Art et architecture comme outils de perception du monde contemporain
Andreas Gursky et la photographie objective Herzog & de Meuron
Andreas Gursky est un photographe allemand appartenant à l’école objective, formé par Bernd & Hilla Becher. Reconnus internationalement, ses travaux montrent un monde moderne et globalisé. Herzog & de Meuron sont deux architectes suisses. Ils travaillent particulièrement sur les notions de façade et d’image et ont effectué de nombreuses collaborations avec des artistes (notamment des photographes). Ainsi, on peut se demander quelles similitudes présentent leurs démarches respectives, quelles stratégies communes sont développées en photographie et en architecture, quelles visées présentent leurs recherches. Après avoir présenté les travaux des époux Becher, on étudiera l’œuvre d’Andreas Gursky. La démarche et quelques réalisations d’Herzog & de Meuron seront ensuite exposées et comparées au travail des photographes.
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Herzog & de Meuron
Andreas Gursky
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I. Bernd & Hilla Becher, l’école objective allemande 1. Démarche et méthodologie Bernd (1931-2007) et Hilla Becher (1934- ) sont deux photographes allemands qui se sont rencontrés à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. Auparavant, Bernd fut étudiant à Stuttgart et Hilla photographe d’architecture à Hambourg. Ils entament leur collaboration en 1959 en photographiant des maisons d’ouvriers. Dès le début, et tout au long de leur carrière, leur attention se porte sur l’architecture industrielle. Très tôt, les deux artistes définissent des paramètres fixes pour leurs prises de vues, auxquels ils se conforment rigoureusement. Le cadrage sur les bâtiments est resserré pour éliminer tout détail annexe. Chaque construction est saisie individuellement (séparée du reste de la chaine de production industrielle). L’image est nette et contrastée. Les photographies, prises en noir et blanc, sont volontairement neutres et austères. Elles sont prises par temps légèrement couvert afin d’obtenir une lumière homogène et ainsi d’éviter tout effet dramatique. Les bâtiments sont toujours représentés de manière frontale, selon un même angle de vue. Quelle que soit leur taille, ils occupent tous le même espace sur la photographie. Les Becher utilisent des temps d’expositions longs. Il n’y a jamais aucune présence humaine. Tout élément visuel susceptible de séduire le spectateur est évité. Les bâtiments photographiés se trouvent sur des sites industriels désaffectés, souvent voués à la démolition. Ils correspondent souvent à des étapes de la production (à la périphérie des lieux de traitement ou de fabrication) : châteaux d’eau, tours d’extraction, hauts fourneaux, gazomètres, etc. Ce sont souvent les lieux d’une tension énergétique particulière (par exemple, la pression contenue dans les châteaux d’eau). La question du site n’est jamais 6
Bernd & Hilla Becher, Maisons ouvrières
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abordée, les constructions apparaissent comme décontextualisées. Il s’agit d’une « photographie industrielle » au sens propre comme au sens figuré : à la fois représentation de bâtiments industriels et procédé systématique de production d’images. Cette démarque, quasi mécanique, entraine une certaine distanciation du sujet. Les clichés obtenus sont classés selon la fonction des bâtiments photographiés puis divisés en sous-ensembles formels. Les photographies sont réunie pour former des « typologies ». Ce mode de classement s’inspire des travaux du photographe August Sander, qui a réalisé l’inventaire des différents « types sociaux » de son époque. Le résultat de ce travail consiste en des séries de 9 ou 12 clichés, selon un format unique et représentant un même type de construction. L’ambition de cette entreprise artistique est considérable puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un archivage encyclopédique des traces de l’industrie en déclin.
2. Une pratique artistique qui se distingue de la sociologie, l’archéologie et l’histoire A première vue, la démarche de Bernd & Hilla Becher pourrait s’apparenter à un travail documentaire, montrant les vestiges d’une industrie en déclin. Toutefois, ces typologies ne peuvent être comprises comme l’évocation d’une relation entre l’Homme et le monde de l’industrie. En effet, les photographies sont toujours dépeuplées et les bâtiments sont représentés hors de leur contexte. En cela, leurs inventaires se démarquent clairement du travail des historiens, des sociologues ou des archéologues industriels – lesquels étudient les moyens et les conditions de production en vue de comprendre les relations de l’Homme à un milieu. Il n’y a pas d’interprétation univoque ; le sens n’est pas donné immédiatement. Les bâtiment ne concèdent à l’observateur que leurs qualités matérielles. Les Becher se concentrent essentiellement sur 8
Bernd & Hilla Becher, Châteaux d’eau
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le visible : les constructions – qualifiées de « sculptures anonymes » – sont observées pour elles-mêmes. L’attention est portée sur les oppositions formelles entre les différents bâtiments d’une même typologie, les contrastes entre structures simples ou complexes. C’est la cohérence de leur approche systématique et la sérialité des photographies ordonnées en séquences, qui lient leur pratique à un travail artistique. Leur démarche rigoureuse, visant à montrer la variété formelle d’objets purement fonctionnels, et comportant un certain degré d’abstraction, les rapproche d’artistes conceptuels comme Sol LeWitt – qui a notamment réalisé une série sur les plaques d’égout.
