L’AUTOCONSTRUCTION: UN AUTRE MODE D’HABITER THOMAS PETIT
Membres du jury: Hubert Guillaud, Directeur de mémoire Anne-Monique Bardagot
Master 1 Architectures & Cultures Constructives École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble
MAI 2015
REMERCIEMENTS Avant toute chose, je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à ceux qui ont rendu possible l’écriture de ce mémoire. Merci à Hubert Guillaud, à Anne-Monique Bardagot et à Ivan Mazel pour tous les conseils et encouragements dont ils ont fait part. Merci à Thiago Lopes Ferreira, qui m’a ouvert au thème et a influencé mon orientation et ma pensée de l’architecture. De même, merci à Meire et Gilson Silva, d’une bonté et d’une sympathie, qui ont accordé leur confiance et offert cette expérience à tous les participants. Merci à Michael Osswald pour m’avoir accordé de son temps et parlé de ses expériences de manière si ouverte. Enfin, merci à mes parents, amis et proches, qui me soutiennent et m’accompagnent chaque jour depuis le début de ma formation.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
P. 07
PARTIE 1 / Étendre la démarche participative au delà de la conception? P. 13 Le projet réservé aux concepteurs?......................................................................p. 15 Concevoir son logement: Un gage de qualité.....................................................p. 17
PARTIE 2 / L’acte de construire: Vers l’émergence de nouvelles valeurs
P. 21
L’autoconstruction pour sortir du système...........................................................p. 23 Vers un sentiment d’accomplissement personnel...............................................p. 26 Se parer de matériaux naturels............................................................................p. 30 Laisser naître l’autonomie pour innover.............................................................. p. 34 Engendrer des bénéfices..................................................................................... p. 37
PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
P. 63
S’approprier son logement, se sentir chez soi..................................................... p. 65 Sensibiliser son entourage..................................................................................p. 68
PARTIE 4 / Vers une redéfinition du rôle de l’architecte
P. 93
Pour une vision globale.......................................................................................p. 95 Un architecte plus modeste.................................................................................p. 96
CONCLUSION
P. 101
BIBLIOGRAPHIE
P. 104
TABLE DES ILLUSTRATIONS
P. 108
INTRODUCTION ‘‘Tu l’as fait toi-même? ’’
Mais face à l’efficacité, la rapidité productive provoquée par la révolution in-
En architecture, cela s’est traduit par une expansion considérable de la production et de l’utilisation de matériaux industrialisés, normalisés, mettant en abîme des valeurs et savoir-faire locaux et vernaculaires: « Jusqu’à l’effondrement des frontières culturelles, survenu au XIXe siècle, on rencontrait sur toute la terre des formes et détails architecturaux locaux, et les constructions de chaque région étaient le fruit merveilleux de l’heureuse alliance de l’imagination du peuple et des exigences du paysage. » 2 Des savoirs-faire millénaires qui engendrèrent des solutions constructives longtemps considérées comme optimales, approuvées, améliorées par des dizaines de générations, sont
1 SHIVA V. , La vie n’est pas une marchandise. Les dérives des droits de propriété intellectuelle, Éditions Enjeux planète, Paris, 2004 2 FATHY H. , Construire avec le peuple, Éditions Sindbad, Paris, 1970, p. 51
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INTRODUCTION
Qu’il s’agisse d’art, de mécanique, d’écriture, de cuisine, de construction, en somme, qu’il s’agisse de n’importe quel type d’activités créatrices confondues, voilà une interrogation à laquelle nous nous plaisons à répondre positivement. Faire quelque chose par soi-même suscite une forme de fierté difficilement explicable, mais qui est souvent liée à la reconnaissance d’une accumulation de savoirs et savoirs-faire à travers les âges. Transmission de savoirs à travers les générations, fiertés créatives, constructives, qui ont conduit à cette forme de civilisation telle que nous la connaissons de nos jours. Vandana Shiva, chercheuse, écrivain et philosophe, déclare ainsi: « Par sa nature même, le savoir est le fruit d’une entreprise collective et cumulative. Fondé sur les échanges au sein de la collectivité, il est l’expression de la créativité humaine aussi bien individuelle que collective (...) » 1
dustrielle, et notamment les systèmes de production à la chaine, l’artisanat a rapidement perdu de son attractivité d’antan. Synonyme de modernisme, de pouvoir, d’évolution, la production industrielle a rapidement pris le dessus, dans quelques domaines qu’il soit, laissant de faibles chances à la concurrence et à la marginalité.
rapidement mis hors course, passant au rang de marginal. La majorité prône l’abandon progressif de ces connaissances vernaculaires pour la construction de l’habitat, se tournant vers ce que peut offrir cette modernité.
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L’instauration ascendante de matériaux industrialisés se fait au détriment de matériaux et de compétences désormais considérés comme archaïques, synonymes de pauvreté, qui tendent presque à disparaitre... Mais ces nouveaux matériaux ne sont pas ceux du peuple, ils impliquent de lourds procédés de fabrication, et ne sont guère malléables une fois transformés. Peu sont ceux qui savent les manipuler. La tâche de construire se mêle de plus en plus aux entreprises de constructions spécialisées, et lentement, c’est l’ensemble des cultures constructives du monde occidental qui s’estompe. Là ou il y avait une réelle diversité culturelle dans les modes de faire, on assiste à une uniformisation progressive du marché de la construction, et ce à l’échelle mondiale. Pierre Frey décrit très justement cette situation inquiétante:
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«l’industrie de la construction en rationalisant et en optimisant ses processus, les uniformise et déplace massivement les centres de gravité de la décision. Au terme de ce processus, le chantier n’est plus guère que formellement le lieu de production du bâti. Il n’est plus qu’un lieu voué à l’assemblage d’éléments conçus et construits ailleurs. » 3 Le chantier n’est donc qu’une étape de plus dans ce système de production, l’ultime maillon de la chaine, au même ordre que l’on assemble une automobile lorsque toutes ses pièces sont réalisées... Il y a dès lors une dépendance du chantier vis à vis du matériau standard, uniforme. Celui qui détenait un savoir-faire constructif, une force de créativité, d’adaptabilité est désormais condamné à exécuter, sans pouvoir s’impliquer de façon personnelle dans la construction: « Il est dépossédé de l’ouvrage qui pouvait faire sa fierté. » 4 Cela engendre une aliénation de celui qui bâtit, qui se perpétuera jusque dans l’usage futur, affectant celui qui va l’habiter.
FREY P. , Learning From Vernacular, Éditions Actes Sud, Arles, 2010, p. 29 Ibid. , p. 32
Fig. 1 / Création personnelle, à partir d’une affiche de Leo Kouper, Les Temps Modernes de Charlie Chaplin, 1936
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En confiant à un système de production une tâche qui influait sur notre mode de vie, en confiant la création de notre habitat à un système considérant les hommes comme semblables, c’est une part de notre humanité que nous avons délaissé. Petit à petit, la pensée quantitative de l’habitat a primé sur sa qualité, et toute trace d’individualité de l’être humain s’est vue annihilée par une considération du grand nombre, d’une «normalité». L’état des lieux ne s’est pas amélioré avec les reconstructions d’après guerre, où ce phénomène atteint son paroxysme. L’être humain, si singulier dans son essence, est devenu, aux yeux des partisans de l’uniformité, le constituant d’une masse, aux désirs et besoins communs, sans personnalité. De même que son habitat. Ceci dit, la situation a bien évoluée, du recul a été pris, des leçons tirées sur ces actes criminels. En France, la considération de l’Homme comme être singulier regagne tant bien que mal sa place dans le domaine de l’architecture, mais pour autant, la construction de cette architecture reste inchangée. L’hégémonie de la production industrielle des matériaux est encore incontestable. Les grandes entreprises du secteur du BTP ( Bâtiment, Travaux Publics) 5
FREY P. , Op. cit. , p. 36
conservent la main mise sur le marché, soutenue par « le biais de bons promoteurs de la cause publiés dans les revues scientifiques. » 5 En observant cette conjoncture, il semble naturel de vouloir s’en dégager, de vouloir faire autrement, plus librement. Mais l’autoconstruction estelle une réponse pertinente? En quoi constitue-t-elle une alternative à la production classique de l’habitat? Comment peut elle-être garantie d’un habitat désiré, offrant abri, bonheur, et fierté? Peut elle être considérée de façon réelle par la collectivité? Et qu’en devient-il du rôle de l’architecte? Autant d’interrogations qui démontrent de la complexité du sujet, de l’étendue des domaines rattachés: Cela ne concerne pas uniquement l’architecture, mais bien notre société en général. Ainsi se fondent les hypothèses de ce mémoire: Il y a un réel potentiel à développer ce mode de construction, qui est une réponse pertinente aux lacunes des modes de constructions classiques. L’autoconstruction est une expression de l’acte démocratique, aussi bien qu’elle est moteur d’innovations et d’appropriations. De même,
on suppose qu’il y a un réel potentiel de développement et d’acceptation de ce mode de construire, par un travail de sensibilisation et de formation perpétuel, qui puisse amorcer une évolution lente et progressive des modes de pensées.
Nous évoquons donc dans un premier temps les étapes et méthodes de par-
INTRODUCTION
C’est ce que nous souhaitons vérifier par la suite, via une recherche documentaire, mettant en relation des attitudes d’architectes, de penseurs, d’activistes d’avant et d’aujourd’hui, croisées avec l’analyse de projets réalisés ou en cours de réalisation, en montrant quelles démarches et méthodes ont adopté ceux qui se sentent impliqués, sur la scène nationale et internationale. Ce travail d’écriture est donc à considérer de façon prospective: en se basant sur des situations actuelles et réelles ( état des lieux, tendances, phénomènes d’émergence) nous tenterons d’évaluer des possibilités de constructions autogérées pour proposer d’autres démarches de conception et de réalisations de l’habitat. Il se structure donc de manière grossièrement chronologique, abordant l’avant, le pendant, et l’après construction.
ticipation des habitants dédiées à la conception, encore insuffisantes. La deuxième et troisième partie seront consacrées à l’analyse de positionnements adoptés par certains architectes, avides de changement. Nous en distinguons deux démarches bien claires: la participation à la construction à proprement parler, puis l’appropriation et la modification de l’habitat sur le long terme. Le but est ici de comprendre quels processus permettent le fonctionnement réel de telles démarches et quels sont leur bénéfices pour l’architecture et la qualité de vie. Enfin, la dernière partie nous permet de remettre en cause le rôle de l’archi- 11 tecte, qui semble évincé d’un tel mode de construire, alors qu’il n’en est rien. Celui-ci a une place, qui, bien qu’elle ne soit pas conventionnelle, reste essentielle. Nous tenterons de démontrer comment.
PARTIE 1
Étendre la démarche participative au delà de la conception?
« Pourquoi questionner et suivre des habitants ? C’est pour atteindre une complexité vivante. Et pourquoi cette complexité? Une réponse négative, par peur d’encaserner. Une positive, par passion de laisser naître l’image aimable d’un réseau de relations, d’une fertilité urbaine. » Lucien Kroll, Architecte NIEMANN S. , «Entretien avec Lucien Kroll, ou l’architecture sans maître», L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 368, Janvier - Février 2007, p. 93
Le projet réservé aux concepteurs ?
Pour autant, il ne s’agit pas ici de s’étendre sur les méthodes de concertation ou de consultation mais simplement de resituer la réflexion afin d’abor-
der avec plus de clarté le domaine de l’autoconstruction, autrement dit, la participation des habitants dans la production de leur logement. En effet, avant même de parler de réalisation, il faut s’attarder sur ce qui précède: il est donc nécessaire d’observer la place de la démarche participative dans la conception actuelle de l’architecture. A l’heure actuelle, nombre de programmes publics sont définis en faisant appel au concours de habitants, par le biais d’enquêtes diverses, de 15 discussion. Ces méthodes rapprochent l’usager de son environnement: en étant consulté, il peut donner son avis, exprimer des volontés, se sentir valoriser. Les programmes gagnent ainsi en consistance et justesse, puisqu’établis en lien direct avec les futurs utilisateurs de, comme l’observe Pierre Mahey: «Le choix se fait par sédimentation de contraintes paradoxales, par juxtaposition des points de vue et devient, grâce à la multiplicité des avis d’une précision enrichissante sans que jamais on n’ait besoin de supprimer, de renoncer, d’abandonner quoi que ce soit. » 7
6 EUVRARD A.L. , Le livre blanc de l’habitat participatif, Strasbourg, 2011, p. 7 7 RETTICH S. ,NIEMANN S. , « Pierre Mahey, Le concepteur, cœur de la coproduction du projet. », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 368, Janvier-Février 2007, p.46
PARTIE 1 / Étendre la démarche participative au delà de la conception?
