MONNAIES ET CIRCULATION MONETAIRE AU VIETNAM DANS L'ÈRE Tlí DÚC (1848-1883) (PI XL-XLI)
publiques bousculées monétaire Résumé. traditionnelle et l'économie -par Sous l'intervention le règne estlocale déstabilisée de militaire l'empereur qui reposaient parfrançaise levietnamien choc sur de etunses laordre TiiDûc puissance conséquences. ancestral (1848-1883), économique multiLa les circulation séculaire finances française sont et de ses pratiques monétaires. Mal préparées à de tels bouleversements, dont le principal est, dans notre domaine, l'introduction massive de pesos mexicains, les élites vietnamiennes réagissent au coup par coup, en fonction de l'évolution de la situation financière du pays, plus pour préserver leur situation que pour trouver une réponse adaptée à la confrontation. Si au-début du règne, les signes monétaires (sapèques de zinc, sapèques et multiples de laiton et monnaies et lingots d'argent) mis en circulation et les unités de compte utilisées restent en correspondance relative avec le niveau de vie très bas de la masse de la population et avec la valeur respective de chacun des trois métaux monétaires, on constate qu'au fur et à mesure que la situation politique et militaire se dégrade, d'une part la production monétaire et le contrôle de l'État sur les ateliers s'affaiblissent et d'autre part, les expédients comptables et les manipulations des taux de conversion sont considérés comme des éléments pertinents de politique monétaire. À la mort de l'empereur, le système monétaire traditionnel est complètement déstructuré, laissant le terrain prêt pour l'instauration du monnayage colonial de la Cochinchine puis de l'Indochine Française. Au premier abord, et comparée à celle de ses immédiats prédécesseurs, l'histoire monétaire du règne de l'empereur Diic Tông, ère Tii Duc (18481883)1, semble cahotique et paraît devoir être principalement caractérisée par une incohérence chronique. En fait, une analyse plus précise des signes monétaires et de leur valeur légale, de l'évolution des taux de change de ces différentes monnaies entre elles, du rythme et des conditions de la production monétaire, et des rapports entre les espèces et la 1. Son nom personnel est Nguyên Phùc Thi, son nom d'avènement Hong Nhâm, son titre dynastique Diic Tông et son titre posthume Anh Hoàng De. II est né le 22 septembre 1829, régna du 10 novembre 1847 au 19 juillet 1883. Tii Duc est le nom donné à ses années de règne {nianhao), et par commodité, la tradition utilise l'expression « empereur Tu" Duc » pour désigner Diic Tông. L'ère Tvf Duc commence en 1848 et pas en 1847 qui est la dernière année de l'ère Thiêu Tq. Revue numismatique, 1999, p. 267-315
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circulation monétaire réelle, c'est-à-dire celle de la masse de la population, montre qu'on assiste à un processus de décomposition du système monétaire traditionnel, processus marqué par trois éléments qui réagissent les uns sur les autres : l'incapacité des autorités à définir une politique monétaire, la défiance croissante de la population vis-à-vis du monnayage de laiton et des taux officiels et enfin la pression, croissante elle aussi, de la monnaie étrangère. On constate que ces trois éléments dont l'interaction conduit à la déstructuration du système traditionnel correspondent aux trois crises qui secouent le pouvoir impérial, la crise de légitimité, la crise de confiance et la crise nationale, qui vont conduire le Vietnam à sa mise en tutelle par la France. Cette période qui marque en effet « le crépuscule d'un ordre traditionnel », pour reprendre la formule de Nguyên Thê Anh, voit la rupture de tous les équilibres sur lesquels repose l'état confucéen et aboutit à l'irruption de la barbarie au centre de l'empire ; mais pour certains, cette conclusion n'est que la sanction de l'origine illégitime du détenteur du Mandat céleste. Empereur illégitime, état en crise... La crise de légitimité empoisonne tout le règne de Tii Duc. Dans les dernières années de Thiêu Tri (1840-1847), la Cour et le mandarinat sont divisés en deux clans qui soutiennent chacun un héritier potentiel : autour du Ministre des Rites Nguyên Dâng Tuân se rangent les partisans du prince Hong Bâo, fils aîné de l'empereur, et autour du Ministre de la Guerre, Triidng Dâng Quê\ ceux du prince Hong Nhâm, deuxième fils de l'empereur, mais premier fils de l'impératrice. La mort du Ministre des Rites en 1845 affaiblit considérablement la position de Hong Bâo et assure le triomphe de la faction du Ministre de la Guerre qui épure la Cour des mandarins liés à Nguyên Dâng Tuân, dont son fils, Nguyên Dâng Giai, envoyé au Tonkin comme gouverneur du Sdn-tây. À la mort de Thiêu Tri, le 4 novembre 1847, Triidng Dâng Que' met Hong Nhâm sur le trône en produisant un testament du défunt empereur écartant Hong Bâo (Tsuboi : 132-146). Les circonstances de l'intronisation de Diic Tông eurent pour conséquence une suspicion sur sa légitimité d'une part et la constitution, au sein même de l'appareil d'état et du mandarinat, d'un groupe légitimiste, « la faction Hong Bâo », dont les activités troublèrent les premières années du règne et aboutirent à l'exécution de Hong Bâo2. A l'accusation 2. En 1851, le prince entra en relation avec l'étranger et prépara sa fuite vers Singapour ; capturé avant même d'atteindre le bateau qui devait l'emporter, il fut assigné à résidence. En 1854, il renoua les contacts avec ses anciens partisans dans l'administration, avec certains missionnaires et avec les Vietnamiens convertis, et envoya des émissaires à l'étranger (Siam et Cambodge) pour obtenir l'aide des autorités locales contre son frère. Le complot fut découvert : Hong Bâo et ses alliés furent exécutés, parmi lesquels Nguyên Dâng Giai et Tôn-Thât Bât. Les espoirs des légitimistes se reportèrent alors sur le fils de Hong Bâo, Dinh Dao, que TU Duc eut la faiblesse d'épargner. RN 1999, p. 267-315
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d'illégitimité s'ajouta, à l'encontre de Tii Duc, celle de fratricide. Le soutien demandé par Hong Bâo aux missionnaires et aux chrétiens autochtones, et plus ou moins accordé, fit que la Cour, et Tii Duc en particulier, considérèrent ceux-ci comme un groupe essentiellement politique hostile à son pouvoir ; ils déclenchèrent donc contre eux une virulente persécution. Missionnaires et catholiques locaux demandèrent alors à la Société des Missions Étrangères de Paris d'intervenir auprès de Napoléon III pour que la France vienne à leur secours. Monseigneur Pellerin et les Missions Étrangères réussirent si bien que les troupes françaises vinrent bombarder les forts de Tourane en 1857 et en 1858 et débarquèrent à Saigon au début 1859. La Basse-Cochinchine fut occupée par les Français, Tir Duc signa le Traité de Saigon (5 juin 1 862) qui accordait la liberté d'exercice de la religion chrétienne dans l'empire et donnait à la France les trois provinces de Biên-hôa, Gia-dinh et Dinh-uiông. La crise politique débouchait sur une crise nationale. Par ailleurs, cette période est marquée par une succession de catastrophes naturelles3 qui viennent renforcer l'idée d'une rupture du Mandat céleste résultant de l'occupation du trône par un souverain illégitime. Ces catastrophes provoquent la ruine et la désertification de régions entières dont la population se soulève : on ne compte pas moins de 40 révoltes entre 1848 et 1862, soit 3 par an4. Le brigandage devient une activité croissante, sur terre et sur l'eau, aussi bien de la part des Chinois que des Vietnamiens, ce qui cause de graves obstacles à l'agriculture et aux transports. Enfin, les côtes sont l'objet des razzias5 que les autorités sont incapables de combattre. La misère et l'insécurité sont telles que l'empereur doit, en 1867, faire acte de contrition devant les mandarins et le peuple et se déclarer coupable des malheurs qui frappent le pays. Les clauses du Traité de Saigon sont si graves que le gouvernement tente de les tenir secrètes aussi longtemps que possible, mais elles furent connues du grand public lors de la session des examens mandarinaux de 1864, ce qui déclencha une violente réaction des candidats et des lettrés à Huê et à Nam-dinh : le mouvement s'amplifia, réclamant l'extermination des chrétiens et des Européens et le châtiment des négociateurs. 3. On citera parmi les plus importantes, l'épidémie de choléra en 1849-1850 qui fait près de 600 000 morts, l'invasion de sauterelles de 1854 qui détruit la récolte de riz des provinces de Bacninh et de Sdn-tây, la famine de 1856-1857 au Tonkin qui se solde par des dizaines de milliers de morts, la rupture des digues de Khoai-châu, qui transforme en désert les cantons de Vân-giang et Tiên-Ш, entre Hanoï et Hung-yên. 4. Certaines ne sont que des jacqueries, mais d'autres s'organisent en véritables insurrections, comme la « révolte des sauterelles », conséquence de la famine qui suivit la destruction de la récolte de riz des provinces de Bac-ninh et de Sdn-tây, qui est dirigée par un prétendant des Le, Le Duy Cii, et par le poète Cao Bá Quát, ou la révolte de la Ta Van Phung qui tint sous son autorité tout l'est du Tonkin en 1862. 5. En 1855, toute la côte du Quang-yên est pillée et ravagée par des pirates chinois ; à plusieurs reprises, celles du Hà-tiên et du An-giang le sont par des pirates malais et khmèrs. RN 1999, p. 267-315
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L'incurie des autorités face à la misère du peuple et la capitulation devant la France avaient créé de telles réactions qu'un cousin de Tii Duc, le prince Hong Tâp, crût le moment venu de tenter un coup d'état6. Ces événements et la répression provoquèrent entre une partie importante du mandarinat et l'empereur une crise de confiance : l'illégitime et fratricide Tii Duc était non seulement complice des chrétiens et incapable de défendre l'intégrité de l'empire, mais encore il châtiait les mandarins patriotes. Malgré toutes ces crises cependant, le pouvoir avait réussi à se maintenir, non en raison de la personnalité de l'empereur, mais grâce au soutien du principal chef de l'armée, Nguyên Tri Phiidng, à l'habileté du Ministre des Finances (de 1862 à 1868), Tran Tien Thành, et surtout aux grandes capacités du véritable monarque, Tnfdng Dâng Que. Or celui-ci meurt au début de l'année 1865. La faction Hong Bâo et les partisans de la résistance en profitèrent pour tenter renverser l'empereur et de mettre Dinh Dao sur le trône7. Après l'échec du coup, tous les membres de la famille de Hong Bâo furent mis à mort, ce qui renforça encore les accusations de fratricide et accentua la crise de confiance des lettrés envers un empereur qui faisait massacrer les princes et les mandarins qui voulaient résister à l'envahisseur. Le complot de 1866 marque la fin d'une phase du règne de Tii Duc : la crise politique née de la succession de Thiêu Tri est réglée par la disparition physique des descendants de Hong Bâo, mais, d'un autre côté, son illégitimité, le fratricide et sa mollesse face à l'agression étrangère le disqualifient au regard de larges secteurs du mandarinat. À partir de 1866-1867, c'est la gestion de la crise nationale qui devient le principal facteur de conflit entre le pouvoir et les lettrés. Le pouvoir est alors confronté au Tonkin à deux problèmes, l'invasion par les anciens rebelles Taïping et la pénétration française 8. Si le conflit 6. Le but du coup d'état était d'écarter les mandarins favorables à la paix et aux chrétiens et probablement de remplacer Tii Duc. Dans la nuit du 3 août 1864, les conjurés passèrent à l'action mais échouèrent car ils ne purent pénétrer dans la Cité impériale. La répression toucha non seulement les conjurés, mais encore la famille de Hong Bâo, et en particulier Dinh Dao en qui les opposants à la ligne conciliante vis-à-vis de la France et des chrétiens voyaient un éventuel successeur à Tri Duc, et qui fut mis en résidence surveillée. 7. Le complot bénéficiait de très hauts appuis dans la famille impériale et surtout dans le commandement de la Garde impériale ; le 6 août 1866, à 4 heures du matin, près de 1 000 rebelles réussirent à entrer dans le palais impérial pour introniser Dinh Dao. La résistance acharnée des troupes loyalistes permit de faire échec au coup d'état. 8. Après la défaite de l'Empire Céleste de la Grande Paix, en 1864, une partie des rebelles - les Pavillons - pénétrèrent au Vietnam où ils s'installèrent ; malgré l'envoi des troupes pour les combattre et l'appel à l'aide chinoise, les autorités vietnamiennes furent contraintes de donner un commandement militaire au chef des Pavillons Noirs, Liu Yongfu, pour combattre les Pavillons Jaunes et les Pavillons Blancs. En 1875, après avoir écrasé tous ses rivaux, Liu Yongfu devint de facto le souverain indépendant des hautes^régions tonkinoises. En ce qui concerne les Français, Jean Dupuis, un commerçant-aventurier, avait obtenu du gouverneur du Yunnan la permission de ravitailler en armes les troupes locales, et pour ce faire, il entendait passer le Fleuve Rouge, de Hanoï à Lao-kay, alors que la navigation sur ce fleuve était interdite aux Européens. Malgré l'interdiction, le 16 janvier 1873, Dupuis força le passage avec deux canonnières et arriva au Yunnan le 16 mars. Il tenta de rééditer son coup de force à l'été 1873, mais cette fois, il fut bloqué et la Cour demanda au gouverneur de la Cochinchine de l'aider à en finir avec Dupuis. RN 1999, p. 267-315
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avec les Pavillons pouvait se gérer à l'asiatique, l'affaire Dupuis mit le feu aux poudres. L'Amiral Dupré, saisi par la Cour vietnamienne, profita de l'occasion et envoya Francis Garnier à Hanoï avec pour but apparent de régler « l'incident Dupuis », mais surtout de faire reconnaître l'ouverture du Fleuve Rouge au commerce. Le coup de main de Garnier sur Hanoï s'achève par sa mort9 et par une apparente victoire vietnamienne sanctionnée par le Traité Philastre (5 janvier 1874) négocié, côté vietnamien, par Nguyên Van Titông. Le succès des négociations et le retrait militaire des Français donnèrent un grand ascendant à Nguyen Van Tiiôrig qui fut nommé ministre de la Justice en septembre 1874, puis ministre des Finances en juin 1875, tout en cumulant la fonction de ministre du Commerce et des Relations extérieures qu'il garda jusqu'en février 1881. Membre du Conseil secret (Cd Mât Viêii) et parent de l'empereur, il est le troisième dans le rang protocolaire derrière Trân Tien Thành et Hoàng Ta Viêm 10. Le parti de la résistance n'était plus représenté dans les sphères dirigeantes que par Tônthat Thuyêt qui n'exerçait plus de fonction importante. Les Français obtiennent qu'un nouveau traité soit signé à Saigon (15 mars 1874) qui avalisait l'ouverture du Fleuve Rouge au commerce français, obtenait l'ouverture des ports de Hanoï, Haiphong et Quy-nhdn, qui obligeait l'empereur « à conformer sa politique extérieure à celle de la France » et qui donnait à cette dernière le droit d'intervention si les clauses n'en étaient pas respectées. Le Vietnam devenait de fait un protectorat français. L'attitude des chrétiens lors de l'affaire du Tonkin matérialisa les craintes du mandarinat sur la fonction de ces populations dans l'entreprise de conquête de l'empire par la France : une violente lutte contre les catholiques se déclencha dès le début de l'année 1874 dans tout l'empire et particulièrement au Tonkin et au nord-Armam, soutenue et entretenue par la majeure partie des mandarins dont Tôn-that Thuyêit, gouverneur du Sdn-tây qui commandait l'armée impériale au Tonkin. Mais le mouvement déborda complètement les autorités et prit un tour violemment antigouvernemental à la suite du second Traité de Saigon. Accusé de faiblesse envers la France et les chrétiens, le pouvoir vit plusieurs provinces lui échapper et se donner des mandarins rebelles. La situation empira au cours de l'été, et il fallut, pour venir à bout du mouvement, l'intervention des troupes régulières du Tonkin et surtout celle des troupes métropoli9. Garnier joint ses troupes à la bande de Dupuis pour s'emparer de Hanoï, il prend d'assaut la citadelle de la ville défendue par Nguyên Tri Phiîdng, lequel est blessé à mort. Garnier parvient à conquérir une partie du delta et y installa des mandarins et des collaborateurs chrétiens pour l'administrer. La résistance des mandarins évincés, des troupes régulières et des Pavillons Noirs fut alors acharnée et aboutit à la mort de Francis Garnier au Pont de Papier, le 2 1 décembre 1873. 10. Hoàng Ta Viêm est aussi connu sous le nom de Hoàng Kê Viêm ; avant 1853, son prénom Kê Viêm fut changé en Ta Viêm par faveur impériale (DNTL : IX, 51). RN 1999, p. 267-315
