MODERN NOMAD CODES

THÉO ROMAIN MODERN NOMAD CODES

École Supérieure d’Art du Nord-Pas-de-Calais Dunkerque - Tourcoing

MODERN NOMAD CODES

Mémoire du Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique « Art plastiques et visuels » sous la direction de Claire Malrieux

2017-2018

MODERN NOMAD CODES

Sommaire

22. Introduction

26. I. Le dessin : un langage qui parle de l’Actuel.

30.

1) Le dessin : parler du temps présent 34.

2) Le dessin : expliquer le monde 40.

3) Le dessin : force critique

44. II. Le «Modern Nomad» : mondialisation et nomadisme.

48.

1) Les nomades «involontaires» 54.

2) Les nomades «volontaires» 57.

3) Le sédentaire : nomade d’un genre nouveau 60. III. Dessin et déplacement.

64.

1) L’artiste-nomade : voyager et dessiner 72.

2) «Modern Nomad Codes» graphiques 82. Conclusion 84. Bibliographie 87. Remerciements

Document

Le présent : calque imparfait du passé Texte rédigé dans le cadre de ma recherche, par Benoit Drouot, professeur agrégé d’histoire-géographie.

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Ernest Pignon-Ernest Rimbaud Charleville-MÊzières 1978

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Till Roeskens

VidĂŠocarthographies : AĂŻda (screenshot) Palestine 2009

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Jean-Christophe Norman Ulysses, a long way Paris 2014

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Dennis Oppenheim

Annual Rings Entre les États-Unis et le Canada 1968

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Stanley Brouwn

This way brouwn Encre (stylo et tampon) sur papier 1962

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Bouchra Khalili

Constellations, Fig.8 Impression sĂŠrigraphie 2011

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Introduction

J’ai souhaité introduire cet objet d’étude en partant de mon expérience en Grèce, plus précisément à Athènes où j’ai séjourné un an durant ma première année de master. Si j’ai décidé de partir là-bas, outre mes motivations d’apprendre d’autres techniques liées à la sculpture, c’est avant tout par envie de vivre et de voir le quotidien des Grecs, de me confronter à une réalité que je n’appréhendais que très indirectement, par médias interposés notamment via la presse et les journaux télévisés.

J’arrivai dans une ville, Athènes, en proie à une crise économique d’une ampleur considérable aux répercussions sociales dramatiques pour nombreux de ses habitants, que les mesures d’austérité toujours plus drastiques ne firent qu’accentuer. À cette situation difficile, angoissante même pour de nombreux Grecs, s’ajouta l’arrivée massive de milliers d’hommes, femmes et d’enfants poussés par la guerre au Moyen-Orient à trouver refuge sur le continent européen. Les côtes et les îles grecques, comme celle de Lesbos, qu’ils rejoignent sur des embarcations de fortune, constituent pour ces migrants la porte d’entrée dans l’espace européen. Les plages couvertes de centaines de gilets de sauvetage oranges abandonnés par ces migrants constituèrent une des images qui me frappa à mon arrivée en Grèce. C’est de l’étranger que j’appréhendai un autre drame, les attentats qui frappèrent la France le 13 novembre 2015. Je fus saisi par la circulation abondante de dessins et de caricatures sur les réseaux sociaux et sur la toile, comme autant de tentatives d’appréhender l’indicible et l’ampleur de la tragédie.

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Tous ces évènements m’ont conduit à réaliser plusieurs projets dont une action sur une plage de l’île de Santorin (figure 0.1) ; cette action a consisté à recouvrir les rochers de la plage en dessinant des lignes à l’aide d’un corail séché trouvé sur place. Par cette action artistique, j’utilise le dessin comme un moyen d’exprimer ma perception des évènements actuels, le résultat s’illustrant comme une trace graphique minimaliste et éphémère de mon passage. Dans une certaine mesure, on peut établir une analogie entre mon action et le hobo glyphs (figure 0.2), ce code graphique inventé aux États-Unis par des vagabonds sans domicile fixe. On peut interpréter ces signes également comme une trace du passage de ces nomades laissée au sein du paysage à travers un langage graphique codé.

L’intitulé en anglais «Modern Nomad Codes» choisi pour cet axe d’étude fait écho à la langue universelle que pratiquent dans la majorité des cas les voyageurs qui partent dans des pays étrangers, comme ce fut le cas pour moi, et il engage ici la question du dessin sous plusieurs rapports : le terme «Codes» nous amène à nous interroger sur l’idée du dessin comme une forme de langage graphique disposant de son propre vocabulaire de signes et de traces bien définis, pour parler du présent ; avec parfois le souci de le critiquer, le dénoncer ou l’expliquer. Ensuite, les mots «Modern» et «Nomad» nous amènent à réfléchir sur la question du nomadisme moderne, et par conséquent nous tâcherons ici d’essayer d’identifier qui sont ces nomades aujourd’hui. Ces nomades modernes. Car s’il est vrai que le progrès scientifique de la modernité a totalement sédentarisé l’individu dans les villes, il a aussi grandement favorisé nos moyens de déplacements, modifiant dès lors notre rapport à l’espace et au temps, créant une véritable révolution de l’information, notamment par le biais d’internet et l’avènement des réseaux sociaux.

Enfin, questionner ce «Modern Nomad Codes» nous engage à nous interroger sur la forme que peuvent prendre ces traces graphiques, ces codes laissés dans le paysage contemporain par ces nomades modernes et ainsi réfléchir au rapport qui existe entre dessin et déplacement chez les artistes.

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Figure 0.1

«Don’t forget your life jacket», 2016.

Dessin au corail séché trouvé sur place sur les pierres de la plage au sable noir de Kamari.

Santorin (Grèce)

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Figure 0.2

«Signes laissés par un hobo pour avertir les autres passant dans cette ville (Nouvelle-Orléans en l’occurrence). Le cercle barré signifie «bon chemin à suivre», la croix signifie «OK», le signe ressemblant à un Y pourrait signifier que les habitants sont volontiers armés.»

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Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Hobo

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I. Le dessin : un langage qui parle de l’Actuel. _____________________________________________________

Actuel, actuelle

adjectif (bas latin actualis) • Qui a lieu dans le moment présent : Quel est le cours actuel du dollar ?

• Qui est en activité dans le moment présent : L’actuel ministre des Finances.

• Qui convient au moment présent : Ce film reste très actuel.

• Géologie Se dit des dépôts, des formations et des phénomènes contemporains de la période historique.

• Philosophie Qui concerne l’acte, conçu comme réel, effectif, historique.

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Dans le dictionnaire Larousse, on peut lire que le mot actuel est défini par quelque chose qui a lieu dans le moment présent, qui est en activité dans le moment présent, autrement dit qui se produit ou qui est en train de se produire. Le mot actuel évoque la notion d’acte et d’immédiateté, du très contemporain.

Ce mot renvoie donc directement aux faits présents et non pas aux faits passés ou à venir. Saint Augustin nous disait que : «le présent du passé, c’est la mémoire, le présent du présent, c’est la vision et le présent du futur, c’est l’attente.1» Le présent est donc ce qui nous apparait comme contemporain. Ce qui est actuel s’oppose donc à ce qui est virtuel, à ce qui n’est qu’en état de simple possibilité, bien qu’aujourd’hui paradoxalement avec les nouvelles technologies nous sommes en mesure d’être dans un espace virtuel actuel.

Dès lors, se demander si le dessin est un langage qui parle du présent nous amène par conséquent à essayer de montrer le dessin dans sa relation au contemporain pour le raconter, parfois pour le critiquer et dans d’autres formes pour l’expliquer ; mais encore pour l’imaginer, le commenter ou parfois même pour le dénoncer.

1 - Saint Augustin, Les Confessions, Livre 11, chapitres 14 & 20.