Donner un rôle aux habitants. Voila sans doute la principale aspiration des programmes participatifs d’élaboration de projet. Mais que signifie réellement ce ‘‘participatif’’ que l’on entend de plus en plus, souvent associés à des processus d’élaboration de programmes, et parfois même à des phases de conception? Sans doute convient-il de clarifier ces propos, trop souvent déformés et incompris. Selon Anne Laure Euvrard, dans le préambule de son ouvrage dédié: « L’habitat participatif est un terme générique qui regroupe les différentes méthodes possibles pour participer à la conception ou à la gestion de son lieu de vie. Il est progressivement devenu le terme fédérateur pour désigner toutes les mouvances dont l’objectif est la recherche d’alternatives aux cadres de production classiques du logement. » 6 Cela explique en partie le flou rattaché à ces pratiques, très diverses, qui interviennent à différentes étapes, et qui ne sont pas nouvelles.
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Cependant, malgré cette bonne volonté de faire participer, la réalité est plus complexe. La légitimité du mouvement participatif n’est plus à démontrer dans l’élaboration des programmes, mais il n’en est rien pour la conception des projets. Il y a effectivement un fossé entre ces étapes: La conception reste la chasse gardée de l’architecte, qui, ayant collecté un nombre d’infos et d’avis qu’il juge nécessaires, s’attaque au projet de manière totalement individuelle et autocratique. « La suite du processus consiste à réguler un combat douteux entre un concepteur protégeant désespérément son œuvre et différents partenaires tentant de la faire évoluer. De projet collectif, il n’est plus question. » 8 Il est souvent le seul à prendre les décisions d’ordres spatial et formel, et se conforte dans cette position de spécialiste compétent. Mais il lui faut commencer à accepter l’intervention d’autres acteurs dans une tâche qui lui tient tant à cœur, et ce pour la force même du projet, et de manière élargie pour le bien être de son usager, de l’habitant 8
RETTICH S. ,NIEMANN S. , Op. Cit. , p. 43
Fig. 2 / Portrait de Patrick Bouchain, Architecte, par Jacques Pochoy, 2013
Concevoir son logement: un gage de qualité
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ordonnée de manière autoritaire et réalisée de manière soumise. » 10 Il s’agit donc clairement d’un manque de confiance, d’un manque de communication, et peut-être une question d’ego sur-dimensionné de la part de celui qui crée envers celui qui vit. Dans ce cas, pourquoi ne pas lier ces acteurs de façon plus équitable? Comment rétablir le dialogue, afin d’assurer une transmission de la logique architecturale ? C’est pour répondre à ces interroga- 17 tions qu’interviennent nombre d’associations et de collectifs, tels que Les Habiles à Grenoble, la société COAB, Habicoop, pour n’en citer que quelques uns, qui, en plus d’assurer la médiation entre architecte et habitant dans des projets d’autopromotions, resserrent les liens entre spécialistes et citoyens amateurs, assurant une coopération réelle, et accompagnant ceux qui sont désireux de vivre en habitat participatif tout au long du processus de conception (relations avec les entreprises, les élus, accompagnement juridique...) (Fig. 3 )
FATHY H. , Op. Cit., p. 67 BOUCHAIN P. , Construire autrement, Éditions L’impensé Actes Sud, Arles, 2006, p. 32
PARTIE 1 / Étendre la démarche participative au delà de la conception?
Certes, la multiplicité des acteurs engagés ne facilitent pas toujours la communication, et l’on constate parfois d’une incapacité de la part de l’architecte à concevoir la compréhension de son client sur la spatialité, les ambiances générés, les matériaux, etc. Il est difficilement acceptable pour un spécialiste formé de prendre en considération l’avis d’un ‘‘ignare capricieux’’ qui ne «comprend ni les lignes du dessin ( de l’architecte) ni son jargon, si bien que l’architecte le méprise et le rabroue, ou même le trompe et lui fait accepter ce qu’il veut (...) » 9. Patrick Bouchain, architecte défendeur de la cause démocratique, dévouant son travail à l’acte de construire, à la prise d’autonomie de l’utilisateur, fait le même constat dans son ouvrage Construire Autrement: « Les architectes tentent de faire œuvre de concepteur avec des projets qui leur ressemblent et ils ferment ces œuvres, les rendent rigides, et pour être surs que personne ne puisse les transformer car ils n’ont ni confiance ni en leur commanditaire, ni en leur utilisateur. Cette architecture est donc une architecture d’exécution,
Fig. 3 / Exemple de l’étendue d’action de la société COAB
à même de parler le plus justement du projet, puisqu’ils vont le vivre et l’éprouver. Le projet ne peut que gagner en potentiel et en dynamique: Le travail collectif de conception implique des réflexions complémentaires variées et inattendues, qui multiplient les exigences. Celui-ci est donc mieux fondé, intégré dans un contexte qui n’est pas seulement d’ordre matériel, mais aussi sensoriel. Participer à l’acte créateur de conception renforce également la conviction collective de la justesse du projet, et amorce déjà son intégration et son acceptation à travers le temps et l’usage. 19 Suivant cette logique, il semble que l’on puisse aller plus loin. En envisageant une démarche participative au delà de la conception, qui se prolongerait jusque dans la réalisation et l’usage, on peut imaginer une amplification de ce sentiment d’accomplissement et un rehaussement perpétuel de l’appropriation future du logement: Il faut passer à l’acte et expérimenter, et par une vraie participation démocratique, intervenir sur son habitat et son mode de vie.
11 LEMAIRE J. , Lieux, Biens, liens communs - Émergence d’une grammaire participative en architecture et urbanisme, 1904 -1969 , Éditions de l’université de Bruxelles, 2014, p. 190
PARTIE 1 / Étendre la démarche participative au delà de la conception?
Accentuer l’implication de l’habitant dans le processus de conception doit donc se faire sans crainte, sans jugement hâtif sur sa capacité à apporter de l’aide voire même de l’innovation. De fait, s’il souhaite s’impliquer, c’est qu’il s’intéresse, qu’il souhaite apprendre, comprendre les réflexions architecturales, parfois exprimer ses inquiétudes ou son mécontentement Il souhaite se démarquer de cette situation de consommateur assisté dans lequel la société le maintient. Et sentir que sa parole est entendue, prise en compte, qu’elle influera sur ce que deviendra le bâti offre un sentiment de reconnaissance incomparable, un sentiment d’utilité civique. Il ne faut donc pas planifier ‘‘pour’’ mais ‘‘avec’’ l’usager, dans un soucis permanent d’équité: « Planifier «pour» s’inscrit dans un principe d’autorité. En planifiant «avec», l’acte devient libérateur et démocratique; il stimule une participation multiple et continue. » 11 Si le but est de faire une architecture avec le peuple, alors que cette démarche soit réelle, qu’elle ne constitue pas une vitrine afin de faire adopter par des discours et des dessins séducteurs des principes et des notions qui ne fonctionnent que dans la théorie. Écoutons vraiment la parole de ceux qui sont
PARTIE 2
L’acte de construire: Vers l’émergence de nouvelles valeurs
« Quand le métier est guidé par l’autonomie, la créativité et la conscience, le travail s’approche du grand art, révélant, dans ses gestes les plus libres, les beautés cachées de la nature humaine.» Thiago Lopes Ferreira, Architecte LOPES FERREIRA T. , Architectures vernaculaires et processus de productions contemporains: Formation, expérimentation et construction dans une communauté rurale au Brésil, Thèse de doctorat en architecture, sous la direction de Anne Coste et Akemi Ino, École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble en co-tutelle avec l’Université de Sao Paulo, 2014, 356 p.
L’autoconstruction pour sortir du système Face aux manquements évidents des politiques de logements sociaux des années 60, déshumanisant totalement des quartiers et des villes entières à coup de constructions modernes et fonctionnalistes, ne se souciant que d’une logique mathématique du nombre et de la surface, certains ont senti le drame s’installer. Et lorsque le marché ne propose qu’un seul modèle, qui malgré son imposante stature ne propose pas de solutions admissibles, il n’y a pas d’autre choix que d’agir par soi même.
Il semble alors très juste de citer l’ouvrage de Caroline Maniaque, Go west! Des architectes au pays de la contre culture 12, qui retrace un historique complet et fait l’analyse de cette influence essentielle de projets marginaux qui eurent une importance capitale dans la conception actuelle de l’architecture: Maisons flottantes, structures légères et éphémères, dômes géodésiques qui paraissent alors sortis de romans de sciences fictions, mais qui annonçaient l’avant garde, se souciant déjà d’adopter des solutions de développement durable et d’énergies renouvelables. Innovations qui eurent un impact bien plus grand que ne l’auraient imaginé ces quelques fous, puisque leur influence fut une échelle mondiale. Des milliers de jeunes, qui recherchent « la liberté, l’aisance, l’esprit rebelle de certains individus, capables d’une part de construire, de bricoler avec leurs
12 MANIAQUE C. , Go West! Des architectes au pays de la contre-culture, Éditions Parenthèses, Marseille, 2014
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PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
Inspirés par un grand nombre de jeunes intellectuels, écrivains, philosophes (nous pouvons citer par exemple: Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Neil Cassady, Paul Goodman...) en retrait de la société hyper consumériste américaine et le développement mondial de l’American Way of Life, beaucoup se sont tourné vers ce que l’on appellera plus tard la contre-culture. Dans une démarche toujours critique du système, ils veulent faire autrement, transformer les valeurs de la société pour les recentrer sur l’homme et son environnement, bouleverser considérablement les modes de
vies. Ce mouvement contre culturel, très critique, engage de nouvelles visions de sociétés et d’architectures.
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mains un habitat fait de matériaux de récupération et, d’autre part, de travailler avec des architectes engagés dans une pratique professionnelle militante» 13 décident de plier bagages et de mettre les voiles afin d’y voir de leur propres yeux, non pas l’immensité, la verticalité et le modernisme déjà décriés, mais bien la montée en puissance de ces projets amateurs, guidés par une multitude de passionnés touche-à-tout, armés d’une volonté et une sensibilité incomparable. Ces nouvelles générations explorent des possibilités d’autoconstruction, et réalisent même des écrits destinés à sensibiliser le grand public, et donc à promouvoir ce mode de faire. L’ouvrage Shelter 14 de Lloyd Kahn est un de ceux là, et constitue ainsi un véritable « manuel de construction doublé d’un appel à un mode de vie où la responsabilité individuelle prime sur toute forme d’intervention étatique; il promeut l’autosuffisance plutôt que l’échange monétaire; il milite pour le groupement communautaire aux dépens de la famille nucléaire. » 15 L’acte de construire ( par soi-même ) est 13 14 15 16
donc considéré comme une solution d’autonomie, qui remet en valeur des savoirs-faire vernaculaires presque oubliés. On découvre le chantier comme un laboratoire d’expérimentations, de découvertes et de réinterprétations des cultures constructives, qui fait la corrélation entre savoir technique et scientifique. Bernard Rudofsky dans son Architecture without Architect 16 contribue également à cette revalorisation de savoir faire ancestraux, et suscite une véritable admiration pour des savoirs vernaculaires répondant à des solutions constructives pour l’habitat depuis des millénaires. L’intérêt grandissant pour ce type d’architectures autoconstruites et autonomes favorise également un réemploi de matériaux naturels, non ou peu transformés, qui rapprochent l’Homme de son environnement par leurs simples manipulations, et contribuent à redonner une valeur culturelle essentielle à la construction. Par l’œuvre de ceux qui souhaitaient se démarquer est née un véritable
MANIAQUE C. , Op. Cit. , p. 14 KAHN L. , Shelter, Shelter Publication Inc., 1973 MANIAQUE C. , Op. Cit. , p. 168 RUDOFSKY B. , Architecture without architects, Museum of Modern Art, New York, 1969
Fig. 4 / Drop City, communauté autogérée, Colorado, États-Unis, 1965
fond de pensées, qui n’a pas fini de faire pousser des graines dans l’esprit de nouveaux philosophes, écrivains, architectes, et citoyens. L’autoconstruction a et va toujours exister, pour ceux qui n’ont pas le choix, ou pour ceux qui veulent agir différemment. Elle constitue une alternative concrète et réelle. Mais la question est de savoir si aujourd’hui, elle peut s’imposer comme un réel argument face à la production classique du bâti. Ce mode de faire peut il s’extraire de la marginalité pour entrer dans le conformisme collectif? 26
Vers un sentiment d’accomplissement personnel Le temps passe, mais les choses ne changent guère. La plupart des être humains continuent à s’enfoncer dans un mécanisme qui annihile petit à petit son autonomie, sa curiosité, son émerveillement. En bonne machine, il est programmé à exercer une tâche spécifique, pour laquelle il a été formé, dans un soucis d’efficacité et de rendement permanent du système économique. Si bien qu’on le stigmatise toujours plus
sur sa faculté à accumuler d’autres savoirs et à les pratiquer de façon concrète, paradoxalement à une diffusion de l’information, qui n’est pas toujours de qualité, mais qui se veut de plus en plus libre et accessible. Dans une logique d’assistanat permanent, l’homme doute de plus en plus sur ses capacités à penser par lui même, à s’autogérer, et se plie aux règles qu’on lui impose. Pour autant, nous observons encore beaucoup de personnes qui exercent par eux-même dans une diversité de domaines qui nous surprend encore, en milieu rural ou précaire notamment. Phénomène certainement lié à une culture autodidacte pluridisciplinaire ancrée depuis longtemps déjà, là où le système capitaliste n’impose pas autant sa suprématie, accompagnée de tous ses effets néfastes. Mais dans la majorité des cas, urbains et occidentaux précisons le, cette culture n’est plus. C’est toute la relation au monde, au travail, à la société qui s’en trouve bouleversée. L’intermédiaire est inévitable, et participe à une division inconditionnelle des étapes de la chaine de
production et de distribution, qui place l’utilisateur consommateur dans une incompréhension et une indifférence totale de cette multitude d’étapes qui ont contribué à la fabrication de l’objet fini.
