POTAGERS URBAINS
POUR UNE NOUVELLE MANIÈRE DE FABRIQUER LA VILLE Thomas Van Huffel
POTAGERS URBAINS
POUR UNE NOUVELLE MANIÈRE DE FABRIQUER LA VILLE
Thomas Van Huffel Deuxième année de master en architecture Travail de fin d'études Sous la direction de Bernard Deprez Faculté d'Architecture ULB La Cambre-Horta Année académique 2017-2018
Je tiens à sincèrement remercier, Monsieur Bernard Deprez, ma maman et ma famille, mes amis Louis, Apolline et Lucile, ainsi que tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’écriture de ce travail qui n’aurait pu voir le jour sans leur soutien, précieux conseils et le temps qu’ils m’ont accordé.
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LES ORIGINES DE LA DIVISION DU TERRITOIRE
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A - L’APPARITION DES VILLES : UN PASSÉ COMMUN..............................................................................17 B - VILLE & CAMPAGNE : L’APPARITION D’UN CHANGEMENT DE PERCEPTION.............................21 C - RÉVOLUTION INDUSTRIELLE : LES DÉBUTS DE LA PERTE DU RAPPORT AU SOL....................25 D - RÊVE INDIVIDUALISTE : LA DISPERSION SUBURBAINE BRUXELLOISE......................................29 E - LA VILLE DIFFUSE : TERRITOIRE ET CAPITALISME...........................................................................35
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UNE AUTRE MANIÈRE DE FAIRE LA VILLE ?
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A - SOUTENIR LE CHANGEMENT LOCAL....................................................................................................49 B - DENSIFIER L’EXISTANT & RECONQUÉRIR L’ESPACE PUBLIC.........................................................53 C - RENDRE VISIBLE : UNE NOUVELLE CARTOGRAPHIE.......................................................................61
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POTAGERS URBAINS : INITIATIVES CITOYENNES AUX MULTIPLES SENS
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A - LES RÉSIDUS DE L’INTERSTICE EN LUTTE..........................................................................................69 I - LE TIERS PAYSAGE II - HORS DE L'URBAIN III - LE POTAGER BOONDAEL-ERNOTTE
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B - LE COMPROMIS DE LA CITÉ-JARDIN.....................................................................................................83 I - LA CITÉ-JARDIN II - LE LOGIS-FLOREAL : LE « QUARTIER-JARDIN » BRUXELLOIS III - LE JARDIN COLLECTIF DU CHANT DES CAILLES
83 87 89
C - LE RENOUVEAU DES JARDINS FAMILIAUX.........................................................................................97 I - LES JARDINS OUVRIERS A - UNE AIDE ALIMENTAIRE B - LES VALEURS DU JARDIN C - LA MODESTE MAISON DE CAMPAGNE II - LE PARADIS VERT
97 99 100 105 107
D - LA NATURE EN VILLE...............................................................................................................................111 I - LA BIOPHILIE II - L’HORTITHÉRAPIE III - LA FERME DU BERCAIL
111 113 114
E - L’ÉCOLE AU POTAGER..............................................................................................................................119 I - POTAGERS SCOLAIRES II - LA FERME DU PARC MAXIMILIEN
119 121
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CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE : POUR ALLER PLUS LOIN
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ABSTRACT
Pour ce faire, la première partie de cette recherche démarrera par une tentative de compréhension théorique des mécanismes de densification et d’étalement urbain sur le territoire belge. Identifier les logiques de comportements urbanistiques au sein de la ville de Bruxelles, c’est entrevoir les raisons pour lesquelles les potagers bruxellois ne semblent pas actuellement avoir leur place au sein de la capitale. Ces potagers qui sont encore souvent initiés à travers 1 De nombreux urbanistes contemporains défendent la théorie de « la ville diffuse », analyse du territoire selon laquelle la ville tendrait à se répandre à travers le paysage. Ces théoriciens seront repris plus tard dans le travail afin d’expliquer plus précisément ces dynamiques urbaines.
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Pression démographique et foncière, changement climatique, diminution des ressources alimentaires, appauvrissement, insécurité… les enjeux auxquels doivent et devront faire face nos métropoles dans le futur ne manquent pas. Une vision urbanistique raisonnée et durable peut contribuer à y répondre. Parallèlement, les urbanistes1 nous montrent également une évolution du territoire qui tendrait vers une urbanisation généralisée où la distinction entre le rural et l’urbain deviendrait de plus en plus complexe et trouble. Afin de faire face à ces enjeux, il est essentiel de repenser la manière dont nous concevons la ville. Et si les potagers urbains méritaient de prendre une place réelle dans nos sociétés citadines ? Et si leurs rôles allaient bien au-delà de la simple production alimentaire de proximité ? Et si le potager méritait d’être considéré comme un équipement public nécessaire au bon fonctionnement de la ville et au bien-être de la population urbaine ? Ce sera le pari de cette recherche : une tentative de revalorisation et de prise de conscience quant à la réelle importance de ces lieux. Ainsi, les potagers urbains permettraient non seulement de réintégrer une dimension rurale au sein de la ville, mais également de créer un nouveau vécu urbain et être vecteurs de bien-être.
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des mouvements citoyens puis évincés de la carte suite à l’apparition de projets immobiliers et aux effets de la pression foncière. Il s’agit d’aborder le lien au caractère assez paradoxal qui existe entre la ville et la campagne. Si toutes deux dépendent l’un de l’autre, notamment pour des raisons alimentaires, elles semblent à la fois opposées dans leur composition. La ville, surtout, repousse continuellement ses limites et consomme toujours plus d’espace en son sein, au détriment de toutes fonctions agricoles. Quels sont les mécanismes sous-jacents de cette métropole qui favorisent la densification urbaine au détriment du maintien des espaces maraîchers en ville ? Pour tenter de répondre à cette question, la recherche explorera, à travers les grands tournants de l’histoire, les différentes évolutions urbanistiques qui modifieront la manière dont se fabrique la ville. Ensuite, ce mémoire mettra en lumière plusieurs projets aux dimensions réduites, mais aux ambitions fortes. Il s’agit d’explorer différentes initiatives présentes aujourd’hui dans la capitale belge. L’analyse de ces exemples concrets de potagers bruxellois aux aspirations multiples permettra d’évoquer des thématiques et des ambitions souvent ignorées. Les potagers seront ainsi les outils qui permettront d’aborder les problématiques de modification du territoire, de rapports sociaux, de bien-être, de santé, de lien au sol et d’éducation. Mots-clés : Aménagement du territoire Fabrication urbaine Transition Potagers collectifs Jardins partagés Equipements urbains
LA PROBLÉMATIQUE Une nouvelle vague d’intérêt et de désir pour les potagers et les espaces de travail de la terre semble émerger au sein de la population urbaine. Néanmoins, ce nouvel attrait pour les jardins et l’accroissement de la demande qu’il entraîne crée des complications face au nombre stagnant de parcelles. Ces problèmes se font notamment sentir dans les potagers publics de la ville de Bruxelles qui sont victimes de leur succès et dans lesquels l’obtention d’une parcelle y est généralement compliquée. Malgré la demande croissante, le nombre de potagers stagne et entraîne ainsi des listes d’attentes toujours plus longues. Les citoyens, désireux de reprendre une parcelle, patientent alors parfois jusqu’à plusieurs années dans l’espoir de se voir octroyer, un si convoité, morceau de terre. Afin de faire face à ce manque évident d’espaces
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Carte des potagers bruxellois : http://www.nobohan.be/webmaps/potagers/map.html
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réservés à la culture potagère en ville, de plus en plus de citoyens prennent les devants à travers la création d’initiatives locales. On croise aujourd’hui à travers la capitale un nombre toujours croissant de potagers issus d’initiatives citoyennes. L’architecte Amélia Ribeiro1 dénombre ainsi l’apparition de pas moins de 8 nouvelles interventions par an à Bruxelles. Malheureusement, ces potagers collectifs s’insèrent souvent dans des lieux oubliés de la ville et aux réglementations ambiguës, qui ne leur offrent souvent qu’un statut d’occupation temporaire. Cette situation précaire impacte considérablement la visibilité de ces initiatives à travers le paysage urbain, conduisant parfois à leur disparition. Bien que nous ayons observé la création d’environs 8 nouveaux potagers chaque année, Mathieu Simonson, auteur d’une carte recensant les potagers de Bruxelles, identifie, à l’opposé, 21 projets voués à être détruits prochainement2. Les chiffres parlent donc d’eux même : les potagers collectifs sont bien souvent victimes de l’urbanisation grandissante du territoire urbain, où le béton prend généralement le dessus sur la terre. Les collectivités luttent et résistent, mais restent encore trop souvent peu écoutées ou prises en compte, comme si l’agriculture était elle-même antinomique au fonctionnement de la ville. À la source de ces disparitions, ou comme arguments de justification, nous invoquons fréquemment les problématiques de pollution des sols, les faibles rentabilités productives de ces espaces, ou le fort besoin en logements mis en exergue par les préoccupations foncières en ville. Les maux de la métropole seraient ici à l’origine de cette incompatibilité entre la terre et le béton. Pourtant, il serait utile de remettre les potagers au sein des débats sur la ville de demain, car nous le verrons, l’apport qu’ils peuvent avoir va bien au-delà de la simple question maraîchère. Parler des potagers c’est
1 Architecte du Collectif Ipé qui recense les initiatives potagères à Bruxelles.
2 http://www.nobohan.be/webmaps/potagers/map.html
parler de la ville. C’est se permettre de la remettre en question et d’analyser les défauts dans sa fabrication. C’est aussi se permettre d’imaginer un avenir urbain de qualité. Les potagers offrent ainsi l’opportunité d’analyser la métropole sous différents prismes. C’est paradoxalement à travers ces initiatives encore très modestes que l’on peut aborder des questions bien plus larges d’aménagement du territoire et de bien-être citoyen et sociétal.
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L’ÉTAT DE LA QUESTION
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De nos jours, les initiatives de jardins collectifs et de potagers sont rapidement qualifiées par le terme utilisé massivement « d’agricultures urbaines ». Les activités d’échelles plus réduites et difficilement qualifiables sont alors aujourd’hui rangées sous le terme « d’espaces agricoles ». Ce changement de regard qui peut sembler anodin annonce en réalité une nouvelle manière de concevoir le rôle des cultures dans le territoire urbain. Cette approche met l’accent sur le rôle productiviste de ces cultures et leurs potentiels en termes de création alimentaire pour la ville. En effet, le modèle agricole contemporain étant dirigé vers une recherche de production et de rentabilité absolue, où la terre n’est plus qu’un bien capable de générer du profit, insérer ces notions au sein de la ville revient à reproduire cette logique économique et à occulter les potentiels de ces jardins sur vécu urbain. Sous cette « agriculture urbaine » se cache en réalité une quantité innombrable d’initiatives que l’usage d’un seul et unique terme tend à effacer et à uniformiser. Nous retrouvons pourtant déjà une riche variété de projets sur nos territoires, aux fondements diamétralement opposés. C’est le cas par exemple des jardins collectifs et de leurs revendications sociales1, bien lointaines des objectifs poursuivis par les fermes verticales2 et de leurs développements d’une agriculture technophile et rentable économiquement. Uniformiser ces variantes en les rangeant sous un même terme tend à nous faire oublier l’existence d’une multiplicité de formes d’agriculture urbaine et à nous projeter dans une logique « agricole » contemporaine, fondamentalement productive. Il ne nous est de la sorte plus possible de voir les potagers urbains
1 Voir plus loin l’exemple du potager Boondael-Ernotte, p.x. 2 Un exemple parmi de nombreux autres projets à travers le monde : la première ferme verticale à Bruxelles : https://www.urbanharvest. eu/
comme des acteurs aux multiples facettes et enjeux, mais uniquement comme des outils ayant comme seul et unique objectif de nourrir la ville. Cette vision se ressent déjà dans les projets de villes durables et écologiques où la métropole tendrait finalement vers un caractère uniquement productif et optimisé. La ville deviendrait alors sa propre usine alimentaire3. Face à la crise alimentaire s’imaginent dans cette direction des projets de fermes urbaines basés sur des techniques gourmandes en énergie et aux rendements maximaux ; des projets d’urbanisation verticale aux dimensions démesurées afin de libérer le sol4 et une ribambelle de projets qui tentent de répondre à la seule question du « comment nourrir la ville ? ».
3 Terme utilisé dans : Cahn, L., Deligne, C., Pons-Rotbardt, N.,
Prignot, N., Zimmer, A., Zitouni, B., terres des villes : enquêtes potagères de Bruxelles aux premières saisons du 21e siècle. 1st ed. éditions de l'éclat. 2018, p25.
4 Voir : Samyn, P., Attali, J., La ville verticale, L'académie en poche, 2014.
5 La résilience écologique est la capacité d'un écosystème, d'un
habitat, d'une population ou d'une espèce à subir une perturbation puis à conserver ou retrouver les caractéristiques initiales de structure et de fonctions.
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Pourtant, aux fondements des théories écologistes, nous retrouvons l’importance de la multiplicité d’acteurs comme source de résilience5. Cette théorie aujourd’hui fréquemment reprise par les écologistes promeut la diversité, l’une des clés de durabilité. Suivant la logique avancée par ces théories, l’uniformisation et la réduction des cultures et potagers urbains à de simples logiques économiques et compétitives peuvent donc se révéler contreproductives et tendent à simplifier des systèmes aux réalités bien plus complexes. Évincer les notions de culture de la terre, les questions territoriales, sociales, de rapport à la nature et au sol, de biodiversité, d’identité, de bien-être, d’éducation, de santé, etc. semble alors réducteur. En ouvrant notre regard, les potagers feraient ainsi partie d’un ensemble ; de l’écosystème urbain. Il importe de les appréhender et de les penser comme acteurs
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aux multiples rôles, porteurs d’une réalité bien plus complète et diverse que le système économique actuel tend à oublier. Pour cette raison, nous aborderons ici les jardins potagers sous un angle essentiellement urbanistique et de gestion du territoire. Invoquer les potagers sous un regard urbanistique, c’est les positionner comme vecteurs de bien-être et éléments essentiels au dessin de la ville et au vécu urbain. Nous nous éloignerons des notions de quantification et de rentabilité. S’écarter de cette vision orientée sur la performance signifie prendre de la distance avec la manière contemporaine de regarder ces potagers, c’est accepter de changer son regard et de s’ouvrir à ce nouveau champ lexical. Voir au-delà de ce qui nous semble quantifiable et mesurable.
LA MÉTHODOLOGIE
L’objectif n’est néanmoins pas de se positionner comme un texte qui promeut un modèle de territoire en opposition à un autre puisque l’espace potager est fondamentalement urbain et nécessite paradoxalement la ville pour y exister. L’intention recherchée ici est plutôt d’énoncer les outils qui nous autorisent à essayer de repenser et réimaginer le territoire dans sa globalité à travers les relations manquantes entre ces différents paysages où la ville et le potager collectif seraient alors réconciliés.
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Ce travail de recherche prend le parti de s’orienter essentiellement sur les villes postindustrielles d’Europe et plus précisément la ville de Bruxelles, lieu d’écriture même de cette recherche. Ce travail s’axera principalement sur une l’étude de théories urbanistiques, mais s’inspirera d’influences multiples, jonglant entre la philosophie, l’anthropologie, la sociologie, la biologie, la psychologie, l’éducation, la science politique, l’économie, l’architecture et l’urbanisme. La recherche se positionne ici comme une tentative modificatrice du regard sur les pratiques potagères, une porte vers de nouveaux questionnements. Le travail ne se veut pas omniscient et n’énoncera que rapidement certaines problématiques urbaines telles que, par exemple, la problématique du foncier ou de la pollution des sols, qui limitent le débat à des problématiques économiques et productives. Ce choix est fait volontairement afin de centrer le regard, de manière presque utopique, sur ce que veut mettre en avant la recherche, c’est à dire, le champ des possibilités au sein du vécu urbain des jardins collectifs et des initiatives citoyennes. La volonté est d’imaginer le potager comme un équipement urbain, qui s’éloignerait des notions économiques pour se rapprocher des avantages sociaux, éducatifs, de santé, etc.
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1 – LES ORIGINES DE LA DIVISION DU TERRITOIRE
1 Magnaghi, A., Le projet local, Liège, Belgique, Mardaga, 2003.
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Cette partie abordera, à travers l’histoire et différentes théories urbanistiques, les problématiques d’expansion du territoire urbain au détriment du rural. Si ces constats d’urbanisation du territoire peuvent sembler évidents aujourd’hui, il me semble important d’en citer les sources. Apercevoir les failles et les problématiques liées à un territoire commence par une tentative de compréhension de l’apparition et de la transformation de celui-ci. Identifier l’ensemble des phénomènes qui tendent à cette expansion urbaine serait néanmoins un long travail à lui seul et n’est pas l’intention de cette recherche. L’objectif est ici d’ouvrir un regard sur l’origine de ces processus d’expansion et d’en comprendre le caractère. Analyser ce territoire, c’est donc mettre en lumière l’importance de la remise en question sur notre manière de le concevoir1. C’est prendre conscience des failles et problèmes présents dans sa constitution actuelle. Aborder les différentes théories urbanistiques de diffusion et d’étalement centre ce travail sur ces villes et leurs processus de dispersion. Si ces constats d’expansions urbaines peuvent sembler évidents, ils permettent néanmoins de rappeler les mécaniques de la ville et de remettre en cause celles-ci (expansion urbaine, explosion démographique…).
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A – L’APPARITION DES VILLES : UN PASSÉ COMMUN Rappeler l’histoire qui lie de manière indissociable la ville de Bruxelles au passé agricole de sa région semble ici obligatoire. Ce passé qui peut nous paraître aujourd’hui lointain illustre en réalité les fondations sur lesquelles le modèle urbain belge se développe au fil des siècles.
