MEMOIRE D'ETUDES - TITOUAN JOULAIN

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MEMOIRE D’ETUDE Titouan JOULAIN Encadré par Sonia KERAVEL

MICRO / MACRO MACRO / MICRO Le projet de paysage par le basculement des échelles

2018/2019


Sommaire

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Avant-propos

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Introduction

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Le paysage à travers l’objectif pour basculer d’échelle

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Retranscrire le paysage par la photographie

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Vision panoramique

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Le détail

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Profondeur de champ ou portée du regard

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La photographie et le paysage Bref historique technique de la photographie

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La photographie pour montrer et étudier le paysage

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De l’infiniment petit à l’infiniment grand, un aller-retour

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Le microscope

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La photographie aérienne

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Notion d’échelle

61


Le paysage, une fractale?

66

Confusion des échelles et distanciation

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Objectivité de la prise de vue

68

Notion de distanciation

76

Se perdre dans les échelles par la photographie

80

Notion mathématique de fractale

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Découverte et définitions

92

Applications pour le paysage

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Le paysage comme fractale?

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La forme du vivant

102

La ville, une fractale?

110

Le paysage, une fractale?

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02

0


Le basculement des échelles dans le projet de paysage S’inspirer du vivant et de l’esthétique fractale

126 128

Paysage fractal

128

La dynamique du vivant

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Projeter avec la forme du vivant

144

Intretien avec Catherine Mosbach

156

La photographie de détail comme inspiration et outil de compréhension

176

Stimuler l’imaginaire pour comprendre

176

Conclusion

188

Bibliographie

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Avant-propos


DERRIERE L’OBJECTIF Parcourir les paysages peut avoir de nombreuses vertus. Pour certains il apaise, pour d’autres il fascine, il intrigue, il questionne. S’emparer graphiquement du paysage, le capturer, peut nous apporter une compréhension nouvelle. Réussir à capter un paysage par la photographie, c’est, quelque part, en prendre un morceau avec sois. Bien souvent, on utilise un grand angle pour pouvoir embrasser toute son étendue, mais parfois on s’intéresse à d’infimes détails et de nouveaux outils interviennent alors. J’ai abordé la photographie de paysage grâce à un petit appareil photo jetable qui me permettait en tout occasion de conserver un souvenir de ce que j’observais. C’était généralement des montagnes, là où la sensation de perte

Derrière l’objectif

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d’échelle est la plus grande. Là où les phénomènes météorologiques peuvent être éblouissants. Être au dessus des nuages ou dans les nuages. Souhaiter retranscrire la taille des montagnes, leur masse impressionnante. Il fallait quelque chose d’inhabituel, car les clichés étaient comptés. Chaque photographie constitue alors un instant précis, dont on se souvient tant la mise en place est importante pour obtenir un résultat convenable. Quelques années plus tard, après une pause prolongée, le moment est venu de renouer avec la photographie. C’est avec le passage au numérique que j’amasse les clichés, parfois de manière un peu boulimique, avec souvent moins de considération sur l’instant qu’avec l’argentique. Le numérique apporte une facilité dans le travail de la photographie.


Les photos qui ne répondent pas aux standards que l’on recherche, ou simplement au cadrage désiré, peuvent être simplement supprimées. L’expérimentation est alors plus facile, moins coûteuse. On peut également retravailler les images plus facilement à l’aide de logiciels exploitables par tous. C’est à ce moment que commence pour moi l’exploration des échelles. En parallèle, j’étudie la biologie à l’université de Rennes. Etape importante qui confirmera un attachement profond pour ce qui nous entoure au quotidien dés lors qu’on franchit le pas de la porte. C’est une source inépuisable de formes et j’aborde pour la première fois, grâce à des outils comme le microscope optique et électronique, la complexité et la richesse de ce qui est invisible à l’oeil nu. A présent, le téléobjectif

Micro / Macro

et l’objectif macro sont presque soudés à mon appareil photo. J’aime cette manière de montrer les choses comme l’oeil peut difficilement les voir, avec des sujets très détachés de l’arrière plan, des plans très rapprochés de ce qui est minuscule, finalement essayer de présenter ce que nous pensons bien connaître, avec un autre regard. Rechercher le détail parfois insignifiant, jouer avec les lumières, les contre-jours, offrir un angle de vue différent. Le cadrage, seul, est déjà une manière de présenter les choses. Il permet de montrer uniquement ce que l’on désire, et par opposition, d’oublier ce qui sera hors du cadre. Il expose le sujet qui fera l’essence de la photographie résultante. Mettre en lumière un élément plutôt qu’un autre, c’est le choix du photographe, il y a quelque chose de très personnel dans cette prise de décision

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Falaise microscopique

Derrière l’objectif

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Archipel des Bijagos et du parc national, Pesquet T., 2017

Micro / Macro

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qui n’appartient à personne d’autre, contrairement à la compréhension qu’on peut avoir de l’image, qui appartient quant à elle au spectateur.

LES PREMIERES REFERENCES La photographie comme la musique, la peinture ou la sculpture, comme chaque production artistique finalement, se nourrit d’inspirations. Ces images qui viennent se figer dans notre inconscient, à la seconde même où on les voit, souvent parce qu’elles nous ont touchées, interpellées, choquées. Le travail de Thomas Pesquet dans son livre Terre(s)1, a été un point de départ. Depuis la station spatiale internationale (ISS) et durant six mois, il a fait de nombreuses fois le tour de la Terre, à environ 28 000km/h, capturant toutes les ambiances, des grandes villes aux espaces

Pesquet T., Terre(s), Ed. Michel Lafon, 2017, 316p.

Le second livre m’ayant donné l’envie d’initier cette recherche est La Terre vue du ciel 2. Là encore, on peut lire la dynamique

Arthus-Bertrand Y., La Terre vue du ciel, Ed. La Martinière, 2005, 440p.

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Derrière l’objectif

vierges de toute habitation, depuis les pôles jusqu’à l’équateur. Sur environ 300 pages, il s’attache à montrer toute la puissance et la beauté de ce qu’il survole, proposant des images qui pourraient être des peintures, des lieux à la dynamique continue, en perpétuel mouvement qu’il a su figer en l’espace d’une fraction de seconde. Des formes, des motifs répétés, des couleurs, ce sont tant d’inspirations, justement, qui nous parviennent et l’émerveillement va grandissant au fil des clichés grâce à un point de vue inhabituel. L’ensemble des photos est pris depuis une zone de l’ISS que l’on appelle la Cupola, qui permet de prendre des photos à l’aplomb de la Terre.

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des paysages, grâce à des images prises cette fois depuis un avion, avec un angle de vue parfois légèrement différent, à l’oblique. Malgré la distance et la technique séparant les prises de vues, entre Thomas Pesquet et Yann Arthus Bertrand d’une part, mais aussi avec la photographie macro d’autre part, on peut faire une analogie entre les formes. C’est de cette constatation que commence la réflexion amenant à cet écrit.

Micro / Macro

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Grand Prismatic Spring, Yellowstone, Bertrand Y-A., 20102

Derrière l’objectif

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Titouan Joulain


Introduction

La photographie permet, par ses multiples usages, de créer différents sentiments chez le spectateur. Entre étonnement et admiration, choc et confort. La photographie n’est jamais dénuée de sens, elle n’est jamais neutre. Par cette porte d’entrée, on comprend que la photographie et son lien avec le paysage créent et stimulent un imaginaire. La photographie constitue le visuel, une certaine esthétique, et grâce à elle, on peut questionner les échelles, les différences, mais surtout les similitudes entre ces dernières. La question des échelles, du basculement entre le micro et le macro, et la manière dont il peut être complexe de les différencier, peut également être abordé par les mathématiques et la notion de fractale. La théorie, les calculs, ne sont cependant pas l’inspiration première. Le visuel, constitue un référence qui vient s’ancrer


dans l’esprit, la pensée profonde. Le basculement d’échelle est intéressant, mais ce n’est pas tant le fait de faire l’aller-retour qui participe à la création du projet, c’est plutôt la forme, la forme du vivant, qui a questionné, interrogé, et inspiré les paysagistes et les créateurs de tous bords. On s’intéressera ainsi à la question suivante: Comment le basculement des échelles, par l’usage de la forme du vivant, a participé au dessin du projet de paysage. Dans la première partie de cette étude, on abordera la question du point de vue, du détail et de l’échelle par l’intermédiaire de la photographie. A travers un bref historique de la relation entre le paysage et la photographie ainsi que des outils optiques, on cherchera à comprendre ce qui fait de la photographie un médium intéressant pour aborder le paysage à

Introduction

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toutes ses échelles. Dans une seconde partie, on s’attachera à expliquer la notion de fractale et les liens qu’on peut établir entre cette notion mathématique et le paysage, avec un questionnement sur le concept de distanciation. Cette partie concernera des bases de compréhensions pour aborder l’autosimilarité entre les échelles et la forme du vivant comme outil de design. Dans une troisième partie, on cherchera à montrer comment le basculement entre les échelles et l’utilisation de la forme du vivant a permis de créer, dessiner, des projets de paysage. Grâce à un protocole, comme une ouverture, on proposera une manière d’aborder le paysage et ses différentes échelles comme outil pour projeter.




Le paysage à travers l’objectif pour basculer d’échelle

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La photographie est un des nombreux outils disponibles pour aborder le paysage, essayer de s’en saisir et le comprendre. Au fil de cette partie, nous essaierons de donner des bases de compréhensions de cette pratique et son lien avec le paysage. L’objectif est d’étudier comment, au fil du temps, le médium et les avancées technologiques ont permis d’aborder de nouvelles manières de voir le paysage et de le retranscrire, notamment à travers la découverte de nouvelles échelles, micro et macro, auxquelles on ne fait pas tout le temps référence lorsque l’on parle de paysage. Le basculement engendré en voyageant d’un côté et de l’autre du spectre apporte une vision étonnante que nous nous attacherons à mettre en avant dans ce chapitre.

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Retranscrire le paysage par la photographie VISION PANORAMIQUE Observer le paysage est une démarche souvent personnelle et sa retranscription, lorsqu’elle est désirée, passe par différents médiums. En effet, certains choisissent de s’emparer du paysage par le croquis ou encore par la prise de notes, quand d’autres y préféreront la photographie. Ce medium est devenu l’un des plus utilisés, par ailleurs, avec l’avènement du smartphone. Permettant à chaque instant d’avoir un appareil photo avec soit. Dans tous les cas, il est quasiment impossible de retranscrire l’intégralité de ce qui se trouve autour de nous. Quand bien même

Micro / Macro

on s’essaierait au panorama, pensant capter l’ensemble des éléments, une partie du ciel sera oubliée, de même pour les endroits les plus rapprochés, les proportions également seront étirées, les différents plans écrasés. En résulte une image avec beaucoup d’informations, où le but n’est pas de sélectionner, mais de tout montrer, ou presque. Cet objectif n’est alors que partiellement atteint, le cadre est toujours présent, simplement allongé. Cela découle probablement du procédé. Le panorama est une composition de plusieurs clichés, liés, dans lesquels

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on apprécie la continuité et la sensation d’espace donnée. Le processus peut évidemment être modifié, amélioré, en changeant de focale par exemple, ou en prenant plus d’images. Le résultat sur papier, en 2D, peut alors avoir des qualités graphiques mais la perception du paysage est complètement modifiée, allant parfois à l’encontre de la sensation sur le terrain. Les technologies actuelles permettent, avec la réalité virtuelle notamment, de se ‘’balader’’ dans le paysage, dépassant la contrainte de la 2D. L’image à chaque instant reste déformée dans les angles, donnant une sensation d’irréel.

observe un détail comme la canette sur le bas-côté et qu’il percute le ciel dans le même espace temps’’,il ‘’ plaide par ailleurs pour une vision latérale, périphérique, celle qui balayant le visible comme un scanner saccadé, s’oblige constamment à le rapiécer, le rentoiler, le recomposer’’. (Hockney 19993) On comprend alors l’importance de vouloir tout montrer, mais dans le même instant s’attarder sur des détails qu’il pourrait être compliqué de mettre en évidence sur une composition d’image ‘‘parfaite’’, réalisée grâce à l’informatique ou directement à partir du boîter.

Certains artistes comme David Hockney ont poussé ce processus de composition des clichés en réalisant des collages après tirages. Vers les années 1980, l’artiste travaille grâce à la photographie. Il essaie de ‘’faire en sorte que le lecteur

On préfère bien souvent sélectionner une partie des éléments, les hiérarchiser, les cadrer, en omettant certains aspects au dépend d’autres. C’est un principe qui constitue d’ailleurs l’une des bases de la photographie.

Aillagon J-J, Livingstone M., Ottinger D., Wajcman G., Heymer K., David Hockney, Espace/Paysage, Ed. du centre pompidou 1999, 277p.

p. 24-25, Pearblossom Highway, Hockney D., 1986, Collage de photographies, 119,2 x 163,8 cm, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

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Vision panoramique

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Il est impossible, ou presque, de tout montrer. Vouloir tout montrer, d’ailleurs, peut apparaître comme une action qui va à l’encontre du medium. Le cadre permet de ne considérer et ne présenter que les éléments précis, d’intérêt. Cette démarche est alors très personnelle et n’appartient qu’au photographe. La prise de vue résulte de plusieurs éléments, le point de vue et la focale notamment, mais aussi la distance au sujet photographié. On considère que, selon la taille des capteurs, l’angle de vue binoculaire humain équivaut à une focale de 35 à 50mm, soit environ 62°. Alors, certains désireront se rapprocher de la vue humaine en utilisant des focales fixes, nécessitant de se déplacer pour capter le cadrage idéal. Ce type de photographie est très utilisé dans la photographie de villes notamment, ou d’architectures, mais il n’y

Micro / Macro

a pas de règle. Se déplacer, avancer, reculer, se mettre au ras du sol ou prendre de la hauteur, c’est ce qui apportera le cadrage final. C’est comme fermer les yeux et avoir une image qui persiste dans la rétine l’espace d’un court instant. D’autres préféreront le zoom, qui permet de changer la longueur de la focale sans changer d’objectif. Le zoom/dézoom sur un objet permet de s’en rapprocher ou s’en éloigner sans bouger. Les deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients, la seconde a le mérite d’être plus ‘‘flexible’’, mais on délaisse l’angle de vue fidèle à l’oeil humain. Dans tous les cas, il est intéressant de considérer le point de vue du photographe, sa distance par rapport au sujet, la direction, la hauteur. Le point de vue donne une indication sur la posture

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Limite du champ visuel gauche droit

94 à 110°

94 à 110°

Vision monoculaire

Vision monoculaire

62°

62° Vision binoculaire

Vision binoculaire

30 à 60° Discrimination des couleurs

5 à 30°

Reconnaissance des symboles

10 à 20°

Facultés visuelles chez l’homme

Vision panoramique

Reconnaissance des mots 0°

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Focale

Angle de champ

12°

200mm

24°

100mm

46°

50mm

35mm

63°

114°

14mm

‘‘ Fisheye’’

180°

Correspondances entre longueur focale et angle de champ

Micro / Macro

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physique, mais également morale du photographe. Cet instant et l’angle depuis lequel il est capté, est transféré au spectateur de la photographie. Se sentir intégré dans le cliché peut passer par le fait de contempler une image capturée au cœur de l’action, mais pas seulement. La question du point de vue a notamment été abordée par R. Depardon. Ce dernier considère en effet que prendre une image à hauteur d’homme est une attitude de respect adoptée à l’égard des personnes photographiées. Le sujet ici étant plutôt de considérer les différentes échelles, comme outils de compréhension, sans réelle réflexion concernant la posture de l’homme par rapport aux paysages photographiés. Nous nous interrogerons plutôt sur la manière de perdre pieds et de bouleverser l’imaginaire, que sur la place de l’homme

Vision panoramique

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au milieu de la complexité des espaces du visible et de l’invisible. D’une certaine manière, les outils permettant de voir ce qui est invisible à l’oeil nu, mettent à défaut le point de vue humain. Il reste opérateur mais devient dépendant des outils pour voir et comprendre. Sans ces outils, l’homme ne peut prendre la mesure de l’infiniment petit, il ne peut pas comprendre les plus petits éléments constitutifs du vivant. Il peut les imaginer, les calculer parfois, émettre des hypothèses, mais c’est l’imagerie qui fait sens et qui confirme. Par ailleurs, les sciences, la médecine et la physique ont progressé au fil des inventions optiques permettant de voir ce que l’homme sans outil n’était pas capable de voir.