3. Mémoire, patrimoine et temporalité Le travail de Bernd & Hilla Becher porte sur l’archive et la mémoire : c’est une interrogation sur la pratique et la formation de ce que l’on nomme un patrimoine, mais également sur la valeur artistique de ces constructions industrielles. Ces photographies construisent la mémoire d’une époque moderne et éphémère – la plupart des bâtiments représentés ne sont plus en fonctionnement et sont donc voués à être démolis. L’inventaire photographique peut apparaître comme le moyen idéal d’une mémoire précise, sans oubli.Toutefois, pour pouvoir se rappeler d’un élément, il préférable de l’associer à un lieu. Ainsi, devant les photographies décontextualisées des Becher, le système mnémotechnique est perturbé. Par ailleurs, certaines photographies sont présentes dans plusieurs séries et leur place à l’intérieur d’une même série peut varier. De ce fait, la réunion des images permet de créer l’identité d’un type mais l’identité de chaque image n’est pas repérable. La photographie nous tient dans l’oubli du référent et s’y substitue. L’œuvre des Becher peut également être comprise comme un hommage aux ingénieurs anonymes qui ont 10
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conçus ces bâtiments, dont l’esthétique résulterait précisément d’une absence de volonté artistique. Bien que les architectures photographiées soient supposées rigoureusement fonctionnelles (la forme suit la fonction), les typologies de Bernd & Hilla Becher montrent que ce postulat n’est pas totalement exact puisque, pour une même fonction, on obtient des constructions totalement différentes. Enfin, ces photographies peuvent être appréhendées selon une triple dimension temporelle. Il y a tout d’abord celle de l’histoire industrielle passée – les artistes ne s’intéressent pas directement à la conservation des bâtiments mais au contraire à leur dégradation ; ils montrent un paysage délébile, en constante évolution. Vient ensuite le temps immobile et suspendu de la photographie, qui saisit les monuments à un stade de leur non-fonctionnement et, pour finir, le temps illimité du travail artistique. Bernd & Hilla Becher ont eu une influence considérable sur la photographie de la fin du XXe siècle. Ils sont à l’origine d’une école de photographie dite « objective », fondée sur leur enseignement à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. Cette objectivité provient de la distance imposée au spectateur par la rigueur de la composition, mais également des fonctions assignées à l’image (description, constat, inventaire). Plusieurs de leurs élèves ont obtenu une reconnaissance internationale. Parmi eux, on compte notamment Candida Hofer,Thomas Ruff,Thomas Struth ou encore Andreas Gursky.
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Bernd & Hilla Becher, Hauts-fourneaux
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II. Andreas Gursky 1. Caractéristiques formelles, échelles et perception Andreas Gursky (1955 - ) est originaire de Leipzig. Il a été formé à Essen, avant de venir à Düsseldorf pour recevoir l’enseignement des Becher. Depuis plusieurs années, il fait partie des grands photographes d’art mondialement connus. Ses premiers travaux, notamment la série des Desk Attendants, se caractérisent par une grande rigueur formelle : des réceptionnistes dans des hôtels ou des grandes entreprises sont photographiés de face, positionnés de manière symétrique. On y perçoit clairement l’influence des Becher, en particulier avec la notion de typologie. Toutefois, Gursky évolue rapidement vers des images ayant un point de vue plus globale. Il prend de la distance vis-à-vis de ses sujets, photographie de vastes paysages naturels, des foules, des architectures. Il introduit une dialectique entre proche et lointain, de l’infime à l’immense. La plupart des photographies montrent une distance irréelle – un point de vue très lointain mais une très grande précision. L’artiste utilise des moyens techniques très performants (travail à la chambre avec format géant, retouches numériques à partir de 1992). Les cadrages sont souvent frontaux ou bien plongeants, donnant alors une impression de vertige. Gursky utilise plusieurs clichés – pris selon des points de vue ou à des moments différents – qu’il réunit en une seule image. Ce travail de réassemblage a souvent pour effet de renforcer l’objectivité de la photographie (par exemple, la correction d’une perspective pour obtenir une vue frontale). Pour lui, « la photographie en tant que telle n’est plus crédible, une construction fictive est désormais nécessaire pour offrir une image juste d’un sujet moderne ». Il oppose à la captation de l’instant, une construction de l’image. Ses photographies présentent toujours un aspect 14
Andreas Gursky, Desk Attendants, D端sseldorf, 1982
Andreas Gursky, Desk Attendants, Duisbourg, 1982
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universel qui transcende le moment de la prise de vue. Andreas Gursky remplace ainsi le travail sériel des Becher par l’unicité d’une image qui concentre toutes les informations. Ainsi, ses photographies recèlent souvent une profusion de détails et une abondance de matières qui contrastent avec le peu de variété des plans d’ensemble. Cela donne l’impression que les œuvres de Gursky ne sont pas destinées à l’œil humain. En effet, le regard ne peut se fixer sur un point de la photographie. L’attention du spectateur doit en permanence effectuer des va-et-vient entre le général et le détail. Regard rapproché et regard englobant se complètent et séparent les dimensions et les hiérarchies des différentes grandeurs. Par ces allers-retours au sein des différents réseaux scalaires de l’image, le regard construit lui-même le perçu qu’il semble être en train de découvrir. Il existe dans les oeuvres d’Andreas