Memoire final

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La revalorisation du fleuve dans l’espace urbain adaptabilité et résilience


Couverture: Quais de l’Île de Nantes Thibault Moinard


La revalorisation du fleuve dans l’espace urbain adaptabilité et résilience Mémoire de fin d’études

2016

Thibault Moinard Design Lab Ville Durable Option Mutation du cadre bâti Ecole de Design Nantes Atlantique


ABSTRACT

L’importance d’un retour de la ville vers le fleuve est un sujet d’actualité dans lequel de nombreux acteurs interviennent. Le design est l’un d’entre eux. L’année 2015 a été une année très marquée par ce sujet, que ce soit à travers de nombreux débats ou encore lors des événements tragiques qui ont eu lieu en octobre, dans le sud-est de la France. Grâce à des témoignages d’habitants touchés par les innondations ou encore divers ouvrages, c’est dans une démarche de recherche qu’est né ce mémoire. Il cherche à montrer comment la relation entre la ville et l’eau a beaucoup évolué depuis la création des villes jusqu’au aujourd’hui, et, pourquoi la résilience semble être la méthode durable la plus adaptée.


The importance of the return of the city to the river is a topical subject in which many actors interacts, including designers. The year 2015 was marked by this topic, through many debates, and the tragic events which effected south-east France. In a research process and testimonies gathered personally in a city particularly hit by flooding, this report show the evolution of the relationship between the city and the river bank since the origins, and why the idea of the resilient city is the most sustainable method today.


SOMMAIRE

4 8 11

12

Abstract Introduction I – Premiers fondements de la relation entre la ville et son fleuve I.I L’implantation de la ville

28

Une relation à double sens Le fleuve, créateur d’un mode de vie.. … et d’une certaine topographie I.II Le symbole du fleuve dans la ville L’origine de l’image du fleuve, ... … et la représentation dans l’art. La cohésion spatiale entre la ville et de son fleuve I.III L’investissement du fleuve

28 30 32

12 16 17 18 18 20 24

L’eau, une ressource L’origine des « waterfront » Marqueurs de l’histoire


36

37 37 40 46 50

II – Changement de paradigme ; lorsque la ville se détourne de son fleuve II.I Le fleuve, une fracture urbaine

Un frein pour l’expansion La friche, prolongement du fleuve Une urbanisation à l’encontre du fleuve II.II Lorsque le fleuve devient un danger

60

Un manque de vigilance... … et ses conséquences La peur du fleuve II.III Le risque d’inondation

60 61 66

68

III - Un mode de vie adaptée aux zones inondables

50 52 56

600 km2 de zones inondables Un plan de prévention Un atout pour un nouvel aménagement ?

76 78 80

III.I Les différentes relations et modes de vies Vivre hors de l’eau ( prévention ) Vivre sous le niveau de l’eau Vivre sur l’eau III.II Un retour vers le fleuve depuis 1980 Vigilance Retour des espaces verts Anticipation

84

84 85 88

Protection Adaptation Résilience

91

Conclusion

69 69 70 74 76

94

III.III Vivre avec le fleuve

Bibliographie


INTRODUCTION A Nantes, en regard de la Butte Sainte Anne qui surplombe la Loire, on retrouve les quais, étrange lieu marqué par le passage du temps. Le décor est simpliste: des pavés usés, des rails de chemins de fer rouillé, deux grandes grues dressées l’une en face de l’autre à des dizaines de mètres de distance, quelques bouteilles de verre cassées, un hangar sinistre. Le quai,marqué par les vestiges d’une activité portuaire, semble orchestrer le tout. Les quelques herbes rebelles qui parviennent à pousser entre les pavés, comme cherchant la lumière, sont les seuls éléments de verdure à une centaine de mètres à la ronde. Assis sur le quai, les jambes au-dessus de l’eau, quelques curieux profitent du silence et de l’espace immense. Cet endroit, face aux lumières de la ville, semble hors du temps, immuable malgré l’effervescence grandissante des alentours. ​Le lieu décrit ci-dessus, connus par quelques visiteurs intrépides, n’existe plus aujourd’hui. En 2007, dans le cadre du grand plan de réaménagement et de mise en valeur de l’île de Nantes, la friche a été réaménagée pour servir la vie nocturne nantaise. Composée de dix-huit anneaux d’acier galvanisé de quatre mètres de diamètre, fixés sur d’anciens bollards du quai et éclairés la nuit par des LED de couleurs, l’oeuvre de Buren est la consécration de ce nouveau lieu. Le Hangar à Bananes est devenu en quelques années un lieu incontournable de Nantes.


Désormais repensée et replacée au cœur de la ville, la Loire redevient un atout pour Nantes. Grande place publique, elle expose toutes sortes d’événements nautiques comme l’arrivée du Belem depuis de nombreuses années, ou encore celui du maxi-trimaran Banque populaire en 2008 et du Tara en 2015. Outre les activités nautiques inhérentes à la vie d’un fleuve, la Loire offre aussi un panel d’opportunités aux plus créatifs. C’est ainsi qu’elle est devenue un lieu d’expression privilégiée pour la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe, originaire de Nantes, mais aussi un nouvel espace ouverts à de nouveaux services tels que le Bar rouge, dessiné par Olivier Flahault. Nantes n’est pas la seule ville à se retourner vers son fleuve ; d’autres villes Françaises telles que Dunkerque, Lyon ou encore Marseille ont aussi pris part à la réhabilitation de leurs quais. Mais comment cette volonté est elle apparue ? Pourquoi revenir vers cette relation entre le fleuve et la ville ? Depuis la création des villes, les relations que ces dernières entretiennent avec leur fleuve traversant n’a cessé d’évoluer. L’origine d’une ville est généralement en lien avec le fleuve, puisque tous les deux se complètent. Cette première relation est la base de toutes les grandes villes d’aujourd’hui. Cependant, lorsque l’activité autour du fleuve disparaît, et de ce fait l’intérêt que porte la ville à la proximité de l’eau, c’est une seconde relation qui s’est installée. Ce changement de paradigme a fait émerger des notions allant à l’encontre du fleuve, avec une urbanisation visant à faire « sortir » le fleuve de la ville. Aujourd’hui, les villes tentent de revenir à une relation en harmonie avec le cours d’eau, entre le respect de la nature, la proximité et la sécurité des usagers du fleuve.

Quel est le rôle du fleuve dans la ville d’aujourd’hui et par quels moyens pouvons nous le relier au milieu urbain ?


Ce nouveau mode de vie avec le fleuve repose sur des notions telles que l’adaptabilité et la résilience, qui font référence à la volonté de vivre avec le fleuve et non plus contre le fleuve. Selon le GIEC, une hausse du niveau de l’eau de 26 à 55 centimètres en moyenne est estimée dans le scénario le plus optimiste mais très peu probable, et entre 45 et 82 cm dans le scénario le plus pessimiste. Ces dernières prévisions sur la montée des eaux nous incitent à délaisser des solutions telles que les barrages, digues ou autres dispositifs allant à l’encontre du cours d’eau. Elles appuient l’intérêt de se tourner vers des solutions alternatives telles que la résilience, qui décrit la capacité de l’habitat à revenir à son état initial après une perturbation, et la transformation de l’habitat existant afin l’adapter son environnement et non l’inverse. ​ ​ Nous verrons dans ce mémoire les différentes relations qui se sont établies entre la ville et le fleuve, à commencer par les fondements de la cité sur les paysages fluviaux, puis le détournement de la ville, et enfin le retour actuel vers une politique plus responsable de la ville envers son environnement.


I Premiers fondements de la relation entre la ville et son fleuve


L’implantation de la ville L’implantation de la ville au bord du fleuve n’est pas un hasard. Au cours de l’histoire, les relations qu’entretiennent ces deux entités ont beaucoup évolué. Cependant, elles restent, aujourd’hui, encore très complexes.

Une relation à double sens

L’implantation en bordure de fleuve a plusieurs avantages. Il apporte tout d’abord une certaine sécurité. C’est, en effet un lieu facile à protéger. D’autre part, il représente une ressource variées pour la population et apporte aussi, grâce à la navigation, des routes commerciales alternatives, plus rapide que par les terres. Les activités artisanales, exercées dans les moulins et tanneries, tirent profit d’une implantation fluviale. St Etienne ou encore Amiens ont établi leur renommée grâce à la qualité de l’eau qui leur permettait de traiter l’acier et les fibres textiles.*1 La réputation de certaines villes tient parfois à leurs activités économiques . Nous pouvons notamment prendre l’exemple du quartier de la Petite France à Strasbourg, célèbre pour ses tanneurs, meuniers et pêcheurs, dont les affaires étaient permises par le passage d’un des bras de l’Ill.*2

*1 et *2 Janique Valy, Le fleuve ami ou ennemi de la ville ? Exemple d’urbanisation de zones inondables en Bretagne, 2012


En outre, le fleuve est aussi un excellent moyen de communication entre les différentes villes qu’il traverse. Les fleuves sont les artères d’un commerce varié, à travers lesquelles circulent toutes sortes de marchandises. L’histoire de Nantes, ville phare de la traite négrière à la toute fin du XVIIe et jusqu’au XIXe siècle, reste un exemple clé des possibilités que le fleuve apporte. En effet, la Loire a été le fleuve français le plus actif dans le commerce négrière, avec plus de 41% des expéditions négrières en partance de Nantes.*1 Il faut donc se représenter le fleuve, à l’époque de la création des villes, comme un moteur économique et un moyen de communication. C’est alors une relation à double sens qui s’installe : d’une part, de nouvelles activités émergent grâce à ce cours d’eau, et d’autre part, ce dernier se voit modifié par les infrastructures qui résultent de ces nouvelles activités. Aujourd’hui encore, on retrouve, le long des berges de nos fleuves, les vestiges de l’histoire de la ville.

*1 Eric Cabanas, Nantes, photographies originales de 1867 à nos jours, Victor Stanne, 1994



Le pont transbordeur Ă Nantes ( 1903 -1906 )


Le fleuve, créateur d’un mode de vie.. Pour choisir le lieu d’implantation de son habitation, l’homme a toujours pris en compte l’environnement, en analysant le relief et les conditions naturelles. Le cours d’eau, toujours considéré comme un avantage, reste cependant un élément plus ou moins domptable. Nous pouvons aujourd’hui distinguer deux types de rapports entre le fleuve et la création de nos cités. Dans un premier temps, certaines villes ont fait le choix – aussi pour des raisons défensives, l’eau faisant office de douves naturelles – de s’installer à la confluence de plusieurs fleuves. Généralement, ce type de rapport avec le cours d’eau perdure dans le temps lorsque celui-ci est dit « endormi » et dont les variations de niveau ne représentent pas un danger. C’est le cas de Quimper, ville bretonne bordée par l’Odet et le Stéïr.*1 Dans un second temps, lorsqu’un danger est envisageable, c’est un rapport de protection qui se met en place entre la ville et le fleuve lui-même. Ce dernier générant débordements et zones humides, la ville peut ainsi les tourner à son avantage dans un but protecteur. Rennes et son centre ville sont l’illustration parfaite de cette approche. Le centre ville est en effet plus en hauteur par rapport à la zone du marais, non considérée comme une partie de la ville à proprement parler avant. *2 À l’origine, les villes se sont adaptées à leurs fleuves et non l’inverse. C’est une culture à part entière, imposant un mode de vie particulier pour la cité et ses habitants.

