AFFAIRE DUEKOUE Interview de OULA Privat

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Une interview réalisée par Benoit HiLi pour le Nouveau Réveil le mardi 24 juillet 2012

Après les tueries, Oula Privat, député de Duékoué accuse :

"Il faut un plan d’urgence ADO pour Duékoué"

Vous venez de Duékoué. Qu’avez vous vu à Duékoué, qu’est ce qui s’est réellement passé à Duékoué ? Une fois de plus, je profite de votre journal pour présenter d’abord mes condoléances à toutes les victimes, aux parents qui ont perdu un être cher et à ceux des disparus. Condoléances à mes parents Malinké, Guéré, à tous ceux qui y ont perdu un parent, un ami ou une quelconque connaissance. De Duékoué, j’en reviens le cœur meurtri. Lorsque nous avons été informés, toute activité ces sante, nous nous y sommes rendus pour voir, écouter et surtout apporter un message de consolation, d’apaisement et préparer les cœurs au pardon et à la réconciliation.

Qu’est ce que vous avez vu sur place ? Ce que j’ai vu, c’est que le camp de Nahibly n’existe plus aujourd’hui, que le petit marché qui était devant la Mission catholique, et l’autre site voisin n’existent plus. J’ai constaté, également, qu’il y a eu des morts et qu’il y a plus de 40 blessés qui sont à l’hôpital de Duékoué. Et que la population de Duékoué est aujourd’hui dans l’amertume. On parle d’un bilan qui dépasserait largement les 13 morts. Je ne veux pas entrer dans la polémique des chiffres. Pour moi, un mort, c’est déjà suffisant. Pour moi, il y a des Ivoiriens qui ont péri, il y a eu la bêtise humaine que je condamne. Nous pleurons aujourd’hui tout fils de Duékoué qui a péri dans cette situation.

Alors, qu’est ce qui s’est passé ? En attendant que les enquêtes aboutissent, moi qui suis politique, député, mon travail, c’est d’amener les parents à l’apaisement. Le procureur de la République, le commandant supérieur de la gendarmerie, et surtout le chef d’Etat major, étaient là bas. Ils font leur travail. Il y a un dispositif qui a été mis en place. Il est trop tôt de se prononcer sur les causes. Ce que je sais, c’est qu’il y aurait eu une attaque dans le quartier des Dioula, qui a fait, je crois, trois ou quatre morts du côté des Dioula. Et, en représailles, ils sont allés attaquer le site de Nahibly. Il faut dire que, depuis un certain temps, des rumeurs faisaient état de ce qu’il y avait des voyous, des bandits armés dans le camp de Nahibly. Nous mêmes, au cours de notre mission parlementaire, du 22 juin au 1er juillet dernier, nous avons constaté cela. Mais, le camp de Nahibly est protégé par l’Onuci. Nos forces de sécurité ne peu vent pas y avoir accès. Nous mêmes, députés, ne pouvons pas y avoir accès. Lorsque nous avions eu ces


informations, nous étions en train de les partager avec les autorités compétentes quand cet évènement malheureux est arrivé. Cette situation d’infiltrés a été confirmée dans un courrier que l’Onuci a remis aux préfets. L’Onuci reconnaît qu’il y a des zones rouges et des gens armés dans le camp. L’Onuci l’a également reconnu lors de la réunion que nous avons eue avec les responsables sur place pendant notre tournée.

C’est à dire que dans le camp de déplacés de Nahibly, il y a une zone dite rouge où les casques bleus eux mêmes ne peuvent pas avoir accès ? Ce n’est pas tout à fait cela. Ce qui nous a été rapporté au cours de notre visite sur le site, c’est que certains réfugiés, délibérément, avaient tracé des zones qu’ils considéraient comme zone rouge où les autres réfugiés ne pouvaient pas y avoir accès, et que les responsables de l’Onuci avaient déjà attiré l’attention des préfets qu’il s’y trouvait des éléments identifiés qui porteraient des armes. Le problème de l’Onuci qui fait qu’il est difficile d’en parler, c’est que chaque fois, on répond qu’ils ont un mandat. Il m’est aussi revenu que nos militaires ne pouvaient pas entrer dans ce camp pour interpeller, arrêter ou désarmer ces gens, au risque de se faire interpeller par l’Onuci. Moi, je ne connais pas le contenu de ce mandat de l’Onuci, mais les rumeurs, déjà, faisaient état de ce que des éléments armés, après des braquages, tueries, rentrent se refugier dans ce camp. Ce problème est connu et su pas les autorités militaires, administratives de Duékoué, et même des populations. Tout cela a fait que les parents Malinké, qui venaient de perdre trois ou quatre de leurs frères, n’ont pas pu contrôler leurs émotions. Là aussi, nous condamnons, car nul n’a le droit de se faire justice lui même.

Un groupe de personnes cible une famille qu’il attaque et en représailles, un autre groupe se livre à des représailles. Ne pensez vous pas que ce scénario est devenu récurrent à Duékoué ? Malheureusement, ce scénario est récurrent. Mais, nous sommes trois députés à Duékoué, un Baoulé, un Dioula, et un député indépendant et Guéré que je suis. Et entre nous élus, nous nous entendons très bien, en tout cas, sur l’essentiel. Nous disons qu’un Malinké ou Dioula qui va attaquer une ethnie, Guéré ou Baoulé, n’a pas été envoyé par les Dioula ou les Malinké ! C’est un individu, il faut l’arrêter. Si ce sont des Guéré qui vont poser un tel acte, il faut les identifier et les arrêter. Le problème doit être posé de cette manière. Je ne pense pas que des Dioula ou des Baoulé se réunissent pour décider d’aller attaquer des Guéré ou inversément. Ce sont des individus qui agissent et qui ont peut être d’autres intérêts que nous ignorons. Ces intérêts ne peuvent ils pas être politiques ? Ce sont d’abord des voyous qui vont ôter la vie d’autrui. Ce sont avant tout des criminels. La zone, vous savez, est souvent le théâtre de braquages. Malheureusement, ces crimes sont considérés certains, qu’ils soient Guéré ou Dioula, comme un acte prémédité dirigé contre une ethnie. Ce qu’il faut savoir, c’est que les armes circulent beaucoup dans nos régions. Ces individus, qui détiennent encore des armes, vont les déterrer au moment des forfaits. Nous mêmes qui sommes de Duékoué, nous sommes souvent victimes de ces agressions. L’adjoint au maire de Duékoué, qui est Guéré, a été tué sur la route il y a un an. Cela pose le problème de la circulation des armes. Mais, en même temps, nous nous interrogeons de savoir s’il n’y a pas des gens qui ont intérêt à ce qu’il y ait le feu la ou que nos populations s’entredéchirent. J’ai fait des missions à Diéhibah, Guitrozon ou Taï, nous avons vu le mode opératoire des tueurs. Et bien souvent, il se ressemble. Ce qui nous amène à penser qu’il y a également d’autres intérêts en présence.

Il se trouve aussi que, très souvent, ces attaques arrivent à l’approche de rendez vous politiques importants. Et ces meurtres à Duékoué sont sou venus au moment où des événements politiques


sont en attente. Ne pensez vous pas qu’il puisse s’agir d’une manipulation politique ? Je n’exclus rien aujourd’hui. Cependant, mon devoir de député de la nation, c’est de rassurea mes parents qui habitent sur le sol de Duékoué. Je tiens à noter une chose : il est vrai que à Duékoué, il y a des voyous et qu’il y a des problèmes politiques, mais il y a aussi que, depuis des années, une poli tique d’occupation a été appliquée à Duékoué, à Bangolo, à Taï, à Guiglo ou à Bloléquin.

Qu’entendez vous par politique d’occupation ? Cela veut dire que des gens ont été amenés dans nos régions avec des con signes précises et ils se sont installés. Certains ont fait des efforts d’intégra tion, d’autres, non.

S’agit il d’allogènes ou des non Ivoiriens ? Il faut voir cela de façon globale, en par lant de tous ceux qui sont venus d’ailleurs. Aujourd’hui même, les forêts dites classées n’existent plus. C’est dire que, même le Wê n’a plus de place. Car, ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd’hui. Pour résoudre ce problème, il faut arrêter la politique d’occupation. Il faut aller à la politique d’intégration et de brassage, d’écoute réciproque. Je connais de gens du nord qui ont constru it Duékoué. Je connais même des Burkinabè dont on parle tant, nous avons grandi avec ces Burkinabè qui ont contribué au développement de nos régions, de la Côte d’Ivoire et avec qui, nous avons vécu en bonne intelligence ! Seulement, ces dernières années, ceux qui viennent, viennent avec un esprit d’occupation et non pas avec un esprit d’intégration. Ils ne respectent pas nos chefs, pourtant chez eux, ils respectent les leurs. Ce que nous avons de sacré dans nos coutumes est, aujourd’hui, bafoué. Il faut recentrer les choses.

Est ce que recentrer les choses, ce n’est pas aussi demander à un parti comme le Fpi de contribuer à cette réconciliation ? N’avez vous pas l’impression que le langage guerrier que le Fpi tient à Abidjan déteint sur le comportement des jeunes à l’Ouest ? Je ne veux pas porter de jugement de valeur sur le comportement ou le message du Fpi. C’est un parti organisé, reconnu, qui fonctionne, que je respecte et qui mène ses activités. Si on trouve que le Fpi dérape, il y a des autorités compétentes pour le constater. Ce n’est pas cela mon problème.

Mais quand ses dirigeants parlent de chasse aux sorcières à l’Ouest ? Vous ne pensez pas que cela peut contribuer à envenimer la situation ? Non, je pense que nous avons nos problèmes. Le Fpi n’est pas aujourd‘hui au pouvoir, il est presque décapité. Le Fpi a d’autres contraintes aujourd’hui. Quand on est au pouvoir, qu’on gouverne, il faut prévoir et trouver des solutions. Et nous, ce qui aujourd’hui nous intéresse, c’est de trouver des solutions pour nos populations. Sans vouloir rentrer dans des conflits de personnes, je dis que nous avons des problèmes à Duékoué. A savoir que depuis un certain temps, le tissu social fraternel a pris un coup. Je voudrais que nous puissions revenir à nos valeurs qui ont fait la fierté de Duékoué, à cet amour entre Sénoufo, Baoulé, Guéré.

Qu’est ce que vous qui avez parcou ru récemment la région, proposez, en termes de solution pratique pour réaliser ce retour à la cohésion ? Je pense d’abord qu’il y a des brebis galeuses dans chaque ethnie. Autant il y en a chez les Guéré, autant il y en a chez les Dioula, ou chez les Baoulé, les Malinké. Le plus important, c’est de nous retrouver pour voir comment nous allons vivre en commun.

"Nous", c’est qui ? Nous, c’est nous les élus, les députés, les cadres, les fils de la région. Car, de la même manière, la femme, Baoulé, Malinké, Sénoufo, souffre pour mettre son enfant au monde au bout de neuf mois,


c’est de cette même manière que la femme Guéré souffre. Nous sommes donc des frères et des sœurs. A mes par ents, je répète aussi souvent que quand ton fils n’a pas gagné à la Lonaci, qu’il n’est pas opérateur économique ni hommes d’affaires, qu’il ne travaille pas et qu’il rentre à la maison le soir avec une forte somme d’argent ou des articles d’une valeur inestimable, toi le père ou la mère digne, tu poses la question à ton films : où as tu eu cet argent ? Car, cet argent ou ce matériel, c’est le fruit des braquages, des tueries ! Chacun doit éduquer son enfant. Aujourd’hui, un simple braquage a conduit à des tueries à Duékoué. Nous aujourd’hui, nous sommes condamnés à vivre ensemble. Nos frères Burkinabé, qui sont arrivés et qui veulent participer au développement, sont les bienvenus chez nous. Un chef burkinabè nous a fait cette confidence récemment. Il nous a dit : "Nous frères qui arrivent maintenant, nous mêmes, nous n’arrivons pas à les con rôler. Voilà pourquoi, il y a des conflits entre eux et nous".

On a parlé aussi des dozo. J'ai été heureux d’entendre le général Soumaïla Bakayoko dire qu’il a demandé que tous les barrages tenus par des dozo soient démantelés et que la gendarmerie, la police et les militaires feront leur travail. Je fais cependant attention au phénomène des dozo qui sont une confrérie bien organisée. Mais ces derniers temps, tout le monde est devenu dozo. Et sous le couvert des Dozo, beaucoup de choses peuvent arriver. Des jeunes, que nous avons rencontrés, qui n’étaient pas Malinké, qui étaient Guéré ou d’autres ethnies et quand nous leur avons posé la questionde savoir pourquoi ils sont devenus des dozo, nous ont répondu ceci : "Puisque les Dozo sont autorisés à avoir des armes pour circuler, la seule façon de se protéger, c’est donc d’être dozo aussi. Quand tu es dozo, tu peux avoir ton arme, la porter. Les gendarmes ne t'emmerdent pas. Donc nous sommes devenus nous également des dozo. C’est pourquoi, il est dans l’intérêt des Dozo eux mêmes que l’Etat mette un peu en veilleuse leur activité dans cette région où il y a aujourd’hui beaucoup de confusion .

Que faut il faire aujourd’hui puisqu’il n’y a plus de site ? Nous sommes reconnaissants de tout ce qui est fait pour aider les populations. Notamment au niveau des Ong. Notamment, la Première dame, Dominique Ouattara, qui est beaucoup présente dans les régions par ses dons. Mais il est temps que le Gouvernement s’y implique davantage. Nos populations ne peuvent pas attendre un Programment national de développement (Pnd). Il faut que le Gouvernement prenne ses responsabilités et qu’il y ait une volonté politique. On attend la réaction du Gouvernement.

Il faut donc que le Gouvernement encourage les populations à regagner leurs domiciles maintenant qu’il n’y a plus de camp de déplacés ? Il le faut ! Il faut que le Gouvernement fasse un plan d’urgence, un plan Ado ousi l’on veut, un plan Marshall, pour aider, pour véritablement débloquer des moyens et encourager nos parents à faire des réalisations. Si ma mémoire est bonne, en 1995, lorsqu’il y a eu le conflit à Gagnoa, le Gouvernement du président Henri Konan Bédié, dirigé par Duncan, s’est réuni à l’époque, un week end, un après midi, au cours d’un conseil des ministres extraordinaire.800millions de nos francs ont été dégagés pour aller soulager certains de nos frères qui étaient en difficulté et qui s’étaient déplacés dans les Cafop et autres. C'est de cela qu’il s’agit aujourd’hui. C’est aussi une partie des Ivoiriens qui a tout perdu.

Concrètement, comment cela doit se faire ? Faut il construire des maisons d’habitation dans les villages ou construire les villages détruits ou leur donner des kits de relogement ? Il s’agit de reconstruire des quartiers de Guéré et même de Dioula où tout a été détruit ou d’aider nos parents à reconstruire leurs maisons. Pour cela, l’Etat peut dégager deux ou trois milliards. Il ne s’agit pas de construire une maison à chaque citoyen de Duékoué. Il s’agit de s’occuper de ceux qui sont vraiment dans la précarité et qui ont été identifiés comme tels. Il faut donner ce signal aux Ivoiriens. Cela contribuerait significativement à la réconciliation. Il ne faut pas attendre que des Ong aménagent des sites de déplacés. Le Gouvernement peut prendre des mesures d’urgences, comme en 1995 où


la situation était moins critique que ce qui se passe aujourd’hui à l’Ouest. . Nos parents ne peuvent pas attendre le Pnd.

Vice président à l’Assemblée nationale, fils de Duékoué, député indépendant et d’ethnie Guéré, Oula Privat revient de Duékoué où il a touché du doigt la tragédie qui a secoué sa circonscription. Dans cette interview, il pose son diagnostic sur cette région qu’il connaît bien et ébauche ses remèdes. Retrouvez toutes les informations du GPAD sur FaceBook ICI

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