II s’agit désormais d’envisager l’Homme comme capable d’exercer d’autres fonctions que celle qui lui est assignée au terme de sa formation scolaire ou universitaire. Il est avant tout un être vivant doté d’intelligence, libre de penser, doté de toute cette complexité qui le rend si
La relation directe, qui se passe d’intermédiaire, entre l’esprit et l’objet, entre le constructeur et la construction est d’ordre sacré: « cette production du bâti est riche en émotions et libère les énergies créatrices de ses auteurs.» 19 Le chantier se transforme ainsi en véritable lieu d’épanouissement et de développement personnel, où sont mises à l’épreuve intelligence, capacité d’écoute, d’interprétation et potentiel créateur, qui contribuent à une valori-
17 JOFFROY P. , « Le citoyen arrive! Vers une société active sur son cadre de vie», D’Architectures, n° 198, Mars 2011, p. 42 18 FATHY H. , Op. Cit. , p. 98 19 FREY P. , Op. Cit. , p. 52
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
Une succession d’étapes qui révèle l’absurdité de ce système se voulant économique et rentable, et met en doute sa capacité réelle à prendre en compte la multiplicité des caractères individuels, ce en particulier pour la production du bâti: « en devenant une affaire de spécialistes, en se pliant à la standardisation et aux normes, en se liant au pouvoir économique, la construction des bâtiments et de la ville s’est éloignée des désirs sociétaux et ne correspond plus aux vraies demandes. » 17 Un point de vue, extérieur, qui n’est que trop limité, partiel et partial, justifié par des hypothèses purement théoriques, souvent contestables dans la réalité.
unique vis à vis de ses semblables, et son habitat doit être à cette image. En l’autoconstruisant, il est le seul capable de décider ce qui lui convient le mieux, et d’atteindre des exigences qui lui sont propres. Introduire à nouveau une dimension anthropologique, symbolique, et culturelle qui a disparu avec la proéminence de la production conventionnelle du logement apparaît essentielle: « Sa maison, glorification de lui-même est son plus durable monument, correspondra en taille, aspect et luxe aux autres détails de son individualité. Elle sera bien sur adaptée à ses moyens, mais elle aura aussi toutes les caractéristiques incidentes de son tem- 27 pérament. » 18
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sation personnelle sans égale. Ces émotions, traits de caractères sont retransmis directement à travers la pratique, la manipulation. Ils en font la substance de l’objet construit. Le seul intermédiaire qui existe désormais, ce sont ses mains, directement reliées à son esprit. Magnifiques outils qui lui ont permis de comprendre la matière, de la manipuler, d’y incorporer une forme de personnalité, avant de retransmettre un savoir à ses disciples. Henri Focillon, historien d’art, explique dans son Eloge de la main 20 le rôle essentiel qu’a joué ce membre dans notre évolution, et la complexité des perceptions et des sensations qu’elle nous transmet: « Quelle que soit la puissance réceptive et inventive de l’esprit, elle n’aboutit qu’à un tumulte intérieur sans le concours de la main. (...) Mais le vocabulaire parlé est moins riche que les impressions de la main, et il faut plus qu’un langage pour traduire leur nombre, leur diversité et leur plénitude.» 21
confère une dimension si chaleureuse, intangible, qui se ressent jusque dans la matière confectionnée.
C’est au travers de celle-ci que se façonne toute création, et c’est ce qui rend unique tout travail manuel: La singularité du geste, son imperfection lui 20 FOCILLON H. , « Eloge de la main » , in Vie des formes, Presses Universitaires de France, Paris, 1943 21 Ibid. , p. 8 Fig. 5 / Extrait d’une vidéo illustrant le travail de Lee Hyuang Gu, maître céramiste coréen, 2013
Se parer de matériaux naturels
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On peut ainsi déduire d’une limite imposée par l’utilisation de produits standardisés de l’architecture. Les matériaux lourds de transformations que proposent la production industrielle ne sont pas facilement manipulables et appropriables. Une formation spécifique est nécessaire pour les comprendre, un outillage lourd et couteux pour les manipuler. Du fait de leur standardisation, ils ne se prêtent guère à cette singularité constructive, à cette charge émotionnelle décrite plus en amont. On peut donc penser qu’ils ne sont pas aptes à répondre aux préoccupations de ceux qui veulent construire par eux même. C’est pourquoi les projets d’autoconstruction n’ont d’autres choix que de se tourner à nouveau vers les valeurs vernaculaires locales, qui répondent plus justement à des contraintes environnementales et constructives particulières. « En restituant sa place à une production manuelle, artisanale, tactile et sensuelle du bâti, en plaçant au cœur de ses préoccupations une force de travail abondante et généralement pauvre, elle réinstalle sur le devant de la scène architecturale des matériaux oubliés (...) qui stimulent 22 23
FREY P. , Op. Cit. , p. 51 BOUCHAIN P. , Op. Cit. , p. 64
tous des mises en œuvre littéralement amoureuses.» 22 On assiste donc à un renouveau de l’utilisation de matériaux locaux, naturels ( briques d’adobe, bois massif, bambou, paille, terre, etc ) qui ne gérèrent pas de rentabilité économiques pour les entreprises. Un bémol: ce sont des matériaux du passé, qui bien qu’ayant fait leurs preuves à travers les âges, peinent à se diffuser sur le marché, malgré tout le stock d’ingéniosité associé. La volonté de certains qui souhaitent les réutiliser pour une architecture contemporaine ne suffit pas. Leur mise en œuvre, bien qu’accessible, n’est pas innée. Il faut réapprendre les gestes, les transmettre, redonner ses lettres de noblesses à un artisanat local: « La matière est plus compréhensible si elle est montrée que si elle est décrite, comme la lumière ou la couleur le sont si elles renvoient à quelque chose de connu ou de déjà vu. Il s’agit de montrer pour transmettre, d’indiquer ce que sera la construction, et non d’illustrer le projet architectural, car il est impossible de représenter quelque chose qui n’est pas représentable autrement que par la construction. » 23
Mais en observant les faits, on ne peut être qu’optimiste: De plus en plus d’acteurs de la construction ( architectes, maîtres d’œuvres, chercheurs, ouvriers...) se réorientent, et réapprennent, contribuant à une sensibilisation du grand public sur les potentialités de tels matériaux pour l’architecture contemporaine.
Par l’autoconstruction, on se réserve la choix. Le choix d’un matériau, d’une culture constructive, d’une relation au monde, le choix de faire différemment. Habiter léger sur terre n’est pas une lubie, mais un positionnement adopté par beaucoup de populations, qui engage chez eux une réelle fierté.
Fig. 6 / Maquette d’une favela exposée au Musée d’Art de Rio de Janeiro ( MAR ) crée par des habitants, 2014 (Double page suivante)
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
De plus, et ce n’est pas un point à négliger, ils garantissent un moindre impact environnemental: ils sont pour la plupart prélevés à proximité du site de construction, dans un souci de construction locale. Le calcul d’énergie grise est de loin inférieur à celui de matériaux industrialisés. Nul besoin de les transformer, ils sont quasiment prêts à l’emploi et répondent ainsi amplement aux préoccupations écologiques actuelles. Dans d’autres cas, certains se tournent vers la récupération. Le réemploi de matériaux usinés est également une solution pour ne pas consommer d’énergie dans la création ou la destruction de matériaux de construction. Les populations les plus démunies en sont les précurseurs, usant, ré-usant presque à l’infini des produits qui ne se désagrègent pas. Certes leur image renvoie direc-
tement, par inconscience, à l’image du bidonville insalubre, de l’architecture du pauvre, mais ils peuvent être sources de réelles innovations esthétiques. Il suffit d’observer l’ingéniosité de certains, qui sans aucune formation autre que pratique, créent des merveilles à partir de rien. Les favelas de Rio de Janeiro au Brésil en sont de magnifiques exemples, parfaitement intégrées à leur collines, illustrant une complexité constructive, esthétique et spatiale sans égale, inspirant peintres, écrivains, et architectes, désormais rattachées au patrimoine touristique de 31 la ville. ( Fig. 6 )
Laisser naître l’autonomie pour innover
34
L’action de construire suscite une véritable valorisation personnelle, une forme d’orgueil, nous l’avons vu. Accompagné, formé, l’autoconstructeur entreprend des choix, fait acte de décision, qui sont parfois juste, parfois non. Mais cette prise de risque, qui peut bien sur conduire à l’erreur, se révèle souvent formatrice. On dit que c’est en tombant que l’on apprend à se relever, et bien c’est en pratiquant que l’on apprend le bon geste. Patrick Bouchain prône cette attitude aventureuse, qui constitue selon lui un élément essentiel dans la démarche constructive: «J’ai voulu pousser à l’extrême le mal construire, en laissant les hommes agir sans contrainte, pour repérer dans le mal construire ce qu’il y avait peut-être de vrai.» 24 Nous devons cependant nuancer ces propos, même si pratiquée par un amateur, la construction n’est pas forcément synonyme de maladresse. Comme le remarque Michael Osswald, architecte, lors d’un entretien téléphonique, « quand les gens le font pour eux mêmes, il y a souvent moins d’erreurs, ils prennent le temps (...) et font plus attention. » 25 24 25
Celui qui ne connait pas la méthode s’accorde plus de concentration, car il est conscient de son savoir faire approximatif et inexact. Le résultat final est bien souvent remarquable et admirable, suscitant l’étonnement du public lorsqu’il constate de la qualité du travail fourni. En laissant naître cette autonomie, la conscience collective d’un groupe est capable de prendre du recul, sans l’avis extérieur d’un expert. Elle contribue à renforcer une prise d’assurance, d’autocorrection, qui engage inévitablement un esprit de coopération et d’entraide. Les divers acteurs qui jusqu’alors œuvraient pour leur corps de métiers ( maçonnerie, charpenterie, enduit, peintures, menuiseries, etc.) sans se préoccuper de la suite des événements, ne forment plus qu’une seule entité, armée une vision globale du projet, avec comme but commun de voir se construire l’œuvre produite dans toute sa splendeur. On n’assiste plus à cette scission des étapes qui impliquent une incompréhension générale du produit architectural, mais à
BOUCHAIN P. , Op. Cit. , p. 75 Propos recueillis au cours d’un entretien téléphonique, le 09 Avril 2015
Les travaux d’Anna Heringer s’inscrivent totalement dans ce processus, prônant une capacitation des personnes impliquées dans la construction , c’est à dire une volonté de les rendre capable. Dans un rapport d’échange, elle forme des ouvriers, des habitants à utiliser plus justement la terre comme matériau de construction. Cet enseignement permet ensuite une interprétation personnelle de la technique, une offre de travail créatif, satisfaisant et valorisant. La METI 26 27 28
School (2007), de même que le centre de formation pour électiciens DESI (2008) à Rudrapur au Bangladesh, en sont de magnifiques exemples, tant au niveau de la démarche que de la finalité du projet construit. Leur construction s’est fait dans un processus de compréhension et de respect des cultures locales. L’accompagnement des populations à la construction a donc été source de formation et d’émerveillement réciproque entre architecte et constructeur. ( Fig. 7 ) Par une telle démarche, l’inattendu, et l’innovation sont rendus possibles. Des improvisations sont les bienvenues, et 35 puisque mieux pensées, mieux acceptées, elles se révèlent mieux gérées, plus justes. Le projet, mieux compris par ceux qui le construisent, « s’installe dans un rapport noble où acte et pensée s’inter-fécondent dans le temps. » 28 Il n’est pas figé, mais évolue sans cesse au fur et à mesure qu’il sort de terre, et les acteurs de sa construction ne cessent de s’enrichir de nouvelles connaissances, de nouvelles sensibilités, qu’ils pourront retransmettre à leur tour aux générations futures. Voilà réellement ce que l’on peut appeler un projet ‘‘durable’’.