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taines sous les ordres du Ministre de la Guerre Nguyên Van Titông, qui furent transportées par des navires de guerre français. Cette insurrection, connue sous le nom de « Mouvement des lettrés » avait porté la crise de confiance à un paroxysme et provoqua une fracture définitive entre une importante partie du mandarinat et l'empereur à qui elle reprochait outre son illégitimité, le fratricide, sa connivence avec les chrétiens, sa trahison finale que constituait le transport des troupes de répression par les navires français. Une fois l'ordre à peu près rétabli, les autorités se lancèrent dans une politique de réformes destinées à moderniser le pays. La réforme de l'impôt foncier (1875), mise au point par Nguyên Van Tiicfrig qui fut ministre des Finances de 1875 à 1883, destinée à unifier l'assiette de l'impôt dans le pays, eut pour conséquence de taxer plus lourdement les rizières privées au nord et donc de mécontenter fortement les petits et les grands propriétaires et de donner une base sociale au mouvement des lettrés. La réforme du système des armées (1876), visait surtout à construire un réseau de bases stratégiques de montagne pour surveiller et réprimer les bandes de pirates du Tonkin. La réforme du système des examens (1879), avait pour but de moderniser les connaissances des candidats et d'épurer la fonction publique des tenants de la résistance. Dans les faits, toutes ces réformes se heurtèrent à de nombreux obstacles car le gouvernement fonctionnait mal, l'administration ne répondait plus, les moyens financiers manquaient, la population était harassée par les guerres, les famines et les épidémies " et enfin la modernisation était perçue par beaucoup comme un alignement sur les envahisseurs. Parallèlement, l'ouverture des ports de Hanoï et de Haiphong (septembre 1875), puis celui de Quy-nhdn (novembre 1876) eut de graves conséquences, car la Cour, faute d'expérience et de politique économique, faute de personnel, ne fut capable de contrôler ni les douanes ni les mécanismes du commerce avec les étrangers. Par ailleurs, l'ouverture des ports accentua la domination des Chinois dans le commerce : ils colonisèrent les ports de Hanoï et de Haïphong : dans ce dernier port, pour le 1er semestre 1877, par exemple, sur 192 entrées de navires, 168 sont chinois, et la population chinoise y passa de 0 à 5 000 en six ans (Tsuboi : 246). Quand en 1876, le gouvernement vietnamien autorisa l'exportation du riz, les Chinois se lancèrent dans ce commerce à grande échelle ; la China Merchant Steamer Navigation Company {Lunchuan jiao shangju) créée en 1873 ouvrit une ligne Haïphong-Hong Kong en 1878 et traita directement avec la Cour pour le transport du riz du Tonkin. La demande internationale fit 11. La situation décrite plus haut pour les années 1848-1868 se prolonge et s'amplifie à partir des années 1874-1875 : épidémies au Khanh-hôa et au Binh-thuân en 1876, disette généralisée dans tout le pays à partir de 1879, ruptures des digues du Fleuve Rouge en 1880, autant de catastrophes qui accélèrent la désertion des villages, l'abandon des rizières et viennent renforcer les bandes errantes et les jacqueries. RN 1999, p. 267-315
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progressivement grimper le prix du riz au détriment d'une population déjà fortement touchée par les guerres et les épidémies, provoquant une famine qui aggrava encore la situation économique et politique. S 'étant aliéné les fonctionnaires par sa politique conciliatrice vis-à-vis de la France, les propriétaires terriens par sa réforme de l'impôt foncier et les paysans et le petit peuple des villes par son incurie face à la situation catastrophique, et par les conséquences de l'autorisation d'exporter le riz, l'empereur ne disposait plus d'aucun soutien au Tonkin. La misère y est telle qu'en 1875, Nguyên Hûu Dô, chargé de la Direction des douanes de Hâi-dudng, constate que neuf familles sur dix manquent du nécessaire absolu ; la situation est particulièrement grave au Bac-ninh, au Sdn-tây, au Hiing-yên, et au Hâi-diidng, où régnent famine et misère. Les rouages administratifs échappant au gouvernement central, la crise politique et sociale au Tonkin débouche sur un état d'insurrection larvée qui fournit un prétexte à l'intervention de la France en vertu du traité du 15 mars 1874. Une expédition est organisée et le Commandant Rivière arrive le 2 avril 1882 à Hanoï dont il prend la citadelle le 25 avril. La résistance vietnamienne est dirigée sur place par Hoàng Ta Viêm et Liu Yongfu et coordonnée par Tôn-thâ't Thuyet que Tii Duc a sorti de sa disgrâce pour le nommer Ministre de la Guerre. Rivière se lance dans la conquête du delta au moment de la mort de l'empereur (19 juillet 1883). Le règne de Tii Duc fut pour l'empire une ère de régression économique majeure. Pour les provinces de Г Annam-Tonkin 12, entre 1848 et 1877, les guerres, le brigandage, les catastrophes naturelles, les épidémies et l'incapacité du pouvoir à y remédier, ont provoqué une dépopulation que l'on chiffre à environ un million de personnes, soit plus de 10 % de la population ; les provinces les plus touchées sont celles du Tonkin dont certaines perdent plus de la moitié de leurs habitants. Sur les rôles du Ministère des Finances, le nombre des inscrits (les hommes de 18 à 60 ans soumis à l'impôt personnel), est passé de 858 790 en 1848 à 757 325 en 1877, soit une perte de 11,81 %. Pour ces mêmes provinces, la superficie des rizières soumises à l'impôt enregistrée au Ministère des Finances est passée de 3 709 173 mâun en 1848 à 2 867 689 miu en 1880, soit un recul de 22,68% (Nguyen TN : 17-21). L'agriculture n'étant plus à même de fournir à l'État des revenus suffisants, malgré le poids des charges qui pesaient sur la population, on accepta ce qui était jusqu'alors interdit, l'exportation du riz et le commerce de l'opium ; sur les recettes de 1878, plus de 10 % provenaient des fermes de l'opium. Ainsi, au moment où s'accumulent les périls ex-
12. On ne fait pas entrer les chiffres de la Cohinchine puisque cette province ne fait plus partie de l'empire à partir de 1862. 13. Un mâu correspond à 4 970 m2. RN 1999, p. 267-315
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térieurs, l'agriculture est en crise, la population décroît, et le pays est dans un état d'épuisement extrême (Tsuboi ; Fourniau 1983 ; Fourniau 1989; Nguyên TA: 13-25). I. SIGNES MONETAIRES ET VALEUR FACIALE Alors que le système monétaire chinois est monométallique et que les autorités n'émettent que de la monnaie de cuivre ou de laiton, le système monétaire vietnamien traditionnel repose sur l'utilisation conjointe de trois métaux monétaires, le zinc, le laiton et l'argent ; la valeur réciproque et le taux de change des divers signes monétaires des différents métaux sont fixés par la loi. La sapèque de zinc Dans l'ère Tii Duc, la sapèque de zinc (van) est la base du système monétaire vietnamien et représente le signe monétaire de la plus petite valeur ; depuis le règne de Gia Long (1802-1819), elle a cours légal dans tout l'empire et est reçue dans les perceptions de toutes les provinces; elle est la monnaie de consommation de la population vietnamienne : «Les Annamites avaient autrefois une monnaie de cuivre, elle a à peu près complètement disparu ; ils ont maintenant pour petite monnaie, des rondelles de zinc, percées au milieu d'un trou carré [...]» (Bouillevaux : 485). La fonte des monnaies de zinc semble commencer dès la lre année du règne (1848) ; le type officiel reprend la norme de la monnaie de 6 phân (environ 2,28 g)14 instituée sous Minh Mang (1820-1839) et reste le même durant toute l'ère Tii Duc, malgré la proposition faite en 1869 par Nguyên Bînh de faire fondre des pièces de 5 phan : « Le tuânphû [gouverneur] de Hanoï (en même temps directeur de l'atelier monétaire de Hanoï), Nguyên Bînh, demanda l'autorisation de fondre des monnaies de zinc de 5 phan (dans les années Gia Long, les monnaies de zinc pesaient 7 phân mais sous Minh Mang, Thiêu Tri et Tii Duc, le poids fut fixé à 6 phan). Le Ministère des Finances, considérant que des monnaies de 5 phân seraient trop petites et trop minces, provoqueraient des dommages et seraient un obstacle à une bonne circulation monétaire, il demanda donc qu 'on se conforme à la règle en vigueur qui veut que l'on fonde des monnaies de б phan» (DNTL : XL, 3) 15. Selon 14. Le système pondéral vietnamien est calqué sur le système traditionnel chinois. Le long (ou taël, ou once) pèse 38 g et se décompose en 10 tien (3,8 g) ou 10 phan (0,38 g) ; 16 lang font un cân (ou livre) de 608 g. 100 cân font un ta ou picul. 15. Dans les citations du DNTL, nous faison figurer entre parenthèses ce qui dans le texte original est composé en petits caractères sur deux colonnes insérées dans l'espace de la colonne du texte principal ; les parenthèses dans les parenthèses rendent un texte composé en caractères plus petits encore sur quatre colonnes. Les mots entre crochets sont ajoutés par nous pour rendre le texte plus fluide ou plus clair. On trouvera à la fin de cet article unindex des caractères chinois. RN 1999, p. 267-315
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Schroeder, la «fabrication de pièces de zinc fut arrêtée après la vingtcinquième année de l'ère TiS Duc (1871), parce que le zinc coûtant trop cher, non seulement l 'État n 'y trouvait pas de bénéfice, mais encore était en perte. (Les mines étaient bloquées par la piraterie chinoise). Depuis cette époque, il ne fut plus fabriqué de sapèques de zinc [...] » (Schroeder : 300). La monnaie porte au droit l'inscription T\i Duc thông bâo, « monnaie courante de l'ère Tu Duc » ; il existe trois types en fonction de leur revers, la sapèque ordinaire au revers vide (fig. 1, CMV 1637), la sapèque portant au revers les caractères Hà-nôi, pour l'atelier de cette ville (fîg. 2, BnF-MMA 1997-467), et celle qui porte les caractères Sôn-tây, pour l'atelier de cette province (Schroeder n° 299 ; AS I-n° 2 p. 104). Indispensable à la population, la monnaie de zinc est un casse-tête économique pour les autorités quelles qu'elles soient : elle présente en effet deux inconvénients majeurs, un poids trop important par rapport à la valeur libératoire d'une part et une trop grande fragilité de l'autre. Le poids du numéraire constituait une réelle entrave à l'approvisionnement et le transport des fonds plaçait les autorités devant de graves questions de logistique. À la IL lune de la 21e année (1868), par exemple, les autorités donnent l'ordre de livrer à la capitale 700 000 ligatures de monnaies de zinc et 10 000 ligatures de monnaies de laiton de 6 phan (DNTL : XXXIX, 40) ; le poids des seules monnaies de zinc s'élevait à 957,6 tonnes, ce qui a du poser de sérieux problèmes d'acheminement. Et cependant, même la cour doit utiliser la monnaie de zinc pour l'acquisition des biens quotidiens (intendance, cuisine, offrandes, etc.) et pour les salaires des gardes, des fonctionnaires, des domestiques, des jardiniers, des porteurs, des mouchards, etc. De même, ce monnayage a été la source de grosses difficultés pour les troupes françaises en Cochinchine après 1859 : « un autre inconvénient des plus graves aussi, consistait dans l'absence totale de monnaies divisionnaires autres que l'incommode sapèque de zinc : il fallait un fourgon du train d'artillerie pour aller échanger 1 000 francs en ligatures de sapèques, puisque l'on n'en avait pas moins du poids d'un tonneau et demi..., et au marché, le poulet pesait quelque fois moins que son prix en monnaie» (Silvestře 1883 : 109). Ces transports occasionnaient aussi une grande perte en raison du nombre important de pièces qui se brisaient lors des diverses manipulations. «Le gouvernement annamite avait parfaitement prévu les pertes énormes qui résulteraient des frais de transports et de la fragilité des monnaies de zinc, si le montant des impôts du Tonkin était expédié à la capitale en cette monnaie. Aussi décidait-il la fabrication des sapèques de cuivre à На nôi, pour le montant des contributions à expédier à Huê » (Schroeder : 301). Silvestře reproche « aux sapèques de RN 1999, p. 267-315
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zinc leur grande fragilité. Il s 'en perd chaque jour de grandes quantités : quand le faible lien de jonc qui les réunit en quan vient à se rompre et les répand sur le sol ; quand le possesseur d'une somme un peu considérable l'empile en paquet de dix ligatures, il s 'en brise un grand nombre, et d'autant plus aisément que le métal est moins résistant et que l'oxyde le ronge avec cette incroyable puissance de destruction qui n 'épargne pas plus l'acier le mieux trempé que l'homme le plus solidement charpenté, sous l'impitoyable climat de l 'Indo-Chine » (Silvestře 1883 : 74). La sapèque de laiton Pour les achats un peu plus importants, l'usage de la monnaie de laiton16 est nécessaire, encore que dans plusieurs régions de l'empire, elle ne circule déjà plus, et qu'on ne la trouve guère que dans les provinces voisines de la capitale. Selon le Khâm dinh Dai nam hôi diên svtlê11, la fonte des sapèques « devra » commencer dès la première année du règne, et des essais sont faits à Hanoï cette année-là (Schroeder : 225, 234, 249). La fonte réelle ne commence, semble-t-il, qu'à la 12e lune de la lre année (début 1849) ; le texte du DNTL dit en effet qu'à la 2e lune de la lre année, « on commence à fondre des pièces TU Duc thông bâo » (DNTL : II, 7), mais il ne précise pas s'il s'agit de monnaies de laiton ou de zinc. Or la même source dit qu'à la 12e lune de la même année, « on fixe la loi sur les nouvelles fontes des monnaies de laiton. (On mêle 60 % de cuivre rouge de Trang-liêt, à hauteur de 10 559 cân, 6 lang et 4 tien, et 40 % de zinc en plaque mince pour 7 039 cân, 9 long et 6 tien. Avec les 35 cân et 6 lang de cuivre et de zinc de la fonte précédente récupérés dans les canaux d'écoulement, on a en tout 17 634 cân et 6 lang d'alliage cuivre/zinc. Avec 10 506 cân et 14 lang utilisés pour fondre des monnaies de 9 phân, selon les instructions actuelles, on obtient 2 536 ligatures et 8 mach pesant 8 519 cân et 1 lang. Si l'on retranche l 'alliage cuivre/zinc des canaux, des déchets, des monnaies défectueuses et des petits résidus, ce qui en fin de compte pèse au total 261 cân, chaque cent cân ne donne que 83 cân et 2 lang de matière, et la déperdition envolée est de 16 cân et 13 lang. La mise en œuvre de 100 16. Les sources vietnamiennes donnent toujours le mot dong, qui signifie « cuivre », mais aussi tout alliage dans lequel entre du cuivre, bronze et laiton par exemple ; en utilisant systématiquement le mot cuivre, les textes français font un contresens. Dans les fait, ces monnaies sont en laiton, ou éventuellement en bronze, lorsqu'il s'agit des monnaies chinoises des anciennes dynasties. Nous traduirons le dong par « laiton » sauf lorsque le contexte (par exemple lors de la description d'alliage monétaire) indique clairement qu'il s'agit de cuivre. 17. Le Khâm dinh Dai nam hôi diên sdlê « Recueil des statuts administratifs du Dai Nam », concerne seulement la dynastie des Nguyên et s'arrête aux premières années de Tii Duc. Il sera abrégé en KDHS. Nous devons ici corriger une petite erreur de Schroeder concernant les dates des documents de KDHS : la première année de l'ère Tii Duc n'est pas 1847, mais 1848 ; de même, la deuxième année est 1849. RN 1999, p. 267-315
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cân, matière et déperdition ensemble, nécessite 137 cân et 5 lang de charbon et 232 cân et 7 lang de bois combustible) » {DNTL : III, 41). Plus tard, à une date non précisée, mais située entre 1868 et 1872, Г aloi officiel est abaissé à 50 % de cuivre et 50 % de zinc, car pour l'émission des monnaies de 7 phân de 1872, on précise qu'il faut « se conformer aux règlements antérieurs qui régissent la fonte des pièces de 9 phân avec moitié cuivre moitié zinc [...] » {DNTL : XLVII, 16). Il est probable que cette modification de Paloi se situe vers 1870, car elle s'accorde bien avec la politique cynique de manipulation des valeurs intrinsèques et faciales qui préside à l'émission des dong sao de cette année-là (voir infra). Il existe, comme sous Minh Mang et Thieu Tri, deux monnaies de laiton, des pièces de 6 phân (environ 2,28 g. Fig. 3, CMV 1666) et des pièces de 9 phân (environ 3,42 g. Fig. 4, CMV 1655). La valeur officielle de ces monnaies par rapport à la sapèque de zinc s'est modifiée durant la première partie de la dynastie Nguyên et est marquée par une augmentation progressive de leur valeur : sous Gia Long, la pièce de laiton vaut 1,2 pièce de zinc ; sous Minh Mang, le rapport est de 3 à 1. Au début du règne de Tii Duc, en 1848, il est stipulé que la sapèque de 6 phân de laiton vaut 2 sapèques de zinc, et que la sapèque de 9 phân en vaut 3 ; puis, à la 3e lune de la 11e année (1858), « on fait passer la valeur des pièces de laiton de grand module à 4 (contre 3 ai 'origine) et celle des pièces de petit module à 3 (contre 2 à l 'origine) » {DNTL : XVIII, 18) ; plus tard, par un décret de la lre lune de la 21e année (1868), « la valeur de la pièce de laiton de grand module passe à 6, celle de la pièce de petit module à 4 » {DNTL : XXXVIII, 2). En 1872, « on donne l'ordre à l'atelier monétaire de Hanoï de fondre des pièces de laiton de 7 phân (il faut se conformer aux règlements qui régissent la fonte des pièces de 9 phân avec moitié cuivre moitié zinc, et inscrire au revers les deux caractères lue ván ["6 pièces"] » {DNTL : XLVII, 16) 18. Avec ce nouveau signe monétaire (Fig. 5, AMM VI 97), on fait passer le rapport entre monnaie de laiton et monnaie de zinc (ratio laiton/zinc) de 1/4 à 1/5, c'est-à-dire que de facto, on augmente la valeur de la monnaie de laiton (voir tableau 1). Enfin, à la 11e lune de la 32e année, on finit par donner aussi la valeur officielle de 6 sapèques de zinc aux pièces de laiton de 6 ptiân, mais les pièces étrangères, ou imitant les pièces vietnamiennes, de mauvais métal ne seront prises que pour 3 de zinc {DNTL : LXII, 25-26).