*1 et *2 Janique Valy, Le fleuve ami ou ennemi de la ville ? Exemple d’urbanisation de zones inondables en Bretagne, 2012

Le pont transbordeur à Nantes ( 1903 - 1958 )


… et d’une certaine topographie En plus d’induire un mode de vie, le fleuve a aussi eu une grande influence sur la structuration de l’espace urbain. Dans l’organisation de la ville, nous retrouvons une topographie en trois parties qui correspondent aux statuts sociaux des habitants. Le long des voies d’eaux, s’implantent tout d’abord les infrastructures liées aux activités portuaires, puis en périphérie les logements des ouvriers qui y travaillent, souvent de manufacture plus modeste. Les espaces plus en hauteur et en retrait des nuisances sonores liées au cours d’eau abritent les logements les plus riches. Nous observons alors une nette dichotomie entre les « bas quartiers », parfois inondables, liés à une activité productive et habités par une population dite « pauvre » et les « hauts quartiers », exploités par une population plus aisée. Cette distinction entre les zones humides et putrides et les zones sèches et aérées est la racine de la division entre le travail et la distinction sociale. Principe organisateur des citées médiévales, c’est une constante de l’histoire urbaine européenne qui structure le développement économique et social de la ville. De plus, les usages autour du fleuve donnent un sens à suivre pour l’expansion de la ville. Les fleuves de moindre importance, dont le rôle majeur est lié à l’évacuation des déchets, offrent une implantation des habitations suivant le sens d’écoulement.Par la suite, grâce au mouvement hygiéniste, le rapport à l’eau va encore évoluer. Le fleuve est un des éléments primordiaux dans l’élaboration et l’implantation d’une ville, lui apportant un influx dans son développement économique tout en lui imposant certaines contraintes dans sa structuration et son mode de vie. Toutefois, certains villes ont réussi à s’adapter aux cours d’eau, entretenant ce rapport à double sens. Outre la rentabilité des activités économiques

*1 et *2 Janique Valy, Le fleuve ami ou ennemi de la ville ? Exemple d’urbanisation de zones inondables en Bretagne, 2012

Le pont transbordeur à Nantes ( 1903 - 1958 )


Le symbole du fleuve dans la ville Construites autour des fleuves principalement pour des raisons d’usage, bon nombre de villes doivent leur renommé et leur beauté à ce cours d’eau qui les traverse . Venise, Londres, Le Caire, Paris et bien d’autres encore ont une peinture, une chanson, une oeuvre à l’effigie de leur beauté mise en abime par le fleuve. C’est parfois même un lien suffisamment fort pour que la ville se façonne selon l’orientation du fleuve.

L’origine de l’image du fleuve, ... Dans la Bible et la mythologie, l’image du fleuve est déjà très présente. Dans la genèse, la chapelle Saint-Nicolas de l’ancien palais épiscopal de Die, abrite la mosaïque romane dite des quatre fleuves, qui est une représentation symbolique de l’univers. Genèse 2:10: Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. Genèse 2:11: Le premier s’appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de Havila, où il y a l’or. Genèse 2:12: L’or de ce pays est pur et là se trouvent le bdellium et la pierre de cornaline. Genèse 2:13: Le deuxième fleuve s’appelle le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush. Genèse 2:14: Le troisième fleuve s’appelle le Tigre : il coule à l’orient d’Assur. Le quatrième fleuve est l’Euphrate. *1Florent Patise, Inondation: Caprice de cours d’eau et un manque de vigilance de l’homme, 2010 (French Edition)


Quant à la mythologie, les fleuves sont des représentations du Royaume d’Hadès, autrement dit des enfers. Ils séparent le monde des morts du monde des vivants. Les deux principaux sont le Styx et l’Achéron, puis viennent s’ajouter leurs affluents, le Cocyte, le Phlégéthon, et le Léthé. La coutume voulait que l’on glisse une pièce dans la bouche des morts afin de payer Charon, le passeur qui leur faisait traverser les enfers dans sa barque jusqu’à l’autre rive. Le fleuve est dans l’histoire, un lieu de passage, souvent associé aux enfers ou au paradis. Au cours des siècles, ces images donnés aux fleuves ont été la source d’inspiration de nombreux artistes.


… et la représentation dans l’art. On retrouve deux grandes thématiques dans les œuvres associés aux fleuves et à l’eau de manière générale. Le cours d’eau est représenté en fonction de sa connotation soit comme le chemin des enfers, soit comme un lieu calme et paisible associé au paradis ou un lieu de recueil(lement ?. Dans l’oeuvre de John Martin, « Les plaines du paradis » ( 1853 ), le cours d’eau est une vaste étendue d’un bleu profond, calme et accueillant. Les plaines sont représentées comme un espace ou la nature n’as jamais quittée sa place. De la même manière, dans l’oeuvre « Le jardin des délices » de Jheronimus Bosh ( 1503-1504 ), la trace de l’homme y est absente, ou très peu représentée. Ces lieux à la connotation heureuse et paisible associent l’eau et la nature, en accueillant l’homme comme un visiteur. ​ A l’inverse, on retrouve dans les représentations de l’enfer ou des déluges, un aspect du fleuve beaucoup moins accueillant, et souvent associé à une architecture particulière.

*1Florent Patise, Inondation: Caprice de cours d’eau et un manque de vigilance de l’homme, 2010 (French Edition)


John Martin, « les plaines du paradis » ( 1853 )

Jheronimus Bosh , « Le jardin des délices » ( 1503-1504 )


Le tableau de Joachim Patinir (1510), « Le bac des enfers », dépeint le fleuve comme le lieu qui sépare le paradis d’un côté, et de l’enfer de l’autre. À gauche du tableau se trouve le paradis : un grand ciel bleu au-dessus d’étendues vertes à perte de vue, sur lesquelles se tiennent des anges et quelques animaux. La trace de l’homme reste très discrète à travers une architecture très pure, de ce qu’il semble être des dômes de verre. Les berges sont vierges de la présence de l’homme et l’eau y est calme et bleue. Au milieu du fleuve, un homme ( sûrement Charon ) debout dans une barque accompagné d’un être qui a l’aspect d’un enfant nu, rame en direction de l’autre rive. Il se dirige vers l’enfer, représenté par un ensemble chaotique à l’opposé de la berge d’en face : l’eau y est sombre et tumultueuse, agitée sous un ciel noir et inquiétant. Les grandes étendues vertes ont été remplacées par un paysage en feu, accompagnées d’une architecture en ruine, peuplée de créatures étranges. Cette architecture associée à l’enfer se retrouve dans d’autres tableaux tels que celui de Jan I Brughel (dit de velours), « Enée conduit aux enfers » ( début 17ème siècle ), ou encore « les enfers » de l’artiste Monsu Desiderio en 1622. On retrouve un paysage représentatif de l’époque, placé volontairement dans une situation chaotique. De grandes voûtes en ruine, et des berges qui se mêlent à la roche, font offices d’accueil pour les âmes damnées. Le fleuve est dans l’histoire, un signe de séparation entre le paradis et l’enfer. Deux endroits bien distincts de part leurs représentations et leurs connotations, parfois associés à la nature, parfois associés à une architecture difficile. Néanmoins, malgré ces représentations chaotiques des rives de l’enfer associé à une urbanisation désordonnée des berges, le fleuve est aussi un élément moteur dans l’urbanisation de la ville.


Joachim Patinir, « Le bac des enfers », (1510)


La cohésion spatiale entre la ville et de son fleuve L’une des premières relations évidentes entre le fleuve et la ville est la cohésion spatiale qui s’est établie entre les deux. Il est évident que le paysage fluvial est devenu structurant dans le projet urbain, dans la mesure où ce dernier est défini par les formes et les pratiques urbaines qui le composent.*1 La ville de Paris en est un très bon exemple, avec un système d’urbanisation qui joue avec la Seine à la fois de manière rigoureuse en s’alignant avec ses axes et ses lignes, et un aspect poétique qui a fait la réputation de Paris. « Toutes les grandes perpendiculaires de Paris sont organisées sur la Seine: l’École militaire, le Champ-de-Mars, la tour Eiffel, le Trocadéro. Il y a la magnifique mise en scène de l’Assemblée nationale jusqu’à la Madeleine, avec l’Assemblée nationale qui tourne la tête pour se mettre bien parallèle. Le musée d’Art moderne est construit de la sorte, tout comme les deux théâtres de la place du Châtelet. Il y a toute une histoire autour du fleuve et des bords du fleuve. La moitié du charme de Paris est sur la Seine. Le bonheur de la ville tient a` se retrouver perpétuellement a` traverser ce fleuve, à traverser un ciel incroyable.la magnifique mise en scène de l’Assemblée nationale jusqu’à la Madeleine, avec l’Assemblée nationale qui tourne la tête pour se mettre bien parallèle ».*2 Avant même la modification de l’espace par la création d’infrastructures liées aux activités établies autour du fleuve, la place de ce dernier dans le paysage est une ligne directrice pour n’importe quelle ville. Les villes françaises telles que Perpignan et Montpellier, traversées respectivement par la Têt et le Lez, en sont de bons exemples.

*1 Pierre Merlin, Françoise Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, PUF, 2000 *2 Rolland Castro, Vivre le fleuve, Nexity, 2006


Paris, île de la cité - 1739


Il suffit de regarder une carte ou encore les PLU de chacune de ses villes pour distinguer comment la ville s’est greffée au fleuve. Deux opportunités s’offrent alors. La première est la centralisation du fleuve dans la ville ; le cours d’eau étant le point de d’origine, les villes se sont ensuite étendus à partir de ce point, représenté aujourd’hui par les quartiers les plus anciens ( tels que le vieux Bordeaux, mais aussi pour citer d’autres exemples, le quartier de la citadelle à Lille, le centre-ville de Caen, ou encore le quartier Bouffay à Nantes ). Ensuite, vient l’organisation de l’urbanisation de manière générale. On distingue en visualisant le PLU, que les grandes lignes directrices des axes d’une ville répondent aux axes et aux courbes de leurs fleuves, le plus souvent parallèlement et perpendiculairement. C’est le cas de Bordeaux. L’avenue Thiers et le boulevard Alfred Daney, se répondent des part et d’autre du fleuve, ainsi qu’avec les axes qui le traversent, tel que le pont de Pierre dans l’alignement de l’avenue Thiers, ou encore le pont Jacques Chaban Delmas. Cette organisation résulte d’une logique visant à relier les deux rives du fleuve par le pont le plus court possible, c’est-à-dire le plus perpendiculaire possible par rapport à son axe. On peut alors se demander si l’on retrouve des similarités entre les villes ayant un fleuve orienté de la même manière selon l’orientation du fleuve. Après une rapide comparaison entre plusieurs villes françaises généralement basées sur un plan radio-centré, mais aussi avec des villes étrangères telles que des villes américaines basées sur un plan en damier, on retrouve des points communs sur l’adaptation des grands axes en fonction de l’orientation du fleuve. Par exemple la ville d’Angers en France, la ville de Maastricht aux Pays Bas ou encore la ville de Memphis aux États Unis, ont pour point commun l’orientation de leur fleuve Nord -Nord Est / Sud - Sud Ouest, ainsi que l’orientation de leurs axes principaux. La Seine, comme bien d’autres fleuves qui traversent les villes, est à la fois une fracture dans la structuration urbaine, mais aussi un repère géographique pour ses habitants, et une source d’inspiration pour les artistes.