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1. Le dessin : parler du temps présent

Etant à Athènes durant les évènements tragiques que la France a connus en fin d’année 2015, j’ai pu appréhender cet acte de barbarie qui touchait mon pays seulement à travers les réseaux sociaux et internet. Ce que j’ai pu constater sur les réseaux sociaux, outre les photos et vidéos, fut la profusion des dessins. Comme si finalement le dessin nous permettait de contrôler ou d’avoir l’impression de contrôler ce qui nous dépasse, de s’approprier un acte, une catastrophe qui a sensiblement touché tout le monde. Comme si pour faire face à cette violence, à ces actes incompréhensibles qui nous font nous sentir impuissants, l’idée de dessiner venait surmonter ce sentiment. Il est vrai que la pauvreté de l’outil et du support offre au dessinateur un moyen de pouvoir s’exprimer rapidement. L’acte même de dessiner, et par l’acte je veux parler ici du geste, peut être si facile, si immédiat dans son exécution qu’il en devient tout aussi facile d’être partagé aussi vite sur les réseaux sociaux. Et à travers quelle forme ? La caricature, le cartoon ou les comics de bande dessinée. Le dessin de presse ou dessin-journalistique montre bien cette faculté de raconter l’actualité par le dessin, en se saisissant des évènements actuels pour développer graphiquement une idée. Car c’est bien de cela dont il est question. C’est sous ces styles graphiques que le dessin a la puissance d’exprimer la subjectivité de l’auteur de manière spontanée, de prendre position face à un sujet de société donc d’appréhender le réel, de se l’approprier, de décrire le monde et de procurer à travers le rire comme le fait la dessinatrice Coco (figure 1.2 et figure 1.3), le sentiment que tout va bien, de créer l’illusion qu’on maîtrise la situation, de mettre à distance le tragique comme l’évoquait à juste titre Philippe Marion dans un entretien lors d’un colloque sur le dessin pendant le Salon Drawing Now à Paris, «le fait de pouvoir interpréter immédiatement le monde c’est une manière de se l’approprier, donc de le mettre à distance. Et donc de faire jouer l’illusion de maitrise2». _____________

2- Entretien de Philippe Marion lors de la rencontre Le dessin en ses recherches I : Analyses et interprétations du Symposium international organisé en parallèle du salon international «Drawing Now» à Paris, édition 2016. http://www.drawingnowparis.com/programme/symposium-international-du-dessin-contemporain

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Le dessin est une véritable matière vive, autrement dit une matière vivante capable de s’adapter à son époque pour trouver le moyen de la décrire, de l’évoquer, de raconter les événements de l’actualité et les maux de nos sociétés. Que le dessin soit du dessin-journalistique, de la caricature, de la bande-dessinée ou quelques traits posés sur papier, la force du dessin réside dans, on l’a vu, sa rapidité dans le geste de réalisation. Il en est de même pour le tag ou le graffiti de notre époque moderne, ce moyen d’expression à l’aide de marqueur et/ou de peinture à l’aérosol que l’on voit fréquemment sur les murs de nos villes, les arrêts de bus, les trains ou dans les métros. Il me semble que dans certains cas (figure 1.1), le tag adopte presque une dimension d’affirmation du soi. En écrivant sur le mur son prénom, la personne avait-elle envie ici de flatter son ego, simplement faire une blague ou juste affirmer sciemment ou inconsciemment son existence dans une société qui semble la juger en permanence et la faire se sentir comme étrangère ? La question mérite au moins d’être posée.

Figure 1.1

Photographie d’un tag, prise dans une rue à Rome lors d’un séjour en mars 2016.

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Figure 1.2

La Une du journal satirique de Charlie Hebdo après les attentats du 13 novembre 2015 par la dessinatrice Coco.

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Figure 1.3

Dessin du jour du 28 octobre 2016, par la dessinatrice Coco.

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2. Le dessin : expliquer le monde Dimension pédagogique du dessin

J’ajouterai que la caricature aujourd’hui sous toutes les formes que j’ai pu voir surgir sur les réseaux sociaux et dans la presse participe à donner une dimension pédagogique au dessin, afin d’expliquer ce qui vient de se passer, notamment chez les enfants. Dans un article paru le 08 janvier 2015 sur le site Slate3, on pouvait lire qu’un numéro de Mon Petit Quotidien, journal d’informations pour les enfants de 6-10 ans avait été imprimé spécialement pour aider les adultes à discuter et expliquer aux enfants le drame de l’attentat de Charlie Hebdo. L’intérieur de la revue était composé de dessins de personnages sous forme de bande dessinée. Cet exemple montre bien qu’à travers le dessin de caricature, de bande dessinée, de cartoon ou simplement dans le dessin d’enfant, se retrouve une dimension pédagogique pour raconter, expliquer et voir comment ces enfants comprennent ce type d’événement violent et tragique.

J’amorce le domaine de la science ici mais il est intéressant de remarquer que dessin et science se retrouvent dans le domaine du dessin anatomique. Ce procédé graphique a pour but de représenter le plus fidèlement possible le corps humain. Le dessin devient là aussi un langage pour expliquer, comprendre, apprendre comment le corps humain se constitue et fonctionne. Ce travail de représentation du corps humain devient dès lors un moyen pédagogique dans un sens pour aider à former les infirmiers et les médecins de demain.

Dimension scientifique et mathématique Dans sa dimension explicative, le dessin intervient aussi dans le domaine scientifique notamment avec les mathématiques. L’univers a depuis toujours passionné les hommes. On ne peut cependant objecter l’idée qu’il n’en fut pas moins aisé d’essayer de le comprendre. ____________

3- cf. http://www.slate.fr/story/96599/parler-attentats-enfants, Comment parler des attentats à ses enfants?

Article paru le 08 janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo à Paris.

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Figure 1.4

Quatre captures d’écran sur fond noir de la vidéo BEAUTY OF MATHEMATICS, par Yann Pineill & Nicolas Lefaucheux - https://vimeo.com/77330591 - Modern Nomad Codes - 35

Tenter de traduire des phénomènes physiques de notre monde donc d’une certaine façon d’essayer d’expliquer ce qui est en train de se passer lorsqu’on allume une lumière dans notre salon branchée sur secteur, lorsqu’on essaye de comprendre comment est fait un flocon de neige, ou bien pour expliquer certaines forces physiques qui régissent notre univers, comme la force centrifuge, la force de gravité, la force des vents et bien d’autres, l’homme, en inventant les mathématiques a créé un langage graphique capable de dire le monde, capable de le comprendre par des notations symboliques, par un vocabulaire graphique spécifique constitué de lettres, de symboles et de flèches (figure 1.4). Ce langage mathématique a d’ailleurs été très souvent utilisé dans le travail de l’artiste français Bernar Venet. Connu surtout pour ses sculptures monumentales en acier et ses dessins au fusain, on retrouve plus récemment dans le travail de l’artiste une série de peintures murales ou sur toile qui nous laisse voir uniquement des équations mathématiques sur fond jaune citron, bleu turquoise ou encore rose fushia (figure 1.5). Pour l’artiste, ce nouveau travail échappe aux modèles en cours, à ce qui se voit aujourd’hui dans le milieu de l’art et il estime qu’en employant les mathématiques dans l’art, «l’œuvre d’art peut alors s’élever à un niveau d’abstraction maximal qui lui était [encore] étranger.4» Ce dessin au charbon (figure 1.6) réalisé par la jeune artiste française Caroline Corbasson nous dévoile la représentation d’une particule de poussière volcanique sous microscope électronique.