1988 18. (abrégé ThierryenFrançois, CMV) n° Catalogue 1751 (fig. 48) des monnaies vietnamiennes, Bibliothèque nationale, Paris, RN 1999, p. 267-315
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Tableau 1. Évolution de la valeur des sapèques de laiton Date
Type
1848 1848 1858 1858 1868 1868 ca 1870 ca 1870 1872 1879
9 phân 6 phân 9 phân 6 phan 9 phân 6 phân 9 phân 6 phân 7 phân 6 phân
Alliage officiel Cu/Zc 60/40 60/40 60/40 60/40 60/40 60/40 50/50 50/50 50/50 50/50
Valeur en sapèques deZc 3 2 4 3 6 4 6 4 6 6
Poids officiel deZc
Ratio laiton/Zc
Ratio Cu/Zc
18 phân Ylptiân 24 ptiân ISphân 36 phân 24 phân 36 phân 24 phân 36 phân 36 phân
1/2 1/2 1/2,67 1/3 1/4 1/4 1/4 1/4 1/5,14 1/6
1/2,67 1/2,67 1/3,77 1/4,33 1/6 1/6 1/7 1/7 1/9,28 1/11
On constate qu'entre 1848 et 1879, la valeur officielle de la sapèque de laiton de 6 phân est passée de 2 à 6 ván (voir tableau 1), c'est-à-dire qu'elle a triplé sa valeur par rapport à la sapèque de zinc. Il arrive même qu'à certaines époques elle soit échangée au taux de 1 pour 10 : en 1876, « la monnaie courante est la sapèque de laiton ou de zinc. 60 des premières ou 600 des secondes font 10 taian ou 1 ligature » (Dutreuil de Rhins : 86) 19. Cette appréciation de la sapèque de laiton est la conséquence des difficultés des autorités à assurer une production abondante, elle-même liée au manque de mines de cuivre, à l'évasion des pièces de bon métal, etc., phénomènes dont nous parlerons plus bas. Les pièces d'un mach Par un édit de 1837, « il est statué aux termes de la loi que les très grandes monnaies de cuivre portant des inscriptions morales auront chacune la valeur d'un mach ; lorsqu 'on s 'en servira dans les transactions, leur valeur est ainsi arrêtée pour tous ». (Schroeder : 268). Sous Tii Duc, on reprend les types de Minh Mang, dont certaines inscriptions paraissent alors totalement antinomiques par rapport à la situation du pays, comme Quocphú, binh ciîdng, nôi an, ngoai tïnh, « Enrichir le pays, affermir l'armée, paix intérieure et calme extérieur », et on en ajoute d'autres tout aussi antithétiques à la pratique comme Tho lôc vu thiên, bâo Mu mang chi, « Comblé d'honneurs par le Ciel, il en préserve le Mandat » (fig. 6, CMV: 1827). La valeur monétaire de ces pièces n'est pas modifiée et leur circulation est attestée par le coffret de changeur conservé au Musée monétaire de l'Administration des Monnaies et Médailles qui comptait 5 ligatures de 10 de ces pièces, ce qui correspond à la valeur de 5 quon (AMM : 74-75).
19. Voir aussi Toda : 24. RN 1999, p. 267-315
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Les âông sao ou « billets de laiton » Pour les transactions importantes, pour les comptes des perceptions et des octrois, pour les comptes des magasins de l'État, les anciennes unités de compte, la ligature, qucm, et le cent, tien ou mach, ont été redéfinies. Le mach vaut 60 pièces de zinc, et 10 mach font un quan qui vaut donc 600 pièces de zinc. Les inconvénients d'un numéraire lourd et de faible valeur libératoire comme la sapèque de zinc ont conduit les autorités à trouver une solution palliative dans la mise au point de signes monétaires portant indication de leur valeur faciale, indépendamment ou non de leur valeur intrinsèque. L'inspiration est selon toute vraisemblance venue du monnayage contemporain de l'empereur chinois Muzong des Qing (ère Xian Feng, 1851-1861), durant le règne duquel furent émises des monnaies fiduciaires en 14 dénominations portant mention de la valeur en sapèques de cuivre (ou bronze ou laiton), 4, 5, 8, 10, 20, 30, 40, 50, 80, 100, 200, 300, 500 et 1000 ; toutes les monnaies du système chinois sont fondues dans le même métal, et la valeur faciale n'est pas fixée en fonction de la valeur intrinsèque de chaque signe monétaire. Dans le système vietnamien, la valeur faciale est donnée soit en nombre de signes monétaires de base (ván), soit en unité de compte {quan et mach). L'initiative de la création des dong sao, littéralement « billets de laiton », revient au ministère des Finances : « Au printemps de la 14e année de Td Duc, le ministère des Finances élabora un premier projet concernant six types de billets de laiton (les pièces de valeur 10 pèseraient 1 tien et 5 phân, les pièces de valeur 20 pèseraient 2 tien, puis pour chaque suivante, on ajouterait 5 phân, jusqu 'aux pièces de valeur 60 qui pèseraient 4 tien). Le mémoire demandait qu 'on les fabrique et qu 'elles soient utilisées en même temps que les monnaies de zinc et de laiton. Cette fois-ci, les mandarins de la Cour firent connaître leur avis : "Dans les règles qu 'on nous propose, le calcul de la valeur n 'est pas conforme à l'usage courant des deux types, grand et petit, des sapèques de laiton (chaque sapèque du grand type pèse 9 phân et vaut 4 sapèques de zinc et chaque pièce du petit type pèse 6 phân et vaut 3 sapèques de zinc ; selon la proposition initiale, le billet de laiton de 10 pèse 1 tien et 5 phân, pour une valeur de 10 sapèques de zinc et le billet de laiton de 20 pèse 2 tien, pour une valeur de 20 sapèques de zinc ; de cela on voit que les sapèques de laiton sont lourdes et valent peu de sapèques de zinc, alors que les billets de laiton sont légers et valent beaucoup de sapèques de zinc). Pour cette raison, il est décidé de rendre plus juste le système des billets de laiton en augmentant leur poids" » (DNTL : XLIII, 11). La première émission de ces monnaies, qui portent au droit l'inscription, T\i Duc bâo sao, « billet monétaire de l'ère Tii Duc », est mise au point avec 6 coupures, de 10 (fig. 7, CMV 1698), 20*, 30, 40, 50 et 60 sapèques de zinc (fig. 8, CMV 1724), dont le poids a été révisé à la hausse ; la fonte commence à la 2e lune de la 14e année de Tu" Duc (1861) : « On RN 1999, p. 267-315
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commence à fabriquer les 6 catégories de billets de laiton (de la valeur 10 à la valeur 60, sur chaque droit on inscrira les quatre caractères Tii Duc bâo sao ; les pièces de valeur 10 pèseront 1 tien et 5 ptiân, les pièces de valeur 20 pèseront 3 tien, les pièces de valeur 30 pèseront 4 tien et 5 ptían, les pièces de valeur 40 pèseront 6 tien, les pièces de valeur 50 pèseront 7 tien et 5 ptiàn, et les pièces de valeur 60 pèseront 9 tien » (DNTL : XXIV, 13). La valeur faciale est exprimée au revers en nombre de sapèques de zinc (van) précédé du caractère chuan signifiant « considéré comme », « passant pour », « valant » (Schroeder : n° 304 à 310 ; AMM : V201, V203, V204 ; CMV, n° 1698, 1701 à n° 1708, 1711 à 1715, 1717 et 1718, 1720 à 1723, 1724 à 1727)20. Dans son projet, le ministère des Finances proposait de fixer pour chaque type des poids assez éloignés du ratio laiton/zinc. C'est justement en raison de cette distorsion même, et des complications qui ne manqueraient pas d'en découler, que la Cour décida de fixer des poids plus conformes à la réalité des valeurs respectives du zinc et du laiton et plus proches du taux de change entre sapèque de laiton et sapèque de zinc (voir tableaux 1 et 2). Il est clair que l'avis de la Cour est motivé par le souci très confucéen d'émettre des espèces dont la valeur faciale s'accordent en gros avec le taux de change des sapèques de laiton accepté par la population. Le poids de la pièce de 10 étant de 1,5 tien, on ajouta 1,5 tien pour chaque dizaine supplémentaire : la pièce de 20 pèse 3 tien, la pièce de 30 4,5 tien, etc. En instituant ainsi que 1,5 tien (=15 ptiân) de laiton équivalait à 10 pièces de zinc (= 60 ptiâri), la Cour officialisait un ratio de 1 à 4 entre laiton et zinc. Ce ratio est largement supérieur à celui qui découlait de la valeur respective entre monnaie de laiton et monnaie de zinc officiellement fixée depuis 1858 : 1/2,67 pour la pièce de 9 ptian de laiton et 1/3 pour la pièce de 6 ptiân (voir tableau 1). Si l'on applique le ratio 1/4 des dong sao à la pièce de 9 ptiân, elle vaut 6 pièces de zinc et la pièce de 6 ptiân en vaut 4. On constate que ce rapport est celui qu'applique la population et dont on a vu qu'il a été ratifié par un décret de la lre lune de la 21e année (1868). Ces dong sao ont été relativement bien acceptés - même si leur circulation a été réduite en raison de leur fort pouvoir d'achat -jusqu'au moment où le gouvernement décida, sous prétexte de les rendre plus commodes et conformes à la nouvelle valeur des pièces de laiton, d'en réduire le poids et d'adopter l'échelle pondérale proposée par le ministère des Finances en 1861 et alors refusée par la cour (DNTL : XLIII, 11). À la 9e lune de la 23e année (1870), on fond des dông sao plus légers que les précédents, mais en gardant le même type, à l'exception de celui 20. Sur le revers de ces monnaies, la lecture des quatre caractères se fait d'une manière peu ordinaire, en haut puis à droite, puis à gauche puis en bas, et non pas en croix comme l'avançait Lacroix que nous avions suivi pour le catalogue de la Monnaie de Paris. Pour le catalogue de la Bibliothèque nationale, nous avons repris la lecture de Schroeder avérée par le texte du décret de 1861. RN 1999, p. 267-315
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la pièce de 10 dont le revers porte l'inscription chuân nhat thâp ván et non plus chuân thâp van, et de celui de la pièce de 60 dont la graphie du caractère sao est modifiée (fig. 8 et 9, CMV 1728, AMM V207). Tableau 2. Les monnaies (long sao libellées en pièces de zinc Émission 10 20 30 40 50 60
ván ván ván ván ván ván
2e lune de la 14e année (1861) poids légal en grammes 1,5 tien 5,7 3 tien 11,4 4,5 tien 17,1 6 tien 22,8 7,5 tien 28,5 9 tien 34,2
9e lune de la 23e année (1870) poids légal en grammes 1,5 tien 5,7 2 tien 7,6 2,5 tien 9,5 3 tien 11,4 3,5 tien 13,3 4 tien 15,2
Avec cette émission, le ratio laiton/zinc est irrégulier, de 1/4 pour les pièces de 10, de 1/6 pour celles de 20, de 1/7,2 pour celles de 30, de 1/8 pour celles de 40, de 1/8,6 pour celles de 50 et 1/9 pour celles de 60. Si l'on rapporte le ratio de cette dernière dénomination, qui représente 80 % de l'ensemble de cette émission, à la pièce de 6 phân de laiton, on obtient pour elle une valeur de 9 pièces de zinc et corrélativement une valeur de 13 pièces de zinc pour la pièce de 9 phân, alors que l'usage et la loi en ont fixé la valeur à 6 ; il y a donc là une aggravation de la distorsion des taux de change en faveur du laiton, qui fait que dans ce cas, ce n'est pas la monnaie de laiton qui s'apprécie, mais la monnaie de consommation de la population qui perd la moitié de sa valeur. Dans la réalité, le texte du décret signale très précisément le profit qu'il y a pour le gouvernement à fondre des dông sao à poids faible plutôt que des pièces de 6 ou 9 phân, car avec la même quantité de métal on obtient un bénéfice substantiel : «... (... Si on fond, en mettant en œuvre l'alliage réglementaire moitié cuivre moitié zinc des monnaies de laiton de 6 phan et de 9 phan, avec la main ď œuvre et les matériaux nécessaires à la fabrication, on en a en tout pour 131 ligatures 1 mach et 35 ván (là-dedans on compte 120 ligatures pour prix de 100 cân de cuivre-zinc et 11 ligatures 1 mach et 35 van pour la main-d'œuvre et les matériaux). En prenant pour modèles les types du projet initial et que l'on fond des [pièces] valant 10 van qui pèsent 1 tien et 5 phân, on obtient 8000 dông sao valant 133 ligatures 3 mach et 20 ván ; si l'on déduit les frais, il reste 2 ligatures 1 mach et 50 ván. Si on fond des [pièces] valant 20 vân qui pèsent 2 tien, on obtient 6000 dông sao valant 200 ligatures ; si l'on déduit les frais, il reste 68 ligatures 2 mach et 35 ván. Si on fond des [pièces] valant 30 ván qui pèsent 2 tien et 5 phân, on obtient 4800 dông sao valant 240 ligatures ; si RN 1999, p. 267-315
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l'on déduit les frais, il reste 108 ligatures 8 mach et 35 van. Si on fond des [pièces] valant 40 ván qui pèsent 3 tien, on obtient 4000 dông sao valant 266 ligatures 6 mach et 40 van ; si l 'on déduit les frais, il reste 135 ligatures 5 mach et 15 van. Si on fond des [pièces] valant 50 van qui pèsent 3 tien et 5 phân, on obtient 3428 dông sao valant 285 ligatures 6 mach et 45 van ; si l'on déduit les frais, il reste 154 ligatures 1 mach et 15 van. Si on fond des [pièces] valant 60 van qui pèsent 4 tien, on obtient 3000 dông sao valant 300 ligatures ; si l'on déduit les frais, il reste 168 ligatures 8 mach et 35 van). En outre, comme les dông sao valant 60 correspondent exactement à un mach et que la circulation en sera ainsi facilitée dans la population, l'ordre est donné d'en fabriquer beaucoup ; pour ce qui est des pièces valant 10 à valant 50, on les fondra à raison de 20 à 30 pour chaque centaine de pièces valant 60, afin qu'elles puissent être utilisées pour faire l'appoint » (DNTL : XLIII, 11-12). Compte tenu du prix de revient et des poids respectifs des dông sao, la fonte des pièces valant 10 permet à l'État de réaliser un infime bénéfice de 0,90 %, bénéfice qui passe à 52 % avec les pièces de 20, à 82,9 % avec les pièces de 30, à 103,2 % avec les pièces de 40, à 117,4 % avec les pièces de 50 et à 128,6 % avec les pièces de 60. Il y a, dans ce texte, une inconscience de la part des politiques qui font tout ce qu'il faut pour accentuer la défiance de la population envers un monnayage déjà peu utilisé : avec 100 cân de métal, compte tenu de la perte résultant du métal restant dans les canaux des moules et de l'ébarbage, on dispose de 75 cân de métal utile 21, permettant la fonte de 20 000 pièces de 6 phân valant 80 000 pièces de zinc (van), ce qui fait 133 ligatures 3 mach et 20 van pour, alors qu'on arrive à 240 ligatures en fondant des pièces valant 30 et à 300 ligatures avec des pièces valant 60. Pour cette raison, ces nouveaux dong sao furent boudés par la population et bientôt refondus : «ces pièces [...] n'ont pas eu de succès auprès du peuple qui ne les a jamais acceptées que malgré lui, et seulement à cause de leur cours forcé ; elles ont été abandonnées peu de temps après leur émission. On en trouve cependant encore en grand nombre, non pas chez les particuliers qui se sont empressés de s 'en défaire, mais chez les fondeurs et les marchands d'objets anciens qui trouvent encore à les céder à bon prix aux amateurs européens. C'est surtout à Hanoï qu'on les rencontre en grande quantité aux étalages des fondeurs et sur le carreau des halles, les jours du grand marché » (Lacroix : 149). Ces monnaies de Tii Duc sont foncièrement différentes des monnaies de Muzong dans la mesure où la valeur faciale des signes monétaires prend en compte, même imparfaitement, la valeur respective du zinc et du laiton. Ainsi, malgré leur
21. La perte de 25 %, déduite ici des poids donnés par le texte du DNTL, constitue une moyenne; selon les données fournies par le KDHS, la perte va de 16% à plus de 27% (Schroeder : 234-237). RN 1999, p. 267-315
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nom (sao signifie « billet ») ces pièces ne peuvent être qualifiées fiduciaires. Il existe une seconde série de dông sao dont la valeur faciale n'est pas exprimée en nombre de sapèques mais avec les unités de compte, la ligature, quart, et le mach. Sur le revers de ces monnaies, la formulation est différente puisqu'on n'a pas le caractère chuan seul, mais l'expression chuan dang, qui a le même sens. À ce jour, on ne connaît pour cet ensemble particulier de monnaies fiduciaires que quatre dénominations : la pièce de deux mach, la pièce de trois mach, la pièce de huit mach et la pièce d'un quan (Thierry 1998)22. Les annales vietnamiennes ne signalent pas l'émission de ces pièces dont on peut cependant penser qu'elle n'a pas eu lieu au moment de l'émission de 1861 en raison du caractère contradictoire qu'elle aurait eu avec les attendus du rejet du mémoire du Ministère des Finances : la proposition initiale de poids trop légers a été rejetée parce qu'il ne convenait pas d'émettre des espèces dont la valeur faciale serait trop éloignée du taux de change des sapèques de laiton alors accepté par la population. Or c'est bien le cas avec les dông sao de la seconde série. Le poids du dông sao d'un quan du Cabinet des Médailles est de 35,40 g, c'est-àdire à peu près le même que celui des dông sao de 60 van imposé par la Cour en 1861 23, alors que sa valeur faciale (600 ván) est dix fois supérieure ; son poids et sa valeur faciale induisaient un ratio laiton/zinc dix fois supérieur à celui de la sapèque de 9 phân. De même, la pièce de 8 mach de la collection R. pèse 32,96 g, c'est-à-dire à peu près 8,5 tien, et vaut 480 van, ce qui porte la valeur de 1,5 tien à 84,7 sapèques de zinc, alors qu'on a vu que la décision de la cour la fixait à 10. Dans le premier cas, le ratio laiton/zinc est à 1/33, et dans le second à 1/4. On peut donc rejeter l'hypothèse que ces dông sao aient été émis vers 1861. En revanche, on peut les rapprocher de la seconde émission, celle de 1870. Motivée, selon les autorités, par la nécessité d'harmoniser la valeur des dông sao avec la récente modification de la valeur des sapèques de laiton en 1868. Mais on a vu que le décret décrivait explicitement les avantages financiers que les autorités pouvaient tirer de cette manipulation, cette émission se traduit par un abaissement général des poids. Dans ce contexte manipulatoire, l'émission des dông sao de la seconde série est plus plausible, d'autant que le poids de la pièce de 2 mach (20,52 g) est supérieur au nouveau poids des pièces de 60 van (4 tien, soit environ 15 g) et, de même, le dông sao d'un quan pèse plus du double de la nouvelle 22. Pour la pièce de 2 mach, voir AMM-V209 (0 47 mm-20,52 g. Fig. 10) ; une pièce de 3 mach, figure dans la collection de M. Nguyên Bá Dam, Hanoï ; une pièce de 8 mach figure dans la collection R. (0 52,6 mm-32,96 g) ; nous connaissons deux pièces d'un quan, le BnFMMA 1997-339 (0 55,6 mm-35,40 g. Fig. 11) et l'exemplaire de la collection Nguyên Bá Dam. 23. Le poids des dông sao de 60 van de l'émission de 1861 est officiellement de 9 tien : les pièces de ce type des collections du Cabinet des Médailles pèsent respectivement 37,78 g, 35,59 g, 34,72 g, 32,53 g et 27,00 g (CMV : n° 1724a, 1725, 1726 et 1727) ; celui de l'Administration des Monnaies et Médailles (AMM V204) pèse 33,62 g. Ж 1999, p. 267-315
