HS TVB 24 Autismes

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Revue participative de solutions

Nº 24 FÉVRIER 2022

GRATUIT

HORS-SÉRIE - AUTISMES

Comprendre les troubles du spectre autistique (TSA) Avis d’experts et de personnes concernées

à mon grand-père et mon neveu

Actions mises en place Associations ressources Témoignages

Journal associatif et sans publicité déposé au dépot légal de la Bnf. Achevé d’imprimer en février 2022 à Synergie Copy, Villeurbanne. Ne pas jeter sur la voie publique - Numéro ISSN : 2495 - 9847 - Numéro CPPAP : 0624 G 93965.


Le Tout Va Bien Le magazine TVB est l’un des principaux outils de l’association Tout Va Bien qui a pour objet social la diffusion de solutions et de connaissances à impact positif sur l’environnement, la société et le vivre-ensemble. Inspiré du journalisme de solutions, TVB a créé en 2016 le principe de l’initiative au kilomètre. En relayant les démarches inspirantes d’acteurs locaux, de manière participative avec tous les citoyens, l’association espère stimuler les envies d’agir à côté de chez soi. Nous partageons également des intiatives inspirantes venues d'ailleurs et des avis d'experts permettant de comprendre les enjeux. L'association développe également des actions socio-culturelles d'éducation populaire, essentiellement autour de l'éducation aux médias. Nos actions permettent souvent d'apprendre en faisant, de découvrir des outils pour créer et vérifier l'information.

Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain Association loi 1901 Ligue de l’enseignement 20, rue François Garcin 69003 Lyon contact@toutvabienlejournal.org

Édito À l’issue d’une première concertation commune, avec les personnes concernées, nous avons décidé d’intituler ce hors-série Autismes au pluriel, avec un« S ». Nous souhaitions illustrer la diversité des personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et donc parler d’autismes, plutôt que d’autisme comme s’il n’en existait qu’une forme et qu’une façon de vivre avec. Le spectre de l’autisme n’est d’ailleurs plus représenté de manière linéaire de Kanner à Asperger, mais sous forme de constellation et de spécificités. Nous avons appréhendé le temps, les imprévus, la conjoncture. Nous avons trouvé des consensus pour produire un travail collectif fruit d’efforts, de patience, de bienveillance, de partages intimes et puissants de tous les participants, ici remerciés. Cet aboutissement est preuve d’épanouissement possible dans nos particularités et altérités, merci à tous ceux qui, ici, nous l’ont encore prouvé. Laurianne Ploix

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Secrétariat de rédaction Clément Navoret Equipe rédactionnelle Journalistes, professionnels de santé et participants du centre TS2A du Centre Hospitalier Le Vinatier à Lyon Pauline Leslie Anaïs Nathalie Anne-Caroline Madame G Erika Tiphaine Catherine Véronique Clara Barge Antoine Desvoivre Hassan Alsalahi Sophie Cervello Feriel Baraka-Zeman Véronique Barathon Céline Blanchard Charlotte Pellegrin Loraine Beaumont Raphaëlle Vivent Élodie Horn Marie Albessard Laurianne Ploix Mise en page Laurianne Ploix Photographies Propriété de TVB, Libres de droit ou cédés par nos partenaires, reproduction non autorisée

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Directrion de Publication Laurianne Ploix

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Contenus rédactionnels Tous les contenus rédactionnels sont partagés en licence creative commons by-nc-sa et donc libres de droit à partir du moment où l’auteur est crédité et que le texte n’a pas été modifié et ne fait pas l’objet d’une utilisation commerciale. Imprimé sur papier PEFC, imprim’vert Chez Synergie Copy 8 place Marengo 69100 Villeurbanne Hors-série avec le soutien financier du FDVA et de la DRAC Auvergne Rhône-Alpes Plus d’infos sur : Http://toutvabienlejournal.org

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Le projet Un magazine conçu avec des personnes concernées Ce magazine a été conçu en partenariat avec l’unité TS2A du Vinatier, avec des personnes concernées par les troubles du spectre de l’autisme (TSA). Elles ont orienté le choix de l’intention de cette publication (lutter contre la stigmatisation), participé au choix des sujets, de la maquette, de l’image à la Une, aux reportages et interviews, à la rédaction de textes personnels... Les articles traditionnels sont accompagnés de leurs témoignages afin de rendre le projet plus vivant et d’y inclure leur parole, leur vécu, leur expérience... forts importants pour la compréhension et le partage de solutions. Retrouvez ci-dessous une partie de l’équipe du projet.

Anaïs

Erika

Loraine

Catherine

Céline

Nathalie

Clara

Laurianne

Pauline

Madame G Anne-Caroline

Tiphaine

Élodie

Raphaëlle

Marie

Antoine

Hassan


Sommaire

CONNAÎTRE LES AUTISMES Pages 6 à 23 6à9 10 & 11 12 13 & 14

Infographie : Les TSA décortiqués, chiffres et définitions Les TSA expliqué par le Docteur Cervello Témoignage de Pauline : On naît autiste, on ne le devient pas Diagnostic des TSA : la nécessité de former et d’informer, selon le Docteur Sonié

15

Témoignage de Catherine : Mon parcours de diagnostic

16

Alexandra Reynaud, Asperger et fière de l’être

17

Témoignage Erika : « Elle est autiste ? Mais ça ne se voit pas ! »

18

Sabine, mère d’un jeune TSA : « Il faut se battre pour tout, mais il ne faut rien lâcher »

19

Alistair Houdayer : « Le handicap est une question politique »

20 & 21

Dernières nouvelles du cosmos : rencontre avec la réalisatrice, Julie Bertuccelli, et Hèlène dite Babouillec

22

Témoignage d’Anne-Caroline : Mon intérêt spécifique : la danse et mes stratégies d’adaptation

23

TSA et comorbidités : l’avis des neuropsychologues Loraine Beaumont et Charlotte Pellegrin


FACILITER L’AUTONOMIE ET L’ÉPANOUISSEMENT, POUR UNE SOCIÉTÉ BIENVEILLANTE Pages 24 à 31 25

À La Traboule, les jeunes autistes bénéficient d’un suivi sur mesure

26

LOGITED, un habitat partagé et accompagné

27

À Messimy, un village Sésame pour vieillir sereinement

28

Emploi : accompagner candidats et employeurs avec Aspiejob

29

Témoignage de Mme G : Parcours professionnel et expérience avec un job coach

30

Podcast TroubleS dans le Spectre, la parole aux concernés

31

Jean-Philippe Piat, guide de survie de la personne autiste

BOÎTE À OUTILS, RESSOURCES & ASTUCES Pages 32 à 35

33

La boîte à outils du TSA par Nathalie

34

Les astuces pour mieux vivre son TSA par Catherine

35

Ressources pour aller plus loin Contacts des structures évoquées


PAGES 6 À 23

CONNAÎTRE LES AUTISMES


Les TSA décortiqués, chiffres et définitions condition neurodéveloppementale. C’est-à-dire que la per-

Déficits de la communication et des interactions sociales

TSA

La dyade de l’autisme

L’autisme est une

Caractère restreint et répétitif des comportements et des intérêts

Source : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM - 5 de 2013

sonne ne souffre pas d’une maladie, mais a un fonctionnement cérébral différent. Comme ce n’est pas une maladie, on n’en guérit pas. La personne évoluera avec cette condition toute sa vie. Aujourd’hui, on parle plus de spectre de l’autisme que d’autisme. Ce spectre signifie que l’échelle de l’autisme est grande : certaines personnes autistes sont non verbales, d’autres oui. Certaines ont un déficit mental et d’autres pas du tout. Certaines peuvent développer des capacités pour des talents particuliers, des facultés plus poussées, sont surdouées, et d’autres personnes ont des facultés classiques. Il y a en fait

autant de personnes touchées par l’autisme que de formes d’autismes. Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA)

Avec troubles du langage

Sans troubles du langage

Avec déficience intelectuelle

Définition de Véronique, pair-aidante à TS2A

Sans déficience intelectuelle

Source : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM 5 de 2013

62 %

des enfants diagnostiqués TSA ne présentent aucune déficience intellectuelle.

En France, environ

700 000

personnes sont atteintes

d’un trouble du spectre de l’autisme. 8 000 enfants autistes naissent chaque année, ce qui représente .

1 personne sur 100

Source : INSERM

Source : Autism and Developmental Disabilities Monitoring

La proportion filles/garçons est de , on suppose un sous-diagnostic notamment du fait des techniques de camouflage plus maitrisées, généralement, par les femmes.

3 à 4 garçons pour 1 fille

446 jours de délais

en moyenne pour obtenir un en Centre de Ressources Autisme (CRA).

diagnostic

HS TVB #24 - P.7


Les 10 caractéristiques des TSA 1. La complexité de l’interaction sociale Créer des liens et tisser des relations à long terme peut être difficile pour une personne présentant un trouble du spectre de l’autisme, de par sa difficulté à interpréter les codes sociaux, l’humour et le second degré. Les interactions sociales informelles et non préparées peuvent être source d’angoisses.

2. La fatigue en général Jusqu’à 70 % des personnes autistes présenteraient des problématiques de sommeil. Elles peuvent être dues, entre autres, à des particularités sensorielles très énergivores pour la personne. La personne autiste a donc besoin d’aller lentement, de respecter son propre rythme, de dormir plus que les autres, d’avoir plusieurs moments de repos, de pause, de collation, un grand besoin de s’isoler, de se retrouver au calme.

3. L’hypersensibilité et hyposensibilité sensorielle L’hypersensorialité est définie par le fait de ressentir « plus fort », et l’hyposensorialité par le fait de ressentir « moins ou pas assez fort ». Souvent, les personnes autistes perçoivent, entendent et voient le monde différemment. Elles peuvent ressentir de la douleur physique en cas de stimuli extérieurs trop éprouvants.

4. Les intérêts restreints (IR)

Une des caractéristiques du trouble du spectre de l’autisme est la présence d’intérêts restreints, appelés aussi intérêts spécifiques. On retrouve souvent des personnes extrêmement bien informées etpassionnées sur certains sujets qui apparaissent comme un refuge de protection.

5. Les gestes spécifiques, répétitifs, stéréotypies L’autostimulation prend différentes formes comme se ronger les ongles, claquer ou se craquer les doigts à répétition, se balancer les jambes... La personne autiste le fait généralement à un degré beaucoup plus important, plus envahissant et parfois moins approprié socialement. L’autostimulation nous aide à mieux contrôler nos émotions, à se concentrer sur une tâche, à empêcher l’effondrement émotionnel (meltdown) lié à la surcharge sensorielle et à se sentir mieux. Contre l’angoisse ou pour la concentration, certains utilisent des gadgets anti-stress ou « fidgets », qui leur permettent de se concentrer sur leur utilisation.

6. L’hyperémotivité Beaucoup de personnes autistes ont souvent du mal à reconnaître, interpréter, verbaliser et contrôler leurs émotions. Elles peuvent être maladroites, trop directes ou au contraire renfermées, ce qui peut provoquer le rejet des autres et de la souffrance.

7. Besoin de sécurité et de répétition Un des premiers signes de l’autisme peut être l’attachement à certaines routines et rituels. Ce « contrôle » de l’environnement et l’aménagement spécifique de l’espace permet d’être apaisé, dans une constance, avec des habitudes qui ne changent pas.

8. L’alimentation « contrôlée » ou spécifique Certaines personnes autistes sont hyposensibles et ne ressentent pas la satiété. Elles peuvent remplir leur estomac au maximum, jusqu’à ne plus avoir de place du tout. D’autres ont des problèmes d’hypersensibilité et cela compliquera les sensations liées au goût, à l’odorat et même la vue des aliments.