NIEMANN S. , Op. Cit. , p. 93 BOUCHAIN P. , Op. Cit. , p. 75 BOUCHAIN P. , « Tous bâtisseurs! », D’Architectures, n° 198, Mars 2011, p. 52
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
une pensée prospective bienfaitrice, qui assure une meilleure cohésion entre attentes et réalisations. De plus, celui qui pratique fait preuve d’interprétation. La transversalité des regards et réflexions de tout horizon inculquent au projet une incroyable substance, une « complexité vivante » pour reprendre les mots de Lucien Kroll. 26 Selon Patrick Bouchain, « l’interprétation crée de l’harmonie, une sorte d’indépendance et d’autonomie. Chacun trouve et prend sa place, et c’est petit à petit la constitution de ces personnalités diverses qui, concourant toutes vers un objet à produire, coopèrent. Cette coopération crée du lien, et l’interprétation rapproche les gens parce qu’il y a le risque que cela ne marche pas. » 27
Engendrer des bénéfices
29 30
ment de la dynamique économique urbaine. Jean-Paul Loubes met en garde ces jugements hâtifs, lorsqu’il observe le cas de Dharavi, bidonville de la ville de Bombay en Inde, le plus important d’Asie. (700 000 habitants sur 3km2): «Cette agglomération générerait chaque année pour plus d’un million de dollars à l’exportation. Elle n’est donc en aucune matière exclue des courants de la mondialisation et de ses flux d’échanges. Mieux, elle en procède pleinement. » 30 Cette considération économique ouvre la voie vers d’autres valeurs définanciarisées. Il existe en parallèle du système capitaliste mondial auquel nous sommes habitués, une forme d’économie dont l’importance n’est pas à négliger. André Gorz, philosophe, s’intéresse de près à celle-ci, et décrit très justement dans son ouvrage L’immatériel, Connaissance, Valeur et Capital: «L’économie visible, dite formelle, n’est qu’une partie relativement réduite de l’économie totale. Sa domination sur celle-ci a rendu invisible l’existence d’une économie première faite d’ac-
LOUBES J. P. , Traité d’architecture sauvage, Éditions du Sextant, Paris, 2010, p. 45 Ibid. , p. 48
Fig. 7 / Les couloirs du centre de formation pour électriciens DESI, à Rudrapur, Bangladesh, 2008
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PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
Dans une situation économique précaire, beaucoup n’ont d’autres choix que de se tourner vers l’autoconstruction pour accéder à un logement. On les qualifie souvent d’habitats informels, puisqu’ils ne répondent pas à des exigences classiques de décence et de confort. Mais, contrairement aux premiers abords, ils constituent de véritables habitats, qui malgré leur défaillances matérielles, répondent à des préoccupations basiques: s’abriter, se protéger des agressions extérieures, développer une vie de famille, et sont souvent générateurs d’une réelle vie de quartier. Faisant preuve d’intelligence collective, des communauté entières se logent, de manière illégale pour la plupart, lorsque les politiques d’État de logements sont totalement dépassées par l’accroissement quotidien de la demande. Ils s’extraient du secteur industrialisé de la production d’habitat, non par volonté, mais « par nécessité vitale. » 29 Certains estimeront que, par ces procédés autonomes, les habitants de ces quartiers ne participent pas, ou d’une manière insignifiante, à un développe-
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tivités, d’échange et de relations non marchandes par lesquels sont produits le sens, la capacité d’aimer de coopérer, de sentir, de se lier aux autres, de vivre en paix avec son corps et avec la nature. C’est dans cette autre économie que les individus se produisent humains; à la fois mutuellement et individuellement, et produisent une culture commune. La reconnaissance du primat des richesses externes au système économique implique l’exigence d’une inversion du rapport entre la production de valeur marchande et la production de richesses ‘’inéchangeables, inappropriables, intangibles, indivisibles, inconsommables’’: la première doit être subordonnée à la seconde.» 31 Les bénéfices ainsi crées par l’autoconstruction ne sont plus seulement d’ordre monétaire, ils échappent en aux valeurs matérielles: Ils sont secondaires, impalpables, libres de possession. La plus haute valeur ajoutée constituée par ce processus échappe aux critères de l’analyse économique conventionnelle. Elle se figure à une échelle humaine, se souciant majoritairement d’une appropriation collective, formelle et symbolique du bâti par ses
constructeurs et ses usagers. Au delà, c’est dans le développement à long terme de la communauté résidente, d’une dynamique d’autonomie, de création d’emploi, qui a pour ambition un accroissement de l’autosatisfaction, de la plénitude de l’être, de la solidarité entre les personnes. Yann Maury explique également «qu’aucun gouvernement, ni aucun marché n’est en mesure de créer ce type de richesses, car elles reposent sur des relations sociales et morales enracinées dan le partage, la collaboration, la loyauté, la confiance entre les individus, éléments intangibles qui ne sont pas quantifiables et qui, du point de vue des économistes, sont présumés n’avoir aucune espèce de conséquences, on pourrait ajouter, ou aucune espèce de valeur.» 32 Pour atteindre ce type de valeurs, qui semblent essentiels pour un bien être de la vie en communauté, il est donc dérisoire de compter sur le système classique de production de l’habitat. Nous devons également nous accorder à observer les bénéfices directes, qui constituent des préoccupations essentielle pour la plupart. Pour des po-
31 GORZ A. , L’immatériel, Connaissance, Valeur et Capital, Éditions Galilée, Paris, 2003, p. 80 32 MAURY Y. , Les coopératives d’habitants, des outils pour refonder la ville durable, Conférence tenue le Jeudi 08 décembre 2011 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble.
pulations ayant plus de facilités, ayant des fonds à investir, l’autoconstruction est une solution qui se passe d’intermédiaire, qui coûtent. Tous ces fonds destinés à payer ces intermédiaires sont donc préservés: En ne contractant pas d’entreprises pour réaliser quelque chose soi-même, on ne dépense pas, c’est indiscutable. Cet argent ainsi économisé, destiné au départ à payer ces professionnels est préservé, et peut être réinjecté à d’autres fins: achat de matériaux plus nobles, outillage, dépenses ultérieures...
33
d’après MAURY Y. , Op.Cit.
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
L’étude de coopératives d’habitants autogérées en Italie, en marge du système économique, met en avant des chiffres qui laissent songeur: Par l’autoconstruction, c’est une économie financière directe de près de 40% sur les frais de production du bâti. ( Fig. 8 ) 33 En s’émancipant d’une logique d’assistanat prônée par les politiques publiques, ils réussissent à atteindre des exigences de confort qui ne sont rendues possibles que par ce mode de construire. On peut donc s’accorder sur le fait qu’il s’agit d’un mode de construire réellement économique, au sens conventionnel du terme.
De la même manière, les économies se font à la source, dans la matière même. Rappelons qu’à une époque déjà lointaine, construire un logement était un investissement financier mineur. Par un plus grand temps de réflexion, la moindre économie était réalisée, malgré la gratuité des ressources. Consommer plus de matière grise pour consommer moins de matière physique, voila une des finalité de la démarche autoconstructive. L’intelligence constructive crée depuis toujours des projets rationnels, puisqu’elle cherche à répondre à des contraintes structurelles, spatiales, climatologiques, dans un souci perpétuel d’optimisation des 39 ressources et du temps de travail. En cela on peut la rapprocher de l’architecture dite vernaculaire. L’autoconstruction est l’architecture du peuple, de celui qui recherche avant tout un abri, auquel il peut incorporer toute la personnalité et la symbologie qu’il souhaite, mais qui ne s’accorde jamais le moindre gâchis. Une démarche environnementale juste tient compte de ces préoccupations. Ce n’est pas parce qu’il y abondance de matière, qu’il faut se permettre de la dilapider avec excès.
MARCHE TRADITIONNEL
VS
AUTOCONSTRUCTION
41
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
Fig. 8 / Ensemble des coûts générés pour la production d’un logement, Sources ELISEI 2011, Redessin Personnel
ANALYSES DE PROJETS
Casa Suindara Localisation: Communauté agraire Nova São Carlos, Brésil Maîtrise d’ouvrage: Gilson et Mary Silva Maîtrise d’œuvre: Laboratoire de recherche Habis (USP) et Laboratoire Architectures et Cultures Constructives (ENSAG) Programme: Maison individuelle populaire Années: 2013 - ? Surface du site: 1 158,5 h pour 83 familles Surface construite: 96 m2 environ Matériaux: Eucalyptus, palettes, pisé stabilisé Budget: 5000 euros, hors frais secondaires Temps de construction: 55 jours
ANALYSES DES CONTEXTES Contexte économique
La communauté agraire Nova São Carlos se situe en milieu rural, dans la municipalité de São Carlos, Etat de São Paulo, au Brésil. C’est un territoire mal approvisionné par les réseaux urbains, en situation difficile, mais qui offre cependant des ressources disponibles pour l’activité agricole et l’autoconstruction. Y cohabitent 83 familles, dans des conditions souvent insalubres, sur des parcelles réparties allant de 7 à 12 hectares chacune. Elles y exercent une activité de production majoritairement agricole, de culture ou d’élevage.
Les familles occupant le site, mal organisées socialement et mal représentées au sein de l’État, collaborent tant bien que mal pour s’extraire de ces conditions imposées par des politiques gouvernementales. C’est avec une grande difficulté qu’elles cherchent à « accéder à des crédits financiers pour viabiliser ce qui devrait être assuré pour le développement des assentamentos ruraux de réforme agraire, comme: l’habitat, l’énergie, l’approvisionnement en eau, 47 l’assainissement, le transport et les politiques publiques d’appui à la production familiale.» 34
Ce projet tient lieu dans un contexte d’étude universitaire et solidaire, soutenu par le laboratoire Habis de l’Université de Sao Paulo, et par le laboratoire Architecture et Cultures Constructives de l’ENSA Grenoble. Dans un cadre d’expérimentation, le but est de développer un habitat confortable, et d’améliorer considérablement les conditions de vie d’une famille, par le biais d’un chantier pédagogique participatif, mettant en scène des volontaires bénévoles de nationalités, conditions sociales et formations différentes. 34
LOPES FERREIRA T. , Op. Cit. , p. 190
Les fonds disponibles sont donc quasiment nuls, et il est nécessaire pour le développement de ce projet de faire appel à des partenaires diverses (fonds de recherches universitaires, entreprises de matériel, dons de particuliers) pour un apport financier, une fourniture en outillages et en matériaux ( palettes récupérées dans des usines de la zone industrielle à proximité)
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
Contexte géographique et social
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POSITIONNEMENTS ADOPTES Pour un habitat confortable
L’utilisation de matériaux locaux Travailleur dans le bâtiment, G. Silva souhaite apprendre des techniques écologique de construction en terre et bois. L’orientation vers des matériaux
Ces questionnements visent également à s’extraire d’un mode de production classique de l’habitat, en se démarquant des matériaux industrialisés qui ne laissent pas libre cours à l’expérimentation et à l’innovation constructive.