Gursky, des tailles identifiables (des Hommes, un bâtiment, etc.) mais l’appréciation scalaire, c’est-à-dire, les interrelations entre la taille et l’échelle de chaque élément, dépend de la culture du spectateur, de ses souvenirs. Ces photographies peuvent ainsi être comprises comme le résultat d’un vécu qui découpe le monde à son échelle. Par ailleurs, les très grands formats utilisés par l’artiste (de 2 à 5m de long), jouent également un rôle important dans la perception de ces images. En effet, afin de percevoir les différents réseaux scalaires en jeu dans une photographie, il est nécessaire que le spectateur s’en approche ou s’en éloigne (adaptation visuelle et corporelle). La question de l’échelle est alors mise en abîme par la taille des images, lesquelles prennent une dimension spatiale. Les photographies sont alors élevées au rang d’objet et acquièrent une valeur propre, en dehors de tout sujet représenté. Gursky crée ainsi un « circuit fermé de la perception » dans lequel l’objet photographié, sa représentation et le support sont variables mais se répondent. En tant que support, les 16
Andreas Gursky, Madonna, 2001
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photographies sont proches de l’échelle humaine, mais en tant qu’image, elles comportent simultanément l’échelle de l’objet (petit) et l’échelle du monument (grand), lesquelles ont tendance à se confondre. Les œuvres de Gursky semblent incorporer le spectateur à l’image car on y perçoit, au minimum, des traces de l’action humaine. Néanmoins, le point de vue éloigné, la distance quasi irréelle qui caractérise ces photos nous privent de tout possibilité d’identification dans l’image. Bien que certaines photographies représentent des situations que l’on pourrait connaître (assister à une marche de skieurs de fond, à un match de football, à une session parlementaire, par exemple), les points de vue adoptés tiennent le spectateur – à l’instar des travaux des Becher – radicalement hors d’atteinte de ce qui se passe sous ses yeux. Il n’en éprouve aucune empathie. Chez Gursky, la distanciation devient un principe esthétique car elle permet au spectateur de « fouiller » librement du regard le moindre recoin de l’image. N’étant pas guidé par ses émotions, le regardeur n’est pas orienté d’emblée vers un point précis de l’image. Ainsi, le spectateur se rend compte de la manière dont il perçoit l’image : il est impliqué dans l’objectivation de son acte perceptif.
2. Dialectique entre abstraction-représentation et références à l’histoire de l’art Les photographies réalisées par Andreas Gursky montrent souvent les lieux non définis (notamment, la série des Untitled). Par ailleurs, l’œil du spectateur lui-même ne parvient pas à trouver son propre lieu à l’intérieur des image : tout est essentiel. L’œuvre de Gursky est parsemée de références aux problématiques picturales classiques. La photographie Mülheim Anglers par exemple, présente une esthétique proche de la peinture du XVIIe siècle (Claude Le Lorrain 18
Andreas Gursky, Bundestag Bonn, 1998
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par exemple). Quelques personnages, au premier plan, sont allongés au bord d’une rivière ; la forêt est présente de part et d’autre. Seule trace de modernité : un pont autoroutier en arrière plan qui vient montrer les limites de cette parenthèse idyllique (en réalité, il s’agit d’un espace très réduit, entouré de bâtiments industriels). Le travail de Gursky, dans cette image, se trouve à la limite entre un paysage qui peut être éprouvé physiquement (photographie réaliste) et une image mentale, faisant référence à l’histoire de la peinture et à la mémoire collective). Il y a une opposition entre la fragilité de l’idylle (en termes d’espace et de temps) et la constance de la représentation mentale. Dans Düsseldorf Airport, l’artiste observe les envies et désirs des gens, au-delà de leur vie quotidienne : des familles se promènent à vélo et s’arrêtent pour regarder les avions décoller, rêvant de voyages auxquels ils n’ont pas accès. La barrière qui les sépare des pistes représente une frontière qu’ils ne peuvent franchir que dans leur imagination. Il s’agit d’un thème déjà exploité dans la peinture romantique (notamment par Caspar David Friedrich) mais réinterprété dans une ambiance contemporaine. Parallèlement aux grands rassemblements et aux photographies d’architectures, Gursky produit également des images dépouillées, ne présentant que peu d’éléments, présentant une rigueur formelle sans compromis, et se situant à la limite de l’abstraction. Pour la photographie Rhein, par exemple, l’artiste a « vidé » l’image, éliminé les détails inutile, afin d’obtenir une composition proche de celle des peintres abstraits comme Kenneth Noland ou Ellworth Kelly. D’autres expérimentations à la limite de la représentation, – comme la photographie d’un livre ou bien de tableaux dans un musée – ont offert un nouveau champ de possibilité à l’artiste. Untitled XII représente une page que Gursky a tapé lui-même, recomposant des fragments d’un 20
Andreas Gursky, M端lheim Anglers, 1989
Andreas Gursky, D端sseldorf Airport, 1984
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texte de Robert Musil. Le spectateur ne lit pas l’intégralité du texte, il a tendance à passer de la lecture à un regard plus global, une nouvelle forme de perception abstraite de la page (à nouveau, l’artiste joue sur la perception et le passage d’une échelle à l’autre) Ainsi, Gursky ne s’intéresse pas uniquement aux objets photographiés mais surtout à la manière de transformer une expérience visuelle spécifique en une image. On peut remarquer un équilibre entre le visible – caractérisé par une forme et une substance -, et l’invisible – qui ne peut être expérimenté que comme une réalité intellectuelle.
