Théo Jarrand 2018
COPRS / ARCHITECTURE
Les nouvelles relations sous la direction de:
Georges TEYSSOT
L’architecture sensorielle par l’expérimentation des matériaux numériques
Sommaire
Introduction
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Partie 1: la matérialité par le numérique
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I_ l’avènement du numérique
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II_ le numérique vers les recherches transdisciplinaires
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II_ matérialité, l’introduction du numérique vers de nouvelles possibilités
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Partie 2: dialogue numérique et l’architecture du sens
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I_ Une architecture qui dialogue avec son environnement
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II_ Comment l’architecture éprouve le corps ?
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Conclusion Bibliographie
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Introduction
L’avancée du numérique, que ce soit dans le domaine de l’architecture, ou dans nos habitudes de vie, n’est maintenant plus une supposition, il ne fait plus aucun doute que, de par son omniprésence dans notre environnement, le numérique ait engendré de puis quelques années maintenant un bouleversement de notre culture. En effet il est possible de comparer le numérique à une véritable révolution dans le monde des données et surtout pour l’architecture. Il permet un traitement beaucoup plus rapide et fin des données massives engendrées par l’explosion quantitative des data numériques, mais aussi et surtout l’expansion de ses informations en les mettant a porté de tous grâce à l’open data. L’accès universel à un grand nombre de données est considéré par certains comme la plus grande avancée du numérique en changeant notre rapport au monde, et surtout à l’espace physique, il fait apparaître un nouveau dialogue avec notre environnement, et ce à toutes les échelles. En architecture cela engendre l’apparition d’une nouvelle matérialité avec des matériaux dits «intelligents» induit par l’appropriation de données émanant d’autres branches de recherches telles que la médecine, la biologie, ou encore l’ingénierie. Effectivement cette transdisciplinarité induite par le numérique est synonyme de nouvelles perspectives et permet de remettre l’Homme et son corps au centre des recherches. Car en produisant de nouveaux matériaux interactifs, le numérique renverse notre vision de la réalité sensible et donc nos perceptions tactiles, olfactive, et visuelles entre autres. C’est ainsi qu’émerge une nouvelle façon de vivre l’espace, de le ressentir, l’hyperpersonnalisation sensorielle de l’architecture pour l’usager.
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La matérialité par le numérique
intéressant de se pencher du côté des pays émergents ou en voie de développement où les changements comme la « révolution mobile » symbolisée par l’accès universel à la téléphonie mobile par exemple, sont massivement provoqués par le numérique. Avant toute chose, il serait important de clarifier ce thème si souvent employé qu’est l’ère du numérique et plus précisément le terme « numérique ». En effet, il serait difficile de parler de la culture numérique sans approfondir le sens du mot « numérique » lui-même. Pour Marcello Vitali-Rosati2, « L’édition numérique fait partie d’une série complexe de pratiques qui jalonnent désormais notre quotidien, mais il faut maintenant clarifier la signification d’un mot omniprésent dans notre langage dans le but de développer un esprit critique par rapport aux caractéristiques spécifiquement “numériques” des modèles actuels »3. Si l’on revient au sens premier du terme, le « numérique » est utilisé pour caractériser un mode d’enregistrement de sons, d’images, ou de vidéos en opposition avec le terme « analogique » basé sur un processus d’échantillonnage à la base de toutes les technologies électroniques qui fonctionnent à partir de chiffres discrets en base 2, c’est-à-dire en code binaire avec des 1 et des 0. Cette explication du mot numérique permet de comprendre le sens original du terme, mais n’est pas suffisante pour en comprendre cette généralisation dans notre langage et son utilisation parfois erronée. L’on entend souvent parler de révolution
L’avènement du numérique L’émergence du numérique pourrait compter parmi les trois grandes inflexions ou évolutions de l’humanité, au même titre que l’invention de l’écriture, qui entraîna le développement des villes, et routes, et l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg1 qui permit l’émergence des Lumières au XVIIIe siècle. Même si certaines personnes doutent de l’existence de cette révolution de par le fait qu’il est difficile de s’extraire du contexte actuel devenu le « tout numérique » il est possible de percevoir les évolutions de fond induites par le numérique. Les incidences sur l’espace physique ne sont pas immédiates comme cela a été le cas avec l’électricité. Au début, elle n’a rien changé à la forme physique des villes, mais lorsqu’elle a permis les ascenseurs, l’éclairage électrique (donc des bâtiments de plus grande envergure, toujours plus hauts) l’architecture a changé. Les villes de l’avenir ne seront pas forcément comme celles que l’on connait par le biais du numérique. Pour mieux les observer, il serait
2,4 Marcello Vitali-Rosati (1979- ...), philosophe du virtuel et de l’identité numérique et des questions qui s’y rattachent. Détenteur d’une maîtrise en Lettres et philosophie de l’Université de Pise (1998-2002), et d’un doctorat en Philosophie et Littérature et civilisation française de l’Université Paris IV Sorbonne (2003-2006). Professeur au Département des Littératures de langue française de l’Université de Montréal depuis 2012, il devient titulaire en 2016 de la Chaire de recherche du Canada sur les Écritures numériques. 3 Interview de Marcelo Vitali-Rosati tirée du journal Le Monde datée du 13 mai 2015.
Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg (1400 1468), imprimeur allemand dont l’invention des caractères métalliques mobiles a été déterminante dans la diffusion des textes et du savoir.
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Herjolfsdalur
fig.1: Gemini by Neri Oxman,Stratasys Connex Technology, CNC milling Paris, France, 2013..
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fig.2: Gemini by Neri Oxman,Stratasys Connex Technology, CNC milling
numérique ou de révolution technologique, mais ces expressions commencent à devenir des expressions passe-partout qui servent à définir un ensemble de pratiques qui caractérisent notre quotidien et dont nous avons peut-être encore du mal à saisir la spécificité. Cette difficulté pour des non-initiés à discerner l’ère du numérique et l’âge de l’information est courante et entraine une mauvaise interprétation de ce qu’est le numérique comme le signalent certains philosophes comme Marcello Vitali-Rosati4 ou encore Nicholas Negroponte5. Dans son essai de 1995, L’Homme numérique6, Negroponte, qui n’est autre que le fondateur de Media Lab du Mas-
sachusetts Institue of technologie (MIT)7, appuis le fait que ces termes sont en opposition. L’un repose selon lui sur une consommation de masse anonyme, tandis que l’autre mobilise les préférences individuelles. Le numérique est donc devenu depuis presque 30 ans maintenant omniprésent dans notre environnement allant de notre magasin jusqu’à la brosse à dents. En architecture le numérique a permis une révolution au niveau de la conception et de la réalisation en abolissant les barrières techniques, il est maintenant présent à toutes les étapes du processus. Même si l’on traite ici principalement de l’architecture, le numérique est un domaine transdisciplinaire qui ne cesse d’évoluer et de s’immiscer dans nos vies en influençant notre comportement et notre rapport aux choses.
Nicholas Negroponte, né en 1943, est un informaticien américain d’origine grecque, professeur et chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Fondateur du Media Lab du MIT en 1995. 6 Nicholas Negroponte, L’Homme Numérique, New York, 5
Massachusetts Institue of Technologie, est un institut de recherche américain et une université, spécialisé dans les domaines de la science et de la technologie située à Cambridge,
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1995, traduction française Paris, Robert Laffont,1995.
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données et le savoir pour les faire fonctionner ce qui a eu pour effet de ralentir les avancées dans ce domaine. Nous avons vu plus haut que le numérique était responsable de la transmission rapide des données et c’est ce qui a permis à d’autres branches comme l’architecture puis la médecine de s’approprier cette technologie. En effet certains architectes ont eu accès à ces données et les ont adaptées à leurs besoins, c’est ainsi que des nouvelles techniques d’impression 3D intégrant cette fois si la couleur ou la matérialité ont été inventées. Grâce à cette transmission rapide, c’est maintenant au tour de la médecine de faire des avancées dans cette voie en l’utilisant pour imprimer des tissus, des os, ou encore des prothèses et même des organes fonctionnels. Sans la communication et la reproduction rapide des données permises par le numérique, le partage des compétences et des technologies entre les ingénieurs, médecins et architectes se serait fait de manière moins intuitive et plus lentement. Cette transmission de savoir se retrouve aussi dans le domaine des sciences physiques qui participe de manière importante à faire évoluer l’architecture expérimentale d’aujourd’hui par le biais du biomimétisme. En effet de nombreux architectes ou designer intègrent des scientifiques comme des biologistes, des géologues, ou des chimistes à leurs équipes de recherches à l’image de l’architecte israélienne Neri Oxman8 au sein de son Media Lab rattaché au MIT. Dans ce cas présent, le numérique permet la traduction et l’application des données issues des recherches scientifiques.