Cet exemple participe là aussi à la relation qui peut exister entre dessin et science, et participe en tant que dessin à expliquer le monde et les choses qui le composent, dans une représentation formelle et fidèle. De même dans la série «Stones» (figure 1.7) de l’artiste brésilien, Marcelo Moscheta, l’artiste réalise une collecte de pierres qu’il ramasse lors de ses marches puis qu’il classifie après un travail laborieux de recherche autour de la «représentation de l’objet qui, dans sa simplicité de forme, révèle le chemin cognitif complexe créé pour comprendre / représenter le monde à travers l’objet, ses images et ses codes.5» ____________

4 - Entretien partiellement publié dans la revue L’Œil, Paris, numéro 524, mars 2001, et réalisé par Philippe Piguet. Portrait d’un artiste ayant un rapport particulier aux mathématiques.

5 - Extrait du texte traduit tiré du site de l’artiste: http://www.marcelomoscheta.art.br/Stones

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Figure 1.5

Bernar Venet, peintures dans l’atelier de l’artiste, New York, 2002.

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Figure 1.6

Caroline Corbasson Ash Charbon sur papier 150 x 210 cm 2016

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Figure 1.7

Marcelo Moscheta Stones Dessins en graphite sur panneau PVC, fer, aluminium et pierres 40 x 120 x 40 cm chaque set dessin + pierre 2009

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3. Le dessin : force critique

Si nous venons de voir que le dessin peut s’avérer être un bon moyen pour raconter et expliquer le présent, appréhender le monde passe aussi parfois par une analyse critique de son fonctionnement et de la réalité en train de se dérouler. Ce que j’essaye de dire c’est que proposer une critique intelligente sur le monde permet d’amener l’autre à la réflexion sur sa propre compréhension du monde. Evidemment, là aussi le dessinateur de presse, souvent avec ironie, s’impose assez aisément dans cette relation au temps présent comme moyen de critique. Mais je m’arrêterais ici surtout sur des travaux de plasticiens. Tout au long de mes recherches j’ai pu identifier de nombreux artistes contemporains qui confèrent à leur travail une forte tonalité critique et politique. C’est le cas de l’artiste chinois Ai Weiwei qui utilise un blog pour écrire et partager ses discours très tranchés en usant des réseaux sociaux comme Instagram ou des milliers de personnes suivent ses actions chaque jour, mais aussi l’artiste marocain Mounir Fatmi, ou le Brésilien Marcelo Cidade, qui utilise l’art comme moyen critique pour dénoncer, décrire, exposer avec subtilité, ironie et humour noir, en tout cas pour pousser le spectateur à penser à la politique et les notions de systèmes, à s’interroger sur la complexité de la tradition et des considérations politiques contemporaines et/ou à réfléchir sur la notion d’autorité même. Autre exemple tout aussi pertinent, il me semble qu’on retrouve cette dimension critique dans le travail engagé du street-artist Banksy qui utilise aussi la rue, l’espace public et l’architecture pour générer des œuvres graphiques, souvent aux pochoirs et à l’aérosol mêlant critiques acerbes de nos sociétés modernes avec humour et poésie.

Parmi ces artistes, nous nous intéresserons plus précisément aux artistes qui utilisent le médium du dessin comme langage graphique capable de dénoncer et critiquer des évènements actuels. Afin d’éclairer mon propos, j’ai souhaité centrer ma recherche autour d’une œuvre-action de deux artistes contemporains qui travaillent ensemble depuis plusieurs années, l’artiste américaine Jennifer Allora et l’artiste cubain Guillermo Calzadilla.

Leurs œuvres conceptuelles, activistes et poétiques peuvent prendre la forme de sculptures, de vidéos ou performances avec toujours comme point de référence un contexte sociopolitique. ____________ 40 - Modern Nomad Codes -

Dans leur œuvre intitulée Chalk (figure 1.8) réalisée en 2002, signifiant « craie » en français, les artistes ont fait déposer sur une place adjacente au bâtiment du Parlement et de la résidence du président du Pérou à Lima, d’immenses craies blanches au sol, donnant à l’objet d’art le statut de catalyseur en attente d’être activé par le spectateur. Seulement trois heures après avoir laissé les craies sur la place, les autorités font enlever les objets puis nettoyer la place après que plusieurs citoyens se sont mis à écrire sur le sol au milieu de smileys et autres dessins innocents, des déclarations violentes envers le président sur des histoires de corruption et de conditions de travail insoutenables. Par cette action, les artistes ont donné la possibilité aux citoyens d’exprimer et critiquer leur gouvernement en utilisant un outil graphique pour dessiner sur le sol leurs revendications face à des évènements actuels, donnant au dessin une autre relation pour parler de l’actuel.

Figure 1.8

Photographie de l’œuvre intitulée « Chalk » Jennifer Allora & Guillermo Calzadila Lima, Perou 2002 - Modern Nomad Codes - 41

Mounir Fatmi

The Lost Springs, 2 brooms of 3 meters high, 22 flags of the Arab League, 300 x 405 x 40 cm.

2011.

«Les printemps perdus », l’installation minimale de Mounir Fatmi, portée par une scénographie sobre, légère, poétique, met en scène les 22 drapeaux en berne des pays de la Ligue des États arabes. Sous les pavillons tunisiens et égyptiens se dressent deux balais-brosses de 3 mètres de haut en référence aux soulèvements populaires qui ont mené à la chute respective de Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie et de Hosni Moubarak en Égypte. L’actualité brûlante au Maghreb, au Machrek et dans la péninsule Arabique en proie à la contestation violente de pouvoirs néo-patriarcaux, inspire cette œuvre évocatrice, subtile et percutante6»

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6 - Extrait de texte tiré du site de l’artiste : http://mounirfatmi.com/work-307-37.html

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Marcelo Cidade

Reality placebo (Police throws pepper spray on protesters in Rio de Janeiro), 2014

«In “Realidade Placebo” (Placebo Reality), Cidade reproduces tabs of LSD with images of recent clashes between protesters and repressive police force. The delirium proposed by the LSD tabs is not actually delusional, since the cards are placebos, are empty. Instead of fantasizing about the action that the picture shows, we are confronted with the reality of the facts.7»

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7 - Extrait de texte tiré du site de l’artiste : http://www.galeriavermelho.com.br/en/artista/47/marcelo-cidade «Dans «Réalité du Placebo» Cidade reproduit des buvards de LSD avec des images de récents affrontements entre manifestants et forces de police répressives. Le délire proposé par les buvards de LSD n’est pas réellement délirant, puisque les cartes sont des placebos, ils sont vides. Au lieu de fantasmer sur l’action que l’image montre, nous sommes confrontés à la réalité des faits.»

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II. Le «Modern Nomad» : mondialisation et nomadisme.

Cet objet d’étude m’amène maintenant à nous interroger sur ces nomades vivants dans nos sociétés contemporaines afin de les identifier.

La modernité, le progrès technologique et la mondialisation semblent avoir apporté avec eux une transformation du nomadisme. Ainsi, j’ai souhaité introduire ce qui va nous concerner dorénavant par un extrait du texte de l’économiste et écrivain Jacques Attali, qui nourrira et éclairera ma recherche ci-après : «Pour lui, l’homme est nomade depuis ses origines, et il est en train de redevenir, par la mondialisation, un nomade d’un genre nouveau.

Loin d’avoir été des barbares venus détruire des civilisations existantes, les hommes du voyage furent les véritables forces d’innovation et de création à la source de tous les empires, de la Chine à Rome, de l’Égypte à l’empire américain d’aujourd’hui. Quand elles se ferment aux nomades, aux itinérants, aux étrangers, aux mouvements de toutes sortes, les sociétés déclinent et périclitent.

Aujourd’hui s’ouvrent avec les nouvelles technologies du voyage, réel et/ou virtuel, des perspectives radicalement neuves pour l’humanité.8»

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8 - Extrait du texte au dos la quatrième de couverture du livre de Jacques Attali, L’Homme nomade, aux éditions Fayard, Paris, 2003.