3. Interprétation, visées et ambitions Dès le début de carrière, avec la série de Desk Attendants, Andreas Gursky montre ses préoccupations envers la société moderne et le monde du travail. L’intérêt des Becher pour les constructions industrielles s’est transformé en un intérêt pour l’existence humaine et ses comportements. Il montre comment les hommes s’accommodent de l’arrivée de la mondialisation, des nouvelles technologies. Ses photographies, presque abstraites, souvent difficiles à situer, reflètent la vie moderne, mais en évoquent aussi les dangers (perte d’identité, illusion de diversité). Gursky aborde également la manière dont les gens se comportent envers la nature. Ses photographies de piscines, et notamment celle de Tenerife, expriment une tension particulière entre l’homme et les forces naturelles. La piscine, vue de haut, est située au bord d’une falaise, comme suspendue au-dessus de la mer déchainée. Bien que Gursky aborde des sujets qui relèvent de la politique, de l’histoire ou de la sociologie, le sens de ses œuvres n’est pas directement donné par l’image. Il s’agit de photographies « muettes » : d’un état des choses, des actions, des êtres. Chaque homme est isolé parmi ses semblables : la concentration des foules paraît inexpressive, ce 22
Andreas Gursky, Rhine II, 1999
Andreas Gursky, Tenerife Swimming Pool, 1987
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qui peut produire un sentiment d’inhumanité. Le langage plastique créé par l’artiste lui permet de rendre compte du monde non pas tel qu’il est mais tel qu’on le perçoit. L’artificialité de l’image souligne l’artificialité de notre perception du monde. Sur l’ensemble de son œuvre, Andreas Gursky a capturé des fragments du monde globalisé qui ne semblent pas, à première vue, avoir de points communs. Néanmoins, l’ensemble de son travail prend tout son sens lorsque l’on tente de réunir certaines photographies, par complémentarité ou par rapprochement formel. Ainsi, le thème de la grille est souvent présent dans ses travaux : sa répétition introduit des homologies entre des photographies représentant des sujets à priori différents – bureaux, usines, locaux pour le bétail, grand rassemblement de personnes –, et apporte ainsi une nouvelle lecture de l’image. 99 cent qui représente les rayonnages d’un supermarché peut être interprétée en relation avec Untitled XIII, qui offre un panorama sur une décharge à la périphérie de Mexico. Ces deux images complémentaires posent, de fait, la question de la saturation et de l’accès universel aux biens de consommation de masse. La réunion de sujets apparemment différents dans une congruence formelle permet d’apporter une nouvelle lecture au travail de Gursky et le transforme en un « outil de diagnostic de la société ». En tentant de reconstituer, par fragments une « encyclopédie de la vie » dans le monde moderne, l’artiste s’est lui-même imposé une tâche énorme. Son défi permanent consiste à surveiller les évolutions du monde et à réfléchir comment le langage des images pourrait en permettre une meilleure compréhension.
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Andreas Gursky, Fukuyama, 2004
Andreas Gursky, May Day V, 2006
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III. Herzog & de Meuron : architecture contemporaine et rapport à la photographie 1. Démarche, méthode de travail et préoccupations spécifiques Herzog & de Meuron est une agence d’architecture bâloise, créée en 1978 par Jacques Herzog (1950 - ) et Pierre de Meuron (1950 - ).Tous deux ont étudié l’architecture à l’Ecole Polytechnique fédérale de Zurich et ont été diplômés en 1975. L’agence a acquis une renommée internationale depuis la réalisation de la Tate Modern à Londres, entre 1995 et 2000, et la remise du prix Pritzker en 2001 pour l’ensemble de leurs travaux. L’architecture d’Herzog & de Meuron se caractérise par une place importante laissée à l’expérimentation et la recherche artistique. Ainsi, ils ont longtemps collaboré avec l’artiste Rémy Zaugg. a. Collaborations Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont l’habitude de travailler en collaboration, entre architectes mais également avec des scientifiques ou des artistes. Ils estiment que le travail avec des artistes répond à des besoins inhérents à la recherche architecturale. Par ailleurs, la concertation entre artistes, architectes, urbanistes, sociologues, économistes leur paraît indispensable pour inventer les stratégies nouvelles qui permettront de mettre au point l’urbanisme et l’architecture de demain. b. La question du site Les bâtiments d’Herzog & de Meuron ne se distinguent pas par un style ou une signature commune. En réalité, si les domaines d’intérêt de leurs concepteurs sont constants, les concepts à l’origine des projets deviennent invisibles au fur et à mesure que progresse la réalisation. Le résultat final est toujours différent. 26
Herzog & de Meuron, Tate Modern, Londres, 2000
