IMAGE DE CORÉE
QUAND LA MER MET À NU LE PAYSAGE Kim Hwa-young Critique littéraire et membre de l’Académie coréenne des arts
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es marées sont à la mer ce qu’est la peau au corps, car, lorsqu’elles se retirent deux fois par jour en faisant grossir l’horizon, elles révèlent un paysage insoupçonné. Leur soudain recul réveille les créatures qui sommeillaient çà et là dans les marais. Le poisson se contorsionne sous les coups de bec de l’oiseau qui picore ses écailles argentées et le crabe qui dressait bien haut ses pinces pour attirer une femelle regagne furtivement son trou quand approchent les mouettes. Les gens des marais entrent eux aussi en action pour profiter de l’étale de basse mer. Tirant leur traîneau en lattes de bois et armées de seaux en plastique, sarcloirs, fourches et filets, les femmes glissent ou rampent sur les vastes bancs de boue sans cesser de scruter le sol d’un regard perçant. Avant le prochain flux et jusqu’au crépuscule, il leur faudra sortir le poisson des filets et creuser la boue pour en extraire palourdes et petits poulpes. Esseulés par le départ des jeunes à la ville, épuisés par leur grand âge, ils n’en continuent pas moins de fouiller le sol de leurs doigts noueux afin que leurs enfants puissent croire en l’avenir, alors, pour eux, le marais est pareillement synonyme de travail et de bonheur. À l’ouest et au sud de la péninsule, l’échancrure des côtes, en brisant la force des vagues, favorise la formation de sédiments et de vastes marais légèrement pentus où abonde le plancton au sein d’une flore très variée, ainsi que d’innombrables espèces d’animaux et d’oiseaux aquatiques aujourd’hui menacés d’extinction. Par cette riche biodiversité, les marais côtiers coréens se classent parmi les cinq premiers du monde aux côtés de ceux de l’État américain de Géorgie. Malheureusement, ces écosystèmes régressent partout du fait de la tendance actuelle à l’assèchement et à la mise en valeur des marais. Par son impatience à réaliser des objectifs à court terme, l’homme ne donne plus à la nature le temps de se régénérer, alors que sa survie même dépend de l’existence de ces marais côtiers. Quand vient l’été, les villages de la côte proposent aux vacanciers de la ville des circuits touristiques destinés à les leur faire découvrir. Des petits trains tirés par des tracteurs les y conduiront après qu’ils se seront munis de bottes en caoutchouc, gilets, gants, sarcloirs et fourches de location, ainsi, bien sûr, que du filet qui recueillera leur récolte. Nul doute qu’ils garderont de bons souvenirs de cette journée passée à pêcher le poulpe ou à tirer de la boue coquillages et autres délices, alors osons espérer que cette découverte des écosystèmes et de leur cycle naturel leur permettra de prendre toute la mesure de leur importance vitale.
Message du Président
Un pont interculturel déjà trentenaire Ce numéro d’été de Koreana marque en cette année 2017 le trentième anniversaire d’une revue trimestrielle. Son premier numéro en langue anglaise allait paraître à l’automne 1987, soit un an avant les Jeux Olympiques d’été de Séoul, puis ce fut au tour d’une version japonaise en 1989, qui allait être suivie en 1993 de celle en langue chinoise à l’occasion de l’établissement des relations diplomatiques sino-coréennes, ainsi que, peu après, de ses numéros français et espagnol. À l’aube du nouveau millénaire, la revue lancera aussi des éditions arabe, allemande, indonésienne et russe devant le succès international croissant de la culture populaire coréenne du hallyu, cette fameuse « vague coréenne ». L’apparition du multimédia lui permettra en outre d’étendre son audience au moyen de livres électroniques et d’un webzine (www.koreana.or.kr), des éditions étant aussi disponibles depuis peu en langue vietnamienne, mais aussi coréenne. Depuis sa création, Koreana se penche dans ses articles sur d’innombrables aspects de la culture et de l’art coréens qui vont du paléolithique à l’époque contemporaine et portent tour à tour sur les vestiges archéologiques, les productions des médias et œuvres d’installation, les splendeurs de l’art de cour du royaume de Joseon, la mode et les arts de la rue d’aujourd’hui, la littérature et le cinéma, ainsi que d’autres formes d’expression culturelle. Autant d’opportunités qui s’offrent ainsi aux lecteurs du monde entier de mieux apprécier la culture coréenne dans sa dimension à la fois universelle et originale. En saluant les réalisations ainsi accomplies par Koreana , je tiens à exprimer ma plus profonde reconnaissance au comité de rédaction et à ses rédacteurs en chef, ainsi qu’aux traducteurs, réviseurs et autres contributeurs qui ont d’une manière ou d’une autre participé à la publication de ce périodique. Enfin, tous mes remerciements vont aux fidèles lecteurs étrangers qui lui ont témoigné leur intérêt et leur soutien. Lee Sihyung Président de la Fondation de Corée
Lettre de la rédactrice en chef
Sous les couches successives de l’Histoire Des documents historiques rapportent qu’en l’an 660, lorsque le royaume de Baekje dut s’incliner devant les forces coalisées de Silla et de l’empire chinois des Tang, la ville de Sabi qu’il avait prise pour capitale brûla sept jours durant, de sorte que la plupart de ses réalisations architecturales furent réduites en cendres. En conséquence, que peuvent faire aujourd’hui les visiteurs de ces hauts lieux historiques, sinon s’efforcer de « sentir» à défaut de « voir » ? Voilà longtemps que la rédaction de Koreana souhaitait faire découvrir à ses lecteurs cet État de Baekje qui figura parmi les Trois Royaumes et joua à ce titre un rôle décisif dans la mise en œuvre de l’unité nationale pendant la première moitié du premier millénaire de notre ère. C’est chose faite grâce à la rubrique spéciale que propose le présent numéro. À vrai dire, il n’était guère aisé d’évoquer dans ce cadre, somme toute restreint, l’ensemble des aspects ayant trait à l’histoire et à la culture du vieux royaume dont eut raison la puissance militaire de ses voisins, mais qui reste gravé dans la mémoire de bien des Coréens. Si l’on ne peut que se réjouir que des vestiges se trouvent en assez bon état de conservation au Japon du fait des liens qui unirent jadis ce pays à Baekje, leur nombre et leur valeur restent à déterminer, ce qui représente une tâche complexe. Les articles qui suivent s’attacheront à éveiller l’intérêt et la curiosité des lecteurs de cette revue qui, soit dit en passant, fête cette année son trentième anniversaire. Choi Jung-wha Rédactrice en chef
ÉDITEUR DIRECTEUR DE LA RÉDACTION RÉDACTRICE EN CHEF RÉVISEUR COMITÉ DE RÉDACTION TRADUCTION DIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS DIRECTEUR ARTISTIQUE DESIGNERS
Lee Sihyung Kim Gwang-keun Choi Jung-wha Suzanne Salinas Bae Bien-u, Charles La Shure, Choi Young-in, Han Kyung-koo, Kim Hwa-young, Young-na, Koh Mi-seok, Song Hye-jin, Song Young-man, Werner Sasse Kim Jeong-yeon Kim Sam Lim Sun-kun Park Do-geun Park Sin-hye Lee Young-bok Kim Ji-hyun Kim Nam-hyung Yeob Lan-kyeong
CONCEPTION ET Kim’s Communication Associates MISE EN PAGE 44 Yanghwa-ro 7-gil, Mapo-gu Seoul 04035, Korea www.gegd.co.kr Tel: 82-2-335-4741 Fax: 82-2-335-4743 ABONNEMENTS ET CORRESPONDANCE Prix au numéro en Corée : 6 000 wons Autres pays : 9 $US AUTRES RÉGIONS, Y COMPRIS LA CORÉE Voir les tarifs d’abonnement spéciaux à la page 84 de ce numéro. FONDATION DE CORÉE 2558 Nambusunhwan-ro, Seocho-gu, Seoul 06750, Korea Tel: 82-2-2046-8525/8570 Fax: 82-2-3463-6075 IMPRIMÉ EN ÉTÉ 2017 Samsung Moonwha Printing Co. 10 Achasan-ro 11-gil, Seongdong-gu, Seoul 04796, Korea Tel: 82-2-468-0361/5 © Fondation de Corée 2017 Tous droits réservés.Toute reproduction intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de la Fondation de Corée, est illicite. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction de Koreana ou de la Fondation de Corée. Koreana , revue trimestrielle enregistrée auprès du ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n°Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais, allemand et indonésien.
http://www.koreana.or.kr
Arts et culture de Corée Été 2017
RUBRIQUE SPÉCIALE
Sur les traces du royaume perdu de Baekje
RUBRIQUE SPÉCIALE 1
Un clair de lune à Baekje
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Lee Chang-guy
RUBRIQUE SPÉCIALE 2
La reconstitution d’un royaume ancien à partir de ses vestiges
12
Le hangeul , son invention et son avenir vus sous l’angle du design
Un tour d’horizon de la littérature dissidente nord-coréenne
36
Les chemins de l’utopie
RUBRIQUE SPÉCIALE 4
LIVRES ET CD
“A Greater Music”
26
58
de lyrisme sur la vie et la solitude
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“K-Style : vivre à la coréenne”
Charles La Shure, Kim Hoo-ran
Il y a toujours un « Haruo » en nous
Impressions de Corée
APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
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UN JOUR COMME LES AUTRES
Le poulpe, une chair tendre sous un aspect peu engageant
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Choi Jae-bong
Haruo plus qu’à moitié
Christophe Piganiol
INGRÉDIENTS CULINAIRES
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Les retrouvailles de camarades du lycée témoignent d’une amitié éternelle Kim Yoo-kyung
REGARD EXTÉRIEUR
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MODE DE VIE
Un livre sur le pourquoi des façons d’être coréennes qui vient à point nommé
Gwak Jae-gu
Lee Chun-suk manie les ciseaux avec talent et entrain
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Ha Jong-moon
Un monologue original et plein
Kim Hak-soon
ESCAPADE
RUBRIQUE SPÉCIALE 5
Les sujets de Baekje au Japon
Kim Jeong-wan
Chung Jae-suk
HISTOIRES DES DEUX CORÉES
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Kim Tae-shik
Le grand encensoir de Baekje perpétue l’âme de son peuple
Choi Yeon
DOSSIERS
RUBRIQUE SPÉCIALE 3
Quand un royaume ressurgit d’un tombeau
Lee Jang-wook
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Soul Ho-joung Chroniqueuse culinaire
Kim Seo-ryung Couverture Pagode en pierre à cinq étages du temple de Jeongnim Yoo Youn-bin, 2011, encre et couleur sur papier de mûrier, 30 x 30 cm
RUBRIQUE SPÉCIALE 1 Sur les traces du royaume perdu de Baekje
UN CLAIR DE LUNE À BAEKJE Lee Chang-guy Poète et critique littéraire Ahn Hong-beom Photographe
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Les lumières s’allument par-delà les murs de la forteresse de Gong qui ourle une colline dominant le Geum. Longue de 2 660 mètres, elle fut édifiée en l’an 475 à cet emplacement pour tirer parti de sa topographie en vue de la défense d’Ungjin, que venait de prendre pour capitale le royaume de Baekje et qui est l’actuel Gongju situé dans la province du Chungcheong du Sud.
Fondé en l’an 18 avant Jésus-Christ, le royaume de Baekje fut vaincu en 660 par Silla, qui allait également soumettre Goguryeo huit ans plus tard, réalisant une union nationale inédite par l’absorption du premier et du second dans le cadre de l’État de Silla Unifié. Au sein de cet ensemble, Baekje se montra le plus actif de tous dans ses échanges avec la Chine et le Japon et occupa une place centrale au sein de l’Extrême-Orient, mais son rôle historique allait après sa chute être dénaturé, puis tout à fait oublié. À l’époque moderne, la découverte de nombreux sites et objets archéologiques allait toutefois permettre de le redécouvrir et d’apprécier à sa juste valeur son héritage, que les paragraphes suivants se proposent d’évoquer en retraçant son histoire. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 5
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ors de sa trente-neuvième session, qui s’était ouverte le 15 juillet 2015 à Bonn, le Comité du Patrimoine mondial de l’UNESCO a pris la décision d’inscrire les « aires historiques de Baekje » sur sa Liste du Patrimoine mondial en raison du rôle qu’a joué cet État coréen ancien dans l’essor de la civilisation de l’Extrême-Orient. Son héritage se compose des huit sites archéologiques urbains que sont la Forteresse de Gongsan et les tombes royales de Songsan-ri, une agglomération de Gongju, les ruines des bureaux de l’administration de Gwanbuk-ri, la Forteresse du Mont Buso, les tombeaux royaux de Neungsan-ri et les remparts de Naseong situés à Buyeo, ainsi que le site du palais royal de Wanggung-ri édifié aux côtés du temple de Mireuksa, à Iksan. Au fil des siècles, ces murs, temples et pagodes ont résisté aux assauts du soleil, du vent, de la pluie ou de la neige et plus de 1300 ans plus tard, ils témoignent encore de ce que fut la vie des Coréens anciens.
Une histoire en devenir Voilà encore peu, bon nombre de vestiges de Baekje étaient toujours ensevelis dans le sol, puisqu’il a fallu attendre l’été 1971 pour que soit mis au jour à Songsan-ri un tombeau qui allait s’avérer être celui du roi Muryeong, vingt-cinquième du royaume de Baekje. En décembre 1993, l’origine royale de ceux de Neungsan-ri allait à son tour être située à cette époque suite à la découverte d’un grand encensoir splendide en bronze doré, ainsi que d’autres vestiges qui gisaient non loin d’un temple royal. Une campagne de fouilles avait été entreprise en 1975 à l’emplacement des anciennes murailles de la ville de Buyeo. Elles allaient permettre de découvrir toujours plus d’objets de taille plus ou moins importante en dépit des difficultés de localisation inhérentes à leur enfouissement. Si l’emplacement de la pagode Est du temple de Mireuksa a été retrouvé dès 1974, ce n’est qu’en 1989 que les archéologues ont pu se faire une idée des dimensions du palais de villégiature de Wanggung-ri. C’est également dans ce cadre qu’allait s’inscrire la découverte d’une grande forteresse en terre à Wiryeseong, cette ville bâtie sur les rives du Han, au sud-est de Séoul, et que le royaume de Baek-
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je prit pour première capitale. Si cet ouvrage n’est pas inscrit au patrimoine de l’humanité, il n’en constitue pas moins un important vestige des cinq premiers siècles où cet État jeta les bases de son expansion grâce à l’essor de l’agriculture et de la production d’outils en fer. La forteresse en terre de Pungnap, dont on suppose qu’elle s’élevait dans le nord de cette ancienne capitale, fut mise au jour en 1925 suite à une inondation, mais il fallut attendre encore soixante-quatorze ans pour que la découverte d’un grand nombre d’objets d’époque Baekje attire l’attention de la communauté scientifique. Quant aux fortifications en terre de Mongchon qui entouraient les quartiers sud de la capitale, elles furent découvertes en 1980. Ces sites et objets sortis de terre après plus d’un millénaire témoignent du très haut degré de maîtrise technique qu’avaient atteint les gens de Baekje et de l’esthétique spécifique de leurs productions faisant appel à une tradition philosophique associant bouddhisme, confucianisme et taoïsme, mais aussi de l’importance des échanges auxquels se livra ce royaume avec la Chine, le Japon et d’autres contrées d’Extrême-Orient pendant ses sept siècles d’existence. Le présent article s’attachera à définir la place occupée par l’héritage de Baekje dans la formation de l’identité coréenne, en laissant aux spécialistes le soin d’analyser la valeur et la signification des merveilleux vestiges que recelaient les profondeurs du sous-sol et qui furent pour la plupart découverts de manière fortuite. Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’auteur n’est muni que de la passion qu’il nourrit en amateur pour cette époque de l’histoire et qui n’a fait que croître quand il s’est rendu compte que, malgré leur mise au jour, ces vestiges qui font revivre le passé comportent toujours une part de mystère qui n’apparaissait pas à première vue. En évoquant le passé chacun à leur manière, sans jamais succomber à leur grand âge et aux dégradations, ils combattent l’oubli et, ce faisant, se rendent maîtres du temps.
L’ancien État panse les plaies de la guerre moderne C’est le 18 avril 1955 qu’a eu lieu pour la première fois à Buyeo un festival consacré au royaume de Baekje et, si la date en avait été retardée de deux jours, c’était en raison d’une inondation soudaine qui avait succédé aux ondées printanières. Cent vingt-trois années durant, six monarques prirent cette ville pour capitale, dont Uija, qui fut le dernier à régner. Il s’agissait donc d’honorer ces souverains et leur suite par une manifestation d’une durée de cinq jours, avec en point d’orgue une cérémonie destinée à prier pour le repos de l’âme des trois mille dames de Cour qui, selon la légende, se seraient précipitées du sommet d’une falaise dans la rivière coulant en contrebas, car elles ne supportaient pas la défaite de leur patrie face aux forces alliées de Silla et de Tang. Pas loin de vingt mille personnes allaient accourir des quatre coins du pays à cette occasion, de sorte que les auberges et restaurants de la ville ne tardèrent pas à arriver à saturation. Une telle
1 Les murs de la forteresse de montagne de Gong s’élèvent plus ou moins au gré du relief. Les chemins de ronde de ses remparts ont été aménagés pour permettre d’admirer la vue splendide qu’ils offrent sur la ville de Gongju dans l’agréable fraîcheur que procure le fleuve situé en contrebas. 2 À Buyeo, la pagode en pierre à cinq étages du temple de Jeongnim est classée Trésor national n°9. Haute de 8,8 mètres, cette construction du VIIe siècle est l’une des deux pagodes de ce type qui subsistent de la période des Trois Royaumes sur ce qui fut le territoire de Baekje. Par la suite, celui-ci allait leur préférer ces pagodes en bois qui allaient se répandre à l’époque de Silla Unifié.
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fréquentation était des plus remarquables si l’on songe aux moyens dont disposaient alors les Coréens et aux moyens de transport qui leur étaient proposés. Le moment fort du festival fut la consécration des tablettes votives consacrées aux trois fidèles sujets de Baekje que furent Seongchung, Heungsu et Gyebaek en faisant acte d’héroïsme pour épargner une défaite au royaume. Cette évocation historique prit la forme d’une représentation de grande envergure qui s’acheva par un défilé rituel réunissant des centaines de figurants venant d’universités ou de l’armée. L’attrait touristique de la rivière, la Baengma, et du rocher de Nakhwaam, c’est-à-dire « des fleurs qui tombent », puisque ce fut de là que les dames de cour se jetèrent dans le vide, ne peut expliquer à lui seul l’implication exceptionnelle de la population dans la préparation de cette manifestation en vue de laquelle elle se porta souvent volontaire pour recueillir des dons. Elle intervint en outre avant que n’aient été découverts les vestiges ensevelis de Baekje, à une époque où les Coréens ne s’enorgueillissaient pas autant qu’aujourd’hui de leur histoire et de leur culture. Selon toute vraisemblance, le festival allait surtout tenir son succès de l’occasion qu’il leur offrait de faire preuve de plus de solidarité et d’esprit de réconciliation. Quand prit fin la Guerre de Corée (1950–1953), les trois millions de morts recensés à l’issue des combats comportaient aussi les victimes des massacres et actes de représailles perpétrés de part
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1 Le bac de la Baengma passant devant la Nakhwaam, cette falaise de 40 mètres de hauteur, dite « des fleurs qui tombent ». Selon une légende, 3 000 dames de cour se jetèrent de cet escarpement lors de la chute de Baekje survenue en l’an 660. Construit au XIe siècle à flanc de rocher pour le repos de leur âme, le petit temple de Gosansa existe encore aujourd’hui. 2 Les tombeaux royaux anciens de Neungsan-ri sont au nombre de sept et datent du royaume de Baekje, plus précisément de l’époque de Sabi où cette ville aujourd’hui appelée Buyeo était sa capitale. À 121 mètres d’altitude, leurs tumuli s’accrochent au versant sud d’une montagne située dans la commune Neungsan-ri.
et d’autre. Suite au cessez-le-feu proclamé en 1953, il incomba aux autorités de chaque région d’apaiser les esprits et de panser les plaies infligées par un conflit fratricide et la partition qui s’ensuivit. À cet effet, les édiles de Buyeo entamèrent des consultations au terme desquelles ils eurent l’idée de faire appel au récit historique par le biais d’une manifestation qui commémorerait les trois fidèles sujets de Baekje qui firent don de leur personne pour préserver leur pays d’une conquête imminente, ainsi que les trois mille dames de cour qui se supprimèrent pour lui. Les cérémonies qui la composaient visaient à observer un devoir de mémoire à l’égard des morts et à apporter du réconfort aux habitants encore de ce monde dont les familles avaient été déchirées par la guerre. Dix ans plus tard, le festival allait prendre la forme d’une importante manifestation régionale à caractère culturel qui bénéficia largement du soutien des pouvoirs publics. La pièce de théâtre Baemagang dalbame (Nuit de clair de lune sur la Baengma), qu’écrivit en 1993 le dramaturge Oh Tae-seok et dont l’action se centre sur le byeolsinje, un rite chamaniste de la région de Buyeo, allait attirer l’attention en établissant un parallèle entre les événements de la Guerre de Corée et la chute du royaume de Baekje. Consacrée aux esprits qui gardent le village, cette cérémonie a pour origine un conte populaire qui porte sur l’amour fraternel et la guérison et dont l’histoire se situe dans des temps anciens. Alors qu’une épidémie fait rage dans le village d’Eunsan, un vieillard voit en rêve un commandant militaire sur son blanc destrier. L’officier, après lui avoir décrit la contrée jonchée de cadavres de soldats dont personne ne se soucie, s’engage à éradiquer la peste si les villageois recueillent ces dépouilles et leur donnent une sépulture. Ces derniers s’exécutant et accomplissant des cérémonies pour prier pour l’âme des morts, la peste disparaît et la paix revient. Quand, à l’été 2014, l’auteur de cette oeuvre décidera de la doter d’une nouvelle mise en scène, il apportera d’importantes modifications au texte d’origine et la critique lui réservera un bon accueil : « En insistant sur la réconciliation des soldats de Baekje, du roi Uija et de Sundan, la fille du vieux chaman qui préside à ce rituel villageois réitère l’acte de l’espionne de Silla qui poignarda le roi Uija et l’intrigue s’en trouve considérablement simplifiée et clarifiée par rapport à la première version ». En opérant ces remaniements, l’auteur allait malheureusement faire disparaître le lien allégorique qu’il avait créé entre la Guerre de Corée et la chute de Baekje, de même que ces mots fameux : « Qu’ils soient soldats de Baekje ou victimes d’un massacre communiste », qui sont prononcés dans la scène où les ossements de dix-sept corps sont découverts à l’entrée du village, au pied des remparts de la vieille capitale de Baekje. L’auteur a comblé ces passages manquants sur le parallélisme historique par les jeux de mots et autres formes d’humour qu’il affectionne, le spectateur étant amené à se poser la question des raisons d’un tel choix chez un grand dramaturge et metteur en scène déjà septuagénaire.