Fig. 9 / G. Silva, lors d’une visite de la parcelle, 2013 Fig. 10 / Dessin de l’implantation du projet, à proximité des installations existantes, 2013 Fig. 11 / L’habitation actuelle de la famille ( Bois, Toile, Tôles ) 2013
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PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
L’implantation de la nouvelle habitation se fait à proximité immédiate de l’actuel habitat de la famille, et donc à proximité des installations nécessaires à l’activité agricole: poulailler, porcherie, potager, etc. ( Fig. 10 ) La disposition spatiale, les matériaux choisis, la forme même du bâtiment résultent d’une première phase de conception réalisée avec des étudiants, en collaboration avec les habitants. Le projet se décline ainsi en deux blocs modulaires, abritant d’une part les espaces de vie: séjour, cuisine, sanitaires, buanderie) et d’autres part les espaces intimes ( chambre des parents et des enfants, pièce annexe sans usage prédéfini). Un logement spacieux, fonctionnel, facilement extensible, qui contraste totalement avec l’habitat actuel de la famille. ( Fig. 12 )
localement disponible se fait donc de manière intuitive. La structure porteuse est ainsi réalisée en troncs d’eucalyptus, coupés à proximité, sur une parcelle voisine. Les murs non porteurs, de même que les panneaux de couvertures sont produits à partir d’une déclinaison des palettes de construction récupérées dans les usines avoisinantes, et dans un soucis d’inertie thermiques, sont remplies de terre locale. De même, les fondations et soubassements de l’habitation sont réalisés en pisé stabilisé au ciment, en raison de la consistance sableuse de la terre. Les ressources sont donc locales, gratuites et naturelles. L’intelligence constructive vise à optimiser leur usage et les propriétés constructives de chacune.
50
Fig. 12 / Plans général de l’opération présentant les deux modules de l’habitation: espaces de vie (à l’ouest) et espaces intimes (à l’est)
Une formation réciproque
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L’importance de l’action collective « Nous sommes dans une société super 51 individualiste et le fait d’avoir un processus collectif est ce qui fait que nous n’ayons pas de baisse de motivation, parce que nous sommes dans un processus qui génère des relations sociales entre nous.» 37 La participation volontaire, solidaire est un facteur qui peut amorcer une évolution des mœurs, un regain d’intérêt pour des valeurs humaine, comme l’entraide, la solidarité. Les relations sociales se trouvent renforcées, alimentées par un désir commun d’agir au mieux pour le bien-être de personnes qui le méritent.
https://maisonsuindara.wordpress.com, Consulté le 16 Avril 2015 Ibid. LOPES FERREIRA T. , Op. Cit. , Propos de Anais Guéguen, architecte, p. 268
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
L’intervention bénévole des acteurs sur la construction se fait non seulement pour des préoccupations économiques, mais également dans une perspective de sensibilisation sur les faisabilités de constructions autonomes. L’intérêt des autres familles de l’assentamento est certes grandissant, et leurs visites sur le chantier fréquentes, mais leur participation à la construction reste limitée. En revanche, pour ceux qui s’investissent de façon réelle et concrète au chantier, en mettant la main à la pâte, la formation est permanente. Au fur et à mesure de l’avancement du chantier, on observe une véritable autonomie grandir en chacun, les gestes deviennent de plus en plus précis. Les différentes étapes de la construction sont organisées en différents modules, dont les portes sont ouvertes à tous ceux qui souhaitent participer. Ceux-ci « abordent chaque étape constructive, des fondations à la couverture, en passant par la structure, le montage des panneaux des murs et cloisons, les revêtements, ainsi que l’organisation volontaire des groupes de travail, de la gestion des outils et des équipements, de la propreté du chantier, entre autres. » 35
Chacune de ces étapes établit une relation entre réflexions théoriques et actes pratiques. La communication prend une place essentielle dans la compréhension, l’appropriation des techniques constructives expérimentales. « Dans ce contexte, les participants interagissent entre eux et réalisent toutes les activités nécessaires. L’architecte apprend avec le travailleur, qui dialogue avec l’étudiant, qui échange avec l’habitant de l’assentamento, et ainsi de suite.» 36
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PANNEAUX DE MURS EN PALETTES
STRUCTURE EN TRONCS D’EUCALYPTUS
SOUBASSEMENTS EN PISE STABILISE
« L’implication nécessaire à la construction des relations affectives et de confiance constitue également une dimension de la formation humaine. (...) La dimension affective doit être considérée dans la dimensions politique de la formation humaine, enrichissant le processus et maintenant une lecture critique et attentive de la réalité.» 39 Thiago Lopes Ferreira 38
LOPES FERREIRA T. , Op. Cit. , p. 323
Fig. 13 / Terre, Eucalyptus, et palettes utilisées pour la construction, 2013 Fig. 14 / Extraction et préparation de la terre de soubassement, 2014 Fig. 15 / Détail d’un des modules en cours de finition, 2014 Fig. 16 / Perspective résumant les systèmes constructifs, Redessin Personnel
Greenobyl Localisation: Strasbourg, Alsace, France Maîtrise d’ouvrage: Groupe d’autopromotion «Greenobyl 002» Maîtrise d’œuvre: G. Studio Architectes Programme: Immeuble de 3 logements en triplex + équipements: Salle commune, 2 locaux d’activités en RDC, buanderie, laboratoire photo, four à pain, sauna, toiture terrasse en jardin d’hiver Années: 2009- 2013 Surface du site: 129 m2 Surface construite: 375 m2 SHON Matériaux: Panneaux Bois KLH, Acier, Bardage Mélèze Budget: 2500 euros / m2 Temps de construction: 1 an, sans les finitions
POSITIONNEMENTS ADOPTES
Contexte géographique et social
Une conception collective
Le projet se situe en plein cœur de la ville de Strasbourg, en Alsace. Il est donc à proximité immédiate des transports en commun et des service urbains. La parcelle est de faibles dimensions, et par soucis de densification, la bâtiment l’occupe en presque totalité. Il s’intègre parfaitement au contexte environnant, en réinterprétant le bâti avoisinant. Souhaitant renforcer une cohésion sociale et un esprit de «vivre ensemble», de nombreux espaces sont pensés pour un usage collectif: Salle commune, buanderie, Laboratoire photo, sauna, de même qu’une toiture terrasse accueillant un jardin d’hiver constituent ainsi des lieux de vies communes.
La conception du projet s’est faite avec une participation totale des habitants, puisqu’ils en sont les architectes. Ils ont ainsi crée une réelle diversité d’espaces et d’ambiances, chaque logement, s’étendant sur 3 niveaux pour une surface allant de 70 à 100 m2, est conçu pour répondre au mieux aux attentes de chaque famille, dans un rapport équitable. Par un agencement en triplex, avec accès indépendant à la toiture terrasse, le mode de vie ren- 57 voie plus à une image de maison individuelle qu’à celui d’un appartement de centre ville. Ainsi, ils parviennent à inventer un nouveau mode de vie collectif, tout en conservant les qualités de logement individuel: introspection, autogérance des espaces, indépendances des accès, etc.
Contexte économique Les familles disposent bien sur de fonds pour financer le chantier, mais leur budget ne leur permet pas une telle qualité de mise en œuvre sans passer par l’autoconstruction. Michael Osswald, l’un des architectes habitants du projet s’exprime ainsi: « Cela permet d’augmenter les prestations, tout en réduisant les coûts. » 39 39
Autoconstruire pour expérimenter L’autoconstruction est un véritable laboratoire d’expérimentations des techniques. La réflexion est poussée, met en scène différents acteurs: architectes, artisans, amateurs, qui peuvent s’enrichirent les uns les autres de so-
Propos recueillis au cours d’un entretien téléphonique, le 9 Avril 2015
PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
ANALYSES DES CONTEXTES
lutions insoupçonnées. De même, la temporalité y est différente. Il n’y a pas de course contre la montre, et cela permet de réfléchir en amont chacune des étapes: l’acheminement de matières premières sur le site de construction, la mise en œuvre, l’entretien ou le remplacement de certains éléments architecturaux. En consacrant plus de temps à cette réflexion et en s’ouvrant au débat avec des personnes extérieures, c’est le projet qui gagne en justesse et en complexité, et les habitants entrevoient déjà l’usage futur de leur logement. 58
Le chantier est devenu ouvert et participatif, n’impliquant pas seulement les habitants autoconstructeurs, mais aussi des étudiants motivés, des proches, des stagiaires, etc. Cela génère une dynamique de groupe inhabituelle, une meilleure communication de la répartition des tâches, une formation à l’outillage. Il y a également l’éveil d’une certaine curiosité de la part des riverains, qui, surpris de voir ce mode faire, s’arrêtent, questionnent, commentent. Cela facilite l’acceptation du chantier, souvent synonyme de nuisances, et prépare la suite, le projet s’insérant 40
de manière plus douce dans la vie de quartier. Réduire les coûts Par l’autoconstruction et le réemploi, les habitants ont considérablement diminué le budget du bâtiment, économisant presque 1000 euros du m2. Ils ont ainsi posé le bardage de la façade par leur propres moyens, en l’espace de trois semaines, avec la participation d’acteurs cités précédemment, réutilisant des éléments de la palissade de chantier. Seuls, ils ont réalisé les doublages isolants acoustiques entre logement, les parois intérieures, la chape béton, le carrelage, la mise en place de la terre végétale du jardin. C’est un investissement personnel conséquent, presque une forme d’exploitation du travail, qui ne s’arrête jamais: « En autoconstruction, ça ne se termine jamais vraiment. » 40 Il y a toujours à faire: les finitions, l’entretien, des extensions... Pratiquée avec enthousiasme et courage, elle ne génère que satisfaction, et permet des exigences qui ne sont possibles que par ce mode de faire.
OSSWALD M. , Propos recueillis au cours d’un entretien téléphonique, le 9 Avril 2015
Fig. 17 / Pose de briques d’adobe comme isolant acoustique entre deux logements, 2014 Fig. 18 / Bardage en palissade de chantiers, Façade sur cours, 2014 Fig. 19 / Bardage en shingels de mélèze, Façade sur rue, 2014
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PARTIE 2 / Vers l’émergence de nouvelles valeurs
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« C’est important que l’on puisse témoigner de ça, que lorsqu’un architecte accompagne des autoconstructeurs, on ne pense pas qu’à la mise en œuvre des matériaux, on pense global, et l’on peut dire que c’est un avantage. » 41 Michael Osswald 41
OSSWALD M. , Propos recueillis au cours d’un entretien téléphonique, le 9 Avril 2015
Fig. 20 / Plan du troisième niveau (en bas) & Coupe AA du projet ( en haut ) Fig. 21 / Coupe de principe de l’agencement des espaces, Redessin personnel
PARTIE 3
Vivre activement son habitat et sa société
« Je me suis demandé s’il était possible de construire moins, d’en faire moins, et que ce ‘‘moins’’ entraine ‘‘plus’’ de plaisir. » Patrick Bouchain, Architecte
BOUCHAIN P. , Construire autrement, Éditions L’impensé Actes Sud, Arles, 2006, p. 41
S’approprier son logement, se sentir chez soi
Risques juridiques effrayant certains architectes, qui n’accordent leur confiance qu’aux entreprises de BTP. D’autres, plus ‘’téméraires’’, s’orientent vers une autre manière de produire du logement, toujours alternative, similaire à l’autoconstruction dans sa vocation à accroître un développement personnel et un 42 43
plaisir d’habiter. Elle concerne l’appropriation et la transformation de celui-ci par son usager à travers le temps. Certains estiment ce mode de faire plus sûr, et contribuant toujours à apporter les qualités décrites plus en avant. Dans une démarche classique, c’est l’usager qui doit s’adapter, qui est contraint. Ici, le positionnement est bien différent: c’est son habitat qui s’adapte à son mode de vie. Le matériel qui se substitue à l’immatériel, c’est cela, l’appropriation réelle d’un loge- 65 ment, quand on ne se laisse pas guider par les murs, mais quand on devient le guide, celui qui dirige, qui décide, qui transforme. Selon Patrick Bouchain, « encourager l’apport de travail de l’occupant sur son logement social apporterait une réponse au problème de la solvabilité des habitants et pérenniserait le patrimoine bâti par des apports individuels successifs. » 43 Un mode de faire qui paraît diviser les phases et les acteurs: il y a en premier ordre, le production d’un bâti, exercée par des professionnels, expérimentés
LOPES FERREIRA T. , Propos recueillis au cours d’un entretien réalisé le 15 Janvier 2015 BOUCHAIN P. , « Tous bâtisseurs! », Op. Cit. , p. 54
PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
Malgré des arguments positifs et prometteurs liés à ce mode de construction autarcique, nous questionnons l’acceptation collective d’une telle démarche. Ne générant pas de valeur matérielle, «Il n’y a pas d’intérêt pour le marché, il n’y a pas d’intérêt pour le capital à donner du pouvoir, de l’autonomie, de l’éducation aux personnes. » 42 D’une autre façon, l’engagement d’une responsabilité quant à la qualité du produit livré, met en doute la viabilité de cette démarche. Lorsqu’on construit ou fait construire un logement, on y souhaite sécurité, confort et pérennité. Il semble alors ‘’risqué’’ de laisser les habitants construire par eux-même, de par leur incompétence et leur savoir-faire souvent approximatif, qui n’égalera jamais, a priori, celui d’un spécialiste formé et reconnu.