LE DÉTAIL Détail, n, m : Un, des détails élément non essentiel d’un ensemble ; circonstance particulière. 4 L’intérêt de cette étude n’est pas tant d’obtenir un cadrage ou un point de vue qui pourrait être celui de nos yeux, mais plutôt de basculer dans un type de photographie qui déroute notre perception habituelle des éléments. L’optique est alors très importante et permet de voir ce qui est difficilement, ou qui n’est pas, perceptible à l’oeil nu. Photographier avec un téléobjectif ou un objectif macro, photographier depuis l’espace ou à travers un microscope apporte une considération très différente des constituants d’un ensemble. La prise de vue grâce à un téléobjectif ‘’aplati’’ l’image, les différents plans proches paraissent soudés et les plans éloignés paraissent,

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quant à eux, appartenir à un autre monde tant le flou engendré est profond. De l’autre côté du spectre, les objectifs macro permettent de se rapprocher du sujet, en révélant ses structures les plus fines. En évoquant des éléments de petites tailles, microscopiques, on pense souvent à des détails et c’est cette notion que nous allons ici aborder. Le détail est défini comme un ‘’élément non essentiel d’un ensemble’’. Il pourrait alors être contre-intuitif de considérer ces éléments qui ne sont pas directement indispensables. Cependant, cette notion est étroitement liée au point de vue. En effet, un détail peut être admis comme insignifiant, secondaire, accessoire pour certains, quand bien même ils le remarquent. Pour d’autres en revanche, ce détail peut devenir une clé de lecture de l’ensemble, un élément essentiel au point de le montrer, dans

Larousse, Ed. Larousse, 2019, 2044p.

Micro / Macro

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leur production artistique, comme la base de leur travail. Ce morceau, prend alors des proportions extravagantes, considérant ce qu’il était à la base. Le détail et l’essentiel sont deux éléments qui ne sont pas toujours clairement distincts. Selon la position, l’angle de vue, le détail deviendra l’essentiel porteur d’un sens capital pour la compréhension, ou au contraire l’essentiel deviendra détail, insignifiant, perdu dans un ensemble complexe duquel on ne saura extraire la clé. Le détail n’est pas inscrit comme tel dans un ensemble, c’est notre compréhension de la structure globale qui en modifie le statut. L’élément peut être inclus, englobé dans un système, et c’est notre compréhension, par la hiérarchisation qui en fera un détail ou un indice nécessaire. Cette mise en évidence est le fruit du discernement, qui peut

Chirollet J-C., La question du détail et l’art fractal (à bâtons rompus avec Carlos Ginzburg), Ed. Harmattan, 2011, 280p.

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Le détail

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passer par l’usage d’outils, comme le microscope ou des optiques adaptées. Si l’on prend l’exemple de la Terre (Chirollet, 20115), et des milliards d’individus partout autour du globe, renouvelés de générations en générations, on pourrait considérer que chacun de ces individus n’est qu’un infime détail de l’ensemble. Hors chacun de ces individus participe à constituer l’ensemble, et à son échelle ne peut être considéré comme un détail, de part ses relations sociales, son impact. Sur une échelle géologique, les milliers d’années durant lesquelles la population de l’homo sapiens n’a cessé croître, ne sont qu’une poussière comparée aux quelques quatre milliard et demi d’années que compte la Terre. Pourtant l’impact de l’homme sur cette dernière est indiscutable. De la même manière, la planète qui nous semble si grande,


sur laquelle nous vivons, qui semble regorger d’espaces infinis, la base de tout ce qui nous entoure, n’est qu’un grain de sable par rapport à l’immensité de l’univers. A ce titre, on peut effectivement dire que le détail est propre à chaque individu et dépend de la posture de celui qui en parle. Sur un tableau, le regardeur peut s’intéresser à une texture, à la lumière qui heurte la peinture étalée au couteau, lorsqu’un autre spectateur monopolisera toute son attention sur la structure globale et la composition de l’ensemble. L’artiste Michel Blazy a composé de nombreuses oeuvres sur le thème du végétal et de l’organique qui enveloppent, déteriorent ou magnifient des choses du quotidien. Certaines de ses oeuvres s’apparentent à des objets délaissés que l’on croiserait en forêt au détour d’un chemin, comme des chaussures habitées

par le végétal. L’intérêt que l’artiste porte à ces choses est très particulier. Dans son exposition Le grand restaurant par exemple, il présente des peaux d’oranges qui seraient systématiquement jetées par la plupart des gens, mais l’artiste dans son travail en fait une sculpture, le détail insignifiant devient alors oeuvre. Les peaux d’oranges amassées pourrissent et subissent l’action du temps. Ce n’est pas un argumentaire que l’artiste met en avant pour justifier ses sculptures. Il propose malgré tout une notice d’utilisation sur certaines de ses pièces, le spectateur devient acteur et s’empare alors de l’oeuvre, considérant en quelque sorte, le détail qu’il désire.

Exposition, Le grand restaurant, Le plateau, Blazy M., Paris, 20.09.2012 à 18.11.2012

Micro / Macro

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Bar Ă oranges, Source inconnue, 2012

Le dĂŠtail

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PROFONDEUR DE CHAMP OU PORTÉE DU REGARD La profondeur de champ est l’espace de la photo dans lequel on obtient une netteté du sujet satisfaisante. Avant et après cette zone, on constate un flou optique plus ou moins prononcé. Jouer avec la profondeur de champ permet de mettre en évidence le sujet, le détacher de l’arrière plan. Plus la focale est longue et l’ouverture est grande, plus cette profondeur de champs est réduite. Il existe aussi des variations selon la position par rapport au sujet. Néanmoins, cette notion ne peut pas, ou dans une moindre mesure, être prise en compte dans le cas où l’on photographie un plan globalement régulier et à l’aplomb. En effet, dans ce cas il n’y a pas de profondeur, donc l’ensemble de l’image est nette si le focus est ajusté sur le plan.

Micro / Macro

Malgré tout, le processus peut-être très intéressant, notamment en macrophotographie. En effet, dans ce cas, la profondeur de champ peut être inférieure à un millimètre, ce qui permet d’obtenir des résultats complètement différents en ajustant la mise au point. Dans le cas d’un élément qui pourrait s’apparenter à un paysage microscopique, on peut changer complètement d’ambiance en décalant la zone de netteté. Comme un voyage dans l’échelle microscopique, l’opérateur déambule alors dans les territoires: de la montagne abrupte au désert du Sahara. Ce processus est en même temps instable, on perd pied rapidement, à la manière d’un trajet sur google earth, ne reconnaissant plus ce qui se passe sous l’objectif et ce que l’on voit d’un point de vue humain.

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Zone de netteté F11 35mm

Zone de netteté F5.6 100mm

Zone de netteté F2.8 200mm

Effet de la longueur focale et l’ouverture sur la profondeur de champ

Profondeur de champ

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Cette série a été capturée selon un point fixe, sur trépied. Seule la zone de mise au point a été modifiée, apportant des atmosphères et des sensations de relief très différentes. De la montagne escarpée au sol rocailleux.

Micro / Macro

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Profondeur de champ

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La photographie et le paysage Photographie, n, f : Technique permettant d’enregistrer l’image des objets par action de la lumière sur un support rendu photosensible par des procédés chimiques ou sur un capteur photosensible à semiconducteur. 4

Micro / Macro

L’essor de la photographie et des connaissances techniques à partir du XVIe siècle, puis plus rapidement à partir du XIXe siècle, a permis de nouvelles manières de photographier et d’envisager la photographie. Petit à petit, les hommes se sont de plus en plus rapprochés de la surface à photographier, ou au contraire ont cherché à s’en éloigner. Cela grâce à plusieurs technologies combinées. La photographie évidemment, mais également le microscope (optique et électronique), l’aviation, la conquête de l’espace et la miniaturisation de l’électronique.

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BREF HISTORIQUE TECHNIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE Le principe initial de la photographie existerait depuis le IVe siècle avant notre ère sous la forme de la camera obscura. Chaque objet réfléchit des ondes lumineuses, c’est ce qui nous permet de les voir. Grâce à un petit trou dans une boîte, les rayons réfractés qui émanent de l’objet arrivent selon un seul point et dessinent alors une silhouette précise et inversée sur l’écran placé derrière. On attribuera cette invention au chinois Mozi. Aristote en fera également mention dans le livre qu’on lui attribue Problema physica. La photographie est le résultat des avancées technologiques selon plusieurs domaines. Elle nécessite en effet des connaissances optiques, mais également chimiques.

Benjamin W., Petite histoire de la photographie, Réédition Allia, 2012, 48p. Tirée et traduit du texte, Kleine Geschichte der Photographie, Benjamin W., 1931

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Historique technique

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Les premiers clichés remontent à 1826 quand Joseph Nicéphore Niépce fixe les premières images sur des plaques d’étain recouvertes de bitume de Judée. Avant cela, il avait déjà obtenu quelques résultats, non durables, dont un premier en 1816. Dans le même temps, Louis Jacques Mandé Daguerre va collaborer avec Niépce avec pour objectif de perfectionner le premier prototype : l’héliographe. Ce dernier mourra en 1833 et l’invention sera finalement attribuée à Daguerre qui travaillera sur la chimie du procédé. ‘‘ Les photographies de Daguerre étaient des plaques d’argent iodées et exposées dans la camera obscura, que l’on devait tourner en tous sens jusqu’à ce que l’on discerne, sous le bon éclairage, une image d’un gris tendre’’ (Benjamin, 2012) 6. Effectivement, en utilisant l’iode comme agent sensibilisateur sur


Cette série a été réalisée grâce à une camera obscura derrière laquelle on a placé un appareil photo numérique afin de concerver la trace de l’image obtenue. Les clichés on subit une rotation à 180°.

Micro / Macro

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une plaque de cuivre recouverte d’une couche d’argent poli, on obtient une substance qui est plus sensible à la lumière que le bitume initialement utilisé. Daguerre fixera ensuite l’image dans une solution saline, pour l’empêcher de noircir avec le temps. Ce procédé portera le nom de son inventeur ; le daguerréotype. Par la suite, on invente le négatif. On évoque souvent Talbot, mais de nombreux chercheurs étudient le procédé en se revendiquant comme les inventeurs de la photographie. Le négatif prendra plusieurs formes, de la feuille de papier enduite jusqu’aux films souples, en passant par la plaque de verre. Ce procédé sera très utilisé par Nadar notamment, et a comme intérêt certain d’autoriser la reproduction des images à partir du négatif. Il l’utilisera dans ses photographies aériennes de Paris. La couleur apparaît

Historique technique

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à la fin des années 1860. En 1869, Charles Cros et Louis Ducos du Hauron présentent le procédé à l’académie. Il se base sur une triple exposition, correspondant aux trois couleurs primaires. Les frères Lumière inventent l’autochrome en 1907, qui permettra d’obtenir une image en couleur à partir d’une seule exposition de quelques secondes. Le petit format fera son apparition en 1913, avec notamment le premier Leica qui sera commercialisé à partir de 1925 et qui sera le premier appareil utilisant le format 24x36. L’ère du numérique apparaît au XXIe siècle, avec un capteur photosensible à la place d’une surface sensible dont l’image est révélée chimiquement.


LA PHOTOGRAPHIE POUR MONTRER ET ÉTUDIER LE PAYSAGE Dès ses débuts, la photographie a permis de montrer les paysages et les rapports entre la capture d’image et les espaces ont été source de questionnement quant au cadrage et la composition depuis les prémices de cette pratique. (Frangne & Limido, 2016)7. Cette partie n’a pas pour objectif de présenter une histoire complète de la photographie, mais simplement un bref résumé des relations entre la photographie et le paysage, à dessein d’en savoir un peu plus du lien entre les deux pratiques, ce qui nous intéresse est plutôt la photographie de paysages différents, microscopiques ou observés depuis l’espace. Le paysage photographique et la photographie de paysage sont deux notions

bien distinctes. Par paysage photographique, on embrasse la notion de la création par la photographie et toutes les prises de vue grâce à un appareil photo. Par la photographie de paysage, on entend l’image du paysage, une image fixe, par laquelle on présenterait le paysage pour ce qu’il est sans interprétation propre du photographe. De ce fait, on pourrait considérer que le paysage photographique est d’une richesse plus grande que la photographie de paysage, ou le paysage en tant que tel, étant donné que le photographe, de part sa posture et la richesse de son regard, peut potentiellement proposer une infinité d’images, racontant des histoires très diverses, quand le paysage est de nature finie. La relation au monde change radicalement dans les années 1860, après l’invention de la photographie. Les

Frangne P-H. (dir.), Limido P. (dir.), Les inventions photographiques du paysage, Ed. Presses universitaires de Rennes, 2016, 210p.

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Micro / Macro

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Point de vue du Gras, Nicéphore Niépce, 1826

Cette photographie est la première photographie connue. Prise en 1826 grâce à une plaque d’étain recouverte de bitume de Judée, elle a nécessité une exposition de dix heures.

Montrer et étudier le paysage

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La Mer de Glace et le groupe des grands Charmoz, Frères Bisson, 1860, Société Française de la photographie

Micro / Macro

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La Mer de Glace, Claude SĂŠbastien Hugard de la Tour, 1862

Montrer et ĂŠtudier le paysage

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paysages montrés ne sont plus simplement des peintures, mais également des photographies, qui montrent toute la complexité et la profondeur des paysages. A cet instant, on questionne d’ailleurs la nécessité de continuer à peindre. Pourquoi peindre des paysages alors que la photographie peut représenter les choses? Sans entrer dans ce débat très complexe, la peinture et la photographie sont deux disciplines très différentes, même si elles peuvent se recouper sur bien des points. Alors que la peinture permettra durant des siècles de représenter les icônes, de magnifier les choses, présenter ce qui n’est pas, à priori, réel, la photographie peut avoir un aspect plus objectif. Les choses sont plus directement captées comme elles sont, sans transfiguration ou mise en scène. Evidemment la photographie n’est pas exempte de la mise en

Micro / Macro

scène, mais le principe premier est de montrer les choses comme elles sont. La photographie permet de montrer les paysages dans leurs moindres détails, dans toute leur globalité. Alors que la peinture sera indéniablement tirée d’une impression et vecteur d’une histoire qui ne pourra pas avoir la complexité de la photographie. La photographie n’a donc pas eu vocation à remplacer la peinture, mais a offert de nouvelles perspectives. D’une part, ce médium montre les choses de manière littérale et fidèle. Retranscrire par la photographie a été pendant longtemps la façon la plus précise et objective d’illustrer les paysages. D’autre part, elle a permis l’étude du territoire. On pourrait notamment citer la mission de la Datar qui, dans les années 80, participe à décrire le territoire français, grâce au concours

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de vingt-neuf photographes, qui ont eu pour mission à la fin des trentes glorieuses, de photographier, quadriller l’espace, et donner une nouvelle importance à la richesse des paysages, parfois peu connue. (Bertho, 2014)8 Les lieux du quotidiens, les grands ensembles, les zones industrielles, cette mission a offert un nouveau regard et fait preuve d’une richesse jusqu’alors inégalée sur le territoire Français. Le but est de montrer, comprendre les dynamiques, mais aussi de modifier la manière de vivre le territoire et d’engager une transition vers de nouveaux modes d’appréhension des espaces et des usages. La photographie a donc un lien très étroit avec le paysage, notamment pour son étude. Mais elle permet également de dévoiler des paysages qui ne sont pas directement visibles, selon la manière dont le

Bertho R., La mission photographique de la Datar: Nouvelles perspectives critique, Paris, Ed. Documentation Française, 2014, 181p.

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Montrer et étudier le paysage

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photographe cadre, met en évidence certains aspects plutôt que d’autres. On peut alors considérer le paysage par son détail, ou par sa globalité en prenant du recul. La photographie est donc un outil de captation essentiel pour produire de l’imagerie, source d’inspiration et d’expérimentations.


Palais officiels et bureaux, Milovanoff C., Mission photographique de la DATAR, non datĂŠ

Micro / Macro

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Plages du débarquement, Normandie, Alain Ceccaroli Mission photographique de la DATAR, non daté

Montrer et étudier le paysage

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Série Lieux communs, Lyon, Budapest, Rome, etc, Dominique Auerbache Mission photographique de la DATAR, non daté

Micro / Macro

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De l’infiniment petit à l’infiniment grand, un aller-retour LA MICROSCOPIE Depuis les premiers microscopes optiques, qu’on ne sait pas dater précisément mais qui trouveraient leurs origines dans les années 1600, voire un peu plus tôt (fin du XIVe siècle, 1589), par invention des frères Jansen, d’énormes progrès associés à la recherche scientifique ont été menés. Les premiers microscopes n’étaient constitués que d’une seule lentille. Le microscope composé, lui, formé de deux groupes de lentilles, n’a vu le jour qu’au XVIe siècle. Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant l’apparition du microscope, mais la

captation d’images à travers ce dernier. Il semblerait que l’un des premiers ouvrages concernant le sujet date de 1909. Grâce à un système de chambre photographique associée à un microscope optique, Arthur E. Smith de l’université de Californie, photographie de nombreux sujets qu’il publiera dans le livre Nature through Microscope & Camera 9 à l’attention des étudiants en biologie. Il explique alors toute la technique mise en œuvre derrière ses clichés afin de rendre reproductible le procédé, avec des calculs très précis concernant le temps d’exposition, la lumière nécessaire et notamment la préparation

Smith A. E., Nature through Microscope & Camera, London, Ed. The Religious Tract Society,1909, 350p.

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Arthur E. Smith et son dispositif permettant de capturer des images Ă travers le microscope, 1909 9

La microscopie

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Part of a diatom, Coscinodiscus bi-angulatus, Arthur E. Smith, 19099

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des échantillons. Cette publication prend avant tout un caractère scientifique mais on y comprend que la photographie à travers le microscope en est encore à ses balbutiements, malgré le fait que les clichés soient d’une qualité remarquable et feront d’ailleurs l’objet d’expositions à l’Imperial institute de Londres. Pour se rapprocher encore plus du sujet, les scientifiques ont inventé le microscope électronique, il permet de distinguer des objets avec un grossissement de l’ordre du million de fois, tandis que les microscopes optiques permettent d’aller jusqu’à un grossissement de quelques milliers de fois. Le microscope électronique à transmission naît dans les années 1930 en Allemagne, suivra ensuite le microscope électronique à balayage. A la différence du microscope optique, qui utilise de la lumière, le microscope électronique

La microscopie

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utilise des électrons dirigés vers le sujet qui n’est pas directement visible. L’image résultante est en réalité une interprétation électronique de la topographie de l’échantillon, détectée par une sonde captant les électrons secondaires (après avoir frappé l’échantillon). Ce n’est donc pas exactement le même procédé de captation d’image que la photographie numérique, mais on retrouve le principe de base de la photographie, qui est d’imprimer l’image du réel sur une surface sensible.


LA PHOTOGRAPHIE AÉRIENNE De l’autre côté du spectre de la photographie, quand on a cherché à voir de plus loin, prendre du recul sur le sujet à photographier, il y a d’abord la photographie depuis les premiers engins volants. Après les premiers croquis de Léonard de Vinci concernant des engins volants va suivre une longue traversée du désert qui durera deux siècles. L’aviation moderne trouve ses origines à la fin des années 1800 grâce au Britannique George Cayley. Il met en évidence les forces à vaincre de l’aviation : la traînée et le poids. Avant le premier vol transportant l’humain en 1891 (Otto Lilienthal), de nombreux prototypes ont été expérimentés, par les frères Voisin notamment. En parallèle, on n’a pas attendu que l’avion puisse

transporter l’homme pour faire décoller des appareils photos. Nadar, proposait en 1858 la première photo aérienne du sud de Paris, depuis un ballon captif. Il écrit à ce propos : ‘‘Sous nous, comme pour nous faire honneur en accompagnant notre marche, la terre se déroule en un énorme tapis sans bords, sans commencement ni fin, aux couleurs variées où la dominante est le vert, dans tous ses accents comme dans tous ses mariages. (...) C’est bien en effet le planisphère, car nulle perception des différences d’altitudes. (...) Et quelle pureté des lignes, quelle extraordinaire netteté d’aspect par les exiguïtés de ce microcosme où tout nous apparaît avec l’exquise impression d’une merveilleuse, ravissante, propreté ! Pas de scories ni de bavures. Il n’est tel que l’éloignement pour échapper à toutes les laideurs...’’ (Nadar, 199910).

Nadar, Quand j’étais photographe, Réédition Actes Sud, 1999, 139p. Première édition en 1900

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Vue aérienne du quartier de l’Etoile, Nadar F., 1868 11

Photographies de Paris, capturée par Nadar depuis un ballon avec un appareil photo à bord.

La photographie aérienne

Nadar F., Vues aériennes du quartier de l’Etoile, 1858, épreuve sur papier albuminé, 230x287, Paris, Musée d’Orsay, PHO19912-168

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La photographie aérienne marque un tournant dans la manière d’aborder les espaces, une nouvelle vision dont se sont emparés les artistes de tous bords, mettant fin aux conventions perspectivistes. (Ger L’image a alors un tel poids et une telle exactitude qu’elle questionne l’intérêt formel de la carte. Les premières expéditions sont menées pour cartographier, nécessitant des principes de triangulations afin de couvrir tout le territoire. C’est Nadar qui déposera un brevet en 1858 concernant l’emploi de la photographie pour créer des plans. (Gervais, 200112) Pendant la Première guerre mondiale que la photographie aérienne prend des gallons. C’est d’ailleurs le cas de nombreuses technologies, la guerre a souvent été un vecteur de progression rapide dans différents domaines. Il y a, en effet, un réel enjeu stratégique à prendre des photos depuis les airs, afin notamment de faire un état des lieux

de la situation au sein des lignes adverses. A cette période sont déployés les ‘‘pigeons photographes’’. En les lâchant à un endroit, on savait le temps qu’ils prendraient pour retourner au colombier. Cela permettait de définir l’heure à laquelle le pigeon allait survoler la zone d’intérêt, et donc paramétrer le retardateur en conséquence. Cette technique a été finalement peu utilisée, car assez aléatoire et peu précise. La seconde guerre mondiale ensuite a permis un nouveau développement considérable de la photographie aérienne pour arriver à ce que nous connaissons actuellement. Les drones notamment on permis un essort de la photographie aérienne qui est dorénavant de plus en plus pratiquée, s’emparant d’une place grandissante dans la photographie de paysage. Le point de vue inédit apporte une compréhension différente et nouvelle.

Gervais T., Le basculement du regard, les débuts de la photographie aérienne 18551914, Etudes photographiques, 9, Mai 2001

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Cappellari F., Islande, 2017

La photographie aĂŠrienne

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Photographie satellite

Photographie aérienne Photographie avec un drone

Point de vue humain Macrophotographie Microscopie optique Microscopie électronique

Pla Principe de l’orthophotographie

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np

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ra to g

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NOTION D’ÉCHELLE Échelle n. f : Rapport d’une longueur sur une représentation graphique, cartographique, photographique, sur une maquette, un modèle réduit, etc., à la longueur réelle correspondante. (L’échelle peut être indiquée sous la forme du nombre exprimant ce rapport ou représentée graphiquement par un trait gradué. Le document représenté est d’autant plus détaillé que l’échelle est plus grande.) 4 Le propos ici est de parler d’une méthode un peu différente, avec un angle par rapport au sujet qui n’est pas le même que dans la photographie ‘‘traditionnelle’’, si on peut ainsi la nommer, qui adopte un point de vue humain, avec un angle et une profondeur de champ qui se rapprochent également de l’œil humain. ‘‘L’élévation du regard, qui devient

Lampe A. (dir.), Vues d’en haut, Ed. Flammarion / Centre Pompidou Metz, 2013, 432p.

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Notion d’échelle

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panoramique, permet la découverte d’un monde aplani. Cette nouvelle perspective, vient avec l’essor de la photographie aérienne, elle a des répercussions sur la manière des artistes de représenter les choses et notamment les perspectives hérités de la Renaissance’’ (Lampe, 2013 13). En se plaçant à l’aplomb de la surface à photographier, on obtient, selon la distance à laquelle on se place, différentes échelles résultantes et ainsi une précision différente. C’est le principe de l’orthophotographie. Cela dépend, bien évidemment, de la focale utilisée. En effet, en jouant sur ce paramètre, on peut obtenir les mêmes échelles résultantes selon différents points de prise de vue. Ce procédé est notamment utilisé pour les photos prises depuis les satellites, qui sont retravaillées (pour réduire la déformation qu’infligent les optiques) et assemblées


DĂŠcomposition du film Powers of Ten, une image par intervalle de 10 secondes.

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Eames C., Eames R., Powers of Ten, 1977, film couleur, USA, IBM, 9 min.

Notion d’échelle

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afin d’obtenir une vision d’ensemble d’un site ou de l’ensemble de la planète. On peut assimiler la prise de vue depuis un microscope à de l’orthophotographie. En effet, on se place à l’aplomb du sujet pour en capter les détails. Il y a ainsi un grand écart entre les échelles, à la manière de Powers of ten. Ce film expérimental dans lequel les américains Charles et Ray Eames opèrent successivement un dézoom sur la Terre, jusqu’à 1026 mètres (100 millions d’années lumières), puis un zoom jusqu’à 10-16 mètres (0,0000001 nanomètres), montre à quel point les échelles sont vertigineuses. Ce grand écart n’est pas sans intérêt, car on retrouve bien souvent des similarités que l’on essaiera de mettre en évidence grâce à un corpus d’images dans la partie suivante.

avec pour seule condition d’avoir une connexion internet, d’accéder à des photos aériennes et satellites de l’ensemble du globe. La résolution diffère en fonction des pays et de la couverture photographique disponible, offrant des échelles d’appréhension diverses, avec des résolutions extrêmement précises sur certaines zones, lorsque d’autres ne sont quasiment pas couvertes par le dispositif. D’autres photos satellites sont accessibles, comme celles proposées par Bing.

Avec google earth et google map, la firme américaine a permis au monde entier,

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Sahara, Google Satellite

Notion d’échelle

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Le paysage, une fractale?

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Au sein de cette partie, on s’attachera à répondre à la question suivante: estce que le paysage peut être considéré comme une fractale? La question de la fractalité n’est pas simplement une question mathématique, à laquelle on pourrait répondre grâce à des calculs. C’est une question plus profonde qui fait appel à la notion d’échelles, et leurs interrelations. C’est pour cela que dans un premier temps, on s’intéressera au basculement d’échelles par l’intermédiaire de la photographie. Comment les choses peuventelles s’apparenter à différents niveaux? Les mathématiques sont une source indirecte d’inspiration mais c’est finalement la forme étudiée du vivant qui fait sens.

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Confusion des échelles et distanciation OBJECTIVITÉ DE LA PRISE DE VUE La notion d’objectivité a beaucoup été questionnée à travers de nombreux écrits de scientifiques et philosophes. Comment considérer que nous sommes objectifs alors que de multiples facteurs nous influencent au quotidien, bouleversant notre manière de voir et d’exprimer les choses? Comment savoir si un article, une photographie, un discours est objectif? Il n’y a pas de réponse précise à cette question mais néanmoins nous allons aborder quelques pistes de réflexion à ce propos. Plusieurs mouvements se sont succédés concernant

Micro / Macro

la définition de ce qui était objectif ou ne l’était pas. Afin d’illustrer ce propos, nous prendrons pour commencer l’exemple bien connu des éclaboussures de gouttes d’Arthur Worthington 14. Ce dernier théorise sur la forme que dessinera la goutte en entrant en contact avec une surface lisse. Ses gravures en attestent; selon les calculs, la forme obtenue sera parfaitement régulière et symétrique. Mais avec l’apparition de la photographie, on observe finalement que la forme n’est jamais parfaite et cette perfection est d’ailleurs impossible à reproduire pour cet exemple précis. Il y a toujours un défaut, quelque chose en excès, une petite imperfection

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Gravures d’éclaboussures de gouttes, Arthur Worthington, 1877 14

Daston L., Gallison P., Objectivité, Ed. Presses Du Reel, 2012, 576p.

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Objectivité de la prise de vue

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Photographies d’Êclaboussures de gouttes, Arthur Worthington, 1894 14

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qu’il faudrait gommer pour que la théorie se vérifie. Il en est de même pour les flocons de neige qui ne sont jamais complètement symétriques lorsqu’on les prend en photo, malgré tous les modèles scientifiques prédisant le contraire. On cherche à théoriser et à dessiner des généralités pour ce qui nous entoure, nous persuadant que la perfection désirée existe, au point de perdre toute objectivité. De la même manière, les espèces naturelles sont toutes décrites selon un individu dit ‘‘type’’, qui donnera les caractéristiques de l’espèce considérée. Mais lorsque Linné demandait à un dessinateur de reproduire un échantillon, il est évident que ce dernier supprimait les défauts, même mineurs, de ce qu’il observait lorsqu’il le retranscrivait. Dès lors, on peut questionner l’objectivité de la représentation.

Objectivité de la prise de vue

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Il en est de même pour la photographie. De part son cadrage, on peut considérer que la photographie n’est jamais objective. En effet, la photographie nécessite, sauf exception, l’intervention d’un opérateur qui fera des choix sur la manière de présenter le sujet, de le mettre en lumière, sur les éléments du cadre qu’il conservera ou au contraire qu’il omettra. Ce qui nous intéresse ici est le basculement d’échelle grâce à la photographie. L’absence de repères connus nous donnant la notion d’échelle peut alors amener à une confusion. Ce processus n’est pas objectif, à partir du moment où il est désiré par l’opérateur. Cependant, cette réflexion connaît ses limites qui peuvent être mises en avant. Pour cela, nous exposerons le cas de la photographie de la Nasa présentée ci-après. Cette vue de ‘‘Vera Rubin Ridge’’ est une composition


Vera Rubin Ridge, Nasa, 2017

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de dix images, assemblée de manière informatique, permettant d’embrasser un champ plus large. Elle a été capturée par le robot Curiosity sur Mars et présente ce qui pourrait sembler, à première vue, être une falaise de haute montagne. En réalité, il n’en est rien. L’échantillon représenté ne faisant que cinq mètres de large. Dans un second exemple, on peut évoquer une autre image de la Nasa, représentant la surface de Mars. Malgré une analyse minutieuse, en l’absence d’échelle il est impossible de savoir si l’espace considéré représente quelques millimètres, quelques centimètres, quelques mètres, ou bien de l’autre côté du spectre, des centaines de kilomètres. Les tracés sont semblables à des marques laissées sur le sable quand la mer se retire. En l’occurence, cette photographie montre des

Objectivité de la prise de vue

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traînées de poussière de grande envergure, comme des dunes à l’échelle terrestre. Ces images, comme d’autres provenant de missions scientifiques et qui n’ont pour objectif que de présenter la nature du sol, nous montrent que même lorsqu’il n’est pas explicitement désiré, le basculement entre les échelles peut intervenir et l’absence de repère ou d’objet de taille connue peut entraîner la confusion.


Poussières sur Mars, Nasa, 2017

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ObjectivitĂŠ de la prise de vue

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NOTION DE DISTANCIATION ‘‘Cette réflexion s’appuie sur le concept théâtrale de l’effet de distanciation de Brecht : voir d’en haut nécessite un effort de la part de l’observateur, en vue de reconstituer le sujet et le contexte de l’image. Se muant en un processus constructif, l’acte de voir amène le spectateur à prendre conscience de son pouvoir de renversement: celui-ci est en effet capable de recréer une image à partir d’une vue concrète. Au milieu des années 1920, émerge sous la plume de László Moholy-Nagy une nouvelle conception esthétique qui marque la photographie moderniste à travers l’Europe. L’essence de cette Nouvelle Vision, qui privilégie les angles de vue insolites comme celui de la plongée, réside dans une complexification de notre mode de perception.’’ 12

La notion de distanciation apparaît avec l’essort de la vue aérienne. Cette nouvelle manière de photographier les villes, les paysages naturels, donne de la matière aux photographes, peintres, philosophes. La vue en plongée nécessite un effort de compréhension, trouver les bonnes références

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qui nous permettront d’avoir la notion d’échelle et de comprendre la photographie. Sans cela, le cliché n’est alors que texture, inabordable pour le spectateur, du moins pas en tant qu’espace. Rechercher le référentiel n’a rien de quelque chose d’anodin, il est indispensable pour avoir la pleine notion

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Ligne côtière ou terre sèche, 2019

Notion de distanciation

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de la photographie. Le photographe peut s’affranchir de ce référentiel, grâce au cadrage qu’il mettra en oeuvre pour essayer de bouleverser la perception. Cependant dans d’autres cas, on apporte un élément qui donne la clé, un indice indispensable pour avoir la notion de la taille réelle des choses. Pour les photographies scientifiques de paléontologie par exemple, on choisit d’apposer une échelle sur l’échantillon, ou bien un objet de taille connu, qui peut être un stylo, un marteau. Dans les photographies de ville, que ce soit à l’aplomb ou depuis un point de vue insolite, on appréciera la présence d’une personne, qui permettra automatiquement au cerveau de situer l’action et d’avoir la notion des distances. Il n’est pas forcément nécessaire de vouloir tout comprendre, tout calculer, et avoir un contrôle total sur ce

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qu’on observe. Parfois l’absence de repère transporte simplement le spectateur dans un imaginaire, au sein duquel il pourra avoir sa propre compréhension et sa propre vision. C’est d’ailleurs cette perte d’échelle, ou cette perte de contrôle sur la compréhension des images qui nous intéressera dans la prochaine partie. Dans laquelle nous expérimenterons le phénomène à travers un corpus d’images.

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SE PERDRE DANS LES ÉCHELLES PAR LA PHOTOGRAPHIE En amassant les clichés, de manière presque boulimique et assez désordonnée, m’intéressant à la forme uniquement et systématiquement, je me suis rendu compte qu’il était très facile et rapide de confondre les échelles et les points de vue et ainsi de s’y perdre. Comme la paréidolie, effet de reconnaître des formes humaines dans les objets ou les éléments du quotidien, on cherche souvent dans n’importe quel cliché à associer des formes connues, dans le cas présent, des paysages. Certains artistes ont fait de ce phénomène le point de base de leurs créations. D’autres évoquent très peu ces similarités entre les échelles mais la notion est bien souvent sous-jacente dans les différents travaux.

Micro / Macro

On remarque assez rapidement que ces oeuvres ont été en lien direct avec les améliorations techniques et de nombreux artistes ont revendiqué le fait d’être les précurseurs comme dans le ‘‘nano-art’’. Nous allons ici nous attacher à comparer les formes, de l’échelle microscopique à la grande échelle à travers un corpus d’images, en essayant d’évoquer les liens entre chaque documents quand ceux-ci ont été désirés ou étudiés. L’idée sous-jacente est d’aborder la perte d’échelle, et de toucher du doigt la sensation de perte de repères visuels que peut engendrer la photographie microscopique, et les liens esthétiques qu’elle peut avoir avec la photographie aérienne ou satellite.

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Elevage de poussières A l’origine appelée Vue prise en aéroplane par Man Ray, cette collaboration avec Marcel Duchamps sera finalement signée des deux hommes en 1934 et rebaptisée Elevage de poussière. On comprend dés lors la place qu’a eu la confusion des échelles dans cette photographie. Que pouvons-nous y voir ? Est-ce une vue aérienne ou un plan rapproché ? Un champ de bataille ou un amoncellement de poussières ? Est-ce un paysage ou une nature morte ? En l’absence de référentiel, il est presque impossible de le dire. Cette image est en effet très semblable aux photos de guerre, prises depuis les ballons dirigeables. On connaît à présent l’histoire de cette image. Marcel Duchamp a laissé s’accumuler de la poussière pendant des mois sur son Grand Verre,

Duchamp M., Duchamp du signe, Ed. Flammarion, 2013, 313p.

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Se perdre dans les échelles

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la dirigeant finement et a demandé à Man Ray de la photographier. L’histoire, décrite par Man Ray apparaît notamment dans le livre Duchamp du signe 15. Cette photographie a été très étudiée et c’est devenu une icône. On peut analyser le travail de certains artistes contemporains comme Sophie Ristelhuber. Leurs clichés présentés en comparaison, il est impossible de déterminer s’ils représentent le désert du Koweït vu d’avion ou le grand verre de Duchamp capté en plongée. Sophie Ristelhueber, frappée par l’aspect similaire des deux photographies, a d’ailleurs choisi pour titre À cause de l’élevage de poussières de Man Ray.


Elevage de poussières, Duchamp M. & Man Ray, 1920 16

Duchamp M. & Man Ray, Elevage de poussières, 1920, Négatif argentique sur film souple, 9,20 x 12 cm, Centre pompidou

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A Cause de l’élevage de poussières de Man Ray, Ristelhueber S., 1991 17

Ristelhueber S., A cause de l’élevage de poussière, 1991, Tirage pigmentaire noir et blanc encadré et sous plexiglass, 155 x 190 cm

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Innerspace Michael Oliveri, de l’Université de Géorgie nous emmène dans un micro-monde avec son projet Innerspace. Il utilise le terme de ‘‘nano-art’’ pour qualifier son travail, dans lequel il crée, en étroite collaboration avec le scientifique Zhengwei Pan, des nano-structures qu’il photographiera au microscope électronique. A propos de leur collaboration, Oliveri définit les choses comme ceci : «Je leur prends des échantillons, ce qu’ils préparent et cuisinent, et je voyage à travers, comme un touriste, comme un paysagiste, voyageant à travers le sudouest ». On comprend ainsi que le lien figuratif avec le paysage est très présent et est un moteur de sa création artistique. On peut imaginer des collines, avec des gros blocs de roches, on imagine l’horizon à l’arrière plan. Là aussi, la

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perception est personnelle, mais évoque le souvenir ou l’impression de quelque chose que l’on connaît, chez chacun d’entre nous. Ce qui est particulièrement intéressant dans ce travail, est le fait qu’Oliveri conçoit les choses, il n’est pas simple spectateur, cadrant où il désire, mais également créateur de la matière qui lui sert de sujet.

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Innerspace, Echantillons: Pan Z. / Image: Oliveri M., 2008 18

Oliveri M., Innerspace, 2008, Photographie noire et blanc au microscope ĂŠlectronique, The Sovereign, Atlanta GA

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Se perdre dans les ĂŠchelles

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The Irrefutable, Rose-Lynn Fisher, 2013 19

Fisher R-L., Topography of tears, Ed. Bellevue Literary press, 2017, 128 p.

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Topography of tears Rose-Lynn Fisher, a mis en place un protocole pour son exposition ‘’Topography of tears’’19 (La topographie des larmes), elle prélève les larmes de joie mais aussi de tristesse, des gens de son entourage ainsi que les siennes pour les analyser par la suite au microscope et les photographier. Cela permet selon elle de ‘’révéler les territoires enfouis en chacun de nous’’. Il y a donc belle et bien une idée de paysage qui se reflète dans la photographie à travers le microscope dans sa démarche, et le résultat qu’elle présente au palais de Tokyo nous fait penser à des cartes ou d’anciennes vues aériennes de la première guerre mondiale, à l’instar de la photo de Man Ray évoquée plus tôt. Ces images, en noir et blanc, transportent dans un imaginaire qui, si il n’est pas calqué sur le réel, l’évoque de manière certaine. On

Se perdre dans les échelles

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peut notamment retrouver ce qui est semblable à des méandres ou des chaînes de montagnes.


Frozen embryo Dans sa série Frozen Embryo, Hans Danuser photographie des embryons artificiels, créés et congelés dans des blocs de glace. La microscopie lui permet ici de ne pas se focaliser sur le sujet à identifier, mais de voir plus loin et explorer les structures que constitue ce microcosme. Les embryons se présentent comme des ‘‘paysages microscopiques’’. Chez Hans Danuser, l’image de microscopie offre la possibilité d’une perte de repères entre la figure et le paysage, mais aussi entre l’intérieur et l’extérieur. Ses photographies activent l’imagination du spectateur, l’incitant à regarder l’embryon comme s’il s’agissait de regarder des nuages ou des constellations, donc regarder vers le haut.

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Frozen Embryon, Série II, Hans Danuser, 1998-1999 20

Danuser H., Frozen Embryo, Série II, 1998-1999, Photographie sur papier baryta, 141x150,

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Se perdre dans les échelles

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Le corpus d’images exposé ici parle essentiellement de l’imaginaire que l’on peut développer à partir de photographies au microscope, mais pas depuis un regard lointain nous évoquant des éléments infimes. Il semble que ce soit quelque chose d’assez naturel de le considérer dans ce sens plutôt que dans l’autre, étant donné que l’on a généralement une connaissance et des références bien plus poussées et claires dans ce qui est de l’ordre du visible ou du palpable. Ainsi on associe généralement le macro au micro, et pas le micro au macro. C’est un corpus qui pourrait être étoffé, car évidemment il n’est pas exaustif. On pourrait par exemple citer d’autres travaux comme ceux de Maurice Mikkers qui procède de la même manière que Rose-Lynn Fisher ou encore évoquer la société nVisible, qui permet aux expérimentateurs de se

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‘‘balader’’ dans le paysage nanoscopique, à la manière de bactéries et en utilisant l’outil de la réalité virtuelle. Malgré ces manquements, ce corpus a permis de mettre en évidence l’effet de confusion lié à la photographie à différentes échelles. Parfois recherchée dans les travaux, parfois non, le but est généralement de faire voyager le spectateur à travers les différentes dimensions du vivant et d’invoquer son imaginaire. Après avoir exposé ces recherches sur l’utilisation de l’outil photographique pour capter les paysages à différentes échelles, et en avoir mené d’autres en parallèle sur le projet de paysage et la manière dont sont utilisés les sauts d’échelles pour créer le projet, il apparaît que ce n’est pas tant ce saut d’échelle qui fait l’objet de l’étude, mais bien la forme de l’objet et sa

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dynamique, qui a servi d’outil d’inspiration. Par saut d’échelle, on entend ici ajuster un élément à l’échelle du projet, que ce soit en l’agrandissant ou en le rendant plus petit. En d’autre terme et avec un exemple concret, si l’on utilise la forme très caractéristique et bien étudiée des cellules dans un projet de paysage, en les agrandissant, en les déformant, mais en conservant le principe de leur disposition, l’intérêt réside dans l’étude de la forme, justement, et pas tant dans le saut d’échelle dont résulte le dessin du projet. Si l’on étudie uniquement la forme, pourquoi alors avoir abordé cette notion de confusion des échelles à travers la photographie ? Sans le médium de la photographie, il est impossible d’obtenir cette confusion. La confusion n’est possible qu’en l’absence d’un référentiel, et le cadre de

Se perdre dans les échelles

l’image, de la photographie offre les conditions pour aborder cette confusion.

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Notion mathématique de fractale DÉCOUVERTE ET DÉFINITIONS Fractale, n, f: «dont la forme est soit extrêmement irrégulière, soit extrêmement interrompue ou fragmentée, et le reste quelque soit l’échelle d’examen. Qui contient des éléments distinctifs dont les échelles sont très variées et couvrent une très large gamme». 21 La notion de fractale a été étudiée depuis les années 1800 mais a été popularisée avec ce terme dans les années 1960 par le mathématicien Benoît Mandelbrot. Elle appartient au registre scientifique mais n’est cependant pas complètement déliée du paysage. Elle a permis

au fil des recherches, de caractériser des ensembles complexes, créés à base de formules simples. Plusieurs chercheurs se sont notamment emparés de la méthodologie et en résulte une multitude d’écrits concernant les fractales. L’un des principes fondamentaux de cette discipline est l’autosimilarité entre les échelles (Mandelbrot, 1982). Le terme d’autosimilarité est un mot composé, on peut le décomposer de la sorte : auto (de soi-même) et similarité (du latin similitudo, ressemblance, rapprochement). Cette notion mathématique invoque donc le fait d’obtenir des figures similaires peu importe

Mandelbrot B., Les objets fractals, Ed. Flammarion, Paris, 1984, p 154.

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Micro / Macro

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Ensemble de Mandelbrot, 1975

DĂŠcouverte et dĂŠfinitions

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l’échelle d’étude, permettant potentiellement de zoomer ou dézoomer à l’infini. L’une des figures les plus connus est l’ensemble de Mandelbrot. D’autres figures créées grâce à des formules simples sont également bien étudiées comme le triangle de Sierpinski ou la courbe de Koch. Cette dernière est le résultat d’un segment divisé en trois, donc le segment médian est remplacé par deux autres segments de la même longueur. L’opération répétée à l’infini donne un tracé dont la longueur est théoriquement infinie. On peut mettre en lien la courbe de Koch avec les côtes britaniques par exemple. Selon la précision du calcul, la longueur du trait de côte peut être démultipliée, tendant vers une longueur infinie. La géométrie fractale se distingue de la géométrie euclydienne, dite ‘’classique’’, par la

Micro / Macro

complexité des formes qu’elle étudie et qu’elle permet d’expliquer. Elle se base sur des ensembles décomposables à l’infini, chacune des parties, ou des détails à première vue, peut être décomposé une multitude de fois. Les figures semi aléatoires régies par la dynamique du hasard peuvent alors être expliquées. La géométrie fractale permet de traduire et d’expliquer les phénomènes physiques et humains, météorologiques, géographiques, les rythmes biologiques, structure des arbres, la genèse des végétaux. On retrouve des figures fractales partout et la notion est intimement liée à la forme du vivant sur laquelle on reviendra plus tard dans cet écrit. La fractalité, ou esthétique fractale peut provenir de la complexité de la forme aléatoire, mais également

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Courbe de Koch, 1904

Triangle de Sierpinski, 1916

DĂŠcouverte et dĂŠfinitions

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A fractal landscape that never was, Richard F. Voss, 1982 22

‘‘A fractal landscape that never was’’, un paysage fractal qui n’a jamais été.

Micro / Macro

Mandelbrot B. B., “The Fractal Geometry of Nature,” Ed. W.H. Freeman and Company, 1982, 465p.

22

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d’une organisation régie par des règles mathématiques. Deux exemples très différents peuvent être étudiés grâce à la géométrie fractale. D’une part, l’organisation des ramifications d’une branche. Cet exemple suit le principe de l’autosimilarité. En effet depuis la branche principale accolée au tronc jusqu’au fin rameau, l’axe se subdivise en deux à chaque noeud, permettant des zooms successifs, finis, mais conservant une complexité à chaque échelle. Il en est de même avec les cours d’eau. Un autre cas d’étude est la montagne. La complexité du minéral et son aspect aléatoire répondent également à l’esthétique fractale. Un paysage fractal qui n’a jamais été est une image de synthèse, créée informatiquement à l’aide de programmes utilisant la théorie fractaliste. Il est constitué d’une multitude de faces, disposées de manière semi aléatoire.

Découverte et définitions

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En résulte cette forme, qui ressemble à s’y méprendre à une photographie de montagne. On peut ainsi considérer que chaque élément est constitué d’une imbrication d’infimes détails, liés à travers des échelles d’examen de plus en plus fines. Chaque zoom est ainsi marqué par la découverte de nouveaux éléments, parfois très semblables à ce qui avait été observé auparavant. Ces détails sont autant de moments clés sans lesquels la structure globale n’existerait pas. Cela peut alors être abordé grâce à des outils optiques, ou alors en prenant de la distance sur le sujet d’intérêt.


APPLICATIONS POUR LE PAYSAGE Les fractales ne sont pas limitées aux motifs géométriques mais peuvent également décrire des processus de longue durée. Les fractales sont des objets dynamiques dans le sens où leur géométrie dépend d’un processus évolutif. (Triantakonstantis, 2012 23) Il existe globalement deux utilisations des fractales pour le paysage, la première est pour créer, nous en ferons mention dans la prochaine partie, la seconde a la recherche pour objectif. Les fractales permettent par ailleurs d’étudier des domaines très divers, de la médecine à l’économie, mais nous mettrons en avant l’étude des mécanismes de création du paysage et les paysages eux-mêmes. Les fractales peuvent permettre de caractériser

mathématiquement des paysages et leurs structures, par l’étude des formes et de leur dynamique. Généralement, le protocole prévoit l’étude des espaces occupés et des espaces vides à différentes échelles pour déterminer de la fractalité d’un échantillon. Par exemple, la forme du bocage a été étudiée en ce sens (Roland, Fleurant, 2004 24 ), permettant de montrer que l’organisation de la matrice bocagère suit les règles fractales mais que sa destructuration, avec le remembrement met cela en périle. On étudie alors la densité des haies, des connexions entre les espaces, les corridors écologiques. Un paysage avec une fractalité moindre, moins complexe dans sa structure sera donc potentiellement plus pauvre en diversité, dans la richesse des habitats qu’il propose ou dans ses connexions. Il a été montré que globalement, les paysages

Triantakonstantis D. P., Urban Growth Prediction Modelling Using Fractals and Theory of Chaos, Open Journal of Civil Engineering, 2012, 2, 81-86.

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Micro / Macro

Roland B., Fleurant C., Caractérisation des formes du bocage à l’aide de la géométrie fractale. Espace géographique, Ed. Berlin, 2004, pp. 165-174

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Carte des types de sols en europe du nord, selon différentes échelles, Turner et al., 2001 25

Turner M., Gardner R. H., O’Neil R. V., Landscape ecology in theory and practice: Pattern and process, Ed. Springer-Verlag, 482p.

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Applications pour le paysage

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dominés par l’homme, comme par exemple pour les forêts gérées, présentaient une fractalité moindre. L’esthétique fractale a fait l’objet de nombreuses études, sur divers types de paysages : les cours d’eau et leur bassin versant, l’analyse paysagère ou l’architecture (Duchesne et al., 2001 26), les réseaux et structures urbaines (Frankhauser, 1994 27). Certains se sont basés sur des échantillons photographiques et en ont déduit la fractalité des espaces. (Perry, 2012 28) Il existe une autre manière d’utiliser les fractales pour le paysage. Elle est celle de la création de paysages en trois dimensions. Pour les effets spéciaux, les jeux vidéos, les programmateurs utilisent les fractales afin de recréer des univers informatiques. Chaque surface montagneuse, par exemple, est constituée d’une multitude de

triangles, organisés de manière semi aléatoire. Quatre faces triangulaires donnent une pyramide, lorsque ces faces sont composées d’autres triangles, on obtient alors des montagnes, dont la complexité augmente avec la finesse de chaque figure géométrique ajoutée. Plus les particules constituant le tout sont petites, plus on observe un résultat fidèle à la réalité. On pourrait dire de même quant à la longueur du trait de côte d’une île. Si l’on fait une approximation avec des segments de dix kilomètres pour faire le tour de la Grand-Bretagne, le résultat se rapprochera de la réalité physique des lieux. Mais si alors nous faisons la même chose avec des segments de cent mètres, nous nous rapprochons de plus en plus de l’exactitude de la réalité, avec pour seule limite le temps et la puissance informatique que cela nécessite.

Duchesne J., Tanguy F. et Joliet F., How does the fractal geometry lead to new identification of the landscape shapes ?, 38th IFLA World Congress 2001, 2001, p. 59-69.

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Micro / Macro

Frankhauser P., Fractal Aspects of Urban Systems, Sonderforschungsbereich 230, Natürliche Konstruktionen, 1988, vol. 1, p. 67-76.

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Etude de la fractalitĂŠ, jardin botanique de Brisbane, Perry, 2012 28

Perry S.,The unfinished landscape, Fractal geometry and the Aesthetics of Ecological Design, Thèse, 2012, 303p.

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Applications pour le paysage

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Le paysage comme fractale? LA FORME DU VIVANT La géométrie fractale permet d’expliquer la forme du vivant. Mais quelle est cette forme ? Pourquoi parle-t-on de la forme du vivant, est-elle unique ? Par ce terme on entend généralement un ensemble de formes constitutives du vivant, des structures, des assemblages, des directions, des mouvements. Chaque être vivant est d’abord constitué d’atomes, reliés les uns aux autres, d’électrons en rotation. Ces ensembles forment de plus grandes structures, les organites cellulaires inclus dans les cellules. La cellule est considérée comme l’unité de base du vivant. Les cellules végétales et animales sont

différentes, notamment dans leur membrane. Ensemble, elles forment des tissus, et les tissus eux-mêmes ; des organes en réseau qui constituent l’être vivant. Les organes et les capacités de chaque êtres vivants sont liés à des adaptations et des processus évolutifs de longue date. En ce sens, on pourrait considérer que le premier ‘’designer’’ de la nature est l’évolution (Ian L. McHarg 1969 29). Par ailleurs, des analogies peuvent être faites entre différentes espèces, entre les reptiles et les poissons, les amphibiens et les mammifères. Cela du fait notamment de leur parenté plus ou moins proche sur l’arbre phylogénétique du vivant. La forme permet aux espèces de se reconnaître

McHarg I., Design with nature, Ed. 25th Anniversary, 1995, 208p.

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Micro / Macro

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Diatom, Actinocyclus ralfsii G: x750, Arthur E. Smith, 1909 9

La forme du vivant

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Langue de papillon G: x50, Arthur E. Smit, 1909 9

Micro / Macro

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entre elles ou au contraire de se différencier, elle permet de tromper, par le camouflage, de se faire passer pour un autre, de disparaître. La forme donne du sens. On pourrait dire familièrement qu’elle n’est pas gratuite, elle est le fruit d’une adaptation à un milieu, à des contraintes techniques et climatiques. La cuticule d’une plante désertique, la taille des feuilles, leur disposition, le port végétal, tout cela sera différent chez une plante tropicale. La forme est liée au processus, dynamique au fil du temps et selon plusieurs temporalités. Il ne faut que quelques heures à certaines cellules pour se diviser et se répliquer, passant à travers tous les stades. L’ovale s’allonge puis se resserre en son centre pour en créer deux, c’est la scissiarité, une multiplication assexuée d’un organisme par scission pour en créer un nouveau qui sera son clône. De

l’autre côté du spectre, les processus évolutifs prennent des milliers d’années, pour passer des formes de vie les plus archaïques que sont les premières cellules, jusqu’aux êtres complexes que nous connaissons à présent. Par ailleurs, les premières formes de vie dont nous avons toujours la trace sont les stromatolites. Ce sont de grandes colonies de bactéries, fossilisées, dont on retrouve les traces sur certaines plages minérales. La forme du vivant n’est pas que la forme décrite par la géométrie fractale. Elle peut prendre différents aspects et la fractalité n’est qu’une partie de l’ensemble des formes de la nature. Grâce aux avancées technologiques et aux outils optiques précédemment cités, le corpus de formes connues et présentées au grand publique a considérablement augmenté. Depuis

p. 106-107: Dynamique aquatique, forme de l’eau, 2019

La forme du vivant

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Erosion, Design with nature, Ian L. McHarg, 199529

Micro / Macro

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les microorganismes calcaires marins jusqu’aux bactéries et aux virus. La connaissance et la découverte des végétaux a également connu une croissance exponentielle au XVIIIe siècle, notamment grâce à Linné qui systématise l’utilisation de la nomenclature binomiale, auparavant inventée par G. Rondelet et P. Belon au XVIe siècle. S’en suivent de très nombreuses expéditions à la découverte des plantes, des oiseaux et autres organismes vivants que Linné ramènera de ses voyages. Par la forme du vivant, on considère également l’eau, les rivières, les bassins versants. La dynamique crée par la puissance du courant engendre une érosion et le lit de la rivière adopte alors une structure non controlée, libre, dont on capte toute la force. Ces formes s’apparentent aux simulations informatiques

La ville, une fractale?

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créées pour étudier le vent en souflerie. Les montagnes, la brutalité du minéral sur de grandes falaises, les concrétions rocheuses, présentent une esthétique fractale, aléatoire dans leur mise en forme, bien que la géologie en soit à l’origine. Cette esthétique fait également partie intégrante de ce que l’on inclut dans la forme du vivant, malgré que ces matériaux soient inertes et dépourvus de cellule. Les constituants de base sont les mêmes, dans des proportions différentes, du carbone, du fer, du manganèse, autant d’éléments indispensables à la vie. La forme du vivant a inspiré au fil des décenies, les inventeurs, les designers, les artistes et nous étudierons dans une prochaine partie la manière dont cette forme a servi la création.


LA VILLE, UNE FRACTALE ? Au travers de cette partie, on s’intéressera d’une part à la manière dont la ville actuelle pourrait être considérée comme une fractale, puis aux théories impliquant le modèle mathématique fractale pour créer différentes villes, afin d’entrer dans le sujet de la conception grâce aux modèles mathématiques et au basculement entre le micro et le macro. Les villes ont toujours eu un impact sur les paysages. Pour assurer leurs fonctions, d’habitat, de regroupement des commerces, leurs fonctions sociales ou politiques, la répartition des villes n’a rien d’un hasard. Le long des cours d’eau, au cœur d’une vallée, en bord de mer, chaque implantation est stratégique. Cependant l’intérêt porté sur les villes dans cette étude n’est pas tant sur

leur implantation mais plutôt sur leur structure interne. On pourrait penser que les villes, de par leur fabrication par l’homme, n’ont rien de fractale. Leur géométrie souvent précise ne faisant effectivement pas directement appel aux notions présentées plus tôt. Cependant les représentations des villes depuis la Renaissance montrent une esthétique propre, qui est celle de l’imbrication des échelles, de l’irrégularité, des figures fragmentées, des variations semi-aléatoires. On pourrait alors qualifier cette esthétique de fractale, ce qui convient parfaitement à la nature des processus de stratification de la forme urbaine (Chambon, 200430). L’hypothèse de la structure fractale des villes, et la nature de son expansion a été émise dans les années 80, notamment par Mandelbrot mais également Frankhauser

Chambon G., De l’esthétique fractale du paysage urbain, Comunication dans le cadre du congrès international : Fractales en progrès, des mathématiques à la physique, la finance, la géophysique, l’image, la biologie, Faculté de Médecine Necker, 2004

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Micro / Macro

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Brooklyn, Google satellite, 2019

La trame créée de toute pièce est semblable à un microprocesseur. On peut zoomer progressivement et découvrir de nouveaux éléments, l’organisation est toujours présente, à chaque échelle le quadrillage revient.

La ville, une fractale?

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(1988)27 ou encore Fotheringham (1989)31. Dorénavant, l’hypothèse est globalement acceptée par la communauté scientifique avec de nombreux écrits concernant le sujet. On pourrait mettre en doute cette définition de la ville comme fractale. Benoît Mandelbrot émet notamment une réserve concernant l’architecture moderne et l’usage de matériaux nouveaux qui suppriment l’irrégularité. Des façades lisses, sans ornement, sans le grain de la pierre constituant une richesse visuelle complexe. Mais la fractalité s’exprime à des niveaux de compréhension supérieurs avec une imbrication des échelles différentes. Par exemple, l’unité de base est plutôt le bâtiment, dont l’assemblage constitue des îlots, des quartiers et une ville. On pourrait faire le parallèle avec un organisme dont l’unité de base est la

cellule. Les similarités entre les échelles peuvent être abordées grâce au ‘’zoom/ dézoom’’ selon un axe vertical, mais ces similarités ne sont que partielles. En faisant l’examen des pleins et des vides, ou plutôt des espaces ouverts et des espaces couverts, on peut alors déduire intuitivement que ce qui caractérise la ville fractale n’est pas le bâti mais bien les espaces non bâtis. Ce qui est ouvert, vide, sera vide peu importe l’échelle d’étude et c’est de ces espaces que naît la structure globale de la ville. (Tannier, 200932). Certaines villes à l’organisation singulière présentent une structure interne semblable aux végétaux, comme une plante succulente dont les pétales coriaces seraient dans la réalité des murs d’enceinte. C’est le cas du fort Bourtange, ville forteresse des Pays-Bas, achevée en 1593.

Fotheringham A. S., Batty M., Longley P. A. Diffusion-Limited Aggregation and the Fractal Nature of Urban Growth, Papers of the Regional Science Association, vol. 67, 1989, p. 55-69.

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Micro / Macro

Tannier C, Formes de villes optimales, formes de villes durables, réflexions à partir de l’étude de la ville fractale, Espaces et sociétés,

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Ville radieuse, fondation Le Corbusier, 1925

La ville radieuse est le modèle classique de la ville moderne, de part sa structure, les matériaux employés et sa radicalité.

La ville, une fractale?

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Fort Bourtange, Pays-Bas, Google satellite, 2019

Micro / Macro

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Palmanova, Italie, Google satellite, 2019

La ville, une fractale?

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C’est le cas également de la ville fortifiée de Palmanova, XVIe siècle, en Italie. Constituée de neuf branches, cette étoile a une structure évidemment pensée pour la défense de la ville. A l’intérieur, le bâti est organisé selon des parts égales séparées par les routes suivant les rayons. Mais la ville fractale n’est pas tant un résultat d’étude qu’un sujet de théorie. En effet, de nombreux scientifiques et urbanistes s’attachent à créer la ‘’ville nouvelle’’ afin de réduire les effets de l’étalement urbain, grâce aux notions de la géométrie fractale. On s’intéresse au lien entre la forme et le fonctionnement urbain en se basant sur différentes typologies d’espace et de bâti que sont entre autre les habitats, les lieux de fréquentation et les réseaux divers reliant les éléments précédemment cités. La fractalité implique

que la forme globale se retrouve à une échelle locale. Etant donné que de nombreux modèles ont été établis concernant la ville fractale optimale, on pourrait potentiellement en inventer une infinité. Nous allons nous attacher à en évoquer deux. Le premier, le téragone (Mandelbrot, 1982 33) prend sa source dans un modèle initial, carré. Lorsque ce carré est remanié en un premier téragone, on observe alors une zone de contact du bâti et du non bâti qui augmente. La zone de contact est doublée lorsque l’on passe au second modèle de téragone. Ce modèle est construit de sorte que la structure générée ne dépasse jamais 5/3 du carré initial, pour éviter une surface prenant trop d’ampleur sur le territoire. Il est estimé que le gain apporté par la proximité avec les espaces ouverts est supérieur à la perte

33 Mandelbrot B. B., The fractal geometry of Nature, Updated ed., 1982, 460 p.

Micro / Macro

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(1) Ville fractale thĂŠorique Strictement auto-similaire

(2) Ville fractale thĂŠorique Quasiment auto-similaire

Deux exemples de relations entre forme globale et formes locales, Tannier et al., 2007 32

La ville, une fractale?

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Carré

Téragone 1

Téragone 2

Construction progressive d’un terragone dont la surface totale reste constante au fil des itérations, Mandelbrot, 1982 33

Micro / Macro

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centre principal espace bâti de premier ordre de second ordre de troisième ordre Tapis de Sierpinski

Ville quadratique

Localisation de centres de commerces et services dans deux modèles de ville, l’un euclidien et l’autre fractal, Frankhauser et Genre-Grandpierre, 1988 27

La ville, une fractale?

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d’accessibilité au centreville. (Frankhauser, 2000). De plus ce modèle n’est pas beaucoup plus consommateur d’espace qu’un modèle classique, fluidifie le trafic et permet une meilleure ventilation des espaces centraux. Dans un autre exemple, on peut comparer le Tapis de Sierpinski et la ville quadratique. Avec trois niveaux hiérachiques de centres de ville, on obtient deux résultats très différents quant à la surface globale occupée par la ville. Chaque modèle comporte le même nombre de centres. D’une part avec le tapis de Sierpinski, on a une ville très étendue, ou les distances depuis les extrémités de la villes sont importantes. Dans le second modèle, la ville quadratique, on a une surface beaucoup plus ramassée où tous les centres sont à proximité, et dans tous les quartiers. Les centres des quartiers

Micro / Macro

voisins sont beaucoup plus proches que dans le modèle précédent. On pourrait ainsi dire que la fractalité des villes est questionnable sur certains points. Malgré tout, la géométrie fractale permet de proposer de nouvelles façons de concevoir les villes, qui pourraient être questionnées elles aussi, mais qui apportent malgré tout une nouvelle perspective.

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LE PAYSAGE, UNE FRACTALE? Selon la convention européenne du paysage, le paysage est défini comme suit : une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. 34 Ainsi, peut-on dire que le paysage est une fractale? C’est en effet une question que l’on peut se poser. On a pu mettre en évidence au fil de cette partie le fait que la géométrie fractale permettait d’analyser le paysage et même qu’il pouvait être caractérisé comme tel. Mais est-ce la définition exclusive du paysage? Englobant tous les aspects? On pourrait considérer que la définition fractale du paysage omet certaines caractéristiques de ce dernier. D’une part si on met en regard la définition de la convention

Convention européenne du paysage, Florence, Article 1, 2000

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Le paysage, une fractale?

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européenne avec la notion de fractalité, il y a un aspect de perception qui est inhérent au paysage. Le paysage existe en effet s’il est considéré par l’homme. Sans caractérisation du paysage par l’homme, le paysage n’est qu’un ensemble d’éléments comme un autre. L’humain n’est pas juste un regard global porté sur le paysage, caractérisant ce qu’il est. C’est aussi une population enduite d’une culture, parfois propre à une zone géographique. La fractalité ne prend également pas en considération les relations entre les acteurs du territoire et le paysage. En effet, les usagers modifient l’espace dans lequel ils vivent, et malgré le fait que la géométrie fractale inclut la dynamique du paysage et ses changements, les interrelations des organismes entre eux et avec le milieu ne sont pas intégrés.


Montagne en contre-jour, Alpes, 2013

Micro / Macro

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On pourrait alors admettre que la définition de fractalité n’exprime pas tous les aspects du paysages mais permet d’en expliquer une partie. En quelque sorte, la géométrie fractale ne parle que de la forme et de l’aspect, complexe, du paysage. Dans une certaine mesure, elle intègre seulement les processus générateurs du paysages lorsque ceux-ci sont d’origine naturelle, et surtout le résultat, visible. Il y a donc un manque dans la caractérisation des paysages par les fractales et le paysage ne se résume donc pas uniquement à sa fractalité.

Malgré cela, la géométrie fractale reste un outil quasiment essentiel et à minima intéressant pour étudier et caractériser le paysage. Il est également un outil de plus en plus plébiscité dans la création des paysages, des espaces publics, et c’est ce que nous étudierons au fil d’une troisième partie.

p. 124 Colines microscopiques, 2019

Le paysage, une fractale?

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Le basculement des ĂŠchelles dans le projet de paysage

03


La forme du vivant, captée à ses différentes échelles par la photographie, a permis à de nombreux artistes, architectes, paysagistes, designers, de créer objets, bâtiments, parcs publics. Dans cette partie, on s’attachera à présenter plusieurs exemples d’utilisation de la forme du vivant, en essayant de s’appuyer sur le saut d’échelle précédemment évoqué. Bien souvent les objets microscopiques sont agrandis, et leur forme est évoquée, sans être rigoureusement copiée, à quelques exceptions près, parfois c’est d’une image à plus grande échelle que l’on tire l’inspiration. La géométrie fractale appuiera aussi le propos, car la notion de basculement d’échelle et les concepts de cette géométrie de la nature sont convergents. Cette partie se veut comme un corpus, illustré par une entrevue avec Catherine Mosbach. Elle débouche sur l’esquisse d’un protocole permettant d’aborder le paysage par l’échelle microscopique.