9. Les crises ou effondrements autistiques

AUTISMES

Connaître

(meltown, shutdown)

Le shutdown peut se traduire par « fermeture » en français. Le meltdown comme « effondrement ». Ce sont toutes deux des expressions de surcharges sensorielles. Les stimuli visuels, auditifs, tactiles, etc. provoquent un afflux trop varié, trop puissant ou trop long, rendant ces informations difficiles à traiter, si bien qu’elles peuvent vite devenir insurmontables. Le shutdown est une défense de l’organisme contre les agressions sensorielles. Vue de l’extérieur, la personne semble être dans l’incapacité de communiquer, cherche à s’isoler au calme, se replie sur elle-même, peut avoir recours aux stéréotypies et parfois se retrouve mutique, incapable de parler même si elle le voulait. De l’intérieur, elle ressent une explosion immense, un tsunami intérieur qui envahit, un mal physique et mental qui submerge, incontrôlable. Le meltdown est une forme d’incapacité à retenir une surcharge émotionnelle, une explosion intérieure, impossible à retenir, contenir. Les manifestations extérieures sont assez troublantes et parfois violentes à voir ou à vivre pour l’extérieur. De la « crise de larmes » incontrôlée à la « crise de rage », les personnes peuvent littéralement exploser. Cela peut passer par des hurlements, de la colère, voire de la violence contre soi-même et dans certains cas extrêmes contre les autres. La meilleure réaction est de rester présent sans ajouter de stimuli et attendre que le temps et le calme permettent de « redescendre ».

10. Les troubles associés ou comorbidités La plupart des personnes autistes présentent des comorbidités, c’est-à-dire des symptômes ou troubles en plus, associés à l’autisme et qui retardent parfois le diagnostic. Les troubles suivants peuvent être associés ou confondus avec l’autisme : • Trouble d’anxiété généralisée (TAG) • Trouble d’anxiété sociale ou phobie sociale (TAS) • Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) et troubles DYS (Dyspraxie, dyslexie, etc.) • Trouble obsessionnel compulsif (TOC) et personnalité obsessionnelle compulsive (POC) • Trouble bipolaire (autrefois connu sous le nom de trouble maniacodépressif) • Trouble borderline ou de la personnalité limite (TPL) • Trouble dépressif majeur (TDM) • Syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) • Trouble de l’alimentation • Trouble de Stress Post-Traumatique • Troubles du spectre de la schizophrénie

Les bons côtés du syndrome d’Asperger Il faut noter que l’appellation syndrome d’Asperger n’est plus utilisée dans les classifications médicales depuis la publication du DSM-5 en 2013, puisqu’il est inclus dans les troubles du spectre de l’autisme, et que ses particularités sont précisées au moyen de spécificités. Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle. Comme pour toute autre condition du spectre de l’autisme, ses caractéristiques peuvent varier. Cependant, on retrouve souvent ces qualités-là chez les personnes Asperger : • L’honnêteté, la fidélité ; la fiabilité et loyauté, la gentillesse ; • Le sens des valeurs et peu de préjugés ; • L’originalité, la créativité, souvent artistes, passionnés, souvent experts dans les intérêts spécifiques et travailleurs ; • La capacité à percevoir et mémoriser les détails, un grand sens de l’observation. Textes adaptés du travail de Véronique Barathon, pair-aidante, lors d’un stage au CRA en 2018. Illustrations à l’aquarelle de Tiphaine. Compte Instagram : @crea._tiph HS TVB #24 - P.9


AUTISMES

Connaître

Le TSA expliqué par le Dr Cervello

P

sychiatre et praticienne hospitalière au Centre Hospitalier Le Vinatier de Lyon, la docteure Sophie Cervello est cheffe de service de l’unité TS2A (Trouble du Spectre de l’Autisme de l’Adulte). Elle décrypte pour nous l’autisme et ses spécificités.

TVB : Pouvez-vous présenter l’unité TS2A ? SC : Il s’agit d’une unité spécialisée dans la réhabilitation psychosociale des adultes avec un trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle, ou TSA SDI, correspondant dans les anciennes classifications au syndrome d’Asperger notamment. Elle a été créée en décembre 2018 pour développer des outils spécifiques de réhabilitation psychosociale à destination des personnes avec TSA SDI. Ces outils sont principalement de la psychoéducation, de l’entraînement aux habilités sociales et de la cognition sociale, et du job coaching (de l’accompagnement vers l’emploi et le maintien dans l’emploi). Il existe des accompagnements individuels ou groupaux.

Sophie Cervello, directrice du centre TS2A. © F. Todoroff

HS TVB #24 - P.10

Nous sommes une équipe médicale de 4 psychiatres : le Dr Juliette Bouchet, le Dr Feriel Baraka et moimême, ainsi qu’une interne en psychiatrie. Nous avons aussi une job coach, Céline Blanchard, 2 neuropsychologues, Charlotte Pellegrin et Loraine Beaumont, une pair-aidante professionnelle (une personne concernée rétablie qui accompagne les nouveaux diagnostiqués en partageant son expérience) Véronique Barathon, une secrétaire, Naïma Kerouani, et des bénévoles, personnes concernées, qui interviennent sur des groupes thérapeutiques. Nous avons pour missions, également, de proposer des évaluations diagnostiques de 3e ligne, et de participer aux activités de recherche et d’enseignement. Nous recevons des personnes envoyées par des psychiatres qui suspectent un trouble du spectre de l’autisme mais qui ont des doutes sur un diagnostic différentiel du fait de comorbidités ou d’atypicités cliniques. La 1ère ligne correspond souvent au médecin généraliste et la 2e ligne au psychiatre en centre médico-psychologique (CMP) ou en libéral. La 3e ligne, nous, correspond à la psychiatrie spécialisée dans les troubles du spectre de l’autisme. Les psychiatres, en général, ont des degrés divers de formation sur les troubles neurodéveloppementaux. Le Centre Ressources Autisme (CRA) développe des formations à destination des psychiatres afin qu’ils puissent monter en compétences, même s’ils ne sont pas spécialisés dans l’autisme.

TVB : Quelle est votre définition de l’autisme ? SC : L’autisme est un trouble neurodéveloppemental aux causes encore mal déterminées, avec une prédisposition génétique, occasionnant des difficultés dans le champ des interactions sociales et de la communication, une restriction des intérêts, des particularités sensorielles et des particularités d’ordre cognitif pouvant impacter l’adaptabilité au changement et la gestion du quotidien. L’autisme est une condition qui peut entraîner une fatigabilité importante, une désinsertion socioprofessionnelle et des complications psychiatriques.

TVB : Comment est réalisé un diagnostic TSA ? S’agit-il de tests ? SC : Tout d’abord, aucun test n’a une fiabilité de 100 % pour aider à poser un diagnostic. La plupart des tests sont des auto-questionnaires : la personne nous indique si la proposition faite correspond à ce qu’elle peut vivre au quotidien et, selon le score, le diagnostic est probable ou non. Mais de nombreux autotests se montrent insuffisants pour faire la part des choses entre ce qui relèverait de troubles anxieux, de dépression ou d’autres troubles psychiatriques et ce qui relèverait de l’autisme. Ils ne sont efficaces qu’en complément des observations cliniques (ce que nous dit le patient, la façon dont il a vécu ses apprentissages, ses intérêts, sa sensibilité, sa sociabilité, etc. ainsi que notre observation). Les proches peuvent aussi amener des éléments extérieurs utiles au diagnostic. Il existe cependant 2 évaluations qui sont plutôt performantes. L’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule, ou échelle d’observation pour le diagnostic de l’autisme) consiste en l’observation de la personne mise en situation. Un certain nombres d’exercices sont donnés et filmés afin de permettre l’analyse postérieure. On s’en sert chez l’adulte uniquement si des doutes persistent après une première évaluation clinique et la passation d’échelles de dépistage. Le second est l’ADI-R (Autism Diagnostic Interview-Revised ou entretien de diagnostic de l’autisme-nouvelle version). Il s’agit d’un questionnaire structuré, réalisé avec les parents de la personne concernée, portant notamment sur le développement dans la petite enfance. Il reste plus difficile à l’âge adulte car les souvenirs relatifs à l’enfance sont souvent partiels. Le biais de remémoration (la limite de nos capacités à restituer un souvenir de façon correcte) est à prendre en compte.

TVB : Quelles sont les réactions habituelles à l’annonce du diagnostic ? SC : Souvent, c’est un soulagement. Car les adultes, généralement, l’ont longtemps questionné, sans aller plus loin ou sans avoir de vraie réponse. Et il existe une réelle errance dans le diagnostic, qui passe par de nombreuses


étapes avant d’arriver à l’autisme. Pendant ce temps, les personnes continuent de souffrir. Tant que l’on n’a pas le bon diagnostic, on ne sait pas quelle réponse donner et stratégies adopter. La pose du diagnostic permet d’espérer une amélioration. Néanmoins, on peut également assister à un découragement à l’annonce du diagnostic. Parfois, cela mobilise des représentations qui peuvent être négatives, l’annonce du fait que la personne ne changera pas peut être déstabilisante et nécessite un temps d’acceptation. C’est pour cela qu’il est important de bien accompagner les personnes après l’annonce du diagnostic.

Témoignage de Véronique

TVB : Le diagnostic peut-il évoluer ? SC : L’autisme est une neuro-spécificité, donc il ne va pas disparaître. Par contre, ce qui peut évoluer, ce sont les conséquences fonctionnelles liées à l’autisme, notamment dans la compréhension des non-autistes. Il existe d’ailleurs une autoadaptation qui est très forte chez les personnes avec TSA SDI. Nous, nous les aidons à se comprendre, à réussir à exprimer leurs besoins et à savoir les faire respecter.

TVB : Quelles stigmatisations erronées sont véhiculées dans la pop culture ? SC : Concernant le champ des TSA SDI, les représentations sont plutôt positives, mais pas forcément justes. Dans la pop culture, il s’agit d’une représentation relativement fascinant : les TSA seraient des êtres capables de douance ou d’hyper-compétence. Or, la plupart des TSA SDI n’ont pas un quotient intellectuel (QI) particulièrement plus élevé que la moyenne. Ils se sentent donc parfois coupables ou ne se reconnaissent pas comme autistes. L’autre cliché concerne les TSA avec déficience intellectuelle, qui eux, à l’inverse, héritent d’une connotation péjorative, on les décrit souvent comme des personnes complétement renfermées, ne pouvant pas vivre en société et/ou sujettes à des crises violentes. Dans la pop culture, on n’évoque que ces 2 extrêmes du spectre alors que la plupart des TSA ne correspondent pas du tout à ces visions. Ces représentations peuvent également gêner les personnes avec TSA si elles ont elles-mêmes développé des préjugés sur le trouble. Elles souffriront d’auto-stigmatisation. Dans ce cas, il est fortement recommandé de rencontrer des personnes comme elles, d’autres personnes avec TSA, afin de se rendre compte que les autres non plus ne correspondent pas aux stéréotypes véhiculés. La rencontre avec des pair-aidants peut apporter de l’espoir.

TVB : Quelles sont les meilleures solutions pour bien vivre avec son TSA ? SC : Je ne sais pas s’il existe de réponse standard à cette question au vu de la diversité des personnes concernées. Cependant, les demandes les plus formulées concernent le besoin de réussir à mieux vivre les relations sociales (ce qui est loin du cliché répandu sur l’autisme de l’absence de souffrance liée aux difficultés sociales). Viennent ensuite le besoin de mieux comprendre et gérer ses émotions et la fatigabilité importante, en lien avec les surstimulations. Pour cela, il faut apprendre à reconnaître et respecter ce que l’on peut supporter et aménager son quotidien et son environnement en fonction, pour que ce soit supportable. Les accompagnements et approches psychothérapeutiques peuvent aussi permettre aux personnes de se rétablir de leurs difficultés. Laurianne Ploix

Je me sens... Je ne me sens pas handicapée, je me sens non intégrée par la société. Je ne me sens pas bizarre, je me sens différente du fonctionnement majoritaire. Je ne me sens pas trop sensible, je me sens plus réceptive que les autres. Je ne me sens pas restreinte dans mes intérêts, je me sens beaucoup plus passionnée que mon entourage. Je ne me sens pas repliée sur moi, je me sens dans le besoin de me protéger de votre chaos. Je ne me sens pas anxieuse, je redoute simplement vos réactions. Je ne vis pas dans une bulle. Je vis dans un monde où je me respecte, où je suis rassurée de vivre mon quotidien, dans un monde où la vie va moins vite, où je connais chaque recoin, où mes couleurs font place à votre pâleur. Vous sentez-vous d’adapter votre monde pour que je puisse ouvrir le mien ?

