12 minute read

“I gave a voice to those who lost it in Auschwitz-Birkeneau”

Next Article
Treasure Trove

Treasure Trove

« J’ai donné la parole à ceux et celles qui l’ont perdue à Auschwitz-Birkenau »

Entrevue avec le journaliste et écrivain portugais José Rodrigues Dos Santos PAR ELIAS LEVY

Ledernier livre de José Rodrigues Dos Santos, Tome 1 : Le Magicien d’Auschwitz, Tome 2 : Le manuscrit de Birkenau (Éditions Hervé Chopin, 2021), est une œuvre de fiction puissante et bouleversante qui aborde d’une façon inédite une tragédie ineffable : la Shoah.

L’auteur plonge le lecteur au cœur de l’horreur de cette hécatombe en nous relatant l’histoire véridique d’un magicien professionnel juif allemand, Herbert Levin, alias le « Grand Nivelli », déporté avec son épouse et son jeune fils du camp de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie, à Auschwitz-Birkenau.

Dans ce camp de la mort, il croisera un soldat portugais SS, ancien légionnaire, Francisco Latino, qui, pour essayer de sauver la femme dont il est éperdument amoureux, Tanusha, une jeune juive russe qu’il a connue dans le front de l’Est, emploiera moult stratagèmes pour aider Herbert Levin à survivre dans cet enfer.

Ce roman historique coup de poing est un autre grand tour de force littéraire de ce brillant écrivain non juif.

Journaliste, ancien reporter de guerre et présentateur vedette du Téléjournal de 20 h au Portugal, José Rodrigues Dos Santos s’est imposé comme l’un des plus grands auteurs contemporains de thrillers historiques et scientifiques. Ses romans, La Formule de Dieu, L’ultime Secret du Christ, La Clé de Salomon, Codex 632. Le secret de Christophe Colomb –livre sur « Au Portugal, les mélanges entre les populations juive et chrétienne ont été très importants. Il est fort probable que mes ancêtres étaient aussi Juifs »

- JOSÉ RODRIGUES DOS SANTOS les origines juives du célèbre explorateur, découvreur des Amériques–, Furie divine –roman décapant sur l’islamisme radical–, Vaticanum, Immortel… traduits en une vingtaine de langues, ont connu un grand succès mondial.

José Rodrigues Dos Santos a été l’invité d’honneur du Festival sépharade de Montréal 2021.

Comment est née l’idée d’écrire ce récit sur la Shoah ?

Le point de départ de l’écriture de ce livre a été ma rencontre impromptue sur un plateau de télévision, il y a trois ans, avec Werner Reich, aujourd’hui âgé de 94 ans, survivant du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau. Nous étions invités au programme de télévision d’un prestidigitateur portugais très connu. Werner Reich nous raconta qu’il avait appris l’art de l’illusionnisme à Auschwitz-Birkenau auprès d’un grand magicien professionnel juif allemand, Herbert Levin, surnommé le « Grand Nivelli ». Leurs destinées se sont croisées dans ce sinistre lieu de mort. Son récit concentrationnaire nous tétanisa. Le lendemain, je l’ai invité chez moi. Nous avons passé toute la journée ensemble. Il me raconta avec plus de détails ce que fut sa vie à Auschwitz-Birkenau et l’histoire insolite de Herbert Levin, qui parvint à survivre dans cet enfer grâce à ses dons de magicien. Werner Reich vit à Newark, aux États-Unis. Nous avons échangé ensuite des centaines de mails qui m’ont permis de colliger de nombreuses informations sur

la vie de Herbert Levin et les rouages du fonctionnement d’Auschwitz-Birkenau.

L’écriture de ce livre n’a pas dû être un labeur aisé.