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La mort et l’âme qui y survit L’œuvre du grand écrivain Hyeon Jin-geon (1900–1943), qui imprima sa marque sur la littérature coréenne moderne des premiers temps, constitue l’illustration parfaite d’une écriture réaliste fondée sur une étude approfondie de questions sociales et historiques. Journaliste sous l’occupation japonaise, il fut emprisonné pour avoir effacé le drapeau japonais qui figurait sur la photo de la cérémonie de remise de la médaille d’or au marathonien coréen Sohn Kee-chung qui participait aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936 au sein de l’équipe japonaise. Cet incident allait bouleverser son existence en le contraignant à démissionner, à vendre sa maison et à faire toutes sortes de métiers pour subvenir à ses besoins. Son décès précoce survint après qu’il eut contracté la tuberculose. La parution, en 1939, de son roman Muyeongtap (Pagode sans ombre) ne doit donc rien au hasard, puisque les personnages principaux en sont Asadal, le tailleur de pierre de Baekje qui réalisa la Muyeongtap de Gyeongju, plus connue sous le nom de Seokgatap, c’est-à-dire « pagode de Sakyamuni », et son épouse Asanyeo. Les deux autres romans qui lui succédèrent en 1940 et 1941, avec aussi pour décor le royaume de Baekje, s’intitulent respectivement Heukchi sangji (Général Heukchi Sangji) et Seonhwa gongju (Princesse Seonhwa). Alors que le premier était en cours d’adaptation sous forme de feuilleton, son auteur déclara ce qui suit : « Le passé est plus réel que le présent, car il possède une vérité que le présent n’a pas et ne peut pas avoir. C’est celle qui lui vient de son pouvoir d’évoquer les réalités qui font battre le cœur et couler le sang plus vite que tout fait issu du présent ». Alors qu’une première moitié
des épisodes a déjà paru, le gouvernement général japonais ordonnera de cesser la publication de cette œuvre où le héros refuse de se soumettre à l’envahisseur étranger et fait retrouver ses heures de gloire à Baekje. Quant à Princesse Seonhwa, dont le personnage principal est le petit garçon qui allait devenir le roi Mu de Baekje, il paraîtra également sous forme de feuilleton dans un magazine mensuel et sera lui aussi interdit avant d’atteindre son dénouement. Dans Pagode sans ombre , le choix d’un tailleur de pierre du royaume de Baekje par son ennemi, qui est celui de Silla, peut s’expliquer par les abondantes archives disponibles au sujet des artisans sur bois et sur pierre du premier qui participèrent à l’édification des temples et pagodes bouddhiques du second. En revanche, Hyeon Jin-geon innova en nommant l’un d’entre eux, à savoir Asadal, et nul doute qu’il aura tiré quelque fierté de l’avoir fait, étant donné la valeur symbolique de ce prénom signifiant « terre du soleil matinal ». Dans le traité intitulé Samguk sagi (Histoire des Trois Royaumes), il est attribué à Dangun, le fondateur mythique de la Corée qui donna à celle-ci sa première capitale. Pagode sans ombre fait donc le récit de la vie d’Asadal, un tailleur de pierre du royaume vaincu de Baekje, et de Juman, une jeune aristocrate qui vit dans celui des vainqueurs de Silla, mais tombe amoureuse du jeune homme, tandis que son épouse Asanyeo, lasse d’attendre le retour de son mari, part le retrouver à Gyeongju. L’œuvre du poète Shin Dong-yeop (1930–1969), qui naquit également à Buyeo sous l’occupation japonaise, puise son inspiration dans sa ville d’origine. Cependant, des vers tels que « La ARTS ET CULTURE DE CORÉE 9
vieille dame au nez qui coule / qui vend des nouilles / sous le soleil devant la salle morturaire » ou « La torpeur éternelle / des abricotiers du village » ne se résument pas à une évocation lyrique du pays natal. En recourant à son imagination historique, Shin Dong-yeop fait un saut dans le temps entre le royaume antique de Baekje et la révolte paysanne de Donghak (1894–95), puis jusqu’au Mouvement d’indépendance du 1er mars (1919), pour achever son périple à l’époque contemporaine, par la Guerre de Corée (1950–53) et la Révolution du 19 avril (1960). Asadal et Asanyeo font de fréquentes apparitions dans ses récits, tantôt héros, tantôt narrateurs, mais se conformant toujours au rôle qu’imagina pour eux Hyeon Jingeon, ou encore en la personne de voisins qui vivent les affres de la guerre et de la pauvreté dans cette nation divisée qu’ils symboLa pagode en pierre de Wanggung-ri dresse ses cinq étages dans cette commune de l’agglomération d’Iksan située dans la province du Jeolla du Nord. Elle date du début du royaume, mais présente le style caractéristique des pagodes en pierre des royaumes de Baekje et de Silla Unifié. Elle est classée Trésor national n°289 et a une hauteur de 8,5 mètres. On suppose que Wanggung-ri, c’est-à-dire le « village du palais du roi », fut créé pour accueillir la nouvelle capitale de Baekje.
lisent. Cette vision humaniste de l’histoire parvient à son apogée dans le poème épique Geumgang (le Geumgang), où l’auteur évoque avec une compassion mêlée de colère ces « petites gens simples et innocentes qui furent pourchassées pendant dix mille ans » et se sert des événements passés comme d’autant d’outils permettant la compréhension de l’histoire. Si cette œuvre s’est distinguée par sa nouvelle interprétation de l’histoire selon un point de vue actuel, elle n’est pas allée jusqu’à la conceptualisation de celle-ci. Toutefois, les vers suivants qui en sont extraits peuvent aller à l’encontre de ce qui précède :
Baekje, Depuis longtemps un lieu où Les choses se rassemblent, Pourrissent, Et tombent en ruines. Ne laissant Que de l’engrais après elle. Geumgang, Depuis longtemps un lieu où Les choses se rassemblent, Pourrissent, Et tombent en ruines. Ne laissant Que l’esprit après elle. (passage tiré du chapitre 23 de Geumgang) À la mémoire de ce poète qui « souffrit pour sa patrie meurtrie »
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en vivant dans la pauvreté et l’humilité, un monument a été élevé à l’emplacement des remparts anciens de Naseong qui s’étendent de la forteresse des Monts de Buso aux berges du Geumgang.
Une nouvelle vision de l’histoire des vaincus La désinformation n’est pas un phénomène nouveau et depuis la nuit des temps, l’histoire des vainqueurs est magnifiée et très largement diffusée, tandis que celle des vaincus peine à se faire entendre, comme une vieille femme qui tient des propos confus entre deux soupirs. Il en va de même du royaume de Baekje, car la ruse et la bravoure des vainqueurs ne font que souligner davantage l’échec et l’humiliation des vaincus. Au fil du temps, ce partage simpliste des rôles, en subsistant obstinément, a fait qu’en appréhendant leur passé, les Coréens en ont intériorisé et fragmenté certains événements en fonction de leurs perceptions et émotions propres. C’est ainsi que la tragédie de guerre dite du « rocher d’où se jetèrent les gens pour se donner la mort » est devenue celle de ce « rocher aux fleurs qui tombent » d’où trois mille dames de cour se seraient précipitées dans la rivière par loyauté envers leur pays. De même, le pavillon qui se dresse sur le sommet où fut édifiée la forteresse du mont Buso est appelée à tort « Sajaru » en raison d’une erreur qui est intervenue dans la transcription du nom de « Sabiru », c’est-à-dire le « pavillon de Sabi », qui lui vient de celui de la capitale du Baekje postérieur et n’a toujours pas été corrigée. Dans de tels cas, l’objectivité du récit ne semble guère avoir d’importance. Jeongeupsa , la seule chanson poétique du genre dit gayo qui soit parvenu du royaume de Baekje jusqu’à nos jours, commence par ces mots : « Ô, lune, si haut dans le ciel ». Dans le traité intitu-
lé Goryeosa (Histoire de Goryeo), il est dit que cet air, très apprécié jusqu’aux périodes de Goryeo et de Joseon, était celui que chantait la femme d’un colporteur en attendant le retour de son mari parti vendre ses cultures au marché. Juchée sur un rocher, elle prie la lune de luire pour que son mari ne se blesse pas sur le chemin du retour. Chaque mois, quand vient la pleine lune, l’orchestre municipal de gugak de Jeongeup, une ville de la province du Jeolla du Nord, propose des spectacles de musique traditionnelle coréenne destinés à perpétuer le souvenir de cette chanson. Aujourd’hui encore, la musique populaire inspirée de Baekje parle toujours de clair de lune, de la Baengma, d’oiseaux aquatiques, de sérénité, de petits bateaux ou de lointains sons de cloches. Dans la préface de son roman épique intitulé Sanha (Montagnes et rivières), le journaliste et romancier Lee Byeong-ju (1921–1992) écrivait : « Si une chose s’estompe sous le soleil, ce sera de l’histoire ; si elle est délavée par le clair de lune, ce sera une légende ». De même, Baekje peut aussi paraître délavée par le clair de lune, car lorsque la nuit succède au crépuscule et que les lumières de la forteresse qui ceint l’ancienne capitale royale s’allument une à une, les imposantes murailles qui dressent leur silhouette sur le bleu nuit du ciel semblent héler quelqu’un par-delà le fleuve. Certains ne rentreront pas, car ils ont fait le sacrifice d’une vie trop brève et personne ne les attend plus. La lune répand sa lueur sur les vestiges saccagés et enfouis de ces vies qui gisent éparses entre les montagnes et rivières de ce qui fut leur pays natal de Baekje.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 2 Sur les traces du royaume perdu de Baekje
LA RECONSTITUTION D’UN ROYAUME ANCIEN À PARTIR DE SES VESTIGES
Choi Yeon Géographe et directeur du Centre d’études en sciences humaines de l’École de Séoul Ahn Hong-beom Photographe
Le royaume de Baekje déplaça par deux fois sa capitale dans le sud du pays et, la première, il choisit Wiryeseong, qui allait par la suite porter le nom de Hanseong. Au cours de la période éponyme (18 av. J.-C.-475) qui précéda le départ pour Ungjin, qui est l’actuel Gongju, le royaume édifia des forteresses sur les collines bordant le bassin du fleuve Han afin d’assurer la défense de sa capitale. Les hommes s’établirent alors dans les régions adjacentes pour pratiquer l’agriculture et aujourd’hui encore, à Gangdong et Songpa, ces quartiers du sud-est de Séoul, des vestiges de leurs activités sont visibles entre les alignements de tours ultramodernes et d’immeubles résidentiels.
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Sur le site funéraire de Baekje situé à Seokchon-dong, un quartier du sud-est de Séoul, le tombeau n°3 aurait été celui du roi Geunchogo, qui étendit considérablement le territoire et la puissance de Baekje. D’un style analogue à celui des tombeaux de Goguryeo, ces sépultures témoignent des liens étroits qui unissaient les élites de ces deux royaumes anciens.
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ur les cinquante millions d’habitants qui composent actuellement la population sud-coréenne, près de vingt millions peuplent Séoul et sa périphérie. Riche d’une longue histoire et mosaïque de cultures deux fois millénaires, puisqu’elles s’étendent du royaume de Baekje à l’époque actuelle, cette capitale peine à mettre en valeur son héritage précieux et varié. Au cours de l’histoire, le patrimoine culturel coréen a eu à subir nombre de déprédations, et notamment lors des invasions de Goryeo (918–1392) par les Khitan et les Mongols, ainsi que de celles de Joseon (1392–1910) par le Japon et les Qing. Au XXe siècle, l’occupation coloniale japonaise comme la Guerre de Corée allaient aussi causer des ravages parmi ces vestiges culturels, puis ceux qu’avaient épargnés ces bouleversements furent sacrifiés sur l’autel d’une industrialisation et d’une croissance économique fulgurantes. Les éléments du patrimoine historique et culturel de Séoul qui existent encore à ce jour se réduisent à autant de « points » qu’il conviendrait de relier entre eux pour obtenir des lignes, lesquelles peuvent se réunir pour constituer des plans se prêtant eux-mêmes à la construction de structures à trois dimensions. Alors et seulement alors, il sera possible d’apprécier à sa juste valeur l’ensemble de ce riche héritage.
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Un État voit le jour dans le bassin du Han Dans l’Extrême-Orient traditionnel, toute forme de vie est perçue en termes de relations organiques entre la terre, le ciel et l’homme, la première, qui accueille ce dernier, se composant en grande partie de montagnes et rivières qui ont toujours entretenu des rapports tour à tour conflictuels et réciproquement bénéfiques. La source qui se forme à la jonction de deux chaînes de montagnes répand son eau dans des vallées et gorges encaissées par ces mêmes sommets et c’est donc à proximité des fleuves que l’homme élit domicile depuis la nuit des temps. À l’époque des Trois Royaumes, qui va du premier siècle avant Jésus-Christ au septième de notre ère, les États de Baekje, Silla et Goguryeo qui en étaient constitutifs se combattaient ou conservaient de bonnes relations au gré des circonstances, mais ils s’affrontaient souvent pour s’emparer du bassin du Han convoité en raison de sa situation au centre de la péninsule. Avant la survenue de ces conflits territoriaux, c’est le royaume de Baekje qui, le premier, s’établit dans cette région. Si l’origine de cet État fait l’objet de plusieurs hypothèses, on s’accorde le plus souvent à penser qu’il fut instauré par les frères Onjo et Biryu après qu’ils eurent quitté le royaume de Buyeo alors situé en Mandchourie, puis gagné le sud en compagnie d’un petit groupe de vassaux. Onjo, le cadet de ces deux frères dont le père n’était autre que le roi Dongmyeong, ou Jumong, qui fonda le royaume de Goguryeo, s’établit alors dans le bassin du Han, alors que Biryu lui préférait Michuhol, l’actuel Incheon. À l’origine, Onjo avait donné à son royaume le nom de Sipje évoquant les dix vassaux de sa suite par le vocable sip signifiant dix, mais, à la mort de son frère aîné, il réunit de grand cœur le peuple de Biryu avec le sien et choisit d’appeler le nouvel État Baekje en raison du nombre beaucoup plus nombreux de ses vassaux, puisque baek signifie cent. Plus au sud, le royaume de Baekje s’agrandit de quarante kilomètres cédés par l’État de Mokji, qui appartenait avec cinquante-trois autres à une confédération, dite de Mahan et correspondant aujourd’hui aux provinces de Gyeonggi, Chungcheong et Jeolla, mais il finit par l’annexer en totalité et, comme il constituait la principale composante de cette union, Baekje consolida d’autant sa puissance. Lors de sa fondation, le royaume de Baekje fut divisé en cinq grandes régions administratives, son monarque n’exerçant directement son autorité que sur la capitale et la déléguant à l’administration locale des quatre autres régions. Fort de ses origines anciennes,
2 1 La réfection de cette clôture en bois est en cours à l’extrémité nord de la forteresse en terre de Mongchon. 2 Les douves dont fut entourée la forteresse en terre de Mongchon sont aujourd’hui un étang.
La forteresse aurait abrité en son centre le palais royal, à propos duquel le traité Samguk sagi (Histoire des Trois Royaumes) précise qu’il se serait composé de nombreux bâtiments d’un aspect tantôt « modeste sans être pauvre, [tantôt] magnifique sans être luxueux ». ARTS ET CULTURE DE CORÉE 15
il fut cependant en mesure de mettre rapidement en place des institutions et fit aussitôt réaliser des ouvrages défensifs pour garantir sa sécurité et celle de sa population en forte croissance. C’est dans ce but que furent édifiées les deux forteresses en terre de Pungnap et Mongchon, la première étant située dans une plaine et accueillant les habitants dans ses murs, tandis que la deuxième, élevée sur une colline avoisinante, était destinée à repousser les attaques. Elles étaient respectivement dites du nord et du sud parce que l’une se dressait au nord du palais royal et l’autre, au sud. Un exemple du même type que ce double dispositif se retrouve dans l’association de la forteresse de Gungnae avec la forteresse de montagne de Gwando que bâtit le royaume de Goguryeo qui se situe dans l’actuelle Chine du Nord-Est.
Le champ de ruines de l’histoire Élevées dans les plaines de la vallée du Han, les murailles de la forteresse en terre de Pungnap forment une enceinte d’une circonférence de 3,47 kilomètres et d’une hauteur comprise entre 6 et 13,3 mètres sur une largeur de 30 à 70 mètres. Elles s’entouraient à l’origine de douves pour dissuader les éventuels assaillants. D’une forme oblongue, cette enceinte s’étend en grande partie du nord au sud, la longueur de ses murailles orientales et méridionales étant respectivement de 1 500 mètres et 200 mètres, et celle des murs du nord, de 300 mètres, la muraille occidentale ayant été restaurée suite à sa destruction par d’importantes inondations en 1925. La continuité de l’ouvrage s’interrompt en quatre points supposés correspondre aux anciennes portes de la ville. La forteresse aurait abrité en son centre le palais royal, à propos duquel le traité Samguk sagi (Histoire des Trois Royaumes) précise qu’il se serait composé de nombreux bâtiments d’un aspect tantôt « modeste sans être pauvre, [tantôt] magnifique sans être luxueux ». Les fouilles entreprises sur le site, outre qu’elles ont permis de mettre au jour divers objets assez
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1 Coupe transversale d’une reproduction des murailles en terre de Pungnap exposée dans l’entrée du Musée de situé à Séoul. Elle fait apparaître la superposition des couches de terre qui les composent. 2 Situé à l’intérieur du Parc Olympique de Séoul, le Musée de Baekje propose différentes expositions consacrées à la préhistoire dans le bassin du Han. C’est le long de ce fleuve que les rois de Baekje établirent leur royaume, tout comme, plus tard, ceux de Goguryeo et Silla.
Le circuit Baekje de Séoul Station de métro Gwangnaru
Pont de Gwangjin Forteresse en terre de Pungnap
Han Accès nord du Parc Olympique 2
Forteresse en terre de Mongchon
Musée d’histoire de Mongchon
Porte du Parc Olympique Musée de Baekje Monument de Samjeondo
Lac de Seokchon
Tombeaux de Baekje
bien conservés, ont révélé l’existence d’un fossé à trois niveaux concentriques par rapport à l’enceinte de murailles et destiné à protéger les équipements publics du village, ces derniers devant aussi avoir été en grand nombre au palais, à en juger par la présence de vestiges de routes et d’ornières autour de celui-ci. Située à environ 700 mètres au sud-est de celle de Pungnap, la forteresse en terre de Mongchon se distingue par une conception qui lui est propre, puisque ses murs tant intérieurs qu’extérieurs furent construits sur un terrain accidenté se trouvant au pied d’une grande montagne. Pour les élever, leurs bâtisseurs procédèrent par entassement progressif de boue et eurent parfois à trancher le sol de versants escarpés. Tout le long du tronçon septentrional des murailles, ils dressèrent des clôtures en bois que venaient compléter des douves extérieures aujourd’hui transformées en étang. À partir de son point culminant, la forteresse de Mongchon s’étend sur une distance totale de 2 285 mètres et, sur sa plus grande partie, elle possède une hauteur d’environ 30 mètres. Son tronçon extérieur nord-est forme une ligne droite d’environ 270 mètres. Ce qui reste des clôtures en bois du versant nord et du sommet de l’enceinte extérieure, la plus forte déclivité réalisée à l’est, le mur extérieur et ses douves concentriques :
EN CHEMINANT AU ROYAUME DE BAEKJE Non loin du parc d’attraction et du centre commercial Lotte World du quartier de Jamsil situé dans le sud-est de Séoul, se trouve le lac de Seokchon. Il était à l’origine compris dans le cours du Han, mais il s’en dissocia lorsque celui-ci fut dévié dans les années 1970 pour prévenir les inondations. Il se compose en réalité de deux lacs, l’un à l’est et l’autre à l’ouest, et sur le talus qui descend jusqu’au second, s’élève un monument, dit de Samjeondo, qui commémore la reddition du royaume de Joseon face aux Qing mandchous, à l’issue de leur deuxième invasion (1636–1637). En partant de ce point et en faisant le tour de la moitié du lac de l’ouest, puis en descendant une rue qui dessert cette zone résidentielle très peuplée du sud de la capitale, on parvient aux tombeaux anciens de Baekje situés dans le quartier de Bangi-dong. Après avoir examiné les tombes à tumulus en pierre ou d’autres types qui datent de la période de Hanseong (18 av. J.-C. - 475) de Baekje, on poursuivra son chemin jusqu’au Parc Olympique de Séoul. Aménagé à l’emplacement de l’ancienne forteresse en terre de Mongchon, ce site se compose des principaux stades couverts construits en vue des Jeux olympiques d’été de 1988. Dans le jardin du Musée de Baekje qui y est également situé, le visiteur admirera les sculptures réalisées par des artistes célèbres de différents pays du monde, après quoi il pourra flâner sur les sentiers qui longent les anciens remparts jusqu’au Musée d’histoire de Mongchon, un lieu agréable qui lui fera découvrir l’histoire du royaume de Baekje. En sortant du parc par son accès nord n°1 et en continuant en direction de la mairie d’arrondissement de Gangdong, le marcheur arrive en face du Lycée de jeunes filles Youngpa situé sur l’autre trottoir et, en longeant ses murs jusqu’à un quartier résidentiel, il apercevra les lignes tout en douceur d’un imposant ouvrage en terre qui n’est autre que la forteresse de Pungnap.
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autant d’indices révélateurs de la conception d’un ouvrage défensif destiné à repousser les invasions du nord. Les vestiges d’une fosse de stockage et d’installations militaires, dont une tour de guet, viennent étayer l’idée que la forteresse ait pu se situer aux avant-postes de la défense du pays et servir de refuge aux populations déplacées en temps de guerre. Des fouilles archéologiques récentes ont permis de découvrir une route à deux voies d’une largeur de 18,6 mètres qui figure parmi les plus grandes d’époque Baekje mises au jour jusqu’ici et constitue la plus ancienne d’entre elles. Cette artère aboutissant à la porte nord de la forteresse de Mongchon devait être la principale jusqu’à celle de Pungnap, de sorte qu’à trois reprises, elle fit l’objet de réfections et de prolongements quand la capitale du royaume fut déplacée dans le sud. Composée d’un mélange de pierres, de terre patinée et d’argile, elle est si résistante qu’elle ne conserve pas la moindre trace des roues des chariots. Les principaux objets découverts sur le site comportaient également les fragments d’un pot en céramique à col court et bec droit d’époque Baekje sur lequel figurait l’idéogramme chinois 官 (gwan) signifiant « bureau du gouvernement ». Parmi les débris datant de cette période, ce sont à ce jour les seuls qui comportent une telle inscription, ce qui corrobore l’hypothèse selon laquelle la forteresse de Mongchon fut non seulement un ouvrage défensif, mais aussi une ville fortifiée à part entière.
Différents types de tombeaux Les tombes des classes dirigeantes de Baekje se répartissent sur les quartiers actuels de Seokchon-dong, Garak-dong et Bangi-dong situés au sud des deux forteresses évoquées plus haut. Dans son troisième tome, le Joseon gojeok dobo (Répertoire illustré des sites historiques coréens) édité en 1916, c’est-à-dire sous l’occupation japonaise, fait état de 66 tombes à tumulus en pierre et de 23 tombes à tumulus en terre se trouvant dans l’un de ces quartiers, mais seules subsistent aujourd’hui sept grandes tombes en pierre, ainsi qu’une trentaine de tombeaux à cercueil en bois ou en céramique. La mise au jour en ces lieux de tombeaux à tumulus en pierre situés d’ordinaire dans le royaume de Goguryeo atteste des liens étroits qu’entretenaient les fondateurs de Baekje avec leurs voisins du nord. Le sol des quartiers cités plus haut recelait aussi des tombes à cercueil en bois qui, au vu de leur petite taille, doivent être celles de gens du commun ou de fonctionnaires de divers rangs. Entre les troisième et cinquième siècles, les tombes destinées à des individus de catégories sociales différentes se sont multipliées dans l’actuel quartier de Seokchon-dong jusqu’à constituer un cimetière. La plus grande d’entre elles, classée numéro trois, est composée de pierre et se présente sous forme d’une pyramide de 4,5 mètres de hauteur sur 45,5 et 43,7 de largeur, respectivement, sur ses plus grand et plus petit côtés. Aujourd’hui, ne subsistent que trois des niveaux de pierre d’origine de cette sépulture dont la construction se situerait entre le milieu du troisième et du quatrième siècles. Elle abriterait la dépouille du roi Geunchogo (r. 346–375), treizième monarque du royaume de Baekje qui contribua considérablement à son expansion et à sa puissance. Suite au déplacement de la capitale, en 475, dans ce qui est aujourd’hui Gongju, les tombes des classes dirigeantes furent conçues différemment, en substituant aux tumuli carrés en pierre des chambres funéraires en pierre recouvertes de monticules de terre. Découvert en 1971, le tombeau du roi Muryeong (r. 501–523) fut le premier à comporter une chambre en pierre à entrée horizontale, ceux qui lui succédèrent tout au long de l’histoire adoptant dès lors cette conception. Les pièces manquantes du puzzle Entrepris dans les années 1970, le réaménagement du quartier de Jamsil a fait des vestiges de Baekje une « éprouvette témoin » de la défense du patrimoine dans un contexte d’urbanisation accélérée. Dans les années 1980, cette partie de la ville allait accueillir le Stade Olympique de Séoul et les diverses installations sportives qui furent réalisées. Ainsi, les Jeux olympiques d’été de 1988 allaient se dérouler sur le site même de ce qui fut l’une des capitales du royaume de Baekje et témoigne d’une histoire et d’une culture vieilles de deux millénaires. 18 KOREANA Été 2017
La forteresse en terre de Mongchon abrite un parc à l’intention des habitants de Séoul. Elle a fait l’objet de six campagnes de fouilles et d’inspections dans les années 1980.
Plus rien ne demeure de cette cité ancienne dont l’édification exigea un chantier de cinq siècles, mais aussi toute la sagesse et le dur labeur du petit peuple de Baekje, et un paysage de tours, les plus luxueuses de Séoul, s’étend maintenant à perte de vue à son emplacement. Des plans d’aménagement et d’urbanisme destinés à fournir logements, routes et installations olympiques ont toutefois eu des incidences positives en permettant la découverte inattendue de vestiges antiques longtemps restés ensevelis. Des actions sont en cours pour restaurer la vieille ville et lui redonner vie en reliant les points pour former des lignes, celles-ci, pour créer des plans et ces derniers, pour obtenir des structures à trois dimensions. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 19
RUBRIQUE SPÉCIALE 3 Sur les traces du royaume perdu de Baekje
QUAND UN ROYAUME RESSURGIT D’UN TOMBEAU © Gongju National Museum
Jusqu’à la découverte d’un tombeau royal qui allait livrer une mine d’informations sur le royaume de Baekje, ce dernier était resté méconnu en raison de l’insuffisance de traces écrites s’y rapportant. C’est en 1971 que fut mise au jour cette sépulture lors de travaux de drainage effectués au cimetière royal de Songsan-ri, une agglomération voisine de Gongju, qui fut capitale de Baekje pendant la période des Trois Royaumes (57 av. J.-C.- 668). Dernière demeure du roi Muryeong, ce monument funéraire est le seul de cette époque à avoir été identifié. 20 KOREANA Été 2017
Kim Tae-shik Journaliste et chercheur à l’Institut de recherche sur le patrimoine culturel et le territoire national
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ituée dans une région d’Extrême-Orient soumise au régime des moussons, la péninsule coréenne s’apprêtait à entrer dans la saison des pluies en cet été 1971 et, si les fortes précipitations qui la caractérisent sont redoutées pour les ravages qu’elles peuvent occasionner au patrimoine culturel, elles allaient cette fois s’avérer des plus bénéfiques à Gongju. Cette ville située dans l’actuelle province du Chungcheong du Sud fut la deuxième capitale du royaume sept fois centenaire de Baekje. Fondé en 18 av. J.-C., celui-ci connut la prospérité aux côtés de ceux de Silla et de Goguryeo avec lesquels il constituait l’État antique des Trois Royaumes. À Songsan-ri, l’une des communes de l’agglomération de Gongju que traverse le Geum du nord au sud, se trouve un groupement de tombeaux royaux qui furent aménagés au pied d’une colline de faible hauteur. C’est sous une pluie battante et de manière tout à fait fortuite que le tombeau du roi Muryeong (r. 501–523), vingt-cinquième du royaume de Baekje, et de son épouse, fut mis au jour dans ces hauts lieux de l’histoire où les tumuli millénaires dessinent paisiblement leurs contours.
