Le Transhumanisme

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LE TRANSHUMANISME Les nouvelles technologies sauveront-elles les hommes ?

Thomas Roux

Sous la direction de Maxime Abolgassemi Prépa HEC Filière ECE Année 2013 Lycée Chateaubriand


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INTRODUCTION

C

e travail représente pour moi la découverte de nouveaux questionnements. Il fut une occasion de découvrir un univers que je ne connaissais pas et de m’intéresser à un problème très actuel de nos sociétés contemporaines : la technique. Le choix du

thème de ce mémoire est inspiré du reportage Un monde sans humains de la chaine ARTE qui faisait le constat simple de l’omniprésence des machines pour se poser ensuite la question fondamentale de savoir si leur but unique est d’améliorer notre existence. En d’autres termes ce qui m’a permis de choisir si vite ce sujet, est le défi de découvrir les nouveaux paradigmes imposés par l’arrivée de nouvelles technologies et l’accélération pluridisciplinaire du progrès. En fait mon questionnement portera moins sur la notion de technique que sur la portée de son progrès pour « sauver » l’humain. Or il se trouve que depuis les années 1980, une nouvelle idéologie souvent qualifié à tort de sectaire ou de fantaisiste, a investi les cercles intellectuels américains puis dans une moindre mesure, européens. Ce mouvement culturel et philosophique, c’est le transhumanisme : vaste idéologie technophile que nous chercherons à caractériser durant l’ensemble de ce travail. Incontestablement en expansion, il défend le projet d’un individu amélioré par les sciences convergentes. Il s’agira donc de comprendre ce que cachent de telles idéologies, de les mettre en lumière avec des exemples concrets de techniques nouvelles, en nous appuyant sur ses principaux théoriciens. Déjà les plus grosses firmes multinationales de la Silicon Valley, impulsées par les transhumanistes, investissent des millions de dollars dans la recherche (La Nasa, Google ou encore IBM). L’objectif de ce mémoire est de donner les clefs à son lecteur pour déchiffrer les problèmes sociaux, éthiques, philosophiques, économiques et surtout politiques que pose le transhumanisme. Sans avoir de portée philosophique ou scientifique, le lecteur attentif devrait pouvoir se faire un avis sur le sujet, et nourrir sa réflexion en répondant aux paradigmes fondamentaux. Le développement de la technique va-t-il déboucher sur la disparition de l’humain ? À l’inverse permettra-t-il d’atteindre sa quintessence ? Plus largement, dans quelles mesures le transhumanisme est-il un mouvement défendable ? Est-il seulement raisonnable ? Pour répondre à ces questions, la première partie du mémoire sera consacrée à l’explication du contexte et de l’émergence du transhumanisme. Ainsi nous pourrons comprendre en seconde partie les fondamentaux de l’analyse afin de finir par en faire le procès. Page | 3


LE TRANSHUMANISME INTRODUCTION..………..…………………………………………………………………………………...3 PARTIE I : Emergence et contexte du mouvement culturel transhumaniste……6 I.1 – De quoi l’homme a-t-il besoin d’être sauvé ?........................................................7 I.1.1) L’histoire des utopies et le déterminisme de l’ « utopie posthumaine »………………………7 I.1.2) Dépasser la condition humaine : aller « au-delà de l’humain »……………………………………9 I.1.3) L’homme sauvé : un homme augmenté de manière uniquement quantitative ?..........12

I.2 – Origines et prémices de la philosophie transhumaniste……………………………………13 I.2.1)De la science-fiction à la réalité………………………………………………………………………………..…13 I.2.2) Premières pensées fondatrices………………………………………………………………………………..…15 I.2.3) Le contexte du mouvement……………………………………………………………………………………..…18

I.3 – « Une relecture dérangeante des sixties »………………………………………………………21 I.3.1) La philosophie transhumaniste : une « anti-éthique »………………………………………………21 I.3.2) La contradiction du mouvement hippie avec le transhumanisme……………………………….21 I.3.3) Les neuro-chimistes à la découverte du cerveau humain……………………………………………23 I.3.4) Le futur imaginé par les hippies………………………………………………………………………………….25

I.4 – L’avènement d’une « cyberculture »……………………………………………………………… 27 I.4.1) Qu’est-ce que la cyberculture ?......................................................................................27 I.4.2) Le temps de la cyberculture : vers des concepts transhumanistes…………………………….28

PARTIE II : Le transhumaniste à l’épreuve des faits……………………………..……….32 II.1 –Vision générale du mouvement transhumaniste……………………………………………..33 II.1.1) La posthumanité et la transhumanité………………………………………………………………………33 II.1.2) L’Extropie………………………………………………………………………………………………………………….36 II.1.3) Qu’est-ce que la discipline d’un transhumaniste ?........................................................38 Page | 4


II.1.4) La singularité et Ray Kurzweil…………………………………………………………………………….........41 II.1.5) Une Amériques tournée vers la Singularité et le retard d’une France dubitative………44

II.2 –La question de l’homme et de la technique……………………………………………………..46 II.2.1) Quelques principes philosophiques non transhumanistes………………………………………...46 II.2.2) L’intelligence Artificielle (IA)………………………………………………………………………………………49 II.2.3) Optogénétique, uploading : vers le cyborg ?.................................................................51 II.2.4) La robotique………………………………………………………………………………………………………………53 II.2.5) L’inégale accession à la technique : la guerre des humanités………………………..…………..55

PARTIE III : Le procès du transhumanisme………………………….…………………………59 III.1 –La responsabilité de la science............................................................................60 III.1.1) Le mythe du progrès.....................................................................................................60 III.1.2) Les risques des nanotechnologies................................................................................62 III.1.3) Un mouvement irresponsable : Réflexions sur la fin de l’humanité.............................64 III.2 –La responsabilité de l’idéologie...........................................................................67 III.2.1) L’ambivalence de la technique : le plaidoyer d’Ellul.....................................................67 III.2.2) La critique de Fukuyama...............................................................................................68 III.2.3) La critique de Besnier...................................................................................................70 III.3 – Quel verdict du procès ?...................................................................................71 III.3.1) L’humanisme anthropotechnique de Sloterdijk...........................................................71 III.3.2) Transhumanisme démocratique et « biopolitique » ....................................................72 III.3.3) Et après ? (Avis personnel et pistes de réflexion).......................................................74

CONCLUSION.............………………………………………………………………………………...77 Annexes.............………………………………………………………………………………...............78 Bibliographie / Sitographie..………………………………………………………….............83/84

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PARTIE I : Emergence et contexte du mouvement culturel transhumaniste

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PARTIE I : Emergence et contexte du mouvement culturel transhumaniste

I.1 – De quoi l’homme a-t-il besoin d’être sauvé ? I.1.1) L’histoire des utopies et le déterminisme de l’ « utopie posthumaine » La représentation d’une société idéale et sans défaut reflète la définition de l’utopie comme une réalité quasiment irrationnelle. Penser l’idéal, peut ainsi facilement s’apparenter à penser l’utopique. Prenons l’exemple de la cité que conçoit Platon. Le monde des Idées et l’existence d’une vérité en matière de justice et de construction sociale, permettent selon le philosophe grec d’espérer une harmonie entre cité politique et les différents citoyens. En effet, la cité parfaite est décrite dans La République, comme une composition de trois classes reflétant de manière analogue trois parties de l’âme : la tempérance, le courage et la sagesse. Une telle société, parce qu’elle est imaginaire, arbitraire et qu’elle tente de refléter une justice idéale, peut être considérée comme une des premières utopies contemporaines1.

Pourtant, l’histoire des utopies2 reprendra souvent l’image d’une cité parfaitement égalitaire. C’est d’ailleurs Thomas More (1478-1535) qui invente le mot « utopia » pour la caractériser. Puis suivent d’autres utopies : la révolutionnaire de Robert Owen (17711858) où les problèmes sociaux viennent de la répartition de la richesse et du « jeu » sur l’argent. Sans être exhaustifs, on peut dire en bref que les utopies se multiplient et s’expriment amplement, on citera notamment Ernst Bloch (1885-1977) voulant une relation au monde dépassant l’utilitarisme. Le capitalisme selon ce dernier, mène à la guerre, il veut ainsi rétablir les aspirations à une autre vie en prolongeant le moi par le nous. Déjà, les utopies portaient des valeurs semblables aux utopies que l’on qualifiera de « posthumaines ». Avant de définir précisément ce dernier terme et le mettre en perspective de la 1 2

Article philosophique. Consulté le 30 mars 2013. URL : http://antinomies.free.fr/plat4.html. D’après Les grands dossiers des Sciences Humaines (N°6), Les nouvelles utopies, Mars à Mai 2007 p. 63-72.

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philosophie qu’il dégage, on admettra tout d’abord qu’il reflète une utopie visant à dépasser la condition humaine actuelle, la recherche d’une nouvelle voie pour l’humain vers plus d’égalité et de bien-être. En ce sens, il apparait que l’ouverture d’internet au public en 1990, présente un modèle d’une sociabilité qui se répand par le principe d’échange égalitaire et de circulation libre. Dès lors, de nouvelles utopies circulent via forums et blogs d’aide. Une entre-aide se forme sur la toile, le e-commerce explose, les entreprises de l’informatique se multiplient, bref la vivacité de ce nouveau monde virtuel encore en développement semble créer des communautés (elles aussi virtuelles) favorables à l’émergence d’utopies aussi nombreuses qu’originales. Donc l’idée de prolonger le « moi » par le « nous » énoncée par Bloch est plus que jamais d’actualité. Différents « cyber-groupes », se transforment en véritables lobbies dont le meilleur exemple est celui des Anonymous. Ce groupe de « hackeurs » prône la liberté d’expression totale, et a créé une communauté internationale d’activistes ayant par exemple permis lors des révolutions arabes de faire face à la politique de censure des gouvernements, pour permettre aux révolutionnaires locaux de s’exprimer par Internet. C’est un des nombreux exemples d’amélioration de l’humanité par les nouvelles technologies et la pression de groupes formés dans un contexte de cyberculture.

Ainsi les utopies se définissent par l’inexorable progrès de la science qui semble permettre des nouveaux idéaux. Les « utopies posthumaines »3 sont donc la source de nouveau désirs dont il s’agit de comprendre les mécanismes. On pourrait même parler d’un déterminisme de l’apparition de telles utopies qui actualisent les courants de pensées actuels par l’arrivée d’internet et de l’amélioration continuelle de notre existence. Plus important encore, le dépassement de notre existence. Mais un dépassement pour quoi ? Un dépassement pourquoi ? Telles sont les questions que nous tenterons d’expliquer lors de ce travail. Les possibilités, nous le verrons, sont désormais infinies pour l’homme à mesure que le progrès, lui non plus, ne semble avoir de limites. En fait c’est l’exemple même de la loi de Moore. Il est le fondateur de la société Intel (leader sur le marché des processeurs d’ordinateurs) et affirme en 1965 que le nombre de transistors par circuits allait doubler tous les ans. Ce qu’il corrigera même à dix-huit mois la cadence de doublement. De ce fait, la puissance des ordinateurs allait selon lui croitre de manière exponentielle. Empiriquement 3

Rémi Sussan, Les utopies posthumaines, Les essais, Omniscience, 2005.

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son raisonnement est vérifié. Il fera même la prévision qu’en 2017 la performance des puces sera limitée à leur taille qui aura atteint alors une limite physique de l’infiniment petit en s’apparentant à l’atome de physique.

À la différence des puces informatiques, le nombre d’utopies est lui infini et l’homme techniciste admire le quasi-perpétuel renouvèlement de son parc technologique. C’est pour cela que l’enjeu de l’étude des utopies posthumaines est important. Pour éviter la culture du chaos, nous nous devons de comprendre cette nouvelle Humanité 2.04 pour en trier ses utopies 2.0. Le philosophe américain Immanuel Wallerstein invente ainsi la notion de l’ « utopistique »5 et en donne la définition intéressante suivante : « l’évaluation sobre, rationnelle et réaliste des systèmes sociaux humains, des contraintes qui pèsent sur leur potentiel et des zones ouvertes à la créativité humaine. Cela n’a pas le visage d’un futur parfait (et inévitable) mais d’un futur meilleur, de façon crédible, historiquement possible (mais qui est loin d’être certain). C’est donc à la fois un exercice de science, de politique et de morale. » On note par exemple que les utopies altermondialistes sont au cœur de cet exercice de l’utopistique et de la critique du système-monde. Mais plus largement l’exercice de la science, de la politique et de la morale c’est exactement le but des utopies posthumaines : une critique des systèmes sociaux et l’évaluation des contraintes de l’homme. Donc à l’exception du mot « réaliste » l’utopistique correspond aussi à l’exercice des transhumanistes et de leurs utopies posthumaines. Effectivement nous nous demanderont si un tel mouvement est réaliste et rationnel. En considérant ce qui précède, les utopies posthumaines visent a priori à nous sauver, mais de quoi précisément l’homme peut-il avoir besoin d’être sauvé ?

I.1.2) Dépasser la condition humaine : aller « au-delà de l’humain ». Avec un certain caractère prométhéen le progrès technique et scientifique semble prendre de plus en plus ce projet de transformation de l’homme. Et ce désir naissant depuis cinquante ans, c’est celui des utopies posthumaines.

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Ray Kurzweil, Humanité 2.0 La bible du changement, M21 Editions, 2005. Titre original : The Singularity is near. Du titre de l’œuvre d’Immanuel Wallerstein, L'Utopistique ou les choix politiques du XXe siècle, La Tour d'Aigue, Éditions de l'Aube, 2000. 5

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« Il est très rare qu'un homme puisse, comment dire ? Accepter sa condition d'homme. » (André Malraux). Quelle vaste question que celle de la condition humaine. Accepter sa condition d’homme c’est déjà refuser les utopies posthumaines. Puisque l’objet du posthumain (ou transhumain6) c’est de permettre à l’homme de dépasser sa propre humanité. Changer la société ne semble plus être suffisant, l’ambition transhumaniste est de dépasser l’homme grâce à la génétique, aux nanotechnologies, aux neurosciences, à la physique quantique, à l’intelligence artificielle, bref de ne plus être tributaire de notre corps et de ses faiblesses. Les transhumanistes on l’aura compris prônent une liberté presque indécente et lorsqu’ils se situent politiquement, on parle le plus souvent d’ultralibéralisme (voire de libertarianisme, notion sur laquelle il s’agira de revenir) et donc des doctrines libérales de négation des droits de l’Etat. Attention cependant de ne pas caricaturer la situation qui semble en réalité plus complexe. C’est le cas français d’un transhumanisme dit « de gauche » par lequel nous pourrons comprendre les différents courants qui composent l’entreprise visant à « refaire l’homme ».

Mais s’il y a bien un document qui lie les transhumanistes entre eux pour mieux structurer leur mouvement c’est la Déclaration Transhumaniste7 : fruit du travail de la World Transhumanist Association (WTA) qui en 1999 adopte ce document censé regrouper des principes majeurs associé au mouvement. Pourtant ce n’est pas la première déclaration du type : à la fin des années soixante-dix une première fut rédigée en se démarquant totalement du clivage droite/gauche mais s’inscrivant plutôt dans la vraie division entre technoprogressistes et bio-conservateurs. En 1990 c’est au tour de la branche néolibérale du mouvement (assimilée à Extropianisme) qui constitue une chartre, on parle des Principes transhumanistes d’Extropie. Toutefois la WTA est beaucoup plus modérée politiquement et même si elle continue de croire au mécanisme autonome du marché, ce sont les vertus centristes de la démocratie libérale qui sont prônées. Peut-être est-ce d’ailleurs un moyen de populariser leurs idées.

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Ces deux termes ne sont pas synonymes et seront différenciés dans la partie II, pourtant ils renvoient à la même réalité. 7 La déclaration transhumaniste est consultable sur le site de l’association transhumaniste (WTA). URL : http://www.transhumanism.org/index.php/WTA/more/148/. Consultée le 1 avril 2013. Cette déclaration, de par son importance, est aussi en Annexe 1.

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Le premier article de cette nouvelle Déclaration Transhumaniste est donc intéressant : « L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers ». En ces quelques lignes, il est montré de manière concise les fondements de l’analyse du mouvement et ces diverses croyances. Ils parlent de « changement radical » et de « modulation de son propre état ».

Autre article précisant l’esprit du mouvement, l’article 7 : « Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, posthumain ou animal. Le transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique. » Idéologiquement cela ne contredit pas non plus ce que nous disions : le transhumanisme est un nouvel humanisme, celui de la liberté humaine qui ne s’inscrit donc dans aucun parti politique marqué et identifié. Cela n’empêche absolument pas le mouvement de croire de manière assez marquée à la doctrine libérale.

Fondée ainsi en 1997, la WTA a un objectif qui était initialement de permettre au transhumanisme de devenir une discipline académique comme tant d’autres, et notamment à travers cette déclaration. Cela devait permettre d’unifier le mouvement et de l’intégrer à la sphère publique. Bon nombre de philosophes, scientifiques ou industriels participent donc à cette association : à titre indicatif les personnes suivantes ont rédigés la déclaration : Doug Bailey, Anders Sandberg, Gustavo Alves, Max More, Holger Wagner, Natasha Vita More, Eugene Leitl, Berrie Staring, David Pearce, Bill Fantegrossi, Doug Baily Jr., den Otter, Ralf Fletcher, Kathryn Aegis, Tom Morrow, Alexander Chislenko, Lee Daniel Crocker, Darren Reynolds, Keith Elis, Thom Quinn, Mikhail Sverdlov, Arjen Kamphuis, Shane Spaulding et Nick Bostrom8.

Enfin pour reprendre l’expression de Rémi Sussan, journaliste français spécialisé sur les questions des nouvelles technologies, aller « au-delà de l’humain » est l’esprit même du 8

Ibid., préambule.

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transhumanisme, qu’il s’assume ultralibéral ou non, le changement technologique est la base d’une profonde réflexion sur son utilité pour changer la condition humaine.

I.1.3) L’homme sauvé : un homme augmenté de manière uniquement quantitative ? Avant de comprendre la formation concrète du mouvement et son histoire, il faut tout de même s’arrêter sur le terme d’ « homme augmenté » qui semble revenir régulièrement dans les débats pour aller au-delà de l’humain. L’homme augmenté9 c’est aussi le titre de livre de Bernard Claverie traitant de l’augmentation artificielle des performances à des fins « utilitaires de travail, de sécurité, de santé, de plaisir ». Il apparait selon moi que le terme d’homme augmenté peut subir deux critiques : la première sur le fait qu’il semble déjà exister et la deuxième sur le fait qu’il ne le soit que quantitativement.

Prothèses, organes artificiels, substances psychotropes, ou encore les Smartphones sont des extensions du corps humains dans un but d’amélioration, de transformation. En cela, l’homme est déjà augmenté. Mais pour Barnard Claverie comme pour bien d’autres, l’homme augmenté va bien au-delà de ces avancées majeures et permet selon lui le « dépassement des limites inhérentes à sa biologie et à sa cognition ». La recette magique pour y arriver ? Le développement toujours plus important des disciplines que les américains regroupent sous l’acronyme NBIC, désignant la convergence de quatre néo technologies, à savoir la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique et les sciences cognitive. L’homme est augmenté par des systèmes externes à son corps le transformant en « cyborgs » soit de vastes robots/humain : c’est le début de la fusion de l’homme et de la machine. L’importance des NBIC est primordiale nous le verrons, à titre d’exemple, pour la simple recherche en biotechnologie, de gigantesques budgets permettent à l’heure actuelle la recherche de nouvelles molécules pour les médicaments, un secteur à forte valeur ajoutée : il est estimé que 50% des molécules innovantes sont issues des biotechnologies : un chiffre en augmentation. L’industrie pharmaceutique passe d’un secteur de chimistes à un secteur de biologistes. L’impact de ces néotechnologies est si important que le président Bush au Etats-Unis reçu un rapport sur leur influence. Ce sont 400 pages qui caractérisent, dans un esprit futuriste, l’avancée des sciences les plus pointues grâce à la participation de 9

Bernard Claverie, L'homme augmenté : Néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, consulté en avril 2013 sur Google books à l’URL : http://books.google.fr/books?id=(...) .

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nombreux experts10.

La deuxième remarque quant au terme d’homme augmenté est plus vaste : ne parlet-on pas que d’une augmentation quantitative de l’homme qui deviendrait alors un agrégat de technologies, n’aurait plus besoins de solliciter son cerveau et deviendrait dépendant de la machine et de ses perpétuelles mises à jours. Or le transhumanisme, nous rappel Rémi Sussan dans son article Au-delà de l’humain11, est aussi une augmentation qualitative. Aussi utopique que cela puisse paraitre, il semble nécessaire de créer une « fédération des êtres conscients », une sorte d’extension élitiste de l’homme. Et voilà pourquoi il est possible de parler de « sauver l’homme » par le progrès. L’homme sauvé est donc l’homme augmenté qui se libère : du handicap, de la souffrance, du vieillissement voire même de la mort en abolissant la maladie. Mais plus encore, il le libère a priori de son état mauvais. Les valeurs transhumanistes généralement reconnues sont donc des valeurs de tolérance et de rejet des comportements racistes, sexistes ou totalitaristes.