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pièce de 60 van, ce qui permet d'offrir la fiction d'une valeur intrinsèque supérieure justifiant la valeur faciale supérieure. C'est donc vers 1870, ou peu après, que nous situerons l'émission de cette série de dông sao. Nous ne disposons malheureusement d'aucune donnée textuelle sur ces émissions, si tant est qu'il y ait eu de véritables émissions, car il ne s'agit peut-être que d'essai, comme le suggère - outre leur grande rareté - le fait que toutes ces pièces sont brutes de fonte, non ébarbées. Bien que nous n'ayons - au moment où nous écrivons - la preuve que de l'existence des valeurs 2 mach, 3 mach, 8 mach et un quan, on peut penser cependant qu'il existait une série complète de 1 à 9 mach, et la pièce d'un quan ; audelà, les conjectures seraient hasardeuses. On doit signaler que la pièce de 2 mach de la Monnaie de Paris provient du coffret de payeur saisi vers 1884 dans la province de Bïnh-dinh24, ce qui semble indiquer qu'un certain nombre de ces pièces a bel et bien été lancé dans la circulation. Les lingots d'argent Le monnayage d'argent est traditionnel au Vietnam, et c'est là une importante différence avec la Chine. Il existe de nombreux types de lingots, mais nous n'étudierons ici que ceux qui servent à la circulation monétaire courante, et qui portent une valeur faciale inscrite à cette fin. C'est une des rares innovations monétaires de l'époque qui puisse être analysée comme une réponse à la crise. C'est en effet la première fois qu'un signe monétaire en argent est défini par une unité monétaire et non pas par une unité pondérale. Le poids des lingots de Gia Long qui portent aussi une indication de valeur monétaire est défini par une unité poids déterminée (lang) d'un système pondéral, et la valeur qui figure sur le flanc de ces lingots (un quan et 8 mach) correspond à la valeur de ce poids de métal sur le marché ; par contre, le poids des nouveaux lingots de Tii Duc est déterminé par le nombre d'unités monétaires (mach et quan), voulues et non par une unité de poids : il ne s'agit plus de valeur monétaire, mais de valeur faciale ; par ailleurs, leur valeur est fixée en quan et en mach, c'est-à-dire en sapèques de zinc. Ces lingots sont donc explicitement destinés à une circulation monétaire réelle. Ces lingots forment une série de six25 : ils portent au droit l'inscription Tir Duc niên tao, « fait dans les années Tii Duc », et au revers leur valeur, sept mach (Schroeder n° 339, Lacroix n° 304. Fig. 12, BnF-MMA-199824. Ce coffret contenait, outre cette pièce, une ligature de 5 mach de monnaies de zinc de Minh Mang, 5 ligatures de 10 pièces d'un mach, deux dông sao de 60 ván, une ligature de 10 mach de pièces chinoises de Tong Zhi et Guang Xu ; on y trouva aussi 5 ligatures mixtes de monnaies chinoises et vietnamiennes et plus de 600 pièces en vrac (AMM : 74-75). 25. Il y a bien six lingots et non pas sept. Un lingot de 5 mach est signalée sous le n° 338 par Schroeder qui n'en donne ni poids ni illustration : il indique que cette pièce appartient au trésor du Hué, mais elle n'est pas mentionnée dans l'inventaire du trésor et ne figure pas dans les collections actuelles de la Monnaie de Paris. Les ouvrages qui signalent ce lingot (Do : 246 ; World Coins ; 1931) ne le font qu'en se fondant sur la seule auctoritas de Schroeder. RN 1999, p. 267-315
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223, 21,7 mm/9 mm, 3,90 g), un quart (Schroeder n°340, BnF-MMA1990-3086), un quart et cinq mach (Schroeder n° 341. Fig. 13, AMM V232, ), deux quart (Schroeder n° 342 et 345, AMM V233), deux quart et cinq mach (Schroeder n° 343) et trois quan (Schroeder n° 343 et 346, AMM V234. Fig. 14, AMM V235). Tableau 3. Les lingots d'argent libellés en unités de compte Valeur faciale
Poids légal
En grammes
7 mach 1 quan 1 quan 5 mach 2 quan 2 quan 5 mach 3 quan
0,9 tien 1,3 tien 2 tien 2,7 tien 3,4 tien 4 tien
3,42 4,94 7,60 10,20 12,92 15,20
Poids réels (moyenne) 3,50 5,30 8,00 10,60 13,30 16
Valeur en pièces de laiton 70 100 150 200 250 300
Valeur en pièces de zinc 420 600 900 1200 1500 1800
La série s'arrête au lingot de trois quart : ce qui semble être, en quelque sorte, la limite naturelle de la valeur maximum pour la circulation ordinaire. Il existe en effet des lingots plus lourds, d'un lang ou de 10 lang, mais qui servent pour une économie qui dépasse largement la vie quotidienne de la majorité de la population et des transactions quotidiennes. À un ou deux dixièmes de gramme près, tous ces lingots donnent au quart la valeur de 5,3 grammes d'argent et corrélativement au gramme d'argent la valeur de 113,2 sapèques de zinc. Nous verrons plus bas que l'évolution de la valeur du métal dépend peu de la volonté des autorités, mais bien plus du cours international de l'argent que les événements intérieurs amplifient à peine. La date d'émission de ces lingots n'est pas connue avec certitude car elle n'est pas mentionnée dans les annales dynastiques ; cependant leurs premières apparitions dans des nomenclatures de récompenses aux troupes datent de la 4e lune de la 15e année du règne (1862) pour les lingots d'argent d'une ligature (DNTL : XXVI, 19), et du 8e mois de la 17e année (1864) pour les lingots de 7 mach (DNTL : XXX, 9). La piastre nationale L'une des stipulations du premier Traité de Saigon contraignait le Vietnam à verser à la France une indemnité de guerre de 4 000 000 de piastres mexicaines. Le gouvernement se trouva donc dans la nécessité de se procurer ces espèces ; les premières années, les réserves de l'État et le marché financier intérieur parvinrent à fournir les monnaies réclamées, mais rapidement les piastres vinrent à manquer. Plutôt que de se RN 1999, p. 267-315
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procurer cette devise sur les places étrangères, les autorités pensèrent frapper une piastre nationale avec les réserves en argent du Trésor impérial : à la 3e lune de la 18e année (1865), « l'empereur demanda aux ministres du Conseil secret à combien s 'élevaient les sommes dues au titre de l'indemnité de guerre après les derniers versements effectués. Phan Thanh Giàn et Trân Tien Thành répondirent que selon les termes des négociations, l 'indemnité avait été fixée à 4 000 000 de piastres d'argent étrangères, ce qui fait 2 880 000 lang d'argent, livrables en dix ans, à raison de deux versements de 200 000 pièces par an, que pour la 15e et la 16e année de l'ère Td Duc, on n'a versé que 794 951 piastres, et qu 'on doit donc encore 5 049 piastres, soit 3 635 lang d'argent, et que d'autre part, pour la 17e année, les 200 000 pièces de la première échéance n 'ont pas encore été versées. On donna l 'ordre de fabriquer, sur le modèle des pièces d'argent étrangères (7 tien et 2 phan) et en argent à 800 %o, une pièce (avec au droit l 'inscription « monnaie courante de l 'ère TiíDúc » et au revers « 7 tien et 2 phân »). On envoya des exemplaires au Gia-dinh pour demander au commandant français s 'il les acceptait ou pas. Devant le refus du commandant français, on arrêta la frappe » {DNTL : XXXI, 21). Le refus français, qui s'explique en partie par la différence d'aloi entre la piastre mexicaine (903 %o) et sa copie vietnamienne (800 %o) mit fin à cette tentative de frappe nationale de type européen (Thierry 1986 : 100). Cette monnaie d'un diamètre d'environ 39 mm pèse le poids des pesos, 27 g (fig. 15, coll. Trân MD). Cette monnaie était certes frappée pour payer l'indemnité de guerre et n'était donc pas destinée à circuler, mais si les Français l'avaient acceptée, il est évident qu'alors elle se serait trouvée introduite dans la circulation monétaire, en Cochinchine d'abord puis dans l'empire ensuite. C'est bien pourquoi on doit la comprendre comme une tentative de créer une monnaie alternative à la piastre. L'essai de frappe de sapèques de cuivre T1 existe II * i une sapèque > de 1" cuivre percée Z1 d'un 11 trou carré, portant au droit l'inscription TU Duc thông bào et au revers ECHANTILLON DE D. UHLHORN 1870 (fîg. 16, BnF-MMA 1997-400. 0 23,8 mm, 3,30 g) sur laquelle on ne sait rien 26. Cet essai a été frappé sur une presse monétaire Ûhlhorn et probablement à Grevenbroich. En 1817, l'ingénieur allemand Dietrich Uhlhorn mit au point dans cette ville, une presse mécanique pour frapper les monnaies qui équipa bientôt les hôtels des monnaies de Berlin et de Dusseldorf, puis le Royal Mint de Londres et la Monnaie de Paris après que Thonnelier lui eut apporté quelques améliorations (Schloesser 224-225 ; Cooper : 126-128). A la mort de Dietrich, en 1837, son fils 26. Cette pièce est mentionnée en 1881 par A. Brichaut (Brichaut : 113). RN 1999, p. 267-315
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Heinrich prend la direction de l'entreprise qui garde le nom de son fondateur : D. Uhlhorn. Le DNTL est muet sur un éventuel contact entre les autorités vietnamiennes et la maison Uhlhorn, ni même entre elles et un quelconque intermédiaire vers la Prusse. Nous avons cependant trouvé un passage, daté de la 12e lune de la 23e année (janvier 1871) qui pourrait peut-être avoir un rapport avec notre essai : «[...] il y a aussi l'affaire de Nguyên Duc Hâu qui demanda à fabriquer des monnaies ; on avait transmis [cette demande], mais la cour n 'avait pas encore clarifié sa position que Duc Hâu avait déjà pris la liberté défaire des essais de fabrication (cet individu était autrefois un messager de neuvième degré qui fut impliqué dans une affaire d'achat privé d'un navire à vapeur pour faire du commerce avec l 'étranger ; après son interrogatoire, il fut bastonné et destitué. L 'affaire de l'installation de machines pour fabriquer des monnaies, par conséquent, ne fut, bien sûr, pas autorisée à suivre son cours » {DNTL : XLIII, 37). Ce passage présente un double intérêt : les faits imputés à Nguyên Duc Hâu se sont déroulés peu de temps auparavant et probablement durant l'année 1870, date qui figure sur notre essai ; il faut noter ensuite que ce fonctionnaire subalterne s'intéresse de près à la technologie occidentale, puisque son premier délit est d'avoir été impliqué dans l'achat privé d'un bateau à vapeur, or, en Chine à la même époque, l'introduction des presses monétaires est l'idée de gens qui ont, eux aussi, des liens avec la marine à vapeur (Zhang JB : 7 ; Peng XW : 771). Le refus des autorités de regarder de près cette application de la technologie européenne, contrairement à ce qui se passe en Chine, correspond tout à fait à leur démarche générale car, comme le fait bien observer Yoshiharu Tsuboi, il n'y a pas eu au sein de la bureaucratie vietnamienne de mouvements similaires à ceux qui secouaient la Chine et le Japon, autour des slogans « Morale orientale, technique occidentale » ou « Substance chinoise, fonction occidentale » (Tsuboi : 152-153). II. LA PRODUCTION MONETAIRE Le principal problème auquel se heurtent les autorités vietnamiennes est l'incapacité à fournir le marché intérieur en moyens de paiement ; cette incapacité touche à la fois la quantité de numéraire, mais aussi la nature de ce numéraire dans ses rapports réels à la vie quotidienne de la masse de la population. L'État vietnamien n'arrive à se doter ni d'une structure efficace de production monétaire (exploitation et contrôle des mines, des ateliers et des trésoreries), ni des instruments politiques (législation et appareil répressif) pour s'opposer à l'évasion monétaire vers la Chine et à la fonte des monnaies pour en faire des objets, qui ont pour conséquence une raréfaction de la monnaie ; les autorités tentent de pallier cette raréfaction en affermant les ateliers à des entrepreneurs privés, RN \999, p. 267-315
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et le corps social en sécrétant des réponses illégales comme l'introduction d'espèces frelatées et la fonte illicite. Tableau 4. Concordances des monnaies en 1872 Sapèques de laiton 6 phan 1 ptîân 9 phân
dong sao en van
10 20 30 40 50 60
van van van van van van
dong sao en mach et quan
(1 mach) ? 2 mach 3 mach (4 лзасЛ) ? (5 mach) ? (6 mach) ? (7 шасй) ? 8 mach (9 /яасЛ) ? 1 quan
Lingotins d'argent
valeur en valeur en pièces de laiton pièces de zinc 4 6 6 10 20 5 30 40 50 10 60 20 120 30 180 40 240 50 300 60 360 7 mach 70 420 80 480 90 540 1 диал 100 600 1 диал 5 mach 150 900 2 quan 200 1200 2 quan 5 mach 250 1500 3 quan 300 1800
Une production insuffisante Le Vietnam a toujours été un pays pauvre en cuivre et les mines qui ne sont guère productives sont pour la plupart exploitées par des entreprises chinoises. Sous Tii Duc, la plus importante est celle de Tu-long (province de Tuyên-quang) qui depuis plus d'un siècle fournit la matière destinée à la fonte : en 1820, Phan Huy Chu écrivait que «parmi les mines de cuivre de notre pays, les mines de Tu-long étaient les plus importantes comme rendement. C'est de ces mines que le gouvernement tirait tout le cuivre de sa monnaie » {QDC : V, 169). La mine de Trang-liêt dans la province de Bac-ninh voit croître son importance, principalement en raison de la très bonne qualité du métal qu'on en tire {KDHS cité par Schroeder : 234). On signalera deux autres mines en exploitation, celle de Lai-xiidng dans la province de Hiing-hóa dont la production est très faible (plus de RN 1999, p. 267-315
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40 fois inférieure à celle de Tu-long) et celle, à la production à peine supérieure, de Phong-du, dans la même province, qui est d'ailleurs fermée dès 1849. Les mines de zinc sont relativement plus importantes, situées principalement dans la province de Thai-nguyên à Quang-vinh et dans celle de Tuyên-quang (Schroeder : 339-356). Dès le début du règne, les autorités cherchent à en augmenter la production : à la 5e lune de la 6e année (1853), « on met en activité toutes les mines de zinc du Thainguyên, du Вас-ninh et du Lang-sdn afin de développer les fontes de monnaies » (DNTL : IX, 22). Pour accélérer l'exploitation, on fait appel aux entrepreneurs chinois, comme par exemple aux sociétés chinoises Guan Heng Ji et Li Da Ji qui dirigent la prospection et l'exploitation des mines de zinc au Thai-nguyên avant d'obtenir une ferme de fonte de monnaies de zinc (DNTL : XIX, 16). Les autorités n'hésitent pas à chercher du métal monétaire aux sources les plus infimes : « La province de Hanoï recevra et achètera du cuivre et du zinc pour la fabrication des sapèques. Le prix du zinc de toutes qualités, qui était fixé à vingt-cinq ligatures les cent livres sera augmenté de cinq ligatures et porté à trente ligatures. Le prix des vieilles marmites et leurs couvercles en cuivre rouge ainsi que le cuivre en lingots qui était de soixante-dix ligatures sera augmenté de vingt ligatures et porté à quatre-vingt-dix ligatures » (KDHS cité par Schroeder : 225) ; à la 8e lune de la 27e année (1874), « on accorde l'autorisation de prélever dans les trésoreries militaires les instruments de cuivre, de zinc et d'étain et que chaque catégorie soit distribuée en fonction de la destination (le cuivre et le zinc iront à Hanoï pour fabriquer des monnaies et l'étain ira à Thiïa-thiên phů pour être échangé) » (DNTL : LI, 42). Malgré ces efforts, la situation politique au Tonkin devint si instable que les mines échappèrent au contrôle des autorités : en 1871, les troubles et les exactions provoqués par les divers bandes de pirates et les troupes des Pavillons dans les provinces minières du nord réduisent de manière dramatique la production de zinc ce qui a pour effet une hausse du prix de ce métal et l'arrêt de la fabrication des sapèques de zinc (Schroeder : 300). Enfin, pour pallier le manque de métal provenant des mines, les autorités ont procédé à des achats importants à l'étranger : selon Schroeder, « des renseignements précis permettent d'affirmer que des achats importants de cuivre, s 'élevant à plus de 90 tonnes furent faits par la sapèquerie de На nôi pendant les années 1867 à 1871, en provenance occidentale ou chinoise; que des achats de plusieurs tonnes de zinc furent aussi effectués pendant la même période qui contribuèrent à la fabrication de 127 000 ligatures de zinc, enfin que les acquisitions de cuivre et de zinc se poursuivirent jusqu 'en 1883 » (Schroeder : 336). Les deux principales sapèqueries officielles sont installées à Huê, sous la direction du Bâo Ma kinh eue, « Bureau métropolitain des monnaies », et à Hanoï sous la direction du Hà-nôi thông bâo eue, « Bureau de la RN 1999, p. 267-315