1 Simon De Munck et Pablo Servigne, Le retour annoncé de l’agriculture urbaine, ASBL Barricade, 2012, p2.
2 Simon De Munck et Pablo Servigne, Le retour annoncé de l’agriculture urbaine, ASBL Barricade, 2012, p3.
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Au commencement, les premiers regroupements se localisèrent à proximité de terres fertiles en bordure de la Senne, lieu où l’agriculture florissante rendait l’espace attrayant et permettait de supporter des accroissements de population. Cette première « ville » a plus de ressemblance avec l’organisation de ce qu’on qualifierait aujourd’hui d’un ensemble de « villages » ou de « hameaux », mais constitue, néanmoins, la base sur laquelle grandit et se développe plus tard la capitale belge. L’on peut réellement qualifier Bruxelles de « ville » vers la moitié du XIe siècle. En effet, à cette période on note un accroissement important du commerce dans la région de la mer du Nord1, région reliée à Bruxelles par la rivière de la Senne et qui permet à cette dernière de développer ses relations commerciales. Pourtant, au début du XIe siècle, l’ensemble des « villages » qui forment Bruxelles vivent encore essentiellement de la production légumière. A cette période, la région bruxelloise est une région riche en production maraîchère et céréalière et des parcelles sont encore intégrées dans l’enceinte même du hameau2. La localité est constituée d’un ensemble de villages entre lesquels se développent alors des champs de culture. La région est en ce tempslà reconnue pour ses cultures en bordure de la Senne, terrains aux caractéristiques idéales, les bordures de rivières étant généralement constituées de sols marécageux naturellement riches en nutriments. C’est
d’ailleurs l’excellente qualité de ces sols qui est à l’origine du terme maraîchage, dérivé du mot marais. Un siècle plus tard, au XIIe siècle donc, la ville connaît à la suite d’une intensification des cultures et du commerce, une augmentation démographique importante. L’espace commence de ce fait à manquer, mais une amélioration des procédés et de la productivité permet aux surfaces maraîchères de rester toujours essentiellement internes et aux abords de la ville3.
3 Charruadas, P., Croissance rurale et essor urbain à Bruxelles : Les
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dynamiques d’une société entre ville et campagnes (1000-1300), Mémoire de la Classe des Lettres, Académie royale de Belgique, 2011, p39.
Plan Ferraris de Liège (1777) : nous remarquons un grand nombre de pâturages tout autour de la ville ainsi que plusieurs potagers dans le tissu urbain.
On remarque de manière assez paradoxale que la ville, vécue ou perçue parfois aujourd’hui comme aux antipodes de l’espace rural de production alimentaire, se développe en réalité à ses prémisses sur des bases agricoles. Historiquement, les villes ont toujours maintenu un lien direct avec l’agriculture et l’alimentation, notamment à travers la préservation des cultures au sein de leurs murailles, permettant ainsi d’alimenter les résidents en cas de siège4. C’est par exemple le cas illustré ici de la région liégeoise, qui au XVIIIe siècle intégrait toujours de nombreux potagers dans son tissu urbain.
L’impact de l’agriculture se fait aussi sentir jusque dans l’organisation sociétale de nos régions. Historiquement, la période des grandes vacances estivales se différencie des traditionnels congés
4 https://lechainonmanquant.be/analyses/agriculture_urbaine.html 5 Histoire de la place disponible sur ce site : http://www.platformpentagone.be/nouveau-marche-aux-grains-un-peu-d-histoire/
6 L’histoire de l’ensemble du développement du canal au coeur de Bruxelles se retrouve sur ce site de la région : http://canal.brussels/ fr/territoire/histoire
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A Bruxelles, une visite à travers les rues et les places du centre-ville suffit pour rapidement apercevoir les vestiges de ce qui était autrefois le cœur d’un système alimentaire dense. Que ce soit l’exemple de la Place du Nouveau Marché aux Grains, tracée en 1787 afin d’accueillir les ventes et pesées régulières du seigle, du froment et de l’avoine5; les anciennes routes qu’empruntait le canal afin d’amener les pêches journalières au centre-ville6; les Halles Saint-Géry, construites au XIXe siècle pour permettre la création d’un marché couvert pour la vente de légumes et produits frais ; ou encore, l’apparition des premières Halles au XIIe siècle aux alentours de l’actuelle Grand-Place ; la production et l’acheminement alimentaires modifient profondément l’évolution du tissu de la ville, en lui donnant des apparences d’usine alimentaire.
religieux répartis durant le reste de l’année. Le chercheur français au Laboratoire d’Anthropologie, Daniel Moatti7, affirme que son apparition au XIIIe siècle est due à un besoin de main-d’œuvre durant la période de moisson de l’hémisphère nord. Cette période portait d’ailleurs le nom évocateur de « vendanges ».
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Pourquoi les vacances devraient-elles commencer le 15 août ? Le Conseil se justifie ainsi : « considérant qu’après le 15 août a lieu l’enlèvement des récoltes et que les enfants doivent alors aller glaner ou doivent aider leurs parents dans les travaux de la maison, même les enfants de 7 ans, tant des propriétaires fermiers que des locataires8 ». L’origine de Bruxelles se dévoile donc comme étroitement liée au passé agricole et son organisation attachée au système alimentaire. En revanche, l’histoire nous montre que l’apparition et l’intensification du commerce propulsera la ville dans une logique bien différente.
7 Moatti, D., Petite histoire des grandes vacances, France. 8 Extrait des archives de la commune de Natoye, Maison communale de Hamois.
B – VILLE & CAMPAGNE : L’APPARITION D’UN CHANGEMENT DE PERCEPTION
Au XVe siècle, la population urbaine se densifie et force encore le recul des espaces agricoles. Durant cette période, les importations de grains commencent à prendre de l’ampleur, mais la production de légumineuses se fait toujours à proximité de la ville. Les hameaux aux abords de la nouvelle enceinte fraîchement érigée, délimitant les communes de la région bruxelloise que nous connaissons aujourd’hui, servent à l’époque de micropériphérie productrice. Ce pourtour de la ville constitue ce qu’on dénomme aujourd’hui l’hinterland1. Ce terme est utilisé afin de qualifier l’espace agricole nécessaire à l’alimentation de Bruxelles et qui limite, en raison de sa nécessité et de sa proximité, l’étalement de la ville. Les alentours de la ville sont en ce temps-là constitués de champs,
1 « Hinterland »– ou arrière-pays – désigne la zone d’influence d’une ville mais aussi, dans ce cas-ci, la zone périphérique dont dépend la ville et sa population pour subvenir à leurs besoins alimentaires.
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Au début du XIIIe siècle, l’industrie du textile et son intérêt pour la rivière et les espaces autour de la Senne, eux aussi prisés par les maraîchers, font leur apparition. L’émergence des premières industries aura un impact direct sur la disparition des terrains agricoles au cœur de la ville. Au fil des siècles, notamment avec l’apparition d’autres exploitations, ces zones de cultures se retrouvent continuellement repoussées vers l’extérieur de la ville, modifiant ainsi peu à peu le rapport au sol des populations locales. Simultanément à cette époque, avec la montée en puissance d’une aristocratie urbaine, un ensemble de nouveaux codes et modes de vie fondamentalement opposés à la culture seigneuriale se développent. Cette élite urbaine privilégie la maitrise du savoir, de la connaissance technique et du commerce, se distanciant ainsi progressivement des liens à la terre. La ville s’impose ainsi comme le foyer commercial de la région. On assiste aux prémisses d’une idéologie urbaine, en opposition au rural.
de prairies et de vergers, marquant le passage du milieu urbain au milieu rural. Cette dissociation était également déjà symbolisée par l’image de la muraille et la frontière matérielle qu’elle créait entre la ville et sa campagne.
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C’est plus tard, aux alentours du XVIIIe siècle, avec le début des industries, nouvelles usines gourmandes en espace, et le développement de nouveaux moyens de transport, que les champs agricoles se retrouvent encore plus éloignés du centre de Bruxelles. Le changement de rapport à la distance qu’amène le développement de nouveaux moyens d’acheminement permet dorénavant aux citadins de ne plus dépendre de cette agriculture de proximité. Cette tendance suit son cours au fil des siècles et les terres cultivées cèdent rapidement leurs places aux activités commerciales rentables qui sont à cette époque en pleine explosion dans la ville.
Gravure de Bruxelles en 1610_reprĂŠsentation des limites de la ville et de son hinterland agricole_Jacob van Deventer 23
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C – RÉVOLUTION INDUSTRIELLE : LES DÉBUTS DE LA PERTE DU RAPPORT AU SOL
Aux alentours du XVIIIe siècle une pénurie de bois fait rage et l’envolée des prix force les industries à trouver une ressource énergétique alternative1. Le bois à cette période est largement maîtrisé mais le prix de plus en plus avantageux du charbon oriente massivement les industries vers cette nouvelle ressource.
L’historien belge Henri Pirenne (1862-1935) nous apprend également que contrairement à ce que l’on pourrait croire, le basculement massif vers le charbon ne vient pas d’un accroissement de l’efficacité que celui procure, ou d’un prix de revient énergétique
1 Buridant, J., Croissance industrielle et demande énergétique : Le cas du bois (XVIIIe - XIXe siècles)
2 Paul Mantoux, La révolution industrielle au XVIIIè siècle, 1959 (1928), p. 351
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C’est au XIXe siècle principalement, avec l’accroissement de l’industrialisation, qu’a lieu la plus grande rupture avec le paysage rural depuis l’histoire de la ville. Avec l’apparition des énergies fossiles et plus particulièrement du charbon, les villes, berceau du commerce et de la main d’œuvre, deviennent les territoires idéaux pour les industries. Ces énergies fossiles libèrent les entreprises. En effet, ces dernières ne sont plus dépendantes du lieu où se trouvaient auparavant les sources d’énergies alternatives, comme c’était le cas pour l’énergie hydraulique, très utilisée avant l’arrivée du charbon. L’historien et économiste anglais Paul Mantoux (1877-1956) qui s’est spécialisé dans la révolution industrielle explique d’ailleurs bien ce mécanisme : « [...] les fabriques peuvent quitter maintenant les vallées où elles ont grandi, solitaires au bord des cours d’eau ; elles vont se rapprocher des marchés où elles achètent leurs matières premières et vendent leurs produits, des centres de population où elles recrutent leur personnel. »2
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plus faible. Au contraire, l’origine de son succès se trouverait plutôt dans la compression des coûts de main-d’œuvre qu’il permet3. Plutôt que de déplacer une main-d’œuvre vers une source d’énergie hydraulique excentrée, il serait en effet beaucoup plus économique de déplacer l’industrie elle-même vers les travailleurs. Cette intégration des industries au sein de régions démographiquement riches permet ainsi une mise en concurrence de la main d’œuvre en raison de sa surabondance. L’économiste écossais J. R. McCulloch (1789-1864) explique également ce processus de délocalisation qui prend place au XIXe siècle : « Le véritable avantage de l’emploi de l’énergie produite par la vapeur pour mettre en mouvement les machines d’une filature [...] semble être très mal compris. Il n’est pas tant dans une quelconque économie directe de main d’œuvre que dans le fait qu’il permet de les faire fonctionner à l’emplacement le plus approprié. Le travail réalisé à l’aide d’un cours d’eau est généralement aussi économique que celui réalisé à la vapeur et parfois bien plus économique. Mais l’invention de la machine à vapeur nous a soulagés de la nécessité de construire des usines à des emplacements incommodes pour la seule raison qu’il y avait là une chute d’eau. Cela a permis qu’elles soient placées au cœur d’une population formée aux habitudes industrieuses. »4. Ce changement est loin d’être anodin. En effet, il provoque la première apparition de rupture réelle avec le territoire. Les énergies fossiles permettent de déconnecter les lieux de production de leurs liens au sol afin de répondre au mieux à leurs besoins de croissance économique. C’est alors le début d’une nouvelle ère pour le territoire urbain, qui se développe dès lors au rythme du capitalisme avancé et de l’industrialisation, se distanciant ainsi progressivement
3 Henri Pirenne, Les villes du Moyen Âge, Éditions du nouveau monde, 2017 (1927), p. 89
4 J. R. McCulloch, « Babbage on Machinery and Manufactures », Edinburgh Review, vol. LVI, janvier 1833
du modèle rural de l’époque. La modernisation et le développement d’industries au sein même de la ville, et dorénavant aussi dans sa périphérie, accompagnés d’un large essor urbain et d’une urbanisation brutale accentuent davantage le changement des mentalités et des regards face à l’agriculture. Le monde urbain cristallise la vision moderniste qui apparaît à l’époque. Il est le siège des nouvelles innovations et technologies. Elle est le berceau du secteur tertiaire5 tandis que le monde agricole reste, lui, associé à une vision plus ancienne et moins novatrice. On tourne progressivement le dos à l’agriculture, peu rentable, pour s’intéresser aux progrès attrayants de la modernité et de l’enrichissement commercial. La ville s’impose alors peu à peu comme un système social et technologique distinct du monde rural à présent dépassé.
5 Le secteur tertiaire est composé du tertiaire principalement mar-
chand (commerce, transports, activités financières, services rendus aux entreprises, services rendus aux particuliers, hébergement-restauration, immobilier, information-communication) ; https://www. insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1584
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L’image de la ville comme entité détachée s’imprègne, se développe et se renforce notamment avec l’apparition d’innovations majeures dans les systèmes de transports, permettant un développement et un étalement rapides de la métropole.
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D – RÊVE INDIVIDUALISTE : LA DISPERSION SUBURBAINE BRUXELLOISE
Le territoire de la région bruxelloise apparaît comme particulièrement dispersé lorsque l’on compare les cartes illustrant les zones bâties avec différentes agglomérations européennes. Il semblerait qu’un ensemble d’interventions de l’état ayant comme volonté de faire reculer les populations ouvrières en dehors des centres urbains, couplé à la montée d’une volonté d’individualité et d’accès à la propriété chez le peuple belge, sont à la source de cette modification progressive du territoire. En effet, au cours du XIXe siècle, la mise en place de trois nouvelles lois favorisent l’expansion de Bruxelles et la dispersion du schéma urbain sur le territoire belge.1 La première loi, appliquée en 1869, propose d’offrir de nouveaux abonnements de trains ouvriers. Ces
1 Bénédicte Grosjean, urbanisation sans urbanisme, une histoire de la « ville diffuse », 2010, p104.
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Horizontal Metropolis_Cartes de Paola Vigano_ Le bâti est représenté en blanc _On remarque un territoire nettement plus étalé autour de Bruxelles en comparaison aux villes des pays voisins_2018
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abonnements permettent à ceux-ci d’obtenir des tarifs intéressants sur les allers-retours entre leur domicile et leur lieu de travail. Ces forfaits autorisent au départ des déplacements dans un périmètre de cinq lieues (environ 25 kilomètres), mais tendent progressivement à repousser leurs limites. En 1892, les parcours autorisés atteignent les 100 kilomètres. Le Belge, Emile Vandervelde (1866-1938), docteur en droit, en sciences sociales et en économie politique illustre cette différence entre Bruxelles et Paris dans son ouvrage sur l’urbanisation du plat pays : « J’ai pris des renseignements sur les tarifs de transports des ouvriers autour de Paris : d’une manière générale, on peut dire qu’ils représentent, à peu près, le double de ce que l’on paye en Belgique. Mais ce n’est pas tout : sur les lignes de l’État belge, les ouvriers pourvus d’un coupon de semaine peuvent prendre le train qu’ils veulent : on ne les charrie pas, matin et soir, dans un ou deux trains spéciaux, à peu près comme on charrie le bétail. »2 La deuxième loi, promulguée en 1885 approuve les statuts de la société nationale des chemins de fer vicinaux. Cette loi a un impact considérable sur le développement du réseau ferroviaire belge. En seulement 15 années, cette société met en place plus de 1800 km de lignes de chemin de fer, ce qui représente alors à l’époque un bond de presque 45 % sur le réseau national. Positionnant ainsi la Belgique, à l’époque, comme l’un des pays disposant de l’un des réseaux ferroviaires les plus complets d’Europe3. La troisième loi de 1889, surnommée loi de « l’ouvrier propriétaire », a pour but de faciliter la création de nouveaux logements et de permettre à la classe ouvrière défavorisée de s’offrir une propriété à bas prix. Elle multiplie ainsi le nombre d’habitations à
2 Vandervelde, E., Les villes tentaculaires, Edition G. Bellais, Paris, 1899, p.19-20.
3 de Meulder, B., La loi relative aux Habitations ouvrières du 9 août 1889 et la distribution géographique de la main d' oeuvre en Belgique, Instituto Veneto di Scienze, 1995, pp.49-64.
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Horizontal Metropolis_Cartes de Paola Vigano_ Le bâti est représenté en blanc _Comparaison plus précise entre 3 villes européennes_2018
bon marché en périphérie, les prix des terrains étant nettement moins élevés qu’en ville.
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Bruno De Meulder, docteur en ingénierie civile et professeure en urbanisme à la KU Leuven, qualifie la politique de l’époque comme « conçue pour disperser la population ouvrière »4 et remarque l’impact conséquent qu’ont à l’époque ces trois lois sur le dessin urbanistique du pays. Les populations ouvrières, désireuses de s’offrir des logements décents voient dans les périphéries un moyen bon marché de satisfaire à leurs désirs. La ville, autant à travers sa population que ses règles urbanistiques, se disperse alors progressivement dans le paysage belge. C’est l’étalement urbain. L’envie d’individualité grandissante dans la population5, une forte présence de villes provinciales dispersées, couplées aux lois spécifiques à nos régions projettent le développement de nos métropoles dans une direction différente de celle des autres territoires européens. Nos régions apparaissent en effet généralement plus découpées, considérablement plus denses et urbanisées que d’autres pays européens6. Plus tard encore, en 1948, une nouvelle loi, appelée loi De Taye, offre des subventions et des primes lors de nouvelles constructions et de l’acquisition de terrains. Cette loi a un impact important sur l’accélération des constructions de logements individuels. En parallèle à cette mesure, La Société Nationale pour la Petite Propriété Terrienne (SNPPT) ouvre en 1935. Elle est chargée de lotir des terres à bon marché dans la périphérie. Ces lots dimensionnés généreusement et les multiples constructions de la SNPPT sur ceux-
4 de Meulder, B., La loi relative aux Habitations ouvrières du 9 août 1889 et la distribution géographique de la main d' oeuvre en Belgique, Instituto Veneto di Scienze, 1995, pp.49-64.
5 Envie d’individualité accentuée dans nos régions notamment par la propagation du modèle de la maison unifamiliale.
6 On observe une nette différence entre l’urbanisation parisienne et
bruxelloise dans les cartes d’urbanisation de Paola Vigano : Horizontal Metropolis.
ci participent considérablement à la création d’une image collective de ce que devait être une maison unifamiliale idéale : 4 façades, encerclée d’un jardin, mettant ainsi à distance les voisins et permettant également d’effectuer d’éventuelles extensions futures. Cet archétype est encore répandu aujourd’hui. Le problème est évident dans le sens où cette forme d’habitat tend à promouvoir un modèle très consommateur en architecture, en énergie et en territoire7. Les logements en ville de ces dimensions ne sont en effet accessibles qu’à une petite minorité aisée de la population. La classe moyenne est, sous ces conditions, obligée de sortir de la capitale afin de pouvoir profiter de ces nouvelles constructions, porteuses de l’image du canon de la maison familiale. Ce mouvement massif excentré provoque une croissance extrêmement étalée de l’urbanisation et un déploiement toujours plus loin de l’urbain dans ses périphéries.