Si l’opinion politique ne fait pas l’unanimité dans le mouvement, ces valeurs sont en revanche communément admises et intégrées. L’homme augmenté est en fait plus qu’une simple addition de techniques innovantes améliorant sa condition mais il est aussi porteur de valeurs profondément humanistes.

I.2 – Origines et prémices de la philosophie transhumaniste

I.2.1) De la science-fiction à la réalité. La littérature, elle non plus, n’est pas épargnée par les utopies posthumaines. En fait, il semble que celles-ci se soient fondées sur la science-fiction et ses excès. Fondamentalement, la science-fiction (littérature SF) n’attend pas la science pour développer ces utopies. L’idée de « refaire l’homme apparait dès les années trente avec par exemple, L’odyssée de l’espace d’Arthur Clarke. Mais c’est véritablement dans les années 10

C’est le rapport remis au président G.W. Bush, Converging Technologies for Improving Human performance : NBIC, National Science Foundation, Arlington (USA), 2002. 11 Rémi Sussan, Au-delà de l’humain, dans Les Grands Dossiers des Sciences Humaines (n°6), p.72 à 75, 2007.

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soixante que l’on trouve le plus de prémices posthumanistes. Une œuvre phare de ces années reste le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley et de l’Ile. La première œuvre est citée pas ceux qui redoutent le scientisme (dans le sens péjoratif du terme) et la seconde prend le contrepied de la précédente en imaginant l’ile de Pala où Huxley introduit l’harmonie avec la nature, la drogue (le Moskha), l’eugénisme (par des manipulations génétiques), bref un monde qui cherche à transcender l’humanité actuelle.

Nous aurions pu parler de films tels Matrix, Avatar, Real Humain, Kyle XY, Star Wars, Limitless, ou bien d’autres encore comme les épopées de supers héros (dont nous étudierons plus tard les « pouvoirs posthumains »). Nous aurions pu aussi décrire l’évolution de la Science-fiction et en faire l’étude comparée à l’évolution des technologies. Nous aurions pu enfin faire l’étude d’une œuvre comme Frankenstein pour y lister l’importance des technologies. Mais il semble beaucoup plus important de s’intéresser à un mouvement précis de l’art de la science-fiction, un mouvement qui pour Rémi Sussan est à la base d’une cyberculture : les cyberpunks.

L’apparition de cette véritable branche de la science-fiction semble se faire en 1984 avec la publication de Neuromancien de William Gibson. L’histoire se passe dans le futur éloigné où l’apparition d’un cyberespace se concrétise. Dans ce polar, on découvre alors une idée fondatrice des cyberpunks : l’anticipation dystopique. Ainsi le cyberespace y est présenté comme une synthèse entre l’informatique d’une part et le mental. En d’autre terme les prémices d’une alliance homme/machines devenue si chère aux transhumanistes. On parle d’intelligence artificielle (IA) pour décrire la possibilité de créer une capacité de conscience et de réflexion par la machine et sans intervention de l’homme. Cette idée est largement étudiée par Marvin Minsky surnommé le « pape » de l’intelligence artificielle. Neuromancien est ainsi considéré comme le début du mouvement cyberpunk lui-même début de la création d’une véritable cyberculture (1980-2000)12 . Le cyberpunk se détache de la littérature dite classique de l’époque et propose ses incontournables comme W. Bourroughs ou Thomas Pynchon. La figure de héros est alors celle d’un marginal, à l’affut de la technologie, un véritable pirate informatique. Considéré 12

Celle-ci est caractérisée et explicité par Remi Sussan, Les utopies Posthumaines, Les essais, p. 114-119.

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alors par Timothy Leary13 comme le « prototype d’un homme nouveau », le cyberpunk et le transhumaniste cherchent l’expérimentation d’un nouveau mode de vie et de développement hors de l’humanité (dite souffrante) vers le cyberespace. Le processus est, dans les deux cas, celui des conséquences de l’accélération accélérante qui décrit le progrès technique comme de plus en plus rapide, car autoentretenu par un cercle vertueux de progrès technologique. Un jour, pour certains, la littérature SF n’existera plus car le progrès sera maximal et que la réalité sera devenue ce que les écrivains de science-fiction avaient pour modèle. À ce moment-là, la posthumanité sera devenue une réalité.

I.2.2) Premières pensées fondatrices. Il est difficile de citer les nombreuses influences du courant transhumanisme. Néanmoins l’essai de Remi Sussan Les utopies posthumaines11, cite quatre grands penseurs ayant permis que se concrétise une « culture technophile ». Ils constituent selon lui la période 1930 – 1960 qui permet l’émergence par la suite d’une véritable contre-culture qui sera le résultat d’une synthèse entre leurs idées, les apports de la science-fiction dont nous avons parlé et surtout l’arrivée d’un véritable « perpetual progress »14.

▪ Le premier est un écrivain polonais : Alfred Korzybski à travers son ouvrage Science and Sanity. Il travaille sur la sémantique générale pour atteindre une santé intellectuelle et mentale. On lui doit notamment la fameuse phrase « la carte n’est pas le territoire ». En bref, sa « sémantique générale » est une logique de pesée dite non-aristotélicienne, c’est-àdire que selon lui, l’ensemble des raisonnements est basée sur une logique de pensée qui ne serait pas toujours valable : celle d’Aristote. Il réfute ainsi les trois principes fondamentaux de ce dernier : Le non-A existe donc impossibilité du :

{

La carte n’est pas le territoire, c’est qu’il ne faut pas confondre la chose que l’on désigne 13

Personnage centrale de la contreculture des années 1960 puis de la cyberculture des années 1980, Leary est le « pape de la contreculture » et à la fois un personnage central pour le mouvement transhumaniste. L’héritage de Leary depuis sa mort en 1996 est considéré comme l’un des plus importants pour la société du numérique. 14 Principe transhumaniste important, voir surtout en partie II de ce mémoire.

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avec le mot qui nous sert à la désigner. Cette théorie de la non-identification émet l’idée que le langage limite la pensée. Et puisque le langage affecte nos Idées et nos pensées : il s’agit de créer un système de logique qui ne soit pas erroné, et qui puisse satisfaire le niveau scientifique de l’époque.

▪ Le second est Buckminster Fuller, philosophe américain né en 1895, il est le premier à s’intéresser à l’impact des technologies. Il cherche principalement à promouvoir une vision du monde adaptée à l’avancée de la science. Il rejette la géométrie euclidienne pour créer une géométrie appelée la synergétique : un système de coordonnées bâties selon un angle de 60° au lieu de 90° pour le repère orthonormé cartésien. Cela permet d’adapter la vision physique conduite par l’usage de mathématiques, encore insuffisants sur certains points. Prenons l’exemple du nombre pi. Pour l’auteur, un tel nombre ne peut être présent dans la nature du fait de son infinité de décimales. L’exemple de bulles de savons qui se formeraient par une immensité de combinaisons de triangles pour former plus globalement une sphère : c’est l’invention du dôme géodésique15. De par ses découvertes, Fuller à selon lui découvert une véritable « géométrie de la nature ». Dès lors le philosophe va en dégager une pensée de la technologie. Si le progrès est une évidence pour lui, permettre à l’humanité de s’élever grâce à celui-ci est une autre histoire. Il est alors très important de comprendre que Fuller dessine déjà un des principes de base du transhumanisme : l’accélération accélérante du progrès conduit inéluctablement à une situation paroxystique où l’ensemble de nos connaissances seraient déjà obsolètes. En d’autres termes, la vitesse du progrès est si rapide que ce qui vient d’être connu est déjà obsolète. En terme transhumanistes, une telle situation est appelée la « singularité technologique ». Nous reviendrons sur cette idée si importante qui façonnera la structuration du mouvement. D’autre part on trouve chez Fuller les traces d’un autre principe transhumanisme : l’ephéméralisation. Selon Sussan on peut le caractériser par le phénomène suivant : « plus nous en savons sur un phénomène, moins il est nécessaire d’utiliser de matériaux pour le maitriser ». Poussé à l’extrême un tel raisonnement conduit à prévoir l’arrivée massive des nanotechnologies, les sciences au niveau de la taille moléculaire.

15

Le dôme géodésique : structure sphérique dont les barres suivent les grands cercles de la sphère. L'intersection des barres géodésiques forme des triangles, qui possèdent chacune leur propre rigidité, provoquant la distribution des forces et des tensions sur l'ensemble de la structure.

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▪ Le troisième est Marshall McLuhan, philosophe et sociologue canadien né en 1911 plutôt connu grâce à son expression : « le village global » ou encore « le message, c’est le médium ». Dans notre perspective, sa théorie sur la technologie est tout à fait intéressante. Les médias sont considérés comme impactant notre « structure neurologique ». Le contenu même de ceux-ci est identifié au message. Ainsi, il élargit le terme même de média en y incluant l’ensemble des technologies qu’il y ait un message ou non, il reste un médium. « Les médias prolongent donc l’organisme humain qu’il reconfigurent »16 . Selon McLuhan, les hommes sont à l’image du mythe grec de la narcose de Narcisse, « fascinés par une extension d’eux-mêmes faite d’un autre matériau qu’eux ». Il distingue deux types de médias. Les médias chauds qui utilisent un de nos cinq sens. Le message de ce média est riche et n’exige que peu de participation de notre cerveau (position passive). Les médias froids à l’inverse sont pauvres d’informations mais s’adressent à plusieurs sens, de manière à compenser cette pauvreté (position active). On parle aussi de médias hot et médias cool provenant de la version anglaise originale. On associe les diverses technologies à l’un ou l’autre de ces types de médias : le SMS est ainsi un média très froid ! L’image que nous gardons de ces médias est primordiale pour comprendre les modifications qu’ils provoquent. En somme pour McLuhan, c’est notre manière de percevoir l’information qui est radicalement changée.

▪ Le dernier est le père de la cyberculture, l’anthropologue anglo-américain Gregory Bateson (1904 – 1980).

Il est d’abord vu comme un des premiers représentants du

structuralisme par de nombreux anthropologues comme Lévi-Strauss, parce qu’il s’intéressait au formalisme. Ses travaux portent sur la communication et sur les principes de la connaissance humaine. Il fondera l’école de pensée de Palo Alto17. Dans Vers une écologie de l’esprit, Bateson dégage deux concepts importants pour comprendre la création d’une cyberculture. Premièrement le concept de schismogenèse (processus de différenciation facteur de changement s'opposant à des facteurs de stabilité). Le deuxième principe est celui de la double contrainte, permettant d’étudier la schizophrénie. La double 16

Citation de McLuhan tirée dans : Rémi Sussan, Les utopies Posthumaines, op. cit, p.43. L’école de Palo Alto : un courant de pensée et de recherche américain, né au début des années 1950. Il est souvent cité en rapport avec les concepts de la cybernétique. 17

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contrainte justifierait les comportements contre-intuitifs et inattendus. En fait une première contrainte entre en opposition avec une seconde de telle manière que la contrainte de l’une entraine l’interdiction de l’autre. Il est donc impossible de respecter les deux contraintes simultanément. Avec son école de pensée Palo Alto, la méthode de raisonnement de Bateson est : le paradoxe, tout comme les fins. Les thérapies du MRI (Mental Research Institutes) s’inspireront de Bateson, c’est à dire finalement guérir le mal par le mal. En conséquence Bateson remet en cause la notion de « but conscient ». Philosophiquement parlant, le moi n’est pas « maitre de sa maison » car il est inclus dans le système de la pensée. C’est alors la problématique des théories orientales comme le Zen de nous libérer de la double contrainte. Mais le philosophe aurait surement vu d’un œil très méfiant l’arrivée du transhumanisme car il ne faut pas nécessairement se séparer de l’être humain. Il reste pourtant à l’origine de l’ensemble de ces fondements. C’est en 1987 que s’ouvre l’Institut Gregory Bateson pour « diffuser, promouvoir et développer une vision interactionnelle et stratégique du comportement humain ».

En conclusion, pour Sussan : « Korzybski, Fuller, Bateson et McLuhan ont préparé le terrain pour les révolutions technologiques à venir : ils ont donné un mode d’emploi, une façon de penser, voire de survivre, dans un monde en perpétuelle mutation »18. Dès lors peuvent survenir les innombrables changements technologiques…

I.2.3) Le contexte du mouvement. Il est possible à présent de donner une définition plus précise du mouvement avant d’en décrire le contexte et ses principaux piliers. Par définition le transhumanisme est un courant d’idées, un mouvement intellectuel, un ensemble de réflexions qui encourage l’usage des sciences et de la technologie pour améliorer l’espère humaine, la libérer de sa condition biologique (c’est le concept plus global d’homme augmenté). Mais si un tel mouvement va nous apparaitre assez développé et même influent, il s’agit de comprendre dans quel environnement il s’est développé. Le nouvel homme augmenté n’est pas si éloigné de ce que nous pensons car nous sommes déjà rentrés dans 18

Rémi Sussan, Les Utopies Posthumaines, op. cit., p.63.

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une nouvelle ère technologique créant de nouveaux paradigmes : l’ère des NBIC. Les lettres NBIC coorespondent aux nouvelles sciences : les Nanotechnologies, la Biotechnologie, l’Informatique et les Sciences cognitives. De cette manière s’est developpé l’ensemble des changements parfois radicaux de l’histoire de la pensée à partir des quatre précurseurs que nous avons expliqué plus haut. Les NBIC grâce au principe de progrès perpetuel iront selon le transhumaniste converger pour atteindre la singularité technologique. Voici dans le tableau 1 ci-dessous une présentation rapide des quatre domaines NBIC. Tableau 1 : Description succinte des sciences NBIC Informatique

Sciences cognitives

Application des

Au sens large, on

Ensembles des

sciences, des

principes

comprend la

sciences qui

techniques,

scientifiques et

télécommunication, cherchent à

l’echelle du

de l’ingénierie à

l’éléctronique, la

expliquer les

nanomètre

la transformation

robotique (donc

mécanismes de la

(moléculaire ou

de matériaux par

l’intelligence

pensée humainen

atomique).

des agents

artificielle).

annimale ou

Nanotechnologies Biotechnologies Caractéristiques Ensembles des

biologiques.

artificielle.

Champs

Electronique,

Mariage entre

Techniques

Décodage du

d’application

Chimie, Optique

biologie et les

concrètes

génome humain.

Biologie,

techniques

d’implantation,

Philosophie,

Mécanique

(microbiologie,

langages de

psychologie,

biochimie,

programmation,

linguistique,

génétique…)

algorithmique etc…

neurosciences, informatique et antropologie.

Réalité

1,3 milliard

Nombreuses

Dépences en TIC les

Recoupe

financière

d’euro entre 2002

start-ups

plus fortes aux USA

largement les

et 2006 pour

d’application de

avec 31% de

sciences

l’Europe.

principes comme

l’ensemble de

précedentes, donc

600 millions de

la transgénèse.

l’investissement et

un financement

dollars aux Etats

En 2008 :

5% du PIB.

croissant. Encore

Unis pour l’année

financement de

La France a

une fois surtout

2002.

700 millions

respectivement

aux Etats-Unis.

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Devellopement de

d’euro19.

20% et moins de

nombreuses start-

Difficultés à

3%du PIB.20

ups.

convaincre d’investir sur très long terme.

L’histoire du mouvement humaniste n’est pas étrangère à la question posthumaine. Si le transhumanisme a connu un tel essor depuis les années quatre-vingt, il est impératif de prendre en considération la période de la renaissance pour comprendre celui-ci. Même si la volonté de changer l’individu semble présente depuis l’antiquité (fontaine de Jouvence, épopée de Gilgamesh) ; une révolution de la vision de celui-ci se trouve surtout aux XVème et XVIème siècles. L’humanisme classique est un mouvement de pensée débuté en Italie en réaction à la période de dogmatisme du Moyen âge. Il cherche à placer l’homme, au-dessus de toute considération religieuse, à un niveau de perfection atteint dans les domaines de la morale, la politique, de l’art. C’est donc un véritable témoignage en la foi que l’humaniste (Erasme, Pétrarque, Boccace, De Vinci, Thomas More…) porte à l’égard de sa condition. Cet élan enthousiaste se propagera d’ailleurs en France au cours du XVIème siècle. Et l’apparition du mot d’humanisme ne se fait qu’au cours de la seconde moitié du XIXème siècle. En se puisant dans de telles valeurs, les transhumanistes se déclarent donc à la fois humanistes et posthumanistes.

Par la suite le mouvement prend ses sources dans les pensées expliquées de nos quatre précurseurs entre 1930 et 1960. Entre 1960 et 1975, c’est un nouveau paradigme technologique des NBIC qui se révèle à l’origine de la « révolution neurochimique » et de l’influence du mouvement de contre-culture des années soixante. Enfin dès les années 1980 une véritable cyberculture s’ouvre avec l’essor de la pensée transhumaniste sous ces différentes formes. La suite de cette première partie traitera donc du chemin qu’il reste à parcourir vers la cyberculture et l’apparition incontestable du transhumanisme. Tout d’abord 19

D’après le site Les acteurs de l’économie, consulté le 23 avril 2013. (Document en PDF) URL : http://www.acteursdeleconomie.com/archives/act84p30.pdf 20 Source : Insee. Etude consultée le 23 avril 2013 à l’URL : http://www.insee.fr/sessi/cpci/cpci2003/CPCI2003_10_fiche24B.pdf

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donc, intéressons-nous la période des années 1960 qui ne semble pas si éloignée de la posthumanité...

I.3 – « Une relecture dérangeante des sixties »21

I.3.1) La philosophie transhumaniste : une « anti-éthique »22. Alors que la philosophie renvoi étymologiquement à l’amour de la sagesse, peut-on penser que le transhumanisme en soit une ? A première vue il est symbole de la puissance humaine autonome et immortelle. Pourtant il apparait fondamentalement opposé à la possibilité d’une vie sans la technologie, ainsi justifie-t-il la fin de l’homme par d’eschatologie23. Mais sauver l’homme d’une telle manière semble bien éloigné de toutes considérations éthiques. On parle souvent d’une anti-éthique pour évoquer une telle philosophie, alors ne faut-il pas aussi parler d’antiphilosophie ? À l’image des environnementalistes les plus expressifs, les transhumanistes alertent de manière inquiétante sur la nécessité de suivre leur prophétie. En cela on peut parler de « transgressions anti-éthique » comme le fait Jean Claude Guillebaud. Tout cela semble fortement lié au passage des années 1960, particulier dans l’histoire des utopies posthumaines.

I.3.2) La contradiction du mouvement hippie avec le transhumanisme. Premier constat : la contreculture des années 1960 porte des valeurs pacifistes, de libération (sexuelle, technologique…), d’un excès hédoniste et finalement du rejet d’un mode de vie, celui d’une idéologie américaine dominante. Deuxième constat : les « technoprophètes » transhumanistes sont héritiers de ce mouvement de contestation. Il suffit de regarder des figures emblématiques comme 21 22 23

Titre emprunté à Jean Claude Guillebaud, La vie vivante, Les arènes, 2011, p. 131-135. Selon le penseur Raphael Lioger. Voir Ibid., p.131.

Eschatologie : (nf) Ensemble de doctrines et de croyances portant sur le sort ultime de l'homme après sa mort (eschatologie individuelle) et sur celui de l'univers après sa disparition (eschatologie universelle). [Définition tirée du dictionnaire Larousse]

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Timothy Leary (1920-1996), chercheur et psychologue à Harvard, il est aussi surnommé le « pape du mouvement hippie ». Il en est de même pour d’autre figure comme William Burroughs (1914 – 1997).

Paradoxe et explications : le mouvement hippie rejetant tout conformisme et technologies, a été à une phase de l’histoire de la formation du transhumanisme. Or la contreculture se base sur des valeurs opposées au dépassement de l’homme. Pour expliquer un tel paradoxe, certains (comme Sussan) analysent un tel mouvement comme la première technostructure24. En fait, la seule voie de dépassement de l’homme avant l’humanisme renaissant était la voie divine, mais celle-ci n’estimait fondamental un tel projet. De manière synthétique, la religion n’est donc qu’une réponse partielle aux interrogations humaine. Dès lors, faut-il plutôt s’orienter vers la religion ou alors s’en éloigner ? Il était souvent admis que les hippies proposaient une renaissance du religieux par sa transformation radicale. En fait durant ces années, la principale question était de savoir si la science pouvait apporter à l’homme un tel dépassement mystique qui était à l’époque réservé à une minorité. Pourtant il faudrait penser l’inverse et relire le mouvement hippie car une telle explication ne semble pas satisfaisante. Peut-être que le projet d’accomplissement de l’homme ne fait que débuter et que les croyances et les mythes passés ne sont que les ébauche d’un accomplissement plus important : celui de la transhumanité. En cela l’arrivée de la neurochimie et de sa palette de drogues et de substances psychédéliques renverse les perspectives du possible en modifiant de manière brutale le rapport entre la science et l’homme. Si les produits chimiques n’ont pas été découverts au XXème siècle, leur utilisation a été totalement bouleversée. Avant, la drogue n’était pas connue pour remettre en cause la raison et la conscience humaine de chacun. De manière plus moderne, les progrès scientifiques étant pris en compte, on considère les drogues comme jouant un rôle fondamental dans la neurologie, une des sciences naissantes à l’époque. L’accoutumance et les effets psychotropes sont dès lors connus, et leurs conséquences à long terme est largement prévenue. Grâce aux effets de ces produits, un véritable dépassement s’est constaté et ceci dans différents domaines : création artistique, inspirations intellectuelles, 24

Technostructure : Ensemble des cadres dirigeants ou subalternes, des techniciens et des spécialistes qui participent à la prise de décision en groupe dans les grandes entreprises.