HS TVB #22 - P.11


Témoignage de Pauline

On naît autiste, on ne le devient pas

En France, le diagnostic est souvent tardif (plus de 25 ans) voire erroné (troubles anxio-dépressifs, troubles de l’alimentation et du sommeil qui sont des symptômes courants). C’est la méconnaissance du corps médical qui pose problème, car cela vient fausser les diagnostiques mais aussi le regard du citoyen lambda.

La grande majorité a un quotient intellectuel dans la norme.

Mon autisme à moi

Clichés & stigmatisations

Pour ma part, mon TSA n’est pas une pathologie, un pouvoir surnaturel ou un fardeau. C’est un trait de caractère. J’aime le calme, apprendre des tonnes de choses culturelles. Je ne suis pas dénuée d’émotions, je les exprime différemment, c’est tout.

Ainsi, dans l’imaginaire collectif, « l’autiste » est soit un petit garçon vivant dans son monde, qui bave en se balançant sur sa chaise, soit un savant qui excelle dans les mathématiques, tel que dans le film Rainman. Or, il existe de nombreuses formes d’autisme.

Je suis sensible au bruit, à la lumière, et fortement aux odeurs. Ma routine me rassure car l’imprévu et les surprises m’angoissent car j’aime pouvoir anticiper et donc tout contrôler. Je n’aime pas la foule ou les transports en commun surchargés de monde.

Les femmes sont moins bien diagnostiquées car elles arrivent à s’intégrer plus facilement grâce à des stratégies dites de « compensation », bien souvent très coûteuses en énergie (voir la théorie des petites cuillères en page 34).

Mais d’autres Asperger ont d’autres particularités. Il n’y a pas d’autiste « type ». C’est pour cela que l’on parle de spectre, comme un prisme de couleurs, un nuancier : aucune couleur n’est semblable à une autre.

De plus, les sciences ne sont pas l’apanage exclusif des personnes ayant un TSA. Toutes les matières et tous les sujets, même les plus inconcevables, peuvent passionner une personne ayant un TSA. On parle d’intérêts restreints.

J’ai fêté mes 28 ans au mois de novembre 2021. Mon diagnostic date pourtant de cette année, car j’ai eu la chance d’avoir un psychiatre formé à cette question. Mais j’ai tellement vécu dans l’ignorance de mon trouble que j’ai développé des capacités d’adaptation qui font de moi un caméléon social parfois déroutant.

Et puis avoir un TSA, c’est avoir un handicap, certes, dans l’autonomie psychique très souvent, mais ce n’est pas une maladie psychiatrique. Aucun médicament ne soigne un TSA car, une fois encore, ce n’est pas une maladie. En revanche, des comorbidités sont souvent associées comme une anxiété sociale marquée, des dépressions, des troubles de l’alimentation, du sommeil etc. La médecine peut donc soulager ces symptômes mais elle ne peut en aucun cas guérir une personne de l’autisme. Un enfant ou un adulte autiste, c’est avant tout un être humain avec ses aptitudes et ses difficultés, comme tout le monde ! Il faut cesser de fantasmer l’autisme. On estime que seulement 2 % de personnes autistes peuvent être considérées comme savantes.

Si je ne parle pas de mon TSA, je fais illusion. J’ai appris à mimer ce que je nomme le simulacre de la comédie humaine. Quand j’étais enfant, j’ai été harcelée quand j’étais moi-même. J’ai donc appris à me taire et à me fondre dans la masse. À l’école, ce qui me posait principalement problème, c’était d’écouter les autres car je peux être obtue. D’après mon infirmière, ce n’est pas étonnant, c’est ce que l’on nomme « la rigidité d’esprit ». Je peux volontiers passer pour quelqu’un de belliqueux ou de « miss je sais tout ». J’ai besoin de beaucoup dormir pour être opérationnelle et faire ou manger la même chose tous les jours ne me poserait pas de problème. Le confinement lié au Covid-19 n’est pas quelque chose que j’ai à proprement parler « subi ».


Diagnostic du TSA : la nécessité de former et d’informer

S

andrine Sonié est psychiatre et pédopsychiatre. Elle est également directrice du Centre de Ressources Autisme (CRA) RhôneAlpes, qui a pour mission de diagnostiquer, d’accompagner et d’informer les personnes avec TSA, et aussi de former les professionnels et les particuliers. Pour TVB, elle revient sur les particularités du diagnostic de l’autisme.

TVB : Pouvez-vous vous présenter et présenter rapidement les missions du Centre de Ressources Autisme (CRA) ? SS : Je suis psychiatre et pédopsychiatre, et je suis directrice du service Rhône-Alpes. Mon rôle est assez vaste. J’ai bien sûr un rôle de médecin, je participe à l’évaluation diagnostique, l’accompagnement et le suivi des personnes avec TSA. Et puis, je travaille beaucoup sur la conception et la participation à des formations pour former nos collègues, que ce soit des médecins ou des psychologues. C’est l’une des missions du CRA, de faciliter le partage des pratiques et l’échange de solutions. On a un rôle aussi de participation à la recherche. Donc mes grands axes de travail spnt: diagnostic, recherche, formation et réseau.

TVB : Pourquoi, selon vous, est-ce souvent si long et compliqué d’obtenir un diagnostic pour les personnes avec TSA ? SS : C’est vrai qu’on parle souvent des délais de diagnostic. Dans la stratégie nationale pour l’autisme, le gouvernement avait affiché 446 jours d’attente pour un diagnostic dans les CRA. En fait, il faut voir que cette attente est très variable selon les situations. On a des adultes qui vont avoir un diagnostic rapide parce qu’ils ont tous les signes typiques, et que leur médecin ou leur psychiatre connaît bien l’autisme. Mais dans un certain nombre de cas, ça va être compliqué parce que les signes ne sont pas si clairs. Les formes très typiques de l’autisme, c’est moins de 30 % des cas. Pour

la majorité des formes de l’autisme, la clinique n’est pas complète à tous les moments du développement de la personne : elle peut avoir eu, enfant, des signes qui ont évolué, qui ont été plus ou moins compensés et qui, finalement, réapparaissent d’une manière ou d’une autre, mélangés avec des troubles psychiatriques qui viennent se surajouter. Et là, ça devient très compliqué. C’est là qu’il y a besoin d’équipes spécialisées et elles ne sont pas si nombreuses. Et comme elles ne sont pas nombreuses, il y a un filtre, il faut être adressé par des professionnels de soins courants. Et s’ils ne sont pas bien formés, ils n’adresseront pas la personne au bon moment.

TVB : Qu’est ce qui pourrait-être fait pour améliorer la situation ? Augmenter significativement les moyens ? SS : Je pense qu’il faut plus d’argent, plus de moyens, oui, mais ça ne suffira pas. Il faut surtout former les praticiens les plus courants, c’est-à-dire les psychologues, les psychiatres, les médecins du travail, les généralistes, qui peuvent souvent être concernés par ces questions de santé. Il faut informer le grand public aussi, parce que plus on augmente le niveau de connaissances du TSA, plus il sera facilement repéré.

Aujourd’hui, est-ce qu’un étudiant en médecine a une formation à l’autisme pendant son cursus ? SS : Ils ont un module, oui, mais ça représente très peu d’heures, une heure ou deux. Ça peut être plus tard, selon leur spécialité. Ils auront alors des formations et sinon, ce sera beaucoup durant leur formation continue. Par exemple, il y a eu récemment un appel d’offres pour former des généralistes et des pédiatres aux troubles du neurodéveloppement, dont les TSA. Il y a donc des formations qui vont être proposées gratuitement pour former 5 000 à 6 000 médecins à la fois au diagnostic et à la coordination de leurs parcours. C’est un programme national. Je dirais donc que pour ceux qui n’ont pas eu ces formations, il est toujours temps de les avoir. Des formations gratuites sont accessibles, il n’y a plus de frein financier. Nous, nous proposons des formations gratuites pour n’importe quel médecin qui veut se former. Mais ça demande du temps et de l’investissement. Il faut qu’ils aient le réflexe et qu’ils se disent qu’ils en ont besoin. Et ce besoin, c’est souvent la rencontre avec des patients qui le crée.

© Sandrine Sonié

TVB : Est-ce qu’il faut aussi faire des actions de sensibilisation à l’école ? HS TVB #24 - P.13


AUTISMES

Connaître SS : Oui, même si l’Éducation nationale est le partenaire qui a le plus progressé en termes de sensibilisation. Elle a énormément formé, produit beaucoup d’outils pour l’accompagnement des élèves, elle a créé énormément de solutions pour des classes. On est encore loin du résultat optimum, mais on est clairement en bon chemin. L’école est un très bon lieu d’observation pour les TSA, en tout cas pour les enfants et même les jeunes adultes, puisque c’est le lieu de la socialisation, où il y a des exigences assez normatives – peut-être parfois trop – de comportement.

TVB : On constate que les femmes sont souvent plus difficilement diagnostiquées. Pourquoi ? SS : Comme dans beaucoup de troubles du développement, on a une surreprésentation des garçons. Dans l’autisme, on a coutume de dire que c’est 3 à 4 garçons pour une fille, et ça se retrouve dans de nombreuses études dans le monde entier, c’est un ratio solide. Si on regarde les chiffres des personnes autistes avec déficience intellectuelle, on a un ratio de deux pour un. Mais si on regarde les études des personnes autistes sans déficience intellectuelle, on a un énorme ratio de huit garçons pour une fille. Et là, ça ne s’explique pas tant que ça, donc on a commencé à penser que, peut-être, les femmes seraient sous-diagnostiquées. Par contre, de là à dire qu’il y a une clinique spécifique des femmes, ce n’est absolument pas prouvé, c’est une question en débat. Peut-être que c’est un problème d’accessibilité au diagnostic, ou un problème de norme sociale avec des femmes qui intériorisent plus certains comportements. De manière caricaturale : la petite fille trop sage dans son coin, qui ne s’intéresse qu’aux animaux, par rapport au petit garçon turbulant qui va taper ses copains. Évidemment, celui-là on le voit, il va gêner son environnement social donc on va avoir recours aux spécialistes, alors que pour la petite fille ça pourra prendre des années. Donc, c’est peut-être plus un problème d’attentes sociales et de conditionnement à avoir certains comportements que de réelles différences cliniques. Pour l’instant, ce n’est pas tranché et moi, j’attends de voir les résultats des études.

TVB : Avoir un diagnostic le plus tôt possible, c’est essentiel selon vous ? SS : Oui, même s’il ne faut pas oublier que le diagnostic n’est que le début, c’est une étape. Tout le reste est à construire ensuite. Le fait d’avoir un diagnostic, en soi, si ça n’a pas d’impact sur l’organisation de la personne, la manière dont elle se connaît, modifie sa façon d’être et de vivre sa vie, ça ne sert pas à grand-chose. C’est pour ça HS TVB #24 - P.14

qu’il faut que le diagnostic soit accompagné. Et de plus en plus, il y a le diagnostic et ce qu’on appelle le post-diagnostic ou l’accompagnement. On le fait notamment pour les parents d’enfants autistes et ça commence à se construire pour les adultes. D’où l’importance d’avoir des pairs-aidants parce qu’ils sont passés par là et qu’ils savent trouver les mots.