*1Florent Patise, Inondation: Caprice de cours d’eau et un manque de vigilance de l’homme, 2010 (French Edition)


Plan hippodamien de la ville de New York, respectant les grandes lignes du fleuve


L’investissement du fleuve Avec l’évolution des usages en lien avec le cours d’eau, les notions d’aménagement et d’urbanisation sont apparues. Ayant déjà utilisé le fleuve comme ligne directrice pour son urbanisation, la ville va dans un deuxième temps se tourner vers l’eau pour son utilisation en tant que ressource et moteur de nouvelles activités. Ces nouveaux usages ont aussi entrainé un nouveau paysage.

L’eau, une ressource Le mouvement du fleuve est une énergie intarissable, qui a permis à de nombreuses villes et industries de se développer considérablement. Les moulins à eau sont apparus avant les moulins à vent, puisque la plus ancienne machine à eau connue est représentée sur un bas-relief datant du III ème siècle, à Hierapolis en Turquie. Ce procédé apparaît en même temps que la disparition de l’esclavage, l’utilisation de l’énergie hydraulique plutôt qu’animale ou humaine permettant une productivité sans comparaison avec celle disponible dans l’Antiquité. Au début du XIIIème, siècle de nouvelles industries apparaissent, et l’activité des moulins se diversifie considérablement. Les plus habituelles, telles que la meunerie et la brasserie, d’autres usages apparaîssent ensuite grâce à des machines permettant de fouler les draps, de broyer des écorces pour obtenir du tan, d’aiguiser des outils ou encore de fabriquer du papier. Plus tard, au XVe siècle, la sidérurgie et la métallurgie connaîtront un développement extraordinaire.

*1 Marc Suttor, Vie et dynamique d’un fleuve: La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600, De Boeck, 2006


Le développement de certaines ville repose parfois sur une activité particulière. La renommée de la ville de Cugand en Vendée (85) repose sur l’activité de son moulin à foulage : « la construction de la machine destinée à fouler la laine, car il sut habilement profiter de la force mécanique, inutilisée jusqu’alors, que possédait la chute d’eau de la grève, pour mouvoir un moulin à foulon. Rien ne fut plus rudimentaire. Un arbre, muni de cames qui soulevaient et laissaient retomber tour à tour des pilons verticaux, des auges destinées à recevoir la laine, à l’intérieur desquelles retombaient ces pilons, un fort bâti en charpente contenant et reliant tout le système : telle fut la machine en question »*1

L’eau est un atout majeur pour une ville et une ressource utilisable en plusieurs points. Que ce soit pour son mouvement, ou pour sa qualité, le fleuve a toujours été profitable aux villes. Dans le sens inverse de la relation, le fleuve a reçu une modification de sa forme initiale et de son paysage, aujourd’hui appelé « waterfront ».

*1 Description d’un moulin à foulage par Jules Verne, « l’île mystérieuse »


L’origine des « waterfront » Grâce aux différentes utilisations que l’homme fait du fleuve, ses berges et son paysage se sont vus modifier au profit d’une meilleure ergonomie, ainsi que d’une productivité sans cesse croissante. En plus d’être un film Britannique réalisé par Michael Anderson en 1950, le terme « waterfront » désigne aujourd’hui dans le langage urbanistique, les quartiers qui longent le fleuve et qui ont un passé dans l’activité portuaire ou industrielle. Le fleuve a eu un fort impact sur la ville, mais l’inverse est réciproque. Si quelques activités telles que le foulage de draps, reposaient leurs infrastructures sur des barges flottantes, les autres ont eu recours à de lourdes modifications sur les berges. Les moulins et autres machines nécessaires à l’activité sont établis au plus près, parfois même à cheval, entre l’eau et la berge. Nous pouvons citer l’exemple des moulins, dont la création d’une cuve est indispensable au fonctionnement et à la conduite pour amener l’eau. Dans certains cas, la création de canaux modifiant le parcours de l’eau, permet l’implantation d’un plus grand nombre d’industries.*1 Dans un second temps, d’autres infrastructures sont mises en place pour l’accès des bateaux. On notera que la pratique aisée et habituelle de l’échouage explique le caractère tardif de leurs aménagements. Il faut attendre la seconde moitié du XVI ème siècle pour que l’on établisse des quais chaussés, empierrés et pavés, en appui sur des « battes ».*2

*1 Marc Suttor, Vie et dynamique d’un fleuve: La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600, De Boeck, 2006 *2 Janique Valy, Le fleuve ami ou ennemi de la ville ? Exemple d’urbanisation de zones inondables en Bretagne, 2012


« Une berge en pente douce permet toujours l’arrêt et l’amarrage des bâtiments, quelle que soit la hauteur des eaux. Dans le cas de la Meuse, il subsiste encore d’importants « rivages » à l’état naturel au début du XVI ème siècle à Liège, à la fin de ce siècle en amont du pont Maastricht, à la fin du XVII ème siècle à Huy et à Namur, et même à la fin du XIX ème siècle à Dinant. Mais on installe parfois des jetées ou des « nacelles d’appleitage », barques pontées et fixées à la berge, pour faciliter les manœuvres de chargement et de déchargement. On édifie aussi des digues ou battes, qui fixent les rives à proximité du chenal navigable, et permettent d’aborder dans de meilleures conditions de sécurité, qui protègent en outre quelque peu des crues. L’archéologie nous révèle la précocité de telles infrastructures : dès le V ème siècle, on stabilise ainsi la berge du Grognon à Namur. Bien plus, on y observe l’existence à la fin du VI ème siècle, puis dans la seconde moitié du VII ème siècle, des plans inclinés en pente douce et régulière pour la mise à flot d’embarcations.Ces aménagements, remarquables pour l’époque, s’inscrivent en perpendiculaire à la berge et consistent en un long chenal, aux flancs protégés de murets en pierre sèche et au fond revêtu de graviers. »*

* Marc Suttor, Vie et dynamique d’un fleuve: La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600, De Boeck, 2006


Marqueurs de l’histoire Les différents usages du fleuve dans l’industrie mais aussi dans le loisir ont entrainé une modification du paysage à commencer par les berges, sont aujourd’hui des marqueurs de l’histoire des villes. Selon l’utilisation, on retrouve une certaine typologie commune des berges, selon les activités de la ville. Les usages portuaires en sont un bon exemple. C’est en comparant les différents paysages qui nous entourent que l’on remarque à quel point l’activité conditionne l’aménagement des espaces. Ces derniers seront globalement aménagés de la même manière pour une meme activité en divers lieux. Il est facile de reconnaître des structures appartenant à une même activité : l’activité portuaire possède effectivement des infrastructures similaires, que ce soit dans la zone d’activité du port de Marsaxlock au sud de l’île de Malte, ou celles présentes sur les chantiers navals de St Nazaire par exemple. *1 Ces grandes tours de métal qui ont le rôle de parking pour des bateaux de grande envergure avaient remplacé les falaises blanches de la côte maltaise, exactement de la même manière que les grandes infrastructures des Chantiers de l’Atlantique. Si aujourd’hui nous utilisons la même technologie quel que soit le lieu d’implantation, il en était de même il y a des siècles. Cette homogénéité dans l’implantation des infrastructures nous permet de comprendre l’usage de ce qu’il en reste, en les comparant à ceux connus.

*1 Remarque personelle, Malte 2014


Port de Saint Nazaire, vĂŠritable ville dans la ville

Source inconnue


Les berges sont des marqueurs de l’histoire car elles sont associées à une époque ainsi qu’à une activité particulière, qui ont pu, elles, évoluer au fil du temps. Par exemple, dans de vieilles images d’archives de Nantes, les berges sont méconnaissables. À l’époque des négriers, ces espaces étaient constamment occupés par l’activité du commerce d’esclaves dans lequel Nantes à eu une place importante. Des années plus tard, ces quais ont été au service de différents types de commerces, nécéssitant des réhabilitations, qui entrainaient une modification régulière de ces espaces. Cela ppermettait effectivement de maintenir l’activité en s’adaptant aux nouvelles technologies. Aujourd’hui, souvent transformés en parkings, les quais à fleur d’eau réservés aux voiliers et autres navires de commerce, ont fait place à des espaces sans vie, laissant place à des bateaux hors d’activité, attractions touristique et vestiges historique de la ville.

La première relation évidente que l’on retrouve entre le fleuve et la ville, s’est établie lors de la création et du développement de ces villes. Les fondateurs des cités, attirés par l’utilité du fleuve, se sont largement appuyés sur celui-ci pour concevoir et développer un écosystème à part entière. Ces grandes lignes, qui lui donnent sa forme, répondent à celles du fleuve et forment une cohésion spatiale nécessaire à la circulation et au bon fonctionnement de la ville. Véritables veines formant un réseau entre les villes, les différents fleuves ont su, pendant un certain temps, accueillir les villes et les faire communiquer entre elles.


Nantes, Photographie originale de 1863 Ă nos jours...Eric Cabanas

Butte Sainte Anne Ă Nantes

Thibault Moinard

1903 2012


II Changement de paradigme; lorsque la ville se dĂŠtourne de son fleuve


Le fleuve, une fracture urbaine Le développement de la ville est aussi affecté dans la mesure où le fleuve est un obstacle entre les deux rives. La communication entre les deux parties distinctes de la ville n’est pas toujours aisée, ce qui nuit à la continuité du tissu urbain. Cette rupture dans la ville explique parfois son caractère asymétrique, et son développement urbain irrégulier entre la rive «de base» et la rive opposée. On retrouve cette typologie dans certaines villes de France, notamment à Nantes, où le centre ville historique au Nord de la Loire, fait face aux bâtiments récents et modernes de la rive opposée.

Un frein pour l’expansion On retrouve dans de nombreuses villes telles que Nantes, Bordeaux, Toulouse, Lyon etc.. un déséquilibre entre les deux rives. Le fleuve faisant office d’obstacle naturel avec un nombre limité de zones de franchissements, on observe une séparation très claire et une circulation particulière plaçant le centre de la ville au niveau du centre historique et non du centre « géographique ». Cette situation que l’on ne retrouve pas dans les villes sans fleuve, repose sur le nombre d’accès d’une rive à l’autre et à l’histoire de la ville. À bordeaux, La Garonne qui a une largeur de cinq cents mètres au coeur de la ville, forme une véritable coupure entre les deux rives, très différentes dans leurs configurations urbaines et géographiques. D’un côté la ville historique : des quais maçonnés et une voie à forte circulation. De l’autre, le quartier de La Bastide, envahi par des friches industrielles et ferroviaires avec quelques secteurs d’habitations, sans véritable façade sur le fleuve et des berges en pente douce envahies par la végétation.*1

*1 Gabriele Lechner , Le fleuve dans la ville, Octobre 2006


Néanmoins, la ville de Bordeaux a entrepris de demander à des architectes et des urbanistes, d’imaginer une façade moderne sur la rive droite de la Garonne, en miroir à la prestigieuse façade du XVIIIe siècle. Le projet aurait pour but d’équilibrer l’urbanisation des deux rives et d’intégrer le quartier de rive droite à la ville. En 2013, la CUB*1 a désigné l’architecte hollandais Rem Koolhaas lauréat d’un concours visant à créer le nouveau pont JeanJacques-Bosc. Un pont très large et esthétique qui enjambera la Garonne entre Bègles et Floirac. *2 Pour répondre à la problématique causée par ce déséquilibre, l’architecte et militant Français Roland Castro, explique dans une interview que la solution repose sur la manière de repenser les ponts.