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visions religieuses… Avec de tels produits, le système neurologique se réfère bien plus à un instrument malléable (via les drogues) qu’à un élément fixe de notre biologie. On qualifie en philosophie un tel mouvement de matérialiste, c’est-à-dire l’explication de l’être humain par de simples modifications chimiques permettant de créer les sensations, les humeurs, les pensées. En cela elle est en contradiction avec la religion qui elle, préfère admettre l’existence de l’esprit hors de la matière. Entre transhumanisme, religion, et science, la neurobiologie semble avoir renversé une vision de l’homme et de ses capacités.

I.3.3) Les neuro-chimistes à la découverte du cerveau humain. La découverte du cerveau humain s’établit par des neuro-chimistes, chercheurs, universitaires et intellectuels mais aussi des personnalités plus loufoques comme Timothy Leary le psychologue qui encouragea ses étudiants d’Harvard à la prise du LSD pour le seul principe d’exploration de soi. Il est une figure emblématique de la contreculture des années 60. Lors des années de la cyberculture (que nous expliciterons dans le point I-4) Leary en tant que passionné par la mécanique quantique et en bon technophile, s’intéresse à la micro-informatique. Il devient un capitaliste dit « libertarien », idéologie extrême capitaliste. Avec l’arrivée d’Internet cette figure très emblématique se rallie au mouvement néolibéral pour s’éloigner définitivement de l’extrême gauche dont il avait été proche dans les années 1970. T. Leary se trouve très vite séduit par l’idée transhumaniste que l’homme puisse se « refaire ». Pour cela il établit une célèbre théorie : la théorie des huit circuits de conscience. Déjà prédisait-il l’apparition d’une nouvelle race humaine : des sortes de mutants, des hommes améliorés par les technologies. Il s’intéresse ainsi à différentes sciences expérimentales de l’humain comme la cryogénie et devient un homme respecté de la « génération Silicon Valley. »

Dans les même temps que les découvertes de Leary sur la philosophie et la méditation, un autre front de pensée transhumaniste s’ouvre sur la côte ouest des Etats Unis. De nombreux artistes ou écrivains ont été utiles pour des expériences dites thérapeutiques. La formation du groupe Merry Pranksters a ainsi crée l’image du mouvement hippie qui est communément admise aujourd’hui. Des soirées sont organisées Page | 23


par un certain Ken Kesey pour utiliser de ces psychotropes librement. L’influence de ce type de groupe est très importante, notamment dans la musique rock de la culture beat. (Beat génération’)25. Durant les années 1960, l’expansion de ces psychédéliques est totale, le LSD est une drogue presque banale et le mouvement hippie arrive dans l’état de la Californie en 1966. Dans notre perspective de découverte du cerveau humain et de ses capacités pour mieux le contrôler; intéressons-nous à d’autres intellectuels qui ont aidé le mouvement par l’utilisation d’inventions les plus diverses. C’est le cas de John Lilly26 surnommé le « cybernéticien psychédélique ». Cet américain surdiplômé étudie notamment la structure du cerveau et invente en 1951 le premier moyen d’introduire des électrodes dans un corps animal et sans douleur. Il est surtout célèbre pour son caisson d’isolation, instrument de relaxation à la mode dans les années 1980 et développé par le National Institute for Mental Health. On place un sujet dans un espace noir plongé dans une eau salée maintenue à 37°C. En permettant la flottaison, le sel place l’individu dans un environnement où aucun de ses sens n’est sollicité. C’est un des moyens découvert par J. Lilly pour explorer sa conscience. Effectivement si la première heure passée dans le caisson d’isolation est un moment de relaxation, la deuxième est plus éprouvante et au bout de 150 minutes le sujet commence à avoir des hallucinations, des fantasmes et tout type de folies. Mais pour le chercheur fou, la base de son travail se fait un peu après l’expérience du caisson en 1949 quand il écrit Programming and Metaprogramming in the Human Biocomputer. Pour résumé, Lilly assimile l’esprit humain à un « bio-ordinateur humain » qui comprend un ensemble de programmes. Notons ici qu’un tel travail de matérialisation se situe dans l’esprit des travaux de Bateson (les principes de la connaissance humaine par exemple) et du mouvement hippie de Leary pour « systématiser la ressemblance entre le cerveau humain et l’ordinateur » dont il dégage une théorie de la « méta-programmation ». Celle-ci est une nouvelle caractérisation de ce que Bateson avait désigné comme les catégories de l’apprentissage. Un métaprogramme se charge de programmer tous les autres : c’est le fameux Moi. En fait la psychologie des individus est un perpétuel conflit entre des métaprogrammes. Plus étonnamment Lilly assimile ce qu’il appelle des métaprogrammes supra-individuels, à Dieu. Selon lui les 25

Mouvement littéraire et culturel américain qui a regroupé durant les années 1950-1960 des jeunes, des écrivains (A. Ginsberg, J. Kerouac , W. Burroughs), des artistes peintres de l'Action Painting et un poète-éditeur (L. Ferlinghetti). (Source Larousse). 26 Rémi Sussan, Les utopies posthumaines, Loc., cit, p.78.

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produits de la révolution neurochimiques comme le LSD peuvent agir sur de tels programmes et les modifier (les muter ?). Ainsi rejette il le mot même d’hallucination (produit pas ses caissons) en disant que « Rien de ce que vous expérimentez n’est irréel. »27. C’est alors au tour de la kétamine d’intéresser Lilly comme une substance reprogrammante. Il tombera d’ailleurs paradoxalement dans le piège de l’addiction à ces substances censées permettre l’étude du cerveau. À mesure de ces découvertes, la médecine neurologique progresse de son côté énormément pour entrer dans une ère où la compréhension de notre cerveau (cœur du système neurologique) est colossale.

I.3.4) Le futur imaginé par les hippies. Après la popularisation du LSD en s’échappant des mains scientifiques, le mouvement de contreculture semble très influencé par ses icones dont certaines donnent une vision assez futuriste. Prenons le cas de W. Burroughs (1914- 1997) qui sera même audelà des années 1960 une référence pour le mouvement cyberpunk. Cet écrivain prend pour sujet ses propres expérimentations qui se résument par la drogue, l’errance et l’homosexualité. Il est des principaux précurseurs du transhumanisme dans la mesure où il défend le clonage, l’exploration spatiale, l’accès à l’immortalité. Il apparait comme l’un des écrivains majeurs du XXème. Comme Leary, il reste un grand futuriste et son principal roman, intitulé Festin nu, est a fortiori très cyberpunk mais dans une science-fiction très caractéristique. Il est aussi un fervent connaisseur de la sémantique générale de Korzybski, et considère le langage comme imparfait. « Le langage est un virus venu d’outre espace » dira-t-il. Sa vie est un cliché des sixties : passage dans la scientologie, prise d’héroïne, travaux sur l’être humain pour le changer, intérêt pour le bouddhisme... Refaire un monde en refaisant l’homme, telle est la volonté de tous les adhérents de la contreculture mais aussi celle de l’ensemble des transhumanistes. Prenons un thème cher à Burroughs : le clonage. Une telle ambition provient de l’envie de conservation du cerveau humain via la cryonique, ou même l’uploading, c’est-à-dire en langage transhumaniste, l’action de transférer l’ensemble des données du cerveau sur un support autre que le cerveau comme un grand disque dur, une simple clé USB, des serveurs. Ainsi une telle 27

Rémi Sussan, Les utopies posthumaines, Loc., cit, p.80.

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technique, aussi impossible semble-elle, pourra nous permettre d’atteindre l’immortalité. Il en est de même pour le clonage. Ici, il ne s’agit plus de déplacer des données humaines sur un support non dépendant de la biologie humaine mais de créer une seconde biologie identique à la première. Cependant pour Burroughs, le clonage serait à terme le seul moyen d’atteindre ce désir qu’est l’immortalité. En effet, il considère que la matérialité du moi ne peut pas être exhaustivement implantée sur un autre support que l’homme du fait de l’existence de l’ADN. Il n’est pas non plus possible de survivre éternellement dans le même corps car la durée de vie d’un corps est par définition limitée. « Pour la première fois [avec le clonage], l’esprit de l’homme pourra se séparer de la machine humaine, la voir et la manipuler comme un outil. L’organisme humain devient un artefact qu’on peut utiliser comme un avion, un bateau, une capsule spatiale ». Telle est la vision positive qu’il dégage du clonage dans Immortality.

Attention aux raccourcis, il ne faudrait pas admettre que des personnages comme Burroughs et surtout Leary sont des créateurs du mouvement hippie ou originaires de la création des cyberpunks ou plus fondamentalement du transhumanisme. Ils accompagnent tous ces mouvements et les influencent de manières importante et parfois les représentent. Car la pensée hippie ne se limite en aucun cas à la seule vision de Leary pas plus que le mouvement cyberpunk n’est représenté exclusivement par Burroughs. Une telle précision est nécessaire pour ne pas faire de contresens quant à la lecture des différents événements déclencheurs de l’idéologie transhumaniste.

Néanmoins, on peut comprendre les contradictions de la contreculture par celle de Leary. Quand on sait qu’une poignée de champignons hallucinogènes l’on fait basculer dans un tout autre univers lorsqu’il enseignait à Harvard : on imagine que sa pensée est de plus en plus déjantée. Tentations vers des modes de vies alternatifs, puis volonté de se rapprocher de la culture orientale : Leary s’inspirera de nombreuses cultures. Il sera condamné à 30 ans de prison pour avoir détenu deux joints dans sa voiture mais en vérité Leary dérange l’administration. Aussi médiatisé qu’il est, et étant lui-même à l’origine du test psychologique établit pour les prisonniers, il réussit à s’échapper très rapidement grâce à l’intervention de l’extrême gauche. Il s’exilera en Algérie puis en Suisse mais sera remis en prison aux états unis, car retrouvé par la CIA en 1974. Deux ans plus tard il est relâché et Page | 26


c’est à ce moment que son idéologie bascule vers le futurisme et le néolibéralisme. Durant les années 1980, il est à l’origine de nombreux travaux concernant l’informatique et le Web (par exemple le jeu vidéo Mind Mirror pour Electronic Arts). Ses thèmes de prédilections deviennent très transhumanistes dont l’immortalité, le voyage spatial, la réalité virtuelle, les réseaux télématiques, et vers la fin de sa vie : la mort, qui est le dernier obstacle à surmonter. Il semble que la vision hippie ait bien changé, à l’image de celle de Leary, pour se rapprocher au fur et à mesure vers la transhumanité (qu’il n’atteindra paradoxalement jamais).

Toujours durant les années 1980 la sensibilité des sixties s’exprime presque uniquement par les revues Wired et Mondo 2000. Etonnamment, l’idéologie celles-ci soutiennent ne semble plus en rapport avec la vision pacifiste des années 1960. Comme le décrit Jean Claude Guillebaud : « Il est vrai qu’entre temps on est passé de la contre-culture à la technologie branchée et à l’éloge de l’entreprise rentable ». En fait tout comme ses acteurs l’idéologie des hippies semblent avoir subie une profonde mutation vers la technologie, et il ne semble pas absurde d’avancer que le transhumanisme est un vestige de la contreculture.

I.4 – L’avènement d’une « cyberculture »

I.4.1) Qu’est-ce que la cyberculture ? La cyberculture est un ensemble de positions culturelles, un nouveau rapport à la culture générale par les internautes apparus dans les années 1980. Elle caractérise par ce terme des années 1990, un contexte dans lequel les utopies posthumaines se sont nourries. Il semble que l’on soit passé des années 1960 à 1980 d’une contreculture à une cyberculture. Voir d’ailleurs l’analyse de l’émission de France culture à ce sujet28. L’arrivée de l’internet on l’a vu a véritablement forgé ce mouvement.

28

De la contreculture à la cyberculture, Emission Place de la Toile, France Culture, Décembre 2012.

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Dans un de ses essais29, André Lémos30 donne une définition assez pertinente de la cyberculture : « Par cyberculture, nous comprenons les relations entre les technologies informationnelles de communication et la culture, émergente à partir de la convergence informatique et télécommunication »31. Il définit ensuite les trois lois de la cyberculture, la première étant la « Libération de l’émission » soit la diffusion de l’information qui s’opère par des pôles de plus en plus nombreux. Ensuite, le « principe de connexion généralisée » c’est l’idée que l’ensemble des technologies (ordinateurs, téléphones, tablettes…) sont reliées par un réseau qui les lie entre-elles. Le réseau est ainsi partout. La troisième est dernière loi semble aussi la plus importante. C’est la « reconfiguration culturelle ». En fait la cyberculture de par ses diverses expressions crée une reconfiguration des pratiques car elle modifie les structures sociales et de l’information (pratiques communicationnelle pour Lémos). Les trois lois de la cyberculture permettent donc de comprendre son importance dans notre approche de la culture et donc d’en cerner certaines dérives. (On fera référence ici aux nombreux blogs d’ « information » divulguant des informations erronées ou dangereuses pour les démocraties).

Si la cyberculture n’est pas le sujet de ce mémoire, il apparait tout de même que l’étude de cette période sera partiellement constituée ici, à travers une manifestation de la cyberculture qu’est le transhumanisme. Nous avons jusqu’ici vu les origines de cette philosophie, nous allons dans la prochaine partie en montrer les caractéristiques, mais avant arrêtons-nous quelques temps sur le reste de la cyberculture, c’est-à-dire les concepts qui la composent.

I.4.2) Le temps de la cyberculture : vers des concepts transhumanistes. La première phase de la cyberculture est composée de plusieurs concepts qui sont les témoins des mutations sociales qu’entrainent les nouvelles technologies. Sans doute l’un des plus importants des concepts, du point de vue transhumaniste, est le mouvement cyberpunk que nous avons étudié dans le point : I.2.1) De la science-fiction à la réalité. On rappelle qu’il correspond à cette frange de la littérature de science-fiction qui constate le 29

André Lémos, Les trois lois de la cyberculture. Disponible sur le site Cairn.Info. URL : http://www.cairn.info/revue-societes-2006-1-page-37.htm#no2 (consulté le 10 mai 2013). 30

Professeur à la Faculté de Communication de l’Université fédérale de Bahia – Brésil.

31

Ibid., Introduction.

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changement technologie rapide est y attribue une dystopie (on parle aussi de « hard sciencefiction »). En bref, W. Gipson est le gourou d’un tel mouvement de par une œuvre comme Neuromancien.

La « réalité virtuelle » (RV) est un autre concept de la cyberculture,

cette

technologie « cherche à mettre au point des systèmes qui donnent à l’homme la capacité de percevoir et d’interagir avec des données numériques en temps réel, de façon multi-sensorimotrice et collaborative »32. Une telle technique en plus de comporter un intérêt pour la recherche et l’industrie, se trouve particulièrement dans la vision des transhumanistes, effectivement via des inventions comme le dataglove (ou le gant qui permet de toucher de objets virtuels) on peut désormais créer des nouvelles réalités, des vérités inexistantes, repenser le monde sensible. Pour certains, cette technique permettra de crée le nouveau média dit de « l’esthétique et de la communauté » recherché par McLuhan, pour atteindre le meilleur des mondes. Pour Jaron Lanier33, la RV pourrait constituer un langage « post-symbolique ». En effet le cyberespace, qui suppose une autonomie mentale des machines (voir le principe d’IA) nécessite la technologie de réalité virtuelle en créant des sortes de portes d’accès au cyberespace. Or cette technique constitue le parfait nouveau média, selon Lanier, qui par la cybernétique crée des espaces d’un type nouveau que l’homme doit apprendre à dominer. Autrement dit la communication, dans sa forme connue, ne serait plus utile car on pourrait montrer directement ce que l’on pense, ce que l’on « a dans la tête ». En résumé la réalité virtuelle se rapproche de deux concepts transhumanismes : ▪ La vision d’une nouvelle frontière à découvrir pour l’homme. ▪ L’accès à une conscience supérieure permettant de dépasser la condition humaine par la création d’un nouvel espace mental qu’est la RV.

Les nouveaux symboles de la cyberculture ont vu apparaitre un troisième concept celui du cyberchamanisme. On distingue de manière générale le cyborg, c’est-à-dire le mihomme mi- robot provenant du futur et le chaman qui provient du passé. En apposant le 32

Bruno Arnaldi, membre de l’IRISA à Rennes et président de l’Association France de réalité virtuelle, cité dans l’article du CNRS : Le virtuel renforce le réel. Consulté sur le site du CNRS le 10 Mai 2013. URL : http://www2.cnrs.fr/journal/3850.html 33

Jaron Zepel Lanier, compositeur et essayiste américain (né en 1960), est l’un des pionniers de la réalité virtuelle.

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préfixe cyber à ce dernier on obtient un nouveau type de chaman : le cyberchaman. Il reste un chaman mais il cherche à explorer différents mondes intérieurs : rêves, cyberespace, les drogues, la réalité virtuelle… On remarque encore une fois que la cyberculture s’inscrit dans la continuité de la contreculture : le LSD est remplacé par l’ecstasy, les festivals par des raves party, le rock par la musique techno (et les débuts de la musique électronique), les chamans par les cyberchaman. Le journaliste Sussan décrit même ces cyberchamans comme les piliers d’une nouvelle contreculture34. Pourtant le mouvement s’étend et se transforme largement, on observe l’apparition des smart drugs pouvant augmenter les capacités mémorielles, ou même les smart drinks (Red Bull ou autres boissons vitaminées « censées donner des ailes » selon le fameux slogan, ne sont-elles pas plutôt les représentations modernes d’une volonté d’atteindre un homme augmenté, plus fort, plus intelligent, plus important : aidées par le marketing si influent). Ainsi le cyberchaman Terence McKenna est à la cyberculture ce que Leary était à la contreculture : « Les visions de McKenna, qu’on les prenne ou non au sérieux, ont fourni le matériau poétique et utopique de la cyberculture »35.

Par exemple, McKenna sera à l’origine de la théorie du temps « fractal ».

Notre

cyberchaman professe donc que le temps est constitué de boucle qui se répète à tailles différentes. Il pensait ainsi que la fin du monde le 12 décembre 2012 surviendrait lors de la synchronisation des cycles. En résumé, McKenna cherche à entrer en contact avec une quatrième dimension de l’humanité dont son chamanisme cherchera à interpréter les simples perceptions que nous en recevons. En conclusion, des auteurs comme Leary, McKenna ou Lilly sont des gourous d’une culture et en toute conscience manipulent les imaginations en créant des utopies dans leur temps.

Le dernier élément de la première phase de cyberculture est le « New Edge36 » qui constitue le paroxysme de cette période futuriste, en 1992-1993. L’expression traduite souvent par « Nouvelles limites » emprunte au New Age certains concepts et rajoute ceux de 34

Rémi Sussan, Les utopies Posthumaines, op. cit., p.128. Ibid., p.129. 36 L’expression est employée par la revue Mundo 2000 User Guide qui est le symbole de la génération des hackers anarchistes. La revue est la « bible de la technoculture » des années 1980. 35

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technologies et d’électronique. Elle caractérise la révolution qu’a provoquée l’arrivée d’internet. Le Web sera créé en 1989 par Tim Berners Lee, mais utilisé par le « public » bien plus tard. Les premiers utilisateurs découvriront essentiellement les premiers blogs, chat et forums en ligne. Pourtant l’utilisation d’internet sera initialement très élitiste est donc limitée. La mise en place d’un tel réseau, composé d’une succession de serveurs appelés BBS (Bulletin Board Systems), est lente, non uniforme et surtout très chère pour ses utilisateurs. En somme, la constitution d’un réseau à l’échelle planétaire révolutionne le monde des communications et transforme radicalement l’environnement socio-culturel des acteurs de la technologie pour les faire véritablement entrer dans la cyberculture.

En guise de transition, notons que la deuxième phase de la cyberculture mènera au transhumanisme puisqu’il apparait que l’ensemble des éléments d’analyse soit présents pour comprendre et accepter une philosophie dont nous avons simplement explicité le contexte et les origines. Nous venons de justifier la nécessité d’un tel courant de pensée. Encore faut-il le comprendre, montrer ses principaux acteurs, les institutions qui le composent

(partie 2)

. Dans une ultime approche

(partie 3)

, nous pourrons étudier ses critiques,

une remise en cause parfois violente de la pertinence d’une telle analyse.

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PARTIE II : Le transhumaniste à l’épreuve des faits

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PARTIE II : Le transhumaniste à l’épreuve des faits

II.1 – Vision générale du mouvement transhumaniste II.1.1) La posthumanité et la transhumanité. Comment caractériser cette nouvelle étape annoncée de notre condition ? Sommesnous en train de devenir « humain, trop humain » comme le disait Nietzsche ? L’homme estil en train de prendre les commandes de sa propre évolution ou de les perdre ? Finalement c’est se poser la question de la nature d’un être transhumain. Pour comprendre cela nous allons expliquer l’analogie établie par Kyle Munkittrick, qui semble être une des explications des plus pertinentes de ce qu’est le transhumanisme. C’est l’analogie à la culture Pop des super héros37.