7 Le lotissement densifié : un travail sur la résilience du territoire, Bernard Baines et Géry Leloutre, p187.
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Hier comme aujourd’hui, le problème de ce modèle se situe dans son inefficacité quant à sa consommation territoriale. En effet, d’une part il induit une consommation excessive du territoire et, d’autre part, il crée une faible densité. De plus, la pression foncière, la demande croissante de logements et le manque d’espaces proches des centres se faisant toujours plus rares sous ce modèle, font monter le prix des terrains encore et toujours plus haut. Cette augmentation des loyers au sein de la capitale, force ainsi la partie plus pauvre de la population, incapable de s’offrir un logement en ville, à s’exiler encore plus loin dans le territoire.
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E – LA VILLE DIFFUSE : TERRITOIRE ET CAPITALISME L’image d’un monde scindé entre le rural et l’urbain a longtemps été, et reste encore aujourd’hui ancré dans l’imaginaire collectif de notre société. Que ce soit à travers les « que sais je ? » des années '60 et '70, qui illustrent la tendance à l’époque à séparer la mentalité urbaine de celle des personnes vivant en milieux ruraux1; ou encore via certaines théories urbanistiques de l’époque qui voient deux moyens opposés de fabriquer le territoire, la ville s’est longtemps positionnée comme un lieu à part entière, aux fondements contradictoires avec ses alentours, la campagne. Rappelons-nous l’image, qui vient d’encore plus loin, de l’édification des premières murailles qui accentuent cette perception binaire de la ville et de sa campagne.
Nous citions plus tôt l’apparition d’une mentalité urbaine qui fait son apparition au XIIIe siècle. Celleci gagnera en ampleur dans nos sociétés, à tel point qu’il est devenu aujourd’hui difficile d’en discerner les limites. En effet, cette façon qu’ont les habitants des villes de penser « urbain » n’a cessé de se développer depuis le développement des villes, modifiant ainsi au fur et à mesure le regard des populations sur leur territoire bien au-delà des limites de la métropole. C’est le point avancé par les urbanistes et théoriciens de la ville diffuse. Ainsi, la ville est vécue comme un élément dominant qui aspirerait à s’imposer face à toute autre forme d’organisation du territoire2.
1 Charrier, J-B., « Que sais-je ? » : Citadins et ruraux,1970. 2 Victor Brunfaut aborde cette problématique de la ville dominante dans son ouvrage sur « La ville diffuse ».
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Toujours est-il que si l’évolution du territoire de nos régions manifeste des signes d’être en effet passée par cette division que nous venons d’observer, cette idée séparatrice du territoire urbain et rural peut néanmoins aujourd’hui être qualifiée de simplificatrice.
Capitalisme et campagne
Enseigne publicitaire au bord des champs. Photo tirée de : Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, p.71.
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Cette évolution du territoire serait directement liée à l’expansion de la culture urbaine. Les modes de vie s’urbaniseraient en réalité jusque dans les campagnes reculées, engendrant une profonde modification du territoire. Nous avons observé plus tôt l’impact de la révolution industrielle sur le territoire urbain. Pour rappel, au XIXe siècle, les métropoles connaissent à cette période une expansion et d’importantes modifications, qui façonnent l’organisation urbaine dont nous souffrons encore aujourd’hui. Le rôle de la révolution industrielle dans la densification des villes sera considérable et modifiera à jamais leurs fonctionnements, leurs organisations, mais aussi leurs dessins urbanistiques. Cette période d’industrialisation est aussi une période où une logique d’accroissement du commerce et d’accumulation des richesses prend de plus en plus de place dans la société. L’architecte et urbaniste italien, Alberto Magnaghi (1874-1945), affirme d’ailleurs dans son ouvrage « Le projet local », où il imagine une société nouvelle à travers un remodelage du territoire, que la ville et son développement sont fondamentalement liés au système capitaliste mis en place par la montée du commerce et des industries3.
3 Magnaghi, A., Le projet local, Liège, Belgique, Mardaga, 2003.
Selon Magnaghi, c’est ce lien indissociable qui organise la domination du modèle urbain. Notre société qui fonctionne au rythme du capitalisme ne peut donc que reproduire ce schéma, aboutissant ainsi progressivement à une urbanisation généralisée du territoire. La ville tend d’ailleurs elle-même à se densifier, démontrant ainsi les fondements d’une urbanité dominante. Selon cette logique il est en ce cas évident que nos sociétés, qui reposent sur ce modèle économique capitaliste, diffusent ce même mode de pensée à travers l’entièreté du territoire. Cette propagation de la pensée capitaliste tend à promouvoir la diffusion de l’urbain et la perte de liens avec le territoire en voie
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Urbain Généralisé
Photo tirée de : Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, p.225.
d’urbanisation et urbanisé4; processus déjà entamé lors de la période d’industrialisation. A. Magnaghi qualifie cette disparition des rapports au territoire comme un facteur qui entraîne « une amnésie territoriale et nous contraint à vivre dans de sites indifférents, qui ont subitement rompu toute relation avec l’histoire et la mémoire des lieux5 ». Cette amnésie territoriale et l’amenuisement des surfaces cultivables et cultivées du paysage urbain bétonné ont selon lui des impacts considérables sur notre manière de consommer les produits de ce sol disparu. L’urbain, coupé des réalités de son terroir et ainsi aveuglé
4 Par perte de liens au territoire on entend ici la disparition de rapports au sol, de rapport au rural, à la terre.
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5 Magnaghi, A., Le projet local, Liège, Belgique, Mardaga, 2003.
Urbain Généralisé
Palmiers de plastique.
Photo tirée de : Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, p.226.
quant à la provenance des produits qu’il consomme, achète plus d’aliments hors-saison, importés de régions lointaines et gorgés de pesticides. Le terroir, de cette manière, se raréfie peu à peu au profit d’une globalisation et d’une mondialisation du marché, aux importations toujours plus nombreuses. Cette rupture entre l’urbain et le territoire apparaît déjà à travers l’usage des énergies fossiles. En couplant ces dernières aux développements technologiques, nous pouvons, grâce à eux, désormais nous implanter partout et nous affranchir de toute contrainte de localisation. La ville est alors maintenue artificiellement grâce à une alimentation importée, qui affaiblit ainsi la résilience du système urbain au profit de la fragilité et de la dépendance.
L’architecte et urbaniste italien Bernardo Secchi (1934-2014) affirme que « L’histoire de la ville moderne comme les études sur la ville contemporaine, obsédées au contraire par les problèmes de la grande ville devenue métropole, ont oublié le territoire. Les cartes mêmes, ces bases d’information qu’on considère habituellement neutres, ne le représentaient pas. Le territoire où depuis longtemps et lentement se produisait une nouvelle forme de ville restait caché à l’imaginaire collectif et à l’attention des chercheurs. Ce qui a énormément retardé l’appréhension de ses origines et de ses problèmes, comme le développement
6 Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, p19.
7 Romain Felli, La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe, Paris, Le Seuil, 2016.
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Ainsi, la crise climatique serait une crise de la manière capitaliste d’organiser la nature6. Le socioécologiste Romain Felli démontre d’ailleurs à quel point les réponses apportées aux crises écologiques et climatiques ont ouvert la porte à une poursuite de l’accumulation économique à travers, entre autres, des remèdes strictement technologiques7.
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1962
Granularité, processus de transformation des agrégats bâtis, Bichencourt en Picardie et Garidech en Ile-de-France.
Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, p.54.
1982
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et l’imagination projectuelle.8 » Lorsque l’image de la ville a commencé à être appréhendée par les chercheurs et par l’imaginaire collectif, l’image de la ville qui « s’étale » et qui se disperse dans le territoire a laissé place à celle, plus fidèle à la réalité territoriale que nous connaissons, du bâti qui s’insère dans la maille de l’existant. L’image de la ville diffuse est donc incomplète et la métropole serait davantage un élément grandissant, s’étendant continuellement et repoussant sa périurbanité toujours plus loin. Elle serait l’urbanisation généralisée d’un territoire9. Antoine BRES, architecte-urbaniste et professeur à l’Université Paris Sorbonne, ajoute : « L’attention se porte non pas sur les « forces de désagrégation » de la ville, mais plutôt sur les processus d’agrégation de l’urbain généralisé (…)10».
8 Préface de Bernardo Secchi dans urbanisation sans urbanisme, une histoire de la « ville diffuse » de Bénédicte Grosjean.
9 Bénédicte Grosjean, urbanisation sans urbanisme, une histoire de la « ville diffuse », 2010.
10 Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B., Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017.
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Il utilise le terme de granularité afin de qualifier ce phénomène d’urbanisation grandissante. Cette théorie définit un mode de développement du territoire urbain sous forme « d’agrégats », où la métropole est alors un ensemble d’agrégats grandissants reliés et répandus dans le territoire. La densification et l’étalement progressif de cet ensemble d’agglomérations dispersées à travers le territoire tendent en fin de compte à relier ces derniers. C’est le cas de la ville de Bruxelles qui, à travers l’histoire, a vu les différents hameaux en périphérie de son centre croître jusqu’à se rejoindre en une masse urbaine que nous connaissons aujourd’hui. Ces hameaux font d’ailleurs aujourd’hui partie intégrante de la ville de Bruxelles que nous pouvons retrouver sous la forme de plusieurs de ses communes.
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La ville, dans cette idée, ne devient donc plus la source de l’urbanisation grandissante, mais un des symptômes de celle-ci. Si le territoire tend à s’urbaniser sous ce schéma granulaire, la ville peut être alors considérée comme un « gros agrégat ». Elle n’est plus à penser comme une flaque toujours grandissante, mais davantage comme un ensemble de figures urbaines variées, et agencées entre elles. La notion de centralité serait alors effacée. Le centre n’existerait plus, tout deviendrait secondaire et l’urbanisation du territoire serait ainsi généralisée11. Le géographe britannique David Harvey (1935- /), partisan de la géographie radicale et de la théorie sociale, évoque lui aussi ce mécanisme d’urbanisation dans son livre « Cities or urbanization? » : « the "thing" what we call a "city" is the outcome of a "process" that we call "urbanization" 12». Il affirme que la manière dont nous percevons nos villes influence nos choix et nos actions politiques sur la question. En focalisant notre regard sur la ville comme entité centrale, nous tendrions à marginaliser le processus d’urbanisation du territoire. Changer notre regard sur la nature de ces processus urbanistiques serait d’après lui un moyen de développer des politiques émancipatrices, un outil permettant de se libérer de la géographie conventionnelle qu’il accuse d’être aux services des pouvoirs dominants. Le sociologue français Bruno Latour (1947- /) confirme lui aussi ce lien entre nos rapports au sol et les impacts écologiques qu’ils entrainent dans ses « Huit conférences sur le nouveau régime climatique » : « […] normalement, de mauvaise nouvelle en mauvaise nouvelle, nous devrions avoir le sentiment d’avoir glissé d’une simple crise écologique à ce qu’il faudrait plutôt nommer une 11 de Meulder, B., La loi relative aux Habitations ouvrières du 9 août 1889 et la distribution géographique de la main d' oeuvre en Belgique, Instituto Veneto di Scienze, 1995, pp.49-64. 12 Harvey, D., Cities or urbanization?, City, 1996, 1:1-2, 38-61; DOI : 10.1080/13604819608900022.
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Evolution de la granularité entre 1962 et 2010 en Picardie. Brès, A., Beaucire, F., Mariolle, B.,
Territoire frugal : la France des campagnes à l'heure des métropoles, MétisPresses, 2017, pp.58-59.
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profonde mutation de notre rapport au monde.13» La ville, et les mécanismes capitalistes, industriels, humains, sociaux, culturels, économiques, etc. actuels que nous mettons en place au sein de celle-ci contribuent donc à nous faire perdre notre rapport au sol et au monde qui nous entoure. Les observations avancées dans l’ouvrage de Bruno Latour sont préoccupantes. Un exemple de cette perte de rapport au sol, conséquence de l’urbanisation généralisée, réside dans la définition de plus en plus floue et complexe des limites de la ville : « En Belgique, jusqu’en 1991, une commune était d’abord définie comme rurale si elle comportait plus de 20 % d’agriculteurs dans sa population active. Dans le cas contraire, c’était une commune urbaine. Si l’on appliquait aujourd’hui ce mode de comptabilisation (au recensement 2001), seules 2 communes seraient encore rurales sur les 589 du pays, et pour cause : il n’y a plus que 1,9 % de la population belge active qui soit occupée dans le domaine de l’agriculture.14 » L’importance d’un changement de regard sur le processus d’urbanisation est donc essentielle. C’est se permettre également de comprendre les dynamiques au sens plus large et de remettre en cause les évolutions qui contribuent à la dégradation environnementale et à la destruction du territoire.
13 Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2015. 14 Bénédicte Grosjean, urbanisation sans urbanisme, une histoire de la « ville diffuse », 2010, p32.
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2 – UNE AUTRE MANIÈRE DE FAIRE LA VILLE ? Le territoire que nous fabriquons aujourd’hui et les défauts qu’il entraine dont nous avons parlés plus tôt ont bien évidemment longtemps préoccupé les architectes et les urbanistes. Cette partie essayera de mettre en avant certaines pistes concrètes de projets qui repensent les relations à ce territoire et notamment le rapport au jardin collectif comme outil pour un vécu urbain de qualité.
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A – SOUTENIR LE CHANGEMENT LOCAL Comme nous l’avons vu précédemment dans l’ouvrage « Le projet local », l’architecte et urbaniste italien Alberto Magnaghi (1874-1945), observe les problèmes liés à la perte de territoire à laquelle nous faisons face. Il tente d’imaginer des solutions afin de réorienter la direction de notre territoire vers un aménagement plus durable.
Ce territoire qui se fabrique aujourd’hui a tendance à faire disparaître toute forme d’espace public et communautaire entraînant l’appauvrissement des pouvoirs locaux. Remplacées par des systèmes à grande échelle, les traditions et contraintes locales se retrouvent alors perdues. Selon A. Magnaghi, le territoire, sous ses formes et dispersions actuelles, est créateur de pauvreté à plusieurs échelles : une pauvreté économique, environnementale, mais également identitaire. En effet, en Italie comme en Belgique, nous assistons depuis une trentaine d’années à une baisse généralisée du niveau de vie ainsi qu’à un accroissement de la pauvreté dans les métropoles et
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Selon lui, les limites de l’urbain seraient difficilement identifiables, reflet de la mondialisation et de la globalisation. Le problème de cette uniformisation se situe dans le développement d’un système unique, fragile et dépendant. Cette dépendance face aux technologies et aux autres moyens gourmands en énergie fossile permet le maintien artificiel de ce territoire. Il importe pour Magnaghi de s’attaquer aux problèmes de fond du processus territorial d’urbanisation et pas uniquement aux symptômes et effets secondaires superficiels de ce dernier. Plutôt que de réparer ce que le territoire produit, nous devrions repenser la manière dont nous fabriquons celui-ci et ainsi permettre la transition écologique et territoriale.
dans l’ensemble du pays1. Il est nécessaire d’après lui de repenser et de reformer une nouvelle culture urbaine afin d’éviter la progression d’un modèle défectueux.
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La science est actuellement utilisée et perçue comme source de solutions à tout problème grâce à laquelle nous inventons des alternatives toujours nouvelles. Cette approche pose elle aussi un regard technophile sur une nature toujours plus modifiée et artificielle. Cela engendre le maintien d’un système basé sur une croissance économique et non sur un développement soutenable2. Ces technologies peuvent aider à résoudre certains problèmes à court ou moyen terme. En revanche, elles en créent généralement d’autres ultérieurement et ne font en réalité que reporter la question à plus tard. Albert Magnaghi imagine un changement « par le bas » : une modification de la société engrenée par des mouvements citoyens locaux. Il qualifie cela de « développement local autosoutenable ». Valoriser les initiatives de proximité revient à mettre en valeur un nombre croissant de projets diversifiés. Or, nous savons maintenant que la diversification est clé de résilience3. La mise en valeur du local ne se base néanmoins pas sur un favoritisme des projets de petite taille ou sur un repli sur soi. Au contraire, c’est bien la multiplicité des lieux singuliers qui est promue. Favoriser les initiatives locales c’est aussi modifier le rapport - perdu aujourd’hui - entre producteurs et habitants urbains, notamment suite à l’apparition
1 « Au cours de ces 30 dernières années, le taux de risque de pau-
vreté a augmenté en Belgique. En 1985, il concernait 11,53% de la population. En 2016, 15,5%. » http://dailyscience.be/30/01/2018/ le-risque-de-pauvrete-augmente-en-belgique/
2 Magnaghi, A., Le projet local, Liège, Belgique, Mardaga, 2003. 3 La résilience écologique est la capacité d’un écosystème, d’un
habitat, d’une population ou d’une espèce à retrouver un fonctionnement, un développement et un équilibre dynamique normal après avoir une phase d’instabilité engendrée par une perturbation environnementale.
des grandes surfaces et autres multinationales, qui tendent à gommer les différences entre les régions. C’est reformer des liens aux échelles compréhensibles et appréhendables par les citoyens. Le citoyen ne consommerait plus uniquement, il participerait à un dialogue, à une relation nouvelle, co-évolutive entre producteurs et habitants. Le développement local permet aussi de valoriser l’artisanat, la microentreprise et donc de transformer notre manière de consommer et de produire.