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monnaie courante de Hanoï » qui a remplacé l'ancien Bâo tuyèn eue. Elles produisent de la monnaie de zinc et de la monnaie de laiton dans plusieurs ateliers. D'autres sont ensuite ouverts ou développés pour tenter d'augmenter la production nationale, à Hanoï, à Bac-ninh et à Sdntây : à la 3e lune de la 3e année (1850), « on stimule la construction de fours pour fondre des monnaies (deux fours dans le canton de Tho-xiidng à Hanoï, un four dans la ville de Вас-ninh ; on fera connaître qu'il faut imiter le modèle des fontes officielles des pièces de zinc TU Duc thông bâo quant au module et à l'épaisseur) » (DNTL : V, 12) ; à la 6e lune de la 20e année (1867), « comme actuellement il y a une famine monétaire, il est ordonné aux trois provinces de Hanoï, de Вас-ninh et de Sdn-tây de fabriquer en grande quantité des monnaies de laiton en secours » (DNTL : XXXVI, 33). Le coût de la fonte comprend non seulement le métal monétaire mais aussi la main-d'œuvre et les matériaux, le charbon, le bois à brûler, les pinces et les creusets, sans compter les rotins de ligatures : en 1848, « lors de la fabrication de la monnaie de zinc de 6 phan, la sapèquerie de la province de Hanoï a réglé les dépenses d'ébarbage, de comptage, ainsi que les brins d'enfilage, les agrafes, nùu, et les rotins d'attache, conformément aux prescriptions des années antérieures. Quant aux chefs, souschefs et aides de four ainsi que les chefs ouvriers et les ouvriers, leur salaire fut d'une ligature huit mach douze sapèques les cents livres » ; dans la même année, les salaires sont augmentés et le coût en est alors de 4 ligatures deux mach et trente sapèques (KDHS, cité par Schroeder : 250251). La hausse du prix du cuivre fait que la fonte des monnaies de laiton n'est guère rentable pour les autorités qui, à la fin de l'ère finissent par y perdre : si l'on se réfère au texte du DNTL, en 1870, « en mettant en œuvre l 'alliage réglementaire moitié cuivre moitié zinc des monnaies de laiton de 6 phân et de 9 phân , avec la main ď œuvre et les matériaux nécessaires à la fabrication, on en a en tout pour 131 ligatures 1 mach et 35 van (là dedans on compte 120 ligatures pour prix de 100 cân de cuivre-zinc et 11 ligatures 1 mach et 35 van pour la main-d'œuvre et les matériaux) » (DNTL : XLIII, 1 1) ; on a vu plus haut que ces 100 cân d'alliage permettent d'obtenir 20 000 pièces de 6 phan soit 80 000 vân; ce qui fait 133 ligatures 3 mach et 20 ván. L'opération se solde pour l'État par un gain de 2 ligatures 1 mach et 55 van, soit un bénéfice de 1,65 %. Le manque de monnaies de laiton vient non seulement du fait que l'État n'est pas en mesure de fournir le marché, mais aussi de deux autres facteurs, la thésaurisation et surtout l'évasion. Les bonnes pièces, c'està-dire celles qui sont en bon métal, bronze et laiton à forte teneur en cuivre, sont thésaurisées, soit telles quelles, soit sous la forme de métal, et dans ce cas, on les fond pour en faire des objets. Dès 1849, ce mode de thésaurisation fut dénoncé par le ministre des Finances, Nguy Khac Tuân, qui stigmatisait « les artisans qui en douce fondent illégalement [des RN 1999, p. 267-315
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monnaies], qui en cassent aussi pour faire des objets de laiton » {DNTL : IV, 11) ; Silvestře observe que les sapèques de cuivre ont de tout temps été absentes des marchés de Cochinchine, « il est vrai que bien des gens rapportent que, vu le défaut de minerai de cuivre dans toute cette région, dans le sol et dans les importations, les fondeurs ont l'habitude d'accaparer toutes ces pièces pour les transformer en marmites, braseros et autres ustensiles domestiques » (Silvestře 1883 : 74). Cette pratique prit un tel essor, que dans la 21e année (1868), il fut strictement interdit d'utiliser du laiton pour fabriquer les cloches, les cymbales, les gongs, les trompettes et les instruments nécessaires au culte {DNTL : XXXIX, 37). La seconde cause de disparition des monnaies de laiton vient du trafic auquel se livrent de nombreux Chinois qui les récoltent pour les expédier en Chine malgré les contrôles et les châtiments sévères. Les seules sorties de monnaies autorisées sont celles des sapèques de zinc et de l'argent, mais en quantité très faible : en 1868, « on réitère la loi fixant l'interdiction de sortie des monnaies et de l'argent aux postes de contrôle maritimes. (Il est strictement interdit aux navires de commerce d'exportation rentrant chez les Tang ou allant dans les îles du sud de transporter plus de 10 ligatures de pièces de zinc et plus de 10 lang d'argent, et aux navires de commerce de la population ayant à bord des pièces de zinc pour aller commercer dans les six provinces du Nam-ky27 de transporter plus de 30 ligatures et 20 lang d'argent. Quant à ceux qui violent la loi, s 'ils sont arrêtés dans les îles ou en eaux profondes, on leur appliquera des peines similaires à celles édictées dans le décret de la 3e année de Tú Duc concernant le commerce frauduleux ; s 'ils sont arrêtés dans des ports, on leur appliquera des peines similaires à celles édictées dans le décret de la 19e année de Tli Duc : confiscation des marchandises enregistrées du navire et des biens personnels [du trafiquant], une moitié allant à l 'État et l'autre servant de récompense à ceux qui ont informé [les autorités]. Pour ceux qui auront intentionnellement fermé les yeux en acceptant de l'argent et pour ceux qui par négligence auront manqué de vigilance dans la surveillance, on se conformera au décret de la 3e année de Tii Duc qui punit celui qui a intentionnellement laissé faire de la même peine que le délinquant, et à la loi sur celui qui accepte de l'argent pour faire une entorse à la loi : les chefs de postes de contrôle maritimes seront rétrogrades de quatre échelons et mutés, les fonctionnaires locaux seront rétrogradés de deux échelons et bloqués à ce grade) » {DNTL : XXXIX, 37). À plusieurs reprises, les autorités ont ainsi réitéré lois et décrets contre l'évasion du bon numéraire et l'introduction de pièces de divers types, généralement frelatées, dans l'empire. Les annales vietnamiennes rapportent ainsi, par exemple, qu'à la 10e lune de la 29e année (1876), « ces 27. L'expression « les six provinces du Nam-ky» désigne le Cochinchine française. Il s'agit donc de navires partant à l'étranger et donc d'exportation de capitaux. RN 1999, p. 267-315
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jours-ci, à Hanoï, on a pris un batelier chinois de Suzhou qui, ayant ramassé des anciennes monnaies en bronze, les faisait sortir au poste de contrôle maritime. Comme les autorités de la province ont fait un rapport, on promulgua en conséquence un décret selon lequel la sortie aux postes maritimes de toute monnaie, quels que soient son origine nationale et son nianhao, est strictement interdite pour tous les bateaux de commerce (sans faire de distinction entre chinois ou nationaux); comme probablement, il y aura des transports illicites, on fera des perquisitions et en cas de tentative de sortie, on procédera à la confiscation » (DNTL : LVI, 28). Les interdictions répétées ne semblent pas avoir eu une grande efficacité. En 1878, un mandarin du Conseil impérial (Nôi cáč), Bùi An Niên, réclame des châtiments plus sévères pour les Chinois qui viennent dans l'empire ramasser les bonnes pièces qu'ils refondent en Chine avec du zinc et du plomb, pour en faire des monnaies frauduleuses qu'ils réimportent ensuite au Dai Nam (DNTL : LXII, 25, et infra). Dans ses Notes sur la province du Binh Thuân, Aymonier écrit que dans la province du Binh Thuân « vers 1872-1874, durant l'ère TifDûc, [. . .] les sapèques en vrai cuivre et en zinc devenaient de plus en plus rares, disparaissaient même » (Schroeder : 281). Monnayage privé, affermage et monnayage illicite L'État étant incapable d'assurer seul l'approvisionnement de la population, il tolère la fonte privée ou délègue une partie de la production à des entreprises privées auxquelles on demande seulement de se conformer au type officiel. Le premier palliatif de la faiblesse de la production nationale des monnaies de laiton et des monnaies de zinc est de lever l'interdiction de fonte privée et donc de supprimer le monopole d'État. Le DNTL montre que dès la 2e année du règne de Tii Duc, plusieurs hauts fonctionnaires constatant que les monnaies de zinc commencent à manquer proposent de lever l'interdiction de fonte privée : « Nguy Khíc Tuân, Nguyên Dâng Giai et Tôn-thatBâtont adressé des mémoires à l'Empereur apropos de la fonte des monnaies qu 'il conviendrait d'harmoniser. Les mandarins de la Cour ont rendu leur avis. (NguyKhac Tuân déclare que les pièces de zinc sont facilement rognées et détériorées ; en douce, des artisans les fondent illégalement et les cassent pour en faire des objets de laiton, ce qui fait qu 'il y a une déperdition continue déplus en plus importante ; il demande qu 'on explique clairement les stipulations de l'interdiction de la fonte illégale. Nguyên Dâng Giai demande que, pour que les monnaies de zinc soient fondues en grande quantité, on lève l'interdiction qui rendait la fonte illégale. Tôn-that Bât demande d'intensifier l'ouverture de fours et d'abandonner l'interdiction de fonte, de laisser le peuple disposer de cuivre et de zinc, de nommer des fonctionnaires pour contrôler la fonte et faire connaître le nombre de fours pour pouvoir lever les taxes. Les mandarins de RN 1999, p. 267-315
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la Cour, après délibération, ont rendu leur avis demandant que dans le district métropolitain de Thtía Thiên et dans les provinces d'administration directe, tous les gens du peuple qui désirent fondre, s 'ils ont la possibilité de se procurer du zinc et les matériaux nécessaires, et de recruter des ouvriers et des artisans, soient autorisés à en informer précisément les fonctionnaires locaux de l'endroit où ils résident, et de concert avec ces autorités, à aller choisir un lieu où l'on construira les fours monétaires. S'il y a la possibilité de construire plusieurs fours en même temps, on laissera toute liberté et il n'est pas question d'en limiter obligatoirement le nombre à un ou deux fours. Conformément à la loi, les autorités de police du lieu en question confieront le contrôle à un homme chargé de la surveillance; les supérieurs hiérarchiques de cet endroit se rendront sur place pour faire connaître la loi et s'assurer soigneusement que la fonte est conforme à la lettre de la loi, с 'est-à-dire qu 'on imite bien les monnaies Trf Duc thông bâo en zinc des fontes officielles quant à leur module, leur épaisseur, leur type, quant aux méthodes de fonte, à la parfaite circularité du rebord, à la correction et la clarté de la calligraphie ; il faut que les pièces obtenues ne soient en aucune manière frelatées ou si abusivement minces que l 'on puisse les rogner ou les détériorer. Celui qui sera chargé de la surveillance ne doit pas, sous prétexte de fouille, importuner les gens au point de les rendre malades ; pour ce qui est des réserves privées de zinc, il est nécessaire d'en lever l'interdiction. Il faut aussi informer par circulaire le peuple qu'il ne faut faire obstacle à la libre circulation d'aucune des monnaies existantes avec des anciens nianhao, qu 'elles soient en laiton ou en zinc, sauf les monnaies aux pseudo nianhao28). Avec l'accord impérial, la Cour donne son autorisation » (DNTL : IV, 11-12). Assortie de conditions de contrôle, la liberté de fonte est solennellement renouvelée par un décret impérial de la 4e lune de la 9e année (1856) : « Considérant que la fonte privée des monnaies a pour but l'acquisition des biens nécessaires et la satisfaction des besoins du peuple, considérant que l'on devrait en décider [l'autorisation] selon les circonstances, après avoir pesé le pour et le contre et considérant qu 'il n 'était pas possible qu 'il n 'y ait pas des problèmes liés à la circulation depuis de longues années d'espèces différentes mêlées, les unes grosses les autres minces, l'empereur, donne l'ordre aux fonctionnaires de tous les lieux où sont installés des fours de les inspecter avec toute leur énergie et de s 'attacher avec un soin extrême à ce qu 'ils obtiennent des [monnaies] solides et épaisses, similaires au modèle ; s 'il en est une seule qui ne soit pas exactement conforme qui soit lancée dans la circulation, la faute en sera imputée au seul contrôleur » {DNTL : XIV, 28. Les monnaies aux pseudo nianhao sont les pièces des anciens empereurs de la dynastie des Tây-sdn (1778-1802) que les Nguyên ont toujours considérés comme des rebelles ; dans cette optique, les nianhao de ces souverains ne sont pas considérés comme des bases calendériques régulières. RN 1999, p. 267-315
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31). Dans les faits, ces ateliers privés sont mal ou pas contrôlés et se transforment en officines de monnaies frelatées. Le deuxième palliatif de l'incapacité d'augmenter la production d'État est d'affermer la fabrication à des entrepreneurs privés, généralement des Chinois que les textes appellent Qing, du nom de la dynastie régnante. Ainsi dès 1849, on encourage le développement de la fonte par les entreprises chinoises auxquelles sont accordées des facilités financières sous la forme d'avances : « Si des commerçants chinois, riches, capables et ayant du répondant, demandent des avances au Trésor pour installer des fours au chef-lieu de la province de Sdn-tây et y fabriquer des sapèques de zinc portant l 'inscription Tu* Duc thông bâo, le Tong doc est autorisé à leur faire ces avances, suivant leurs demandes, mais elles ne pourront jamais être supérieures à cent mille ligatures », « des commerçants chinois riches, ayant demandé des avances au Trésor dans le but de fabriquer des monnaies au chef-lieu de la province de Sdn-tây, sont autorisés à les rembourser moitié en monnaies et moitié en zinc. La valeur du zinc est officiellement fixée à trente ligatures les cent livres. Un délai d'un an est accordé à ces Chinois pour effectuer ces livraisons ; ces avances pourront être continuées » (KDHS, cité par Schroeder : 220, 227) ; en 1854, pour satisfaire les besoins en numéraire de l'État, les modalités des remboursements des avances seront modifiées et les entrepreneurs chinois devront les verser en monnaies de zinc pour 70 % et en zinc pour 30 %(DNTL: XI, 1). Contrairement à l'idée généralement répandue, la qualité de ces fontes n'est pas toujours mauvaise et les sources vietnamiennes en témoignent : à la 9e lune de la 11e année (1858), on pose les conditions d'une « autorisation accordée aux deux entreprises Qing, Guan Heng Ji et Li Da Ji (à l'origine, elles dirigeaient la prospection et l'exploitation des mines de zinc au Thai-nguyên) de fondre des monnaies de zinc. Une première fois, ces entreprises avaient souhaité fondre des monnaies ; l'Empereur, en raison de ce qu 'elles étaient en dette de la taxe sur le zinc pour une quantité importante (188 700 сап), n'avait pas donné son autorisation. Cette fois, il ordonna à Nguyên Dïnh Tân d'étudier l'affaire tout en enquêtant sur la situation des mines de zinc au Thai-nguyên. С 'est ainsi que Dïnh Tân autorisa la Guan Heng Ji à exploiter [ses mines] et à purifier [du zinc] ; son aspect était fin et beau, et bien supérieur à celui des artisans de ce pays. Il adressa donc un rapport demandant qu 'on donne une issue favorable à la demande, que pour leur ancienne dette de zinc, on fixe, selon les possibilités, un échéancier qui permette de la recouvrer (de cette année à la 3e lune de l'année prochaine), et que une fois que la dette aura été apurée, les Qing soient autorisés à se lancer dans l'affinage, que le zinc obtenu annuellement soit compté et divisé en 10 parts, 4 parts allant approvisionner les magasins d'Etat et 6 parts étant transportées à la capitale provinciale pour fondre des monnaies. Ce fut autorisé » (DNTL : RN 1999, p. 267-315