« Au regard de notre projet, il est possible de créer une centralité de quatre ou cinq communes autour de ce pont, parce que c’est un pont habité, un pont construit. Au pied d’un édifice, à l’entrée du pont, il peut y avoir un théâtre ; dans un autre, il peut y avoir une mairie, de l’autre côté, un musée, etc. Ce projet reprend des centralitées existantes dans Paris. Il reprend d’ailleurs exactement, dans l’histoire de Paris, ce qui s’était fait avec le Pont-Neuf et avec tous les ponts de Paris qui étaient habités. C’étaient les lieux les plus centraux de Paris. Ces ponts habités sont construits en balcon sur la Seine. Au lieu de faire uniquement des lieux naturels au bord du fleuve, l’idée intelligente serait de faire des lieux urbains protégeant les milieux naturels. Il ne faut pas faire d’immenses lieux naturels sans vie urbaine. »*3

*1 CUB : Communauté urbaine de Bordeaux *2 Dossier de presse Pont Jean-Jacques Bosc, 13 décembre 2013 *3 Rolland Castro, Vivre le fleuve, Nexity 2006


Image du projet du futur pont Jean-Jacques-Bosc

PHOTO OMA CLÉMENT BLANCHET-REM KOOLHAAS


La friche, prolongement du fleuve Il semble aujourd’hui que le fleuve prend plus de place qu’avant, et ce, à cause de son environnement. Les friches sont les espaces autrefois réservés aux activités portuaires, qui se sont effacées progressivement du paysage urbain. Les techniques portuaires qui ne cessent de se perfectionner, connaissent au XIX ème siècle une évolution rapide. Pour des raisons nautiques ( des nouveaux navires avec des tirants d’eau de plus en plus importants ) et économiques ( un besoin croissant d’espace de stockage et de production au plus proche des zones de chargement ), les ports se sont éloignés du centre-ville et des bassins. *1 Cette tendance à déporter l’activité a eu pour effet un éloignement du fleuve vers la périphérie, et la création d’espaces qui se sont rapidement transformés en friche. Les berges sont alors délaissées du public, pour laisser place à de vastes parkings ou de simples friches industrielles, privilégiant l’éloignement entre la ville et le cours d’eau. Les zones industrielles sont à l’époque (avant 1980), des lieux perçus comme non propices à une nouvelle activité, et sont ainsi abandonnées à la nature.

*1 Gabriele Lechner , Le fleuve dans la ville, Octobre 2006


Brasserie Molson, MontrĂŠal

photo par B. HervĂŠ


À petite échelle, on peut observer dans la ville d’Isse, en Loire Atlantique, l’effet produit par l’abandon de l’usine Atlas traversée par le Don. En plein cœur de la ville, une industrie anciennement dédiée à plusieurs activités industrielles reliées au fleuve tel que la minoterie, la beurrerie, le textile et enfin le plastique ( pour usage industriel : bâche, emballages etc...). Avec plus de 700 employés dans les années 1970, l’usine Atlas s’étend sur plus de 8,5 kilomètres coincés entre le Don et le ruisseau de l’Herry, avec plus de 32000 m2 de bâtiments. En 2006, l’usine ferme ses portes à cause de la concurrence venue des pays d’Extrême-Orient. Depuis, les bâtiments n’ont pas bougé, l’usine s’est transformée en friche, et la nature ayant repris ses droits, le lieu est devenu un immense terrain encerclé par le fleuve, dans lequel cohabitent les vestiges des machines industrielles, les herbes hautes en tous genres, et parfois le Don qui investit une partie du site lors de fortes crues. On observe aussi ce genre de situation à plus grande échelle, dans la ville de Troye ou de Nantes par exemple. Sur la presqu’île ouverte sur la Seine en plein cœur de la ville de Troye, les locaux industriels de l’usine textile Fra For ont été abandonnés dans les années 1990. Les bâtiments datant du XIX ème siècle pour le rez-de-chaussée, et des années 1950 et 1970 pour les étages supérieurs, ont laissés place à une friche en plein cœur de la ville, créant un éloignement et un désintérêt pour une partie du fleuve. Le quartier du hangar à bananes sur l’île de Nantes abritait quant à lui, jusqu’aux années 1970 un espace dédié au stockage et au mûrissement des bananes importées principalement par voie fluvio-maritime depuis la Guinée. Après l’indépendance de cette dernière en 1958, qui entraina la rupture des relations commerciales avec la France, ce hangar est progressivement délaissé, au profit de la raffinerie Beghin Say, puis par quelques bureaux dans les années 2000. Toute la pointe est de l’île de Nantes devient alors un espace vide, traversé uniquement ou presque par des voitures.

*1 Informations recueillis auprès des habitants de la ville d’Isse, 2015


CREDIT PHOTO : THIBAULT MOINARD

Vue du hangar à bananes à Nantes Hangar de la friche Atlas à ISSE

CREDIT PHOTO : THIBAULT MOINARD


Dans ces trois cas, on retrouve un même schéma d’actions qui s’enchaînent, se combinent et entrainent un effet d’éloignement entre la ville et le fleuve. Avec le ralentissement de leur fonction économique, les villes ont associé ces espaces à une perte d’intérêts pour les villes qui les bordent. La priorité est accordée au transport routier depuis les années 1960, faisant des bords de fleuves un terrain de prédilection pour l’aménagement de voies rapides et d’autoroutes. Les berges présentent l’avantage de relever généralement du domaine public, n’entraînant par conséquent, pas de coût d’acquisition et d’éviction. Ces routes à forte circulation forment désormais des obstacles physiques entre la ville et sa voie d’eau, reléguant le fleuve au second plan, dans un au-delà visible mais inaccessible.*1

*1 Gabriele Lechner , Le fleuve dans la ville, Octobre 2006


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Une urbanisation à l’encontre du fleuve Lorsque les espaces en bord de fleuve sont abandonnés ou réhabilités, des modifications du paysage apparaissent, par la nature ou par les nouvelles infrastructures telles que des routes, ou encore par la disparition complète du cours d’eau. Dans certaines villes, des disparitions pures et simples de petites rivières par suite de leur recouvrement peuvent être observées ( Le Stéïr à Quimper par éxemple ). Cela s’explique en partie par le fait que ces petites rivières ont servie d’égouts ou de support d’activités polluantes. En zone urbaine, les interventions sur le cours d’eau sont variées ; endiguement, canalisation, re-profilage, enfouissement... Par exemple sur la commune de Rennes, la Vilaine comptait plusieurs bras, des méandres, et une végétation dense sur ses berges avant d’être re-profilée.*1 Au XIXème siècle, la ville de Lausanne en Suisse entreprend la construction du voûtage des deux rivières qui la traversent ( la Louve et le Flon) pour des raisons de salubrité, les crues étant fréquentes et trop importantes. Les deux cours d’eau ont aujourd’hui disparu dans les entrailles de la cité, seules les parties situées en amont de la ville sont visibles.*2

*1 Gabriele Lechner , Le fleuve dans la ville, Octobre 2006 *2 Antoinette Pitteloud, Lausanne: un lieu, un bourg, une ville, Presses Polytechniques et Univ. Romandes, 2001


Voรปtage du Flon vers 1874


On retrouve aussi ce type d’intervention à Nantes, avec le comblement de deux bras de Loire entre 1926 et 1946, ( bras de la bourse et bras de la madeleine ), et le détournement de l’Erdre dont le cours et l’embouchure ont été déplacés vers l’Est.*1 Ces modifications du parcours naturel de l’eau peuvent avoir pour effet de l’occulter et non de le sécuriser, entrainant parfois des dommages importants et imprévus lorsque le fleuve déborde. En cas de fortes pluies, son entrée et son calibre peuvent ne pas être suffisants. Les axes de circulation deviennent alors des cours d’eau secondaires lorsque la rivière passe pardessus, comme lors des inondations survenues dans la vallée du Gier début novembre 2008. *2 Les prévisions inquiétantes sur le futur niveau des eaux interrogent aujourd’hui sur la durabilité des constructions allant à l’encontre du fleuve. Dans les années 1970, certaines parties des grandes agglomérations autorisent la construction, dans certaines zones à risques, sans prendre en compte le passé de ces espaces. Il en résulte aujourd’hui des inondations inattendues par les habitants.

*1 Eric Cabanas, Nantes, photographies originales de 1867 à nos jours, Victor Stanne, 1994 *2 Janique Valy, Le fleuve ami ou ennemi de la ville ? Exemple d’urbanisation de zones inondables en Bretagne, 2012


Le quai Dugay - Trouin le long de l’île Feydeau à Nantes lors des inondation de 1904

Image tirée du livre Photographies originales de 1867 à nos jours d’Eric Cabans


Lorsque le fleuve devient un danger L’urbanisation autour du fleuve s’est beaucoup développée avant un mouvement de retour en arrière. Désormais très contrôlé, l’investissement des lieux en bordure de fleuve est depuis peu remis en cause. Les experts soulignent que près de 80% des catastrophes naturelles survenue ces dernières années avaient une origine météorologique ou hydraulique. En moyenne plus de 66 millions de personnes sont affectées par les inondations chaque année.*1

Un manque de vigilance... En France, le grand nombre de personnes affectées par les inondations est dû à un manque de vigilance et de connaissances à propos de leur propre lieu d’habitation. Des témoignages tirés d’un texte d’Audrey Aviotti, soulignent l’incrédulité des particuliers face aux événements ;

‘‘

- Il n’y avait jamais eu cela ici - Personne n’a vu cela, il y a des maisons en torchis, s’il y avait eu un risque, jamais ça n’aurait été construit. -Ici, on a eu quatre inondations depuis 1988, on circulait en bottes dans les rues, mais cette fois, cela a touché des gens qui n’avaient jamais été inondés.

‘‘

Cette réalité prouve un manque de savoir, mais également une inconscience face à l’ampleur du risque auquel ils sont exposés. Les personnes ayant vécu un certain temps dans ces zones ont une certaine connaissance et une « mémoire du risque » suffisante pour être capable de percevoir les signes précurseurs. Les nouveaux arrivants n’en ont parfois aucune. Un bien en zone à risques étant souvent difficile à vendre, la communication des dangers n’est parfois pas toujours clair.

