appelés myeongnanjeot et changnanjeot font aussi les délices des amateurs de spécialités régionales. Avant que ne s’amorce le déclin de cette pêche, la ville de Sokcho était particulièrement réputée pour la production d’œufs fermentés qu’elle exportait un peu partout au Japon. En séchant tout l’hiver au froid et au grand air, la chair de lieu acquiert plus de saveur et se prête mieux à une longue conservation, outre qu’elle prend une couleur jaunâtre qui lui vaut son nom de hwangtae, c’est-à-dire le lieu jaune. Situé dans le canton d’Inje, le village de Yongdae-ri est célèbre pour ses nombreux parcs, dits deokjang, où le poisson sèche exclusivement à l’air libre sur des bâtis de bois. Comme dans la région de Daegwallyeong, cette activité porte aujourd’hui sur du poisson importé de Russie, ces deux zones de production représentant à elles seules plus de 70% de tout le lieu séché commercialisé dans le pays. En vue d’une qualité optimale, il convient d’effectuer le séchage en hiver où les températures minimales descendent à -10º C de nuit, et que, de jour, l’ensoleillement soit généreux,
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le vent, fort, et les chutes de neige, abondantes. Cette opération fait donc alterner de longues périodes de séchage proprement dit avec celles où le poisson gèle et dégèle tour à tour, jour après jour et tout l’hiver durant, jusqu’à l’obtention de cette chair ferme et goûteuse d’une couleur jaunâtre. Nombre de familles sud-coréennes en conservent encore dans leur garde-manger pour confectionner ces délicieuses soupes qui viendront soulager l’estomac alangui après une soirée un peu trop arrosée. Le tourisme en toute saison Par la pureté de son air, la beauté de ses paysages et la proximité de la capitale, la province de Gangwon attire aujourd’hui un grand nombre d’adeptes de l’agrotourisme. Ces visiteurs d’un genre nouveau y accourent entre amis ou en famille pour s’adonner à la pêche en rivière, et à la récolte des légumes ou des céréales, ainsi qu’à la transformation de celles-ci sous forme de gâteaux et bâtonnets en pâte de riz ou de pâtés de soja, par exemple : autant d’activités pour lesquelles ils rémunèrent les producteurs, de même que pour les produits eux-mêmes, qu’ils peuvent tout aussi bien emporter que consommer sur place. Les touristes apprécient aussi beaucoup les attractions diverses et variées de fêtes villageoises de la région comme celle de la tomate qui se tient l’été à Hwacheon, ou celle du bœuf de Hoengseong quand vient l’automne. La province a su en outre doter ses magnifiques forêts d’installations destinées à l’éco-tourisme qui se sont avérées très attractives. Dans le cadre de son Centre national des forêts, dit Soopchewon, le canton de Hoengseong propose ainsi différents circuits de découverte du milieu naturel. Afin de permettre une prise de conscience de l’importance vitale de celuici, la Ville de Chuncheon a également aménagé à cet effet des espaces d’initiation à l’écologie tels que le Hwamogwon, qui est un jardin des plantes provincial, le Musée de la forêt et le Parc de découverte de la forêt à l’intention des touristes et enfants habitant d’autres villes. En différents endroits de son territoire, la province a aussi créé des forêts à vocation récréative où les promeneurs qui se seront inscrits en ligne pourront goûter une précieuse détente. Enfin, les touristes apprécient particulièrement le pittoresque paysage que composent les ingénieuses constructions d’un village blotti entre les montagnes de Sin-ri, une agglomération de Dogye-eup qui se situe non loin de Samcheok, et portant le nom de Neowamaeul si gnifiant « village aux maisons à toit de bardeaux ». Dans la province de Gangwon, plus de 170 villages proposent désormais des circuits consacrés à l’agrotourisme, soit 19% du nombre total de toutes les communes qui le font à l’échelle nationale, et leur fréquentation touristique s’élève à 2,3 millions de personnes par an.
Au fur et à mesure que s’occidentalisent et se standardisent les habitudes alimentaires des Sud-Coréens, on ne trouve plus trace de ces préparations de la cuisine familiale dont se nourrissaient autrefois les ruraux. Dans la banlieue de Gangneung, il est pourtant un certain restaurant, dit Seojichogaddeul, c’est-à-dire « cour de chaumière de Seoji », où les touristes aiment à retrouver d’authentiques spécialités de la cuisine villageoise d’autrefois. La propriétaire en est Choi Yeong-gan, qui est la belle-fille aînée de la branche principale d’une famille de la région et tient depuis 1998 cet établissement par lequel elle rêvait de faire redécouvrir une cuisine régionale menacée de disparition. Vingt ans après sa création, il a été le premier restaurant gastronomique
Quand la belle-fille aînée de la branche principale d’une famille perpétue les traditions de la cuisine villageoise
avec amour ». Une plaque fixée au mur rappelle ces précieux conseils aux côtés du nom de l’établissement. Les différents menus qu’il propose peuvent surprendre, tels ces « repas champêtre » et « festin du travailleur », ou encore « accueil des invités », « rencontre de la belle-famille » et « premier anniversaire du gendre depuis son mariage ». Les deux premiers permettent de goûter à la cuisine villageoise traditionnelle, le second d’entre eux se composant des diverses préparations autrefois destinées aux gens venus donner un coup de main pour le repiquage du riz dans les grosses
à avoir reçu l’agrément du Centre d’agronomie de Gangneung et
exploitations. Elles comportaient principalement du riz aux
l’appellation « Bon restaurant de cuisine villageoise » délivrée par
haricots rouges et une soupe d’algues toujours servis avec un
l’Office de promotion rurale. À l’arrière de la construction ancienne
kimchi bien fermenté, du tofu, des algues frites, des gâteaux de
qui l’abrite, s’élève une maison d’habitation qui fut construite voilà
riz et d’autres mets, le tout accompagné d’alcool de riz.
deux siècles dans le style particulier de la région et abrite encore la
Quand prenaient fin ces travaux et l’arrachage des
famille de la restauratrice. Ce lieu est toujours imprégné de l’esprit
mauvaises herbes qui leur faisait suite à plusieurs reprises
de son bâtisseur, qui avait pour nom Jo In-hwan et était un illustre
jusqu’au mois de juillet, les propriétaires de l’exploitation, outre
érudit confucianiste de la fin de l’époque Joseon.
qu’ils rémunéraient ceux qui y avaient participé, leur témoignaient
Pour servir au mieux sa clientèle, Choi Young-gan n’oublie
aussi leur reconnaissance en leur offrant un véritable festin. Cette
jamais ce que disait le grand-père de son mari au sujet de ceux
cuisine très consistante permettait à ces hommes et femmes de
qui prendraient la relève : « Traitez le client comme une mère
reprendre des forces après ce travail harassant effectué dans
traite ses enfants, c’est-à-dire toujours avec gentillesse et même
une chaleur accablante. Ces traditions culinaires qui semblent aujourd’hui d’un autre
Dans un quartier périphérique de Gangneung, ChoeYeong-gan tient le restaurant Seojichogatteul au menu unique en son genre, dit « jilsang », qui se compose d’un assortiment de plats aussi sains que variés. La restauratrice s’attache à transmettre ces préparations jadis destinées aux paysans qui venaient aider sa famille aux travaux des champs.
âge et que s’attache à préserver l’original restaurant de Choi Young-gan n’en ont pas moins participé d’un mode de vie lié au travail collectif et saisonnier qui constituait l’un des fondements de la Corée rurale d’autrefois.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 5 La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoire
© Eom Sang-bin
UN VILLAGE de la côte où
des réfugiés ont le mal du pays 32 KOREANA Hiver 2017
Bordé à l’est par la mer et à l’ouest par le mont Seorak, le port de Sokcho a un temps été nord-coréen, puisqu’il se situait au nord de ce 38ème parallèle qui divise la péninsule depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1953, suite au cessez-le-feu intervenu dans les combats de la Guerre de Corée, le déplacement de cette ligne de démarcation militaire allait le faire passer en territoire sud-coréen et provoquer un exode vers un petit village où les nouveaux venus se sont peu à peu regroupés. Song Young-man Président des Éditions Hyohyung Ahn Hong-beom Photographe
Pendant la Guerre de Corée, les Nord-Coréens qui ont franchi la frontière se sont établis sur la côte, non loin de Sokcho, et s’y sont peu à peu regroupés au sein d’un village, mais leur rêve de retour au pays ne s’est jamais réalisé. Au fil du temps, ils ont vu leurs conditions de vie évoluer, notamment par les emplois et moyens de transport auxquels ils ont pu accéder.
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n cette soirée du début septembre, je dînais en compagnie de Kim Eui-jun, qui préside le Conseil municipal de Sinpo, un village proche de Sokcho, dans un restaurant nommé Sindashin dont les spécialités régionales de Hamgyong font l’excellente réputation. Si mon convive paraissait exceptionnellement jeune et vigoureux pour son âge, il lui suffisait d’évoquer sa Corée du Nord natale pour avoir aussitôt le rouge aux joues. « Je n’avais que cinq ans en ce temps-là, alors il ne me reste plus que de vagues souvenirs. En revanche, je me rappelle parfaitement ce jour-là », m’a déclaré Kim Eui-jun en parlant de la Guerre de Corée. En compagnie de sa sœur et de ses six frères, il avait suivi son père dans sa fuite en direction du sud, en ce mois de janvier 1952, c’est-à-dire un an après l’évacuation de Hungnam. La famille avait embarqué sur trois bateaux différents dans le port de Sinpo, au large duquel se trouve l’île de Mayang, et quelque quatre-vingts personnes se trouvaient à bord de chacun, soit près de 250 au total, quand un bombardement effectué par l’Armée populaire nord-coréenne allait envoyer l’un d’eux par le fond. À l’évocation de ce souvenir, l’homme a la voix qui tremble et peine à terminer sa phrase. « Ceux qui étaient tombés dans la mer n’avaient aucune chance de s’en sortir dan cette eau glacée. Les autres, dont moi, ont débarqué à Busan et sont venus s’installer dans ce village d’Abai, certains de pouvoir rentrer au pays sous peu, et voilà que ce qui n’était censé être que provisoire dure depuis soixante-cinq ans », constate-t-il tristement. En réalité, ce nom d’Abai est un sobriquet issu d’un mot du dialecte de Hamgyong désignant un père ou un vieil homme et lui a été donné en raison de l’arrivée de nombreux réfugiés qui menaient jusque-là une dure vie de pêcheurs en Corée du Nord. Cette adresse du pays natal qui ne s’oublie pas Kim Eui-jun est d’origine assez aisée, puisque son grand-
père possédait une conserverie à Sinpo-eup, une ville du canton de Bukchong situé dans la province de Hamgyong, de sorte que toute la famille a dû s’enfuir quand le pouvoir a procédé à de grandes purges à l’encontre de la bourgeoisie. Sur son lit de mort, son père allait lui remettre un dessin qu’il avait lui-même tracé à la main et que l’adulte d’aujourd’hui conserve encore dans son portefeuille bien qu’il ait perdu toutes ses couleurs. Il s’agit du plan détaillé de leur village natal où figurent, à droite, la coopérative de pêche et l’Auberge du port située juste en face, dans ce quartier n°2 de Sinpo sur lequel sont inscrits bien nettement les mots « notre maison ». Quant au n°3, il abritait, sur l’autre trottoir de cette même rue, le quartier général de l’Armée populaire nord-coréenne. Sur un coin de la feuille de papier, ont été soigneusement calligraphiés en idéogrammes chinois les mots « 727, Quartier n°2 de Sinpo, canton de Bukchong, province du Hamgyong du Sud, Tél. 331 ». S’il y a fort à parier que ces indications ne correspondent plus à rien aujourd’hui, Kim Eui-jun ne se sépare jamais du précieux document et affirme qu’il s’en servira, quand viendra la réunification et qu’il s’empressera de partir à la recherche de la maison de son enfance. Pour en revenir à Sokcho, qui fait partie du canton de Yangyang rattaché à la province de Gangwon, son agglomération a été classée en 1942 parmi les villes, dites eup en coréen, bien que sa population n’ait été alors que de 4 000 à 5 000 habitants. À l’hiver 1950, l’évacuation de Hungnam provoqua le départ de réfugiés qui descendirent le plus au sud possible de la péninsule, mais allaient devoir remonter vers le nord par la suite et s’établir un temps à Sokcho. Ils furent rejoints par d’autres, originaires de la province de Hamgyong ou des cantons de Goseong et Tongcheon rattachés à la province du Gangwon du Nord, qui avaient fui au sud par voie terrestre avant que la trêve n’entraîne la création d’une ligne de démarcation. Établie après l’arrêt des combats qui faisaient rage entre les deux camps, cette frontière militaire passait juste
1. Quand les réfugiés originaires de la province de Hamgyong ont fait connaître leur cuisine régionale, les restaurants de cette spécialité se sont multipliés et ont bientôt attiré les gourmets de tout le pays, curieux de la découvrir.