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XIX, 16-17). De même, en 1873, on « accorde au Binh-dinh l'autorisation d'ouvrir un four privé de fonte de monnaies, avant de revenir à sa fermeture. À cette époque (12e mois de la 25e année), Hoàng Ván Tuyêh, le gouverneur du Binh-dinh adressa un mémoire disant que dans sa province, il y avait une famine monétaire et que [la circulation] avait totalement cessé ; il demande qu 'on lève l 'interdiction [de fondre] des monnaies et que toutes les provinces importantes du sud et du nord fassent appel à tout Chinois ou Qing qui en a les ressources matérielles et qu 'on l 'autorise à réunir des capitaux pour fondre des monnaies de laiton ; qu 'on installe le plus vite possible des ateliers à l'extérieur des capitales provinciales et qu 'on fonde en imitant le modèle (le modèle monétaire de Hanoï). On prendra un soin extrême à envoyer des fonctionnaires civils pour contrôler la fonte et lever les taxes, ce qui augmentera les ressources. L 'autorisation est accordée à cette province de se lancer [dans cette opération] à titre d'essai. À partir de ce moment, cette province, conformément à l 'autorisation, fit appel à un Qing, Huang Tingguang, pour ouvrir un four. Le responsable s 'occupa d'envoyer des fonctionnaires pour contrôler la fonte qui a été recommencée à plusieurs reprises. Au bout de trois fois on s 'arrêta car on était arrivé à peu près aux normes du modèle. Après les avoir examinées, le ministère adressa un mémoire à l'empereur [disant] qu'on pouvait les laisser circuler, et qu'après mûre réflexion, on avait décidé de fixer les taxes à 1 pour 30 (c 'est-à-dire que chaque fois qu 'on fondrait 30 ligatures, on en prendrait une pour les taxes) » (DNTL : LXVIII, 34). Mais les autorités ne se contentent pas de faire appel à des entrepreneurs privés dont les ateliers sont installés sur le sol national, et donc en théorie plus facilement contrôlables, elles afferment aussi la fonte des monnaies à des opérateurs installés à l'étranger . Dans ses Notes sur la province du Bînh Thuân, Aymonier écrit que « vers 1872-1874, durant l'ère TitDûc, on vendit à des Chinois de Sài gôn et de Chdlân le droit de fabriquer des sapèques de laiton. Dès le début, le poids des sapèques fut abaissé, tout en leur conservant la même valeur ; bientôt les sapèques devinrent de plus en plus petites et faites des plus vils métaux ; toute cette boue était importée dans l'Annam et ce prétendu cuivre ne donnait rien à la fusion. [...] On vit alors la piastre mexicaine, qui s 'échangeait contre six à sept ligatures de zinc, ne plus pouvoir s 'échanger contre vingt et même trente ligatures de ces fausses sapèques de cuivre » (Schroeder : 281-282). La différence entre monnayage légal, monnayage privé et monnayage illicite est alors d'ailleurs purement juridique et ne constitue pas une donnée fiable concernant la nature du monnayage en question; en effet, le monnayage légal est constitué de tout ce qui sort d'ateliers dont l'ouverture est autorisée par les autorités : ateliers officiels métropolitains et provinciaux, ateliers privés autorisés, ateliers chinois des fermes de la fonte. Le monnayage produit dans ces différents types d'atelier n'est pas forcéRN 1999, p. 267-315
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ment conforme aux règles légales concernant et Г aloi et le poids et, dans bien des cas, il n'est guère supérieur en qualité à celui qui sort des ateliers clandestins. Aux officines autorisées mais produisant un numéraire frelaté, s'ajoutaient les ateliers de faux-monnayeurs proprement dits. Les autorités vietnamiennes étaient parfaitement au courant que de nombreux faux monnayeurs étaient installés dans les provinces chinoises du Guangxi et du Guangdong, mais aussi dans la colonie portugaise de Macao, à HongKong et dans la Cochinchine française, et elles avaient demandé l'aide des autorités locales pour qu'un terme soit mis à ces activités (DNTL : LXVI, 1). Installés aux frontières du pays, mais à l'étranger, ces ateliers échappaient à la répression des autorités vietnamiennes, et aussi à celle des autorités chinoises car ils ne produisaient pas de la fausse monnaie chinoise, mais de la fausse monnaie vietnamienne, et souvent en utilisant des nianhao passés, ce qui leur évitait de tomber sous le coup de la loi. En 1881, on fabriquait à Macao des monnaies de mauvais métal avec l'inscription Minh Mang thông bâo ; d'après un rapport du gouverneur de cette ville, il y avait à cette époque-là six ateliers actifs qui produisaient 700 000 sapèques par jour (Schroeder : 280-281). Ces activités n'échappaient pas non plus aux Français de Cochinchine ; le 16 janvier 1879, Paul Philastre, Chargé d'affaires à Hué, envoie une note au Gouverneur de la Cochinchine dans laquelle il indique : «Des négociants chinois fabriquent une monnaie contrefaite imitant les sapèques de cuivre annamites ; ils en importent des quantités considérables dans le pays ; paient avec cette monnaie les marchandises qu 'ils en exportent, et achètent en outre tout l'argent qu'ils peuvent » (cité par Tsuboi : 245). Les monnaies étaient introduites au Vietnam par les mêmes qui venaient y ramasser les monnaies de bon métal. À la 4e lune de la 24e année (1871), « on donne l'ordre à tous ceux qui ont juridiction sur les postes de douanes terrestres et les postes de contrôle maritimes de faire des fouilles sévères et de confisquer les fausses monnaies des commerçants Qing. (En ce moment, des marchands malhonnêtes fabriquent des fausses pièces pour remplacer nos pièces de laiton ; nombreux sont ceux qui, dans la population, en ont accepté par erreur. C'est pourquoi il est expressément ordonné à tous ceux qui ont juridiction sur la population de les lui saisir ; et ceux qui se sont trompés de bonne foi doivent tout de suite les apporter [aux autorités] pour qu 'elles soient fondues) » {DNTL : XLIV, 21). L'introduction de fausses monnaies par les commerçants chinois a pour conséquence une sorte de présomption de culpabilité pour des entrepreneurs dont la production a pourtant été vérifiée par les autorités ; on a vu plus haut qu'un Chinois nommé Huang Tingguang avait été autorisé à ouvrir un atelier monétaire au Binh-dinh et que sa production avait été jugée correcte, or «plus tard, Le TdDán, chef de poste maritime de contrôle au Binh-dinh, découvrit, lors d'une perquisition, qu'un RN 1999, p. 267-315
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commerçant Qing importait des pièces de laiton de type bizarre (fondues en mêlant dans le moule du cuivre et du fer). Il fit un rapport à l'officier des gardes-côtes pour demander que les autorités de la province examinent ce cas et le règlent. Au motif qu'il aurait été victime d'un abus de pouvoir de la part des autorités provinciales (ces autorités étaient pressées de s 'emparer des pièces pour remonter à l'origine de ces biens délictueux, mais cet individu n 'était pas du tout d'accord pour les remettre, et on aurait forgé contre lui une accusation de consommation illégale d'opium), il porta plainte après du Cens orat et l'empereur en fut informé. L 'empereur dit : "Ce commerçant chinois n 'a pour seul but que le profit ; il est parent de Tingguang, il est de la même famille ; dans l'avenir, ils en viendront à entrer en relation et s 'associeront pour frauder et alors le mal sera sans fin. Mieux vaut donc que l'on s'oriente vers la fonte d'État et cela le plus rapidement possible. J'ordonne donc que cesse cette fonte ; sur la fonte obtenue à ce jour, on prélèvera les taxes conformément à la loi, après quoi elle devra cesser » (DNTL : XLVIII, 34-35). Dans bien des cas, les plus hautes autorités vietnamiennes étaient complices des faux monnayeurs : on sait, par exemple, que le tout puissant Ministre des Finances, Nguyên Vân Titông était fortement soupçonné d'être de mèche avec les contrebandiers de fausse monnaie, et que les soupçons étaient assez fondés pour qu'en 1880 Tôn-that Thuyêt, alors sous-directeur des ports de la capitale, se permette de demander la destitution du ministre qui était aussi membre du Conseil secret (CcfMât viêri) et gendre de l'empereur (DNTL : LXIV, 15). Toda signale d'ailleurs le cas d'une cargaison de fausses monnaies vietnamiennes prêtes à être expédiées au Dai Nam, saisie par la police de Hongkong à bord d'un navire de guerre de l'empereur Tii Duc (Toda : 25). III. PRIX, SALAIRES ET CIRCULATION Une circulation complexe et sans unité Le système mis au point sous Tii Duc est d'une grande complexité ; il ne comporte pas moins de 26 signes monétaires officiels en 1872, avec 21 valeurs faciales différentes et plusieurs doublons (voir tableau 4). Témoignages vietnamiens et français contemporains concordent qui décrivent la circulation monétaire du Vietnam comme essentiellement réduite à la sapèque de zinc et à la piastre, encore que celle-ci reste un bien précieux qui ne sort pas souvent : « les Annamites avaient autrefois une monnaie de cuivre, elle a à peu près complètement disparu ; ils ont maintenant pour petite monnaie, des rondelles de zinc, percées au milieu d'un trou carré ; on les enfile dans deux brins de paille ou de jonc au nombre de 600 ; с 'est ce que nous appelons la ligature qui se divise elle-même en dix tien de 60 rondelles chacun : с 'est bien là une des plus vilaines monnaies qui existent dans le monde » (Bouillevaux : 485). RN 1999, p. 267-315
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La circulation monétaire n'est cependant pas unifiée dans l'ensemble du pays et il existe d'importantes disparités selon les régions. Le Tonkin qui est la seule région productrice de cuivre voit celui-ci détourné au profit des provinces voisines de la capitale, et utilise presque exclusivement la sapèque de zinc ; les piastres occidentales (principalement les pesos) circulent dans les bourgs importants et dans les capitales provinciales. En 1865, « les ministres de la Cour adressent un mémoire disant : "Au nord du Hà-tïnh, la population n 'utilise pas la monnaie de laiton, les gens sont dans un état d'esprit tel qu'ils ne peuvent admettre comme ordinaire l'usage des [monnaies de laiton de] valeur 3 et de valeur 4. Mais comme la Cour a promulgué cette loi, le petit peuple en subit la contrainte ; par suite, tous les jours, les autorités communales ne cessaient d'avertir [les autorités] de la rapporter et de ne pas faire preuve de sévérité ; les fonctionnaires qui aimaient le peuple, même en redoublant de persuasion, ne parvenaient pas à lui faire entendre raison » (DNTL : XXXI, 39) ; on a vu aussi plus haut que la production de monnaies de laiton de la sapèquerie de Hanoï n'était pas destinée à alimenter la circulation monétaire du Tonkin, mais qu'elle était calculée en fonction du « montant des contributions à expédier à Huê » (Schroeder : 301), et qu'elle venait donc alimenter la circulation des provinces du centre. Les témoignages français corroborent celui du DNTL : « D 'ordinaire les Tonkinois se servent, en fait de monnaies, de la piastre américaine (5 fr. 55) et de la ligature, qui vaut un franc, et qui se compose de 600 rondelles de zinc percées d'un trou par le milieu et enfilées par un lien de rotin. 60 rondelles (shien) valent 10 centimes ; 10 paquets de ligatures portent le nom de thuc » (Petit : 228). Il est cependant possible de nuancer légèrement ce tableau : «... la monnaie courante, ce sont les sapèques, de valeur variable selon les contrées, mais toujours bien minime ; dans le bas Tonkin, elles sont en étain et il en faut quarante-cinq pour équivaloir à notre sou ; dans les hautes régions, elles sont encore en cuivre et il en faut encore 10 pour un sou » (Badier-Badier : 120) ; ce témoignage est confirmé par le DNTL qui signale que «jusqu 'à présent, les deux territoires de Lang-sdn et Caobâng sont habitués à utiliser les monnaies des Qing » {DNTL : LX, 38). Comme les provinces de Lang-sdn et Cao-bàng correspondent aux « hautes régions » et que les monnaies des Qing sont des monnaies de laiton, on doit en déduire que dans cette partie du Tonkin, l'usage du monnayage de laiton s'est perpétué probablement en raison de la proximité de la Chine qui n'accepte pas le monnayage de zinc ; on sait d'ailleurs que si les monnaies chinoises circulaient à Lang-sdn et Сао-bang, les monnaies de laiton vietnamiennes circulaient courament juste de l'autre côté de la frontière à Pingxiang et à Ningming au Guangxi {DNTL : LX, 37). Dans le sud de l'empire, la Cochinchine et les provinces voisines, ne circulent que les sapèques de zinc et les piastres qui s'infiltrent progressivement jusqu'au niveau villageois. « II fallut bien d'abord se servir de la sapèque de zinc, seule monnaie courante en Basse-Cochinchine [...]. RN 1999, p. 267-315
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Un autre inconvénient des plus graves aussi, consistait dans l'absence totale de monnaies divisionnaires autres que l'incommode sapèque de zinc» (Silvestře 1883 : 107, 109). La région centrale, la plus proche de la capitale utilise les sapèques de zinc, les lingots et les piastres, mais aussi les sapèques de laiton. « Les monnaies courantes sont en cuivre ou en zinc ; ce dernier métal s 'est généralisé depuis Gia Long, et les pièces de zinc sont même les seules qui aient actuellement cours en Cochinchine et au Tonkin, celles de cuivre restant circonscrites à l'An-Nam proprement dit» (Lacroix : 136); « quoique durant l'ère Gia Long, on commençât la fabrication régulière des sapèques de zinc, cette monnaie n 'eut pourtant cours réel qu 'en Basse Cochinchine et au Tonkin. Les indigènes de l 'Annam central, tout en la connaissant, lui ont toujours préféré celle de cuivre ; dans les seules provinces de Than hoa et Ha tinh au Nord, et dans celle de Binh thuan au Sud, la sapèque de zinc est médiocrement abondante, quoique ne jouissant que de peu défaveur ; dans ces provinces, la monnaie de zinc est acceptée dans les caisses de l'État » (Schroeder 300). Le fait que la valeur faciale des lingots d'argent soi fixée en quan et en mach, c'est-à-dire en sapèques de zinc et non pas en sapèques de laiton, montre bien que la Cour elle-même a pris acte du fait que le laiton ne circule plus normalement dans l'ensemble du pays. Les provinces du centre, les plus proches de la capitale sont les seules où circulent encore ce numéraire. Lors de son séjour à Huê, en 1875, Brossard de Corbigny note : « en fait de monnaie, nous trouvons ici l 'antique sapèque de zinc, valeur un septième de centime. [...] Il y a de plus, mais ici seulement, la sapèque en cuivre, d'une valeur six fois plus forte, soit un centime environ » (Brossard : 5455). Silvestře reproche aux sapèques de laiton « leur excessive rareté, qui est telle qu 'on a de tout temps constaté leur absence totale sur les marchés de la Basse Cochinchine » (Silvestře 1883 : 74). Pénurie et défiance sont les deux facteurs du quasi abandon de l'usage de la monnaie de laiton dans l'empire vietnamien, à l'exception des provinces voisines de la capitale. La circulation est à la fois fortement perturbée par la variété des espèces et en même temps secouée par des crises de famine monétaire artificiellement provoquées par les différents trafics illicites. Dans les faits, le monnayage dit de laiton est complètement hétérogène et se compose de ce que les textes vietnamiens appellent di dang tien, les « pièces de type bizarre » : quelques monnaies de bronze des anciennes dynasties chinoises et vietnamiennes, quelques monnaies japonaises de cuivre (Kqjiki sen, Nagasaki sen), des monnaies en laiton, chinoises des Qing et vietnamiennes des Nguyên, et surtout une grande masse de monnaies chinoises et vietnamiennes dans des alliages douteux sortant d'ateliers officiels mal surveillés et enfin des fausses monnaies chinoises, vietnamiennes et japonaises fondues dans des ateliers clandestins. RN 1999, p. 267-315
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Cependant, en raison de l'incapacité à fournir en monnaies de laiton l'économie nationale, de nombreuses voix se sont régulièrement élevées pour que l'on tolère l'usage des pièces étrangères si elles ne sont pas de trop mauvais aloi : durant toute la période, la politique balance entre une interdiction légale et une tolérance pratique. En 1849, les autorités avaient autorisé expressément la circulation de toutes les espèces : « // faut aussi informer par circulaire le peuple qu'il ne faut faire obstacle à la libre circulation d'aucune des monnaies existantes avec des anciens nianhao, qu 'elles soient en laiton ou en zinc, sauf les monnaies aux pseudo nianhao » (DNTL : IV, 12). En 1868, selon le DNTL, « une monnaie de laiton de l'empire des Qing équivaut à notre monnaie de laiton valant 4 », c'est-à-dire à une pièce de 6 ptian (DNTL : XXXVIII, 23). Puis on avait officiellement interdit l'importation de ces «pièces de type bizarre », tout en en tolérant l'usage, si bien que les trafiquants les introduisaient clandestinement en grandes quantités, jusqu'à provoquer de graves crises monétaires : toujours selon le témoignage d'Aymonier, vers 1874, une masse de monnaies frelatées faites par les Chinois de Cochinchine « était importée dans l'Annam [...]. En même temps, les sapèques en vrai cuivre et en zinc devenaient de plus en plus rares, disparaissaient même. Des réclamations s 'élevèrent immédiatement et la Cour interdit la circulation de ces fausses sapèques ; il n'y avait presque plus d'autre monnaie en cours au Binh Thuân ; on dut revenir au système primitif des échanges en nature. On vit alors la piastre mexicaine, qui s 'échangeait contre six à sept ligatures de zinc, ne plus pouvoir s 'échanger contre vingt et même trente ligatures de ces fausses sapèques de cuivre » (Schroeder : 281-282). Les autorités ne pouvaient manquer de constater le caractère contradictoire de leur politique : « L 'usage un peu confus des monnaies de type bizarre a été autorisé au début parce qu'il a été jugé utile, mais chaque jour a augmenté les dommages qu 'il cause. Le fait qu 'on les interdise tout en tolérant leur circulation s 'est répandu et a été connu jusqu 'à l 'étranger, ce qui ébranle le régime » (DNTL : LXII, 25). Après la crise tonkinoise, la question prit l'ampleur d'une affaire d'État et divisa les plus hauts mandarins de la cour. À la 11e lune de la 31e année (1878), les envoyés impériaux et les autorités du Quâng-nam et du Quâng-ngâi demandent et obtiennent la « levée de l 'interdiction des monnaies de laiton de type bizarre, prélèvement de taxes dessus. Récemment, de nombreux marchands Qing sont venus qui avaient amassé des pièces de laiton de type bizarre et les avaient transportées dans tous les postes de contrôle maritimes au sud du Quâng-пат, pour faire du commerce avec notre pays ; le mois dernier, déjà on a autorisé les gens du peuple qui avaient accepté [ces pièces] par inadvertance à venir les remettre aux autorités provinciales qui les leur échangeraient contre des pièces de zinc (chaque ligature de pièces de laiton est échangée contre 2 ligatures de pièces de zinc ; ces pièces de laiton seront fondues et le RN 1999, p. 267-315
