Mémoire de fin d'études ESA 2014

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Couverture

Porte Saint-Denis, Huile sur toile d’Edouard Cortès


Faubourg Saint-Denis

Pratiques sociales et conflits d’usage

Cour des Petites Ecuries Tiffany Bornes - ESA - 2014 Mémoire - Directeur de diplôme - Chris Younès


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Membres

de jury

:

Directeur de diplôme : Enseignant esa : Professeur extérieur : Personnalités extérieures : Architecte

desa

:

Chris Younès, docteur en philosophie, enseignante à l’ESA et l’ENSAPLV Alexandre Schrepfer, architecte desa Didier Rebois, architecte dplg, secrétaire général d’Europan Hélène Lagoutte, membre du Conseil de quartier Saint-Denis - Paradis Caroline Rigolet, chargée de développement local dans le 10ème arrdt Juliette Charron, architecte desa


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Merci à Chris Younès, mon directeur de mémoire, ainsi qu’à ma famille pour son soutien et ses encouragements.

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clameurs d'écoliers – attente – traversée – tion – virage à droite – RUE DU FAUBOUR – effluves de nourriture – circulation – tint sonore d'une moto – klaxon – caddie que – vélo – moteurs – trois clochards discut de pompier – sifflement d'un train – GARE court – virage à droite – RUE DU 8 MAI 194 – bus en stationnement – odeur d'urine – sur le parvis de la gare – taxis – traversée chard est allongé sur une bouche d'aératio – traversée – deux jeunes courent – virag odeur de pain chaud – traversée – odeur d FAUBOURG SAINT-DENIS – descente - ska - croassement d’un corbeau - souffle du ve bord du trottoir - effluves de nourriture - mo Parcourir l’espace public, c’est s’inscrire dans une combinaison de faits et d’événements qui se répètent au fur et à mesure du trajet. Les lieux que l’on traverse sont dotés d’une atmosphère particulière : une association de sons, de couleurs, de senteurs disparates et sans cesse renouvelée. Si les espaces traversés rassemblent des caractéristiques propres, celles-ci se désagrègent ailleurs pour former une nouvelle entité de parfums, de flux, de voix différentes. Maintes et maintes fois reformulée, elle donne au lieu sa dominante, son accent. Et pour saisir l’accord parfait de chaque portion d’espace, il faut se munir d’un langage spécifique : un mot est un code qui rapporte une impression souvent répétitive. Une phrase marque la différence, une circonstance particulière. Discours subjectif bien sûr – chacun perçoit ce qu’il veut – mais drôlement expressif et significatif. Codifié, il donne un infime aperçu de la réalité.


– poussette – RUE LOUIS BLANC – circulaRG SAINT-MARTIN – klaxon – commerçants tement d'un vélo – un homme court – fond l'on tire – vélo – deux personnes discutent tent, une bière à la main – klaxon – sirène DE L'EST – valises – fumeurs – un individu 45 – conversations téléphoniques – klaxons langues étrangères – valises entreposées – des jeunes font du skateboard – un cloon – moteurs – une sonnerie de téléphone ge à gauche - BOULEVARD DE MAGENTA – d'urine – klaxon – virage à droite – RUE DU ateboard – un homme joue de l'accordéon ent - éboueurs - un clochard est assis sur le oto qui se gare - camionnette en stationneNotions introductrices


Espace

public

expression du dehors et de la reconnaissance de l'autre

La notion d’espace public s’articule autour de plusieurs références, principalement tirées des philosophes contemporains – Hannah Arendt, Jürgen Habermas :

1/ L’espace public est l’espace de l’action : espaces du travail, espaces marchands - « travail-œuvre-action » selon Hannah Arendt. 2/ L’espace public est l'espace de la citoyenneté, à l'opposé de l’espace domestique et privé. 3/ L’espace public est donc un espace d’extériorité : espaces de visibilité, espaces d’exposition. 4/ L’espace public est par définition collectif : espaces ouverts, aux perspectives variées. 5/ L’espace public est par conséquent caractérisé par la rencontre et le croisement : espaces des superpositions, espaces des frottements, voire des antagonismes. Ce n’est pas un espace de fusion : c’est un espace non identitaire et non communautaire. 6/ L’espace public est caractérisé par son accessibilité ; il ne peut être approprié par une personne ou par un groupe. 7/ L’espace public est l’espace de déploiement des opinions, en rapport avec la notion de spectacle. Le terme « public » est originaire du 18e siècle : public des concerts et des expositions. 8/ L’espace public est l’espace du débat démocratique, c’est-à-dire de l’usage public de la raison, aux vertus éducatives – E. Kant, J. Habermas 9/ L’espace public est un espace orienté vers la réalisation du bien commun : il n’est pas tout à fait l’espace de l’Etat, mais l’expression de la société civile. Le public, c'est d'abord l’expérience de la présence de l'autre. Reconnaître l’existence d’un espace public signifie alors, plus concrètement, reconnaître l'existence d'un « dehors ». L'espace public est collectif. C'est un espace de perception lié à la somme des expériences « sensibles » rattachées à la présence quotidienne de l’autre. Jürgen Habermas, l'un des principaux penseurs de l'espace public, le définit comme une structure intermédiaire, qui assure la rencontre entre les intentions de l’Etat - le système politique, et les revendications des acteurs privés. « Politiquement parlant, l’espace public est un tissu d’une grande complexité » 1 , ajoute Habermas. Il est l'espace où se formulent et se structurent collectivement les idées fortes et caractéristiques de tel ou tel groupe qui compose la société. C'est, au demeurant, un art de l’espacement qui implique à la fois de bonnes proximités et de bonnes distances entre les gens. L’espace public est par définition un espace de pluralité, un espace de croisement des opinions et des valeurs, mais aussi un espace de croisement des présences physiques. Penser l’espace public, c’est réfléchir à la manière de l’organiser et d’y vivre. Il implique un art spatial, un urbanisme, une architecture.

1. Besse, Jean-Marc, L’espace public : espace politique et paysage familier, UMR Géographie-cités, Lille, 14.12.06


Mixité

sociale et cohabitation

se côtoyer sans se rencontrer

Aménager l'espace public tout en favorisant la mixité est une idée récurrente des discours tenus par les différents acteurs impliqués dans la ville. Parmi les expressions qui reviennent régulièrement, le désir de « mixité sociale » apparaît fréquemment. Par exemple, en avril 2014, un article du journal Le Point cite Anne Hidalgo, maire de Paris, qui « promeut la mixité sociale dans tous les arrondissements. » 2 Incontournable dans les discours d’aménagement de ces dernières années, cette notion de « mixité sociale » reste pourtant floue et ambiguë. Docteur en géographie, Martine Freedman est spécialiste de géographie sociale et culturelle. Ses recherches portent plus spécialement sur la revitalisation urbaine, l'exclusion et la mixité sociale. Parmi ses récentes publications, un article universitaire intitulé « Faire cohabiter mixité et espace public : un enjeu de la revitalisation urbaine » livre une définition de ce que représente un « quartier mixte. » La mixité sociale implique que « l'ensemble des catégories de population figure dans un même quartier : une variété de ménages – familles, couples sans enfants..., de générations – enfants, personnes âgées..., socio-économique et culturelle, incluant des personnes à mobilité réduite ou présentant toute forme de handicap. (…) Pour accueillir cette diversité démographique, les habitations projetées doivent leur correspondre – logements sociaux, logements de tailles variées... (…) En dernier lieu, une mixité de population ne peut être maintenue et favorisée dans un quartier que si les services et commerces répondent aux besoins d'une population diversifiée. » 3 Elle ajoute par ailleurs que « la mixité sociale ne correspond pas forcément à l’intégration de toutes les catégories de la population. » En effet, il arrive que certaines catégories de la population demeurent exclues de toute considération publique, soit les personnes pratiquant la prostitution ou le commerce de la drogue. Ainsi, la mixité sociale passe non seulement par une offre appropriée de commerces et de services, mais aussi par la cohabitation de différentes catégories socio-économiques. De fait, il s’agit de comprendre comment l’espace public est pratiqué et permet cette cohabitation. Si les passants fréquentent le même espace public que les autres catégories de la population, qu’en est-il de leurs interactions ? Les différentes catégories ne font-elles que se croiser, se juxtaposer les unes aux autres ou au contraire se parlent-elles, réagissent-elles les unes par rapport aux autres ? La mixité sociale d’un quartier ne signifie pas que les différents groupes sociaux interagissent directement les uns avec les autres. En effet, l’espace public n’est pas celui d’une seule communauté, mais d'un ensemble de communautés qui vivent séparément. Même si différentes catégories de la population partagent le même espace, elles peuvent demeurer distantes les unes aux autres.

2. Tesson, Philippe, Paris - Logement : Anne Hidalgo promeut la mixité sociale, Le Point.fr, 17.04.14 3. Freedman, Martine, Faire cohabiter mixité et espace public : un enjeu de la revitalisation urbaine, Cahiers de géographie, vol. 53, 2009, 420 p.


croassement d'un corbeau – souffle du vent – éboueurs – un clochard est assis sur le bord du trottoir – effluves de nourriture – moto qui se gare – camionnette en stationnement – odeur de cigarette – attroupement d'individus – effluves de nourriture – odeur de poulet grillé – sonnerie de téléphone – silence – pas qui résonnent – touristes – sirène d'une ambulance – un enfant pleure – langues étrangères – un homme sifflote – attroupement de fumeurs – sacs de courses – des familles passent – transport de marchandises – valise que l'on tire – langues étrangères - effluves de nourriture Introduction


Les

hommes, premiers bâtisseurs du monde

Le lieu de naissance n’est pas anodin. Espace d’éveil au monde, il assigne chaque homme à la condition du lieu. Le fait de vivre ici ou là n’est pas non plus un jeu de circonstances : il forge la personnalité de chaque homme qui, en y prenant part en tant que résident, touriste ou passager, participe à faire ce qu’il est. En habitant les territoires, les hommes participent à la construction du monde et en parcourant les lieux, ils tissent des liens entre ces territoires. « Les territoires se partagent les hommes en même temps que les hommes les partagent, dans une sorte d’enchaînement permanent qui fait, jour après jour, l’histoire de cette géographie. Cette histoire est avant tout celle des hommes, seuls et uniques faiseurs du monde. » 4 Les territoires se forment ainsi par leurs mouvements : ce sont d’abord les hommes qui les habitent. Jamais entièrement seuls, ni complètement ensemble, ils s’entretiennent à travers le monde en s’inscrivant dans des rapports de [co]habitation qui les engagent entre eux. Ils sont à la fois habitants et [co]habitants. « Rien n’est

moins certain que le monde. » 5

Le phénomène de mondialisation bouleverse le rythme traditionnel des hommes. Plusieurs communautés se sont rassemblées dans des lieux diversifiés qui se donnent comme première condition de vivre ensemble. Peu à peu, elles en viennent à partager les mêmes mesures, richesses et codifications. Ce sont aussi les manières de percevoir le monde et ses lieux qui se transforment. « Quand l’articulation entre des lieux et le monde échappe aux mesures de grandeurs, ce n’est plus à une inversion d’échelle que l’on assiste, mais à une autre manière de l’évaluer. » 5 Le rapport au temps et à l’espace est entièrement remis en cause, et avec eux, les modalités des relations humaines. Aujourd’hui, jamais le monde n’a pu sembler aussi imprévisible et incontrôlable. Le temps et les lieux se combinent autrement pour fabriquer de nouvelles personnalités. Il ne s’agit plus seulement d’un changement de comportement, mais véritablement d’une nouvelle manière d’être : l’identité humaine se brouillant dès lors que l’horizon de l’homme s’élargit. De nouvelles préoccupations apparaissent, en commençant par celles de « l’autre. » La question du rapport à l’autre se pose alors, comme pour celle du rapport à soi.

4. Lazzarotti, Olivier, Habiter la condition géographique, Paris, Belin, 2006, p.6 5. Lazzarotti, Olivier, Habiter la condition géographique, Paris, Belin, 2006, p.13

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La

ville mondialisée, à la croisée de flux, de personnes, de marchandises et de signes...

« L’urbanité est connexion, continuité, porosité, perméabilité du vivre-ensemble. »

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La ville globalisée, entre diversité et altérité, est par excellence le lieu où se joue cette relation à l’autre. Elle a la particularité de faire se rencontrer les gens avant même de se connaître. Ils y élaborent ensemble les règles d’urbanité rendant possible l’existence de leurs différences. La ville n’opère pas de distinction et permet à chacun de se sentir d’ici. Elle possède les principes de ce qui fait société. Paris forme, au gré de son histoire, une mosaïque urbaine. Les quartiers regorgent de mondes distincts qui se forment, s’animent et s’interpénètrent subtilement. Ils établissent des micro-frontières imperceptibles au passant non averti. La capitale est en constante évolution : l’espace parisien s’est étendu « par strates successives, denses et concentriques » et la ville est « le produit de sédimentations des vagues d’immigration. » 7

Les

faubourgs, un échantillon du monde

Dans un tissu en perpétuel renouvellement, les faubourgs forment une strate particulièrement sensible. Il s’agit du quartier formé par le Fwaubourg Saint-Denis et Saint-Martin, délimité au Sud par les Grands Boulevards, au Nord par le Boulevard de Magenta, à l’Ouest par la rue d’Hauteville et à l’Est par la rue de Lancry. Aujourd’hui, et comme hier, des dynamiques de populations d’origines variées s’inscrivent visiblement, et de façon localisée, dans les espaces publics du quartier. Avec le phénomène industriel, l’émergence de plusieurs vagues successives d’ouvriers étrangers a transmis au faubourg son caractère populaire. Suite à la désindustrialisation, les anciens locaux désaffectés ont été réinvestis par les classes moyennes supérieures, produisant une forme de cohabitation sociale particulière avec les premiers immigrés. Ancien quartier populaire, solidaire et festif, l’embourgeoisement croissant du quartier inverse les pratiques de l’espace public, amenant à une marchandisation de l’espace public, à la privatisation et au repli sur soi. Parallèlement, le développement des centralités de loisirs – Oberkampf... - met à mal l’identité traditionnelle du quartier, menacé par une boulevardisation de son paysage urbain. La conjugaison de ces deux phénomènes conduit peu à peu à la dépossession de l’espace public par ses habitants. 6. Werlen, Jean, Quand les quartiers réinventent la ville, Paris, Autrement, 2009, p.28 7. Aragon, Argan, La trame des faubourgs de Paris, Paris, Esprit d’avant, 2008, n°1 La Cité


Dans un contexte de mondialisation et d’intensification des échanges en ville, s’interroger sur les nouveaux enjeux de l’espace public métropolitain semble inévitable : nouveaux rythmes de vie, nouvelles modalités spatio-temporelles... D’autre part, qu’en est il du rôle des politiques publiques en matière d’aménagement urbain ? Et quelle place à l’habitant dans l’amélioration de sa vie quotidienne ? Pratiques

antagonistes de l’espace public

La multiplicité des pratiques urbaines et l’accélération des rythmes quotidiens confronte nos métropoles à des conflits d’occupation de l’espace. Dans le quartier Saint-Denis, la Cour des Petites Ecuries, récemment ouverte au public, en est un bon exemple. Réputée pour ses bars et restaurants festifs, l’augmentation de sa fréquentation nocturne perturbe la tranquilité quotidienne des habitants. Tourmentés par les bruits tardifs, ceux-ci vivent dans une tension permanente avec les commerçants et consommateurs de la cour. Ainsi,

comment faire

vergent

?

(co)habiter

des populations de passage avec des populations riveraines, dont les intérêts di-

Le mémoire se décline en trois parties. La première partie revient sur la formation historique du quartier des faubourgs (I) et décrit les dynamiques urbaines, sociales et identitaires à l’œuvre dans le quartier (II). La seconde partie interroge plus globalement sur la notion d’espace public – démarche participative, espaces-temps... - tout en se rapportant aux champs d’action des politiques européennes en matière d’urbanisme. Enfin, la troisième partie introduit le site et énonce les problématiques en jeu. Elle se termine en décrivant les intentions et modes opératoires du projet (III).

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conversation téléphonique – descente – des écoliers sortent de l'école – odeur d'épices – vélo – moto – langues étrangères – sac de courses – caddie que l'on tire – un mendiant accoste les passants - transport de marchandises - touristes – un enfant pleure – des familles passent – crachat - SQUARE ALBAN SATRAGNE – pigeons – odeur d’urine – RUE DU FAUBOURG SAINT-DENIS - crachat – un homme évacue – BOULEVARD DE MAGENTA – on me demande la Gare du Nord – moteurs – suintement d’une moto – services de propreté – poussette – valise que l’on tire – odeur de pain chaud - vira Sommaire


PARTIE I. DESCRIPTION Formation

historique des faubourgs et dynamiques urbaines, sociales et identitaires

I. Le Xe arrondissement, un quartier en mutation

A. Formation du tissu urbain - Popularisation du quartier

1. L'apparition des faubourgs, une extension de la ville dans un paysage rural 2. L'industrialisation, la paupérisation, l'immigration 3. La désindustrialisation, des locaux industriels désaffectés

B. Renouvellement de la ville pour répondre à des besoins nouveaux - Gentrification 1. Un bâti ancien disponible, un nouveau marché immobilier de l’Est parisien

2. Un mode de vie centralisé autour du logement - réhabilitation 3. Valorisation, fétichisation du quartier populaire

C. Une cohabitation sociale et ethnique particulière

1. Identités / Altérités dans le faubourg : activité économique et multiculturalité 2. Échanges et réseaux sociaux dans un quartier gentrifié 3. Faire quartier, une dynamique urbaine codifiée

II. Les dynamiques d’appropriation de l’espace commun

A. Des formes de vie sociale apparentes dans le quartier

1. Des espaces de sociabilité localisés dans le quartier 2. Distance sociale, rapports de proximité et signes d’altérité 3. La mixité sociale : un décor dans le quartier ?

B. Un nouveau mode de vie urbain

C. Dépossession de l’espace commun 1. Une reconversion progressive du quartier populaire

1. Investissement des lieux collectifs privés : entre-soi communautaire 2. Surgentrification, aspiration à l’ordre et au calme

2. De la rue Oberkampf au quartier branché - le phénomène Oberkampf

Résister en habitant par des pratiques collectives et quotidiennes de l’espace 17


PARTIE II. REFLEXION Espace

public

: multifonctionnalite, amenagement

temporaire et participation des habitants

Reconversion des enjeux politiques de l’aménagement urbain A. [Re]politiser les quartiers

1. De la pensée fonctionnaliste vers une mixité d’usages 2. S’emparer du génie du lieu : donner un sens à la ville 3. Observation des politiques publiques : règlementation française et politique de rénovation urbaine

B. Les programmes d’action mis en place dans le 10ème arrondissement

C. L’espace public comme enjeu de reconquête sociale

D. L’urbanisme temporel, aménager les rythmes du vivre-ensemble

1. La Délégation à la Politique de la Ville et à l’Intégration 2. La Gestion Urbaine de Proximité, démarche d’accompagnement de la rénovation urbaine 3. Projets conduits par les services et directions de la ville

1. Inverser les logiques institutionnelles, partager les outils du pouvoir 2. Fabriquer la ville avec les habitants : le débat collectif au service du citoyen 3. De la démocratie représentative vers la démarche participative

1. Accélération des temps quotidiens en métropole 2. Les espaces rythmiques, un regard novateur sur la ville 3. Intensification de la polychronie urbaine, multiplicité d’usages dans la ville

La [re]conquête des espaces publics à Bruxelles Recyclart, un projet urbain, économique et social, inspiré de la ville

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PARTIE III. INTERVENTION Cour

des

Petites Ecuries : conflits d’usage, espaces

de compatibilite et gestion temporelle

Instaurer de nouvelles formes de résiliences communautaires

A. La pensée dialectique de l’espace, complexité de l’espace social transposée à la ville

B. Principes de base de la construction de l’espace social : agencements de compatibilité

1. Cours sur rue, nouvelles formes de cohabitation 2.. Emergence de pratiques antagonistes au sein de la Cour des Petites Ecuries 3. L’espace de médiation, terrain de convergence des pratiques urbaines de proximité

1. D’un modèle antagonique vers une flexibilité d’usage au sein d’espaces mutualisés 2. Modularité : une interface dynamique en bord de rue 3. Accessibilité : détourner les systèmes pour assurer la [co]habitation

C. Apport de solutions techniques, programmatiques et consensuelles

1. Limiter les répercussions sonores de la cour, de jour comme de nuit 2. Instaurer des programmes d’activités variés 3. Attribuer une dimension solidaire à la cour

D. L’architecture du non-fini, une gestion différenciée dans le temps

1.

Encourager les processus collaboratifs et privilégier l’usage à la possession 2. Transformer la cour en un espace populaire 3. Un processus multiforme d’ajout, laisser libre cours à des usages spontanés

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BOULEVARD BONNE NOUVELLE – virage – trop de bruit - virage à droite – RUE D’EN traversée – Chez Jeannette – bonne odeu SAINT-DENIS - livraison - embouteillages - k – un avion passe – odeur de pain chaud – CHATEAU D’EAU PETITES ECURIES – discus DU CHATEAU D’EAU – langues étrangères – trop de passage – odeur de marrons ch STRASBOURG – clameurs – accélération klaxons – trop de circulation – trop de bru – descente – virage à droite - RUE DU F – langues étrangères – crachat – langues – verdure – chants d’oiseaux – roms – trop BOULEVARD DE MAGENTA – moteurs – cir – sirène d’une autre ambulance – attente

Partie I.


à droite - descente – RUE D’HAUTEVILLE NGHIEN – encombrement – trop de gens ur – virage à gauche – RUE DU FAUBOURG klaxons – langues étrangères – bousculades – connaissance – traversée – CARREFOUR ssion – salutations – virage à droite - RUE – klaxon – langues étrangères – touristes hauds – virage à gauche – BOULEVARD DE – rabatteurs – accélération - moteurs – uit - virage à gauche – RUE DE LA FIDELITE FAUBOURG SAINT-DENIS – bonnes odeurs s étrangères – SQUARE ALBAN SATRAGNE p de pigeons – saletés – virage à gauche – rculation – vélos - sirène d’une ambulance e – traversé – attente – escription traversé – klaxon

D



1

2

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3.1871

1. Paris vers 1650

Alphand - Atlas des travaux de Paris

Plan Delagrive Enceinte de Charles V 2. 1780-1830

Opérations de voierie réalisées de 1848-1854 Opérations de voierie réalisées de 1854-1871 Opérations de voierie réalisées de 1871-1889

Plan de Verniquet - à l’intérieur du mur des Fermiers Généraux 1784-1790 Mur des Fermiers Généraux Voie percée de 1780 à 1830 Limites d’arrondissements actuelles

Limites d’arrondissements actuelles 4. 2013 Google map Réseau créé sous la IIIe république Limites d’arrondissements actuelles


I. Le Xe A.

arrondissement, un quartier en mutation

Formation

1. L'apparition De

du tissu urbain

- Popularisation

du quartier

des faubourgs, une extension de la ville dans un paysage rural

la pleine fertile au faubourg,

IVe

siècle

– XVIe

siècle

Le territoire du quartier est initialement une terre de marécages, appartenant au Clergé et traversée par un bras de la Seine qui coule à l’emplacement de l’actuelle rue du Château d’Eau et des Petites Écuries. Au Nord, les faux-bourgs de Paris, représentés par les rues des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin, sont principalement occupés par des champs. Passé l’arrondissement, ils s’écartent vers le Nord et l’Est, tracés qui se prolongent dans les actuels 18e et 19e arrondissements.

« C’est une plaine sans fin, cultivée en certaines de ses parties, boisées en d’autres, avec un unique chemin qui la traverse du Sud au Nord. » 1 Quelques établissements religieux se dispersent dans cette étendue. Au VIe siècle, des catholiques construisent l’église gothique Saint-Laurent entre les rues des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin. Elle témoigne du développement des faubourgs médiévaux jusqu’à l’actuelle Gare de l’Est. Au début du XIIe siècle, des religieux lazaristes fondent la « Léproserie de Saint-Lazare », qui allait posséder une grande partie des terres pendant près de cinq cents ans. Outre sa vocation religieuse, le territoire sera, jusqu’au XVIIe siècle, consacré à l’activité agricole et restera en dehors de Paris. Au XIIe siècle, pour prévenir les risques d’invasion et défendre la ville, Philippe-Auguste ordonne la construction d’une muraille. Deux siècles plus tard, Charles V l’agrandit jusqu’à la frontière actuelle du 3e arrondissement, et la renforce par le creusement de fossés devant les murs. Par cette enceinte, le roi coupe les faubourgs de la ville. Pour autant, la croissance de la ville est déjà amorcée et les limites de Paris seront repoussées progressivement. Victor Hugo évoque cette croissance comme une force irrésistible « Philippe Auguste (…) emprisonne Paris dans une chaîne circulaire de grosses tours, hautes et solides. Pendant plus d’un siècle, les maisons se pressent, s’accumulent et haussent leur niveau dans ce bassin comme l’eau dans le réservoir. Elles commencent à devenir profondes, elles mettent étages sur étages, elles montent les unes sur les autres, elles jaillissent en hauteur comme toute sève comprimée, et c’est à qui passera la tête par-dessus ses voisines pour avoir un peu d’air. La rue de plus en plus se creuse et se rétrécit ; toute place se comble et disparaît. Les maisons enfin sautent par-dessus le mur de Philippe Auguste, et s’éparpillent joyeusement dans la plaine sans ordre et tout de travers, comme des échappées. 1. Martin, Alexis, Histoire du Xe arrondissement, Paris, Res Universis, 1990, p.9


Figure 1 - Plan de Paris de Belleforest, 1575

Figure 2 - Zoom sur les faux bourgs

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Là, elles se carrent, se taillent des jardins dans les champs, prennent leurs aises. Dès 1367, la ville se répand tellement dans les faubourgs qu’il faut une nouvelle clôture, surtout sur la rive droite, Charles V la bâtit. Mais une ville comme Paris est dans une crue perpétuelle. (…) L’enceinte de Charles V a donc le sort de l’enceinte de Philippe Auguste. Dès la fin du quinzième siècle, elle est enjambée, dépassée, et le faubourg court plus loin. » 2 A partir du XIVe siècle, les charges de la ville s’alourdissent et quelques habitants émigrent en dehors de ses limites : c’est ainsi que naissent les faubourgs peuplés, à l’origine, de petits artisans, jardiniers, maraîchers et vignerons. Malgré cela, pour essayer de ralentir l’extension d’une ville devenant difficile à contrôler, les rois interdisent de bâtir dans les faubourgs qui, de ce fait, conservent, jusqu’au XVIIIe siècle, leur aspect rural. L’intégration

des faubourgs à la ville,

XVIIe

siècle

- XVIIIe

siècle

Pourtant, le milieu du XVIIe siècle voit naître les débuts de l’urbanisation du faubourg, avec la création d’un lotissement dans un clos, à la limite de l’actuel 9e et 10e arrondissement, le hameau de la Nouvelle France, centre populaire pendant plusieurs siècles. Quelques années après, la construction de l’hôpital Saint-Louis en plein champs en fait, d’ailleurs, un espace de délestage pour la ville, servant à mettre en quarantaine les victimes d’épidémies. En 1670, soit un demi siècle plus tard, Louis XIV ordonne la destruction des fortifications de Charles V et, sur leur emplacement, une large promenade plantée : les Grands Boulevards. En remplacement des anciennes portes de l’enceinte, le roi fait construire deux arcs de triomphe : la Porte Saint-Denis et la Porte Saint-Martin. Dès lors, les échanges entre la ville et les faubourgs s’accélèrent : un processus d’urbanisation se met alors en marche, en dépit de l’interdiction permanente de construire à l’intérieur des faubourgs.

« L’urbanisation au lieu de se faire en noyaux denses et serrés, progresse de façon centrifuge le long des faubourgs, qui rayonnent dans le prolongement des grands axes de la ville ancienne. » 3 Au début, les artisans sont les premiers à s’installer dans le faubourg, mais avec les travaux d’aménagement du Grand Égout entre 1737 et 1766, les espaces occupés par les jardins maraîchers sont rapidement remplacés par des maisons de la haute-bourgeoisie. A côté de cela, les Grands Boulevards, devenus des lieux de promenade, voient s’installer de nouvelles activités liées à la mode et au divertissement - théâtres, magasins de textiles, coiffeurs... Un début d’industrialisation s’instaure également avec l’établissement de manufactures de porcelaine, soierie et d’ateliers de confection. Attirés par le dynamisme économique de la capitale, de nombreux provinciaux arrivent en masse des campagnes pour s’installer en ville. L’exode rurale s’amorce, et avec elle, un processus d’urbanisation. Les faubourgs entrent en scène. 2. Hugo, Victor, Notre Dame de Paris, Paris à vol d’oiseau, Paris, Gallimard, 1832, pp.17-18 3. Hazan, Eric, l’Invention de Paris, Paris, Seuil, 2012, p.147


Figure 3 - Ancien clos Saint-Lazare, 1789

Figure 5 - Rue du Faubourg Saint-Denis au XVIIIe siècle

Figure 4 - Porte Saint-Denis, après la démolition de l’enceinte

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En 1784, pour faire état de la réalité urbaine de Paris, Louis XVI intègre les faubourgs à la ville en repoussant, au Nord, les frontière de Paris jusqu’à l’enceinte des Fermiers Généraux, une ancienne barrière fiscale construite pour récolter l’octroi et taxer les marchandises entrant dans Paris. Son emplacement correspond aujourd’hui aux lignes du métro aérien, formant un cercle dans les arrondissement péricentraux.

2. L’Industrialisation, la

popularisation, l’immigration

XIXe

siècle

– XXe

siècle

A la fin du XVIIIème siècle, les limites de l’espace bâti sont donc repoussées à l’enceinte des Fermiers Généraux, agrandissant Paris et incluant les faubourgs dans la ville. Au XIXème siècle, Paris hérite d’une phase d’industrialisation et la ville se densifie. L’Est parisien s’urbanise, entraînant la formation des quartiers populaires. Des lotissements se développent peu à peu le long des faubourgs. A l’emplacement du clos Saint-Lazare, le Faubourg Poissonnière s’urbanise activement rue d’Enghien, rue de l’Échiquier et rue d’Hauteville. Il est doté d’une grande église - Saint-Vincent-de-Paul - et il amorce, par la rue Charles X, la grande diagonale de la rue La Fayette prolongée jusqu’à l’Opéra sous le Second Empire. Avant même le Second Empire, la période est marquée par l’arrivée du chemin de fer. Avec le développement de la métallurgie et de la mécanique, deux événements majeurs transforment définitivement le visage du faubourg : la construction du canal de l’Ourcq, et ses prolongements dans Paris, ainsi que la construction de la Gare du Nord et de la Gare de l’Est. Ces conjonctures participent au développement économique du Nord-Ouest de l’arrondissement, unifié par une vaste composition réalisée progressivement : l’hôpital Lariboisière est précédé des rues Ambroise Paré et Saint-Vincent-de-Paul, le futur boulevard de Magenta est esquissé en partie Nord, la rue de Dunkerque et le boulevard Denain précèdent la gare du Nord. Avant même l’arrivée d’Haussmann, les grands travaux du Second Empire commencent avec le percement du boulevard de Strasbourg, dans l’axe de la gare de l’Est, et du boulevard Magenta, reliant en diagonale le Faubourg Poissonnière à la future place de la République. Ces grands axes désenclavent complètement l’arrondissement jusqu’alors desservi du Sud au Nord par les rues de faubourg. A la fin du XIXe siècle, l’urbanisation du 10e arrondissement est achevée. Le quartier se trouve ainsi à la croisée de ces nouveaux axes de transport. Le percement, par Haussmann, d’avenues larges et dégagées - Boulevard de Magenta, rue La Fayette – facilite la circulation et, très rapidement, il devient l’un des plus importants nœuds d’échanges économiques et humains. Dans cette ébullition, le petit artisanat fleurit, ainsi que les commerces et lieux de divertissement sur les Grands Boulevards. Ces bouleversements économiques, associés au processus migratoire des provinciaux vers la capitale, resserrent les mailles du tissu urbain de la capitale. Les nouvelles populations, issues du Nord et de l’Est s’installent principalement dans les anciens faubourgs, où il y a encore de l’espace 28


Figure 6 - Gare de l’Est axée sur le boulevard de Strasbourg

Figure 7 - Gare du Nord axée sur le boulevard de Denain

Figure 9 - Urbanisation du quartier du Faubourg Poissonière

Figure 8 - Eglise Saint-Laurent

Figure 10 - Canal Saint-Martin

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constructible. A cette époque, la spéculation immobilière conduit à l’utilisation maximale des parcelles. La trame urbaine porte encore la trace des anciens chemins ruraux. Sa forme laniérée hérite du parcellaire rural caractérisé par de longues bandes étroites, perpendiculaires à la rue du faubourg. La construction des immeubles, coupés en petit logements, est réalisée moindre coût, en employant généralement des matériaux de qualité médiocre – façades sobres enduites de plâtre... Le tissu urbain est hétérogène. Malgré des hauteurs et des gabarits variés, l’alignement des façades procure une certaine cohérence d’ensemble. En outre, l’intégration de certains bâtiments industriels dans l’alignement des immeubles ne va pas sans rappeler l’étroite combinaison qu’il existe alors, entre industrie et habitat. En effet, pour rapprocher la main d’œuvre ouvrière de son lieu de travail, les usines, ateliers, commerces et habitats ouvriers sont réalisés côte à côte et imbriqués ensemble autour d’une cour dite industrielle. Cette articulation est une caractéristique de la morphologie urbaine du faubourg jusqu’au milieu du XIXème siècle. Ces cours servent d’intermédiaire entre l’espace public et domestique. Elles se différencient des cours d’immeubles classiques par leur aspect étiré, en forme de rectangle perpendiculaire à la rue et sont généralement fermées par une porte cochère, au pied d’un immeuble donnant sur la rue. Leur agencement particulier, autour d’un espace commun, facilite la complémentarité de nombreuses fonctions. Ainsi, l’espace libre des cours est utilisé comme lieu d’entrepôt et les bâtiments à l’entour regroupent divers ateliers en rez-de-chaussée et des petits logements sans confort sanitaire destinés aux ouvriers. Cette architecture d’ensemble, dite faubourienne, développe donc un urbanisme typique né de l’industrialisation. En intégrant les ateliers et les usines au cœur même du tissu résidentiel, elle participe à densifier le tissu urbain et à former un quartier ouvrier. Et au monde frivole et bourgeois des Grands Boulevards vient s’ajouter un univers populaire festif et réjouissant dans les cours artisanales. Au fur et à mesure, et tout au long du XXe siècle, plusieurs vagues d’immigration se perpétuent. Des étrangers venus d’Espagne, de Suisse ou d’Italie viennent travailler à Paris en tant que saisonniers. Au fil des ans, il décident de s’installer dans la capitale et font venir leur famille. Ils s’établissent dans les faubourgs, où il y a du travail et une offre de logements accessibles. Ces événements s’expliquent donc par un besoin constant de main-d’œuvre jusqu’à la fin du XXe siècle. Ainsi, les premiers flux migratoires issus de l’exode rural sont vite remplacés par de nouveaux flux de migrants venus d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Les immigrants comblent le vide laissé par les anciennes classes populaires, prolongeant l’héritage de ce quartier parisien. Par leur mode de vie, ils contribuent à transformer les commerces, l’espace public et substituent à l’identité populaire traditionnelle une identité

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Figure 11- Rue du Faubourg Saint-Denis

Figure 12- Rue du Château-d’Eau

Figure 13 - Boulevard Magenta

Figure 14- Rue La Fayette et Faubourg Saint-Martin

Figure 15 - Rue du Faubourg Saint-Denis

Figure 16 - Rue du Faubourg Saint-Denis

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étrangère forte.