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De plus, la méthode des architectes consiste à prolonger le temps de conception, afin de ne pas restreindre trop rapidement les perspectives. Il s’agit de conserver un point de vue contextuel jusqu’à la fin de la réflexion : intégrer parfaitement l’existant pour rendre le projet plus efficace, mettre en relation espaces nouveaux et espaces anciens et donner à voir l’ensemble sous un jour nouveau. Les édifices d’Herzog & de Meuron ne sont pas le résultat d’une invention architecturale mais bien plus celui d’une lecture critique, de la transformation d’un matériau déjà existant qui se trouve redistribué, transformé par le travail des architectes, à tel point qu’une nouvelle espèce bâtie en émerge. L’objectif est de parvenir à une architecture qui paraît évidente et qui semble avoir été présente depuis toujours. Cela peut induire des apparences très différentes, allant d’un projet banal, discret aux réalisations singulières et spectaculaires. Les architectes opposent au terme « situation », la notion d’installation du bâtiment, laquelle implique une conscience du lieu et fait référence aux installations artistiques. c. L’image comme outil de conception Une des constantes du travail d’Herzog & de Meuron réside dans l’utilisation de l’image – et plus précisément de la photographie – comme outil de conception ; le projet d’une image et l’image comme projet. C’est ce qui explique notamment leurs nombreuses collaborations avec des photographes, et en particulier avec des représentants de l’école objective allemande comme Thomas Ruff. d. La paroi Les architectes bâlois montrent une application particulière à déterminer la peau de leurs édifices. La façade peut avoir différentes fonctions. Il peut s’agir d’une surface transparente, condensation et interface entre l’intérieur et l’extérieur être considérée comme faisant partie 28
Herzog & de Meuron, sĂŠrie de maquettes
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intégrante du bâtiment ou bien comme un élément autonome. Mais parfois, en plus d’un lieu de rencontre entre dedans et dehors, la surface devient le lieu de déploiement d’une qualité expressive autonome. Dès lors, la forme et les matériaux agissent comme des catalyseurs. L’image, considérée comme un matériau, est régulièrement utilisée en façade : sérigraphies et écritures sur verre (Laboratoire Sandoz, entrepôt Ricola à Mulhouse, exposition à Bâle en 1988), et même impressions sur le béton (bibliothèque d’Eberswalde). La façade devient ainsi un lieu où s’inscrivent et se réfléchissent des expériences non matérielles. e. La visibilité Pour Herzog & de Meuron, le visible remplace l’opposition traditionnelle structure – remplissage. La vérité, c’est l’apparence : seul ce que l’on voit importe ; il n’y a pas de « raison constructive », l’architecture peut alors apparaître. L’extrême domination du visible est perceptible à travers l’opération de l’immeuble SUVA, lequel n’a pas été démoli mais simplement revêtu d’une nouvelle enveloppe vitrée, telle une « architecture - vêtement ». f.Typologies et réinterprétations A la manière d’artistes minimalistes qui s’emparent et détournent des constructions, pour Herzog & de Meuron, l’architecture devient son propre « objet trouvé ». Les architectes reprennent des bâtiments types, mais dépassent la typologie traditionnelle en effectuant quelques transformations – ils les « infiltrent d’une invisible transgression ». Ils acceptent la condition de l’édifice mais détournent la tradition.
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Herzog & de Meuron, entrep么t Ricola, Mulhouse
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2. L’exposition d’architecture Herzog & de Meuron ont eu l’occasion d’organiser de nombreuses expositions de leurs travaux. Pour ces présentations, il font souvent appel à des artistes (comme Rémy Zaugg au Centre Pompidou, en 1995), lesquels mettent en valeur voire réinterprètent leurs réalisations. L’exposition d’architecture n’est pas qu’une occasion de présenter des projets déjà achevés, il s’agit d’un projet à part entière. Il s’agit de montrer les « traces de la conception architecturale » : expérimentations formelles, dessins, maquettes, échantillons de matière. Les maquettes correspondent à des objets divers : des plus banals aux plus élaborés. A l’origine, elles ne servent qu’à enregistrer ou communiquer certaines idées, afin de passer à une phase ultérieure du projet. Les expositions d’architecture leur donnent une nouvelle vie. L’exposition Architektur Denkform, au Musée d’Architecture de Bâle en 1988 se caractérise par une appropriation spécifique du lieu et un jeu entre façade et images. En effet, les architectes ont installé des sérigraphies de leurs propres bâtiments sur la façade du musée, puis ont procédé à une mise en abîme en re-photographiant ces images dans leur contexte (avec les reflets des constructions environnantes). Ainsi, les éléments exposés font physiquement partie du bâtiment et les réalisations de Herzog & de Meuron sont mises en comparaison avec les bâtiments alentour. Plusieurs projets ultérieurs réutiliseront le principe des images sérigraphiées en façade. En 1991, à Venise, les architectes bâlois font appel à plusieurs photographes pour réinterpréter leurs réalisations. Il s’agit de Margherita Krischanitz, Balthasar Burkhard, Hannah Villiger et Thomas Ruff. Krischanitz s’intéresse à l’immeuble « Schwitter », abritant un programme locatif et commercial. Elle réalise une série de photographies petit format en alternant les points de vue (plans éloignés ou 32
Andreas Gursky, Centre Pompidou, 1995 Cette photographie représente l’exposition dédiée aux architectes Herzog & de Meuron au Centre Pompidou, en 1995. Elle s’oppose aux autres images réalisées par Gursky dans des musées (tableaux de Turner et de Pollock, vus de face, sans perspective). Ici, l’affichage est virtuellement invisible ; il est subordonné à la matrice spatiale, qui se compose de deux systèmes linéaires en compétition. L’extension latérale est extrême, soulignée par l’alignement des tables et le format allongé de la photographie.