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S’inspirer du vivant et de l’esthétique fractale PAYSAGE FRACTAL Considérant le désir de vivre dans un monde plus écologiquement viable, avec l’intuition que les formes des parcs et des espaces publiques sont le reflet de valeurs culturelles et sociales, la nécessité vient alors de créer une nouvelle esthétique, une esthétique écologique qui sera acceptée par la population et l’usager des lieux. Ainsi, on peut penser que la géométrie fractale, aussi appelée géométrie de la nature, a un rôle à jouer dans la création et dans le développement d’une telle esthétique (Perry, 2008 35). On pourrait considérer de nombreux projets de paysage dont l’esthétique

est inspirée du basculement d’échelle. Ici se recontrent plusieurs manières d’aborder la question et on peut dorénavant faire un lien plus précis entre fractalité, forme du vivant et processus dynamiques. L’esthétique fractale, peut se diviser en deux écoles. La première, tirée du vivant, prendra sa source dans des figures à grandes échelles ou à échelle microscopique, la forme du naturel sera réexploitée, redessinée, pour faire un projet esthétiquement cohérent et qui a du sens quant à sa fonctionnalité. La deuxième, s’appuyant sur le principe de l’autosimilarité, présentant des formes qui peuvent être détachées de la forme du vivant,

Perry S. Reeves R., Sim J., Landscape Design and the Language of Nature, Landscape Review, 2008, 18p.

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Micro / Macro

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mais dont l’esthétique fractale est, malgré tout, présente. Ainsi, de manière induite, on y intègre un basculement d’échelle. Au sein de cette partie, nous étudierons plusieurs projets, correspondant à l’une ou l’autre de ces démarches, avec pour objectif d’étudier la manière dont ces notions sont utilisées pour créer des espaces. Nous n’allons pas présenter ici une liste exhaustive présentant les différents paysagistes ayant utilisé la fractalité pour concevoir leurs projets, mais nous allons nous appuyer sur quelques exemples précis. Le parc de la Gavia se situe au sud-est de Madrid. Il a été créé dans un espace très aride de 39ha pour permettre à la ville de s’étendre dans sa direction et embrasser ses abords. (R. M., 200538) L’architecte Toyo Ito a dessiné un projet au design singulier pour cet espace. Ce dernier

Taki K., A conversation with Toyo Ito, El Croquis, n°123, 2005, p.8.

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R. M., Paysage fractal, Parc de la Gavia, quartier de Vallecas, Techniques et architecture, 2005, p. 76-81

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Paysage fractal

s’inscrit dans une approche moderniste, avec tout ce que cela implique. Il dit d’ailleurs à ce propos: “Je crois que j’ai pendant longtemps suivi la norme de l’architecture moderne. Je me suis limité à l’esthétique du less is more.” (Toyo, 2005 37). Sans entrer dans la complexité de l’ensemble de ses projets, il semblerait qu’il y ait eu un changement dans sa manière de considérer le projet et le design (Sidawi, 2011 39). Pour le parc Gavia de Madrid, l’architecte s’est basé sur la géométrie fractale. Il décompose la forme de l’arbre, ses ramifications, pour dessiner des bassins versants, tous sur le même modèle. Cette forme provient d’une décomposition des ramifications d’un arbre, duquel on aurait ôté les feuilles. Le dispositif permet le traitement des eaux usées au sein d’un parc.

Sidawy J., Un nouveau chapitre dans l’oeuvre de Toyo Ito, Induire la nature dans la forme construire, Mémoire d’étude, 2011, 46p.

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Ramifications, Toyo Ito, 2003

Arbre d’eau, Toyo Ito, 2003

Micro / Macro

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Maquette du parc de la Gavia, Toyo Ito, 2003

Paysage fractal

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Croquis de l’arbre d’eau, Toyo Ito, 2003 38

Micro / Macro

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Ces arbres d’eau sont composés de trois branches principales, qui se divisent ensuite à deux reprises. Il y a dix systèmes de ce type, répétés. Quatre arbres de type A constituent les éléments principaux, sur les points culminants. Ils sont la base de la récupération des eaux et de leur filtration. Le flux arrive par le centre et va jusqu’aux extrémités en suivant une pente douce sur un rayon de 75m. Les six autres arbres de type B prennent ensuite le relais, créant la structure du parc. L’ensemble permet d’obtenir différents micro-écosystèmes à but pédagogique. Ce projet est un très bel exemple de l’utilisation de la géométrie fractale dans le projet de paysage. Un autre japonais, Tadao Ando, s’appuie sur l’esthétique fractale pour composer le paysage. La démarche est différente, dans la mesure où ce dernier ne met pas tant

Paysage fractal

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en avant la fractalité de la nature, mais plutôt l’autosimilarité entre les échelles. Le jardin des cent paliers dans la ville d’Awaji au Japon aborde une organisation très géométrique et un motif carré, répété. Chaque niveau, chacun des cent paliers, est composé d’un parterre dans lequel on retrouve le motif carré à plusieurs échelles. Ce jardin à flanc de montagne est dans une situation très particulière avec laquelle l’architecte a sû jouer pour créer un étagement. L’ensemble est relié par des escaliers. Comme une énorme avalanche de béton, le jardin épouse le relief, créant une structure très artificielle, tant pas sa construction que par ses végétaux. La région a subit un important tremblement de terre durant la mise en place du jardin. Le dessin a donc été modifié afin de rendre hommage aux victimes.


Jardin d’Awaji, Japon, Source inconnue

Micro / Macro

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Jardin d’Awaji, Japon, Source inconnue

Paysage fractal

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LA DYNAMIQUE DU VIVANT Nous allons ici nous intéresser au travail de Georges Descombes concernant la renaturation de la rivière Aire, près de Genève. Dans ce projet, la forme du vivant est mise en avant par sa dynamique structurelle. On a vu plus tôt que la géométrie fractale permettait d’étudier et d’expliquer les mouvements créés par l’eau, ce projet s’inscrit donc dans la démarche mise en place au fil de ce récit. Le Canton de Genève lance un concours dans les années 2000 suite à des inondations catastrophiques survenues dans la ville. Le lit de la rivière, canalisé dans un coffrage de béton, ne permet pas de retenir suffisamment l’eau lors des crues, induisant des problèmes en aval. Deux objectifs sont alors mis en avant. Le premier est de

supprimer intégralement ce canal rectiligne. Le second, est de protéger Genève des inondations, grâce à la restauration du lit de la rivière de manière naturelle. L’Atelier Descombes Rampini Superpositions propose alors une alternative. Ils souhaitent conserver partiellement le canal rectiligne existant, et le transformer afin d’offrir des “jardins expérimentaux”. A côté, un espace dans lequel la rivière pourra s’auto-dessiner. Descombes considère qu’il existe deux méthodes pour dessiner une rivière. (Descombes, 201840) La première est celle des ingénieurs, qui calculeront comment la rivière, selon son débit, prendra théoriquement forme. Cette forme est fixe. La seconde est celle des paysagistes, qui, à la manière d’un jardin anglais, ‘‘chaotique’’, laissent le vivant s’installer, prendre forme, de manière évolutive.

Quatrième conférence Landezine Live avec G. Descombes, HafenCity university, Hambourg, 13.10.2018

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Micro / Macro

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Rehabilitation de l’Aire, Croquis, G. Descombes

La dynamique du vivant

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Principe de la percolation, source inconnue

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Durant la première phase, l’idée est de donner de la place à la rivière, pour qu’elle s’exprime et se dessine seule. Ainsi, le lit est creusé et le cours d’eau prend forme. Cependant, le processus est lent et le débit trop faible. La seconde phase prend une nouvelle forme, différente. En s’appuyant sur des références scientifiques (sources inconnues) mettant en jeu la percolation à travers un matériaux ou un espace, l’idée devient alors de créer une trame de losanges, qui seront érodés petit à petit par le courant, permettant à la rivière de dessiner son propre lit. Descombes décrit cette trame comme ‘‘un accélérateur de morphogénèse’’. La forme crée un mouvement, des tourbillons, accélérant le processus d’érosion. Cet espace est un terrain d’expérimentation à ciel ouvert. Des relevés, fréquents, permettent

d’étudier la forme et la manière dont l’eau se fraie un chemin au travers du minéral, sculpté mais modifiable. En deux ans, les changements sont radicaux. D’une trame régulière on obtient un espace qui semble de plus en plus naturel. Des ilôts se créent, des bassins, des ramifications. Le canal attenant devient un espace publique, dans lequel les usagers peuvent se balader, se poser, mais également questionner, regarder et comprendre le cours d’eau qui prend sa place au sein du paysage. Ce projet intérroge sur la dynamique du travail du paysagiste. Les choses ne sont pas dessinées pour toujours, elles peuvent être réfléchies comme flexibles, évoluant avec le temps.

p. 140-141: Evolution du projet de renaturation de l’Aire, Atelier Descombes Rampini Superpositions, 2015

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Evolution de la rivière Aire, Juin 2014 à Mai 2015, Fabio Chironi

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Renaturation de la rivière Aire, Fabio Chironi, 2015

La dynamique du vivant

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PROJETER AVEC LA FORME DU VIVANT L’esthétique et l’ensemble des productions artistiques qui découlent de la forme du vivant sont des processus qu’il est difficile d’expliquer scientifiquement, tant les dynamiques en jeu sont complexes. Il ne faut pas essayer de tout expliquer, tout voir, tout comprendre, mais plutôt de lier les disciplines pour appréhender le sujet d’une manière plus globale. Etant donné que le fait de s’inspirer du vivant n’est pas une action purement, exclusivement, scientifique et rigoureuse, il faut garder à l’esprit que des biais d’étude peuvent entrer en jeu. Malgré tout, le vivant est source d’inspiration et c’est un fait indéniable, notamment grâce à l’imagerie liée aux avancées technologiques dans le domaine de l’optique. Les technologies actuelles

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de microscopique permettent de voir l’invisible à l’oeil nu, dans des proportions auparavant imaginables. Le microscope permet de voir les structures végétales, le détail d’un flocon de neige, la complexité d’une roche. Le microscope électronique montre l’assemblage des atomes entre eux, des micro-cristaux, les hélices d’ADN. La technologie permet d’en voir toujours plus et nous sommes continuellement baignés dans ces images. Le fait de représenter, montrer une photographie, apporte une compréhension nouvelle pour le grand public et les non-scientifiques. On souhaite donner un sens à une image, elle explique quelque chose, mais le spectateur peut y voir autre chose, comprendre autre chose, l’imaginaire travaille. A cet instant, l’artiste, le designer, l’architecte, le paysagiste, peuvent s’en emparer et l’image devient

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alors moteur de projet, d’inspiration. La forme du vivant a, dans le projet de paysage, une place toute particulière qui passe par la photographie. Sans cette représentation graphique, l’inspiration n’est pas directement possible. La forme explique le processus, elle en est son résultat. Chaque être vivant, chaque plante, est constitué d’une multitude d’organes, eux-même constitués de tissus, de cellules, de molécules, d’atomes. Ces différentes échelles de compréhension font sens dans le projet de paysage car le design sert la fonction. Au sein de cette partie, nous allons présenter deux exemples de projets inspirés de la forme du vivant. Le premier s’intitule l’enfance du pli, par le paysagiste Gilles Brusset. Dans un espace de 2600m², ouvert au milieu de la ville de Meyrin, en Suisse, à la structure orthonormée,

Projeter avec la forme du vivant

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il crée un projet dont les courbes et les volumes sont inspirés des plissements du massif Jurassien. Les lignes de topographie, étirées, dessinent le parc et lui offrent toute sa puissance graphique. Entre espaces enherbés, les courbes dansent créant un rythme. Une ligne de contact entre minéral et végétal. Ce parc destiné aux enfants se base sur un jeu d’échelles, les buttes montant jusqu’à 1,20 mètre de haut dessinent de nouveaux horizons, rappelant ceux du Jura. Ce dernier est proche mais invisible depuis le parc. On joue sur les creux et les buttes, de manière à offrir une topographie du parc cohérente, et l’orientation est calquée selon les plis du massif jurassien, suivant un axe sud-ouest, nord-ouest. On s’inspire ici de la forme d’un matériaux inerte, la roche, qui entre malgré tout dans ce qu’on désigne sous le terme de forme du vivant.


Expression des formes et des forces du plissement, Brusset G.

Extrait de la carte gĂŠologique

Extrait de photographie aĂŠrienne

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Compression exercée par les alpes vers l’ouest = Motif de sol plissé, Brusset G.

p. 148-149 L’enfance du pli, Meyrin, Brunaud PY., 2015

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L’enfance du pli, Meyrin, Binocle, 2015

L’enfance du pli, Meyrin, Brunaud PY., 2015

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Dessin à la mine de plomb, L’enfance du pli, Brusset G., 2014

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The Australian garden ou le jardin Australien est un jardin botanique de 50 hectares dans la ville de Victoria, en Australie. Dessiné par l’agence Paul Thomson Taylor Cullity Lethlean Landscape architecture, ce jardin s’inscrit dans une histoire particulière entre les habitants et le paysage. Certains l’admirent, d’autres le boudent. Le paysage australien a été la base de nombreuses réflexions. C’est au coeur de ces tensions que le jardin botanique prend sa place, avec pour objectif de mettre en avant les spécificités de la flore locale et l’aspect fluide du paysage. Le design singulier de ce parc intervient dans le questionnement actuel de la forme et du sens des jardins botaniques. En effet, à une époque centrée sur la démocratisation des savoirs, à la vulgarisation, au fait de montrer les choses et les expliquer, le jardin botanique a un rôle particulier à jouer.

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Le Jardin est constitué de deux parties, en lien l’une avec l’autre. Du côté est, on trouve des jardins d’expositions, des paysages de présentation, des parcelles de recherche et des réseaux forestiers, mettant en scène les paysages de manière formelle. Du côté ouest, le promeneur est immergé dans des jardins inspirés par le cycle naturel du vivant. Des paysages et formes floristiques irrégulières. Au milieu, l’eau permet de faire le lien entre les espaces, amenant le visiteur depuis les escarpements de roches, jusqu’aux méandres des rivières. Le design prend son inspiration dans les courbes, des espaces semblables à de minuscules cellules ou des tissus végétaux. Les formes spirales s’inspirent de certaines formes florales que l’on retrouve également dans les jardins de style classique.

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The australian garden, Taylor Cullity Lethlean, 2013

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The australian garden, Taylor Cullity Lethlean, 2013

The australian garden, Taylor Cullity Lethlean, 2013

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The australian garden, Taylor Cullity Lethlean, 2013

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Entretien avec Catherine Mosbach Catherine Mosbach est architecte paysagiste DPLG. Elle est diplômée de l’Ecole Nationale supérieure du paysage en 1986 après un DEUG de sciences de la nature et de la vie. Parmi ses nombreux projets, le Jardin Botanique de Bordeaux, créé entre 2000 et 2007 est celui qui la propulse sur la scène internationale. Plus tard, associée avec l’architecte Sanaa, elle dessine le parc du Louvre Lens, inauguré en 2012, et le Gateway Parc de Taiwan en 2017. Catherine Mosbach se distingue dans sa pratique du paysage par un design singulier, inspiré par le vivant et le basculement des échelles. Son travail fait l’objet d’une exposition au MoMa 2005 et elle est récompensée

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par de nombreux prix à l’international, dont le prix Rosa Barba, en 2003, pour le jardin Botanique de Bordeaux. Plus récemment, elle réalise le jardin de Ulsan en Corée du Sud. Un espace au design organique, fin, et aux détails précis. Entre micro et macro, entre ciel et terre, entretien avec une paysagiste qui bouscule les codes.

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La photographie est une pratique centrale dans votre pratique du projet. Pourriez-vous nous parler de cette pratique ? Du processus de prise de vue ? Il n’y a pas de méthodologie. Je fais effectivement beaucoup de photos. Je ne sais, pas, peut-être que le visuel chez moi est dominant. Sans doute. Ce qu’on voit n’est jamais fixe. Donc comme on doit faire des projets et dessiner des paysages, c’est utile pour aborder la question du projet de paysage d’une manière plus ouverte et pas simplement un état stable car ce n’est pas le cas, par les faits. C’est bien de comprendre par l’observation comment ça fonctionne tout autour, et aussi parce que je suis sensible à l’esthétique au sens large du terme. Car on ne peut pas tout enregistrer et tout appréhender instantanément. Je n’étais pas photographe à la base, comme certains peuvent l’être, comme passion. Mais je l’ai toujours fait sur des personnes proches, pour des raisons affectives, pour les personnes comme pour les paysages. Je pense que j’ai commencé avec les chantiers, c’est-à-dire pour avoir de la mémoire, cultiver de la mémoire, et aussi parce que les étapes de chantier sont très instructives. A mons avis elles sont parfois plus riches, que ce soit en architecture ou en paysage. Ce sont des choses qui disparaissent puisque ce sont des étapes provisoires. Donc je pense que j’ai commencé, au sens le plus strict du terme, à enregistrer le visuel, plutôt qu’à faire des photos, avec le chantier.