Un assainissement en vue de la saison des pluies Un ouvrage du XVIe siècle intitulé Sinjeung dongguk yeoji seungnam (Étude révisée et augmentée de la géographie de Corée) dépeint en ces termes les tombeaux royaux de Songsan-ri dans le passage qu’il consacre à Gongju : « On trouve une école communale à 3 li à l’ouest de la ville, près d’un ensemble de tombes anciennes. Il s’agirait de sépultures royales d’époque Baekje, mais nul n’a de certitude sur l’identité des défunts ». Ainsi, l’origine de ces tombeaux fut connue dès la période de Joseon et il fallut attendre la première moitié du XXe siècle pour que des fouilles révèlent qu’elles faisaient partie d’un cimetière aménagé entre 475 et 538 à Ungjin, qui est l’actuel Gongju et avait été pris pour capitale. Au début des années 1970, la découverte des six tumuli surmontant ces sépultures supposées royales allait valoir à ces lieux d’être classés sites historiques par les pouvoirs publics. Par la suite, l’été et ses pluies diluviennes allaient y provoquer d’importants dégâts, car les torrents d’eau qui dévalaient des collines s’infiltraient dans les chambres funéraires souterraines. Afin d’en préserver les tumuli n°5 et n°6 situés côte à côte d’est en ouest, l’Office du patrimoine culturel, renommé depuis Administration du patrimoine culturel et directement rattaché au ministère de la Culture et de l’Information, décida alors de réaliser une La salle principale du tombeau du roi saignée parallèle au site, que Muryeong, vue du couloir. Sa sépulture trois mètres séparent de la colfut découverte en 1971 dans le cimetière royal de Baekje situé à Songsan-ri, line où il s’adosse. Le chantier une commune de l’agglomération de allait débuter dès le 29 juin suiGongju. Destinée à ce monarque et vant, à l’époque où le front des à son épouse, elle comportait une chambre rectangulaire voûtée commoussons commençait à se posée de briques aux formes et motifs déplacer vers le nord en direcdifférents renfermant des cercueils de tion de la côte sud de la Corée, bois qui s’étaient brisés au fil du temps.
avec pour objectif d’achever les travaux avant le début de la saison des pluies. Pas plus tard que le 6 juillet, il était environ quatorze heures quand la pelle de l’un des ouvriers qui réalisaient la saignée a heurté de la roche. « Un rocher du fleuve sous terre ? J’ai tout de suite compris que c’était autre chose, car, s’il y a des blocs de pierre à un endroit pareil, ce sont le plus souvent ceux de tombes. En creusant davantage, nous avons trouvé un gros ouvrage de maçonnerie en brique entouré de terre qui contenait du calcaire, puis j’ai entendu un bruit métallique quand ma pioche a touché un objet très dur qui était une brique ancienne », se souvient Kim Yeong-il, qui dirigeait alors le chantier confié à la société Samnam Construction. Cet incident inattendu allait prendre l’envergure d’un véritable événement et entrer dans l’histoire de l’archéologie coréenne en permettant la mise au jour d’un magnifique tombeau royal. Cette masse de pierre qu’avait frappée la pioche n’était autre que le plafond de l’extrémité sud du couloir menant à la chambre principale entièrement composée de brique traditionnelle. S’il était trop tôt pour se prononcer sur l’identité du défunt, sa sépulture rappelait beaucoup celle du tombeau n°6 situé exactement en vis-à-vis par son agencement et l’exécution de son briquetage, ce qui laissait supposer qu’il s’agissait d’une chambre funéraire royale demeurée intacte.
Des inondations nocturnes Quelle était la marche à suivre après cette découverte ? La procédure normale voulait que le responsable du chantier en informe aussitôt Kim Yeong-bae, qui dirigeait la succursale de Gongju du Musée national de Corée, c’est-à-dire l’actuel Musée national de Gongju, et devait transmettre à son tour un rapport à l’Office du patrimoine culturel pour en obtenir l’autorisation d’entamer des fouilles, mais l’enthousiasme était tel que ces étapes n’allaient pas être respectées. Le jour même de la découverte, des fonctionnaires du musée se sont empressés de faire réaliser des excavations sous la supervision d’archéologues de la région, ce qui leur a permis d’acquérir la conviction qu’il s’agissait bien d’un tombeau royal en brique d’époque Baekje. Dès le lendemain, c’est-à-dire le 7 juillet, la municipalité allait en faire état auprès de l’Office du patrimoine culturel, lequel allait interdire toute nouvelle opération non soumise à son approbation, puis dépêcher ses spécialistes pour effectuer des recherches sur le site et lancer la campagne de fouilles officielle. L’équipe qui arriva sur les lieux le 8 juillet était conduite par Kim Won-ryong, alors directeur du Musée national de Corée, et se composait de chercheurs tels que Cho Yu-jeon et Ji Gon-gil (voir encadré), qui exerçaient au sein de l’Institut de recherche sur le patrimoine culturel rattaché à l’Office du patrimoine culturel. Les fouilles allaient reprendre le jour même à seize heures, mais être brusquement interrompues par des pluies torrentielles qui allaient inonder le site et menaçaient de provoquer des infiltrations ARTS ET CULTURE DE CORÉE 21
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La découverte du tombeau du roi Muryeong a tiré des oubliettes de l’histoire ce royaume de Baekje qui semblait confiné à un obscur épisode de l’Antiquité coréenne par manque de littérature sur le sujet. L’analyse rigoureuse des vestiges que recelait cette sépulture révèle l’histoire de cet ancien État dans un tout autre éclairage.
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d’eau dans la sépulture royale. L’équipe chargée des fouilles allait devoir abandonner le chantier et les ouvriers, creuser en pleine nuit un fossé destiné à l’écoulement des eaux. À l’issue d’une réunion organisée dans un motel du centre de Gongju pour discuter des mesures à prendre, les chercheurs allaient décider de se remettre au travail dès le lendemain.
L’exaltation à son comble Le beau temps était heureusement au rendez-vous en ce matin du 8 juillet, alors, sans plus attendre, les fouilles allaient recommencer dès cinq heures, ce qui allait permettre de dégager l’entrée du couloir menant à la chambre principale. À n’en pas douter, on venait de découvrir un tombeau royal de Baekje. Avant de pénétrer dans la sépulture, à seize heures précises, l’équipe allait accomplir un discret rite en l’honneur des défunts monarques et déposer en guise d’offrande du lieu jaune séché et du vin de riz sur une petite table. Elle allait ensuite entreprendre de retirer une à une les briques qui fermaient l’entrée depuis 1500 ans et, lorsqu’allait tomber la dernière, un courant d’air frais allait s’engouffrer dans le couloir obscur en produisant une vapeur blanche qui donnait l’impression de se trouver dans une voiture climatisée en plein été. Quand l’ouverture ménagée allait permettre le passage d’un homme, Kim Wonryong et Kim Yeong-bae allaient s’avancer dans le couloir en s’éclairant d’une lampe à incandescence. Celui-ci était d’un aspect lugubre et un homme de taille moyenne ne
1 Découverts dans le tombeau du roi Muryeong, ces ornements de couronne en forme de chèvrefeuille flamboient aujourd’hui encore, car ils furent découpés dans une plaque d’or massif. Longueur : 30,7 cm. Largeur : 14 cm. Trésor national n°154. Musée national de Gongju. 2 Les ornements de la couronne de la reine se trouvaient à l’emplacement de sa tête. Longueur : 22,2 cm. Largeur : 13,4 cm. Trésor national n°155. Musée national de Corée. 3 Les archéologues qui ouvrirent le tombeau du roi Muryeong le 8 juillet 1971 accomplirent tout d’abord un bref rite commémoratif.
Les enseignements d’un manque d’organisation
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« Au risque d’avoir l’air de me chercher des excuses, je dirais que toute l’archéologie coréenne était de ce niveau à l’époque. Toutefois, les dures leçons de l’expérience m’ont été précieuses et les chantiers archéologiques ultérieurs ont été menés avec plus de méthode et selon une procédure clairement définie ».
Aux yeux de Ji Gon-gil, qui fut le conservateur du Musée national de Corée de Gyeongju, l’ancienne capitale de Silla, les années 1970 représentent l’apogée de sa carrière archéologique. Il se remémore avec particulièrement d’émotion l’époque comprise entre 1973 et 1976, car c’est alors qu’il participa à la mise au jour des deux sépultures royales dites Cheonmachong et Hwangnam Daechong, c’est-à-dire, respectivement, la « tombe du cheval céleste » et la « grande tombe de Hwangnam ». Alors qu’il tire une fierté légitime de la réalisation de tels chantiers, celui de la tombe du roi Muryeong lui inspirera toujours de la honte. Aujourd’hui président de la Fondation pour le patrimoine culturel coréen de l’étranger, Ji Gon-gil a effectué des études d’archéologie et d’anthropologie à l’Université nationale de Séoul avant d’entrer dans la fonction publique en novembre 1968 en tant que chercheur de l’Office du patrimoine culturel. Le 7 juillet 1971, il allait être dépêché dans l’urgence à Gongju en compagnie de quelques collègues, de sorte qu’il ignorait, jusqu’à son arrivée dans cette ville que venait d’y être découvert un tombeau ancien supposé dater du royaume de Baekje et qu’il avait pour mission de diriger les fouilles correspondantes. « Aucun de nous n’était informé », se souvient-il. « Nous nous contentions de faire ce que l’on nous demandait. Quelle n’a pas été notre stupéfaction, une fois sur les lieux, en découvrant ce tombeau en brique ancien dont on ne voyait que l’avant ! ». Pour le jeune chercheur qui faisait ses premiers pas dans ce domaine, il était hors de question de prendre part aux décisions, et pourtant l’homme plus expérimenté qu’il est aujourd’hui se sent encore coupable de sa part de responsabilité dans ces fouilles qui resteront dans les annales de l’archéologie coréenne comme un échec dû à l’impréparation. « Au risque d’avoir l’air de me chercher des excuses, je dirais que toute l’archéologie coréenne était d’un tel niveau à l’époque », confie-t-il. « Le chantier du tombeau du roi Muryeong a été réalisé de manière désordonnée et en commettant des négligences, puisque l’ensemble des opérations y ayant trait, de la découverte aux fouilles, étaient révélées au fur et à mesure qu’elles se déroulaient à la presse et à la municipalité. Dans l’effervescence et l’exaltation du moment, il ne nous était pas facile de raisonner en toute sérénité. Toutefois, les dures leçons de l’expérience m’ont été précieuses et les chantiers archéologiques ultérieurs ont été menés selon une procédure clairement définie ». Ji Gon-gil a aussi des regrets quant à une autre de ses missions d’alors, à savoir de prendre des photos qui permettraient de conserver une trace de l’état du site lors de sa découverte et de l’emplacement qu’y avaient les différents objets. Toutefois, il n’allait fournir que très peu de vues de bonne qualité, et encore la plupart étaient-elles dues aux journalistes présents sur les lieux. Interrogé à ce sujet, il explique ce qui suit : « En fait, j’en ai pris un assez grand nombre à l’intérieur du tombeau. Ce n’est qu’en les développant, de retour à mon bureau de Séoul, que je me suis rendu compte de mon erreur. J’avais eu beau m’équiper d’une caméra flambant neuve, je n’avais pas su m’en servir. Certains clichés étaient à moitié coupés et seuls quelques autres présentaient de l’intérêt », explique-t-il. « C’était donc de ma faute et je n’en ai eu que plus de remords ».
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1 Chaussures en bronze doré découvertes à l’emplacement des pieds du roi. Longueur : 35 cm. Musée national de Gongju. 2 L’une des deux dalles en pierre qui se trouvaient au centre du couloir du tombeau comporte une inscription gravée indiquant que l’emplacement de cette sépulture fut choisi par les Dieux du Ciel et de la Terre et précisant le nom du défunt, la date de son décès et celle de son inhumation. Largeur : 41,5 cm ; longueur : 35 cm ; épaisseur : 5 cm. Trésor national n°163. Musée national de Gongju. 3 Animal de garde en pierre trouvé dans le couloir. Longueur : 47 cm ; hauteur : 30 cm ; largeur : 22 cm. Trésor national n°162. Musée national de Gongju. 4 Visiteurs parcourant le Musée national de Gongju, où sont notamment exposés les cercueils en bois du couple royal et l’animal qui les garde, tous se trouvant dans un état presque intact suite à leur restauration.
pouvait se tenir tout à fait debout sous son plafond bas, voûté et envahi par des racines d’acacia qui faisait penser à un château hanté. Arrivée à mi-distance, les deux confrères allaient tomber sur la statue en pierre d’un animal sauvage qui pouvait être un sanglier, au vu de ses défenses, et était de toute évidence destinée à défendre le tombeau contre les esprits maléfiques. Le couloir aboutissait à une chambre rectangulaire de dimensions modestes et à plafond voûté. Sur le sol, gisait ce qui ressemblait dans l’obscurité à des planches usagées, mais allait s’avérer être les restes de cercueils en bois qui s’étaient brisés au fil du temps et dont les interstices laissaient deviner des objets en or. Les deux archéologues n’en croyaient pas leurs yeux en se disant que personne n’avait été en présence de ces vestiges depuis leur enfouissement. « Nous avons découvert un tombeau de Baekje en parfait état, qui plus est, celui d’un roi ! » s’écriaient-ils avec un irrépressible enthousiasme.
L’identité du défunt Leur exaltation était à son comble quand, en rebroussant chemin, ils se sont trouvés devant deux dalles en pierre qui faisaient face à une statue d’animal menaçant placée au beau milieu du couloir. À la lumière de leur lampe, ils allaient y déchiffrer une inscription en idéogrammes chinois classiques qui signifiait « Le roi Sama de Baekje, le grand général qui apporta la paix à l’Est ». Sama n’était ni plus ni moins que le titre qu’avait conféré à Muryeong, roi de Baekje, un empereur de la dynastie des Liang (502–557) instaurée dans le sud de la Chine. Kim Won-ryong allait dire en parlant de ces moments : « J’étais si stupéfait que j’en oubliais qui j’étais ». En découvrant l’identité du défunt, son exultation était telle qu’il en perdait de son discernement et procéder aux fouilles dans la confusion la plus totale. Alors qu’un archéologue plus expérimenté aurait pris le temps d’interrompre les travaux pour retrouver ses esprits et décider sereinement des actions à entreprendre, il allait au contraire décider de lancer immédiatement les recherches. Troublé aussi par le désordre que faisaient régner les nombreux journalistes qui avaient accouru des quatre coins du pays et attendaient impatiemment devant le tombeau pour révéler cette découverte historique, il allait commettre une seconde erreur en faisant extraire le cercueil royal aussitôt après son identification, de sorte que le 9 juillet à 8h00, il ne restait plus sur les lieux qu’une chambre funéraire vide. Entretemps, personne n’avait eu la présence d’esprit de répertorier ce qui s’y trouvait et dans quel état de conservation. Le vieux royaume remis à l’honneur Ainsi allait être mis au jour le tombeau du roi Muryeong, avec trop
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d’empressement et sans organisation ni méthode, comme pour un pillage. Dans la communauté scientifique, ce regrettable manque de professionnalisme n’allait pas manquer de susciter la consternation et d’incessantes critiques. Il n’enlevait cependant rien aux résultats, puisque, des 114 monarques que comptèrent les Trois Royaumes et celui de Silla Unifié qui leur succéda, à raison de 31 à Baekje, 27 à Goguryeo et 56 à Silla, qui réalisa leur unité, seul Muryeong livra les secrets de sa sépulture à la postérité. En outre, la découverte du tombeau du roi Muryeong allait tirer des oubliettes de l’histoire ce royaume de Baekje qui semblait confiné à un obscur épisode de l’Antiquité coréenne par manque de littérature sur le sujet. L’analyse rigoureuse des vestiges que recelait cette sépulture révèle l’histoire de cet ancien État dans un tout autre éclairage. En termes plus concrets, elle a permis de se faire une idée des coutumes funéraires qu’observaient les sujets du royaume envers leurs souverains grâce au déchiffrement de l’inscription, gravée sur les deux dalles en pierre, selon laquelle le roi et la reine furent inhumés en un lieu choisi par les Dieux du Ciel et de la Terre. La tombe de Muryeong et de son épouse recelait aussi de magnifiques objets en quantité impressionnante, puisque plus de 3 000 spécimens de cent types différents allaient être recensés, dont certains provenant évidemment de Chine. De plus, les cercueils en bois du couple royal se composaient de pin parasol du Japon, dont le seul habitat naturel est cet archipel, ce qui tendrait à démontrer que le royaume de Baekje se livrait à des échanges culturels et commerciaux avec les États voisins par voie maritime et que la famille royale entretenait d’étroites relations avec le Japon.
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RUBRIQUE SPÉCIALE 4 Sur les traces du royaume perdu de Baekje
LE GRAND ENCENSOIR DE BAEKJE PERPÉTUE L’ÂME DE SON PEUPLE Au Musée national de Buyeo, les visiteurs admirent toujours la beauté et les dimensions exceptionnelles du grand encensoir en bronze doré de Baekje. Exécutés avec un art remarquable, ses motifs ornementaux les replongeront en imagination dans un univers légendaire qui remonte à 1 400 ans. Kim Jeong-wan Archéologue et ancien directeur du Musée national de Daegu
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atte avant dressée en l’air, un dragon serre entre ses dents une fleur de lotus en bouton au-dessus de laquelle s’étend le paysage imaginaire d’un paradis taoïste et ses sommets accidentés que surmonte un phénix aux ailes déployées. La pièce particulièrement élaborée où figurent ces scènes se compose d’un pied sur lequel se tient un dragon, d’une coupe en forme de lotus et d’une poignée avec phénix ouvrant un couvercle hérissé d’une succession de chaînes de montagne moulées en couches qui se suivent. Lorsqu’il est fermé, le couvercle fait se rejoindre à la jonction avec la coupe deux mêmes bandeaux parallèles ornés d’arabesques.
L’âme du défunt roi De 538 à 660, le royaume de Baekje se dota de fortifications édifiées sur les collines et montagnes qui environnent la ville de Sabi, alors capitale et aujourd’hui nommée Buyeo. La commune de Neungsan-ri, qui en est limitrophe et où se serait dressée la porte orientale percée dans ces murailles, abrite un groupe de tombes dont l’origine supposée royale se situerait à l’époque de Baekje. En 1993, la réalisation de fouilles préliminaires dans le 26 KOREANA Été 2017
cadre de la mise en valeur du patrimoine culturel de ce royaume allait tirer d’un long sommeil un petit bout de terre oublié qui jouxtait les sépultures royales et que délimitaient à l’opposé les murs de la ville, un marais en contrebas, ainsi que, plus haut, des rizières en terrasse. Il correspondait à l’emplacement d’un temple bouddhique au style spécifique de l’époque de Baekje par sa porte intérieure dont subsistaient des vestiges, sa pagode en bois, son grand pavillon et son pavillon de lecture alignés du sud au nord, ainsi qu’une galerie faisant tout le tour de cet ensemble. C’est à l’arrière de l’enceinte, à un endroit où se trouvait un atelier, qu’allait être découvert le grand encensoir en bronze doré de Baekje qui représente la quintessence de l’art et de l’artisanat de cet ancien royaume. Sur l’ancien local que semblait avoir détruit un incendie, le toit de tuiles s’était effondré. En un point situé entre deux des trois salles qui le composaient, on trouva des monticules ovales dont la terre avait roussi et durci sous l’effet de la forte chaleur dégagée par les fours métallurgiques, puis, au milieu de l’une des salles, le grand encensoir gisant dans une flaque d’eau que devait avoir contenu un ancien bassin en bois. Le couvercle s’était légèrement écarté
du corps de la pièce enfouie sous un empilement de faïences diverses, de fragments de tuiles et d’autres objets, notamment en bronze doré et de petite taille. Selon toute vraisemblance, on aura cherché à dissimuler à la hâte le grand encensoir dans le bassin en le recouvrant d’un amas hétéroclite d’objets et l’incendie qui a détruit le local aurait éclaté par la suite. Près de 1400 ans plus tard, cette pièce se trouve dans un état de conservation exceptionnel et ne présente aucune corrosion. Sa profondeur d’enfouissement, à environ quatre mètres de l’actuelle surface du sol, doit l’avoir préservée des effets de l’oxygène et, en grande partie, des variations de la température extérieure. Au fur et à mesure de leur avancement, les fouilles ont permis de retracer l’histoire de l’édification du temple, notamment par la mise au jour d’une pagode en bois, du grand pilier central et de son socle en pierre, ainsi que d’un reliquaire de sarira en pierre sur lequel figure une inscription ayant trait au roi Chang de Baekje. Elle se trouve sur le couvercle voûté de ce coffret à sarira classé Trésor national n°288 et se compose de vingt idéogrammes signifiant en chinois classique : « Le présent sarira est une offrande votive accomplie pendant
2 1 L’encensoir en bronze doré de Baekje, cette magnifique pièce composée d’un dragon tenant entre ses dents une fleur de lotus, fut découvert en 1993 à l’emplacement d’un ancien temple situé non loin des tombeaux anciens de Neungsan-ri, une commune de l’agglomération de Buyeo. Hauteur : 61,8 cm ; poids : 11,8 kg. Trésor national n°287. Musée national de Buyeo. 2 Phénix aux ailes déployées surmontant le couvercle. De part et d’autre de son poitrail, des orifices laissent passer la fumée.
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© Buyeo National Museum
la 13ème année du règne du roi Chang [également connu sous le nom de Wideok ; r. 554–598] par sa sœur, la princesse ». Ce monarque, vingt-septième du royaume, était le fils du roi Seong (r. 523– 554). Ce dernier trouva la mort dans une embuscade tandis qu’il partait combattre pour délivrer son fils fait prisonnier par l’armée de Baekje lors de la prise de la forteresse de Gwansan édifiée par Silla. Ainsi, l’histoire du temple, comme son emplacement sur un étroit marais, non loin des tombeaux royaux situés hors la ville, ainsi que la teneur de l’inscription gravée sur le reliquaire en pierre de l’un d’eux, sont autant d’indications de la vocation royale de ce sanctuaire édifié en l’honneur du défunt monarque et de la fonction rituelle du grand encensoir qu’il renferme. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 27
L’histoire du temple, comme son emplacement sur un étroit marais, non loin des tombeaux royaux situés hors la ville, ainsi que la teneur de l’inscription gravée sur le reliquaire en pierre de l’un d’eux, sont autant d’indications de la vocation royale de ce sanctuaire édifié en l’honneur du défunt monarque et de la fonction rituelle du grand encensoir qu’il renferme.