3. La

désindustrialisation, des locaux industriels désaffectés

Le faubourg industriel atteint son apogée au milieu du XXe siècle. Dès lors, de nouvelles centralités commerciales se sont formées comme les Grands Magasins ou le Sentier. Pourtant, à partir des années 1960, le quartier marchand s’essouffle. D’abord, la désindustrialisation touche les activités économiques de plein fouet, entraînant le départ des petits artisans des cours industrielles, en raison de plus grosses unités de production et de vente. Ensuite, la construction massive de logements sociaux en banlieue et les grandes opérations de rénovation dans Paris provoque l’éviction d’une partie des classes populaires. Une

appropriation transitoire des lieux devenus marginaux

Ces phases successives de dépeuplement nuisent au territoire du faubourg. Les cours, vidées de leurs habitants, sont nombreuses à connaître une dégradation de leurs locaux. Marginalisés, ces lieux situés en retrait de la rue servent rapidement de repère au trafic et à la consommation de drogue. Une économie souterraine se met alors en place, déstructurant brutalement le tissu social du quartier. L’Est entre à bout de souffle et, à la fin du XXe siècle, la question du rééquilibrage avec l’Ouest de Paris devient l’un des principaux objectifs de la Politique urbaine de la Ville. Opérations

de rénovation

: déloger, démolir, reconstruire /

valorisation économique

Dans les années 1970 et 1980, des opérations de rénovation sont entreprises à la suite du départ des industries. La Ville de Paris lance ainsi un Plan Programme pour reconquérir l’Est parisien. Les immeubles anciens sont démolis et une série d’actions est répertoriée – meilleures conditions d’habitat, renforcement des emplois, aménagement de nouveaux quartiers, embellissement des espaces publics, création d’espaces verts... - améliorant le cadre de vie général. Le quartier de l’Est arrondissement se renouvelle particulièrement. De part et d’autres du canal Saint-Martin, d’importantes rénovations ont lieu sous formes de grands ensembles d’immeubles - ZAC de la Grange aux Belles, secteurs de plan de masse de Valmy-Verdun, Jemmapes, Bichat. Dans l’espace public, un projet de mise en valeur des canaux est élaboré : les quais sont restaurés et des rangées de peupliers plantées sur ses rives. Le secteur tertiaire est favorisé, encourageant l’implantation de bureaux et d’industries propres comme les médias. La construction de logements intermédiaires est privilégiée afin d’attirer, dans le Nord-Est, les 32


Figure 17 - Promenades sur le boulevard de Bonne-Nouvelle

Figure 18 - MarchĂŠ au coin du boulevard Magenta

Figure 19 - Boulevard Magenta

Figure 20 - Vue sur les ĂŠcluses du canal Saint-Martin

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classes moyennes de la petite bourgeoisie. De nouveaux usages se développent liés au tourisme, aux loisirs et à la promenade. Opérations

de réhabilitation

: respecter

la figure du quartier

/

valorisation symbolique

Dans les années 1990, suite à la fermeture croissante des ateliers, la sauvegarde de ce qui reste du petit commerce devient l’une des priorités des pouvoirs publics. La Société d’Économie Mixte de la Ville de Paris lance alors le programme Vital’Quartier veillant à l’animation économique du Nord Est. D’autre part, la Politique de la Ville de Paris se prononce pour un urbanisme « à visage humain, mettant fin aux démolitions et plus respectueux de l’âme, du caractère et du patrimoine affectif des quartiers, visant à affirmer leur identité en tenant compte le plus largement possible du souhait des habitants. » 4 Les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat favorisent ainsi la préservation du tissu urbain à travers la réhabilitation, incluant le bâti des faubourgs. Les Grands Projets de Renouvellement Urbains participent, quant à eux, à l’embellissement du Nord Est de la capitale. Par ailleurs, un urbanisme de proximité est institué. Il promeut une ville agréable à vivre, d’abord pour ses habitants, qui doivent être associés aux procédures d’urbanisme – démocratie de proximité et conseils de quartier.

« Ces éléments sont essentiels pour donner à l’Est de Paris son poids d’histoire, sa bonhomie, son côté attachant et sa valeur architecturale, urbaine et humaine. » 5 De fait, les aides à la réhabilitation des immeubles et à l’intervention sur l’espace public transforment le paysage urbain du Nord Est de Paris. Il devient un espace touristique, digne d’être arpenté et visité, où les guides mettent en avant l’authenticité des lieux parcourus. Suite à ces discours de revalorisation du quartier, un certain goût pour l’habitat ancien se développe à Paris.

B.

Renouvellement

1. Un

de la ville pour répondre à des besoins nouveaux

bâti ancien disponible, un nouveau marché immobilier de l’Est parisien

En opposition à l’ancienne politique de rénovation, prévoyant de percer les passages et de faire disparaître les cours intérieures, un certain engouement pour le patrimoine urbain des faubourgs voit le jour. L’intérêt pour les espaces atypiques des anciens locaux industriels déclenche un processus de gentrification dans le quartier, c’est-à-dire « un embourgeoisement spécifique du quartier populaire, accompagné par la suite de la transformation du bâti et du quartier. » 6 De

grandes surfaces peu onéreuses et proches du centre

4. Tibéri, Jean, Communication sur l’urbanisme, 1996 5. Paris Projet, Paris, APUR, 27-28, 1987, pp.10-18. 6. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.56


Figure 21 - Quais du canal Saint-Martin restaurés et arborés

Figure 22 - Création du Jardin de Villemin

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Ce phénomène est enclenché par des initiatives individuelles, elles-mêmes déterminées par des facteurs économiques. Au commencement, le bâti ancien du quartier des faubourgs représente une opportunité immobilière. Il y a là des locaux disponibles à faible coût, et proches du centre, dans un contexte de hausse des loyers à Paris. « L’appropriation des quartiers populaires par les ménages suppose à la fois un cadre bâti susceptible de les attirer et localisation proche du centre. Il s’agit d’un mécanisme économique lié à la sous-évaluation des prix immobiliers des quartiers populaires, compte tenu de la proximité du centre. Cela correspond au raisonnement d’un promoteur achetant à bon prix un immeuble ancien et dévalorisé pour le réhabiliter ou le démolir et le remplacer par un immeuble neuf haut de gamme. » 7 Les artistes et professions culturelles sont les premiers habitants à se distinguer des classes populaires résidentes. Généralement peu fortunés, ils sont sensibles à la hausse des prix de l’immobilier et se saisissent alors de l’opportunité que représente la vacance des locaux industriels du quartier. Ces architectes, photographes, artistes plasticiens, stylistes ou autres créateurs sont en quête de locaux d’activité abordables et proches du centre de Paris pour faciliter les relations aux clients, avec les entreprises ou galeries d’art. Par la suite, d’autres ménages, au capital culturel fort, s’installent à leur tour dans le quartier, à la recherche d’un logement bon marché à acquérir. Pour ces individus, la priorité est de trouver de la surface disponible dans Paris et à moindre coût, le choix du quartier étant secondaire. D’abord en quête d’un logement, ils sont aussi à la recherche d’espaces atypiques revêtant un caractère particulier : beaux volumes, grande hauteur sous plafond, fond de cour calme, terrasse arborée... Ils sont par ailleurs attentifs à des éléments de qualité tel que la luminosité ou la sonorité. Si les lieux sont devenus hors d’usage, ils les réhabilitent et les aménagent à leur guise, laissant là s’exprimer leur créativité.

« L’implantation résulte donc d’un compromis entre une exigence spatiale beaucoup plus vaste (la capitale) et une opportunité locale beaucoup plus restreinte - l’appartement. » 8

2. Un

mode de vie centralisé autour du logement

- réhabilitation

C’est donc avant tout pour trouver un local ou un logement que les nouveaux ménages s’installent dans le quartier. Ils ont en commun de vouloir, par leur activité singulière, rapprocher domicile et lieu de travail, inscrivant le nouvel espace acquis au centre de leur mode de vie. C’est le cas, par exemple, des artistes à la recherche d’un atelier leur servant aussi de domicile. Ce rapprochement entre domicile et lieu de travail permet de réduire les déplacements quotidiens et d’adopter un mode de vie particulier, dans lequel travail et loisirs s’interpénètrent. Ce faisant, les temps de travail et de loisirs sont entièrement centrés sur le logement, ainsi que sur le quartier alentours avec ses bars et ses restaurants. Le logement revêt donc une place centrale dans la vie quotidienne, formant un espace de vie fondé sur la proximité du travail, des 7. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.91 8. Clerval, Anne, Les anciennes cours réhabiilitées des faubourgs, Paris, Espaces et Sociétés, 2008, 264 p.


Figure 23 - Passage du DĂŠsir

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loisirs et des lieux de sorties. Cette articulation entre domicile et lieu de travail renforce les liens sociaux interprofessionnels et amicaux : les personnes avec lesquelles les habitants travaillent deviennent aussi des amis et vice versa. Pour adapter les lieux à leur mode de vie spécifique, alliant travail et domicile, les nouveaux propriétaires ont recours à la réhabilitation afin d’améliorer leur logement. Le plus souvent, ils reconfigurent leur logement eux-mêmes, ce qui représente un investissement temporel et matériel autant que financier. Les travaux sont néanmoins soutenus par les politiques publiques en vigueur, au travers les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat, les emprunts immobiliers et la défiscalisation des travaux de réhabilitation. Sur le modèle du loft new-yorkais des années 1960, l’acquisition de départ est généralement constituée d’un large espace ouvert, sorte de plateau nu qui utilise un maximum de hauteur sous plafond et conserve les éléments caractéristiques de l’architecture industrielle. Pour le moderniser, les habitants assainissent les locaux délabrés, cloisonnent ou non les espaces et utilisent les mezzanines permises par les grandes hauteurs sous plafond. Ainsi, l’appartement final s’organise couramment autour d’une vaste pièce principale qui peut conjuguer plusieurs fonctions, des repas aux loisirs en passant par le travail dans certains cas. Les nouveaux habitants s’impliquent très personnellement dans la réhabilitation du logement. Ils ont en commun de former un habitat qui se mérite, à forte valeur affective. De plus, l’engagement dans le projet de rénovation représente une expérience initiatique par laquelle ils partagent avec d’autres individus et se sentent appartenir à un groupe. Une fois les travaux terminés, l’effort fourni se prolonge ensuite jusqu’au sein de la copropriété.

3. Valorisation, fétichisation

du quartier populaire

La présence de ces nouveaux ménages transforme le quartier en y développant de nouveaux modes de vie et de nouvelles formes de sociabilité. En plus de l’habitat ancien, ils sont attirés par l’imaginaire et la symbolique que génèrent le quartier populaire. La notion même de quartier populaire apparaît dans les années 1960 et elle est invoquée lors des opérations de réhabilitation. A ce moment là, l’image du Paris populaire, chaleureux et bon enfant, réconforte un grand nombre de groupes sociaux qui voit là un refuge de solidarités face à la compétition et au repli sur soi. Habiter dans un quartier du Nord Est, c’est donc bien aussi faire le choix d’un vieux Paris qui aurait survécu au temps, à la fois authentique par son ancienneté et par sa popularité. Les anciennes trames faubouriennes, les impasses de cités ouvrières, les immeubles modestes et les signes de l’activité industrielle fonctionnent toujours comme des traces marqueur d’une époque.

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Figure 24 - L’Atelier de Pablo, vitrine d’une boutique de décoration rénovée rue d’Hauteville

Figure 25 - Intérieur de la boutique rénovée

Figure 26 - Sous-sol de la boutique rénovée

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A travers la modernisation de leur atelier ou logement, leur présence au quotidien et la fréquentation des cafés, les nouveaux habitants renouvellent l’ambiance, et donc l’image, de ce quartier populaire. En proposant de nouvelles animations – repas entre voisins, expositions dans les cafés..., ils prolongent la tradition festive du quartier. S’ensuit alors une transformation des commerces et des cafés qui s’adaptent à la nouvelle classe moyenne en changeant de décor et/ou de propriétaire. Afin de correspondre aux attentes des nouveaux venus, chacun est réhabilité dans un mélange de tradition – avec la récupération d’éléments du précédent local, et de modernité – avec l’introduction d’équipements neufs, valorisant ainsi l’identité particulière du faubourg. Une fois restauré, le café attire des gens de renom et devient à la mode, entraînant dans son sillage une foule d’autres établissements du même type. A mesure que la gentrification progresse, de nouveaux cafés et restaurants s’ouvrent et, pour satisfaire une clientèle plus bourgeoise, ils sont rapidement suivis par des commerces spécialisés : boutiques de mode, épiceries fines, fleuristes, supermarchés de produits biologiques, galeries d’art et librairies. Les petites et moyennes surfaces s’agglutinent également : Carrefour City, Monoprix... Cette recrudescence de commerces attire progressivement d’autres ménages des classes moyennes supérieure, enclenchant définitivement le processus de gentrification. La gentrification est donc associée à la réhabilitation des logements par les ménages, s’opposant ainsi aux opérations de rénovation qui sont décidées par les pouvoirs publics. Elle participe à modifier les rapports sociaux en transformant le tissu urbain d’un quartier, et s’inscrit dans une interaction entre l’espace urbain et l’espace social. « L’espace urbain porte en lui l’héritage des rapports sociaux passés et présente une force d’inertie face aux transformations sociales. On peut lire la gentrification comme le processus par lequel l’espace urbain est adapté à l’état actuel des rapports sociaux. La gentrification transforme à la fois un espace bâti – le quartier ancien – et un espace symbolique et signifiant – le quartier populaire. Si elle participe à préserver le bâti ancien; elle contribue à détruire l’effigie du quartier populaire pour ses habitants. » 9 Plus l’agglomération de ménages gentrifieurs est importante, plus le processus est avancé, traduisant la réhabilitation des immeubles, la transformation des commerces et le renouvellement du quartier. Le phénomène participe à fabriquer de nouvelles centralités, fondées sur un rapprochement du travail, des commerces, des boutiques en vogue, des institutions et des pôles culturels. Il a donc à voir avec la possibilité de développer des relations et des échanges intenses. Si les habitants ne vivent pas dans les arrondissements centraux de Paris, le quartier leur apparait souvent comme tels.

« On comprend mieux dès lors le paradoxe selon lequel se sentir au coeur de Paris, c’est bien souvent pouvoir se passer (du reste) de Paris. »

10

9. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.11 10. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.25


Figure 27 - Rue du Faubourg Saint-Denis

Figure 28 - Affichages dans la rue

Figure 29 - Quartier de la Porte Saint-Denis

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C.

Une

cohabitation sociale et ethnique particulière

1. Identités / Altérités

dans le faubourg

: activité

économique et multiculturalité

La gentrification est un phénomène diffus qui a d’abord gagné le Nord Ouest et l’Est du 10ème arrondissement, en suivant l’axe haussmannien de la rue La Fayette, et qui passe aujourd’hui par le quartier immigré des portes Saint-Denis et Saint-Martin. C’est principalement dans les rues adjacentes à la rue du Faubourg Saint-Denis que la gentrification se traduit par un renouvellement des commerces – discothèques et loisirs nocturnes rue Oberkampf, restaurants rue Sainte-Marthe et activités artistiques à proximité du canal Saint-Martin. A mesure que la gentrification gagne du terrain dans le quartier immigré de Saint-Denis, elle entraîne une cohabitation sociale assez nouvelle à Paris. En effet, le quartier possède aujourd’hui une forte identité, constituée par l’imbrication de différents groupes socio-culturels qui cohabitent dans le faubourg. La diversité et la cohabitation des âges, des origines sociales et des cultures donnent au quartier l’image d’une petite société. Elle rassemble à la fois les vieux Parisiens, anciens ouvriers français qui constituent la mémoire du quartier, les immigrés d’anciennes colonies d’Afrique ou d’Asie, les réfugiés politiques, les ouvriers clandestins, les autres nationalités venues d’Inde, de Turquie ou d’Afghanistan pour fuire un conflit et enfin les nouvelles classes moyennes supérieures. Ce qui fait la spécificité de ce quartier, c’est donc bien son caractère multiculturel. A l’ère de la mondialisation, les nouveaux habitants, qui ont l’habitude de voyager, partagent une réelle sensibilité à l’égard de cette diversité et ils empruntent souvent la métaphore du voyage à domicile pour désigner la vie dans ce quartier. « Dans la rue du Faubourg Saint-Denis, le promeneur peut avoir l’impression, à la lecture des enseignes, de faire un tour du monde passant de l’Alimentation générale d’Istanbul à l’épicerie Terra Corsa, des Spécialités indiennes et pakistanaises à la Boucherie musulmane, du Restaurant Sidi Boussaïd au Traiteur Shun Li. Spécialités asiatiques du Wembley food – Pakistan, Ile Maurice, Madagascar, Afrique, Inde au Paris New York, des Produits étrangers – yougoslaves, grecs, roumains, russes, polonais, hongrois, israéliens au Verger Saint-Denis. » 11 Cette concentration de commerces exotiques crée des centralités immigrées qui se retrouvent à présent dans la rue du Faubourg Saint-Denis pour les Turcs et les Pakistanais, autour de la gare du Nord pour les Tamouls et rue du Château d’Eau pour les Africains. Il s’agit avant tout de centralités marchandes : au cours du siècle dernier, le déclin des petits commerces traditionnels a facilité la reprise des baux commerciaux par les immigrés. Ils ont assuré leur place dans le quartier, en pérpétuant la vocation commerciale du faubourg dans le commerce de détail ou dans l’industrie de confection, et en inscrivant leur activité dans le tissu étroit d’une rue, d’un passage ou d’un corps de bâtiment. 11. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.40


Figure 30 - Salons de coiffure africains rue du Château-d’Eau

Figure 31- Deux femmes turques discutant

Figure 32- Passage Brady envahi par les commerces indiens

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Avec le temps, les commerces étrangers se sont agglomérés, formant des centralités marchandes localisées. Celles-ci sont aujourd’hui dispersées dans le quartier Saint-Denis en fonction de leurs origines socioculturelles. En peu de temps, il devient alors possible de diner turc, rue du faubourg Saint-Denis, de faire ses courses dans une épicerie de produits tamouls, près de la Gare du Nord, de fréquenter l’un des salons de coiffure afro-caribéens, rue du Château d’Eau et d’acheter des bijoux indiens, passage Brady. L’aspect cosmopolite du lieu transparaît dans l’ensemble du quartier. La segmentation des commerces est rendue visible en parcourant les rues spécialisées de la ville. On peut ainsi distinguer une répartition spatiale des commerces selon l’origine de leur propriétaire ou de leurs employés. La rue du Faubourg Saint-Denis fourmille d’activités et de bruits. Les épiceries marocaines, algériennes, turques, indiennes, chinoises, les boucheries halal, casher et traditionnelles, les épiceries fines à la française sont autant de repères autour desquels s’organisent les différentes clientèles. Les bars et restaurants sont de vraies institutions locales qui attirent, de jour comme de nuit, les habitants du quartier et d’ailleurs. Non loin de là, le passage Brady est surnommé Little-India et Little-Pakistan, en raison d’une dizaine de restaurants placés en enfilade. Bien plus qu’un petit passage étroit et couvert faisant communiquer la rue du Faubourg-Saint-Denis, le boulevard de Strasbourg et la rue du Faubourg-Saint-Martin, c’est une véritable destination. Les restaurants aux décorations évocatrices et les épiceries exotiques en font l’endroit le plus touristique du quartier. Chaque jour, de nombreux cars déposent, le long du Boulevard de Strasbourg, les visiteurs venus explorer l’endroit. De même, le site internet de Paris Île-de-France en charge de la promotion de la région invite à la découverte des traditions et de l’atmosphère de cet ailleurs indien. Plus loin, la rue du Château d’Eau se caractérise par la présence de salons de coiffure et manucure afro-antillais qui ont, en près de vingt ans, remplacé l’ensemble des boutiques de textiles, témoignant du renouvellement des activités. A l’Est, rue du Faubourg-Saint-Martin, un grand nombre de boutiques de confection de vêtements pour enfants bornent la rue. Elles sont en grande majorité tenues par des personnes d’origine chinoise. Ce quartier reste encore une centralité immigrée dans laquelle l’abondance des commerces et l’éventail des produits et des services sont tournés vers une clientèle populaire. Ainsi, dans le passage Brady, les commerces indiens, pakistanais ou sri lankais sont d’abord fréquentés par les personnes appartenant à la diaspora du sous-continent indien résidant à Paris ou en banlieue. En outre, la plupart des commerçants étrangers n’habitent pas dans le quartier Saint-Denis, ils vivent majoritairement en banlieue en raison de l’inadaptation du parc de logements dans le quartier. Les centralités immigrées sont donc plus le fait d’une concentration de commerces que d’une réelle implantation dans l’habitat. Ces communautés rassemblées participent à singulariser le quartier Saint-Denis. Celui-ci est valorisé pour son authenticité, son caractère vivant, l’abondance des commerces exotiques et le mélange culturel, que

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certains associent au voyage. Les centralités marchandes concourent à l’attractivité de Paris. Elles instaurent un réseau de relations denses et cosmopolites qui transforme l’environnement et dynamise le quartier.

2. Échanges

et réseaux sociaux dans un quartier gentrifié

Une énergie urbaine particulière s’associe à la dimension cosmopolite de l’espace : les quartiers grouillent de monde et d’animation. Ce sont des quartiers vivants qui véhiculent une ambiance particulière impli-quant d’être curieux, de se laisser surprendre et de prendre des risques. A l’expérience de diversité s’associe le plaisir de l’anonymat : chacun peut y inscrire ses marques tout en étant libre de faire ce qui lui plait. « Les quartiers de l’Ouest, ce sont des quartiers figés et cloisonnés. Ici, c’est ouvert, on communique, on échange. Et ça bouge aussi beaucoup parce que dès que tu sors tu es sollicité, tu as des choses partout, du monde de partout, des esprits différents. » 12 Les habitants ont en commun d’être attachés à leur quartier. Vivre dans le Nord Est, c’est faire l’expérience du quartier en tant qu’espace social, matériel, symbolique et imaginaire. « Ces quartiers craignent moins que ceux des quartiers plus chics où il n’a personne dans la rue. Tu cries là, et quelqu’un vient. Les Turcs de l’immeuble, ils sont très concernés par les autres. Je ne peux pas passer devant la porte de l’atelier avec ma valise sans que le type vienne m’aider. » 13 Dès leur arrivée dans le quartier, les individus sont très vite encouragés, en menant à bien leur projet d’aménagement, à rencontrer du monde. Des liens amicaux naissent donc avec leur installation. Si l’espace résidentiel est le lieu privilégier pour se faire des amis, il est aussi possible de se constituer un réseau amical grâce aux événements festifs. Les manifestations locales et culturelles créent de la convivialité au sein du quartier, et ces initiatives ont vocation à réunir un nombre important de gens différents. Certaines institutions - l’école, les associations ou les conseils de quartier – peuvent aussi apparaître comme des espaces de sociabilité, instaurant, au fil des années, une sorte de territoire amical. « L’amitié occupe une place importante dans la fabrication de la géographie intime de chacun mais aussi de la géographie parisienne : elle donne sens à l’espace résidentiel, à celui du quartier et plus largement au territoire parisien. » 14 Les échanges d’informations, de compétences professionnelles et de savoir-faire extraprofessionnels sont monnaie courante dans le quartier. De plus, les échanges de bons conseils sont le signe que les personnes peuvent compter les unes sur les autres. Ces relations d’amitié prennent la forme d’échanges fondée sur la réciprocité – don/contre-don. Dans cette économie, de nouveaux commerces se développent et participent à alimenter ces échanges amicaux - cavistes, fleuristes, créateurs de bijoux... 12. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.38 13. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.37 14. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.120

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La valeur des biens échangés relève autant de la sphère affective, familiale, économique et psychologique. Ces liens amicaux sont le fondement de la vie de quartier : c’est au fil des amitiés que l’on se forge son voisinage, « un voisinage d’autant plus précieux pour ceux dont la famille est au loin ou dont les revenus économiques sont modestes. »

3. Faire

quartier, une dynamique urbaine codifiée

« L’éloge d’un quartier est l’expression de rapports sociaux et d’un ordre social, cet ensemble de règles, de normes, de valeurs qui permettent de gérer la coexistence, sur le même espace, des groupes sociaux distincts entretenant des rapports de complémentarité et d’exclusion. » 15

Une vie de quartier existe lorsque, au sein d’un espace délimité, les personnes arrivent à vivre ensemble et séparément. Pour ce faire, le quartier instaure des systèmes d’échanges qui, selon diverses modalités, concourent à faire lien, et à faire société. Il y a, de manière implicite, une bonne façon de se comporter, et il faut respecter certaines pratiques - partage équitable de l’espace public, tranquillité des résidents le soir..., au risque d’être disqualifié. Les échanges s’organisent donc symboliquement autour de normes de comportements et de codes sociaux. Il y a les bons habitants d’un côté – ceux qui jouent le jeu du quartier, et les mauvais de l’autre - ceux qui perturbent la cohabitation. Si, dans une grande ville, les habitants entretiennent des rapports d’anonymat et de réserve avec leurs voisins, ceux du Nord Est établissent une sociabilité basée sur l’interconnaissance et mènent leurs activités quotidienne au service de l’amitié, de la sympathie entre les individus et des relations de confiance. « Vivre dans ce monde urbain, c’est donc d’un côté faire preuve d’attachement au quartier-village, à l’identité locale, et participer à ce jeu social symbolique autour de l’habitant de quartier comme figure de l’autochtone ; et de l’autre, avoir le goût de la diversité, de l’Autre et du déplacement, lointain ou proche, exotique ou sociologique. Un va-et-vient entre le local et le cosmopolite à travers lequel les acteurs tantôt fabriquent du collectif, tantôt produisent des hiérarchies. » 16

Faire quartier consiste donc à soutenir des activités sociales et collectives qui marque une appartenance à un groupe. Il s’agit de participer à différentes formes d’échange, des formes qui parfois s’opposent et d’autres fois se renforcent. L’ensemble de ces échanges permet de produire un « capital d’autochtonie – un ensemble de ressources que procure l’appartenance à des réseaux de relations localisés. Ces ressources sont symboliques, provenant d’une notoriété acquise et entretenue sur un territoire singulier. » 17 Il élabore un mode de vie commun, avec des personnes différentes, et se matérialise, dans l’espace public, par des pratiques variées du quartier. Ces différents partages sont porteurs de valeurs et d’identités sociales entre les partenaires de l’échange. 15. Simon, Patrick, La Société partagée. Relations interethniques dans un quartier en rénovation, thèse, 1994, p.366 16. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.227 17. Renahy, Nicolas, Classes populaires et capital d’autochtonie, Regards sociologiques, 2010, n°40, p.9-26


Figure 33 - Vie sociale rue du Faubourg Saint-Denis

Figure 34 - Haute fréquentation rue du Château d’Eau

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Ils permettent à des personnes d’horizons distincts de se réunir, tout en favorisant l’émergence d’un entresoi restreint. Les communautés cohabitent en respectant des frontières symboliques et structurelles, des codes inhérents à la rue. Ainsi, chaque habitant, qu’il soit ancien ou nouveau, s’approprie le quartier à sa façon. Il façonne ses habitudes, se construit son propre réseau social et pratique le quartier, la ville et le monde suivant des itinéraires qui se croisent mais restent toujours bien distincts. Généralement, il fréquente toujours les mêmes rues et possède un réseau délimité d’adresses. « Généralement, les turcs vont à l’épicerie turque, les sikhs à l’épicerie indienne. Il est très rare de voir une chinoise se faire couper les cheveux par une antillaise. » 18 L’avancée de la gentrification se traduit dans le quartier par une hétérogénéité sociale croissante de l’espace à l’échelle micro-locale, issue du regroupement des commerces par types de clientèle et de la fréquentation différenciée selon les heures de la journée. Aujourd’hui, elle rencontre les dynamiques d’immigration dans le quartier, entraînant des formes de vie urbaine particulières qui rend d’autant plus intéressante la question de la cohabitation des différents groupes sociaux.

II. Les

dynamiques d’appropriation de l’espace commun

A. Des

formes de vie sociale apparentes dans le quartier

1. Des

espaces de sociabilité localisés dans le quartier

Les habitants qui ont choisi de résider autour du quartier Saint-Denis le considèrent toujours comme un petit village. De par la physionomie des lieux - les ruelles, les passages, les impasses et les cours – ils ont en effet le sentiment d’être dans un endroit à part de Paris, dans un lieu plus intime. « On connaît mal le Parisien si l’on ignore qu’il tient son quartier pour village : il se sent chez lui dans son quartier, à l’étranger ailleurs. » 19 L’exiguïté des lieux facilite l’appropriation de l’espace par les habitants. Elle est associée à une forme de vie sociale particulière délimitée par quelques rues, ce que les personnes appellent leur quartier. En effet, la vie quotidienne des habitants ne se déroule presque exclusivement qu’entre les cinq ou six rues qui encadrent leur résidence. Quand les commerces sont nombreux et diversifiés, les personnes trouvent 18. Aragon, Argan, La trame des faubourgs de Paris, Paris, Esprit d’avant, 2008, n°1 La Cité 19. Favier, Jean, Paris : Deux mille ans d’histoire, Paris, Fayard, 1997, 1007p.


Figure 35 - Une rue intérieure dissimulée dans l’arrondissement

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presque tout sur place pour la vie quotidienne. Dans ce microcosme protecteur, les nouvelles formes résidentielles, attachées à une impasse intérieure semi privée, deviennent des espaces de partage et de rencontres pour les nouveaux ménages, laissant place à l’épanouissement des relations amicales et permettant, au sein même d’une copropriété, de former une communauté. Si les nouvelles classes moyennes supérieures centralisent leur mode de vie autour de leur logement réhabilité, il en va différemment pour la population immigrée. Le manque de confort de leur habitat est compensé par une appropriation très marquée de l’espace public. La vie sociale se déroule intensivement dans la rue : une vie en bas de chez soi qui participe à animer le quartier et lui confère son caractère vivant. Ce mode de vie s’apparente à celui des anciennes classes populaires parisiennes - fréquentation intense des cafés et des marchés, sociabilité et solidarité de quartier pour la vie quotidienne..., se distinguant d’une autre forme de vie parisienne plus bourgeoise et plus discrète, à l’œuvre dans les appartements. Ainsi, la rue du Faubourg Saint-Denis, qui regroupe plusieurs centralités minoritaires, est très animée et largement occupée par ces populations immigrées. Le mélange combiné des origines entraîne un partage complexe, et régulièrement réajusté, de l’espace public et des commerces. Sous l’effet de la gentrification, les spatialités immigrées se recomposent périodiquement, des Asiatiques vendant par exemple des produits africains pour concurrencer directement les Africains, traduisant leur caractère dynamique. Plus récemment, le bas de la rue du faubourg du Temple a vu l’ouverture de commerces turcs et pakistanais, repoussés par la gentrification du quartier des portes Saint-Denis et Saint-Martin. En plus de la rue, les cafés et les bars-restaurants, hauts lieux de sociabilité, sont des repères importants pour prendre la température sociale et goûter l’ambiance du quartier. Ils sont appropriés par chaque type de communauté et permettent différents usages, des retrouvailles régulières entre amis, aux discussions habituelles avec les adeptes du lieu en passant par des dîners occasionnels en famille ou en couple. Les parcs et les squares du quartier renforcent aussi les relations intra communautaires, les amis s’y retrouvant plus ou moins par hasard. L’espace urbain sert donc de support aux échanges et aux pratiques amicales. Son appropriation donne lieu à des rituels spécifiques qui sont fonction des catégories socioculturelles. La haute fréquentation des rues, des commerces bon marché et des squares agite le quartier populaire, le rendant parfois moins paisible pour la vie quotidienne. Et cette forte visibilité des populations immigrées suscite parfois des réserves chez certains habitants. Ces populations immigrées ajoutent à la distance sociale une distance culturelle évidente avec les nouvelles classes sociales.