*1Florent Patise, Inondation: Caprice de cours d’eau et un manque de vigilance de l’homme, 2010 (French Edition)


De plus, nous continuons de construire dans des zones à risques, en privilégiant la construction d’infrastructures allant à l’encontre de l’eau telle que des digues, ou permettant de détourner le fleuve de son lit initial. Ces modifications du cours d’eau ont parfois des résultats difficilement prévisibles à terme, puisque la perméabilité des sols s’en retrouve modifiée, et le fleuve peut alors prendre un nouveau cheminement aléatoire. En effet, ces infrastructures étant sans cesse confrontées au fleuve, il est facilement envisageable de croire à une durée limitée de leur solidité , en raison du phénomène d’érosion constante. Dans la ville de Redon en Ile et Vilaine, différentes mises en place d’infrastructures telles que des digues, ont tenté de résoudre le problème d’inondations en vain. Se situant à la rencontre de l’Oust et de la Vilaine, et étant traversée par le canal de Nantes à Brest, la ville se voit régulièrement inondée. Malgré cela, de grosses entreprises comme Leclerc et Décathlon se sont implantées sur des zones marécageuses qui avaient un effet absorbant lors des crues. Les parkings ont remplacé les espaces verts, capables d’accueillir une partie de l’eau. La crue n’étant plus absorbée ni ralentie, elle se propage alors dans de nouveaux espaces tels que le quartier de la digue à Saint Nicolas de Redon. De l’autre côté, plus à l’ouest, les départementales RD 775, et RD 775B ne peuvent plus assurer leur rôle de digue à cause des crues de plus en plus importantes. Dépassées, elles ont alors un effet inverse, celui de retenir l’eau dans un cul-de-sac : la zone portuaire de Redon.*1 À la suite de ces incidents, les habitants des villes de Redon et de Saint-Nicolas de Redon qui se font face de part et d’autre de la Vilaine, ont demandé à faire construire des murets de part et d’autre du fleuve. Seule la Mairie de Saint Nicolas à fait aboutir la demande, et la construction du muret s’est établie d’un seul côté de la Vilaine, repoussant un peu plus l’eau de l’autre côté. *2 Cet exemple démontre le manque de partage de connaissance et de vigilance sur une zone à risques. Les infrastructures mises en place dans un objectif de protection des biens et des personnes, ont eu un effet inverse sur le long terme. C’est pourquoi depuis 2007 seulement, toute digue de plus d’un mètre de hauteur et protégeant plus de dix personnes, est considérée comme « ouvrage de danger », et est soumise à une surveillance régulière. Ce décret concerne 5600 kilomètres de digues sur les 9000 enregistrés. *3 *1 Informations recueillis auprès des habitants de la ville de Saint Nicolas de Redon *2 Informations recueillis auprès des habitants de la ville de Saint Nicolas de Redon *3 Règlement CEPRI: Les collectivités en Europe pour la prévention du risque d’inondation


… et ses conséquences Les conséquences d’une inondation non anticipée sont parfois désastreuses, sur le plan économique et sur le plan humain. Les inondations sont responsables de plus de cinquante mille morts et affectent en moyenne soixante-quinze millions de personnes chaque année dans le monde. En France, selon le service public, en 2011, dix-huit millions cinq cent mille habitants sont exposés au risque d’inondation, dont 17,1 millions de résidents permanents. Entre 1999 et 2012, les inondations ont causé la mort de plus de cent cinquante personnes, et plus de trois milliards d’euros de dégâts pendant les plus grandes crues sur 13 territoires français. Dans l’historique de la France, c’est en 1856 que la crue la plus importante a touché les régions de la Loire, avec des dégâts s’élevant à six milliards d’euros, et plus de trois cent mille personnes touchées. *1 Plus récemment, deux inondations ont frappé la France, dont une en particulier qui a soulevé les questions de l’enjeu de la prévention et de la connaissance du territoire en amont de l’urbanisation. En Février 2010, la tempête Xynthia touche une partie du littoral Atlantique Français. Malgré le fait qu’elle ne présente aucun caractère exceptionnel avec des vents à 165 km/h, elle a pourtant été la plus meurtrière depuis les tempêtes de 1999, avec plus d’une cinquantaine de morts, et un grand nombre de dégâts matériels.*2 La question de la vigilance a été abordée en particulier à propos de la ville de la Faute sur Mer en Vendée, à la suite du recensement de 29 morts dans un quartier situé en dessous du niveau de la mer, protégée par une digue qui à cédée lors de la tempête. À la suite de cet incident tragique, l’état a racheté plus de sept cent mille maisons par sécurité, afin de les raser. Le chantier a débuté en Mars 2011.

*1 Selon L’INSEE *2 Propos recueillis dans des articles du Ouest France, Le Monde, et Presse Ocean


La Vendée submergée par les eaux

Regis Duvignaus pour PARIS MATCH 15 Octobre 2014


Depuis, la remise en cause de l’urbanisation est apparue comme une évidence. Comment était-il possible que les habitants de cette zone n’aient pas été préparés à ce genre d’événement.

Étaient ils tous au courant de leur situation ?

À la suite d’un procès et d’une enquête, on apprend que les années 2000 ont connu une période de « fièvre bâtisseuse » en zone inondable. Entre 1990 et 2000, un expert affirme que le rythme de construction était en moyenne de 45 habitations par an, en raison d’une procédure réduite à une simple formalité pour obtenir un permis de construire*1. Résultat, 80% des habitants de la Faute sur Mer sont des « nouveaux habitants », sans aucune notion du risque d’inondation qui était pourtant connu depuis les grandes crues des années précédentes, c’est à dire en 1924, 1926, 1940, 1941 et 1943*2. Un procès s’en est suivi, condamnant le maire, son adjointe et un agent immobilier, pour homicide involontaire. La seconde partie des conséquences d’une inondation porte sur le plan socio-économique. Au moment de la crue qui peut durer plusieurs jours voir plusieurs semaines, c’est une ville entière qui peut être paralysée. Les routes parfois impraticables bloquent l’activité de nombreuses entreprises, et la population se retrouve dans l’incapacité de se déplacer de manière indépendante. Ce risque d’arrêt temporaire, voire définitif, d’une activité entraine une délocalisation et un mouvement de migration de la population. Les entreprises délaissent leurs bâtiments, et certains habitants revendent leurs biens à faible prix.*3 Cette situation instable a donc des conséquences au niveau humain et économique, en raison d’un manque de vigilance en amont. De plus, le choc et la violence d’une inondation ont aussi des conséquences dans la mémoire d’une ville.

*1 Ondine Millot, Article paru dans Libération, le 17 Novembre 2015 *2 Pascale Robert-Diard, Article paru dans Le Monde, 12 Décembre 2014 *3 D’après les témoignages des habitants de Saint Nicolas de Redon


L’Ouest Journal 6 Janvier 1936


La peur du fleuve Pour les habitants, préparés ou non à l’inondation, la période post-inondation est souvent associée à la partie la plus difficile. Dans la petite ville de SaintNicolas de Redon, beaucoup d’habitants ont déjà connu les inondations ; les nouveaux arrivants se sont installés en connaissance de cause, et tous souhaitent garder leur habitat malgré leurs incertitudes à propos des dangers du fleuve. Dans un témoignage recueilli dans une lettre écrite par une des victimes des inondations de 1995, Madame Dahiez fait part de la difficulté de retrouver une vie normale, et l’angoisse d’une nouvelle inondation. Elle décrit son habitat dévasté, et sa perte de courage et de force une fois le vrai danger passé. « Quelle vision […] Combien de temps nous faudra-t-il pour retrouver nos repères, et continuer à vivre et travailler normalement ? Cette période est la plus difficile à vivre Déprimés, découragés, épuisés Nous éprouvons un sentiment d’abandon face à ces inondations à répétition Nous sommes profondément attachés à notre maison. »

Monsieur Dahiez - Paris Match 1995


Extrait de la lettre de Mme Dahiez


Parmi d’autres témoignages dans la même ville, tous semblent être du même avis quant à la difficulté de « l’après ». Le choc psychologique des habitants est répercuté directement sur leur vision du fleuve. Ils se sont implantés dans cette zone en connaissant les risques, mais en gardant à l’esprit que la proximité du fleuve en vaux la peine. Néanmoins, il est évident à les entendre que ces habitants sont particulièrement attachés au fleuve, bien qu’ils en aient aussi une certaine crainte. Un lundi, vers midi et demi dans un bistrot-brasserie du port à l’angle du passage du canal de Nantes à Brest et de la Vilaine, Monsieur L’Olivier, responsable du port de Redon, est en train d’échanger avec un habitant de la commune d’une soixantaine d’années. Ils discutent des problèmes que celuici rencontre avec son bateau pendant les crues, expliquant que la navigation à Redon disparaît de plus en plus. Pendant l’été, un système de location de bateaux permet aux touristes et aux amoureux du fleuve d’en profiter pleinement, bien qu’il semble que les amateurs de voiles ne s’arrêtent presque plus. La situation instable de Redon l’hiver à fait fuir les bateaux qui avaient l’habitude de passer la période hors-saison dans le port de Redon, en raison du risque de dégradation. Le vieil homme explique que lors de l’inondation de 1995, il était resté des jours et des jours à surveiller et rattacher son bateau comme il le pouvait, suivant les aléas de la crue, dont la hauteur variait selon les marées.*1

*1 D’après les témoignages des habitants de Saint Nicolas de Redon


Vue du canal de Nantes Ă Brest Saint Nicolas de Redon

Thibault Moinard


Le risque d’inondation Le risque d’inondation est le risque naturel prépondérant en France métropolitaine, puisque selon l’INSEE, la moitié des communes sont concernées à des degrés divers par les inondations.

600 km2 de zone inondables En 2009, la part de la population française exposée aux risques d’inondations par cours d’eau est estimée à 11%. Le nombre de logements situés en zone inondable est quant à lui estimé à 3,7 millions, soit 11% des résidences principales.*1 Les façades maritimes sont également exposées aux risques de submersions marines, mais cet aléa n’est pas pris en compte dans ce document. La population paraît particulièrement exposée aux inondations dans le Sud-Est, en Rhône-Alpes et dans l’Indre-et-Loire. Parmi les départements dont le taux de couverture est supérieur à 80 %, 9 d’entre eux peuvent être considérés comme très exposés aux inondations puisque au moins 15 % de la population habitent en zones inondables, à savoir dans les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, l’Ariège, le Gard, l’Indre-et-Loire, le Loiret, le Tarn-et-Garonne, le Var et La Réunion.*2 À la suite de cette analyse, une évaluation préliminaire des risques d’inondation a été réalisée en 2011 pour chaque bassin ou groupement de bassins par les services de l’Etat.*3 Cette étude a permis d’identifier les territoires aux risques d’inondations importants ayant des conséquences à portée nationale. Pour ces territoires, il était prévu que des plans de gestion des risques d’inondation soient élaborés avant le 22 décembre 2015, mais aucune information pouvant le confirmer n’a été trouvée durant la rédaction de ce mémoire.

*1 et *2 Selon l’INSEE *3 Service Urbanisme Aménagement et Risques


De plus, il est précisé à la fin du document que « le défi de la SNDD ( Santé publique, prévention et gestion des risques ), est de « réduire la vulnérabilité aux risques naturels et technologiques ». Un levier d’action repose sur l’élaboration et l’adoption de 2 500 nouveaux Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN) et le renforcement de l’information préventive. Un autre porte sur la réduction du risque d’inondation par des travaux de protection et de prévention selon une approche par bassins versants et zones d’expansion des crues. » *1 La France est un pays largement touché par le problème des inondations, et aujourd’hui plus que jamais puisque des évènements tragiques ont frappé la côte atlantique un an après ces analyses de l’INSEE, et plus récemment à la fin de l’année 2015. Qu’en est-il des mesures envisagées, et de leurs conséquences ?