Toutefois, afin de permettre le développement de projets locaux, qui favorisent le rapprochement entre habitants et producteurs, un encadrement et un accompagnement de ceux-ci doivent être assurés par les administrations communales. Comme l’explique Alberto Magnaghi : « Le rôle des administrations communales, lorsque le développement dépend en majeure partie du parachutage d’entreprises sur leur territoire, se limite à créer des services (écoles, assistance, logements sociaux) et à organiser le développement au moyen de plans régulateurs. Mais, dans l’hypothèse où la valorisation du patrimoine territorial dépend de ses habitants-producteurs, la municipalité doit assurer le rôle global de promoteur, en ce qui concerne tout à la fois l’ensemble des choix économiques et le contrôle de leur cohérence, la production et la gestion des ressources énergétiques, le financement de projets de transformation écologique. Dans cette tâche complexe, il revient à la municipalité de modérer et de stimuler les habitants-producteurs,
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Aujourd’hui, l’habitant n’est souvent plus que locataire d’un espace dont il ignore d’où provient l’électricité, le gaz, vers où se dirigent les évacuations d’eaux. Selon Magnaghi, relocaliser les rapports de production, c’est remettre dans les mains des habitants les moyens de fabrication et de production de leurs propres quartiers, ville et territoire ; c’est leur donner les outils afin de participer au changement de leur cadre urbain ; c’est rendre possible la multiplication des initiatives urbaines à travers un travail en amont.
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mais aussi d’inventer de nouvelles procédures pour se mettre à l’écoute des “sans-voix” et renforcer la participation des acteurs faibles.4 » En 2014, à Bruxelles, la grande distribution représentait environ 70 % de la part de marché en alimentation courante5. Ces sociétés participent à l’uniformisation et la globalisation du marché, déconnectent le citoyen de la nature et effacent l’existence des saisons ou des produits régionaux : seulement 40 % des fruits vendus dans les grandes surfaces proviennent de Belgique ou de pays limitrophes6. Aller vers le local c’est aussi renforcer des alternatives aux systèmes mis en place par les supermarchés et autres entreprises multinationales. C’est ce lien qu’endossent notamment les projets comme le réseau des GASAP7, qui remettent en contact direct, sans intermédiaire, les producteurs aux consommateurs à travers la vente de panier de produits biologiques et de saison. Ou encore le projet la ruche qui dit oui8, qui permet de commander des produits des fermes locales. Cependant, intégrer les jardins collectifs à l’environnement urbain peut également être un pas vers ce retissage de liens entre les habitants et le territoire sur lequel ils vivent. C’est une manière directe de favoriser la (re)prise de conscience des saisons, de l’existence de produits régionaux, de la valeur du travail agricole et des aliments. En ce sens, les potagers permettent la compréhension concrète, matérielle et tangible de ces enjeux grâce au « faire ». La connaissance n’est-elle pas essentielle afin d’agir et de consommer consciemment et consciencieusement ?
4 Magnaghi, A., Le projet local, Liège, Belgique, Mardaga, 2003, p54.
5 Etude RDC Environnement « inventaire et analyse des données
existantes en matière d’offre alimentaire en Région de Bruxelles-Capitale », 2014
6 Etude comparative des paniers bio, conduco 2013 7 Le réseau des GASAP. (2018). Accueil - Le réseau des GASAP. [online] Available at: https://gasap.be/ [3 Août 2018].
8 La Ruche qui dit Oui !. (2018). La Ruche qui dit Oui !. [online] Available at: https://laruchequiditoui.be/ [3 Août 2018].
B — DENSIFIER L’EXISTANT & RECONQUÉRIR L’ESPACE PUBLIC
Une solution envisagée par les architectes et urbanistes belges Bernard Baines et Géry Leloutre afin de réduire ce phénomène d’urbanisation généralisée du territoire belge se trouve selon eux, de manière contre-intuitive, dans la densification de celui-ci. Non pas à travers la multiplication de constructions dans le tissu urbain, comme c’est déjà le cas, mais plutôt en travaillant sur l’existant afin de minimiser cet étalement1. Il s’agit d’augmenter la capacité d’accueil et la création de nouveaux logements sur des lotissements déjà existants, tout en conservant ce qui y est déjà présent.
1 Baines B., Leloutre G., Le lotissement densifié : un travail sur
la résilience du territoire, Les cahiers de la Cambre, Architecture N°4, Éco-logiques : les bénéfices de l'approche environnementale, Bruxelles, La Lettre volée, 2005, pp. 186-202. 53
La maison unifamiliale
Photo issue de : Bénédicte Grosjean. La ”ville diffuse” à l’épreuve de l’Histoire : urbanisme et urbanisation dans le Brabant belge. Architecture, aménagement de l’espace. Université de Paris-VIII, Institut Français d’Urbanisme; Université catholique de Louvain-la-Neuve, Faculté des Sciences Appliquées 2007.
Espace entre deux maisons
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Photo issue de : Baines B., Leloutre G., Le lotissement densifié : un travail sur la résilience du territoire, Les cahiers de la Cambre, Architecture N°4, Éco-logiques : les bénéfices de l'approche environnementale, Bruxelles, La Lettre volée, 2005, pp. 186-202.
Nous avons en effet observé plus tôt que la typologie majoritairement présente sur le territoire belge est la maison unifamiliale à 3 ou 4 façades entourée d’un jardin privé aux dimensions généreuses2. La distance au sol, c’est-à-dire le nombre de mètres existants entre chaque maison, est ici utilisée comme un moyen efficace de mise à distance du voisin. La privatisation de l’espace n’est, dans ce modèle, aucunement mise en place à travers une conception architecturale de l’espace, mais uniquement à travers des dispositions urbanistiques. Les ilots aux dimensions généreuses évitent de se poser la question de la proximité et de l’intimité à travers une mise à distance de ses voisins. Or, nous pourrions bien évidemment imaginer dans un modèle densifié — où les entre-deux de ces habitations seraient réduits — régler ces problèmes d’intimité à travers un travail architectural de qualité. Le rôle de l’architecture est ici tout aussi essentiel que celui de l’urbanisme dans la fabrication d’un territoire dense, mais conservant des formes d’habitations viables et agréables.
2 « La maison unifamiliale est le type de logement le plus répan-
du en Belgique (75,4 % en 2001). Les deux tiers de ces maisons unifamiliales sont séparées ou jumelées. Ni la maison individuelle ni sa forme pavillonnaire ne sont cependant dominants en Région bruxelloise: ils ne représentent respectivement que 28,2 % et 6,5 % des logements.» https://monitoringdesquartiers.brussels/indicators/ analysis/part-des-menages-residant-dans-une-maison-3-ou-4-facades/
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Densification
Proposition de densification par Stephanie Rs: Baines B., Leloutre G., Le lotissement densifié : un travail sur la résilience du territoire, Les cahiers de la Cambre, Architecture N°4, Éco-logiques : les bénéfices de l'approche environnementale, Bruxelles, La Lettre volée, 2005, pp. 186-202.
La densification du territoire pose évidemment problème quant aux limites de la sphère privée des individus. Seraient-ils prêts à céder une part de leur individualité et à réduire leurs espaces privatifs pour le bien commun ?
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Pour être acceptée, cette réduction de l’espace privé doit alors s’accompagner d’un ensemble de mesures visant à développer les infrastructures publiques présentes dans le tissu urbain. L’espace public se doit d’être intensifié et réorganisé afin de permettre une réappropriation collective des lieux. De plus, la question de l’espace public, comme l’explique bien la Française Alice Béja, spécialiste en sciences politiques, est encore loin d’être résolue. Celui-ci est encore trop souvent victime de patrimonialisation3 et ne serait alors plus que perçu comme un lieu où l’appropriation y est interdite. L’usager ne retrouve plus sa place et ne voit plus la possibilité de s’y exprimer ou de s’y reconnaître4. Or, afin de dynamiser l’espace public et de le pousser à remplir sa fonction, il importe justement de laisser place à l’appropriation et à l’occupation citoyenne. Alice Béja nous explique qu’aujourd’hui, dans la conscience collective, la rue n’apparaît plus réellement comme un bien commun, mais davantage comme un lieu praticable uniquement sous certaines conditions. La temporalité de ces lieux publics pose également problème. Alice Béja utilise ici l’exemple des communes qui organisent des événements et autres activités (marchés, foires, brocantes, etc.). Selon elle, ces événements, malgré l’effet activateur et dynamisant qu’ils ont sur ces espaces, n’offrent en réalité que des activités planifiées et balisées ne durant qu’un temps seulement. En dehors de ces instants, l’espace public retourne à son statut de lieu fait de
3 La patrimonialisation est le processus socio-culturel, juridique ou
politique par lequel un espace, un bien, une espèce ou une pratique se transforment en objet du patrimoine naturel, culturel ou religieux digne de conservation et de restauration.
4 Béja, A., L’espace public, le bien commun par excellence, Esprit 2012/11, Novembre, p. 71-72; DOI 10.3917/espri.1211.0071
Restriction
Photo personnelle, Place Flagey, 2018
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contraintes, d’interdits, de réserves et de régulations mis en place par les communes cherchant à imposer leur autorité et à éviter tout trouble à l’ordre public. Pourtant, l’espace public est, selon Alice Béja, le bien commun par excellence, le lieu de l’appropriation et de l’usage libre. Il importe de créer des espaces publics non bloquants, qui laissent place à la liberté du quotidien. Dans ses réflexions sur la densification urbaine, l’architecte et géographe suisse Pascal Amphoux évoque la diversification et l’intensification comme solutions à cet espace public devenu aujourd’hui trop flou, uniformisé et aseptisé. La multiplication des
usages dans l’espace public apparaît comme nécessaire pour un usage permanent et qualitatif de ces lieux. « Intensifier la ville, ce sera donc, par des moyens sensibles, intensifier le rapport à la ville, en offrir une meilleure acuité perceptive, renforcer le sentiment d’urbanité ou encore renforcer l’identité du territoire considéré.5 »
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Les jardins partagés, de par leur temporalité d’usage quasi permanente et leur structure interne communautaire, semblent offrir une piste intéressante, pour l’élaboration d’espaces communs disposant d’une réelle qualité de vie et pour la création de nouveaux rapports au territoire. Il importe d’intégrer le potager collectif à la façon dont nous intégrons d’autres équipements urbains dans la ville ; de voir les avantages en termes de création de lien social qu’offre le potager comme l’on en voit, par exemple, aujourd’hui celui du terrain de football de quartier6.
5 Amphoux, P., Polarité, Mixité, Intensité : Trois dimensions
conjointes de la densité urbaine, Hilde Heinen, David Vanderburgh (eds), Inside Density, International Colloquium on Architecture and Cities, Mar 2003, Bruxelles, Belgique. Editions La lettre volee, pp. 19-32.
6 « Et c’est là qu’il est possible de s’allier puis de se confronter
successivement à des gens tout aussi amoureux du ballon rond que je le suis. Peu importe l’âge et le talent, le contact trop vigoureux sera toujours suivi d’une excuse, et la défaite d’une poignée de main. On y vit un mélange particulier entre les enfants qui vivent dans les tours encerclant le terrain, et ceux plus qui viennent quartiers plus aisés de la commune, environnants. » Louis pour Whatfor : http://www.whatfor.be/2015/10/la-cage-du-dries/
Utilisation
Photo personnelle, Ferme du Chant des Cailles, 2018
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C – RENDRE VISIBLE : UNE NOUVELLE CARTOGRAPHIE
En 2017, Elena Cogato, docteure en sciences, architecte et urbaniste suisse, a abordée avec ses étudiants de l’EPFL la problématique de la disparition des jardins collectifs dans la ville de Genève. Durant cette recherche, ils ont observé, comme nous l’avons également remarqué plus tôt, une tendance constante à la densification du tissu urbain. Malgré la présence déjà bien réelle de multiples initiatives potagères urbaines, ces dernières sont toujours soumises aux aléas des projets de construction à venir et ne restent généralement présentes que sous le statut d’occupation
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L’importance des espaces verts dans la ville n’est aujourd’hui plus à prouver. Cette réflexion entamée à travers les premiers principes hygiénistes du XIXe siècle, mais surtout renforcée depuis les années '80 avec la montée des premières théories abordant le développement durable, a connu une sacralisation progressive. On assiste aujourd’hui par exemple à la mise au rang de patrimoine mondial de l’UNESCO d’un des poumons verts de la ville, la forêt de Soignes. Cela n’a pas toujours été ainsi, et la ville a longtemps été construite, durant les années '60 et '70 notamment, sans y intégrer des notions de nature. La nécessité de ces espaces verts est progressivement rentrée dans l’imaginaire collectif des urbains suite à la reconnaissance croissante de leurs avis et de leurs préconisations dans la planification urbaine. Pour le bien-être des résidents bruxellois, nous acceptons aujourd’hui l’importance de prévoir des espaces de verdures, parcs, forêts, etc. au sein de la ville au point de les retrouver au cœur des plans d’aménagement du territoire de la capitale (PRAS, PPAS, etc.). Pourtant, les espaces aux activités maraîchères, verts eux aussi, ne rentrent toujours pas dans cette prise en compte et ne trouvent pas leur place au centre de ces cartographies.
transitoire1.
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L’oubli et la mise au second plan de ces potagers urbains vient, selon Elena Cogato, de l’absence de cartographies officielles reprenant ces initiatives citoyennes. Les potagers n’étant pas représentés, ils se retrouvent effacés du territoire. Sans réelles représentations cartographiques, l’agriculture urbaine peine à rentrer dans l’imaginaire collectif de la ville et la métropole resterait alors toujours dans une logique de densification des interstices. Le manque de visibilité est directement la source de leurs disparitions. Afin de montrer l’exemple aux pouvoirs décisionnels, Elena Cogato et ses étudiants ont pris l’initiative de redessiner un ensemble de quartiers de la ville de Genève en prenant soin de bien représenter les potagers déjà présents sur le territoire. Ils y représentent et y délimitent les espaces dédiés à la culture du sol tout comme les espaces réservés aux logements, aux commerces, aux industries, aux espaces publics, etc. Les potagers sont alors remis sur le même pied d’égalité que les autres fonctions urbaines et se retrouvent ainsi intégrés dans le plan d’aménagement urbanistique de la ville. Cette représentation graphique permet également une quantification des espaces exploités et l’élaboration de premières estimations quant à la productivité agricole au sein même de la ville, choses qui étaient également difficilement mesurables avant ces nouvelles cartes2. Il importe de repenser et de redessiner les cartes du territoire bruxellois afin que celles-ci correspondent davantage à l’avenir que nous voulons y dessiner.
1 L’urbanisme transitoire englobe toutes les initiatives qui visent,
sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas encore décidé, ou le temps qu’un projet se réalise.
2 Cogato Lanza E., Pattaroni L., Villaret M. F. J., Agriculture mé-
tropolitaine lémanique. Une hypothèse de recherche, "Dessiner la Transition. Outils et dispositifs pour le projet de la métropole écologique", cycle de séminaires organisé par la Fondation Braillard Architectes, LOCI-Bruxelles et Metrolab Brussels, Session 3 "La transition par l'alimentation", OMPI, Genève, 22 mars 2018.
Représenter c’est rendre légitimes des fonctions trop souvent mises de côté, c’est rendre visibles les projets invisibles, c’est les quantifier correctement et ouvrir un débat à partir d’une base de travail qui offre des fondations saines pour la suite des recherches.
Paradoxalement, alors que l’importance des potagers
3 Les maraîchages urbains, écologiques: freins, leviers à la réalisation et état des lieux, Dedicated Research, mai 2011
4 Chiffres consultables sur le site de la région : https://www.goodfood.brussels/fr/content/la-strategie-good-food.
5 Evaluation du potentiel maraîcher en Région Bruxelles Capitale BRAT 2013
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Nous assistons dans nos régions à un regain d’intérêt pour les initiatives potagères. D’une part, une enquête de 2011 révèle un intérêt certain au sein de la population : 22 % des personnes interrogées cultivent déjà un potager et 24 % seraient intéressées par la possibilité de cultiver mais le manque d’espace dans la capitale constitue un frein à leur projet3. De l’autre, la Région de Bruxelles-Capitale manifeste clairement une volonté et intention de renforcer la culture agricole en ville. Cette envie se matérialise notamment à travers la création de la politique publique Good-Food, gérée et mise en place par Bruxelles-Environnement. Par cette politique publique, la capitale se fixe comme objectif de produire sur son territoire 30 % de ses besoins alimentaires d’ici 20354. Cet objectif compte être atteint en soutenant des projets en lien avec l’agriculture urbaine, et ce y compris des potagers. Cette aide financière est importante pour le démarrage de ceux-ci, mais n’assure malheureusement en rien la continuation de ces projets sur la durée. En 2013, un recensement des sites potagers5 évalue que 51 hectares sur les 88 hectares que couvrent les potagers bruxellois se retrouvent sur des zones normalement réservées à l’habitat. Si un changement de statut de ces zones représentées dans le PRAS n’est pas prévu prochainement, nous pouvons donc nous attendre à la disparition de la majorité des initiatives potagères présentes dans la capitale.
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en ville est progressivement comprise, la pression foncière reste toujours dominante dans les logiques de création urbaine et met en péril les initiatives de jardins collectifs. La ville, qui est devenue le terrain de travail et la source de profit pour les entrepreneurs, évince rapidement les projets potagers qui ne peuvent égaler la rentabilité économique de ces projets immobiliers6. La politique actuelle lutte contre ce phénomène mais met en place des interventions superficielles qui aident en réalité des initiatives éphémères et fragiles. Il importe donc, selon nous, de repenser les problèmes à la source. La planification urbaine peut alors offrir une piste intéressante de travail en amont. Repenser la manière dont les décideurs visualisent et gèrent le territoire devrait faire partie des priorités de la région et s’accompagner d’une représentation graphique au sein du plan d’aménagement du territoire de la capitale (PRAS, PPAS, etc.). Cet ajout au cœur des plans d’aménagements du sol permettrait ainsi de forcer leur maintien au cœur d’un modèle économique qui tend dans sa configuration actuelle à les faire disparaître. C’est à travers une tentative de changement de regard et d’attitude généralisé mais aussi par un travail sur des réglementations urbanistiques fermes que nous pouvons espérer ralentir la pression foncière.
6 Le secteur primaire, c’est-à-dire celui de l’agriculture, constitue sous le modèle économique actuel, le secteur le moins rentable comparativement au secteur secondaire et tertiaire : Randers, J., Meadows, D., Meadows, D., Les Limites à la croissance (dans un monde fini), 1972.
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3 - POTAGERS URBAINS : INITIATIVES CITOYENNES AUX MULTIPLES SENS
Les potagers urbains, ces invisibles du territoire, seront ici mis en avant à travers leurs multiples facettes et qualités pour la ville. Cette partie, contrairement aux problématiques plus larges que nous venons d’aborder, recentre la réflexion autour d’initiatives concrètes à plus petites échelles pour mettre en valeur le champ des possibles de ces projets et tenter d’illustrer la multiplicité de rôles qu’ils peuvent offrir pour l’urbain, au-delà de l’image exclusivement productive de ces lieux. C’est justement éviter les discours productifs, de quantification et de rentabilité des agricultures urbaines qui tendent à réduire leurs autres qualités, rôles et enjeux, à mon sens plus fondamentaux.