M. Krischanitz, immeuble « Schwitter »
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rapprochés, intérieur ou extérieur, contreplongées ou vues frontales). Par juxtaposition de ces clichés (par exemple, opposition entre la façade principale et la façade latérale), émerge finalement la structure fondamentale du bâtiment : une organisation orthogonale dominée par des plans horizontaux. Elle photographie également le quartier d’Aspern, à Vienne, en mettant en valeur la reproduction d’éléments architecturaux de même forme. De part l’aspect indéfini du sol et la répétition des architectures, l’artiste crée une ambivalence entre intérieur et extérieur, entre public et privé, ce qui suggère l’absence de hiérarchie et l’anonymat qui caractérisent ce lieu. Thomas Ruff, quant à lui, a exposé une prise de vue unique de l’entrepôt Ricola de Laufen. Photographié selon une vue frontale – avec une correction numérique de la perspective –, aucun signe de temporalité n’est présent sur l’image. L’extrémité d’un préau a été artificiellement éliminée. L’éclairage est uniforme. Toutefois, en exposant ce cliché dans un très grand format, Ruff ébranle les conventions habituelles de la photographie d’architecture : il déconcerte le spectateur en associant le banal (l’entrepôt, objet utilitaire) et la grandeur (caractère monumental et autonome du support). Tel que l’a représenté Ruff, l’entrepôt de Laufen peut être compris comme un bâtiment quelconque. Néanmoins l’association de l’artiste avec Herzog & de Meuron n’est pas fortuite. En effet, le regard du photographe représente un monde déchiré entre dissimulation et dévoilement ; de même, les architectes ont conçu un édifice hybride : à la fois bâtiment utilitaire et palais. Il y a donc une rencontre remarquable entre le projet d’architecture et le regard de Ruff. Par ailleurs, Ruff donne une vision du monde sans préjugés, reconnaissant la valeur des matériaux et des formes ordinaires. C’est une approche que l’on retrouve également chez Herzog & de Meuron avec la réhabilitation de matériaux impopulaires comme l’utilisation de panneaux contreplaqués. 34
Thomas Ruff, entrep么t Ricola, Laufen
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3. Quelques réalisations d’Herzog & de Meuron a. La bibliothèque d’Eberswalde, 1994 La bibliothèque d’Eberswalde fait partie d’un campus universitaire comportant des constructions assez hétéroclites. Située en ex-Allemagne de l’est, elle a été construite peu après la réunification. Il s’agit d’un parallélépipède de béton et de verre, « tatoué » de haut en bas de plusieurs séries d’images. La structure n’est pas visible et donne un aspect monolithique au bâtiment. Les façades sont toutes traitées de la même manière ; elles peuvent être lues verticalement (une histoire en plusieurs images, tels les vitraux d’une cathédrale) ou bien horizontalement (une répétition de formes dynamiques qui rappellent les images d’une pellicule et créent une idée de mouvement). Lorsque l’on s’approche de l’édifice, le visiteur passe d’une perception globale des motifs à une distinction fine des photographies. Il aperçoit alors les trois bandes bleutées constituées de panneaux vitrés imprimés, qui marquent les niveaux. Ainsi, dans ce jeu entre la distance et la perception, les architectes mettent en œuvre des stratégies similaires à celles utilisées par Andreas Gursky pour ses photographies sur très grand format. Le processus de fabrication de la façade est assez particulier : les images sont transférées sur un film plastique par sérigraphie, mais un retardateur de prise remplace l’encre. Le film est ensuite placé en fond de coffrage. Lorsque le béton a fait sa prise, il suffit de laver le béton pour retirer les zones exposées au retardateur de prise, lesquelles laissent apparaître les granulats plus foncés sousjacents. Les images utilisées en façade ont été sélectionnées par Thomas Ruff. Les architectes lui ont demandé de choisir des photographies de journaux parmi ses propres archives (une partie de son travail consiste en effet à récupérer et à traiter de différentes manières des photographies de 36
Herzog & de Meuron, Bibliothèque d’Eberswalde, 1994