Le numérique vers les recherches transdisciplinaires Avec sa diffusion à l’échelle planétaire et sa rapide propagation, le numérique est entré dans les mœurs de nombreux domaines, de la médecine à l’art, en passant par l’ingénierie, les sciences sociales et physiques, l’architecture, l’économie, etc. En effet, en facilitant la communication et la transmission des données le numérique a permis à différents domaines de recherches de collaborer afin d’ouvrir de nouvelles perspectives et de nouveaux points de vue. Prenons pour illustrer ces propos l’exemple de l’impression 3D numérique d’objets. Cette technologie qui parait encore pour la plupart d’entre nous récente alors qu’elle a été créée depuis bientôt 35 ans a des fins de production de pièces non standards et complexes pour l’ingénierie de pointe. Pendant de nombreuses années la technique d’impression additive tridimensionnelle a été exclusivement utilisée par les grandes entreprises automobiles, aérospatiales, ou encore informatique à cause du fait qu’elles seules possédaient les
Neri Oxman est une designer et architecte israélienne née en 1976. Elle est diplômée du Technion, elle a étudié la médecine à l’Université hébraïque de Jérusalem avant de suivre les cours de l’Architectural Association School of Architecture de Londres et, plus tard, du MIT en architecture. Elle a fondé le MaterialEcology design lab
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Matérialité, intégration du numérique vers de nouvelles possibilités
comme c’est le cas pour le béton ou le plastique. D’après Antoine Picon10 dans son livre Culture numérique et architecture : une introduction11, il semblerait que les matériaux soient également dépendants de la culture. Or nous avons vu précédemment que nous sommes passés à une culture dite numérique, ce qui explique la création de ces matériaux composites et intelligents qui vont changer la manière de percevoir notre environnement et notre manière d’interagir avec lui. Afin d’avoir une image plus précise de ce que le numérique peut apporter aux nouveaux matériaux, il serait intéressant de se baser sur quelques exemples. Imaginons par exemple un béton avec des capteurs de force capable de reconnaitre la présence de personnes marchant sur la surface et ainsi par le biais de systèmes électroniques, envoyer un signal électrique afin d’allumer un éclairage urbain. Cela permettrait d’éclairer de manière intelligente et de réduire notre empreinte énergétique. Cette pensée de villes intelligentes ou Smart Cities bouleverse totalement la place de l’Homme vis-à-vis de l’architecture. En effet, on assiste maintenant à une forme de communication entre la ville et l’usager, car elle devient pratiquement comme une unité pensante, qui interagit avec son environnement pour une meilleure adaptation spatiale et sensorielle à l’individu.
Cette transdisciplinarité avancée par le numérique a fait apparaître de nouveaux matériaux nés du partage de connaissances issues de différents domaines. Grâce à Braden R.Allenby9, nous savons maintenant que l’Homme privilégie la quantité à la qualité ce qui lui vaut d’être catégorisé comme un écosystème de Type I, l’associant à de l’éphémère. A contrario, les forêts millénaires appartiennent à un écosystème de Type III de par leur formidable adaptation à l’environnement et à leur optimisation énergétique et matérielle. Mais depuis l’arrivée du numérique dans notre culture, on peut observer une inversion des tendances puisque l’Homme cherche dorénavant à se rapprocher de plus en plus de son environnement par l’optimisation des ses matériaux de construction rendue plus accessible par le numérique. Pour certains, le terme matérialité est déterminé seulement par le monde physique et obéissant aux lois qui régissent la nature et nos relations que nous entretenons avec elles. De par cette perspective il serait évident de penser que la matérialité est donc fondée sur la nature seule. Les matériaux semblent eux aussi définis presque exclusivement par des lois physiques objectives, et ce, même lorsqu’ils sont produits de manière artificielle
Le numérique permet de libérer le champ des possibles et de réadapter les matériaux déjà existants à de nouvelles formes de mise en œuvre à l’image des imprimantes 3D utilisant la terre ou le béton. Tout cela rend le non-standard plus accessible ce qui donne Antoine (Maurice Joseph Charles) Picon né en france en 1957 est un professeur d’Histoire de l’Architecture et de Technologie. Il est codirecteur du programme doctoral à la Harvard Graduate School of Design. Il est également enseignant en histoire et en théorie de l’architecture et technologie. 10
Antoine Picon, Culture Numérique et Architecture - une Introduction, Basel, Birkhäuser, 2010; Id., Digital Culture in Architecture, Basel, Birkhäuser, 2010. 11, 12
Braden R.Allenby, né en 1950 est un scientifique environnemental américain, il est professeur au Civil and Environmental Engineering, and of Law, at Arizona State University.