Il divise tout d’abord l’humanité en trois catégories. Ce qu’il appelle les posthumains critiques, qui nous caractérisent tous, provient d’une idée transhumaniste que l’être humain n’est pas dénué de technologies ce qui fait de lui un être « non naturel ». Effectivement, il souligne, à raison, que les individus modernes sont d’autant plus « humains » quand ils utilisent les technologies pour modifier notre environnement. La deuxième catégorie est celle des « posthumains transcendants », qui constitue pour beaucoup d’entre nous un idéal de la constitution humaine. C’est aussi le désir de devenir mi-homme mi-dieu pour atteindre une sorte de perfection subjective. Enfin se trouve la catégorie des « transhumains » qui représente notre devenir, c’est l’objet même de notre mémoire ! Le transhumanisme c’est donc l’étude de l’impact des méthodes permettant le dépassement de notre biologie, du clonage à l’intelligence artificielle, des médicaments anti-âges aux programmes de restriction caloriques en passant par la modification de notre ADN.

Après une telle division Munkittrick prend l’exemple de quatre images de superhéros et en fait l’analyse : Batman, Iron man, Super man, Spiderman. Il se justifie très sérieusement en démontrant que l’un des seuls moyens de faire comprendre le 37

Kyle Munkittrick, Superman ou l’homme de demain, Courrier International, Supplément d’été n°1030/1032, Juillet 2010.

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transhumanisme facilement à des amis ignorants et de l’associer à la culture populaire (ou « culture pop »). Prenons le cas de Batman. Avant même qu’il ne se transforme en Batman, Bruce Wayne apparaît comme l’homme le plus épanouit de Gotham City. Mais en profitant d’un arsenal de technologies, il est plus fort, il reste un homme mais plus puissant. La particularité de Batman semble d’être dépourvu de superpouvoirs. Il hérite ainsi des failles humaines (possibilité de mourir, de vieillir, de tomber malade,…) et est donc incapable de devenir posthumain : en cela il exprime l’humanité actuelle. Les cas d’Iron man et de spider man sont plus complexes. Le premier représente la face d’une transhumanité atteinte par le développement technologique (transhumanité technologique) par l’harmonie d’un cœur artificiel. C’est-à-dire que Tony Stark est un cyborg38. Le second s’est modifié par son ADN en le codant avec celui d’une araignée lui donnant des atouts spéciaux (sixième sens, agilités…). Peter Parker, alias Spiderman, modifie donc sa biologie directement. Pourtant ces deux hommes restent éperdument humains : Parker est un ringard amoureux de sa voisine Mary Jane et Stark est un alcoolique homme à femmes. Ainsi, en étant plus évolués que Batman ces deux héros sont confrontés à des problèmes biens humains d’une mémoire non parfaite, d’une émotivité exacerbée ou encore de sentiments contradictoires. Selon Munkittrick, ils sont donc transhumains (de deux manières différentes) mais non posthumains car ils n’ont pas dépassé totalement la condition de leur biologie39. Reste enfin le troisième cas, celui de Superman, qui semble être le seul posthumain des quatre. Effectivement, ce dernier murit à la même vitesse que les êtres humains traditionnels mais vieillit moins vite. Il n’est pas malade, peut survivre dans l’espace, lancer des rayons laser avec ses yeux, voir à travers les murs, soulever des montagnes, voler sans aide extérieure. Le paroxysme du transhumain c’est de prétendre qu’il est simplement humain40. Superman fait en cela semblant d’être humain, i.e. d’être vulnérable. Il est tellement parfait qu’il n’est pas distrait par les problèmes intrinsèquement humains des trois autres superhéros. Il est bien au-delà de l’humanité ce qui le place dans l’exemple même du posthumanisme. Ainsi l’analyse des pouvoirs des superhéros permet de rendre compte du concept même de posthumanité.

38

Voir la partie sur les cyborgs : II.2.4) Vers le cyborg. Attention : la différence entre transhumains et posthumains et donc ici essentielle à la compréhension de l’analogie de Munkittrick. 40 Voir plus de détails : dans l’article de Kyle Munkittrick, Superman ou l’homme de demain, Courrier International. 39

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Dès lors est-il préférable de parler de posthumanisme ou de transhumanisme ? Le posthumanisme est un humanisme du XXIème : une extension de l’humanisme classique qu’était celui de la renaissance. Il s’agit d’agir sur la nature même de l’homme et de brouiller les frontières entre humanité et machinisme ou encore humanité et animalité. Le vrai questionnement de ce mémoire ne devrait finalement pas être celui de la remise en cause de l’arrivée d’un tel posthumanisme, mais plutôt de savoir si cette même arrivée est positive pour l’homme41. En France le terme « posthumanisme » est apparu avec ce que l’on appelle « l’affaire Sloterdijk ». Elle provient d’une opposition de deux courants de pensées : l’humanisme traditionnel et le posthumanisme Nietzschéen (et d’Heidegger) qui comprenait Peter Sloterdijk. Ce dernier aurait tenu des propos qualifiés d’eugénistes voir fascisant le 2 septembre 1999 lors de sa conférence intitulée Règles pour le parc humain. Peter Sloterdijk est un auteur contemporain qui occupe la chaire de philosophie et d’esthétique à l’école des beaux-arts de Karlsruhe depuis 1992. Son œuvre la plus reconnue est la Critique de la pensée cynique, notamment congratulée par Michel Foucault. C’est pourtant cette fameuse affaire qui le rend si célèbre, il définit lors de sa conférence les règles de la poursuite de la grande entreprise de création de l’homme par l’homme. Son idée controversée est que l’humanisme s’est transformé en une voie inédite de domestication de l’homme. Accusé de promouvoir le surhomme nietzschéen par le biais de l’apologie du recours aux nouvelles technologies, Sloterdijk est au cœur d’un délit de transhumanisme. Mais Nietzsche était dans une logique de prévention pour dénoncer la fonction secrète de ceux qui ont le monopole de l’élevage. Il ira même jusqu’à prévoir un futur conflit entre les différents éleveurs des hommes. Le posthumanisme, pour Sloterdijk n’est donc que l’ouverture aux nouveaux moyens de domestication des hommes, qu’il dénonce.

Enfin les deux termes de posthumanisme et de transhumanisme semblent largement se recouper (malgré l’exemple de l’analogie de Munkittrick) et le premier est plus utilisé aux Etats-Unis, berceau du mouvement. Il s’avère étymologiquement que le transhumanisme est une période de transition et que le posthumanisme une finalité, l’aboutissement du transhumanisme : c’est donc la définition que nous garderons pour notre analyse. Il est ainsi

41

La différence ici, est développée en troisième partie, à propos de la remise en cause du mouvement. Est-ce vraiment un progrès pour les hommes ? Peut-on parler d’un regain de l’humanisme ? De l’émergence d’un antihumanisme ?

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généralement admis que la posthumanité est un stade ou l’homme moderne n’est plus un homme, en ayant perdu son essence, alors que la transhumanité est un stade intermédiaire de l’évolution.

II.1.2) L’Extropie. La pensée transhumaniste se divise en différents courants, au sein desquels, est mis en valeur un principe posthumain. Un de ses courants est l’extropianisme, c’est une frange plus radicale qui souligne la valeur de l’Extropie. Cette dernière correspond à l’étendue d’un système au niveau de l’intelligence, l’information, l’ordre, la vitalité et la capacité de développement. Les extropiens sont donc ceux qui cherchent à augmenter l’extropie. On note que l’extropie est l’inverse de l’entropie (deuxième principe de la thermodynamique de la mesure du degré de désordre d’un système, son contraire est la négentropie). L’extropie se réfère aux comportements de ceux qui visent à dépasser la biologie humaine en augmentant leurs capacités. L’extropianisme cherche donc les moyens d’accélérer (de manière rationnelle) le passage vers le posthumain. Cette branche transhumaniste se structure dans les années 1990 avec la création par Max More de l’Extropie Institute42, organisation marqué dans le courant de droite libérale. Dans son essai, Principes Extropiens 3.043, More pose les bases de l’analyse extropienne en 7 principes :

Principe 1 : Le progrès perpétuel, un dépassement sans fin de ses capacités, rechercher plus de sagesse et d’efficacité, en cela, supprimer les barrières politiques et culturelles (et biologique/psychologique). Principe 2 : La transformation de soi, l’idée d’un constant développement intellectuel moral, physique, via la pensée critique et l’expérimentation. (Recherches biologique et neurologique…). Le but de la transformation de soi étant d’affiner sa personnalité, et chercher à comprendre celle des autres.

42

L’Extropie Institue est lancé, sous la direction de Max More, en 1991 et fermera en 2006. Max More, Principes Extropiens 3.0, (1998), consulté 19 mai 2013, sur le site Hache. URL : http://editionshache.com/essais/more/more1.html. En version originale sur le site ExI. URL : http://www.extropy.org/ 43

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Principe 3 : L’optimisme pratique, qui combat la foi aveugle et le pessimisme stagnant, et prône un optimisme rationnel. C’est la mobilisation par tous les efforts possible pour atteindre un but fixé. Principe 4 : La technologie intelligente, c’est l’application de la science et de la technologie de façon innovante pour atteindre le dépassement de soi et des limites « naturelles » imposée par notre héritage biologique. La technologie n’est pas une fin en soi mais un moyen d’amélioration de la vie. Principe 5 : La société ouverte place les organisations sociales de liberté d’expression et d’action, au cœur de la société. Il s’agit de s’opposer à l’autoritarisme et de préférer la décentralisation du pouvoir et l’autorité de la loi. C’est le libre-échange de l’idée. Principe 6 : L’auto-orientation, est une liberté individuelle, une pensée indépendante, qui suppose une responsabilité (au sens fort, répondre de ses actes) et donc une estime de soi et un respect des autres. Principe 7 : La pensée rationnelle, comme les autres principes le supposent, est le questionnement du dogme, la remise en cause de nos croyances et pratiques culturelles. Il faut prendre en compte nos erreurs et les adapter aux futures analyses. De plus, l’ouverture aux nouvelles idées est majeure, ce qui induit une forme de tolérance.

Ces sept principes énoncés par Max More, jettent les bases du transhumanisme moderne mais ne sont pas absolus. Ils ne sont imposés à personne mais représentent simplement des valeurs communes aux extropiens et à cette partie moderne du transhumanisme des années 1990. Enfin More est celui qui a redonné une définition plus concrète au transhumanisme : « Comme les humanistes, les transhumanistes privilégient la raison, le progrès et les valeurs centrées sur notre bien-être plutôt que sur une autorité religieuse externe. Les transhumanistes étendent l’humanisme en mettant en question les limites humaines par les moyens de la science et de la technologie, combinés avec la pensée critique et créative. Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement et de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons Page | 37


l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. »44

II.1.3) Qu’est-ce que la discipline d’un transhumaniste ? Evidement nous sommes bien loin d’avoir trouvé des techniques radicales d’immortalité, alors comment fait-on pour participer à ce mouvement ? En fait pas grandchose. Certains essayent de vivre plus longtemps en adoptant une hygiène de vie saine pour espérer voir l’arrivée des nouvelles techniques allongeant la vie. Une de ces méthodes est la restriction calorique, l’idée est de réduire l’apport énergétique pour allonger sa durée de vie. Scientifiquement une telle technique est prouvée sur les rats mais pas sur l’homme. Il est raisonnable de se demander comment en diminuant son apport calorique, il est possible de suivre un exercice sportif régulier nécessaire à la bonne santé. Une des solutions est de prendre des compléments alimentaires, mais là encore, les effets secondaires sont méconnus. Un tel régime est suivit notamment par Ray Kurzweil qui affirme prendre plus de 250 compléments alimentaires par jours45.

En héritage de la période de cyberculture, on connait aussi des moyens d’augmenter artificiellement son intelligence : ce sont les « smartdrugs ». Le même problème d’effet placebo se pose quant à l’efficacité réelle de ces drogues et sur leurs effets secondaires nombreux. L’exemple jusqu’ici le plus controversé est celui de la Ritaline, médicament initialement prescris pour soigner les troubles de l’attentions (ADD), sont utilisation fut rapidement déviée de son objectif pour se constituer en drogue aliénante. Près de 8 millions d’enfants américain entre 3 et 20 ans prennent des antidépresseurs et des calmants.46 Parmi cette liste se trouve la Ritaline. Ce dernier médicament a un effet pacifiant sur des enfants souffrant d’hyperactivité, et leur permet de retrouver la concentration. Une telle avancée dans la maitrise du cerveau fut gâchée par les nombreuses tentatives de suicides de patients sous Ritaline. En effet, ce médicament aurait des conséquences néfastes donnant lieux à des pulsions de morts (y compris de crime de proche), il a été en cela très critiqué par la Food 44

Ibid., Introduction. Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, Peut-on changer la société ?, n° 6 de mars-mai 2007, p.63. 46 Gilbert Charles, Pas d'amphés pour les enfants, L’Express, janvier 2005, consultation : mai 2013 sur le site de l’Express. URL : http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/s ante/pas-d-amphes-pour-les-enfants_487304.html 45

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and Drug Administration (l’agence américaine du médicament). En somme il est donc très expérimental et compliqué de s’adonner à la véritable discipline transhumaniste.

Mais alors qui sont les transhumanistes ? Ils sont des chercheurs, scientifiques, philosophes, appartenant à diverses formations politiques (selon les branches du transhumanisme) et œuvrent en faveur des idéaux qu’ils défendent. Par exemple Marvin Minsky, un américain (né en 1927) informaticien de formation, s’intéresse aux relations entre intelligences humaines et artificielles, sujet devenu dès les années 1960 un des plus important du transhumanisme47. Comme la plupart des transhumanistes il est en relation avec des grands centres de recherche comme le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Minsky est en fait l’un des premiers à aborder ces thématiques, il a notamment essayé de hiérarchiser les connaissances, c’est le concept du Frame Representation Language (FRL), un langage de programmation informatique. Plus tard dans La Société de l’Esprit, il définira la notion d’Esprit humain comme une architecture d’agents élémentaires indépendants et hiérarchisés. On le comprend, le matérialisme semble déjà fortement influent avec Minsky. Ce dernier est aussi à l’origine de la notion de « cerveau B », une entité qui surveille l’esprit, le « cerveau A », pour permettre la correction d’erreurs débouchant sur une activité mentale improductive (boucles et répétitions par exemple). La discipline de ce transhumanisme est donc de diviser l’esprit en différents niveaux de réflexion, le matérialiser, pour plus tard l’assimiler à la machine et espérer l’Uploading48. De manière peut être surprenante, Minsky est aussi investi dans la réalisation d’un roman de Sciencefiction, preuve que le milieu SF n’est jamais loin de la réalité scientifique !

Le travail du transhumaniste c’est aussi, et surtout, de promouvoir son mouvement. Prenons le cas de FM-203049, un philosophe transhumaniste iranien, futurologue qui a longtemps enseigné à la New School de New York. Il est surtout l’auteur de Are You a Transhuman ? (1989). Il déclarera : « Je ne suis pas celui que j'étais il y a dix ans, et certainement pas celui que je serai dans vingt ans. [...] Le nom 2030 reflète ma conviction 47

Voir le concept d’Intelligence Artificielle (IA) dans le point II-2. Voir le concept d’Uploading dans le point II-2. 49 Son nom de naissance est Fereidoun M. Esfandiary, il est mort en 2000. 48

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que les années aux alentours de 2030 seront des années magiques. En 2030 nous seront immortels et tout a chacun aura de grandes chances de vivre éternellement. 2030 est un rêve et un but »50 . Il est aussi à l’origine de cette phrase qui reflète bien l’esprit du transhumanisme : « Je suis un homme du 21° siècle accidentellement lâché dans le XXème. J'ai une profonde nostalgie du futur ». Conformément à un principe de cryopréservation FM2030 reste dans l’espoir que la science s’améliore et le « réveille », pourquoi pas en 2030. Rappelons simplement que la cryogénisation peut être considérée comme une discipline du transhumanisme car elle fonde un espoir considérable dans l’avenir des technologies. Plus les années passent, plus le mouvement prend de l’ampleur et se diversifie : l’ensemble des sciences NBIC reflètent une véritable course au progrès, ce qui a pour conséquence de diversifier les champs d’application de la discipline transhumaniste. En 1986, Eric Drexler publie Engines of Creation: The Coming Era of Nanotechnology, et popularise ainsi le domaine des nanotechnologies. Ancien élève du MIT, donc ingénieur de formation, l’américain a par exemple travaillé à la NASA sur un projet de voile solaire. Un de ses projet était de crée des machines appelée « assembleur » à l’échelle atomique programmées pour construire d’autres nano-machines (en particulier ayant la capacité de se régénérée dans une moindre taille). Là encore c’est une idée profondément transhumaniste, mais impossible à construire. Notre ingénieur sera à l’origine du Foresight Institute (Institut de la prévoyance) qui s’est donnée pour mission « d’encadrer les technologies émergentes afin qu’elles servent à l’amélioration de la condition humaine ». Drexler est donc un activiste des nanotechnologies. Puis l’Extropie est inventé par Moore en 1992 et la WTA51 de Nick Bostrom fait paraitre sa déclaration transhumaniste en 2002

52

: le mouvement prend de l’ampleur, se

modernise et se structure autour de ces grandes institutions. Le mouvement est en quête de crédibilité et d’influence. C’est en 2006, après une lutte d’idéologie politique entre droite libertarienne et gauche libérale que James Hughes est nommé à la tête de la WTA, l’Extropie Institue ferme et laisse l’association transhumaniste en leader de l’idéologie du mouvement en devenant un mouvement de centre gauche. Dans le but de renouveler son image l’association change de nom pour devenir « Humanity Plus » et revenir vers les valeurs plus 50

Source : http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=1076532, consulté le 19 mai. Voir en première partie de ce mémoire le point sur la World Transhumanist Association. 52 Voir le document en Annexe 1. 51

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humanistes. Le logo devient un « h+ » à ce moment-là : voir logo 1.

La discipline transhumaniste et aujourd’hui diversifiée, la rédaction d’un magazine transhumaniste, le périodique « H+ Magazine » qui est dirigé par RU Sirius, écrivain de formation, une véritable célébrité de la cyberculture des années 1980. Il a surtout été un journaliste pour la fameuse revue Wired. H+ Magazine reste aujourd’hui une des principales vitrines du mouvement.

II.1.4) La singularité et Ray Kurzweil. Nous arrivons maintenant à l’un des points les plus importants pour la majorité des transhumanistes : l’idée de Singularité et ses conséquences. Le terme de singularité est emprunté à la physique, il s’agit d’un point au-delà duquel les règles habituelles de l’univers ne sont plus applicables. La singularité est appliquée à l’histoire, ce qui fait intervenir le principe d’accélération accélérant de Buckminster Fuller dont la loi de Moore est un parfait exemple.

L’idée est la suivante : si le progrès des technologies reste aussi rapide, une période inéluctable de mutations sera ensuite caractérisée par une nouvelle humanité « inimaginable »53. Mais, il faut le noter, la singularité peut aussi survenir à la suite d’une découverte révolutionnaire, Sussan prend l’exemple d’une intelligence artificielle supérieure qui gouvernerait la société telle qu’on la connait54. Il pense aussi à la « prolifération » d’un assembleur comme celui de Drexler qui mènerais, on l’imagine, à la supériorité numérique des machines en peu de temps. La singularité est tout d’abord énoncée par Von Neumann (années 1950) puis popularisée par l’auteur de science-fiction Vernor Vinge trente ans plus tard. Selon certaines prévisions55, la croissance exponentielle du progrès fera que le XXIème siècle correspondra à 20 000 ans de progrès, à vitesse actuelle. C’est une période où l’ensemble de notre quotidien sera transformé : société, environnement, économie, conceptions humaine. Quelle soit souhaitable ou non, de nombreux transhumanistes sont 53

Rémi Sussan, Les utopies Posthumaines, op. cit., p.166. Loc. cit. 55 Notamment celles des associations transhumanistes. 54

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d’accords sur cette rupture que connaitra notre société par la technologie. Une telle époque est prévue pour 2030 par de nombreux transhumanistes comme Ray Kurzweil pour qui « The Singularity is near », c’est le titre de son œuvre traduite en Français sous le nom de Humanité 2.0 : la bible du changement.

Ray Kurzweil est une figure que l’on peut qualifier de « technoprophètes ». En effet il est un transhumaniste influent dans son milieu, a remporté de nombreux prix prestigieux (Lemelson-MIT pour ses inventions ; et la National Medal of Technology) et publie de divers ouvrages reconnus comme son plus récent intitulé The Age of Spiritual Machines. Kurzweil est un visionnaire, il détient neuf entreprises pionnières dans le domaine des nouvelles technologies comme l’optique et l’électronique. Mais surtout, il est l’un des théoriciens de la singularité. Après y avoir fait ses études, il devient professeur au MIT : chercheur, professeur et business man, il travaille aussi dans des entreprises comme Google, il est donc au cœur du progrès. En outre, il est l’un des fondateurs56 de la fameuse Singularity University : une institution phare du transhumanisme. Une telle école est financée par la NASA (son campus se trouve à la base de la NASA, ce qui prouve un point fondamentale de notre étude : les nouvelles technologies semblent prise en charge par les entreprises privées les plus influentes (ex : Silicon Valley : Microsoft, la NASA, Google, IBM…) ; et l’Etat ne prend encore que peu en charge ces mutations. La Singularity University promeut la Singularité et réuni une élite (fermée) d’ingénieur et de penseurs pour les former à l’esprit d’innovations (et de changements) que peut amener la technologie. C’est donc dans un esprit futuriste que s’inscrit une telle institution en cultivant un mythe du progrès. En ce qui concerne le professeur Kurzweil, la thèse qui l’a rendu célèbre est, sans doute, celle du développement exponentiel et la convergence des NBIC qui, selon lui, transformera radicalement le monde.