TVB : Est-ce que l’origine génétique de l’autisme est aujourd’hui une piste confirmée quant à la cause de ce trouble ? SS : Oui, on le sait depuis longtemps. Dans les années 1970, on comparait des jumeaux qui avaient le même patrimoine génétique par rapport à des jumeaux qui avaient des patrimoines génétiques différents, les vrais et faux jumeaux. On voyait bien qu’il y avait une différence, qu’il y avait plus d’enfants autistes où les deux étaient autistes chez les vrais jumeaux que chez les faux jumeaux. Ça signalait l’importance de la génétique dans l’émergence du TSA. Après, ça n’explique pas tout et pour l’instant, on n’a pas encore le modèle de transmission. Et n’oublions pas que génétique ne veut pas dire héritable. Dans la majorité des cas des enfants qui naissent, il n’y aura pas d’antécédents dans la famille. C’est juste qu’il y a eu des mutations au moment où se forme le bébé. Mais ça ne veut pas dire que les parents sont forcément porteurs d’un gène qui aurait été transmis. Il y a des familles où il y a clairement plusieurs cas d’autisme, que l’on voit sur plusieurs générations. Chez ces familles d’ailleurs, parfois on ne trouve pas le gène en cause. C’est peut-être plusieurs gènes. Mais dans une majorité des cas, ce sera l’unique enfant autiste de la famille.

TVB : Existe-t-il actuellement des travaux de recherche pour l’autisme ? SS : Tout à fait, il y a des travaux de recherche, il y a même une explosion de la recherche sur l’autisme. La littérature scientifique est passée dans les années 1980 d’une vingtaine d’articles scientifiques sur l’autisme a plus de 1000 publications par an aujourd’hui, surtout dans des revues à comité de lecture. Donc, oui, il y a beaucoup de travaux. À tel point d’ailleurs qu’il est très difficile de maintenir à jour ses connaissances. Par exemple, en France, il y a la création du Groupement d’intérêt scientifique autisme, le GIS Autisme. Il y a la création des centres d’excellence. Le CRA fait partie du Centre d’excellence iMIND qui est dédié aux adultes. TS2A fait partie d’iMIND également. Cinq centres d’excellence sur l’autisme et les TND ont été créés en France. Ils sont censés booster la recherche et permettre la diffusion des connaissances à la fois auprès du grand public, mais aussi auprès des professionnels. C’est récent car cela date de la stratégie nationale : le plan autisme. Catherine et Raphaëlle Vivent


Qui suis-je ?

Témoignage de Catherine

Mon parcours diagnostic Quel soulagement ! Enfin, j’assemble les pièces du puzzle, je relis ma vie à travers ce diagnostic et je comprends mon parcours. Une prise en charge adaptée – en particulier des séances de psycho-éducation où j’ai appris notamment les spécificités du TSA – et beaucoup de temps m’ont permis de m’approprier pleinement ce diagnostic : je vais devoir vivre AVEC pour TOUJOURS. Aujourd’hui, l’obtention du Diplôme Universitaire (DU) « Pair-Aidance* en santé mentale », alliée à mon implication à TS2A où l’équipe bienveillante m’accueille telle que je suis, donne enfin du sens à ce diagnostic tardif. J’apprends encore à composer avec mes limites que sont la gestion de la fatigue et des émotions, l’anxiété.

*La pair-aidance consiste à mettre son vécu expérientiel au service de ses pairs, en l’occurrence des personnes ayant également reçu un diagnostic de TSA, pour les aider à mieux vivre au quotidien.


AUTISMES

Connaître

Alexandra Reynaud : « L’autisme n’est ni une maladie, ni une psychose »

TVB : Votre biographie Twitter indique que « le syndrome d’Asperger n’est pas ce que vous croyez ». Comment le décrivez-vous généralement aux personnes qui ne connaissent pas ? AR : Quand on parle d’autisme, notamment lorsque cela passe par le prisme des médias, il est souvent mal défini. Je commence toujours par préciser que ce n’est ni une maladie, ni une psychose. Pendant de longues décennies, en France, l’autisme a été enfermé dans la sphère de la psychose. Le problème de cette emprise psychanalytique, c’est que cela a entraîné beaucoup de violences. On parle d’ailleurs souvent des difficultés que cela peut engendrer auprès des enfants, mais cela ne s’arrête pas en grandissant. On naît et on meurt autiste. Il peut d’ailleurs y avoir beaucoup d’évolutions entre les deux, en fonction de son environnement et de la prise en compte des troubles, qui correspondent à un spectre qui est très large, celui des troubles du spectre autistique.

TVB : Vous dites avoir été diagnostiquée sur le tard. Comment cela s’est-il passé pour vous ? AR : Mon fils de 4 ans a été identifié haut potentiel intellectuel (HPI) en 2008. Je ne connaissais encore rien à ce sujet. J’ai ensuite fait le lien avec ce que l’on me décrivait de mon fils et ma propre enfance. J’ai créé mon premier blog dans la foulée : « Tribulations d’un petit zèbre » pour témoigner, montrer que tout n’était ni blanc, ni noir. J’ai moi-même été diagnostiquée HPI. J’ai lu Je suis né un jour bleu de Daniel Tammet et j’ai découvert le syndrome d’Asperger. J’ai compris ce qu’il disait et ce qu’il ressentait, je m’y suis reconnue. J’ai commencé à faire les démarches pour établir un diagnostic. Cela a pris presque trois ans pour qu’il soit réalisé, une durée qui peut paraître longue, mais c’est souvent le cas. Il faut généralement deux à trois ans, au bas mot, pour avoir un diagnostic d’Asperger en France. Le mien a été posé à 32 ans. HS TVB #24 - P.16

TVB : Cela a été un déclic pour écrire sur votre propre expérience ? AR : J’avais toujours, sur le premier blog, un onglet dédié à l’autisme. J’ai voulu en parler davantage, j’avais aussi de plus en plus de questions de lecteurs concernant le diagnostic et c’est à ce moment que j’ai décidé d’ouvrir un second blog : « Les tribulations d’une Aspergirl ». J’ai depuis arrêté de bloguer, mais je les ai laissés en ligne. J’ai été contactée en parallèle par des maisons d’édition nationales qui voulaient que je publie un témoignage sur le haut potentiel intellectuel. J’ai ensuite écrit un deuxième ouvrage, toujours aux éditions Eyrolles : Asperger et fière de l’être. C’était aussi important car à cette période, j’étais une des premières femmes autistes à témoigner de ma vie et de mon quotidien, sans avoir de coauteur. Mon troisième livre, je l’ai écrit sur le fait d’enlever les étiquettes. Un diagnostic est important, dans le sens où il peut soulager, permettre de comprendre des choses, mais je voulais aussi parler du fait que l’étiquette d’un diagnostic peut possiblement enfermer.

TVB : Que conseillez-vous aux personnes pour ne pas se laisser enfermer ? AR : De prendre le diagnostic comme un tremplin. Une personne atteinte d’Asperger peut tout faire. On pense souvent que les personnes autistes vont essentiellement être bonnes en informatique, mais c’est réducteur et cela correspond à une vision clichée et passablement fausse de l’autisme. C’est le message que j’ai toujours voulu passer à travers les livres, blogs, conférences : que rien n’est interdit. Mon diagnostic m’a permis de comprendre mes réactions, ma façon de penser, que j’étais heureuse d’être différente, finalement. Je suis quelqu’un d’ordinaire qui diffère de la norme. Mais de façon générale, on arrive peut-être au moment où l’on devrait remettre la norme en question. Élodie Horn

© Alexandra Reynaud

A

ncienne blogueuse et conférencière, Alexandra Reynaud, 42 ans, diagnostiquée tardivement Asperger, a commencé à écrire pour témoigner de son parcours. Aujourd’hui autrice, elle continue de porter sa voix afin de témoigner, à travers ses livres, d’un quotidien encore peu partagé : celui d’une femme autiste.


« Elle est autiste ? Témoignage Mais ça ne se voit pas ! » d’Erika Vous les avez peut-être déjà rencontrées, elles s’appellent Chloé, Isabelle, Nora, Clémence, Myriam… ou peut-être s’appellent-elles différemment. Ce sont des femmes de tout âge ou encore des enfants. Elles font partie de votre quotidien parce que vous les côtoyez au travail, elles font partie de votre famille ou de votre cercle amical. Ou bien vous les avez connues à l’école ou pendant vos études, lors d’un loisir ou de vacances. Bref, vous les avez rencontrées mais vous n’avez rien remarqué de particulier. Ou peut-être que si, un petit quelque chose d’indéfinissable qui les a rendues mystérieuses à vos yeux ou bien tout simplement différentes. Et peut-être, vous vous êtes dit à ce moment-là : « Nous sommes tous différents, après tout ! ». Mais peut-être que ce petit quelque chose vous a interpellé. L’une d’entre elles est devenue votre amie ou bien fait-elle partie de votre vie et vous avez essayé de la connaître un peu mieux. Et puis tout compte fait, vous avez oublié ce petit quelque chose de différent. Ou encore, ce petit quelque chose vous a un peu plus intrigué et vous lui avez trouvé un charme ou il vous a peut-être agacé et vous vous êtes dit : « elle a l’air un peu compliquée, non ? » ou encore « elle est quand même un peu difficile en groupe », « pourquoi est-elle si silencieuse ou décalée lorsqu’elle intervient ? ». Et puis tout compte fait, vous êtes passé à autre chose. Mais elles, Chloé, Isabelle, Nora, Clémence, Myriam, et toutes celles qui leur ressemblent, elles ne sont pas passées à autre chose. En fait, chaque rencontre sociale est vécue par chacune d’entre elles si intensément, à un point que vous n’imaginez pas. Le point commun de toutes ces femmes, jeunes filles ou enfants c’est qu’elles ne savent pas comment se comporter avec les autres, il leur manque le décodeur « social ». Elles n’arrivent pas spontanément à interpréter les intentions des autres. Mais ça ne se voit pas parce qu’intuitivement, pour vous ressembler, pour que vous ne remarquiez pas qu’elles ne savent pas « faire » avec les autres, elles vont vous observer et copier votre façon de parler, vos expressions langagières, comportementales et vestimentaires, aborder vos sujets d’intérêts et pas forcément les leurs, pour se fondre dans le groupe et passer inaperçues, pour qu’on ne remarque pas leur maladresse sociale chronique, alors qu’elles sont si différentes. Elles sont en groupe dans l’ajustement permanent dans leurs interactions verbales et comportementales et ne se sentent que rarement à leur place. Elles sont, depuis toujours, dans l’imitation et l’adaptation continues. Elles sont des caméléons en mode automatique, championnes du camouflage. C’est leur stratégie de survie : Elles sont autistes. Et là, repensant à l’une d’entre elles que vous connaissez, votre réaction serait de dire, « mais non, elle me regarde dans les yeux quand elle parle », « elle ne parle pas bizarrement », « elle n’a pas de tics nerveux répétitifs », « elle n’a pas de retard mental ». Bref, elle