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cuivre affiné sera entreposé dans les trésoreries). Aujourd'hui, le Commissaire impérial au Quâng-пат Hoàng Dieu et le Gouverneur Lâm Hoành, l'Envoyé impérial au Quâng-ngâi Doàn Khac Nhiidng et ГAdministrateur provincial Doàn Dao, adressent un mémoire disant "par suite, comme les marchands les trient et les refusent, les pauvres gens ne parviennent pas à acheter le riz et leur situation en est rendue plus pénible. En toute impartialité, nous demandons qu 'on lève l 'interdiction ". Le ministère des Finances réexamina son avis : "Considérant que les monnaies sont comme une source et que son cours irrigue l 'abondance, que les pièces aux nianhao de notre royaume circulent communément à Pingxiang et à Ningming au Guangxi ainsi qu 'à Macao au Guangdong, où un très grand nombre de gens les utilisent, notre interdiction non seulement nous met devant les yeux un peuple qui souffre, mais il est déplus à craindre qu'elle ne débouche sur la disette [...]. Ne vaudrait-il pas mieux qu'elles circulent pour augmenter nos ressources et en faire produire plus encore ? Nous demandons donc que, sans faire de discrimination selon la nationalité du navire, on les autorise à transporter des monnaies pour venir faire du commerce, pour peu que les types et les marques soient similaires à ceux des monnaies de laiton et de zinc de notre pays, et pourvu qu'au passage du poste de contrôle maritime, ils en informent les officiels. Après vérification positive, on lèvera les taxes en conformité avec la loi (10 pour 100). En cas de dissimulation ou de détournement par rapport au texte de la déclaration (la déclaration du commerçant), on confisquera les marchandises du navire qui entreront dans les magasins d'État. En cas de négligence dans les perquisitions, on appliquera aux officiels du poste de contrôle maritime de la province un châtiment conforme à la loi. Quant à ceux qui auront dénoncé à bon escient, on soustraira la moitié de la cargaison du navire qu 'ils recevront comme récompense » (DNTL : LX, 37-38). L'année suivante, à la 11e lune de la 32e année (1879), les opposants à la liberté de circulation des monnaies de divers types protestent contre la politique définie en 1878 : « un mandarin du Conseil privé, BùiÂn Niên, adressa un mémoire demandant d'interdire strictement les fausses monnaies des commerçants Qing : "Je dis que le droit de fabriquer de la monnaie dépend de la cour impériale. Comme justement, il y a eu au sud une année de disette, ce fut, pour les fausses pièces l'occasion de s 'y infiltrer, et bien que les lois et les textes l'interdisent sévèrement, il fut impossible de l'empêcher. Des grands dignitaires de la cour en discutèrent et demandèrent de nepas les interdire pour les taxer lourdement. Certes, mais comment être sûr que les responsables des postes de contrôle maritimes ne fermeront pas les yeux sur les dissimulations ou que les marchands fourbes ne les tromperont pas perfidement ? On sait bien que ces marchands ont recours à la ruse pour rechercher et échanger les [bonnes] monnaies de laiton de grand module, et qu 'à peine rentrés chez eux, ils les refondent. A l'heure actuelle, sur 10 pièces en circulation, il RN 1999, p. 267-315
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n'y a que 2 ou 3 anciennes pièces, et à l 'avenir, il n 'y aura plus dans notre pays que les monnaies de ces gens-là ce qui, à la longue, provoquera des crises. [Ces monnaies] ne seront même pas utilisables pour faire cesser la famine monétaire et ne feront que provoquer les calamités qu'engendrent toujours les monnaies sans valeur. Si l'on ne parvient pas maintenant à une profonde réflexion, il est vraiment à craindre que la fonte illégale de ces monnaies augmente chaque jour, qu'elles circulent chaque jour davantage en se répandant partout ; les dégâts ne pourront plus alors être maîtrisés. Je dis que fatalement, on en arrivera à ce que les biens seront aussi chers que l'or et les monnaies aussi viles que la boue. Même en prélevant dessus une taxe de 90 %, quelle utilité pourraient-elles avoir ? Je demande que toutes les fausses pièces qui sont entre les mains de la population circulent encore durant six mois pour la valeur d'une [sapèque de zinc] ; au-delà de cette échéance, elles seront interdites et cesseront [de circuler] ; celles qui sont dans les caisses de l'État seront recueillies par la trésorerie de la capitale et par celles des provinces. Si des stocks apparaissent, importés par des capitaines de navire, on les jettera et on exigera de percevoir [les taxes] comme auparavant avec les anciennes pièces valant 6, en fonction des comptes inscrits dans les trésoreries, et ceux qui n 'ont pas de monnaies feront leurs versements en argent. Ainsi, il sera possible de les interdire strictement et de ne pas permettre leur importation. S'il y en avait d'assez audacieux pour passer outre, on leur appliquerait alors la loi réprimant la fonte illégale de monnaies. Notre pays a un droit pénal assez lourd pour les châtier ! » (DNTL : LXII, 25). Alors que les envoyés impériaux et les autorités du Quâng-nam et du Quâng-ngâi^ emploient l'expression di dang tien, "monnaies de type bizarre", Bùi An Niên utilise systématiquement les mots nguy tien, "fausses pièces". Mis en demeure de choisir entre deux positions bien tranchées, l'empereur émit un avis ambigu : « / 'empereur délibéra avec les Ministres et examina le mémoire ci-dessus. (L 'usage un peu confus des monnaies de type bizarre a été autorisé au début parce qu 'il a été jugé utile, mais chaque jour a augmenté les dommages qu'il cause. Le fait qu'on les interdise tout en tolérant leur circulation s 'est répandu et a été connu jusqu 'à l 'étranger, ce qui ébranle le régime. Mieux vaut donc qu 'on modifie leur valeur pour les rendre profitables : les pièces de laiton de 6 et 7 phân de notre pays continueront de valoir 6 [pièces de zinc] ; les pièces de différents modèles, même si elles sont en alliage, du moment que par leur matière et leur aspect, elles ressemblent en gros à nos pièces, seront utilisées à la valeur 3. Quant à celles qui sont minces, cassées ou fendues, ou dont la matière est un très mauvais alliage, et qui sont actuellement dans les trésoreries publiques, il faut immédiatement les trier, les mettre de côté en lieu sûr pour qu 'elles soient jetées au creuset et fondues ; celles qui sont entre les mains de la population, elles doivent aussi être triées, écartées et interdites de circulation. Il sera totalement interdit de RM 1999, p. 267-315
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les accepter ou de les verser pour quelque catégorie de taxe en monnaie que ce soit. Ainsi, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, les profits ne seront guère diminués, tandis que pour les fourbes trafiquants, il ne sera plus possible d'obtenir de juteux bénéfices : ils cesseront d'eux-mêmes [leurs activités] et comme auparavant, ils se tiendront cois. Les officiels des préfectures et des provinces ordonneront de la manière la plus stricte aux responsables des postes de contrôle maritime, ainsi qu 'aux autorités de tous les communes, villages et hameaux des régions côtières de prendre des mesures pour découvrir s 'il y a des transports frauduleux, soit exportation de nos monnaies vers l'étranger, soit importation de pièces d'alliages douteux, qui passent par les postes. Que le transport porte sur un petit ou un grand nombre de pièces, on prononcera indistinctement les peines appliquées aux commerçants fraudeurs » (DNTL : LXII, 25-26). La frontière entre les monnaies qui « ressemblent en gros à nos pièces » et les plus lourdes des pièces minces ou de mauvais alliage n'étant ni précise ni facile à établir, progressivement l'usage légal d'un monnayage de laiton hétérogène et mal contrôlé se répand qui provoque une défiance généralisée. Dès le début del880, les autorités sont contraintes de reprendre les propositions de Bùi An Niên et d'interdire les monnaies de type bizarre (DNTL : LXIII, 6-7), interdiction qui doit être réitérée cinq mois plus tard (DNTL : LXIV, 1) ; c'est dans ce contexte que la complicité du ministre des Finances, Nguyên Ván Tiícfng est évoquée. L'année suivante, on augmente les récompenses pour ceux qui démasquent des importateurs, on réitère l'interdiction et on renforce les contrôles, spécialement au Bïnh-thuân qui est menacé d'être submergé par ces monnaies (DNTL : LXVI, 5-6, 9, 17). Peu à peu, l'usage de la monnaie de laiton se perd et, à l'exception des provinces métropolitaines, la population n'utilise plus que le monnayage de zinc pour le quotidien et l'argent quand il s'agit de transactions importantes. Par ailleurs, cette évolution est précipitée par l'irruption des monnaies et des pratiques monétaires introduites en Cochinchine par les Français. La circulation de l'argent tend à se répandre, bien sûr en Cochinchine, mais aussi dans le reste du pays, sous la forme de la piastre; les lingots jouent un rôle de plus en plus réduit. Il est évident que les valeurs faciales de ces lingots ont été choisies par les autorités en fonction du niveau des prix et des salaires de la masse de la population ; la circulation des lingots sans valeur faciale relève d'une autre logique, celle du gros commerce ou de la finance. On verra plus bas que le revenu moyen mensuel est à peu près de 3 ligatures (= 1800 van), ce qui correspond à la valeur du signe monétaire le plus fort. Les lingots d'un poids supérieur ne servent pas à la population car leur valeur atteint des sommes qui dépassent de loin les nécessités : la valeur du lingot d'un lang est de 4302 sapèques de zinc, ce qui correspond à deux mois et demi de salaire ; le nên bac de 10 lang qui a une valeur de 102 ligatures correspond à près à 3 ans de salaire. En 1875, Brossard de Corbigny rapporte que « en fait d'arRN 1999, p. 267-315
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gent, on a le tael de huit francs cinquante centimes ; с 'est un petit lingot en métal pur, d'un usage assez peu répandu. Il reste enfoui dans le trésor de l'État, et n 'en sort guère que sous forme de cadeau » (Brossard : 55). En effet, les sources vietnamiennes montrent que les lingots d'argent servent à récompenser les mandarins fidèles ou les troupes courageuses. Les exemples sont trop nombreux, nous ne citerons qu'un exemple, la distribution de récompenses aux troupes tonkinoises en 1864, « selon les mérites de chacun, du général en chef au simple soldat, on affectera à l'armée du Hâi-diidng-Quâng-yên 1000 lingots de 5 tien, 2000 lingots d'une ligature et 8000 lingots de 7 mach ; à l'armée du Bac-ninh-Thai-nguyênLang-sdn-Cao-bang 500 lingots de 5 tien, 1000 lingots d'une ligature et 2000 lingots de 7 mach ; à l'armée du Tuyên-quang-Hiing-hoa 300 lingots de 5 tien, 1500 lingots de 2 tien » (DNTL : XXX, 14). La circulation des cinq types de lingots monétaires ne pose pas de problème tant que la valeur de l'argent reste stable par rapport à l'unité monétaire figurant sur la valeur faciale, ce qui semble être à peu près le cas au début du règne. Selon le DNTL, le lang d'argent (environ 38 g) vaut 8 ligatures en 1854, ce qui porte la valeur du gramme à 126 van, et il en vaut autant quatre ans plus tard en 1858 (DNTL : X, 7 ; XVIII, 20). La valeur de l'argent évolue selon la chute tendancielle du cours international de ce métal au XIXe siècle d'une part, et en fonction les événements politiques et militaires d'autre part. En 1859, après le déclenchement des hostilités par la France et l'Espagne, le lingot de 10 lang vaut 102 ligatures (DNTL : XXI, 28), ce qui fait grimper le lang à 10 ligatures et 2 mach et donc le gramme d'argent à 161 van, mais il semble qu'assez vite le prix du métal retrouve un cours normal : on a vu que le poids et la valeur faciale des lingots émis un peu avant 1862 donnent au gramme d'argent la valeur de 113,2 sapèques de zinc, soit une valeur intrinsèque de 7 ligatures 1 mach et 42 van pour un lang ; la différence de 8 mach et 18 van par rapport au prix de 8 ligatures des années 1854-1858 peut être considérée comme la marge de l'Etat. D'ailleurs, le DNTL précise qu'en 1 869, c'est-à-dire après les traités, la valeur du lang d'argent revient effectivement à 8 ligatures (DNTL : XL, 9). Cette brusque hausse de l'argent semble être due à des facteurs locaux qui ne font qu'amplifier l'évolution du cours au niveau international, car on constate que, selon le cours de l'argent à Londres, l'année 1859 est marquée par une hausse dans une tendance baissière de long terme (Rapport 1897 : 49). Dans les années 1870, le cours de l'argent est soumis à la situation troublée du pays. Selon le DNTL, en 1870 on compte le peso pour 5 ligatures et 5 mach soit 3300 van, ce qui met le gramme d'argent à 122 van (DNTL : XLII, 16). Lors de l'ambassade à Hué de Brossard de Corbigny, en 1875, la ligature avait « la valeur de dix-huit sous français » (Brossard : 55), d'où l'on conclut que le gramme d'argent vaut 133,4 sapèques de zinc, soit 8 ligatures 4 mach et 29 van pour un lang ; mais selon le témoignage de Dutreuil de Rhins, en 1876, « la piastre mexicaine et le dollar américain, qui ont RN 1999, p. 267-315
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le même cours, sont assez répandus. La piastre vaut 5 francs 35 c. ou 5 ligatures 80 sapèques » (Dutreuil de Rhins : 86), d'où il appert qu'on en revient à une valeur un peu inférieure à celle de 1869, 114 sapèques pour un gramme d'argent, soit 7 ligatures 2 mach et 12 van pour un lang. Le troisième facteur qui influe sur le cours de l'argent est la politique financière des autorités françaises de Cochinchine vis-à-vis de la piastre. En ce qui concerne ce signe monétaire, il est certain que la situation décrite par Lacroix pour la Cochinchine en 1859, à la veille de la conquête peut être appliquée à tout l'empire : « Quand les troupes franco-espagnoles débarquèrent à Ben-nghê (Saigon) le peuple de Gia-âinh faisait uniquement usage de sapèques en cuivre ou en zinc au chiffre de TiiDûc et de ses prédécesseurs. Les monnaies d'argent et les lingots étaient employés seulement pour les achats d'une certaine importance. Jusqu'en 1863 on fut réduit à user d'expédients dans les transactions avec les quelques indigènes assez hardis pour céder leurs volailles ou leurs fruits aux envahisseurs. Il fallut bien, d'abord, se servir de la sapèque de zinc, mais en retour, l 'Annamite du menu peuple apprit bientôt à connaître et apprécia la piastre mexicaine qui lui était offerte. Beaucoup d'entre eux n'avaient, jusqu'alors, vu la précieuse pièce que dans leurs rêves [...]. Ce n 'est pas que les piastres ne fussent pourtant très connues ; les commerçants chinois en avaient introduit l 'usage, et les bâtiments européens qui avaient fréquenté naguère le port de Saigon et le grand fleuve du Cambodge, y en avaient laissé bon nombre. Mais elles demeuraient cachées, enterrées, encore mieux peut-être que les lingots d'argent, si bien qu 'il y a quelques années à peine, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, on découvrait encore des cachettes qui recelaient quelques rouleaux de ces belles vieilles piastres d'Espagne, à colonnes, datant du XVIIIe siècle, ou des dollars de la Compagnie hollandaise des Indes orientales » (Lacroix : 205-206). Dans ces provinces conquises sur le Dai Nam à partir de 1858, les autorités françaises et le trésor avaient admis le taux de change officiel de 5 ligatures par piastre de 27 grammes, ce qui constituait un prix de l'argent inférieur à celui pratiqué au Vietnam, puisqu'à ce tarif, le gramme d'argent vaut 111,1 sapèques en Cochinchine, contre environ 113,5 à Hué. Mais cela ne satisfaisait pas le contre-amiral de la Grandière qui considérait que ce taux évidemment exagéré donnait, en ce cas, à la ligature, une valeur de 1,074 franc qu'elle n'avait jamais dans les cours privés, ce qui était vrai puisque sa valeur était de 1,042 franc. Il fut donc décidé qu'à partir du 1er juillet 1863, une ligature vaut 1 franc. Si la ligature n'atteignait pas en effet la valeur de 1,074 franc, la réduire à 1 franc était cependant une mesure arbitraire qui ne correspondait pas au taux du marché, même si elle simplifiait les calculs des autorités de Saigon. Concrètement, cette manipulation financière faisait légèrement augmenter le prix de l'argent puisque la piastre de 27 grammes valait alors corrélativement 3240 van, ce qui portait le gramme d'argent ДЛП999, p. 267-315