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2. Originaire de Sinpo-eup, une ville du canton de Bukchong situé dans la province du Hamgyong du Sud, Kim Eui-jun fait avancer le gaetbae , ce bac qui constituait autrefois l’unique moyen de transport dont disposaient les villageois pour se rendre dans le centre de Sokcho. Si un pont relie aujourd’hui le village au continent, cette embarcation n’en est pas moins prisée des touristes.
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au nord de Sokcho, laquelle était d’ores et déjà une ville sudcoréenne. Dotée d’une industrie de la pêche prospère, elle accueillit de nombreux réfugiés qui étaient pour la plupart originaires des villages de la province du Hamgyong du Sud. À leur arrivée, ils habitèrent des abris souterrains qu’ils creusaient tant bien que mal à proximité des zones où étaient stationnées les forces armées. Ils s’enfonçaient parfois jusqu’à la taille pour construire ces logements de fortune dont seul le toit abritait de la pluie, mais se consolaient en pensant qu’il ne s’écoulerait pas plus de deux ou trois mois avant leur retour de pays. Toujours plus nombreux, ils allaient bientôt se regrouper au sein de deux mille foyers dont les hommes, en ces temps difficiles, devaient aller pêcher en mer dans de petites embarcations, après quoi les femmes sortiraient aussitôt le poisson des filets, assises à même le sol gelé. Le tournage de grandes séries télévisées Construit sur une langue de sable qui sépare le lac de
Cheongcho de la mer de l’Est, le village d’Abai a considérablement changé d’aspect suite à l’aménagement d’un port dont le bassin a été créé par la déviation du lit d’un cours d’eau. Cette réalisation a permis de mettre à la disposition des villageois un bac, dit gaetbae, qui leur procurait un précieux moyen de transport pour aller vendre au grand marché de Sokcho les cordes en paille et sacs en papier qu’ils fabriquaient pour gagner quelque argent. Par le bouche à oreille, ils allaient aussi faire connaître ces spécialités culinaires de leur Hamgyong natale qu’ils continuaient de confectionner dans leur village d’accueil, dont les fameuses abai sundae et naengmyeon, qui sont respectivement des saucisses et des nouilles de sarrasin froides très épicées, ou encore ces soles et lieux qui se mangent crus dans certaines occasions. Une célèbre série télévisée intitulée L’automne de mon cœur allait aussi rendre Abai célèbre par les scènes qui s’y déroulent et, suite à ce succès, les restaurants proposant la cuisine régionale de Hamgyong allaient se multiplier dans au village.
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Les touristes viennent toujours plus nombreux déguster cette abai sundae, qui est une préparation composée de viande et de sang de porc, de radis blanc séché et de pâtés de soja, le tout haché, entouré d’un boyau de porc et cuit à la vapeur. Au temps où les prises étaient abondantes au large de Sokcho, elle était plutôt enveloppée dans du poisson, mais cette pratique a presque complètement disparu en raison de la diminution de la pêche. Salée ou sucrée, la cuisine de Hamgyong enchante toujours les papilles des jeunes citadins amateurs de saveurs relevées et, à sa manière, elle est aussi une invitation au voyage, tel ce calmar qui fait toujours les délices des gourmets, quelle qu’en soit la provenance. De nuit, les visiteurs pourront admirer la vue splendide des ponts illuminés de Seorak et de Geumgang, qui traversent de part en part le village pour le relier au continent, tandis que, de jour, ils apprécieront à n’en pas douter une traversée en bac, ce bateau large et plat qui constitue une plate-forme rappelant un radeau et que les passagers déplacent eux-mêmes en tirant sur un câble en acier suspendu au-dessus du fleuve, ce petit effort étant loin de leur déplaire, car ils en apprécient au contraire le côté ludique. Il est cependant appelé à céder la place à un bateau
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plus grand et plus moderne qui permettra de transporter un nombre toujours croissant de touristes, seul changement susceptible d’intervenir au village. Dans le domaine culinaire, une spécialité de poulet frit à la sauce aigre-douce, dite dakgangjeong, fait aujourd’hui fureur sur le grand marché de Sokcho. Le long de ses allées, s’alignent les étals nocturnes qui proposent cette préparation d’un goût plus piquant encore que celui de l’abai sundae et apparemment promise à toujours plus de succès. Autrefois connu sous sa dénomination administrative de quartier n°4, le village d’Abai l’est aujourd’hui par celle de Cheongho-dong et n’abrite désormais que 240 familles. Seuls survivants parmi les réfugiés nord-coréens des premiers temps, une soixantaine d’habitants s’y sont définitivement fixés, ainsi que leurs descendants des deux générations suivantes dont Sokcho est le deuxième pays, les natifs de Hamgyong y représentant un dixième de la population, soit huit mille personnes. Sur le thème des « Souvenirs de printemps au pays natal qui résistent à l’épreuve du temps », la Fête des réfugiés qui se déroule à la saison nouvelle dans le quartier de Cheongho-dong émeut toujours ces cœurs d’exilés. Les fêtes traditionnelles avivent la nostalgie du village natal
Les fêtes traditionnelles avivent la nostalgie du village natal chez les réfugiés d’hier, mais ils n’en laissent rien paraître, peut-être parce qu’il leur a bien fallu abandonner tout espoir de rentrer au pays
chez les réfugiés d’hier, mais ils n’en laissent rien paraître, peut-être parce qu’il leur a bien fallu abandonner tout espoir de rentrer au pays. Souvenirs, rêves et espoirs Au lycée, j’ai eu pour professeur de coréen le célèbre poète Hwang Geum-chan (1918–2017), aussi connu sous le nom de « poète de la côte Est », étant originaire de la ville de Sokcho. Par son enseignement, il préférait développer la sensibilité de ses élèves que s’en tenir au contenu des manuels, alors il lui arrivait de conter des histoires de son pays natal. Lorsque survint la libération coréenne, il rentra de Tokyo où il faisait ses études et habita un temps la ville de Songjin située dans la province du Hamgyong du Nord dont il avait conservé l’accent, alors, quand il racontait la mer, ses paroles prenaient des sonorités poétiques aux oreilles du jeune homme que j’étais. Au cours de littérature classique, il nous fit étudier une œuvre dont le titre Gwandongbyeolgok signifie « chant des scènes de Gangwon » et que composa le poète Jeong Cheol en 1580 pour célébrer les beautés du paysage qui s’offre à la vue aux Pavillons de Chongseok et de Cheonggan situés respectivement dans les cantons de Tongcheon et de Goseong, ce dernier étant aussi doté du beau lac de Samilpo évoqué dans ce poème : autant de merveilles que j’étais soudain curieux de connaître, mais qui m’étaient inaccessibles, car la formidable barrière rocheuse de Taebaek faisait paraître bien lointains Sokcho et le mont Seorak. Au début des années 1970, par un beau jour de printemps qui succédait à une période d’examens partiels, un ami natif de Sokcho et moi avons sauté dans le premier car qui partait pour Dongmajang à la gare routière, sur le coup de midi. Quand nous sommes parve-
Situé au nord-ouest de Sokcho, le lac de Yeongnang attire les touristes en toute saison par ses beaux paysages changeants. Il tient son nom d’un jeune guerrier de Silla qui voyageait avec trois compagnons d’armes et tomba sous le charme des lieux tandis qu’il s’entraînait en vue d’une épreuve d’arts martiaux.
nus à destination, au terme d’une demi-journée de voyage et après avoir franchi le col du Hangyeryeong sur des routes sinueuses, le soleil se couchait déjà sur celui du Misiryeong et nous tombions de fatigue. À la nuit tombante, tandis que s’allumait le phare du rocher de Yeonggeumjeong, nous sommes montés à bord du car de Ganseong. À notre arrivée à Gyoam-ri, le port, comme tout le village, était plongé dans l’obscurité et il régnait un silence que seul venait troubler le bruissement des pins de la falaise agités par le vent. Pour moi qui ne connaissais de la mer que ce que j’en avais vu à Incheon, celle-ci était associée dans mon esprit à des eaux à la forte odeur et de couleur marron foncé, hormis lorsque le ciel bleu s’y reflétait, car on nous avait appris à l’école qu’elle s’appelait ici la mer Jaune. En outre, l’époque était à la monotonie des couleurs sur les écrans de télévision en noir et blanc comme sur nos uniformes scolaires. Alors, peut-être est-ce pour cette raison que, lorsque j’ai découvert, le lendemain matin, toute la palette des nuances de bleu dont se parait le bout de mer qui s’étendait entre un grand pin et le toit du Cheonhakjeong, ce « pavillon aux mille grues » perché sur une falaise escarpée, j’ai senti l’émotion me submerger. Où ailleurs retrouverais-je ce fameux « bleu » dont on parlait au cours des beaux-arts ? Je m’interrogeais sur la couleur que pouvaient avoir les océans d’autres parties du monde telles que le Pacifique Sud, l’Atlantique ou la Méditerranée et, donnant libre cours à mon imagination, je me voyais déjà en train d’y naviguer. Le car qui nous ramenait à Séoul, l’un des deux ou trois par jour à assurer cette liaison, traversait des paysages évocateurs de la littérature moderne en cahotant sur les graviers de la nouvelle route de Ganseong où les voitures qui nous précédaient soulevaient des nuages de poussière. Puis, sur notre droite, la barre de sable des plages qui s’étirent à perte de vue du mont Seorak au mont Kumgang a brièvement rompu l’harmonie des lieux. Par le col du Jinburyeong, le voyage durait toute une journée jusqu’à la capitale, alors en arrivant, je sentais comme une odeur âcre et avais mal au derrière à être resté si longtemps assis dans ce car bringuebalant. Quand
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éclata la Guerre de Corée, Sokcho et le canton de Goseong se trouvaient en territoire nord-coréen, c’est-à-dire au-delà de ce 38ème parallèle délimitant la frontière intercoréenne tracée au lendemain de la libération qui, en 1945, mit fit à l’occupation coloniale japonaise. Le conflit qui opposa les deux Corées eut pour conséquence de repousser cette ligne de démarcation militaire jusqu’au canton de Yangyang situé plus au nord. Les réfugiés nord-coréens qui affluèrent à Sokcho en firent leur ville d’adoption, sans pour autant oublier ce pays qu’ils avaient dû se résoudre à quitter dans la douleur. Avant la construction de l’autoroute de Sokcho, qui a exigé le percement de plusieurs tunnels dans la chaîne du mont Baekdu daegan, cette ville un peu à l’écart n’attirait guère les voyageurs. Quand j’avais dans les trente-cinq ans et que je venais d’acheter ma première voiture, j’empruntais parfois la route nationale 7 qui va par la côte est jusqu’à Goseong et son Observatoire de la réunification, ce qui me permettait de prendre le temps de regarder le paysage changeant au gré des saisons. J’aurais aussi aimé faire découvrir à mes enfants, alors écoliers, les lieux même où s’était déroulée la tragédie de la partition coréenne, ce qui était alors chose impossible en raison des vives tensions qui faisaient de la ligne démilitarisée une véritable poudrière. Combien de temps s’est-il écoulé avant que les premiers civils ne soient autorisés à admirer les cimes du mont Kumgang extérieur et le lac de Samilpo qui s’étend près de l’Observatoire ? Il fallait auparavant se contenter de la visite de Myeongpa-ri, ce village le plus septentrional de la côte est, ainsi que le plus proche de la frontière, et, après y avoir dégusté nouilles de sarrasin et galettes de pommes de terre, reprendre la route qui mène à Geojin en passant par Daejin. À Hwajinpo, mes enfants ont néanmoins été en mesure de très bien comprendre par eux-mêmes les déchirures de la partition. Ils y ont aussi beaucoup appris sur les cuvettes qui
se forment sur la côte avec le sable apporté par les courants océaniques, car Hwajinpo en est une parfaite illustration. Les villas de Syngman Rhee et Kim Il-sung, qui furent respectivement les premiers chefs d’État de la Corée du Sud et de la Corée du Nord, sont situées à peu de distance l’une de l’autre. Ayant appartenu à ce dernier pays jusqu’à la Guerre de Corée, cette région a connu, des décennies durant, une tension exacerbée qui, pour les jeunes recrues du contingent, s’atténuait un peu au voisinage du centre aéré d’une université féminine. À cet égard aussi, Hwajinpo faisait ainsi se rencontrer les extrêmes. Un paysage grandiose et plus facile d’accès Au lieu de la route sinueuse et en mauvais état qui monte au col du Misiryeong, d’où le magnifique rocher d’Ulsan n’est de toute façon guère visible, on emprunte aujourd’hui un tunnel. Quand, parvenu à l’âge mûr, j’ai découvert les paysages du mont Seorak, la vue de ses vallées et sommets a inondé mon cœur d’impressions familières. Arrivé au pied du col du Misiryeong, j’ai lu ces mots, qui m’ont d’abord surpris, à l’entrée du temple de Hwaam situé à cet endroit : « Temple de Hwaam du mont Kumgang ». Pourquoi ce dernier plutôt que le mont Seorak ? La raison en est que ces deux reliefs font partie d’une seule et même chaîne de montagnes que permet de franchir le col du Misiryeong voisin. Ils ont aussi en commun une certaine légende qui a également trait au lac de Yeongnang, où je me rends souvent ces jours-ci, et au lac de Samilpo qui se trouve dans le Kumgang extérieur. Quatre hwarang, ces jeunes guerriers d’élite du royaume de Silla connus sous le nom de « Quatre immortels », s’entraînèrent un jour au sommet du mont Kumgang et, quand ils en redescendirent pour concourir dans une épreuve d’arts martiaux qui devait se dérouler à Seorabeol, la capitale d’alors
1. Consacrée aux thèmes de la paix et de l’environnement, cette exposition permanente est proposée par le Musée de la DMZ situé dans le canton de Goseong limitrophe de la ligne de démarcation, côté sud-coréen, à l’extrémité la plus septentrionale de la côte est.