ne correspond en rien aux clichés des autistes que vous avez croisés au cinéma en regardant les films « Rain Man » ou « Hors Normes », ou à la télé en regardant des séries comme « Astrid et Raphaëlle » où le trait autistique d’Astrid est bien mis en évidence par les scénaristes pour que son personnage « d’autiste » colle le plus possible à notre imaginaire collectif : « elle est autiste donc ça se voit forcément, elle est différente ». Et j’en passe. « Non », vous dites-vous, « ce n’est pas possible ». Et pourtant si, les femmes autistes sans déficience intellectuelle ont cette particularité qui les démarque de la plupart des hommes autistes, elles arrivent à se fondre dans la masse par le biais des comportements de camouflage que j’ai évoqués plus haut. Mais tout ceci a un prix. Imaginez-vous que, comme elle a du mal à décoder les intentions des autres, comme elle a du mal à comprendre l’implicite, comme elle a du mal à « s’intégrer » et à nouer des relations, comme les relations sociales n’ont rien de spontané et d’inné, elle va scénariser au maximum toute rencontre sociale. Son rêve, c’est de s’intégrer mais comme elle ne sait pas spontanément comment s’y prendre et que son niveau d’anxiété ne va que croissant, sa stratégie sera d’anticiper tous les cas de figures imaginables de situations et de conversations pour être prête « au cas où », pour ne pas faire d’impairs. Mais raté, ça ne se passe jamais comme prévu. Et là, il faut encore et encore s’adapter, déployer des efforts immenses et puiser dans ses expériences passées pour essayer de coller au mieux à la situation présente. Et Vous ? comment vous sentiriez-vous là, maintenant dans la même situation ? E-p-u-i-s-é(e). Oui, elle aussi l’est ! Sachez qu’elle est déjà fatiguée avant même que ça n’ait commencé, car cela fait des jours, des nuits, qu’elle s’est préparée à l’évènement qui vous réunit (fête, réunion, rdv, etc.)… Alors oui, elle ne rêve que de s’isoler un peu ou beaucoup, de partir, alors oui, elle n’arrive pas vraiment à s’intégrer à la discussion du groupe car elle ne sait pas trop quand ni comment intervenir, et puis souvent c’est « déjà » un peu trop tard. Ça vous rappelle quelque chose ? Ce petit quelque chose que vous avez peutêtre trouvé bizarre sans trop y prêter attention ? Nous y voilà, son autisme fait que tout ce qui est festif et joyeux pour vous, déclenche en elle une surcharge sensorielle et sociale : le bruit de toutes ces conversations qui se juxtaposent aux sons et aux musiques, aux lumières, au contact physique avec la foule autour d’elle, aux odeurs… Elle n’arrive pas à les dissocier les uns des autres, à en faire abstraction : elle ressent tout en même temps en parallèle… Alors pour ne pas « faire de vague », pour ne pas avoir de comportement dérangeant, elle va faire semblant le plus longtemps possible. Elle va garder pour elle tout ce stress, cette fatigue accumulée. Mais à un moment donné, sa stratégie de survie sera de s’éclipser un moment ou complétement. Ça ne vous rappelle pas un comportement que vous avez jugé bizarre ?


En fait, quand elle s’en va, ce n’est pas parce qu’elle est fâchée ou de mauvaise humeur, c’est tout simplement parce qu’elle est é-p-u-i-s-é-e et qu’elle a besoin de recharger les batteries pour éviter « l’effondrement émotionnel », cet épuisement profond qui peut la terrasser et pour lequel elle aura besoin parfois de jours pour s’en remettre. Elle se ressourcera dans la solitude, le calme, son univers. Là, elle sera heureuse, dans sa bulle. Elle contrôle. Elle a sa routine. Elle n’a plus besoin d’anticiper, de faire semblant de s’intéresser aux conversations superficielles car oui, elle a ses centres d’intérêts restreints et spécifiques qu’elle ne partage pas

ou presque pas par peur d’ennuyer les autres, de les faire fuir. Car oui, ce qu’elle ne veut pas c’est être rejetée, être exclue, donc elle se camoufle pour être acceptée. Elle sera parfois actrice, souvent figurante. Car oui, elle a une crainte évidente pour les relations sociales de groupe mais sachez qu’elle aime aussi avoir des ami(e)s, quelques ami(e)s même si elle a du mal à s’en faire et à les garder. Elle est autiste et elle est en mode « survie sociale » pour dissimuler qui elle est vraiment, elle se renie, s’oublie pour être acceptée des autres, elle en devient invisible et vous croyez tous qu’elle n’est pas autiste.

« Il faut se battre pour tout, mais il ne faut rien lâcher »

S

abine est mère de deux enfants. L’un d’eux, Arthur, a été diagnostiqué autiste Asperger à l’âge de 12 ans. Alors qu’il est aujourd’hui indépendant, Sabine témoigne de son parcours et des portes qu’elle a dû ouvrir pour l’accompagner sur ce chemin.

TVB : Quand et comment Arthur a-t-il été diagnostiqué ? S : Arthur a rencontré des problèmes en arrivant en classe de 6e. C’était un supplice pour lui d’aller à l’école, on a vite compris que quelque chose n’allait pas ! Arthur était très intelligent mais il ne s’y sentait pas à sa place, il ne supportait pas qu’on y fasse autre chose qu’étudier et les relations étaient compliquées avec les autres élèves. Nous sommes allés voir notre médecin : ce qu’on a décrit lui a mis la puce à l’oreille et il nous a dirigés vers un service psychiatrique pour enfant. Arthur a été hospitalisé à 12 ans pour une grave dépression à l’hôpital Saint-Jeande-Dieu (Lyon). Là, le diagnostic a vite été établi et nous avons été dirigés vers un spécialiste d’Asperger.

TVB : Quel type d’enfant était-il ? S : Jamais je n’aurais pensé qu’Arthur était autiste Asperger ! C’est le rapport avec les autres enfants qui lui était invivable, il était le bouc-émissaire, il était d’une grande naïveté et prenait tout au premier degré. Mais on ne s’en était pas rendu compte car il ne l’a jamais extériorisé. Il compensait son handicap grâce à son intelligence, jusqu’au moment où il ne pouvait plus !

TVB : Au quotidien, quelle aide deviez-vous lui apporter ? S : Après le diagnostic, je me suis rendue compte de ce qu’il subissait et je l’ai protégé. Il était hors de question qu’il retourne à l’école dans les conditions dans lesquelles il l’avait quittée : il fallait qu’il ait une auxiliaire de vie scolaire (AVS), qu’il soit protégé des autres élèves… Il était HS TVB #24 - P.18

harcelé à l’école et il était vital qu’il sorte de cette dépression et retrouve la joie de vivre qu’il avait plus petit. J’avais pris le parti de ne rien lui cacher, de le faire avancer avec son handicap. À force, j’ai compris la façon dont il fonctionnait et je le préparais aux événements. Par exemple, Arthur est très angoissé par les lieux clos avec du monde donc nous avions mis en place des stratagèmes comme des écouteurs avec de la musique pour se couper du monde. Il l’a bien intégré et les a toujours avec lui.

TVB : Qu’est-ce que cela a impliqué pour vous en termes de charge mentale ? S : Je me suis occupée d’Arthur pendant des années quasiment à 100 %, donc je me suis effacée ! Arthur a été déscolarisé à 14 ans puis je lui ai fait l’école à la maison pour la 3e, 2nde et 1ère et il a arrêté en classe de terminale. C’est vrai que lorsqu’il a pris son indépendance, je me suis retrouvée vide : toute ma vie lui avait été consacrée et je n’avais plus de vie sociale car beaucoup d’amis s’étaient éloignés au fil du temps, comme si Arthur était contagieux…

TVB : Aviez-vous identifié des soutiens dans votre rôle d’aidant ? S : On n’est pas aidés du tout ! Mais parmi les choses qui m’ont aidée, c’est la psychiatre d’Arthur, que je pouvais consulter quand ça n’allait pas. La 3e hospitalisation d’Arthur, j’en suis convaincue, a été décidée en partie car elle a vu que je n’en pouvais plus et que j’avais besoin de souffler ! J’étais dans l’optique de tout faire pour aider Arthur. Je l’ai fait à mon détriment mais quand je vois ce dont il est capable, je suis fière de ce que j’ai accompli ! Aujourd’hui, il a 24 ans, il bénéficie d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et il vit de façon autonome dans un logement de l’association Santé Mentale et Communautés.

TVB : Que diriez-vous aux parents d’un enfant ayant un diagnostic de TSA ? S : Qu’il ne faut jamais rien lâcher ! Il faut se battre pour tout : le combat commence quand il faut remplir un dossier pour avoir une AVS, avec la MDPH… Tout est compliqué, il faut harceler tout le temps les gens, c’est honteux. On ne devrait pas avoir à faire ça car tout cela ne rajoute que des embûches à nos soucis. Pauline et Marie Albessard


AUTISMES

Connaître

Alistair Houdayer : « Le handicap est une question politique »

D

va parfois mettre sur le dos de l’autisme tout un tas de difficultés ou l’intensité de certaines difficultés. Mais c’est important de prendre la personne dans son ensemble et d’inclure les comorbidités pour comprendre quel est le problème et comment on peut l’aider.

epuis 4 ans, Alistair Houdayer, 23 ans, anime la chaîne YouTube H Paradoxæ, devenue une importante ressource pour la communauté TSA, notamment les plus jeunes. Il y parle d’autisme mais aussi de nombreux autres sujets, dont le handicap.

TVB : Est-ce que vous avez un message à faire passer ? AH : Mon souhait sur le sujet du handicap, c’est qu’on se rende compte à quel point il est politique. J’ai l’impression que même dans les milieux de gauche, ce n’est absolument pas acquis que « On va parfois tout mettre le handicap est une question sur le dos de l’autisme. Il faut politique, que les droits des prendre la personne dans son personnes handicapées sont une ensemble. » lutte pour les droits humains. Encore aujourd’hui, on se dit que le handicap, c’est un truc qui tombe dessus et que c’est pas de bol, alors qu’en fait, c’est une classe sociale. C’est une situation dans laquelle on est parce que la société a été conçue d’une certaine manière. Oui, il y a des choses qu’on ne contrôle pas, par exemple, les anomalies génétiques. Elles arrivent, c’est comme ça. Mais ce qu’on en fait et la manière dont on traite les gens, c’est une question politique et c’est important qu’on s’en saisisse comme telle.

TVB : Pourquoi avoir choisi de créer votre chaîne YouTube, et quels sont les sujets qui vous tiennent à cœur ? AH : Quand j’ai commencé, il y avait beaucoup de ressources sur l’autisme en anglais - qui m’ont beaucoup aidé dans mon parcours, dans mon auto-diagnostic, dans mon diagnostic et dans l’aménagement de mon quotidien – mais il n’y avait aucune ressource làdessus en français. À l’époque où j’ai commencé mes vidéos en tout cas, je n’avais trouvé aucune personne autiste qui faisait des vidéos sur l’autisme comme sujet récurrent. Donc c’est comme ça que j’ai commencé à faire ces vidéos. Concernant les sujets, j’essaie de les aborder avec une perspective politique. J’ai envie de parler de validisme, d’accessibilité. C’est important de ne pas dépolitiser le sujet, c’est important de dire qu’il y a des difficultés causées par l’inaccessibilité, par exemple, qui ne sont pas nécessairement une fatalité pour les personnes autistes. Même s’il y a des difficultés qui sont là, quel que soit le contexte, il y a des choses qui peuvent être faites.

Nathalie et Raphaëlle Vivent

AH : Quand on fréquente des personnes autistes et qu’on est au sein de la communauté, on se rend compte qu’énormément de personnes ne sont pas « juste autistes » et qu’il y a beaucoup de ce qu’on appelle les comorbidités, et toutes les conditions associées, les maladies, les neuroatypies... C’est vraiment important de le comprendre pour moi, pour deux raisons. D’une part, parce que c’est important de ne pas tout mettre sur le dos de l’autisme et de ne pas se dire « je suis fatigué.e tout le temps, mais bon, je suis autiste donc les choses sont fatigantes ». C’est pas forcément faux, mais c’est pas forcément vrai non plus. Des fois, il y a autre chose et c’est important de chercher ailleurs. D’autre part, on

© HParadoxae

TVB : Pouvez-vous nous parler de l’impact des comorbidités pour une personne autiste ?