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à 120 van. Elle fut cependant réaffirmée par décret du 14 janvier 1864 fixant la valeur de la pièce française de 5 Francs à 90 % de la piastre et le rapport des monnaies françaises à la ligature fut ainsi déterminé : le franc équivalait à une ligature, le décime à un tien de 60 sapèques, la pièce de 5 centimes à 30 sapèques (Silvestře 1883 : 112-114) ; ce taux donnait à la piastre la valeur de 3333 van soit 5 ligatures 5 mach et 33 vàn, au lang d'argent la valeur de 7 ligatures 8 mach et 10 van et au gramme d'argent celle de 123,4 van. La piastre, principalement le peso mexicain, est un signe monétaire d'une valeur qui certes dépasse largement les besoins de la masse de la population, mais qui cependant est utilisable par les couches populaires les plus aisées, comme les ouvriers spécialisés ou les petits fonctionnaires : au taux de 1869, la piastre de 27 grammes vaut 5 ligatures 6 mach et 42 ván ce qui correspond à peu près au salaire mensuel d'un terrassier spécialisé, à un tiers de salaire d'un employé des administrations centrales. L'allocation d'étude pour des boursiers envoyés en Cochinchine est de 8 piastres. En fait l'usage de ce signe monétaire est presque toujours lié à un rapport soit physique soit commercial avec l'étranger et plus particulièrement avec la France et sa colonie de Cochinchine. On note par exemple que les allocations des étudiants qui apprennent le Français à Hâi-diidng ou à Hanoï sont versées en sapèques de zinc et en riz, alors que celle des étudiants qui vont étudier en Cochinchine l'est en piastres. De même, les achats d'État faits aux étrangers sont réglés en piastres : «Pour la première fois, on achète un bateau blindé à moteur long de 11 tnfçfng 2 xich et 3 thon : 135 000 piastres soit 97200 lang » 29 (DNTL : XXXII, 40). Et, on l'a vu plus haut, c'est aussi en pesos que doit être versée l'indemnité de guerre fixée par le traité de Saigon. Une population pauvre La circulation fondée sur la sapèque de zinc, c'est-à-dire sur un signe monétaire d'une très faible valeur, est une nécessité économique pour une population qui dans son immense majorité vit dans la plus grande pauvreté : « La sapèque de zinc vaut donc six fois moins que la sapèque de cuivre. Or, les Annamites ne payent certains produits, comme le thé (à la tasse) et la chique de bétel, que deux sapèques de zinc. Si cette monnaie était en cuivre, en donnant seulement une sapèque de cuivre pour une tasse de thé, les indigènes la payeraient trois fois plus cher qu'ils ne la payent aujourd'hui » (Schroeder : 314). Les sources vietnamiennes s'attachent peu à la vie quotidienne de la population et les chiffres qu'on y peut glaner concernent généralement les dépenses militaires, les frais de fonctionnement du palais, les salaires, appointements des officiers et des 29. Le tnidng qui fait 3,20 m, compte 10 xich ou 100 thon ; le navire en question mesure environ 36 mètres. #.¥1999, p. 267-315
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fonctionnaires, ou les récompenses aux mandarins et généraux méritants. Les rares mentions de prix ou de salaire sont souvent indiquées en raison de leur caractère exceptionnel, et non pas comme statistiques. Aussi ce n'est que par touches que l'on peut se faire une idée des revenus et des dépenses de la population. On constate que les versements (salaires, traitements ou allocations) sont généralement effectués en monnaie, ligature ou mach, et en riz, sous la forme du bol oân de 5 décilitres30 ou le phiidng de 30 litres, mais « le riz qu'on donne aux fonctionnaires est pris dans les magasins de réserve et n 'est pas de bonne qualité ; ils en donnent une partie à leurs domestiques et font vendre le reste » (Dutreuil de Rhins : 93). Le salaire moyen pour un ouvrier non qualifié semble tourner autour de 3 ligatures et un phiidng de riz par mois : en 1859, il est demandé aux deux provinces de Ninh-binh et de Thanh-hóa de recruter des ouvriers, « aux hommes et aux femmes, on donnera chaque jour 2 bols de riz et un mach de monnaies, et aux jeunes enfants un bol de riz et 30 ván, on paiera trois jours d'un coup» (DNTL : XXI, 10), converti en salaire mensuel, cela correspond à 3 ligatures et un phiidng de riz pour les adultes et à 1 ligatures 5 mach et un demi phiidng pour les enfants ; en 1855, lors de la «famine au Quàng-tri, on donne l'ordre de recruter des porteurs et des hommes pour curer la rivière de Vïnh-âinh, ce qui servira de secours (chaque jour on donnera à chacun un mach de monnaies et un bol de riz) » (DNTL : XIII, 15), ce qui fait 3 ligatures et un demi phiidng de riz par mois. Ce salaire est à peu près le même dix ans plus tard, au même endroit, pour le même travail : « on cure la rivière de Vïnh-âinh au Quàng-tri (on recrute 3 000 hommes, par mois on donne à chacun 3 ligatures de monnaie et un phiidng 15 oân de riz) » (DNTL : XXXI, 29). À la fin du règne, le salaire mensuel d'un employé subalterne est de 3 ligatures et un phiidng de riz (DNTL : LXIX, 24). On constate cependant que pour des travaux similaires il existe des salaires inférieurs. Les coolies du Quâng-hôa touchent 40 ván et un bol de riz par jour en 1856 (DNTL : XV, 28), soit 2 ligatures et un demi phiidng de riz par mois ; la même année, les terrassiers recrutés à Hanoï pour réparer les digues sont payés 30 ván et un bol de riz par jour (DNTL : XV, 43), ce qui fait une ligature 5 mach et un demi phiidng de riz par mois. Le plus bas salaire mensuel (1858) pour un terrassier semble être d'une ligature et un demi phiidng de riz : « On réparera la route mandarine de la rivière de Vïnh-âiên au Quàng-пат (on y affectera 600 hommes durant un mois, chaque jour on versera à chacun 20 ván de monnaie et un bol de riz) » (DNTL : XVIII, 26) ; sachant que l'impôt personnel nécessite l'économie quotidienne de 2,5 sapèques de zinc, on 30. 5 décilitres de riz pèsent 390 g. 60 oân font un phiidng et 2 phifdng font un hoc. RN 1999, p. 267-315
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voit qu'il ne reste que 17,5 sapèques à dépenser pour la nourriture, le logement, l'habillement, etc. Le montant du salaire des terrassiers de 1858 est à peu près le même que celui du subside alloué en 1878 aux étudiants de Hâi-diidng qui perçoivent cependant plus de riz : « Pour la première fois, on ouvre à Hâi-diîdng un établissement pour apprendre à écrire et à parler le français pour les affaires commerciales, administratives et juridiques (l'allocation mensuelle, identique pour ceux qui viennent étudier, est fixée à une ligature de monnaies et un phiïdng de riz) » (DNTL : LIX, 22). Le salaire versé aux terrassiers du Quâng-nam est aussi inférieur au minimum vital de 1 879 qui nous est donné par une mention figurant à la 6e lune de cette année et qui correspond exactement à l'allocation des étudiants de Hâi-diidng : « Félicitations au centenaire Nguyên Vân Khê de Thtía Thiên (âgé de 104 ans, issu d'une famille pauvre, incapable de subvenir à ses besoins) on lui donnera de l'argent et du rizjusqu 'à la fin de ses jours (chaque mois un phiîdng de riz et une ligature de monnaies) » (DNTL : LXI, 50). On relève aussi quelques salaires supérieurs, lorsqu'on fait appel à des ouvriers un tant soit peu qualifiés : ainsi en 1 857, pour préparer le port de ta công câng pour la visite impériale, « on recrute des hommes au salaire journalier de 2 mach de monnaies et 1 bol de riz » (DNTL : XVI-25), soit 6 ligatures et un demi phiîdng de riz par mois ; pour les travailleurs manuels salariés, ce salaire est le plus élevé que nous ayons trouvé dans le DNTL. À partir du moment où les versements sont destinés à des fonctionnaires, même moyens, à des lettrés ou à des officiers, les sommes sont beaucoup plus importantes : en 1848, une nouvelle loi est promulguée qui «fixe les pensions des employés d'administrations et des mandarins militaires diplômés (20 ligatures en monnaies et 2 rouleaux de tissu) » (DNTL : III, 34). Ces salaires sont parfois versés en piastres si les conditions de l'emploi le nécessitent : en 1868, « on envoie Le Ván Hián avec 5 personnes au Gia-dinh, pour apprendre la langue et l'écriture des Français, à chacun on donnera 8 piastres d'argent (auparavant, on avait envoyé Nguyên Hûu Bôi pour accompagner le Maître Tnidng VTnh Ki étudier avec une suite de 5 personnes, et chacun, par décret, recevait 4 piastres par mois) » (DNTL : XXXVIII, 20), l'allocation pour ceux qui vont étudier en Cochinchine est donc de 44 ligatures. Pour importante qu'elle paraisse par rapport aux salaires dans l'empire, cette allocation est ridicule par rapport aux salaires à Saigon : Dutreuil de Rhins payait son boy et son cuisinier 22 piastres par mois plus un picul de riz, ce qui lui revenait en tout à 130 piastres (Dutreuil de Rhins : 94). À titre de comparaison, toujours selon Dutreuil de Rhins, le salaire du ministre des Finances, Nguyên Vân Tifcing, s'élevait à « environ 1800 francs par an, plus des costumes de soie et plusieurs mesures de riz par jour pour lui et sa maison » (Dutreuil de Rhins : 93), ce qui, au cours donné par Dutreuil de Rhins, correspond à 1727 ligatures 1 mach et 6 vân, et fait donc un RN 1999, p. 267-315
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traitement mensuel de 143 ligatures 9 mach et 15 van sans compter le riz et les robes de soie31. Comme pour les salaires, les annales donnent relativement peu de données concernant les prix, ou lorsqu'elles en donnent, c'est qu'il s'agit de prix sortant de l'ordinaire, généralement parce qu'ils sont trop hauts. La denrée la plus importante pour la population est bien entendu le riz dont la culture est concentrée dans deux régions, le delta du Mékong et celui du Fleuve Rouge, c'est-à-dire dans deux parties de l'empire qui pour la première va échapper au pouvoir central (la Cochinchine est annexée par les Français en 1862), et pour la seconde, le Tonkin, va être ravagée par les guerres à partir de 1872. Sur le prix du riz, nous disposons de plusieurs chiffres qui n'ont pas une grande signification intrinsèque, mais deux indications permettent d'en situer le niveau normal : en 1856, le DNTL signale que « actuellement, le prix du riz a augmenté et il est devenu cher (chaque phifdng coûte 3 ligatures et 3 mach, soit une augmentation de 6 mach par rapport au prix du mois précédent) » {DNTL : XV, 37). Ce passage laisse donc entendre que le prix antérieur de 2 ligatures et 7 mach est un prix correct. Plus tard, en 1872, selon la même source, « au Nghê-ап, le riz est cher [...] (dans la province du Nghê-ап, chaque phiidng coûte 5 ligatures et 4 mach, alors que dans la province du Thanhhóa, il coûte 2 ligatures et 3 mach) » (DNTL : XLVI, 15) ; ici encore, il faut comprendre que le prix de 2 ligatures et 3 mach est correct. On peut donc penser qu'au début du règne, c'est-à-dire avant la crise tonkinoise (1872-1875) et surtout avant l'autorisation de l'exportation du riz (1876), le prix moyen du phiidng était de 2 ligatures et 5 mach ; ce qui donne le prix de 25 van pour un bol de 5 dl. On voit donc que, pour un ouvrier, la dotation journalière en riz correspond grosso modo à l'équivalent de ce qu'il reçoit en sapèques. Après la crise tonkinoise, le prix du riz a une tendance à augmenter, mais de manière irrégulière, dans le temps et dans l'espace : on a vu qu'en 1872, le phiidng coûte 5 ligatures et 4 mach au Nghê-an, 2 ligatures et 3 mach au Thanh-hóa, mais il est à 3 ligatures et 5 mach au Thai-nguyên ; selon Dutreuil de Rhins, à Huê en 1 876, le picul de riz valait un peu plus de 2 piastres, ce qui, si l'on fait les conversions, met le phiidng à 3 ligatures et 9 mach (Dutreuil de Rhins : 86) ; en 1879, le prix grimpe à 5 ou 6 ligatures au Tonkin, et arrive à 7 ou 8 ligatures au Quâng-bïnh et au Quâng-tri, après avoir traversé les provinces de Thanhhóa, Nghê-an et Hà-tïnh (DNTL : LXII, 29) ; à la fin du règne, il va de 3 ligatures 5 mach à 4 ligatures (DNTL : LXVIII, 8-9 ; LXIX, 24). Sans tenir compte de la période de la crise tonkinoise et des perturbations qui suivent l'autorisation d'exporter le riz, le prix de celui-ci présente une courbe régulière de hausse et il a donc presque doublé entre 1848 et 1883.
31. Ce traitement « brut » ne tient pas compte des gratifications régulières en soie, en or et en argent que l'empereur distribue très généreusement à ses ministres et conseillers les plus proches. RN 1999, p. 267-315
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Le prix d'autres denrées alimentaires apparaît plus rarement : pour les céréales, le hoc de millet oscille autour de 2 ligatures, et le phiidng de blé vaut 3 ligatures 5 mach. En 1854, le poivre et la chair de poisson séchée valent le même prix, 45 van les 10 lang (380 g), la chair de crevette séchée 169 van les 10 lang, (DNTL : X, 23). En 1876, la volaille vaut entre 50 et 75 centimes, soit entre 4 mach 48 van et 7 mach 12 van, le canard vaut 9 mach 36 van, et « on avait pour presque rien du poisson, des crevettes, des légumes et des fruits » (Dutreuil de Rhins : 86). Nous n'avons pas trouvé trace du prix de la viande de porc. La comparaison de ces prix avec les salaires donne une idée du niveau de vie de la masse de la population et de la nature des besoins de cette population en matière de moyens de paiement. Les annales donnent plus de renseignements sur la valeur marchande de denrées ou d'objets qui sont bien en dehors de portée de la masse de la population : dans le domaine alimentaire, les nids d'hirondelles sont à 40 ligatures le сап (608 g) pour le troisième qualité, 60 ligatures pour la deuxième qualité et 80 ligatures pour la première qualité (DNTL : X, 23) ; dans le domaine pharmaceutique, la paire de cornes de cerf vaut 40 ligatures et le сап de corne de rhinocéros 50 ligatures (DNTL : IV, 20 ; XLVIII, 9) ; pour les matières précieuses, les défenses d'éléphant valent 3 ligatures le сап et l'or 80 ligatures le lang (DNTL : XLVIII, 9 ; XXXIX, 7). La politique monétaire de l'ère Tii Duc a été marquée par la tradition dans un premier temps, puis par une réactivité relativement organisée entre ca 1861 et ca 1869, et enfin par un laisser-aller débouchant sur les expédients les plus cyniques. Durant les premières années du règne, la politique des émissions ne se distingue en rien de celle de ses prédécesseurs et reste figée sur le modèle de Minh Mang. Le poste de ministre des Finances est d'ailleurs, dans cette période, confié à des fonctionnaires sans grande personnalité, comme Nguy Khac Tuan, de 1848 à 1854, ou Dang Van Thiêm, de 1854 à 1856 (Nguyên ВТ : 340-341), il s'agit pour les autorités de perpétuer ce que les générations précédentes leur ont transmis. À partir de ca 1861, c'est-à-dire à partir du moment où la pression militaire française se fait plus forte, les autorités tentent de réagir aux conséquences monétaires de la pénétration de l'argent sous la forme des piastres et à celles de la raréfaction du monnayage de laiton, deux phénomènes qui sapent les bases du système monétaire ; elles mettent en place des réponses relativement novatrices : émission des lingots à valeur faciale, émission d'une piastre nationale, réévaluation de la monnaie de laiton et émission des dong sao. Cette période qui se prolonge jusque vers ca 1 869, correspond au moment où le ministère des Finances est dirigé par l'une des personnalités les plus éminentes du royaume, Trân Tien Thành. On note que c'est aussi la période durant laquelle le souci confucéen du bien du peuple est le plus présent dans les RN 1999, p. 267-315
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présupposés de la politique monétaire : on a vu que le choix du poids des dông sao de 1861 prend en compte les usages courants de la population, et on trouve cette préoccupation dans un texte de 1865 qui dit explicitement, à propos des lois monétaires édictées sans consultation de la population, qu'« à l'avenir, pour les lois et les interdictions, on fasse soigneusement des rapports dans lesquels les préfectures, les cantons et les communes feront savoir aux autorités ce qui recueille le consensus général du peuple » (DNTL : XXXI, 39). À partir de 1870, en revanche, on a l'impression que la politique des émissions n'est plus conçue comme l'une des obligations du bon souverain confucéen, mais qu'elle doit servir, par tous les moyens, à remplir des caisses de l'État, fut-ce au détriment de la population : le plus bel exemple étant les attendus de la décision d'abaisser le poids des dong sao. La production monétaire, dans ses conditions et ses modalités, est tributaire, plus que la politique des émissions même, de facteurs sur lesquels les autorités ont peu de prises ou qu'elles sont incapables de maîtriser. La crise du Tonkin et ses séquelles, l'état d'épuisement extrême du pays et la pression économique de la France ne font qu'accentuer la dégénérescence du système monétaire traditionnel que le dernier ministre des Finances, Nguyên Van Tifông, représentant emblématique d'une caste de mandarins réactionnaires, est bien incapable d'enrayer et encore moins de rénover.
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LES PROVINCES DE L'EMPIRE DU DAD4AM 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 Hûu-ky 15 16 Hui-trifc-lê :17 18 19 20 :
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