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Vito Acconci

Following Piece Entre le 3 octobre et le 25, 1969 Performance, photographie Š Vito Acconci 2008

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1. Les nomades «involontaires»

Pour l’auteur, «l’humanité se répartit désormais en trois catégories : les nomades involontaires, qui se divisent eux-mêmes en nomades par héritage [...] et nomades contraints [...] ; les sédentaires [...] et les nomades volontaires, qui se divisent eux-mêmes en «hypernomades» [...] et nomades ludiques.9» Pour notre recherche, nous nous arrêterons sur ces différentes catégories que l’auteur décrit afin d’analyser et comprendre ces différents types de nomades qui coexistent dans nos sociétés contemporaines et qui incarnent le nomade moderne d’aujourd’hui.

Nomades par héritage A l’intérieur de cette catégorie on retrouve essentiellement tous les peuples nomades qui ont hérité de ce nomadisme, ce sont les anciens descendants des peuples premiers. Qu’ils soient nomades ou sédentaires, ces peuples autochtones n’ont jamais été pris en réelle considération par les grandes instances de la modernité comme l’ONU et ont toujours été vus comme des parasites, des sauvages car ils ne répondaient pas aux critères de la pensée moderne du sédentaire. On les appelle Aborigènes en Australie (figure 2.1), Touvas en Mongolie, Indiens en Amérique, Sahraouis dans le Sahara, Peuls en Afrique de l’Ouest, Roms (figure 2.2), Lapones (figure 2.3), Tziganes, Gitans ou Yéniches en Europe... Pour certains la déforestation détruit leur seul moyen de survivre en tant que nomade chasseur-cueilleur, on les chasse et les force à se sédentariser et par conséquent à perdre leur identité. Pourtant, leur rôle aujourd’hui pourrait avoir de lourdes conséquences positives sur l’état du monde actuel et sur la survie de l’humanité. A ce propos, l’auteur note à juste titre que «eux seuls seraient capables, par leur présence, de protéger la forêt, d’entretenir les zones arides, de préserver les espèces en voie de disparition, de maintenir en état un cheptel condamné sans eux à disparaître, d’assurer les difficiles métiers du voyage et de l’échange, de promouvoir des cultures majeures.10» ____________

9 - Jacques Attali, Un sédentaire, trois nomades, L’Homme nomade, Fayard, Paris, 2003, p. 395 10 - Ibid., p. 381

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Dans un sens, le nomade par héritage est aussi le religieux monothéiste. C’est l’héritage d’une culture, d’une religion qui l’oblige ou le contraint d’une certaine manière à effectuer un long déplacement, à travers le pèlerinage. Qu’il soit juif, musulmans ou chrétiens.

Nomades contraints Intéressons-nous maintenant à la deuxième catégorie des nomades involontaires dont il est question, les nomades contraints. Pour l’auteur, ce sont les «sans-abri, travailleurs immigrés, réfugiés politiques, déportés de l’économie, travailleurs mobiles tels les routiers et les représentants de commerce11» qui constituent cette sous-catégorie de nomades contraints.

Cependant, on peut à nouveau subdiviser dans cette sous-catégorie de nomades deux types de nomades, l’une que l’auteur qualifie d’«infranomades» et les autres. De manière générale, les infranomades sont les gens qui souffrent le plus de la mondialisation et du système capitaliste en place dans le monde. De plus, bien souvent leur pays est composé politiquement d’un régime dictatorial terrible. Ce sont les gens les plus pauvres de nos sociétés modernes, qui vivent essentiellement dans les pays du Sud et qui cherchent désespérément à rejoindre les pays du Nord, dans l’espoir de trouver des meilleurs moyens de gagner de l’argent, du travail pour refaire leur vie en Europe ou pour subvenir aux besoins de leurs familles restées dans leurs pays d’origines. Leur nombre ne cessera d’augmenter dans les années à venir. Ainsi, la notation suivante de l’auteur décrit le paroxysme de cette mondialisation, qui semble à mon sens déjà se confirmer de nos jours. «Certains nomades fortunés fatigués, refuseront d’avancer plus loin. Désespérés, des nomades pauvres viendront au contraire bousculer toutes les frontières. On assistera alors à un retour des valeurs d’identité, de nation, de frontières, autour des thèmes de l’antimondialisme et du souverainisme qui feront cause commune.12» Parmi ces nomades contraints, il y a en France et partout en Europe des étrangers en situation irrégulière, qualifiés de la sorte selon la loi française. ____________

11 - Jacques Attali, Ibid., p. 395 12 - Ibid., p. 385-386 - Modern Nomad Codes - 49

Ils sont pour la plupart originaires des anciennes colonies bien qu’aujourd’hui à Paris on y trouve essentiellement des indiens, des pakistanais, des chinois, ainsi que des personnes issues des pays d’Afrique du nord et arabiques : congolais, maliens, sénégalais, algériens, marocains, tunisiens ou encore libyens. Bien souvent ces gens sont sans domicile fixe au regard de loi. Le sans domicile fixe n’est pas seulement le clochard cet autre nomade contraint. Par le mot clochard nous désignons ici l’homme sédentaire qui accumule successivement un néant professionnel et social devenant pour l’auteur un «nomade du vide13», le conduisant inexorablement au chômage, à la pauvreté, puis à la mendicité car il est incapable de pouvoir s’assurer financièrement un logement engendrant cette condition de sans-abrisme dans la rue. Il existe différents types de sans-abris dans nos sociétés contemporaines, qui peuvent être contraints comme ici pour le clochard mais parfois qui peuvent être volontaires, comme certains cadres dirigeants de très haut niveau que nous verrons un peu plus loin. Ils ont potentiellement le même titre mais s’oppose radicalement d’un point vu financier. Il est bon de rappeler qu’au début du XXe siècle aux États-Unis de nombreux sans domicile fixe étaient des travailleurs, les fameux hobos que l’on mentionnait plus haut.

Les immigrés politiques sont aussi à juste titre des nomades contraints, obligés de quitter leur pays pour des raisons politiques, liées souvent à des conflits religieux ou à des guerres qui gangrènent leur pays. C’est notamment le cas actuellement avec les migrants syriens qui fuient leur pays en guerre. Ce ne sont pas forcément des gens pauvres, au contraire. Payer un passeur pour disposer d’une place sur ces bateaux qui permettent aux réfugiés de traverser la mer peut s’avérer très coûteux. La plupart des immigrés politiques migrent par nécessité, par sécurité, pour assurer leur survie et celles de leurs proches.

Autre cas de nomade moderne contraint, les routiers, ces travailleurs mobiles et les représentants de commerce. Leur métier les contraints à être perpétuellement sur les routes afin de livrer des marchandises destinées à la vente. Ce sont des nomades que la mondialisation a créé en ____________ 13 - Ibid., p. 407

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favorisant un nomadisme marchand tel qu’il en a contraint des hommes et des femmes à passer la majeure partie de leur vie à sillonner les routes dans le seul but de subvenir à leurs besoins, toucher un salaire pour faire vivre leur famille ou eux-mêmes.

Figure 2.1

Un camp d’une famille d’Aborigènes dans le Nord du Queensland, Australie.

Source: Library of Congress

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Figure 2.2

Un camp Roms à Paris, le 18 décembre 2015. © Jacques Brinon

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Figure 2.3

Camp d’une famille de Lapone au Nord de la Norvège.

Source : Library of Congress

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2. Les nomades «volontaires» Hypernomades

Arrêtons-nous un moment maintenant sur cette autre catégorie de nomade que l’auteur évoque, ces nomades volontaires. Intéressons nous dans un premier temps à cette sous-catégorie de nomades que l’écrivain désigne par le terme d’hypernomades. Qui sont-ils ? Et pourquoi ce terme ? Pour l’auteur, les hypernomades ce sont les créateurs, les artistes.