J’ai songé à abandonner avant même de commencer à l’écrire bien conscient que l’histoire que je devais raconter était tellement effroyable que l’on répugnerait à la lire. La Shoah est un sujet très sensible dont la portée est universelle. Cette tragédie ne concerne pas que les Juifs, mais tous les êtres humains. En tant qu’écrivain, il faut avoir une certaine maturité pour traiter un sujet aussi délicat et douloureux. Pour moi, la littérature n’est qu’un moyen de raconter la vérité, et d’une façon dure quand c’est nécessaire. En écrivant ce livre, j’avais une grande responsabilité : être fidèle à la réalité des faits. Dans le cas d’Auschwitz, la vérité est bien plus noire que les récits généralement narrés dans des romans ou des films. J’ai remarqué que la grande majorité des romans sur Auschwitz édulcorent la réalité historique afin de ne pas choquer les lecteurs. L’abominable processus d’extermination dans les chambres à gaz est rarement décrit. Au risque de rebuter bon nombre de mes lecteurs, j’ai décidé de raconter tout ce qui s’est passé dans ce lieu maudit. Je me devais de narrer cette sinistre histoire car elle était profondément ancrée dans ma mémoire et ne cessait de me troubler.

Les nazis étaient obsédés par les sciences occultes et la magie.

L’idéologie nazie puise ses fondements dans le nationalisme, l’antisémitisme, le racisme, l’eugénisme et le socialisme. Mais il y a une dimension moins connue du nazisme : l’ésotérisme. Herbert Levin était un illusionniste qui savait que la magie n’est qu’une pure illusion. Les nazis, au contraire, croyaient résolument à la magie, à la lévitation, à l’astrologie, à l’origine divine des Aryens… Adolf Hitler était obnubilé par la magie noire, Heinrich Himmler consultait régulièrement son astrologue personnel, Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz, était membre d’une société d’ésotérisme. Les nazis voulaient créer un « surhomme ». Les idéologues du IIIe Reich ont été très influencés par un livre d’ésotérisme, The Secret Doctrine. The Synthesis of Science, Religion and Philosophy, écrit en 1888 par une Américaine d’origine ukrainienne, Helena Blavatsky. Les principaux préceptes de l’idéologie nazie sont fondés sur la théorie pseudo-scientifique étayée dans cet ouvrage : les Allemands sont les héritiers de la race des Atlantes, habitants de l’Atlantide, citée engloutie par les eaux, de grands blonds aux yeux bleus qui ont « perdu leur étincelle divine » lorsqu’ils se sont mélangés à d’autres races. L’obsession des nazis : faire renaître en Germanie la race pure des Atlantes.

Le Rabbin portugais Shlomo Pereiras considère que votre livre est « une vision totalement nouvelle de la Shoah parce que vous donnez la parole à ceux qui l’ont perdue à Auschwitz ».

Ce n’est pas le devoir de mémoire qui m’a motivé à écrire ce livre, mais plutôt le devoir de donner la parole à tous ceux et celles qui l’ont perdue à Auschwitz-Birkenau. On oublie souvent que la majorité des déportés juifs n’ont pas survécu. Les récits sur la Shoah souffrent de la myopie du survivant, c’est-à-dire qu’ils tendent à mettre l’accent sur l’histoire des déportés qui, après avoir fait face à des épreuves existentielles atroces, ont réussi, en défiant toutes les probabilités, à survivre. Des gens simples devenus des héros. Ces récits sont admirables mais ils négligent une donnée fondamentale : ceux qui ont vécu l’expérience monstrueuse de la Shoah dans son intégralité ne sont pas les survivants, mais les morts. Le pire du pire n’a pas laissé de témoins. Aucun des Juifs exterminés dans les chambres à gaz n’a pu raconter ce qui lui est arrivé, ce qui s’est passé dans cette salle hermétiquement close où l’on entassait trois mille personnes nues, serrées les unes contre les autres. Certes, nous ne disposons pas de leurs témoignages, mais nous avons accès aux récits de ceux qui ont partagé leurs derniers instants de vie : les membres des Sonderkommandos. Ces unités spéciales juives travaillaient d’arrache-pied dans les crématoires. Chaque jour, ils ont été les témoins du gazage de milliers de leurs coreligionnaires. Ils faisaient le sale boulot que les nazis ne voulaient pas accomplir. Les membres des Sonderkommandos savaient qu’ils allaient mourir car ils étaient des témoins. En effet, la majorité d’entre eux ont été assassinés.