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2. Cette maison à deux étages de Hwajinpo est connue de la population sous le nom de « Villa de Kim Il-sung », car l’ancien dirigeant nord-coréen et sa famille y auraient été en villégiature, ainsi que sous celui de « Château de Hwajinpo ». Suite à sa destruction pendant la Guerre de Corée, elle allait être reconstruite en vue d’y aménager une salle d’exposition rassemblant des objets provenant de Corée du Nord ou ayant appartenu à la famille Kim.
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et l’actuelle Gyeongju, l’un d’eux, nommé Yeongnang, aperçut en chemin le rocher d’Ulsan émergeant des eaux calmes du lac. Émerveillé par cette vue et oubliant le tournoi, il décida de rester pour mieux l’admirer, la légende disant qu’il donna son nom à cette étendue d’eau. Le lac de Samilpo est aussi lié à un récit analogue selon lequel les quatre immortels auraient été si éblouis par les beautés de son paysage qu’ils y auraient effectué une halte de trois jours expliquant le nom de sam-il. Ceux qui parcourent le pourtour long de 7,8 kilomètres du lac de Yeongnang sont assurés d’une charmante promenade à toute époque de l’année. Quand vient la saison nouvelle, il fait bon s’y promener en solitaire pour mieux goûter le calme de ses sentiers bordés de cerisiers en fleur, le début du printemps se prêtant aussi très bien à une balade de charme jusqu’au Beombawi, ce « rocher du tigre », sous le faîte verdoyant des zelkovas. Enfin, la vue du rocher d’Ulsan se reflétant dans les eaux du lac au crépuscule ne pourra qu’enchanter le visiteur, comme jadis le Yeongnan de la légende millénaire. C’est de
cette masse de pierre que viendrait le nom de la ville de Sokcho, puisque celui-ci désigne le souhait de pouvoir « attacher (sok) le rocher avec une corde » pour emporter celui-ci. L’atmosphère est tout autre au lac de Cheongchoa, où la circulation automobile, la foule et l’illumination des enseignes créent une impression d’incessante animation jusqu’à la tombée de la nuit. Les amateurs d’activités ou de cuisine en tous genres y seront comblés, comme au port de plaisance de Komarine où ils pourront monter à bord d’un yacht qui leur permettra de faire la moitié du tour de l’île de Jo en une heure. À l’horizon du lac, les passagers verront alors se profiler les cimes du mont Seorak et la Tour Expo qui composent ensemble un spectaculaire paysage. De retour au village d’Abai, s’offriront à leur vue les beautés du Daecheongbong, qui constitue le point culminant de sa chaîne et sera pour certains source d’inspiration poétique. L’hiver venu, les sommets enneigés du mont Seorak se détachant sur le bleu d’un ciel sans nuage couperont aussi le souffle à plus d’un.
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AMOUREUX DE LA CORÉE
DE LA
DIPLOMATIE AUX TRADUCTIONS françaises de littérature coréenne Chez Jean-Noël Juttet, la lecture est une passion qui s’est manifestée dès l’enfance et n’a fait que croître et embellir avec la poursuite d’études en lettres à l’Université Lyon 2, dont il obtiendra le diplôme de doctorat. Après avoir œuvré à la diffusion de la culture française à l’étranger dans le cadre de sa carrière diplomatique, c’est aujourd’hui la littérature coréenne qu’il s’attache à faire découvrir dans son pays natal et ailleurs.
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Choi Sung-jin Rédacteur en chef de Korea Biomedical Review Ahn Hong-beom Photographe
n 1991, Jean-Noël Juttet quittait la Corée du Sud au terme de six années passées à l’Ambassade de France à Séoul en tant qu’attaché culturel. Ces adieux allaient s’avérer particulièrement tristes, car il s’était épris de son pays d’accueil et de sa littérature, ainsi que de ses habitants et d’une femme en particulier : autant de raisons qui allaient l’inciter à décider d’y rester… pour toujours. Ainsi allait naître l’un des plus brillants binômes de traducteurs de la littérature coréenne. « Suis-je vraiment amoureux de la Corée ? Bien évidemment ! Sinon, pourquoi y serais-je resté après mon départ à la retraite au lieu de rentrer en France et de vivre dans une petite ville tranquille de la côte ? », demande-t-il en guise de réponse. Désireux de rester en contact avec ce pays et les amis qu’il y a toujours, Jean-Noël Juttet n’avait jamais cessé de lire sa littérature, mais aussi d’en traduire des œuvres qu’il a entrepris de faire découvrir en France. La rencontre de celle qui allait être sa partenaire et sa compagne, la traductrice Choi Mi-kyung, a indéniablement joué un rôle décisif dans ce choix. Les trois grands attraits Jean-Noël Juttet explique en ces termes ce qui l’a surtout séduit en Corée. En premier lieu, c’est la passion qui anime les Coréens. « Ce sont des gens très travailleurs et très motivés », estime
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l’ancien diplomate. « En cela, ils sont assez différents des Français, qui ont tendance à être un peu passifs et redoutent souvent un surcroît de travail ». Il apprécie également leur caractère ouvert : « Ils sont d’un abord facile, contrairement aux Japonais, certes très aimables, mais réservés », précise-t-il. Il souligne enfin qu’ils savent se montrer généreux : « Par comparaison, les Français se révèlent très économes et parfois même avares, comme on le voit au restaurant, où ils hésitent à mettre la main au portefeuille. En Corée, au contraire, on se disputerait presque pour inviter les autres et il m’est arrivé de constater que l’addition avait déjà été réglée sans que je m’en aperçoive ». Jean-Noël Juttet a tiré d’autres enseignements de sa longue expérience de la vie en Corée. « Un aspect m’a échappé lorsque j’étais diplomate, car je ne rencontrais alors que des gens bien élevés et cultivés », se souvient-il. « J’ai pu constater par la suite qu’il y avait des ombres au tableau dans les relations avec autrui, où peut régner une certaine « brutalité » pour des raisons d’ordre social. À ce propos, il évoque certaines pratiques dans la conduite automobile. « Les propriétaires de grosses cylindrées d’importation telles que des BMW, Porsche ou Maserati n’hésitent pas à brûler les feux, peut-être parce qu’ils se croient tout permis ou par mépris des moins fortunés qu’eux », affirme-t-il. « Mais
Par ses traductions en langue française, JeanNoël Juttet œuvre à la diffusion de la littérature coréenne à l’étranger. Un tempérament passionné, une grande générosité et une réelle ouverture d’esprit sont des traits de caractère qui lui plaisent particulièrement chez les Coréens. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 41
il est encore plus désolant de voir des gens d’un milieu assez modeste regarder de haut ceux qui sont plus pauvre qu’eux, un comportement que j’attribue en partie à l’influence qu’exerce le confucianisme depuis la période de Joseon ». Du diplomate au traducteur Entre autres adages portant sur la traduction, existe le célèbre « Traduire, c’est trahir » des Italiens. Pour l’infatigable lecteur et traducteur qu’est Jean-Noël Juttet, elle remplit au contraire une précieuse fonction en permettant à la littérature d’un pays de rayonner dans le monde ou tout du moins d’être à la portée de tous. « C’est un travail ardu et astreignant », explique-t-il. « Il faut sans cesse réfléchir à la meilleure façon de restituer les belles phrases des textes d’origine en recherchant les équivalents les mieux adaptés à leur formulation dans une autre langue. Cette tâche met forcément à l’épreuve les qualités rédactionnelles du traducteur et lui apporte ainsi la satisfaction de créer ». Il ajoute cependant que le traducteur n’a pas seulement vocation à transmettre le sens grâce au choix précis du lexique, mais aussi à tirer le meilleur parti d’un savoir-faire écrit pour composer dans une autre langue des phrases dont la beauté lui fera savourer d’autant plus le fruit de ses efforts. En matière de traduction, et à plus forte raison lorsque celle-ci est littéraire, se pose aussi l’éternelle question de savoir si la maîtrise de la langue maternelle importe plus que la connaissance de celle dans laquelle on traduit. À cet égard, le binôme que forment Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet représente une sorte de « troisième voie », car le second y
intervient plus en réviseur qu’en tant que traducteur proprement dit. « C’est Mi-kyung qui choisit et traduit les œuvres coréennes, après quoi elle me soumet le résultat de son travail pour que je l’affine par la réécriture. La possibilité de bien rendre en français ces merveilleux textes coréens me procure un plaisir indicible », confie Jean-Noël Juttet. D’aucuns pourraient s’interroger sur l’efficacité d’une façon de procéder qui, en course à pied, reviendrait un peu à courir avec trois jambes. « Certes, cette méthode de travail n’est pas simple, mais elle présente des avantages », avance Jean-Noël Juttet. « En unissant nos compétences, nous créons une synergie. Comme nous appréhendons chacun le texte avec notre sensibilité propre, l’interprétation qui en est faite par la locutrice de langue maternelle qu’est Mi-kyung permet au Français que je suis de recréer les images et le sens dans sa langue maternelle ». L’homme ajoute que cette préoccupation revient souvent dans les discussions des conférences portant sur la traduction. La formule employée a fait ses preuves et a été consacrée, lors de la dixième édition du concours de traduction de littérature coréenne qui se déroulait en 2011 sous l’égide de l’Institut de la traduction littéraire de Corée, par la remise de son Grand Prix de traduction à Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet. Cette distinction les récompensait de la traduction française qu’ils ont fait éditer en 2009, sous le titre Shim Chong, fille vendue, du roman Shim Cheong dû à l’auteur de renom Hwang Sok-yong. Onze ans auparavant, déjà, leur livraison de L’envers de la vie, traduit de l’œuvre du romancier Lee Seung-u, était parvenue en sélection finale du Prix Femina dans la catégorie de
Œuvres littéraires traduites par Jean-Noël Juttet, un ancien attaché culturel de l’Ambassade de France à Séoul, et Choi Mi-kyung, traductrice et professeur à l’Université. Après que la seconde en a effectué la traduction, le premier intervient pour réviser et réécrire celle-ci.
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la littérature étrangère. « La vie privée des plantes, qui est aussi de Lee Seung-u et a eu plus de succès en France qu’en Corée, a été le premier roman coréen à paraître dans la collection Folio de Gallimard, le prestigieux éditeur d’auteurs tels que JeanPaul Sartre, Albert Camus, Ernest Hemingway et André Gide. Le prix n’est pas une fin en soi L’obtention de prix littéraires n’est pas ce que recherchent nos deux co-traducteurs. « Il va sans dire que nous sommes toujours heureux d’en recevoir dans la mesure où cela représente l’aboutissement de tout un processus, du choix judicieux de l’œuvre à sa bonne traduction », déclare Jean-Noël Juttet. « En fait, notre objectif est plutôt de traduire autant d’œuvres littéraires de qualité que possible. Les prix flattent surtout l’amour-propre et il faut beaucoup de chance pour en gagner ». « Les œuvres couronnées ne sont pas toujours de grande qualité et inversement », précise-t-il, le Prix Nobel de littérature ne faisant à son avis pas exception à la règle. « Bien sûr, on ne pourrait que se réjouir s’il venait récompenser de grands écrivains coréens tels que Hwang Sokyong ou Lee Seung-u », poursuit-il. « Néanmoins, on ne saurait y accorder trop d’importance, car il est arrivé que des écrivains « nobélisés » tombent dans l’oubli par la suite ». Il attire également l’attention sur le traitement très inégal qui est réservé aux auteurs en fonction de leurs pays d’origine et sphère linguistique. « Les plus lus sont anglophones, hispanophones ou francophones, alors que ceux qui écrivent en coréen viennent d’un petit pays qui n’est connu dans le monde que depuis peu », rappelle-t-il. Des disparités de cet ordre se manifestent d’ailleurs au sein même des grands groupes linguistiques. « Aujourd’hui, pour les éditeurs français, les romans des pays anglo-saxons revêtent plus de valeur qu’ils n’en ont réellement », estimet-il. Dès lors, il n’en est que plus convaincu de l’impératif de traduire toujours plus de littérature coréenne et d’encourager la jeune génération en ce sens. « Plus ses oeuvres seront présentes sur les rayons des libraires du monde entier, plus la Corée se rapprochera du Prix Nobel », prédit-il. Quand il lui est demandé de les comparer à celles d’autres pays asiatiques ou occidentaux, Jean-Noël Juttet répond avec circonspection par souci d’éviter tout jugement à l’emporte-pièce. « J’ai lu et apprécié la plupart des grands classiques japonais, mais je suis plutôt déçu par les auteurs contemporains », confiet-il. « Je leur préfère les écrivains coréens, car leurs œuvres possèdent à mes yeux plus de qualités littéraires ». Il souligne aussi l’origine relativement récente de la littérature moderne en Corée par rapport à celle des pays occidentaux, dans la mesure où l’écriture n’y a évolué que plus tard vers sa forme moderne.