Il se constitue de «designers, musiciens, publicitaires, auteurs de matrices reproductibles (œuvres d’art ou logiciels) mais aussi cadres dirigeants de très haut niveau.14» ils sont assurément riches et ont de surcroit une plus grand liberté de mouvement de part leur métier et ne disposent plus de bureaux fixes. Ils représentent l’élite, ce sont eux qui «forgent des normes éthiques et esthétiques nouvelles15» que le sédentaire cherche à imiter. Ensemble, ils forment ce que l’auteur appelle une «hyperclasse» composée d’une dizaines de millions d’individus, hommes et femmes confondus, d’où le terme d’hypernomade. De plus, comme je l’évoquais précédemment, la mondialisation a rendu possible un nomadisme marchand dont l’hypernomade est celui qui en profite le plus. Parce qu’il dispose des ressources financières nécessaires, l’hypernomade se sent libre et puissant.

«Maîtres de la mondialisation, ils pensent américain et vivent n’importe où dans le monde en rêvant d’Amérique.16» souligne l’auteur. Il satisfait tous ses caprices ne se refusant rien, il est égoïste et carriériste à l’image de nos hommes politiques français, et dispose d’un ego disproportionné comme certains artistes. L’hypernomade tel qu’on vient de le décrire existe parce que le monde fonctionne sous un système capitaliste, où l’argent dicte ses lois et impose ses normes au détriment des plus pauvres. «Ils constituent le réseau gouvernant le monde, à la recherche de nouvelles conquêtes, en particulier de nouvelles colonies à peupler dans l’espace réel et virtuel17.»

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14 - Jacques Attali, Infranomades, sédentaires, hypernomades, p. 396 15 - Ibid., p. 397 16 - Ibid.

17 - Ibid., p. 32

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Le nomade ludique

La modernité a très nettement amélioré nos modes de vies, et notamment nos modes de transports. Le progrès technologique a généré dans nos sociétés contemporaines des moyens plus rapides et plus sûr pour nous déplacer, que ce soit le train avec le TGV ou l’avion avec les Boeing. Dans ces différentes catégories de personnes, il y a ce que l’auteur appelle des nomades ludiques. Ces nomades ludiques sont pour l’auteur le touriste qui part en voyage, le sportif ou l’amateur de jeux. Il est vrai que la facilitation et l’ouverture des frontières en Europe avec l’espace Schengen par exemple ont accentué ce phénomène de tourisme de masse. La modernité, avec la démocratie et son besoin d’affirmer toujours plus nos libertés, a offert à l’homme une plus grande liberté de mouvements. La télévision, le cinéma et internet ont favorisé le désir chez les infranomades de saisir leur chance et de partir dans un pays du Nord dans l’illusion de rejoindre un eldorado, qui leur permettra de gagner très rapidement beaucoup d’argent pour aider leur famille à rester dans leur pays d’origine.

L’homme moderne, ce sédentaire des villes et villages, est contraint de travailler dans le but d’obtenir un salaire lui permettant de survivre dans nos sociétés capitalistes gouvernées par le pouvoir de l’argent. Il y consacre la quasi totalité de son année pour pouvoir profiter des vacances (ces temps de pauses, d’illusions de liberté) pendant les différentes saisons de l’année pour pouvoir partir ailleurs. «Le rythme de leur vie quotidienne est de plus en plus fragmenté, haché, à l’instar de celui des nomades. La durée de leurs repas se réduit elle aussi : ils sont faits de produits précuisinés, peu à peu remplacés par un grignotage permanent de nourriture portable.18» Les fast-foods se propagent partout dans les villes. L’évolution de la technologie pour le tourisme a même rendu possible le tourisme spatial entre 2001 et 2009 pour sept personnes. En 2020, les russes espèrent proposer des voyages sur la Lune19. Après la Lune, Mars semble être la prochaine destination la plus probable. Les distractions de l’homme pour l’homme sont toujours de plus en plus ambitieuses. ____________ 18 - Ibid., p. 398-399 19 -https://fr.sputniknews.com/presse/201608191027363006-touristes-lune/

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On l’a dit, le nomade ludique c’est aussi le sportif souvent professionnel qui pour des raisons de compétition est obligé de voyager de pays en pays.

Le paroxysme de ces compétitions étant les Jeux Olympiques, ces compétitions multisports qui ont lieu tous les deux ans et qui font se rencontrer des athlètes sportifs du monde entier. Ces évènements sont toujours ultra-médiatisés, et suivis par de nombreux citoyens jusqu’à nos dirigeants politiques, à tel point qu’il n’est pas rare de voir resurgir des tensions géopolitiques entre certains états, appelant parfois au boycott des jeux ou sanctionnant les athlètes par un refus de participation pour des raisons politiques entre pays. L’événement est si important pour certains pays qu’ils décident d’engager des budgets colossaux qui engendrent a fortiori des conséquences dramatiques parfois sur leur économie, ce fut le cas notamment d’un pays comme la Grèce qui accueille en 2004 les Jeux Olympiques.

Ajoutons à cela qu’il existe depuis la fin des années 1990 avec le succès de la musique électronique un nomadisme ou semi-nomadisme répandu chez les musiciens électroniques. Que ce soit dans le domaine des grandes raves-parties, à la base venue tout droit d’Angleterre, ou dans les tecknivals ou free-parties, ces festivals en plein air parfois illégaux ; dans le domaine des discothèques à Ibiza, lieux de vacances festifs ou dans les clubs de la scène techno et électro berlinoise, les artistes électro sillonnent dorénavant les routes pour se produire et organiser des fêtes ou bon leur semble.

Ce phénomène accentue un nomadisme chez le sédentaire, ces «teufeurs» qui peuvent les amener à parcourir des kilomètres pour assister à une de ces teufs (expression tirée du mot en ver-lant «fêtes»). ____________

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3. Le sédentaire : nomade d’un genre nouveau Dualité chez l’homme moderne

Avec la pensée moderne issue du siècle des Lumières, les hommes d’aujourd’hui semblent mener une double vie. En tout cas ils semblent maintenir une bipolarité dans leur mode de vie au quotidien. En choisissant de rester vivre dans un espace confortable, en se sédentarisant dans un pays, dans une ville, dans un village à l’intérieur d’une maison, ou d’un appartement, l’homme moderne entretient une routine où ses déplacements ne se résument qu’à suivre un même chemin de manière cyclique pour aller sur son lieu de travail, faire ses courses alimentaires de la semaine ou rejoindre d’autres personnes qui ensemble constitue son cercle social, autrement dit ses amis ou ses collègues de travail. Ces journées ressemblent à des calques imparfaits des journées passées. Cette routine conduit l’homme moderne qui vit en mégalopole à flâner, à errer.

Dans cet errance, Michel Maffesoli souligne à juste titre que «dans la ville comme monde en miniature, dans tel ou tel «haut lieu» urbain comme ville en raccourci, tout un chacun peut être lui-même et autrui.20» ; à travers cette notation, l’auteur confirme mon propos que j’évoquais un peu plus haut, soit que l’homme moderne maintient une forme de bipolarité , de dualité dans son comportement. Dès lors, il ajoute que «la ville, comme espace plein, lui offre ainsi [...] la possibilité de vivre la multiplicité des êtres qui l’habitent, c’est-à-dire celle d’être, dans le même temps, ici et ailleurs.21» Notons qu’avec Internet, les blogs et les réseaux sociaux, l’homme moderne erre dans un monde virtuel et invente des avatars de lui créant là aussi une dualité similaire à celle qu’offre la ville. Effectivement, la ville offre un tas de lieux différents pour l’homme qu’il devient alors possible pour lui de fréquenter divers lieux susceptibles de provoquer en lui cette dualité, lui permettant par un jeu de rôle comme le poète22 chez Baudelaire, de devenir plusieurs personnes à la fois et d’être, de manière psychique, ici et ailleurs en même temps, d’être dans un sens un nomade d’un genre nouveau. ____________

20 - Michel Maffesoli, Du Nomadisme, Vagabondages initiatiques, p.83 21 - Ibid.

22 - cf. Charles Baudelaire, Les foules, Le Spleen de Paris, 1869.