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A — LES RÉSIDUS DE L’INTERSTICE EN LUTTE I - LE TIERS PAYSAGE Ce territoire urbain généralisé que nous avons abordé plus tôt fabrique une maille souvent oubliée, un espace entre-deux, indéfini et ambigu, un résidu de la ville, mais aussi de la campagne. Il est formé par l’espace interstitiel, les friches, les lieux non désirés et indésirables, des zones formées par hasard soit pour des raisons de difficulté d’accès ou encore d’impossibilité d’exploitation.
Gilles Clément qualifie ces espaces au statut particulier comme essentiels pour le milieu urbain et disposant d’une réelle richesse en raison de leur oubli et de leur abandon. Ce sont des lits de nature au cœur d’un système minéralisé fait de bitume et de béton. Ces espaces sont les refuges d’une biodiversité riche et essentielle au maintien d’une faune et d’une flore variée en ville. Ces lieux détiennent des qualités que nous pouvons comparer aux espaces qualifiés par le biologiste français Léo Grasset (1989- /) de mondes perdus2, ces régions inaltérées par la présence humaine et berceau d’une richesse biologique inégalée. En raison de leur statut particulier, délaissés de toute décision humaine, ces espaces se situent dans une zone
1 Clément, G., Manifeste du Tiers paysage, Saint Germain sur Ille, Editions du commun, 2016.
2 En référence au livre : « Le Monde perdu » de Arthur Conan Doyle.
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Cet espace « résiduel », le jardinier biologiste et paysagiste français Gilles Clément (1943- /) le surnomme « Tiers-Paysage1 ». Il s’agit de l’ensemble des entre-parcelles, des lieux qui n’ont pas été construits ou touchés par la main de l’homme pour diverses raisons. Il affirme dans son ouvrage que tout aménagement urbain génère des espaces délaissés, oubliés.
grise de notre esprit. Ce sont des lieux dépassant les enjeux territoriaux, qui n’expriment ni le pouvoir ni la soumission par rapport à la ville. Des lieux dépourvus de fonction sur lesquels il devient difficile de porter un nom. Comme le mentionne Gilles Clément « Fragment indécidé du jardin planétaire, le tiers paysage est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse. 3», cette absence de prise en compte de la richesse réelle de ces espaces les menaces d’extinction. Non répertoriés ils tendent à disparaitre à travers le paysage urbain et se font de plus en plus rares. Il importe de les appréhender non comme des déchets, failles ou échecs d’un modèle de construction urbaine, mais plutôt comme des bouquets et dons pour la ville.
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II - HORS DE L'URBAIN Les potagers qui fleurissent en ville, occupant tout morceau de terre exploitable, sont souvent le fruit d’initiatives citoyennes. Les potagers ont souvent été considérés comme des éléments accessoires, secondaires, souvent trop peu pris au sérieux. Au mieux lors d’un projet on les dessine rapidement sur
3 Clément, G., Manifeste du Tiers paysage, Saint Germain sur Ille, Editions du commun, 2016.
Jardins de La Pomme A Marseille, protégés par la voie ferrée. Photo issue de : Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999, p.57.
Jardins du couloir aérien d'Orly
Photo issue de : Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999, p.56.
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un toit, comme complément d’une construction, mais la spéculation immobilière a souvent renvoyé ces jardins au deuxième plan. Aujourd’hui, on constate le développement d’initiatives potagères dans les résidus du tissu urbain laissés à l’abandon. Ces jardins, complémentaire aux dents creuses, car difficilement accessibles, souvent trop bruyantes, abandonnées et qualifiées de sans intérêt pour l’expansion urbaine, permettent de créer des lieux riches en rencontres et biodiversité. L’extension du réseau routier et de l’urbanisation menaçant souvent les jardins d’expulsion ont ainsi forcé les potagers urbains à prendre refuge dans cet urbain non convoité. Ces lieux qui apparaissent des
découpes administratives approximatives ou suite à l’oubli, ces espaces qui restent présents dans la ville, mais pourtant hors de l’urbain.
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Les jardins collectifs ont colonisé ces espaces naturellement protégés de l’expulsion. Nous pouvons citer l’exemple des jardins de Villejuif à Paris, situés à proximité de l’autoroute A6 qui, de par leur situation fortement bruyante ne sont pas sujet à disparition et permettent de développement une biodiversité riche. Nous observons également fleurir ces jardins proches des réseaux ferroviaires ou des couloirs aériens. Par exemple, à l’aéroport d’Orly un collectif d’habitants a pu reprendre les terres au pied de la piste d’atterrissage, celles-ci étant délaissées par la municipalité, car non appropriées pour une quelconque exploitation. Ici ce sont donc finalement les trop-pleins de nuisances qui permettent la survie de ces lieux non reconnus par la ville4. Les indésirés de la ville deviennent les joyaux des jardins collectifs.
III - LE POTAGER BOONDAEL-ERNOTTE Le potager de Boondael-Ernotte, situé entre la commune d’Ixelles et celle de Watermael-Boitsfort, est un exemple qui illustre à merveille l’occupation de l’interstice. Le hameau de Boondael était encore considéré comme l’un des greniers de la ville de Bruxelles jusqu’aux alentours du XXe siècle. On peut y découvrir à travers les anciennes cartes que la parcelle se situait déjà à l’époque sur une zone agricole riche, quoique plutôt destinée aux cultures céréalières, plus gourmandes en espace. Ce n’est qu’à partir de l’année 19265,
4 Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999.
5 Cahn, L., Deligne, C., Pons-Rotbardt, N., Prignot, N., Zimmer, A., Zitouni, B., terres des villes : enquêtes potagères de Bruxelles aux premières saisons du 21e siècle, 1st ed. éditions de l’éclat, 2018, p.56.
Vue aérienne du potager Boondael-Ernotte.
L’apparition de cette nouvelle ligne de train qui connecte désormais le village au reste de la capitale modifie également la logique de développement du territoire local. Les grands propriétaires de la région s’empressent de revendre leurs terres afin d’y permettre la construction de nouveaux logements. La revente des terrains était en effet devenue plus rentable que l’exploitation agricole suite à l’augmentation des prix des parcelles. La région jusque là agricole s’engage alors sur la route de l’urbanisation de son territoire. Néanmoins, la parcelle Boondael-Ernotte, résidu
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avec la création d’une nouvelle voie ferrée qui relie dorénavant Halle à Vilvorde, et venant effleurer le site de la parcelle actuelle, que la région connaît ses premiers grands changements. Lors de sa création, la nouvelle ligne creuse un fossé et isole un morceau de la commune d’Ixelles. C’est sur ce morceau de terrain, compressé entre le fossé creusé par le train et la rue Louis Ernotte que se cache le potager, encore présent aujourd’hui.
inattrayant des dessins des nouvelles lignes de circulation, reste encore à l’abri, et continue d’exister. Les exploitations s’orientent cependant vers une culture maraîchère, plus adaptée aux surfaces réduites et fonctionnant sur des cycles plus courts et flexibles que la culture céréalière.
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Le potager suit ainsi son histoire paisible et continue d’être exploité par les potagistes jusqu’en 2008, année où la commune d’Ixelles, propriétaire du terrain, décide de vouloir finalement construire sur ce site jusque là oublié. Plusieurs projets sont proposés, mais aucun ne tient en compte dans son plan un espace dédié à la culture potagère. Le jardin est voué à disparaître. Impuissants, les potagistes ne savent comment faire face à l’autorité communale et, en 2011, un ensemble de 316 logements est finalement construit sur la première moitié du potager et supprime ainsi presque 3 hectares de potagers. La commune désireuse de construire sur le dernier hectare restant situé de l’autre côté de la route, zone où subsistent les derniers potagers, propose la même année un deuxième projet de logements. Cependant, cette fois-ci les potagistes ne baissent les bras et s’engagent ensemble dans une lutte contre le projet immobilier. Ils forment ainsi le collectif
Projet proposé par la commune en 2011.
Documents du "Comité Potagers XL en danger"
Contre-projet proposé par le comité en 2013.
Documents du "Comité Potagers XL en danger".
En 2015, la commune propose un nouveau projet, mais ne prend pas en compte les propositions avancées dans le projet de Stefano et ne prévoit toujours pas d'espace pour les potagers. Néanmoins, au printemps 2018, suite au manque du rapport d’incidence sur l’environnement7 dans la constitution du dossier, le projet est reporté jusqu’à nouvel ordre. Au plaisir des potagistes, les potagers
6 Documentaire de Pascal Haass, les potagistes, 58 min., Leila Films, Belgique, 2011
7 https://environnement.brussels/le-permis-denvironnement/
le-guide-administratif/comment-preparer-sa-demande/le-rapportet-letude
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« les potagistes6 » et combattent ensemble pour le maintien de leurs parcelles. Les potagistes voient une possibilité de compromis sur la parcelle et croient en la cohabitation possible entre logements et potagers. Stefano, Ulrike et le reste des potagistes proposent alors un nouveau projet à la commune et tentent d’ouvrir le dialogue, mais cette dernière ne semble pas réceptive. Stefano voyait à travers le projet immobilier l’occasion d’associer des espaces résidentiels à des infrastructures vertes, publiques, variées et en manque dans le quartier. Il dessine et imagine un verger, un potager, un étang, et une plaine de jeux à côté d’un ensemble de logements unifamiliaux de petite taille.
Contre-projet proposé par le comité en 2013.
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Document réalisé par Stefano, un des potagiste et membre du comité de défense.
Second projet proposé par la commune en 2015.
Documents du "Comité Potagers XL en danger"
subsistent toujours, mais pour combien de temps encore ?
Ce statut temporaire et non reconnu des potagers urbains est de nature assez paradoxale. Cette position ambiguë est en réalité à la fois la raison pour laquelle les potagers ne sont pas protégés et voués à disparaître continuellement, mais est également la source d’une richesse quant à l’utilisation et l’appropriation de cette terre. Ces espaces délaissés qui sont généralement absents de réglementations offrent une infinité de possibilités aux utilisateurs. Ils permettent de s’investir et de s’approprier ce lieu qui semble n’appartenir
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Cela fait donc dix ans donc que la parcelle est dans l’attente incertaine d’une destruction potentielle. C’est le quotidien habituel que l’on retrouve dans la majorité des jardins collectifs à Bruxelles. Souvent regroupés sur des espaces vacants, profitant du laps de temps d’attente jusqu’à la future construction du site. Les terres sur lesquelles ils se développent ne sont alors que des espaces tolérés pour un moment seulement. Les potagers sont un moyen de lutte contre cette urbanisation du territoire, offrant un moyen peu coûteux et rapide d’occupation des sols et friches de la ville.
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à personne8, mais auquel simultanément, tout le monde peut s’y identifier. L’ambiguïté dans le statut de ces lieux permet de développer un cadre tout à fait adapté au fonctionnement des potagers. Ceuxci jonglant constamment avec les notions d’espaces privés et publics, entre parcelles privatisées et espaces communautaires et partagés9. Cette qualité se ressent lorsque l’on visite le potager Boondael-Ernotte. Certaines parcelles sont parfaitement entretenues et organisées, d’autres moins. L’un cultive des tomates sous serre, l’autre préfère produire son houblon pour fabriquer sa bière artisanale. L’un, plus âgé, utilise des engrais, l’autre, plus jeune, ne jure que par la permaculture. On note aussi une grande variété d’aménagements personnalisés des parcelles, des épouvantails colorés et autres systèmes pour écarter les oiseaux, des guirlandes décoratives, des systèmes de récupération des eaux, des cabanes communes pour le rangement d’outils, mais aussi des plus petites, individuelles. Ici, au potager, chacun trouve sa place, les diversités dans les pratiques se manifestent, mais convergent à la fois et force à la rencontre et à la découverte de l’autre. Chacun dispose de son espace personnel de culture, mais l’ensemble des potagistes sont invités à se réunir environ une fois par semaine afin d’entreprendre des activités pour l’amélioration des espaces collectifs. Ils conçoivent ensemble des bancs, escaliers, cabanons à outils communs, barrières, hôtel à pollinisateurs, cuisine commune, etc. C’est aussi l’occasion pour les potagistes d’échanger des conseils, de discuter de projets communs, d’imaginer l’avenir du potager et d’organiser ensemble la lutte contre les menaces de projets immobiliers. Durant ces réunions hebdomadaires, ils imaginent aussi des fêtes et autres événements afin d’améliorer la visibilité du potager et
8 Une parcelle appartient généralement toujours à quelqu’un, mais son apparence abandonnée et délaissée peut parfois donner l’impression, aux visiteurs, qu’il s’agit d’un espace libre d’usage.
9 Propos recueillis dans le livre : Zask, J., La démocratie aux champs, Paris, La Découverte, 2016.
Document personnel
d’en faire un véritable lieu de vie du quartier. Joëlle Zask, Philosophe française, explore dans son ouvrage « la démocratie aux champs » la théorie du jardin comme réel moyen créateur de société. Selon elle, le travail de la terre n’est pas un travail comme un autre en raison de la nature de l’élément avec lequel le potagiste fonctionne et travaille. Il sort d’une logique productive, de rentabilisation, pour s’orienter davantage vers le dialogue et l’écoute de son milieu. Dans le potager il est en effet impossible de prévoir l’avenir avec exactitude et l’on accepte de se soumettre aux aléas climatiques, aux maladies et autres facteurs influençant la récolte. La culture de la terre fabrique alors une image intéressante pour la conception d’une démocratie non pensée comme une machine au fonctionnement rationnel, mais davantage comme un jardin dont tous les éléments sont interconnectés. D’autre part, l’organisation du potager fait partie selon
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Espaces privatifs et collectifs
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Joëlle Zask, d’un exemple de modèle de démocratie idéale. La présence de parcelles à la fois personnelles et individuelles, couplées à des espaces communs et à une gestion commune du potager, permet de développer une organisation semblable à l’organisation d’une société démocratique idéale. La parcelle est au potager entier ce que l’individu est au groupe, chaque personne est à la fois indépendante, mais conserve une relation avec les autres. Les individus sont ainsi utilisés par le groupe tout en profitant eux-mêmes des fruits de ce groupe. Le développement personnel est autorisé comme outil créateur de richesse au sein de la communauté. Le potager devient le lieu où s’inventent de nouvelles interactions sociales, des dynamiques participatives, et des alternatives au modèle de notre société industrielle actuelle qui semble atteindre ses limites. J. Zask affirme que permettre le développement de l’individuel est essentiel dans une société où l’individu tend à être écrasé par les configurations politiques et sociales actuelles. La personne ne se retrouve plus personnellement impliquée dans cette société, trop distante. Pourtant, au cœur des fonctionnements démocratiques, il importe de comprendre le lien indissociable qui existe entre la société et les individus. La définition de démocratie parle d’elle même : elle est un système de rapports établis au sein d’un groupe, lequel est lui-même entretenu par les membres de ce groupe et où les avis de ceux-ci sont pris en compte à tous les niveaux. Selon J. Zask, à la manière des potagers, il importe de développer dans nos démocraties la participation personnelle couplée à une action de groupe. L’une et l’autre sont dépendantes et reposent entre elles afin de permettre le bon fonctionnement de cette « société potagère ». Accepter la responsabilité politique et sociétale de l’individuation de ses membres, c’est arrêter de dissocier l’individu de la société et de les rendre indépendants l’un de l’autre. Individuation n’est néanmoins pas une forme d’isolement et
d’individualisme, il s’agit bien au contraire de favoriser une forme d’indépendance qui permettrait parallèlement le développement social de l’individu. Le jardin partagé offre une expérience sociale. Il permet l’entretien et la création de cette sociabilité, d’éviter l’isolement, de restaurer les compétences sociales des individus et de leur permettre de reprendre contact au travers de cette société potagère. L’agriculture et potagers urbains sont, selon Joëlle Zask, le lieu parfait pour la mise en place de tels fonctionnements sociétaux. La relation à la terre est entre autres considérée comme une sorte de jeu auquel l’on ne sait jamais si l’on gagnera ou non. C’est cette incertitude qui est à la source d’un sentiment de solidarité et de complémentarité au sein de la communauté potagère, soudée face aux aléas climatiques.
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Selon cette vision, il est essentiel d’intégrer cette typologie urbaine au centre des réflexions d’aménagement du territoire. Intégrer au sein de la ville de tels équipements publics peut impacter les relations au sein des métropoles de manière conséquente, développer de nouvelles dynamiques sociales et nous aider à refaçonner le système dans lequel nous vivons.
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B – LE COMPROMIS DE LA CITÉ-JARDIN I - LA CITÉ-JARDIN Nous avions rappelé plus tôt les effets du nouvel essor de la ville industrielle et l’impact considérable qu’a cette période sur la croissance de l’urbain, mais également sur le niveau de vie des populations locales. Avec l’arrivée massive des industries, les conditions de vie se dégradent rapidement et les nouvelles populations ouvrières arrivées en grand nombre sont contraintes de s’entasser dans une ville où l’air pollué et l’insalubrité font rage.
Entre ville et campagne
Ebenezer HOWARD, Garden Cities of Tomorrow, S. Sonnenschein & Co. Ltd, London, 1898.
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Pour pallier ces problématiques urbaines naissantes s’amorcent des réflexions sur une autre façon de concevoir le territoire et d’imaginer la ville de demain. L’Angleterre, qui est à l’époque l’un des pays les plus affectés par l’industrialisation urbaine et précoce comparativement au reste de l’Europe, est le foyer de
Les avantages de la Cité-Jardin
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Ebenezer HOWARD, Garden Cities of Tomorrow, S. Sonnenschein & Co. Ltd, London, 1898.
ces théories. C’est notamment Ebenezer Howard qui constitue la figure forte de ce mouvement de réflexion sur un nouvel urbanisme et une nouvelle manière de concevoir la ville. Il développe en 1898 dans son célèbre ouvrage « Garden Cities of Tomorrow1 », le concept de cités-jardins qui propose un entre-deux ; une urbanisation alliant à la fois les avantages des métropoles en matière de services et d’équipements, mais aussi ceux de la campagne pour des raisons de bien-être et de production alimentaire. Le territoire n’est ainsi plus soit urbain ou rural, mais ville et campagne à la fois.