« À l’heure actuelle, cet état de choses change beaucoup au fur et à mesure que les écrivains coréens multiplient les contacts avec l’étranger et enrichissent ainsi la créativité de leur écriture. Aujourd’hui, les romans coréens et français ne diffèrent guère que par la présence de référents culturels tels que le kimchi ou le soju dont parlent les premiers ». Les joies du logis Les soirs de semaine comme le week-end, Jean-Noël Juttet passe le plus clair de son temps à réviser les traductions de Choi Mi-kyung, une activité qu’il mène de front avec l’enseignement de la traduction, notamment à l’intention d’étudiants français boursiers du gouvernement coréen, dans le cadre de l’Institut de la Traduction littéraire de Corée, à raison de sept heures par semaine. « Les tâches domestiques font aussi partie de ma vie », confie-t-il. « Mi-kyung étant très prise par son travail d’enseignante, de traductrice et d’interprète de conférences, je m’occupe pratiquement de tout, à savoir du ménage, des courses, de nos animaux de compagnie et de notre jardin. Cette vie paisible me satisfait à double titre : professionnel comme personnel », et d’ajouter que c’est le repassage qu’il préfère. Ce rythme de vie lui permet en outre de disposer de beaucoup plus de temps pour lire. Aimant tous deux rester à la maison, Jean-Noël Juttet et Choi Mi-kyung ne voient que peu de gens, coréens ou français, en dehors du cadre de leur travail. Ces habitants de longue date du vieux quartier de Seongbuk-dong se contentent de saluer leurs voisins lorsqu’ils les croisent en se promenant dans les environs ou en escaladant la montagne voisine. Interrogé sur la raison pour laquelle il ne maîtrise pas la langue coréenne, Jean-Noël Juttet apporte l’explication suivante : « J’ai bien commencé à l’apprendre à mon arrivée en Corée, mais je me suis vite rendu compte que je n’en avais pas besoin, puisque j’étais entouré de tant de Coréens qui parlaient si merveilleusement le français ! ». Ayant longtemps travaillé à jeter un pont entre la culture et la littérature françaises et coréennes, il décèle aujourd’hui des signes tout aussi gratifiants qu’encourageants dans les dernières évolutions qui sont intervenues à cet égard. « Jusqu’ici, les Français voyaient surtout dans la Corée une lointaine nation d’Asie qu’ils ne situaient pas très bien. Ce n’est plus le cas, car non seulement ils sont bien mieux informés sur ce pays, mais ils s’y intéressent aussi toujours plus, comme en témoigne le grand nombre de jeunes qui se lancent dans l’étude de la langue », juge-t-il, et de conclure par ces mots : « Je suis émerveillé par la facilité avec laquelle mes étudiants français s’expriment en coréen et je les envie. À mon avis, ils seront toujours plus nombreux à le faire dans les années à venir ».
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ESCAPADE
Mille et une
RUELLES AUX SENTEURS de pommiers en fleur Située sur une hauteur, comme l’indique son nom signifiant « grande colline », la ville de Daegu est parcourue par d’innombrables ruelles qui étendent leur lacis jusqu’à son sommet et possèdent chacune leur histoire. Sa butte de Cheongna, qui n’est pas sans faire penser à celle de Montmartre, compose avec la cathédrale gothique de Gyesan un merveilleux musée à ciel ouvert témoignant des premiers temps du modernisme coréen. Gwak Jae-gu Poète Ahn Hong-beom Photographe
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Daegu possédait autrefois tant de pommiers que la moindre colline se couvrait de fleurs blanches quand venait le printemps et, dans toute la Corée, il n’y avait pas de meilleures pommes que celles de ses vergers. Sous l’effet des changements climatiques, ces cultures fruitières se sont ensuite déplacées vers le nord, de sorte que presque rien ne subsiste des pommeraies d’autrefois.
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uand j’avais dix-sept ans, j’ai fait un voyage scolaire, ce qui ne pouvait que m’enthousiasmer à la perspective de découvrir des lieux historiques en cette fin d’études secondaires. Notre excursion avait pour destination la capitale du royaume de Silla que fut jadis Gyeongju. Dans le car qui nous y menait, est soudain apparue à la fenêtre une colline plantée de nombreux pommiers aux fleurs blanches tout épanouies en cette saison nouvelle. Au moment où j’ouvrais la vitre, un coup de vent en a soudain emporté et répandu un peu partout, ce qui m’a permis de constater que l’expression « pluie de pétales » n’était pas surfaite dans ce cas. Le car a poursuivi sa route sous cette averse qui a duré encore un moment, puis est enfin entré dans Gyeongju, but de notre voyage, quoique le souvenir que j’en garde ne soit pas tant celui de riches vestiges historiques que de ces taches blanches qui voletaient en tous sens dans cette autre ville construite à flanc de coteau qui avait pour nom Daegu. Si bien du temps a passé depuis, ce lieu est toujours associé, dans ma mémoire, au parfum de ces arbres de Daegu qui recouvraient les versants de colline où se blottissaient les habitations. En ce temps-là, nul doute qu’un tel paysage était propre à inspirer des sentiments poétiques, mais quarante-cinq ans plus tard, l’aspect des lieux a considérablement changé. Des vergers d’autrefois, les changements climatiques et l’essor
de cette métropole de 2,5 millions d’habitants n’ont épargné que quelques arbres. « Un voyage des temps modernes : mille et une ruelles et leur histoire ». C’est par ces mots que j’ai été accueilli à mon arrivée au centre-ville. Ils étaient inscrits sur des panneaux indicateurs que l’on avait placés à l’entrée de toutes les ruelles et qui semblaient ainsi les jalonner comme des bornes. Ils ne se distinguaient que par leurs noms, qui allaient de la « ruelle des chaussettes » à celle de l’imprimerie, en passant par les tripes et la côte de bœuf. J’ai trouvé fort sympathique cette idée de mettre ainsi en valeur chaque rue sur le plan touristique par l’attribution d’un thème particulier. Un témoin de l’histoire moderne Les habitants de longue date de Daegu aiment à gravir une petite hauteur appelée Cheongna, c’est-à-dire du « lierre bleuté », sur laquelle se trouvent nombre de constructions datant des premiers temps du modernisme coréen tels qu’églises, écoles ou hôpitaux. Avec leurs murs en brique rouge tapissés de lierre toujours vert qui attiraient alors le regard, ces constructions à l’apparence peu commune n’étaient pas sans rappeler celles de la butte Montmartre, alors les gens qui habitaient depuis longtemps le quartier et l’appréciaient pour cette même raison finirent par l’appeler ainsi.
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Le compositeur Park Tae-jun (1903–1986), qui vit le jour à Daegu, est l’auteur d’une œuvre musicale appartenant au genre du chant lyrique dit « gagok » et intitulée Dongmu saenggak, c’est-à-dire « en souvenir d’un ami ». L’anecdote suivante se rattache à sa création. Épris d’une jeune fille qui fréquentait l’école de Sinmyeong, Park Tae-jun s’en ouvrit au poète compositeur de sijo Lee Eun-sang (1903–1982), qui écrivit le texte suivant en 1922. « Mon cœur est comme la colline de Cheongna / Mon amie est pareille à un lys / Quand tu fleuris dans mon cœur / Toute tristesse disparaît ». Pour tous ceux qui vivaient une première déception sentimentale, ces paroles furent inoubliables, tout comme la musique de cette chanson qui émeut toujours les Coréens. Tout en haut de la colline, s’élèvent trois maisons qui, à la fin du XIXe siècle, étaient destinées aux prêtres des missions en Corée, dont la Switzer House et son jardin où se dresse encore un descendant du premier pommier qui fut introduit des États-Unis. C’est Woodbridge O. Johnson, le premier directeur de l’Hôpital Dongsan, qui apporta celui-ci du Missouri en 1899 pour le planter dans son jardin. Si cet arbre a bien évidemment disparu, il a joué un rôle important dans l’histoire de la région, car ceux qui l’ont suivi ont produit la fameuse pomme de Daegu, cette jolie variété rouge pas plus grosse qu’une prune. À partir de la colline de Cheongna, on gagne le centre-ville par un grand escalier dit tantôt « des 90 marches », tantôt « du mouvement d’indépendance du 1er mars », une expression faisant référence au soulèvement estudiantin qui se déclencha dans tout le pays, le 1er mars 1919, pour réclamer l’indépendance de celui-ci. C’est par cette ruelle que les jeunes contestataires d’alors se rendaient en forêt pour y défendre à cor et à cris la souveraineté nationale. Dans le but d’échapper à la police japonaise, ils auraient revêtu la tenue caractéristique des commerçants, tandis que les étudiantes portaient des bassines sur la tête comme pour aller faire la lessive au ruisseau. Parvenu en haut de l’escalier, le promeneur découvre la
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1. Dans le jardin de la Switzer House, une construction datant de 1910, se dresse encore un descendant du premier pommier qui fut introduit des États-Unis. C’est là que vécut la missionnaire américaine Martha Switzer qui repose au Jardin de la compassion voisin. 2. Édifice de style gothique datant de 1902, la cathédrale de Gyesan fut le premier bâtiment de style occidental dont se dota Daegu et elle constitue un magnifique spécimen de cette architecture religieuse qui faisait alors son apparition en Corée.
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rue principale du village et la cathédrale de Gyesan. Construit en 1902, ce premier édifice gothique de Daegu est aujourd’hui la plus ancienne de toutes les cathédrales coréennes. À notre arrivée sur les lieux, une messe s’y déroulait et la chaleur qu’exprimait la voix de l’officiant produisait un effet rassurant en se conjuguant avec celle des rayons de soleil qui entraient par les vitraux. Le 5 mai 1984, le pape Jean Paul II célébra en ces lieux la messe de canonisation de 103 martyrs catholiques originaires de toute la Corée. Qui aurait imaginé que le pape en personne dirait la messe dans cette cathédrale quatre-vingt-deux ans à peine après son achèvement ? Une rue encore plus petite qu’on le croirait En longeant la cathédrale de Gyesan par une ruelle en pente, on se trouve devant l’ancienne maison de ce « poète du peuple » que fut Yi Sang-hwa (1901–1943).
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1. Le marché traditionnel des simples de Daegu, dont l’origine remonte à 1658, est le plus grand de tous ceux que comptent les provinces méridionales sud-coréennes. À sa plus belle époque, sa réputation attirait des marchands étrangers venus de Chine et du Japon, mais aussi de la lointaine Arabie. 2. Célèbre pour des œuvres où s’exprimait son refus du colonialisme japonais, le poète Yi Sang-hwa (1901–1943) habita quatre années durant, à partir de 1939, cette maison qui abrite aujourd’hui un musée consacré à sa vie et à son œuvre.
Sur cette terre appartenant aujourd’hui à d’autres, Le printemps viendra-t-il dans ces champs qui nous ont été arrachés ? Baigné de lumière, Me dirigeant vers ce lieu où se rencontrent ciel bleu et champs verts, Je marche comme en rêve sur le chemin Qui coupe à travers la rizière comme une raie.
Depuis quelque temps, cette ruelle ancienne où s’alignent les petites herboristeries reçoit souvent la visite de jeunes gens et touristes de tous âges qui fréquentent ses cafés à l’intérieur raffiné. Ce lieu si particulier où se mêlent odeurs de café et de plantes aromatiques ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde, pas même à Bénarès ou à la médina de Fès.