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Dans d’autres cas, l’homme moderne semble prendre la forme d’un nomade immobile, adoptant une «attitude paradoxale où le voyageur ne se bouge pas tandis que le voyage se meut autour de lui23», cet homme en quête d’aventure à travers diverses distractions : musiques, cinéma, romans, télévision. Moyen de voyager virtuellement, en allumant sa télévision et en zappant les chaines, l’homme moderne se noie sous une vague d’informations, de documentaires animaliers ou autres programmes de téléréalités de notre époque. Une simple pression avec son doigt sur la télécommande suffit à le faire voyager depuis sa télévision fonctionnant ici comme une fenêtre vers un ailleurs, comme pouvait l’être les peintures classiques dans une autre époque. Ce pouvoir de changer d’«ailleurs» juste en appuyant sur un bouton lui confère tout au fond de lui un sentiment de puissance, parce qu’il est en mesure de pouvoir décider, et par conséquent d’avoir l’illusion de contrôler ce qui l’occupe. La réalité en est pourtant très différente. Parce que l’homme contemporain semble s’être soumis à une pensée moderne partagée par tous, dans un esprit d’uniformité, de ressemblance, de normalité qui s’oppose donc à ce qui est étranger – l’étranger étant ce qui perturbe, ce qui change, ce qui déstabilise toute la structure déjà établie – en choisissant d’accepter la protection que lui offrent nos sociétés modernes, l’homme d’aujourd’hui qui vit dans une «société de contrôle24» comme disait Deleuze, ce sédentaire uniformisé se retrouve être ultra-surveillé et soumis à devoir entrer à son tour dans une case, dans une soi disant normalité, avec ses normes éthiques et esthétiques, dictées par des lois morales, sociales, économiques. Tout à coup, les mots de l’écrivain français prennent une dimension de visionnaire : «Cette société si bien réglée par nos technocrates diplômés, coincée entre ses écrans tout neufs, n’est-elle pas en train de crever d’ennui ? Et les pérégrinations incessantes des hippies barbus – ces pèlerins d’Eleusis d’aujourd’hui – n’annoncent-elles pas un exode, une de ces migrations imprévisibles et soudaines dont toutes les espèces vivantes ont le secret, pour se préserver de la mort ?25» ____________

23 - Paul Ardenne, L’art dans son moment politique, Le mythe de la virtualité, Lettre volée, 1999, p.66 24 - Gilles Deleuze : l’art et les sociétés de contrôle ; https://www.youtube.com/watch?v=4ybvyj_Pk7M 25 - J-M Drot, Le temps des désillusions ou Le retour d’Ulysse Manchot, Paris : Stock, 1972, p.64

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C’est dans cette vie quotidienne statique que l’homme moderne stéréotypé des mégalopoles, ce sédentaire voyageant par l’imaginaire, semble apparaître comme un nomade d’un genre nouveau, immobile et bipolaire, qui retrouve dans le multiculturalisme environnant ses désirs de voyage amorçant peut être une révolution, un changement encore indéfini dans sa relation au nomadisme et s’accommodant d’un substitut du voyage par le virtuel. ____________

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III. Dessin et déplacement

Maintenant que nous avons déterminé qui sont les nomades modernes, nous nous arrêterons ici plus précisément sur la figure de «l’artiste-nomade», ou artiste voyageur, pour voir ensemble comment dessin et déplacement peuvent s’articuler dans une pratique artistique contemporaine.

Puis, dans un second temps nous nous interrogerons sur la forme graphique du code des nomades. Comment à travers divers signes et/ou traces graphiques le nomade moderne traduit la notion de passage, la marque de son déplacement dans le monde présent et dans nos sociétés contemporaines.

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1. L’artiste-nomade : voyager et dessiner

De toute évidence, le voyage apparaît être un excellent moyen de dessiner. D’une certaine manière, le corps de l’artiste devient l’outil du dessinateur. Le fait de voyager, de marcher d’un endroit à un autre provoque des traces dans le paysage, qu’il soit urbain ou non. Le travail des artistes du Land Art, ou earthworks ont très largement contribué à répandre ce type d’artistes nomades. Ils réalisent leurs œuvres dans le paysage, fuyant les galeries et les institutions, in situ défini comme : «Œuvre réalisée sur place en fonction de l’espace qui lui est imparti, afin qu’il y ait interaction de l’œuvre sur le milieu et le milieu sur l’œuvre.26» De plus ils «ont souvent recours à des signes simplifiés, comme ceux que l’art minimal a mis en avant : gestes usuels, géométries élémentaires, rythmes modulaires.27» On retrouve dans le travail de l’artiste anglais Richard Long et plus précisément dans son œuvre célèbre intitulée Une ligne faite en marchant cette notion de déplacement à travers le dessin. «Bien que cette action ait enlevé très peu de matière, et qu’aucune n’ait été ajoutée, la ligne se découvrait dans le motif de la lumière reflétée par l’infinité des brins d’herbes piétinés.28» On peut effectivement parler de dessin ici par l’utilisation des notions de trace et de ligne, propre au dessin. L’action même sur la matière que sont les brins d’herbes marque inexorablement le déplacement de l’artiste dans le monde réel. Autre artiste plus contemporain, l’artiste brésilien Marcelo Moscheta est sans aucun doute lui aussi un artiste-voyageur.

On peut établir des analogies dans certaines de ses œuvres avec celles de Richard Long, ou Stanley Brouwn notamment dans sa série Stones que nous avons vu un peu plus haut. Il réalise de nombreuses résidences dans des endroits isolés et désertiques comme l’Arctique où il réalise une série de quatre photographies qu’il intitule A Line In The Arctic (figure 3.2) : ces photos représentent une ligne droite jaune tracée au milieu des blocs de glaces, par anamorphose, dans un paysage gelé de l’Arctique rappelant l’œuvre Une ligne faite en marchant (figure 3.1) de Richard Long. ____________

26 - Mathilde Ferrer, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, Ecole Nationale Beaux Arts, Paris, 2002, page 133.

27 - Michel Maffesoli, Du Nomadisme, Vagabondages initiatiques, p.83 28 - Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Traces, fils et surfaces, Zones Sensibles, 2011-2013, p. 63

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Dans son œuvre Displacing Territories : Project for the Border Brazil/Uruguay (figure 3.3), l’artiste documente les positions GPS exactes d’une cinquantaine de pierres qu’il collecte durant ses marches dans une zone proche de la frontière entre le Brésil et l’Uruguay, puis qu’il ramène au Brésil. Dans un second temps, il réalise des dessins réalistes des pierres sur PVC, de manière à donner une dimension d’archivage très stricte. Son rapport avec le paysage, le territoire qu’il expérimente et le voyage rappelle l’image du voyageur romantique du XIXe siècle, bien que l’artiste joue sur deux côtés : le côté poétique et le côté plus rigoureux des sciences et des mathématiques afin d’apporter une dimension d’archive et de documentation scientifique. ____________

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Figure 3.1

Richard Long A line made by walking Angleterre 1967

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Figure 3.2

Marcelo Moscheta A Line In The Arctic Lambda, impression, mĂŠthacrylate, EPS Ensemble de 4 images - 50 x 80 cm chacune 2012

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Figure 3.3

Marcelo Moscheta Displacing Territories: Project for the Border Brazil/Uruguay 55 dessins au graphite sur panneau de PVC, fer, et attache en fer, feuille magnĂŠtique, plexiglas 300 x 600 x 300 cm 2011

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Autre exemple caractéristique de l’artiste-nomade qui va nous intéresser dorénavant, le cas de l’artiste Francis Alÿs. Sa pratique artiste est très intéressante, elle se révèle être souvent des actions politiques et poétiques dans la ville ; politique dans le sens ou comme le dit l’artiste : «La racine de politique est polis. À partir du moment où la ville est choisie comme champ d’expérimentation, le domaine du travail est par définition politique, au-delà de tout engagement personnel.29» Dans l’œuvre qu’il réalise en 2004 à Jérusalem (figure 3.4), qu’il intitule «Sometimes doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic ; the green line30» l’artiste déverse cinquante huit litres de peinture verte sur 24 kilomètres de distance qu’il réalise lors d’une marche, le long de la «ligne verte» et qui, Sophie Lapalu nous le rappelle, fut «tracée en 1948 après le cessez-le-feu signé le 30 novembre 1948 entre Moshe Dayan, commandant des forces israéliennes de la région de Jérusalem, et Abdullah al-Tal, représentant des Légions arabes et des autres forces dans la région de Jérusalem. Les lignes furent dessinées, séparant ainsi Jérusalem-est et Jérusalem-ouest.31» cette ligne marque donc une frontière que l’artiste vient matérialiser à l’aide de la peinture.