Composition et ornements Le grand encensoir se compose d’une pièce moulée en alliage cuivre-étain auquel se superpose une dorure. C’est la mise en œuvre du procédé de moulage à la cire perdue qui aurait permis la réalisation de sa forme complexe et de sa surface irrégulière. Dans un premier temps, il s’agit de confectionner un modèle grandeur nature à partir d’un bloc de cire pour créer ensuite une empreinte dans du sable que l’on chauffe pour le durcir et faire fondre la cire. Une fois celle-ci retirée, on coulera le métal dans la cavité ainsi obtenue et, lorsqu’il se sera solidifié, on le démoulera. Les essais effectués sur les éléments constitutifs du grand encensoir ont permis de constater que le métal se composait à 81,3 % de cuivre et à 14,3 % d’étain, auxquels s’ajoutent en petite quantité des impuretés présentes dans l’étain telles que le plomb, l’argent, le nickel, le cobalt et l’arsenic. Quant à l’intérieur de l’encensoir, il est ainsi fait que la fumée dégagée par l’en28 KOREANA Été 2017
cens en se consumant monte à partir de l’orbe située sous le phénix jusqu’au passage aménagé entre ses pattes, ainsi que par de petits trous percés de part et d’autre de son poitrail. Au-dessous de son bec, s’accroche une perle magique, dite cintamani , qui participe de l’esthétique de la pièce et en renforce la structure. La fumée d’encens se répand également à travers dix autres orifices ménagés sur le couvercle avec un même espacement et gravés de reliefs accidentés. Si les bords en sont d’une exécution assez irrégulière par rapport à ceux qui se trouvent sur la poitrine de l’oiseau, on peut supposer qu’ils étaient à l’origine plus petits et lisses, mais ont été par la suite agrandis à la main pour mieux permettre le passage de la fumée. Le couvercle de l’encensoir s’orne de hauts-reliefs de sujets humains, animaliers et végétaux intercalés entre les chaînes de montagnes plus ou moins hautes qui se succèdent en perspective. Les hommes visibles çà et là vaquent à leurs activités,
qui assis bien droit sur un rocher pour s’adonner à la méditation, qui se promenant dans un bois ou chevauchant une monture et lançant des flèches. Parmi les nombreux autres représentés, certains se lavent la tête au pied d’une cascade, cheminent en s’appuyant sur une canne, saluent en s’inclinant, pêchent sur les rivages rocheux d’un lac ou se déplacent à dos d’éléphant et de cheval. Ces scènes comportent aussi des animaux imaginaires ou réels, tels l’ours, le tigre, l’oiseau, le cerf, le serpent et le sanglier. Figurent aussi dans ce décor gravé nombre de rochers, arbres, ruisseaux, chutes d’eau et lacs émaillant le paysage de montagne. Sur le corps principal du grand encensoir, trois couches de pétales de lotus se recouvrent, entremêlées de poissons et d’oiseaux d’eau ou du ciel, ainsi que d’autres animaux qui se nourrissent de poisson, l’ensemble composant le tableau d’un paradis taoïste sous-marin. La coupe constituant le corps proprement dit est reliée par une tige que tient
Cinq musiciens aux instruments différents se tiennent entre les sommets des chaînes de montagne parallèles qui ornent la partie supérieure du couvercle.
entre ses dents le dragon constitutif du pied, celui-ci étant raccordé à l’extrémité d’un tube qui ressort à la partie inférieure de la coupe. Une radiographie de la coupe transversale montre que celle-ci, ainsi que le tube, le dragon et la tige qu’il serre entre ses dents sont autant de pièces moulées que l’on a réalisées séparément et montées par la suite pour former un ensemble. Il en va de même du phénix qui surmonte le couvercle et de la perle située au-dessous de son bec, car ils ont fait l’objet de moulages différents avant de prendre place sur le couvercle. Enfin, le socle d’une conception ingénieuse représente un dragon patte dressée en l’air et prenant appui sur le sol de ses trois autres pattes placées selon un triangle parfait pour fournir une assise stable à l’ensemble de la pièce. L’espace qui s’étend entre les pattes du dragon et le corps de l’encensoir est décoré sur toute sa surface de motifs de vagues, nuages et fleurs de lotus qui contribuent à l’impression de stabilité de l’ensemble et ajoutent à l’effet dynamique suggérant l’envol du dragon dans le ciel surplombant une marée de fleurs de lotus splendides. L’étude iconographique de ces multiples symboles est en cours, mais nombre de scientifiques supposent d’ores et déjà que ceux composés d’animaux représentent un univers mythologique que se créèrent les
peuples d’Extrême-Orient dans l’Antiquité et qui doit renvoyer aux créatures décrites dans le traité chinois de mythologie et de géographie Shanhai jing (Classique des montagnes et mers), lequel date du IVe siècle avant J.-C.. Selon une autre hypothèse également très répandue, le phénix et les cinq oiseaux qui ressemblent à des oies sauvages, chacun perché sur un sommet différent, se réfèrent à l’ancienne cosmologie chinoise, qui fait encore autorité en Extrême-Orient et se fonde sur les figures du Grand Seigneur et des cinq empereurs.
Le contexte idéologique Par sa conception même, le grand encensoir de Baekje fournit une illustration des idéaux bouddhiques et taoïstes. Des liens l’unissent évidemment à la première de ces religions, puisqu’il faisait partie de la vaisselle rituelle d’un temple royal à une époque où le bouddhisme exerçait une forte influence, mais ceux qui le rattachent à la théorie taoïste du yin et du yang, ainsi que des cinq éléments, n’en attestent pas moins de l’ascendant de cette autre confession au vu de la position du phénix et du dragon, c’est-à-dire le yang et le yin, qui se placent respectivement en haut et en bas de l’ensemble. Il en va de même de l’emplacement des cinq oiseaux, des cinq musiciens et des cinq chaînes de montagnes comportant
chacune cinq grands sommets. En outre, l’iconographie du couvercle, où figurent le mont Bo, c’est-à-dire la montagne universelle, ainsi que celle relative à la demeure des immortels située en pleine mer, selon une légende chinoise, sont également le reflet d’une influence taoïste et montrent bien que la famille royale et l’aristocratie, bien que faisant partie d’un royaume bouddhique, avaient aussi fait leurs les préceptes du taoïsme. Le pied en forme de dragon, le couvercle orné de plusieurs chaînes de montagne et le phénix surplombant le couvercle sont autant d’éléments de conception originaux parmi d’autres qui situent le grand encensoir dans la continuité des « encensoirs à montagnes » répandus sous la dynastie chinoise des Han. Ces objets en bronze, qui figurent aussi parmi les reliques dites de Lelang (108 av. J.-C. - 313) mises au jour dans le nord de la péninsule coréenne, firent leur apparition dans les premiers temps de la dynastie des Han occidentaux (206 av. J.-C. - 9), mais tombèrent en désuétude sous celles des Sui (581–617) et des Tang (618–907). Toutefois, l’écart de temps considérable qui existe entre ces « encensoirs à montagnes » et ceux de Baekje, ainsi que les dimensions plus importantes et la conception plus élaborée de ceux-ci, permettent de mettre en doute leur filiation. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 29
RUBRIQUE SPÉCIALE 5 Sur les traces du royaume perdu de Baekje
LES SUJETS DE BAEKJE AU JAPON Le royaume de Baekje introduisit sa culture et ses techniques évoluées en Chine tout en accueillant et assimilant différents apports étrangers pour enrichir ses acquis et les diffuser dans les États les plus proches. Il entretenait ainsi des relations de bon voisinage avec le Japon en lui transférant des éléments de sa civilisation et de ses technologies en contrepartie d’une aide militaire. Des traces de ces échanges subsistent dans de nombreuses régions du Japon. Ha Jong-moon Professeur au Département de civilisation japonaise de l’Université Hanshin Ahn Hong-beom Photographe
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e quatrième jour du dixième mois de l’an 663, l’ultime bataille qui allait sceller le destin d’un royaume vieux de sept siècles fut livrée à l’embouchure du Geum. La ville de Sabi, qu’il avait prise pour capitale et qui est l’actuel Buyeo, étant d’ores et déjà aux mains de l’ennemi et bien que le roi Uija eut capitulé en 660, une guerre d’escarmouches se poursuivait en divers points du territoire. Les partisans de la restauration de Baekje firent alors appel au Japon, allié d’alors qui portait le nom de « Wa », afin qu’il dépêche des renforts et celui-ci y consentit en envoyant à deux reprises une armée de plus de 40 000 hommes. Deux jours durant, ces forces coalisées allaient affronter celles de Silla et des Tang chinois lors de furieuses batailles navales et terrestres qui prirent l’envergure d’un important conflit régional en Extrême-Orient et que remportèrent ces derniers protagonistes. Bien que plus évolué sur le plan culturel et plus habile en matière diplomatique que les deux autres royaumes coréens, Baekje ne parvint pas à éviter l’issue fatale, mais son alliance avec le Japon témoignait pour l’époque d’une grande ouverture sur le monde. Il conserva d’ailleurs ces liens après son effondrement, comme en atteste le document de l’an 815 intitulé Shinsen shojiroku (nouvelle sélection et répertoire des titres héréditaires et noms de famille), qui avait été commandé par l’empereur pour reconstituer la généalogie de l’aristocratie japonaise. Il révéla que pas moins d’un tiers des nobles du pays y avaient immigré, et ce, pour la plupart
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en provenance de Baekje. Les échanges avec ce royaume constituèrent un important apport pour la culture naissante du Japon et les fondements de son identité nationale, de sorte que, jusqu’au début du IXe siècle, les descendants des immigrés de Baekje furent largement représentés au sein de la classe dirigeante de l’empire.
Trois vagues migratoires L’émigration de sujets de Baekje au Japon s’est produite en trois temps. Elle débuta au cours de la seconde moitié du IVe siècle, époque à laquelle ce royaume s’employait résolument à resserrer ses liens avec ce pays pour mieux assurer sa défense lors de ses fréquents affrontements avec celui de Goguryeo situé au nord. À cet effet, il y dépêcha deux lettrés dont le premier, qui avait pour nom Ajikgi, et Achiki en japonais, emporta deux chevaux pour enseigner l’art équestre. Lorsqu’il s’avéra qu’il était aussi versé dans les classiques confucéens, il fut engagé comme précepteur du prince héritier. Quant au second de ces érudits, il s’agissait du docteur Wangin, ou Wani en japonais, qu’avait recommandé Ajikgi et qui allait introduire le Classique des Mille Caractères et les Analectes de Confucius dans l’empire. Plusieurs générations de ses descendants allaient aussi servir à la Cour où ils assurèrent des fonctions liées
1 Située à Nara, la Maison des Trésors de Horyu-ji conserve précieusement le Kudara Kannon (Avalokitesvara bodhisattva de Baekje), qui figure parmi les trésors du patrimoine artistique japonais. Cette figure gracieuse fut réalisée à la fin de la première moitié du VIIe siècle en camphrier doré et mesure 209 cm de hauteur. Sa remarquable auréole, sa couronne ajourée, les lignes épurées des épaules et de la taille, ainsi que la douce expression du visage sont autant d’illustrations du savoir-faire atteint par les artisans de Baekje. 2 Le sanctuaire du clan de la famille royale de Baekje, dit Kudarao-jinja, se trouve encore aujourd’hui à Hirakata, une commune de la préfecture d’Osaka. Au VIIIe siècle, les descendants du dernier roi de Baekje qui s’établirent au sud de cette ville bâtirent aussi le grand temple de Kudara-ji où étaient conservées les tablettes votives des rois de Baekje, mais qui fut détruit par un incendie. L’édifice actuel a été construit en 2002.
aux documents historiques, à la comptabilité et aux finances. Quand les armées de Goguryeo s’emparèrent en 475 de Wireyseong, la première capitale de Baekje qui fut nommée par la suite Hanseong, Baekje prit au lieu de celle-ci la ville d’Ungjin aujourd’hui appelée Gongju, et les migrations vers le Japon connurent alors une deuxième vague. Menacé d’agression par le royaume de Goguryeo, Baekje chercha à nouer des liens plus forts avec le Japon et, en contrepartie de l’aide militaire de ce dernier, il envoya nombre de personnes qualifiées dans des domaines culturels ou techniques. Ces échanges allaient connaître un grand essor ARTS ET CULTURE DE CORÉE 31
sous le règne des rois Muryeong (r. 501–523) et Seong (r. 523–554) avec l’émigration d’architectes et artisans du bouddhisme, suite à l’introduction de cette religion au Japon, ainsi que de techniciens et hommes de métier apportant leur nouveau savoir-faire : autant de spécialistes qui jouèrent un rôle décisif dans la réalisation de l’union nationale succédant au pouvoir morcelé de clans tout puissants dans leurs fiefs, mais aussi dans la diffusion de la culture bouddhique qui se produisit à l’époque dite d’Asuka (circa 538–710). La mère de l’empereur Kanmu en personne (r. 781–806), lequel avait pris pour capitale Heian-kyo, c’est-à-dire l’actuel Kyoto, pour succéder à Nara à la fin du VIIIe siècle, ce qui marqua l’avènement de l’époque de Heian (794–1185), aurait été une descendante du roi Muryeong de Baekje. Ce fait historique est de notoriété publique depuis que l’empereur Akihito en a fait état en 2001. Au lendemain de la chute de Baekje, la famille royale allait quitter le pays par la mer pour s’établir au Japon, entraînant à sa suite une grande partie de la classe dirigeante. Selon un document historique datant de 663 et tiré des Nihon shoki, c’est-à-dire les « chroniques japonaises », en embarquant dans le bateau à destination du Japon, les fugitifs se seraient écriés : « En cette journée, disparut le nom de Baekje. Pourrons-nous revoir un jour la tombe de nos ancêtres ? » Selon des documents d’archives, ils auraient été plus de trois mille à émigrer au Japon, où ils occuperaient plus tard des
postes clés de l’administration centrale en cette époque de transition où le Japon réalisait l’unité nationale.
Le bouddhisme de Baekje et la culture d’Asuka Grâce à la diffusion de textes sacrés traduits en chinois, le bouddhisme fit son apparition dans les Trois Royaumes où il donna une impulsion à la construction d’un État centralisé, permit à l’empereur de consolider son pouvoir et favorisa le rayonnement de la culture. Ce fut également ce qui se produisit au Japon. Selon des ouvrages historiques datant de la dynastie chinoise Sui (581–618), c’est par le biais des textes bouddhiques sacrés de Baekje que l’écriture se répandit au Japon. À la fin de la première moitié du VIe siècle, le roi Seong fit porter au Japon une statue et des soutras bouddhiques jusque-là absents de ce pays et, par la suite, il n’eut de cesse de fournir les ressources humaines nécessaires à une bonne implantation de cette religion. Moines bouddhiques, architectes et artistes de Baekje accoururent au Japon pour prendre part à la construction de l’Asuka-dera, également connu sous le nom de Hoko-ji, qui est l’un des temples bouddhiques les plus anciens de ce pays. Lors des cérémonies qui marquèrent son inauguration, une centaine de courtisans revêtirent des tenues traditionnelles de Baekje et c’est sûrement avec enthousiasme qu’ils le firent. Ainsi, c’est en conséquence des relations suivies qui unis-
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saient ce royaume au Japon que le bouddhisme parvint à y établir de solides assises. Dans le cadre de ces échanges diplomatiques, Baekje faisait appel aux préceptes du bouddhisme et à l’écriture en idéogrammes chinois, jouant en quelque sorte un rôle de médiateur culturel entre la Chine et le Japon. En témoigne une épingle à cheveux métallique en U agrémentée d’ornements, car ce type d’accessoire, que l’on retrouve déjà dans les tombes chinoises du troisième siècle, fut non seulement exporté au Japon en passant par Baekje, mais figurait aussi parmi les objets funéraires de nombre de tombes d’époque Baekje que l’on découvrit dans la région de Kansai, ainsi que dans celles de Kyoto, Osaka et Kobe. À ce propos, il convient de noter que les émigrés de Baekje emportèrent souvent eux-mêmes au Japon des objets tels que ceux-ci, alors en vogue en Extrême-Orient.
Deux statues et un même sourire Si l’échec de la restauration de Baekje précipita la chute du royaume, l’héritage culturel qu’il laissait allait connaître une nouvelle vie au Japon. L’influence de Baekje est partout visible au temple Todai-ji de Nara, qui renferme de nombreux et précieux vestiges bouddhiques et a été inscrit au Patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Au nombre de ceux-ci, se trouve encore une statue de grand Bouddha qui constitue un bien précieux du patri-
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1 La tombe supposée du docteur Wangin, ou Wani en japonais, à Hirakata, une commune de la préfecture d’Osaka. Arrivé de Baekje à la fin de la première moitié du IVe siècle, cet illustre lettré aurait introduit les idéogrammes chinois au Japon et ses descendants auraient exercé dans différentes administrations de ce pays. 2 Le pont de Kudara s’élève dans l’arrondissement de Higashisumiyoshi-ku situé dans le sud d’Osaka. Cet ouvrage du VIIe siècle témoigne des liens historiques qui unissent cette région à l’ancien royaume coréen de Baekje. Nombreux y sont les ponts, gares ou écoles primaires dont le nom comporte celui de ce royaume, ainsi que les Japonais d’origine coréenne.
moine national et aurait été réalisée par le petit-fils d’un immigré de Baekje arrivé au Japon après la chute du royaume. En vue de sa réalisation, les descendants de la famille royale de Baekje firent don d’une mine d’or qui appartenait au royaume. Ainsi se perpétuaient les fondements culturels de ce bouddhisme dont le royaume avait favorisé l’apparition. Les nouveaux venus de Baekje se répartissaient entre deux clans influents dont l’un était celui des Aya, qui s’établit à Kinai, la région qui accueillait la capitale et se trouvait près des préfectures d’Osaka et de Nara. Il s’agissait pour la plupart de forgerons ou d’artisans représentant différents corps de métier, dont ceux des fabricants d’équipements équestres, de soieries et de poteries. Le second était celui des Hata, qui s’établirent dans la préfecture de Kyoto ou ses environs et s’engagèrent dans des activités de sériciculture, de fabrications textiles et d’adduction d’eau. À leur tour, leurs descendants se répartirent selon plusieurs subdvisions portant des noms différents, à l’instar de Tsutomu Hata, qui fut le 80ème premier ministre du Japon à partir de 1994. Le temple de Koryu-ji, qui fut édifié en 603 dans le nord de Kyoto et appartenait à l’origine à cette même famille, abrite six statues bouddhiques classées trésors nationaux. La plus remarquable d’entre elles est une statue en bois dite du Bodhisattva pensif ou du Maitreya en méditation. Cette effigie du sage absorbé dans la contemplation des souffrances humaines a toujours fasciné les visiteurs au cours des siècles, jusqu’au grand philosophe allemand Karl Jaspers, qui aurait admiré dans cette œuvre sa « représentation sublime de la nature humaine ». On retrouve cette figure, presque à l’identique, dans la statue de Bodhisattva pensif en bronze doré qui constitue le Trésor national coréen n°83 et est exposée au Musée national de Corée, à Séoul. Ces deux œuvres présentent de remarquables similitudes, notamment par le sourire des sujets. Elles sont cependant restées anonymes et leur origine est toujours sujette à polémique, mais qu’elles proviennent de Baekje ou de Silla, l’important est le message de compassion qu’elles adressent par cet énigmatique sourire à tous les êtres vivants de Baekje, de Silla, du Japon ou d’ailleurs.
L’héritage de l’antique royaume Au Japon, existent des vestiges épars dans la région de Kansai et, pour les découvrir sans plus attendre, on sautera dans un avion qui atterrit à l’Aéroport international de Kansai, car celui-ci dessert l’ouest de ce pays. La première étape du périple se situe près d’Osaka, qui est la deuxième ville du pays. Le prince Seongwang, dont le père fut le dernier roi de Baekje, y vécut jusqu’à sa mort après la chute du royaume. L’empereur lui donna d’ailleurs pour nom de famille japonais celui de Kudara no Konikishi, ce qui signifie « roi de Baekje ». En compagnie d’autres descendants de la famille royale, il allait élire domicile dans le canton de Baekje, qui se trouve au sud d’Osaka et où vivaient déjà des compatriotes. Aujourd’hui, il se nomme ARTS ET CULTURE DE CORÉE 33
Si l’échec de la restauration de Baekje précipita la chute du royaume, l’héritage culturel qu’il laissait allait connaître une nouvelle vie au Japon et y perdurer en particulier par le biais des fondements bouddhistes qu’avait établis ce royaume.
Ikuno-ku, mais accueille toujours une importante population coréano-japonaise et nombreux sont les ponts, gares ou écoles primaires dont le nom comporte celui de Baekje. À l’époque où vivait la génération de l’arrière-petit-fils de Keifuku, le clan des Kudara s’établit à Hirakata, une ville du nord de la préfecture d’Osaka. Le dit Keifuku, ou Gyeongbok en coréen, fit don d’or en vue de l’édification de la grande statue de Bouddha que conserve à ce jour le temple de Todai-ji situé à Nara. C’est aussi grâce à ce généreux donateur que fut construit le temple de Kudara-ji à l’intention de son clan, mais un incendie le réduisit en cendres et un parc lui succéda. En revanche, le sanctuaire du clan des Kudarao-jinja, qui avait été élevé à la même époque non loin de là, allait être reconstruit par la suite. La destination suivante est la ville de Nara, au sud de laquelle se trouve le village d’Asuka qui abrite le temple d’Asuka-dera, mais il n’y subsiste que de rares traces d’un peuplement originaire de Baekje, car, lorsque l’empire prit Nara pour capitale, les temples de ces ressortissants y furent aussi déplacés. En effectuant une première halte au temple de Gango-ji, qui fut jadis l’un des sept les plus importants de Nara aux côtés de Todai-ji et Kofuku-ji, mais connut un déclin dès le Moyen-Âge, le visiteur n’omettra pas d’en admirer le grand pavillon à toit de tuiles, aujourd’hui classé trésor national, car il figure parmi ceux que réalisèrent les artisans de Baekje à l’époque Asuka. À Gango-ji, succède Todai-ji à peu de distance, puis Horyu-ji, dont la vaste enceinte compte nombre de trésors nationaux, celui
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qui s’imprègne encore le plus de l’atmosphère de Baekje étant le Kudara Kannon, c’est-à-dire l’Avalokitesvara Bodhisattva de Baekje. Cette statue en bois d’une hauteur supérieure à deux mètres constitue un véritable chef-d’œuvre par sa représentation sculptée de la beauté de ce corps humain qui inspira longtemps les artistes. En 1997, elle allait être exposée au Musée du Louvre dans le cadre d’un échange de biens du patrimoine culturel entre la France et le Japon. Le voyageur empruntera ensuite un train qui le conduira dans la ville de Kyoto située plus au nord. D’aucuns affirment que nul ne peut prétendre l’avoir visitée s’il n’a pas vu le temple de Kiyomizu-dera, dont l’histoire est également liée à celle de Baekje. C’est le général et shogun Sakanoue no Tamuramaro, qui conquit la région de Tohoku sous le règne de l’empereur Kanmu, qui fut à l’origine de son édification. Son grand pavillon, qui figure parmi les trésors nationaux, serait une reconstitution du domicile de ce monarque. Durant son règne, ce dernier aurait compté du côté maternel des descendants des membres du clan des Aya qui était l’une des subdivisions de celui des Sakanoue apparu plus tôt et était représenté parmi les plus hauts gradés de l’armée qui jouèrent un rôle décisif dans l’avènement de l’ère de Heian. Cette promenade arrivera à son terme dans la ville de Kyoto, qu’il convient de parcourir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour parvenir au temple de Koryu-ji où un grand nombre de statues bouddhiques anciennes attendent le voyageur, dont la fameuse figure en bois du Bodhisattva pensif. Tout en admirant ce sommet de l’art bouddhique, le visiteur prendra le temps de méditer sur le triste sort des réfugiés de Baekje qui furent contraints de quitter leur pays.
Les relations à venir Suite à la rupture de l’alliance qu’avait nouée avec le Japon le royaume de Baekje, tous leurs échanges allaient également cesser, ce qui était de mauvais augure pour l’avenir de leurs relations et à la fin du XVIe siècle, le Japon allait envahir le royaume de Joseon, causant d’énormes pertes sur le plan humain comme matériel, puis annexer l’Empire coréen en 1910. Aujourd’hui encore, la Corée conserve la blessure des trente-cinq années d’occupation que lui imposa ce pays et la question se pose désormais de savoir quelle orientation prendront les relations entre eux. Il est à espérer qu’elle s’inspirera des liens d’amitié et de compréhension qui les unirent voilà un millénaire et demi, ainsi que de leur ouverture d’alors sur le monde.
1 Pavillons principal (à droite) et zen de Gango-ji, à Nara. À l’époque d’Asuka, des artisans de Baekje fabriquèrent leurs nombreuses tuiles aux tons brunâtres caractéristiques. Premier temple du Japon, cet édifice bâti en l’an 593 portait à l’origine les noms d’Asuka-dera ou d’Hoko-ji. Déplacé en 718 à Nara, lorsque cette ville fut prise pour capitale, il fut dès alors appelé Gango-ji. 2 Située au temple Horyu-ji de Nara, cette pagode en bois à cinq étages compte en son genre parmi les plus anciennes au monde. Elle fut réalisée lors de la reconstruction de ce temple, à la fin du VIIIe siècle, après que le sanctuaire d’origine, qui datait de 607, eut été détruit par un incendie en 670. Cette pagode présente le style caractéristique qui fut celui de Baekje au VIIe siècle. Elle s’élève à 32,5 mètres de hauteur.
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DOSSIERS
LE HANGEUL , SON INVENTION ET SON AVENIR SOUS L’ANGLE DU DESIGN L’exposition exceptionnelle Design du hangeul : prototypes et avenir de l’alphabet coréen qui se déroulait du 28 février au 28 mai derniers au Musée national du hangeul dressait un état des lieux de cet alphabet en pleine évolution et envisageait son emploi dans une Corée réunifiée. Chung Jae-suk Journaliste au JoongAng Ilbo
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Ces panneaux en acrylique transparent étaient placés sous une lumière tamisée à l’entrée de l’exposition intitulée Design du hangeul : prototypes et avenir de l’alphabet coréen que proposait le Musée national du Hangeul . Elle permettait de découvrir les 33 pages du Hunminjeongeum Haerye , le traité qui exposa les principes du nouvel alphabet coréen lors de son entrée en vigueur en 1446.
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n 1443, le roi Sejong, quatrième du royaume de Joseon, acheva de mettre au point un nouvel alphabet coréen qui portait le nom de hunminjeongeum , auquel allait succéder par la suite celui de hangeul . Il représentait l’aboutissement du travail considérable effectué par ce monarque et les fonctionnaires de l’État dans le but d’atténuer les inégalités sociales en permettant au peuple de savoir lire. Les sujets du royaume rencontraient en effet pour la plupart des difficultés d’expression écrite au moyen des idéogrammes chinois et d’un alphabet archaïque, dit idu , qui alliait ces caractères à des marqueurs grammaticaux maîtrisés par l’élite savante. En 1446, au ARTS ET CULTURE DE CORÉE 37
terme de trois années de recherche et d’expérimentation approfondies, Sejong publia son traité intitulé Hunminjeongeum Haerye , qui décrit les caractéristiques phonologiques des lettres et fournit des exemples de leur usage. Dans sa préface, le roi écrit à ce propos : « Malgré son besoin de communiquer, notre pauvre peuple n’a pas la possibilité de le faire librement à l’écrit. C’est par compassion pour lui que nous avons créé ces 28 nouvelles lettres. Mon seul souhait est que tout un chacun puisse les apprendre et les utiliser aisément dans la vie quotidienne ». À mon entrée dans la salle d’exposition faiblement éclairée, j’aurais cru entendre le grand roi s’exprimer ainsi.