C’est par ces vers que commence le poème de Yi Sang-hwa intitulé Le printemps viendra-t-il dans ces champs qui nous ont été arrachés ?, un texte qui bouleversa tout un peuple assoiffé de liberté et d’indépendance. Le Japon colonial fit aussitôt saisir la revue littéraire dans laquelle il avait paru et qui se nommait Gaebyeok, c’est-à-dire « grand commencement », trahissant ainsi la crainte que lui inspirait cette œuvre poétique. Dans le prolongement de cette ruelle, s’étend celle dite de Jingolmok, un vocable du dialecte de Daegu signifiant « ruelle longue ». Elle est si célèbre que, quand quelqu’un de Daegu dit « Retrouvons-nous là-bas ! », chacun sait qu’il s’agit de ce lieu, même si elle n’est en fait pas aussi longue que son nom le laisse entendre. À cet égard, elle n’a rien à voir avec les dédales où l’on peut se perdre à chaque instant à Bénarès ou à la médina de Fès, qui est inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette différence tient certainement à la con-
dition sociale de leurs populations respectives, car, tandis que les ruelles indiennes abritaient de modestes habitations, celle de Gingolmok accueillait les lettrés confucianistes qui composaient l’élite de la société. Aujourd’hui encore, je me souviens de mon premier voyage à Bénarès. Nourrissant l’ambitieux projet d’établir la « carte du labyrinthe », je me suis engagé dans la ruelle du crématorium. La mousson s’ajoutait à la confusion qui régnait dans ce passage de moins d’un mètre de largeur où s’engouffrait à chaque instant un cortège funéraire. L’odeur y était épouvantable et les prières invoquant Shiva, des plus lugubres. Pour une raison inexplicable, les vaches y circulaient aussi en grand nombre et, quand surgissait l’une d’elles, on en était réduit à se plaquer contre un mur et à attendre qu’elle passe son chemin en frôlant les gens. J’ai renoncé ce jour-là à toute idée de cartographier les lieux en faisant l’expérience de la vie dure et trépidante que menaient les gens de Bénarès et que je ne me sentais pas de taille à affronter. Les bonheurs d’un vieux marché J’ai poursuivi mon chemin jusqu’au marché traditionnel des simples de Yangnyeongsi qui se trouve à dix minutes à peine de Gingolmok, aussi appelé affectueusement par les habitants « ruelle des plantes médicinales ». Dès qu’il y pénètre, le promeneur hume des parfums d’infusions en tout genre et les habitants disent parfois pour plaisanter, mais non sans une certaine fierté, qu’il suffit de venir pour être aussitôt guéri. La médecine par les plantes reposant avant tout sur les effets bienfaisants de leurs odeurs contre les énergies nocives qui peuvent s’introduire dans le corps, les riverains du marché sont chanceux à cet égard, puisque, dès les premières manifestations d’une grippe ou d’une indigestion, il leur suffit de parcourir ce marché pendant une ou deux heures pour sentir ces symptômes disparaître. Comment en serait-il autrement,
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s’agissant de ce commerce traditionnel printanier et automnal de plantes médicinales qui remonte à 1658 ? À sa plus belle époque, il prit même une envergure internationale car sa réputation attirait des marchands étrangers venus de Chine et du Japon, mais aussi de la lointaine Arabie. Pour les voyageurs à l’odorat fin d’aujourd’hui, c’est aussi un lieu à ne pas manquer. Je décide maintenant de me rendre au marché de Seomun et, à la vue de cette succession interminable d’étals proposant fruits et légumes, vêtements, poisson, viande ou aliments séchés, je ne tarde pas à me rendre compte qu’il dépasse par ses dimensions tous ceux que compte le sud de la péninsule. Portant mon choix sur un calmar séché, je m’éloigne en le mâchonnant et plus je m’avance, plus ce lieu me semble sans fin. Il faut avoir goûté au plaisir de marchander sur un marché à l’ancienne. À ce propos, me revient à l’esprit l’anecdote suivante qui s’est passée au Grand Bazar d’Istanbul. Apparu au XVesiècle, il rassemble quelque 5000 étals où le moindre article est de fabrication traditionnelle. Accessoires ménagers, mobilier, habillement, soie, argenterie ou tapis : tous ont été créés et décorés exactement comme au Moyen Âge. Souhaitant acheter un tapis tissé à la main sans avoir à le transporter moi-même, j’ai précisé au marchand que je l’achèterais à condition qu’il se charge de me le faire parvenir en bon état en Corée. À ces mots, il a tiré une pile de contrats d’un vieux coffre-fort. Quelle n’a pas été ma surprise en voyant que certains d’entre eux remontaient au XVe ou au XVIesiècle et
que figuraient sur tous le dessin d’un crâne humain accompagné de ces mots terribles : « Honorer son contrat ou mourir » ! Il ne m’en fallait pas plus pour accorder ma confiance à cet homme et, deux semaines après mon retour en Corée, je recevais comme convenu mon tapis soigneusement emballé. Le souvenir d’un chanteur disparu trop tôt Le marché de Bangcheon existe quant à lui depuis que, pendant la Guerre de Corée, des réfugiés nord-coréens et des citoyens sud-coréens déplacés qui ne pouvaient plus rentrer chez eux se mirent à y vendre. Quand il connut son heure de gloire, il devait être fort d’un millier d’étals dont les marchands avaient autant de vies différentes à raconter. Après bien des hauts et des bas, il perdit de son ampleur et ne fut plus fréquenté que par une clientèle très modeste. Pour éviter qu’il ne tombe tout à fait dans l’oubli, un espace commémoratif y est désormais consacré au défunt chanteur Kim Kwang-seok. Dans l’une de ses allées à peine assez large pour laisser passer trois ou quatre personnes marchant de front, hommage est rendu à cet artiste en évoquant sa vie et ses chansons par des peintures murales où figurent des extraits de ses textes et des citations de ses propos. Un podium en plein air permet aussi de faire interpréter ses titres à succès, tandis que des musiciens de rue assurent une animation tout au long de cette allée. Kim Kwang-seok était au nombre des chanteurs populaires les plus appréciés des Coréens et ses chansons ont apporté du
Le Rocher du chapeau se dresse au mont Palgong
Lieux à visiter à Daegu
Séoul 290 km Daegu
Jingolmok
La « ruelle des tripes » d’Anjirang L’Observatoire du mont Apsan
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Sur le marché de Bangcheon où Kim Kwang-seok passa son enfance, l’espace qui lui est dédié est particulièrement apprécié des visiteurs, toujours nombreux à parcourir une étroite allée dont les fresques murales évoquent la vie et les chansons de cet artiste décédé en 1996 à l’âge de 32 ans.
réconfort aux Coréens opprimés par des régimes autoritaires ou dictatoriaux, ce qui leur était d’une grande aide par ces temps difficiles. Les jeunes gens d’une vingtaine d’années fredonnaient sa Lettre d’un soldat quand ils partaient effectuer leur service militaire, tandis que les trentenaires préféraient Vers l’âge de trente ans et que L’histoire d’un vieux couple exprimait la tristesse d’un homme et d’une femme âgés malmenés par la vie. L’idée de rappeler le souvenir d’un artiste dont la vie et l’art étaient l’émanation de ce marché de Bangcheon où son père tenait une échoppe s’est avérée excellente en attirant en permanence la foule des curieux venus se remémorer ce chanteur et on peut affirmer sans exagération que cette visite a pris la dimension d’un culte pour les inconditionnels de Kim Kwang-seok. Cet engouement concerne non seulement les Coréens qu’ont émus la musique et la vie de ce chanteur mort à l’âge de 32 ans, mais aussi les touristes d’autres pays d’Asie. À la tombée de la nuit, je me dirige vers la ruelle des gopchang, c’est-à-dire des tripes de bœuf ou de porc, qui se situe à Anjirang, séduit par le nom « ruelle de la jeunesse » qui figure
sur le plan de la ville. Qui n’aime pas parfois se replonger dans l’époque de sa jeunesse ? Les jeunes d’aujourd’hui parcourent aussi le marché, main dans la main, et les autres se consolent en pensant au bon vieux temps. En arrivant dans cette ruelle, je suis ébahi par le nombre de restaurants qui proposent à leur menu des spécialités à base de tripes de bœuf ou de porc et imagine qu’il ne doit y en avoir autant nulle part ailleurs dans le monde. Je n’ai quand même pas le courage de manger seul dans un lieu où règne une telle animation et crois me souvenir que le marché d’autrefois avait pour slogan : « Venez avec vos amis boire, parler et tomber amoureux ». Reprenant mon plan, j’y découvre une « ruelle du marché nocturne des dokkaebi » située dans le quartier de Gyo-dong, alors je me dis que ma prochaine halte est toute trouvée et que j’y rencontrerai peut-être un dokkaebi esseulé qui voudra bien se joindre à moi pour dîner. À l’idée de me lier d’amitié avec l’un de ces lutins mythologiques qui peuplaient les livres d’histoire de mon enfance, je cours visiter ce lieu merveilleux.
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LIVRES
et CD
Charles La Shure Professeur au Département de langue et littérature coréennes de l’Université nationale de Séoul
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Un conte de fées moderne à l’atmosphère à la fois réaliste et magique One Hundred Shadows (cent ombres) Hwang Jungeun, traduit par Jung Yewon, 2016, Tilted Axis Press, Londres, 152 pages, 8,99 £
Une jeune fille prénommée Eungyo s’enfonce dans une forêt inconnue en poursuivant une mystérieuse ombre. Il y pleut et y fait soleil en même temps, un phénomène appelé « pluie de renard » en coréen, tandis qu’une étrange brume enveloppe le paysage. Entendant l’appel de son bien-aimé, Eungyo se rend compte que cette ombre n’était autre que la sienne. Par cette entrée en matière, ce conte merveilleux des « cent ombres » s’aventure dans un monde d’obscurité et de lumière où le lecteur perdra et retrouvera tour à tour son chemin au fil du récit touchant des liens qui unissent Eungyo et Mujae. Si l’intrigue y a pour seuls décors le quartier des magasins d’électronique de la capitale et celui où vivent les deux protagonistes, elle se développe dans une atmosphère mêlant réalisme et magie de la première scène de la forêt à la dernière, qui se passe sur une île plongée dans les ténèbres. Le lecteur sera tenté de rechercher le sens des symbo les qui émaillent ce conte à la dimension de légendaire. Celui de la forêt toujours empreinte de mystère ne représente-t-il pas le subconscient et l’île, la solitude ? Et qu’en est-il de ces ombres dont le fil conducteur parcourt l’ensemble du récit ? Correspondraient-elles, comme le laisse entendre Hwang Jungeun, à cette part d’ombre qui est en chacun de nous ? Estce pour cela que les autres personnages veulent dissuader Eungyo de suivre l’ombre qui lui apparaît et ne peut que la fourvoyer ? Autant d’aspects qui font la beauté des contes de fées, à savoir que si leurs messages et symboles paraissent évidents, leurs histoires se prêtent à de multiples interprétations. Si l’ombre rappelle souvent les composantes les plus sombres de la personne humaine, elle n’en est pas moins indissociable de la lumière. Ce roman montre en effet qu’elle fait partie intégrante de chaque être et doit coexister en lui avec la lumière pour que celui-ci vive pleinement. D’autres y verront plus un effet qu’une cause. Par ailleurs, quelque certitude que l’on puisse avoir à ce sujet est battue en brèche par les ambiguïtés du langage. Comme tout un chacun l’a constaté, à répéter excessivement un mot, on finit par en galvauder peu à peu le sens. Éloigné de sa signification, il devient un non-sens. Au fur et à mesure qu’Eungyo et Mujae répètent des mots tels que « volute » ou « quartiers pauvres », leur son même paraît étrange, voire incongru. En quoi est-ce donc si important ? L’une des différentes explications possibles en est que les symboles n’ont d’autre signification ou sens que ceux que nous voulons bien leur donner. De même que la langue recourt à un symbolisme qui s’avère arbitraire, les symboles du quotidien auxquels nous accordons de l’importance ne sont pas gravés dans le marbre. Il appartiendra au lecteur de décider si ce conte merveilleux a ou non pour propos d’inciter à la réflexion et à la méditation. Son style sans prétention en facilite certes la lecture, mais il faut savoir s’arrêter sur ses métaphores et symboles pour s’interroger sur leur sens. Tout part de l’idylle simple, douce-amère et, en un mot, humaine qui se noue entre ces deux jeunes gens s’efforçant, chacun à sa manière, de don-
ner un sens à leur vie. Cette construction serait-elle aussi creuse et légère qu’une poupée russe dont le vingt-neuvième et dernier élément aurait la taille d’un petit pois que l’on écraserait du pied sans même s’en rendre compte ? À moins que l’on n’y voie une route sombre aux rares réverbères sur laquelle on s’avancerait avec espoir dans l’inconnu ? Telles sont les questions qui se posent à la lecture de ce livre donnant donc matière à réflexion.