Cette action de marcher pour marquer la frontière dans cet endroit très policé, interroge irrémédiablement la liberté d’action de l’individu. Par un geste qui peut sembler banal, l’œuvre politique en devient poétique. Le déplacement de l’artiste en est là aussi matérialisé sous forme graphique, au travers de la ligne verte de peinture. Dans l’œuvre The collector (figure 3.5), l’artiste dessine un portrait de la ville à partir des déchets récoltés par le chien aimanté, inspiré semble-t-il des chiens errants dans la ville de Mexico, qu’il tire en laisse lors de ses déambulations dans la capitale mexicaine. L’artiste fait de la marche une discipline artistique. Il élabore un travail de recherche autour de son propre déplacement comme un outil pour s’insérer dans le flux citadin, afin de mieux le révéler.32»

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29- Sophie Lapalu, Sur les pas de Francis Alÿs : de l’action à l’exposition http://sophielapalu.blogspot.fr/2009/04/sur-les-pas-de-francis-alys-de-laction.html 30 - «Parfois faire quelque chose de poétique peut devenir politique et parfois faire quelque chose de politique peut devenir poétique; La ligne verte» 31 - Sophie Lapalu, Ibid.

32 - Ibid.

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Figure 3.4

Francis Alÿs «Sometimes doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic ; the green line» Jérusalem 2004

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Figure 3.5

Francis AlĂżs The collector Mexico 1991-2006

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2. «Modern Nomad Codes» graphiques.

«En fait, le dessin renforce le lien qui nous unit étroitement à notre milieu, car il exprime la présence de l’homme. C’est le moyen par lequel nous pouvons comprendre et élaborer notre environnement, le déchiffrer et l’accepter en y laissant des marques, des traces ou des ombres pour indiquer notre passage.33» pouvait-on lire dans les premières pages de l’ouvrage Vitamin D2. Ces traces, ces marques de notre passage sont visibles partout. Il suffit de regarder autour de nous pour s’apercevoir que la ligne est partout. Ces lignes créées par les angles d’une architecture géométrique, le marquage au sol de nos routes pour faciliter la circulation, les traces blanches dans le ciel bleu laissées par la combustion du kérosène des avions ou l’immense traînée d’écume provoqués par les bateaux qui fendent la mer pour nous faire voyager... Toutes ces traces traduisent le déplacement de l’homme moderne dans le paysage.

Code graphique du marchand Nous l’évoquions un peu plus haut, la signalisation routière verticale et horizontale qui correspond au marquage dessiné sur les routes et aux panneaux signalétiques que l’homme moderne a inventé constitue un premier code graphique, un Modern Nomad Code à mon sens. Ces lignes, ces symboles graphiques aident l’homme moderne, le nomade contraint par son métier à sillonner les routes, tel le routier ou les représentants de commerce que nous avions déjà évoqués précédemment. L’homme moderne a dû développer ce code graphique pour améliorer les moyens de se déplacer et satisfaire un nomadisme marchand toujours plus grand. On retrouve dans le pictogramme des signalisations des routes et dans la nécessité pour l’homme de nommer les noms des rues de nos villes une forme de code graphique qui aide là aussi l’homme a, d’une part s’orienter, mais qui d’autre part symbolise la trace de son passage dans ces lieux ; la publicité dans la ville participe aussi à marquer le passage de l’homme, toujours dans un but de marchandisation. Elle se veut de plus en plus graphique, le but étant d’aller à l’essentiel pour séduire ses futurs consommateurs. ____________

33 - Extrait de texte - Vitamin D2, Nouvelles perspectives en dessin, Phaidon, 2013.

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Figure 3.6

Quelques signes du code graphique des hobo, appelé hobo glyphs. Ici, l’image fait mention de codes graphiques modernes signifiant : Réseau sans fil ouvert.

Huile de friture disponible pour diesel bio.

GPS vous affichera ici.

Carte Discover acceptée.

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Rappelons ici que même le hoboglyphs, ce code graphique développé par les hobos, ces travailleurs vagabonds des États-Unis du début du XXe siècle, a su s’adapter aux besoins modernes (figure 3.6) ; bien qu’aujourd’hui le hobo qui se déplaçait avec les trains se fait de plus en plus rare, depuis un renforcement de la surveillance des trains et des risques judiciaires importants encourus. Ce code graphique a d’ailleurs fait émerger avec internet des rumeurs notamment en France autour d’un code graphique que les cambrioleurs auraient inventés. Ce hoax que les gendarmes relaient sur un compte Facebook en 2014 s’empresse d’être repris par les journaux médiatiques, à tord visiblement34. Effectivement, pour Jean-Bruno Renard, spécialiste des légendes urbaines : «Ces signes, qui ont été partiellement vrais à la fin du 19e siècle et au début du 20e, sont maintenant clairement une légende urbaine35», seulement ces légendes participent néanmoins à stigmatiser davantage la communauté nomade des «gens du voyage».

Inspirés eux aussi du hobo glyphs, des étudiants londoniens en architecture inventent dans les années 2000 le CraieFiti (figure 3.7) ou warchalking36, qui permet de marquer à l’aide de craie sur le sol ou les murs, des symboles qui permettent d’informer au nomade sans fil les zones où il est possible de se connecter au wifi gratuitement dans la ville.

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34 - http://www.lci.fr/societe/la-gendarmerie-devoile-les-signes-qui-annoncent-un-cambriolage-1546676. html ainsi que le site: http://www.hoaxbuster.com/dossiers/les-signes-des-cambrioleurs 35 - Jean-Bruno Renard, «Le tract sur les signes de reconnaissance utilisés par les cambrioleurs : rumeur et réalité», in Patrick Tacussel dir, «Le réenchantement du monde - La métamorphose contemporaine des systèmes symboliques - Actes du colloque «Sociologies IV» tome II», L’Harmattan coll Mutations et complexité, 1994.

36 - http://craiefiti.free.fr/

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Figure 3.7

Marque de CraieFiti ou warchalking en anglais, symbole en forme de deux arcs incurvés signifiant qu’il y a une bande passante de wifi à proximité permettant l’accès à Internet sans fil, sur le trottoir dans une rue en Angleterre.