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LES FILMS

après L

et LA COU

AUTISMES

Connaître

Dernières nouvelles du cosmos

UN FILM DE J

D

©2016 Pyramide - Louise Matas

ans le documentaire Dernières nouvelles du cosmos (2016), la réalisatrice Julie Bertuccelli suit Hélène Nicolas, jeune autiste privée de parole mais douée d’un talent d’écriture hors norme. Alors qu’elle n’a jamais appris à lire ni à écrire, sa mère découvre à ses 20 ans qu’elle peut communiquer avec un abécédaire plastifié. S’ensuivent des textes puissants signés de « Babouillec » – son nom d’artiste – évoquant son univers et son rapport au monde avec beaucoup d’humour et de poésie. Durant 2 ans et demi, la réalisatrice a suivi Hélène dans un projet d’adaptation d’un de ses textes au théâtre. Regards croisés de la réalisatrice et d’Hélène « Babouillec ».

Réalisation, Image et Son JULIE BERTUCCELLI Produit par YAEL FOGIEL et LAETITIA GONZALEZ Montage JOSIANE ZARDOYA Mixage OLIVIE Avec la participation du CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’ I MAGE ANIMÉE et d

Julie Bertuccelli : « Ma caméra devait être le point de contact entre Hélène et les gens qui ne la connaissaient pas » TVB : Comment avez-vous rencontré Hélène et pourquoi avoir eu envie de réaliser Dernières nouvelles du cosmos ?

Julie Bertuccelli, réalisatrice. © Rémi Lainé

JB : C’est le hasard des rencontres ! Je ne cherchais pas à faire un film sur l’autisme. Je connaissais bien le metteur en scène qui allait travailler avec elle, et sa mère et elle étaient venues à l’un de ses spectacles où j’étais présente. J’ai été subjuguée par cette rencontre ! Hélène s’exprimait avec les lettres et disait des choses magnifiques. Quand le metteur en scène m’a dit vouloir créer une pièce autour de l’un de ses textes, ça a été le déclic. Ce moment particulier qu’ils allaient vivre ensemble m’a fait penser que c’était le bon moment pour faire son portrait, car je voulais parler d’elle en tant qu’artiste. En la connaissant, j’ai senti que quelque chose se passait entre nous. Je voyais plusieurs couches à ce millefeuille : cette femme,

sa personnalité, sa mère, leur histoire ensemble, l’art… Il y avait une multitude de sujets.

TVB : Votre documentaire montre la formidable artiste qu’est Hélène, mais il est aussi une fenêtre sur l’autisme. Comment souhaitiez-vous l’aborder ? JB : Je ne me suis pas vraiment posée cette question, car pour moi Hélène était une personne comme une autre. D’abord, je voulais vivre avec elle, la comprendre, apprivoiser cette relation. Je ne voulais pas faire appel à des spécialistes pour parler d’elle. Ma caméra devait être le point de contact entre les gens qui ne la connaissaient pas et elle. Je voyais que sa mère pouvait bien expliquer les choses sur Hélène. Je voulais que le spectateur, comme moi, découvre petit à petit les explications mais je ne les forçais pas à apparaître. Elle aimait beaucoup être filmée et à la façon dont se fabriquaient les silences, les regards entre nous, j’ai pu de plus en plus lui poser directement des questions.

TVB : L’autre personnage important du documentaire, c’est la maman d’Hélène qui a travaillé d’arrache-pied pour parvenir à communiquer avec elle, en expérimentant beaucoup… JB : C’est fabuleux car elle s’est laissé porter par les petites choses qu’elle faisait, sans méthode, en laissant venir les choses. On est constamment en train de contraindre les personnes autistes à rentrer dans un monde qui n’est pas le leur et on ne les laisse pas s’épanouir dans le leur. En


DU POISSON présente

L’ A R B R E UR DE BABEL

ULIE BERTUCCELLI

tout cas, c’était le cas pour Hélène. Sa mère voulait tout faire pour qu’Hélène ait confiance et ait envie de s’ouvrir. Cela a pris des années jusqu’à ce qu’elle puisse la toucher, la regarder… Car Hélène n’avait pas le sentiment qu’elle était sa mère, elle n’avait pas conscience des membres de son corps… Cela a été un apprentissage incroyable ! Suite au film, un groupe de chercheurs du CNRS s’intéresse à Hélène. Enfin, on se rend compte qu’il y a encore beaucoup à apprendre sur l’autisme et pas toujours avec les méthodes éprouvées jusqu’à maintenant. Hélène a une pensée totalement maîtrisée, profonde et intelligente alors que des spécialistes lui avaient diagnostiqué une déficience mentale grave…

TVB : Souhaitez-vous que votre film permette de poser un autre regard sur l’autisme et, si oui, de quelle façon ? JB : Oui, c’est ce qui me met le plus en joie ! Nous avons fait beaucoup de débats, de rencontres avec Hélène et sa mère. Si le film permet de changer le regard de quelques professionnels, de repenser les activités artistiques dans les institutions, de repenser le rapport aux médicaments, à l’enfermement… S’il peut redonner espoir à des familles ou permettre aux enfants à qui le film est montré dans les collèges et les lycées de comprendre qu’il ne faut pas s’arrêter à la première impression… Si le film peut faire bouger les a priori d’une personne, je serais extrêmement heureuse ! Car c’est finalement une métaphore de tous nos premiers regards sur l’autre… Marie Albessard

R GOINARD Etalonnage ISABELLE LACLAU Producteur exécutif JOHAN BROUTIN Une coproduction LES FILMS DU POISSON, UCCELLI PRODUCTION et ARTE FRANCE CINEMA de ARTE FRANCE Avec le soutien de la REGION ILE-DE-FRANCE Distribution et ventes internationales PYRAMIDE

Hélène : « L’autisme est une particularité de ma personne, je suis humaine avant d’être autiste »

TVB : À votre avis, quel regard le documentaire de Julie Bertuccelli porte-t-il sur l’autisme ? H : Un regard d’intention artistique. La dimension de mon potentiel ordinaire, celui qui m’offre une carte de visite dans la société, l’écriture.

TVB : Qu’aimeriez-vous qu’il en ressorte ? H : On peut énoncer ce qui en est ressorti. Je crois que nombreux sont les spectateurs bouleversés par la découverte de mon univers, cette dichotomie entre mon corps et mon esprit. Certains m’ont confié : « Ma vie ne pourra plus être la même, surtout ma vision du monde. » C’est un bonheur d’entendre ces mots dans cette période de bouleversement des valeurs environnementales. Le respect du vivant est la première pierre à déposer et face à l’autisme il y a un mur à déconstruire.

TVB : Quelles conséquences le documentaire a-t-il eu sur vous ? H : Au-delà du travail de l’image, de donner une consistance à mon identité, Julie a su mettre en lumière cette réalité atypique du cerveau. Aujourd’hui, le film a ouvert une brèche dans le mur du silence. Mon cas scientifiquement muet jusqu’alors est devenu un projet de recherche mené par la neuroscientifique Fabienne Cazalis pour le CNRS. Nous espérons mettre au point des outils d’évaluation pour détecter les personnes comme moi, non verbales et douées intellectuellement, et

et leur permettre de communiquer. Cela m’a permis d’être reconnue comme personne capable d’avoir des idées à partager, d’être invitée à rencontrer le public du film, d’être éditée chez Rivages, de connaître plein de nouvelles personnes, etc. Une multitude de choses positives et en particulier d’être reconnue dans ma dimension humaine d’artiste. L’autisme est une particularité de ma personne, je suis humaine avant d’être autiste. Marie Albessard

Hélène Nicolas « Babouillec » écrit ses textes à l’aide de lettres plastifiées qu’elle dispose sur une feuille blanche. Véronique, la maman d’Hélène Nicolas, a développé ce moyen de communication avec Hélène. © Dernières nouvelles du cosmos


Témoignage d’Anne-Caroline

Mon intérêt spécifique : la danse

Bonjour, je suis Anne-Caroline, prof de danses de couple latines avec un TSA en comorbidité avec un TDA/H. Passionnée d’arts et de danses, nous pouvons dire que c’est l’un de mes nombreux intérêts spécifiques. On ne s’attend pas à voir une personne porteuse d’autisme dans le milieu de la danse et dans l’enseignement. Car la relation à l’autre, l’hypersensorialité, la maladresse, peuvent être des freins et augmenter un manque de confiance en soi parfois déjà fragilisé. Malgré mon hypersensorialité et mes autres traits liés au TSA, la danse m’apporte énormément de choses. J’exprime vraiment qui je suis par le mouvement, le rythme, l’énergie, l’équilibre que je donne aux chorégraphies que je crée, que ce soit des projets (chorégraphies anticipées) ou bien spontanément (avec le ou la partenaire et sur les émotions et la vibration que me donne la musique à l’instant T). Dans ces cas, chaque danse est unique et éphémère. Tout le monde doit passer par l’apprentissage des codes de danses, guidages, techniques de déplacements, etc. Il n’y a plus de fossé entre l’apprentissage expérienciel de la communication pour les personnes avec TSA et autrui. Les incompréhensions, les implicites, et les bizarreries sont complètement effacés et tout le monde est à égalité. Apprendre à danser et danser, c’est également et surtout un moyen de communiquer aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire. Les rituels de passage aux appels des dieux en passant par les œuvres classiques et l’opéra. Danser permet de s’exprimer, de s’exercer au lâcher prise, d’apprendre à écouter les autres, faire preuve de créativité tout en faisant une activité physique qui délivre des

endorphines et de la dopamine. Pour moi, danser, c’est : poser mon cerveau dans un coin de la salle, ne plus réfléchir, parfois laisser mes jambes et mon hyperactivité guider mes pas. Et toutes les émotions que la musique me procure doublées de mouvements en rythme augmentent de manière exponentielle par rapport aux émotions que je peux ressentir lorsque je danse sans musique ou que j’écoute de la musique sans danser. C’est à ce moment-là que mon hypersensibilité est un cadeau, un talent, une chance, la graine de folie pour devenir génie ! Ca booste ma confiance en moi ! Voici un tableau comparatif entre les problématiques et les solutions d’adaptation tirées de mes propres expériences.


AUTISMES

Connaître

TSA & comorbidités, l’avis des neuropsys © L. Ploix

P

armi les personnes concernées par le TSA, 86 % présenteraient au moins un trouble associé. Nous avons échangé avec Loraine Beaumont et Charlotte Pellegrin, neuropsychologues à l’unité TS2A (Trouble du Spectre de l’Autisme de l’Adulte), rattaché au centre hospitalier Le Vinatier de Lyon. Pour elles, il semble primordial de reconnaître l’individualité de chacun.

TVB : Qu’est-ce que la neuropsychologie ? CP : La neuropsychologie est une discipline scientifique qui étudie les fonctions cognitives. Elle représente une spécialité de la psychologie qui a émergé dans les années 1980. Elle vise à faire le lien entre les structures cérébrales et le fonctionnement cognitif (comme l’attention, la mémoire ou le langage…). Elle se penche sur le retentissement de l’altération des fonctions cognitives dans le quotidien.

TVB : Comment définir l’autisme et ses comorbidités ? LB : Les troubles du spectre de l’autisme sont des troubles neuro-développementaux, d’origine neurologique. Le TSA est une condition innée, il se manifeste à la naissance et peut être diagnostiqué très tôt (dès 3 ou 4 ans), et demeurera tout au long de la vie de l’adulte. Une comorbidité est un trouble associé (qui est présent en parallèle). Les troubles les plus récurrents associés au TSA sont des troubles anxieux généralises, des troubles attentionnels (TDAH), des dépressions, des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), mais il y a aussi des comorbidités somatiques ; des troubles du sommeil, une grande fatigabilité, etc. D’autre part, on peut retrouver des fonctionnements associés, comme le Haut Potentiel Intellectuel (HPI).

TVB : Comment sont diagnostiquées et traitées les comorbidités dans le TSA ? CP : Pour repérer les autres troubles associés au TSA, nous travaillons de pair avec les psychiatres et les internes. Le psychiatre réalise un diagnostic différentiel (détecter ce qui relève de l’autisme ou des autres comorbidités), et cela dès l’arrivée de l’usager. Car, en plus des diagnostics neuro-développementaux (TDAH, TSA…), on peut trouver des troubles qui se déclenchent plus tard, comme des états dépressifs qui s’installent suite à un événement de vie. C’est en cela que nous, neuropsychologues et psychiatres, devons y être extrêmement vigilants dans le cadre des suivis

psychologiques. Pour l’accompagnement, on propose de la remédiation cognitive, dont notamment les TCC (Thérapie Cognitives et Comportementales) qui permettent de prendre en charge les phobies spécifiques, les troubles anxieux, les TOC, etc. LB : Enfin, cela dépendra de la plainte de l’usager. S’il traverse une forte quête identitaire, il peut vouloir avant tout comprendre son diagnostic et ses comorbidités, s’il en présente. Il sera alors redirigé vers des séances de psychoéducation, d’éducation thérapeutique, etc. Cela dépendra aussi de l’intensité des troubles associés. Si la personne arrive à l’unité alors qu’elle traverse un effonfrement autistique ou une dépression sévère, nous nous axons d’abord sur la prise en charge de ces derniers et l’introduction d’un traitement médicamenteux (notamment pour les états anxieux et dépressifs). Nous traitons d’abord les comorbidités, puis dans un second temps, nous travaillons sur les stratégies d’adaptation en lien avec le TSA.

TVB : Quelles solutions existent pour vivre au mieux ces différents diagnostics ? LB : Il est important de se rappeler que chaque personne est unique, la considérer en tant que telle et ne pas la réduire à son autisme ou ses comorbidités. Elle arrive à l’unité TS2A avec sa personnalité, avant même d’avoir un trouble ou plusieurs troubles associés. Travailler sur l’individualité, mettre la personne au centre de sa prise en charge, est une base. Tout objectif de prise en charge doit venir d’elle. Il faut aider à la compréhension, favoriser la connaissance de soi, de son diagnostic et de ses besoins. Il s’agit d’une alliance thérapeutique : nous détenons des connaissances grâce à notre formation, mais c’est l’usager qui se connaît le mieux. Il nous aide à comprendre son fonctionnement, et coconstruire ensemble pour l’aider vis-à-vis de ses plaintes et de ses besoins. Pour les aidants, nous proposons aux usagers de recevoir les conjoints, les enfants, les familles pour mieux comprendre leur fonctionnement et déstigmatiser. Le CRA (Centre de Ressources Autisme) du Vinatier a mis en place un groupe de parole spécialisé pour les aidants. Tous ensemble, nous pouvons accompagner et permettre une acceptation identitaire, avec bienveillance. Clara Barge, Antoine Desvoivre, Hassan Alsalahi

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AGIR POUR FACILITER L’AUTONOMIE ET L’ÉPANOUISSEMENT


AUTISMES

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À La Traboule, les jeunes autistes bénéficient d’un suivi sur mesure

À

Lyon, l’association La Traboule accompagne 30 jeunes autistes âgés d’entre 20 et 30 ans dans leur transition vers l’âge adulte. Le dispositif s’adapte aux projets et aux besoins spécifiques des personnes atteintes d’un TSA à cet âge charnière de la vie.

Les traboules sont bien connues des Lyonnais : ce sont ces passages étroits entre des immeubles, faisant communiquer deux rues. L’association La Traboule a fait sienne la notion de passage pour évoquer celui – complexe – de l’adolescence vers l’âge adulte que vivent les jeunes autistes. L’association a été créée en 2012, pour accompagner vers l’inclusion et l’autonomie les jeunes autistes âgés d’entre 20 et 30 ans, à la suite du constat de l’absence de dispositif au-delà de 20 ans, créant une rupture de l’accompagnement. « Les jeunes qui nous arrivent ont eu un diagnostic à l’âge de 15 ans en moyenne, donc ils ont eu un parcours chaotique. La spécificité des 20-30 ans, c’est que c’est une période charnière de transition vers l’âge adulte. Avant, ils ont eu un parcours très structuré autour d’eux. Arrivés à l’âge adulte, les possibilités d’avoir un AVS sont moindres, la poursuite d’études est compliquée… D’un coup, tout éclate ! », explique Michelle Coates-Blanchoz, cheffe de service de La Traboule. L’association dispose de 30 places pour l’accueil des jeunes qui doivent avoir un diagnostic de TSA sans déficience intellectuelle, une notification d’orientation et être autonome dans les déplacements.

Une équipe pluridisciplinaire

réaliser dans le service pour voir s’il parvient à le généraliser dans un autre environnement. » Dans cette quête d’autonomie, La Traboule réalise un accompagnement sur mesure (4 ans ½ en moyenne) avec chaque bénéficiaire, mais aussi la famille : « Nous travaillons étroitement avec elle, ne serait-ce que pour lui apporter des connaissances sur ce que sont l’autisme et ses répercussions, car elle manque souvent d’informations ou en a une mauvaise compréhension », ajoute Catherine Durand, directrice adjointe du Pôle Pléiade de l’ARHM, qui chapeaute l’association. Neuf ans après sa création, 43 % des jeunes accueillis l’association a accompagné une petite centaine de jeunes autistes. repartent avec un logement « 85 % arrivent en vivant dans leur autonome. famille et 43 % d’entre eux ont un logement autonome ensuite », précise-t-elle. « Au début, ils viennent car c’est le souhait de leur famille mais finalement la majorité aspire à avoir un logement », ajoute Michelle Coates-Blanchoz. Un logement « passerelle », dans lequel les jeunes peuvent expérimenter la vie en autonomie de façon encadrée est d’ailleurs très utilisé. « C’est sûr qu’il faudrait davantage de services comme le nôtre pour mieux accompagner les jeunes et on manque de professionnels spécialistes de l’autisme pour prendre le relai », constatent les professionnelles. « Dans un monde idéal, il y aurait un travail d’information à tous les niveaux sur ce handicap, qui souffre d’une grande méconnaissance », ajoute la cheffe de service. Marie Albessard Les jeunes de La Traboule peuvent s'essayer à l'autonomie dans un appartement de l'association. © La Traboule

Les bénéficiaires rencontrent les professionnels de l’association (orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricien, psychologue, etc.) qui observent, chacun dans leur domaine, leurs compétences et difficultés et établissent des préconisations pour tendre vers le projet personnel. « Nous intervenons dans quatre domaines : la socialisation, l’accès au logement, l’accès à une activité (études, emploi, bénévolat…) et nous travaillons en coordination avec les professionnels du soin, ajoute Michelle Coates Blanchoz. Au début, nous intervenons à domicile et nous intégrons un apprentissage à mener, par exemple réaliser une recette de cuisine. La personne doit ensuite venir le HS TVB #24 - P.25


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LOGITED, un habitat partagé et accompagné

A

u printemps 2022, la résidence partagée LOGITED ouvrira ses portes et proposera à ses six résidents une expérience d’habitation unique dans la région Auvergne-Rhône-Alpes pour les personnes avec TSA. Un projet porté par l’association Réseau Arevale. Aujourd’hui encore, l’offre de logement pour les adultes autistes ne pouvant vivre seuls est relativement restreinte. Bien souvent, ils restent avec leur famille, une solution toutefois temporaire en raison du vieillissement des aidants, ou rejoignent un établissement pour personnes handicapées : « des structures qui ne sont pas toujours adaptées à leurs besoins. Il y a aussi un manque de place, et des listes d’attentes très importantes », explique Mireille Lemahieu, présidente du réseau Arevale (Autisme, répit, éducation, vacances, aide au logement et à l’emploi) et elle-même mère d’un fils avec TSA, aujourd’hui adulte. C’est face à ce constat du manque de structures qu’elle a décidé, avec son mari, de monter le projet LOGITED. Ils se sont pour cela inspirés d’un projet similaire, HabiTED, lancé en 2012. Située à Roncq dans le Nord, la structure propose 10 studios adaptés, où de jeunes adultes autistes avec troubles envahissants du développement (TED) vivent en autonomie, avec un accompagnement quotidien. En 2017, après plusieurs années de recherche, Mireille Lemahieu et son mari trouvent un bailleur social, l’association Habitat et Humanisme, qui leur propose un espace correspondant à leurs besoins à Villeurbanne. Le projet LOGITED est officiellement lancé. « Il a fallu beaucoup travailler pour réorganiser la résidence, à l’origine composée de deux grands appartements », raconte Mireille Lemahieu.

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L’équipe du projet LOGITED et certains des futurs résidents, ainsi que des membres du Groupe d’entraide mutuelle (GEM) et du Cercle Lyonnais des Sourds Club Séniors. © Logited

Un superviseur pour accompagner les résidents D’une surface de 200 mètres carrés, l’habitat LOGITED occupe les deux derniers étages de l’immeuble. Il est composé de six studios et de parties communes (cuisine, salon, salle à manger et buanderie) pour permettre aux occupants de se retrouver et de partager des activités, tout en ayant leur intimité. La résidence comprend également un logement pour un superviseur, chargé d’accompagner les habitants dans leur vie quotidienne. « C’est vraiment quelqu’un qui va les aider en fonction de leurs besoins, à trouver du travail ou aller chez le médecin, par exemple. Ce ne sera pas un rôle d’éducateur, mais plutôt de coordination et de mise en relation avec le quartier », détaille la présidente. Les six futurs locataires ont entre 22 et 34 ans. « La sélection de ces candidats s’est faite naturellement, ce sont les familles qui sont avec nous depuis le début, ou qui nous ont rejoint en cours de route mais qui étaient très motivées », explique Mireille Lemahieu. Au sein de l’immeuble se trouveront également des logements pour une autre association concernée par la surdité, le Cercle Lyonnais des Sourds Club Seniors (CLSCS), un cabinet paramédical et surtout, les locaux du GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) TSA au rez-de-chaussée. Ce dispositif repose sur le principe de la pair-aidance et regroupe des personnes concernées par le spectre de l’autisme, souhaitant partager leurs expériences et se soutenir mutuellement. Alors que la résidence devrait ouvrir ses portes au mois d’avril 2022, Mireille Lemahieu espère qu’elle pourra servir d’exemple à d’autres organismes privés ou publics, pour offrir aux personnes autistes une offre de logement réellement adaptée. Catherine et Raphaëlle Vivent


Les activités disponibles sont aussi variées que des cours de cuisine, de piscine, ou des ateliers de lecture, auxquels les résidents peuvent choisir de participer, ou non. Annick Tabet, à gauche, et Isabelle Sauvageon, à droite, ont respectivement participé à la création du lieu, tandis que la seconde assure aujourd’hui son bon fonctionnement. © Elodie Horn

À Messimy, un village pour vieillir sereinement

A

u cœur de Messimy, dans le Rhône, se trouve un village avec la particularité d’accueillir des personnes autistes d’un certain âge, nécessitant des soins et un accompagnement adaptés. Depuis une dizaine d’années, ce foyer d’accueil médicalisé, situé dans l’ouest lyonnais, leur apporte un accompagnement précieux, tout en leur permettant de garder de l’autonomie. « Ah, je le reconnais, c’est Manuel qui traverse l’allée, cela fait un petit moment qu’il est là, je vais voir s’il se souvient de moi », s’exclame tout sourire Annick Tabet, vice-présidente de Sésame Autisme Rhône-Alpes et de la Fédération nationale de la plus ancienne association accompagnant des personnes diagnostiquées avec des troubles du spectre de l’autisme (TSA). « Oui, tu es la maman de Jérémy », répond Manuel. « J’ai bien connu ses parents, c’est la raison pour laquelle nous avons pensé ce lieu. Les parents qui ont créé l’association, avec, dans un premier temps, un établissement spécialisé à Chaponost, voyaient leurs enfants grandir et commencer à vieillir. Ils voulaient trouver une solution pour quand ils ne seraient plus là pour les accompagner », précise Annick Tabet. C’est ainsi que naissait, il y a une dizaine d’années, le village Sésame de Messimy, dans le Sud-Ouest lyonnais, un véritable village situé au cœur du bourg dont les habitants ne sont que des personnes autistes vieillissantes.