À la découverte d’une architecture coréenne futuriste The Frontline of Korean Architecture : DOCUMENTUM 2014–2016 (« l’avant-garde de l’architecture coréenne : DOCUMENTUM 2014–2016 »)
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Kim Sangho, 2016, Archilife, Séoul, 244 pages, 146,24 $
En matière architecturale, la Corée évoque avant tout au public l’image traditionnelle de toits de palais ou temples aux courbes plongeantes et aux charpentes élaborées, de forteresses de montagne toujours imposantes malgré l’usure de leurs pierres ou d’humbles maisons à toit de tuiles, ces hanok d’autrefois pleins de charme. Si ces trésors du patrimoine suscitent à juste titre l’admiration, ils ne sont pas entièrement représentatifs de l’architecture coréenne, car celle-ci cherche constamment à se renouveler par des expérimentations qui empruntent aux traditions pour concevoir des styles nouveaux et appréhender différemment la création. C’est cette recherche d’innovation que se propose de faire découvrir The Frontline of Korean Architecture: DOCUMENTUM 2014–2016 à partir d’articles d’anciens numéros de la revue d’architecture DOCUMENTUM, dont la première parution remonte au printemps 2014. Cette nouvelle livraison se présente comme une initiation à l’architecture contemporaine coréenne à l’intention du lectorat anglophone. Comme le sous-entend son titre, les réalisations décrites ne se situent pas dans la continuité de l’architecture contemporaine, mais résolument à son avant-garde. Le propos n’est pas ici de passer froidement en revue ses réalisations en s’abstenant de tout commentaire, mais d’analyser de manière approfondie le processus de la création en s’intéressant notamment à la façon dont une idée de départ est mise en œuvre concrètement. Cette démarche dynamique est particulièrement évidente dans le corps de textes composé de trois longs articles portant sur un nouveau complexe qui abrite des terrains de volleyball et accueille des salons internationaux, ainsi que sur la rénovation d’une maison datant des années 1930. Quinze articles plus courts retracent les étapes de la construction de bâtiments d’origine plus récente. Cet ensemble se complète d’une rubrique qui, sous le titre Faits, rassemble des dessins, plans et photographies déjà publiés dans les numéros précédents, c’est-à-dire de l’hiver 2013, qui a vu la parution du numéro zéro, à l’automne 2015. Tous les articles sont abondamment illustrés de schémas et photos, ces dernières méritant notamment qu’on en fasse mention, car elles constituent à elles seules des œuvres d’art qui attestent du haut degré d’évolution des constructions décrites. Que celles-ci fassent appel à des éléments de l’architecture traditionnelle coréenne ou s’inscrivent en rupture avec elle, ces réalisations seront toutes d’un grand intérêt pour le lecteur féru de design et d’esthétique. Nul doute que les étudiants en architecture y apprécieront en particulier les efforts entrepris pour donner vie à ces bâtiments, non seulement par leur réalisation matérielle, mais aussi en tant qu’expression des rapports complexes qui unissent les idées et activités humaines.
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UN JOUR COMME LES AUTRES
CE BONHEUR
qui donne du goût à tout Selon le Registre des franchises commerciales par secteur d’activité établi par l’Agence coréenne de médiation pour le commerce équitable, les restaurants de poulet frit étaient en 2016 au nombre de 24 678 et se classaient ainsi en deuxième place derrière les 30 846 supérettes ouvertes 24h/24 que compte le pays, les restaurants coréens venant ensuite avec seulement 19 313 établissements. Les restaurateurs font toujours plus le choix de ce commerce franchisé de poulet frit qui, moyennant le respect de quelques principes, garantit une certaine rentabilité sans exiger de savoir-faire particulier. Jo Eun Poète et auteur de livres pour enfants Ha Ji-kwon Photographe
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ans son entreprise, qui n’a pas songé, en s’estimant tant soit peu mis sur une voie de garage, à démissionner pour monter son affaire, certain de posséder les compétences requises pour mener à bien son projet ? Chacun a ainsi l’espoir de prendre un nouveau départ tant qu’il est encore temps tout en faisant aussi des envieux ! En réalité, les choses sont loin d’être aussi simples, car la création d’une entreprise occasionne bien des soucis et problèmes. Au vu du nombre de ceux qui s’engagent quand même dans cette voie, on se dit que la souffrance au travail n’est pas un vain mot, la difficulté de retrouver un emploi correct suite à un départ en retraite anticipée expliquant aussi ce phénomène. En ces temps de faible croissance, voire de récession, nul n’est assuré du succès d’une entreprise commerciale et, à cet égard, Jeong Cheol-sun peut se flatter d’avoir réussi dans la gestion du restaurant de pou-
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let frit qu’il exploite en franchise dans un quartier de Séoul appelé Seochon. Ce patron heureux a fait encadrer, pour mieux s’en inspirer, la devise familiale selon laquelle « Quoi que l’on fasse, il faut toujours faire de son mieux ». Aujourd’hui âgé de cinquante-sept ans, il exerce depuis déjà vingt ans et cette précieuse expérience a même fait des émules au sein de la maison mère. « En tant que membre du Conseil de gestion, j’assiste souvent à des réunions avec le président et les directeurs au siège social », explique ainsi Jeong Cheol-sun. « Nous fixons nos objectifs en fonction des résultats atteints et je participe beaucoup aux décisions. À plusieurs reprises, cela m’a même valu de recevoir un prix ». À l’occasion d’une manifestation qui se déroulait au Centre international des congrès de l’île de Jeju, l’entreprise a affrété dix avions pour le transport du personnel. Jeong Cheol-sun allait une fois encore y ravir le premier prix et monter sur le podium aux
côtés de toute sa famille. Dans son secteur d’activité, le couple Jeong est désormais bien connu et fait même la publicité de son entreprise à la télévision. Homme et femme donnent une même impression de joie de vivre qui doit venir de ce qu’ils sont toujours souriants, débordent d’optimisme, font régulièrement du sport et s’impliquent dans la vie locale. Le secret du bon goût Après avoir travaillé plus de dix ans dans une grande entreprise de Séoul, Jeong Cheol-sun a compris un beau jour que son emploi de bureau ne lui offrait aucune perspective d’évolution. Son envie de changement allait coïncider avec le décès de son beau-frère, qui occupait un poste administratif à Gongju, une ville de la province du Chungcheong du Sud. Sa veuve est alors venue vivre à Séoul et s’est jointe à Jeong Cheol-sun pour ouvrir un grill de galbi, qui sont des côtes de bœuf. Desservis par leur manque d’expérience, ils allaient devoir fermer à
peine trois mois plus tard et ces premiers pas dans la restauration se sont donc avérés décevants pour Jeong Cheol-sun. C’est ce cruel échec qui incitera l’homme à s’orienter vers le commerce franchisé, garant de plus de sécurité grâce à l’assise financière de la maison mère. Il portera son choix sur une chaîne de restaurants de poulet frit et s’installera dans les locaux de l’ancien magasin de location de cassettes vidéo qu’avait tenu sa femme pendant sept ans. Cette décision n’était pas sans risque. « J’ai longtemps hésité parce qu’il y avait une rôtisserie de poulet juste à côté. En ouvrant mon restaurant de poulet frit, j’allais lui faire concurrence. Mais je me suis dit que le poulet serait frit, et non rôti, ce qui m’a poussé à me lancer. Aujourd’hui, on ne verrait guère de différence, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Malgré tout, nous nous entendons toujours aussi bien, mon voisin et moi ». Dans son commerce, Jeong Cheol-sun propose
Jeong Cheol-sun et son épouse gardent le sourire malgré le dur travail à abattre jour après jour au restaurant franchisé de poulet frit qu’ils tiennent dans le quartier de Seochon situé à Séoul.
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Afin d’obtenir le meilleur goût, il faudrait donc se dire que ce que l’on est en train de faire doit être aussi bon que si c’était pour ses enfants.
aussi de la pizza, des bâtonnets de fromage frits et d’autres en-cas, ainsi que de la bière à la pression, le poulet frit représentant 80 à 90 % de son chiffre d’affaires. Pour préparer ce plat, la recette est identique partout, mais les clients disent toujours qu’ « elle a beau être la même, le résultat est meilleur ici ». Ces compliments ne sont bien sûr pas dus au hasard. Jeong Cheol-sun et sa femme n’ont pas ménagé leurs efforts pour faire mentir l’idée reçue selon laquelle la cuisine est toujours la même dans
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les chaînes de restaurants. Outre les talents de cuisinière de son épouse, qui ont été d’une grande aide pour cet établissement, la réussite de celui-ci repose sur une règle d’or qui veut que l’huile soit portée à une température supérieure de 2°C à celle indiquée dans le manuel fourni par le siège. De l’avis de Jeong Cheol-sun, le poulet n’en est que plus croustillant. « Le manuel est le même partout, mais il peut y avoir une différence de saveur », estime-t-il. « À partir d’ingrédients identiques, le kimchi n’a pas tout à fait le même goût d’une famille à une autre. Dans le poulet frit, c’est la propreté de l’huile qui importe le plus. Nous employons une huile d’olive quatre fois plus chère que l’huile de cuisine ordinaire, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en changer souvent, car sinon, le poulet serait moins goûteux. À l’époque où nous avons ouvert, mon fils venait de naître et il est maintenant en terminale. Je me sers toujours d’huile propre, comme si c’était pour lui ». Afin d’obtenir le meilleur goût, il faudrait donc se dire que ce que l’on est en train de faire doit être aussi bon que si c’était pour ses enfants, mais est-ce suffisant ?
« L’entreprise fait en permanence des études pour améliorer la recette, mais on ne peut pas toujours suivre le manuel à la lettre quand le temps manque. Il faut par exemple badigeonner un par un les morceaux avec la sauce, car, si on les y plonge tous ensemble pour aller plus vite, le goût en pâtira forcément. On doit donc s’en tenir aux principes de base, même en cas de coup de feu. C’est parce que nous le faisons que notre poulet est si bon », affirme-t-il. La recette du bonheur Situé non loin d’un ancien palais royal et autrefois paisible, le quartier de Seochon où Jeong Cheol-sun exploite son restaurant est aujourd’hui très prisé pour sa vie culturelle et d’autant plus fréquenté. Ces transformations n’ont pourtant pas affecté son commerce et, à force de travail, celui-ci a permis à son gérant de faire l’acquisition de la maison de location à deux étages qu’il occupait avec les quatre personnes composant son foyer. Que rêver de mieux ? En revanche, la place de Gwanghwamun se trouvant non loin de là, les manifestations de masse qui s’y déroulent portent tort au commerce du quartier de Seochon. Quand la police anti-émeutes y installe des barrages, Jeong Cheol-sun a du mal à circuler à moto pour faire ses livraisons et ne peut donc pas prendre de commandes. Dans le seul intérêt de ses affaires, il espère un apaisement des conflits politiques et mouvements sociaux, ainsi qu’un retour à la stabilité. Ces jours-ci, le poulet frit connaît une telle vogue en Corée que des restaurants en proposent à tous les coins de rue. Pour Jeong Cheol-sun, ce succès s’explique avant tout par le côté économique de ce plat, mais aussi par sa consistance croustillante et par l’impression d’abondance que donnent tous ces morceaux bien découpés. Lorsqu’il prodigue des conseils à de futurs confrères comme dans la gestion de son affaire, c’est la question des livraisons qui préoccupe le plus Jeong Cheol-sun. Devant souvent effectuer lui-même cellesci, l’homme constate ce qui suit : « Les restaurants d’aujourd’hui font presque tous appel à des coursiers qui prennent environ 3 000 wons par commande, ce qui leur coûte plus cher que s’ils embauchaient des livreurs. Par contre, l’avantage est que le respect du temps de livraison est garanti ». Au fil du temps, la santé de Jeong Cheol-sun paie
2 1. Le couple de gérants doit se charger à lui seul de l’approvisionnement en ingrédients, de la vaisselle, de la cuisine et du service, ce qui ne lui laisse guère le temps de se reposer ou de prendre des vacances. 2. Mari et femme ont la conviction que le secret des préparations qui font leur succès réside dans l’emploi d’une huile de qualité et dans le soin qu’ils apportent à cuisiner au mieux le poulet, exactement comme ils le feraient pour leurs enfants.
un lourd tribut à ce dur labeur. Tous les jours à partir de 11h00, en compagnie de sa femme, il nettoie et découpe les ingrédients, fait cuire les préparations, sert les clients, prend les commandes et les livre. Au plus fort de l’activité, c’est-à-dire entre 17h00 et 21h00, le couple n’a jamais le temps de s’asseoir et il y a tant à faire que le travail ne finit qu’à une heure du matin. Ne prenant jamais de vacances, mari et femme sont au bord de l’épuisement, ce qui n’empêche pas Jeong Cheol-sun d’être satisfait de sa situation et de ne rien espérer d’autre. « Nous ne tenons pas l’un de ces restaurants connus où il faut faire la queue. Nous nous contentons de cuisiner le poulet mieux qu’ailleurs dans la même franchise et cela me convient parfaitement », déclaret-il. Conscient de la place qu’il occupe comme des limites que lui impose son commerce, Jeong Cheol-sun s’en accommode de bonne grâce et garde peut-être pour cela le sourire.