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Code graphique de l’artiste-nomade

Mais ce code graphique se montre aussi dans le graffiti et le tag qui inondent les murs de nos villes aujourd’hui. Notamment à Athènes, j’ai été surpris lors de mon séjour par la quantité de tags et de graffitis qui recouvrait les murs de certains quartiers de la capitale. Ces traces graphiques furtives traduisent parfois des revendications sociales, parfois elles évoquent simplement une forme d’appartenance à un groupe. Mais surtout, à leur manière ces traces conservent le déplacement de l’artiste, qu’il soit de rue ou non. Rappelons ici que chez les artistes contemporains, nombre d’entre eux sont d’une certaine façon des nomades de part leurs multiples déplacements dans divers pays, que ce soit pour exposer, être présents dans une foire d’art contemporain ou pour réaliser une œuvre sur place ou en extérieur, comme nous l’évoquions dans le premier chapitre avec comme exemple le street-artist anglais Banksy, bien que nous pourrions aussi citer le français JR, ou encore l’américain Shepard Fairey (Obey). Ce code graphique, on l’a vu, prend diverses formes aussi à travers les artistes des années 1960-70, que ce soit avec les artistes du Land Art comme Richard Long, Michael Heizer, Walter De Maria (figure 3.8) ou Dennis Oppenheim, ou plus contemporain pour nous, l’artiste asiatique Shigeko Hiragawa ou l’artiste brésilien Marcelo Moscheta ; ou encore avec les artistes-nomades comme Stanley Brouwn ou Francis Alÿs pour ne citer qu’eux qui façonnent le paysage grâce à leur corps en mouvement utilisé comme un outil. Leur passage devient une trace graphique laissée dans le paysage. D’ailleurs, j’ajouterais pour amorcer ce qui va nous occuper ci-après que d’une certaine manière, les artistes du Net Art, qui créent des œuvres en réseaux disposent eux aussi d’un code graphique très spécifique sur lequel nous nous arrêterons maintenant.

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Figure 3.8

Walter De Maria A Long Mile Drawing États-Unis, dÊsert de Mojaves 1968

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Code graphique virtuel A nouveau, le progrès technologique si caractéristique de la modernité, l’invention de l’ordinateur, du téléphone portable et d’Internet deviennent des objets, des outils d’un nomadisme moderne et virtuel. Ce sont «des substituts aux voyages [pour les sédentaires], et, pour les nomades, des moyens de rester en relation entre eux et avec les sédentaires37».

Littéralement, ces objets deviennent le prolongement de notre corps, autrement dit des «extensions de nous-mêmes38». La mondialisation, on l’a dit, a favorisé la liberté d’information notamment via Internet. Ces informations que l’on s’efforce de retweeter, de partager sur les réseaux sociaux deviennent accessibles en un simple clic. On se promène dans un monde virtuel tous les jours lorsqu’on se connecte sur la toile et que l’on clique, tag, like, ou commente sur Internet. L’aspect virtuel à la faculté de rendre le voyage immobile. On peut désormais voyager virtuellement tout en restant confortablement assis dans la réalité physique. Toutes ces actions que l’on réalise depuis notre ordinateur marquent notre passage dans un monde virtuel, et fonctionnent comme des traces graphiques d’un nomadisme 2.0 qui sont composées de nombres binaires et de lettres. Dans la (figure 3.8), de gauche à droite, nous voyons une suite d’instructions qui compose un programme sous la forme d’une série de codes binaires, puis au centre la console de commande est ouverte et nous laisse voir en fichier texte tout l’environnement graphique de la page internet ; enfin à droite on voit l’action réalisée dans la réalité de la personne en train de naviguer sur le web. D’une certaine manière, ce code graphique composé de chiffres et de lettres représente la trace du déplacement immobile de l’homme moderne voyageant dans cet espace virtuel.

On peut dire ici que l’informatique a inventé une nouvelle forme de nomadisme dans un espace virtuel. On associe d’ailleurs à ce monde les termes de toile, de réseaux, constitués d’une succession de lignes invisibles, de points qui s’interconnectent, de codes renvoyant directement au monde graphique du dessin, à un langage graphique codé qui se propage, se déplace par les ondes, faisant aussi de lui un Modern Nomad Code. ____________

37 - Jacques Attali, L’Homme nomade, p.417 38 - Marshall, McLuhan, Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Essai, 1968.

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Figure 3.8

Quatre captures d’écran sur fond noir de la vidéo Beauty Of Mathematics, montrant ce qu’il se passe en code informatique lorsqu’on passe d’une page Internet à une autre.

Par Yann Pineill & Nicolas Lefaucheux https://vimeo.com/77330591

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Figure 3.9

Salle de contrĂ´le de la NASA 2005 80 - Modern Nomad Codes -

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Conclusion

Cet objet d’étude nous a permis de mettre en lumière le fait que le dessin dans le monde actuel est une véritable matière vive pour l’expliquer, le raconter, le critiquer ou même le dénoncer. Parce qu’il est si rapide dans son exécution, le dessin est un moyen efficace de s’approprier des faits actuels et de les mettre à distance. Peu importe la forme employée, le dessinateur réussit toujours à capter l’essence des sujets qui l’intéressent pour offrir au spectateur de manière subjective une forme d’intimité et de vérité spontanée. De plus, on l’a vu, mondialisation, progrès technologiques et modernité ont amené des changements dans le nomadisme moderne. L’empire capitaliste – ­ en créant un nomadisme marchand – accentue toujours plus les écarts sociaux et économiques. Le monde se constitue dès lors de nomades contraints pour des raisons de survie ou dans l’espoir d’une amélioration de leur vie à migrer. A l’inverse, d’autres nomades qui se sentent prisonnier de la modernité, ont soif de liberté et décident volontairement de partir. Au milieu, il y a le sédentaire, qui par volonté de sécurité, décide de se soumettre à cette même modernité démocratique qui lui fait croire à un semblant de liberté ; notamment, on l’a vu, par le biais des nouvelles technologies et d’Internet qui lui permettent de s’évader, de rêver, de voyager tout en restant immobile et de se contenter d’imiter une élite de nomades, cette hyperclasse représentative de la première plus grande puissance du monde. Tous ces déplacements génèrent des traces graphiques ou non, mais qui participent dans un sens à faire histoire : l’histoire des hommes. Nomadisme et sédentarité ont depuis toujours rythmé la vie des hommes.

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Ainsi, dans une volonté de transmission, ces traces graphiques que les hommes produisent dans leurs déplacements sont conservées, archivées, et transmises, on le voit très nettement par exemple en Afrique, dans le village de Tiébélé connu pour ses maisons recouvertes de signes racontant leur histoire, qui sont réalisées par les femmes afin de conserver et transmettre la culture Kasséna. Ces traces traversent le temps comme le dessin, qui est présent depuis les cavernes des premiers hommes à l’homme moderne du XXIe siècle et nous disent, nous racontent, nous signalent ou nous aident à imaginer notre monde contemporain.

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Bibliographie Paul Ardenne, L’art dans son moment politique, La lettre volée, 1999.

Jacques Attali, L’Homme nomade, Fayard, Paris, 2003.

Robert Baccou, Traduction nouvelle avec introduction et notes, Platon œuvres complètes, La République, Paris, 1950.

Dominique Baqué, Pour un nouvel art politique De l’art contemporain au documentaire, Éditions Flammarion, Paris, 2004 ; coll. «Champs», 2006.

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Thierry Davila, Marcher, Créer : Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Éditions du Regard, Paris, 2007.

Emma Dexter, Vitamine 3D : Nouvelles perspectives en sculpture et installation, Phaidon, Collection Beaux Arts, 2010.

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J-M Drot, Le temps des désillusions ou Le retour d’Ulysse Manchot, Paris, Stock, 1972.

Mathilde Ferrer, Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945, École Nationale Beaux Arts, Paris, 2002.

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Magazine, Roven n° 08 – Automne-Hiver 2012-2013, Roven Éditions, 2012.

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Gérard Xuriguera, Le Dessin le pastel / L’aquarelle dans l’art contemporain, Éditions Mayer, Paris, 1987.

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REMERCIEMENTS

Un remerciement tout particulier à mon ancien professeur d’histoire- géographie et ami, Benoit Drouot, pour m’avoir offert le texte en avant-propos de mon mémoire ainsi que pour m’avoir relu, corrigé et si souvent bien conseillé. Claire Malrieux pour sa confiance et son regard pertinent sur mon travail. Eric Harasym pour ses références bibliographiques toujours si justes. À mes proches pour m’avoir relu et soutenu jusqu’au bout.

Qu’ils soient tous remerciés pour leur investissement et leur aide.

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