1 Ebenezer HOWARD, Garden Cities of Tomorrow, S. Sonnenschein & Co. Ltd, London, 1898.
Fragment de plan d'une Cité-Jardin
Ebenezer HOWARD, Garden Cities of Tomorrow, S. Sonnenschein & Co. Ltd, London, 1898.
Parallèlement à ces réflexions, en Grande-Bretagne également, le professeur d’urbanisme Raymond Unwin, autre figure forte de cet urbanisme récent fait apparaitre l’importance du lieu et du cadre de vie sur la santé mentale des résidents. En 1909, dans son ouvrage « Town Planning in Practice2 », Raymond Unwin décrit qu’il voit dans les planifications urbanistiques de la cité-jardin le potentiel qui permettrait le développement d’un sentiment d’appartenance et d’une collectivité. Un urbanisme qui offre aux habitants la participation à une vie sociale et l’adhésion à une communauté. C’est aussi, selon lui, un moyen de pallier aux problèmes d’alcoolisme, en forte croissance dans les classes ouvrières de l’époque. Raymond Unwin participe d’ailleurs à la création de
2 Town planning in practice; an introduction to the art of designing cities and suburbs, Raymond Unwin, 1909.
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la ville de Letchworth Garden City, qui est la première ville au monde développée sur le précepte de citéjardin. Ce modèle de cité-jardin, selon Howard, fonctionnerait grâce à la constitution d’unités de vie autonomes. Ces unités seraient disposées à distance des centres industriels tout en conservant un accès facile à ces derniers par la mise en place de réseaux de chemins de fer et de canaux performants. Howard prévoit qu’une ville conçue selon ce schéma pourrait accueillir jusqu’à 30 000 personnes et détiendrait tous les services et activités nécessaires. Les maisons seraient entourées généreusement de verdure, comme si nous les avions disposées au centre d’un parc organisé. Les constructions seraient placées au sein de ce qui forme le territoire et contrairement au modèle urbain classique, s’y adapteraient sans vouloir le dominer ou l’effacer. On y retrouverait aussi des écoles, des bibliothèques, mais également des espaces de cultures maraîchères au sein même de la « ville ». Le centreville serait d’ailleurs formé d’un grand parc également recouvert en partie par des zones cultivables. Les industries, usines et locaux d’activités, eux, se retrouveraient en périphérie de la ville, à proximité du chemin de fer qui délimiterait le pourtour de la ville. Renouer et reprendre possession du territoire est abordé ici comme un moyen d’améliorer la qualité de vie des populations urbaines. La réintégration des jardins au sein même du plan urbanistique y est clairement mise en avant comme un outil vecteur de bien-être et créateur d’un esprit communautaire. C’est aussi un moyen de consommation réfléchie du territoire, qui ne tend pas à opposer un modèle d’urbanisation à l’autre, qui renoue ces deux modèles, urbains et ruraux, qui ne s’entendaient alors pas jusque là. C’est un levier qui permettrait de régler le problème d’utilisation du territoire puisque l’un ne dominerait pas son contraire, mais fonctionnerait davantage en symbiose avec son égal.
Carte postale du Logis-Floréal
Photo issue de : Bruxelles, ville d’art et d’histoire : Les Cités-jardins, Le Logis et Floréal par Laure Eggericx et Yves Hanosset, Direction des monuments et sites, Région de Bruxelles Capitale, p.12.
II - LE LOGIS-FLOREAL : LE « QUARTIER-JARDIN » BRUXELLOIS
Ce nouveau « quartier-jardin4 » est édifié en 1922 suite à l’association de l’urbaniste Louis Van der Swaelmen et de l’architecte Jean-Jules Eggericx. L’histoire de ces quartiers-jardins belges est également en partie anglaise, car J-J. Eggericx trouve refuge en Grande-Bretagne durant la Première Guerre et y
3 Degraeve J-M., La cité-jardin, un modèle durable ?, Les Cahiers nouveaux N°82, pp. 45-48, Août 2012, p46.
4 Qualifié ainsi par l’urbaniste Louis Van der Swaelmen lui même.
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Suite notamment à l’apparition de la Première Guerre mondiale, le schéma a du mal à se concrétiser dans nos régions et s’essouffle rapidement. La Belgique ne connaît malheureusement pas de ville entièrement développée sur le principe de la citéjardin sur ses terres. Elle voit malgré tout apparaître certains fragments de « faubourgs-jardins3 » dans certaines périphéries et banlieues urbaines. Durant l’entre-deux-guerres notamment, un total de 21 de ces fragments sont construits à travers la périphérie bruxelloise. L’un des projets les plus représentatifs de ce mouvement prend d’ailleurs forme dans le sud de la région bruxelloise. Il se dénomme le Logis-Floréal, et est situé encore aujourd’hui dans la commune de Watermael-Boitsfort à Bruxelles.
Carte postale du Logis-Floréal
Photo issue de : Bruxelles, ville d’art et d’histoire : Les Cités-jardins, Le Logis et Floréal par Laure Eggericx et Yves Hanosset, Direction des monuments et sites, Région de Bruxelles Capitale, p.2.
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est rapidement influencé par les nouvelles utopies architecturales et urbanistiques montantes à cette période. Lors de son retour au pays, il a un impact considérable dans la défense de ce modèle, dans lequel il voit lui aussi une solution d’avenir. L’urbanisation des différents plateaux prend forme sous un ensemble de compositions urbanistiques très variées qui vues en plans peuvent parfois sembler chaotiques, mais qui révèlent en réalité une attention particulière au site. Les différentes plaines, vallée, plateaux, pentes, accueillent chacune une place, un chemin, une rue, des maisons, un ensemble de logements, ou une tour en fonction de ce qui semblait le plus approprié à Louis Van der Swaelmen. L’urbaniste tente alors de développer un ensemble organique, formé de l’association des caractéristiques du terrain et de l’environnement à la recherche de spatialités intéressantes. Le travail de l’urbaniste se réalisait d’ailleurs majoritairement sur le terrain même, revendiquant l’importance du travail in situ pour le développement de projets qualitatifs et en lien avec le territoire. Territoire et sol qui se retrouve dans les maisons et autres bâtisses construites à l’aide de briques fabriquées sur le terrain même utilisant la terre du site afin de diminuer les frais de construction. Le travail est assez réussi et une traversée du quartier nous offre un panel de maisons, parcs, jardins, équipements publics, aux typologies variées. On remarque l’influence anglo-hollandaise dans
l’architecture des habitations ; fenêtres à guillotine, portes colorées, bow-windows, maisons couplées deux par deux avec un peu de terrain autour, et très peu d’immeubles.
III - LE JARDIN COLLECTIF DU CHANT DES CAILLES La nature fait partie intégrante du projet de la cité-jardin du Logis-Floréal à Boitsfort. En passant par les kilomètres de haies, de pelouses, jusqu’aux dizaines de vergers, pommiers et autres arbustes, la nature constitue ici l’élément liant de toute la cité. Entre urbain et forestier, la cité est même parfois qualifiée « d’écotone5 », terme utilisé en biologie afin de qualifier des zones où la transition entre deux écosystèmes amène une richesse biologique plus grande que chez chacun d’eux pris séparément6.
Lors d’une visite dans le quartier les vestiges de ce système nous apparaissent encore aujourd’hui.
5 Zone de transition et de contact entre deux écosystèmes voisins,
telle que la lisière d'une forêt, une roselière, etc. (Les écotones ont une faune et une flore plus riches que chacun des deux écosystèmes qu'ils séparent, et ils repeuplent parfois ceux-ci.)
6 Bruxelles, ville d’art et d’histoire : Les Cités-jardins, Le Logis et Floréal par Laure Eggericx et Yves Hanosset, Direction des monuments et sites, Région de Bruxelles Capitale.
7 En référence à « Less is more. » Formule emblématique de Mies van der Rohe et symbole du courant moderniste.
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Dans cette cité d’architecture moderniste, où tout ornement est normalement proscrit7, la nature prend pourtant la place d’ornement central. Le projet du Logis-Floréal intègre en son sein un ensemble de parcelles dédiées à la culture de la terre. Il est possible d’encore apercevoir un ensemble de plaines parsemées entre les habitations qui étaient autrefois utilisées comme source de production fruitière et légumière. Les arbres habituellement utilisés comme décoration dans le reste des rues de Bruxelles endossent ici un rôle alimentaire généralement absent dans le reste de la capitale.
Plaine du Logis-Floréal Dans son état actuel (2018)
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Photo issue de : Bruxelles, ville d’art et d’histoire : Les Cités-jardins, Le Logis et Floréal par Laure Eggericx et Yves Hanosset, Direction des monuments et sites, Région de Bruxelles Capitale, p.44.
Les légumes ont laissé place à l’herbe, mais il est toujours possible d’apercevoir une quantité importante d’arbres fruitiers, pour la plupart encore productifs. Nous distinguons dans ces petites plaines isolées de la rue et entremêlées avec les logements, des noyers, pommiers, cerisiers, pruniers, framboisiers, muriers, etc. Un ensemble d’arbres qui nous projettent dans l’imaginaire d’un passé où les familles s’organisaient entre voisins pour la récolte des fruits durant les chaudes soirées d’été. C’est dans l’un de ces havres de paix, nous faisant presque oublier que nous sommes au cœur de la capitale belge, que des citoyens ont relancé une production maraîchère qui avait alors jusque là disparue. L’avantage de ce site, contrairement à la plupart des potagers qui profitent habituellement des résidus urbains, se trouve notamment dans la qualité de son sol. En effet, il est fréquent de retrouver des problèmes de pollution des sols en ville. Ceux-ci compliquent souvent la mise en place de potagers en pleine terre et forcent le financement de certains moyens d’assainissement ou de surélévation des cultures afin d’éviter toute contamination. Or, ici la qualité du sol de la parcelle du Chant des Cailles est irréprochable. Cette qualité rare en ville découle en réalité de sa
Plaine du Chant des Cailles Photo personnelle, 2018
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qualification en 1922, lors de la création du quartier, en espace dédié à une zone cultivable et protégeant ainsi le lieu de toutes formes d’interventions autres que maraîchères. Nous sommes ici dans un cas particulièrement privilégié comparativement aux autres initiatives de potagers urbains bruxellois. En effet, ces derniers s’installent le plus souvent dans des friches ou des délaissés urbains souvent non réfléchis ni prévus pour accueillir ce genre de fonctions. Ils se retrouvent généralement sur des espaces où les usages passés ne laissent derrière eux qu’un sol abimé et pauvre. Les friches industrielles offrent par exemple des parcelles de tailles intéressantes, mais ne laissent souvent qu’un sol pollué et de mauvaise qualité derrière elles8. Cette parcelle prévue pour la culture possède également l’avantage de pouvoir bénéficier d’un large espace, qualité rare souvent enviée par le reste des potagers urbains. Le Chant des Cailles exploite en effet une parcelle d’un peu plus de 2 hectares, taille hors norme quand on sait que la majorité des potagers urbains se situent habituellement en dessous d’un hectare. Cette grande envergure permet au collectif du Chant des Cailles de se développer sous trois pôles principaux. Le premier, qui occupe la majorité de la parcelle est dédié à une exploitation maraîchère en bio gérée par des professionnels du métier. Pauline, Ann, Caro, Martin, David et Maarten constituent l’équipe de maraîchers et gèrent l’ensemble des cultures de ce pôle. En 2014 ils ont réussi à produire jusqu’à 50 variétés de légumes différentes et ne cessent d’augmenter la production chaque année. Les locaux sont également invités à participer bénévolement à l’entretien des cultures, mais ne sont pas totalement responsables du lieu. Ces maraîchers professionnels
8 Rémy, E., Branchu, P., Canavese, M. & Berthier, N. (2017). Les risques sanitaires liés aux jardins collectifs : l’expertise sur le sol urbain en débat. Lien social et Politiques, (78), 49–69. DOI :10.7202/1039338ar.
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Plan et représentation des différents pôles de la Ferme du Chant des Cailles Document issu du site de l'ASBL : http://www.chantdescailles.be/ medias/cartes-et-plans/
L'équipe des maraîchers
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Photo issue de : http://www.chantdescailles.be/
gèrent et s’occupent de l’ensemble de la parcelle toute l’année tandis que les résidents, moyennant souscription à un abonnement, sont autorisés à venir cueillir librement les fruits et légumes lors des différentes périodes de cueillettes de l’année. Ce système fonctionne bien, car il permet de produire à un rendement plus élevé que dans les potagers collectifs et de fournir un plus grand nombre de personnes en produits frais. Le potager compte d’ailleurs aujourd’hui un nombre de 310 personnes abonnées à la cueillette, ce qui dépasse largement les proportions des autres initiatives potagères bruxelloises. Le deuxième pôle est une surface dédiée à l’élevage de moutons et à la production laitière. Nous aborderons ce pôle plus précisément dans le chapitre dédié au Bercail, car c’est une branche particulière du Chant des Cailles qui mérite qu’on s’y attarde plus amplement. Le troisième pôle utilise le principe des jardins collectifs qui est habituellement plus répandu dans les initiatives potagères. Il s’agit ici d’un ensemble de parcelles autogérées par l’ensemble des habitants désireux de participer à son entretien. Le rôle de ce jardin n’est pas uniquement la production de légumes, fleurs ou fruits, contrairement à l’espace géré par les
Récoltes des maraîchers Photo personnelle, 2018
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maraîchers professionnels, mais plutôt le partage et la création d’un sentiment communautaire au sein du voisinage. Une voisine au champ a par exemple développé un espace dédié à la découverte de plantes médicinales, tandis que d’autres font pousser des parcelles de fleurs comestibles. L’espace permet aussi d’accueillir les enfants des écoles aux alentours et de leur faire découvrir les plaisirs du travail de la terre. Sur un morceau de la parcelle, les voisins gèrent un compost pour le quartier, mais organisent aussi des apéritifs et autres événements de quartiers. C’est donc grâce à des décisions urbanistiques prises il y a presque un siècle de cela que le jardin collectif
du Chant des Cailles, en raison de sa situation dans un espace dédié, planifiée et pensée pour accueillir de la culture maraîchère, bénéficie d’un terrain aux qualités idéales.
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Dans un contexte d’urbanisation grandissante, où la ville tend vers une généralisation du territoire, l’intégration d’espaces réservés à la culture sur sol dans le plan urbanistique de la ville révèle donc ici toute son importance. Cette implémentation en amont permet la conservation et le maintien de zones saines et aux dimensions adéquates. Ne pas les intégrer dès maintenant c’est prendre la décision de le regretter plus tard.
C - LE RENOUVEAU DES JARDINS FAMILIAUX I - LES JARDINS OUVRIERS À la même période que les cités-jardins apparaissent les premières réflexions sur les jardins ouvriers. Ceux-ci font partie intégrante du projet de nouvel urbanisme que propose Ebenezer Howard, et sont perçus comme des outils émancipateurs pour la population ouvrière défavorisée de l’époque. « … ce fils de paysan trace son sillon avec la lenteur obstinée de ceux qui ont labouré la terre. Ses “jardins ouvriers”, détestés du patronat, n’ont pas pour seul but d’offrir au salarié des villes un peu plus d’air pur, une aide alimentaire contre la cherté de la vie, mais une sorte de réhabilitation par le contact avec le sol. »1 Marguerite Yourcenar
Photo issue de : Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p.66.
1 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p17.
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Ouvriers au jardin
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Aux alentours des années 1893, dans la ville d’Hazebrouck, petite communauté francophone située en Flandre française, l’idée de développer des jardins collectifs ouvriers émerge alors dans la tête de l’abbé Lemire. L’abbé Lemire est à l’époque une figure reconnue dans la région dans sa lutte pour l’amélioration des conditions de vie ouvrières. Nous sommes au début de la révolution industrielle et avec elle apparait le développement rapide d’une classe sociale ouvrière pauvre et peu prise en charge par la société. Face à la misère morale et financière de ces populations, l’abbé Lemire entreprend une carrière politique avec comme volonté principale de résoudre cette grande question sociale et tente tout au long de sa vie d’adoucir les relations et conflits entre patrons et ouvriers, grandissant à l’époque au même rythme que les inégalités. Ses luttes politiques permettent notamment la mise en place du repos hebdomadaire, la création des allocations familiales et la réglementation sur les heures et conditions de travail. L’abbé Lemire était un fervent défenseur des jardins ouvriers et croyait profondément au bien qu’ils pouvaient apporter à la société de l’époque. À travers plusieurs témoignages, il annonce d’ailleurs que de tous ses projets, les jardins collectifs sont de ceux qui lui tenaient le plus à cœur et à travers lequel il voyait les changements les plus importants2. Il ne cesse de parler et de promouvoir cette initiative jusqu’à sa mort en 1928. Afin de soutenir cette forme de jardinage populaire, il crée en 1896 la Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer. La même année, le révérend père L. Gruel, en accord avec les idéologies de l’abbé Lemire crée lui aussi l’équivalent de la ligue sur le territoire belge. Le développement de ces jardins à travers le
2 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p16.
territoire Français a néanmoins plus de succès, au point de former une ceinture verte autour de la capitale française. Durant la Première Guerre mondiale, cette ligue est chargée par le Ministère de l’Agriculture de gérer et créer un ensemble de jardins à travers la France afin de répondre aux problèmes d’importations dus aux conflits de l’époque. Cette période a un impact considérable sur la multiplication des jardins ouvriers, au point qu’en 1920 la Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer en recense plus de 47 000 dispersés dans tout le pays3. C’est durant cette période qu’on rebaptise l’initiative sous le terme plus général de jardins familiaux.
Plus tard, à partir des années '90, un regain d’intérêt pour les jardins familiaux se fait sentir à nouveau. Le jardin n’est alors plus uniquement regardé comme un soutien alimentaire, mais de plus en plus comme un moyen de retrouver les liens perdus au sol et à la nature et comme outil de création de lien social.
A — UNE AIDE ALIMENTAIRE Le premier avantage assez évident des jardins ouvriers est l’apport supplémentaire en nourriture de qualité que permettent ces espaces. Ils permettent en effet un apport considérable de légumes frais tout au long de l’année à des populations aux situations financières compliquées qui n’ont pas toujours les moyens de manger à leur faim. Une étude de la Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer remarque sur ses jardins une variation assez importante des cultures entre chaque famille. La part du potager sur
3 http://www.jardins-familiaux.asso.fr/histoire.html
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À travers cette multiplication les jardins font parler d’eux et trouvent un franc succès chez les politiques de l’époque. Ils ne cessent d’ailleurs de croitre jusqu’aux années '70, années où le développement explosif de l’économie mondiale a un impact sur la diminution du nombre de parcelles.