Le schéma 1 représente les mécanismes menant à la singularité pour l’auteur.

56

Le deuxième fondateur de la Singularity University est Peter Diamandis.

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Schéma 1 : Les étapes simplifiées vers la Singularité pour Kurzweil. (↓)

Progrès exponentiel

Développement de la Bio-informatique

Contagion +Progrès exponentiel

Développement de l'informatique

Contagion + Progrès exponentiel

Le phénomène se répète pour l'ensemble des sciences, de manière cyclique

Enrichissement et contagion de l'innovation et du progrès

Développement de la biologie

SINGULARITE TECHNOLOGIQUE

« D’abord nous construisons les outils, ensuite ce sont eux qui nous construisent. » disait Marshall McLuhan. Le futur ne semble « plus être ce qu’il était »57, et l’une des explications à cela, est pour Kurzweil la vitesse exponentielle du développement d’une technologie. Elle suit une courbe en S : un départ est lent, quasiment invisible, suivit d’une brusque accélération, qui s’épuise à mesure que les effets de l’innovation disparaissent. Vient ensuite le moment où d’autres innovations déclenchées par la première prennent le relai de l’accélération. Si un tel cycle d’innovation pouvait durer des siècles voire des millénaires durant la préhistoire, actuellement la durée de ces mêmes cycles est très réduite, de l’ordre de quelques décennies. Enfin l’auteur caractérise six époques menant à la singularité58. La première époque est celle de la physique chimie : les structures atomiques contiennent l’information. Puis on observe une évolution de nos connaissances sur l’ADN. La seconde époque, celle de la biologie où l’ADN contient l’information est suivie d’une évolution du cerveau où pour la troisième ce sont les structures neuroniques qui la contiennent. Puis l’évolution de la technologie permet le passage vers la quatrième époque : celle de la technologie où les modèles de programmes informatiques sont les principaux détenteurs de l’information. Quand la technologie prolifère, la cinquième étape arrive : celle de la fusion de la technologie et de l’intelligence humaine. Enfin cette dernière s’étend à 57 58

Yogi Berra, cité par Kurzweil. Ray Kurzweil, Humanité 2.0 : la bible du changement, op. cit., p.37.

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« tout l’univers » pour une dernière étape où l’univers se réveille. « Les modèles de matières et d’énergies présents dans l’univers sont saturés de processus intelligents et de connaissances »59 nous dit alors le professeur.

II.1.5) Une Amériques tournée vers la Singularité et le retard d’une France dubitative. Peut-être peu on s’étonner du faible nombre de penseurs transhumanistes français évoqués jusqu’ici, mais le fait est que le mouvement en France a souvent fait face à un hermétisme important. Marc Roux, fondateur de Technoprog! (aussi appelée Association française transhumaniste), parle d’une France « nettement en retard et en retrait »60. En Europe, des pays comme la Grande-Bretagne ou même l’Italie et la Russie, sont plus avancés que la France où il n’existe qu’une seule association qui revendique seulement 250 sympathisants. M. Roux accuse les mouvements écologistes et leur influence d’être le frein du transhumanisme et plus généralement des nouvelles technologies : c’est l’exemple des faucheurs d’OGM en France, et cela explique aussi qu’un tel mouvement soit presque inexistant dans une Allemagne fortement écologiste. C’est pourquoi le mouvement n’as pas une belle image auprès du public : « Par ailleurs, je constate une tendance, en France, à user du mot transhumanisme comme d’un repoussoir, notamment dans les milieux académiques. »61.

Depuis quelques années pourtant, de nombreux penseurs ont changé de regard quant au transhumanisme, certains que nous avons déjà croisés tentent de l’expliquer comme Dominique Lecourt (Humain, Posthumain) et Rémi Sussan (Les Utopies Posthumaines). Dans tous les cas ils cherchent à mettre en valeur ce mouvement, on peut donc citer : Laurent Alexandre, Miroslav Radman, Roger-Pol Droit, Monique Altan, Jean Didier Vincent et Geneviève Férone. Mais en aucun cas les personnes citées ci-dessus ne se considèrent transhumanistes.

59

Ray Kurzweil, Loc. cit. Marc Roux, Interview du 30 septembre 2012 menée par le Site Mesacosan, page consultée le 20 mai 2013. URL : http://www.mesacosan.com/sciences-et-techniques/le-transhumanisme-en-france-a1835.html 61 Loc cit. 60

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Le véritable noyau transhumaniste français regroupé sous le nom de Technoprog! a donc pour mission de faire connaitre (et surtout reconnaitre) le mouvement en France. Voici ce que déclare Marc Roux à ce sujet : « Nous insistons donc pour l’instant sur la diffusion de la problématique transhumaniste parce qu’il nous paraît que la société française a encore un grand besoin de réaliser l’urgence de ces questions. La faim dans le monde, les inégalités sociales, le réchauffement climatique sont des sujets dramatiquement urgents, oui, mais dans le même temps nous avançons progressivement vers la possibilité de modifier volontairement la condition biologique de l’humain et les décisions en sont essentiellement prises en dehors du débat démocratique et même de l’information du public. Ceci nous paraît une urgence d’un degré au moins aussi élevé. »62.

Il faut ajouter à cela que le transhumanisme français a quelques particularités par rapport au transhumanisme californien : il se réclame technoprogressiste et est par définition un mouvement fortement marqué à gauche. S’il n’existe pas de parti transhumaniste dans le monde, il a souvent été admis que de telles thèses s’apparentaient aux doctrines libérales (ou ultralibérales) parfois appelées libertarienne63. Frôlant l’anarchocapitalisme proche de l’extropie on verrait l’apparition de deux humanités : l’une augmentée et l’autre qui n’a pas les moyens de devenir posthumain64. C’est pourquoi des figures comme Marc Roux ont montré qu’un nouveau transhumaniste de gauche était possible. Même Humanity+ (ex WTA) s’est déclaré de centre gauche. Remarquons que la politique semble assez secondaire comme le dit notre français : « Il n’y a pas vraiment de raison de se rapprocher d’un parti plutôt que d’un autre. Comme le démontre bien un James Hughes, l’axe du Transhumanisme (Technoprogressisme/ Bioluddisme) est perpendiculaire à l’axe politique traditionnel (Gauche/Droite) ».

« Il ne faut pas jeter le bébé transhumaniste avec l’eau du bain néolibéral». (Marc Roux)

62

Loc cit. On rappelle que le libertarianisme est une philosophie politique prônant, au sein d'un système de propriété et de marché universel, la liberté individuelle en tant que droit naturel. La liberté est conçue par le libertarianisme comme une valeur fondamentale des rapports sociaux, des échanges économiques et du système politique. (Source Wikipédia) 64 Voir dans la partie II-2 pour le développement de cette idée très polémique. 63

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Aux Etats Unis, le berceau transhumaniste (côte Est puis ouest, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire), de grandes entreprises participent au financement de la recherche nécessaire pour faire le nid des utopies posthumaines. Finalement, nous le verrons, les liens homme/technique semblent s’établir d’autant plus facilement outre atlantique, que des firmes privées comme la NASA ou Google, et les universitaires comme à Harvard et au MIT, sont actifs. Des lieux comme la Silicon Valley sont au cœur des mutations, et verront naitre la singularité technologique. Les mentalités américaines semblent par ailleurs, bien plus favorables à l’arrivée des nouvelles technologies qu’en Europe: en témoignent les débats sur les OGM, les cellules souches, le séquençage du génome, ou encore sur l’éthique et la vision humaine.

II.2 – La question de l’homme et de la technique

II.2.1) Quelques principes philosophiques non transhumanistes. Le mariage entre l’homme et la technique n’est pas un thème uniquement transhumaniste. Pour comprendre notre sujet, il semble essentiel de s’intéresser à la question de l’homme et de la technique. Nous allons donc brièvement examiner le lien qui unie les deux. Peut-on penser l’homme sans la technique ? Quelle part de l’homme la technique peut-elle modifier ? Ce sont autant de questions qu’il s’agit de se poser.

Tout d’abord quelle est la nature de la relation entre l’homme et la technique ? On peut décomposer cette relation en cinq dimensions fondamentales65 : - L’extériorisation : la technique est produite par l’homme grâce au travail du cerveau. Elle est extériorisée à partir de ses capacités intellectuelle et manuelle. - L’incorporation : la technique en se séparant de l’homme s’ouvre aux nombreux autres domaines qui entourent l’homme comme l’économie, la finance ou encore l’environnement 65

Science Humaines, L’homme au cœur de la technique, par Yves-Claude Lequin, n°205, juin 2009. Consulté sur le site de Sciences Humaines le 25 mai 2013 à l’adresse : http://www.scienceshumaines.com/l-homme-aucoeur-de-la-technique_fr_23767.html

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juridique. - L’intégration : la circulation de la technique doit permettre de le rendre usuelle par son intégration dans les cercles sociaux comme la famille, les médias et le travail. - La contradiction : il existe une contradiction entre la technique et le passage vers le social de cette même technique. Aucune technique n’est universelle et donc aucune n’est neutre. - La perte de contrôle : c’est conséquence d’une contradiction comme la précédente. Une dépossession qui n’est pas le prolongement de l’extériorisation de la technique, mais qui rend tout de même la technique étrangère à l’homme. La technique parait destituée à l’homme. Il semble en outre, que la technique soit inscrite dans la nature humaine. Cette idée est appuyée par le philosophe français Henri Bergson dans L’Evolution créatrice (1907), qui affirme que l’homme est un « homo faber », c’est-à-dire l’homme qui fabrique avant d’être « homo sapiens », celui qui est un sage66. Le philosophe reconnait qu’il revient à l’homme de déterminer les fonctions du progrès technique, l’objectif étant de créer une technique organisée par l’homme et pour tous les hommes. Il écrira d’ailleurs : « On voudrait, ici comme ailleurs, une pensée centrale, organisatrice, qui [...] assignât aux machines leur place rationnelle, celle où elles peuvent rendre le plus grand service à l'humanité. »67 Or il semble aussi que la technique aliène l’homme (sa pensée et son corps), car elle soumet le corps des hommes à des gestes ou des postures plus efficaces. Pour certains, elle fait perdre la plasticité du corps de l’homme à cause d’une telle spécialisation, comme le soulignait Michel Foucault dans Surveiller et punir. En d’autre termes et selon Judith Revel qui fait une analyse68 de la vision de technique chez Foucault et chez Heidegger : « La notion de technique reçoit chez Heidegger et chez Foucault une acception et un traitement foncièrement différents. Chez Foucault, ce que l’on entend par technique ne peut en effet être compris qu’à partir d’un contre-pied radical par rapport à ce qui fonde au contraire chez Heidegger la formulation de la « question de la technique » et la conception de l’ontologie. Ce même contre-pied foucaldien rend pourtant possible, dans la critique violente qu’il produit 66

Site d’opinion : Le développement technique transforme-t-il les hommes ? Le25 mai 2013, URL : http://20enphilo.fr/developpement-technique-transforme-homme.html 67 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, consulté sur Webphilo.fr le 25 mai 2013. URL : http://www.webphilo.com/textes/voir.php?numero=453061870 68 Judith REVEL, « Michel Foucault : repenser la technique », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], mis en ligne le 20 mai 2011, consulté le 25 mai 2013. URL : http://traces.revues.org/2583 ; DOI : 10.4000/traces.2583 (premiers paragraphes consultés)

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à l’égard de ce qu’il ressent chez Heidegger comme une nouvelle métaphysique, une autre manière (non métaphysique : immanente) de penser l’ontologie. »69

D’autre part, la technique permettrait que se réalise une sorte de « posthumanisme » de Nietzsche, c’est une idée développé par Serge Trottein70. Ce dernier fait le trait d’union entre « antihumanisme » nietzschéen et un humanisme supérieur. Le posthumanisme chez le philosophe serait le moment où l’humanité se dédouble entre la masse gigantesque et dite sans valeur, et l’élite des créateurs qui semble justifier par leurs solitudes l’humanité entière. Cette vision exclue la probabilité d’avoir des situations intermédiaires. Nous développerons une telle idée apocalyptique dans la dernière partie de cette sous partie. En somme cette doctrine creuse le fossé des inégalités et maintient la distinction entre les types d’hommes supérieurs et inférieurs. Chronologiquement apparaitront, les « hommes supérieurs » : soit ceux du présent ; puis les « dominateurs » : qui seront sélectionnés de manière grégaires. Enfin apparaitrons les « maitres de la terre » qui éduquerons les masses mais aussi leurs dominateurs : une sorte de barbares supérieurs ne se préoccupant pas de l’humanité. Finalement la mécanisation de l’humanité que notre auteur dénonce et souhaite, est une condition préalable d’existence, un support organisé à partir duquel on peut se réaliser et atteindre une forme d’être la plus élevée pour les posthumains (ou hommes synthétiques). Ainsi, il apparait qu’il faille plutôt parler d’humanisme paradoxal concernant Nietzsche que d’antihumanisme, une idée reçu qui ne correspond pas à son idéologie. Il n’est pas en ce sens exagéré d’affirmer que Nietzsche est un humaniste, dans la mesure où son œuvre tout entière se présente comme une tentative pour ennoblir l’homme dénaturé. Il ne s’oppose qu’à l’humanisme dit moraliste, dont le but est de domestiquer l’homme, comme on apprivoise la nature sauvage. L’analyse de le confirme par ces quelques lignes assez parlantes : « Ce rêve précoce de l’homme total, dûment renaturalisé, finira comme on sait par être fixé sous les traits du type surhumain, c’est-à-dire de l’individu souverain, synthétique. […] Le surhumain représente de la sorte non tant un idéal qu’un modèle d’humanité. »71

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Ibid., Résumé. Serge Trottein, « Le post-humanisme de Nietzsche : réflexions sur un trait d’union », Noesis [En ligne], 10 | 2006, mis en ligne le 02 juillet 2008, consulté le 20 janvier 2013. URL : http://noesis.revues.org/662 71 Yannis Constantinidès, L’humanisme paradoxal de Nietzsche, op. cit. 70

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En conclusion, si la technique et le développement des sciences peuvent modifier l’homme, c’est parce que la mécanisation rend les machines autonomes et que le progrès est tourné au profit d’une idéologie. Peut-être cette idéologie deviendra-t-elle, à raison, le transhumanisme. La technique n’est donc pas mauvaise, c’est le principe sous lequel on s’en sert qui doit être accompagné d’une réflexion : cela nous motive d’autant plus à s’intéresser à l’idée de posthumanité.

II.2.2) L’intelligence Artificielle (IA). Le terme d’ « intelligence artificielle » (noté IA), fait débat chez les experts en questionnant la notion même d’intelligence jugée trop floue. Celle-ci correspond à la capacité à comprendre et mettre en relation des concepts afin de s’adapter à une situation donnée72. Elle est surtout étudiée par un des grands transhumanistes, dont nous avons déjà parlé : Marvin Minski surnommé le « pape de l’intelligence artificielle ». On peut résumer le concept d'intelligence, à la prise de conscience de son existence et de son rapport au groupe, ce qui permet de s'adapter à son environnement selon les codes dans lesquels un individu évolue. Minski en donne la définition suivante : « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique »73. On distingue ainsi IA faible et IA forte.

L’IA faible se base sur des algorithmes dans le but de résoudre des problèmes informatiques et mathématiques. On prendra l’exemple du fameux test de Turing. Ce dernier est une proposition de test d’intelligence artificielle fondée sur la faculté d’imiter la conversation humaine. En d’autres termes, il s’agit de confronter la parole d’un humain à celle d’un ordinateur. On place un sujet dans une salle où il parle textuellement avec un ordinateur puis un autre sujet. Si le sujet initial ne peut pas reconnaitre l’homme de l’ordinateur : le test est réussi. Il n’y aura alors plus de distinction entre la conversation de l’homme et celle de la machine. Déjà de nombreux robots utilisent une telle technologie : 72

Définition d’après le site d’opinion Al-oufock, consulté le 24 mai 2013. URL : http://www.aloufok.net/spip.php?article5563 73 Marvin Minski, Les sociétés de l’Esprit (1986), citation trouvée sur Wikipédia le 24 mai 2013.

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les serveurs de Google, ou les robots conversationnels, industriels, et des voitures autonomes.

Alors que l’IA forte est une technologie bien plus utopique, qui nourrit les fantasmes de nombreux transhumaniste. Au-delà du simple caractère de comportement intelligent de l’IA faible, il s’agit de créer une conscience de soi (et donc de sentiments et des émotions). Une technologie encore impossible qui permettrait de donner naissance à une nouvelle classe d’êtres pensants : les robots. On rappel ici que notre propre conscience est le fruit d’un rapport chimique, plus largement biologique, c’est pourquoi il serait possible de créer une telle conscience. Cela souligne à nouveau le caractère matérialiste du transhumanisme. Or avec le progrès perpétuel, une telle idée qui était pourtant impossible dans les années 1950 (naissance de l’IA), le deviendrait dans un futur proche. De nombreux « superordinateurs » ont, dans une telle logique, tenté d’atteindre un optimum : celui de l’intelligence humaine. Le plus connu date de 1997, il est conçu en collaboration avec l’entreprise IBM : Deep

Bleu. Ce dernier était uniquement destiné à exceller dans la

discipline des échecs, il battu le champion du monde incontesté d’échecs Garry Kasparov. Plus impressionnant encore, en 2011, IBM lance Watson74, le premier superordinateur capable de jouer au jeu américain Jeopardy! Cette prouesse est d’autant plus remarquable que le jeu consiste à trouver la question posée à partir de ses réponses. Un questions/réponses inversé qui exige de Watson75 : la capacité de compréhension des propositions énoncées à l’oral par le présentateur, de buzzer pour prendre la main, rechercher les solutions en quelques secondes en parcourant son immense base de données, enfin grâce à une synthèse vocale, les énoncer puis choisir le thème suivant. Mais le grand problème de Watson est qu’il gagne à presque 70% des parties : la machine est devenue imbattable ! Son seul défaut correspond à la mal compréhension des jeux de mots de la langue anglaise et donc l’impossibilité de répondre correctement à certaines questions. Pourtant Watson intéresse déjà de nombreuses entreprises qui ont à traiter rapidement un grand nombre d’informations, ou encore en médecine pour prendre des décisions d’extrême urgence en limitant les probabilités de mauvais diagnostiques.

74

D’après Courrier International, Le superordinateur champion du Quiz, Supplément d’été, Juillet 2010. Admirez la rapidité de Watson sur la vidéo suivante : http://www.youtube.com/watch?v=WFR3lOm_xhE. Consultée sur le site Youtube, le 24 mai 2013. 75

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Plus globalement l’IA n’intéresse pas que les transhumanistes et les industriels mais aussi les militaires. Par exemple, l'US Air Force a demandé que soit créé un programme pouvant déterminer les secteurs les plus vulnérables d’un adversaire en vue d'une attaque. Cela devient plus inquiétant quand on pense que nous serons bientôt protégés par une armée d’automates guidée par une poignée de techniciens. Dans son futur roman de science-fiction qu’il publiera, Minsky avoue parler de la découverte d’une première IA forte en 2023, peut être le début d’une ère de la singularité.

II.2.3) Optogénétique, uploading : vers le cyborg ? Durant l’été 2007, des étudiants de Stanford on crée une souris mi- algue, micyborg76. Une expérience fascinante sans précédents : le contrôle du cerveau d’une souris par la lumière. Explications. Les étudiants déposent la souris dans une bassine en plastique, elle renifle le sol curieusement et ne se préoccupe pas du câble de fibre optique implanté dans son crâne. La moitié droite de son cortex moteur a pourtant été reprogrammée. En actionnant un interrupteur la souris se met à courir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, à l’intérieur de la bassine. À l’extinction de la lumière dans le câble de fibre optique, la souris se stoppe immédiatement. Juste ensuite, la souris se dresse sur ces pattes arrière et renifle comme pour montrer sa surprise. Les étudiants de Stanford viennent tout simplement de montrer qu’un rayon lumineux peut contrôler l’action cérébrale de manière très précise. Le plus impressionnant reste peut être le parfait état de santé dans lequel se trouve la souris après une telle expérience. Si les drogues ou même l’électricité peuvent influencer le cerveau, jamais une telle précision n’avait été observée. Mais alors, comment utiliser la lumière ? Les neurones ne semblent pas plus réagir à la lumière que les muscles. En fait les neurones de la souris n’étaient pas normaux, ils ont été mutés en utilisant l’ADN d’une algue pour leurs donner le caractère photosensibles. Effectivement, les gênes contrôlent l’assemblage des protéines, donc la protéine végétale introduite dans le cerveau de cette souris était sensible à la lumière. En cela, on peut parler d’un premier cyborg de souris, une 76

En savoir plus sur cette expérience : Courrier International, Ils écrivent le futur, La science plus forte que la raison, Supplément d’été n°1030/1032 de juillet 2010.