Un système d’écriture novateur Depuis son inauguration en 2014, plus précisément le 9 octobre qui est le Jour du hangeul, le Musée national consacré à cet alphabet s’attache à faire connaître son histoire et ses qualités par des expositions temporaires et diverses autres manifestations. Il vise notamment à rappeler toute l’originalité et la facilité d’emploi de ce système d’écriture spécifique, car les Coréens ont souvent tendance à les oublier avec l’habitude de se servir constamment de cet outil, comme l’eau qu’ils boivent ou l’air qu’ils respirent. L’exposition, qui marquait également le 620ème anniversaire de la naissance du roi Sejong (1397–1450 ; r. 1418–1450) présentait tout d’abord une œuvre d’installation comportant un extrait de trente pages du Hunminjeongeum Haerye. Cet ensemble était destiné à donner au visiteur l’impression de prendre place dans une machine à voyager dans le temps pour se plonger dans la lointaine époque où le roi Sejong conçut son nouvel alphabet à l’intention du peuple. En le découvrant, on imaginait la joie qui avait été celle du monarque lorsqu’il avait proclamé cette création qui mettait fin à la dépendance du pays vis-à-vis de la Chine dans ce domaine, car cet esprit pragmatique et indépendant était animé de l’amour de son peuple. L’exaltation royale doit aussi avoir gagné les fonctionnaires éru-
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© National Hangeul Museum
dits qui avaient apporté leur contribution à cette entreprise. Dans une autre préface due à Jeong In-ji (1396–1487), l’un des serviteurs royaux qui participèrent à cet énorme travail et aidèrent à en surmonter les écueils, celui-ci exprime en ces termes toute la fierté qu’il ressent : « Un esprit vif peut l’apprendre en une matinée et un plus lent, en pas plus de dix jours ». Les linguistes du monde entier ont reconnu l’importance de l’invention de cet alphabet « le plus jeune et le plus scientifique du monde ». Robert Ramsey, un professeur de linguistique de l’Université du Maryland spécialisé dans les langues d’Asie de l’Est, affirme ainsi : « Le hangeul est un présent fait à l’humanité. S’il est le reflet du haut degré de culture atteint par la Corée, sa valeur dépasse les frontières de ce pays ». Le romancier français Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui a été lauréat du Prix Nobel de Littérature en 2008, note quant à lui : « Un jour suffit pour apprendre à lire en coréen. Le hangeul est un système d’écriture hautement scientifique et extrêmement pratique ». Enfin, l’historien britannique John Man, auquel est dû Alpha Beta: How 26 Letters Shaped the Western World , a formulé le commentaire suivant : « Le hangeul est le meilleur alphabet dont on puisse rêver pour une langue quelle qu’elle soit ». Par ailleurs, il faut rappeler qu’il est le seul en son genre dont l’invention a laissé des traces écrites parvenues jusqu’à nos jours.
Les traces sans pareilles d’une invention Le titre Hunminjeongeum signifie littéralement « sons corrects pour instruire le peuple » et l’alphabet qu’il décrit comportait à l’origine vingt-huit lettres correspondant à dix-sept consonnes et onze voyelles représentées par des points, traits et cercles, comme pouvait le découvrir le visiteur dans le premier volet de l’exposition intitulé Un apprentissage facile et une utilisation pratique : des lettres à aimer et à communiquer. Les dix-sept consonnes y étaient représentées à l’aide de cinq symboles phonémiques de base reproduisant la forme des organes vocaux concernés et complétés d’un trait correspondant à leur sonorité. L’adjonction d’un trait à « ㄴ » (ni-eun) permettait ainsi d’obtenir « ㄷ » (di-geut), plus sonore, et il en allait de même pour « ㄷ » qui se transformait en « ㅌ » (ti-eut), chaque lettre indiquant ainsi ses caractéristiques phonétiques. Quant aux onze voyelles, elles étaient désignées à l’aide des trois signes symboliques de l’univers que sont «•», « ㅡ » et «ㅣ» correspondant respectivement au ciel, à la terre et à l’homme. Les différentes associations des consonnes et voyelles ci-dessus permet-
1 Dans « 톱 » , (top : scie), Chae Byung-rok explicitait le sens du vocable « 톱 » en le décomposant selon ses phonèmes initial, médian et final que sont respectivement « ㅌ », « ㅗ » et « ㅂ ». 2 « 장석장 » (jangseokjang : mobilier ornemental), dû à Ha Jee-hoon, se composait d’un meuble en bois agrémenté d’ornements métalliques en forme de consonnes et voyelles du hangeul , à la manière du mobilier en bois traditionnel d’époque Joseon. 3 Dans son œuvre expérimentale intitulée « 버들 » (beodeul : saule) parce qu’elle se compose d’images de feuilles de cet arbre, Yu Myung-sang a cherché à comprendre le rôle de l’écriture dans l’imagination.
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taient de composer plus de 10 000 blocs syllabiques autorisant un nombre quasiment infini de combinaisons. Le hangeul se présente ainsi comme un système unique en son genre d’écriture syllabique fondée sur les sons initial, médian et final d’une syllabe et, comme l’écrivait Jeong In-ji dans sa préface : « À partir de ces 28 lettres, les variations sont sans limite ».
Le renouveau comme thème de création Avec pour titre Des variations à l’infini : la souplesse du hangeul revue dans le design , la seconde partie de l’exposition mettait en lumière ces innombrables combinaisons dans les trente œuvres qu’avaient réalisées vingt-trois groupes de créateurs. Ceuxci avaient donné une nouvelle vie aux prototypes du Hunminjeongeum en composant des structures à deux ou trois dimensions révélant la source d’inspiration que peut constituer le hangeul dans le domaine artistique. Ce faisant, il ont accompli un important travail de renouvellement, à l’instar de Chung Byung-kyu, ce créateur de couvertures de livres et de polices de caractères qui estime ainsi qu’« Il faut revenir au Hunminjeongeum ! » et d’avancer à l’appui : « Le hangeul est un excellent outil qui offre la possibilité de se soustraire à l’influence
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1 Avec « 감 » (Gam : « kaki/sentiment/tissu »), Jang Soo-young entendait faire revivre le hangeul sous sa forme d’origine en faisant usage des marqueurs de tons qui en constituèrent d’importants éléments, aux côtés de trois syllabes identiques gravées en relief sur des panneaux de bois différents pour mettre en relief leurs significations respectives. 2 Visiteur observant différentes associations de l’image à l’alphabet hangeul .
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occidentale, longtemps restée dans le subconscient et façonnant ainsi la pensée ». Avec « Do You Love 파리? » (Aimez-vous pari ?), Park Yeounjo avait décliné des dérivations linguistiques à la fois familières et étranges à partir des sept significations différentes du mot « 파리 », dont « mouche » et « la ville de Paris ». Les différentes connotations de ce simple vocable sont amusantes et stimulantes pour l’esprit, car, en se mêlant et en se répétant à l’intérieur d’une même phrase, elles produisent des contrastes étonnants. Quant à Yu Myung-sang, dans son œuvre intitulée « 버들 » (saule), elle cherchait à savoir jusqu’où les lettres pouvaient se mélanger pour créer des images, comme autant de feuilles de saule. L’œuvre s’affranchissait ainsi des limitations qui s’imposent aux lettres d’autres alphabets et les empêchent de s’assembler pour produire des formes centrées sur l’image. « 감 » (Kaki/Sentiment/Tissu), de Jang Soo-young, s’efforçait de faire revivre l’écriture coréenne telle qu’elle se présentait à ses origines en y faisant figurer les marqueurs de tons aujourd’hui disparus. Pour ce faire, l’artiste avait gravé la syllabe « 감 » en relief sur trois panneaux de bois en l’accompagnant de marqueurs de tons différents et de graphiques indiquant les dif-
férentes prononciations de ce même mot enregistrées sur un analyseur de sons. Enfin, les visiteurs ont particulièrement apprécié les séries de Ha Jee-hoon et Hwang Hyung-shin qui étaient respectivement consacrées à la menuiserie pour mobilier purement ornemental ou pour celui où figurent des caractères du Hunminjeongeum tracés à la scie et qui soulignaient les apports esthétiques du hangeul dans la vie quotidienne. Ha Jee-hoon avait orné les meubles exposés de consonnes et voyelles du hangeul pour évoquer la beauté simple du mobilier à motifs métalliques de la période de Joseon, tandis que Hwang Hyung-shin exposait des outils, bancs et chaises en bois dont les formes rappelaient les traits et points du hangeul . En les associant différemment les unes aux autres, ces pièces permettaient d’obtenir plusieurs lettres. Après une première édition proposée en octobre 2016 au Centre culturel coréen de Tokyo, la préparation de celle du Musée national du hangeul a exigé plus de sept mois de travail pour ses conservateurs et mobilisé pas moins de vingt-trois groupes de jeunes créateurs. En assurant la continuité de projets d’une telle ampleur, le Musée national du hangeul affirmera sa raison d’être en tant qu’or-
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ganisme indépendant, bien qu’il soit actuellement abrité par les vastes locaux du Musée national de Corée, sans compter les incidences sociales que pourront avoir ces réalisations par-delà leur vocation artistique et culturelle.
Une autre manifestation remarquable Si la Corée s’enorgueillit aujourd’hui encore de l’invention de son alphabet, celui-ci a connu bien des péripéties au cours des siècles derniers. Pour s’en convaincre, il suffit de penser au combat acharné qu’a mené le peuple afin de préserver ce système d’écriture et l’ensemble de sa langue de la politique d’assimilation culturelle et ethnique entreprise par le Japon pendant l’occupation du pays (1910–1945) et qui a grandement participé à sa lutte pour l’indépendance. En 1940, au prix d’efforts considérables, Chun Hyung-pil (1906–1962), qui figure parmi les principaux collectionneurs de trésors culturels coréens, a dépensé une fortune pour faire secrètement l’acquisition de l’édition originale du Hunminjeongeum Haerye. Par la suite, il a fait tout son possible pour conserver ce document d’une valeur inestimable jusqu’à la libération coréenne. Il affirmait à l’époque : « C’est en pensant à l’avenir du Hunminjeongeum que j’ai toujours plus acquis la conviction que notre nation accèderait à son indépendance ». Depuis le 13 avril et jusqu’au 12 octobre prochain, a lieu au Musée du design de la Dongdaemun Design Plaza de Séoul une exposition qui présente justement cette édition originale du Hunminjeongeum Haerye . Sous le titre Hunminjeongeum et Nanjung Ilgi : un autre regard, elle offre au public une occasion exceptionnelle de découvrir les originaux de ces deux grands classiques qui constituent des trésors nationaux d’ores et déjà inscrits au Registre de la mémoire du monde de l’UNESCO. Le second n’est autre que le journal de guerre de l’amiral Yi Sun-sin qui livra maintes batailles victorieuses pour repousser les invasions japonaises conduites par Hideyoshi de 1592 à 1598. De même que nombre de Coréens ont vu dans le Hunminjeongeum un flambeau de la lutte pour la libération nationale, on peut affirmer que le hangeul n’a cessé de contribuer à la construction de leur identité nationale au cours des soixante-dix dernières années qui ont suivi la partition de la péninsule. En Corée du Sud, le Jour des enseignants a été fixé en 1965 au 15 mai pour le faire coïncider avec celui de l’anniversaire du roi Sejong, trente-neuf ans après que le 9 octobre eut été choisi pour fêter la création de l’alphabet coréen à l’initiative d’érudits nationalistes et ardents défenseurs du hangeul , alors que le pays était encore soumis au joug de l’occupant japonais. Tout comme la nation a trouvé dans le hangeul une source d’inspiration qui lui a permis de surmonter les épreuves du siècle dernier, le moment est venu de revenir aux origines de cette écriture pour y puiser l’énergie de faire face aux défis de ce XXIe siècle.
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HISTOIRES DES DEUX CORÉES
Couverture de versions traduites dans différentes langues du roman La dénonciation dû à l’écrivain nord-coréen qui, sous le pseudonyme de Bandi, brosse un tableau du régime totalitaire de son pays isolé du reste du monde. Au début de cette année, cette œuvre a été éditée dans de nombreux pays du monde.
UN TOUR D’HORIZON DE LA LITTÉRATURE DISSIDENTE NORD-CORÉENNE Un recueil de nouvelles qui vient de paraître attire particulièrement l’attention, car son auteur nord-coréen vit toujours dans son pays, contrairement à ceux qui en parlent après l’avoir fui dans des mémoires décrivant une situation désastreuse. Traduite en plusieurs langues, La dénonciation de Bandi livre un tableau surprenant du quotidien et révèle ainsi un aspect nouveau de la littérature nord-coréenne. Kim Hak-soon Journaliste et professeur invité à l’École des médias et de la communication de l’Université Koryo
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ue sous un angle occidental, la littérature nord-coréenne se résume à un porte-voix de la dynastie des Kim par lequel celle-ci chante les louanges du régime dictatorial qu’elle perpétue depuis trois générations. Dans ses productions officielles, elle s’est en effet toujours conformée aux grandes lignes idéologiques imposées à la création par le plus haut dirigeant du pays telles qu’il les énonce dans son discours du Nouvel An.
Un panégyrique du régime et une critique sociale Pour autant, on ne saurait croire que les œuvres de ce pays se bornent toutes à faire l’éloge du régime. La poétesse Choi Jin-yi, qui a fui la Corée du Nord en 1998 après avoir exercé au sein du Sous-comité national pour la poésie rattaché au Comité central de l’Union des écrivains [Nord-]coréens, entend ainsi dissiper cette idée largement répandue parmi les lecteurs en démontrant qu’il y a plus que cela dans ce domaine. Elle affirme à ce propos : « En Corée du Sud, beaucoup ont tendance à penser que les écrivains nord-coréens n’écrivent que pour flatter le pouvoir en place. À première vue, cela peut paraître vrai, car le régime nord-coréen est de nature autoritaire. En réalité, de tels auteurs sont considérés comme les pires flagorneurs qui soient et ils ignorent les fondements même de la littérature ». Quand ils sont entre eux, les membres de l’Union formulent parfois des critiques indirectes sur le gouvernement, affirme Choi Jin-yi. Un jour, un important poète et panégyriste du fondateur du régime, Kim Il-sung, ainsi que de son fils Kim Jong-il, s’est entendu adresser la remarque suivante par l’un de ses confrères : « Pourquoi tant de poèmes à la gloire des Kim, alors que tu en dis du mal en privé ? », ce à quoi il n’a trouvé à répondre que : « En écrivant ces poèmes, c’était à Dieu, et non aux Kim, que je pensais, alors quel mal y a-t-il à cela ? » Le défunt Kim Jong-il aurait lui-même refusé le poème que les écrivains de l’Union lui avaient fait lire au motif qu’il « lui [donnait] la chair de poule ». Sur le plan thématique, les écrivains nord-coréens font preuve d’une grande diversité en s’intéressant à des sujets aussi divers que l’amour, le choix d’un métier, le divorce, les inégalités entre ville et campagne ou le fossé des générations. Ils sont en droit d’émettre des critiques modérées sur l’organisation sociale dans les limites que leur impose l’indispensable autonomie de la littérature nord-coréenne et du système dans son ensemble. Des œuvres dépourvues de tout contenu idéologique telles que Une ode à la jeunesse de Nam Dae-hyon (1987) ou Ami de Paek Nam-ryong (1988) sont parvenues en Corée du Sud à la fin des années 1990. La première conte une histoire d’amour avec en toile de fond des vies admirables de jeunes intellectuels, scientifiques et ingénieurs, tandis que la seconde, intitulée Ami, traite du divorce. Ce grand succès d’édition allait séduire à leur tour les lecteurs étrangers, notamment en France où sa traduction a paru en 2011. Cette diffusion représentait une première pour une œuvre littéraire nord-coréenne. Quant au roman historique Hwang Jin-yi dû à Hong
Sok-jung, il est arrivé sur les rayons des librairies sud-coréennes en 2004, après avoir fait sensation à Pyongyang à peine deux ans auparavant. Son auteur n’est autre que le petit-fils de Hong Myonghui (1888–1968), aussi connu sous son nom de plume de Byokcho et créateur de la saga historique Im Kkokjong , que le lectorat des deux Corées a pareillement appréciée.
Bandi, l’écrivain sans visage En Corée du Nord, un total interdit pèse sur la littérature dissidente et tout écrivain s’aventurant à critiquer ouvertement le régime est passible d’internement en camp de rééducation. Une œuvre qui vient de paraître attire de ce fait l’attention à l’étranger dans la mesure où son auteur est supposé vivre en Corée du Nord. Ce recueil de nouvelles intitulé La dénonciation dans sa version française est dû à Bandi, dont le pseudonyme signifie « luciole », et sa notoriété va croissant depuis qu’un écrivain français a qualifié cet auteur de « Soljenitsyne nord-coréen ». Dans l’esprit de celui-ci, le choix de ce nom de plume correspond au but qu’il s’est fixé de dévoiler l’état de détresse de son pays, « comme une luciole [qui] ne brille que dans l’obscurité ». Sa situation actuelle est en effet très proche de celle où se trouvait, dans l’ancienne Union soviétique, le lauréat du Prix Nobel de littérature de 1970 Alexandre Soljenitsyne (1918–2008). Comme lui, il s’oppose au régime actuel de son pays et, dans l’impossibilité de s’y faire éditer, il en est venu à faire sortir clandestinement ses écrits à l’étranger. Pour que la littérature soviétique éveille l’intérêt du public étranger, il a fallu attendre que les romans de Solzhenitsyne Une journée d’Ivan Denissovich et L’Archipel du goulag dénoncent les horreurs perpétrées par la dictature staliniste, et de même, La dénonciation aura permis de faire connaître la littérature dissidente nord-coréenne hors des frontières du pays. Les sept nouvelles qui composent ce recueil brossent un tableau authentique des difficultés que connaît au quotidien un peuple maintenu sous le joug du régime et, si chacune d’entre elles diffère par son thème et son intrigue, l’objectif poursuivi demeure dans tous les cas une remise en question du pouvoir qu’exerça Kim Il-sung. Intitulée La fuite et rédigée dans un style épistolaire, la première évoque le cas d’un homme qui soupçonne sa femme de prendre en cachette des pilules contraceptives. Dans la correspondance qu’il entretient avec un ami, il parle de la déception qu’il ressent face à un « système de castes » dynastique et lui annonce sa décision de faire défection. La ville des spectres évoque quant à elle la relégation dans une zone rurale isolée d’une famille de Pyongyang accusée d’actes blasphématoires, au seul motif qu’un enfant de trois ans était saisi de crises à la vue des portraits de Karl Marx et de Kim Il-sung exposés de l’autre côté de la rue, ce qui obligeait ses parents à garder les rideaux constamment tirés. Par ailleurs, Si près si loin conte l’histoire bouleversante d’un homme qui n’a même pas pu voir sa mère sur son lit de mort, bien qu’il ait essayé ARTS ET CULTURE DE CORÉE 43
de le faire en prenant un train sans billet. Les inévitables contrôles de sécurité mettront vite fin à cette tentative, car, en Corée du Nord, il est impossible de voyager sans être muni d’un laissez-passer. Ce recueil s’achève sur un texte intitulé Champignon rouge . Qualifiant le siège du Parti des travailleurs de « champignon rouge vénéneux », un journaliste appelle au renversement du régime de Kim Il-sung en s’écriant : « Arrachez ce champignon vénéneux de cette terre… non, de la Terre, à jamais ! » La thématique centrale des sept nouvelles du recueil repose donc sur la rébellion qui se déclenche contre un régime brutal par un lent processus allant de la résistance passive à la défection et au rejet de ce Parti des Travailleurs qui est le chantre de la dictature du prolétariat nord-coréenne.
Le « Soljenitsyne nord-coréen » C’est en 2013 et dans le plus grand secret que les manuscrits de ces nouvelles ont été introduits en Corée du Sud, par des moyens qui relevaient d’une opération d’espionnage. Après avoir fui la Corée du Nord et s’être réfugiée à Séoul, une cousine de Bandi avait pris contact avec Do Hee-yoon, qui assure le secrétariat général de la Coalition des citoyens pour les droits de l’homme des personnes enlevées et des réfugiés nord-coréens. Par le biais d’un ami chinois qui se rendait en Corée du Nord, Do Hee-yoon avait alors fait transmettre une lettre à l’auteur pour qu’il remette les manuscrits. À la lecture de cette missive, Bandi allait sans plus attendre extraire les manuscrits de leur cachette et, pour les soustraire aux contrôles, les dissimuler parmi des documents de la propagande officielle tels que les Œuvres choisies de Kim Il-sung . À son arrivée, le manuscrit était en si mauvais était qu’il semblait dater des années 1960 ou 1970. Le papier jauni était marqué des traces du crayon sur lequel l’auteur devait avoir beaucoup appuyé voilà longtemps de cela. Déjà, il avait pour titre La dénonciation et était signé du pseudonyme de Bandi. Selon Do Hee-yoon, Bandi, qui est né en 1950, vivrait encore en Corée du Nord et serait membre de l’Union des écrivains coréens, bien que d’aucuns affirment qu’il ne souhaite pas révéler sa véritable identité afin de le protéger. En mai 2014, après bien des péripéties, son œuvre allait enfin paraître à Séoul. En Corée du Sud, le public n’allait pas lui accorder d’intérêt particulier, si ce n’est par le fait que l’auteur n’était pas un transfuge, mais un citoyen nord-coréen, et par la manière dont les manuscrits étaient parvenus dans le pays. Certains sont allés jusqu’à douter de l’existence de son auteur, l’authenticité et les qualités littéraires de
l’œuvre étant de ce fait sous-estimées. À l’opposé de l’indifférence manifestée par le lectorat sud-coréen, c’est avec enthousiasme que celui de l’étranger, ainsi que la critique internationale, allaient accueillir cette œuvre, notamment à sa sortie en France en 2016. Pierre Rigoulot, l’historien et défenseur des droits de l’homme en Corée du Nord qui dirige l’Institut d’Histoire sociale de Paris, est allé jusqu’à qualifier Bandi de « Soljenitsyne nord-coréen ». Dans l’avant-propos qu’il rédige pour l’édition française de La dénonciation , il écrit ainsi : « C’est une petite luciole, mais qui donne beaucoup d’espoir ». Le livre a été largement évoqué par la presse française, notamment les quotidiens Le Figaro et Libération , ainsi que par des stations de radio telles que France Inter, France Info et RFI, ou des magazines comme Marianne . « J’ai traduit de nombreux romans coréens en français. Mais je ne m’étais jamais autant extasiée intellectuellement qu’en traduisant les nouvelles de Bandi. Les intrigues sont splendides », allait déclarer Lim Yeong-hee, traductrice de la version française. La dénonciation a été traduite en dix-neuf langues et éditée presque simultanément dans vingt et un pays, dont la Grande-Bretagne, le Canada, l’Italie, le Japon, l’Allemagne, la Suède et les États-Unis, ainsi qu’au Portugal en mars dernier. Sa traduction anglaise a été réalisée par Deborah Smith, une traductrice britannique qui, en 2016, a partagé le prix de fiction Man Booker International avec l’écrivaine coréenne Han Kang pour sa traduction du roman Le végétarien . La traduction de La dénonciation livrée par Deborah Smith a figuré en automne 2016 sur la liste des dix meilleures traductions retenues par l’organisation britannique PEN. À New York, les Américains d’origine coréenne ont lancé une campagne visant à proposer Bandi pour le Prix Nobel de Littérature. « Un recueil de nouvelles écrites sous un pseudonyme et sorties de la Corée du Nord en contrebande fait actuellement sensation dans le monde littéraire », a très solennellement annoncé le quotidien britannique The Guardian . « Les récits dissidents de son auteur inconnu, qui vit encore dans son pays, sont autant de rares témoignages provenant d’un pays dictatorial fermé au monde extérieur ». Le webzine littéraire The Millions a pour sa part classé La dénonciation au nombre des livres les plus attendus de l’année 2017 et la revue de critique littéraire américaine Publishers Weekly a estimé que : « Bandi donne un exceptionnel aperçu de la vie inimaginable des Nord-Coréens ». Enfin, la librairie américaine en ligne Amazon a fait le commentaire suivant : « La dénonciation est une représentation vivante de la vie dans un État fermé et constitué d’un parti unique, ainsi qu’un témoignage plein d’espoir sur l’humain qui sur-
« Un recueil de nouvelles écrites sous un pseudonyme et sorties de la Corée du Nord en contrebande fait actuellement sensation dans le monde littéraire », a très solennellement annoncé le quotidien britannique The Guardian . « Les récits dissidents de son auteur inconnu, qui vit encore dans son pays, sont autant de rares témoignages provenant d’un pays dictatorial fermé au monde extérieur ». 44 KOREANA Été 2017
Le 30 mars dernier, des éditeurs et défenseurs des droits de l’homme de différentes nationalités participaient à une séance de lecture de La dénonciation près du Pont de la Liberté situé non loin du Pavillon Sud d’Imjingak qui se trouve dans la zone démilitarisée, à hauteur de Paju, une ville de la province de Gyeonggi.