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À
DIVERTISSEMENT
l’affiche depuis le mois de mai dernier, Okja est le premier film coréen dont la diffusion en streaming sur Netflix a coïncidé avec sa distribution mondiale dans les salles de cinéma. Cette manière de procéder a suscité toute une polémique, y compris hors des frontières, notamment lors de la sélection des œuvres présentées au Festival de Cannes. Ces réactions traduisent en réalité le malaise que provoque le streaming. Pour les inconditionnels du bon vieux cinéma analogique qu’évoquaient le Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore et son héros Toto, les films de l’internet ne peu-
grande diversité face aux principaux distributeurs qui ont renforcé leur oligopole en fusionnant verticalement la production et la distribution ». L’évolution due à Netflix Créée en 1997 pour assurer la livraison des commandes de DVD, l’entreprise à la raison sociale composée des mots « Net » et « Flicks » se situe aujourd’hui au premier rang mondial des fournisseurs de streaming. Ce service qu’elle propose depuis maintenant un an permet, moyennant un modique abonnement forfaitaire de 7,99 $ par mois, de télécharger tous les films et feuilletons
tions de contenus appréciés du public, puisqu’elle a débuté dans ce domaine par le fameux House of Cards diffusé en 2013. Le succès remporté par cette série, dont l’investissement de départ s’élevait à 100 millions de dollars, a ainsi permis à Netflix de se faire un nom en tant que producteur de contenus. Quant aux montants engagés pour Ojka, ils se montent à 50 millions de dollars et représentent le plus gros budget de l’histoire du cinéma coréen. La nouveauté qu’apporte Netflix ne réside pas seulement dans le passage à la distribution en ligne, car elle concerne aussi la personnalisation des services à
Ce qui va
CHANGER AVEC NETFLIX La sortie très controversée du film Okja de Bong Joon-ho est très révélatrice du nouveau mode de consommation qu’entraîne la diffusion en ligne dans l’audiovisuel, non seulement en se substituant à la présentation en salle, mais aussi, en amont, par l’influence qu’elle exerce sur la production et la distribution même des contenus audiovisuels. Jung Duk-hyun Critique culturel
vent qu’être de qualité douteuse. À la sortie d’Okja, les trois plus grands distributeurs allaient d’ailleurs l e b oy c o t t e r e t o b l i g e r c e u x q u i souhaitaient le voir à se rabattre sur de petites salles ou sur un abonnement à Netflix qui leur permettrait d’y accéder sur internet. L’important réside toutefois dans les bouleversements qu’entraîne cette diffusion dans les usages d’un secteur jusque-là dominé par de grands distributeurs consacrant d’énormes capitaux à la projection analogique et de ce fait menacés par l’irruption du numérique. En revanche, d’aucuns affirment que « celui-ci autorise une plus
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sur lesquels elle possède des droits de diffusion en streaming, y compris les dernières productions hollywoodiennes et séries télévisées américaines à succès. Dans son numéro 25 de juillet dernier, la revue Weekly Global éditée par l’Agence coréenne des contenus créatifs indique que le nombre d’abonnés à ce service a atteint 140 millions au niveau mondial. Avec une telle audience, Netflix s’impose donc désormais en tant que fournisseur à part entière de produits audiovisuels accessibles sur sa plateforme numérique, mais, au-delà de cette fonction de distribution, elle réalise également une créa-
partir des informations que lui permet de recueillir son mode de fonctionnement. À un abonné qui a une préférence marquée pour certains films ou séries sur les morts-vivants, elle portera ainsi à sa connaissance d’autres œuvres du même type sur sa liste conseillée, ce qui facilitera la tâche de l’intéressé dans ses choix si celui-ci n’a pas le temps de consulter toute l’offre. Alors qu’il fallait autrefois se déplacer pour rechercher ce qui plaisait le plus, les conseils sont aujourd’hui fournis à domicile sur la base des goûts préalablement exprimés. L’analyse de ces données permet aussi d’adapter les œuvres elles-mêmes et
Par-delà la question de savoir si la diffusion sur internet ou la sortie en salle sont les mieux adaptées au Septième art, leur simultanéité dans le cas du film Okja de Bong Joon-ho a déclenché toute une polémique sur l’avenir de la production et de la distribution cinématographiques et télévisuelles.
de les rendre donc plus susceptibles de plaire aux consommateurs. Des changements aussi dans la distribution La concomitance de la projection en salle et de la diffusion en streaming répond aux nouveaux besoins créés par les technologies numériques chez les consommateurs dans le domaine culturel. Passé les inévitables conflits qu’entraîne son apparition, cette pratique ne peut que se généraliser dans la mesure où un retour à l’analogique est fort peu envisageable à l’avenir et il ne sert donc à
rien d’atermoyer. Depuis quelque temps, les producteurs de contenus eux-mêmes semblent travailler à la création d’une nouvelle plateforme, notamment Disney et 21st Century Fox qui, après avoir été les fournisseurs de Netflix, cherchent à consolider leur offre de streaming. Le nouveau mode de diffusion inauguré par Netflix fait ainsi des émules et s’impose toujours plus comme une solution d’avenir, mais la nouveauté allant toujours à l’encontre de ce qui existe déjà, des problèmes surgissent et le grand public en subit les conséquences. Il est certes bel et bon
d’innover, mais on ne saurait oublier que cela exige aussi un certain temps d’adaptation pour l’usager. Le théoricien des médias Marshall McLuhan affirmait : « Le message, c’est le médium », à savoir que toute modification d’un support touche non seulement son enveloppe physique, mais aussi ce qu’il transmet. L’avènement de l’internet suppose aussi d’adapter les œuvres à la diffusion en streaming et la question n’est plus de savoir s’il convient ou non de le faire plutôt que de les mettre à l’affiche des cinémas. À l’avenir, le cycle de production d’un film différera selon qu’il est destiné aux salles obscures ou au cyberespace, et ce, dès l’étape de la préparation de cette oeuvre. Quant aux cinémas eux-mêmes, ils se transforment peu à peu en des sortes de parcs à thème invitant le public à aller plus loin dans la découverte du Septième art. Pour expliquer pourquoi on peut encore y aller voir un film, ils font eux aussi appel aux nouvelles technologies. Par ailleurs, en ce qui concerne les séries, il est fort possible que le public, disposant de trop peu de temps pour les suivre chaque jour à une heure donnée, soit toujours plus désireux d’en voir tous les épisodes d’affilée le week-end ou pendant les vacances. La formule de l’abonnement de type Netflix, en donnant accès à un nombre illimité d’œuvres audiovisuelles, déterminera dans une large mesure la création de celles qui lui sont adaptées. La nouvelle série Kingdom due à la célèbre dramaturge Kim Eun-hee est en cours de production par Netflix, qui affirme donc tout autant sa présence dans ce secteur que dans l’industrie du film et permettra, ce faisant, de faire connaître les œuvres d’auteurs dramatiques à l’étranger par leur diffusion en ligne. Il est impératif de savoir saisir de telles opportunités, car l’enjeu est d’importance pour les créateurs comme pour les producteurs.
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INGRÉDIENTS CULINAIRES
CES HUÎTRES rendues célèbres par la berceuse Bébé de l’île
Coquillages consommés dans le monde entier, les huîtres sont appelées gul en Corée, mais souvent aussi qualifiées de lait ou de ginseng de la mer. Elles prennent place sur les tables pendant la plus grande partie de l’année sous forme de simples marinades au sel, mais également de garnitures destinées au riz, aux soupes et aux galettes. Si leurs propriétés nutritives sont bien connues, il faut aussi savoir qu’elles contribuent à réduire la pollution aquatique. Kwon Oh-kil Professeur émérite au Département des sciences de la vie de l’Université de Kangwon
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n Corée du Sud, tous les enfants ont entendu la berceuse Bébé de l’île et, une fois devenus grands, ils se souviennent encore avec émotion de cette chanson parlant d’un nourrisson qui s’endort pendant que sa mère part ramasser des huîtres. Présent dans les chansons, ce mollusque l’est aussi dans l’alimentation depuis des temps reculés, puisque les hommes préhistoriques le consommaient déjà, comme en attestent les amas de coquilles qu’ils ont laissés sur les côtes. Je lui porte moi-même un intérêt particulier de par mes recherches en malacologie, qui est l’étude des mollusques et, en ce qui me concerne plus précisément, celle de la palourde ou de gastéropodes comme l’escargot. En parcourant la côte à la recherche de matériau de travail, il m’arrive souvent de voir des femmes en train de ramasser des huîtres et je m’arrête alors pour bavarder un instant. Tout en conversant, elles poursuivent infatigablement leur travail et je suis toujours impressionné par la rapidité avec laquelle leurs mains tannées par le soleil vont et viennent pour récolter la précieuse manne des rochers ! À ce rythme que personne d’autre ne pourrait suivre, elles donnent de petits coups sur l’interstice de la coquille bivalve au moyen d’une sorte de crochet métallique, l’ouvrent prestement et prélèvent la chair d’un blanc laiteux qu’elles placent dans un récipient, le tout en un clin d’œil et avec des gestes précis ! La valve supérieure de l’huître, qui adhère au rocher, est plate, tandis que l’autre est légèrement bombée. Les Coréens désignent parfois l’ensemble du mollusque par sa coquille, quand ils ne le font pas en employant l’expression « fleur de pierre » qui peut paraître curieuse. Or, s’ils comparent à une fleur cette coquille agrippée aux rochers, c’est que, de loin, elle y fait effectivement penser lorsqu’il n’en reste que la valve supérieure blanchâtre posée à plat, comme si elle avait éclos sur la roche sombre.
Quand respiration et nutrition viennent en aide à l’environnement En coréen, le mot eori désigne les huîtres sauvages qui vivent ainsi sur les cailloux ou rochers du bord de mer et dont la fraîcheur permet de les consommer en saumure. À la seule évocation de cette appétissante préparation, j’en ai aussitôt l’eau à la bouche ! À partir de ce vocable eori dérivé de l’adjectif verbal eorida, qui signifie jeune ou petit, différentes expressions ont été formées, telles « lotus eori » (Nymphoides indica), « sauterelle eori à longues antennes » (Prosopogryllacris japonica) ou « fourmi bâtisseuse eori » (Xylocopa appendiculata circumvolans). Les huîtres présentes sur le littoral péninsulaire appar-
tiennent à trois espèces et genres différents qui prospèrent surtout dans des zones situées à la ligne de partage des eaux douce et de mer, ou dans celles dites intertidales comprises entre les niveaux des marées les plus hautes et les plus basses, ou encore par vingt mètres de profondeur sous l’eau. Pointue à l’une de ses extrémités, la coquille d’huître présente une plus grande rugosité que celle des autres coquillages. L’huître est, comme cela est indiqué plus haut, un mollusque marin bivalve, c’est-à-dire dont la coquille se compose de deux parties, qui appartient à la famille des pélécypodes (Pelecypoda) de par son pied en forme de hache auquel elle doit ses noms grecs de pelekys, gen, ou pelekeós [ce dernier signifiant « hache à deux fers »]. En milieu intertidal, la valve supérieure se ferme hermétiquement à marée descendante et se rouvre à marée montante. Une huître est capable de filtrer à elle seule jusqu’à cinq litres d’eau de mer par heure en éliminant des matières organiques telles que l’azote, l’acide phosphorique, le plancton ou les bactéries. Ce faisant, elle réduit donc dans une certaine mesure la pollution de l’eau de mer provoquée par l’hypertrophisation de celle-ci, c’est-à-dire son eutrophisation excessive. À sa façon, cet organisme vivant joue donc un rôle dans la protection de l’environnement. Les vertus d’un aliment contre les maladies de l’adulte Quelle que soit la manière dont on l’accommode dans l’art culinaire coréen, l’huître s’avère toujours savoureuse et nourrissante, en particulier sous forme de saumure uniquement à base de sel. Autrefois, Coréens et Japonais s’en servaient d’ailleurs comme fortifiant, d’où l’expression « lait de la mer » qu’employaient ces derniers. Le mollusque tient cette propriété de sa forte teneur en zinc, ce minéral indispensable à la sécrétion de la testostérone, qui est une hormone masculine, mais il renferme aussi du fer, du calcium et quantité de vitamines A, B12 ou D. Ces différents éléments lui confèrent une efficacité certaine contre des maladies de l’adulte telles que l’hypertension, les accidents vasculaires cérébraux, l’artériosclérose, les problèmes hépatiques et le cancer. À cet effet, elle peut tout aussi bien se consommer crue que cuisinée en sauce ou de diverses autres manières, notamment étuvée, accompagnée de riz et comme garniture de galettes ou de soupes, ainsi bien sûr que sous forme de kimchi. La langue coréenne comporte du reste l’expression « comme une bouche à bec-delièvre aspirant une huître crue » pour parler d’une action
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Une huître est capable de filtrer à elle seule jusqu’à cinq litres d’eau de mer par heure en éliminant des matières organiques telles que l’azote, l’acide phosphorique, le plancton ou les bactéries. Ce faisant, elle réduit donc dans une certaine mesure la pollution de l’eau de mer provoquée par l’hypertrophisation de celle-ci, c’est-à-dire son eutrophisation excessive. À sa façon, cet organisme vivant joue donc un rôle dans la protection de l’environnement.