Un plan de prévention À la suite de la tempête Xynthia en 2010, une grande polémique à fait émerger la question de la responsabilité des prévisions météo, mais aussi celle de la construction en zone inondable, entrainant un durcissement des plans de prévention des risques d’inondations. La protection des zones inondables a longtemps été soumise à la pression immobilière. Depuis 1995, il existe des plans de prévention des risques d’inondations (PPRI) qui distinguent trois types de zones : la zone blanche signifie un risque inexistant, la bleue un risque moyen où la construction est possible selon certaines conditions, et enfin la rouge qui correspond à un risque élevé, c’est-à-dire qu’aucune construction n’est possible même par dérogation.*2

*1 Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Energie – Service observation et statistiques - novembre 2012. Méthodes d’estimation de population et de logements en zone inondable. Document de travail n° 8. *3 Direction departementale des territoires de l’Yonne , Plan de prevention des risques inondation de Sens, Juin 2012


Nombre de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour le péril inondation de 1982 à 2013

Nombre de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par commune 1-2 3-5 6-9 10 - 20 > 20 Source : CERES


Fleuve


Si ce nouveau plan de prévention semble pouvoir réguler les nouvelles constructions, les bâtiments datant d’avant 1995 ne sont pas rasés pour autant. Certains propriétaires se voient démunis face à la perte de valeur de leurs biens, à cause d’une nouvelle attribution de leurs terrains, désormais placé en zone rouge. C’est le problème de beaucoup d’habitants de la presqu’île de Noirmoutier. Les habitants sont en effet en colère. Les nouvelles normes appliquées par la préfecture ne semblent pas suffisamment fondées pour les habitants, qui ont monté une association afin de faire valoir leur droit quant à leur propre bien. En effet, une grande partie de la commune a été placée en zone rouge, interdisant aux résidents les moindres travaux sur leur propre maison, entrainant ainsi une chute de l’activité de nombreux artisans. En réponse, la ville de Noirmoutier en partenariat avec la CAUE et le conseil général lance un concours en 2014 afin de susciter une réflexion pour l’évolution de l’habitat sur un territoire entouré par la mer. Imaginer l’habitat noirmoutrin de demain, compatible avec l’identité locale, conforme aux attentes environnementales et énergétiques actuelles et proposant des solutions concrètes pour réduire les conséquences du risque d’inondation ( sur le mode de la résilience ou celui de la résistance passive). *1 Le projet retenu a été LA GOISEUSE, des architectes Francois DANDART et Silvia PIANESE ; la maison est perchée sur pilotis pour parer aux inondations éventuelles. L’espace libéré au sol devient une résidence d’été en plein air dotée d’une cuisine, de douches solaires et d’un espace de détente convivial.*2 Cette initiative permet-elle de démontrer une éventuelle souplesse des normes établies par le PPRI, afin de redonner de la valeur aux structures existantes ? C’est en tout cas un moyen pour lancer la réflexion sur les différents moyens de ré-aménagement d’un territoire. *1 Règlement du concours selon le site officiel *2 Détails du projet expliqué par les laureats Francois Dandart et Silvia Pianese



Un atout pour un nouvel aménagement Ces nouvelles contraintes n’ont pas été perçues de la même manière dans toutes les communes, puisque certaines y ont vu un atout afin de promouvoir un autre aménagement des territoires. Dans un ouvrage paru en 2007 S. Beucher explique l’importance d’accepter le risque comme un élément constitutif de l’espace.*1 De la même manière, lors de la création de la ville, ces nouvelles normes du plan de prévention permettront peut-être une réflexion sur l’aménagement durable en bord de fleuve, en prenant en compte son paysage et ses aléas. Le grand problème reste sur la mise en œuvre des politiques nationales de gestion des inondations qui ne prend pas suffisamment en compte les spécificités locales. En effet, aujourd’hui la mise en œuvre des PPR se traduit par des conflits durant lesquels s’expriment davantage des intérêts particuliers plutôt qu’un projet urbain collectif. En effet, bien que prescrit à l’échelle départementale, il s’applique avant tout à l’échelle communale dans la mesure où il est annexé au PLU.*2 Ce sont les évolutions à l’échelle locale qui restent aujourd’hui les plus encourageantes, à travers la volonté de certaines communes de mieux prendre en compte le risque d’inondation. La question d’un nouvel aménagement du territoire et de l’environnement fait apparaître des intentions nouvelles, qui peu à peu se tournent vers une volonté de traiter ces problèmes plus localement. La notion d’inondation autrefois traitée à l’échelle globale des communes via un plan de prévention, se retrouver de plus en plus à l’échelle des particuliers et de l’habitat. Un mode de vie qui est abordé de différentes manières selon les cultures.

*1 et *2 Stéphanie Beucher, Le risque d’inondation dans le Val-de-Marne: une territorialisation impossible, 2007



III Un mode de vie adaptĂŠe aux zones inondables


Les différentes relations et modes de vies Nombre de pays sont touchés par les problèmes d’inondations, et selon la culture, on observe aujourd’hui différents modes de vie par rapport au fleuve. Dans certaines cultures, la priorité est placée sur la capacité à être prêt en cas d’urgence.

Vivre hors de l’eau ( prévention ) Au japon par exemple, un pays fortement touché par les aléas climatiques tels que les inondations mais aussi les tremblements de terre, la culture du risque est abordée dès l’école avec l’enseignement des gestes et des réflexes à avoir au moment des premiers signes de catastrophes. Bien que la technique soit très portée sur la résistance aux séismes, le cas de l’inondation est traitée par la notion de repli et d’espace de secours en hauteur. Cela s’explique aussi par le caractère très violent et rapide des incidents dans ce pays. Cet apprentissage commence en amont, avec des simulations de catastrophes et d’évacuations de la population ; ces mêmes simulations qui commencent à apparaître dans les établissements scolaires du sud de la France. Pendant le sinistre, l’urgence consiste à informer au mieux la population en diffusant les consignes essentielles de sécurité à suivre, à savoir écouter la radio, prendre soin de ne pas toucher les fils électriques tombés au sol etc.. Enfin, la dernière partie de la préparation à l’urgence porte sur l’organisation post catastrophe, et la mise en place d’une entraide collective.*1 De plus, la ville de Tokyo incite les Japonais à s’équiper d’un sac d’urgence par personne, contenant de quoi se nourrir, se laver, se soigner, s’informer et alerter les secours.

*1 Jean-Yves Nau, Article paru dans Slate, 11 Mars 2011


Vivre sous le niveau de l’eau Lorsque le fleuve ne peut être complètement écarté des activités et de la vie quotidienne, il existe d’autres approches pour se protéger à proximité du fleuve. Parmi les solutions pour contrôler les aléas de l’eau, plusieurs ont été élaborées au fil du temps, tel que les digues, les barrages etc.. ce qui a permis à certaines villes de pouvoir se placer plus ou moins proche de l’eau. Parmi ces modes de vie, un en particulier a beaucoup développé ses systèmes de protection, afin de pouvoir vivre sous le niveau de la mer. Le cas de figure le plus connu dans cette situation est celui des Pays-Bas, avec plus de 26 % du territoire situé jusqu’à 7 m au-dessous du niveau de l’eau (dont notamment l’aéroport d’Amsterdam, le seul aéroport au monde dans ce cas la. ). À la pointe de la technologie dans ce domaine, le pays possède les polders les plus performants du monde. Cette étendue artificielle de terre gagnée sur l’eau dont les côtes sont parfaitement rectilignes car toutes façonnées par la main de l’homme, représente plus de 15% du territoire global. On recense plus de 124 inondations et raz-de-marée entre les années 900 et 1900, mais les Néerlandais n’ont jamais cessé de réaménager leur pays, car c’est aussi leur situation géographique qui a fait leur richesse.*1 Après le raz-de-marée qui a balayé les îles du sud-ouest dans la province de la Zélande, la Hollande s’attaqua immédiatement à la construction des remparts les plus puissants jamais imaginés : le plan Delta. Un chantier colossal de plus de tente ans, durant lesquels les bras de mer et les embouchures des fleuves furent bouchés. À l’époque, les calculs estimaient que ces immenses infrastructures pourraient supporter des vagues de plus de 16 m de haut, et une tempête correspondant au degré le plus élevé sur l’échelle de Beaufort. Il en résulte ce proverbe qui affirme : « Dieu a créé la Terre, mais la Hollande a créé la Hollande »*2

*1 et *2 Ernst Scagnet, Vivre à sept mètres au-dessous du niveau de la mer, Courrier internationale, 2013


Un habitant de la villle de Dordrecht inspecte sa maison

Photo : Jerry Lampen Pour l’AFP


Les énormes barrages font aujourd’hui partie du paysage, comme la barrière antitempête de la nouvelle voie navigable Nieuwe Waterweg, qualifiée de huitième merveille du monde, ou encore la digue Afsluitdijk, longue de 30 km, reliant les provinces de Hollande-Septentrionale et de frise, et séparant le grand lac d’Ijsselmee et de la mer des Wadden. Malgré la devise de la province de Zélande, « Luctor et emergo » (Je lutte et je surmonte),*1 et en raison du réchauffement climatique et du niveau de la mer qui ne cesse d’augmenter, certaines questions apparaissent, remettant en cause les prévisions des ingénieurs de l’époque. Aujourd’hui la tendance est de laisser davantage d’espaces à l’eau, puisque les crues semblent davantage fréquentes lorsqu’un contrôle exagéré est exercé. En vue d’un scénario catastrophe, certains ingénieurs, architectes ou encore designers se penchent déjà sur la question de vivre sous l’eau. Inspirés par l’imaginaire de Jules Verne et attirés par le monde du silence, les idées ne manquent pas pour certains, et ce, véritablement depuis les années 1970. L’architecte Jacques Rougerie fait partie de ces visionnaires, et sépare l’humanité en quatre catégories : les terriens, les marins, les « meriens » et la civilisation de l’espace. Il est l’auteur du projet « Sea Orbiteur », un vaisseau d’exploration pluridisciplinaire futuriste. *2

*1 Ernst Scagnet, Vivre à sept mètres au-dessous du niveau de la mer, Courrier internationale, 2013 *2 Conférence de Jacques Rougerie dans le cadre du festival BESLLASTOCK, 2013


Vue aérienne de la «Maeslantkering» dans le New Waterway

Photo : Hoek van Holland


Vivre sur l’eau D’autres villes sont habituées à vivre avec l’eau. Sans vivre dans la crainte, et sans chercher à la contrer mais plutôt à la canaliser. On peut observer dans plusieurs endroits du globe un mode de vie particulier, celui de vivre sur l’eau. L’exemple le plus célèbre reste celui de Venise, puisque la ville fondée vers 528 se situe dans une lagune sur la mer Adriatique. Cette ville à la particularité d’avoir été bâtie sur un système de pilotis, sur lesquelles repose les places, les rues et les bâtiments. Les maçons enfonçaient des pieux de bois jusqu’au « Caranto » (une plaque argileuse au fond de la lagune), afin de supporter un premier plancher puis les murs porteurs. Àl’intérieur de l’enceinte constituée des murs porteurs, ils plaçaient les cloisons, la dalle et le plancher, sur d’autres pieux moins profonds cette fois. Pour alléger les bâtiments, les Vénitiens perçaient de grandes ouvertures pour de nombreuses fenêtres, et remplacèrent à partir du XI ème siècle, le bois par de la brique et de l’enduit.*1 Plus récemment aux Pays-Bas, c’est un quartier entier de la ville d’Amsterdam qui s’est établie sur l’eau. À l’est de la capitale, Ijburg est composé de maisons construites sur mesure, prévues pour expérimenter le terrain en prévention de la future montée des eaux. À Lagos, au Nigeria, l’architecte Kunlé Adeyemi a conçu une école flottante pour les enfants du bidonville de Makoko, sur la lagune. Posée sur des barils, équipée de panneaux solaires, elle a été inaugurée en février 2013. Kunlé Adeyemi prévoit de bâtir une flottille de maisons sur le même principe. Enfin, l’habitat flottant nomade tel que les péniches que l’on retrouve dans de nombreux fleuves et canaux français, est aussi un système performant pour vivre avec le fleuve et profiter de l’eau. Ces différents cas de figure démontrent la volonté de garder un lien avec le fleuve, en modifiant nos habitudes et notre mode de vie actuel.