© Lee Seung-hwan (Dasan Books)
vit à des conditions aussi inhumaines ». « [Ce] n’est pas seulement un livre doté d’une intrigue bien faite : c’est un recueil de nouvelles rédigées à la perfection qui, comme l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne, parle avec autorité et beaucoup d’authenticité », a affirmé au Guardian Hannah Westland, qui dirige la maison d’édition britannique de La dénonciation , Serpent’s Tail. « La démarche de la satire par l’absurde adoptée par Bandi rappelle le Rhinocéros d’Ionesco et son esprit cinglant… ainsi qu’un autre grand dissident littéraire russe, Mikhail Bulgakov ». « Bandi se démarque résolument des écrivains contemporains sud-coréens d’un point de vue technique. Toutefois, cela ne peut pas être un critère d’évaluation dans la mesure où l’objectif officiel de la littérature nord-coréenne reste de montrer la grandeur de la famille Kim. Il convient plutôt de s’intéresser à l’esprit de résistance manifesté à l’encontre du régime », conclut Kim Jong-hoi, un professeur de littérature coréenne de l’Université KyungHee située à Séoul. Devant l’unanimité de cet éloge international, un second éditeur sud-coréen a fait paraître La dénonciation trois ans après sa première parution. Avec sa nouvelle couverture, cette édition vise à mettre davantage l’œuvre en valeur tout en restant aussi fidèle que possible au manuscrit original. Selon ce nouvel éditeur, à savoir Dasan Books : « Les lecteurs trouveront la nouvelle édition très différente de celle d’il y a trois ans. Nous sommes convaincus de son attrait commercial ».
Les réactions des Sud-Coréens Il faut noter que, de manière générale, les œuvres littéraires dues à des transfuges nord-coréens bénéficient d’un meilleur
accueil à l’étranger qu’en Corée du Sud. En 2012, le poète Jang Jinsung s’est vu remettre le Prix littéraire Rex Warner de l’Université d’Oxford pour son recueil de poèmes Je vends ma fille à 100 wons , qui révèle toute la misère du peuple nord-coréen. Quant à Cher dirigeant , son recueil d’essais publié en 2014, il a été classé dixième parmi les meilleures ventes en Grande-Bretagne au cours de la même année. Kim Yu-gyong a signé un contrat d’édition avec la maison française Philippe Picquier pour son roman Ingan Modokso (Camp pour les êtres souillés), dont l’édition originale a paru en 2016. Après avoir vécu à Pyongyang où elle écrivait des nouvelles dans le cadre de l’Union des écrivains coréens, elle allait fuir le pays en 2000. Si les lecteurs sud-coréens semblent moins sensibles à la littérature nord-coréenne que ne le sont ceux d’autres pays, c’est vraisemblablement qu’ils sont moins curieux qu’eux de la société et du mode de vie de ce pays. En raison des tensions qui règnent entre les deux pays, nombre de Sud-Coréens ne s’intéressent guère à la littérature nord-coréenne et ne s’informent pas régulièrement à son sujet, bien que celle-ci témoigne de la réalité tragique du quotidien des Nord-Coréens. Que ce soit à la radio, à la télévision ou dans les journaux, ils reçoivent pourtant tous les jours des nouvelles de ceux qui furent leurs compatriotes. Tandis que les Américains et les Européens prennent au sérieux les menaces nucléaires nord-coréennes et envisagent la possibilité d’une guerre sur la péninsule coréenne, les Sud-Coréens y semblent insensibles, comme s’ils avaient été rendus indifférents par l’accumulation des menaces et des crises, de sorte qu’ils considèrent avant tout la littérature nord-coréenne d’un point de vue idéologique et passent à côté de ses qualités. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 45
ESCAPADE
LES CHEMINS DE L’UTOPIE
Gwak Jae-gu Poète Ahn Hong-beom Photographe
Chungju et Danyang abondent en paysages pittoresques aux spectaculaires falaises plongeant sur les rives du Namhan, ce fleuve qui arrose le centre de la Corée. La première renferme en son cœur le Trésor national n°6 appelé Jungangtap, c’est-à-dire la « tour centrale », qui constitue l’un des vestiges de l’État de Silla, artisan de l’unité des Trois Royaumes au VIIe siècle, mais aussi, aujourd’hui encore, le centre géographique de la nation.
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Appelée Jungangtap, c’est-à-dire la « tour centrale », cette pagode en pierre à sept étages datant de la période de Silla Unifié s’élève à Chungju, une ville de la province du Chungcheong du Sud qui se situe aujourd’hui dans le centre du pays.
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I
l tombe une petite pluie. À la sortie de l’autoroute, je prends la route qui mène à Jungangtap-myeon, le pays de la Tour centrale de Chungju, et me gare sur le bas-côté. J’inspire profondément, ce qui est ma manière à moi de dire bonjour en pensée à un village avant d’y entrer, comme à mon habitude depuis que je voyage. Je me sens apaisé à l’idée d’y trouver des traces de la vie de ceux qui s’y succédèrent au fil des générations, avec leurs joies et peines, chagrins et désirs, rêves et désespoirs voletant encore dans cet air qui est pour moi depuis toujours le plus précieux héritage culturel d’une ville. Les habitants de Chungju aiment encore à l’appeler Jungwon, un toponyme signifiant « région centrale » parce qu’elle se rattachait administrativement au canton éponyme jusqu’à 1995 et qu’ils tirent fierté de leur situation géographique et de leur rôle historique centraux dans le pays. Quelques jours suffiront pour s’en convaincre, à la vue des pagodes et autres monuments anciens qui témoignent du riche passé de cette ville construite dans des temps anciens sur les berges du Namhan.
Une terre de guerriers À mon arrivée sur les lieux, mes visites commenceront par un hommage au royaume de Goguryeo que je rendrai devant l’un de ses vestiges portant aujourd’hui la dénomination officielle de Monument de Goguryeo de Chungju, bien que la population en parle souvent comme de celui de Jungwon. Cette stèle de pierre est la seule à être parvenue de cette lointaine époque jusqu’à nos jours, puisque son origine est située à la fin du Ve siècle. Fondé dans ce qui était alors la Mandchourie et qui constitue l’actuelle Chine du Nord-Est, cet État étendit par la suite son territoire vers le sud jusqu’au centre de la péninsule. Selon une partie des inscriptions gravées sur ce monolithe : « Goguryeo et Silla furent comme frères et le roi de Goguryeo fit présent d’habits à celui de Silla et à ses fonctionnaires », ce qui témoigne des relations harmonieuses qui unissaient ces deux royaumes anciens. Non loin du lieu de sa mise au jour, cette stèle est exposée dans une salle aménagée à la mémoire de l’État qui régna sur une grande partie de ce qui est aujourd’hui la Corée du Nord. Dans ce même lieu, une reproduction en images de synthèse permettra aussi au visiteur de découvrir la tombe Anak n°3 qui constitue le Trésor national n°28 de la Corée du Nord. Sur les peintures murales qui ornent cette tombe, figurent en bonne place les gaemamusa , ces « guerriers à cheval de fer » qu’étaient les cavaliers de Goguryeo. Entièrement caparaçonnés de leur armure, tout comme leur monture, ils remplissaient une double mission offensive et défensive en menant des incursions en territoire ennemi et en protégeant les avant-postes de leur armée. À son apogée, cette cavalerie aurait compté plus de 50 000 de ces chevaux cuirassés qui n’apparurent ailleurs que bien plus tard, puisque la chronique historique fait pour la première fois état de leur présence en 1221, lors des batailles qui opposèrent les Persans aux Mongols. Quand, en l’an 668, le royaume de Goguryeo finit par se soumettre à ce voisin de Silla qu’il avait longtemps tenu pour son vassal et frère cadet, on imagine sans 1 mal les dégradations dont eut à souffrir 48 KOREANA Été 2017
1 À Chungju, le Monument à Goguryeo est en son genre le seul vestige de ce royaume à être parvenu jusqu’à nos jours en Corée du Sud. Haut de 2,03 mètres, il aurait été élevé au VIIe siècle. 2 De cette route qui longe les rivages du lac de Chungju jusqu’à Danyang, on a un spectaculaire panorama du Namhan. Le bac qui passe sur ce fleuve permet aussi d’admirer de près les fameuses « Huit vues de Danyang ».
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un tel monument bien visible au beau milieu d’une route. D’aucuns pensent que des sujets de Goguryeo fuyant les persécutions prirent soin de la dissimuler en l’enfouissant dans le sol, tandis que d’autres émettent l’hypothèse qu’elle aurait servi d’enclume de forge. Après des siècles passés à subir coups de marteau et chaleur des soufflets, ses inscriptions se seraient à tel point déformées qu’elles devinrent indéchiffrables.
Un symbole d’unité nationale Je poursuis mon chemin pour aller saluer un deuxième monument vénérable de ces lieux qui est la pagode en pierre à sept étages de Tappyeong-ri, à laquelle les gens de la région donnent parfois le nom de Jungangtap, c’est-à-dire la « Pagode centrale », de sorte que la désignation administrative du quartier où elle se dresse est maintenant Jungangtap-myeon, ce qui signifie la « ville de la Pagode centrale ». Pour célébrer la victoire qu’il remporta sur ses deux voisins à l’issue d’une longue guerre, le royaume de
Silla jugea bon d’édifier cette construction au cœur de son territoire. Quand j’y parviens à la tombée de la nuit, je décide d’en faire trois fois le tour, ce chiffre n’ayant d’autre signification que celle des Royaumes de Silla, Goguryeo et Baekje que m’évoquent les lieux. Tous trois livrèrent des combats acharnés, dans l’espoir d’entrer glorieusement dans l’histoire et de faire triompher leur civilisation, et c’est celui de Silla qui eut raison des autres. En faisant ces quelques pas autour de la pagode, je me sens envahi par la mystérieuse énergie qui en émane. Comme toujours, je me pénètre des impressions qu’elle crée. Quand je fais le tour de ces antiques monuments, je croirais entendre la respiration et sentir l’odeur de ceux qui jadis, rêvèrent et chantèrent en le faisant aussi.
Une symphonie de parfums nocturnes sous la pluie Pour apprécier à sa juste valeur l’importance géographique et historique qui fut naguère celle de cette région, on ne saurait ARTS ET CULTURE DE CORÉE 49
omettre de se rendre à Tangeumdae, qui évoque la mémoire d’un homme nommé Ureuk. Sous le règne du roi Jinheung, plus précisément en l’an 552, il élut domicile au royaume de Silla après avoir quitté le petit État de Gaya dont il était natif et où la musique rituelle occupait une importante place. Ureuk allait alors fabriquer la première cithare à douze cordes, dite gayageum , et composer douze magnifiques morceaux de musique destinés à son nouvel instrument dont les douze cordes symbolisaient les mois de l’année. Le souverain lui en sut gré et lui fit don d’un logement à Jungwon pour qu’il y dispense un enseignement sur les rudiments de la musique. Le nom de Tangeumdae désigne le rocher où Ureuk avait coutume d’aller jouer du gayageum et les sons agréables qu’il en tirait doivent s’être alliés merveilleusement à la vue pittoresque qu’offre le cours sinueux du Namhan tout proche. En se disant que de tels monarques voyaient dans la musique rituelle un moyen de véhiculer l’esprit dans lequel ils gouvernaient, on trouve à cette pratique une certaine chaleur humaine. Je me demande quant à moi ce qu’est l’utopie, car les grandes valeurs sur lesquelles se fonde la vie humaine ne me semblent guère différentes d’une époque à l’autre. Chungju possède un marché au charmant nom de Muhak qui signifie « de la grue qui danse » alors peut-être fait-il des mar-
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chands et clients qui le fréquentent autant d’oiseaux dansants. Disposé en arête de poisson, il se compose de petites allées transversales qui s’étendent de part et d’autre d’une voie centrale. À force d’aller de droite et de gauche à partir de celle-ci, je finis par me perdre, mais après tout, il n’y a pas de mal à flâner en un tel lieu au risque de s’égarer, si ce n’est que je ne retrouve plus ma voiture. En poussant un peu plus loin, j’aperçois une maison d’autrefois, dite Banseonjae, qui est en fait celle où passa son enfance Ban Ki-moon, l’ancien secrétaire général des Nations Unies. Le nom de cette habitation se réfère à l’objectif que se fixe tout homme de « vivre dans l’honnêteté et la droiture ». Renonçant à parcourir le marché, c’est avec joie que je retrouve ma voiture après deux heures d’errance qui semblent m’avoir ouvert l’appétit. Je décide donc de me restaurer dans un établissement aux spécialités de nouilles où la serveuse m’apportera gentiment un bol de riz supplémentaire, comme si elle m’avait deviné affamé. Dans la chambre où je passe la nuit, je laisse la fenêtre ouverte pour écouter la pluie tomber. Peut-être des voyageurs le firent-ils aussi en d’autres temps, ceux de Silla et de Goguryeo, et peut-être l’un des douze morceaux aujourd’hui disparus que composa Ureuk évoquait-il la pluie qui
Sans la présence de l’homme, le plus beau des paysages paraît souvent inachevé, car dépourvu du vent de l’idéal que seul peut faire souffler l’esprit humain.
1 L’Oksunbong tient son nom signifiant « pic aux pousses de jade » de ses rochers bleus et blancs qui semblent jaillir du sol comme celles-ci et constituent l’une des « Huit vues de Danyang » les plus appréciées. 2 Le port de Mokgye, qui fut le plus important pour le transport de passagers par voie fluviale sous le royaume de Joseon, est aujourd’hui l’embarcadère d’un bac emprunté par les touristes.
tombe. S’en trouvait-il un pour chanter cette pluie qui fait s’ouvrir les fleurs en pleine nuit ? J’espère de tout cœur que ce fut le cas. Le lendemain matin, le ciel répand encore ses gouttes, doucement mais inlassablement.
Une rêverie sur le vieux port fluvial J’emprunte la route n°599 qui longe le fleuve pour me rendre à l’embarcadère de Mokgye. Le plus grand marché des rives du Namhan s’est tenu des siècles durant dans cette localité à partir de la période de Joseon. C’était là que s’échangeaient les marchandises venues de l’Est et de l’Ouest du pays et qu’accostaient, le temps d’une brève halte, les bateaux qui transportaient jusqu’à la capitale les céréales de l’impôt. Le fleuve était ouvert à la navigation de mars à novembre, mais c’était en juillet et en août que les plus gros navires l’empruntaient, la pluie faisant monter le niveau des eaux. Tandis qu’ils pouvaient gagner Séoul en douze à quinze heures, il leur fallait entre cinq jours et deux semaines au retour du fait qu’ils naviguaient à contre-courant. Sous le royaume de Joseon, les villages situés sur les rives abritaient plus de huit cents foyers et les quais du port accueillaient en permanence une centaine de bateaux, ce qui donne une idée de l’importance qu’avait alors ce port. Sur une colline voisine, se dresse un monument où est inscrit un poème de Shin Kyung-rim intitulé Le marché de Mokgye . Le ciel m’invite à être un nuage, La terre m’invite à être la brise ; Une brise légère qui réveille les mauvaises herbes du débarcadère, Quand les nuages orageux s’éparpillent et que cesse la pluie. Un colporteur triste, même sous la lumière de l’automne, Arrive au port de Mokgye, après trois jours de bateau depuis Séoul, Pour y vendre de la poudre, les quatre et neuf du mois. Les collines m’invitent à être une fleur des champs, Le ruisseau m’invite à être un petit caillou. — Extrait du Marché de Mokgye de Shin Kyung-rim J’ai la chance d’arriver à Mokgye un quatrième samedi du mois, où a lieu le marché des bords du fleuve. Il s’agit d’une sorte de marché aux puces, à la différence près que tous les articles en vente y sont de fabrication artisanale. Parmi les innombrables objets qui me tentent tous autant les uns que les autres, je porte mon choix sur deux magnifiques sceaux que je fais réaliser sur place à mon nom, l’un en alphabet coréen et l’autre en idéogrammes chinois. J’achète aussi du cheonggukjang et du doenjang , qui sont deux variétés de concentré de soja, la première étant de loin la plus forte, ainsi que de la confiture de citron, une statuette en bois et un petit sac à main, puis quelques porte-clés achèveront de vider mon portefeuille. L’esprit qui anime les artisans tient tout entier dans le mot jeongseong , qui signifie « faire quelque chose en y mettant tout son cœur ». Ceux qui exercent dans cet esprit sont 2 en général aimables et incapables de faire mal ARTS ET CULTURE DE CORÉE 51
à quiconque, alors j’ai la conviction qu’un monde meilleur est possible grâce à eux. L’un de ces marchands me conseille de revenir l’année prochaine en avril, car les berges du fleuve se couvrent alors de fleurs de colza d’un jaune éclatant.
Un passage en bac sur le lac de Chungju Je suis à court de mots pour décrire les beautés du paysage que je découvre sur les rivages du lac de Chungju, et ce, jusqu’à Danyang, sur une route qui s’étend à perte de vue. Toute chose ayant une fin, la pluie fine, qui me réconfortait jusque-là par sa présence tranquille et semblait devoir durer toujours, se fait soudain plus forte quand je parviens à l’embarcadère du bac de Janghoe. Malgré toute l’envie que j’ai depuis longtemps de faire cette traversée, je 1 doute que le bac puisse partir, mais à ma grande surprise, les passagers affluent et envahissent le bateau. J’essaie d’imaginer la vue magnifique que l’on doit avoir sur le lac du haut du Gudambong ou de l’Oksunbong, qui sont respectivement les pics « du Lac de la tortue » et « de la pousse de jade », ces deux lieux réputés offrir les panoramas les plus spectaculaires de Danyang. Sous le royaume de Joseon, ils furent souvent représentés par de célèbres artistes tels que Kim Hong-do ou Jeong Seon, tandis que des érudits confucianistes comme Yi Hwang affirmaient qu’ils surpassaient par leur beauté les huit merveilles des fleuves chinois Xiao et Xiang. Aujourd’hui, toutefois, la pluie ne se prête guère à une escale et je me contente donc de monter sur le pont en m’abritant sous un parapluie. Le ciel n’est que pluie, brume et nuages épais qui bouchent tristement la vue. Ceci dit, peut-être est-ce trop demander que d’espérer admirer des vues spectaculaires lors d’un premier voyage, alors il me faudra remettre à une prochaine fois la découverte de ces deux sommets que je brûle de voir depuis que j’ai lu Le bac de Mokgye du poète Shin Kyung-rim. Des paysages et des vies Quand je reprends la route sur les berges du fleuve, les précipitations baissent en intensité et je vois
Sites à visiter à Chungju
Séoul 130km Chungju
Marché de Muhak
Tangeumdae Forteresse d’Ondalsanseong Lac de Chungju
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1 Quand le bateau parvient à 200 mètres en amont de Dodam Sambong, les voyageurs découvrent, sur la rive gauche du fleuve, une arche en pierre qui semble enserrer les flots et l’entrée d’une grotte. 2 L’île de Dodam Sambong se compose de trois sommets qui plongent dans l’eau en amont du Namhan.
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s’étendre à l’horizon les reliefs du Dodam Sambong. Il s’agit de trois pitons rocheux qui émergent de l’eau en amont du Namhan et que l’on découvre à la sortie d’un virage. Isabella Bird Bishop, une célèbre voyageuse britannique qui fut la première femme à entrer à la Royal Geographic Societey (société géographique royale), se rendit dans la région au siècle dernier et en parla en ces termes dans un livre intitulé La Corée et ses voisins : « La beauté du Namhan est sans pareille à To-tam [Dodam], car le paysage fluvial, le plus gracieux que j’aie jamais vu, s’étend jusqu’à une large baie et à de hautes falaises calcaires entre lesquelles s’alignent sur une pente verdoyante de pittoresques maisons au bas toit brun ». Les deux éléments du paysage qu’Isabella Bird Bishop avait plus particulièrement admirés étaient les pittoresques pics de Dodam et les chaumières de la colline. Sans la présence de l’homme, le plus
beau des paysages paraît souvent inachevé, car dépourvu du vent de l’idéal que seul peut faire souffler l’esprit humain. Aujourd’hui, les chaumières d’antan ont cédé la place à quelque serres et maisons modernes. À Dodam, je gravis sur plus de trois cents mètres l’escalier aménagé sur les versants escarpés, puis redescends une centaine de mètres et découvre un porche en pierre à travers lequel apparaissent les eaux vert bleu du Namhan. Il y a quelque chose de majestueux dans la beauté de cette nature idéale. Je me demande comment Isabella Bird Bishop se fraya un chemin jusqu’à ces lieux à une époque où les moyens de transport étaient quasi inexistants et me dis que des voyageurs d’aujourd’hui imagineraient mal que l’on puisse se donner autant de peine pour y parvenir. Des lumières se sont allumées dans le village tout enveloppé de pluie.
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UN JOUR COMME LES AUTRES
Lee Chun-suk manie les ciseaux avec talent et entrain Avoir un coiffeur parmi ses amis est vraiment une chance, car rares sont, dans ce domaine, des clientes aussi fidèles que celles que Lee Chun-suk, sous des dehors très simples, sait conserver par son savoir-faire exceptionnel et qui deviennent même des amies de toujours. Kim Seo-ryung Directrice de Old & Deep Story Lab Ha Ji-kwon Photographe
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ous les jours à dix heures, Lee Chun-suk se rend à son salon du quartier d’Imundong situé dans l’est de Séoul. Sur l’enseigne, où sont inscrits les mots « Salon de coiffure de Lee Jeeun », elle a choisi de ne pas faire figurer son vrai prénom. Le local lui-même occupe une superficie de cent mètres carrés et son mobilier se compose d’un miroir central et de huit fauteuils disposés de part et d’autre. Ces sièges sont bien sûr plus ou moins occupés selon l’affluence qui fluctue d’un jour à l’autre et, alors qu’hier le flot des clientes a été ininterrompu dans la matinée, au point que madame Lee a dû déjeuner plus tard, elles semblent s’être donné le mot pour arriver en même temps cet après-midi.
Détente et bavardage pour les fidèles Madame Lee met aussi à la disposition de ses clientes une grande table pour les occuper en attendant d’être coiffées, soit qu’elles viennent d’arriver, soit qu’elles laissent poser une teinture, les cheveux recouverts de film plastique ou entremêlés d’épingles de toutes tailles et couleurs pour d’autres traitements. Elles ont donc la possibilité de s’asseoir un moment pour feuilleter un magazine, consulter leur téléphone portable ou faire un petit somme. Elles pourront aussi consommer les bis54 KOREANA Été 2017
cuits, fruits, bonbons et chocolats offerts par la maison, ainsi que des boissons fraîches ou du café. L’hiver, un carton de patates douces est même placé à leur intention près de cette table, sur laquelle se trouve également un mini-four qui permet de les faire rôtir. Lee Chun-suk, qui a fêté soixante-deux printemps cette année, a débuté dans le métier à l’âge de vingt-six ans et l’exerce aujourd’hui encore, comme elle l’a toujours fait. Après avoir tenu très longtemps son premier salon dans le quartier de Seokgwan-dong, elle a été contrainte de partir suite à un plan d’urbanisme, ce qui n’a pas empêché la plupart de ses clientes de lui rester fidèles des années durant. Pour elles, aller chez la coiffeuse ne se limite pas au besoin d’une coupe ou d’un massage du cuir chevelu, car cela permet aussi de manger ensemble quelques en-cas, de bavarder et de chasser le stress. « Il y en a certainement plus qui viennent d’ailleurs que du quartier. Bien sûr, elles habitent des villes assez proches comme Uijeongbu, mais elles vivent parfois plus loin : à Cheonan, à Daejeon ou même à Gwangju, par exemple. Elles ne veulent pas seulement se faire coiffer, mais aussi rencontrer des gens, parler de choses et d’autres… », explique madame Lee avec un large sourire. En coréen, les personnes qui ont pour métier de soigner et arranger la chevelure ont longtemps été désignées par le terme miyongsa , qui signifie « technicien de la beauté », mais depuis quelques temps, ces professionnels aiment à s’appeler eux-mêmes par l’expression anglaise « hair designer ». Madame Lee lui préfère cependant l’autre appellation coréenne en usage de « personne maîtrisant les techniques d’embellissement de la présentation ». Quant à son vrai prénom, Chun-suk, il était autrefois d’une consonance moins agréable et semblait trop démodé pour une devanture de salon, ce qui explique qu’elle lui ait préféré « Jeeun » pour ses sonorités plus modernes. En voyant sa bonne mine, sa vigueur et la rapidité avec laquelle elle travaille,
Lee Chun-suk exerce la coiffure depuis des dizaines d’années et la santé du cheveu représente à ses yeux un objectif prioritaire, car elle est convaincue que le bon état de la chevelure est indispensable à une bonne présentation.
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on a bien du mal à lui donner un âge. « Pendant toutes ces années, je me suis tellement consacrée à rendre belles mes clientes que je n’ai pas eu le temps de vieillir », plaisante-t-elle. « Quand je travaille le cheveu, je me sens détendue et sereine. En donnant le dernier coup de peigne, j’éprouve beaucoup de joie et de satisfaction ».