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fig.3: Exoskeletal CORTEX project, 2013
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des éléments à vocation plus sensibles, moins homogènes, plus en lien avec notre mode de vie, nos usages, développant donc nos sens. Ce travail de la forme permis par les nouveaux matériaux engendre une reconsidération de l’espace par notre esprit, mais invite surtout à pousser plus loin la relation individu et matérialité. On sait que certains matériaux créés possèdent des propriétés physiques leur permettant de dialoguer, d’interagir avec notre corps en jouant sur nos sens de la perception. Ces propriétés chimiques ou physiques intéressantes se perçoivent à l’échelle du microscopique, voir du moléculaire, et si elles sont utilisées de manière intelligente peuvent provoquer des stimulus sensoriels au niveau du corps et ainsi lié se dernier à l’espace. Ces nouveaux matériaux commencent à modifier notre manière d’habiter l’environnement en interagissant directement avec notre corps de manière personnalisée. En effet, cette corrélation entre l’usager et son espace ne
qui la vivent, cette dernière doit donc éveiller les sens de l’individu de manière multisensorielle et non pas unisensorielle comme avec la vue. Car l’architecture sensible n’est pas le fruit de l’arrivée du numérique, cette dernière existait déjà avant avec le traitement particulier de la lumière, ou la résonance sonore interne par exemple, mais l’apparition des ces nouvelles données numériques à permis d’exacerber cette sensibilité architecturale en élargissant le champ des possibles.
fig.5: Exoskeletal CORTEX project, 2013
peut être atteinte que lorsqu’un dialogue est engagé, or si on se réfère aux recherches de certains analystes comportementaux on remarque qu’un dialogue n’est pas seulement guidé par la parole, mais fait aussi interagir la plupart de nos sens comme la vue, l’ouïe, le toucher, et la parole. Pour qu’il existe un véritable dialogue entre l’architecture et ceux 14
fig.9: Zoom sur la seconde entrée de l’édifice. (crédit: theo Jarrand). fig.6: 3D Concrete Printing Bench Design Project – Loughborough Design School, 2014.
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Dialogue numérique et l’architecture du sens
que de nombreux architectes à l’image d’Achim Mengès13, Neri Oxman ou encore Vicente Guallart14 travaillent sur des projets visant avec faire réagir l’architecture avec son environnement naturel. Mais avant de pouvoir échanger, il faut avant toute chose commencer par comprendre son interlocuteur qui n’est autre que la nature elle-même dans ce cas. Pour étudier son interlocuteur, les architectes se sont tournés vers les scientifiques afin de mettre en exergue les interactions entre les différents éléments qui composent cette nature. Ce qui est intéressant ici c’est de comprendre comment des chercheurs en biologie ou en physique on pu donner naissance avec l’aide d’architectes à une architecture expérimentale et intelligente en perpétuelle communication avec ce qui le monde qui l’entour. Premièrement pour une étude poussée de la nature à des échelles invisibles à l’œil nu il faut une connaissance pointue dans certains domaines scientifiques tels que la physique moléculaire, ou la chimie organique, et des instruments capables de capter le moindre élément, ou la moindre réaction et de le traduire en un flux de données extrêmement complexe qui va être traduit pas ordinateur. Cette étape n’est rendue possible que par le développement perpétuel de nouvelles technologies issues du numérique comme des supercalculateurs ou des microscopes à force atomique capable de visualiser la topographie d’un échantillon donné. Une fois ces données extraites de la nature il faut maintenant les traiter et les exploiter et c’est a ce moment la que le numérique montre son plus gros potentiel en permettant de faire le
L’arrivée vers le tout numérique pose donc la question de l’évolution de la réalité sensible, car la présence des nouvelles technologies dans notre environnement, et ce à tous les niveaux, n’engendre pas seulement une redéfinition des codes et des signaux visuels, mais également une transformation de nos perceptions tactiles, olfactives, ou auditives. Cette façon différente de percevoir le monde grâce au numérique est a mettre en relation avec la question de la matérialité, car comme le dit Antoine Picon, «la matérialité se rapporte à la façon dont nous faisons l’expérience du monde comme quelque chose qui est à la fois distinct de nous et relié à ce que nous sommes par des multiples canaux»12 (page 12). En résumé, l’on peut dire que la matérialité est indissociable de nos sensations et de notre perception de ce qui nous entoure et qu’avec l’apparition de l’ère du numérique ceci a évolué.