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et compétents, dont le travail atteste d’une certaine qualité. Les habitants n’interviennent qu’ultérieurement, lors de l’usage. Seulement, même si elles ne sont pas dépendantes l’une de l’autre, ces étapes interagissent sans cesse: la construction se fait au service de l’usager. Il y a ainsi une forme d’héritage qui se crée, et se transmet au fil de l’usage du bâtiment: « (...) la personne qui conçoit un bâtiment le transmet à la personne qui construit, et elle-même à celle qui va s’en servir. Puis la personne qui s’en sert va le transformer, avant qu’une autre lui succède, le transforme à son tour, et l’emmène dans l‘histoire. C’est cela le patrimoine. » 44 La responsabilité de l’acte de construire et de vivre se décline donc sur une échelle temporelle. On souhaite ainsi observer une stratification historique des couches observables dans un bâtiment comme elles le sont dans la roche. Chacun participe à l’histoire d’un logement par les traces qu’il y laisse, les modifications qu’il y apporte. En le vivant activement, l’usager le personnalise, le rend plus conforme à ces désirs. Il ne devrait pas y avoir de honte à transformer, et les marques ne devraient pas être 44 45
effacer lorsqu’il s’en va, mais assumées de manière orgueilleuse. On ne parle alors plus de pérennité, mais d’évolutivité du logement: par les transformations qu’il subit, sa capacité à susciter du plaisir et du confort ne s’érode pas avec le temps. Il s’adapte à chaque usager, se remplit d’une substance que l’on pourrait qualifier ‘’d’âme.‘’ Il faut donc dépasser la norme, la contrainte, qui conduisent à une production de logements uniformisés, de plus en plus stériles, où l’expression de la vie humaine semble absente. « (...) Il faut encourager des habitations hors normes, dont la conception et les chantiers seraient des actes culturels, éducatifs, et sociaux au cœur de la cité, dont la gestion et l’évolution seraient assurés par les habitants eux mêmes. Des habitations à haute qualité humaine.»45 Imaginer une conception du bâtiment qui renvoie à l’utilisation de composants démontables et renouvelables, par le choix d’une structure légère, peut accélérer ce processus d’évolution et d’appropriation. Enfin, en considérant l’hypothèse de création d’un logement non fini, c’est l’autogérance des usagers que l’on invoque.
BOUCHAIN P. , Construire autrement, Op. Cit. , p. 56 BOUCHAIN P. , « Tous bâtisseurs! », Op. Cit. , p. 55
Fig. 22 / Conserver la trace du passé, Gérone, Espagne, 2012
En devenant actif, en éprouvant du plaisir et de la satisfaction par la modification évolutive de son environnement immédiat qu’est son logement, l’Homme redécouvre par extension sa place essentielle dans la société. Il se sent fort, volontaire, influent, capable de prendre des décisions et de les appliquer de manière concrète. A une heure ou la plupart se sent perdu, isolée, abandonnée, on n’en demande pas moins de son habitat que de nous offrir à nouveau épanouissement et dignité. Sensibiliser son entourage 68
La notion d’habiter ne concerne plus seulement le logement propre. Habiter, c’est développer des habitudes journalières et répétitives dans un lieu, qui s’étend au delà des limites physiques de la demeure offrant abri, intimité et répit, judicieusement analysée par Heidegger. C’est donc une aptitude naturelle à exprimer la plénitude de son être dans un environnement fréquenté quotidiennement. Il s’agit donc de fréquenter les espaces publics, rue, place, parcs, lieux de travail, de détente pour se confronter aux autres, y exposer sa personnalité et son positionnement. «Habiter a cessé de se réduire à se loger. Habiter signifie alors établir des rela46
LOUBES J. P. , Op. Cit., p. 72
tions au monde: aux lieux mais aussi aux autres et aux choses.» 46 La première strate de ces relations s’établit avec son voisinage, puis l’habitant investit petit à petit un espace plus vaste: la rue, le quartier, la cité, jusqu’à manifester sa pensée au sein de son rôle de citoyen. En envisageant cette vertu sérieusement, nous estimons que l’appropriation, l’épanouissement élancé par l’autoconstruction ou l’autofinition d’un logement a également le potentiel d’intervenir sur la société elle même: par ses relations sociales, l’homme est capable de sensibiliser les autres, de leur exprimer son bien être, et à terme, de leur montrer un autre chemin. Chemin où des valeurs immatérielles priment sur une économie de marché, où solidarité, entraide, pédagogie sont primordiales. Par un échange permanent de connaissances, d’opinions, dans un but de développement personnel, le contraste est établit avec l’individualisme permanent prôné par notre système de marché, qui nous maintient dans notre ignorance afin de mieux régner. L’homme est un animal social, qui doit s’allier et communiquer aux autres pour exister et entretenir un savoir. C’est ce qui lui permet de sur-
longe sur son entourage, attisant la curiosité d’une plus grande masse. Ainsi la prise de conscience devient collective. Elle constitue le premier pas vers une évolution des pensées humaines.
Lors d’un entretien 47, Thiago Lopes Ferreira conte une anecdote intéressante: Lui et son équipe furent appelés pour un travail de revêtement en terre de la cafétéria des bureaux Google, en plein centre de São Paulo. Malgré l’absurdité de la demande, en terme de circuits et coûts d’acheminement du matériau, ils ont réalisé l’impact que pourrait avoir l’exposition permanente d’un usage de la terre de manière contemporaine. En le voyant à l’œuvre avec son équipe, c’est une multitude de personnes qui a pu observer, discuter, apprendre, et peut être retransmettre à d’autres. Ici, c’est une pensée à long terme, en vue de sensibiliser un maximum de personnes, qui a le potentiel de redorer l’usage de matériaux traditionnels dans l’architecture actuelle. Ce cas est spécifique, et ne questionne que l’usage d’un matériau. Mais l’intelligence ici est de visualiser l’acte comme ayant un impact sur le long terme.
Il convient d’exercer ce type de démarche pour la construction et la transformation de l’habitat. L’évolution vers des pensées et pratiques humaines plus autonomes, plus autarciques, plus libres et bien sur plus respectueuses de l’environnement, est nécessaire pour invoquer une réelle prise de conscience des faisabilités de l’autoconstruction, et de l’impact de l’espace vécu et autogéré sur le bien-être des 69 habitants: « La conscience est probablement ce lieu intime où chaque être humain peut en toute liberté prendre la mesure de sa responsabilité à l’égard de la vie. Il peut alors, si telle est sa volonté, définir les engagements actifs que lui inspire une véritable éthique de vie pour lui même, pour ses semblables, pour la nature et pour les générations à venir.»48
Nous devons donc penser cette sensibilisation qui touche l’usager, et se pro47 48
Plutôt que de faire un projet purement architectural, il s’agit de promouvoir un réel projet sociétal, susceptible de modifier les habitudes et opinions, afin
Entretien tenu le 15 Janvier 2015 RABHI P. , Manifeste pour la terre et l’humanisme, Éditions Actes Sud, 2011, p.58
PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
vivre depuis qu’il existe. Reconsidérons la force la communauté, de l’éducation, allions nos forces et savoirs dans un esprit de collaboration plutôt que de compétition.
de créer un environnement urbain plus conscient et humain, propice à l’émotion: « L’entrée de la fabrication urbaine dans un mode plus collectif pourrait produire, par d’imprévisibles rebondissements, une ville plus sensible et plus vivante. » 49 Il faut changer l’espace pour changer la société.
49 JOFFROY P. , «Le citoyen arrive! Vers une société active sur son cadre de vie» , D’Architectures, n° 198, Mars 2011, p. 45 Fig. 23 / La transmission de savoirs à travers les générations, Chantier scolaire, Brésil, 2013
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PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
Ce type de démarche ne concerne pas seulement le domaine du bâtiment et de l’architecture, mais bien tous les secteurs dont nous sommes aujourd’hui dépendants pour vivre. On nous rappelle sans cesse qu’il faut se réveiller, agir avant qu’il ne soit trop tard. l’agro-écologie, l’agro-foresterie, l’agro-écologie, la permaculture, la bioconstruction sont des modes de faire, qui, dans leur philosophie et modes de pensées, sont similaires: engendrer une autre rapport à l’environnement, générer d’autres relations sociales, d’autres relations économiques, pour bonifier les actions humaines. Faire évoluer le groupe, c’est faire évoluer le monde. Éduquer, communiquer, sensibiliser les personnes pour en faire des citoyens responsables et omnipotents, capable d’agir consciemment et respectueusement sur leur habitat et leur environnement.
ANALYSES DE PROJETS
ANALYSE DETAILLEE: Quinta Monroy, Iquique, Chili Elemental Studio
Quinta Monroy Localisation: Iquique, Chili Maîtrise d’ouvrage: Gouvernement régional de Tarapacá - Programa Chile Barrio Maîtrise d’œuvre: Elemental Studio Programme: Logements sociaux Années: 2003- 2005 Surface du site: 5025 m2 Surface construite: 3500 m2 Surface initiale d’un logement: 36 m2 Surface amplifiée: 70 m2 Matériaux: Béton de ciment, parpaings Budget: US $204 /m2 soit US $10000 / famille Temps de construction: 9 mois Fig. 24 / Schémas de principe, d’après Elemental Studio
POSITIONNEMENTS ADOPTES
Contexte géographique et social
Vers une nouvelle typologie
Le projet se met en place il y a 10 ans, dans la petite ville de Iquique, au nord ouest du Chili, à la frontière du désert. Une centaine de familles occupe alors illégalement un terrain du centre ville, d’une superficie d’un demi hectare, depuis plus de 30 ans. Des familles qui jusque là vivaient dans des conditions précaires, dans des logements s’apparentant à des favelas, en somme des logements très informels, mais ayant ainsi acquis un certain savoir faire en autoconstruction.
Pour répondre le plus justement à cette contrainte économique en garantissant une possibilité d’extension, l’agence Elemental Studio expose un rapide bilan des possibilités architecturales: En construisant des maisons séparées, il n’est possible de loger que 30 familles au maximum, en construisant des maisons jumelées, on arrive à 60 familles logées. L’unique solution est donc de construire en hauteur, mais cela pose un problème pour l’agrandissement ultérieur. La solution retenue, dans un travail de réflexion et de modélisation avec les familles, se situe donc entre l’immeuble et la maison.