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Figure 36 - Terrasses investies rue du Faubourg Saint-Denis

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2. Distance

sociale, rapports de proximité et signes d’altérité

Le quartier Saint-Denis renvoie à une représentation du monde où l’on fait tous les jours l’expérience de la diversité. Il invite au voyage et permet d’observer la ville sous un nouveau jour, celui de la nouveauté, de la surprise et de la distraction. L’espace public de la rue obéit à un mode de communication particulier : la communication ethnographique. Les personnes tissent des liens qu’elles établissent avec les lieux et avec autrui. Si les relations sont anonymes, les individus, assignés à une culture, suscitent naturellement de la sympathie en dehors de tout rapport sociaux et sentiments d’appartenance. « Trois notions caractérisent l’ethnologie : la découverte comme mode de relation aux autres et aux esp-aces, la culture comme notion d’appréhension des autres et l’authentique comme élément qui participe au processus de découverte et de fabrication de la culture. » 20 Ce mode de communication permet, dans les espaces publics et marchands, une approche positive de la diversité. Être ici tout en étant ailleurs : c’est un jeu urbain qui participe à entretenir l’imaginaire de chacun car il consiste à se croire à l’étranger. Les interactions sensorielles – la vue, l’odorat, l’ouïe... - mobilisent brièvement le regard – le temps de remonter la rue, impliquant une attitude de disponibilité vis-à-vis de ce qui est nouveau et éphémère. « L’exotisme n’est donc pas une adaptation, n’est donc pas la compréhension parfaite d’un hors soi-même qu’on atteindrait en soi, mais la perception aigüe et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle. » 21 Le rapport à l’autre repose sur le fait qu’une part de celui-ci échappe à notre compréhension, d’où, parfois, la méconnaissance, l’ignorance et l’incompréhension. Dans le quartier Saint-Denis, les commerces exotiques sont propices à la mise en scène des relations d’altérité en ville. Le rapport à l’autre dépend de plusieurs éléments. D’abord, l’observation des enseignes témoigne de la diversité des origines. Elles résultent d’un travail de présentation de soi des commerçants qui mettent en scène la distance, la différence, le rapprochement ou la complicité. Ensuite, la manière dont les commerçants se présentent, le type de marchandises vendues et l’organisation des scénographies marchandes, les placent plus ou moins dans une situation d’étrangeté. Par exemple, dans le passage Brady, certaines épiceries pakistanaises disposent leurs fruits et légumes dans des cartons, sans parfois donner de prix, et certains produits vendus peuvent émettre des réserves pour des individus placés en situation d’ignorance. De même, un commerce peut être considéré comme sale en raison d’une vitrine non entretenue ou d’une manière d’entreposer les marchandises jugée peu conforme aux règles d’hygiène. La langue parlée du commerçant intervient également dans la construction du rapport à l’autre. Enfin, 20. Camelin, Sylvaine, Houdart, Sophie, L’éthnologie, Paris, PUF, 2010, 128p. 21. Segalen, Victor, Essai sur l’exotisme, Paris, Biblio essais, 1986, p.44


Figure 37 - Exemple de scĂŠnographie marchande classique

Figure 38 - Exemple de scĂŠnographie marchande tamoule

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compte également l’ambiance de la boutique. Lorsque de la musique s’entend depuis la rue, elle marque la différence avec des commerces plus classiques. Les commerces exotiques sont donc des espaces sociaux où les interlocuteurs font l’expérience de l’altérité, placée sous le signe de l’étrangeté ou de la familiarité. Pour autant, choisir de consommer exotique est une source de dépaysement qui, généralement, correspond à une pratique superficielle - l’exotisme convenu, selon Hassoun. Et le plaisir des échanges relève plus souvent d’un commerce de l’imaginaire que d’une vraie rencontre avec autrui. Ce travail de projection est caractéristique des espaces urbains mondialisés, dans lesquels on fait avec les autres. Dans l’esprit d’un grand nombre de personnes appartenant à la classe moyenne supérieure, l’exotisme constitue encore une aventure, une forme d’activité symbolique qui donne lieu à un travail d’expérimentation et de petites découvertes. L’achat ethnique reste alors un moment d’exception pour évoquer une culture, agrémenter un plat - épices, réinterpréter un décor – bibelots - ou recomposer sa tenue - bijoux. Les échanges sont brefs, imaginaires et seulement placés sous le signe de la marchandise. Pour se rapprocher véritablement des marchandises exotiques, un travail d’apprentissage est nécessaire : consommation régulière, affection pour un pays... Il faut sinon se sentir déjà proche de l’autre culture. La familiarisation est dans ce cas culturelle - apprentissage de nouvelles recettes de cuisine, géographique, consommation de produits européens, ou résultant de l’histoire , consommation de produits issus d’anciens pays colonisés par la France... Bien au delà de ces rapports d’altérité et d’étrangeté, le quartier est souvent marqué de tensions entre les communautés qui insufflent un sentiment d’insécurité auprès des habitants. Et là où les origines et les histoires de chacun se croisent - Turcs et Kurdes, Indiens, Pakistanais et Tamouls..., il arrive parfois même que la confrontation à l’autre culturel se produise sur les trottoirs de la ville et dans les commerces.

3. La

mixité sociale

: un

décor dans le quartier

?

Si les immigrés sont parvenus à imprimer leur marque dans le quartier autour de l’importance de la rue et à travers les cafés, les nouvelles classes moyennes supérieures se sont intégrées dans le quartier en valorisant ce mélange de nationalités. Elles apprécient et défendent l’aspect multiculturel du lieu, leur permettant de se former un groupe à part et de se distinguer des autres fractions de classe. Mais l’écart entre le discours et la réalités des pratiques fait de cette mixité sociale un décor dans le quartier. En effet, les nouveaux ménages pratiquent peu la mixité sociale dans les faits, et leur interaction avec les autres classes sociales est limitée. Comme vu précédemment, l’interconnaissance avec des personnes appartenant à d’autres milieux socioculturels se limite à des rapports marchands restreints. La fréquentation des petits commerces leur donne l’impression de participer à une sociabilité de quartier, pourtant fondée

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Figure 41 - Boucherie halal

Figure 39 - Lahore Lahore, restaurant indien

Figure 42 - Boutique de costumes indiens

Figure 40 - Boutique de costumes indiens

Figure 43 - Boutique de costumes indiens

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sur la coprésence de communautés culturelles bien distinctes. La mixité sociale fait donc partie d’un décor au même titre que le tissu urbain, apprécié pour son caractère et son histoire. L’espace, dans lequel les nouveaux habitants investissent un capital économique, sert de support à une valorisation de leur mode de vie. Ils mettent en avant l’image d’un mode de vie original placé sous le signe de la cohabitation. Aujourd’hui, l’avancée de la gentrification a permis aux nouveaux ménages de passer d’un état de spectateurs à celui d’acteurs. Dans un quartier où la proximité spatiale facilite les rencontres, ils se retrouvent pour partager la même culture attachée à un mode de vie commun. Alors, s’ils ne participent pas toujours à la sociabilité de quartier avec les anciens habitants, ils ont tout de même développé une forme de sociabilité locale avec leurs semblables. Celle-ci est fondée sur la rencontre de nouveaux habitants, au sein d’un même immeuble ou dans une cour collective.

B. Un

nouveau mode de vie urbain

1. Investissement

des lieux collectifs privés

: entre-soi

communautaire

Après le déclin des activités économiques dans le quartier, les anciens passages et cours industriels du faubourg sont de plus en plus investis par des sociétés privées, boutiques de luxe, agences de communication, cabinet de design et d’architecture ou galeries d’art. Ils font également l’objet d’une réappropriation de la part des nouveaux habitants. En effet, dans le prolongement de leur logement, ces nouvelles classes moyennes supérieures investissent souvent ces anciens passages et cours artisanales que constituent les nouveaux espaces communs de leur résidence. Elles y sont encouragées par leur statut de copropriétaire qui les conduit à participer à la gestion de l’immeuble. Lorsqu’elles intègrent une copropriété dégradée, dans laquelle les problèmes et blocages sont fréquents, elles s’associent avec d’autres voisins pour trouver ensemble des solutions qui leur permettent d’améliorer leur quotidien et de valoriser leur bien. Par l’importance de l’espace collectif qu’ils offrent, ces anciens passages et cours industriels forment un véritable lieu de sociabilité commune. L’arrivée concomitante des nouveaux ménages dans ce type d’espace, intermédiaire entre le logement et le quartier, favorise l’émergence d’une vie collective. La proximité sociale, d’une part, et l’expérience commune d’aménagement des logements créent rapidement un esprit de groupe. Ces espaces privés collectifs rapprochent donc les nouveaux habitants et représentent un terrain d’étude privilégié pour mieux comprendre leur mode de vie. Les habitants voient dans ces espaces particuliers un prolongement des atouts de leur logement. Le plus 56


souvent, ils essaient de limiter, voir d’interdire la présence des voitures dans les cours, libérant l’espace pour d’autres usages. Une fois libérées et réhabilitées, ces grandes cours font l’objet de tous les soins d’aménagements, dans le prolongement de leur logement. Les habitants en profitent également pour y installer d’autres équipements – table de ping-pong, chaises, racks à vélo... Dans ce nouveau cadre de vie, ces nouveaux espaces communs sont à la fois des lieux ouverts, aérés et sécurisants. Elles forment une sphère protectrice qui permet par exemple aux enfants de jouer dehors, en plein air, et sans danger. Elles servent également de support à des manifestations collectives variées- repas d’immeubles, apéritif entre amis, fête des voisins... Ces événements sont pour eux l’occasion de réunir tous les habitants et d’entretenir une forme de sociabilité commune. Par ailleurs, cette interconnaissance dans la copropriété facilite l’entraide entre voisins – garde d’enfants, prêt d’outils, invitation à un vernissage... « Cette capacité à nouer des relations de voisinage qui dépassent le seul utilitarisme des services rendus est conforme aux formes de sociabilité observées dans les milieux les mieux pourvus en ressources culturelles. » 22 Elle est donc directement liée à la catégorie professionnelle de ce type de ménages, cadres intellectuels supérieures. Les anciennes usines, transformées en grandes copropriétés, renforcent les relations de voisinage et facilitent la constitution de réseaux sociaux au sein du quartier. Les grandes cours privatisées n’ont de cesse d’être réinvesties, formant des lieux de sociabilité intenses pour les nouveaux habitants.

2. Surgentrification, aspiration

à l’ordre et au calme

Si les années 1990 correspondent à l’installation d’artistes, de photographes et d’enseignants dans le quartier, les années 2000 - avec l’arrivée de cadres privé, gestionnaires immobiliers, avocats..., sont caractéristiques d’une seconde phase assimilable à la sur-gentrification. Elle accélère le processus d’embourgeoisement des anciens quartiers populaires. Avec le temps, les logements sont réhabilités, les prix immobiliers augmentent et la population se renouvelle en s’embourgeoisant de plus en plus. Aux professions culturelles, que constitue la première vague des nouveaux habitants, viennent alors s’ajouter les cadres et ingénieurs plus aisés, qui ont investi les logements neufs. Ils opposent à la recherche de convivialité, l’aspiration au calme et à l’ordre : les repas spontanés entre voisins entraînent des nuisances sonores amplifiées par la résonance de la cour. Juridiquement, ces anciennes cours artisanales ont toujours constitué des espaces privés, mais leur porte cochère restait toute la journée grande ouverte pour permettre l’accès des véhicules, en lien avec les activités industrielles de la cour. 22. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.157

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Aujourd’hui, le déclin de ces activités et l’émergence des nouveaux habitants ont conduit à l’interdiction des véhicules motorisés dans la plupart des cours et leur porte reste désormais fermée. Ainsi, les installations successives des nouvelles classes moyennes supérieures s’accompagnent d’une volonté croissante de fermer définitivement ces espaces intermédiaires. Cette fermeture des grandes cours créée des micro frontières à l’échelle locale du quartier. L’expérience analogue de la réhabilitation au sein de la copropriété a fait naître un mode de vie commun aux nouveaux habitants qui favorise la cohésion sociale et permet l’épanouissement d’une sociabilité collective entre semblables. Les cours réhabilitées participent ainsi à la construction d’une identité commune. Au fur et à mesure que le quartier se gentrifie, le goût prononcé pour la vie collective est progressivement évincé au profit d’un certain individualisme dominant qui met en avant le bien-être individuel. D’une sociabilité ouverte, on passe alors un entre-soi bâti, constituant un frein à la rencontre avec les autres. « Ce phénomène accompagne l’hétérogénéité des pratiques socio-spatiale à l’œuvre dans le quartier. » 23

C. Dépossession 1. Une

de l’espace commun

reconversion progressive du quartier populaire

« La gentrification est un processus de conquête qui entraine la dépossession des classes populaires de leurs espaces de vie, soit le remplacement progressif d’une population par une autre dans un quartier urbain. » 24 L’installation des nouvelles classes sociales accompagne la reconversion du faubourg populaire. Elles ne sont pourtant pas conscientes du processus de gentrification en cours. La mixité socioculturelle observée dans le quartier fait partie des valeurs morales qu’elles défendent et partagent, tout comme l’ouverture d’esprit et la tolérance. Elles s’approprient donc l’identité cosmopolite du lieu qui perdure symboliquement par l’histoire du bâti et dans le décor des cafés. La réhabilitation, avec le détournement d’éléments anciens, ne fait pas table rase du passé mais participe à prolonger l’ambiance du vieux quartier. « La réutilisation d’éléments fonctionnels – machines à coudre... - dans le décor des cafés est typique du geste esthétique qui détourne des objets triviaux pour les intégrer dans une œuvre d’art. » 25 Ce faisant, elle attache à l’espace local du quartier un capital symbolique fort et contribue au fétichisme de l’identité populaire du quartier.

« Les personnes qui participent au processus de valorisation symbolique du quartier se rendent rapidement compte que l’arrivée de personnes au niveau de vie plus élevé peut leur être défavorable. » 26

23. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.126 24. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, pp.113-116 25. 26. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.169


Figure 44 - Passage du DĂŠsir privatisĂŠ

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Paradoxalement, alors qu’elle participe à redorer l’image du faubourg populaire en réhabilitant l’habitat et en soutenant le dynamisme commercial du quartier, la gentrification s’accompagne en même temps de l’accroissement des prix immobiliers, contribuant ainsi à l’éviction des classes les plus précaires. D’autre part, le renouvellement des commerces transforment implicitement le quartier en lieu de sortie branché. Si la gentrification a directement à voir avec les effets de mode, elle contribue à faire connaître l’endroit et y attire un public nouveau, une clientèle beaucoup plus large que les seuls habitants du quartier. Traditionnellement espace de production et de consommation de biens de première nécessité, le quartier devient donc, peu à peu, un espace dédié à la consommation de loisirs. Avec l’ampleur du phénomène, les nouveaux résidents n’hésitent pas à critiquer la trop grande concentration de cafés qui fait perdre son authenticité au quartier. En voie de devenir un espace à la mode, il perd son attrait d’avant-garde et s’institutionnalise, tendant vers la boulevardisation, où se multiplient les chaînes alimentaires, de vêtements, cosmétiques et les cafés standardisés.

2. De

la rue faubourg au quartier branché

- le

phénomène

Oberkampf

La rue Oberkampf est une rue du 11e arrondissement de Paris, entre le Marais et Ménilmontant. A l’image du quartier Saint-Denis, elle a été marquée par des mutations considérables ces dernières décennies : nouveaux usages, redistribution des activités et évolution du payage urbain. Ancien faubourg, la rue Oberkampf est devenue un lieu à la mode à partir des années 1990. Les fonctions liées au loisirs s’y sont largement diffusées, au point d’en faire un quartier : Oberkampf. Si le processus de gentrification est aujourd’hui définitivement lancé, la rue conserve encore ses paysages hérités du tissu faubourien, ses usages quotidiens pour les habitants ainsi que sa dimension multiculturelle. Elle est donc devenue un espace composite, où le jeu des échelles, des usages et des représentations transparaissent dans un même lieu. « Le phénomène traduit un état transitoire de la coexistence de populations très diverses, voire antagoniques dans la concurrence pour l’appropriation du quartier. » 27 A l’origine, la rue Oberkampf est, de par son histoire héritée des anciens faubourgs, une centralité ouvrière et commerciale. Sa figure populaire participe a sa constante ébullition, et elle continue d’être un lieu de rencontres animé pour toute une gamme de la population résidente. Or, depuis peu, aux relations de quartier viennent s’ajouter de nouvelles pratiques sociospatiales, correspondant à une nouvelle centralité de loisirs. En très peu de temps, une forte concentration de cafés et de restaurants a vu le jour dans certaines portions de la rue. Les clients, étudiants ou jeunes actifs, n’habitent pas majoritairement dans le quartier. Ils sont souvent de passage et ne fréquentent donc la rue que pour sortir en fin de journée. En plus des discontinuités spatiales que ce phénomène engendre, ces nouvelles pratiques liées à cette centralité de loisirs ne s’inscrivent pas non plus dans les mêmes temporalités. 27. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.221


Figure 45 - Un bar animé rue Oberkampf

Figure 46 - Point éphémère, lors d’un concert

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Les différentes populations fréquentent désormais l’espace public à des moments distincts de la journée et de la nuit. La nuit, le paysage est complètement modifié : seuls les bars branchés sont éclairés alors que les autres commerces sont dans l’ombre. L’ambiance y est aussi différentes : lumière, bruit et agitation tardive dans la nuit. Les cafés focalisent toute l’animation, et la rue n’est plus qu’un entre-deux de passage, juxtaposant une série d’intérieurs lumineux. La rue Oberkampf est donc désormais un pôle d’attraction de jour comme de nuit, et à sa centralité diurne commerçante est venue s’ajouter une centralité nocturne récréative. Au delà du cas particulier d’Oberkampf, ce phénomène reflète des dynamiques communes à toutes les grandes villes occidentales. Sous l’effet des nouveaux comportements, favorisés par la mobilité, la centralité tend à se fragmenter pour mieux se spécialiser et donner place aux loisirs. A mesure que le quartier devient branché, il perd aussi de son éclat. En effet, un lieu branché n’a jamais une durée de vie très longue. Il s’inscrit dans une double dynamique : d’abord, un phénomène de diffusion du modèle crée, ensuite, un phénomène d’institutionnalisation de son centre « au cours de sa réalisation, la concentration toujours fléchit et craque. Il faut un autre centre, une périphérie, un ailleurs (…) Ce mouvement produit par l’urbain, produit à son tour l’urbain. » 28 Cette dynamique est inévitable pour tout quartier branché, voué à perdre son caractère unique et réservé à une minorité. Le phénomène Oberkampf n’aura donc été qu’une étape et le processus se poursuit ailleurs. Aujourd’hui, le phénomène se diffuse de proche en proche, dans les rues adjacentes. Il devient particulièrement visible aux abords du canal Saint-Martin, dont la situation et l’accessibilité sont un atout majeur. Avec l’installation récente d’artistes dans les espaces populaires délaissés, le quartier de l’Est du 10e arrondissement s’anime de façon nouvelle et devient un pôle d’activités culturelles important, impliquant la production artistique ainsi que sa diffusion. A la fin des années 1980, l’association Usines éphémères s’est spécialisée dans la transformation de friches industrielles en lieux de création, assurant ainsi la transition entre industrie et culture dans le quartier en voie de gentrification. C’est le cas de l’ancien entrepôt Point P, situé en haut du canal Saint-Martin, reconverti en 2004 en Point éphémère, centre de dynamiques artistiques par l’association. Toujours en place, il est aujourd’hui devenu un lieu d’exposition, une salle de concert et un café, assortie d’une résidence d’artistes. Sans dimension politique, c’est un lieu culturel et commercial à la mode qui semble s’être installé durablement dans cet ancien espace industriel. Passé cette phase de popularité, les lieux à la mode perdent leur attrait, laissant place au tourisme. C’est par exemple le cas du Quartier latin ou du Marais dans Paris. Si la fréquentation reste importante, elle change radicalement de nature. Au vu de cette étude de cas, il est facile de penser que l’espace d’avant-garde branché que consti28. Paquot, Thierry, Villes et civilisation urbaine, Paris, Larousse, coll. «Textes essentiels», 1992, 687p.


-tue le Faubourg Saint-Denis puisse, à terme, être à son tour menacé par une boulevardisation et muséification du paysage urbain. Et ce d’autant plus que le phénomène rejoint les tendances actuelles de privatisation et de marchandisation de l’espace public, mettant à mal son identité traditionnelle.

3. Le

repli des classes populaires en ville

La recomposition du quartier populaire en une centralité commerciale de moins en moins liée à l’habitat conduit à l’évincement des classes immigrées dans l’espace commun du quartier. La transformation des commerces, la réhabilitation des immeubles et l’appropriation des espaces abandonnés par les nouveaux ménages entraînent leur repli à certains endroits de la ville.

« Ce repli se traduit par une réduction spatiale et temporelle des espaces de sociabilité populaire, qui s’ajoute à celle de l’espace d’interconnaissance liée au départ des anciens habitants connus. » 29 Progressivement, les cafés cessent d’être fréquentés par les anciens habitants, ou alors périodiquement. Les spatialités immigrés se réduisent très localement, à l’échelle d’une ou deux rues. Aujourd’hui, et de plus en plus, les immigrés qui fréquent les rues et les commerces du quartier n’y habitent plus. L’émergence d’une classe dominante dans le quartier fragilise l’équilibre urbain d’antan, cadré sur un mélange des générations, des classes sociales et des origines culturelles. Il dépend de la construction sociale de chaque individu, du lieu où il habite, de la pratique qu’il a du quartier ou encore de sa position socio-économique. Ce phénomène fait par ailleurs émerger plus de tensions et de conflits dans l’espace public, en raison de cette invasion, envahissement du quartier. Certains, qui ont le sentiment de se faire voler leur espace, nouent même des rapports de force avec les nouveaux propriétaires pour essayer de tenir place. Place Sainte-Marthe par exemple, les cafés ont mis du temps à imposer leur existence face aux jeunes du quartier qui avaient l’habitude de se retrouver là et ont tenté de résister à cette appropriation privée d’un espace public.

« C’est un grand village d’amour et de haine. C’est passionnel. Mais ce sont des querelles de villages tout simplement. » 30

29. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.220 30. Corbillé, Sophie, Paris Bourgeoise Paris Bohème - La ruée vers l’Est, Paris, PUF, 2013, p.152

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langues étrangères – un train passe – klaxon – langues étrangères – attroupement d'individus – klaxons à répétition – langues étrangères – odeur d'encens – langues étrangères – virage à droite – RUE LOUIS-BLANC – klaxons – un homme court – langues étrangères – crachat – traversée – odeur d'épices – langues étrangères – un chinois retape son enseigne lumineuse – traversée – langues étrangères depuis l'intérieur d'un commerce – PLACE – chahut d'élève provenant d'une cour intérieure – sirène de pompiers au loin – langues étrangères – poussette – langues étrangères – cir-


Résister Un

en habitant par des pratiques collectives et quotidiennes de l’espace

rapport particulier à l’espace urbain

: le

phénomène de bandes

« La dépossession et le repli des classes populaires peuvent être issus d’un aménagement public. »

31

Une résistance est à chercher du côté des pratiques collectives quotidiennes de l’espace du quartier, pour reprendre les termes de Matthieu Giroud dans sa thèse de géographie, ce « résister en habitant. » 32 Elle se traduit aujourd’hui par une occupation marquée de l’espace public dans les cafés, dans la rue, devant les commerces exotiques et dans les squares. En effet, les communautés passent du temps dans les cafés, elles stationnent en groupe devant les commerces et dans la rue, regardant passer les gens et entretenant la familiarité avec certains commerçants. Elles occupent également certaines rues peu fréquentées, de jour comme de nuit, pour s’y retrouver entre amis et discuter. Ces pratiques assidues de l’espace public explique la forte densité d’occupation des trottoirs dans certains quartiers. Elles forment des continuités qui assurent le maintien des pratiques populaires et participent à produire la ville tout autant que les aménageurs ou les politiciens. Par ailleurs, le sentiment d’exclusion peut également renforcer l’échange avec d’autres sphères. Certains perçoivent une forme d’estime de soi dans la formation d’un groupe, structurant du lien social. Les communautés sont repliées sur de micro-territoires et quittent peu à peu leur quartier. Elles utilisent massivement les équipements publics et sont en demande d’équipements de proximité supplémentaires - jardin public, cinéma, terrain de sport plein air... Or, ce niveau d’équipement est en général inférieur à celui des autres quartiers parisiens. Aujourd’hui, certains groupes communautaires considèrent le renouvellement urbain de leur quartier comme une menace pour leur propre maintien. Ils redoutent l’arrivée de nouvelles populations plus aisées et craignent, à terme, de ne plus pouvoir habiter un quartier devenu trop cher. Parallèlement à ce phénomène, la progression des centralités de loisirs est déplorée par une large partie de la population qu’elle juge comme une perte d’authenticité du quartier. Le prolongement des pratiques quotidiennes de l’espace commun passe nécessairement par une intervention des politiques publiques au sein des quartiers.

31. Clerval, Anne, Paris sans le peuple : La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013, p.221 32. Giroud, Matthieu, Résister en habitant ? Renouvellement urbain et continuités populaires, 2007

65


RUE DE SAINT-QUENTIN – touristes – pas q - METRO GARE DU NORD – un enfant tient SAINT-DENIS – langues étrangères – encen à droite – RUE CAIL – langues étrangères – rage à droite - RUE PHILIPPE-DE-GIRARD – jouent sur le pont avec une bouteille en p LAFAYETTE – moteurs – ralentissements – RUE DU CHATEAU LANDON - klaxon – lo SAINT-MARTIN – démarrage d’une moto BOUTRON – silence – musique classique FOLLEREAU – deux enfants jouent au bal – odeur de joint – fond sonore d’un mote – un enfant joue au foot – chants d’oiseau tagueurs en exécution – traversée – CANA marche sur les pavés – ensoleillement – R

Partie II.


qui résonnent – accélération – bruit de pas t des ballons colorés – RUE DU FAUBOURG ns – crachat – langues étrangères – virage – livraison – embouteillages – klaxons – vilangues étrangères – silence – des jeunes plastique – bruit d’un train – klaxon – RUE - circulation – PLACE DULCIE-SEPTEMBER ong coup de klaxon – RUE DU FAUBOURG - circulation – virage à gauche - IMPASSE e depuis un appartement – PLACE RAOUL llon – chants d’oiseaux – QUAI DE VALMY eur – JARDIN DE VILLEMIN - son du clocher ux – QUAI DE VALMY – prise d’une photo AL SAINT-MARTIN – QUAI DE JEMMAPES – RUE ALIBERT – silence – paséflexion qui résonnent

R


Reconversion

des enjeux politiques de l’aménagement urbain

A. [Re]politiser

les quartiers

1.

De

la pensée fonctionnaliste vers une mixité d’usages

Séparation

des fonctions programmatiques de la ville

« Le domaine public, monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres. Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce n’est pas, principalement du moins, le nombre des gens, c’est que le monde qui est entre eux n’a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier, de les séparer. » 1 Le processus de gentrification touche aux lieux selon des modalités et des degrés très divers. Il transforme le paysage urbain d’un quartier pour l’adapter à des besoins nouveaux. Si le faubourg a longtemps existé en tant que terrain de sociabilité, l’urbanisme moderne, avec le développement des échanges et des déplacements, a profondément modifié les pratiques spatiales de la ville. Avec la tendance générale à la privatisation, l’espace public se fait rare. Les commerces, cafés et autres espaces privés n’autorisent plus la rencontre au sein de l’espace commun. C’est la fonctionnalité qui prévaut : les grandes métropoles sont soumises à un modèle spatial compétitif traversé par toutes sortes de tensions. De nouvelles programmations d’espaces ont alors émergé : espaces du commerce, espaces de la circulation. Ces espaces de passage sont désormais sujets à des aménagements standardisés et rationalisés. Ce sont des non-lieux qu privilégient la séparation et que l’on retrouve identiques dans toutes les villes. Ils se figent comme éléments du patrimoine et dissolvent les liens sociaux qui unissaient les hommes au profit d’une normalisation de l’aménagement spatiale. L’homme, déraciné, devient extérieur à la ville, ville avec laquelle il a perdu le contact. Le besoin de passé et de mélange des genres, trouve son origine dans cette évolution. Le citadin a la nostalgie du lieu. Le quartier fait référence à une identité spatiale bien définie qu’il cherche à se réapproprier dans son quotidien. Celui-ci tire sa force de sa capacité à faire corps avec la ville tout en conservant une identité propre.

1. Arendt, Hannah, Condition de l’Homme moderne, Paris, Pocket, 2002, p.93


« L’homme ordinaire sait se soustraire en silence à la conformation en détournant les objets des usages initialement imaginés par les concepteurs. » 2 Mondialisation

et intensification des échanges

Avec le phénomène de mondialisation, les grandes villes subissent une reconversion de leurs fonctions. L’espace urbain se développe par la complexité et se prête à différentes pratiques laissant place aux relations, qu’elles soient réelles ou seulement vécues comme telles. Il faut reconvertir les lieux de passage en lieux de détente, amplifier leur surface et les intensifier. « S’opposer à l’étalement urbain et aux ségrégations, pouvoir réhabiliter le cœur des villes, implique de veiller aux espacements, à la fluidité des accès et aux solidarités comme au bien-être de chacun, afin que l’intensité qui suppose une immersion dans quelque chose de fort et pluriel à la fois, dans des situations, des comportements ou des itinéraires contrastés, soit régénératrice et non destructrice ou aveugle. Dans cet objectif, il est essentiel de prendre en compte avec l’invisible de la ville, les lieux abandonnés, oubliés ou encore malmenés, afin de reconnaître ceux qui s’y trouvent relégués ou ménager les conditions du vivre-ensemble. » 3 Il s’agit de favoriser la pluralité des usages : un muret est une limite mais il peut aussi servir de banc, un arbre marque un alignement mais il peut aussi faire ombre... Seule la multifonctionnalité peut favoriser les contacts divers et rendre possible l’animation et la fréquentation d’un lieu. En effet, une rue met en relation les individus, les communautés, les espaces privés, les quartiers, les activités. Elle s’attache à ce que les usagers - piétons, cyclistes et automobilistes - trouvent leur place et accèdent facilement aux services. L’homme circule dans les rues, les places et les parcs. Il y flâne et a parfois besoin de marquer des pauses. C’est un lieu de rencontres et d’échanges. Sa circulation, ses enseignes, ses bruits manifestent la ville. Il est dès lors primordial de se [ré]approprier la rue pour se sentir intégrer à un quartier. Réfléchir au sens du lieu, à ses spécificité, ses usages et pratiques actuels dans la ville est impératif. L’urbanité est porteuse d’enjeux socio-culturels majeurs dont il faut tenir compte dans le partage de l’espace public. Garantir une mixité d’usages dans le temps et inventer de nouveaux dispositifs pratiqués par différents groupes, à des horaires variables, permettent de développer la ville. Valorisation

du potentiel spatial de chaque lieu

Réaliser un bon projet urbain implique donc d’abandonner les modèles préétablis et de faire converger

2. De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : Arts de faire, Paris , Folio essais, 1990 3. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.186

69


des disciplines variées pour s’adapter à des situations locales. « La rue Oberkampf témoigne de l’adaptabilité d’une forme urbaine qui concilie des motivations à la fois diverses, divergentes et changeantes et assure l’équilibre entre les dimensions contradictoires de la ville, entre ancrage et passage, entre lieu et non-lieu. » 4 La transformation de l’espace public est dans la façon dont les gens réussissent à se libérer des contraintes techniques normées. Complexe dans son ensemble, ses champs d’action sont divers et ils nécessitent d’interroger la place des politiques publiques et leur positionnement social quant aux prises de décision. Elles sont de plus en plus enclines à promouvoir un lieu de rencontre et de mixité. L’intervention d’architectes, aménageurs, urbanistes, élus et chercheurs apportent un regard pertinent sur des enjeux multiples. Ces consultations participent à faire émerger une culture commune de la ville, à lui donner du sens. Elles inventent des scénarios quotidiens, tactiques de résistance, par lesquels ils détournent les codes pour se réapproprier l’espace à sa façon et résister à la ville dominante. « Convertir le domaine public en espace public peut être considéré comme un acte de résistance allant à l’encontre d’une conception technocratique de la ville. » 5

2.