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la surface du jardin serait inversement proportionnelle aux revenus du ménage, mais le choix de légumes varie également entre chaque foyer. Moins les revenus de la famille sont importants et plus le potager est étendu sur la surface disponible afin d’augmenter la production alimentaire. Les familles plus aisées en revanche elles, préfèrent conserver une large partie du jardin pour des activités de détente plutôt que maraîchères. On note, en outre, d’après les témoignages de l’époque que les familles ne soulignent pas seulement l’avantage économique que leur procurent les jardins, mais surtout l’occasion d’obtenir des produits frais et la possibilité de jardiner. Seule une minorité de foyers (4 % des jardiniers interrogés dans l’étude faite par la Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer4) considèrent le jardin comme un moyen de faire des économies. Il devient donc difficile de dissocier le plaisir et les valeurs amenées par le produit du travail au jardin de l’avantage économique qu’il amène.
4 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p144.
Part du potager dans le jardin, en fonction du revenu annuel du ménage. Graphique issu de : Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p144.
B — LES VALEURS DU JARDIN La classe ouvrière est vue comme le foyer du mal-être social, physique et financier. Les conditions de travail de l’époque, n’étant pas régulées comme aujourd’hui, posent question quant au bien-être physique et mental de cette population. L’alcoolisme fait rage à cette époque et constitue un problème important pour la société. Le jardin ouvrier s’avance alors comme un élément capable de réparer cette santé ouvrière. Le travail de la terre et ses bienfaits sur l’homme sont à nouveau possibles dans ces espaces qui avaient jusque là disparu des régions urbaines.
« Les hommes qui n’ont ni feu, ni lieu ni attache à la profession, ni lien au sol, arrivent plus facilement que d’autres à n’avoir ni foi ni loi. Ils errent au hasard de par le monde, victimes de la loi de l’offre et de la demande, et ils aboutissent fatalement dans les grands centres où les attendent les désillusions et les désespoirs. »6 Documents parlementaires sur la proposition de loi sur le bien de famille, 1894. D’autre part, on commence à poser des questions quant aux impacts qu’aurait le travail à la chaine présent dans les industries. Georges Friedmann, spécialiste de la sociologie du travail, aborde cette thématique en 1950 dans son ouvrage « Où va le
5 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p25.
6 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p23.
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« Le XIXe siècle a été le siècle de l’industrie, il faut que le XXe siècle soit celui de la terre. La concentration des populations dans les usines a tué la foi et ruiné la vigueur de notre race. On y remédiera comme on pourra par l’organisation du travail et l’apostolat de l’usine, mais il faut avant tout remettre nos travailleurs en contact avec la terre et l’air pur des champs pour relever leur force morale comme leur santé physique. »5 Abbé Dehon
travail humain ? ». Il observe les effets de l’industrie moderne et les modifications que celle-ci amène sur le rapport au travail. Les tâches répétitives et dépersonnalisantes que crée la fabrication industrielle tendrait à générer de l’ennui et de la fatigue accrue chez l’ouvrier.
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« Ainsi le pain que mange l’ouvrier dans l’industrie moderne n’est plus gagné à la sueur de son front, il n’est plus désormais payé de sueur […]. Mais la vieille malédiction demeure. Seule la formule en a changé : tu gagneras ton pain dans la tristesse et l’ennui »7 Georges Friedmann La répétitivité des opérations abrutissantes, le bruit du lieu de travail, et la cadre qu’offrent les industries tendraient à retirer toute forme d’intérêt pour la tâche dans les yeux du travailleur. Cette forme de travail lui enlèverait tout espoir de pouvoir un jour échapper à son destin. L’exécution de ces actions découpées et divisées empêcheraient toute forme d’épanouissement intellectuel et personnel. La santé mentale de l’ouvrier reposerait donc à présent sur les activités externes au lieu de travail. Le jardin est alors revendiqué comme vecteur d’une autre forme de travail, plus libre et créatif, en opposition au travail dépersonnalisant présent dans les industries. Ce mode de production dépersonnalise l’ouvrier, au point d’accentuer le développement d’un phénomène d’individualisation de la société. L’ouvrier sans opportunités autres s’isole alors et sa santé mentale se détériore d’autant plus. À la manière dont les jardins familiaux sont perçus au XXe siècle comme une solution au mal-être, les jardins collectifs se caractérisent comme moyens efficaces de ramener cette socialisation au cœur des villes contemporaines. Les jardins familiaux et
7 Extrait de : Donner un sens à la plainte de fatigue au travail, L’Année Sociologique, vol. 53 (2003), n°2, pp.459-486), Marc LORIOL, Laboratoire Georges Friedmann (CNRS-Paris I).
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Travail collectif
Photo issue de : Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, CrÊaphis, 1996, p.179.
collectifs accueillent des fêtes et autres événements, des espaces couverts communs sont aménagés, des concours horticoles sont organisés, des cortèges et autres défilés aux revendications sociales prennent source dans les potagers, un lieu où la vie du quartier est possible. Le potager n’est plus seulement vu comme un lieu à simple fonction alimentaire, mais offre aussi un espace de rencontre et de rassemblement.
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Un autre argument en faveur du potager collectif est sa capacité à organiser une « société » nouvelle au sein du voisinage. En raison du travail groupé que nécessite le jardin collectif, des communautés de jardiniers se créent d’elles-mêmes et organisent une société entre familles et voisins à partir de laquelle émergent des idées et projets communs. La particularité de l’espace du jardin ouvrier se caractérise aussi par la collectivité de cet espace. On s’éloigne ici des concepts de propriété privée au profit d’une approche de propriété collective. Le terrain respecte à la fois les notions d’espaces privatisés, capables d’accueillir les développements personnels de chacun, tout en restant également un espace collectif, disponible à tous et où chacun participe à son bon développement.
Carte de jardinage
Graphique issu de : Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p.41.
L’abbé Lemire considère cette « propriété collective » indispensable et comme l’unique moyen d’apporter un correctif social aux inconvénients qu’amène la propriété privée. Elle permet de former une société organisée, alors que la propriété absolue, individualiste, à la romaine, peut faire peser un « joug intolérable »8.
C — LA MODESTE MAISON DE CAMPAGNE
En 1913, c’est ce qu’observe Jules Huret, journaliste au Figaro, dans les jardins ouvriers allemands de l’époque : « Une villégiature à loyer modéré : les ouvriers y battissent une cabane et y passent en famille la fin du samedi et la journée du dimanche. L’été, beaucoup d’entre eux y viennent même chaque jour après leur travail. Autour de la cabane, le locataire a pincé la terre, semé des graines, et de la verdure grimpe le long des barrières et des planches, et radis, salades, fleurs remplissent l’espace laissé libre par la cabane. C’est la villégiature des ouvriers. Ici,
8 Cabedoce, B., Pierson, P., Cent ans d'histoire des jardins ouvriers. Grâne, Créaphis, 1996, p24.
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Le troisième avantage du jardin ouvrier que prône la Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer est son impact quant au vécu de l’habitation ouvrière. Le jardin ouvrier devient une forme d’extension de l’espace domestique, un complément de l’habitation. Le jardin permet de développer un espace de retrouvailles pour la famille lors des jours de congés. Les habitants s’approprient le jardin, créent des cabanes en matériaux de récupération qui prennent rapidement des allures de petites maisons. Ces bicoques dépassent progressivement la simple fonction de stockage pour le jardin. Nous y retrouvons parfois des petites chambres et une cuisine. Le jardin joue alors le rôle d’une seconde résidence, d’une modeste maison de campagne.
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pas de pavillon officiel pour les réunions de comité, pas de rond-point pour les jeux gymnastique, pas de professeurs, pas de jardiniers royaux. Tout simplement des petites baraques bâties en vieilles planches de démolition dans des bouts de terrain sablonneux. L’homme, en bras de chemise, cloue scie, rabote avec une amoureuse industrie sa pauvre cahute. Je visite l’une de ces bicoques. Elle se compose de deux pièces minuscules : une chambre à coucher avec deux lits, l’un pour le père et la mère, l’autre pour les cinq enfants, et d’un coin pour la cuisine. Comme il fait chaud, on fait la cuisine en plein air ; derrière la cabane, au-dessus d’un petit poêle en fonte, mijote le café de cinq heures ; sur une table des bols de fer émaillé, du pain noir et raisiné pour la collation. La famille vient ici tous les samedis soir et y passe la journée du dimanche.»9 L’espace est finalement le bienfait le plus marquant de ces jardins ouvriers. Ces lieux ouverts offrent un contraste intéressant et un certain confort par rapport aux grands ensembles denses où viennent
9 Jules Huret dans : Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999.
Cabanon
Photo issue de : Jules Huret dans : Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999.
s’entasser les populations défavorisées. Les jardins sont des espaces ouverts, où l’on peut se promener en toute liberté et prendre le temps de se rencontrer. Néanmoins, sorti du schéma de l’habitation et de l’espace privatisé, le jardin est collectif. Il permet la création d’un lieu appartenant à tous, mais à personne à la fois.
II - LE PARADIS VERT
Ces jardins gérés par la région héritent donc du nom au passé chargé, mais ne peuvent pas être réellement comparés aux jardins ouvriers dans leur organisation et objectifs sociaux. Ce potager est également un cas particulier par rapport aux initiatives citoyennes que nous avons abordées, car il appartient à Bruxelles-Environnement qui s’occupe de la gestion du site et de la distribution des parcelles aux habitants locaux. La région gère encore un ensemble de 12 « jardins familiaux » qui
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Située sur la commune d’Auderghem, en bordure du parc du Rouge-Cloître, la parcelle des jardins du paradis vert constitue les vestiges de ces jardins familiaux. On y retrouve un ensemble de parcelles individuelles, toutes occupées et exploitées. La région qualifie ces potagers de « jardins familiaux », mais l’organisation de ces derniers diffère quelque peu des jardins ouvriers ou des potagers issus d’initiatives citoyennes répandus aujourd’hui dans le reste de la capitale. L’accent y est mis sur l’individualité et chacun dispose de sa parcelle clairement délimitée. Habituellement, dans les initiatives potagères citoyennes, l’on assiste à une organisation plutôt horizontale, avec une gestion communautaire de l’ensemble du potager, des équipements communs, etc. Certes, on retrouve également des parcelles individuelles, mais les distinguer devient plus difficile, les limites étant moins clairement définies et souvent négociables.
Projet d'abris pour les jardins de Villejuif à Paris
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Renzo Piano, 1989.
représentent 280 parcelles individuelles, soit un total 2,5 ha dispersés à travers la capitale. Les avantages de cette gestion par « le haut » sont multiples et permettent notamment d’assurer le maintien des parcelles dans le temps, de ne plus craindre l’expulsion, peur que l’on retrouve communément dans les autres initiatives potagères. Grâce à ce statut permanent, la commune s’autorise parfois aussi à la création de projets architecturaux qui augmentent le confort et le vécu de ces espaces. C’est le cas par exemple des jardins familiaux de Villejuif à Paris. Dans ces jardins, la mairie a été jusqu’à convier l’architecte Renzo Piano afin de redessiner les espaces potagers et de construire un ensemble de cabanons aux larges toitures permettant la mise en place d’un système de récupération d’eaux de pluie efficace10. Les jardins potagers prennent des apparences d’espaces publics à part entière. Lors de leur traversée, on croise des équipements semblables à ceux retrouvés dans les parcs. En passant par des bancs, des lampadaires, des chemins balisés, des cabanons propres, jusqu’aux plantes bien rangées, tout semble avoir sa place. Les jardins sont ainsi rangés sous le même statut qu’auraient les équipements publics officiels de la 10 Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999, p62.
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Des potagers aux apparences d'espace public Photo issue de : Jules Huret dans : Ballangé, R., Ballangé, G., Ditschler, S., Des jardiniers, hors la ville, dans la cité?, Paris, Ed. du Linteau, 1999, p.62.
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ville ; on s’en va travailler au jardin comme l’on irait au parc un dimanche après midi, ou à la piscine communale. Mais dans d’autres cas, cette gestion de la région peut avoir des inconvénients quant à l’utilisation des potagers. L’accès y est parfois restreint et l’appropriation des lieux peut y être limitée. C’est le cas des potagers du Paradis Vert, où les utilisateurs n’osent pas se permettre la construction d’une serre, d’un rangement à outil, ou la création de bancs et de balançoires11. Sur le site, on aperçoit uniquement des parcelles de terre, bien alignées et délimitées. Ici, pas de décorations ni d’autres ajouts qui dans d’autres initiatives manifestent l’appropriation des lieux par les habitants. En effet, nous sommes loin de l’image plus libre du jardin collectif citoyen. Les règles imposées sur ces espaces compliquent également l’organisation d’activités autre que la culture de sol comme les réunions ou fêtes de quartier, bourses aux graines, etc. Ce choix accentue l’impression d’orientation productive plutôt que sociale que met la région sur ces potagers. Malgré tout, le regain d’intérêt pour ce genre d’espaces potagers se fait réellement sentir aujourd’hui. En effet, l’ensemble des parcelles sont continuellement sur liste d’attente, et les intéressés doivent généralement patienter plusieurs années avant se voir octroyer un lopin de terre. Les Bruxellois devenus friands du moindre centimètre de terrain accessible à la culture, qui semble toujours plus rare. Il s’avèrerait donc intéressant d’exporter ce modèle à plus de communes et de multiplier leurs présences à travers les différents quartiers bruxellois. Il importe néanmoins de repenser le fonctionnement de ces espaces, car cette limitation à une zone de culture seule et individualisée efface les relations et les interactions possibles qu’autorisent 11 Le règlement de Bruxelles Environnement sur ces jardins familiaux détermine les matériaux autorisés dans le potager, interdit les constructions et va même jusqu’à l’interdiction d’utiliser certaines plantes ou semences : https://environnement.brussels/sites/default/ files/201712_regleslisteattenteattributions_fr-nl.pdf
généralement les potagers. Diversifier et multiplier les activités possibles sur ces lieux c’est en réalité les enrichir et les dynamiser en tant qu’espaces publics communautaires.
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D - LA NATURE EN VILLE I - LA BIOPHILIE Comme l’explique bien John Muir, écrivain américain luttant pour la défense et protection de la nature, la présence d’éléments naturels est essentielle au bien-être de l’espèce humaine: « Thousands of tired, nerve-shaken, over-civilized people are beginning to find out that going to the mountains is going home; that wildness is a necessity; and that mountain parks and reservations are useful not only as fountains of timber and irrigating rivers, but as fountains of life. Awakening from the stupefying effects of the vice of over-industry and the deadly apathy of luxury, they are trying as best they can to mix and enrich their own little ongoings with those of Nature, and to get rid of rust and disease.1 »
Les bienfaits de la présence d’éléments naturels ont été étudiés à de maintes reprises par les scientifiques. On retrouve des études explorant l’importance des plantes sur la diminution du stress3; des expériences où la vue seule sur de la verdure a des bienfaits immédiats sur
1 Muir, J., Our National Parks, University of California Press, 1991(1901).
2 Wilson, E., O., , Biophilia, Harvard University Press, 1984. 3 Dijkstra, K.; Pieterse, M.E.; Pruyn, A. Stress-reducing effects of in-
door plants in the built healthcare environment: The mediating role of perceived attractiveness. Prev. Med. 2008, 47, 279-283.
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Ce besoin primaire est reconnu par les scientifiques, depuis les années 1980, qui le décrivent sous le terme de Biophilie. Le socio-biologiste Edward O. Wilson est d’ailleurs l’un des premiers à développer ce terme en 19842. Selon lui, l’être vivant serait né avec une nécessité de chercher des liens avec les éléments naturels qui l’entoure. L’homme aurait un amour inné pour le vivant, profondément ancré dans ses gênes. Que ce soit parmi d’autres animaux, ou des végétaux, nous aurions besoin de nous retrouver au sein d’autres formes de vie.
la réduction de sensation de douleur chez les patients4. L’idée de devoir prendre soin et de faire attention à un autre être vivant est aussi un moyen de détourner l’attention de nos souffrances et angoisses. Certaines études montrent même l’impact positif qu’ont également les plantes sur notre efficacité au travail à travers leur pouvoir relaxant et reposant. Ces propriétés relaxantes diminuent ainsi le nombre de plaintes de fatigue et augment la productivité générale dans le bâtiment concerné5.
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L’usage de la nature a d’ailleurs aussi toujours fait partie de la médecine. On retrouve par exemple à travers l’histoire des traces d’usage des premières plantes médicinales en Chine ancienne, 3000 ans avant J.-C.. Ou encore d’une utilisation de la campagne comme lieu de repos loin des villes pour les malades en Grèce antique où ses vertus sur le bien-être étaient déjà bien connues à l’époque6. Il faut néanmoins attendre les années '80 pour connaître les premières théorisations sur le sujet. Les effets bénéfiques de cette nature se retrouvent dans une des plus fameuses études du biologiste Roger S. Ulrich, qu’il publie en 1984. Ulrich y démontre l’impact positif sur la convalescence des patients sortis de chirurgie qu’a une simple fenêtre à vue sur un jardin7. L’étude démontre une nette amélioration chez les patients séjournant dans l’une de ces chambres à vue sur jardin. Les malades bénéficiant de cette chambre avec vue consomment moins d’analgésiques, font moins appel aux aides-soignants et se rétablissent plus rapidement que les patients dans les chambres
4 Lohr, V.I.; Pearson-Mims, C.H. Physical discomfort may be reduced in the presence of interior plants. HortTechnology 2000, 10, 53-58.
5 Larsen, L.; Adams, J.; Deal, B.; Kweon, B.-S.; Tyler, E. Plants in the workplace: The effects of plant density on productivity, attitudes, and perceptions. Environ. Behavior 1998, 30, 261-281.
6 Pringuey-Criou, F., Introduction au concept de jardins de soins en psychiatrie, Healing garden: Primary concept, L’Encéphale, Paris, 2015.
7 Ulrich, Roder S., View Through a Window May Influence Recovery from Surgery, 1984.
disposant seulement d’une fenêtre sur cour.