Contexte économique Bien que le coût du terrain était trois fois plus élevé que ce que les politiques de logements sociaux puissent financer, il a été décidé que ces familles ne seraient pas déplacés hors du domaine, et donc ne seraient pas expulsées vers la périphérie de la ville. Le budget général est donc très restreint (US $ 10000 par famille), puisque destiné à couvrir le coût de la valeur du terrain, de l’apport d’infrastructures mais également le coût propre à la construction des maisons. 50
Ne construire qu’une moitié Pour une maison de taille moyenne, le marché fixe la surface à 80 m2, et lorsqu’il n’y a pas suffisamment de fonds, comme c’est le cas ici, la surface est divisée par deux, passant à 40m2. Ils décident donc de ne construire que la moitié d’une maison, équivalant à une surface de 36 m2, laissant aux habitants le loisir d’étendre leur surface
50 d’après: Laboratorio de la vivienda sostenible del siglo XXI, http://laboratoriovivienda21.com/magazine/?p=133 (Consulté le 04 Avril 2015 )
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PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
ANALYSES DES CONTEXTES
par eux même jusqu’à 70m2.51 Par conséquent, l’argent public d’investissement ne sert qu’a la construction d’une «demie maison», incluant les éléments de base, les plus difficile à mettre en œuvre sans qualification ( Structure principale en béton, Sanitaires, Cuisine, Escalier et mur de séparation ) pourtant conçus pour s’intégrer au mieux lors d’un agrandissement ultérieure. 52 Matériaux utilisés
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Comme souvent en Amérique Latine, il est très rare que la construction de logement sociaux se fasse dans une logique environnementale. La dominance du béton en structure et des parpaings de ciment en remplissage n’est plus à démontrer. Ce projet n’est pas une exception à la règle. Mais l’utilisation de tels matériaux n’a pas porté de préjudice aux habitants pour l’appropriation. En effet, des cloisons amovibles ont été pensées, et la création de poutres permettant l’installation de planchers futurs a été intégrée au gros œuvre. On observe d’ailleurs que la majorité 51 d’après: ARAVENA A., ¿Mi filosofía arquitectónica? Incluir a la comunidad en el proceso, conférence TEDGlobal, Octobre 2014 52 d’après: Laboratorio de la vivienda sostenible del siglo XXI, Op. Cit. Fig. 25 / Etapes de constructions du projet livré, montrant les unités habitationnelles.
des extensions sont réalisées en matériaux légers, faciles à mettre en œuvre. On note ainsi en façade un dialogue sensible avec des jeux de pleins vides, entre la figure de la tente et celle de la grotte. Appropriation des logements
53
Médiation architecte usager Dès le début, les familles ont été intégrée au processus de conception, afin de mieux cerner les contraintes et de mieux les faire comprendre aux habitants. De même, la mise en commun des idées a fait naître des solutions plus justes, plus adaptées aux contraintes. Selon Alejandro Aravena, la force de l’autoconstruction réside dans la capacité à coordonner, à s’entraider: La force du sens commun contre celle de l’argent. 79 Les familles sont donc maîtres de leur logement, se sentent valorisée. Leur participation est active, située en amont et en aval, et c’est l’habitat qui s’arme d’une qualité de vie croissante.
ARAVENA A., « ¿Mi filosofía arquitectónica? Incluir a la comunidad en el proceso », Op. Cit.
PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
Le défi lancé par Elemental Studio est donc plutôt réussi: Lors d’une conférence, Alejandro Aravena déclare: « Si dans le processus, au lieu d’être délocalisées en périphérie pour pouvoir acheter une maison, les familles pouvaient rester, en maintenant leur réseaux personnels et professionnels, nous savions que l’extension commencerait immédiatement. » 53 Et il n’a pas tort. Quelques semaines seulement après la livraison, des agrandissement naissent déjà, et démontrent du potentiel créatif des habitants. La typologie offre ainsi un éventail énorme de possibilités d’appropriations, et nul besoin d’expliquer aux usagers ce qu’ils peuvent faire: le sentiment d’être chez soi, d’être libre de transformer génère automatiquement des solutions et une diversité qu’aucun architecte ne
puisse prétendre atteindre seul
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Fig. 26 / Des exemples d’appropriations: Aménagements intérieurs & Extensions autoconstruites Fig. 27 / Une habitante dans son appartement Fig. 28 / Un appartement livré, aux finitions minimales Fig. 29 / Une diversité d’extensions réalisées par les habitants, Façade
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PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
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Fig. 30 / Plans d’étages, avec délimitations des zones construites, et espaces destinés à l’agrandissement, Redessin personnel
Budget suffisant
Budget limité
Budget limité
80 m2
40 m2
40 (+ 40) m2
« Nous pensons que le logement social devrait être vu comme un investissement et non comme une dépense.(...) Chacun de nous, lorsque nous achetons une maison, espérons que sa valeur va s’accroître. Mais pour le logement social, c’est impensable, cela ressemble plus à l’achat d’une automobile qu’à celui d’une maison, chaque jour, sa valeur décroit. » 54 Elemental Studio 54
http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 )
Fig. 31 / Schéma illustrant la démarche adoptée, à partir d’un original de Alejandro Aravena
Les Bogues du Blat Localisation: Beaumont, Ardèche, France Maîtrise d’ouvrage: Commune de Beaumont, Coopérative d’habitants SCIAPP Maîtrise d’œuvre: Agence Construire Programme: Logements sociaux Années: 2009- 2013 Surface du site: 9800 m2 Surface minimale d’un logement: 42 m2 Surface maximale amplifiée: 118 m2 Matériaux: Bois pour la charpente, les planchers, et le bardage, Couverture métallique Budget: Aligné au coût du logement social Temps de construction: environ 1 an au total, pour 3 maisons construites Fig. 32 / Croquis de recherche, Patrick Bouchain
POSITIONNEMENTS ADOPTES
Contexte géographique et social
Une typologie inhabituelle
Située sur le versant cévenol de l’Ardèche du sud, la commune de Beaumont, en pleine mutation, subit un déclin de l’agriculture et un vieillissement de sa population accentué par un exode rural massif. Mais depuis peu, la vallée connait un nouvel intérêt touristique et immobilier, qui se traduit par des aménagements de plus en plus nombreux, qui ne pas forcément liés au développement local. C’est pourquoi les élus ont décidé de s’impliquer « dans une démarche de maîtrise des projets de construction et d’aménagement de l’espace pour répondre à une demande croissante de terrains à bâtir ou d’habitats traditionnels.» 55 La commune s’est ainsi lancée dans un projet d’aménagement et de développement durable, définissant de nouvelles zones destinées à la construction d’habitat individuel et collectif. Le projet a été confié à l’agence Constuire, afin de développer, dans une châtaigneraie centenaire du Hameau du Blat, un habitat social rural en accession progressive à la propriété.
Orientées à l’Est sur un coteau à forte pente, et afin de s’intégrer et de respecter au mieux sur ce paysage remarquable, les habitations ne nécessitent pas de terrassement. Aux allures de cabanes sur pilotis, on les distingue à peine dans le paysage. De plus, avec leur charpente en ogive, fortement inspirées de la châtaigne ( Fig. 32 ), elles évoquent l’activité du site d’implantation. Ce sont ainsi des constructions légères, à faible impact visuel, peu com- 87 munes dans le domaine du logement social. Pari réussi pour les architectes, qui souhaite revenir à une typologie de maison comme unité de base, synonyme d’espace privé indépendant et intégré, tout en étant intégrée à un ensemble collectif, comprenant aires de stationnements, salle commune, terrasses extérieures. 56 Conception & Construction participative La conception du projet se fait dans une démarche accompagnée des
55 http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/25/42/ ( Consulté le 25 Mars 2015 ) 56 d’après http://www.charpentes-bois.com/Galeries/beaumont-en-ardeche.html ( Consulté le 31 Mars 2015 )
PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
ANALYSES DES CONTEXTES
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populations. Les réunions sont nombreuses, et le projet met du temps à se développer. Les architectes sont cependant habitués à ce type de démarche qu’ils connaissent bien, et mènent à merveille ce travail de collaboration:« Très rapidement, des rencontres sont organisées avec les habitants de Beaumont. Elles permettent de cheminer avec l’équipe de Construire autour des partis-pris architecturaux, environnementaux jusqu’aux possibles montages juridico-financiers. » 57 Leur but est de sortir autant que possible d’une image classique de l’habitat social, pour imaginer des logements hors normes, économes, respectueux de l’environnement et suscitant plaisir d’habiter. De même, la construction des Bogues se veut singulière par l’interaction d’acteurs multiples (population, entrepreneurs, futurs habitants, architectes et artistes). Le chantier devient ainsi un acte culturel et jouissif, et se structure autour de moments forts et festifs visant à renforcer la cohésion sociale: célébration de la levée de charpente, pendaison de crémaillère, inauguration autour d’un
cochon grillé... La construction a aussi un objectif de formation des premiers habitants, qui leur permettra de gérer au mieux l’évolution de leur habitat. Des logements évolutifs La construction initiale se veut minime, avec pour seul aménagement séjour, chambre, cuisine et salle de bains en RDC. Le reste du volume est laissé libre: clos mais non isolé. A partir de cet habitat initial, le choix s’offre aux habitants: rester dans un statut locatif, en étendant ultérieurement la partie habitable, ou accéder progressivement à la propriété, afin de favoriser le développement et l’installation de jeunes actifs dans la commune. L’appropriation possible est sans limite Le projet reste ainsi éloigné d’une logique de production de biens économiques et de rentabilité perpétuelle. Les habitants démontrent chaque jour que «cette utopie est possible, que le monde rural a ses modes de vie spécifiques et qu’ils peuvent s’insérer dans une pensée de société contemporaine.» 58
57 http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/51/74/17/Beaumont/Les-Bogues-du-Blat_Beaumont-FdF.pdf ( Consulté le 31 Mars 2015 ) 58 https://hypersocialbioclub.wordpress.com/2014/11/09/farine-de-chataigne-des-boguesdu-blat/ ( Consulté le 10 Avril 2015) Fig. 33 / Les Bogues en construction Fig. 34 / Les acteurs de la construction réunis
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PARTIE 3 / Vivre activement son habitat et sa société
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Fig. 35 / Coupe longitudinale du projet, Redessin personnel Fig. 36 / Plan masse de l’ensemble de l’opération prévue, Redessin personnel
Studio de 42 m2
4 pièces de 93 m2 ( 74 m2 utiles )
2 pièces de 54 m2
5 pièces de 118 m2 ( 77 m2 utiles )
« En transmettant, on ne veut pas exploiter quelqu’un mais faire en sorte qu’il sublime ce qui a été transmis, le retourne, et renvoie quelque chose qui n’est pas exactement dans ce qui a été dit. » 59 Patrick Bouchain 59
BOUCHAIN P. , Construire autrement, Op. Cit. , p.94
Fig. 37 / Coupes illustrant les appropriations possibles du logement
PARTIE 4
Vers une redéfinition du rôle de l’architecte
« L’occasion était donnée pour tenter de redéfinir de nouvelles pratiques et pour s’interroger sur le rôle possible de l’architecte dans ces processus. Mais il fallait accepter de ‘‘redéfinir’’ ce rôle. » Jean Paul Loubes , Architecte et docteur en anthropologie
LOUBES J. P. , Op. Cit. , p. 78
Pour une vision globale
C’est alors que nous estimons la place
de l’architecte comme essentielle dans ce processus. Par son savoir, sa formation, il a cette capacité de recul sur la faisabilité, la justesse d’un choix constructif. Lui même, lorsqu’il doute de sa capacité à répondre à des interrogations bien spécifiques, fait appel à des bureaux d’études, afin de ne pas créer d’insécurité dans l’usage. En outre, l’architecte peut renforcer le projet de questionnements nouveaux pour l’autoconstructeur amateur. Sa formation l’arme d’une vision du projet architectural qui se veut globale, questionnant la légitimité et la cohérence de chaque décision. Il peut étendre les hypothèses, élargir la réflexion du client, lui ouvrir l’esprit, pour ne plus se concentrer uniquement sur une matérialité construite, mais aussi sur une spatialité qualitative, facteur de bien être de espace vécu. L’engagement éthique de l’architecte ne peut mettre en péril la qualité de l’architecture. En effet, « La discipline est amoindrie et déconstruite par de telles postures, c-a-d qu’elle perd son sens critiques autour du bien commun.» 61 Le but est certes de faire participer les
60 FLICHY P. , Le Sacre de l’amateur, Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Éditions du Seuil, Paris, 2010 61 LEMAIRE J. , Op. Cit. , p. 223
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PARTIE 4 / Vers une redéfinition du rôle de l’architecte
Les autoconstructeurs ont largement démontré de leur capacité à agir seul, sans intervenant extérieur. La formation autodidacte de ces pro-am 60 ( professionnels-amateurs ) décrits par Patrice Flichy, sociologue, suffit en partie à répondre à leurs besoins. Mais du fait de leurs savoirs limités, approximatifs, ils se concentrent souvent sur des questions d’ordre technique, questionnant la faisabilité de leurs idées et à leur réalisation lors de la construction, au détriment de la pensée et de l’harmonie architecturale. Leur vision de l’architecture, basée sur le concret, se veut très pragmatique. La réflexion abstraite, sensible et poétique y est souvent négligée. Leur production est archaïque sur le plan formel et spatial, se référant à des principes vernaculaires, parfois dépassés. De même, personne ne peut attester de la justesse des choix constructifs adoptés par l’autoconstructeur seul. Il ne bénéficie pas du recul d’un professionnel, prenant des risques qui peuvent le mettre en danger, lorsqu’il intervient sur des structures porteuses notamment.