Leurs témoignages sont capitaux.

Absolument. Des membres des Sonderkommandos ont caché des manuscrits recelant leurs témoignages à proximité des crématoires. Ces documents ont été découverts après la libération d’Auschwitz-Birkenau. Par ailleurs, dans les années 80, l’historien israélien Gideon Greif découvrit qu’une trentaine de membres des Sonderkommandos étaient encore en vie. Craignant les inévitables accusations de trahison et de collaboration avec les nazis, ces derniers avaient préféré jusque-là se cantonner dans un silence abyssal. Gideon Greif les a convaincus de lui livrer leurs témoignages. Les manuscrits retrouvés aux abords des crématoires de Birkenau et les descriptions très détaillées d’anciens Sonderkommandos interviewés par Gideon Greif ont été les deux principales sources qui m’ont permis de reconstituer les diverses étapes du processus d’extermination des Juifs à Auschwitz-Birkenau.

Plusieurs de vos livres ont suscité de vives controverses, particulièrement celui que vous avez consacré aux origines juives de Jésus-Christ. Ces polémiques vous affectent-elles ?

En tant qu’écrivain, j’ai un compromis avec la vérité. Pour moi, écrire une fiction, c’est dire la vérité déguisée en mensonge. Je m’attaque à tous les sujets, même aux plus sulfureux. Mon livre L’ultime secret du Christ a déclenché une grande polémique au Portugal. Cependant, je ne rappelle dans ce livre qu’une grande vérité : Jésus est né Juif, a vécu Juif et est mort Juif. Il n’a jamais pensé à créer une nouvelle religion. L’Église catholique portugaise a sévèrement critiqué ce livre. Un dimanche matin, un communiqué rendu public par les plus hautes instances catholiques potugaises, fustigeant le livre, a été lu par les prêtres dans les églises du pays. Une publicité gratuite ! J’ai posé alors une question aux dirigeants de l’Église catholique portugaise: mon livre contient-il un mensonge ou des erreurs factuelles ? Si oui, je m’engage à les rectifier dans une prochaine édition. Les dignitaires ecclésiastiques ont reconnu que le livre ne relatait rien de faux, mais que « les Portugais n’étaient pas prêts à entendre de telles choses ». J’ai leur ai répondu que j’étais désolé d’avoir provoqué autant de remous, mais que comme écrivain ce qui comptait avant tout pour moi, c’était la quête de la vérité. Ne jamais transfigurer la vérité pour la rendre plus convenable, et donc plus lisible pour certains.

Comment qualifieriez-vous aujourd’hui les relations entre le Portugal et les Juifs ?

Des liens étroits continuent à unir les Portugais au peuple juif. Un jour, j’ai rendu visite au grand écrivain américain Philip Roth dans sa maison au Connecticut. Il m’a soudainement demandé : « Où sont les Juifs au Portugal ? » Je lui ai alors raconté qu’après l’attaque terroriste contre les Twin Towers à New York, le 11 semptembre 2001, pour retrouver les restes mortels des victimes, des scientifiques américains ont mis au point de nouvelles techniques génétiques très sophistiquées basées sur l’ethnicité d’une personne. L’Université de Lisbonne et l’Université de Caroline du Sud ont utilisé cette technique pour réaliser une large étude afin déterminer les origines génétiques de la population du Portugal. Les conclusions ont sidéré beaucoup de Portugais : 3% de gènes arabes, 8% italiens, 12% celtiques, 10% visigoths... 40% hébraïques. Chaque Portugais est presque un demi-Juif ! Il ne faut pas oublier que le Portugal compte dans sa population des milliers de descendants des nouveaux chrétiens. Les mélanges entre les populations juive et chrétienne ont été très importants. Il est fort probable que mes ancêtres étaient aussi Juifs ! n

Behind this story (in English)

José Rodrigues Dos Santos, journalist, war reporter and star presenter of Téléjournal, the evening news program in Portugal, has established himself as one of the greatest contemporary authors of historical and scientific thrillers. His novels include The Einstein Enigma, The Ultimate Secret of Christ, The Key of Solomon and Codex 632: The Secret of Christopher Columbus (on the Jewish origins of the famous explorer). His work has been translated into 20 languages.