Plus important que le style Chez ses clientes, c’est l’état des cheveux dont madame Lee s’assure avant tout. « Je prends bien soin de leur santé en déconseillant plus de trois permanentes par an », expliquet-elle. « Si la chevelure d’une cliente est abîmée, c’est à moi de la traiter. Aussi élégante une femme soit-elle, le mauvais état de ses cheveux lui donne piètre apparence ». Madame Lee en sait beaucoup dans le domaine de la science capillaire. « Les cheveux vieillissent et s’usent. Quand on en regarde un au microscope, on s’aperçoit qu’il est criblé de trous. Pour les combler, il faut faire des apports de protéines et maintenir une certaine acidité. Quand on a une chevelure en bonne santé, il suffit d’avoir une bonne coupe pour bien présenter. La manière d’appliquer la teinture a aussi son importance. Pour qu’elle soit efficace, le mieux est de faire baisser la tête à la cliente, d’envelopper les cheveux d’une serviette et de laisser sécher peu à peu, mais le temps voulu ». Quand elle était plus jeune et avait l’esprit d’entreprise, elle avait même ouvert un second salon de coiffure dans une des salles de mariage du quartier cossu de Gahoe-dong. Il lui rapportait de si grosses recettes à l’époque qu’elle a donné plusieurs millions de wons aux quêtes de son église et faisait partie de la clientèle privilégiée d’un grand magasin de luxe. « Arrivé à un certain point, peu importe combien on gagne, car cela n’a pas de sens en soi. La seule chose qui compte, comme j’ai pu m’en rendre compte, c’est la satisfaction que l’on ressent au moment de terminer une belle coiffure. Les clientes s’endorment souvent pendant que je les coiffe. Alors, que je leur coupe les cheveux ou que je
leur masse la tête, je me sens tout aussi détendue », confie-t-elle.
Une vocation très précoce Lee Chun-suk a grandi dans un village des côtes situé près de Gangneung et quand elle était lycéenne, elle était déjà attirée par la coiffure et se chargeait toujours de peigner ses amies. « Chun-suk me faisait une queue de cheval presque tous les jours. Quand elle l’avait fait, j’étais plus jolie et coquette », se souvient une cliente et ancienne camarade de classe. Une autre, originaire du même village, déclare quant à elle : « Je savais à quel point elle avait du talent, alors je me faisais coiffer par elle, et elle seule, quand j’étais enfant, ce que j’ai continué à le faire depuis ». Madame Lee retrace ses débuts dans le métier. « Après mes études secondaires, j’ai travaillé dans un bureau, mais quelqu’un de la famille m’a offert un jour des rouleaux à friser électriques du Japon à son retour d’un voyage. Quand je me coiffais avec, le matin, je m’entendais dire à longueur de journée que c’était vraiment bien. Par la suite, des collègues du service comptable où je travaillais m’ont demandé de les coiffer, alors je me suis dit que je gagnerais peutêtre mieux ma vie en le faisant et j’ai commencé à prendre des cours du soir après le travail. À cette époque, la liste des candidats reçus au brevet de coiffure était affichée sur un panneau devant l’Hôtel de Ville de Séoul. Sur les deux cents personnes qui l’ont passé, seules onze ont réussi. La concurrence était rude ». C’est en 1981 que madame Lee ouvrira son premier salon et les années passeront à la vitesse de l’éclair. Les femmes qui venaient au salon pendant leur grossesse revenaient plus tard en faisant suivre leur bébé dans sa poussette et, même quand il pleurait, cela ne gênait pas madame Lee, car ses deux enfants se trouvaient aussi dans le salon. L’un d’eux, une fille aujourd’hui étudiante à l’université, vient donner un coup de main dès qu’elle en a le temps. Un apprentissage sans fin « J’ai sept collègues, y compris des assistantes de coiffure, dont trois depuis plus de vingt ans, et toutes ont leurs clientes fidèles », précise-t-elle. « Je ne les paie pas, mais je leur fournis les accessoires, les produits et le local. Elles se rémunèrent comme si elles travaillaient chacune dans leur salon et, sur ce qu’elles gagnent, elles versent un petit montant pour participer à la gestion d’ensemble. Étant donné qu’elles sont expérimentées et font bien leur travail, elles doivent gagner trois et demi à quatre millions de wons par mois, c’est-àdire beaucoup plus que moi. Mais comme je ne suis plus très jeune, je m’estime heureuse que mes clientes fidèles tiennent encore à se faire coiffer par moi. C’est ce qui m’incite à continuer ». À l’époque où madame Lee a ouvert son premier salon, la coiffure la plus en vogue était celle de la chanteuse pop Yoon Si-nae, de style disco, qui entourait tout le visage. Qu’il s’agisse de réaliser une permanente ou une simple coupe, l’important était toujours de donner du volume et le talent d’une coiffeuse se mesurait à cela. Qui plus est, les clientes ne se contentaient pas d’une perma-
« Une coiffeuse doit non seulement coiffer, mais aussi créer un lien d’intimité avec sa cliente. Qu’elle le fasse en bavardant pendant qu’elle travaille ou en observant le silence, elle lui apporte un certain soulagement ». 56 KOREANA Été 2017
nente et exigeaient que les boucles ressortent bien pour produire le plus d’effet possible et pour que l’ensemble conserve la même forme aussi longtemps que possible. Des cheveux naturellement raides, laissés tels quels, faisaient alors paraître ordinaire, mais les goûts ont changé peu à peu et, en privilégiant le naturel, les femmes se sont détournées des coiffures trop apprêtées. Il va de soi que madame Lee s’est adaptée à ces tendances au fil du temps. « Pour ne pas être trop dépassés par les grandes franchises, les petits salons indépendants comme le mien doivent être à la dernière mode. Il faut réaliser les coupes que demandent les clientes en surpassant leurs attentes. Même dans le domaine des permanentes, les techniques évoluent d’année en année et c’est encore plus le cas des coupes. Il faut constamment se former à de nouveaux procédés et les maîtriser parfaitement pour donner chaque fois une impression de nouveauté aux clientes », affirme madame Lee en indiquant qu’elle a assisté il y a peu à un séminaire sur les
Lee Chun-suk s’entretenant avec l’une de ses nouvelles clientes. À leur arrivée, elle s’attache avant tout à les écouter avec attention, puis elle recherche le style de coiffure qui les avantagerait le plus.
dernières tendances de l’année dans la coiffure italienne. Elle précise par ailleurs : « Mes clientes sont presque toutes d’un certain âge, alors il faut absolument leur enlever de la lourdeur. « Légèreté et jeunesse ! » : voilà la consigne de l’année. En fait, plus une cliente a un style classique, plus des techniques de coupe modernes s’imposent pour qu’elle puisse bien entretenir sa coiffure à la maison. Pour celles qui n’aiment pas le changement et la mode, il faut quand même apporter un peu d’innovation, car, même si elle est courte, la coupe peut changer les choses du tout au tout ». Dans une clientèle, le nombre de femmes qui s’en remettent entièrement à leur coiffeuse et de celles qui savent exactement ce qu’elles veulent est à peu près le même. Dans ce dernier cas, il arrive souvent qu’elles demandent à reproduire exactement la même coiffure que telle ou telle actrice ou mannequin aperçus dans un magazine et c’est à leur coiffeuse qu’il incombe de les en dissuader si la coupe en question n’est pas flatteuse ou ne correspond pas à leur allure générale. Au seul contact des cheveux d’une cliente, madame Lee est en mesure de savoir si celle-ci a une forte personnalité ou si elle est prête à changer de style. « Une coiffeuse doit non seulement coiffer, mais aussi créer un lien d’intimité avec sa cliente. Qu’elle le fasse en bavardant pendant qu’elle travaille ou en observant le silence, elle lui apporte un certain soulagement ». C’est pour cette raison que j’ai aménagé ce grand espace de détente, avec des gourmandises à grignoter. Une permanente ou une teinture exigent de rester deux ou trois heures au salon, alors j’aimerais bien que les clientes en profitent pour se reposer reposer et qu’elles trouvent cet endroit plus confortable que les autres ! ». À l’heure habituelle, demain matin, Lee Chun-suk ouvrira comme toujours la porte de son salon et commencera à préparer quelques en-cas pour ses clientes.
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Charles La Shure Professeur au Département de pédagogie du coréen de l’Université nationale de Séoul Kim Hoo-ran rédactrice en chef de la section culturelle du Korea Herald
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Un monologue original et plein de lyrisme sur la vie et la solitude A Greater Music, Bae Suah traduit par Deborah Smith, 2016, Open Letter Books, Rochester, 128 pages, 13,95 $
À la lecture de A Greater Music de Bae Suah, on a l’impression de découvrir un nouveau lyrisme qui, telle une œuvre de musique expérimentale, s’affranchit des conventions du rythme, de la mélodie et du tempo. Quoiqu’il s’agisse d’un roman, la langue en est bel et bien lyrique et, à maintes reprises, elle fait exclusivement appel aux sens et émotions en leur laissant libre cours dans de longs paragraphes. Tout en n’étant pas dépourvue d’une thématique concrète, elle incite le plus souvent le lecteur à ressentir plutôt qu’à réfléchir . Ce livre se présente aussi comme une étude de cas des différentes manières d’appréhender un même texte dans différents pays. S’il n’est pas habituel de comparer une traduction au texte d’origine dans le cadre d’une critique, le second mérite ici que l’on s’y attarde un peu. En bref, il conte l’histoire d’une jeune écrivaine coréenne qui vit à Berlin, où elle est en butte à des difficultés liées aux différences culturelles et à la barrière de la langue, mais aussi à ses propres démons intérieurs. Elle s’est liée d’amitié aves Joachim, un ferronnier aux goûts prosaïques qui adore son chien Benji, avec Erich, un enseignant de langues à la discipline de vie rigoureuse, et avec l’énigmatique « M », une femme aux idéaux nobles et aux méthodes pédagogiques peu orthodoxes. Par les modifications plus ou moins subtiles opérées dans la traduction anglaise, l’atmosphère du récit y est en fait bien différente de celle du texte coréen. Alors que, dans ce dernier, il ne fait aucun doute que le personnage principal est une Coréenne de l’étranger, malgré la rareté des passages descriptifs sur les particularités de l’Allemagne et de sa culture, dans la première, le lecteur ne découvre sa nationalité qu’au chapitre quatre, c’est-à-dire une fois parvenu à un quart du livre. En revanche, on y est informé du sexe de M. dès la première page, tandis que le premier indice n’apparaît à ce sujet qu’à la fin du chapitre six de l’original, par le mot « Mesdames » qu’emploie Erich en s’adressant à elle et au personnage principal, mais il est vrai que cet écart est dû à une spécificité de la langue coréenne, puisque les pronoms personnels n’y varient pas en genre. Aussi mineures soient-elles, ces différences peuvent modifier considérablement le vouloir-dire. En revanche, la traduction rend tout aussi tangible l’isolement dont souffre le personnage principal, notamment en raison de l’obstacle de la langue que la jeune femme a grand-peine à surmonter, mais aussi du choc culturel dont elle fait l’expérience. Lorsqu’elle passe Noël avec la famille de Joachim, elle constate à quel point les relations y diffèrent de celles auxquelles elle est habituée. Elle a beau être invitée à de nombreuses fêtes, elle éprouve toujours des difficultés à se mêler aux autres jeunes gens qui y participent. En restant à l’écart, elle donne l’impression de les dédaigner et s’enferme toujours plus dans la solitude et l’anonymat. L’impression d’isolement ne résulte pas seulement des situations, mais aussi de l’écriture de Bae Suah, où la prose onirique et la structure d’intrigue peu conventionnelle font perdre tout repère au lecteur.
Un livre sur le pourquoi des façons d’être coréennes qui vient à point nommé K-Style : vivre à la coréenne, Choi Jung-wha 2016, Design House, 251 pages, Séoul, 30 000 wons
Professeur à l’Université Hankuk des études étrangères et présidente de Corea Image Communication, Choi Jung-wha possède une expérience de plusieurs dizaines d’années dans l’interprétation de conférence entre le français et le coréen. Ses nombreux contacts dans des milieux très cosmopolites lui permettent aussi de porter un regard objectif sur la culture et le mode de vie coréens qu’elle entreprend de décoder à l’intention des lecteurs étrangers dans un livre à l’élégante couverture. Cet ouvrage en quatre parties correspondant aux saisons de l’année commence par une description des cérémonies de la rentrée, qui se déroule en Corée en mars et constitue un véritable rite de passage pour les Coréens, que ce soit à l’école maternelle, au cours primaire, au collège, au lycée ou à l’université. À partir de ces situations particulières, l’auteur réussit la prouesse d’évoquer d’innombrables aspects du mode de vie dans son ensemble. Elle avance également une raison au choix du mois de mars, à savoir qu’il est lié au début de l’année lunaire qui tombe à cette époque de l’année, plus précisément début ou mi-février. Choi Jung-wha attire à ce propos l’attention du lecteur sur l’un des maux coréens actuels qu’est la baisse de la natalité : « À l’heure où la plupart des couples ne désirent qu’un enfant, voire aucun, outre que les célibataires sont toujours plus nombreux, les enfants se font rares et d’autant plus précieux en Corée ». Et d’enchaîner sur la difficulté pour les mères de mener une vie professionnelle et sur l’aide que leur apportent parents et beaux-parents pour élever leurs enfants. L’auteur rend bien compte de l’importance qu’attachent les parents coréens aux études de leurs enfants et explique à ce propos le fonctionnement du jeonse , une forme spécifiquement coréenne de bail locatif, dite de « location sur caution », car les parents sont parfois confrontés au dilemme d’acheter une maison dans un quartier peu coté de Séoul ou de rester en location dans celui de Gangnam. Les loyers exorbitants de ce dernier seraient dus à la présence d’écoles réputées pour leur taux de réussite élevé aux concours d’entrée des universités les plus prestigieuses du pays, mais aussi et peut-être surtout, d’instituts privés, dits hagwon , qui sont considérés favoriser ce succès. En conclusion de ce chapitre qui débutait sur une image joyeuse de petits écoliers, Choi Jung-wha souligne que leurs parents devront faire face à des dépenses considérables tout au long de leurs études, y compris dans ces cours privés aux droits d’inscription très élevés. Avec volubilité, l’ouvrage passe ainsi d’un sujet à l’autre en captivant toujours autant le lecteur, comme dans une conversation à bâtons rompus, et si certains développements peuvent sembler assez généraux, l’objectif n’est pas ici de réaliser une étude sociologique ou de civilisation. En effet, K-Style : vivre à la coréenne se veut avant tout une observation et une explication plaisantes du mode de vie coréen actuel. Illustré de photos qui fournissent autant d’instantanés des sujets évoqués, il peut se lire en commençant au hasard par un chapitre ou l’autre, ou en choisissant celui qui éveille le plus la curiosité dans sa table des matières attrayante. En professionnelle avertie de la communication interculturelle, Choi Jung-wha a eu à cœur de répondre aux différentes questions que peut se poser un étranger sur la Corée et les Coréens tout en faisant découvrir les quatre saisons et les traditions qui leur sont associées dans ce pays, mais aussi les évolutions les plus récentes de sa société. ARTS ET CULTURE DE CORÉE 59
REGARD EXTÉRIEUR
IMPRESSIONS DE CORÉE Christophe Piganiol Président de Zuellig Pharma
A
près sept années dans un pays, on pourrait penser que l’on connaît bien ses méandres, que l’on arrive à bien lire les nuances … et même si l’on a bien progressé en s’imprégnant de la culture avec un organisme culturel à but non lucratif comme CICI (Corea Image Communication Institute), c’est toujours avec un grand étonnement que je redécouvre la Corée de manière journalière. Maintenant elle est devenue quelque peu familière avec les années, mais c’est toujours intéressant de voir comme elle nous surprend, même après ces années passées dans son sein. Intense, évolutive, complexe, sophistiquée : tant d’adjectifs pourraient décrire cette culture du Pays du matin calme sans cesse en mouvement et en recherche de constante amélioration de soi… Ce n’est pas facile d’approcher la culture, ou le pays de prime abord. Tellement différent et codé, mais même après beaucoup d’années passées dans le pays, il faut encore et toujours donner de son temps et de sa personne pour l’apprécier et découvrir ses trésors. Les efforts sont toujours reconnus et généralement récompensés par des découvertes insolites, des expériences inédites et des moments intenses. La notion d’effort étant toujours si présente, il est nécessaire de montrer son dévouement pour que la culture s’ouvre à vous et commence à vous rendre le faisant prodigieusement. Un ou deux exemples à partager illustreront mon propos. J’ai participé en septembre à la réception de la délégation du CCF (Culture Communications Forum) organisé par CICI, et ai aidé lors de la visite en mettant à disposition des ressources que je pouvais obtenir pour soutenir ce magnifique projet annuel : faire venir des représentants culturels des pays du G20 pour partager la culture coréenne sur trois jours de visites ou de participation à des manifestations culturelles. Cet événement est conclu par une session intense où il est demandé à ces représentants, avis et conseils sur un thème choisi judicieusement pour aider le développement culturel de la Corée, mais aussi faire passer des messages à travers les délégués après leur retour dans leur pays d’origine. Merveilleux concept de partage, mais aussi d’apprentissage pour le pays, avec une possibilité de démultiplication culturelle rapide et importante due à la qualité et à la diversité des représentants invités. Le soutien donné durant ce séjour a évidemment demandé beaucoup d’efforts et de travail, mais pour une découverte que peu d’étrangers et même peu de Coréens ont la possibilité de faire. Et c’est en découvrant ces éléments culturels, inconnus pour la plupart, ou en redé-
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couvrant les éléments connus, mais expliqués par les sommités culturelles locales, que l’on arrive à mieux comprendre la complexité et le raffinement du pays. Bien évidemment, l’angle des questions des visiteurs et la réponse des hôtes amènent une autre dimension, surtout quand on doit créer le pont culturel nécessaire pour franchir le fossé entre différentes cultures. Un exemple de ce périple a été de mettre un hanbok royal traditionnel suivi de la visite du furniture museum avec ces délégués en expérimentant la vie comme elle devait être il y a plusieurs siècles… expliquer que la Corée est réellement attachée à ces vêtements et ces traditions en faisant comprendre que ce n’est pas un folklore local mais une vraie tradition, en expliquant que les artistes n’ont pas seulement recopié le passé, mais s’en sont inspirés pour créer dans le présent ces magnifiques vêtements issus des traditions, mais bien ancrés dans le présent : tout un programme … Le deuxième éclairage peut être amené après une expérience culinaire récente dans un restaurant coréen moderne où j’ai organisé un dîner professionnel. Le personnel a insisté pour nous faire dîner dans la salle principale. Salle traditionnelle de réception typiquement décorée et agencée (un grand carré plutôt qu’un rectangle traditionnel) : je rechigne à l’idée, mais pense que ce sera intéressant à voir pour l’expérience culturelle pour mes invités, mais pas pour tout le dîner où je souhaite être plus proche d’eux. À l’insistance du manager, nous acceptons de nous prêter au jeu, commençons le repas en étant assez loin les uns des autres et découvrons en fait que la communication est plus facile et plus large, surtout… que les neuf membres du dîner peuvent tous se voir et se parler, privilégiant ainsi une communication de tous plutôt que plusieurs conversations séparées. Élément typique de la culture, l’environnement privilégie toujours le groupe par rapport aux individus. La communication et la cohésion du groupe restent les éléments essentiels par rapport au bien-être individuel… Acceptant ce conseil, que j’aurais refusé il y a quelques années, j’ai découvert d’autres possibilités qu’offrent les traditions coréennes, m’ouvrant ainsi encore plus et acceptant moi-même de puiser dans le passé pour améliorer le présent. Les pins centenaires immortalisés par Bae Bien U continuent leur croissance comme le peuple de Corée, en s’adaptant aux vents et aux intempéries, mais ils restent forts et flexibles. On ne les découvre qu’après de multiples photos, sous plusieurs lumières. Finalement c’est peut-être ce mot de Saint-Exupéry qui pourrait conclure mes impressions de la Corée : « on ne voit bien qu’avec le cœur ; l’essentiel est invisible pour les yeux ».
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INGRÉDIENTS CULINAIRES
LE POULPE, UNE CHAIR TENDRE SOUS UN ASPECT PEU ENGAGEANT Longtemps réservé à certaines occasions telles que les banquets et cérémonies à la mémoire des ancêtres, le poulpe est aujourd’hui d’une consommation très répandue grâce à la mondialisation des circuits de distribution des produits alimentaires, de sorte que ce mollusque prend souvent place sur les tables sous forme de différentes préparations. Soul Ho-joung Chroniqueuse culinaire
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À
la question de savoir quelle est la meilleure façon d’accommoder le poulpe, ce mollusque vivant en eau profonde, pour tirer le meilleur parti de ses qualités gustatives et nutritives, on pourrait répondre que tout dépend de la cuisson qui précède toujours la préparation, y compris s’il s’agit de friture, car cette étape est essentielle à l’obtention de la meilleure saveur.
Le goût au rendez-vous après bien des efforts Avant toute opération de cuisson, il convient de nettoyer le poulpe avec soin en frottant sa peau visqueuse avec du sel, puis en lavant tout le corps à grande eau, en particulier les puissantes ventouses situées sous les tentacules. Pour autant, il ne s’agit pas de le faire trop vigoureusement et avec un gros sel trop agressif sous peine d’entamer la peau et d’imprégner la chair, certains recommandant l’emploi de sucre ou de farine. Dans des pays du sud de l’Europe tels que l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, la cuisson intervient après une première étape d’attendrissement de la chair qui consiste soit à faire tourner le poulpe dans un appareil spécial rappelant une machine à laver, soit à le battre avec un maillet à viande, tandis qu’autrefois, les habitants des côtes grecques les frappaient contre les rochers. En Corée, la tendreté de la chair s’obtient par une cuisson avec du radis chinois que l’on effectue après avoir frictionné tout le corps du mollusque avec ce légume râpé. En cuisant, ce dernier dégorgera un jus qui agira sur la consistance tout en éliminant l’odeur de poisson. Certains prêtent ces mêmes effets au kaki séché, au thé vert ou aux haricots rouges qui viennent s’ajouter au radis chinois, comme au Japon, les Italiens préférant quant à eux placer un simple bouchon de liège dans l’eau de cuisson. Ces différents procédés ont pour dénominateur commun le tanin qui est présent dans les différents ingrédients employés, notamment les résidus de vin des bouchons qui semblent attendrir la chair comme par magie. Des trois cents espèces différentes de poulpe peuplant les cinq océans, les deux seules qui vivent au large des côtes coréennes sont le petit chammuneo (Octopus vulgaris ) et le grand daemuneo (Enteroctopus dofleini ), également connu sous le nom de poulpe géant du Pacifique. En séchant, tous deux prennent une couleur rouge qui leur vaut d’être appelés pimuneo , c’est-à-dire « poulpe sanglant », tandis que ceux que l’on écorche préalablement sont dits baekmuneo , ce qui signifie « poulpe blanc ». Une fois arrivés à maturité, des poulpes géants tels que ceux que l’on pêche en mer de l’Est peuvent peser jusqu’à 50 kilogrammes et posséder des tentacules d’une longueur de trois mètres ou plus. À l’opposé de ces géants, les petits poulpes qui vivent à une faible profondeur, entre les rochers des côtes de la mer du Sud, pèsent tout au plus 3,5 kilogrammes quand ils parviennent à la taille adulte. Le poulpe est pourvu d’une grosse tête ronde qui renferme les organes internes et d’un corps court qui abrite le cerveau et les yeux, le tout surmontant les huit bras. Alors que l’ensemble du mollusque est consommé en Corée et au Japon, ce n’est pas le cas dans les pays méditerranéens, où l’on jette la tête. Le poulpe sanglant en première place Si l’on demandait à un Coréen de citer une spécialité de poulpe, nul doute qu’il parlerait du muneosukhoe , ces lanières de chair cuites et accompagnées d’une sauce vinaigrée à base de concentré de piment. De nos jours, cette préparation emploie souvent des produits d’importation en provenance des Philippines, de l’Indonésie, du Maroc ou de la Chine, car ceux issus de la pêche côtière coréenne sont d’autant plus coûteux que cette activité se fait rare, outre que ce mollusque ne se prête pas à l’élevage. Dans la province du Gyeongsang du Nord, les offrandes alimentaires déposées à l’occasion de cérémonies en l’honneur des ancêtres comportent en général un poulpe entier de petite taille, que l’on retrouve également au menu des banquets. À Andong, l’une de ses villes les plus anciennes réputée avoir abrité de nombreux yangban , ces aristocrates au mode de vie bien particulier, il était impensable de ne pas en déposer sur l’autel rituel ou en servir sur les tables dans certaines circonstances. Il était toutefois recommandé aux hôtes qui en proposaient de ne pas l’accompagner de gosari , ces fougères aussi appelées Pteridium aquilinum afin d’éviter des troubles de la digestion. Dans le cas d’une offrande, la tradition voulait aussi que l’on présente un muneojo , c’est-à-dire un gros poulpe séché et découpé de manière à lui donner une forme décorative. Pour ce faire, il convenait auparavant de le placer dans une jarre et de l’y laisser mariner suffisamment longtemps afin de le rendre moins dur et de pouvoir réaliser des motifs tels qu’un chrysanthème ou un paon, des hommes se chargeant généralement de les réaliser juste ARTS ET CULTURE DE CORÉE 63
1 Du muneojo , une spécialité de poulpe dont la chair a ici été découpée en forme de chrysanthèmes par Seo Yong-gi, un chef cuisinier spécialisé dans les offrandes alimentaires traditionnelles de la province du Jeolla du Sud. Les motifs variés ainsi réalisés avec la chair de poulpe séchée prennent place sur les autels destinés aux rites à la mémoire des ancêtres. 2 Composé de poulpe cuit à la vapeur et émincé que l’on assaisonne avec une sauce au concentré de piment vinaigré, le muneosukhoe est, de l’avis de la plupart des Coréens, la meilleure façon d’accommoder ce mollusque.
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avant l’accomplissement du rite. Aujourd’hui, cette pratique spécifique a presque totalement disparu. Dans les provinces de Gyeongsang et de Jeolla, on a coutume d’agrémenter de quelques lanières de poulpe séché la soupe de bœuf claire que l’on dépose en offrande sur l’autel rituel. Elles viennent aussi garnir les bouillies que l’on conseille de manger aux parturientes. Composée de poulpe séché et de jujubes, cette préparation contribue indéniablement au prompt rétablissement des mamans après leur accouchement. Sur l’île de Jeju, on en trouve aussi une variante dont se nourrissent les haenyeo , ces célèbres pêcheuses sous-marines, afin d’y puiser de l’énergie en abondance. Pour la préparer, il convient tout simplement, après avoir mis le riz à tremper, de le faire sauter dans une poêle avec du poulpe cru que l’on aura au préalable battu dans un mortier préalablement, puis de laisser mijoter le tout. Une fois cuit, le poulpe en est retiré et déchiqueté, puis placé à nouveau dans la poêle où il bouillira quelque temps encore. Le rouge de sa peau vient alors colorer la bouillie en rose et la chair s’attendrit considérablement. Les habitants de Yeosu, un port de la province du Jeolla du Sud, commencent quant à eux par nettoyer le poulpe séché avec soin et par le mettre à tremper dans de l’eau tiède pendant deux heures, après quoi ils le feront mariner encore toute une nuit avec plusieurs autres ingrédients et cuire ensuite à la vapeur. La préparation ainsi réalisée constitue un mets de choix dans cette région. Ailleurs, il en existe bien d’autres dont le muneo hoemuchim , ce poulpe cuit et émincé que l’on sert cru avec du concombre et divers assaisonnements, ou le muneo jorim , également cuit et émincé, mais ayant mijoté dans une sauce de soja de style japonais. Dans la petite ville de Melide située en Galice, le restaurant Pulpería Ezequiel voit souvent arriver des marcheurs coréens harassés qui ploient sous la charge de leurs gros sacs à dos. À peine entrés, ces pèlerins des temps modernes qui font halte sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle s’écrient : « Un pulpo , s’il vous plaît ! », la spécialité espagnole en question ressemblant beaucoup à une sorte de salade coréenne. Elle se compose de lanières de poulpe cuit accompagnées de poivrons rouges et assaisonnées avec de l’huile d’olive, du sel et différentes épices.
Des vertus médicinales Comme tout ingrédient de qualité, le poulpe possède aussi des propriétés bénéfiques pour la santé. Dans la médecine populaire, l’administration de son encre était prescrite contre les hémorroïdes et l’eau de cuisson, pour soulager l’urticaire et les engelures, ainsi que les troubles de la digestion, suite à une trop grande consommation de bœuf. Dernièrement, la taurine présente dans l’organisme de ce mollusque a commencé d’intéresser les diététiciens.
Dans les provinces de Gyeongsang et de Jeolla, on a coutume d’agrémenter de quelques lanières de poulpe séché la soupe de bœuf claire que l’on dépose en offrande sur l’autel rituel. Elles viennent aussi garnir les bouillies que l’on conseille de manger aux parturientes […], mais dont se nourrissent aussi les haenyeo , ces célèbres plongeuses de l’île de Jeju, pour y puiser de l’énergie en abondance. 64 KOREANA Été 2017
On prête en effet à cet acide aminé la capacité d’empêcher la survenue des maladies cardio-vasculaires et d’Alzheimer. Il se présente sous forme d’une poudre blanche qui se dépose sur la peau du poulpe ou de la seiche séchés et, dans le cas du premier, plus que sur celle d’aucun autre mollusque.
Le hit-parade des restaurants En 1955, entrait en service une liaison ferroviaire, dite de Yeongdong, qui relie les ports de la province de Gangwon à l’intérieur des terres de la province du Gyeongsang du Nord. Cette ligne qui avait pour terminus Yeongju permettait ainsi d’acheminer le poulpe de la mer de l’Est jusqu’aux régions de montagne les plus reculées. Pendant leur long transport dans des trains sans climatisation, ces mollusques déjà cuits n’en acquéraient que plus de saveur en s’altérant, ce qui pourrait expliquer que ceux de cette région soient particulièrement appréciés. Maintenant que le transport réfrigéré est partout la règle, les prises du jour sont expédiées sans subir de transformation et c’est une fois arrivés à destination que les mollusques passeront par la cuisson et le mûrissage qui les rendront aptes à la vente. Sur le marché de Yeongju, un établissement dit du « poulpe de Mukho » propose une spécialité particulièrement prisée de la clientèle. Dans le quartier de Sinsa-dong situé à Séoul, la salade de poulpe que sert le restaurant Sanho est réputée pour sa tendreté et son odeur agréable. Les mollusques d’une grande fraîcheur dont il s’approvisionne directement dans le port méridional de Masan cuisent dix minutes à la vapeur dans un autocuiseur, puis sont soumis à une nouvelle ébullition dans une marmite ordinaire pour les rendre plus tendres. L’un des secrets du chef repose sur l’emploi de thé vert en poudre, de thé vert, de radis chinois finement râpé et d’une partie des organes internes qui se mêlent à l’eau de cuisson. Toujours dans la capitale, la salade de poulpe du restaurant Goraebul situé dans le quartier de Yeoksam-dong tire sa notoriété du fait que ce mollusque y est à peine blanchi, ce qui donne à la chair restée crue sous la peau un arrière-goût à la fois frais et saumâtre. Le poulpe est retiré à plusieurs reprises de l’eau bouillante où il cuit avec du varech et du radis chinois afin que seule la peau durcisse. Le restaurateur déclare se fournir directement à Yeongdeok, cette ville du littoral oriental du Gyeongsang du Nord également célèbre pour ses crabes des neiges de grande taille.
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MODE DE VIE
LES RETROUVAILLES DE CAMARADES DU LYCÉE TÉMOIGNENT D’UNE AMITIÉ ÉTERNELLE Voilà déjà plus de 130 ans que les femmes coréennes bénéficient de l’instruction publique grâce à l’introduction de l’enseignement à l’occidentale. Dans les premiers temps, rares étaient celles qui avaient accès à l’emploi et la possibilité de revoir ses camarades du lycée offrait alors une précieuse occasion d’avoir des contacts à l’extérieur de leur famille ou de leur belle-famille. Kim Yoo-kyung Journaliste Choi Jung-hwa Photographe
D
ans bien des mémoires, les années du lycée représentent une étape importante de la scolarité. En des temps où la non-mixité y était rigoureusement appliquée, les liens d’amitié que tissaient entre elles les jeunes lycéennes revêtaient une grande valeur et étaient longtemps conservés par la possibilité de se revoir régulièrement. Plusieurs chansons d’autrefois évoquent d’ailleurs ces aimables souvenirs des amitiés de jeunesse, à l’instar de Les ailes de rêve comme des bijoux , dont le refrain doux-amer dit ce qui suit : « Le temps des adieux est venu, Au revoir, je vous souhaite bonne chance, Au revoir, mes amis… »
Cinq ans pour un carnet d’adresses Ancienne élève du Lycée de jeunes filles Ewha, qui est le plus ancien établissement féminin de ce type en Corée, Son Hei-young 66 KOREANA Été 2017
se souvient de ses retrouvailles avec ses camarades de classe. « Dans les années 1960, en sortant du secondaire, nous avons dû affronter la vie chacune de notre côté, alors il n’était plus question de se voir. Quand nous avons été installées, une vingtaine d’années plus tard, l’envie nous est venue de revoir les amies d’autrefois. Nous avons donc commencé à nous retrouver à une dizaine et avons constitué un carnet d’adresses comportant plus de quatre cents noms de camarades de classe. Par la suite, nous avons fait paraître des bulletins d’information, avons organisé des manifestations pour les 30ème, 40ème et 50ème anniversaires de la fin de nos études et avons mis sur pied des petits clubs de sport, de chant, de peinture et d’autres loisirs ». D’un établissement à l’autre, les activités proposées ne diffèrent guère. En règle générale, de petits groupes se réunissent régulièrement par quartier, sauf pour les occasions importantes qui ras-
semblent une promotion entière. Quel que soit le nombre de participantes, celles-ci passent de bons moments le temps d’un repas, d’une conférence, de compétitions sportives, de séances de danses et de chant, de voyages ou de travail pour leur lycée. Dans certaines circonstances, elles donnent des spectacles, la plupart du temps dans de grandes salles louées à des hôtels et les anciennes s’y préparent par des répétitions de danse ou de chant. Si aucune d’elles ne se sent mal à l’aise en se joignant à ces activités après une si longue séparation, c’est certainement grâce aux bons souvenirs qu’elles conservent de leurs amitiés de jeunesse.
L’entretien des liens d’amitié par la gastronomie Les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Tongyeong situé dans la ville portuaire du même nom, dans la province du Gyeongsang du Sud, observent une tradition particulière. Tous les 9 avril, elles commémorent la création de leur établissement en se retrouvant pour confectionner des galettes aux pétales d’azalée et des gâteaux de riz à l’armoise qu’elles servent ou offrent à cette occasion. L’une d’elles, qui répond au nom de Lee Jeong-yeon, donne les explications suivantes à ce propos : « À cette époque de l’année, le marché habituel de Tongyeong se transforme en marché
aux fleurs. Avant leur réunion, les anciennes élèves, qu’elles vivent dans le pays ou soient venues d’ailleurs pour l’occasion, vont ensemble à ce marché, y achètent les fleurs d’azalée et le riz gluant pour la pâte et font des galettes. Elles confectionnent aussi des gâteaux de riz à l’armoise en forme de croissant avec de l’armoise fraîchement coupée et de la farine de riz. Nous sommes vraiment reconnaissantes à l’Association des anciennes élèves de nous offrir ces délices tous les ans ». Les villageois des montagnes environnantes cueillent les azalées et, après les avoir débarrassées de leurs étamines vénéneuses, les mettent dans des paniers pour les vendre au marché. Les anciennes élèves les y achèteront pour les ajouter en quantité à la pâte de riz façonnée en petites galettes qui disparaîtront presque sous cette profusion de pétales et, après avoir cuit rapidement juste avant d’être servies, De jolies galettes aux pétales d’azalée, cette délicieuse spécialité printanière réalisée avec de la pâte de riz gluant à laquelle on mêle cette fleur et que l’on fait frire dans l’huile. C’est cette pâtisserie réservée à des occasions que confectionnent à leur réunion annuelle les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Tongyeong, une ville de la province du Gyeongsang du Sud où les azalées fleurissent plus tôt que partout ailleurs en Corée. Les lycéennes d’hier accourent des quatre coins du pays pour se retrouver et partager ces savoureux gâteaux qu’elles continuent de faire ensemble en signe d’amitié éternelle.
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ressembleront à autant de fleurs roses épanouies. Quand vient le printemps à Tongyeong, toutes les familles s’empressent de confectionner cette spécialité. Bae Do-su, qui assure la présidence de l’association des anciennes élèves de son lycée, apporte les précisions suivantes : « Cette préparation destinée à des centaines de personnes exige beaucoup de travail et des dépenses non négligeables, mais nous sommes ravies de la faire, car les participantes viennent toutes dans l’espoir de goûter à cette délicieuse spécialité régionale, certaines même de très loin. Nous voulons nous rappeler les moments où nous en mangions ensemble autrefois ». Et d’ajouter : « Nous faisons aussi cadeau d’une petite partie des galettes ». Dans la ville de Kaesong aujourd’hui située en Corée du Nord, une tradition accompagnant le Nouvel An lunaire veut que l’on consomme une soupe aux joraeng-i tteok, ces fines tranches taillées dans de la pâte de riz que l’on a comprimée dans une canne de bambou pour obtenir une forme en 8 ou celle d’une coque de cacahuète. Cette soupe confectionnée en vue des cérémonies à la mémoire des ancêtres sera par la suite consommée en famille. Bien qu’éloignés de leur ville natale, les Sud-Coréens originaires de Kaesong ont ainsi conservé leurs traditions culinaires. En d’autres temps, les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles Holston de Kaesong se retrouvaient la veille du Nouvel An lunaire pour préparer ces gâteaux de riz qu’elles envoyaient en cadeau à des amis et proches. Si elles ne sont pour la plupart plus de ce monde aujourd’hui, la tradition est restée et ce sont leurs belles-filles qui la perpétuent. Autres lieux, autres mœurs, et pour Lee He-suk, qui vit à Séoul dans une maison donnant sur un grand jardin, la préparation de la sauce de soja fermenté en compagnie de ses anciennes camarades du primaire et du secondaire est l’un des moments forts de l’année. Deux mois plus tard, quand le fruit de leur travail est propre à la consommation, elles rapportent chacune chez elles un pot de ce condiment préparé par leurs soins. Pour les fêtes de fin d’année, Cheon Yi-hyang, qui préside l’association des anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Pungmun, invite chez elle ses chères camarades d’il y a quarante ans pour confectionner des raviolis coréens appelés mandu , car certaines d’entre elles ont des difficultés à se déplacer. Toutes apportent un ingrédient ou un autre, échangent des cadeaux, bavardent et plaisantent comme les Aujourd’hui d’âge moyen, les amies d’enfance retournent jeunes filles qu’elles furent autrefois. chaque année à Gyeongju, Elles veillent bien à n’offrir que des cette capitale de l’ancien produits de consommation courante royaume de Silla qu’elles visitèrent ensemble lors d’un dont elles ne seront pas susceptibles voyage scolaire. Vêtues du de s’encombrer à la maison, qui des même uniforme qu’alors, gâteaux de riz, qui de la vaisselle ou elles revivent avec plaisir ces jours mémorables en des savonnettes. Celles qui répondent jouant dans l’herbe au jeu du au téléphone pendant la réunion « mouchoir » d’autrefois, non loin d’un tombeau royal. doivent s’acquitter d’une amende. 68 KOREANA Été 2017
L’outil des réseaux sociaux Lee Sun et ses anciennes camarades de lycée, aujourd’hui amies de trente ans, se retrouvent une fois par mois à la station de métro Sindorim située dans le sud-ouest de Séoul, ce choix répondant au souci de faciliter les choses pour celles qui viennent de province. Elles commencent toujours par se rendre au centre commercial le plus proche pour un déjeuner où elles parleront de tout et de rien, après quoi elles iront parfois au cinéma et auront passé une très bonne journée ensemble. Dans chacun de ces groupes, se trouve toujours une maîtresse de maison avisée qui les fera profiter de son savoir-faire en matière de vie pratique ou de placements et toutes les présentes auront l’occasion d’échanger sur des sujets divers. Parmi elles, se trouvent aussi inévitablement des personnes qui expriment leurs opinions politiques avec un peu trop de conviction, ce qui peut finir par gâcher l’ambiance, mais l’une ou l’autre s’empresse alors de passer à un autre sujet de conversation. Ces retrouvailles présentent aussi l’avantage de déboucher sur du travail bénévole, car les participantes se chargent à tour de rôle de l’organisation de voyages ou de réunions, de la mise à disposition du matériel nécessaire, de l’envoi de courriers et messages, ainsi que de la comptabilité. Pour celles qui n’ont jamais travaillé, s’offre ainsi l’occasion exceptionnelle d’être en prise avec la société et de s’adapter aux tendances actuelles. Au fur et à mesure que vieillissent leurs membres, les associations limitent le montant des cotisations au strict nécessaire pour prendre en charge leurs frais. Celles-ci s’élèvent en moyenne à 30 000 wons par mois, soit environ 25 euros, et couvrent le prix des repas, ainsi que d’autres frais notamment engagés lors des événements familiaux qui surviennent chez les membres. Le smartphone a aussi entraîné des changements dans l’organisation des réunions, qui ont de plus en plus tendance à se dérouler dans le cadre de salons de discussion en ligne. L’envoi des bulletins d’information par le courrier est révolu depuis déjà dix ans, car il a cédé la place aux clubs internet un temps très utilisés, auxquels ont succédé il y a quelques années des applications de messagerie instantanée aujourd’hui privilégiées par les usagers. En permettant d’échanger instantanément des messages, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, le smartphone abolit le temps comme les distances. Ses applications ont toutefois l’inconvénient de provoquer une déferlante de courriers indésirables quand les internautes multiplient les salons de discussion auxquels ils participent. Il se prête aussi à des erreurs dans la désignation des destinataires des messages envoyés, seule une pratique assez courante des réseaux sociaux pouvant éviter ces confusions. Séduits par les côtés pratiques des réseaux sociaux et curieux de les découvrir, les membres d’associations d’anciennes élèves y ont toujours plus recours, mais finalement, celles-ci sont de plus en plus nombreuses à s’en affranchir par souci de tranquillité.
Une belle tradition en déclin Comme toute chose en ce monde, les réunions d’anciennes élèves accusent aussi le passage du temps. Sur les photos de groupe d’autrefois, posent, tantôt assises, tantôt debout, mais l’air toujours sévère, ces anciennes camarades que la vie réunit aujourd’hui après la séparation de trente années qui a suivi leurs études. Dix ans plus tard, elles semblent plus détendues et tout sourire, certaines s’étant presque allongées sans façon sur le sol. Lors du cinquantième anniversaire de leur amitié, des festivités viendront couronner la pérennité de leurs liens. À cette occasion, elles accourront sur leur trente et un des quatre coins du monde. Elles effectueront des dons en faveur de leur ancien établissement sous forme de bourses d’un montant toujours plus important et nombre d’entre elles trouveront dans les différentes festivités la possibilité de faire montre de talents cachés. La célébration de ce cinquantième anniversaire peut prendre des formes différentes. Certaines associations font éditer un livre évoquant leurs activités et les moments passés ensemble au lycée par leurs participantes. La promotion de 1965 du Lycée de jeunes
filles Ewha, par exemple, a rassemblé pas moins de trois cents photos de toutes les anciennes élèves des années 1946 à 2015 en vue de la production d’un album photos intitulé Histoire de la mode féminine coréenne de 1946 à 2015 . Il met en évidence le goût esthétique dont faisaient preuve les femmes à l’époque de la prodigieuse croissance industrielle et démographique du pays, en présentant non pas d’élégantes robes portées par des mannequins ou d’autres professionnelles, mais les tenues de tous les jours des femmes au foyer. Il permet aussi de redécouvrir les grands couturiers coréens d’alors. S’il arrive que des associations d’anciennes élèves fêtent leur soixantième anniversaire, avec l’âge, leurs participantes trouvent de moins en moins la force d’organiser de telles festivités. Quand approchent les quatre-vingts ans, certaines ont du mal à se déplacer, car percluses de rhumatismes, voire grabataires pour certaines, toute réunion relevant dès lors de l’impossible, de sorte que ces rassemblements sont aujourd’hui en voie de disparition et risquent de n’être bientôt plus qu’un lointain souvenir.
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APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE
CRITIQUE
IL Y A TOUJOURS UN
« HARUO »
EN NOUS
Choi Jae-bong, Journaliste au Hankyoreh
«L ’histoire de Haruo, plus qu’à moitié se passe pendant des vacances en Inde, mais en fait, je pense qu’elle parle plutôt du pays natal. Où qu’il se trouve, Haruo semble se sentir comme chez lui ».
À
la fois romancier et poète, Lee Jang-wook est tout aussi productif dans les deux genres, ce qui n’est pas commun chez ses confrères coréens, même si nombre d’entre eux ont fait leurs débuts en poésie avant de passer au roman. En 2014, il s’est vu décerner le Prix littéraire Kim Yu-jeong, l’une des principales distinctions dans le domaine de la fiction, et deux ans plus tard, le prestigieux Prix littéraire Daesan pour son œuvre poétique tout aussi appréciée. Dans sa nouvelle Haruo, plus qu’à moitié éditée en 2013, la curiosité du lecteur est piquée dès le titre quelque peu énigmatique. Par le biais des observations du narrateur coréen, l’auteur s’intéresse à la personnalité d’un certain Takahashi Haruo, qui est de nationalité japonaise, comme l’indique le titre. En voyant à quel point Haruo aime les voyages et les rencontres, le narrateur lui fait cette remarque : « Tu n’es pas comme les Japonais que je connais », et son interlocuteur de lui faire plus loin cette étrange réponse : « Disons que Haruo est plus qu’à moitié différent », ces paroles ne se référant pas seulement aux origines du personnage. Sur le moment, celuici réplique avec un sourire que lui non plus « ne [ressemble] pas aux Coréens de ses connaissances », des paroles qui semblent traduire une critique, voire un refus de la trop grande facilité avec laquelle les individus sont jugés et catalogués en fonction de leur origine régionale ou nationale. Par son côté mystique et son pouvoir d’at-
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traction indéfinissable, le personnage singulier de Haruo incarne les idées de la différence et de l’altérité que la nouvelle cherche à analyser. Il émane un charme cosmopolite particulier de ce Haruo pour qui les voyages sont un métier plus qu’un loisir et, s’il tient naturellement cet attrait de ses origines familiales, il doit surtout l’avoir acquis au gré d’aventures qui lui ont fait frôler la mort. Humilié par son échec aux concours d’entrée à l’université, il part pour le « dernier voyage » à destination de la Corée et, arrivé dans la ville méridionale de Busan, il fera des découvertes qui bouleverseront sa vie. La rencontre qu’il y fait, aussi banale et éphémère soit elle, chasse ses pensées suicidaires d’une manière qu’il explique ainsi : « On aurait dit que je m’étais déplacé de cinq centimètres pour entrer dans un autre monde ». Tout se passe en fait comme s’il s’était attendu à la transformation de tout son être que cette expérience ordinaire a entraînée. Quelle que soit sa nature précise, le changement survenu suite à cet incident a fait de Haruo un être « différent » évoluant dans un univers « différent », un personnage cosmopolite qui est « plus qu’à moitié » lui-même. C’est lors d’un voyage en Inde en compagnie de sa petite amie que le protagoniste rencontre Haruo et se lie aussitôt d’amitié avec lui, après quoi il continuera de suivre son parcours en consultant le blogue qu’il rédige. Avec le temps, il s’y intéressera cependant de moins en moins et finira par cesser de le lire. Ce n’est que quelques années plus tard,
alors qu’il a perdu contact avec le blogueur, que des nouvelles lui parviendront de lui par son ancienne petite amie. À l’époque où elle était hôtesse de l’air, elle aurait assisté à un incident le concernant dans un aéroport des États-Unis. Comme il refusait de se soumettre au contrôle par scanner corporel qui y était souvent pratiqué sur les voyageurs asiatiques, des agents de sécurité l’auraient conduit dans une salle en vue d’un interrogatoire, et l’ancienne petite amie d’ajouter : « En fait, je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit lui, mais… », sans terminer sa phrase, laissant entendre qu’il ne pouvait s’agir que de lui. En supposant que ce soit bien le cas, il semblerait donc que l’incident en question ait imposé des limites, voire donné un coup d’arrêt à cette manière de vivre « à la Haruo ». Les dispositifs de sécurité accrus mis en œuvre dans les transports après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 rendaient la poursuite d’un tel mode de vie tout bonnement impossible. C’en était fini d’une certaine vision du monde fondée sur l’altérité et le respect de la différence auxquels tenait Haruo et qu’il incarnait. L’interruption de son blogue qui intervient suite à cet incident est aussi révélatrice d’une situation dans laquelle la manière d’être d’une personne et sa façon de vivre ne font plus partie du domaine des possibles. Si l’histoire s’était arrêtée là, il aurait fallu lui donner un dénouement soit tragique, soit cynique, mais l’auteur semble avoir voulu signifier que le style de vie que menait Haruo n’a pas complètement disparu avec sa personne. Quand le narrateur est chargé de recruter du personnel étranger pour sa société, le candidat japonais qui se présente « ressemble à Haruo », mais se nomme Hara Kyosuke. À la fin de la nouvelle, le narrateur démissionne sans raison précise et achète un billet d’avion pour l’Inde, car, s’il semblait avoir totalement oublié Haruo, il n’a en fait jamais cessé de le chercher, ou plus exactement, de croire qu’il continuait d’être au monde d’une manière ou d’une autre. Ce faisant, l’auteur insiste sur le pouvoir d’attraction qu’exerce un certain mode de vie et qui assure la continuité de ce dernier. Les lignes qui suivent sont extraites d’une interview qu’a accordée Lee Jang-wook à la revue littéraire Axt (Volume 6, mai 2016) et qui peut fournir une clé de lecture de la présente nouvelle : « L’histoire de Haruo, plus qu’à moitié se passe pendant des vacances en Inde, mais en fait, je pense qu’elle parle plutôt du pays natal. Au personnage sans pays natal de Haruo s’oppose celui du père du protagoniste aux solides racines villageoises. Un jour, j’ai lu dans un livre : « L’homme qui éprouve une tendre nostalgie pour son pays natal est un débutant encore fragile ; celui pour qui toute terre est son pays est déjà fort ; mais celui pour qui le monde entier est une terre étrangère est un être parfait ». Manifestement, Haruo appartient à la deuxième de ces catégories, car, où qu’il se trouve, il semble se sentir comme chez lui. À l’inverse, un être ne peut être parfait que s’il se sent étranger où qu’il se trouve, aussi terrible que cela puisse paraître ».
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