Entretien avec C. Mosbach

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Donc quelque chose de spontané, pour garder la mémoire sur l’instant. Oui, ce sont des prises de notes, de l’enregistrement au sens pur du terme. Qui permettent de comprendre, ce qu’on fait soit même, d’ailleurs. Qui permettent de prendre du recul, de revenir dessus. C’est donc un volume important de données, de connaissances, qui n’existe que par l’image puisque tout se transforme. C’est intéressant je pense, parce qu’on oublie, on ne peut pas tout garder. C’est comme une écriture, comme un livre, un roman. Après en ce qui me concerne, je ne sais pas tout ce que j’ai, en terme de bibliothèque d’images. C’est un vrai sujet, il y a plein de livre d’images mais je pense que c’est intéressant quand c’est lié à une question qu’on se pose. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la prise de vue ? L’ensemble ? Le détail ? Tout ce que je trouve instructif au sens de l’articulation entre plusieurs sujets, qui n’est pas habituel de voir. C’est quelque chose de très intuitif, ça n’est pas calculé contrairement, je pense, à des photographes professionnels, qui font des choses très mesurées, calculées, ce n’est absolument pas mon cas. J’ai capturé, je peux le dire en ce sens, bien des choses que je n’aurais jamais espéré. Notamment le bassin de Bordeaux, qui a fait la couverture du MoMA. C’était un instant ou la météo n’était pas bonne et je n’avais absolument pas les outils pour faire une photo que l’on agrandit. Et malgré tout, on m’a demandé cette photo pendant des années. Je m’intéresse autant aux détails, comme des couleurs d’eau, qui ne sont pas forcément liées à l’atmosphère mais

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qui sont liées à l’acidité ponctuelle ou des évènements de nature chimique. Ce sont des phénomènes qui dépassent largement la capacité d’imaginaire à mon avis. C’est-à-dire que la réalité est bien plus puissante. Donc ça permet de se nourrir d’inspiration, c’est comme un entraînement de sport. Donc vous vous entraînez à voir... Encore une fois c’est très spontané, je ne m’oblige pas à le faire. C’est vrai que récemment, cette pratique s’est élargie, comme je voyage énormément. Mais c’est pas pas non plus un programme de recherche ni une méthode. J’enregistre énormément de nuages. Et c’est incroyable, c’est vraiment inimaginable si on peut le dire. Sauf si on est scientifique et qu’on connaît tout, mais ce n’est pas mon cas. Il y a vraiment des choses qu’on est, encore une fois, pas capable d’imaginer. Je m’attache aux associations, à la transition d’une situation dans une autre. L’espace aussi, en réalité c’est comme une boîte à outils. Je ne suis pas sûre que je le ferais si je n’avais pas de projet à faire, c’est spontané. Vous possédez une base de donnée, des classeurs avec une banque d’images organisées en planches contact. Comment utilisez-vous cette matière ? Oui, c’est une bibliothèque. C’est la seule manière de se rappeler, parce qu’on ne peut pas se rappeler de tout ce qui est dans l’ordinateur. C’est une méthode, en effet, je le faisais très systématiquement, y compris lors de mes déplacements personnels. Bien sûr, quand j’ai des questions qui se posent je recherche dedans, et c’est plus facile pour moi de feuilleter un classeur que d’ouvrir

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vingt dossier à l’écran. Et de les voir en série, ce n’est pas la même chose non plus. Chaque image a ses qualités individuelles. Pas toutes, mais c’est une chose de voir une image pour ses qualités propres, et ça en est une autre de la voir en série dans un sujet plus large, vous ne voyez pas la même chose. Et je dis la série plus que le film d’ailleurs, parce c’est une question qui s’est posée, qui se pose toujours aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui l’image fixe aurait tendance à disparaître au profit du film, ou de la vidéo. Et ce n’est pas du tout la même information car avec la vidéo ou le film, vous ne faites jamais un arrêt sur image. Or ce qui nous importe, c’est de comprendre l’image. Et quand j’avais fait la présentation au MoMA à New York, c’était le début des vidéos, en 2006, je n’étais pas équipée. J’ai pourtant travaillé avec une personne qui le faisait. Et les films autrefois étaient composés image par image, on en mettait beaucoup par seconde et c’était l’ancêtre du film. C’est de cette manière que l’on a travaillé pour la présentation de Bordeaux. Image par image ? D’abord, parce que je n’avais que des images, de chantier etc. Parce que j’avais enregistré le chantier par images. Et on les a ‘’remontées’’, c’est le cas de le dire. Encore une fois ça n’a pas du tout le même sens qu’une vidéo ou qu’un film, vous ne voyez ni ne comprenez pas la même chose, surtout dans la fabrication du paysage. D’autant plus que dans ce cas là, je l’ai fait parce qu’on m’a demandé de faire une exposition de la fabrication d’un jardin. Vous redécouvrez des étapes qui sont très intéressantes, en terme de connaissances et en terme émotionnel aussi. Etant donné que cette démarche est spontanée, j’imagine que

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Jardin d’eau, Jardin botanique de Bordeaux, 2002 41

Mosbach C., TraversĂŠes, Ed. Ici Consultants, 2010, 144 p.

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Reflet de l’eau sur l’asphalte, Mosbach C.

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Reflet de l’eau sur l’asphalte, Mosbach C.

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vous avez toujours votre appareil photo avec vous ? Oui, et maintenant le pire, c’est qu’avec les portables, on a des appareils photos, donc même dans la rue c’est pire que tout. Le portable c’est bien parce que quand vous croisez une lumière, c’est tellement exceptionnel, ça dure une seconde. Et le portable a peut-être un aspect plus spontané que la mise en place avec un appareil photo plus gros ? Exactement, mais ça a des avantages et des inconvénients. Car ensuite vous multipliez les images par une puissance cent, donc vous en avez encore plus à regarder et à stocker. On a évoqué un peu plus tôt la photographie de détails, est-il plus intéressant de photographier le détail que l’ensemble ? Ce n’est pas plus l’un que l’autre, je pense que les deux renseignent. Premièrement, on est obligés de penser au détail quand on dessine un projet, et c’est aussi important le détail qu’une vue d’ensemble. Donc je pense que l’un est dans l’autre, ce qui est d’ailleurs la pure réalité physique et chimique. Sincèrement, on ne fait pas un grand projet sans. La notion d’espace et de dimension peut être dans une petite emprise comme 500m² comme un grand espace peut être petit. C’est la manière dont vous organisez ce qui est dedans qui fait que c’est vaste ou c’est petit. Donc c’est une notion d’échelle, et une notion d’organiser sans doute la complexité ou les transitions. Mais c’est sûr que vous pouvez faire 10 hectares et ça ressemble à un mouchoir de poche comme vous pouvez faire 500m² et ça ressemble à la planète. Donc le détail est essentiel dans la manière de

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dessiner, de concevoir. Enfin c’est l’ingrédient. Quel est votre rapport avec la photographie au microscope et la vue aérienne ou depuis l’espace, et les liens que vous tissez éventuellement entre les deux? Maintenant la Nasa édite beaucoup de photos sur des sites et des réseaux sociaux. Elles sont publiques et, je crois, instantanées, c’est à dire qu’ils les postent en temps réel, et en effet si vous regardez Saturne par exemple, elle est très expressive. Et alors si vous observez un détail en macro, c’est la même chose. Mais ce ne sont pas des vues aériennes, car les vues aériennes sont très organisées déjà, il y a beaucoup d’artificiel, au sens de fabrication. Tandis que Saturne et une cellule, ce n’est pas fabriqué, enfin il n’y a pas la main de l’homme dessus, ni dans l’un ni dans l’autre et c’est la même chose. Donc la main de l’homme ‘’met à mal’’ les similarités entre les échelles... ? Elle ne met pas à mal, ce n’est ni positif, ni négatif, elle le transforme. Elle le déjoue, ou le joue autrement. En tous cas, l’invention du drone est un outil incroyable. Oui, je le mets en exergue, je pense à l’exemple récent de la Tunisie. Je ne connaissais pas ce pays, je suis censée aller avec des étudiants faire une étude, là-bas, en limite entre le désert et la Tunisie verte. Et bien évidemment pour comprendre où je mettais les pieds, car je ne connaissais ni le programme ni le pays, je suis allée sur google earth. C’est géant ce qu’on peut voir, en tout cas sur ce pays. Mais je pense que, en particulier parce que c’est une transition entre le désert et la méditerrannée en quelque sorte, évidemment

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on apprend énormément parce que vous voyez en très peu de temps ce que vous ne pouvez pas voir à pieds. Ça c’est la première chose. Ensuite on est allés sur site et il y avait un étudiant qui avait acheté un drone... je pourrais passer des heures à regarder ça. C’est un enseignement inimaginable. Alors que pour le jardin de Bordeaux par exemple, on a tout cherché dans les livres, sur du papier, ce n’était que des extraits. Mais notre cerveau étant ce qu’il est, et nos limites étant ce qu’elles sont, ce n’est pas parce que vous avez accès à des milliers de données que vous savez mieux les gérer qu’avec quelques données. Parce que le sujet c’est de faire quelque chose avec, et comme on peut pas tout transformer en une minute, on est obligés de choisir et de sélectionner. Mais c’est fascinant. Enfin en tout cas pour le cas de la Tunisie, peut-être que ce n’est pas le cas pour tous les pays, mais vous voyez énormément de choses, à tous les niveaux, dans la formation, la relation entre le sol et le sol qui n’existe pas. Donc dans les milieux désertiques, pour des étudiants c’est géant ! Comme bibliothèque. Donc ça apporte une compréhension à une autre échelle ? Oui, mais ça suppose que vous sachiez lire. C’est à dire interpréter l’image. On parle de paysage. Ou en tout cas lire et le voir. Mais avoir accès à la vue aérienne, à des vues de Saturne, c’est comme si la science fiction revenait sur Terre. Je parle de science fiction au sens de connaissance. Et quand on parle à un astronome, on se rend compte que les petites choses dont on s’occupe sont ridicules, ça devient totalement dérisoire, vous comprenez qu’on appartient à un système qui a des capacités de loin supérieures à notre cerveau. Je crois que durant les dix ou vingt dernières années,

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on a fait un saut de connaisance dans l’humanité qui est énorme. En tout cas en médecine, en biologie. Beaucoup plus que ce qu’on avait considéré avant. Et c’est lié à la capacité d’accéder à des images. Donc l’image est un retour, le visuel donc, car l’image est du visuel, c’est un retour de connaissances qui est démultiplié grâce au basculement du macro au micro. Et cela vient des vingt dernières années, pour la médecine et la biologie, mais ça vaut pareil pour l’astronomie, car on fait des découvertes tous les jours. Donc c’est la symétrie inverse, les outils qui captent ce qui se passent là-haut. Mais l’accès à cette information est une révolution quotidienne dans la connaissance. Ça devrait être la même chose pour nous paysagistes, même si on n’est pas biologistes ni astronome. Comment vous utilisez ces notions dans votre pratique du design ? Car on peut parler de formes, de formes du vivant peut-être ? D’une manière générale, quand on dessine, la difficulté c’est de fixer les choses. Parce qu’on doit les construire donc cela doit être fixé pour transmettre à quelqu’un ce qu’on veut faire. Quand on demande des choses impossibles, il faut trouver des outils pour faire des choses impossibles. Ça a commencé avec le jardin botanique de Bordeaux, avec la galerie botanique des milieux. Représenter des milieux naturels c’est un peu étrange, donc il faut trouver les outils adéquats pour répondre à la question qui nous est posée. Parce qu’on répond toujours à une question, c’est à dire qu’on est pas des artistes, enfin du moins je ne considère pas qu’on en est, où on ferait ce qu’on a envie de faire juste parce qu’on a envie de le faire. Donc à chaque fois, c’est pour répondre plus précisément

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Site du 11/19 Loos-en-Gohelle ĂŠcopole, horizon ouest de Louvre Lens, 2009 41

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à une question. Notamment pour le Louvre Lens, par exemple, c’est lié à des questions précises du programme, et d’interprétation du programme surtout, mais il y avait deux sujets au Louvre dès le concours. Premièrement, on est sur un sol inerte, donc non organique, et je savais grâce à Page Paysage et un article avec Claude Figureau42 que le premier travail du vivant venait des bactéries, des cyanobactéries etc. C’est elles qui font le travail, et c’est petit à petit qu’on arrive aux mousses, à la strate herbacée, la strate arbustive et les arbres, et au bout de dizaines de millions d’années. Donc comme le terrain du Louvre était inerte, puisque c’est le charbon, qui lui même est l’évolution à très long terme de la houille à la plante, de plus le dépôt de surface était non commercialisable, donc on a un terrain vacant, et c’est le travail des microorganismes qui rebascule le cycle du vivant et de la plante. C’est-à-dire que sur du très long terme la plante se transforme en houille, par la fossilisation, et à l’inverse le dépôt remis en surface à la lumière refait le cycle inverse. C’était mon hypothèse pour le Louvre et quand j’ai fait le concours, l’idée c’était que le bâtiment flotte dans le paysage, qu’il ne soit pas accroché, c’est à dire qu’on ne fasse pas un espace public. Et donc j’ai utilisé cette information scientifique, purement environnementale de ce cycle du vivant, du grand cycle du vivant. Pour le Louvre je ne voulais pas qu’une couche recouvre l’autre, c’est-à-dire que je ne voulais pas que le culturel recouvre l’économique avec l’exploitation du charbon et l’écologique avec la recolonisation des plantes. Le site a été choisi parce qu’il y avait déjà le potentiel d’un parc, donc on redonnait à la population ce qu’on avait pris. En produisant le charbon il y avait des terrils partout, et on a réouvert le cycle du végétale spontanément.

Figureau C., En premier les mousses, Page paysages: anamorphose, n°7, 09.1998, 191p.

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Quand j’ai enseigné à Philadelphie, à l’aéroport ou à la librairie, j’ai trouvé un livre de photo sur les mousses . Un livre incroyable, une association entre des scientifiques et des photographes, que des images. Et donc je me suis servi de ces images pour traduire la prolifération des mousses, parce que c’est ça qui est à la source du grand cycle de la plante. J’ai interprété plusieurs images de proliférations, parmi des milliers, selon où vous êtes, pour proposer ce mouvement dans le jardin. Ça vient de là, du hasard de l’achat de ce livre, deux ans plus tôt, et parce que ça me fascine. Et également parce que ça collait au sujet ! Oui, la forme sert la fonction. Oui, je ne l’ai fait que là, de cette façon. A Ulsan c’était d’une autre manière. Je ne connais pas la Corée, donc on a cherché de la documentation, on se renseigne. On a regardé tout le cours de la rivière et on s’est aperçu que, comme dans beaucoup d’endroits, comme le Rhin, comme le Rhone, comme toutes les rivières qui ont une dynamique très puissante qui charie les matériaux, entre le minéral et le végétal. A Ulsan comme ailleurs, la rivière a été canalisée, donc on devait travailler sur le lit de la rivière mais c’est devenu un espace vert débile, sans intérêt. C’est fait pour se protéger des inondations. Mais peut-être qu’il a d’autres manières pour se protéger que de canaliser. Ce jardin a été créé pour un festival des jardins, le titre c’est Lost In Transition, par rapport à Lost In Translation. Et on a cherché la manière de remettre, dans 500m², la capacité de brassage entre minéral et végétal. Donc pour dissoudre les limites par la croissance de la plante. Ici dans 500m² on a proposé beaucoup d’ombellifères, d’herbacées

Brodo I. W., Duran Sharnoff S., Sharnoff S., Lichens of North America, Ed. Yale University Press, 2001, 828p.

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Perforations du parvis est, 2007 41

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Disposition des fibres du corps, Benninghoff, non datĂŠ

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bien sur, pour garder une échelle, alors que les ombellifères montent à 2m. Et aussi pour que le jardin puisse traverser les saisons, il y a des gros contrastes. Il neige beaucoup làbas. Le jardin devait être un espèce de filtre l’hiver avec la neige, la glace. Entre temps, j’ai pris des images en janvier 2018, il gelait, il y avait beaucoup de vent, j’étais sur une friche, et le vent était tellement puissant que l’eau gelait au fur et à mesure du déplacement des cailloux. Donc on avait la trace du mouvement des cailloux. Une sorte de fixation d’image en direct de la transformation physique de l’eau en gel. Donc je voulais que ce jardin soit autant le potentiel de filtre de la pousse des annuelles que de l’hiver. De plus, j’avais trouvé des références sur un ingénieur hydraulicien qui avait trouvé une ressemblance entre la formation des chaînes de montagnes, c’est à dire la typologie des chaînes de montagnes par la géologie et le cœur. C’est à dire que la dynamique des fluides, que ce soit à l’extérieur de nous ou à l’intérieur de nous, c’est le même système. Et j’avais pris cet exemple pour Ulsan. C’était dans les années 60, avant toutes les imageries actuelles. Il a pris une coupe d’un cœur et des alpes, et il a montré que c’était structurellement la même chose, que ce soit des tissus vivants ou du minéral. Et après quand vous passez à l’astrologie, on vous fait la démonstration en deux minutes qu’on va tous devenir des étoiles. Et que les étoiles reproduisent des étoiles et produisent de la chair humaine, c’est un cycle. C’est à dire que l’organisme vient de la conjonction entre plusieurs éléments mineurs, et c’est les étoiles qui fabriquent ça. C’est des choses qui se mettent ensemble, qui font leur bouillabaisse, et ça donne de l’humain ou autre chose. En tout cas on revient à ça, le cycle est fermé. Rien ne se perd, Rien ne se crée, Tout se transforme.