Among his most recent books is 2021’s The Magician of Auschwitz, in which the author immerses the reader in the horrible heart of the Shoah by telling the true story of a German-Jewish professional magician Herbert Levin—alias the “Grand Nivelli”— who is deported with his wife and young son to Auschwitz-Birkenau.

There, Levin meets a Portuguese SS soldier and former legionnaire Francisco Latino, who is trying to save Tanusha, the young Russian Jew he is in love with. Throughout the novel, Latino employs many stratagems to help Levin survive the hell of the death camps.

Rodrigues Dos Santos was the guest of honour at the 2021 Montreal Sephardic Festival, where The CJN got the opportunity to ask him how he came up with the idea for a Holocaust-based novel.

We’ve got lots of stuff to talk about

ELLIN BESSNER DAILYCJNTHE WITH

The CJN Daily

thecjn.ca/daily

This is what Jewish Canada sounds like. A bite-sized newscast hosted by chief correspondent Ellin Bessner with four fresh episodes per week. Listen for interviews with community leaders, The CJN’s unique angles on major events and breaking news that matters to Canadian Jews. And for more of the stories behind the stories, follow the podcast on Instagram: @thecjndaily.

Bonjour Chai

thecjn.ca/bonjour

Political punditry, spiritual advice and hotter-thanhorseradish takes are part of our weekly current events program—presented in a fashion that’s friendly and fun. This co-production with the Jewish Living Lab in Montreal, hosted by Avi Finegold, Ilana Zackon and David Sklar, will keep you up to date with the latest trends at The CJN, and include you in the conversation.

Yehupetzville

thecjn.ca/yehupetzville

Ralph Benmergui travels from coast to coast to coast in search of Jews living in unexpected Canadian places. So far, guests have included the deli men of remote B.C. and the Bagel Lady of Niagara, the last Yiddish speaker from Saint John and memories of growing up in Glace Bay, and what it’s been like to sustain Jewish traditions in Bowen Island, Lethbridge, North Bay and beyond.

... at The CJN Podcast Network

We’ve got lots of stuff to talk about

Menschwarmers

thecjn.ca/menschwarmers

Talkin’ Jews, talkin’ sports. This is the world’s only podcast that does both across the board—now in its fourth year. Gabe Pulver and James Hirsh do laid-back interviews with pro players, offer global commentary on prominent accomplishments and tackle surprisingly indepth investigations into whether athletes whose names sound Jewish actually are.

Rivkush

thecjn.ca/rivkush

Rivka “Rivkush” Campbell, a Canadian Jew of Jamaican descent, is building a catalogue of interviews with fascinating Jews of colour. And these conversations may take you in unexpected directions. So far, guests have included Zionist rapper Westside Gravy and secondgeneration comedian Rain Pryor, plus a discussion about the civil rights movement with Susannah Heschel.

How to hear The CJN

Podcast Network

1Search and subscribe

on any podcast app.

Apple, Google and Spotify are just three of the platforms where you can get each new episode delivered to you for free, whenever it’s available.

2Look at our lineup at

thecjn.ca/podcasts.

New and archived shows from The CJN Podcast Network are all listed there, along with the new comedy series that we’re launching this spring.

3Get on the mailing

list for The Canadian Jewish Newsletter.

We’ll send you regular emails featuring new episodes, including alerts to the most newsworthy instalments of The CJN Daily. Sign up for free at thecjn.ca/newsletters

This article is from: