DECOUVERTE
DE LA GROTTE DE BRAMABOEUF COMPLAINTE
Sur ce merveilleux et intéressent sujet. Air de Genevièvre de Brabant ou de Montebello
Reproduction Thierry Tournier
2017
Remerciements à Gislain Lancel
1 Au pays de la Michaille Et non loin de Musinens, Où les ondes par torrents Grondent, se livrant bataille, Où le Rhône en sou courroux Disparait aux yeux de tous,
2 La Valserine en furie Dans le roc s’est fait un lit, Où l’onde roule et gémit Comme un loup qui hurle et crie, Si bien que chaque passant Se regarde en frémissant !
3 Nostradamus en ribotte Se trouvait au temps jadis Isolé dans ce pays ; Il découvrit une grotte, Cela lui parut fort beau, Bien qu’il ne fit pas très chaud.
4 Or il faut vous dire comme Il baptisa cet endroit : Nostradamus ayant froid Eut besoin de faire un somme : Il s’enfila dans le trou Et dormit comme un hibou.
5 Or ce docte et savant homme, Connu dans tout l’univers Par sa prose et par ses vers Que tout le monde renomme, Fut éveillé promptement Par un long mugissement.
6 Tel un bœuf dans la campagne Beugle en parcourant les prés, L’eau perforant les rochers Tout à travers la montagne, Bramait de telle façon Qu’elle eut fait fuir un poltron.
7 Nostradamus était brave, Il fit la nique au torrent, Et comme il était savant Il riait de toute entrave ; Alors il chercha le nom Du souterrain en renom.
8 Il méditait dans la grotte, Comme un poussin dans son œuf, Mais toujours la voix du bœuf Venait troubler sa marotte : « Alors, se dit-il debout, « De deux mots faisons un tout.
9 « L’onde qui gémit et gronde « En m’inondant les genoux, « Imite dans son courroux, « En cette grotte profonde, « Le mugissement du bœuf, « Nommons ce lieu Brama-bœuf ! »
10 Ainsi parla de Provence Cet enfant fort bien connu, Quand chez nous il est venu En faisant son tour de France. Lors, nous disent les viellards, Nous étions tous savoyards.
11 C’est ainsi que la science De tout homme à grand talent, Sait trouver en un moment, Et plutôt qu’on ne le pense, Des noms partout ici-bas, Même quand il n’y voit pas.
12 Il portait bien sa lunette Sur son œil de magicien Et vit qu’il ne voyait rien Enfermé dans sa retraite, Puisqu’il n’existait autour Pas le moindre petit jour !
13 De chimiques allumettes Il aurait dû se pourvoir, Alors il aurait pu voir Ce séjour des oubliettes, Que l’on dit resplendissant De rubis, d’or et d’argent.
14 Pour lui c’eut été facile : Il connaissait les secrets De fabriquer tout exprès L’allumette fort utile, Mais chimiquement parlant Il n’a songea nullement.
15 Nostradamus entend l’heure Sonnant au clocher lointain, Notre savant avait fain, Il sortit de sa demeure, Et depuis lors Bramaboeuf D’habitation se trouva veuf.
16 Voilà que des jours se passent, Des ans, des siècles aussi, Sans qu’aucuns mortels ici, Ne se doutent lorsqu’ils passent Qu’il n’existe un souterrain A deux pas de leur chemin.
17 Mil huit cent cinquante quatre Vint émouvoir le canton ; Un vrai Christophe Colomb, Ayant les goûts d’Henri Quatre, Découvre tout en chassant Cet endroit intéressant.
18 Quittant fusil, carnassière, Il rampe comme un lézard, Et se glisse à tout hasard Dans le fond de la tanière ; Le cœur lui battait bien fort, Et certe il n’avait pas tord.
19 Sa frayeur fut passagère, Bien vite il se rassura, Et tout de suite éclaira, Pour faire de la lumière, La chandelle que sur lui Il portait et jour et nuit.
20 Lors il vit grandes merveilles, Un lac tout brillant de feux Et des rochers lumineux, Et des voûtes sans pareilles ; Il vit regardant au fond Qu’on n’en voyait pas le fond.
21 Un journal de Bourg en Bresse Nous rapporta le récit Que ce grand chasseur lui fit De sa vaillante prouesse. Et tout le département En fut dans l’étonnement.
22 Alors chacun é la ronde Pour voir cet objet si neuf Accourut à Bramaboeuf, Le brun, ainsi que la blonde, La brune, ainsi que le blond, S’y promène tout au long.
23 O miraculeuse affaire ! Un homme d’un grand esprit, Dans un coin de ce réduit, Lorsqu’il ne sut plus que faire, Trouve en étendant la main Un morceau de parchemin.
24 Il resta bouche béante Et les yeux tout grands ouverts ; A l’endroit et à l’envers Cette feuille jaunissante Se trouvait écrite en grec ; Une image était avec.
25 Il contemplait la gravure : Ayant pour toute mâture Une tour qui carrément S’élançait au firmament.
26 Mais il ne put à la lettre Déchiffrer le moindre mot ; Bien qu’il ne fut pas un sot En grec il n’était pas maître : Hélas ! il n’avait appris Que le patois du pays. 27 Un monsieur bien fort en langue Finit par traduire enfin Le morceau de parchememin ; On comprit par se harangue Qu’il parlait à l’extremus Du fameux Nostradamus. 28 Or la chose est bien certaine ; En remontant les courants, L’astrologue à Musinens Arriva, mais non sans peine, Dans sa barque à haute tour Prenant le jour tout autour.
29 Cette tour était bien belle Où pour inspecter les cieux Il montait tout curieux Regardant au-dessus d’elle Les astres ronds et mouvants, Prédisant le mauvais temps.