Une architecture qui dialogue avec son environnement
Achim Menges est un architectecte et professeur né en 1975 et diplomé de la AA School of Architecture in London. Il enseigne à l’Université de Stuttgart et a fondé en 2008 le Institute for Computational Design. 13
Nous avons vu précédemment que le numérique permettait un dialogue avec son environnement et c’est avec cette pensée
Vicente Guallart est un architecte espagnol né en 1968. Il a été le chef du Conseil de l’Architecture de barcelone entre 2011 et 2015. Il travail aux confluents de l’architecture, la technologie et la nature. 14
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quelque chose de modulable et paramétrable. Ainsi cette inspiration de la nature que l’on qualifiera de biomimétisme fonctionnel va permettre aux architectes de concevoir une architecture en lien avec cette dernière puisqu’elles réagiront de la même façon à l’environnement. Cette évolution vers une architecture dialoguant avec le monde extérieur est aussi un bouleversement vis a vis de ses interactions avec l’usager, en effet ce dernier va percevoir, grâce aux réactions « naturelles » de l’architecture face à son environnement, une certaine prise de conscience de son espace. L’architecture numérique va donc permettre à l’individu de ressentir l’espace, à la fois intérieur (celui de l’architecture) et extérieur (celui de l’environnement), comme quelque chose de nouveau, de vivant, et en
fig.7: HygroSkin: Meteorosensitive Pavilion, Permanent Collection, FRAC Centre Orleans, 2013.
pont entre chercheurs et architectes. En effet, l’architecte serait incapable de comprendre le sens des informations provenant des expériences, c’est pourquoi certains groupes d’architecture expérimentale intègrent des scientifiques dans leurs équipes. Leur rôle est de donner un sens à ces suites de chiffres et de valeurs, ils participent à l’élaboration ainsi qu’à la conception, rendant encore plus floue la limite entre ces domaines. Une fois ce travail effectué grâce à la transmission numérique, les architectes vont pouvoir intégrer les données scientifiques dans leurs programmes de modélisation 3D ou de simulation afin de les tester. S’en suit un long travail de maquette et de prototypage, car il est difficile de passer d’une échelle microscopique à l’échelle macroscopique de l’architecture. Le numérique permet donc aux architectes d’effectuer une conversion des données pour les faire évoluer faire
fig.8: HygroSkin: Meteorosensitive Pavilion, Permanent Collection, FRAC Centre Orleans, 2013.
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conditions environnementales, par exemple le projet HygroSkin, Meteorosensitive Pavilion construit en 2012 au Frac Centre en France. Dans son projet, bois se conjugue à un matériau composite qui amplifie sa réaction à l’humidité, selon une réplique calculée avec l’aide du numérique des principes matériels des écailles de pomme de pin : la présence d’eau dans la trame des rainures du bois modifie la distance entre chaque microfibre — les dilatant ou les resserrant — et provoque l’ouverture ou la fermeture des orifices. Ce phénomène correspond au caractère « anisotrope » et au comportement hygroscopique du bois : il se traduit par un mouvement incessant d’absorption/désorption pour maintenir l’équilibre du taux d’humidité du pavillon. Celui-ci est ainsi physiquement programmé pour produire des espaces différenciés en termes de luminosité, de ventilation, ou de température. La dimension expérimentale et performative de l’architecture de Menges est ici inscrite dans l’enveloppe même du pavillon, qui ressent et réagit à la manière d’un organisme vivant en fonction de son environnement créant ainsi une perception différente de l’espace par l’individu. Cela permet, et c’est que le numérique innove aussi, d’observer des données normalement invisibles pour l’être humain par exemple le taux d’humidité relative dans notre cas.
permanente évolution. Afin de rendre les choses plus explicites, il serait intéressant de prendre un exemple d’une architecture numérique et expérimentale mettant en relation la nature et l’architecture par l’intermédiaire d’un dialogue entre les deux protagonistes vis-à-vis de l’hygrométrie ambiante. Cette architecture n’est autre que celle de l’architecte et théoricien Achim Menges qui travaille sur une architecture dont
fig.9: HygroSkin: Meteorosensitive Pavilion, Permanent Collection, FRAC Centre Orleans, 2013.
Mais cette expérimentation de l’espace par l’architecture numérique passe aussi par l’exploration des sens de l’Homme et pas seulement celui de la vue comme cela a été longtemps le cas, le numérique nous ouvre maintenant vers une nouvelle architecture sensocorporelle.
le processus de formation est implémenté de paramètres environnementaux et structurels, lui confère une intelligence morphologique amenant un lien entre les capacités écologiques de systèmes matériels et les modulations de l’environnement. Menges conçoit donc, grâce aux croisements des données structurelles, matérielles, programmatiques et contextuelles, des bâtiments « réagissant » par eux-mêmes aux 18
cupe alors une place au centre du processus architectural et des notions telles que l’esthétique, la fonction, le programme ou l’échelle sont soumises à une dimension anthropocentrique. Nous parlerons principalement dans cette partie du travail de neri Oxman, architecte et designer israélienne qui se focalise sur la morphogenèse numérique, et plus particulièrement de son projet Gemini réalisé en 2014. Avec Gemini, Oxman ainsi que le professeur W. Craig Carter et son équipe du MIT se sont intéressé à cette idée de l’acoustique et de comment cette dernière pouvait nous faire ressentir un espace de manière différente, «Gemini se compose de plus de
Comment l’architecture éprouve le corps humain L’architecture s’est souvent attachée à ne travailler principalement que sur le sens de la vue en délaissant tout les autres moyens de communications et de perception spatial du corps, comme on peut le voir avec l’architecture antique basée sur le trompe l’œil ou la recherches des dimensions parfaites et harmonieuses, ainsi qu’avec le mouvement moderne qui lui se concentre sur le cadrage des vues avec une architecture au décor minimal et des lignes géométriques pures avec une subordination de la forme sur le fonctionnel. L’architecture à donc délaissée les autres sens que sont l’ouïe, l’odorat, ou le toucher car elle n’en avait pas encore conscience et que ces sens sont compliqués a contrôler au regard de la vue. Mais grâce au numérique qui entraine une diffusion des informations entre domaines, l’architecture peut commencer l’exploration sensorielle de son espace. Avec l’aide de certains chercheurs et biologistes les architectes on pu par exemple comprendre comment certaines odeurs que l’on trouve agréable nous permettre d’appréhender un espace avec une autre dimension, ou comment le son affecte notre perception de l’environnement architectural. Depuis des années, la tendance portée par l’habitat collectif était de produire une architecture aseptisée afin de permettre à l’usager de pouvoir s’approprier l’espace en le faisant à son image. Mais avec l’arrivée du numérique et donc des matériaux intelligents il est maintenant possible de créé un espace évoluant en fonction de l’individu. L’homme oc-
fig.10: Gemini by Neri Oxman,Stratasys Connex Technology, CNC milling
40 matériaux avec des combinaisons mécaniques uniques prédéfinies numériquement en fonction des points de pression autour du corps, qui forment un paysage sensoriel». Le design de cet objet que l’on peut qua19
lifier de micro-architecture comprend de nombreuses échelles de mesures allant de la structure à la composition des matériaux qui ont un impact sur les propriétés d’absorption du son. La chaise forme une chambre anéchoïque (qui ne produit pas d’échos) à moitié fermée aux surfaces courbes qui tendent à répercuter le son vers l’intérieur. La structure de la surface disperse le son et l’absorbe et, en l’absence de larges surfaces planes, réduit le son qui autrement rebondirait jusqu’à la source. A plus petite échelle, l’impression 3D de la «peau» intérieure a été désignée telle une cellule tridimensionnelle doublement
bées efficacement. À une nano-échelle, les caractéristiques des matériaux numériques contribuent également à l’absorption du son. Ces matériaux sont par nature élastiques, variant en duromètre (et valeur d’absorption du son) tels une fonction de courbure. Les surfaces les plus courbées sont aussi les plus élastiques, augmentant par conséquent l’absorption du son autour de la chambre. Cette objet réalisé grâce au numérique permet donc de percevoir de manière différente son espace par son corps en intégrant le son comme moyen d’exploration spatial.
