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En route
Les routiers sous pression
Le long des autoroutes comme des routes cantonales, les aires de repos et de décharge manquent.
Indispensables mais de plus en plus indésirables, les poids lourds. Entre problèmes d’accès, contrôles policiers et surcharge de trafic, les routiers doivent composer avec de nombreuses contraintes.
Il est bien fini, le temps où les camionneurs étaient accueillis en héros dans les vallées. Xavier Berthod, président de l’ASTAG Valais, se souvient des récits de son grand-père. «Les gens l’attendaient avec impatience, parce qu’il apportait les denrées indispensables à la vie quotidienne. Aujourd’hui, le chauffeur qui transporte ces mêmes produits est vu comme un gêneur et un pollueur.» Et ce n’est pas qu’une question d’image. Les professionnels de la route ont la nette impression qu’on leur met des bâtons dans les roues. D’un côté, ils doivent répondre aux exigences d’un marché très concurrentiel, démultiplié par l’explosion de l’e-commerce, qui leur demande de livrer
3,7%
C’est le pourcentage de poids lourds (plus de 3,5 tonnes) immatriculés en Valais, dédiés aux transports de marchandises et à l’industrie, sur l’ensemble du parc de véhicules routiers.
4 TCS SECTION VALAIS N° 1 – 2020 vite et bien. De l’autre, ils se heurtent à de nombreux obstacles. A commencer par les accès routiers. Les zones interdites aux plus de 3,5 tonnes sont de plus en plus nombreuses. «On ne peut plus s’approcher des habitations pour livrer du mazout ou des pellets, cela devient aberrant. J’ai souvent dû me battre pour obtenir des dérogations ou réduire des amendes salées», explique Christian Dubuis, qui a présidé la section Routiers suisses du Valais central pendant huit ans.
Manque de place Les communes ne souhaitent plus de poids lourds dans leurs centres, mais les places de décharge manquent aux abords des villes. «On ne sait plus où déposer les remorques ni transférer les marchandises. On nous demande de faire le boulot, mais on ne veut surtout pas nous voir», résume Oscar Dubosson, le président de la section chablaisienne des Routiers suisses. Idem pour les places poids lourds sur les aires d’autoroute: elles ne cessent de diminuer alors que le repos des chauffeurs est hyperréglementé. Bref, les contradictions ne manquent pas dans le secteur, même lorsqu’il s’agit de stratégie politique fédérale.
Alors que la Suisse a choisi de privilégier le rail pour le transport de marchandises, les infrastructures de transfert se révèlent insuffisantes. «Nous y sommes pourtant favorables car nos routes sont saturées. CFF Cargo assure le trafic nord-sud par le rail, mais il n’y a rien pour la liaison est-ouest. De plus, de nombreuses gares marchandises ont été démantelées, y compris en Valais», déplore Xavier Berthod.
Les défis de la route en Valais Les routes valaisannes ne sont pas de tout repos pour ceux qui s’en servent comme outil de travail. Leur entretien a souffert des coupes budgétaires et leur topographie offre peu d’alternatives en cas de problème. Lorsqu’un éboulement coupe une route de montagne, la déviation n’est pas toujours accessible aux poids lourds.
Xavier Berthod s’inquiète aussi de l’état des ouvrages d’art. La fermeture du viaduc de Riddes aux plus de 3,5 tonnes contraint actuellement les camions à de difficiles détours dans les villages. Mais le pire pour un transporteur, c’est de devoir mettre ses véhicules à l’arrêt. C’est
ce qui arrive chaque année au pied du col du Simplon, pendant une vingtaine de jours, à l’annonce du moindre flocon. «Ces mesures préventives nous paraissent excessives pour des véhicules bien équipés.»
Surveillés de près Les réglementations dédiées à la sécurité du trafic rythment le quotidien des chauffeurs. Elles sont nombreuses et pas toujours simples à respecter. Les nouveaux tachygraphes numériques permettent à la police de lire à tout moment les données du camionneur: temps de conduite et de repos, vitesse des 24 dernières heures, distance avec les autres véhicules, etc. Il suffit de dépasser son temps de conduite dans un bouchon ou de mordre 30 secondes sur sa pause pour se voir amender sur-le-champ.
Depuis Via Sicura, tout conducteur professionnel se doit d’être irréprochable, même dans le domaine privé. «S’il écope d’un retrait de permis lors d’un déplacement avec sa voiture, il perd son travail», rappelle Christian Dubuis. Les contrôles médicaux obligatoires chaque 5 ans ont aussi leur impact. «On nous signale parfois des erreurs ou des abus dans ces expertises, comme cette conductrice à qui on voulait retirer le permis parce que sa taille avait diminué de 3 centimètres.»
De cas en cas, les routiers négocient et trouvent des solutions avec les employeurs et les autorités. Si la pression est bien là, le métier est relativement épargné en Valais par rapport à d’autres régions suisses. Xavier Berthod souligne les efforts de la branche pour former des jeunes et assurer la relève. «Contrairement aux zones frontalières, où les bas salaires des chauffeurs étrangers concurrencent les salaires suisses, les transporteurs valaisans offrent les mêmes conditions pour tous leurs employés.»