30 Pour se rafraichir dans doute De Tatte il prit le chemin, Et du château de Baudin Du vin il but une goutte ; Mais le vin de ce coteau Embourbouilla son cerveau.
31 Alors, déposant la coupe, Nostradamus, sans façon, Prit son sac et son bâton Ne pouvant monter en croupe, Il arpenta le terrain Et trouva le souterrain.
32 MORALE. Ainsi finit notre histoire ; Gens de mal et gens de bien, A d’autres ne prenez rien, Et n’usurpez pas la gloire Du savant qui parmi nous Trouva le plus beau des trous. JEHAN BONAVENTURE.
L’ABEILLE DU BUGEY ET DU PAYS DE GEX POLITIQUE, LITTERAIRE, COMMERCIALE ET AGRICOLE
Feuille d’annonces judiciaires, légales, et d’Avis divers du département de l’Ain
27 mai 1854. Les ingénieurs du chemin de fer de Lyon à Genève ont fait, dit-on une découverte intéressante au point de vue des beautés naturelles de notre pays. Is ont trouvé une grotte au bas de Musinens, à coté de la Valserine, laquelle s’enfoncerait dans l’intérieur des terres jusqu’à Billiat, c'est-à-dire dans une longueur de 5 kilomètres.- Cette prétendue découverte des ingénieurs n’en est pas une en réalité. Depuis longtemps nous avions entendu parler de cette grotte que les habitants, dans leur langage imitatif, appellent Bramaboeuf.- Un de nos amis y a pénétré, il y a quelques années, muni de bougies. L’entrée était à cette époque si étroite qu’un homme d’une certaine corpulence n’aurait pu s’y glisser. Il lui fallut ramper sur le ventre l’espace de 10 mètres à peu prés : mais ensuite la grotte s’ouvrait plus spacieuse. C’était un couloir large de 3à 4 mètres, haut de 5 à 6. Il se prolongeait horizontalement sur une longue étendue, et notre ami ne put arriver jusqu’au bout, car la route se trouva barrée dans l’intérieur par une espèce d’étang dont il ne put constater ni la longueur, ni la profondeur. Il revint avec l’espoir de triompher de cet obstacle une autre fois ; mais depuis il n’a pas eu l’occasion de renouveler sa tentative. Le récit qu’il nous fait des choses merveilleuses que renferme cette grotte a vivement excité notre curiosité.- Jamais, dit-il, l’imagination humaine ne peut concevoir quelque chose de plus féérique que cette suite de stalactites aux découpures fines comme de la dentelle et affectant les formes les plus diverses, surtout quand la lumière en fait ressortir les effets.- Cette grotte est, nous assure-t-il, un canal souterrain que les eaux d’un torrent se sont creusé. Le torrent ne coule pas continuellement, mais seulement quand les pluies sont abondante. Alors il dégorge de l’ouverture avec un bruit effrayant : de là le nom de Bramaboeuf que les paysans lui ont donné. Les ingénieurs ont fait élargir l’entrée et l’ont rendue accessible à tous. C’est une curiosité de plus pour les voyageurs dans un pays qui en renferme déjà tant, à quelque distance de la Valserine et de la Perte du Rhône, ces deux merveilles si renommées.
17 juin 1854. Si nous devons en croire un amateur passionné de légendes, la fameuse grotte de Bramaboeuf aurait été découverte par Nostradamus, d’astrologique et poétique mémoire. Une complainte sur la grotte de Bramaboeuf, en trente-deux couplets, révèle le fait ; elle nous a été adressés par le légendaire. Si l’espace le lui permet, l’Abeille mettra un jour sous les yeux de ses amis et connaissances cette pièce, qu’ils pourront chanter sur l’air de Geneviève de Braban. A.ARÊNE.
24 juin 1854 On continue à raconter des choses si curieuses et si amusantes siur la grotte de Bramaboeuf, la presse départementale, les populations se préocupent tellement de la prétendue découverte des ingénieurs du chemin de fer que nous nous trouvons forcé de publier quelques-unes des nombreuses anecdotes qui nous sont revenues et dnt ce souterrain a été le théatre. On rapporte que trois disciples d’Esculape, MM.Benjamin Cabanet, Placide Munaret et Gay de Musinens, s’y introduisirent un jour et pénétrèrent dans une galerie supérieure, dont l’accès était bien plus difficile qu’aujourd’hui. C’était un long conduit, très étroit, où l’on était obligé de grimper comme dans un tuyau de cheminée. L’ascension s’exécuta, non sans peine, par nos trois amateurs ; ils trouvèrent une espèce de chapelle à ogives dentelées et à découpures élégantes et variées. Ils restèrent asser longtemps à admirer les merveilles de ce lieu féerique, et ils y seraint restés plus longtemps encore, si, pendant leur extase, leurs bougies qui s’étaient entièrement consumées, sans qu’ils s’en aperçussent, ne leur avaient fait subitement défaut. Grand émoi ! Une obscurité profonde les enveloppe : comment faire pour retrouver le chemin ? Ils rampent à tatons ; et ils s’assoient à bout de courage. Tout-à-coup l’un d’eux, le docteur Benjamin Cabanet, dominant la situation par un effort héroique, tire de sa poche un flageolet et s’écrit : » S’il faut mourir ici, mourons au moins gaîment. » Alors il se mit à jouer de son instrument. La musique ne put égayer M.Gay, pas plus que le docteur Placide Munaret, mais elle rendit le courage à l’exécutant qui se reprit à fouiller les coins et recoins et finit par trouver l’ouverture , par laquelle nos trois médecins se glissèrent avec ravissement. Nous donnons aujourd’hui la complainte annoncée dans notre dernier numéro et inspirée par la découverte récente de la grotte. Pour la chronique, A.ARÊNE