usagers, à la conception comme à la construction, mais cela ne signifie pas que l’architecte doit s’effacer face aux exigences du client. Le dialogue doit rester ouvert et démocratique. Chacun doit savoir reconnaitre l’avis de l’autre et son potentiel réflexif. La démarche participative doit être motrice d’innovations techniques, spatiales et esthétiques, pour créer de la qualité, de la singularité et assurer ainsi une maîtrise totale du projet. La communication est alors capitale, afin de garantir une collaboration pertinente des acteurs de la construction. 96
Un architecte plus modeste L’architecture n’est pas une discipline autonome: par sa nature, elle met en scène une diversité d’acteurs, tout au long de l’élaboration mentale et physique d’un projet. L’échange réciproque entre architecte, entrepreneur et autoconstructeur est alors essentiel pour authentifier de la cohésion générale du projet: « Il s’agit bien de parvenir à reformuler une articulation possible des compé-
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tences des spécialistes avec les talents, les réussites anonymes, les savoirs faire, les héritages composites, en un mot, les cultures en marche de populations qui, elles, ont déjà pris en charge _nécessité oblige_ leur problème d’habitat.» 62 L’architecte contemporain doit descendre de son piédestal, et entrer en contact réel avec les habitants. En pratiquant l’architecture et en accompagnant la construction, il se met au service d’une population. Il lui est désormais impossible d’ignorer des compétences, des réflexions, des volontés constructives. Il doit travailler dans un statut d’équité: considérer chaque avis, chaque idée, chaque critique comme une part essentielle qui viendra magnifier le projet d’un caractère et d’une complexité incomparables. Il lui faut donc ravaler son ego, pour « respecter le travail des ses prédécesseurs et la sensibilité du peuple en ne se servant pas de son architecture comme d’un moyen de publicité personnelle. » 63 En s’impliquant de façon réelle à la vie de ceux pour lesquels il exerce, en
LOUBES J.P. , Op. Cit. , p. 73 FATHY H. , Op. Cit. , p. 60
Fig. 38 / Portrait de Thiago Lopes Ferreira, en plein échange avec les bénévoles du chantier de la Casa Suindara, 2013
admettant leur capacité de faire, il saisit des idées, des envies, des symboliques qui seraient sans doutes imperceptibles et insoupçonnées autrement. Il doit donc s’immiscer totalement, et « reconnaitre l’écoute, le tact, et la sollicitude comme valeurs centrales. » 64
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Un renoncement aux compétences de l’architecte n’est donc pas imaginable, il s’agit plutôt d’une redéfinition de sa mission comme assistant technique et conseiller formateur. Véritable coordinateur du projet, il doit organiser le chantier et la participation de chacun, être réactif, savoir trancher de manière impartiale lorsque les avis sont divisés, pour pousser le projet à sa finalité. Dans un chantier libre, il n’y a plus de rapport autoritaire et hiérarchique, l’égalité des statuts est génératrice de discussions bénéfiques, mais qui peuvent parfois s’avérer interminables. Il faut alors quelqu’un qui fasse figure d’arbitre: « C’est bien à ce point que les concepteurs sont indispensables et restent des acteurs privilégiés du processus. A quoi servirait en effet de rassembler des participants autour de l’idée d’un projet si personne ne transformait efficacement la perception collective en une vision représentée? » 65 64 p.15 65
Il s’agit d’un positionnement véritablement altruiste. L’étendue temporelle de l’élaboration du projet, et l’implication personnelle nécessaire sont coûteuses en énergie, et ne sont guère rentables d’un point de vue économique. Sa volonté doit donc être inébranlable pour mener à bien un projet. Il ne doit jamais oublier que son rôle est bien important que celui de concepteur, il peut rapprocher les populations, activer des transformations morales, participer au développement d’une communauté. Mais il doit également savoir se retirer lorsque son travail est fini, laisser l’autonomie se créer. Cela sous-entend être capable de céder son droit de suite aux usagers, et ainsi voir l’œuvre produite évoluer dans le temps, selon le bon vouloir de l’usager, sans crainte de la voir se détériorer. L’usager est formé et préparé à l’usage, il connait le projet aussi bien que l’architecte, et est parfaitement apte à se l’approprier:« Savoir se retirer à la fin d’un chantier, c’est créer le vide qui permet à l’utilisateur d’y entrer. Pendant le chantier, il faut l’accueillir pour l’associer, le mettre dans une situation d’appropriation, avant de partir pour le laisser libre, comme un professeur qui transmet le
MULLE F. , « Rendre capable, l’architecture de Carin Smuts», Criticat, n°10, Automne 2012, RETTICH S. ,NIEMANN S. , Op. Cit. , p. 44
savoir à un de ses élèves et qui doit à un moment donné se retirer pour que l’élève prenne son autonomie. Comme l’élève doit dépasser le maître, l’utilisateur doit dépasser le concepteur. » 66
99
PARTIE 4 / Vers une redéfinition du rôle de l’architecte
66
BOUCHAIN P. , Construire autrement, Op. Cit. , p.94
CONCLUSION
Mode de faire associé à de nouvelles valeurs, immatérielles, intangibles, qui considère à nouveau l’humain comme actif, capable, autonome, souhaitant lui redonner du pouvoir, et le faire sortir d’une logique d’assistanat à laquelle il est quotidiennement confronté. Une telle démarche l’inclut donc au cœur de l’action, le poussant à s’exprimer, moralement et physiquement, pour incorporer de sa personnalité dans son logis. Ainsi, la conception de son habitat ne peut se faire de manière standardisée et répétitive. Il peut être unique, complexe, personnalisé, à l’image même de son usager.
Au delà, c’est tout un raisonnement visionnaire et optimiste qui s’instaure, envisageant l’après construction: l’évolutivité du logement, la sensibilisation d’un entourage, le développement réel d’une vie de quartier, voire même la prise de conscience de toute une population. Il ne s’agit plus seulement de produire un projet architectural, mais de produire un projet de vie. Par sa conception, se production, ses valeurs, la démarche participative constitue ainsi un véritable mode d’habiter alter101 natif, totalement viable. Peut elle devenir à nouveau un mode de construction qui ne fasse plus partie d’une marginalité mais devienne commun et habituel? Nous l’espérons réellement, sans prodiguer aucun retour en arrière. On ne peut aujourd’hui pas nier les bénéfices qu’offrent la technologie et l’industrie moderne dans bien des domaines, construction immobilière comprise. Mais si nous souhaitons faire évoluer les choses, s’extraire d’une logique de rentabilité prônée par le marché, améliorer la condition humaine et commencer à répondre réellement à des préoccupations environnementales, le choix d’un autre système de construction de notre logement nous est offert.
CONCLUSION
L’écriture de ce mémoire nous fait considérer l’autoconstruction sous un autre regard. Elle semblait, au premier abord, un mode de construction dépassé, qui n’avait plus sa place dans la configuration actuelle de la production conventionnelle du bâti. Mais nous avons vu qu’il n’en est rien. Bien des architectes s’acharnent à témoigner de la viabilité de ce processus, en démontrant son potentiel d’action, d’innovation et de recherche architecturale. Ils sont l’exemple même, par leur travail collaboratif auprès des populations et la qualité de ‘‘leur’’ architecture, du potentiel véritable de l’autoconstruction.
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A une heure où la collectivité se questionne et remet de plus en plus en doute son mode de consommation, et la production de ses consommables, nous sommes en condition d’envisager la démocratisation de cette prise d’autonomie et ce développement de l’autogérance, pour l’ensemble des activités humaines, habitat compris. Il ne doit être considéré comme produit de consommation économiquement rentable sous aucun prétexte, ou nous courrons le risque assuré qu’il devienne à nouveau déshumanisé et inadapté. Un changement d’attitude réel est possible. Il suffit de l’amorcer. Chacun doit trouver sa place, être convaincu de ses capacités, ne plus être effrayé par l’action. Aux architectes de sensibiliser leurs clients, de leur montrer cet autre chemin, et aux clients de s’orienter vers cette alternative. Alors devenons actifs, sortons de la norme, imaginons des habitats extraordinaires, et construisons les! Nous sommes capables d’agir, de faire, de construire. Il nous suffit juste d’en être conscients, et de mettre la main à la pâte!
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CONCLUSION
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ENTRETIENS Avec Thiago Lopes Ferreira, à Grenoble le 15 Janvier 2015 Avec Michael Osswald, par téléphone, le 9 Avril 2015
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RÉFÉRENCES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
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Quatrième de couverture / source personnelle, 2013 Fig. 1 / à partir d’un original pris sur : www.fan-de-cinema.com-affiches-les-tempsmodernes ( Consulté le 17 Avril 2015 ) Fig. 2 / http://www.esa-paris.fr/Conference-A-la-frontiere-du-2042.html ( Consulté le 23 Avril 2015 ) Fig. 3 / http://www.coab.fr/habitat_participatif/ ( Consulté le 18 Avril 2015 ) Fig. 4 / http://www.mkgallery.org/events/2014_01_09/Architecture_programme_ Drop_City/ ( Consulté le 20 Avril 2015 ) Fig.5 / capture d’écran à partir de: https://www.youtube.com/watch?v=dDreqXD4MoI ( Consulté le 21 Avril 2015 ) Fig. 6 / source personnelle, 2014 Fig. 7 / http://en.wikipedia.org/wiki/METI_Handmade_School ( Consulté le 22 Avril 2015 ) Fig. 8 / source personnelle à partir d’un original dans: MAURY Y. , Les coopératives d’habitants, des outils pour refonder la ville durable, Op. Cit. , 2011 Double page 44 - 45 / à partir d’une photo de Thiago Lopes Ferreira, 2014 Plan p. 46 / source personnelle, d’après Google Earth Fig. 9 / source personnelle, 2013 Fig. 10 / source personnelle, 2013 Fig. 11 / source personnelle, 2013 Fig. 12 / http://casasuindara.wordpress.com ( Consulté le 7 Avril 2015 ) Fig. 13 / source personnelle, 2013 Fig. 14 / source personnelle, 2013 Fig. 15 / Thiago Lopes Ferreira, 2O14 Fig. 16 / source personnelle, à partir d’un original pris sur: http://casasuindara. wordpress.com ( Consulté le 7 Avril 2015 ) Double page 54 - 55 / à partir d’une photo de Justine Legris, 2014 Plan p. 56 / source personnelle, d’après Google Earth Fig. 17 / Justine Legris, 2014 Fig. 18 / Justine Legris, 2014 Fig. 19 / Justine Legris, 2014
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RÉFÉRENCES
Fig. 20 / Agence G. Studio Architecte Fig. 21/ source personnelle d’après un original de: Agence G. Studio Architecte Fig. 22/ source personnelle, 2012 Fig.23 / source personnelle, 2013 Double page 74 - 75 / à partir d’une photo prise sur: http://www.elementalchile.cl ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 24 / source personnelle à partir d’un original pris sur: http://www.archdaily. com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Plan p. 76 / source personnelle, d’après Google Earth Fig. 25 / http://www.elementalchile.cl ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 26 / à partir de photos prises sur: http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 27 / http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 28 / http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 29 / http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 30 / à partir d’originaux pris sur: http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/ ( Consulté le 5 Avril 2015 ) Fig. 31 / source personnelle, à partir d’un original dans: ARAVENA A., ¿Mi filosofía arquitectónica? Incluir a la comunidad en el proceso, Op. Cit. , 2014 Double page 84 - 85 / à partir d’une photo prise sur: http://www.construire.cc/ (Consulté le 31 mars 2015 ) Fig. 32 / source personnelle, à partir d’un original pris sur: http://www.charpentes-bois.com/Galeries/beaumont-en-ardeche.html/ ( Consulté le 31 Mars 2015 ) Plan p. 86 / source personnelle, d’après Google Earth Fig. 33 / http://www.charpentes-bois.com/Galeries/beaumont-en-ardeche.html/ (Consulté le 31 Mars 2015) Fig. 34 / http://www.charpentes-bois.com/Galeries/beaumont-en-ardeche.html/
(Consulté le 31 Mars 2015) Fig. 35 / source personnelle, à partir d’un original pris sur: http://www.charpentes-bois.com/Galeries/beaumont-en-ardeche.html/ ( Consulté le 31 Mars 2015) Fig. 36 / source personnelle, à partir d’un original pris sur: ddata.over-blog.com/ xxxyyy/1/51/74/17/Beaumont/Les-Bogues-du-Blat_Beaumont-FdF ( Consulté le 24 Avril 2015) Fig. 37 / source personnelle, à partir d’un original pris sur: http://www.construire. cc/ (Consulté le 31 mars 2015 ) Fig. 38 / source personnelle, 2013
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Imprimé à Grenoble le 27 Avril 2015