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Il faut éduquer autour des cryptomonnaies et des NFT
Cryptomonnaies, blockchain, métavers, NFT… Ces dernières années, les nouvelles technologies ont inondé notre quotidien. Simple phénomène de mode ou tendance appelée à perdurer? Et qu’impliquent-elles pour le banquier privé? “Ce sont autant d’actifs numériques qui arrivent sur le marché”, souligne Gerrie Smits, stratège en innovation.
Une étude de la Banque centrale européenne (BCE) révèle que les cryptomonnaies ne sont plus une niche. En Belgique, une famille sur dix – et souvent plusieurs membres d’une même famille – posséderait des cryptomonnaies. Ce sont pour la plupart de petits investisseurs: une majorité d’entre eux possèdent moins de 5.000 euros de cryptoactifs, un grand groupe en détenant pour moins de 1.000 euros.
“Le taux d’adoption est actuellement de 10%, en effet”, confirme Gerrie Smits. “Il s’agit d’un nouvel actif numérique, créé à partir de la technologie de la blockchain. Il existe un marché pour ces actifs, et certaines personnes gagnent même pas mal d’argent sur ces investissements.”
Les investisseurs s’intéressent très logiquement aux moyens rapides de réaliser un profit, quand le compte d’épargne ou l’emprunt obligataire ne rapportent plus rien. Mais le fait qu’ils puissent aussi perdre beaucoup d’argent est apparu clairement en mai avec le krach de LUNA, le token de la blockchain Terra. Le cryptomarché a alors vu des milliards de dollars partir en fumée.
La BCE a lancé des avertissements à ce sujet à plusieurs reprises: les cryptomonnaies seraient trop volatiles et représenteraient un risque pour la stabilité du système financier. La Banque centrale européenne préconise de réglementer le commerce des cryptomonnaies. Dans la mesure où les transactions sont largement anonymes, elles servent en effet régulièrement pour des activités criminelles.
Réglementation
“Les cryptomonnaies ont mauvaise presse”, admet Gerrie Smits. “Et c’est fréquemment justifié… mais pas toujours. La BCE considère les cryptomonnaies comme une menace pour la stabilité financière, c’est vrai. Mais le Parlement européen prend des mesures visant à élaborer des réglementations qui maintiennent les cryptomonnaies dans un cadre, sans les interdire. En particulier, une législation est nécessaire dans le contexte des règles de traçabilité de l’argent et de lutte contre le blanchiment.”
Gerrie Smits nuance l’idée selon laquelle les cryptomonnaies constituent une menace pour la stabilité financière. “Les investisseurs doivent être protégés, bien sûr, mais ces outils sont très différents des prêts hypothécaires américains de pacotille qui ont provoqué la crise financière de 2008. Le monde des cryptomonnaies se compose de dizaines de milliers de projets, qui ont tous leur propre microéconomie et leur propre monnaie. Bien que l’un des plus grands projets – LUNA, du Coréen Do Kwon – se soit effondré, le reste du monde de la cryptomonnaie a continué ses activités. C’est une grande différence avec la crise financière. Les cryptomonnaies ont une fonctionnalité, aussi vague soit-elle parfois. Si l’une d’elles tombe, les autres survivent. Nombre de ces projets ont une véritable vision de la société et visent une répartition équitable. Il n’y a pas que des fraudeurs! Il est important de le souligner.”
NFT
Tout n’est d’ailleurs pas toujours lié à l’argent. La tokenisation, par exemple, consiste à représenter un objet de valeur par un jeton numérique unique. “Une ‘chose’ se voit attribuer une identité numérique, après quoi elle peut être transférée de manière irréfutable à une autre partie sous certaines conditions”, éclaire Gerrie Smits. Ce sont les NFT, ou Non-Fungible Tokens (jetons non fongibles).
“Ils relèvent encore du phénomène de mode, ils sont davantage une niche que les cryptomonnaies, mais je crois que les concepts qui sous-tendent les NFT, à savoir des actifs numériques uniques, ont un potentiel. Beaucoup de questions continuent de se poser. Faut-il les utiliser comme un investissement? Quelle attitude
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Gerrie Smits, stratège en innovation
une banque privée adopte-t-elle à leur égard? A-t-elle suffisamment de connaissances en la matière? Le particulier doit-il gérer lui-même ces actifs ou plutôt investir dans des fonds NFT? Voire en créer lui-même? Plusieurs étapes doivent être franchies. Mais je ne pense pas que ce soit pour tout de suite. Nous traversons actuellement un marché baissier avec les cryptomonnaies. Ceci étant dit, les plus intéressés commencent clairement à imaginer des use cases…”
Bored Apes
Les plus connus des NFT sont les Bored Apes, qui sont au nombre de dix mille environ. Il s’agit de JPEG de singes, chacun avec sa propre expression faciale, sa tenue et son décor. Les œuvres d’art numériques de ces singes sont achetées en cryptomonnaies. “Avec ce token, dont l’unicité est prouvée, les propriétaires adhèrent à une communauté: le Bored Ape Yacht Club. Ce sont des adhérents précoces au système, qui ont à ce titre accès à certains avantages ou récompenses.”
Le développeur de cette communauté, Yuga Labs, a construit un métavers où les propriétaires d’un Bored Ape peuvent payer avec des ApeCoin. “Le métavers est un réseau en ligne de mondes en 3D contenant des avatars – la définition évolue avec lui”, déclare Gerrie Smits. “C’est une sorte d’extension de l’internet, une réalité alternative dans laquelle on va travailler, se rencontrer ou avoir une activité de loisir. De grandes entreprises telles que Microsoft et Facebook y travaillent déjà.”
Gerrie Smits pense que le marché du NFT pourrait devenir semblable au marché de l’art. En Belgique, le Musée royal des beauxarts d’Anvers a déjà déployé un Art Security Token (AST). Les gens peuvent acheter des parts virtuelles (150 euros chacune) du Carnaval de Binche, un tableau de James Ensor. “Les cryptomonnaies et les NFT sont des flux d’argent alternatifs. Cette technologie sera de plus en plus utilisée. La question est de savoir comment le banquier privé gérera cette dimension. La proposera-t-il à ses clients ou non?”
Éducation
Les nouveaux actifs numériques sont une réalité dont il faudra tenir compte. “Ils ne révolutionneront pas le noyau du secteur de la banque privée mais viendront s’y greffer”, estime Gerrie Smits. Selon lui, l’éducation est toujours nécessaire dans ce domaine, tant pour les investisseurs privés que pour les banquiers privés. “Certaines personnes limitent les cryptomonnaies aux seuls bitcoins mais il en existe bien d’autres types. La presse traditionnelle n’évoque généralement pas d’autres événements que la hausse ou la baisse de la valeur des cryptomonnaies. Dans la mesure où leurs clients s’intéressent au sujet, les banquiers privés doivent se former. Beaucoup de questions se posent en effet: faut-il y investir ou non? Quels sont les risques? Peut-on les recommander aux clients? Quelles sont les conséquences juridiques?”
En Belgique, un cryptofonds existe déjà, Moonbag Capital, qui investit dans les cryptomonnaies et a obtenu un statut juridique. “Ce fonds pourrait prendre le relais du banquier privé dans un avenir proche, car les personnes âgées de 20 à 30 ans comprennent bien le monde des cryptomonnaies”, conclut Gerrie Smits. “C’est pourquoi cette éducation est si importante; les banquiers privés doivent comprendre de quoi il s’agit.”