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que la motivation rend d’autant plus facile. Enfin, la consommation d’huîtres est conseillée aux personnes âgées possédant une mauvaise dentition. Si la façon d’accommoder les huîtres se décline en de multiples préparations, les consommateurs occidentaux s’abstiennent en règle générale de les manger crues à une certaine époque de l’année qui est celle des fameux « mois en R », c’est-à-dire de septembre à avril. Le reste du temps, ils se contentent donc de les manger cuites, ce qui s’avère d’ailleurs judicieux, puisque la douceur du climat qui règne durant les mois de mai à août, ceux de la reproduction, favorise la prolifération de bactéries telles que le vibrion cholérique, la salmonelle et le colibacille. La population d’huîtres sauvages ne suffisant pas à répondre à l’augmentation de la demande pour des raisons démographiques, l’ostréiculture coréenne est aujourd’hui en plein essor. Un an après la ponte, les larves nageuses d’huître composant le naissain cèdent la place à des mollusques adultes d’une longueur de sept centimètres et d’un poids de 60 grammes, puis respectivement d’une dizaine de centimètres et de 140 grammes vers la fin de la deuxième année, où la croissance se ralentit. Les huîtres fécondées pondent entre mai et août, les œufs surnageant alors un certain temps avant de former le naissain qui se fixera sur les rochers, les cailloux ou les coquille d’huîtres adultes. La perle : un simple carbonate de calcium En Corée, l’ostréiculture est le plus souvent pratiquée en suspendant un grand nombre de coquilles à de grosses cordes que l’on laisse immergées. Les eaux de la mer du Sud, notamment celles qui baignent les côtes de la ville de Tongyeong, sont particulièrement bien adaptées à ce procédé en raison de la douceur de leurs températures hivernales, de la faible amplitude des marées et de l’absence de grosses vagues du fait de la proximité de nombreuses îles. Cette production est aussi pratiquée
1, 2. Nourrissante et savoureuse, l’huître peut être accommodée aussi bien sous forme de galettes (en haut ci-contre) que de marinades épicées et fermentées, dites respectivement guljeon et eoriguljeot , ainsi que de bien d’autres façons encore, notamment crue et accompagnée de sauce de soja ou de concentré de piment vinaigré dans lesquels on la trempe.
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3. Abondamment exposées au soleil et au vent, les huîtres des marais côtiers de la mer de l’Ouest acquièrent une saveur et une consistance plus agréables que celles qui restent constamment immergées en mer du Sud.
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sur le littoral occidental aux vastes étendues de marais côtiers, mais selon deux méthodes différentes, dont l’une, dite du « lancer de pierre », consiste à jeter des pierres plates dans la mer pour qu’elles se déposent un peu partout sur le fond, tandis que l’autre est appelée « culture du bac et du sac », car réalisée en plaçant le naissain dans des sacs en filet disposés dans des bacs. Ces deux dernières techniques permettent de soumettre l’huître à l’action du soleil brûlant de l’été, puis du vent cinglant de l’hiver comme elle l’est à l’état sauvage. Ainsi exposés aux rigueurs du climat, ces organismes vivants produisent en abondance les substances nutritives capables de les défendre et acquièrent en conséquence plus de saveur que celles qui séjournent en permanence dans l’eau du littoral méridional. Tout comme les plantes cueillies dans la nature, les huîtres sauvages sont toujours d’une qualité supérieure à celle des produits de l’ostréiculture grâce aux composés phytochimiques dont elles se dotent pour résister à un milieu de vie difficile. De même, les hommes qui surmontent les dures épreuves de la vie
en sortent le plus souvent grandis par leur maturité et leurs sentiments humains, ce qui confère à la jeunesse son caractère formateur. Enfin, qui dit huître, dit aussi perle, car la première, lorsqu’elle est perlière, produit naturellement la seconde si un corps étranger quelconque pénètre dans la coquille et y est retenu sous la pellicule appelée manteau qui recouvre le mollusque. Sa présence entraîne la production par le manteau de couches successives de nacre qui protégeront l’organisme vivant et composeront la perle naturelle. La culture des perles ne fait que reproduire ce phénomène en l’accélérant à l’aide de minuscules fragments de coquilles provenant de rivières et introduits entre celle-ci et le manteau de manière à stimuler la sécrétion de nacre. De quelque manière qu’elle s’obtienne et aussi précieuse soit-elle, une perle consiste d’abord et avant tout en une accumulation de carbonate de calcium, à l’instar de ce fragment de carbone très dur qui n’est autre que le diamant.
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APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
CRITIQUE
Quand la chaleur humaine côtoie le froid anonymat d’une supérette 24h/24 Nombre d’écrivains ont déjà situé leurs récits dans ces commerces modernes ouverts jour et nuit. Comme le laisse entendre son titre, celui de Kim Ae-ran s’intéresse plus particulièrement au rapport qu’entretiennent les clients à de tels lieux. L’auteur en fait un symbole de l’époque contemporaine où la froideur anonyme de certains endroits dépouille l’individu de son identité. Choi Jae-bong Journaliste au Hankyoreh
C’
est par sa nouvelle intitulée La maison où l’on ne frappe pas à la porte que Kim Ae-ran se fait un nom en remportant le premier concours littéraire Daesan créé en 2002 à l’intention des étudiants. Son talent précoce, puisqu’elle n’avait alors que vingt-deux ans, ouvrira la voie à de nombreux écrivains de son âge. Les jeunes auteurs féministes qui occupent depuis une place de premier plan dans le monde des lettres n’ont guère plus de cinq ou six ans de moins qu’elle et pourtant, tout se passe comme si le fossé des générations était réel entre elles. Kim Ae-ran a certes entamé très tôt sa carrière, mais sa maturité d’esprit est particulièrement impressionnante pour son âge. De cette même année 2002, date la parution initiale de la nouvelle Je cours les supérettes, qui sera rééditée trois ans plus tard dans le cadre d’un premier recueil de nouvelles intitulé Cours Papa ! Contrairement à ce qui se passe dans l’oeuvre Gens de supérettes pour laquelle la Japonaise Sayaka Murata a remporté l’année dernière le Prix Akutagawa et dont le personnage principal est une célibataire qui a travaillé dixhuit années durant dans des supérettes, Kim Ae-ran observe ces lieux avec les yeux d’une étudiante qui en est cliente. Elle adopte ainsi un point de vue extérieur s’opposant à celui de sa consœur japonaise. La nouvelle s’ouvre sur une série d’affirmations révélatrices de la place occupée par les supérettes 24h/24 dans la vie du personnage principal : « Je cours les supérettes ouvertes 24
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heures sur 24. J’y vais au moins une fois par semaine, mais le plus souvent, j’y retourne à plusieurs reprises dans la journée. Le fait est que je manque toujours de quelque chose ». La jeune femme fait ainsi l’éloge de ces commerces indispensables à sa vie. La nouvelle s’achève d’ailleurs sur ces mêmes phrases, à quelques mots près témoignant de l’évolution qui s’est opérée dans l’idée qu’elle se fait de ces magasins. La clé de cette transformation se trouve dans le corps même du récit. Ces magasins sont apparus un beau jour, « telle une légende venue d’on ne sait où », et font dès lors partie du quotidien de l’homme moderne. Pour le personnage principal, le plus surprenant est que leurs gérants ne se distinguent pas de leur clientèle. L’assurance de rester dans l’anonymat revêt une importance capitale pour les urbains d’aujourd’hui et la jeune femme partage cette préoccupation. Les employés des supérettes doivent s’abstenir de s’immiscer dans la vie privée de ces clients qui ne font que passer en coup de vent, mais le fait qu’ils soient distants peut passer pour de la bienveillance. Si cet anonymat présente aussi bien des avantages que des inconvénients selon les circonstances, la jeune protagoniste n’en perçoit que l’aspect positif. La réalité se chargera cependant de la détromper dans certaines situations. Ce personnage principal est une étudiante qui, près de son université, habite un quartier résidentiel pourvu de trois supérettes. Dans la première, le gérant se montre par trop familier avec les clients en leur posant des questions d’ordre person-
nel, ce qui l’autorise ensuite à prétendre bien les connaître. Son sans-gêne finit par importuner la jeune femme et la contraindre à ne plus revenir, comme si elle le châtiait pour avoir enfreint la sacro-sainte règle de l’anonymat. Pour des raisons analogues, elle cessera également de se servir chez les marchands ambulants qui lui vendaient leurs en-cas jusque tard le soir. La deuxième supérette qu’elle s’était mise à fréquenter ne trouvera plus grâce à ses yeux suite à un petit incident auquel donne lieu l’achat de préservatifs, ce qui peut sembler quelque peu injuste à l’égard de la gérante du magasin. Quoi qu’il en soit, l’étudiante n’a plus qu’à jeter son dévolu sur la troisième et dernière supérette dénommée Q-Mart. Celle-ci s’avérera convenir tout à fait à ses attentes, car le jeune homme qui y tient la caisse ne dit pas mot, sauf en cas de besoin, ce qui ne le rend pas pour autant antipathique, puisqu’il ne manque jamais de saluer les clients, quoique de manière un peu mécanique. De l’aveu même de la jeune femme, « Dans cet univers, les échanges se résumaient pour moi à dire « bonjour » et « merci »». Les faits qui surviendront peu après lui donneront pourtant tort. Sans le vouloir, par sa fréquentation régulière du magasin, elle communique inévitablement certaines informations sur ellemême et sa vie privée. Les produits qu’elle y achète fournissent autant d’indications sur ses habitudes alimentaires, ses conditions d’hébergement, ses liens familiaux et sa région d’origine, voire l’époque de ses règles. Aussi dérisoires ces révélations puissent-elles paraître, leur découverte par la jeune femme correspond à un tournant dans le développement de l’intrigue. Lorsqu’elle se rend compte qu’il n’est et ne peut y avoir d’anonymat complet dans aucune supérette, de sorte que des informations y filtrent toujours plus ou moins sur les personnes et sur leur vie, une sorte d’inversion des rôles se produit entre le caissier de supérette et la cliente qu’il sert. La protagoniste se fait cette remarque : « Cependant, jamais il ne demandait ce que j’étudiais. J’aurais pourtant aimé le lui dire […] », et d’avouer : « Pendant cette minute et demie que le riz tout préparé mettait à chauffer dans le four à micro-ondes ou ces vingt secondes qui suffisaient à ce que finisse d’y tourner le paquet de Lait de Séoul, je me posais des questions sur ce discret jeune homme. », avant de parvenir à la conclusion suivante : « Moi, j’ignore tout de toi. ». Se peut-il qu’elle éprouve de l’attirance pour ce jeune employé ? En réalité, elle cherche sûrement à rétablir un certain équilibre dans la détention des informations et la conduite de cette relation. À ce retournement de situation, succède alors un incident qui porte l’intrigue à son apogée. Quand arrive le soir de Noël et que les rues du quartier se sont vidées de leurs habitants partis fêter l’événement au centre-ville, certaines circonstances obligent la jeune femme à confier ses clés à quelqu’un. Après avoir longuement réfléchi, l’idée lui vient de les laisser au jeune caissier, car c’est la personne qu’elle est amenée
© Paik Da-huim
à voir le plus souvent dans son quartier. Elle découvrira alors à quel point elle était dans l’erreur en pensant qu’il la connaissait ! Celle qui avait fait le choix des supérettes parce qu’elle souhaitait rester anonyme et qui n’hésitait pas à « punir » leurs gérants, lorsqu’ils ne respectaient pas cette volonté, s’est ainsi prise à son propre piège. La jeune femme qui se voulait distante, intelligente et indépendante, se trouve confrontée à un problème qu’elle ne peut résoudre sans aide, le lecteur trouvant que ce rebondissement ne manque pas de saveur. Avant de parvenir à son dénouement, l’intrigue sera marquée par de nouveaux faits tout aussi choquants qu’inattendus, voire violents. Les phrases qui introduisaient le récit y sont reprises dans sa conclusion, comme nous l’avons mentionné plus haut, mais avec un léger changement de formulation. Pour conduire son récit à cette évolution, l’auteur a entremêlé celui-ci de péripéties qui illustrent à l’intention du lecteur les différentes facettes de la problématique posée et les réflexions qu’elles inspirent au personnage principal. Si, au début de l’œuvre, la jeune femme se prononce en faveur de l’anonymat que garantissent les supérettes, elle fait volte-face en remarquant par la suite leurs défauts, voire leurs effets pervers et les maux qu’elles occasionnent. Entre « le fait est que » et « curieusement », un changement est intervenu dans sa manière de voir tout ce qui a trait à l’anonymat. À ce propos, la jeune femme s’adresse directement au lecteur dans ce passage empreint d’une indifférente désinvolture : « Lorsque vous irez dans une supérette, observez bien les gens qui vous entourent. Si la jeune fille d’à côté achète de l’eau minérale, il se pourrait que ce soit pour avaler des somnifères, tandis que si l’homme qui vous suit achète des lames de rasoir, c’est peut-être pour se taillader les veines, et si le jeune homme qui vous précède achète du papier hygiénique, il est possible qu’il veuille s’en servir pour essuyer les fesses de sa vieille maman malade. Essayez de vous en souvenir de temps à autre, mais ce n’est pas grave si vous oubliez. ».
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