S’emparer

du génie du lieu

: donner

un sens à la ville

La manière de percevoir l’espace public a progressé d’une démarche formelle - centralité, thésaurisation et commerce - vers une approche sensible du lieu. La ville est le lieu d’expériences, de pratiques, d’intérêts et de regards qui dépendent d’une multiplicité de points de vue. La qualité d’une ville représente d’abord « le fruit d’une alchimie entre un territoire, un paysage et une forme particulière d’organisation de l’espace articulant infrastructures, espaces publics, institutions et tissus urbains. » 6 Le rôle d’un urbaniste est d’en percevoir, à différentes échelles, les potentialités parfois effacées ou défaites. Aujourd’hui, l’espace public est plus que jamais devenu une extension du chez-soi, créant un entre-deux qui humanise la ville. « Il faut revaloriser les entre deux (...) C’est avant tout un travail d’articulation entre édifice et parcelle, et entre parcelle et espace public qui doit fonder le débat. Le projet est trop souvent réduit à une application de la division domaniale publique/privée [la clôture] sans intervention coordonnée sur les immeubles, sans engagement qualitatif sur le projet de plantation. » 7 « Ce sont les dialectiques entre le mobile et l’immobile, entre le commun et le domestique, qui optimisent

4. Fleury, Antoine, Oberkampf, l’émergence d’une centralité des loisirs, L’Espace géographique, Belin, 2003, p.28 5. Gwiazdzinski, Luc, Eloge de la ruse dans les espaces publics, 2013, p.216 6. Bouvier, Paul, Eloge de la ruse dans les espaces publics, 2013, p.35 7 Bichat, Jean-Marc, Quand les quartiers réinventent la ville, Paris, Autrement, 2009, p.41


Figure 47 - Vue depuis l’église Saint-Vincent-de-Paul

71


l’accessibilité et les contacts, les frottements ou conflits comme les rencontres ou les retraits, les liaisons d’un point à l’autre. Les lieux infrastructurels des mobilités en leurs configurations sociales et spatiales sont avec les places, les parcs, les paysages, des vecteurs précieux de reliance. » 8 En outre, une ville sans histoire n’existe pas vraiment. L’espace public raconte un récit à transfigurer : c’est un lieu vivant où s’invente de nouvelles manières de vivre-ensemble, des espaces du possible, propices à la rencontre. « Le quartier est un morceau organique d’une ville vivante. Il faut de la capillarité et des continuités entre chaque morceau. » 9 Différente et cohérente à la fois, elle est aussi continue : l’individu passe d’une ambiance à une autre et le quartier entretient la différence et le rapprochement avec ses voisins. Afin de pratiquer ce récit du lieu, il convient d’inventer des techniques impliquant l’habitant dans le projet, en lui restituant la pleine responsabilité de raconter ce lieu. Pour articuler ruptures et continuités, il faut intervenir sur différentes échelles et élargir le cadre de réflexion au-delà des limites du projet. De plus s’inscrire dans ce processus de transformation implique d’être «sensible au moment qui va suivre», pour reprendre les termes d’Alvaro Siza. Il s’agit de capter par avance les énergies existantes, au service du génie du lieu, et ensuite de les réinscrire sur le long terme. La ville se mesure donc aujourd’hui dans sa capacité à susciter des émotions et à fabriquer de l’humanité dans son ensemble. Ces émotions, lorsqu’elles sont partagées, provoquent l’attachement et le sentiment d’appartenance. Lors d’un discours de campagne à l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers, Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris, conforte cette idée de faire de la capitale « une ville sensible. » Elle entend pour cela renforcer les lieux intergénérationnel, évoque la possibilité de mutualiser les établissements déjà existants et institutionnaliser des lieux publics ouverts aux débats. « Les Parisiens pourront alors vivre autrement les espaces publics de leur ville ». Dans ce contexte de reconversion des enjeux, comment se positionnent les politiques françaises et européennes en matière d’espace public ? Quels objectifs mettent-elles en œuvre pour améliorer le cadre de vie et répondre à des intérêts divergents ? Aussi, quelle part les aménageurs, designers, pouvoirs publics et usagers prennent-ils dans la construction de la ville ? Peut-on envisager de nouveaux processus d’aménagement de l’espace public ?

3. Observation

des politiques publiques

: règlementation

française et politique de rénovation urbaine

L’espace public européen, miroir des échanges et des rencontres, s’est transformé au fil du temps et des civilisations : agora grecque, forum romain, place de marché, square de proximité, esplanade... Reflet de 8. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.186 9. Sallenave, Pierre, Quand les quartiers réinventent la ville, Paris, Autrement, 2009, p.16


la société, il domine l’espace privé et intègre les mutations socio-économiques, démographiques et culturelles de son époque. Il doit pour cela être exemplaire. En France, Le

dépérissement des rues

« La pensée fonctionnaliste, sous-jacente à la spécialisation et à la séparation des zones, nous intéresse dans la mesure où elle a contribué à négliger, sinon évacuer toute réflexion de chevauchements, interpénétrations ou articulations. » 11 Dans notre imaginaire, la rue est l’espace public où a lieu une vie sociale effective. Pour autant, la vision fonctionnelle dont nous héritons comme de simples voies de circulation. « La rue a une fonction circulatoire qui sépare piéton et véhicule : elle constitue un instrument formé deux seuls éléments, voies et inter-voies ». Selon Eugène Hénard, architecte défenseur de la pensée fonctionnaliste, c’est d’abord un système de circulation reliant des ensembles d’habitation. A l’inverse, Jurgen Habermas déplore le déclin de la sociabilité urbaine. Il regrette la « mort de l’espace public » et la dévalorisation de la rue, devenue source de nuisances. Il remet en question la relation de l’individuel et du collectif. Pour être vivante, une rue nécessite d’être habitée, et non plus simplement parcourue. Prolongement du logement, elle ne peut plus être considérée comme un simple tuyau pour circuler. Les logements se referment sur eux-mêmes et les échanges s’évanouissent dans l’espace urbain. Il se retrouve morne, voire source de conflits et de nuisances. Les riverains la désertent. L’habitat reste figé. Le dépérissement des rues est inévitable et la plupart des rues banales de quartiers résidentiels sans commerces ni équipements sont moroses. Stérilisation

réglementaire

La stérilisation de la vie urbaine renvoie d’abord à des logiques de sécurisation - réglementaires, routières, résidentielles... Loin de sécuriser l’habitat, elles construisent des lieux figés où les riverains sont bloqués dans leurs initiatives. La ville est alors stérilisée, tout comme les usages qui régulent la vie quotidienne en ses lieux. Une stérilisation réglementaire réduit à l’inaction. Les textes réglementaires - lois, arrêtés municipaux, règlements de copropriété... formalisent la rue. Ils précisent le rôle attribué aux habitants et détaillent ce qui est encouragé, interdit ou toléré. 11. Moley, Christian, Les abords du chez-soi, Paris, Editions de la Villette, 2006, p.75

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STERILISATION REGLEMENTAIRE

Arrêté du 23 novembre 1979 portant sur Version consolidée au 04 février 2009

le règlement sanitaire du département de

Paris

Propreté des voies et des espaces publics Art. 99 Les voies et espaces publics doivent être tenus propres. Les usagers de la voie publique et les occupants des propriétés riveraines sont tenus d’éviter toute cause de souillure desdites voies. En sus des conditions figurant par ailleurs dans le présent règlement, ils doivent respecter les prescriptions ci-après : Art. 99-2 Les objets et plantes ainsi que le linge disposés sur les balcons et les fenêtres ne doivent pas créer d’insalubrité ou constituer un danger ou une gêne pour les passants et les occupants des immeubles riverains. Les propriétaires des terrains non bâtis bordant les voies publiques ou privées sont tenus de clore leurs terrains. Cette obligation, nécessaire pour s’opposer à la divagation des animaux, s’impose également pour éviter les dépôts sauvages d’ordures ou de déchets. Art. 99-6 Sur la voie publique ainsi que dans les parcs, squares ou jardins, lorsque la présence d’animaux domestiques y est tolérée, les chiens ne peuvent circuler que tenus en laisse.

Réglementation

générale des jardins et bois appartenant à la

Ville

de

Paris, arrêté

du

08 juin 2010

Direction des espaces verts et de l’environnement Art. 5 Les activités de nature à troubler la jouissance paisible des sites, à porter atteinte à la tranquillité et à a sécurité du public, à causer des dégradations aux plantations, ouvrages ou aux immeubles bordant certains espaces verts, à générer des pollutions diverses sont interdites. Les jeux de ballons sont autorisés dans les jardins, dans les endroits réservés à cet effet et signalés comme tels. Les jeunes enfants sont autorisés à jouer avec des balles en mousse sous réserve de ne pas gêner les autres usagers. L’utilisation de jouets et de jeux susceptibles de nuire à la tranquillité et à la sécurité du public est interdite ainsi que l’usage d’armes de quelque nature que ce soit, frondes, arcs, boomerang... La pratique du cerf volant est tolérée uniquement dans les plaines de jeux des bois, la hauteur maximum d’évolution étant strictement limitée à 50 mètres. Art. 6. Les enfants, notamment quand ils utilisent les jeux mis à leur disposition, restent sous la responsabilité de leurs parents ou des personnes qui en ont la garde. Ces derniers devront veiller à ce que les enfants n’accèdent qu’aux équipements correspondant à leur âge tel que mentionné sur la signalétique en place et les utilisent conformément à leur usage. Art. 7. L’accès des animaux de compagnie est interdit. Cependant l’accès de ceux tenus en laisse, notamment les chiens, est autorisé sur des sites non clos et certains espaces clos autorisés et signalés.

74


Le maître qui répond du comportement de son animal doit le maintenir à distance des espaces de jeux pour enfants et des parties plantées. Il doit notamment veiller à n’apporter du fait de sa présence ni gêne, ni risque pour les autres usagers. Art 8. Afin de préserver l’intégrité des espaces verts parisiens, les pratiques suivantes sont interdites : - Sont interdits à l’intérieur des parcs et jardins : les cours collectifs payants, les repas collectifs qui nécessitent une logistique particulière, le commerce ambulant, le dressage et la promenade de chiens en groupe. - Sont subordonnés à la délivrance d’une autorisation : l’organisation de manifestations sportives, culturelles ou autres animations, rassemblements et entraînements sportifs, collectifs ou scolaires, les cours collectifs gratuits, les repas collectifs qui rassemblent plus de 30 personnes, l’accrochage temporaire d’expositions non commerciales...

Exemple

de règlement de copropriété en région parisienne

1. Principe généraux ENFANTS. Il est demandé aux parents de veiller à ce que leurs enfants ne troublent pas le calme de la résidence par des jeux trop bruyants. Il leur est notamment interdit de jouer dans les escaliers et les parties communes. ANIMAUX DOMESTIQUES. Les animaux domestiques sont tolérés s’ils ne sont pas inscrits sur la liste des chiens dangereux et s’ils n’occasionnent pas de problèmes de voisinages, ni de dégradations matérielles. 2. Parties communes intérieures PALIERS. Les paliers qui desservent les appartements ne doivent en aucun cas, être utilisés par les locataires comme annexes au logements, aux fins d’y recevoir des visiteurs, d’y faire des travaux ménagers ou de les transformer en atelier de bricolage. 3. Parties communes extérieures ESPACES VERTS – AIRES DE JEUX. Ces emplacements sont prévus pour l’agrément de la collectivité. Les animaux domestiques, même tenus en laisse, ne doivent en aucun cas se trouver sur les espaces verts. ENCOMBREMENTS. Les parties communes devront rester libres en tout temps. En conséquence, l’entrée des immeubles, les paliers, couloirs de caves, jardin... ainsi que les placards techniques ne devront pas être encombrés d’objets quelconques, y compris les bicyclettes, motocyclettes et voitures d’enfant. 5. Parties privatives HYGIENE ET TRANQUILITE. Il ne devra rien être fait qui puisse nuire à l’ordre et à la propreté de l’immeuble, ni gêner les occupants. (…) Les travaux de bricolage devront respecter les dispositions applicables en la matière. L’utilisation de barbecues sur les terrasses et balcons et dans les jardins est strictement interdite. INSTALLATION SUR FACADES ET HARMONIE DE L’IMMEUBLE. Il est interdit d’établir tout ce qui peut changer en quoi que ce soit l’aspect des façades, nuire à la visibilité ou détruire l’harmonie de l’immeuble. (…) Il est interdit d’étendre du linge sur les fenêtres et les balcons

75


Dans ce schéma, les jardins publics deviennent des espaces verts entretenus par la municipalité : balayer, jardiner ou même planter un arbre constitueraient une perte de temps pour les habitants qui n’en ont pas la charge. Les enfants n’auraient le droit d’y jouer qu’à certains « endroits prévus à cet effet. » Les parties communes, envahies d’objets encombrants, pourraient gêner le passage des riverains. Les plantes, placées en bordure de fenêtre, risqueraient de tomber sur les passants. De même, les animaux en liberté formeraient une menace pour les plus jeunes. Des

responsables

« hostiles

au risques »

Érigées pour éviter les conflits et prévenir des accidents, ces règles dictent à l’excès la bonne conduite des habitants. Le milieu habité est stérilisé par risque de l’accident, des incivilités ou des conflits de voisinage : la solution consiste non seulement à interdire, mais aussi à « empécher. » La sécurisation des habitations et des circulations bloque les processus vitaux que beaucoup souhaitent voir se développer. Les autorités municipales manœuvrent ainsi la vie quotidienne de chacun au nom de l’intérêt général. A priori judicieuses, l’emploi abusif de ces réglementations cristallise la marge de manœuvre des usagers. Par crainte des inconduites, les autorités préfèrent proscrire tout désordre hors de la sphère strictement privée. En conséquence, l’individu n’a plus de prise sur l’habitat. Celui-ci est conçu, administré et géré à sa place : pour lui, et non plus par lui. Ainsi conçus pour limiter les conflits et négociations inhérents aux communautés de voisinage, les espaces de vie sont réglementés et gérés pour que rien ne soit perturbé. L’habitat est figé, à l’instar des espaces verts. Ce processus s’attaque aux gens comme aux lieux. Les habitants, réduits à l’inaction, circulent sur des terrains entretenus pour que rien ne s’y passe. La vie de chacun, repliée dans la sphère privée, ne se manifeste plus dans les espaces communs. Si l’un d’entre eux séjourne au dehors, il peut même y apparaître suspect : « il n’a, au sens propre, rien à faire là. » Vers

une gestion améliorée de l’espace public

Au début des années 1990, les politiques européennes de rénovation urbaines souhaitent remettre à neuf des espaces publics dégradés. La démarche vise d’abord à rétablir un confort de base et elle s’est concrétisée par d’importants aménagements réalisés dans l’urgence. Dans la seconde moitié de la décennie, une attention particulière est portée sur la complexité des usages dans l’espace public. Dès lors, une prise conscience des effets de la mondialisation s’effectue dans les mentalités. Les déplacements se sont renforcés. La population citadine s’est internationalisée, induisant à une dualisation sociale plus marquée.

76


Les villes font face à de nouveaux enjeux : multiculturalité, diversité sociale... Dans les années 2000, les États membres de l’Union européenne sont encouragés à reconvertir leurs espaces publics, incluant peu à peu la concertation citoyenne. Les politiques s’orientent alors de la simple création de logements vers un complet renouvellement du cadre de vie, favorisant la création de lieux ouverts aux cultures émergentes et la multiplicité des pratiques urbaines propres aux divers groupes qui composent la population. En 2003, les interventions sur l’espace public prennent de l’ampleur en s’intégrant dans les procédures de rénovation urbaines financées par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. Celle-ci soutient également un projet global qui tend à désenclaver durablement l’espace urbain, à faciliter l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la culture. En France, l’embellissement de la ville s’étend à une politique d’amélioration du cadre de vie dans son ensemble, intégrant l’espace public, les équipements et les espaces verts. Dans son discours d’investiture du 25 mars 2001 au Conseil de Paris, Bertrand Delanoë énonce qu’il veut rendre Paris aux Parisiens « Mais cette mutation ne serait pas complète sans l’ambition qualitative qu’ont exprimée les électrices et les électeurs : Paris doit redevenir une ville pour vivre. La redistribution de l’espace public, la lutte contre la pollution, la remise en cause de l’hégémonie automobile désignent un défi urbain que nous entendons relever. » La politique s’oriente vers une réduction de l’automobile dans Paris par la réalisation de couloirs de bus, de pistes cyclables, l’élargissement des trottoirs et la plantation d’arbres. Cette politique urbaine renoue avec la politique sociale. En effet, redonner sa place au piéton implique de reconsidérer la façon dont on se comporte dans la ville, la façon dont on l’investit et la façon dont on se rencontre dans la rue. Elle rapproche clairement la qualité de vie à celle du vivre-ensemble et préconise le renforcement des équipements publics pour faciliter l’appropriation des quartiers par chacun.

« La notion d’espace public est celle d’un espace qui se définit comme un lieu de rencontre : un lieu où différents parcours se croisent, où différentes trajectoires se confondent, et parfois se confrontent. C’est un lieu où la culture rencontre la politique, et où les territoires sociaux se mêlent aux territoires individuels. » 12 La qualité de la vie urbaine s’attache donc à la façon dont se noue l’individuel au collectif. Les mixités sociales exigent des dispositifs favorisant la cohabitation des personnes comme des divers groupes culturels. En ce sens, la dynamique participative prend rapidement de l’ampleur et une construction triangulaire entre maître d’ouvrage, concepteur et usager s’établit peu à peu. Plusieurs collectifs d’urbanistes inventent de nouvelles méthodes pour redonner sa place à l’usager dans la pratique de la ville. Dans ce contexte, l’intérêt collectif est renforcé en faveur d’une revalorisation des activités de partage : l’espace public met la ville en action en entretenant la cohésion sociale et la diversité d’usages. Il devient un lieu expérimental pour les autorités locales et les usagers qui tentent enfin de se l’approprier. 12. Degros, Aglaée, De Cleene, Michiel, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.14

77


B. Les

programmes d’action mis en place dans le

10ème

arrondissement pour assurer la

maintenance des personnes les plus fragilisées en ville

1. La Délégation

à la

Politique

de la

Ville

et à l’Intégration

A la fin du XXe siècle, une politique de la ville prend en charge le développement social urbain des quartiers parisiens les plus défavorisés. Un ministre de la Ville est nommé et une administration mise en place pour promouvoir ces nouvelles démarches de décentralisation : les contrats de ville. Après l’élection de la nouvelle municipalité en 2001, la Délégation à la Politique de la Ville et à l’Intégration est créée pour réduire les phénomènes d’exclusion. Cette politique incorpore plusieurs disciplines, telles que le logement, le transport ou la question sociale. Elle est à l’origine de la création d’une régie de quartier, de l’implantation du centre social Le Pari’s des Faubourgs, du lancement d’une gestion urbaine de proximité et de la réalisation des premières opérations de renouvellement urbain. Le sud de l’arrondissement est confié à la politique de la ville en 2006 pour répondre aux problématiques de bâtiment ancien du faubourg. Suite à l’avancée de la gentrification, le secteur s’est réduit aux quartiers des portes Saint-Denis et Saint-Martin. En 2007, un Contrat Urbain de Cohésion Sociale de Paris est élaboré entre les services de l’État et ceux de la ville de Paris, faisant suite au contrat de ville. Il est administré par la politique de la ville jusqu’en 2014 et se resserre sur deux secteurs du Xe les plus en difficulté. L’ensemble des secteurs concernés accueille une grande diversité de nationalités, composée de 38 000 habitants sur une superficie totale de 65 hectares. Le secteur Ouest - 18 410 habitants, 41 hectares 13 - est marqué par la mixité de son tissu urbain, mêlant habitat, petites entreprises et commerces. Le site Est - 19 543 habitants, 24 hectares 13 - correspond à un tissu plus recomposé, où se côtoient immeubles anciens et ensembles de logements sociaux HLM. Les deux sites ont en commun une forte densité de population et, avec plus de 80% des logements construits avant 1948, un habitat ancien concerné par l’inconfort – 15 % des logements déclarés insalubres 14. Le quartier compte à présent 82 immeubles inscrits au plan d’éradication de l’habitat indigne. Il comporte 8,5 % de logements sociaux, soit beaucoup moins que la majorité des quartiers de la politique de la ville. Comment

le quartier des

Portes Saint-Denis

et

Saint-Martin a-t-il

évolué ces dernières années

?

D’après les données de l’enquête réalisée par l’APUR, la situation socio-économique du secteur témoigne d’une avancée de la gentrification, avec une augmentation de la part des catégories professionnelles supérieures et une baisse de la part des classes populaires. Entre 2001 et 2006, le revenu annuel moyen par unité de consommation a augmenté de 19 % - 21 850 euros dans le quartier des Portes, même s’il reste

13. La politique de la ville à Paris, Obsertvatoire des quartiers prioritaires, APUR, Rapport 2010 , p.35 14. La politique de la ville à Paris, Obsertvatoire des quartiers prioritaires, APUR, Rapport 2010 , p.36.


Les quartiers du contrat urbain de cohésion sociale 2007 - 2010

Les Portes - DPVI Apur 2009 Population : 37 953 - RP 2006 (Insee) Moins de 20 ans : 20.4% - RP 2006 (Insee) Population à bas revenus : 16.4% - CAF 2008

Contrat urbain de cohésion sociale Logement social SRU - 2009 Zone urbaine sensible Bâti


Figure 48 - Evolution des immigrés, Centre d’agglomération, 1999-2006

Le début du siècle voit apparaître Un phénomène de gentrification diffusé dans l’ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville Un embourgeoisement caractérisé par une augmentation du revenu moyen par habitant Un net recul de la part de la communauté immigrée Un contraste notable entre le secteur Ouest et Est de l’arrondissement, en terme de répartition des richesses et signes de pauvreté - indicateur chômage... Une concentration marquée de logements sociaux à l’Est de l’arrondissement

80


Figure 49 - Population immigrée, Paris, 2006

Figure 50 - Indicateur de chômage, Paris, 2008

Figure 51 - Population des foyers à bas revenu, Paris, 2008

Figure 52 - Logements sociaux SRU, Paris, 2009

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en retrait du revenu moyen parisien - 32 100 euros en moyenne à Paris. Les cadres et professions intellectuelles supérieures ont progressé de 12 points, tandis que la part des ouvriers a diminué de 8 points. La part de la population immigrée s’est réduite durant cette période - 27% d’immigrés contre 20% à Paris. Cette tendance ne masque cependant pas d’importants écarts sociaux dans le peuplement du quartier populaire faubourien : des populations modestes cohabitent avec ces cadres nouvellement installés. De fait, la dispersion de revenus y est très forte. Dans certains cas, les 10% les plus aisés déclarent des revenus plus de 13 fois supérieurs aux 10% les plus pauvres. Les indices de précarité restent aussi particulièrement élevés. La part des personnes vivant avec moins de 735 euros par mois atteint les 14 %. De plus, 7% des habitants du quartier perçoivent le RMI en 2008 - 4,5% à Paris. L’indicateur de chômage en 2008 concerne 9,6% des habitants du quartier - 7,8% à Paris - et plus du tiers des salariés sont à temps partiel en 2006 - 30% à Paris. Le quartier est marqué par la présence de nombreux candidats à l’asile et une importante concentration de personnes sans abri se localise dans les squares, aux abords du canal Saint-Martin et de la gare de l’Est. Les résultats scolaires des enfants du quartier sont par ailleurs révélateurs de difficultés sociales. En 6e, près d’un élève sur trois est en retard d’un an ou plus - 16% à Paris - et la réussite au brevet des collèges est particulièrement faible : seuls 61% des candidats ont été reçus en 2009 - 79% à Paris. Dans son ensemble, le tissu commercial est dense bien que composé de petites surfaces. La densité commerciale du quartier est d’ailleurs supérieure à la moyenne parisienne - 38 commerces pour 1000 habitants dans le quartier des Portes et 29 commerces pour 1000 habitants dans Paris en 2007 15. Certains axes, comme la rue du Faubourg Saint-Denis connaissent de fortes concentrations. Pour suivre l’amélioration du quartier, la Ville de Paris a souhaité mettre en œuvre un dispositif d’évaluation. L’un des objectifs majeurs de cette enquête a été d’évaluer le regard que portent les habitants concernés par la politique de la ville sur leur quartier. Il s’agissait de mieux comprendre leur façon de vivre la ville, en mesurant par exemple leur sentiment d’appartenance, de mieux connaître leurs pratiques de déplacement et leurs attentes par rapport à l’accès aux équipements et services pour, in fine, faire ressortir leurs besoins. Il en ressort que les habitants des Portes Saint-Denis et Saint-Martin ont de grandes attentes concernant la propreté, la qualité des logements, espaces verts et équipements publics, la sécurité, l’accès aux transports publics et l’image que renvoie le quartier. Si l’accès aux transports publics et commerces de proximité est apprécié des résidents, les nuisances sonores, l’insalubrité, l’insécurité, la mono-activité, le rassemblement de jeunes, le trafics de drogue, le manque d’espaces verts et la trop forte circulation sont des problématiques récurrentes. Les projets s’adressent plus particulièrement aux habitants les plus précarisés, s’agissant d’immigrés, de jeunes et de personnes âgées. Ils ne visent donc pas à la gentrification mais souhaitent maintenir les populations modestes dans le quartier en les dotant des éléments de qualité de vie qui leur font défaut. 15. La politique de la ville à Paris, Obsertvatoire des quartiers prioritaires, APUR, Rapport 2010, p.36


La fin du siècle s’exprime donc par un changement réel de gouvernance de la politique de la Ville qui délègue à présent ses fonctions à différents intervenants pour agir sur des territoires locaux où les dysfonctionnements sont à la fois urbains, économiques et sociaux. Elle intervient pour réinscrire les quartiers dans le fonctionnement urbain de la ville. L’enjeu est de faire de ces quartiers des « morceaux de ville. » 16 Si le maire est responsable du projet, la collectivité locale est un élément fondateur de sa réussite. L’objectif est de réinscrire chaque quartier dans le projet communal, impliquant de s’orienter autour de l’intérêt général. La mise en place d’un contrat de ville et d’un contrat urbain de cohésion sociale a permis de renforcer l’ingénierie locale, obligeant chacun des acteurs à se positionner dans le partenariat, au service du projet, et à modifier ses pratiques habituelles. Les secteurs sélectionnés sont porteurs de nombreuses richesses, et leur renouvellement implique de tirer parti de leurs ressources : il faut s’appuyer sur l’histoire de chacun et agir sur notre ressenti personnel.

2. La Gestion Urbaine

de

Proximité, démarche d’accompagnement

de la rénovation urbaine

Enjeu majeur des politiques urbaines, la Gestion Urbaine de Proximité traite de l’amélioration du cadre de vie et de la gestion des espaces publics des quartiers concernés par la politique de la ville. Elle améliore durablement le quotidien des habitants et des professionnels qui vivent dans ces quartiers et préserve la qualité des aménagements en accordant une gestion plus adaptée des espaces publics. Portée par les pouvoirs publics, cette démarche nécessite une gouvernance structurée permettant « d’agir ensemble » au quotidien. Servant des intérêts communs, elle est d’abord l’affaire de tous : collectivités locales, acteurs associatifs et habitants... Elle s’appuie ainsi sur des équipes de terrain - gardiens d’immeuble, médiateurs sociaux... et place les habitants au cœur de la démarche. En effet, la prise en compte de l’expertise d’usage est essentielle pour établir un programme d’actions pertinent avec, et pour, les habitants. Élargie à un volet social plus important, la Gestion Urbaine de Proximité concourt aussi au renforcement de la tranquillité publique. Elle agit sur les dégradations et les conflits d’usage de certains espaces publics afin d’éviter une dégradation rapide de l’environnement. Pour renforcer le sentiment sécurité, des agents de proximité et/ou acteurs associatifs gèrent différemment les espaces publics de jour et de nuit. Afin d’assurer sa mise en œuvre et conforter durablement le retour à l’attractivité des quartiers, elle a donc recours à une logique de gestion différenciée dans les domaines suivants : - L’entretien et la gestion des espaces à usage collectif, qu’il s’agisse d’espaces publics, privés ou semi-privés. - L’accompagnement et la régulation des usages de ces différents espaces - La sensibilisation au respect de l’environnement ainsi que l’appropriation des espaces et des logements 16. Loche, Bernard, Talland, Chantal, Quand les quartiers réinventent la ville, Paris, Autrement, 2009, p.9

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- L’organisation de la présence de proximité et le soutien aux personnels de proximité intervenant sur les quartiers A Paris, un regain d’initiatives vers un meilleur partage de l’espace public La Ville de Paris s’engage dans de vastes opérations d’urbanisme afin d’améliorer le quotidien des Parisiens. L’ensemble des Directions sont ainsi mobilisées pour améliorer l’offre de services publics : Direction de l’Urbanisme, Direction de la Voirie et des Déplacements, Direction des Espaces Verts et de l’Environnement, Direction de la Propreté et de l’Eau... Dans le cadre de la politique de partage de l’espace public, initiée par la municipalité en 2001 au profit des transports en commun et des piétons, la Ville de Paris a mené de nombreuses opérations de réaménagement.

3. Projets La

conduits par les services et directions de la ville

démarche

Paris Piéton : décharger

la voirie, innover dans les services, mobiliser les équipes

La Direction de la Voirie et des Déplacements s’engage vers un nouveau partage de la rue : elle souhaite protéger les usagers et leur apporter confort et sécurité. Premier mode de déplacement de la capitale, la marche représente 60% des déplacements quotidiens des Franciliens à Paris. En 2013, le lancement de l’opération « La rue en partage » prévoit ainsi d’apaiser 36 % du linéaire de voirie - circulation limitée à 30km/heure ou moins - grâce à la création de « zones de rencontre. » De nouveaux marquages au sol sont expérimentés pour mieux signaler l’entrée dans ces zones apaisées et un désencombrement de l’espace public est réalisé : 9 746 mobiliers sont retirés. 17 Par ailleurs, des solutions de mobilités en libre service se développent, mettant en œuvre des modes de transports collectifs plus adaptés aux besoins des usagers parisiens. Enfin, les projets d’aménagement se développent de manière participative, fil conducteur de la démarche. « L’année 2013 a été marquée par l’animation de l’équipe Paris piéton. Notre objectif était d’encourager la marche et d’offrir un cadre propice à la vie urbaine. Il s’est concrétisé par le programme « La Rue en partage ». A travers l’expérimentation de nouvelles méthodes de travail, nous mettons l’accent sur les usages, la transversalité et la participation, pour des rues où il fait bon vivre » 18 précise Hélène Driancourt, chargée de projet modes actifs à l’agence de la mobilité. - La Place de la République, une opération de réaménagement conduite par la DVD 17. Mairie de Paris, Espace public, Rapport d’activité 2013 18. Direction de la Voirie et des Déplacements, Vers un nouveau partage de la rue, Rapport d’activité 2013, p.15


Figure 53 - Nouveau visage de la place de la RĂŠpublique

Figure 54 - Programmation et usages attendus sur place

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Récemment rénovée, la Place de la République a été inaugurée en juin 2013. Résolument pensée autour de l’usage piéton, 70 % de l’espace de la place est aujourd’hui dédié aux circulations douces. « Le travail principal a été de restaurer un très grand espace piétonnier, le plus simple, le plus clair et le plus plat possible, avec une surface très continue, très libre et très dégagée, avec le moins d’obstacles possibles » explique Vincent Hertenberger, chef du projet. 19 Le projet répond ainsi à une logique de non délimitation, permettant aux gens de se répartir librement. Cette démarche nécessite de se livrer à un exercice de projection, en anticipant le déroulement des activités futures. Qu’y fait-on aujourd’hui ? Qu’y fera-t-on demain ? Pourquoi s’y rendra-t-on ? Quels services souhaite-t-on voir se développer ? Le projet dégage une grande esplanade ouverte, place civique à approprier, qui n’est pas figée. Loin d’être uniforme, sa partie sud est capable d’accueillir de grands événements tandis que la partie nord s’adresse à des usages plus locaux et quotidiens. Lieu d’événements festifs, populaires et culturels, la nouvelle place accueille sur ses terrasses des pavillons multifonctionnels : une adresse social, une buvette, un café thématique... Embellir l’espace

public, favoriser les jardins partagés et encourager les manifestations publiques

La Direction des Espaces Verts et de l’Environnement souhaite augmenter le nombre d’espaces verts dans Paris. Fin 2013, l’objectif de 30 hectares d’espaces verts supplémentaires a été dépassé. Le label QualiPari, qui vise à améliorer les conditions d’accueil du public, est obtenu par 472 espaces verts parisiens. 20 En outre, 92 jardins partagés sont ouverts, dont 45 créés depuis 2008. 20 Conçus et gérés par les habitants d’un quartier, ces jardins leur permettent de se réunir en association et de prendre les décisions importantes collectivement. Un jardin partagé est fondé sur des valeurs de solidarité et de partage entre les cultures : le jardinage s’apprend par l’échange permettant de tisser des liens avec son entourage. Ainsi, chacun peut devenir membre d’un jardin partagé pour le plaisir de s’y promener ou pour participer à un projet de quartier. Ces équipements de quartier profitent aussi au plus grand nombre : lorsqu’un membre de l’association est présent, le grand public est invité à s’y rendre lors d’animations organisées - repas de quartier, spectacles… De nombreux événements sont programmés dans les jardins - Fête des jardins, saison musicale... - Amplifier l’usage des Quais de Seine, un aménagement coordonné par la DEVE et la DVD En juin 2013, près de 4,5 hectares de berges ont été piétonnisées sur la rive gauche, du pont de l’Alma au port de Solférino. Elles totalisent 2,3 km de promenade piétonne, 1,5km de chaussée où coexistent piétons et automobilistes et 1.800 m2 de jardin flottant réparti sur cinq îles. 21 19. Pradal, Laurent, Nouvelle Place de la République, Vivre fm, 17.06.13 20. Direction des Espaces Verts et de l’Environnement, Aider Paris à respirer, Rapport d’activité 2013, p.17 21. Mairie de Paris, Les jardins flottants, nouveau projet de développement des berges, 28.02.13


Figure 55 - Un archipel de cinq îles aux personnalités différentes

Figure 56 - Pont Alexandre III

Figure 57 - Port du Gros-Caillou

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Ouvert à tous, ce lieu de convivialité accueille un espace zen, des activités sportives - mur d’escalade, piste d’athlétisme, séances de coaching..., des jeux de plein air – jeux d’eau, tipis réservables, musée mobile... des tables de pique-nique et autres lieux de restauration – buvettes fixes et mobiles, terrasses supplémentaires...