fig.11: Réalisation de l’université de Stuttgart. ICD/ITKE Prof.Achim Menges, ICD/ITKE Research Pavilion, 2011. ©ICD/ITKE University
courbée qui propage et absorbe le son efficacement grâce à sa géométrie (par exemple : le son à tendance à rebondir d’une «cellule» à l’autre jusqu’à son absorption totale) et une importante zone par rapport aux rapports volumétriques. En d’autres mots, les caractéristiques de la chaise suivent les longueurs d’ondes sonores, et peuvent par conséquent interagir fortement avec le son et être absor20
fig.12: Réalisation de l’université de Stuttgart. ICD/ITKE Prof.Achim Menges, ICD/ITKE Research Pavilion, 2017. ©ICD/ITKE University
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qui sont indissociables du système de la compréhension spatiale par notre corps. La nouvelle perception sensible de l’espace architectural découle de cette évolution des matériaux dits « classiques », vers des matériaux dits « intelligents » issus du monde numérique où ces derniers vont venir interagir avec l’usager et ainsi agir en fonction de la personne, amenant à une personnalisation de l’espace. Tout ceci pourrait donc nous faire penser que l’arrivée du numérique dans le domaine architectural tend vers une architecture expérimentale des sens et de l’hyperpersonnalisation.
Conclusion L’avancée du numérique dans notre environnement et plus particulièrement dans le domaine de l’architecture engendre certains bouleversements dans la façon de concevoir, mais aussi de percevoir notre espace. Il est vrai que pour la conception architecturale, le numérique a permis d’ouvrir le champ des possibles en instaurant un dialogue entre différents domaines de recherches grâce à une meilleure diffusion des données et un meilleur traitement. Il a également induit une évolution au niveau de la conception/ fabrication en intégrant les outils technologiques tels que les systèmes d’impression tridimensionnels additifs ou les logiciels de modélisation intégrant le paramétrique. Cette révolution numérique a en effet instauré une nouvelle manière de penser notre espace, mais le vrai pouvoir du numérique réside dans la création d’un dialogue entre la nature, l’architecture, et l’être humain. Ce nouveau dialogue est dû à une transformation de la réalité sensible par le numérique présent dans les nouvelles technologies qui vient redéfinir les signaux sensoriels tels que la vision, l’ouïe, l’odorat, et le tactile,
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Bibliographie • Nicholas Negroponte, L’Homme Numérique (New York:1995, traduction francaise Paris, Robert Laffont,1995). • Antoine Picon, Culture Numérique et Architecture - une Introduction, Basel, Birkhäuser, 2010; Id., Digital Culture in Architecture, Basel, Birkhäuser, 2010. • Antoine Picon, Smart cities. Théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur, collection Actualités, Paris, éditions B2, 2013, 120 pages • Braden R.Allenby and Deanna J.Richards: The Greeninig of Industrial Ecosystem, collection National Academy of Engineering, Washington, D.C., 1994, 252 pages.
Sources • http://binaire.blog.lemonde.fr/2015/05/13/antoine-picon-le-sens-de la-villenumerique/ •
http://rhizome.org/editorial/2006/mar/03/dynamic-terrain-janis-panisch/
• http://lelaboratoire.org/DPint-FR%20web.pdf
Références •
Fresh H2O, Pavillon de l’Eau douce, Waterland Neeltje Jans, Zeeland, 1994
• Responsive Surface Structure II Steffen Reichert, HFG Offenbach University of Art and Design, Germany, 2008 Department of Form Generation and Materialisation (Prof. Achim Menges) • Vocal Vibration, Elena Jessop, Charles Holbrow, Rebecca Kleinberger, W. Craig Carter Al Grodzinsky, Tod Machover et Neri Oxman, exposition, Laboratoire Paris et Laboratoire Cambridge, 2014
Theo Jarrand Ambiances, EsthĂŠtique et Architecture contemporaine
2018 SĂŠminaire Master 2