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sorte de triple fusion entre animal, végétal et technologie. Ce sont sans doute les prémisses d’une méthode aussi effrayante que révolutionnaire : celle du contrôle du cerveau humain. Voici peut être l’une des premières manières de fuir notre biologie. Cette méthode, qui utilise l’optogénétique77, est découverte par Peter Hergemann, Roger Tsien et Karl Deisseroth. Il a ensuite été possible de faire des bonds à des mouches grâce à la lumière bleue de l’optogénétique. Une telle technique est l’un des grands espoirs pour guérir la maladie de Parkinson, car elle fut utilisée sur des singes primates et dans quasiment tous les cas, ces derniers retrouvèrent un comportement normal. Le potentiel d’une telle science est immense pour la fusion transhumaniste entre l’homme et la machine.

Autre espoir de pourvoir devenir mi- homme, mi- machine (et mi- algue ?) : l’uploading. Le transhumanisme le proclame : si notre intelligence est actuellement confinée sur des supports biologiques (le cerveau), elle est vouée à se déplacer vers des supports non biologiques. Une de ces méthodes est appelée l’uploading. Il consiste à télécharger la conscience du cerveau vers une capacité plus solide : l’informatique. « Cette technologie serait aussi le seul moyen de concurrencer la nouvelle espèce qui menace de prendre notre place au sommet de l’évolution : les machines »78. L’idée est de se transformer nous-mêmes en machine pour éviter qu’elles nous dominent. À partir d’une conscience uploadée il serait alors possible de s’implanter dans un ordinateur ou une autre surface d’accueil de données. Mais une telle technologie est très critiquée par les opposants au transhumanisme car elle implique le passage vers la vie infinie ou l’être n’est plus qu’une simple copie d’un disque de données, ce serait la fin des transports de personnes car chacun pourrait se déplacer à la vitesse de n’importe- quelle donnée. Plus effrayant encore, il pourrait y avoir plusieurs copies de son esprit par un simple copier-coller. Est-ce possible ? Pour Kurzweil, une telle technologie sera disponible entre les 20 à 50 années prochaines et ceux par plusieurs moyens. La première est la découpe du cerveau humain en rondelles pour l’analyser et le reproduire sur ordinateur. La seconde, dite « moins destructrice »79, est l’analyse du cerveau est faite par un système de résonnance magnétique. Dans les deux cas, de nombreuses

77

L’Optogénétique est une science combinant la génétique et l’optique dans le but de visualiser les circuits nerveux du cerveau et d’agir pour en prendre le contrôle. 78 Rémi Sussan, Les utopies posthumaines, Les essais, Omniscience, p.162. 79 Ibid., p 163.

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questions d’éthique se posent, et la recherche nous laisser le temps d’y réfléchir. Un part importante de l’enjeu du transhumanisme est aussi de nous informer sur ce que seront les réalités de demain, ici on peut parler des réalités d’après-demain. Si les chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne se sont associés à IBM pour simuler le cerveau humain à l’échelle moléculaire, c’est peut être que de telles technologie sont plus accessibles qu’on ne le croit : qui peut affirmer avec détermination que nos descendants ne choisiront pas de s’uploader ? L’uploading est l’exemple parfait d’une innovation qui, si elle est créée, nous emmènerai tout droit vers la singularité technologique : c’est la clef de notre posthumanité. Dès lors, devenir cyborg pour un transhumaniste, ce n’est pas seulement obtenir une prothèse mécanique, c’est devenir une sorte de « robot androïde ». Cette vision c’est d’ailleurs étendue au sens courant du mot cyborg depuis le film Terminator notamment. On appelle cyborg tout être vivant qui aurait été augmenté par des ajouts mécaniques au sein même de son corps. Le terme de « cyborg » est d'ailleurs la contraction de « cybertenic organism » (organisme cybernétique), apparu dans les années 60 lors des premières explorations spatiales80. Le cyborg est donc la synthèse de l’ensemble des concepts technologiques développés ci-dessus. Pour Kurzweil, le cyborg constitue la dernière étape de sa « théorie des trois ponts »81. L’accession à l’immortalité est définie par trois « ponts » qui permettront de gagner de l’espérance de vie. Le premier est la pratique de la restriction calorique dont nous avons déjà parlé, qui devrait permettre un allongement de 20 ans de notre vie. Le deuxième pont est celui des thérapies géniques qui seront selon lui pleinement maitrisées dans les années 2050-2070. Enfin le troisième, et nous venons de le voir, c’est l’utilisation parfaite de la cybernétique82 pour la fabrication d’un nouveau corps à l’horizon de la fin du siècle.

II.2.4) La robotique. Un robot est une machine informatique et technique chargée d’effectuer des tâches de manière autonome. Il peut être industriel, domestique ou encore scientifique. Mais ce qui

80

Définition trouvée le 22 mai 2013, sur le site d’opinion Al-oufock, URL : http://www.aloufok.net/spip.php?article5563 81 Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, Peut-on Changer la société ?, op. cit., P.60. 82 Plusieurs fois le mot cybernétique a été employé, il s’agit ici de le définir : Science de la modélisation de la communication par l'étude de l'information et des principes d'interaction. (L’internaute).

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nous intéresse ici, ce n’est pas le robot ménager mais le robot anthropoïde : celui qui imite la forme humaine. Ce dernier est une synthèse de l’ensemble des sciences et de techniques permettant de reconstituer une intelligence externe. À la différence du cyborg il est entièrement artificiel et ne se construit pas à partir d’un environnement humain. Le monde robotisé sera ainsi remis en cause dans la partie III de ce mémoire.

Actuellement les robots sont déjà plus forts que la nature humaine. Un exemple probant est celui de la mission Mars Exploration Rover (MER) qui depuis 2003 a envoyé deux robots baptisés Spirit et Opportunity sur la planète rouge. Evidement ils n’ont pas de portée humanoïde mais simplement scientifique (ici c’est l’étude de la géologie de la planète MARS). Ils mettent simplement en exergue qu’avant d’envoyer des hommes dans l’univers on préfère des robots, décrétés plus agiles et moins vulnérables dans un tel environnement. La vision des robots dans la science-fiction peut donner une lucarne d’analyse pour ce qui deviendra une réalité future. En ce sens la série suédoise Real Humans, pose le problème bien connu de l’envahissement des androïdes dans la société. Les « hubots » de la série utilisent une sorte d’uploading par un port USB, et deviennent des êtres (non humains) à part entière. La série caractérise en effet un monde où la technique a donné raison au transhumanisme : les robots ont des sentiments, une conscience de leur condition, pour les transformer en ouvriers, amis, compagnons, voire partenaires sexuels. En ce qui concerne la représentation des robots dans la science-fiction, il semble que ces derniers répondent à trois lois83 caractérisées par l’écrivain de SF Isaac Asimov dans les années 1940 : « - Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger. - Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première loi. - Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième loi. » En résumé, les robots ont déjà investi la science-fiction, en répondant déjà à des lois les caractérisant. Reste plus qu’à préparer leur intégration dans notre société quand la science sera encore plus évoluée, c’est l’exemple de la Corée du Sud et de sa Chartre éthique 83

Pour aller plus loin sur cette question de la robotique : voir le Mémoire de Orianne Pineau (2013), ECE, Lycée Chateaubriand (Rennes).

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sur la robotique de 2007. Le but étant, à l’inverse d’une vision posthumaine, de limiter que les machines abusent des hommes et inversement.

II.2.5) L’inégale accession à la technique : la guerre des humanités. Que se passera-t-il alors quand nous rentrerons dans la posthumanité ? Comment prévoir un monde où les techniques seront radicalement évoluées ? Où l’intelligence artificielle aura créé elle-même du système d’un degré de complexité supérieure à la capacité de compréhension du cerveau humain ? Quelle place l’homme aura-t-il dans un monde où l’humanité est en compétition avec la robotique ? Le futur a-t-il encore besoin de nous ? 84 Les clones seront-ils plus nombreux que les humains ? Les organes artificiels serontils la composante de l’immortalité ? La singularité est-elle finalement souhaitable ?

La réponse transhumaniste découle des positions définies ci-dessus : apparition du cyborg, religion du progrès, culte de l’émergence, singularité technologique… Mais les transhumains auront-ils vraiment leur place dans un tel environnement ? Nous nous poserons la question de la dénaturation des hommes dans la partie finale de ce mémoire mais

encore faut-il pouvoir comprendre ce futur transhumaniste dit « proche » par

Kurzweil. Pour cela tournons-nous maintenant vers « Unabomber », alias Theodore Kaczynski, terroriste américain classé parmi « les 25 hommes les plus fascinant de l’année 1996 » par le magazine People, lorsque son identité fut dévoilée après 17 ans de terreur aux Etats Unis. « Ted » n’éprouvait pas la fascination ordinaire et très paradoxale85 qu’exerce un meurtrier sanguinaire sur une population mais plutôt celle de se présenté comme un « malade » hors du commun. Admis à 16 ans à Harvard, puis recruté comme mathématicien à la prestigieuse université de Berkeley en 1968, il publia de nombreux articles reconnus dans les revues spécialisées. Tout bascule en 1969/1970 lorsqu’il décide brusquement de démissionner de son poste d’enseignant pour aller vivre dans le Montana caché au fond d’une forêt , seul, sans eau ni électricité. Coupé du monde il vivra en autarcie durant presque

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Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains : le futur a-t-il encore besoin de nous ? Hachette Littérature (2009). 85 En effet, la fascination humaine pour le sang est reconnue comme inhérente à la nature humaine. L’attrait paradoxal de la mort est par exemple montré dans le roman de Jean Giono, Un roi sans divertissement.

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dix-sept ans. Suite à cette période il commence à se revendiquer sa haine pour la technologie humaine et ses développement « désastreux pour le genre humain »86. Il s’y oppose notamment dans le Manifeste contre la société industrielle. Sa thèse principale est celle de l’incompatibilité radicale entre technologie et liberté. « Ce serait une illusion mystificatrice que de vouloir contrôler, encadrer, humaniser le développement technologique »87. Il est en fait un militant écologiste. Ses premier attentas revendicatifs sont des colis piégés (fin mai 1978) à des acteurs de la vie technologique, des scientifiques, des professeurs d’universités. Ses bombes font preuve d’un amateurisme et cause que peu de dommages lorsqu’ils les envoient pour faire exploser des avions. Ted se revendique du mouvement terroriste anarchiste FC (Freedom Club) alors que personne ne connait son identité. Il tue certaines de ces cibles par colis piégés notamment un publicitaire qu’il accuse de mensonges et manipulations de l’opinion publique.

Là où Theodore Kaczynski devient particulièrement intéressant c’est quand il prévoit une sorte de stade technologique où sa puissance est si forte que sa marche conquérante est irréversible. Cela ressemble étrangement à la Singularité. Toute réforme du système serait illusoire c’est pourquoi il faut lutter dès les années 1980 contre la technologie. Plus passionnant encore sont les scénarios88 qu’il envisage pour le futur, composé selon lui essentiellement de robotique et d’informatique. Les scénarios suivant sont en fait les mêmes que ceux proposés par les transhumanistes, bien que Unabomber les déplorent et les fustigent et que les transhumanistes les attendent :

- Premier scénario : Les informations parviennent à construire des machines intelligentes qui puissent réaliser toutes choses mieux que l’homme (c’est le principe de l’IA forte). L’homme sera alors progressivement de plus en plus inutile et le futur n’aura plus besoin de nous. Par ailleurs, si l’on dote les machines de leur propre système de décision (c’est-à-dire de jugement), Unabomber nous annonce que le « destin du genre humain se trouvera à la merci de ces machines ». Au fil du temps « les machines auront pris le contrôle effectif » de notre civilisation car l’intelligence humaine ne sera plus capable de comprendre les systèmes

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Ted Kaczynski cité dans Dominique Lecourt, Humain Posthumain, op. cit, p.126. D. Lecourt, Humain Posthumain, op. cit. p.128. 88 Ibid. p.133 et 134. 87

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crées par les machines et ne pourra donc plus s’en passer. Débrancher la machine reviendrait à un suicide collectif car chaque individu serait dépendant de celles-ci. - Second scénario : Les transhumanistes le prévoit souvent car il est inéluctable, singularité ou non. Les hommes gardent le contrôle des machines. Se créera alors une rupture entre deux type d’humanité : une élite qui disposent des technologies et « contrôlera les masses ». (Principe transhumaniste de l’homme augmenté). Face à cela, les hommes ordinaires qui ne pourront (et ne voudront) pas se transcender, concernera la majorité de l’humanité pour le philosophe-terroriste mais une part moindre de la population mondiale, la plupart du temps aura des réactions identitaires fortes contre la technologie. Il sera aussi possible que les plus démunis n’aient pas les moyens de « s’augmenter ». Cela pose un grave problème éthique que nous étudierons dans la partie trois de ce mémoire. Il en résulte d’une guerre entre deux humanités qui semblent aux antipodes. Pour Unabomber, les masses deviendront un fardeau inutile pour la société élitiste progressiste. Trois options s’offriront à cette dernière élite : la brutalité d’une extermination ou l’humanisme des moyens psychologiques et biologiques pour limiter son rôle. Ou alors la voie « libérale »89 d’une élite qui guide l’humanité en cherchant à satisfaire les besoins des masses. Mais encore dans ce dernier cas, l’élite répondra à tous les besoins de l’humanité ordinaire et répondra à tous les problèmes la vie leur apparaitra donc inutile. Ils auront troqué leur liberté contre le bonheur potentiel d’une vie insipide. - Troisième scénario : Ce dernier n’est absolument pas envisagé par le mouvement transhumaniste puisqu’il prend en compte la révolution anti-technologique que prône Kaczynski. On assistera au constat d’un monde de la « nature sauvage »90 comme contre idéal de la technologie. Dans une telle hypothèse, se constituera de petits groupes d’hommes avertis sur les dangers de la civilisation technologique et industrielle. L’organisation de ces groupuscules sera la seule à pouvoir pratiquer les combats contre la technologie et retrouver la voie qu’il juge comme normale de développement de l’humanité selon les seuls besoins physiques naturels que par définition, la nature fournie. Cette troisième voie qui passe par l’anarchisme radical reste selon Unabomber l’ultime et infime chance de sauver l’humanité. 89 90

Ibid., p.134. Ibid., p.135.

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En conclusion, les transhumaniste proposent plus volontiers le deuxième scénario de Kaczynski pour prévoir l’avenir de l’humanité (ou des humanités). Les nombreux moyens de dépasser la condition humaine se développent et ouvrent de nouveaux horizons aux questions sur l’homme, créant de nouveaux paradigmes. Une telle période peut paraitre éloignée mais le questionnement sur la technique est déjà d’actualité sur les questions délicates de notre société comme l’euthanasie, de dons d’organes, ou bien d’OGM et de sosies. Cette la réflexion sur l’avenir d’une humanité divisée par les différents accès à la technique est tout aussi fondamentale, même si moins actuelle. Elle pose les questions de bases que nous devrons nous poser. Transhumanisme ou non, il est indiscutable que le progrès scientifique bouleverse au quotidien notre vie. Nous allons maintenant essayer de remettre en cause la philosophie transhumaniste qui soulève de nombreuses interrogations. Le but de ce mémoire étant, de permettre de se fonder une opinion sur un tel mouvement, il apparait normal d’en présenter les contre-thèses et de remettre en cause les thèses des transhumanistes et autres Kurzweil pour entendre l’avis plus que sceptique que portent des penseurs comme Besnier et surtout Fukuyama. Ainsi nous allons essayer de donner une classification des différentes critiques que l’on peut attribuer au transhumanisme.

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PARTIE III : Le procès du transhumanisme

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PARTIE III : Le procès du transhumanisme

III.1 – La responsabilité de la science

III.1.1) Le mythe du progrès. « Quel est le point commun entre le réchauffement climatique, la chute du mur de Berlin, l’engouement pour la nourriture bio et la crise de la pensée de gauche ? Réponse : chacun de ces phénomènes, à sa manière, est lié à la mise en cause du Progrès , avec un grand P, le Progrès général, nécessaire et positif, ce mythe fondateur de la modernité. »91 Paradoxalement la montée des nanosciences entraine un vaste mouvement de contestations et de craintes quant à l’avenir proche de l’homme. Car en effet en supposant que l’ère de la singularité advienne, la libération technologique déclenchera des excès de tous genres, facteurs de tensions sociales fortes pour des mouvements comme le néoluddisme. Le journaliste américain John Horgan dans son article La singularité, cette vaste blague92, dénonce ce qu’il appelle le « culte de la singularité » exercé par des grands groupes d’influences comme les médias93. En effet, l’ensemble des médias joue un rôle considérable sur l’opinion et permet avant tout de populariser les idées transhumanistes. Ainsi en France, on note que le quatrième pouvoir se méfie bien du mouvement : conformément à un principe bien français de conservatisme ou d’inertie94. Horgan dénonce plus profondément l’engouement des communautés qui brandissent les yeux fermés les

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Pierre de La Coste, Le Progrès, ce mythe fondateur de la modernité, citation trouvée sur le site d’opinion er Agoravox le 1 juin 2013. URL : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-progres-ce-mythe-fondateurde-66237 92 John Horgan, La singularité, cette vaste blague, Courrier International, op. cit, chapitre 2. 93 Le journaliste fait en fait référence à un article du Times (Février 2011) qui faisait l’éloge de R. Kurzweil. Plus récemment (25/01/13) le très célèbre New York Time a publié une interview de Kurzweil disponible à l’adresse : http://www.nytimes.com/2013/01/27/magazine/ray-kurzweil-says-were-going-to-liveer forever.html?_r=0 (consulté le 1 juin 2013). 94 Très récemment, un dossier paru dans L’Express n°3230 du 29 mai 2013, à l’occasion des 60 ans du journal, analyse les possibilités qui s’offriront à l’homme, la civilisation et la planète durant les 60 prochaines années. Il est très frappant de voir dans la partie Après l’homme, l’homme éternel, le transhumanisme ne soit présenté que par quelques lignes et détaché complètement de ses concepts comme celui fondamentale de l’intelligence artificielle pourtant développé précédemment (p.146). Remarque intéressante : l’auteur de ce passage, Denis Delbecq, semble d’ailleurs fortement lié au mouvement écologiste, comment alors a-t-il pu être objectif dans son article ? (Revoir les liens entre le mouvement vert et le transhumanisme dans la partie II.1.5.)

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valeurs transhumanistes, sous prétexte que d’éminents chercheurs et scientifiques les ont caractérisés en se les appropriant. Plus grave, le journaliste note que les idées de Kurzweil s’éloignent trop de la réalité scientifique. Prenons l’exemple la rétro-ingénierie du cerveau. Kurzweil annonce l’ère des machines plus intelligentes que l’homme pour 2045 et annonce le concept de rétro-ingénierie du cerveau pour 2020. On appelle rétro-ingénierie du cerveau, l'activité qui consiste à étudier le cerveau pour en déterminer le fonctionnement interne95. Elle est également appelée rétro conception, ingénierie inversée ou ingénierie inverse. Une telle technique serait à l’origine de l’analyse complète du cerveau humain, ce qui est reste pour l’heure utopique. Dans un tel domaine, plus la science progresse, plus elle découvre des complexités. Pour un domaine comme la génétique et plus particulièrement le séquençage du génome, grâce auquel on peut déjà établir une carte d’identité génétique si l’on en met le prix, n’aurait en fait que peu de retombées selon le rapport de N. Wade et A. Pollack. Pour finir son Contrepoint sur la singularité, Horgan avance finalement l’idée que la singularité est plus une religion qu’une véritable théorie du progrès. A fortiori la Singularity University de Kurzweil en serait le lieu de culte. L’émergence d’un tel projet n’est pas réaliste et s’inscrit dans ce qu’il convient d’appeler le mythe du progrès.

Pour les transhumanistes le progrès n’est pas un mythe, bien au contraire il est, comme nous l’avons déjà vu, une réalité accélérante, qu’il convient de prendre en compte. La Coste dans son article sur le progrès rappelle la vision de Pierre-André Taguieff sur les conséquences du progrès : « une nouvelle vague de remise en question radicale de l’ensemble des évidences que l’on peut qualifier de progressistes oscille entre la mise en cause de tel ou tel de ses aspects et le rejet global du progrès comme illusion ou imposture »96. De son côté, il semble bien que le transhumanisme soit la voie d’une réhabilitation possible, de l’idée même de progrès. Dans cette optique le Souverain Bien de la société est le système méritocratique qui est jugé le plus efficace pour le développement du progrès via le système marchand qui façonne nos société. Ainsi, c’est sur ce dernier point

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er

Définition trouvée sur le site de Wikipédia le 1 juin 2013 à l’adresse : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9tro-ing%C3%A9nierie. 96 Pierre-André Taguieff, Le sens du Progrès, citation trouvée dans l’article de Pierre de La Coste, op. cit, Le Progrès, ce mythe fondateur de la modernité.