C. L’espace Quelle

public comme enjeu de reconquête sociale

attention portée à l’implication des habitants au sein de la vie politique

?

L’action publique est actuellement en mutation : la démocratie participative se développe au sein des quartiers. Cette démarche locale ne se limite pas uniquement à des enjeux de proximité mais touche aussi à la question du pouvoir et de son partage dans la société. Quelle est la place de chacun pour transformer l’espace public ? Quelles sont les raisons de l’implication sociale et de l’action collective ? Les habitants veulent porter sur les choix qui les concernent. Et il en va de la responsabilité de chacun d’inventer de nouveaux lieux de rencontre permettant de s’exprimer et d’être entendu. Mais peuvent-ils réellement devenir des co-constructeurs de leur espace de vie ? L’expérience des habitants est utile à tous ceux qui s’interrogent sur l’amélioration de la vie quotidienne et la qualité du service rendu. En effet, on ne peut pas concevoir la ville sans ses habitants. Elle est le lieu d’expériences et de pratiques qui dépendent d’une multiplicité de points de vue. Les habitants sont de véritables aménageurs et possèdent un savoir-faire bénéficiant d’une expertise d’usage. Ils portent un intérêt grandissant à la vie de leur quartier dans son fonctionnement quotidien. Pour autant, ils ne conçoivent pas toujours les choses de la même façon que les politiciens et se heurtent souvent à des logiques institutionnelles. Ils sont en effet victimes d’un système de délégation du pouvoir qui fonctionne toujours dans la plupart des instances institutionnelles dans la société. Déresponsabilisés, ils délèguent les difficultés aux politiques en espérant qu’ils parlent et agissent en leur nom. D’ailleurs encore trop souvent, lors des réunions publiques, les élus et techniciens viennent avec des projets préconçus qui ne correspondent pas à leurs attentes. Si en général la rencontre avec les riverains sur une proposition d’aménagement urbain rassure, l’idée que les élus politiques puissent, comme tout autre citoyen, s’interroger sur des questions d’espaces publics déstabilise. Aussi, les marges de manœuvre sont réduites faute de budget et de contraintes techniques. Il devient nécessaire de sortir de la logique dualiste d’habitant/politicien ou d’institution/citoyenneté et d’organiser des démarches innovantes permettant à tout le monde de se prononcer. En ce sens, il faut passer d’une logique d’offre de services à celle d’une création de services, plus en phase

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avec les préoccupations et réalités quotidiennes des habitants. Il ne suffit plus de seulement créer des services de proximité pour que les habitants les utilisent, mais véritablement d’associer les habitants en amont de la conception du projet.

1. Un

Inverser

les logiques institutionnelles, partager les outils du pouvoir

dialogue difficile

entre élus et habitants

Il existe, dans la société actuelle, un souci de reconnaissance sociale individuelle. En effet, les habitants, héritiers de la mondialisation, se comportent différemment dans la vie quotidienne. Ils ont des intérêts variés, et parfois antagonistes dans la pratique de l’espace public. Il arrive que de mauvais rapports de voisinage perturbent le climat d’entente. Les représentants institutionnels – élus, bailleurs, techniciens... - ont même parfois tendance à s’éloigner des préoccupations de chacun. La place accordée à la prise en compte des habitants n’est pas assez ancrée au cœur des politiques publiques. Les mécanismes de décisions institutionnelles sont complexes et les textes, même s’ils contiennent des recommandations sur la concertation avec les habitants, restent encore confus. La machine administrative, cloisonnée, n’est plus adaptée aux évolutions de la société contemporaine et freine les initiatives et dynamiques sociales. Actuellement, les démarches de travail qui partent sur le terrain et visent l’implication des habitants sont encore peu répandues. Il existe pourtant une large variété de formes participatives construites à partir d’expériences singulières. Mais elles concernent le plus souvent des pratiques isolées et largement minoritaires. En outre, le système impliquant les habitants manque encore de cohérence et ils ne sont pas toujours reconnus en tant qu’acteurs influents. Comment ces démarches, encore trop isolées, peuventelles devenir des initiatives affirmées ? Il faut tendre, à l’échelle du territoire, vers de nouveaux rapports entre les habitants et les élus. Il devient désormais possible, à travers de nouveaux modes opératoires, de réconcilier la politique avec les habitants. En ce sens, il existe d’ailleurs une vraie volonté politique de s’engager vers une démarche citoyenne visant à garantir une qualité d’échanges avec les habitants. Mais faire la ville autrement implique d’inverser les rapports du pouvoir décisionnel. C’est à présent aux élus de s’adapter et de partir des attentes des habitants. Il s’agit d’inventer un nouveau langage et de produire de nouveaux outils de participation pour développer du lien social local et responsabiliser les individus. Cette dynamique de changement rompt avec les habitudes des professionnels et des élus comme des habitants : apprendre à débattre, confronter ses idées, critiquer sans heurter... Ces nouveaux modes de gestion et de relations entre les différents acteurs du domaine public supposent une prise de risque, de la méthode, du temps, une profonde déter

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mination, et en somme, un certain courage politique .

Mais comment dépasser ces modes de relations actuels entre habitants et élus politiques au sein de l’espace public ? Comment changer les pratiques de l’action publique ? Comment former les professionnels et les habitants aux démarches d’un développement participatif ? Il s’agit là de reposer les bases d’une nouvelle citoyenneté en questionnant l’organisation du pouvoir et son partage dans la société.

2. Fabriquer N’est

la ville avec les habitants : le débat collectif au service du citoyen

ce pas par la confrontation des idées que naissent les solutions nouvelles

?

Dans une société de plus en plus virtuelle, les habitants ont aujourd’hui besoin d’une écoute personnalisée. Ils s’intéressent aux espaces d’écoute, de dialogue et de confrontation des idées. Ses formes d’échanges manifestent leur état d’existence. S’exprimer sur sa ville est un moyen d’affirmer sa propre singularité et d’être reconnu comme un être à part entière. La prise de parole en public construit l’identité sociale de chacun. Si elle n’a pas lieu, elle renforce le sentiment d’exclusion. C’est l’image de soi et celle du respect que l’on se doit à soi-même qui est mise en jeu. Cette prise de position est d’autant plus importante que dans certains secteurs, les violences et tensions – saleté, dégradation, insécurité... - subies quotidiennement méritent d’être entendues. Progressivement, les quartiers sensibles se sont éloignés des espaces politiques et de leurs formes d’organisation traditionnelles. En matière de démocratie, il ne peut y avoir de territoires de seconde zone comme il ne peut y avoir de citoyens relégués : obéir à l’exigence populaire est l’une des conditions indispensables au développement des quartiers dits fragilisés. Tous les jours, certains habitants subissent un environnement très dégradé et pourtant, leur aspiration à intervenir sur leur vie quotidienne reste grande. « L’idée même que les habitants des quartiers populaires puissent avoir leur mot à dire, avec leur propre forme d’expression, et être considérés comme des acteurs, reste incongrue dans la caste des décideurs. » 22

La

reconnaissance individuelle comme condition de l’action collective

« L’amélioration de son environnement passe d’abord par une recherche de satisfaction individuelle. La reconnaissance individuelle est l’une des conditions de l’action collective et de l’implication sociale des individus. » 23 L’action collective existe si elle est d’abord reconnue sur la base des préoccupations individuelles. Pour satisfaire aux différentes attentes, l’expression des points de vue contradictoires est fondamentale. Les 22. Percq, Pascal, Les habitants aménageurs, La Tour-d’Aigues, L’aube Eds De, 1998, 93p. 23. Norynberg, Patrick, Faire la ville autrement, Yves Michel, 2011, p.103


opinions de chacun s’opposent et les individus n’ont pas toujours conscience de l’existence d’intérêts communs pour s’engager dans une forme d’action collective. Ces positionnements critiques font naître un conflit favorable qui ouvre les esprits, laisse place aux négociations et tente d’apporter des solutions nouvelles, un débouché. « Quand l’action individuelle se découvre comme un piège, l’impuissance apparaît comme le ciment négatif qui unit les gens. La prise de conscience de leur impuissance commune s’établit comme une liaison entre eux. La formation d’un groupe suppose une deuxième condition, c’est l’existence dans la société globale d’autres groupes, qui défendent des intérêts particuliers et antagonistes, et qui appellent à la lutte contre eux. » 24 L’action quotidienne avec les habitants participe donc à transformer les intérêts particuliers en intérêts collectifs. La prise de conscience de l’engagement collectif se construit dans des rapports de proximité, en prise directe avec le quartier. Il s’agit d’une stratégie pédagogique qui, a long terme, rassemblent les acteurs de la ville autour d’un intérêt commun consistant à embellir la ville pour satisfaire le plus grand nombre. Par ailleurs, les changements les plus significatifs, au cours de l’histoire, sont souvent le résultat de conflits sociaux importants, à l’origine de la création de collectifs d’habitants ou d’associations de locataires faisant valoir leur droit face aux institutions. Elles sont une composante essentielle de la démocratie. En ce sens, Les Ateliers de l’Avenir, sortes d’assemblées de quartier conçues par Patrick Norynberg confrontent les idées des habitants, élus et travailleurs sociaux pour concevoir des projets rendant le quotidien plus agréable pour tous. Cette méthode de développement local démarre d’une situation conflictuelle et cherche un compromis pour ensuite déboucher sur des projets concrets - création de lieux de rencontre, de services de proximité, propreté de l’environnement, tranquillité, sécurité... Chaque personne est engagée, comme acteur, à faire quelque chose de positif pour la communauté.

3. De

la démocratie représentative vers la démarche participative

Concevoir

un partenariat intelligent

entre élus, techniciens et habitants

Les réseaux professionnels doivent inventer de nouveaux modes de gestion du service public, offrant une approche plus adaptée aux préoccupations des habitants. « Il s’agit de passer d’une logique d’offre de services à une logique d’accompagnement des initiatives des habitants. » 25 Bien qu’ils en aient la maîtrise, ils sont encore trop cantonnés à un domaine spécifique. Les réponses sectorisées des services territoriaux ne suffisent plus à satisfaire les riverains. Pour affronter la complexité des situations que l’on rencontre dans l’espace public, l’administration locale doit se mettre à la portée 24. Aebischer, Verena, Le groupe en psychologie sociale, Paris, Dunod, 2007, 223p. 25. Norynberg, Patrick, Faire la ville autrement, Yves Michel, 2011, p.136

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de chacun. La démocratie participative s’appuie sur une valorisation des habitants. Elle les associe, dès la genèse du projet jusqu’aux phases de réalisation. La rencontre et l’échange entre les différents acteurs bailleurs sociaux, services municipaux, gardiens d’immeubles, police... - constituent des moments précieux qui apportent des réponses transversales et améliorent le service rendu aux habitants. Le partenariat tient compte d’une volonté politique forte attachée à des modalités intelligentes de pilotage et d’évaluation. Il permet, à travers l’échange, de résoudre des problèmes auxquels les habitants sont confrontés dans le quotidien. Cette notion repose sur l’acceptation de différents points de vue entre les institutions et habitants, obligeant chacun à argumenter et à donner son opinion. Elle confronte les intérêts qui s’opposent et permet de débloquer des situations en mutualisant les idées et en définissant des objectifs communs.

Groupes d’échanges

entre les habitants et mises en réseaux

Par ailleurs, les habitants peuvent aussi se rencontrer et se retrouver pour échanger. L’engagement au sein d’un groupe cimente les relations : si chacun s’oriente autour d’une mission spécifique, les objectifs sont identiques. En partant d’intérêts communs, ils s’organisent ainsi en réseaux dans les quartiers, constituant une nouvelle forme d’implication sociale contre le repli sur soi et l’individualisme exacerbé de la société contemporaine. Ces espaces d’échanges et d’informations nourrissent l’action collective en soutirant des ressources complémentaires permettant d’engager des initiatives nouvelles. En outre, les réseaux touchent toutes les catégories sociales et culturelles, des personnes plus aisées aux individus fragilisés ou étrangers. Et cette mise en relation des personnes d’origines différentes permet par ailleurs de sensibiliser les élus et professionnels à la diversité culturelle. La constitution de groupes de parole – débats publics, conseils de quartiers... - donne du sens à la citoyenneté en favorisant les échanges entre les acteurs et usagers du quartier. Ils sont placés dans une attitude de respect mutuel, où chacun accepte l’autre comme un enrichissement de sa propre réflexion. Les élus qui agissent auprès des habitants doivent répondre à leurs attentes sans revenir sur leur principe. Ils renforcent la libre expression pour rechercher des réponses adaptées aux préoccupations de chacun. Les habitants, professionnels et élus locaux s’y retrouvent régulièrement pour participer à la mise en œuvre d’actions collectives. L’objectif est de renouer des liens parfois distendus en responsabilisant chacun sur l’entretien, la propreté et la participation à la vie associative. Progressivement, une autre façon de gérer le quotidien et de penser la société fait débat en bousculant les habitudes. Le mode de fonctionnement de ces groupes de travail doit cadrer les lieux d’échanges, en permettant une rencontre régulière entre les habitants et professionnels concernés, un partage équilibré de la parole, un outil de suivi régulier auprès

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des institutions et un rapport fréquent de l’état d’avancement de ces échanges. Former

les acteurs locaux et apprécier les capacités de chacun

Les professionnels doivent concevoir l’action publique comme un dispositif de formation des habitants. Les démarches participatives, toujours en cours d’études et d’expérimentations, nécessitent d’accompagner les investigateurs à ces nouvelles pratiques. Cette phase préparatoire est indispensable pour les faire participer pleinement à la vie citoyenne. En effet, le pouvoir offre la possibilité de décider sur un thème donné et si les habitants ne reçoivent pas les mêmes informations concernant ce sujet, ils peuvent se sentir écartés du centre de décisions. Ce n’est pas équitable et il n’y a pas de démocratie sans partage d’informations. Il faut alors initier les habitants à la délibération et à la réflexion critique lors des groupes d’échanges. Le débat permet de transmettre des compétences entre élus et habitants afin qu’ils deviennent, à leur tour, des interlocuteurs pertinents. Il s’agit là de donner, aux acteurs de terrain, toutes les chances de défendre leur point de vue. Partager le pouvoir, c’est aussi permettre aux habitants de mener une contre-expertise sur un projet d’aménagement ou d’équipement public. De plus, la codécision, en intervenant sur les choix financiers et économiques - élaboration du budget, choix d’investissements... - permet d’exercer pleinement la citoyenneté. Les expériences de budget participatif permettent aux habitants de choisir, en connaissance de cause, les travaux d’urgence ou les investissements prioritaires à effectuer dans le quartier... D’un point de vue démocratique, la responsabilité des institutions publiques et sociales implique donc d’engager les acteurs dans un cycle de formation permanent. Coproduire de la démocratie locale ne signifie pas seulement appliquer un programme, ni de s’improviser animateur de groupe ou médiateur social, mais véritablement de participer à la construction de savoir avec les habitants, avec un certain cadre de travail et des engagements partagés. Il s’agit bien d’un processus d’apprentissage: apprendre à se parler, s’écouter et accepter d’autres points de vue pour construire en partenariat. Construire

du vivre-ensemble

La démocratie participative est un processus qui donne du sens à la vie collective dans le respect d’autrui et renforce ainsi la valeur du vivre-ensemble. Elle apporte des réponses locales et adaptées aux questions de liée à la vie de quartier tout en agissant au niveau national et planétaire. Le monde n’est-il pas devenu aujourd’hui, un village ? Qu’elles soient locales ou internationales, les exigences sont les mêmes : il s’agit d’être entendu et de pouvoir peser sur les choix décisifs qui conditionnent la qualité de vie.

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Pérenniser

les démarches innovantes

Aujourd’hui, les représentations se transforment. Si la démarche participative reste expérimentale, l’aspiration à une plus grande implication des habitants dans la politique publique n’est plus à prouver. Les relations entre politiciens et habitants s’améliorent : les premiers trouvent les habitants plus positifs quand les seconds trouvent les politiciens plus accessibles. Ces pratiques participatives s’inscrivent dans la durée et demandent à être pérennisées. C’est dans des rapports quotidiens et permanents qu’évoluent les personnes concernées. Valoriser

les expériences de terrain et partir des situations vécues

Cette conception de l’action publique permet dès lors de s’interroger sur les pratiques et la connaissance du terrain. Il convient de déceler les tensions qui s’opèrent dans un quartier afin de proposer des solutions alternatives. Celui-ci forme en effet un laboratoire d’études privilégié où l’expérience de projets innovants peut être transposable en d’autres lieux. Travailler collectivement sur le projet de développement d’un quartier - aménagement urbain, création d’équipements publics... - est un gage d’efficacité pour chercher, expérimenter et ajuster les pratiques locales. Dans de nombreuses villes, des collectifs investissent des espaces publics délaissés pour en faire des espaces de jardin – potagers, cuisine - barbecue - ou des aires sportives - roller et skate... Il suffit de peu de choses pour transformer une place ou une rue et se réapproprier l’espace public. Partout, d’autres manières d’occuper l’espace public apparaissent, portées par des collectifs activistes, d’artistes et d’usagers. Sous l’impulsion de ces nombreux acteurs, des dispositifs éphémères et des aménagements temporaires sont organisés dans l’espace commun, encouragés par les pouvoirs publics. Ils manifestent des usages alternés du centre-ville selon les heures, les jours ou les saisons : vide-greniers, brocantes, fêtes de voisins, Nuit Blanche... Ces manifestations célèbrent l’identité et l’appartenance à la ville, permettant de faire territoire et de maintenir un lien social. Au travers elles, la culture devient un événement propice à la rencontre et à l’échange. Elle transforme la perception et rapproche l’événement de l’ordinaire, les aménagements exceptionnels du quotidien urbain.

D. L’urbanisme

temporel, aménager les rythmes du vivre-ensemble

1. Accélération

des temps quotidiens en métropole

L’urbanisme s’adapte aux configurations de l’espace comme à l’évolution des modes de vie. L’organisation des temps journaliers a évolué au cours de l’histoire et ses changements s’accélèrent aujourd’hui avec le

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processus de mondialisation. Les relations entre les activités quotidiennes se transforment : alors qu’une plus large flexibilité est accordée au temps de travail, les loisirs se sont affirmés au siècle dernier dans les sociétés occidentales. Le développement technologique artificialise le temps et perturbe les rapports habituels des individus au temps et à l’espace. La vitesse des communications inscrit les échanges dans un seul et même processus : les individus sont dès lors accessibles en permanence, confondant les périodes de travail, de loisirs ou de repos. Les transports, toujours plus performants, reconfigurent les distances entre les lieux. Ces mutations entraînent, selon Hartmut Rosa, philosophe allemand, une « urbanisation des temps quotidiens » marquée par l’accélération du rythme de vie « liée à la réduction des ressources temporelles, c’est-à-dire l’augmentation du nombre d’actions ou d’expériences par unité de temps. » 26 « Objectivement, l’accélération du rythme de vie représente un raccourcissement ou une densification des épisodes d’action. [...] elle se traduit, subjectivement […] par une recrudescence du sentiment d’urgence, de la pression temporelle, d’une accélération contrainte engendrant du stress, ainsi que par la peur de « ne plus pouvoir suivre. » 26 Ces évolutions temporelles reconfigurent l’espace urbain, la façon de pratiquer les lieux et les attentes des habitants. La mise en continuité des grands rythmes traditionnels de la ville - le jour et la nuit, le dimanche et le reste de la semaine... - questionne sur la société actuelle. Ces évolutions temporelles génèrent différents problèmes comme la création d’inégalités sociales ou le renforcement des conflits à certains moments. Elles soulèvent ainsi de nouveaux enjeux urbains et remet en cause les outils d’aménagement classiques. La reconnaissance du temps comme enjeu s’affirme dès la fin des années 1980 en Europe, avec l’apparition de discours questionnant le rôle d’un aménagement temporel de l’espace. En France, l’aménagement temporel des territoires s’institutionnalise en tant qu’outil politique à la fin du siècle dernier. Les politiques temporelles naissent dans les années 1990, période où s’élaborent de nouvelles lois visant à renouveler les bases de l’urbanisme moderne. Elles interviennent de manière innovante sur les espaces urbains, considérant le temps sous diverses formes, et donnent naissance à un « urbanisme temporel » géré par des structures spécifiques appelées « Bureau des Temps. » 27 Celui-ci coordonne les pratiques sociales dans le temps sur le mode de rendez-vous collectifs afin d’optimiser les usages de certains lieux à court terme et de les revitaliser complètement sur le plus long terme. Agissant sur la thématique du temps, ces politiques temporelles restent encore aujourd’hui méconnues, mais leur diffusion continue pourtant de se poursuivre. Désormais, plus d’une trentaine de collectivités françaises intègrent la question des temps dans leurs démarches.

26. Rosa, Hartmut, Aliénation et accélération, théorie de la modernité tardive, Paris , La Découverte, 2013, p.103 27. Mallet, Sandra, Aménager les rythmes, politiques temporelles, Espacestemps.net, Laboratoire, 15.04.2013

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Qu’apportent ces politiques en terme d’urbanité ? Comment se positionnent-elles face à la notion de temps ? De quelles manières tentent-elles de concilier les dimensions temporelles avec celles de l’espace ? Et en quoi participent-elles à reconfigurer les pratiques d’aménagement ?

2. Les

espaces rythmiques, un regard novateur sur la ville

La prise en compte de la diversité des rythmes quotidiens et de leur coordination est au centre des actions des Bureaux des Temps. La ville constitue une succession de rythmes qui interagissent entre eux. Ce mode de pensée conçoit autrement les aménagements de l’espace. Le rythme, cette expression du temps selon Bachelard, est un concept difficile à explorer pour les politiques temporelles. Pour autant, les Bureaux des Temps intègrent cette question du rythme en urbanisme sous différentes perspectives. La prise en compte de la multiplicité des rythmes urbains s’exprime sous trois formes dominantes : « la multiplicité des temps sociaux, la polychronie des lieux et la polyvalence séquentielle des espaces. » 28 « Le rythme naît d’abord d’une configuration de plusieurs éléments, source d’ajustements permanents mais aussi de désynchronisations et de décalages. Ensemble formé par la relation entre ses parties, le rythme est agencement entre différents processus temporels interagissant entre eux. » 29 Selon le philosophe Henri Lefebvre, le rythme forme l’organisation temporelle de la vie quotidienne, comprenant une succession d’actes et d’heures pleines ou creuses - rythmes naturels, temps sociaux, rythmes individuels, temps privés, rythmes publics... Ces différents éléments temporels s’entremêlent entre eux faisant ressortir des ajustements, des synchronisations ainsi que des perturbations et des luttes.

« La vie sociale s’écoule dans des temps multiples, toujours divergents, souvent contradictoires, et dont l’unification relative, liée à une hiérarchisation souvent précaire, représente un problème pour toute société. » 30 Par ailleurs, l’aménagement public est conditionné par des normes sociales. Les groupes sociaux se réalisent dans des temps qui leur sont propres. Les catégories de populations et d’âges agissent différemment suivant le rythme de la journée, l’enchaînement des activités et les façons de gérer le temps. Pour fonctionner correctement, la société est en charge d’orchestrer ces temps sociaux. Le citadin doit, sans cesse, dans le quotidien, composer avec différentes temporalités : plusieurs temps s’entremêlent avec le temps propre de chaque individu, participant à sa construction personnelle - rendez-vous, heure de travail... Finalement, chacun doit en permanence procéder à des ajustements, l’individu ne pouvant disposer d’un temps entièrement libre, c’est-à-dire sans liens extérieurs. En outre, certains moments, les temps creux de la ville, suscitent particulièrement l’intérêt des Bureaux des 28. Mallet, Sandra, Aménager les rythmes, politiques temporelles, Espacestemps.net, Laboratoire, 15.04.2013 29. Benveniste, Emile, La notion du rythme dans son expression linguistique, Paris, Gallimard, 1966, p.327 30. Gurvitch, Georges, La vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, 1950, p.325


Temps. L’été, saison des vacances, correspond à une période problématique pour assurer la continuité des services publics et s’adapter aux demandes des usagers. De même, la nuit et le dimanche sont des périodes durant lesquelles de nombreuses activités urbaines sont déficientes. À Paris, certains équipements et services culturels, sportifs, ou de loisirs sont devenus plus accessibles à des moments où ils ne l’étaient pas - en soirée, l’été, le dimanche, à l’heure du déjeuner... Ces démarches sont complexes à mettre en place car les réflexions sur la coordination des horaires à l’échelle d’une ville sont encore récentes : aucune cartographie d’horaires des services n’a jamais été produite au sein des collectivités, avant la création des Bureaux des Temps. Ces actions novatrices témoignent pourtant d’une vraie volonté politique d’agir sur une meilleure coordination des différents rythmes sociaux de la ville.

3. Intensification

de la polychronie urbaine, multiplicité d’usages dans la ville

La diversité des rythmes urbains quotidiens est d’abord caractérisée par une « polychronie » des lieux. « Tout lieu est, par essence, polychronique. » 31 Dans l’un de ses textes, l’anthropologue américain Edward T. Hall montre combien le temps peut être vécu différemment selon les cultures. Il oppose le temps linéaire des sociétés occidentales au temps cyclique des sociétés archaïques. Les premières sont qualifiées de sociétés monochrones, agissant par séquences en traitant les choses les unes après les autres. De cette façon, la vie sociale est dominée par l’horaire et les structures temporelles « arbitraires et imposées. » 31 Les autres, plus traditionnelles, sont de sociétés polychroniques se singularisant par la capacité à traiter plusieurs choses à la fois : les individus n’ont pas d’horaire ni de programmes imposés et les transactions sont pour la plupart basées sur la confiance. Ainsi, la recherche d’une meilleure coordination des temps passe, à l’évidence, par des réflexions géographiques. Le terme « chronotope » désigne « la représentation spatio-temporelle des activités, reliant la ville bâtie à la façon dont elle est investie par les activités sociales. » 32 Les lieux n’ont de cesse, au cours de l’histoire, d’être transformés par des temporalités quotidiennes. Étudier la polychronie d’un lieu se rapporte, en ce sens, à la pluralité des rythmes matérialisés dans la ville et à la faculté de diversifier les usages d’un même espace en différents moments. Avec l’individualisation des sociétés modernes, les nouveaux temps sociaux désynchronisent les pratiques collectives de l’espace urbain - heures de pointe dans les transports, intensification des activités urbaines la nuit et le dimanche... L’intérêt porté aux nouveaux rythmes de la métropole, des horaires du service public à la diversité des

31. T. Hall, Edward, La danse de la vie : temps culturel, temps vécu, Paris, Le Seuil, 1984, p.81 32. Mallet, Sandra, Aménager les rythmes, politiques temporelles, Espacestemps.net, Laboratoire, 15.04.2013

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usages de l’espace public en passant par la cohabitation des différentes activités, est donc devenu primordial.

L’amplification

des usages de la ville multiplie les risques de conflits

Dans ce contexte d’intensification des rythmes urbains, une attention particulière est portée aux conflits temporels. Il s’agit de « tensions générées par des usages simultanés et antagonistes d’un lieu. » 33 Il en existe plusieurs types. Certains naissent d’un manque de ressources quand d’autres sont issus d’usages inappropriés de l’espace, à un moment donné, par des populations. Le cas le plus classique de ce type de conflit est celui relatif aux nuisances sonores durant la nuit, causées par exemple par des clients de bars gênants ou par des jeunes squattant les bas d’immeubles. Face à la montée de ces conflits temporels, la Mairie de Paris, a développé en 2009 des « chartes locales des usages » conçues comme des outils de conciliation. L’objectif premier est d’apaiser les conflits liés à des pratiques divergentes d’un quartier. La première charte, signée en 2007, concerne la place du marché Sainte-Catherine, située dans le quartier du Marais à Paris. En soirée, des nuisances sonores opposaient riverains et restaurateurs. Un débat public, réunissant les habitants, représentants de commerces et usagers a été initié par la Mairie d’arrondissement. Une charte locale a ensuite été rédigée et signée, impliquant des engagements de part et d’autre afin de réguler la cohabitation - utilisation des terrasses, entretien du périmètre, bruits... Deux fois par an, un conseil de quartier est tenu afin de suivre l’évolution des comportements. Suivant les principes de la charte du Marché Sainte-Catherine, le Bureau des Temps a ensuite formalisé la méthode pour que d’autres Mairies d’arrondissements puissent en bénéficier lors de conflits. Avec la diffusion des activités nocturnes en ville, la nuit constitue également un moment conflictuel particulier qui retient l’attention des politiques temporelles. Or, « la ville qui travaille, la ville qui dort et la ville qui s’amuse ne font pas toujours bon ménage. » 34 Plusieurs chartes nocturnes ont ainsi été rédigées pour encourager les bonnes pratiques - respect des horaires d’ouverture, sensibilisation de la clientèle sur les nuisances sonores et sur les risques liés à l’alcool, à la drogue... Les municipalités peuvent aussi intervenir, en tant que médiatrices, pour contrôler les demandes d’autorisation tardive. La forte polychronie des lieux multiplie les discordances au sein des villes. Cette attention portée aux conflits temporels est aujourd’hui devenue nécessaire pour améliorer la cohabitation entre les habitants d’un même lieu.

33. Mallet, Sandra, Aménager les rythmes, politiques temporelles, Espacestemps.net, Laboratoire, 15.04.2013 34. Gwiazdzinski, Luc, La nuit, dernière frontière, Paris, Editions de l’Aube, 2005, p.132


Polyvalence

séquentielle, l’enchaînement temporel des pratiques de l’espace public

Les politiques temporelles interviennent aussi dans la fréquentation des équipements publics selon des moments variés. Cette conception particulière met l’accent sur la polyvalence de l’espace public, évoquant la succession de ses pratiques, récurrentes ou ponctuelles, prévues ou imprévues. Il s’agit là de révéler les usages possibles des lieux selon les périodes de temps. Cette démarche de réversibilité de l’espace public est d’autant plus intéressante que, dans beaucoup de quartiers, les fortes densités bâties limitent la construction de nouveaux équipements. Actuellement, nombre d’entre eux sont sous-utilisés, voire désertés, à certaines périodes de la journée ou de l’année - parkings de centres commerciaux, espaces d’activités, salles de sport, centres culturels... Au début du siècle, le réaménagement du centre-ville de Saint-Denis témoigne de cette prise en compte de la diversité d’usages en ouvrant certains espaces à des événements réguliers - jours de marché, horaires des livraisons... - et moins réguliers. En voie de piétonnisation, il redonne vie à un centre-ville inactif en soirée après un diagnostic permettant de comprendre les manques et les dysfonctionnements du quartier - instances de débats entre les différents acteurs, enquêtes auprès des résidents de Saint-Denis, randonnées nocturnes dans le centre-ville... L’appropriation du lieu est ainsi favorisée, chaque vendredi soir, par des manifestations particulières de type spectacles, débats animés dans les restaurants et les cafés...