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presse). Toutefois, leur utilisation dans le projet d’Herzog & de Meuron introduit de nouveau paramètres : verticalité, situation extérieure, fonction du bâtiment, symbolique. b. Le « Schaulager », Bâle, 2003 Le programme de cet édifice est double : il s’agit à la fois d’un entrepôt permettant de stocker des œuvres d’art, mais également de locaux permettant d’accueillir des expositions. L’aspect massif du bâtiment donne une impression de durabilité et de solidité. Il s’oppose aux habituelles constructions en verre. Les murs révèlent les gravats excavés lors de l’affouillement ; le bâtiment semble comme extrait du sol. La façade d’entrée, à l’aspect plus lisse, présente un renfoncement auquel répond un petit édicule, placé à l’avant du parvis, et dont les façades ont reçu un traitement similaire à celui des murs de l’entrepôt. Un nouvel espace public est ainsi créé, renforcé par les grands écrans LED en façade, offrant une dimension urbaine à un bâtiment pourtant situé en périphérie. La découpe des baies semble aléatoire (courbes, irrégularités quasi « naturelles »), ce qui met en valeur l’épaisseur et l’aspect brut du mur. En réalité ces formes ont été calculées par ordinateur et réalisées par des outils à commande numérique. Ces ouvertures n’ont pas pour objectif d’offrir des vues sur le paysage environnant (très banal) mais elles constituent en elles-mêmes un paysage. Ainsi, comme dans de nombreux projets d’H&dM, la façade acquière son autonomie, la valeur propre en dehors de l’interface entre intérieur et extérieur. c. Studio pour Thomas Ruff et Andreas Gursky, Düsseldorf, 2004 Il s’agit d’un ancien bâtiment industriel (station ferroviaire) faisant l’objet de deux projets d’aménagement différents : Ruff en a fait sa résidence principale et son lieu de travail, alors que Gursky n’y a installé que son studio. La façade sur rue n’a été que peu modifiée par les architectes 38
Herzog & de Meuron, Schaulager, B창le, 2003
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mais l’intérieur a été largement transformé. Il en est de même pour la façade arrière où les architectes ont conçu des loggias bardées de bois. d. Forum Caixa, Madrid, 2008 Lieu central pour les amateurs d’art dans la capitale espagnole, le bâtiment se doit d’attirer les visiteurs. Construit sur un site comportant d’anciens bâtiments industriels, des murs en brique ont été conservés mais décollés du sol afin de dégager une entrée au niveau inférieur. La cour intérieure qui remplace la base du mur constitue un véritable geste urbanistique car elle règle à la fois le problème de l’entrée et de l’étroitesse des rues alentour. De plus, elle sépare les amphithéâtres et les locaux de services présents dans les sous-sols des collections exposées dans les étages. La toiture est relativement complexe : elle est censée refléter la forme des toits des bâtiments alentours. On peut ainsi constater l’importance du contexte dans la réflexion que mènent les deux architectes. e.Tree village Campus, 2003, Pékin Ce projet de très grande envergure se fonde sur l’utilisation d’un motif récurrent, obtenu à partir du dessin caractéristique des rues de Pékin. Il s’applique aux plans, créant des cheminements multiples, des passages entre les différents ilots, un entremêlement et une stratification verticale. Mais ce motif est également présent à plusieurs échelles dans les façades, donnant un aspect organique (structure-arbre). L’échelle la plus grande correspond à la structure du bâtiment, la deuxième à une structure secondaire et la plus petite à des panneaux qui habillent la façade. Cette superposition de réseaux scalaire n’est pas sans rappeler les travaux de Gursky.
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Herzog & de Meuron, Studio pour T. Ruff et A. Gursky, D端sseldorf, 2004
Herzog & de Meuron, Forum Caixa, Madrid, 2008
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f. Immeuble Prada Aoyama,Tokyo, 2003 Herzog & de Meuron ont pris le parti d’une construction principalement verticale, afin de dégager une place publique au pied du bâtiment. Le plan polygonal suit le tracé de la parcelle. La façade est totalement vitrée. Des losanges concaves, convexes ou plats lui donnent un effet changeant et sculptural. De l’intérieur comme de l’extérieur, les vues sont modifiées, recomposées. Mais la « grille » en façade n’a pas pour seul but de jouer avec la perception du visiteur, elle revêt également un rôle structurel (elle permet de contreventer l’édifice). Le mobilier et les présentoirs ont été conçus spécialement par les architectes. Ils ont eu recours à une association de matériaux traditionnel et modernes, et disent s’être inspirés des travaux de Gursky sur la firme Prada (Prada I, Prada II). g. Pavillon Jinhua, 2006 Dans ce projet, Herzog & de Meuron ont repris des schémas utilisés pour le plan directeur du district de Jindong et pour le Tree village campus Ce motif a tout d’abord été plaqué sur les différentes faces d’un cube mais le résultat obtenu n’offrait que peu de qualités spatiales. D’où leur décision de transformer les façades en espace, en extrudant le motif vers l’intérieur du cube. Dès lors, le pavillon naît des intersections entre ses différentes faces. Les volumes obtenus, au départ abstraits, prennent ensuite des valeurs d’usage (un banc, une plateforme, etc.) Des projets similaires ont été développés dans le parc de la Fondation Beyeler à Bâle et dans une cour intérieure à Genoa.