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que le transhumanisme reçoit une partie de ses critiques97. L’idée est que : « Les transhumanistes sont aveugles sur l’inanité de leur projet parce qu’ils se placent d’emblée dans le moule idéologique de la mercatocratie. Ils choisissent un nouvel homme en lequel se réaliserait le bonheur sans prendre en compte le fait qu’ainsi ils suppriment la possibilité de choix qui fait l’essence de l’humanité. Or, l’absence de possibilité de choix – la nature définitivement assignée – est le propre de la condition animale. »98 La critique émise est celle du développement d’un système frénétique de l’accumulation de biens (et de services) de plus un plus technicisés par des entreprises, qui cherchent à l’augmentation des part de marchés. Le transhumaniste est donc mis en cause dans la responsabilité exagérée qu’il donne à la science en associant immédiatement les nouvelles techniques à des marchandises, des biens pouvant créer un marché facteur de profit. Ce qui gêne dans le transhumanisme c’est de se dire que de grands groupes privés proposeront, en dehors de toutes réglementations, des services de clonage, de transgénèse (c’est déjà le cas avec les nombreux scandales de Monsanto99), ou encore de ventes d’organes qu’ils soient artificiels ou non. Les excès du capitalisme libertarien sont donc aggravés en ouvrant la possibilité de supprimer les limites de la condition humaine et de mettre en vente de telles suppressions. L’accès à la nouvelle forme d’évolution de l’homme, en plus de ne pas être un progrès moral mais purement scientifique, sera discriminé par les ressources financières des populations. La pauvreté changera alors de visage, elle rimera systématiquement avec l’exclusion, en menant la question du fossé entre riches et pauvres, à son point de rupture.

III.1.2) Les risques des nanotechnologies Les quatre domaines NBIC sont souvent contestés pour les raisons ci-dessus et globalement pour leur principe de convergence. Prenons ici le problème éthique des nanotechnologies qui semble moins préoccupant, à première vue, que les excès des biotechnologies ou les sciences cognitives. Pourtant, des groupes contestataires comme les 97

Pour aller plus loin : voir l’article du site d’opinion L’Encyclopédie de l’Agora, de Pierre-Jean Dessertine, L’avenir peut-il être transhumaniste ? Consulté le 1er Juin 2013 à l’adresse : http://agora.qc.ca/documents/lavenir_peut_il_etre_transhumaniste 98 Loc. cit. 99 Entreprise leader du marché des OGM, Monsanto est très controversée sur les questions d’extension de son marché (dans les pays développés notamment) en Inde ou en Argentine où la vente respective du Cotton Bt et du Roundup Ready Soja a détruit les sols, appauvrit les paysans (en Inde, des milliers se suicideront), et créé une sorte de dépendance à l’OGM sous couvert de vouloir nourrir des populations.

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canadiens de « Erosion, Technologies et Concentration » (ECT) s’alarment sur les méfaits du « nano ». Selon leur site Internet, l’ « ETC Group surveille l'impact des technologies émergentes et les stratégies des entreprises sur la biodiversité, l'agriculture et les droits humains. »100. Selon eux, la nanotechnologie implique des risques sociaux, militaires et environnementaux profonds, à cause de nouveaux nanomatériaux et pose de nouveaux risques pour la santé. L’une des plus grandes interrogations quant à cette science est d’en déterminer les impacts sur l’être humain, et le cas échéant, de pallier à des tels problèmes. C’est la Commission nationale du débat public (CNDP) qui en 2008 a animé le débat en rendant public le bilan sur les dangers des nanotechnologies en France. Les chercheurs restent prudents sur les risques. Néanmoins si les nanoparticules entrent en interaction avec les cellules de l’organisme, les conséquences seraient dévastatrices. De même que pour l’environnement, la libération de ses nanoparticules, comme les produits lessives, pose aujourd’hui le problème des conséquences sur la pollution chimique des fleuves (notamment des poissons y vivant).

On retrouve ici, Eric Drexler et ses assembleurs

moléculaires. Dans les Engins de création, Drexler expose son hypothèse de la « gelée grise »101 (traduction de « grey goo ») qui serait l’invasion des robots par leur auto multiplication thèse qui réfutera en 2004 en avouant que la recherche scientifique n’as plus de raison pour développer des nano-robots autoreproductibles. C’est donc un nouveau danger de la nanotechnologie qu’il actualise : la « gelée verte ». Ce phénomène désigne la convergence de deux des NBIC : les biotechnologies et la nanotechnologie. La « green goo » se concrétiserait en une quantité de matière vivante résultant de la prolifération de bactéries ou d’organisme nanothechnologiquement nuisibles issus d’organisme vivant hybridés. Une telle théorie est remise en question par son caractère catastrophique exagéré associé à la technologie102. Ces deux métaphores de la gelée grise et de la gelée verte expriment toutes les deux les dangers liés aux nanotechnologies par la perte de contrôle des assembleurs moléculaires, c’est pourquoi certains rejettent cette discipline NBIC. En résumé, les chercheurs sont restés prudents quant à la critique des

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Le site de l’association, consulté le 2 juin 2013 : www.etcgroup.org Eric Drexler, Engins de création : L'avènement des nanotechnologies, Vuibert, 1986. 102 Bernard Claverie, L'homme augmenté: néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée, L’Harmattan, p.115 (Consultation : Google Books). 101

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nanotechnologies même si certains dénoncent tout de même ce qu’il convient d’appeler les nanoparticules réactives, qui sont le facteur d’un risque d’intoxication103 (respiratoire, alimentaire, ou par la peau). La crainte est donc que de telles particules perturbent le métabolisme humain via des mutations moléculaires. Il est en revanche indubitable que les nanotechnologies offriront le moyen de « fondre » les technologies de l’information dans notre environnement. Idée pas toujours vue d’un bon œil pour les adversaires du transhumanisme qui y voient une dénaturation de l’être104. Peut-on quand même parler de progrès concernant les débouchés que cela crée pour la médecine ? L’implantation des nanosystèmes n’est-elle qu’une instrumentalisation du corps biologique des hommes ?

D’une manière plus générale, la progressive convergence NBIC entraine une profonde et irréversible mutation de notre rapport à la nature, voire même à notre propre corps. Cette idée est exprimée par Jean Pierre Dupuy, philosophe et ingénieur français qui est spécialiste de l’éthique des sciences qu’il enseignera à la prestigieuse Ecole polytechnique. Son avis est clair : « Cette convergence ambitionne tout simplement de prendre le relais de l’évolution biologique. (…) Ces évolutions sont-elles bonnes ou mauvaises ? Je ne prétends pas répondre à cette question. Mais il faut se la poser pour ne pas laisser le champ libre à des idéologies dangereuses comme le transhumanisme »105. Pour cette raison, un débat sur la place que l’on veut donner aux technologies est nécessaire comme le souligne le philosophe Dupuy. Bientôt nous aurons devant nous les commandes de notre biologie, de notre futur, la clef de notre existence, autant se mettre d’accord dès maintenant sur l’idéal à atteindre. Ainsi nous éviterons de nombreuses dérives idéologiques extrémistes.

III.1.3) Un mouvement irresponsable : Réflexions sur la fin de l’humanité Les critiques sur le projet du transhumanisme sont nombreuses et souvent extrêmement virulentes. Certains l’accusent d’être une secte néo-scientiste qui vise à l'élimination de la majeure partie de l’humanité par une discrimination financière ou

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Ibid., p.113. Idée développée dans la suite de cette Partie III. 105 Entretiens par le CNRS avec J.P Dupuy, Anticiper un nouveau rapport au monde, disponible sur le site du CNRS : http://www2.cnrs.fr/journal/2475.htm (consultation le 2 juin 2013). 104

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idéologique, et bien sûr technologique. On retrouve le scénario posthumain sur l’avenir des hommes expliqué à la fin de la Partie II de ce mémoire. C’est celui d’une élite entretenue par le "progrès" face au reste de l’humanité alors éliminé naturellement par un système qui ressemble dans certains cas à un ultra-libéralisme. Le transhumanisme est-il alors raisonnable ? Est-il seulement tolérable ? Le plaidoyer des anti-transhumanistes est donc centré en partie sur la condamnation de la tentative de mainmise biologique de l’homme non augmenté, par l’homme augmenté. William Sims Bainbridge, un des auteurs du rapport NBIC et premier directeur de recherche de l'Institute for Ethics and Emerging Technologies (2004) soutient et cherchent à rassurer à ce sujet : « La science et la technologie vont de plus en plus dominer le monde alors que la population et l’exploitation des ressources et les conflits sociaux potentiels augmentent. De ce fait, le succès de ce secteur prioritaire est essentiel pour l’avenir de l’humanité ».

Le principal chef d’accusation porté ici est donc l’eugénisme dont fera part le transhumanisme dans son accession à la posthumanité. L’eugénisme est par définition, la théorie cherchant à opérer une sélection sur les collectivités humaines à partir des lois de la génétique106. L’écrivain anglais George Orwell rendu célèbre par sa description d’un état policier futur, dans son roman 1984, écrivait: « Toute vie superflue devra être éliminée, toutes les forces naturelles apprivoisées, les gens du commun devront être utilisés comme esclaves et comme cobayes de vivisection par les scientifiques de la caste dominante, qui essaieront de se rendre immortels. L’Homme, succinctement, prendra d’assaut les cieux et renversera les Dieux, afin de devenir dieu lui-même »107. Cet effrayant constat est celui partagé par les opposants actuels de la posthumanité : les sociétés technicistes sont des sociétés eugénistes. La véritable menace de notre société n’est alors ni les terroristes, ni l’environnement : c’est l’ensemble des gouvernements qui sont en majorité eugénistes108. « Les élites dirigeantes psychopathes, en compagnie de leurs sbires technocrates, poursuivent une vision transhumaniste où ils sont à la recherche de la déité pour eux-mêmes tandis que

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Définition de l’eugénisme par Le Petit Larousse. Tiré de 1984 de George Orwell, consulté le 2 juin 2013 sur http://resistance71.wordpress.com/2012/03/02/ 108 On retrouve cette idée chez les opposants au « Nouvel ordre mondial » du site d’opinion Resistance71. http://resistance71.wordpress.com/2012/03/01/nouvel-ordre-mondial-fin-de-partie-eugeniste-pourloligarchie/ 107

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les masses de l’humanité sont sacrifiées au nom de la sauvegarde de la planète, tout en risquant l’existence même de celle-ci, au cours de leur expérience destructrice. »109 Il apparait qu’un tel eugénisme soit insupportable et la division de l’humanité irréversible. Alors cet eugénisme peut-il seulement se justifier ? Depuis Darwin en 1859110, la caractérisation des mécanismes de l’évolution humaine est au cœur de la science. Le but étant de créer une science unifiée du comportement humain et animal. Aujourd’hui le darwinisme est social pour des personnalités comme H. Spencer et F. Galton : c’est le développement de sociétés fondées sur un principe de « lutte pour la vie »111. L’individualisme de l’homme augmenté s’intéresse donc aussi à la sociobiologie112. L'apport des sociobiologistes au darwinisme, est d'affirmer que tous les comportements sont contenus dans les gènes, ces infimes particules de la cellule où est inscrite notre hérédité. Et seules les informations imprimées dans nos gènes vont décider de notre persistance ou de notre disparition parmi les générations futures. La théorie de la sociobiologie ressemble fortement à une justification scientifique du capitalisme sauvage et du conservatisme le plus pur sous le principe que l’on ne peut rien faire à la nature humaine. En cela elle justifie une forme avancée d’eugénisme dont font part les transhumains. En somme, ce sont des disciplines de « psychologies évolutionnistes » qui se développent comme l’Evopsy113. En bref, il apparait que la science soit une justification trop facile des dérives eugénistes qui peuvent être comprises dans l’idéologie transhumaniste.

Là semble désormais s’arrêter les limites de la science comme justification des critiques transhumaniste. Toutefois il convient par conséquent de rechercher la responsabilité de l’idéologie humaine. La question fondamentale de ce que l’homme veut faire de la technologie est donc au cœur du procès du transhumanisme.

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Ibid,. Avec la parution de son ouvrage très célèbre : De l'origine des espèces 111 Sciences Humaines, Nicolas Journet, La darwinisation de l’esprit humain, op. cit, p.60. 112 Courant de pensée d'origine anglo-saxonne qui affirme que les comportements sociaux humains reposent sur des bases génétiques, donc transmissibles. (Définition Larousse). 113 La thématique de l’Evopsy hérite largement des sujets de la sociobiologie comme l’étude des comportements sexuels des êtres humains comme succès du renouvèlement de l’espèce, ou encore comme l’étude des avantages du ménage stable, ou les conséquences de l’infidélité féminine : autant de sujets qui ne seront pas traités ici car jugés non essentiels mais qui pourraient nourrir la réflexion sur la responsabilité de la science et la critique du transhumanisme. 110

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III.2 – La responsabilité de l’idéologie III.2.1) L’ambivalence de la technique : le plaidoyer d’Ellul Nous présenterons dans cette partie, trois critiques des valeurs transhumanistes. L’idée est plus de critiquer l’utilisation que les transhumanistes font de la science plutôt que les conséquences « naturelles » de la science (point III.1). Il s’agit donc d’analyser les grandes idéologies et critiques que le procès du transhumanisme invoque, à commencer par une critique fondamentale de la technique elle-même par le philosophe français Jacques Ellul. Philosophe français du XXème siècle Jacques Ellul (1912-1994), que nous avons déjà partiellement abordé, est l’un des penseurs les plus considérables de par ses thèses et paradoxalement marginalement connu. Il est un spécialiste de la technique et de l’aliénation, qu’il rejette viscéralement. Sa devise en dit long sur son idéologie : « Exister, c’est résister ». Sur la question de la technique Ellul est à l’origine de trois ouvrages fondamentaux :

- La technique ou l’enjeu du siècle (1954) - Le système technicien (1977) - Le bluff technologique (1988)

La technique est ici définie comme un rapport étroit avec le rationnel, un phénomène autonome de recherche de moyens les plus efficients dans les domaines et non une simple accumulation de capital technique. Celle-ci est devenue globale et universelle selon un principe de contagion : une avancée dans un domaine provoque inéluctablement un progrès dans un autre domaine proche114. Contrairement à de nombreuses analyses, Ellul n’est pas un technophobe, il juge la technique comme ambivalente. En bref, elle n’est ni bonne ni mauvaise : elle est neutre. Chaque problème issu de la technique se résout par celle-ci. Le « phénomène technicien » est ainsi une course entre les maux et les remèdes apportés aux techniques. Notre auteur met en exergue que la technique est le facteur de plus de problèmes que de résolutions de ses problèmes. L’interaction des techniques que représente le système technicien, conditionne la société et l’avenir des hommes. Sur ce point,

le constat à propos des techniques est très proche de celui émit par les

transhumanistes. Pourtant la critique des techniques est chez Ellul, celle du danger qu’elles

114

Jean-Pierre Jézéquel, Jacques Ellul ou l’impasse de la technique, Revue du MAUSS permanente, 6 décembre 2010 [en ligne]. URL : http://www.journaldumauss.net/spip.php?article743 (consulté le 3 juin 2013)

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représentent, en entravant la liberté des individus. Ici, et cette fois ci à l’inverse des transhumanistes, le philosophe souhaite que prédomine : « un homme capable d’utiliser les techniques et en même temps de pas être utilisé par elles, de ne pas être intégré, de ne pas être entièrement subordonné aux techniques »115. Cet homme-là pour Ellul ne peut être qu’un homme « sauver » par la foi chrétienne. En effet si l’on suit son raisonnement, la technique est considérée comme une puissance qui produit de la puissance et par conséquent l’intervention d’une croyance divine est un prérequis pour en définir sa gestion. Il assimilera même explicitement la technique et à la recherche de puissance (qu’il dénonce) : « la Technique est puissance, faite d’instruments de puissance et produit par conséquent des phénomènes et des structures de puissance, ce qui veut dire de domination. »116. En conclusion, la critique de la technique par Ellul provient plus du caractère restreignant en terme de liberté que d’une technophobie catégorique. La solution des maux de l’homme étant le report à Dieu et l’abandon partiel des techniques.

III.2.2) La critique de Fukuyama Au-delà de la simple critique de la technique, certains s’interrogerons sur la rationalité même du transhumanisme. Ce dernier est-il un mouvement aussi pondéré qu’il le prétend ? Francis Fukuyama (né en 1952 à Chicago), philosophe et professeur d’économie politique à l’Université de Baltimore, est un fervent opposant au transhumanisme. Il est surtout connu pour ses thèses sur la fin de l’Histoire mais a par ailleurs publié en 2002, son ouvrage intitulé La Fin de l’homme. Dans ce dernier, il s’oppose de manière vive à toute modification de l’espèce humaine et considère, selon sa très célèbre phrase, le transhumanisme comme « l’idée la plus dangereuse du monde ». Fukuyama pense que les idées transhumanistes mises en application seraient source d’une dénaturation de l’homme. Effectivement, les technologies seront en mesure de transformer l’homme de manière insoupçonnée jusqu’alors. Les conséquences sur le système politico-social seront graves.

Pour lui, le système

démocratique représente un idéal si et seulement si il n’est pas menacé par le 115

Ellul par lui-même, La Table ronde, 2008 (entretien de Jacques Ellul avec W. H. Vanderburg pour la radio canadienne) p. 126 [consulté par Jean-Pierre Jézéquel, Jacques Ellul ou l’impasse de la technique, op. cit.] 116 Ibid.

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développement de certaines techniques. C’est l’objet de sa phrase : « Une technique assez puissante pour remodeler ce que nous sommes risque bien d’avoir des conséquences potentiellement mauvaises pour la démocratie libérale »117.

Si « la nature humaine définit nos valeurs les plus fondamentales » alors il est peut etre bon de ne pas dénaturer l’homme. Après avoir constaté les systèmes dictatoriaux du XXème siècle et nourrit une reflexion profonde sur le contrôle social de ces idéologies (qui voulaient « refaire la société humaine de fond en comble »118); Fukuyama s’est penché sur le rôle des sciences comme redécouverte de l’homme, c’est-à-dire le transhumaisme. Les mêmes causes produiront-elles les mêmes effets ? Si oui, alors il faut bannir l’idéologie transhumansite qui conduirait inéluctablement à des « souffrances gigantesques et la destruction des valeurs humaines »119 nous dit le philosophe en se référant aux régimes fascistes ou communsites du XXème. Il se refuse de voir un jour, une utilisation de la biologie par une élite scientifique, dans le but de contrôler les hommes. C’est pour cela que Fukuyama s’oppose fondamentalement au transhumanisme, et on comprend alors le sens des quelques phrases suivantes : « Le défi, à mes yeux, n’est donc pas simplement d’ordre étique, mais aussi d’ordre politique. Les décisions politiques à prendre concernant nos relations avec ces technologies vont déterminer si nous entrons ou non dans un avenir posthumain. On ne souligne pas asser que la biotechnique et la meilleure compréhensien scientifique du cerveau humain, promettent d’avoir des prolongements politiques extrêmement importants. »120

À ces accusations, le transhumaniste Nick Bostrom met en exergue trois arguments121 et exerce ainsi son droit de réponse : - Premièrement, la « nature humaine » soit disant manacée n’existe pas. Nulle part il est possible de rencontrer une telle « essence de l’homme ». - Ensuite, la logique des transformations transhmanistes ne priverait pas l’humanité de son

117

Francis Fukuyama, La Fin de l’homme, La Table Ronde, 2002 (consultation Google Books) Ibid., page suivante consultable. 119 Loc. cit. 120 Loc.cit. 121 Roger Pol Droit et Monique Atlan, Humain: Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, Flammarion, Consultation Google Books. 118

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choix moral. En d’autre termes, l’homme (augmenté ou non) sera toujours doué de conscience et donc d’une capacité de jugement moral. - Pour finir, l’ « augmentation » sera universelle et non reservée aux élites comme le craignait Fukuyama.

III.2.3) La critique de Besnier Jean-Michel Besnier est professeur de philosophie de l'université de Paris IV Sorbonne (chaire de Philosophie des technologies d'information et de communication) et est l’un des rares122 à s’intéresser académiquement à la question posthumaine. Son analyse n’est pas reconnue comme fondamentale quant à la critique du mouvement, mais semble éclairer des faiblesses du technoprogressisme. Il semble ainsi compléter la critique incontournable de Fukuyama.