II - L’HORTITHÉRAPIE L’hortithérapie, traitement à l’aide de l’horticulture, utilise les préceptes de la biophilie et est reconnue comme un outil thérapeutique efficace pour soigner les patients en hôpital psychiatrique. Le travail au jardin est utilisé comme réelle séance de soin sur les patients. Les patients projettent leurs problèmes et craintes sur la végétation à travers la plantation et l’accompagnement de ces plantes dans leur croissance. Ce type de soin a l’avantage de ne pas être transmis par un thérapeute, mais de mobiliser les ressources internes de l’individu. La personne se soigne en réalité elle-même par ce travail du sol, ce qui lui permet de se doter d’outils et de mécanismes afin de prendre soin d’elle-même. Les bienfaits du travail au
8 Hettema JM, Annas P, Neale MC. A twin study of the genetics of fear conditioning. Arch Gen Psychiatry 2003;60(7):702—8.
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Récemment, une étude8 démontre que nos réactions à l’environnement qui nous entoure sont liées directement à des facteurs génétiques présents dans notre ADN. Ils étudient ici la réaction de jumeaux présentés à différents contextes et prédateurs et déduisent de ces expériences que la génétique a une influence d’environ 45 % sur le comportement et les émotions ressenties par ces jumeaux, face à ces éléments naturels. L’étude met ainsi clairement en avant le caractère indispensable et ancré de notre besoin relationnel avec cette nature et nous rappelle l’importance qu’elle a dû avoir à travers l’histoire de notre évolution. Ainsi nous observons à quel point la relation HommeNature serait ancrée au plus profond de nous et liée à l’histoire de notre évolution. Au caractère indispensable qu’aurait ce lien pour le maintien de notre bien-être mental et physique de par son inscription définitive dans nos gênes.
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jardin sur les relations humaines, la gestion affective et le développement de la créativité sont également prouvés.La création de potagers et jardins dans les espaces de soins serait donc essentielle au bon traitement des patients et afin de lutter contre leur souffrance psychique. L’augmentation d’études, depuis les années '80, sur les bienfaits du jardin illustre la reconnaissance progressive de par la communauté scientifique et démontre les bienfaits réels et son importance pour le soin des patients. Néanmoins, son insertion dans l’imaginaire collectif et son intégration dans la conception en amont de projets architecturaux prennent du temps. On assiste à l’apparition croissante d’associations qui proposent une série de formations permettant la bonne mise en place d’un jardin à fonction thérapeutique ; c’est le cas de l’association française, Belles Plantes, qui a pour but de promouvoir la réinsertion de la nature en milieu hospitalier. Anne Ribes, infirmière et jardiniste, qui fonde en 1997 cette association croit dans l’importance de la remise du jardin au centre même de la conception architecturale d’institutions telles que les hôpitaux, maisons de retraite ou centres psychiatriques. Elle recherche, à la manière dont s’installent aussi les potagers urbains, des interstices ou espaces inutilisés aux abords des hôpitaux et tente de changer l’image souvent grise de ces lieux. C’est une manière de ramener une forme de vie dans des espaces souvent associés à la tristesse et la maladie.
III - LA FERME DU BERCAIL La ferme du Bercail, située en plein centre de la commune de Watermael-Boitsfort, est une sousbranche de la ferme du Chant des Cailles, spécialisée dans l’élevage de brebis. La ferme dispose d’une trentaine de brebis qui permettent la production et vente de lait frais, de fromages et de yaourt. La vente de ces produits es le principal moyen de financement de ce projet et permet l’entretien de la ferme ainsi que
Brebis au Bercail Photo personnelle, 2018
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la création de deux emplois plein temps. Mais l’un des objectifs de la ferme du Bercail, qui va au-delà de la simple production laitière, est notamment de ramener en ville une partie de pratiques et expériences naturelles jusque là disparues des centres urbains. En effet, la ferme fonctionne beaucoup grâce au bénévolat et propose régulièrement aux habitants du quartier et à toute personne désireuse, de participer aux différentes étapes de récolte, de traite, mais aussi de production fromagère. On y apprend à récolter le fumier, nourrir les bêtes, traire une brebis, fabriquer son yaourt, sa ricotta, son fromage, mais aussi à tondre les moutons et à tisser avec leur laine. Il est également possible d’y suivre des formations plus longues pour y
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apprendre le métier d’éleveur de brebis et de fromager. Afin de faire sortir les moutons vers les habitants et ainsi permettre au projet de toucher plus de personnes, bénévole ou non, le bercail a inauguré au printemps 2018 le projet « Meet de mout, la schaap parade ». Ce projet est une initiative de la ferme qui tente à travers une série de mini-transhumances des moutons au sein de Bruxelles, d’à la fois modifier notre vision de l’espace urbain et de réalimenter des conversations liées à l’agriculture en ville. La transhumance c’est une technique ancestrale qui consiste traditionnellement en la migration du bétail d’une prairie d’hiver vers des pâturages d’été. Elle permet l’engraissement et la reproduction du troupeau, mais fait partie des techniques considérées comme de l’élevage durable, car elle permet le maintien équilibré des paysages. Les moutons sont d’ailleurs à travers cette transhumance parfois utilisés efficacement pour la tonte et l’entretien des parcs et autres pelouses de la ville. En effet, depuis l’interdiction de l’usage de pesticides dans les espaces publics de la capitale, le nombre de plantes envahissantes peut parfois poser problème, les moutons et chèvres offrent alors une piste intéressante afin de débroussailler gratuitement ces espaces. Lors de ces transhumances, les citoyens sont invités à promener et guider les brebis depuis la ferme, jusqu’aux parcs du centre-ville, donnant ainsi naissance à des images qui avaient jusque là disparues de l’imaginaire des habitants de la capitale. Les notions de rapport au vivant et de biophilie sont ici les maîtres mots des projets mis en avant par la ferme du Bercail. Il s’agit de normaliser des pratiques qui nous semblaient alors jusque là impossibles dans un cadre urbain. Et nous permettre ainsi de repenser notre manière d’utiliser la ville, de la concevoir, de l’imaginer et de la rêver. "Meet de mout, la schaap parade" Photo personnelle, Printemps 2018
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E – L’ÉCOLE AU POTAGER I - POTAGERS SCOLAIRES L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est formelle, la création et intégration de potagers dans le système éducatif permettrait d’améliorer le niveau nutritionnel des enfants et de leurs familles dans les régions urbaines des pays en développement. Ces potagers éducatifs permettraient aux étudiants, dès le plus jeune âge, d’apprendre les pratiques en lien avec le travail de la terre au sens large. On y aborde le sujet du maraîchage et de la culture de
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Premiers cours de botanique Photo issue de : Center for Ecoliteracy, A Guide for Creating School Gardens as Outdoor Classrooms, 1997, p.8.
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légumes, mais également la préparation en cuisine des fruits de leurs travaux. Les potagers ouvrent donc une porte intéressante afin d’aborder avec les élèves des multitudes de questions et problèmes liés à l’alimentation durable. La FAO y voit également un moyen d’apprendre le respect de l’environnement et de l’autre. Un lieu qui permet le développement de ses capacités sociales, mais également d’épanouissement personnel, piliers essentiels de l’éducation primaire et secondaire. L’intégration au sein de l’école d’un potager de petite taille, mais disposant d’un ensemble de variétés multiples de fruits et légumes et d’animaux de bassecour permettrait aux enfants de s’approprier l’espace et de, par la suite, reproduire les gestes appris au potager familial ou communautaire proche de chez eux. Bruxelles-Environnement semble également avoir bien compris l’importance de ces potagers éducatifs, car depuis 2016 la région propose un accompagnement et une série de formations gratuites pour les enseignants désireux de créer un potager au sein de leur école. Cette initiative est née avec le lancement de l’initiative Good-Food qui a notamment pour objectif de modifier les habitudes alimentaires des urbains et le mode de production en ville, changement qui passe aussi par une éducation des générations futures. Afin de permettre un bon suivi, Bruxelles-Environnement soutient financièrement l’ASBL TournesolZonnebloem, aussi appelée le Centre Régional d’Initiation à l’Écologie. Cette ASBL organise des séries de formations pour les enseignants, des suivis de projets de potagers scolaires et propose également des visites de classes. Lors des cycles de formations pour enseignants, ceux-ci apprennent comment organiser correctement un potager, où l’installer et dans quels contenants. Ils y voient aussi comment assurer un suivi correct tout au long de l’année et des saisons ou encore comment fabriquer et s’occuper d’un compost. L’ASBL offre aussi une série de formations plus poussées pour
les adultes, liés à une école ou non. Les personnes désireuses d’apprendre les divers secrets d’un potager bien entretenu, peuvent y voir les bases de la botanique, de la production de semences, ou encore comment aménager un jardin avec la faune de nos régions, etc.
II - LA FERME DU PARC MAXIMILIEN Difficile de s’imaginer une ferme en plein centre-ville. Pourtant, c’est à deux pas du canal et à quelques minutes seulement du quartier aux grandes tours de verre du centre de Bruxelles que se trouve ce petit havre de paix, caché et encore peu connu des
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Sam au pied des tours
Photo personnelle, Ferme du Parc Maximilien, 2018
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urbains. Nous imaginons en effet difficilement une ferme, là au pied de l’ancien quartier industriel de la ville, en face de l’ancienne industrie Citroën, et où les bâtiments ne descendent pas en dessous de 6 étages. La Ferme du Parc Maximilien amène à travers cette situation une image insolite, une tentative courageuse de ramener des semblants de campagne au cœur même d’un schéma fondamentalement urbain. Un endroit où, au pied des tours illuminées l’on peut apercevoir des chevaux, chèvres, moutons, pommiers, cerisiers… un dernier bastion d’une riche biodiversité sertie de béton. Créée en 1988, l’ASBL la Ferme du Parc Maximilien s’éloigne ici des objectifs productifs qu’aurait une ferme traditionnelle, la volonté de l’ASBL étant de créer un pôle principalement éducatif pour la ville. Elle ne fonctionne d’ailleurs uniquement grâce à des subventions publiques de la région, et ne produit pas suffisamment pour la revente ou pour nourrir les animaux présents sur le site. Cette volonté se ressent à travers les différents panneaux informatifs dispersés entre les légumes et à l’entrée des clos. Ici, on ne fait pas pousser pour consommer, mais pour apprendre. La Ferme se positionne comme un outil permettant de véhiculer aux jeunes et aux habitants du quartier des notions d’écologie, de respect de la nature, mais aussi de mieux comprendre le fonctionnement du monde de la ferme. La Ferme accueil quotidiennement différentes écoles et organise pour les élèves différentes séances d’éveil à l’écologie à travers l’observation, mais aussi l’entretien de la ferme. L’accès y est également ouvert à tous et totalement libre tout au long de la semaine. Les enfants sont invités à y nourrir et à s’occuper des animaux, semer légumes au potager et cueillir les fruits dans le verger. On y aborde différentes techniques, notamment des méthodes de permaculture comme la spirale aromatique, ou encore l’intérêt de fabriquer des hôtels à insectes en ville afin de favoriser la pollinisation. Le recyclage des déchets est expliqué à travers les différentes techniques de compostage
présentes sur le site, ou encore la transformation des eaux usées en eau propre à travers l’étang en phytoépuration. On y apprend aussi à récolter le miel des ruches du lieu, à fabriquer des nichoirs pour oiseaux… Les enfants y redécouvrent un plaisir primitif et simple, une forme d’apaisement magique jusque là disparu de la capitale. La Ferme permet d’aborder de manière concrète des sujets oscillants entre la biologie et l’écologie. C’est un lieu et un moyen efficace de sensibiliser les enfants à travers le vécu et les sensations plutôt que l’apprentissage traditionnel de l’enseignement en classe, assis devant un tableau. L’ASBL revendique
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Atelier compost
Photo personnelle, Ferme du Parc Maximilien, 2018
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cet apprentissage par le « faire », et comprend bien que l’on n’apprend pas à travailler la terre, à analyser et écouter comment fonctionne la nature, seulement en restant derrière un pupitre. Le jeune fait alors ses propres investigations au lieu de retenir des concepts et connaissances apprises en classe et se développe ainsi en tant qu’individu.
Se parler, écouter, se comprendre Photo personnelle, Ferme du Parc Maximilien, 2018
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4 - CONCLUSION Les initiatives potagères nous ont permis d’entrevoir et d’explorer, les différentes facettes et revendications présentes au sein de ces mouvements citoyens. Nous nous rendons dorénavant bien compte que la volonté productiviste de la région, qui annonce des objectifs de produire toujours plus en ville, n’est parfois pas compatible avec le maintien de certains projets. L’éducation
La santé et le bien-être Au-delà de la production d’aliment, ce travail nous a permis d’aborder l’importance de la nature en ville, l’existence de la biophilie et des besoins réellement essentiels et génétiquement ancrés au plus profond de nous ; de l’importance cette présence naturelle dans notre quotidien. Les projets de potager tel que celui de la Ferme du Bercail, et cette volonté du retour de la nature en ville nous ont laissés voir les potagers urbains comme des outils réellement créateurs de bien-être. Nous les avons également observés
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La rentabilité économique et la production alimentaire ne font en effet pas seulement partie des objectifs de l’activité potagère. C’est par exemple le cas que nous avons abordé de la Ferme du Parc Maximilien, qui oriente son projet essentiellement sur le partage de connaissances et l’éducation des citoyens bruxellois. La Ferme joue un rôle d’équipement d’utilité publique, lieu où l’on imagine mal l’intégration de notions de rentabilité productive par risque de venir affaiblir la volonté première du projet. Pourtant les ambitions de la Ferme Maximilien dépassent largement la rentabilité et des objectifs chiffrables, car elle fait le pari de former de nouveaux citoyens écoresponsables et écoconscients avec la volonté, à travers l’éducation, de changer progressivement notre société.
comme des moyens curatifs tant au niveau mental que physique de la population urbaine. Ou encore entrevus leurs pratiques jusqu’au centre-ville à travers les transhumances urbaines ; ces événements qui nous permettent d’imaginer un avenir différent en ville, où la nature retrouverait sa place.
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La biodiversité Nous avons aussi observé les potagers sous des apparences de berceaux de biodiversité, comme les symboles des derniers bastions défenseurs du tiers-paysage et gardiens d’un écosystème urbain fragilisé. Ou encore, dans le cas des jardins du LogisFloréal, comme des outils de création urbanistique de qualité, où leur entremêlement avec l’urbain donnerait naissance à de nouvelles manières de vivre et d’expérimenter la ville. Il nous est maintenant clair que leur intégration en amont dans l’urbanisation du territoire permet le maintien d’un sol de qualité et non pollué. Des espaces créateurs de participation citoyenne Nous avons aussi exploré les avis de certains philosophes et théoriciens quant aux effets des jardins collectifs qui y voient de réels outils créateurs de participation citoyenne. Des potagers qui à travers leurs organisations communautaires permettraient de réimaginer un fonctionnement sociétal plus démocratique et de redévelopper une interaction entre citoyens. Nécessité d’une intégration au sein des plans d’aménagement du sol Nous avons également observé des potagers en lutte, résistants contre une urbanisation écrasante. Des potagers incertains, vivant dans la peur de disparaitre, comme c’est le cas des jardins collectifs BoondaelErnotte. Des potagers aidés dans leur création d’un côté par les subventions régionales, mais avec, de
l’autre, le risque pesant d’être détruits par les projets immobiliers. Des projets à la situation paradoxale où les efforts de Bruxelles-Environnement qui ne semblent s’attaquer qu’aux problèmes de surface, peuvent parfois sembler vains. Nous avons pourtant bien vu à travers les travaux des étudiants de l’EPFL qu’une intégration des initiatives potagères au sein du plan d’aménagement du sol de la région est essentielle afin d’éviter leur disparition. De plus, cette représentation graphique permettrait enfin leur réelle prise en compte dans les discussions et débats publics. Face à une pression foncière grandissante, il importe de défendre ses bastions de verdures à travers une série de réglementations urbanistiques, notamment en représentant les potagers dans le Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS), outil de plus grande instance utilisé dans l’organisation urbanistique de la ville de Bruxelles. Repenser notre modèle d’urbanisation
Réimaginer l’espace public Repenser la ville c’est aussi réimaginer l’espace public, l’intensifier à travers différents usages et sortir du modèle uniformisé et aseptisé de la place. Multiplier les emplois et pratiques c’est permettre une appropriation réelle de ces espaces aux vocations communautaires. Les potagers s’illustrent ici comme des outils efficaces dans la création d’une typologie
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Mais il importe également de travailler sur le problème de fond, de repenser et de remodeler notre modèle d’urbanisation victime de la pression foncière, car c’est bien lui la source de ces disparitions et de la bétonisation du sol. Le remodeler à travers une série de réflexions architecturales de densification de l’urbain existant au lieu de continuer sur un modèle d’étalement entamé depuis trop longtemps. Nous savons maintenant que là où l’urbanisme a échoué, un travail architectural de précision peut alors se montrer comme un remède efficace.
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d’espaces publics fonctionnels et de qualité. Afin de repenser cette urbanisation il est tout d’abord essentiel de renouer contact avec le territoire, ce lien à la terre que nous, urbains, avons perdus. Comme le disait Alberto Magnaghi, développer les initiatives locales et repenser les interactions entre consommateurs et producteurs peut justement permettre ce changement dans la prise de conscience de notre rapport à ce territoire. Il nous permet aussi de reprendre connaissance de l’existence des saisons, des produits régionaux, etc. Le retour au local c’est nous conscientiser par rapport aux thématiques de consommation durables à travers une reconnexion au territoire. Les potagers pourraient alors également offrir une réponse intéressante dans la réformation de ces liens aux sols et faire partie de ce mouvement d’initiatives locales. Il importe de remettre les potagers au sein des débats sur la ville de demain, car aborder les potagers nous a permis d’entrevoir un champ de questions et problématiques qui vont bien au-delà de la simple notion maraîchère. Parler des potagers c’est parallèlement parler de la ville. C’est se permettre de la remettre en question et d’analyser ses défauts dans sa fabrication. C’est aussi se permettre d’imaginer un avenir urbain de qualité. En évinçant les potagers du débat, nous évitons en réalité l’ensemble de questions liées à ceux-ci. Or, si les potagers sont des éléments fondamentalement urbains, cela ne revient-il pas justement à exclure un ensemble de questionnements sur cette ville ? Les potagers offrent l’opportunité d’analyser l’ensemble de la métropole sous ses différentes échelles. C’est, à partir d’initiatives aux dimensions réduites, réussir à aborder des questions beaucoup plus larges d’aménagement du territoire et du bien-être citoyen et sociétal. C’est paradoxalement à travers ces initiatives encore petites en comparaison avec le bâti que l’on peut voir plus grand, plus large, plus loin et s’imaginer un avenir meilleur.
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