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Herzog & de Meuron, Immeuble Prada Aoyama, Tokyo, 2003
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4. Herzog & de Meuron et Andreas Gursky : concepts et démarches communes L’importance de la façade, dans le travail d’Herzog & de Meuron ne correspond pas à une question de style mais à « l’expérience d’une perte » : il s’agit de la perte de dialogue entre l’individu et le monde, la perte d’un rapport à la réalité dans lequel l’individu se situerait face à un monde organisé selon ses propres représentations mentales. Cette « perte » constitue un des traits distinctifs de la modernité. Pour une nouvelle génération d’artistes et d’architectes (dont font partie Herzog & de Meuron), la « perte » se révèle être une chance : une occasion d’abandonner les représentations qui relèvent du passé et d’adopter les nouvelles règles du jeu entre l’individu et le monde : interdépendance, transparence, polyvalence. Ainsi, à l’instar d’Andreas Gursky, les architectes ont acté le passage à une société moderne et mondialisée. Depuis leur reconnaissance internationale, ils construisent dans le monde entier. Un autre rapprochement entre Gursky et Herzog & de Meuron peut être effectué sur le plan de la perception. L’un comme l’autre joue avec les mécanismes perceptifs du regardeur, des rapports d’échelle, la recomposition d’images à partir de vues multiples, les relations entre surface et espace (cf. immeuble Prada et bibliothèque d’Eberswalde). La mise en scène qu’ils ont réalisé pour l’opéra Tristan et Iseult pour le Staatsoper Unter den Linden à Berlin, montre combien la perception est centrale dans le travail des architectes bâlois. Afin de représenter l’apparence de l’émergence et de la disparition, de ne pas se limiter à une interprétation univoque, ils ont abandonné les technologies conventionnelles des metteurs en scène. Le seul décor consiste en un simple voile tendu sur la scène, devant une chambre à pression négative. Les architectures et les acteurs sont pressés contre le voile et apparaissent ainsi comme des bas-reliefs, ce à quoi s’ajoutent des effets 44
Andreas Gursky, Prada I, 2006
Pavillon Jinhua, 2006
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d’ombres et de lumière. La surface devient ainsi volume, ombre, épaisseur. Ainsi les réalisations d’Herzog & de Meuron sont en quelque sorte des « constructions d’expériences », de nouvelles réalités, tout comme les images recomposées de Gursky. La démarche des architectes présente également des similitudes avec le travail des Becher, notamment avec l’utilisation de la série lors de la création de maquettes. La représentation des différentes solutions formelles envisageables permet de les confronter - tout comme les bâtiments photographiés par Bernd & Hilla Becher – et ainsi d’avancer dans le projet. De plus, l’intérêt pour le monde industriel est également présent chez Herzog & de Meuron. En effet, ils ont réalisé de nombreuses réhabilitations d’anciens bâtiments industriels, dont la plus connue est probablement la Tate Modern de Londres. Enfin, si l’importance vouée à l’installation dans le site par Herzog & de Meuron peut sembler en opposition avec les photographies non situées de Gursky, il est possible de réunir leurs réalisations par la cohérence, l’unicité de leur œuvre. Le photographe s’est fixée une ambition encyclopédique : rendre compte, par fragments, des comportements humains dans le monde actuel. Les architectes, s’ils ne conservent pas d’unité stylistique ont gardé une démarche constante tout au long de leur carrière. Partout sur la planète, créent des bâtiments comme des « outils pour voir le monde » : révéler l’environnement.
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Mise en scène pour l’opéra Tristan et Iseult
Série de maquettes préparatoires visant à déterminer la forme du toit du forum Caixa
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Comme on a pu le constater, Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont deux architectes très tournés vers le monde de l’art. Leurs collaborations avec des artistes sont essentielles à leur réflexion architecturale, et indissociables de leur œuvre. Leur démarche présente de nombreux rapprochements avec les travaux des photographes « objectifs » tels qu’Andreas Gursky ou Thomas Ruff : Herzog & de Meuron utilisent l’image, et en particulier la photographie, comme élément moteur pour le projet architectural. Le travail en série lors de la réalisation de maquettes s’approche également des typologies de Bernd & Hilla Becher. Par ailleurs, ils partagent plus spécifiquement avec Gursky, un intérêt pour le visible et une attention particulière pour les mécanismes de la perception (ayant recours à différentes échelles). En outre, le travail d’Herzog & de Meuron sur l’autonomie de la façade peut être mis en résonnance avec la valeur propre conférée par Gursky au support de ses images (grâce à l’utilisation de très grands formats). Enfin, artiste comme architectes sont acteurs d’une société moderne et d’un monde globalisé, époque dans laquelle s’inscrit résolument leurs œuvres respectives.
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Herzog & de Meuron, Vitrahaus, 2010
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Bibliographie - Bernd & Hilla Becher, l’esprit de l’industrie - Bernd & Hilla Becher, typologies - L’art conceptuel, Daniel Marzona - Andreas Gursky, works 80-08 - Andreas Gursky, photographs from 1984 to the present - Andreas Gursky, exposition au Centre Pompidou (2002) - Architecture, photographie, édition, TPFE (Alizée Pornet) - Le vertige Gursky (Connaissance des arts n°581) - Contacts (DVD) - Eberswalde Library - Herzog & de Meuron, une exposition - Architektur von Herzog & de Meuron - A+U special issue, Herzog & de Meuron - L’architecture du XXe siècle - Architecture Now ! vol. 3 et 6
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