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odeur de marrons chauds – moteurs – foule – attroupements d'individus – caddie que l'on tire – langues étrangères – tintement d'un vélo – langues étrangères – un homme sifflote – sacs de shopping – circulation – virage à droite – BOULEVARD DE LA CHAPELLE – métro aérien – effluves de nourriture – odeur de poulet grillé -un homme boit une bière en marchant – traversée – motos – circulation – les policiers arrêtent un groupe d'individus – circulation – métro aérien – attroupements d'individus – circulation métro aérien - attroupements d’individus - circulation - métro aérien - circultion -


La [re]conquête

des espaces publics à

Bruxelles

A Bruxelles, la politique de rénovation urbaine souhaite améliorer la qualité de vie de certains quartiers fragilisés en réhabilitant l’espace public et en y installant des équipements de proximité afin d’assurer un meilleur partage de l’espace public. « Les politiques de rénovation urbaine ont joué un rôle de premier plan dans l’évolution des pratiques de conception et d’aménagement de l’espace public et dans l’amélioration de la qualité de vie des parties centrales de la Région bruxelloise. » 35 Evelyne Huytebroeck, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la rénovation urbaine. Aujourd’hui, seize contrats de Quartiers Durables proposent des projets innovants en réponse aux enjeux actuels - dualisation sociale, mobilité, espaces verts et participation citoyenne. Le

contrat de

Quartier Durable comme

outil de revitalisation des quartiers dépeuplés

Les contrats de Quartiers Durables constituent le principal outil de la politique de rénovation urbaine menée en Région bruxelloise. Il s’agit de programmes initiés en 1994 dans des quartiers fragilisés de la capitale. Ces plans d’action mettent en place des mesures simples et efficaces qui valorisent l’espace public existant par la création d’infrastructures de proximité et le renforcement de la cohésion sociale. Chaque année, le gouvernement sélectionne quatre quartiers en difficulté qui présentent des opportunités d’action. Chaque contrat de Quartier Durable comporte deux grandes phases : une période de neuf mois est consacrée à l’élaboration d’un programme d’interventions, puis quatre années sont consacrées à la mise en œuvre opérationnelle. Tout au long du processus, les citoyens sont associés à la démarche. Une commission de quartier se réunit régulièrement et, plusieurs fois par an, des assemblées générales sont ouvertes à tous les habitants. Les contrats de Quartiers Durables créent des lieux de rencontre. Ils ambitionnent de « conquérir » de nouveaux lieux et de « reconquérir » des espaces publics existants qui ne s’adaptent plus aux pratiques actuelles de la ville. [Re]convertir

les anciens sites industriels selon trois méthodes

La [re]conquête de ces espaces publics bruxellois se décline suivant trois nouveaux modes d’action : la reliance, la réflexivité et l’art de la ruse. Elle s’impose dans certaines parties de la capitale. A l’image des quartiers prioritaires de la Politique de la ville à Paris, les quartiers concernés se rapportent aux communes les plus pauvres de l’agglomération bruxelloise. Il s’agissait, comme pour les faubourgs, d’anciens sites industriels où venait s’établir la classe ouvrière. Ces quartiers, en transition, se caractérisent encore au

35. Huytebroeck, Evelyne, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.7

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jourd’hui par un habitat de petite taille et un tissu urbain dense, rendant essentielle la création d’espace public. « Si densité et intensité semblent associées à la vitalité urbaine, ce peut être pour s’opposer ou se conjuguer ; s’opposer si densité rime avec promiscuité, se conjuguer si densité rime avec urbanité. Ce qui est en cause est de l’ordre d’un ethos urbain dans lequel les limites et les passages instaurés par et entre les lieux sont des facteurs déterminants des conditions d’urbanité. » 36 Il peut s’agir de l’acquisition de friches, de parcelles privées, d’infrastructures hors d’usage ou encore de résidus d’infrastructures. L’intervention dans ces secteurs a ceci d’intéressant qu’elle s’adapte au cadre de vie spécifique, à la présence d’usagers aux cultures divergentes et aux tensions générées par l’accroissement de la population tout en composant avec des moyens financiers modestes. Reliance : concilier

les espaces isolés dans la ville

« Un milieu comme un lieu nécessite de comprendre les interactions et les dynamiques naturo-culturelles d’interpénétrations, interdépendances et inter-engendrements, que ce soit entre facteurs climatiques, mécaniques, biotiques ou culturels. Des alter-mondialités sont donc à réinventer des dispositifs d’alliances et d’empathie entre établissements humains et milieux naturels car c’est en termes de régénérations et de résiliences que les métamorphoses des territoires sont à repenser, conduisant à réaffirmer l’acte de création comme résistance et l’art de la reliance comme enjeu. » 37 La reliance établit des continuités spatiales entre des fragments d’espaces publics isolés les uns des autres. « L’objectif est de générer des continuités dans un tissu fragmenté, de mettre en place des modes de reliance, à même de créer des liens, plutôt que d’imposer des limites. » 59 La reliance vise aussi à régénérer les vestiges du passé, comme les éléments d’anciennes infrastructures ferroviaires. Son mode d’action se traduit par l’élaboration de maillages raccordant les parcelles publiques à la ville. Réflexion : mettre

en place un processus participatif

L’approche réflexive renvoie à la dimension sociale du projet et intègre la participation citoyenne à la transformation des quartiers dégradés. Aujourd’hui, les contrats de Quartier Durable laissent aux habitants l’opportunité de porter eux-mêmes des initiatives pour l’espace commun, sans pour autant intégrer systématiquement les pouvoirs publics dans leur démarche. Des enquêtes participatives de terrain et une implication croissante de la maîtrise d’ouvrage, sous la forme d’antennes de quartiers, favorisent l’implication des populations.

36. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.186 37. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.185


Figure 58 - Park system, continuité verte longeant un chemin de fer

Figure 59 - Park system

Figure 60 - Espace Kessels, réaménagement de l’intérieur d’un îlot en un parc semi-public géré par la collectivité

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Ces expériences participatives sont enrichissantes et témoignent de l’intérêt de toucher les publics sous-représentés dans la sphère des échanges publics. Un projet réflexif donne avant tout à réfléchir. Son mode de pensée incorpore différents champs de la connaissance, incitant à posséder une certaine largeur d’esprit. La concertation entre les habitants, techniciens et pouvoirs publics permet de faire émerger une réflexion commune basée sur des perspectives d’échanges constructifs. Par la confrontation d’idées contradictoires, ces discussions déploient l’imaginaire collectif, développent une culture commune et valorisent les formes de participation innovantes et informelles. La méthode est récursive. « Ce mode d’action part du particulier pour s’élever vers le général, la réflexivité fait dans ce cas ci référence à la récurrence ; l’idée du projet se forme alors sur l’accumulation des expériences. » 60 Cette approche reflète la diversité des usages en partant de problèmes réels tels qu’ils se posent dans les quartiers. Il faut non seulement anticiper les besoins futurs mais aussi penser l’évolutivité potentielle des équipements et l’adaptabilité des espaces publics.

« Le premier enjeu de la réflexivité, c’est le partage des représentations. »

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Pascal Amphoux distingue trois stades dans le projet réflexif. Il parle d’abord d’un « stade de la distanciation » : elle concerne l’usager - habitant, travailleur, visiteur - qui reconnaît les différences d’opinions et le décideur - élu ou maître d’ouvrage - qui prend de la distance face aux procédures normées. Il évoque ensuite un « stade de décantage » : le travail ne consiste pas à répondre aux attentes individuelles de chacun mais à filtrer ce que est dit confusément pour en extraire l’essentiel. Il termine enfin par le « stade du miroir » : le projet doit refléter les usages existants pour que renaisse l’identité du quartier. Art

de la ruse

: détourner

les usages du mobilier urbain

La reconquête de l’espace public emprunte l’art de la ruse comme outil de rénovation de la ville. Il s’agit de détourner quotidiennement l’espace urbain et son mobilier par des jeux urbains ordinaires qui réinventent d’autres fonctions et d’autres usages en utilisant un minimum de moyens. Ces techniques encouragent l’occupation de la rue et l’usage de la marche. Elles supposent des stratagèmes qui dérangent les habitudes et les normes d’usage communément reconnues, suscitant l’imprévu afin d’encourager le citadin à se réapproprier des morceaux de rues. « L’espace public est un tiers lieu comme un autre où nous devons pouvoir vivre comme des sérendipiteurs qui savent à un certain moment tirer profit de circonstances inattendues. » 39 Ce sont les petites choses au quotidien qui donnent du sens à la vie et servent à enrichir le quotidien. Il faut repérer les manières de ruser, de détourner l’espace public et dans s’insérer dans les interstices de 38. Genard, Jean-Louis, Vivre ensemble au XXIe siècle : colloque de l’institut de sociologie, Bruxelles, ULB, p.400 39. Amphoux, Pascal, Bruxelles, à la [re]conquête des espaces, 2014, p.201


Figure 61 - Passerelle Cage aux Ours, traversée en gradins au dessus d’un chemin de fer

Figure 62 - Passerelle Cage aux Ours

Figure 63 - Place de Liverpool, place publique piétonnisée

Figure 64 - Place de Liverpool

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la ville. L’art de la ruse transforme un lieu anodin, ou un non-lieu, en espace de rencontres. Il produit un urbanisme plus sensible qui co-construit avec les usagers bricoleurs un espace public adaptable. Ces pratiques alternatives font émerger une autre ville, un alter-urbanisme découlant de l’innovation qui s’appuie sur des principes d’hospitalité, de sensibilité et d’alternance et qui participe à humaniser la ville. « Ruser, c’est habiter, exister, avoir sa tenue hors de soi, dans l’ouverture. »

40

« Dans ces métamorphoses des milieux habités, qui sont cruciales mais difficiles, étant donné l’épuisement de l’en-commun, ramené dans la plupart des cas à de la contiguïté spatiale, les espaces publics peuvent résister et constituer des foyers d’hospitalité. » 41

Recyclart, un

projet urbain, économique et social inspiré de la ville

Recyclart est une association bruxelloise qui expérimente l’architecture et le mobilier urbain en adoptant, par la ruse, des formes innovantes dans l’espace public. « Recyclart défini l’art comme un outil politique qui fait réfléchir sur notre société et aide à la construction d’une véritable cohésion sociale en ville et à la construction d’un pont entre les cultures, les classes sociales et les univers différents. » 42 En 1997, la cellule urbanisme de la ville de Bruxelles propose un projet pilote urbain à l’Union Européenne. L’association, sans but lucratif, commence par réhabiliter des bâtiments abandonnés de la station Bruxelles-Chapelle et par là-même, le quartier environnant. Elle souhaite aujourd’hui répondre à plusieurs enjeux par le développement simultané d’un projet d’économie sociale, de réflexion urbaine et de diffusion artistique. Cette intervention multidisciplinaire développe, au sein des contrats de Quartiers Durables, des projets artistiques – expositions photographiques... - et des interventions physiques dans l’espace public renforçant la cohésion sociale. Recyclart est fortement lié au lieu, son association est ancrée dans le quartier et elle reste avant tout un projet urbain inspiré de la ville qui l’entoure en laissant place aux phénomènes urbains d’ordre culturels, sociaux ou économiques. C’est aussi un centre d’art qui intègre tous les volets du processus artistique depuis la conception jusqu’à la production d’installations plastiques et de décors en passant par une diffusion programmatique de qualité. Recyclart ne pose aucune hiérarchie et défend un art à la fois ouvert et populaire. Son programme porte sur les sub-cultures, nouveaux mouvements de culture alternative urbaine nés en Europe, et intervient dans de micro-lieux fragilisés.

40. Gwiazdzinski, Luc, Bruxelles, à la [re]conquête des espaces, 2014, p.219 41. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.187 42. Jenard, Laurence, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.221


Figure 65 - Parlement urbain des Marolles

Figure 66 - Parlement urbain des Marolles, structure mobile aménageant différents espaces publics délaissés dans le quartier des Marolles

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Recyclart s’intègre dans une dynamique d’économie sociale. L’association défend le renouveau des industries culturelles et soutient la créativité urbaine par une vision plus solidaire. Son rôle est entrepreneurial. Elle propose des programmes de transition socio-professionnelle pour les acteurs y prenant part, soutenus par la Région de Bruxelles-Capitale. Dans ce cadre, elle offre des opportunités d’emplois - menuisiers, métallos et cuisiniers - aux personnes désireuses de poursuivre des objectifs professionnels adaptés. Recyclart se divise en trois entités : un centre d’arts assurant la programmation artistique, un centre de production artisanal – Fabrik – composé de trois ateliers - menuiserie, construction métallique et gestion d’infrastructure - et un Bar Recyclart occupant l’ancien buffet de la gare. Si chaque entité peut fonctionner indépendamment, l’idée est de créer des activités communes reflétant la polyvalence du lieu. « L’espace public de la ville contemporaine est une salle polyvalente, tout à la fois un chemin, un théâtre et un salon dont urbanistes, ingénieurs, artistes et usagers ordinaires doivent prendre soin. » 43 Imaginer un espace public modulaire, rendant la ville malléable, nécessite de réfléchir à une autre gouvernance qui limite les conflits d’usage entre les différentes communautés. Il est question d’inventer de nouveaux procédés capables de [re]conquérir l’espace public en vue de le transformer en véritable espace collectif. Les contrats de Quartiers Durables bruxellois innovent aussi bien dans les méthodes de participation que dans les manières de fabriquer l’espace public. Le premier défi des politiques d’aménagement est la conquête de nouveaux espaces publics, tandis que le second défi concerne la reconquête des espaces résiduels abandonnés dans le domaine public. Chaque projet est une petite intervention locale, un micro-projet, qui vise un plus grand impact dans les mécanismes de production et de gestion de la ville. « L’attraction des micro-lieux en leurs diversités et leurs porosités souligne la force de l’attachement. C’est l’art d’hériter et recréer à la fois, qui ouvre des renouvellements appropriés. En édifiant de la sorte, mais ensemble, peuvent alors s’opérer d’autres corythmes entre singularités et pluralités, lent et rapide, permanences et impermanences, global et local. » 44 Les projets rapprochent le local du global, le public du privé, les concepteurs des usagers, les événements du quotidien urbain. Ils sont sans cesse renouvelés ou détournés par différents acteurs et servent de laboratoires d’expériences privilégiés pour régénérer la ville. Cette réappropriation créer des lieux de rencontres, salons urbains, au service de la collectivité.

43. Gwiazdzinski, Luc, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.219 44. Younès, Chris, Bruxelles, à la [re]conquête de ses espaces, 2014, p.187


Figure 67 - Anything Can B_A Car

Figure 68 - Anything Can B_A Car

Figure 69 - Anything Can B_A Car, installations effectuĂŠes par les habitants pour se rĂŠserver une place de parking

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une jeune fille pratique le monocycle – lan NUE CLAUDE VELLEFAUX – ensoleillement brissement – pas qui résonnent – virage clameurs d’enfants – caddie que l’on tire – VELLEFAUX – conversation téléphonique – homme fouille dans une poubelle – ensole – odeur de poulet grillé – valise que l’on t – repos – crachat – conversation télépho tion – langues étrangères – klaxons – vira enfants jouent au foot – clameurs d’enfan tinette – voix d’animateurs – musique gên skateboard – QUAI DE JEMMAPES – traver l’on tire – vélos – klaxon – suintement d’un de motos – caddie que l’on tire – enfant s personnes discutent politique – distributio

Partie III.


ngues étrangères – virage à gauche – AVEt – RUE JEAN-MOINON – silence – assomà gauche – RUE DE SAMBRE-ET-MEUSE fond sonore de travaux – AVENUE CLAUDE – virage à gauche – RUE VICQ D’AZIR – un eillement – RUE DE LA GRANGE AUX BELLES tire – PLACE DU COLONEL FABIEN – banc onique – poussette – moteurs – circulaage à gauche - RUE ALBERT CAMUS – des nts – poussette – chants d’oiseaux – trotnante – RUE GEORG FRIEDRICH HAENDEL – rsée – CANAL SAINT-MARTIN – caddie que ne moto – RUE EUGENE VARLIN – crachats sur son tricycle – pas qui résonnent – trois on de prospectus – poussette – clochard ntervention

I


Instaurer A. La

de nouvelles formes de résiliences communautaires

pensée dialectique de l’espace, complexité de l’espace social transposée à la ville

1. Cours Ouverture

sur rue, nouvelles formes de cohabitation récente de cours intérieures

Après les deux guerres mondiales, le contexte porte à valoriser la solidarité et le lien social, mais les Trente Glorieuses voient un accroissement des exigences individuelles. Le rapport à l’espace collectif change, en voyant s’accroître l’exigence de privatisation et de contrôle du rapport à l’Autre. Le développement d’une pensée dialectique s’inscrit dans l’évolution sociétale. Il existe différentes formes de partage de l’espace public, auxquelles l’usager est habitué : le partage modal de la rue – la manière de passer dans la rue, le partage entre collectivités et riverains – la manière de demeurer dans la rue et de s’en occuper, le partage lié à la visibilité – offert ou non au regard du passant, le partage lié à l’accessibilité - ouvert ou non au public... Ces partages correspondent à des délimitations plus ou moins précises de l’espace et conditionnent les modes de vie et de déplacement. L’ouverture récente de certaines grandes cours faubouriennes dans le domaine public implique de redéfinir les modes de partage de ces lieux d’exception. Espaces potentiellement collectifs, ils sont d’abord construits autour d’activités artisanales et deviennent par la suite résidentiels, offrant aux habitants un dispositif spatial permettant de se réunir sans lien véritable. Valorisés par des investisseurs immobiliers, ces espaces de qualité supérieure à la rue sont vite appréciés pour leur calme et leur sérénité. Désormais propriété du domaine public, ils laissent place aux passages, risques de promiscuité et relations conflictuelles. Etude

de cas

: la Cour

des

Petites Ecuries

La Cour des Petites Écuries se situe sur l’emplacement, occupé dans la seconde partie du XVIIIe siècle, par les Petites Écuries Royales. Si les Grandes Écuries s’occupaient des chevaux, les Petites Écuries s’affairaient à la fabrication de pièces utiles pour entretenir les attelages et les calèches de la cour. Configurée comme une ancienne cour artisanale typique des faubourgs, la Cour des Petites Ecuries per

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Figure 70 - Vue de l’entrée de la Cour des Petites Ecuries depuis la rue du Faubourg Saint-Denis

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mettait ainsi aux habitants de se réunir autour d’une activité commune – l’entretien des écuries royales. Semi-privée et fermée à la circulation automobile au long du XXe siècle, la Cour, tranquille, devient un havre de paix de qualité supérieure à la rue. A la fin du siècle dernier, elle est mise à l’abandon par des copropriétaires pauvres. En soirée, cette rue étroite faisait aussi l’objet de trafics de drogue. Un jour, les propriétaires ont souhaité que la ville l’entretienne. Ouverte en 1994, la Cour est embellie avec notamment l’élargissement du trottoir et l’ajout de plantations. Valorisée de par sa largeur quasi égale à la rue, elle devient un lieu privilégié pour le voisinage. Aujourd’hui, la Cour des Petites Écuries peut être vue comme un espace intermédiaire : elle n’est plus une voie privée mais n’a pas la configuration d’une voie publique classique, si bien que certains l’envisagent encore comme un lieu intime et toujours préservé quand d’autres s’y comportent comme dans un lieu public commun. Caractéristiques

générales de la cour

La Cour des Petites Ecuries se compose de deux tronçons : une voie principale longue de 260 mètres et large de 11,30 mètres et un tronçon secondaire nommé « Passage des Petites Ecuries. » L’accès s’effectue depuis trois entrées : la principale débouche sur le rue du Faubourg Saint-Denis tandis que les deux autres, moins fréquentées, desservent la rue d’Enghien et celle des Petites Ecuries. Cette cour, pavée, présente une surface minérale associée à de la végétation – rangée d’arbres. L’espace intérieur de la cour est particulièrement codifié. Récemment désigné par l’APUR comme une « zone de rencontre » 1, la vitesse des véhicules motorisés est limitée à 20 km/h et la priorité est donnée aux piétons qui n’ont pas l’obligation de se déplacer sur les trottoirs. D’autre part, une trame de potelets empêche les voitures de stationner. Équipée de plusieurs aires de stationnement, la voie sert principalement aux livraisons. Pour les résidents, quelques garages et parkings souterrains sont aménagés afin de desservir les différents accès d’immeubles. D’un point de vue programmatique, la cour est essentiellement composée de bars/restaurants, services aux particuliers – agence immobilière, agence Pôle emploi..., de bureaux privés - cabinet d’édition, agence d’architecture, société spécialisée dans la recherche de documents audiovisuels... et de résidences variées – logements sociaux, immeubles en copropriété... Si les bars et restaurants sont massivement regroupés vers l’entrée principale de la cour, sa partie sud est d’avantage résidentielle. La Cour est principalement empruntée pour sa tranquillité et son cadre d’accueil exceptionnel. Des familles avec de jeunes enfants croisent des couples ou des personnes agées. 1. Atelier Parisien d’Urbanisme, Nouvelles approches de l’espace public parisien, février 2014, 41p.


Figure 71 - Charrons dans la Cour des Petites Ecuries au XIXe siècle

Aspect général de la Cour des Petites Ecuries

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Equipements et rÊglementation compte tenu du Plan Local d’Urbanisme

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Programmes et horaires d’ouverture / fermeture des activitÊs diurnes et nocturnes

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Occupation de l’espace de jour

Occupation de l’espace de nuit


ECOLIERS

FAMILLES

JOUEURS

PERSONNES AGEES

FUMEURS

PROMENEURS

LIVREURS Ensoleillement de la cour à 10h

GROUPES D’AMIS

COUPLES

HABITANTS

CLIENTS DE RESTAURANTS

GROUPES DE DISCUSSION SANS-ABRIS

TYPES D’USAGERS JOUR / SOIR

FUMEURS

Ensoleillement de la cour à 12h

GROUPES D’AMIS

Ensoleillement de la cour à 14h

GROUPES DE DISCUSSION

CONSOMMATEURS

GROUPES DE DISCUSSION

CONSOMMATEURS

Ensoleillement de la cour à 16h


Si certains ne font que passer, d’autres y séjournent un certain temps. Le rythme de vie, souvent compatible avec la présence de commerces, s’accélère à l’entrée de la cour. Durant l’été, le tronçon principal de la cour est éclairé pendant la période du déjeuner – 10h à 14h - tandis que le tronçon secondaire s’éclaircit en début d’après-midi – 12h à 16h. Son exiguïté fait donc qu’elle est ensoleillée à un moment très restreint de la journée.

2. Emergence

de pratiques antagonistes au sein de la

Cour

des

Petites Ecuries

A mesure que le temps passe, de nombreux cafés et restaurants s’installent dans la cour. Très populaires, ces établissements attirent aujourd’hui une clientèle de plus en plus nombreuse dont une grande partie stationne, pendant les beaux jours, sur le trottoir. Autrefois tranquille, elle se transforme alors en un lieu de nuisances pour les riverains, causées par la saleté et par les sons qui se réverbèrent. Suite aux nombreuses plaintes, une opération de médiation est mise en place par la Mairie. Pilotée par Hélène Duverly, élue du 10e chargée du Commerce et de l’Artisanat, elle aboutit à la rédaction d’une charte signée par l’ensemble des protagonistes : habitants et gérants des cafés et restaurants. Celle-ci rappelle les divers règlements et arrêtés auxquels sont soumis les bars et restaurants et établit un certain nombre de préconisations afin que la cour redevienne un endroit agréable pour tout le monde, passants, clients et riverains. Mais dans la pratique, cette charte n’aura eu que peu d’effets. Et ce d’autant plus que dans ce quartier populaire, les pratiques antagonistes sont renforcées avec une sociabilité traditionnellement tournée vers l’extérieur de l’habitation - cafés, rues..., et des codes embourgeoisés qui, à l’opposé, valorisent le confort et l’intimité. La cour continue donc d’être le terrain d’affrontement de différents groupes sociaux qui coexistent autour des abords immédiats d’immeubles d’habitation et de bureaux – bars, restaurants... La vie individuelle s’opposant à la vie en collectivité, ces espaces sont plus que jamais marqués par la dualité : les riverains souhaitent tenir les passants à distance tout en favorisant le contact avec eux. Ils désirent aussi prolonger leur propre espace tout en le partageant avec d’autres. L’ouverture est requise en même temps que le confort, la protection et l’intimité. Cette quête contradictoire, Van Eyck, architecte, l’évoquera en nommant « deux mondes opposés, sans transition : l’individuel d’un côté et le collectif de l’autre. » Il ajoutera « entre les deux, la société dresse généralement beaucoup de barrières. » 2 De fait, si la cour apparaît, au loin, comme un espace collectif d’échanges et de rencontres, ses rassemblements sont, en réalité, source de tensions et de gênes entre des habitants attachés au calme et des consommateurs plus agités. Ils entraînent de la promiscuité et témoignent, par le conflit, d’une distance sociale que le rapprochement spatial ne saurait, à lui seul, réduire. 2. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.121


Figure 72 - La Cour des Petites Ecuries animée, en début de soirée

121


Sept séquences de film, d’une durée de 20 minutes, ont été effectuées un jeudi après-midi ensoleillé afin d’étudier le comportement des usagers dans la cour. A cela, deux interrogations :

- Quelle est la part de gens de passage par rapport aux résidents ? - Les riverains respectent-ils les « codes urbains » de la cour : marche sur le trottoir, respect des potelets...

Emplacements dans la cour des séquences de film

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Dans les scènes 2 et 3, à proximité des bars et restaurants, la proportion de consommateurs - en rouge - et de simples passants - en vert - est nettement plus importante que celle des habitants (80% contre 20%). L’espace est animé. D’après la scène 4, à l’intersection des deux tronçons de la cour, les passants empruntent plus facilement l’impasse - en orange. Dans la scène 6, l’espace est d’avantage résidentiel - en bleu, et donc plus calme. Il existe ainsi plusieurs ambiances au sein de la cour. Par ailleurs, dans cette rue peu employée par la voiture, les passants respectent très largement les « codes urbains » de la voirie.

Etudes des pratiques urbaines (en %)

Respect des « codes urbains » (en %)

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Sur

quels critères ménager la coexistence de populations riveraines avec celles qui consomment et qui passent ?

Le projet envisage d’étudier les relations entre les pratiques et les espaces formant des « lieux ». La vie collective est à la fois redoutée et recherchée. Selon une enquête sociologique de Chombart de Lauwe effectuée en 1959, les « besoins de relations sociales extérieures » sont parmi les dix besoins fondamentaux de l’homme. Or, celui-ci est d’autant mieux en commun qu’il a la possibilité de s’isoler. Cette tendance de l’homme à vouloir se rapprocher en même temps que s’éloigner de son voisinage est naturelle. Relier et séparer l’habitation de ses abords constituerait tout l’enjeu permettant aux formes sociales de se maintenir. Et pour rendre la cohabitation possible, il convient donc de s’intéresser aux différentes formes de relations sociales de proximité qui font lien et, rapportées à l’espace, de souligner leur interactivité. Il est question, par là-même, d’imaginer un espace de médiation rendant compatibles les pratiques individuelles et collectives. L’approche

culturaliste, impliquer des rapports sociaux entre les

« communautés »

Au cours du siècle dernier, l’approche fonctionnaliste entre progressivement dans les pratiques urbaines. Inspirée de la biologie, elle considère la ville comme un organisme vivant auquel est rapporté différentes fonctions : notion de planification urbaine et de zonage. Elle reste cependant coupée de la question sociale, c’est-à-dire de celle de l’habitation – le fait d’habiter. A l’inverse, l’école culturaliste, d’origine hygiéniste, s’oriente vers des intentions plus sociales, empreintes d’idées de « voisinage. » Elle conçoit la ville comme « une entité culturelle au service du regroupement humain. » Camillo Sitte, adepte du mouvement, admet que la société industrielle « a perdu l’habitude de l’animation de la foule sur les places et dans les rues. » 3 Il souhaite intégrer une dimension socioculturelle aux espaces urbains et reconnaît la complexité impliquée par la dualité des lieux.

3. L’espace L’espace

de médiation, terrain de convergence des pratiques urbaines de proximite

communautaire, expression de rattachement à un groupe identitaire

Selon Smithson, l’habitation ne peut être dissociée d’une « communauté. » Faire quartier implique d’éprouver un sentiment d’appartenance à une communauté, « modèle d’association sociale. » Gaston Bardet, figure culturaliste du XXe siècle, s’attache à comprendre l’aspect interactif des relations, en terme de tensions et d’échanges. Il perçoit la ville comme « une grappe de communautés micro-sociales » et démontre par là même l’existence de plusieurs types « d’échelons communautaires » :

3. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.96


- Les groupes de parenté, réduit à la famille - Les groupes d’activité, « provenant d’une spécialisation indépendante du sang et du sol », association de personnes « dépourvues de base géographique, changeantes de position et de dimension. » - Les groupes de localité, « échelons domestiques », basés sur la fixation et le voisinage. Ils occupent une portion de site délimitée et « stabilisés par leur fixation même, ils constituent la structure propre de l’être urbain. » Interactions

entre les communautés

Or, dans la relation humaine, il n’est jamais question de groupes sociaux séparés, mais de leurs rapports et implications réciproques. Robert Ezra Park, figure marquante de l’École de Chicago, emploie le concept « d’interaction » pour parler de ces relations sociales « aux franges mouvantes. » L’interaction suppose des « formes naturelles de communication » et des « distances sociales », conditions pour qu’un groupe se définisse dans l’espace et le temps. De fait, les échelons communautaires mentionnés ci-dessus s’interpénètrent alors les uns aux autres pour entrer en tension et en conflit perpétuel. Dans le cas de la Cour des Petites Ecuries, la difficulté naît d’un conflit d’intérêt entre les groupes d’activité – consommateurs, et les groupes de localité - résidents. Complexité

des

« niveaux d’associations

humaines »

Projetés dans l’espace urbain, ces rapports humains forment un cadre spatial complexe. Gaston Bardet propose ainsi de ne plus considérer « l’espace urbain en tant qu’espace physique homogène et simple » mais en tant « qu’espace social complexe et hétérogène, qui n’est autre que la projection de la société sur la proportion de l’étendue qu’elle occupe. » 4 Jean Renaudie, architecte et urbaniste déclare aussi à ce propos « la ville est une combinatoire où, à tous les échelons d’organisation, s’établissent sur une structure complexe des phénomènes de communication dans tous les sens (…) Il ne peut y avoir de bonne solution que dans la mesure où elle tient compte d’une certaine complexité, car les relations sociales en milieu urbain ne sont jamais simples et jamais juxtaposées les unes aux autres. Elles s’interpénètrent et se superposent. » Il termine en affirmant : « reconnaître et admettre la complexité de l’organisation de la ville dans la pratique de l’architecture, c’est donc attribuer à l’architecture le rôle de satisfaire la diversité humaine. » 5 L’espace

de médiation, la sphère de proximité immédiate

Henri Lefebvre propose de considérer ce « phénomène urbain » sous trois niveaux : global, mixte et privé. 4. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.123 5. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.135

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Le niveau global constitue l’espace institutionnel où s’exerce le pouvoir étatique - infrastructures, édifices publics... Le niveau médiateur, spécifiquement urbain, est celui de la ville formant un rapport avec l’entourage immédiat - places, avenues... Tourné vers la pratique, il se rapporte à la vie quotidienne urbaine dans des espaces de proximité tels que la rue. Le niveau privé correspond aux différentes formes de logement. « Au-delà de l’urbain et du privé, (...) le niveau quotidien, (…) territoire dans lequel l’individu a fixé ses habitudes, sélectionné des lieux et établi des relations. » 6 L’espace de médiation, relatif aux pratiques sociales de proximité, met donc en relation le niveau privé et l’espace public. C’est le « lieu et terrain où des stratégies s’affrontent », celles du global et du local. Henri Raymond, dans la poursuite de ces études, désigne ces espaces de médiation comme des « espaces de familiarisation », espaces familiers, fédérateurs de liens sociaux et constitutifs de la pratique urbaine quotidienne. Ils sont de trois types : les alentours de l’habitat, le centre, les espaces verts. « Il faut reconstituer la rue dans l’intégralité de ses fonctions, et aussi dans son caractère trans-fonctionnel. » 7 En 1967, suite aux exigences de privatisation, Henri Lefebvre stigmatise le repli sur soi en invoquant une « privatisation de l’existence. » Il critique l’urbanisme fonctionnel qui ne parvient pas à favoriser la vie sociale qu’il souhaite. Il va alors enquêter pour « une restitution de la vie spontanée » vantant les vertus de lieux précis comme le bistrot et la rue. Il va ensuite chercher à comprendre les contradictions de la ville. Celles-ci concernent l’opposition du « planifié » et du « spontané » : à la ville planifiée s’oppose l’urbain et à l’habitat normé s’oppose « l’habiter », inhérent de « l’être. »

Si l’espace public est par définition ouvert à tous, l’espace communautaire rassemble des personnes aux pratiques similaires. Ni complètement public, ni véritablement privé, il s’apparente à l’espace de médiation, espace des relations sociales de proximité. Indispensable à la formation d’un quartier, il permet de s’apparenter à un groupe et possède ses propres codes de représentation et de protection. Cet espace intermédiaire est inhérent à de nombreuses cultures de l’habitat, voire à une anthropologie de l’habiter. Il mène progressivement aux lieux de l’intimité par des dispositifs spatiaux liés à de véritables rites de passage en société.

6. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.180 7. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.175


B. Principes

de base de la construction de l’espace social : lieux partagés et agencements

de compatibilité

1. D’un

modèle antagonique vers une flexibilité d’usage au sein d’espaces mutualisés

En ville, les dispositifs spatiaux sont de plus en plus associés à la notion de repli : repli communautaire, repli identitaire, repli sécuritaire..., à l’origine des dérives conflictuelles entre les usagers. Il y a près d’un siècle, Robert Ezra Park mettait déjà en évidence ces processus de regroupement, de filtrage et de ségrégation pour décrire la façon dont les communautés se distribuent dans l’espace de la ville selon leurs appartenances socio-culturelles. Il instaure en 1915 le terme « d’unité de voisinage », servant alors de cadre aux différentes formes d’enracinement constatées. Développée sur la base de la copropriété, il la décrit comme une communauté ayant besoin de se refermer autour d’un parc sécurisant et qui tient à distance autant qu’il semble regrouper « entre-soi ». Bien que regroupée autour d’un statut commun, elle demeure « séparative » : la propriété étant toujours perçue comme individuelle. Lier

et rétablir de la fluidité dans l’existant

L’espace est fédérateur d’effets sociaux. Un jardin, par exemple, peut favoriser la rencontre de disciplines diverses. Faire cohabiter ces communautés implique donc de lier la construction sociale à la construction de l’espace. Si les relations spatiales de l’immeuble avec la rue intègrent des exigences contradictoires, quelle qualité d’espace permettrait d’accorder les usages individuels et collectifs ? Sans mettre en doute l’importance de la délimitation - clôture, rue, voirie... - il devient aujourd’hui nécessaire de rétablir de la fluidité entre certains morceaux enclavés de la ville, empêchant la cohabitation de se réaliser. Réconcilier

les polarités en conflit : malléabilité de l’espace

L’espace urbain peut se lire sous trois dimensions : symbolique - relatif aux institutions et idéologies, paradigmatique – fondé sur des systèmes d’opposition, et syntagmatique – relatif aux enchaînements et parcours. Les pratiques actuelles se fondent sur des systèmes spatiaux d’opposition : collectif/individuel, dehors/dedans, devant/derrière, montré/caché, propre/sale, public/privé... Pour autant, l’homme d’aujourd’hui occupe de plus en plus de surface pour vivre, pour circuler, pour se distraire et pour s’instruire. Il possède, avec la communauté, des besoins communs et des besoins qui lui sont propres. Ces oppositions binaires ne s’adaptent plus aux pratiques actuelles et renforcent les conflits quotidiens. Les espaces citadins, tirés entre ouverture, fermeture et délimitation, témoignent, pour leur pluralité d’enjeux

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publics et privés, d'une plus grande dynamique de changement. L’espace urbain peut se lire selon trois échelles successives : le pas de porte, la rue dans son mouvement et le quartier - vision syntagmatique. Ménager

des

« espaces

de transition »

L’articulation de deux espaces aux statuts différents mobilise la notion de seuil, à travers un dispositif de mise en contact contrôlée. Ce procédé s’effectue au moyen d’espaces de transition rendant possible l’appropriation d’un lieu en proie au conflit. Il renvoie à une notion dynamique, celle du passage d’un espace à un autre, atténuant l’opposition. Rendu intermédiaire d’un point de vue de l’échelle, du statut et du caractère - privé, public, fermé, ouvert, intérieur, extérieur..., ce type d’espace renvoi à la question de marquage de la propriété et à la médiation impliquée par les conflits. L’architecture, qui s’intègre à un milieu social et collectif constamment changeant, doit donc contenir des espaces médiateurs, terrains de convergence entre des exigences contradictoires permettant aux hommes de coexister. « Elle offre les conditions spatiales de la rencontre et du dialogue entre des domaines de caractère différent, en tant que lieu de réconciliation où s’interpénètrent la maison et la rue, le privé et le public. » 8 Ainsi pour passer d’un lieu à un autre, Van Gennep, ethnologue français du XIXème siècle, distinguera trois étapes « préliminaires » qui illustrent ce besoin inné de transition : rite de séparation, rite d’entre-deux et rite de réintégration. Ces espaces de médiation sont par nature impliqués par des enjeux divergents. Ils ont vocation à servir d’espace de conciliation, sans pour autant chercher à résoudre définitivement les dilemmes récurrents. Le plan directeur et les programmations du projet doivent ainsi être réversibles afin de rendre les espaces du quotidien appropriables par divers groupes sociaux. Pour s’adapter à la fluctuation des besoins de chacun, une architecture évolutive implique de différencier les éléments déterminés des éléments indéterminés. L’adaptabilité de sa forme offre une interface potentielle d’échanges entre l’individuel et collectif. Cette conception d’un espace malléable est une « idée-force de la flexibilité en réponse aux exigences de la vie moderne (…) si complexes et changeantes. » Elle propose une représentation de l’espace des pratiques individuelles qui, contraire au cadre de production normatif de la politique étatique, rendent possible le déploiement des relations de proximité dans l’espace public.

2. Modularite : une Le

interface dynamique en bord de rue

structuralisme dans l’organisation de l’espace

Dans les années 1960, une sociologie de l’habitat se met en place. Des études s’inscrivent dans la pers8. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.175


Figure 1

Figures 73 - Alison et Peter Smithson, Robin Hood Gardens, Londres, 1966-1973 Figure 1

Figures 74 - Herman Hertzberger, Delft, 1971, participation des habitants, à l’intérieur comme à l’extérieur

Figure 2

Figure 2

129


pective d’une « nouvelle société. » Elles incitent à repenser l’ouverture à l’autre, à valoriser la convivialité et à promouvoir différentes formes de communautés. De nouveaux processus de production-conception se mettent en place visant à offrir plus de pouvoir et d’autonomie à l’habitant. La conception architecturale est assimilée à l’utilisation d’un langage : le structuralisme linguistique. Elle décompose les systèmes constructifs et les répertorient en différentes familles d’éléments : trames « servantes », « marges », « joints » ou « bandes » ... C’est dans cet esprit que Christopher Alexander répertorie les modèles spatiaux correspondant aux différentes pratiques des lieux publics. Il distingue les espaces de « zones » et leurs « articulations » : modèle du « mur épais », « espace de la fenêtre » « espace de jeu long et continu » « lieu en bordure des bâtiments » ... Ces espaces intercalaires offrent des possibilités de personnalisation face aux cadres normatifs. Ils adoucissent l’opposition binaire entre intérieur/extérieur et proposent des espaces de médiation en ville. N. John Habraken, adepte du courant participationniste, envisage l’architecture comme une « structure » sur un plan constructif. Il distingue d’abord les « zones » en contact avec l’extérieur et celles qui ne le sont pas. Il propose ensuite de repenser la délimitation interne et externe de ces zones en laissant des « marges » entre elles, améliorant les potentialités de rencontres. L’ensemble de ces marges forme une trame structurelle traversante selon des bandes parallèles. Dispositif modulaire, ces marges sont personnalisables et offrent des possibilités d’aménagements variés aux concepteurs et usagers - « variantes » et « sous-variantes » pour le cloisonnement. L’ossature assure également une continuité visuelle à ces espaces d’appropriation. Espaces

intercalaires :

entre-deux, chevauchements, interpénétrations

Pour réduire le phénomène dialectique, l’articulation entre des espaces opposés s’exprime par le prolongement, formant un tampon avec l’espace public. La mise en continuité atténue les différences spatiales. Elle apporte un jeu de relativité entre les aspects intérieurs/extérieurs de la ville qui renforce l’accessibilité des espaces et le sens de l’intimité. De fait, une lente progression, fournie par des moyens architecturaux, permet d’entrer et de sortir d’un bâtiment sans rupture violente. Cette transition est d’abord assurée de façon visuelle, avec des continuités de formes et de matériaux prônés pour lier la perception de l’intérieur et de l’extérieur. « Nous devons prévoir des espaces de transition entre l’intérieur et l’extérieur, comme un prolongement du foyer. Ces besoins psychologiques sont très importants après les besoins fonctionnels. » 9 9. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.143


Figure 1

Figure 2

Figure 3

Figure 4

Figures 75 - Jia House, cas d’étude sur la construction d’une maison à Hong Kong

Figures 76 - Alison et Peter Smithson, Golden Lane Housing Project, Londres, 1952, réseau de rues intérieures

Figures 77 - Van Eyck, Orphelinat d’Amsterdam, séquences d’interpénétration des espaces et des lieux entre l’entrée et la sortie

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Intérioriser

et singulariser chaque espace collectif

Selon Camillo Sitte, le « mélange de motifs intérieurs et extérieurs assure une continuité entre la sphère privée et l’espace public - parvis, esplanades, passages couverts... » 10 Dès lors, l’emploi par l’architecture extérieur de motifs appartenant à l’architecture intérieure - escaliers, galeries - permet d’individualiser l’espace collectif et de se sentir en même temps à l’intérieur et dans la rue. Ainsi complexifié, il gagne en intimité et peut varier de configurations. Aux espaces privatifs et collectifs s’additionnent donc des espaces interposés en tampon entre la sphère privé et le domaine public. Ils peuvent servir de lieux de rencontre semi-publics, de galeries couvertes ou de forum à l’air libre. Aujourd’hui, le Plan Local d’Urbanisme privilégie l’alignement en soubassement pour préserver une harmonie d’ensemble. Les immeubles ne peuvent donc pas voir interposer un espace entre eux. En relevant du domaine public, la rue représenterait alors le seul lieu de la sociabilité de proximité entre l’immeuble et le quartier. Dès lors, c’est dans la façade que va se profiler l’idée d’un espace articulant le public et le privé. La thématique de la « façade épaisse » est une vision « néo-moderne » inspirée de Le Corbusier, pour assurer une transition visuelle. Elle dédouble la façade en incorporant dans l’interstice des espaces rendus plus intimes : sas, balcons, fenêtres d’angle, marges à coursive...

3. Accessibilité : détourner Rendre

les systèmes pour assurer la

[co]habitation

la cour polyvalente appropriable par tous et offrant une grande liberté de déplacements

L’objectif est de faire de la cour un espace convertible pouvant accueillir une multitude d’activités. Pour cela, les équipements présents au quotidien doivent pouvoir s’effacer lors d’un rassemblement. Si les riverains aspirent à plus d’intimité, les passants recherchent le divertissement. La cour revêt ainsi plusieurs ambitions : - Accorder des espaces de proximité pour les habitants, qu’il s’agisse de lieux de détente ou d’autres usages locaux. - Offrir des espaces de convivialité pour le quartier et autoriser l’accès à des rassemblements. - Attribuer un espace de solidarité pour les plus démunis, impliquant la prise en compte des sans-abris. La cour fournirait ainsi une multiplicité d’usages - lieu de promenade aussi bien que de repos, attractive 10. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.96


pour son animation - marché régulier ou ponctuel… - comme pour son calme – discussions... Embellie par des jeux de lumière, elle est tenue d’être attrayante sans être encombrée afin de laisser chacun libre de ses usages du lieu. La coexistence n’implique pas forcément de se mélanger, mais elle doit permettre à des populations différentes de se croiser. Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des besoins inhérents à la communauté : jeux pour les enfant, assises pour les personnes âgées... Apaiser

les conflits d’usage avec les véhicules motorisés

Le stationnement sauvage des véhicules motorisés est problématique sur le site. Il envahit l’espace de la rue, exclut tout type d’appropriation et provoque un sentiment d’insécurité chez les piétons. Le projet vise à décharger la voie de ces encombrements pour y ajouter d’autres fonctions. Il limite la place accordée à la voiture/moto et renforce l’usage piétonnier.

Intervention - Le règlement interdit la circulation aux véhicules motorisés, sauf pour la desserte interne. - L’accès aux livraisons est garanti. Elles sont autorisées uniquement de 7h à 13h et de 15h à 16h afin de limiter leur emprise dans l’espace public. - Un dispositif de freinage des véhicules motorisés. Aux

habitants

- Optimiser l’usage

des espaces commerciaux existants

L’offre de restauration étant déjà abondante, le projet s’oriente vers une recherche de gratuité. Il souhaite mettre à disposition des lieux permettant aux riverains de profiter de la cour sans pour autant consommer. En journée, les bars et restaurants présents sur place sont détournés de leur fonction première. Lieux à la fois calmes, conviviaux et animés, ils se dotent d’une spécificité supplémentaire qui invite l’usager à se divertir en toute tranquillité : bars dédiés à la pratique d’un sport, cafés culturels... De même, leur terrasse peut accueillir des jeux pour tous les âges - tennis de table, jeux gonflables…, ainsi qu’un mobilier permettant le repos et le pique-nique. Elle peut également servir de tribune de libre parole pour les réunions de quartier. Dans cette optique, il devient alors possible de s’installer sur place pour jouer, déjeuner ou discuter gracieusement au soleil. Les habitants profitent en journée des équipements mis gratuitement à leur dispo-

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sition par les bars et bénéficient en soirée de tarifs préférentiels sur les repas et les boissons.

Interventions - Promouvoir une politique de contention des terrasses extensibles afin d’éviter le risque de voir s’étendre les terrasses de café. - Contenir, au sein d’un espace ordonnancé, les bars et restaurants existants - Instaurer des espaces de jeux, à l’intérieur, comme aux abords des commerces. Au

quartier

- Renforcer

les activités de partage et élargir la fréquentation

La cour ne doit pas servir uniquement de lieu résidentiel. L’apport d’activités diurnes, en accord avec sa tranquillité, renforce les contacts humains. L’objectif n’est alors plus de segmenter les espaces mais de les faire communiquer entre eux. Comme dans la rue du Trésor, passage d’aspect similaire à la cour, les personnes doivent pouvoir profiter en journée d’un espace en réseau pour travailler, boire un thé au calme ou faire une partie d’échecs en plein air. En outre, le développement des fréquentations permet d’éviter les problèmes d’insécurité observés dans la cour. En effet, les squats restent fréquents aux abords des immeubles et sous le porche de la rue d’Enghien. Une plus large animation de la cour implique de s’interroger sur la qualité des éclairages et ambiances lumineuses, indispensables pour préserver la sécurité du public.

C. Apport

de solutions techniques, programmatiques et consensuelles dans les espaces

partagés

1. Limiter

les répercussions sonores de la cour, de jour comme de nuit

Domestiquer

les bruits urbains, sans les supprimer

Les bruits de la ville portent en lui la nuisance. Insaisissables pour le passant qui circule - ce qu’il entend, au dessus, en dessous, il ne le voit pas forcément - ils sont rendus désagréables et pénibles. Pour autant, le bruit reste indispensable au dynamisme d’une rue : il est le résultat de toute une vie interne de populations qui se croisent. Il n’existe pas de bruit sans action et l’inaction est particulièrement silencieuse. Le bruit est avant tout un signe d’existence et de vie : lutter contre le bruit équivaut donc à exclure les êtres

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en mouvement. Plutôt que de chercher à anéantir tous les bruits d’une rue, il s’agirait plutôt d’améliorer la qualité de l’environnement sonore. Le son décrit l’espace. Sans cesse transformé par l’acoustique de l’architecture, il se modifie, s’allonge, se raccourcit, devient mat ou résonnant. Ainsi, l’espace urbain possède des acoustiques différentes. Rien n’est homogène d’un passage à l’autre et l’ambiance intérieure de la Cour des Petites Ecuries se distingue de celle de la rue du Faubourg Saint-Denis. Silencieuse en journée, elle est particulièrement bruyante en soirée. Après 22h, les habitants sont gênés par l’agitation sonore qui découle des bars. Si les terrasses doivent être rangées à 23h, la foule met du temps à se disperser et certains soirs, la cour peut contenir jusqu’à deux cents personnes éméchées. L’acoustique de la cour ne permet pas d’ouvrir les fenêtres. En effet, ses murs parallèles produisent un phénomène « d’écho flottant » qui diffuse du bruit jusqu’en hauteur. Le projet doit veiller à limiter les répercussions sonores en soirée. Un

mur

« régulateur

acoustique » : insonoriser les espaces incommodants par l’intégration du végétal

Pour répondre à la problématique sonore, le projet préconise la mise en place d’une structure métallique intégrant le végétal. L’aménagement repose sur la réalisation d’écrans verticaux permettant d’absorber et d’atténuer les bruits. L’écran est constitué d’un cadre doté d’une armature en acier galvanisé. Une natte tissée retient le substrat placé dans ce cadre, support organique permettant de faire pousser des plantes à la verticale. 11 Le dispositif peut se décliner sous différentes hauteurs et épaisseurs de substrat en fonction de l’exigence de performance. Pour contenir le bruit, il peut être utilisé à proximité d’une aire de jeux ou d’un bar. Le choix végétal est suffisamment varié pour s’adapter aux différentes saisons. De type intensive – fougères, lierre rampant, plantes grimpantes..., la végétation est à feuillage persistant et requiert une épaisseur minimale de substrat de 30 cm. L’entretien s’effectue au même titre qu’une composition végétale classique – système d’arrosage... Ce type de mur permet d’éviter les agressions humaines et une détérioration rapide. Adopté dans l’architecture paysagère, il valorise le site et redonne ainsi de la valeur au quartier.

2. Instaurer Instaurer

des programmes d’activités variés

des espaces de proximité pour lier les communautés

La disparition des petits commerces de proximité est un phénomène récent dans le quartier. Pour être 11. Huisse, Christophe, Mur acoustique végétal, Liaison végétale, 26.07.14

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autonome, celui-ci doit posséder ses propres équipements afin de répondre aux besoins quotidiens des communautés. Par ailleurs, les boutiques servent à créer des liens entre des individus de caractères différents. Riken Yamamoto, architecte japonais, invente un nouveau modèle communautaire : le Local Community Area. Il critique le mode de vie actuel, principe selon lequel les familles sont regroupées dans des logements séparés. Dans la société qu’il propose, la vie des gens se tourne d’avantage vers la communauté. Chaque habitant possède un espace à gérer quotidiennement, qu’il s’agisse de boutiques à petite échelle – restaurants, traiteur - ou d’espaces de vie - bibliothèques, bureaux, salles de séjour communes... Ces espaces, intégrés au quotidien des habitants, soudent la communauté. 12

Interventions - L’intégration d’un kiosque à journaux entre en accord avec les besoins journaliers des habitants. A proximité d’un espace de pause, il permet d’acheter son journal lors d’un déjeuner rapide sans avoir à s’éloigner. - Aires de pique-nique et vendeurs mobiles. - « Cantine de quartier » et petite cuisine à disposition. - L’accueil d’un véritable marché populaire concorde avec l’esprit du quartier. Il se tient en début de soirée et en fin de semaine pour permettre aux personnes qui travaillent de s’y rendre. Insérer

des espaces verts pour revitaliser la cour

L’arrondissement est l’un des moins vert de Paris, avec seulement 7,6 hectares d’espaces verts soit 2,6% par rapport à la superficie de l’arrondissement. En conséquence, la quasi totalité du 10e est inscrit par le Plan Local d’Urbanisme en « secteur de renforcement végétal. » Ce dernier représente à la fois les secteurs les plus densément bâtis et ceux les plus dépourvus d’espaces verts. Cette appellation impose la création d’espaces libres de pleine terre - au moins 20 % de la superficie d’une parcelle. En cas d’impossibilité technique de réaliser des surfaces en pleine terre, des murs végétaux ou terrasses végétalisées doivent être installés. En réaction, la municipalité a récemment mené une opération de végétalisation des rues de l’arrondissement les plus débraillées. Parmi elles, deux emplacements se situent dans la Cour des Petites Ecuries. Perçue comme un havre de paix dans un quartier oppressant, les plantations sont de fait encouragées dans la cour ainsi que la mise en place de lieux de verdure. En exemple, la végétation du mur pignon situé au numéro 1, au débouché du passage sur la rue du Faubourg Saint-Denis, témoigne d’une volonté de verdir 12. Pavillon de l’Arsenal, Riken Yamamoto, Local Community Area, Conférences, 12.02.14


Figure 78 - Le Local Community Area selon Riken Yamamoto

Figure 79 - Le Local Community Area selon Riken Yamamoto

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d’avantage la rue.

Interventions - Un premier square, placé à l’entrée principale de la cour, agrémente les terrasses de restaurants ouverts en matinée et offre une perspective agréable de l’impasse depuis la rue du Faubourg Saint-Denis. Il est d’autant plus utile qu’avec l’augmentation des fréquentations, l’entrée de la Cour sert souvent de décharge et d’urinoir pour les clients des bars. - Un second square, situé au croisement des deux tronçons, sert de point de rendez-vous et de pause pour les riverains. Intersection par laquelle les usagers passent nécessairement lors de leurs déplacements, elle est laissée libre de tout type d’appropriation. Visible depuis les trois accès à la cour, elle peut même servir de repère visuel lors des rassemblements. - Un système de bancs amovibles est installé à proximité des squares afin d’offrir des temps de pause en journée sans susciter de rassemblements la nuit. Ce dispositif fonctionne par l’intermédiaire d’une trappe rabattant le banc dans un container verrouillé. - Plusieurs points d’eau potable, de type Fontaine Wallace, sont disséminés autour des espaces de détente et de jeux. Ce dispositif de fontaines à boire est d’autant plus important qu’il est rendu indispensable lors des rassemblements. Former

des espaces de jeux à destination de tous les âges, y compris les adultes

Les enfants, comme les adultes, ont besoin d’espaces de jeux pour se divertir. Insérés dans la vie de quartier, des lieux de partage en famille ou entre amis, de type ludothèque, sont projetés. Ils nécessitent une participation auprès des habitants pour faire vivre les lieux et alimenter la gamme de jeux proposés. Par ailleurs, il existe plusieurs écoles élémentaires et maternelles à proximité de la cour. Après l’école, beaucoup d’enfants l’empruntent pour jouer au ballon en attendant, par exemple, que les parents terminent de consommer en terrasse. Il est nécessaire de proposer de nouveaux aménagements pour ces enfants, l’offre actuelle étant insuffisante dans le quartier. Il ne s’agit pas forcément d’encombrer la cour d’objets supplémentaires mais plutôt de sauvegarder un espace libre dédié à cette finalité.

Interventions - L’installation d’une ludothèque, en tant qu’équipement culturel associatif, donne la possibilité d’emprunter des jeux de société ou de laisser les enfants s’amuser sur place. - L’exploitation quotidienne d’un garage existant transformé en un espace de jeux semi clos à destination des enfants leur permet également de s’amuser en toute sécurité.

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Renforcer

les activités artistiques déjà présentes

Le 10ème arrondissement, notamment aux abords du Canal Saint-Martin, est largement dédié à l’art urbain. Le Passage des Petites Écuries est un exemple de ces lieux d’expression artistique disséminés dans le quartier : on peut observer sur les murs pochoirs et graffitis en tout genre. De même, à proximité de la rue d’Enghien se trouve un lieu caché de Paris : l’Atelier de Marcel, autrement nommé l’Atelier des Petites Ecuries. Situé dans un hangar désaffecté et camouflé derrière un rideau de fer, cet endroit d’exception tient lieu de petit village chimérique – Flateurville, dédié à l’art narratif. Tenu par l’artiste, Laurent Godard, il sert à la fois d’espace de production artistique, de place d’exposition et de salle de consommation.

Interventions - Sur l’exemple des affichages photographiques du Jardin du Luxembourg, l’organisation d’expositions artistiques temporaires est envisagée pour les amateurs d’art. Gérées par Laurent Godard, elles lui servent d’espace de promotion et collaborent avec la mouvance artistique du quartier.

3. Attribuer

une dimension solidaire à la cour

En augmentation dans le quartier, les sans-abris sont de plus en plus nombreux à passer, ou résider dans la cour. Le projet ne doit pas ignorer cette réalité et il envisage de prendre en considération ces personnes en grande précarité. Sur le site, les sans-domicile-fixe ont pris l’habitude de stationner sous le porche conduisant vers la rue d’Enghien. Récemment, un système grillagé a été mis en place par la mairie afin de chasser ces « envahisseurs gênants » pour le voisinage. Depuis, certains d’entre eux se sont installés sur le trottoir d’en face, ce qui n’a pas résolu l’affaire. Le projet prévoit l’installation de terrasses plus abritées, intimes, et en ce sens plus à même de recevoir un lieu de solidarité à l’usage des sans-domicile-fixe. Sous la forme d’un café ou d’un stand, un espace de distribution alimentaire est envisagé pour leur confort et leur commodité. Elle peut prendre la forme de paniers, repas chauds, repas partagés, sandwiches, soupes... Pour assurer le fournissement, une épicerie sociale tenue par des bénévoles ou des salariés de la Croix Rouge est imaginée à proximité de la place.

Interventions - A proximité du porche, l’intégration d’une structure en dur est prévue pour permettre à certains de se restaurer au chaud et assis. Elle recouvre une épicerie sociale ainsi que des terrasses plus abritées.

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D. L’architecture

du non-fini, une gestion différenciée dans le temps

Quelles formes d’organisations de l’espace sont le plus favorable à l’instauration d’une vie sociale épanouie dans la rue ?

1. Encourager

les processus collaboratifs et privilégier l’usage à la possession

Une rue donne envie d’y habiter lorsque les habitants participent à la rendre dynamique à la vie en la prenant en charge. Il est donc possible de métamorphoser la cour, sans devoir tout démolir, ni tout reconstruire. Pour cela, les riverains doivent s’engager dans de nouveaux processus renversant la manière d’occuper les lieux. L’économie collaborative n’est pas un phénomène si récent. En 1855, Victor Calland propose avec son confrère Albert Lenoir un « Palais de Société » sur le modèle du phalanstère. Cette association de copropriétaires offrait des avantages économiques grâce à de nombreux services collectifs répondant à un but social. Il s’agissait de « faire passer l’état d’isolement et d’antagonisme à celui de rapprochement, de solidarité et d’associations. » 13 Selon lui, l’architecte a une mission sociale qui entraîne tout une réforme de la vie domestique et des rapports de sociabilité. L’idée que « la vie individuelle et la vie commune soient toujours distinctes sans être divisées, unies sans être confondues » passent par des formes de « communauté sociétaire. » 13 De même, après la guerre, l’habitation était vue dans un lien de complémentarité avec des services communs extérieurs. Aujourd’hui plus que jamais, dans un contexte de crise, les outils du système capitaliste traditionnel ne correspondent plus aux exigences de vie modernes. L’urbanisme collaboratif se définit comme une activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun Il repose sur un modèle économique où l’usage prédomine sur la propriété : sur la base du partage, de l’échange ou du troc, il consiste, en temps de crise, à mutualiser les biens, les espaces et les outils pour en optimiser l’usage. Cette économie du partage s’est développée avec l’usage d’internet et la baisse du pouvoir d’achat. Elle englobe différentes formes de consommation - couchsurfing, co-voiturage, auto-partage, vélo-partage, troc de livres..., de modes de vie - co-working, colocation, jardins partagés..., et de financements - crowdfunding, prêt d’argent, monnaies alternatives... Elle repose ainsi sur de toutes nouvelles formes d’organisation sociétale. Une

confiance aux autres acquise par l’habitude

13. Moley, Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, 2006, p.30


Pour fonctionner, ce dispositif repose avant tout sur un principe de confiance entre les participants : « … cette confiance prend forme, avec le temps, grâce à de nombreux, très nombreux contacts quotidiens entre les individus qui fréquentent la même rue (…) La plupart de ces contacts entre usagers de la rue sont tout à fait superficiels, mais leur somme ne l’est pas. En effet, cette somme de contacts publics inopinés, dans le quartier, la plupart fortuits ou en rapport avec les courses quotidiennes, mais toujours effectués de plein gré et jamais imposés, est d’une grande richesse : elle constitue à la fois un sentiment d’appartenance à une identité commune, un réseau de confiance et de respect mutuels et un recours possible en cas de nécessité personnelle ou collective. Pour une rue l’absence de cette confiance générale est vraiment dramatique, mais on ne peut pas la réglementer car elle n’implique aucune engagement personnel de la part des habitants. » Jane Jacobs 14 Le développement de formes de vie sociale dépend donc de la proximité physique et de la familiarité des relations entre les gens. Il s’agit d’agir au quotidien et à petite échelle. Cette démarche requiert une prise de conscience. Elle invite à reconsidérer le cadre d’un habitat qui laisse des marges de manœuvre aux usagers de la rue. Ils obtiennent une capacité d’arbitrage et de médiation en cas de conflit et peuvent avoir des initiatives. le coworking, des espaces de travail partagés pour une communauté en mouvement

Le coworking est en prise avec cette nouvelle façon de voir l’économie et le travail. Tiers lieu conçu pour les créateurs d’entreprises et les indépendants, il se situe à mi-chemin entre le bureau à domicile, le café wifi et le bureau d’affaires. Il vise à mutualiser des moyens, alliant concurrence et collaboration, et à faire émerger des initiatives nouvelles. Les personnes qui investissent ces lieux partagent des notions de créativité, d’échange et de coopération. Elles sont issues du monde de la communication : startups, petites agences, développeurs, attachés de presse... Le coworking permet de créer de belles rencontres humaines et professionnelles. Il enveloppe plusieurs dimensions : - La dimension économique : permettant aux travailleurs indépendants de diminuer les frais fixes - La dimension socioprofessionnelle : l’association de savoirs-faire offre des possibilités d’échanges infinies - La dimension culturelle : ils prônent une nouvelle manière de travailler basée sur une culture commune Les espaces de coworking sont le plus souvent décloisonnés et réagencés autour d’une place commune. Ces lieux ouverts possèdent plusieurs postes de travail et sont souvent le support de vernissages et de 14. Soulier, Nicolas, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’actions, 2012, p.122

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soirées orientées autour de l’univers de la créativité et des startups. Le coworking vise enfin à créer une communauté de partage entre des personnes qui se font confiance, s’entraident et peuvent travailler ensemble. Le quartier de la Porte Saint-Denis, à proximité du centre névralgique de la ville, accueille un grand nombre d’agences de commmunications. A elle seule, la Cour des Petites Ecuries regroupe quatre agences : une agence d’édition, une autre d’architecture et deux agences spécialisées dans la recherche audiovisuelle. Elle est donc favorable à l’émergence d’espaces de coworking.

Interventions - Des espaces de travail partagé sont envisagés, associant des créateurs d’entreprise « en freelance » avec le monde de la communication, deux univers compatibles et propices à l’innovation et à la créativité. - Pour renforcer l’esprit de groupe, des réunions seront organisées tous les mois ainsi que des moments festifs de type apéritifs, vernissages...

2. Transformer

la cour en un espace populaire

« L’espace c’est ce qui était mort, figé, non dialectique, immobile. En revanche, le temps c’était riche, fécond, vivant, dialectique. » 15 Henri Bergson est l’un des premiers philosophes à avoir considéré l’espace en fonction du temps. Il différencie le temps « abstrait » de celui fondé sur l’expérience de la durée. Il emploie le terme « d’espace parcouru » pour désigner « l’enchaînement d’une variation qualitative (…) et la transition, essence même du mouvement et du changement. » L’espace s’articule donc dans le temps en fonction d’événements qui lui sont rattachés. Le 10ème arrondissement, avec ses deux grandes gares et ses nombreux passages est perçu comme un quartier de transit. A y regarder de plus près, il est aussi un lieu de promenade propice aux rencontres et aux rassemblements. Tous les ans, habitants, associations et commerçants se réunissent pour organiser de nombreuses festivités interculturelles : La petite Instanbul, la Fête de Ganesh... Ces moments de partages et d’échanges sont porteurs d’une dynamique culturelle qui rayonne dans tout le quartier. dynamiser la cour sans perturber la vie des habitants

Une cour tire son attrait de l’animation qu’elle renvoie. Elle tire sa renommée des événements exception15. Thireau, Véronique, Les nouvelles dynamiques spatiales : à la redécouverte des territoire, 1993, p.287


nels auxquels elle se rattache. Les bons souvenirs que les gens retiennent d’un lieu sont souvent liés à des moments sortis de l’ordinaire – rassemblement, concerts..., lorsque la circulation automobile est fermée. Pour la rendre accueillante, une part de vie active doit donc être rendue dans la Cour des Petites Ecuries. En effet, une absence de vie dans la rue compromet l’émergence spontanée de relations sociales et réduit chacun à l’isolement. Il ne faut cependant pas oublier que la Cour des Petites Ecuries reste avant tout une voie résidentielle et que l’activité festive doit être mesurée. Rendre

la cour adaptable a des événements quotidiens comme exceptionnels

Les marchés et brocantes sont un moyen courant de créer du lien social. Des personnes déflilent entre les stands, certaines se promènent quand d’autres s’y attardent pour trouver un vêtement, un jouet ancien ou un ustensile de décoration... L’occasion est de discuter de manière informelle entre voisins, avec un élu ou un responsable associatif. Avec les marchés, fêtes de quartier..., ce type d’animation est chose commune du 10ème arrondissement et de la Cour des Petites Ecuries. Chaque année, l’association - aujourd’hui dissolue - de la Cour des Petites Ecuries avait l’habitude d’organiser un vide-grenier tenu par les habitants, où tout le monde était libre de venir. Véritable institution de quartier, celui-ci représentait un franc succès auprès des communautés. Il attirait en effet tous les riverains des rues adjacentes : parents d’élèves de l’école Martel, milieu associatif, public, habitants et commerçants de la rue du Faubourg Saint-Denis... Les adultes discutaient entre eux et les enfants jouaient à la marchande en réseau avec leurs amis présents sur d’autres stands. Très vite, le vide-grenier est devenu victime de son succès, l’exiguïté de la cour la rendant inapte à accueilir autant de monde. Il a désormais lieu ailleurs. Cet événement, au demeurant tranquille, ét ait pourtant apprécié de tous : épisode diurne, il se terminait généralement en début de soirée et ne causait pas de nuisances pour les habitants. L’un des enjeux du projet est donc de rétablir ce type d’événements en journée, au profit des habitants comme des passants. Il souhaite encourager les initiatives des habitants, associations et commerçants pour organiser des événements et fêtes de quartier.

Interventions - Mise en place d’une structure malléable servant de support à des brocantes, marchés ou vides-grenier - Installation de jeux de lumières spécifiques à ce type d’événements : suspensions lumineuses...