Demain les Posthumains, une des œuvre principales de Besnier, est sous-titrée : « Le futur a-t-il encore besoin de nous ? ». Ici semble être, à raison, le début de la critique. Il s’agit de dire que les frontières entre l’homme et de la machine disparaissent. Par une sorte d’accoutumance à la technologie, les hommes acceptent des petites améliorations et éprouvent sur le long terme un « accablant désir de machines »123. Arrivera un jour où l’artificiel dépassera le naturel : en d’autres terme nous serons constitué de plus d’artificiel que de réel. Se pose alors le problème de la survie de notre humanité même. Le transhumanisme est un antihumanisme si son but premier est de marier l’homme à tout prix avec la machine. « Mais comment obtenir que le posthumanisme signifie l’extension de nos valeurs aux réalités créées par nos technologies (par exemple, aux clones, aux cyborgs ou aux robots), plutôt que l’annonce de notre autosuppression ou de notre désertion ? »124 La « défaite des identités »125, est le titre d’un chapitre de son essai, expliquant que l’inexorable domination

des technologies par les androïdes, clones ou cyborgs. Nous

cèderont le pouvoir à ces machines qui nous « dépossèdent de notre mémoire et donc, 122

Il faut tout de même citer Dominique Lecourt. Jean-Michel Besnier, Demain les Posthumains, Hachette littérature, Collection Haute Tension, 2009, p.119. 124 Ibid., p.12 125 Ibid., p.141. 123

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aussi, de notre identité »126. Le principe est simple, « l’oubli numérique » est une première substitution d’une identité biologique (ici, la mémoire) à une identité numérique. Or le développement des nanotechnologies, en utilisant une définition « flexible » de l’humain, propose un nouveau salut à celui-ci, par le principe de singularité vu par Besnier comme une « hybridation des genres »127. En ce sens, s’exerce une « simplification de l’humain » qui permet à l’homme de devenir le produit de l’homme (augmenté). Le philosophe regrette donc la « déstructuration des identités »128 par l’écroulement des frontières du vivant (fin du privilège de la conscience par exemple). En bref pour Besnier, d’un côté les machines fascinent, donnent lieu à une forme de lassitude de sa condition, pouvant aller jusqu’à la honte d’être humain. De l’autre, un idéal dit « humaniste » se refuse au progrès technique comme dénaturation de l’homme. Le transhumanisme est une « utopie de substitution pour une humanité fatiguée d’ellemême ».

III.3 – Quel verdict du procès ?

III.3.1) L’humanisme anthropotechnique de Sloterdijk Il s’agit dans cette dernière partie de comprendre ce qu’il reste après ces confrontations d’idées. Quelles solutions apporter au débat ? En voici trois caractéristiques : en premier lieu, une nouvelle forme d’humanisme, ensuite la conséquence moderne qu’est la biopolitique, et enfin quelques pistes de réflexion suivies d’un avis plus personnel seront proposées.

Reprenons la thèse de Sloterdijk : dans Règles pour le parc humain, ce philosophe à l’origine de la controverse exprimée en partie II.1.1, proclame que la technique concourt à la « domestication de l’Etre ». Il provoque en disant que la réflexion éthique sur les nouvelles technologies est inutile car c’est la technique elle-même qui imposera la morale de

126

Ibid., p.143 Ibid., p.148 128 Ibid., p.154 127

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« l’homme majeur » ce qui ouvrira la voie à l’ « auto-manipulation biotechnologique ». Il n’y a en ce sens pas de risques au transhumanisme, au contraire, ce dernier permet d’atteindre un stade de « liberté illimitée ».

La solution est peut-être comme l’annonce Sloterdijk, l’usage d’une anthropotechnologie. Cette dernière se définie facilement comme la science des rapports entre l’homme d’une part et la technologie d’autre part. Un nouveau type d’humanisme qui se veut très démocratique. Ainsi il ne pourra pas s’opposer à l’avancée des nouvelles technologies et aura donc pour but de s’accordé à l’homme devenu en partie technique. L’humanisme anthropotechnique c’est donc un humanisme avant tout technophile, rare humanisme qui permettrait à l’humain de se domestiquer lui-même. En fait Sloterdijk tente d’exposer une nouvelle synthèse des connaissances alliant la morale, les sciences, et les techniques. On peut tout de même faire l’objection au philosophe sur le terme de « domestication ». Peter Sloterdijk en grand admirateur de Nietzsche prônerait possiblement le « surhomme ». Pourtant une telle doctrine peut-elle être effective avec un principe d’humanisme ? En d’autres termes, est-ce un type d’humanisme efficace moralement. Ce sont des aspects essentiels de notre condition que les interrogations sur un nouvel humanisme qui pourrait s’inspirer du transhumanisme.

La justesse de l’analyse du

philosophe est inhérente à ses interrogations sur les consensus moraux de nos sociétés démocratiques. Selon lui fondés sur les horreurs du XX ème siècle, ces consensus doivent être repensés par « l’homme majeur»129.

III.3.2) Transhumanisme démocratique et « biopolitique » Les technologies ne déterminent pas les relations de pouvoir, elles créent seulement de nouveaux terrains pour l’organisation politique. Soit pour ouvrir de nouvelles possibilités de libertés et a priori d’égalité, soit pour entretenir l’oppression et les régimes d’exploitation de l’homme. Le progrès technologique étant irréversible, c’est aux démocraties de se l’accaparer et d’en avoir une utilisation libératrice et modérée. 129

Expression de Peter Sloterdijk utilisée lors de sa publication controversée Règles pour le parc humain (1999). Très vite il fut accusé par la gauche allemande de prôner le surhomme nietzschéen, ce qui reste dans la mémoire de l’Allemagne, un mythe nazi.

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Les transhumanistes néolibéraux, pour établir leur nouveau monde artificiel, nécessitent qu’une puissante organisation nationale (voire internationale) puissent intervenir en contrant les effets néfastes du progrès perpétuel. Or cette puissante organisation ne peut être que l’Etat. Ainsi cette institution joue un double rôle : mener des politiques étatiques cohérentes (impulser les lois, permettre l’investissement, contrôler les excès, limiter la loi sur la propriété intellectuelle…), mais surtout un rôle morale pour rassurer les technophobes encore opposés au projet. La politique permettrait de démocratiser les posthumains, de les crédibiliser et surtout d’empêcher qu’ils ne soient poursuivis130. « La plupart des transhumanistes reconnaissent que la nanotechnologie, le génie génétique et l’intelligence artificielle pourraient provoquer des catastrophes si elles étaient utilisées à des fins terroristes ou militaires ou bien si elles étaient autorisées à se reproduire dans la nature »131.

La « biopolitique » est un néologisme conçu par Michel Foucault et défini comme : « l’ensemble des techniques de pouvoir, des mécanismes régulateurs ou assurantiels, qui encadrent la vie des corps-espèces et qui contrôlent les processus biologiques affectant les populations. »132. Dans cet esprit, James Hughes rejette les deux formes extrémistes que sont le transhumanisme libertarien et le bioconservatisme. Précurseur d’une voie intermédiaire qu’est le « transhumanisme démocratique », Hughes est donc un technoprogressiste convaincu voulant respecter les droits individuels. Dans son essai Le Transhumanisme Démocratique 2.0, il y développe le onze points de son programme pour le transhumanisme démocratique133 : 1 : Bâtir le mouvement transhumaniste 2 : Garantir la liberté morphologique et l’autonomie corporelle 3 : Défendre la recherche scientifique contre les interdits luddites (tout en embrassant les règlements de sécurité et d’efficacité légitimes 130

Pas besoin, en effet, de chercher très loin pour trouver des exemples de technophiles persécutés James Hughes, Le transhumanisme démocratique 2.0, 2002, essai consultable à l’adresse : http://www.changesurfer.com/Acad/TranshumanismeDemocratique.htm (consulté le 9 avril 2004). 132 Katia Genel, Le biopouvoir chez Foucault et Agamben, Methodos [En ligne], mis en ligne le 09 avril 2004, consulté le 08 juin 2013. URL : http://methodos.revues.org/131 ; DOI : 10.4000/methodos.131 133 James Hugues, Le transhumanisme démocratique 2.0, op. cit. 131

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4 : Protéger l’accès au savoir scientifique de la loi sur la propriété intellectuelle (jugée trop agressive). 5 : Développer le financement fédéral pour la recherche des technologies d’amélioration humaine 6 : Créer des projets d’assurance maladie incluant les technologies d’amélioration humaine 7 : Développer le soutien fédéral à l’éducation 8 : Fournir des formations d’emploi et un revenu aux sans-emplois 9 : Être solidaire des minorités sexuelles, culturelles et raciales, particulièrement avec les minorités morphologiques telles que les handicapés et les transsexuels 10 : Soutenir les droits des grands singes, des dauphins et des baleines 11 : Renforcer une fédération démocratique mondiale

La question de la bioethique n’est donc pas mise de côté dans ce programme, elle s’inscit comme une forme de « proto-biopolitique ». C’est en effet ce que pense Hughes : « Comme le débat public et les idéologies biopolitiques cristallisent et polarisent, les bioéthiques seront de plus en plus révélés comme activistes partisans plutôt que des experts appliquant des principes éthiques universellement acceptés »134. Depuis la théorisation du biopouvoir de Foucault, ce que l’on entend par politique a radicalement changé. Encore fautil bien appréhender les notions de vie et de pouvoir (et donc de biopouvoir) pour comprendre les conséquences de cette nouvelles forme de politique.

III.3.3) Et après ? Avis personnel et pistes de réflexions Nous arrivons maintenant au terme de cette réflexion sur le mouvement transhumaniste. Ce travail étant censé apporter à son lecteur les principales clefs d’analyses autour de la thématique des nouvelles technologies, il apparait logique de donner mes pistes personnelles de réflexions qui m’ont conduit à prendre position au fur et à mesure de cette 134

Ibid., Paragraphe : Bioéthique, technologie et valeurs démocratiques.

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étude. À première vue enthousiaste quant à la puissance de ces idéologies, le transhumaniste m’est progressivement apparu comme un mouvement à reconsidérer. À la fin de ce travail, il apparait que se soient dégagées plus de questions que de réponses ; plus de craintes que d’espoirs pour notre avenir. En effet, ce mouvement semble largement basé sur l’utopie d’un monde nouveau, mi- humain et mi artificiel. Selon moi la critique de F. Fukuyama à ce propos est donc tout à fait pertinente. Comment pouvons-nous espérer que les technologies (aussi développées seront-elles) sauveront l’homme de sa condition, alors qu’elles semblent plus que jamais le remplacer ? Est-ce une issue que de refuser notre responsabilité humaine avec l’aide du « non humain » ? La pouvoir puissant que constitue la recherche scientifique, doit selon moi être encadré par des choix de sociétés, des consensus internationaux, c’est-à-dire une action législative. À l’image de la Chartre des Robots instaurée en Corée du Sud, si les prophéties transhumanistes (voire posthumanistes) se réalisent, l’utilisation des sciences comme modification de notre condition devraient ainsi se lier aux discussions éthiques. Par exemple, serait-il profitable de vivre 20 ans de plus ? Non selon les contestataires du transhumanisme, non selon moi. Premièrement parce que les ressources que peut nous fournir notre environnement n’augmenteront pas assez rapidement par rapport aux besoins croissants d’une population multipliée. Aussi car allonger artificiellement de

vingt ans sa vie n’est pas souhaitable si c’est pour être

dépendant du technique et contraint pas les principes de la technique et non de la biologie. Kurzweil annonce souvent fièrement son objectif de vivre sept-cent ans, mais à quel prix ? Faudrait-il suivre un programme de restriction calorique dont les effets sur la santé ne sont que méconnu de l’univers scientifique ?

Pourtant ce qui me choque le plus dans un tel mouvement, c’est son indifférence totale face au danger que représente l’accumulation d’êtres (peut-on vraiment parler « d’hommes » ?) augmentés. Imposer une telle fracture à l’humanité, c’est prendre le risque de voir se séparer les posthumains des humains. Or prendre ce risque, c’est voir se dénaturer de manière irréversible l’essence des hommes : leur liberté, leur conscience et surtout le lien unique qui unie corps et esprit. Le posthumanisme c’est le rejet catégorique du corps au profit d’un Esprit alors surpuissant. Le posthumanisme c’est le rejet de la communauté humaine. Le posthumanisme c’est la crainte de la mort exprimée par un Page | 75


égoïsme sans précédent d’une génération jouant au Dieu. Les transhumanistes ne sauveront pas l’homme, ils sauveront une élite avant-gardiste assoiffée de pouvoir. Les nouvelles technologies ne doivent pas remplacer l’homme technicisé, elles doivent le sauver.

Pour toutes ces raisons il est indispensable que chaque citoyen ait un vrai raisonnement éthique et découvre les thématiques transhumanistes, car en ce qui me concerne, le monde mi- humain mi- artificiel me semble fort préjudiciable.

« Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale.»135

135

Dominique WOLTON, Internet, et après ?, 2000, (Référence secondaire).

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CONCLUSION

L

e projet transhumaniste place l’homme en démiurge cherchant à transcender sa condition biologique par l’usage de nouvelles technologies. L’augmentation résultant du processus technophile de mariage entre homme et technique,

conduit à l’obsolescence de l’homme tel qu’on le connait encore aujourd’hui. Ces « utopies posthumaines » au sens de Sussan, après leurs émergences sur la côte est américaine et de la ruée vers l’ouest, se sont inscrites dans les débats éthiques et scientifiques actuels. Paradoxalement inspiré d’un humanisme renaissant, le transhumanisme se fonde dans les valeurs des contrecultures des années 1960 renouvelées avec l’arrivée de la cyberculture des années 1980. Ce besoin d’opposition à un monde jugé trop conformiste dénote une envie de faire accoucher la société d’un « nouveau monde » auquel elle aspire. La révolution posthumaine, d’une singularité technologique permettant d’atteindre un tel idéal, est pourtant des plus contestée, tant sur ses conséquences que dans sa mise en œuvre. L’ennemi du transhumain c’est donc le bioconservatisme, c’est à dire la négation d’un progrès perpétuel suivant la loi d’accélération accélérante. Il est en effet indéniable que les sciences convergeront et c’est d’ailleurs le projet des NBIC, mais leurs débouchés seront ceux décidés par les individus et non les excès de quelques élites libertariennes ou extropiennes. Si l’on ne veut pas que le développement des nouvelles technologies entraine la disparition de l’humain, il faut donc pour moi : réguler les domaines des hautes technologies, associer les technoprogressistes et les bioluddistes, ou encore populariser le transhumanisme sans le politiser. Je soutiendrais donc la thèse de la différenciation de progrès technique et sociétale. En d’autres termes je rejoindrai la vision de Francis Fukuyama, en disant que la singularité technique entrainerais La fin de l’Homme, d’autant plus que les transhumanistes semblent largement confondre avancée scientifique et humaine, en admettant que l’ensemble de l’humanité acceptera des tels changements radicaux. Le consensus à l’échelle international est bien plus complexe que ce qu’affirment les posthumains. L’avènement des technoprophètes, de Kurzweil à Lilly, de Bateson à Leary, ou encore de Marc Roux à Marvin Minsky ; est le premier signe d’une tentative de réforme de la nature humaine. On cherche à tuer la mort et ainsi établir l’hégémonie d’un monde mihumain mi- artificiel censé nous sauver de notre déchéance inexorable. Page | 77


ANNEXES

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ANNEXE 1 : LA DECLARATION TRANSHUMANISTE, UN DOCUMENT ESSENTIEL La Déclaration transhumaniste (1) L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers. (2) On devrait mener des recherches méthodiques pour comprendre ces futurs changements ainsi que leurs conséquences à long terme. (3) Les transhumanistes croient que, en étant généralement ouverts à l’égard des nouvelles technologies, et en les adoptants nous favoriserions leur utilisation à bon escient au lieu d’essayer de les interdire. (4) Les transhumanistes prônent le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles. (5) Pour planifier l’avenir, il est impératif de tenir compte de l’éventualité de ces progrès spectaculaires en matière de technologie. Il serait catastrophique que ces avantages potentiels ne se matérialisent pas à cause de la technophobie ou de prohibitions inutiles. Par ailleurs il serait tout aussi tragique que la vie intelligente disparaisse à la suite d’une catastrophe ou d’une guerre faisant appel à des technologies de pointe. (6) Nous devons créer des forums où les gens pourront débattre en toute rationalité de ce qui devrait être fait ainsi que d’un ordre social où l’on puisse mettre en œuvre des décisions responsables. (7) Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, posthumain ou animal. Le transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique.

Les personnes suivantes ont contribué à la rédaction originale du présent document: Doug Bailey, Anders Sandberg, Gustavo Alves, Max More, Holger Wagner, Natasha Vita More, Eugene Leitl, Berrie Staring, David Pearce, Bill Fantegrossi, Doug Baily Jr., den Otter, Ralf Fletcher, Kathryn Aegis, Tom Morrow, Alexander Chislenko, Lee Daniel Crocker, Darren Reynolds, Keith Elis, Thom Quinn, Mikhail Sverdlov, Arjen Kamphuis, Shane Spaulding, Nick Bostrom Note : La Déclaration a été modifiée et ré-adopté lors d’un vote des membres de la WTA, le 4 mars 2002 et le 1 décembre 2002. SOURCE : http://humanityplus.org/philosophy/transhumanist-declaration/

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ANNEXE 2 : INDEX DES PRINCIPAUX PENSEURS CITÉS DANS CE MÉMOIRE

Kurzweil . .......................................4, 8, 37, 40, 42, 43, 51, 52, 54, 57, 59, 60, 74, 76

A Alfred Korzybski................................................... 14,17,24

L B Bateson ....................................................... 16, 17, 23, 76 Bergson ......................................................................... 46 Bostrom ....................................................... 10, 39, 68, 78 Bourroughs .................................................................... 13

C Claverie.................................................................... 11, 62

D Drexler ............................................................... 39, 40, 62

Lanier ............................................................................ 28 Leary ...................................................... 14, 21, 22, 24, 29 Lilly .....................................................................23, 29, 76

M Max More ..................................................................... 10 McKenna ....................................................................... 29 McLuhan ...................................................... 16, 17, 28, 42 Michel Foucault ........................................... 34, 46, 72, 83 Minski........................................................... 13, 38, 48, 76 Minsky ................................................................38, 50, 80 More ............................................ 6, 10, 19, 35, 36, 78, 81 Munkittrick ............................................................. 32, 33

E N

Ellul ...................................................................... 4, 66, 67

Nietzsche....................................................................... 32

F FM-2030 ........................................................................ 38 Fukuyama ..................................... 4, 57, 67, 68, 69, 74, 76 Fuller ................................................................. 15, 17, 40

P Pynchon ........................................................................ 13

R

G Gipson ........................................................................... 28

Rémi Sussan .....................7, 10, 12, 13, 16, 17, 23, 24, 29, 40, 43, 51 Roux ........................................................................ 43, 76

H Heidegger ...................................................................... 46 Hughes .......................................................................... 72 Hugues .......................................................................... 72 Huxley............................................................................ 13

K Kaczynski ..................................................... 54, 55, 56, 57 Kesey ............................................................................. 23

S Sloterdijk ........................................................ 4, 34, 70, 71

T Transhumanistes........................... 2, 3, 4, 8, 9, 12, 13, 15, 19, 20, 24, 27, 36, 38, 40, 43, 45, 48, 55, 56, 57, 59, 60, 64, 66, 67, 72, 74, 76, 78, 84

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ANNEXE 3 : ICONOGRAPHIE Alfred Korzybski

Gregory Bateson

Buckminster Fuller

Marshall McLuhan

Timothy Leary

John Lilly

Terence McKenna

Jaron Lanier

Nick Bostrom

Ray Kurzweil

Marvin Minsky

Peter Sloterdijk

Aldous Huxley

William Burroughs

William Gibson

James Hughes

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Eric Drexler

Marc Roux

Theodore Kaczynski

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Max More


BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages : BESNIER Jean-Michel, Demain les posthumains : le futur a-t-il encore besoin de nous? Fayard, 2010 GUILLEBAUD Jean Claude, La vie vivante, Les arènes, 2011 KURZWEIL Raymond, Humanité 2.0 : La bible du changement, M21 Editions, 2005 LECOURT Dominique, Humain Posthumain, Presses Universitaire de France, 2003 SUSSAN Rémi, Les utopies posthumaines, Les essais, 2005

Revues : Courrier International, Supplément d’été, (Juillet 2010) Les Grands Dossiers des Sciences Humaines (Mars/Mai 2007) L’Express (mai 2013) L’Express (janvier 2005)

Consultations Google Books : CLAVERIE Bernard, L'homme augmenté, L’Harmattan, 2010 FUKUYAMA Francis, La Fin de l’homme, La Table Ronde, 2002 POL DROIT Roger, ATLAN Monique, Humain: Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, Flammarion, 2012

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SITOGRAPHIE Sites officiels : http://www.nytimes.com/2013/01/27/magazine/ray-kurzweil-says-were-going-to-liveforever.html?_r=0 http://www.insee.fr/sessi/cpci/cpci2003/CPCI2003_10_fiche24B.pdf http://www2.cnrs.fr/journal/3850.html http://www.scienceshumaines.com/l-homme-au-coeur-de-la-technique_fr_23767.html

Essais :

GENEL Katia, Le biopouvoir, http://methodos.revues.org/131 HUGHES James, Le transhumanisme démocratique, http://www.changesurfer.com/ REVEL Judith, Michel Foucault : repenser la technique, http://traces.revues.org/2583 TROTEIN Serge, Le posthumanisme de Nietzsche, http://noesis.revues.org/662 MORE Max, Les principes extropiens, http://editions-hache.com/essais/more/more1.html

Sites d’opinion : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-progres-ce-mythe-fondateur-de-66237 http://www.acteursdeleconomie.com/archives/act84p30.pdf http://www.mesacosan.com/sciences-et-techniques/le-transhumanisme-en-francea1835.html http://resistance71.wordpress.com/2012/03/02/ http://www.journaldumauss.net/spip.php?article743

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Sites d’associations : http://www.extropy.org/ http://www.etcgroup.org http://www.transhumanistes.com/ http://transhumanism.org/

EMISSIONS DE RADIO ET DE TELEVISION ARTE, Un monde sans humain ? 2012 France CULTURE, De la contreculture à la cyberculture, Place de la Toile, 2012

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