*1 C’est pas sorcier, France 3, 2013


MAKOKO floatting school par l’agence NLÉ

Photo : NLÉ


Un retour vers le fleuve depuis 1980 En France depuis les années 80, l’attitude générale vis-à-vis du fleuve et de la place de l’eau en ville a considérablement évolué. Après une période de dénis, pendant laquelle l’illusion d’une maitrise du risque a permis de croire que l’on pouvait tourner le dos, ces sites et milieux animés autour des fleuves et rivières retrouvent leurs intérêts dans le cadre de l’aménagement urbain.

Vigilance Les premières initiatives en vue du retour de la ville vers le fleuve pour l’habitât, sont la vigilance et la prévention. Les nombreux sinistres liés à l’eau depuis ces dernières années reposent en partie sur un manque d’informations, de mémoire du lieu et du partage des connaissances. La prévention repose, selon le ministère de l’aménagement et du développement, sur une bonne connaissance du risque qui peut être définie par différentes méthodes, plus ou moins lourdes. On utilise souvent la modélisation mathématique qui consiste à reproduire par le calcul les cotes et l’extension d’inondations connues, puis à simuler le passage de débit, afin de délimiter la zone submergée et définir la hauteur d’eau correspondante. On peut aussi recourir à la simulation par maquette, avec des règles de similitude particulières afin de reproduire des écoulements connus, puis simuler un second cas avec une amplitude différente. Ces méthodes sont relativement coûteuses et la transcription sur le plan des résultats est parfois incertaine. *1

*1 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012


Une fois les connaissances suffisantes, la prévention s’exerce ensuite sur trois niveaux : Le premier consiste à planifier pour réduire les aléas et l’exposition aux risques, c’est-à-dire informer et développer la culture du risque, réaliser des ouvrages de protection et restreindre les implantations en zone exposées. La mise en place du système de prévision et d’annonce des crues est assurée par l’État, avec la participation des collectivités locales. Néanmoins, c’est au maire d’assurer la diffusion de l’alerte, et ce avec les contraintes de permanence pour l’assurer en tout temps.*1 Le second porte sur un espace de temps plus proche de la crise, à savoir l’organisation au préalable de moyens d’alerte et de secours afin d’ordonner et optimiser les actions en temps d’inondation. L’évacuation, est généralement prise en charge, avec l’appui de l’État, par le département SDIS ( service départemental incendie et de secours), mais le maire peut aussi monter un plan de secours pour organiser les moyens de la commune à mettre en œuvre lors de la catastrophe. Cette seconde initiative peut s’avérer plus intéressante sur des communes de petite taille, ou le partage de connaissance à petite échelle peut apporter des détails précieux. *2 Enfin, le troisième niveau repose sur la relance de la prévention après le sinistre, l’analyse des points négatifs du dernier sinistre, ainsi que de permettre l’accès à toutes ces informations, dans l’idée de partager les connaissances. Ce temps d’après crise débouche ou non sur une révision de la prévention, et des projets en cours. Il convient d’abord de nettoyer, de vidanger les zones dans lesquelles l’eau persiste, d’assainir les locaux et enfin de réparer les dommages.*3 À partir de ces éléments, il est plus facile pour les responsables locaux mais aussi pour les habitants, de comprendre l’inondation, et ainsi de se placer par rapport au risque de le voir se reproduire. Dans certains cas, comme à Saint Nicolas de Redon, ces études ont permis de repenser une zone industrielle, afin de permettre la délocalisation d’entreprise vers un endroit plus sur, et la revalorisation de la zone inondable grâce à un retour à la nature. *1*2 et *3 Samuel Laurent, Inondations : 6 questions et 4 cartes pour comprendre l’ampleur des dégâts, Le Monde, 2015


Retour des espaces verts C’est à la suite de violentes inondations dans les années 1980 que la notion de risque est réapparue aux riverains et au pouvoir publics. La rareté des ces événements lors de la dernière décennies avait eu pour effet d’endormir la vigilance des habitants par rapports aux risques naturels, ce qui explique la violence et le choc ressenti du fait de la concentration des biens et des personnes dans ces zones qui semblait être sans dangers. La place de la nature est de plus en plus replacée aux centres des préoccupations, et donc des projets, car il s’agit bien de redonner toute sa place au mouvement des rivières et des fleuves. Le but est de recréer le contact avec la faune et la flore des milieux naturels qui se développent aux bords ou aux pieds de l’eau, et de ne plus lutter contre une zone qui n’était pas prévue pour nos habitations, sans prendre en compte ses aléas naturels. Ces espaces constituent en général des écosystèmes complexes, constitués de zones humides, ou de milieux marqués par la présence épisodique de l’eau, qu’il convient de restaurer lorsque la pérennité est remise en cause. Apparaissent alors dans les intentions de projet les données d’environnement, la compréhension du fonctionnement des milieux, et le respect de leurs équilibres. *1 La ville bouleverse son approche en prévoyant de remplacer les murs qui contraignent les canaux, par des parcs, des sentiers, et autres espaces verts. Restaurer, renaturer, en réhabilitant des fragments de la ville peu indispensable au maintien des populations tels que les parkings et les friches industrielles. *2 Ce projet existe déjà en France à Précy-sur-Marne dans la vallée de la Marne. Un espace composé de grands méandres de vallée entaillés dans le plateau Briard, dont le projet a pour objectif une suppression du risque humain et un retour à l’état naturel du secteur.*3 Il comprend l’acquisition et la destruction des terrains et des bâtiments, puis le boisement, le rétablissement des prairies et des vergers, et l’aménagement d’un réseau de chemins, le tout sur 25 hectares.

*1 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012 *2 Demain la ville, L’architecture de crise #2 : Face à la menace de l’eau, la ville transformée, 2016 *3 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012


ÂŤThe water management strategy for Greater New Orleans. by Waggonner & Ball ArchitectsÂť

Photo : Waggonner & Ball Architects Source : Archdaily


Anticipation Dès lors qu’une vigilance et un plan de prévention sont bien établis, le retour à l’environnement naturel dans une zone inondable n’est pas la seule option de réinvestissement. La présence aléatoire de l’eau de crue en milieu urbain est certes une contrainte importante pour l’aménagement, mais ces eaux offrent aussi un moyen de valorisation de l’espace et un argument central d’aménagement urbain.*1 Aux Pays bas, certains aménagements urbains, dont la France pourrait bien s’inspirer, mélangent places publiques et parcs inondables ayant la même fonctionnalité qu’un bassin de rétention. À Copenhague, la première capitale Européenne neutre en carbone, le parc Tåsinge Plads capte l’eau et la chaleur : inauguré fin 2015, ce square est un projet collaboratif créé par le cabinet d’architecte Tredje Natur, dans lequel plus de 10 000 citoyens ont participé. À première vue, il ressemble à n’importe quel square, mais c’est en fait prouesse d’adaptation aux aléas météorologiques, car il est capable de résister aux fortes chaleurs et aux fortes pluies. Un système de drainage présent dans les parterres de fleurs permet de recueillir le surplus d’eau dans de grands réservoirs souterrains jusqu’à ce que la perturbation s’arrête, puis de la redistribuer dans un second temps. Au-dessus de ces réservoirs, des panneaux recueillent l’énergie cinétique du mouvement des passants, ce qui a pour effet de déclencher la pompe afin d ‘arroser les plantes avec l’eau stockée. Ce projet dans lequel le bitume est quasi inexistant à réussi à intégrer les crues de manière intelligente dans la vie urbaine.

*1 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012


Le parc TĂĽsinge Plads

Tredje Natur


Il en va de même pour l’intégration des habitations, comme l’exemple du projet dans la ville de Noirmoutier cité précédemment. Les problèmes architecturaux posés par la surélévation reçoivent des solutions très diverses, dans le neuf comme dans la réhabilitation. En vue de la densification et le cadre du plan de la reconquête des friches à Angers, la ville peut se permettre de se tourner vers ses zones inondables. C’est le cas de la ZAC de Thiers-Boisnet, qui a pour projet de réhabiliter le quartier et de l’intégrer au centre-ville. Plus de 800 logements, commerces et services en rez de chaussée, parkings souterrains, et équipements sociaux et scolaires, le tout sur un espace d’environ 5,5 hectares. Le projet se basera sur le plan de prévention créé après les crues de 1995, imposant un niveau de surélévation de cinquante centimètres au-dessus du niveau de crue, un accès aux parkings sous dalles par des rampes remontant jusqu’à ce niveau, ainsi qu’un principe de passage couvert hors d’eau le long des voies ( arcades ), et un accès piétons à ces galeries par des plans inclinés. De plus en plus de projets se développent en France, souvent inspirés par des modèles Hollandais, afin de renouer avec le fleuve en développant des solutions durables à partir de plans de prévention établis en amont. Néanmoins, on observe que le traitement esthétique et la pérennisation du vide sous le bâtiment restent des problèmes difficiles à traiter correctement *1

*1 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012


Angers, Rives Nouvelles, (Rive Gauche)

© GRETHER + PHYTOLAB 2013


Vivre avec le fleuve Nous arrivons donc aujourd’hui dans une nouvelle relation entre le fleuve et la ville, puisque la tendance est de revenir vers les espaces délaissé, jugés sans intérêt car trop exposés aux inondations. Les projets évoqués dans les parties précédentes de ce mémoire répondent au problème, en abordant la situation de différentes manières.