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3. Un

processus multiforme d’ajout, laisser libre cours à des usages spontanés

L’architecture s’inscrit dans une temporalité ouverte. Elle se réalise au fil du temps et engage des processus de coopération et de convivialité qui supposent un état d’esprit, celui d’avoir en perspective un ouvrage volontairement incomplet et en attente de l’imprévu. Selon Clemens Back, responsable de la « construction sociale » du quartier de Rieselfeld en Allemagne, « c’est un changement de paradigme : il s’agit d’anticiper, de faire pour « aider à faire » et non plus « à la place de » 16. Le projet s’effectue ainsi en deux temps. Un premier chantier construit une structure solide et fiable, établie par des professionnels et techniciens. Il suppose la mise en place d’une charte délimitant le cadre réglementaire, financier et marchand. Les responsabilités sont données et les obligations sont définies. La responsabilité globale reste celle du Service municipal qui coordonne et surveille la situation. De multiples petits chantiers sont ensuite réalisés spontanément par des amateurs – habitants, restaurateurs, consommateurs... Ils offrent les équipements nécessaires à la vie quotidienne et nécessitent d’avoir à disposition un atelier à l’air libre ainsi que des espaces de production où sont stockés les matériaux et outils. Diverses adjonctions, extensions et transformations peuvent alors avoir lieu de manière aléatoire. Il peut s’agir de micro constructions - un édicule, un abri pour les vélos... - ou de petits dispositifs bricolés sous le coup de l’inspiration. L’ensemble de ces éléments divers sont des ajouts informels qui viennent s’ajouter à la structure de départ. Ces opérations s’échelonnent dans la durée afin de répondre à des besoins présents. Elles s’effectuent sur la base du bénévolat, dans un cadre informel et non marchand. Les délais et les coûts ne sont pas figés. Hors charte, les obligations ne sont pas définies. Il peut s’agir de dons et d’aides réciproques. « Domestiquer la nature sous une forme très vivante. Ensauvager la société de manière très civile. » 17 Une production matérielle vient donc compléter l’architecture présente au fil du temps. En constante évolution, il ne s’agit plus seulement d’un espace figé, mais d’un processus en cours et inachevé , processus qui se déroule majoritairement à l’extérieur. Les usagers s’affairent librement - jardinage, bricolage... et disposent de lieux plus retirés – terrasses abritées... Les enfants peuvent jouer dans la rue. Les biens sont éphémères, les objets du quotidien - vélos, jouets, meubles... - peuvent être déposés près de chez soi et la végétation peut s’y développer librement. Ce type d’actions ne peuvent survenir qu’après la mise en place d’un cadre d’accueil construit préalablement. Il s’agit d’adopter une démarche du « non-fini » qui considère l’ouvrage du premier chantier comme une étape fournissant un support à d’autres alternatives. 16. Soulier, Nicolas, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’actions, 2012, 285 p. 17. Soulier, Nicolas, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’actions, 2012, p. 121


Ce processus confère aux riverains de la cour une certaine autonomie de gestion. Il permet à tout un chacun de s’approprier une partie du domaine public et d’assumer en même temps une co-responsabilité de cet espace. Une part non négligeable de la vie quotidienne des habitants s’effectue ainsi à l’extérieur. Le projet encourage la spontanéité, indispensable à la vie dans la rue. La vie de chacun déborde dans l’espace public et ces jeux d’appropriation effectifs confèrent à la rue sa vitalité.

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marteau-piqueur – traversée – odeur de pain chaud – klaxons à répétition – traversée – klaxons à répétition – sirène d'une ambulance – virage à gauche – RUE BOSSUET – odeur d'urine – marche sur les pavés - pas qui résonnent – des enfants jouent – montée des marches de l'escalier – d'autres enfants font du skateboard – fond sonore d'une moto – virage à droite – RUE DE BELZUNCE – souffle du vent – deux clochards discutent sur un banc – les autres sont assis près de l'église – virage à droite – RUE SAINTVINCENT DE PAUL – langues étrangères – démarrage d'une voiture - BOULEVARD Conclusion « Seuls les groupes en liaison intime avec le sol, seules les répartitions qui épousent les réalités géographiques restent à l’échelle de l’homme, elles restent fonction des possibilités psychologiques de la vue ou du toucher. » Pierre-Joseph Proudhon, sociologue français


Dans un monde en constante mutation, il est difficile d’apprécier l’ensemble des populations fluctuantes, dont les usages sont diversifiés : certains dorment quand d’autres consomment, travaillent ou se divertissent... La mondialisation accélèrent les flux et les rythmes de la ville. Le 10ème arrondissement abrite des quartiers animés par des groupes aux conditions sociales très différentes. Des communautés d’origine immigrées coexistent avec une population plus culturelle, nouvellement installée. Cette diversité confère au lieu une grande vitalité. Avec l’embourgeoisement progressif de la population, les minorités populaires tendent à être évincées, mettant à mal cette multiplicité. Au coeur du quartier Saint-Denis se situe la Cour des Petites Ecuries, une ancienne voie artisanale. Connue de tous, elle est empruntée pour son charme et ses bars/restaurants renommés. Elle est aujourd’hui victime de son succès : les rassemblements sont source de tensions entre des habitants attachés au calme et des consommateurs en quête d’animation. Plutôt que de favoriser les rencontres, l’exiguïté de la cour entraîne de la promiscuité et témoigne, par le conflit, d’une certaine distance sociale L’enjeu du projet consiste à se pencher sur le quotidien de celles et ceux qui n’ont pas les mêmes usages. Il consiste à investir l’espace public de la cour pour faire se rencontrer des groupes fragmentés, aux cultures et intérêts qui divergent. Redonner vie à des pratiques sociales, approcher quelqu’un, établir des liens, se rassembler, mettre des limites et (se) tenir à distance : ces pratiques relèvent d’un savoir-vivre dont les codes s’estompent aujourd’hui. Pour réenclencher ces dynamiques d’action, le projet ambitionne d’imaginer des « espaces de médiation » et de transformer la Cour des Petites Ecuries en un espace populaire, convivial et adaptable à des événements quotidiens comme exceptionnels. Penser en terme de « compatibilité » consiste à inventer des espaces partagés profitables à tous. Il ne s’agit pas seulement d’interconnecter les lieux, mais aussi les usages et les individualités. Les pistes de réfléxion s’orientent autour de la prise en compte des temps urbains et d’une alternance des usages d’un même espace en différents moments de la journée ou de l’année - le chrono urbanisme. L’architecture mise en place conçoit des espaces polyvalents qui s’adressent à tous. L’épaisseur de la voirie de la cour est infiniment perceptible, ce qui renforce le message que la chaussée appartient d’avantage aux riverains, piétons ou cyclistes qu’aux voitures. Si certains éléments sont déterminés à l’avance, d’autres sont réinvestis selon l’usage. Ce système requiert une certaine autonomie de gestion de la part des riverains : certains espaces - ludothèque, aires de jeux - sont confiés aux habitants tant pour l’usage que pour l’entretien. Flexible et malléable, la structure se courbe, se décline, se redresse ou s’efface au gré des envies de chacun. Elle laisse place à la spontanéité des riverains, libres d’investir les lieux comme il leur plaît. Les parcours accordent des temps de pause ou se transforment en terrains d’aventure, permettant de développer de la vie à l’intérieur de la cour.

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SQUARE ALBAN SATRAGNE – pigeons – ode NIS - crachat – un homme évacue – BOUL Gare du Nord – moteurs – suintement d'un – valise que l'on tire – odeur de pain chau un homme balaie la voie publique – odeu ses courses, un panier en osier à la main – – vélo – odeur d'excréments – un homme à plusieurs reprises et l'autre lui répond – c rieure – poussette – béquilles – chien ass fum des fleurs – moteurs – vélo – un hom moto – deux écoliers bavardent – virage file – circulation – moteurs – fond sonore d téléphone tire sa valise - deux écoliers co FRANZ LISZT – klaxon – un groupe d'écoli traversée – odeur de pain chaud – klaxons


eur d'urine – RUE DU FAUBOURG SAINT-DELEVARD DE MAGENTA – on me demande la ne moto – services de propreté – poussette ud – virage à gauche – RUE DE CHABROL – ur d'urine – une personne s'apprête à faire – une dame tire un caddie – odeur d'urine interpelle un ouvrier à haute voix, il le siffle chahut d'élèves provenant d'une cour intésis – musique d'un salon de coiffure – parmme promène son chien – démarrage d'une à droite – RUE D'HAUTEVILLE – moto qui de travaux – trois écoliers – un homme qui ourent – un troisième les rattrape – PLACE ier chahute – klaxon – marteau-piqueur – à répétition – traversée – klaxons à répétiti

Annexes


De

larges perspectives dégagées

L’arrondissement s’installe en contre bas de la butte Montmartre et des Buttes Chaumont, deux émergences du relief de la rive droite. Ce col réunit trois lignes de communication : le chemin de fer du Nord, le chemin de fer de l’Est et le canal Saint-Martin. Le tracé des grandes voiries cloisonne ces trois entités en négociant avec le relief du territoire qui s’élève peu à peu vers ces buttes et dont la double pente naturelle crée des lieux privilégiés. Il favorise le dégagement des perspectives sur les principaux monuments : la gare du Nord, la gare de l’Est, l’église Saint-Vincent-de-Paul, l’hôpital Lariboisière et l’hôpital Saint-Louis. Ces grands édifices s’insèrent généralement dans un tissu étroit où l’exiguïté des lieux fait que, au détour d’une rue, on en devine souvent qu’une partie. La rencontre de plusieurs tracés monumentaux détermine les grandes compositions d’ensemble. Avec la création du quartier Poissonnière, de l’hôpital Lariboisière et l’implantation de la gare du Nord, une vaste composition s’est constituée dans l’Ouest de l’arrondissement. Son agencement produit des perspectives intéressantes, renforcée par les traversées simultanées du boulevard de Magenta et de la rue La Fayette. Ces deux grands axes tranchent volontairement avec le reste du paysage urbain. Ils introduisent sur la rive droite des diagonales absentes de la trame urbaine originelle et relient le centre de la ville aux portes de l’ancienne enceinte des Fermiers Généraux, correspondant à un autre faubourg. L’axe constitué par le boulevard de Strasbourg renforce le tracé des rues des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin. Il permet de mettre en avant la Gare de l’Est tandis que le boulevard de Denain offre une perspective plus réduite sur la gare du Nord. La paroisse Saint-Vincent-de-Paul est observable depuis le bas de la rue d’Hauteville. Elle réglée par la place Franz Liszt qui, pour obtenir une composition symétrique, ouvre en diagonale la rue d’Abbeville. Au Nord de cette composition, l’hôpital Lariboisière est axé sur la rue Saint-Vincent-de-Paul. A l’Est, l’Hôpital Saint-Louis est rendu visible depuis l’Avenue Richerand. Plusieurs éléments exceptionnels caractérisent le 10e arrondissement. Dans la mesure où leur arrière-gare se déploie plutôt dans le 18e arrondissement, les gares perturbent moins le tissu urbain qu’elles ne participent à sa mise en valeur. En outre, la présence de gigantesques ponts sur les voies des chemins de fer de la gare de l’Est offre, à partir des rues La Fayette et de l’Aqueduc, des échappées visuelles sur le paysage ferroviaire, dans un secteur de la ville densément bâti. Les hôpitaux forment de vastes enclos, dont les portes principales commandes l’orientation des rues alentours. L’église Saint-Laurent et le couvent des Récollets forment, avec l’hôpital Saint-Lazare, les derniers vestiges des anciens établissements religieux. Ils sont cernés de grands espaces publics associés à des jardins. Les théâtres sont principalement situés dans le Sud de l’arrondissement, au niveau des Grands Boulevards. Ils passent plutôt inaperçu en raison de l’importance du trafic routier qui forme une barrière à la visibilité d’ensemble.

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Parcours : monuments

Perspective Edifice remarquable majeur Edifice remarquable mineur B창ti


Parcours

olfactif

Certaines rues, par leur aspect commerçant, sont plus propices que d’autres aux émanations d’arômes en tout genre. La rue du Faubourg-Saint-Denis se distingue largement pour ses senteurs exotiques. Les restaurants turcs ou pakistanais ont la particularité de rester ouverts et les essences s’évaporent facilement dans la rue. Aux odeurs de poulet rôti viennent s’ajouter celles du pain chaud ou des kebabs. Le quartier indien domine de par ses épices et ses étalages de fruits et légumes. Le passage Brady, avec ses nombreux restaurants indiens, est un concentré de parfums étrangers. Les marchés couverts Saint-Quentin et Saint-Martin rassemblent un grand nombre de denrées qui émoustillent les sens. A midi, la rue d’Hauteville, majoritairement commerçante, diffuse un éventail d’odeurs alimentaires Aux carrefours du boulevard de Strasbourg, des vendeurs de marrons chauds interpellent les passants. A l’Est, les ressentis sont plus ponctuels : une boulangerie ouverte, de jeunes actifs déjeunant rapidement en terrasse de restaurant...

Parcours

chromatique

Dans la rue d’Hauteville, de nouveaux magasins de design ressortent sous des tonalités relevées, avec une vitrine soigneusement décorée et une ambiance intérieure chaude. Le quartier indien est particulièrement coloré. Les devantures sont lumineuses et il arrive même que certaines enseignes clignotent. Les magasins exposent des sarees multicolores et des bijoux scintillants, typiques de la tradition indienne. A l’Est, le quartier Saint-Marthe est célèbre pour l’enfilade de ses maisons colorées, donnant l’allure d’un petit village. Certains endroits, taggés, sont le signe d’une appropriation des lieux par les riverains. Parfois, des pans de mur, des façades ou des rues entières sont détournés. Ils deviennent alors le support d’oeuvres artistiques de qualité. Ces espaces prédominent aux abords du canal saint-Martin, ainsi que dans le Nord-Ouest du quartier populaire indien.

Parcours Impasses Il existe différentes typologies d’impasses, au caractère exceptionnel. Elles constituent les voies de desserte intérieures des grands îlots, menant à des parcelles plus petites qui accueillent des immeubles de logements privés. Il peut s’agir de voies anciennes desservant de vastes terrains - Cour des Petites Ecuries, de passages

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Parcours : monuments

Parcours : olfactif

Mardi 28 janvier / 14h00-16h00 Edifice remarquable majeur Edifice remarquable mineur Bâti

Jeudi 23 janvier / 11h30-14h30 Parfum Marché couvert Bâti

Parcours : impasses

Parcours : chromatique

Jeudi 30 janvier / 13h00-15h00 Commerce coloré Tags Bâti

Impasses


couverts traversant de grands îlots - Passage Brady, Passage du Prado, de petites voies de lotissement - Cité Paradis, Cité d’Hauteville, d’allées menant à un square - Passage des Récollets, rue Georg Friedrich Haendel - ou de ruelles auxquelles on accède par des porches - Passage de l’Industrie. Ces impasses sont généralement pavées, parfois plantées, étroites et surplombées de hautes façades lisses. Séparées des grandes rues par des porches, elles sont en voie d’être privatisées et grillagées.

Un

tissu commercial diversifié et attrayant

L’arrondissement présente de fortes densités d’activités commerciales, de nature différente selon les lieux. Les fortes dominantes d’emploi se situent au niveau des principaux axes - boulevard de Magenta, places – place de la République, et équipements - gares et des hôpitaux. Selon l’Enquête Régionale sur l’Emploi réalisée en 2004, l’une de ses spécificités réside dans la présence d’entreprises de services telles que les sociétés de nettoyage, les organismes de travail temporaire ou les sociétés de gardiennage et de sécurité. Autres secteurs bien représentés : le secteur de l’immobilier et les services divers aux entreprises qui représentent près du tiers des emplois de l’arrondissement. Enfin, l’industrie et le commerce du textile sont encore très présents. En outre, le tissu commercial est fortement marqué par des spécialisations locales d’autres activités. - Au Nord, le boulevard de la Chapelle concentre les commerces de gros alimentaires et textiles en provenance du sous-continent indien. - Au Nord-Ouest, les concentrations de commerces observées près de la gare du Nord s’attachent à des activités telles que l’intérim, à des sociétés financières ainsi qu’à des bureaux de change . Les restaurants, brasseries et cafés alimentent également les voyageurs pressés ou en transit. - Dans le centre, le haut du boulevard de Magenta regroupe les boutiques de prêt à porter spécialisées dans les vêtements de cérémonie. - Le boulevard de Strasbourg occupe, avec la rue du Château-d’Eau, des salons de coiffure, de soins du corps et des restaurants afro-antillais et subsaharien. - A l’Est, les abords du canal Saint-Martin rassemble les magasins d’objets et de décoration. - Le long du boulevard de la Villette, sont établis une majorité de commerces du Sud-Est asiatique. - Dans la rue du Château-d’Eau, à l’approche de la place de la République, prédominent les magasins de sportswear. - Au Sud-Ouest, les commerces de gros et de demi-gros du textile se concentrent, ainsi que leurs showrooms. - Le Sud de l’arrondissement demeure toujours occupé par le commerce de gros de l’habillement, extension du quartier du Sentier tout proche.

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Diagramme

des commerces

Ce diagramme est conçu à partir d'un relevé précis des enseignes de la rue du Faubourg-Saint-Denis, la rue de l’Échiquier, la rue d'Enghien, la rue des Petites Ecuries et la rue du Château d'Eau. Chacune de ses rues est une centralité plus ou moins marchande qui possède ses spécificités locales – à dominante indienne, turque, afro-caribéenne.... Plus la bande a une trame resserrée, plus les commerces ou services publics sont nombreux. Ainsi, la rue du Faubourg-Saint-Denis regroupent plus de commerces que celle des Petites Ecuries, d'avantage adressée à des locaux ou sociétés ou privés.

Commerce alimentaire Restaurant / café Magasin de bricolage Habillement / bijouterie Centre de soin Equipement institutionnel Commerce lié à l’international / agence de voyage, bureau de change... Décoration / design Hôtel Centre culturel Groupe financier / banque, assurance... Sans enseigne ou fermé Autres Représentation des commerces, février 2014

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Le

sentiment d’exotisme

Le sentiment de dépaysement est renforcé dans le quartier Nord tamoul, indien et pakistanais, en raison des enseignes écrites majoritairement en langue étrangère. Ce sentiment est également présent dans le bas de la rue du Faubourg-Saint-Denis et dans la rue du Château d’Eau, où la plupart des enseignes font référence à des pays étrangers. Par ailleurs, des agences de voyage, magasins de change et de téléphonie vers l’étranger sont disséminés dans tout le quartier, traduisant la forte concentration d’une population immigrée.

Représentation des commerces, février 2014

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Commerce dont l’enseigne sonne exotique Commerce classique Bâti


Rencontre un habitant Rencontreavec avec un habitant

Momo , résident du 10ème arrondissement. Il m’aIltout C’est dede C’est l’histoire l’histoire d’une d’unerencontre rencontrehumaine, humaine,celle celle Momo , résident du 10ème arrondissement. m’anatutout rellement interpellée dansdans la ruelapour saluer alors que je prenais une photo. sommes naturellement interpellée rue me pour me saluer alors que je prenais une Nous photo.avons Nousdiscuté avons et discuté et Momo est Momo né dansest le désert marocain. est arrivé àIl Paris pour ses études et allés prendre café ensemble. sommes allésun prendre un café ensemble. né dans le désertIlmarocain. est arrivé à Paris pour a tenu une petite échoppe rue du Faubourg Saint-Martin. Ce quartier représente toute sa vie et avec le temps, ses études et a tenu une petite échoppe rue du Faubourg Saint-Martin. Ce quartier représente toute sa vie Momo constitué un réseau d’amis fidèles. Dans la rue,fidèles. il dialogue chacun des commerçants, le et avecs’est le temps, Momo s’est constitué un réseau d’amis Dansavec la rue, il dialogue avec chacunqui des lui rendent bienqui et le il me présentebien à chaque gentiment. Il a aussi adresses bons des-gens commerçants, lui rendent et il mefois présente à chaque fois ses gentiment. Il a- ses aussi ses plans, adresses ses prêts à lui tendre la main, à le dépanner d’un quelque chose. bons plans, des gens prêtsàà lui lui rendre tendre service la main,où à lui rendre service où petit à le dépanner d’un petit quelque chose. Momo gentiment montré montré où où ilil habitait. habitait. IlIl vit vit dans dans l’arrière-salle l’arrière-salle d’un d’un restaurant restaurant mis mis ààl’abandon. l’abandon. La Laporte porte Momo m’a m’a gentiment ferme mal si bien qu’il a rajouté un verrou et installé un chauffage électrique pour lutter contre le froid. Son ferme mal si bien qu’il a rajouté un verrou et installé un chauffage électrique pour lutter contre le froid. Son lieu vie est est impeccablement impeccablement rangé. rangé. La La pièce, pièce, large large de de 10 10 mètres mètres carrés, carrés, est est formée formée d’un d’un lit, lit, d’une d’une table table lieu de de vie Momo arbore arbore minuscule bois et et de de quelques quelques étagères. étagères. Et Et là là où où l’on l’on devine devine misère misère et et pauvreté pauvreté extrême, extrême, Momo minuscule en en bois un large sourire et me présente fièrement les différents espaces de sa maison. Il me montre en particulier les un large sourire et me présente fièrement les différents espaces de sa maison. Il me montre en particulier cartes postales reçues de ses amis, et affichées en trophée sur la porte. Il me cite les villes qui le font rêver les cartes postales reçues de ses amis, et affichées en trophée sur la porte. Il me cite les villes qui le font –rêver New– York, New Venise... York, Venise... au dessus dessus de de tout tout la la valeur valeur de de l’amitié. l’amitié. IlIl aa une une confiance confiance aveugle aveugle envers envers les les gens gens qu’ils qu’ils renrenMomo Momo porte porte au contrent la rue, rue, et et regrette regrette simplement simplement cette cette mode mode individualiste individualiste et et suspicieuse suspicieuse qui qui considère considère l’autre l’autre contrent dans dans la comme danger potentiel potentiel pour pour chacun chacun d’entre d’entre nous. nous. Momo Momo m’a m’a donné donné son son portable portable et et m’a m’a demandé demandé comme un un danger naïvement de lire ses derniers messages : Un couscous avec Momo demain ! Désolée d’avoir tant naïvement de lire ses derniers messages : Un couscous avec Momo demain ! Désolée d’avoir tant tarder tardé àà … Momo Momo est est répondre Une excellente excellente année année au au p’tit p’tit Momo Momo du du coin, coin, que que l’on l’on veille veille bien bien sur sur toi toi Inch’allah Inch’allah!! … répondre !! –– Une fier fier de de sa sa réputation réputation et et de de ses ses amis. amis. Après quelques secondes secondes de de rencontre, rencontre, ilil me me délivre délivre sa sa vision vision du du bonheur bonheur transmise transmise par par l’un l’un de de Après seulement seulement quelques ses ses proches proches :: A A portée portée de de main, main, la la porte porte à à côté côté !! IlIl suffit suffit juste juste de de se se munir munir de de la la bonne bonne clé clé !! Sans connaître, Momo Momo pourrait pourrait passer passer pour pour quelqu’un quelqu’un de de misérable misérable et et sans sans le le sou, sou, qui qui dépend dépenddes desautres autres Sans le le connaître, et et ne ne peut peut tolérer tolérer aucun aucun extra. extra. Pourtant, Pourtant, Momo Momo est est considéré considéré comme comme le le rayon rayon de de soleil soleil du du quartier. quartier.

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Hélène Duverly, conseillère d’arrondissement chargée du Commerce et de l’Artisanat. Interview du 21 février 2014. T.B. Avec la désindustrialisation, d’anciennes cours industrielles ont été désaffectées puis réhabilitées, avec l’aide des politiques publiques, en propriétés privées et nouveaux locaux commerciaux. Comment voyez-vous cette reconversion des activités ? H.D. L’activité commerciale cache aujourd’hui des pans d’activité qui ont disparu. En peu de temps, de nombreux passages ont été percés pour former des rues. Certains commerces se sont transformés en loft et il est clair qu’il n’y aura plus jamais la même activité commerciale d’antan. Je trouve dommage que les populations plus riches s’approprient et ferment l’espace pour être tranquilles. Mais c’est le goût de la propriété privé qu’on à tous : posséder son espace à soi... Les propriétaires font la loi car, dans l’impasse, ils ont le cadre qu’ils souhaitent. Cette privatisation améliore la qualité du tissu. En ouvrant le passage à tout le monde, il risquerait de se dégrader et de poser des problèmes aux habitants.

T.B. Quels problèmes l’ouverture des cours pourrait-elle poser aux habitants ?

H.D. La Cour des Petites Ecuries en est un exemple type. Elle était semi-privée il y a encore quelques années. Elle était fermée à la circulation automobile, et mise à l’abandon par des copropriétaires pauvres. En soirée, cette rue très étroite faisait l’objet de trafics de deal. Un jour, les propriétaires ont eu envie que la ville l’entretienne et élargisse le trottoir. La cour a donc été ouverte et embellie. Elle est devenue un endroit privilégié pour tout le monde. Les gens se sont rassemblés pour faire des fêtes et, de proche en proche, c’est devenu un lieu de nuisances à cause des sons qui se réverbèrent. Les habitants recherchent le calme et accusent le coup. Ils n’ont pas tous de double vitrage et dans la Cour des Petites Ecuries, tous les appartements donnent sur rue. Si l’on n’intervient pas, il y a un risque pour que le phénomène prenne de l’ampleur. Une charte a donc été signée avec les établissements de la Cour. Il en va de même pour les habitants des boulevards. D’ailleurs, beaucoup d’habitants déménagent. T.B. Un processus de gentrification est en train de transformer le 10e arrondissement. Du centre, autour du Canal St-Martin, il s’étend à présent vers le quartier Saint-Denis. Quel impact ce phénomène a-t-il sur l’espace public du quartier ?

H.D. Il y a deux choses dans la gentrification. C’est d’abord l’embellissement d’un quartier insalubre. L’opérateur public intervient, les copropriétés sont rénovées et les habitants revendent plus cher dans un quartier artisanal qui a du cachet. On ne peut pas regretter d’aider les gens à vivre dans des conditions plus salubres. Après la réhabilitation du quartier Saint-Marthe, l’endroit s’est embelli, faisant caisse de résonance aux alentours. On est responsable de l’espace public et on ne peut pas se sentir coupable de son amélioration. La gentrification tient à un différentiel de prix entre l’endroit où vous habitez et le 10e. Il faut une bonne desserte en transports, et si l’on est encore un jeune actif, il faut des activités de loisirs à proximité - Grands Magasins, salles de concert... Cela attire et fixe des gens qui n’iront plus à Bastille ou bien aux Halles. Tout cela participe à la gentrification : les gens qui ont les moyens vont trouver le quartier intéressant. La population s’embourgeoise, même si des logements sociaux continuent d’être créés. Viennent ensuite les activités modernes et les phénomènes de modes. C’est une autre logique à mon sens. Les gens ne viennent que pour acheter et se distraire : restaurants, théâtres de 158


boulevard... Là, c’est une autre clientèle. On vient, et on repart. T.B. La rue du Château d’eau est fortement marquée par la présence de salons de coiffure africains. Par ailleurs, certaines rues du quartier sont encore spécialisées dans un type de commerce en particulier. Ces centralités marchandes ne constituent-elles pas un frein aux petits commerces de proximité ?

H.D. Dès que des commerces sont vacants, ils sont remplacés par d’autres commerçants qui vont s’appeler les uns les autres, amis et concurrents : ça forme une occupation massive des magasins, autrement dit une filière. Il faut d’abord se demander quels sont les inconvénients économiques d’une telle concentration d’activités. Cette concentration économique fait monter les prix des surfaces commerciales et empêche les activités de proximité, alimentaires et non alimentaires, de s’installer d’une manière rentable. Ces petits commerces vivent sur la base d’un ou de quelques salariés, artisans ou commerçants, et dégagent un chiffre d’affaire qui est limité : exemple d’une boulangerie, charcuterie, poissonnier... Ce sont des logiques économiques nationales. Elle tiennent un mode de consommation d’un moment et en général, dégagent un chiffre d’affaire plus important que les métiers artisanaux de type pâtissier, chocolatier, boulanger... Ces métiers sont différents, ils nécessitent un savoir-faire et les installations qui vont avec, cela en toute hygiène et sécurité alimentaire. Ils doivent avoir une clientèle capable de payer des produits plus chers et de meilleur qualité. Les charcutiers ont par exemple été soumis à la concurrence de tous les métiers de plats cuisinés du monde entier - produits asiatiques, indiens, rôtisseries, fast food...

T.B. Ces dynamiques de spécialisations spatiales sont-elles nouvelles ?

H.D. Cette monoactivité a, en quelques sortes, toujours existé. Historiquement, les Turcs sont les premiers à avoir habité dans la rue du Faubourg-Saint-Denis. Il y a eu une activité industrielle de fonderie, au 19ème siècle, en liaison avec la gare, fournissant du gros matériel en pièces détachées. Il y avait aussi des grossistes textiles dans le quartier, le Sentier arrivant jusque là. Lorsque les Juifs Tunisiens sont partis, les Asiatiques ont repris la place. Aujourd’hui ils s’en vont à leur tour et c’est pour cela qu’il y a beaucoup de boutiques vacantes dans la rue du Faubourg-Saint-Martin. Les conditions d’exercice de l’activité sont moins agréables qu’avant. Ils partent maintenant à Aubervilliers et à Pantin, où l’on trouve de grandes surfaces disponibles : ères de circulation, de stockage... Les prix du mètre carré dans Paris ne sont pas adaptés à des activités économiques qui ont besoin de beaucoup d’espace. Les trottoirs et la circulation ne sont pas adaptés. Le gros de l’activité asiatique est donc en train de partir même s’ils gardent un pied ici pour les showroom. T.B. Aujourd’hui, des organismes comme la SEMAest luttent contre la mono-activité de ces quartiers, travaillez-vous en partenariat avec ce type de sociétés ?

H.D. La SEMAest rachète des murs pour changer la destination des commerces. Si nous sommes réélus, nous ferons passer une nouvelle loi nous permettant de préempter les baux commerciaux et d’intervenir ainsi sur la diversité des commerces. Nous avons fait du lobbying auprès de la Ministre de l’Industrie et du Commerce, Sylvia Pinel, et nous peaufinons le dossier pour que, juridiquement, il devienne possible à des grandes villes de préempter des baux. Mais attention, la ville ne doit pas se retrouver propriétaire d’un espace commercial avec des salariés, du stock et les contraintes commerciales qui y sont attachées... Ce n’est pas son rôle.

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T.B. Le quartier, encore très populaire, est apprécié pour la diversité de ses commerces ethniques. On parle de plus de 40 nationalités différentes. Aujourd’hui, ces commerçants vivent-ils majoritairement dans le quartier ? H.D. Peu de commerçants vivent dans le quartier. Ils habitent généralement dans les banlieues du Nord et de l’Est. Ils ne viennent que pour travailler. Dans les années 1980, il y a eu un exode d’activités et beaucoup de boutiques sont devenues vacantes. La gare du Nord et de l’Est desservent les banlieues dans lesquelles ils habitent. C’est un noeud de communication qui apporte aussi des clients – familles ou amis - pour les salons de coiffure, boutiques indiennes. En voiture, ils peuvent venir du 95 ou du 93. Ensuite, on amène les commerces annexes - banques... Le problème, c’est que ces magasins ne rencontrent pas toujours les besoins des habitants. Même si la France est très accueillante là-dessus et que les habitants aiment le cuisine étrangère, ils recherchent encore des commerces de bouche, comme dans la rue du Faubourg Saint-Martin. T.B. Beaucoup d’habitants craignent l’oberkampfisation du quartier, c’est-à-dire sa transformation en un lieu de vie festif et nocturne pour de jeunes individus branchés. La rue du Faubourg-Saint-Denis est-elle en train de suivre le même sort ?

H.D. Il y a deux exemples assez décourageants. La rue Montorgueil, par ses nouveaux commerces, privent les habitants de leurs commerces de proximité. Il n’est pas question de piétonniser la rue du faubourg-Saint-Denis, ou alors temporairement le dimanche. Il ne faut non plus pas fermer la circulation car c’est un axe descendant important. La rue du Faubourg Saint Martin ne suffit pas à desservir tout l’arrondissement. Il faut des axes descendants et remontants : les circulations Nord / Sud ont leur logique à respecter. Les gens ne veulent pas faire de détours, et c’est normal. L’autre contre-exemple, c’est Oberkampf avec son activité de nuit. Nous n’avons pas le pouvoir d’interdire l’installation de ces nouvelles activités. Souvent, les habitants nous interpellent mais les bars se transforment et l’on n’y peut rien. Mais je trouve dommage que la distribution des puissances 4 se fasse avec une telle concentration dans un quartier habité comme Oberkampf.

T.B. Une particularité de ce quartier est la forte occupation des rues, qu’en pensez-vous ?

H.D. Il y a une tendance, auprès de la jeune population, d’être dehors. Avant, on aimait être à l’intérieur, dans un espace confiné. Maintenant, on préfère rester dehors, en manteau sur une terrasse. La loi contre la cigarette a été un déclencheur. Et il faut dire que de nos jours, il y a peu de métiers physiques, les gens sont renfermés dans leur bureau. Même lorsque les entreprises offrent des repas en cantine, les gens préfèrent sortir. C’est la diversité, l’envie de rencontrer du monde, de voir autre chose. Une partie de la vie se passe dans l’espace public. Il faut l’intégrer à la vie dans l’habitat, en face, au dessus... C’est ce rapport privé / public qui est compliqué à gérer. Les Turcs et les Kurdes, après leur travail, sont dans la rue. Ils ne vont pas rester dans leur atelier. Ils n’habitent pas toujours là, ou alors dans des appartements minuscules. Et ils n’ont pas toujours les moyens d’aller consommer dans des cafés... Donc ils sont dans la rue, qui représente l’espace gratuit. Mais à côté de ça, les gens ne peuvent pas se promener. L’endroit manque de places.

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ICONOGRAPHIE

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