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Jardin de Ulsan, C. Mosbach, 2018

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Jardin de Ulsan, C. Mosbach, 2018

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A travers cet entretien, on comprend l’importance qu’a le basculement entre les échelles et surtout la forme dynamique du vivant dans le processus de création du projet de paysage. En effet, la forme du vivant permet de répondre à une fonction bien précise, mais également sert l’esthétique du projet. Elle peut être inspirée de petits détails comme de grandes structures, mais dans tous les cas, elle n’est pas utilisée telle qu’elle existe dans le paysage. Elle est transformée, modifiée, étirée, déformée, pour répondre à des contraintes. Le design organique, c’est ainsi que l’on pourrait définir le travail de C. Mosbach, trouve son inspiration dans le minéral, le végétal, l’eau également, et surtout dans les transitions, les changements

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d’états du solide au liquide, du gazeux. Ces gradients, naturels sont tant de clés de compréhensions, mais aussi d’expression plastique, qu’il peut être intéressant de mettre en place pour créer des espaces plus durables, plus naturels, plus fonctionnels et agréables à parcourir.

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Cultiver le vivant, solution nutritive, 2019

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Protocole d’appréhension STIMULER L’IMAGINAIRE POUR COMPRENDRE La photographie de détail apporte une nouvelle vision et surtout un regard complémentaire pour l’appréhension des espaces. Au sein de cette partie, nous allons nous intérroger sur l’élaboration d’un protocole basé sur la photographie rapprochée, macro, à l’aide d’un objectif dédié. Comme étudié précédemment, le basculement d’échelle stimule l’imaginaire et apporte parfois des clés de compréhension. Comme des indices, ces détails, ou parties du tout, sont les pièces qui, assemblées, permettent de reconstituer un ensemble cohérent.

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La photographie macro permet de plonger vers un nouvel univers, parfois méconnu, souvent touché du doigt et appréhendé par les scientifiques. Grâce à l’imagerie et aux outils optiques adaptés, il devient alors possible de comprendre, découvrir, voyager à travers de nouveaux espaces, microscopiques. Je me suis attaché ici à photographier des éléments dans le potager du roi, dont résulte une sélection d’images que nous commenterons par la suite. Des légumes, des murs, un ensemble de détails qui constituent le potager du roi mais qui finalement sont très peu considérés de manière exclusive, c’est-àdire, extraits de la structure globale.

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Protocole d’appréhension

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Protocole d’appréhension

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Cette série de photos a été collectée au potager du roi, au détour d’un mur, d’un jardin, d’une haie. Ces détails ne nous paraissent pas familiers, il ne semble d’ailleurs pas familiers à quiconque fréquente des jardins publiques, potagers, espaces de production. Ils offrent un regard singulier sur l’espace, mettant en évidence, comme pourrait le dire Rose-Lynn Fisher, les ‘‘territoires cachés’’, microscopiques, inclus dans chacuns des espaces. Cette vision est intéressante, et peut stimuler l’imaginaire en un sens. Cependant, les images résultantes sont bien souvent ressemblantes. Elles mettent en avant une topographie, semblable à des falaises miniatures. C’est évidement lié au procédé. Les textures nous font perdre pied, chaque petit cailloux devient une roche, érigée. Evidemment, chaque image peut éventuellement constituer une source d’inspiration,

Micro / Macro

et le spectateur de l’image, qui peut également en être l’auteur, pourra imaginer quelque chose de très personnel. Chacun réagit différemment face à l’imagerie, elle évoque de nombreuses choses au regardeur, tout comme elle pourra le laisser indifférent. Ce protocole est proposé comme une ébauche, les prémices d’une éxpérimentation qui nécessiterait que l’on s’y attarde plus longuement, peut-être avec différents outils. Malgré tout, cela nous amène aux première conclusions. Les images résultantes, effectivement, pourront inspirer le regardeur, le créateur, mais elles sont directement liées à ce que souhaite montrer le photographe. En effet, l’objectivité n’a pas sa place ici, étant donné que l’on souhaite révéler des aspects, en recherchant la grande échelle au sein d’éléments microscopiques.

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L’auteur de la photographie est d’ailleurs lui aussi influencé, consciement ou inconsciement, ne seraitce que par l’esthétique cherchée. On souhaite également se rapprocher de ce que l’on connaît, des montagnes, des routes, des rivières, niant presque de nouveaux micro-paysages ne répondant pas aux critères visuels ou naturels recherchés. Le protocole idéal serait donc automatisé, avec éventuellement l’homme comme opérateur, mais ne réalisant que l’action de collecte des images, sans vraiment décider du cadrage, de la lumière, de la postproduction. En quadrillant une zone à différentes échelles, créant une trame régulière depuis laquelle on photographierait chaque croisements. Depuis la vue satellite jusqu’à la vue d’un échantillon au microscope. La variété des détails abordées, complexes, serait alors infiniement plus riche,

Protocole d’appréhension

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et potentiellement plus informative et inspirante. Malgré tout, si chaque croisement du quadrillage initial, devient lui même une zone sur laquelle on applique une trame et on photographie, ce protocole peut devenir très lourd dans sa mise en place. Malgré tout, il semble intéressant de chercher à extraire le détail d’un ensemble par la photographie, peut-être pas simplement pour comprendre, mais pour stimuler l’imaginaire enfoui d’un lieu. De nombreux outils peuvent alors être utilisés, nécessitant plus ou moins de temps ou de connaissances.




Conclusion

Cette recherche démarre et se termine par la photographie. Le medium est omniprésent et fait sens dans l’appréhension du paysage actuel. La photographie créée l’imagerie, le visuel, elle est vecteur d’émotions, d’idées, et stimule l’imaginaire. Elle s’est imposée comme une référence pour capturer l’essence des éléments à travers les outils optiques. La photographie montre, de manière objective ou subjective, le vivant dans toute sa complexité, sa force et sa profondeur. Depuis l’échelle micro jusqu’à l’échelle macro, elle bouleverse nos sens et notre perception. Elle conduit à la perte de repères. L’imagerie instruit, explore et inspire. Le paysage comme entité complexe, abordé par la photographie, est lieu d’expérimentations, de savoir. Aborder les différentes échelles du paysage, c’est également parler du paysage


comme fractal, ou pas complètement. Mais c’est aussi savoir se saisir d’une richesse que nous montre la science. Une richesse de la forme du vivant, dynamique, qui se traduit par un design sensible, inspiré, intimement lié à la fonction du projet. A travers trois parties, cet écrit nous aura permis d’explorer le basculement d’échelle grâce à l’outil photographique. Les similarités entre les échelles apparaissent, le zoom/dézoom nous emmène alors à chercher plus loin et se baser sur les mathématiques pour expliquer une esthétique de l’autosimilarité, une esthétique fractale. Le visuel, prédominant, fait finalement état de formes qui se répètent, de formes du vivant, qui stimulent l’imaginaire et la créativité. Elles sont les références de projets contemporains de paysage.

Conclusion

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Evidemment, les projets abordés ne sont pas exhaustifs, on préfère ici s’intéresser à des exemples concrets, afin de montrer simplement la manière dont ont été exploitées les notions mathématiques et la forme du vivant. L’étude de la fractalité pourrait être plus poussée dans sa complexité, dans le calcul, mais alors se perd un aspect inhérent au paysage qui est celui du ressenti et de la perception. Enfin, on pourrait se demander quels sont les processus de création à une échelle plus globale, basé sur des facteurs autres, et si la forme du vivant peut être exploitée d’une manière différente.


Remerciements Micro / Macro

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Je tiens à remercier tout particulièrement Sonia Keravel, l’encadrante de ce mémoire, pour sa disponibilité, son soutien sans faille et sa bienveillance tout au long de l’exercice. Je remercie également Catherine Mosbach pour le temps accordé lors de notre entretien, son ouverture d’esprit et les documents fournis afin de m’aider à l’écriture de ce mémoire. Je remercie mes camarades de classe et amis pour leur présence de chaque instant, à l’atelier dans les moments intenses, comme dans les moments ‘‘off’’. Je tiens à remercier mon amie pour avoir supporté mes nuits à rallonge à l’atelier et les réveils nocturnes. Enfin, je remercie ma famille sans qui tout cela n’aurait été possible.

Remerciements

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Bibliographie Micro / Macro

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OUVRAGES Aillagon J-J, Livingstone M., Ottinger D., Wajcman G., Heymer K., David Hockney, Espace/Paysage, Ed. du centre pompidou 1999, 277p. Arthus-Bertrand Y., La Terre vue du ciel, Ed. La Martinière, 2005, 440p. Benjamin W., Petite histoire de la photographie, Ed. Allia, 2012, 48p. Bertho R., La mission photographique de la Datar: Nouvelles perspectives critique, Paris, Ed. Documentation Française, 2014, 181p. Irwin Brodo I. W., Duran Sharnoff S., Sharnoff S., Lichens of North America, Ed. Yale University Press, 2001, 828p. Chirollet J-C., La question du détail et l’art fractal (à bâtons rompus avec Carlos Ginzburg), Ed. Harmattan, 2011, 280p. Daston L., Gallison P., Objectivité, Ed. Presses Du Reel, 2012, 576p. Fisher R-L., Topography of tears, Ed. Bellevue Literary press, 2017, 128 p. Frangne P-H. (dir.), Limido P. (dir.), Les inventions photographiques du paysage, Ed. Presses universitaires de Rennes, 2016, 210p.

Bibliographie

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Micro / Macro

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PHOTOGRAPHIES Bertrand Y-A., Grand Prismatic Spring, Yellowstone , 2010 Binocle, L’enfance du pli, Meyrin, 2015 Bisson Frères, Société Française de la photographie, La Mer de Glace et le groupe des grands Charmoz, 1860 Brunaud PY., L’enfance du pli, Meyrin, 2015 Brunaud PY., L’enfance du pli, Meyrin, 2015 Chironi F., Renaturation de la rivière Aire, 2015 Chironi F., Evolution de la rivière Aire, Juin 2014 à Mai 2015 Danuser H., Frozen Embryo, Série II, 1998-1999, Photographie sur papier baryta, 141x150 Hockney D., Pearblossom Highway, 1986, Collage de photographies, 119,2 x 163,8 cm, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles Le Corbusier (fondation), Ville radieuse, 1925 McHarg I. L. , Erosion, 1995 Milovanoff C., Palais officiels et bureaux, Mission photographique de la DATAR, non daté Nasa, Vera Rubin Ridge, 2017

Bibliographie

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Nasa, Poussières sur Mars, 2017 Nadar F., Vues aériennes du quartier de l’Etoile, 1858, épreuve sur papier albuminé, 230x287, Paris, Musée d’Orsay Nièpce N., Point de vue du Gras, 1826 Oliveri M., Innerspace, 2008, Photographie noire et blanc au microscope électronique, The Sovereign, Atlanta GA Perry S., Etude de la fractalité, jardin botanique de Brisbane, 2012 Ristelhueber S., A cause de l’élevage de poussière, 1991, Tirage pigmentaire noir et blanc encadré et sous plexiglass, 155 x 190 cm Smith A. E., Arthur E. Smith et son dispositif permettant de capturer des images à travers le microscope, 1909 Smith A. E., Part of a diatom, Coscinodiscus bi-angulatus, 1909 Smith A. E., Diatom, Actinocyclus ralfsii G: x750, 1909 Smith A. E., Langue de papillon G: x50, 1909 Source inconnue, Bar à oranges, structure de Michel Blazy, 2012 Source inconnue, Jardin d’Awaji, Japon Source inconnue, Jardin d’Awaji, Japon Pesquet T., Archipel des Bijagos et du parc national, 2017

Micro / Macro

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PHOTOGRAPHIES SATELLITES Brooklyn, Google satellite, 2019 Fort Bourtange, Pays-Bas, Google satellite, 2019 Palmanova, Italie, Google satellite, 2019 Sahara, Google Satellite, 2019

IMAGES Brusset G., Dessin à la mine de plomb, L’enfance du pli, 2014 Cullity Lethlean T., The australian garden, 2013 Descombes G., Rehabilitation de l’Aire, Croquis, non daté Ito T., Ramifications, 2003 Ito T., Arbre d’eau, 2003 Ito T., Maquette du parc de la Gavia, 2003 Ito T., Croquis de l’arbre d’eau, 2003 Frankhauser et Genre-Grandpierre, Localisation de centres de commerces et services dans deux modèles de ville, l’un euclidien et l’autre fractal, 1988 Mandelbrot B. B., Construction progressive d’un terragone dont la surface totale reste constante au fil des itérations, 1982

Bibliographie

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Richard F. Voss, A fractal landscape that never was, 1982 Source inconnue, Ensemble de Mandelbrot, 1975 Source inconnue, Courbe de Koch, 1904 Source inconnue, Triangle de Sierpinski, 1916 Tannier et al., Deux exemples de relations entre forme globale et formes locales, 2007 Turner et al., Carte des types de sols en europe du nord, selon différentes échelles, 2001

PEINTURE Hugard de la Tour C. S., La Mer de Glace, 1862

EXPOSITIONS Blazy M., Le grand restaurant, Le plateau, Paris, 20.09.2012 à 18.11.2012

FILM Eames C., Eames R., Powers of Ten, 1977, film couleur, USA, IBM, 9 min.

Micro / Macro

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ARTICLES Figureau C., En premier les mousses, Page paysages: anamorphose, n°7, 09.1998, 191p. Fotheringham A. S., Batty M., Longley P. A., DiffusionLimited Aggregation and the Fractal Nature of Urban Growth, Papers of the Regional Science Association, vol. 67, 1989, p. 55-69. Frankhauser P., Fractal Aspects of Urban Systems, Sonderforschungsbereich 230, Natürliche Konstruktionen, 1988, vol. 1, p. 67-76. Gervais T., Le basculement du regard, les débuts de la photographie aérienne 1855-1914, Etudes photographiques, 9, Mai 2001 Perry S. Reeves R., Sim J., Landscape Design and the Language of Nature, Landscape Review, 2008, 18p. R. M., Paysage fractale, Parc de la Gavia, quartier de Vallecas, Techniques et architecture, 2005, p. 76-81 Taki K., A conversation with Toyo Ito, El Croquis, n°123, 2005, p.8 Tannier C, Formes de villes optimales, formes de villes durables, réflexions à partir de l’étude de la ville fractale, Espaces et sociétés, 2009, n°138, p. 153-171

Bibliographie

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THÈSE / MÉMOIRE Perry S.,The unfinished landscape, Fractal geometry and the Aesthetics of Ecological Design, Thèse, 2012, 303p. Sidawy J., Un nouveau chapitre dans l’oeuvre de Toyo Ito, Induire la nature dans la forme construire, Mémoire d’étude, 2011, 46p.

COMMUNICATION, CONGRÈS, CONFÉRENCES Quatrième conférence Landezine Live avec G. Descombes, HafenCity university, Hambourg, 13.10.2018 Chambon, De l’esthétique fractale du paysage urbain, Comunication dans le cadre du congrès international : Fractales en progrès, des mathématiques à la physique, la finance, la géophysique, l’image, la biologie, Faculté de Médecine Necker, 2004 Duchesne J., Tanguy F. et Joliet F., How does the fractal geometry lead to new identification of the landscape shapes ?, 38th IFLA World Congress 2001, 2001, p. 59-69. Convention européenne du paysage, Florence, Article 1, 2000

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Se balader à travers les échelles, observer les paysages, perdre pied. C’est dans cet univers, entre microscopie et photographie satelite que s’inscrit cet écrit. On s’aperçoit rapidement des similarités, mais aussi des différences entre ces mondes. Regarder à l’aplomb des choses, observer le détail, s’en emparer, une démarche propre à chacun qui stimule un imaginaire, pouvant pousser les paysagistes à s’emparer des formes naturelles, des dynamiques, et créer des projets qui font sens, où le dessin sert la fonction. Un aller-retour depuis l’atome jusqu’aux astres, le basculement entre les échelles. Mots clés : Echelles - Photographie - Fractale - Micro - Macro Wander through the scales, observe the scenery, lose your footing. This book is about the universe, between microscopy and satelite photography. We can quickly get similarities, but also differences between these worlds. Looking at the things, observing the detail, seizing it, it is a personal step which stimulates an imagination, that can push the landscape designer to use the natural forms, the dynamics, and to create projects that make sense, where the drawing serves the function. A round trip from the atom to the stars, a switch between the scales. Key words : Scale - Photography - Fractal - Micro - Macro


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