Protection La première approche logique de la ville sur le fleuve est généralement une protection, une canalisation ou encore une modification du parcours du fleuve, c’est-à-dire une modification sur le tracé de l’eau au profit de la forme de l’étalement urbain. Les infrastructures basées sur ce principe ont souvent été établis comme une solution dans une situation plus ou moins d’urgence pour prendre effet dans un délai très court. C’est le cas de certaines digues ou murets ( le muret construit à St Nicolas de Redon par exemple, bâti après une forte crue au début des années 2000, et qui a cédé lors de la crue de 2014, laissant la Vilaine envahir le centre culturel Leclerc ). Cette volonté de se protéger en construisant des infrastructures allant à l’encontre du mouvement du fleuve est notamment remise en question depuis les inondations de 2010 sur le littoral Atlantique, dont l’origine était due à la rupture d’une digue. Pourtant en France, le risque digue a été reconnu officiellement par une circulaire en 2002, même si les zonages de certains plans de PPR antérieurs pouvaient l’afficher sans le nommer en tant que tel. *1

*1 Patrick Pigeon, Risque digue : une justification à la relecture systémique et géopolitique des risques environnementaux, L’espace politique 2014


Lors des aménagements de protection, les solutions proposées par l’ingénierie sont toujours plus sophistiquées, mais sans grande rupture technologique. On peut observer trois types de solutions, tels que la protection directe des flux d’eau ( généralement des digues), développer des aires de rétention en amont ou autour des zones habitables ( par des systèmes de bassins, des lacs ou des canaux ), et mettre en œuvre des systèmes d’évacuation des eaux par drainage et par pompage. *1 Néanmoins, face à l’accroissement du risque en prévision des effets du changement climatique, il est clair que ces solutions tendent à atteindre d’ici peu leurs limites. Après avoir été longtemps dans une logique d’aller à l’encontre de l’eau, nous nous tournons de plus en plus vers des solutions qui consistent à « faire avec l’eau »

Adaptation

Dans cette optique de vie avec le fleuve il est clair qu’avec les exemples cités auparavant, les Pays Bas ont acquis une certaine renommée. Comme eux, il s’agit désormais de changer de stratégie et d’accepter l’eau dans son emplacement initiale, mais aussi en temps de crue, et de concevoir des dispositifs urbains afin de l’intégrer. Cette initiative est valable dans le réinvestissement des friches, mais aussi dans la reconquête des espaces perdus, où des structures sont déjà présentes. Au-delà de la réhabilitation, nous parlons maintenant d’adaptabilité, c’est-à-dire de la capacité à adapter nos bâtiments existant à des conditions climatiques changeantes. Que faire lorsqu’un bâtiment est placé en zone inondable ? Il en va de soi que la perte de la valeur dans ce cas-là est importante, de la même manière que les habitations de la presqu’île de Noirmoutier citée précédemment.

*1 Jean-Jacques Terrin, Villes inondables, prévention, adaptation, résilience, Editions parenthèses, 2014


Dans le quartier de la Digue à Saint Nicolas de Redon, l’usine de matériel agricole Lecoq est délocalisée en 1997, à la suite des inondations de 1995. Aujourd’hui situé quelques kilomètres plus loin dans un bâtiment neuf, Monsieur Lecoq est toujours propriétaire d’un très beau bâtiment de plus de 1000 m2, dans un quartier bordé par la Vilaine et le canal de Nantes à Brest. À l’intérieur, au rez de chaussé, deux immenses hangars et un espace de bureaux portent les marques des 70 cm d’eau qui ont envahi le quartier entier. Un escalier en colimaçon permet un accès à l’étage, lui aussi composé de 2 larges espaces sans cloisons. Un dernier étage dévoile un duplex coincé dans l’angle supérieur du grand bâtiment de pierre. L’usine est actuellement placée en « zone protégée », quelques propositions de projets de réhabilitation ont été évoqués, telles que des bureaux, des appartements, un hôtel, ou encore un espace dédié à la pratique du paintball, mais aucun n’a abouti.*1

Redon

La Vilaine Canal de Nantes à Brest *1 Monsieur Lecoq

St Nicolas de Redon


Ancienne usine LECOQ - St Nicolas de Redon

Thibault Moinard


À l’origine, la résilience désigne en physique mécanique une propriété d’élasticité et de résistance aux chocs des matériaux. *1 C’est-à-dire la capacité pour un corps à revenir à son état initial. Le premier à associer la définition de résilience à l’écosystème urbain est Peter Temmerman en 1981, d’après la définition de l’écologiste Canadien Crawford Stanley Holling.

« Resilience determines the persistance of relationships within a system and is a measure of the ability of these systems to absorb changes of state variable, driving variable and parameters, and still persist. In this definition resilience is the property of the system and persistence or probability of extinction is the result. Stability, on the other hand, is the ability of a system to return to an equilibrium state after a temporary disturbance. The more rapidly it returns, and with the least fluctuation, the more stable it is. In this definition, stability is the property of the system and the degree of fluctuation around specific states the result. » *2

*1 Béatrice Quenault *2 Holling 1973


Crawford Stanley Holling


Timmerman défini donc la résilience comme étant la capacité pour un ensemble urbain à revenir le plus rapidement possible à un état stable d’équilibre, ou état initial. Dans le cas de l’inondation, on observe quatre phases, la première étant la phase initiale ; le fleuve est à sa place, aucune crue n’est prévue. Le second est la phase que l’on peut désigner comme « l’avant » ; la crue est annoncée. À partir de la, l’information se propage, et les dispositifs d’urgence se mettent en place. La troisième est celle correspondante à la crue, le « pendant ». D’après les témoignages, cette phase correspond principalement à une période d’attente. Les meubles étant déjà hors d’eau, la vie s’arrête totalement et les habitants ne peuvent que s’entraider avec les moyens du bord, ou être spectateurs. Enfin, la quatrième et dernière phase est celle de « l’après », souvent désignée comme la plus difficile psychologiquement. L’eau s’est retirée, mais il reste beaucoup de dégâts, de boue, et de travail pour les habitants qui doivent alors tout remettre en état.* (remarques personnelles basées sur plus de 15 témoignages sur le site de Saint Nicolas de Redon, zone d’inondation dite lente ).

Dans le cas de l’inondation, on peut désigner la résilience comme la capacité pour l’habitat à revenir à son état initial, après avoir subi ces trois différentes phases.

Au-delà des nouvelles innovations architecturales, les projets cités ci-dessus démontrent une nouvelle manière de penser le territoire face aux problèmes liés aux fleuves.

*1 Béatrice Quenault *2 Holling 1973


Conclusion


En parcourant ce mémoire, on distingue bien les différentes relations que la ville a établies avec le fleuve. En s’appuyant dessus dans un premier temps, profitant de ces ressources et jusqu’à se façonner en fonction des activités, la ville a su créer une relation avec le fleuve, et lui donner une fonction afin de profiter de tous ses aspects. Puis, le fleuve ayant moins d’intérêt est délaissé, créant une véritable fracture dans la ville, qui abandonne les berges du cours d’eau, et tente de se sur-protéger du fleuve. Aujourd’hui, petit à petit, les villes ont su se retourner vers le fleuve, et lui trouver une fonction tout en se protégeant. Aujourd’hui, le fleuve n’a plus le même rôle économique qu’autrefois, mais reste un élément majeur, c’est un espace que l’on pourrait définir comme identitaire et propre à chaque ville, et donc nécessaire. Dans le même objectif que les espaces verts, le fleuve est un espace permettant à la ville de respirer, de briser la linéarité et offrir du dynamisme dans le décor. Défini comme un espace public, le fleuve et ses berges sont des espaces précieux et nécessaires pour le bien-être des habitants, les usagers de tous les jours.


Néanmoins, certains espaces de transition et d’accès au fleuve ne sont pas toujours repensés de la bonne manière ; entre l’acceptabilité et la protection des biens et des personnes, la sécurité est souvent mise en œuvre de manière trop radicale, et non durable. Par exemple, les zones inondables restent aujourd’hui des espaces craints et néfastes pour le fleuve, rapportant une image négative car dangereux s’ils sont mal traités. Le manque de vigilance, et l’absence d’accès à la mémoire des lieux peut parfois être désastreuse, car les modifications et les solutions sont pensées dans l’urgence et non dans la durée. À la suite d’un événement tragique en lien avec le fleuve, des solutions prises dans l’urgence peuvent avoir des effets secondaires des années plus tard. Le design peut faire partie de la solution ;

Comment le Design peut-il apporter une solution durable au problème de la protection des biens et des personnes en zone inondable ?

L’abord de cette problématique en s’appuyant sur la durabilité que le design peut apporter grâce aux notions de résilience et d’adaptabilité est une méthode qui pourrait permettre à n’importe quelle ville de revenir vers son fleuve, et démontrer que vivre avec le fleuve est possible.



BIBLIOGRAPHIE Jean-Jacques Terrin ; avec la collaboration de Jean-Baptiste Marie Villes inondables = cities and flooding : prévention, adaptation, résilience Editions Parenthèses, 2014 Patrick Pigeon, Risque digue : une justification à la relecture systémique et géopolitique des risques environnementaux, Espace Poilitique, 2005 FRAISSE, Philippe, Construire en zone inondable : réponses architecturales, Direction départementale de l’équipement de Moselle 1992 Catherine Carré, Jean-Claude Deutsch, L’eau dans la ville : une amie qui nous fait la guerre, Les éditions de l’aube, 2015 Guy Barbichon, Risques, environnement, modernité, Espaces et Sociétés, 1994 Helga-Jane Scarwell, Guillaume Schmitt, Pierre-Gil Salvador, Urbanisme et inondation , 2014 Rapport CEPRI Centre Européen de prévention du risque d’inondation, Février 2015 Béatrice Quenault , Retour critique sur la mobilisation du concept de résilience en lien avec l’adaptation des systèmes urbains au changement climatique, 2013 Abhas K Jha, Robin Bloch, Jessica Lamond, Villes et inondation, 2012 Peter Timmerman, Vulnerability, Resilience and the Colapse of Society, 1981 Francis Dégardin et Paul-André Gaide, Valoriser les zones inondables dans l’aménagement urbain, Certu, 2012 Marc Suttor, Vie et dynamique d’un fleuve: La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600, De Boeck, 2006 CONFÉRENCES Conférence de Jacques Rougerie dans le cadre du Festival Bellastock ( 2013 ) Disponible sur https://vimeo.com/91614969


PRESSE Les Decodeurs, Une commune sur deux exposée au risque d’inondation, Le Monde 2015 Xynthia : «Un scandale d’Etat» pour l’ex-maire de La-Faute-sur-Mer, Le Figaro, 2014 WEBOGRAPHIE Centre ville en zone inondable : prise en compte du risque, dix exemples d’adaptation du bâti / Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU) 2005



Remerciements


RJM AM PM DM JBM MM AB ME HD EP EP CM MAB TM NL DG ZO FO HZ CV GS

Je souhaite remercier mes parents, qui m’ont offert en plus de ces études, un merveilleux soutien. Mes amis qui ont transformé mes études en cinq merveilleuses années Les enseignants de l’école de Design de Nantes Atlantique, qui ont réussi à me transmettre leur passion et leur savoir

Et enfin, Sego, mon chat, pour sa relecture et sa bienveillance.



La revalorisation du fleuve dans l’espace urbain adaptabilité et résilience Mémoire de fin d’étude

2016

Thibault Moinard Design Lab Ville Durable Option Mutation du cadre bâti Ecole de Design Nantes Atlantique


La revalorisation du fleuve dans l’espace urbain adaptabilité et résilience Mémoire de fin d’études Thibault MOINARD


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