«On ne peut plus s’approcher des habitations pour livrer du mazout ou des pellets, cela devient aberrant. J’ai souvent dû me battre pour obtenir des dérogations ou réduire des amendes salées.» Christian Dubuis, section Valais central des Routiers suisses
La pression n’empêche pas la passion, inhérente au métier. Portrait d’une jeune routière enthousiaste.
Jennyfer Gobet est devenue conductrice poids lourds après un accident professionnel.
Jennyfer Gobet sillonne le Chablais tous les jours pour fournir les chantiers en matériaux divers. Ce travail chez Bellon Transports à Troistorrents, elle l’a obtenu de haute lutte, après une période d’incertitude professionnelle. La jeune femme âgée de 30 ans, menuisière-ébéniste de formation, œuvrait depuis plusieurs années comme ferblantière-couvreuse. Une grave blessure au poignet l’a mise sur le carreau. Les médecins sont formels: elle ne pourra plus porter de charges et doit renoncer à son activité sur les chantiers.
L’AI lui propose une reconversion professionnelle dans la conduite de camions et de cars. «Financièrement, je n’aurais jamais pu m’offrir un tel permis sans aide. Ma formation a duré un peu moins de deux ans. Au début, c’était dur de tout recommencer à zéro. Mais aujourd’hui, je ne regrette rien!», lance Jennyfer Gobet, tout sourire. Au volant de son camion, un MAN 4 essieux multilift, elle aime son indépendance et cette sensation unique de dominer la route. Elle apprécie aussi les contacts quotidiens avec les machinistes et ouvriers qui réceptionnent la marchandise.
Attention constante Etre chauffeur professionnel implique toutefois beaucoup de responsabilités. «La conduite demande une attention constante, il faut avoir les yeux partout. Le danger vient souvent du manque d’égard ou d’anticipation de la part des autres usagers. Par exemple, des automobilistes qui ne mettent pas leur signofil ou des piétons qui se croient prioritaires dans des zones où ils ne le sont pas.» Le respect des délais de livraison dans un trafic qui a son lot d’imprévus représente un défi quotidien. «Nos programmes sont souvent modifiés en cours de journée, il faut s’adapter en permanence.» En hiver, Jennyfer Gobet change d’altitude et de mission. Elle conduit les bus navettes de Morgins destinés aux skieurs. Varié, exigeant, le métier est aussi gratifiant. Deux ans après sa reconversion, la jeune routière l’a déjà dans la peau.
La formation continue s’allège
Le cours aborde notamment le freinage, le virage sur chaussée glissante et l’évitement d’obstacles.
Un jour de cours au lieu de deux. La formation des détenteurs du permis de conduire à l’essai a été réduite depuis le début de l’année. D’autres changements sont prévus en 2021, dont la possibilité d’avoir sa plaque L à 17 ans.
La réforme du permis de conduire entre en vigueur petit à petit et chaque année connaît son lot de nouveautés. Après l’ouverture du permis automatique aux voitures manuelles en 2019, une nouvelle version de formation complémentaire s’applique en 2020: un seul jour de cours obligatoire au lieu de deux, à suivre auprès des centres «deux phases» dans les douze mois après son examen de conduite. L’allègement de la formation représente une économie bienvenue pour les jeunes conducteurs: au centre L2 de St-Maurice, la facture s’élève désormais à 380 francs, contre 660 auparavant. Le contenu a été revu pour être dispensé sur une journée de sept heures, selon les directives fédérales. Il est principalement axé sur les distances de freinage, le virage sur chaussée glissante, les évitements d’obstacles et le freinage d’urgence.
Conduite accompagnée dès 17 ans La révision du permis de conduire amorce son virage le plus important en 2021: les jeunes âgés de moins de 20 ans auront l’obligation de s’exercer en conduite accompagnée pendant douze mois avant l’examen pratique. Afin qu’ils puissent continuer à obtenir leur permis à l’essai à 18 ans, l’âge du permis d’élève conducteur a été avancé à 17 ans. La réforme abaisse également l’âge de conduite de certains motocycles, en harmonie avec la législation européenne: on pourra conduire des motos de 50 cm 3 allant jusqu’à 45 km/h dès 15 ans, et 125 cm 3 , dont les scooters, dès 16 ans. En revanche, elle durcit l’accès aux motos les plus puissantes hors du cadre professionnel: il faudra d’abord obtenir un permis de la catégorie A pendant deux ans avant de pouvoir y prétendre. Les formations et examens sont désormais valables pour une durée illimitée. Une personne ayant passé son examen théorique de moto à l’âge de 15 ans n’aura donc plus besoin de le repasser pour la conduite d’une auto, même si elle entreprend les démarches dix ans plus tard.
Quelques adresses utiles • Infos générales sur lepermisdeconduire.ch (fuehrerausweise.ch/) • Demande de permis et démarches officielles sur vs.ch/web/scn • Infos et inscription à la formation continue obligatoire: Centre L-2 VS à Saint-Maurice, 024 485 39 07, st-maurice@l-2vs.ch
Echangez votre «bleu» avant 2024
Les titulaires de permis en papier bleu sont tenus de les échanger contre un permis au format de carte de crédit d’ici le 31 janvier 2024 auprès du Service de la circulatoire routière et de la navigation (SCN). Passé ce délai, leur permis perdra sa valeur de document de légitimation, mais l’autorisation de conduire restera valable. A noter que la version carte de crédit est déjà obligatoire pour obtenir un permis international.