36 résidents au cœur du village Sésame Une fois le portail du village passé, le lieu se dessine comme une rue, où chaque unité a été pensée comme une maison individuelle comportant les chambres et salles de bain de chaque résident, qui leur permet, à la fois, une forme d’autonomie, tout en proposant un accompagnement individualisé selon leurs besoins de santé, puisqu’il s’agit d’un foyer d’accueil médicalisé.

« Tout le personnel médical est formé aux TSA, alors que dans la formation globale, peu de temps y est consacré. Ici, les résidents viennent de familles, des hôpitaux, ont un diagnostic de TSA, qui a parfois été très tardif, puisque lorsqu’elles étaient enfants, le diagnostic d’autisme n’existait même pas encore. On s’est aperçu depuis que grâce à une médiation et à un environnement appropriés, les choses pouvaient s’améliorer pour les personnes avec TSA », souligne Isabelle Sauvageon, directrice du village Sésame. Pour ce faire, il a fallu 5 ans, pour penser correctement le projet, le lieu et l’adapter au mieux à leurs besoins. « Il y a 8 personnes maximum par unité, représentées par des maisons. La localisation est au cœur de la commune de Messimy, près des écoles, de la boulangerie, d’une pharmacie, pour leur permettre d’aller et venir. Au total, 36 résidents vivent au sein du village, un chiffre restreint, là-aussi, pour correspondre aux besoins des patients. Tout a été pensé pour limiter le bruit, les lumières, puisqu’ils y sont très sensibles », ajoute Annick Tabet.

Une nouvelle extension pour répondre aux besoins Les résidents sont pour certains arrivés vers 45-50 ans et nombre d’entre eux vivent au village depuis l’ouverture. « L’idée est de les accompagner jusqu’à leur fin de vie. Les personnes vont vivre plus longtemps ici, car elles vont être accompagnées et beaucoup de préventions vont être faites pour qu’elles ne perdent pas au niveau physiologique, ce qui est un peu le risque chez ces personnes », détaille la directrice adjointe de l’établissement. Des activités leur sont aussi proposées, telles que des cours de cuisine, des ateliers de lecture, de piscine. Rien ne leur est imposé et les personnes peuvent s’y rendre en fonction de leurs envies. Le projet se voulait aussi inclusif, avec des moments partagés avec les habitants de Messimy, une partie qui a dû être mise à l’arrêt à cause de la pandémie. Les besoins d’accompagnement, eux, avec le vieillissement de la population et le nombre de diagnostics croissants, sont de plus en plus importants. C’est pourquoi une structure annexe est prévue pour accueillir 8 nouveaux venus au sein du village. Élodie Horn

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Emploi : accompagner candidats et employeurs

A

ujourd’hui encore, l’accès et le maintien dans l’emploi est souvent compliqué pour les personnes autistes. Selon l’association Autisme Europe, entre 76 % et 90 % des personnes avec TSA sont sans emploi dans l’Union européenne. Certaines structures proposent donc un accompagnement professionnel, comme l’association Aspiejob. Sa coprésidente et cofondatrice, Francine Stourdzé, nous parle des missions des job coachs.

de la conversation sociale telle qu’on peut l’envisager en tant que neurotypique, par exemple. Il faut donc prévenir le collectif de travail. Il y a aussi tout ce qui concerne le sensoriel, ne pas mettre quelqu’un qui est sensible au bruit dans un open space, il peut y avoir des problèmes avec les odeurs, etc. Toutes ces choses sont à regarder de très près. Ensuite, nous formons un référent qui va être le correspondant du candidat, son intermédiraire auprès des autres, et qui va l’aider à comprendre ce qu’on lui demande, à exécuter les tâches. Mais surtout, il est là pour être son lien avec l’extérieur et voir si l’intégration se passe correctement. On forme aussi le responsable pour qu’il sache comment communiquer et comment apprendre, car il est important que ce ne soit pas que la personne avec TSA qui fasse des efforts. On prévoit des réunions hebdomadaires, bimensuelles puis mensuelles avec le candidat, le tuteur et le responsable pour voir si tout se passe bien. On le fait 3 mois, 6 mois, un an, en fonction des besoins et de la durée du contrat.

TVB : Quels sont les accompagnements proposés par votre association AspieJob ? FS : Notre particularité, c’est que l’on prend en charge les personnes très tôt dans leur parcours. Pour le candidat qui vient nous voir, la première chose qu’on fait c’est un bilan, car notre accompagnement est global, personnalisé et individualisé. On voit alors si on peut aider le candidat, et quel type d’accompagnement on peut lui proposer. Certaines personnes ne sont encore pas diagnostiquées donc on les accompagne là-dedans, d’autres n’ont pas fait leur demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), d’autres ont besoin de préciser leur projet professionnel. Ensuite, on propose trois choses : travailler sur ses compétences et apprendre à les exprimer – ce qui n’est pas évident pour les personnes avec TSA car elles ont souvent une vision très négative d’elles-mêmes –, se préparer aux entretiens d’embauche et savoir parler de son autisme, et rédiger son CV et ses lettres de motivation. Enfin, on passe à la phase active de recherche d’emploi et on aide les personnes à bien cibler les candidatures. Souvent, comme elles sont bien préparées, elles décrochent des entretiens.

TVB : Est-ce que cet accompagnement permet le maintien dans l’emploi ? FS : Absolument, on a des taux de maintien dans l’emploi de 98 %. On doit être actuellement à près de 200 personnes accompagnées, et on a environ une demande par jour sur notre site, ce qui représente beaucoup trop pour notre association. C’est vraiment cet accompagnement très en amont des personnes qui est une des clés de ce taux de réussite, mais il y a aussi d’autres clés, comme le fait qu’on sait très bien de quoi on parle, le fait d’avoir été formé et d’être supervisé par la psychologue Isabelle Hénault. On a aussi notre réseau de psychologues formés, vers lesquels on peut orienter les personnes. Raphaëlle Vivent

FS : Ça commence par une sensibilisation du collectif de travail. Parce que sans ça, les collègues se demandent pourquoi la personne ne raconte pas son week-end, pourquoi elle ne va pas à la machine à café ou déjeuner avec tout le monde, etc. Beaucoup de personnes avec TSA ne comprennent pas l’intérêt HS TVB #24 - P.28

© Francine Stourdzé Aspiejob

TVB : Une fois la personne dans l’entreprise, quelles actions sont mises en place ?


Témoignage de Mme G Parcours professionnel et expérience avec un job coach Les difficultés à tenir mon poste de travail ont amené à un aménagement de celui-ci en 2015. J’avais du mal à reconnaître les difficultés nommées par ma hiérarchie comme étant miennes, car j’étais dans l’ignorance de mon autisme à cette époque-là. Le diagnostic m’a permis d’avoir une explication, au moins en partie, sur ce qu’il m’était moins facile de faire. Être écartée du poste que j’occupais a été une profonde blessure. Je comptais sur mon investissement dans ma démarche de soins et sur l’accompagnement d’un job coach pour le réintégrer. Lors des entretiens avec ce dernier, j’ai pris conscience, avec beaucoup de mal, que reconnaître, admettre puis intégrer ce qu’est l’autisme est un travail indispensable à toute progression. Par ailleurs, aucun job-coach ne peut forcer un employeur à donner un poste attendu, même avec beaucoup de motivation de la part de la personne concernée. Le fait d’avoir organisé une réunion avec un job coach et mon employeur me l’a fait comprendre. Il faudra donc beaucoup travailler pour dépasser ou contourner tout ce qui fait obstacle dans une journée de travail. Et recommencer à s’adapter chaque jour dans un environnement aménagé, certes, mais tellement difficile à appréhender.

Parfois renoncer. Et prendre soin de soi, des besoins de l’autisme, nécessaires pour rester en bonne santé mentale. L’accompagnement s’est terminé dès la première rencontre du job coach et de l’employeur, en raison de la démission du job coach et de la crise sanitaire. Malchance ou chance car, finalement, je ne sais pas si la venue du job coach aura été réellement souhaitée par mon employeur. Peut-être tout juste tolérée. Il faut être prudent dans le cadre d’un maintien dans l’emploi, car le métier de job coach est finalement assez récent et peu connu. Suite à cela, l’accompagnement spécifique sur le handicap m’a permis d’atteindre une partie de mes objectifs. Ils n’ont pu l’être que parce que je les ai redéfinis et fractionnés. Je ne regrette pas cette expérience de job coaching qui m’a aidée. Les entretiens individuels m’ont permis d’échanger des points de vue et d’avancer de façon mesurée.

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Podcast TroubleS dans le Spectre, la parole aux concernés

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nitié par Pascal BellancaPenel et accompagné par le Centre référent de réhabilitation psychosociale et le Centre de Ressources Autisme, le podcast TroubleS dans le Spectre entend faire mieux connaître le TSA, grâce aux témoignages de personnes concernées.

« Vous les connaissez. Statistiquement, au moins un. Ils ou elles sont ce 1 % de la population, mais ils sont aussi vos amis ou votre voisin ». C’est par ces mots, d’une voix calme et posée comme s’il était déjà bien rodé à l’exercice, que Pascal BellancaPenel commence le premier épisode de sa série de podcasts. Un projet qu’il aurait été loin d’imaginer mener un jour, il y a quelques années à peine. Enseignant de physique-chimie pendant 25 ans, il a eu « le parcours classique d’un prof qui a fini par s’épuiser », raconte-t-il. « Au fil des années, j’ai eu de plus en plus de mal à masquer les difficultés dans le domaine professionnel et surtout à la maison, puisque c’est la sphère privée qui supportait le plus gros des compensations ». Entre avril et mai 2020, il est finalement diagnostiqué autiste. On lui propose alors très vite de suivre une formation, au Centre de Ressource Autisme (CRA) de Lyon. « Il y avait une dizaine de personnes, se souvient Pascal. Toutes ces personnes témoignaient d’un parcours diagnostic assez compliqué, avec parfois des remarques blessantes de la part de personnels de santé, le généraliste ou le psychiatre qu’ils étaient allés voir la première fois. » Des similitudes qui interrogent l’ex-enseignant. « Je me suis dis qu’il y avait sûrement quelque chose à faire, pour rendre sensible la largeur du spectre à tout ce personnel soignant ». L’idée du podcast était née.

Représenter tout le spectre Il la propose d’abord aux deux institutions avec qui il est en contact, le CRA et le TS2A, « pour leur rendre un peu de ce qu’elles m’avaient donné », explique Pascal. Les équipes sont conquises par HS TVB #24 - P.30

le projet. Le travail de préparation s’effectue en groupe, avec Pascal et des personnes du CRA et du Centre ressource de réhabilitation psychosociale, via le dispositif Zest (Zone d’expression contre la stigmatisation). « La mission principale de Zest est de lutter contre la stigmatisation en santé mentale en s’appuyant sur le témoignage et le vécu des personnes concernées, donc le projet de Pascal était pour nous une évidence », explique Romain Tabone, psychologue et co-coordinateur de Zest. Les participants au projet dégagent une dizaine de thématiques et les deux institutions recrutent des personnes avec TSA sans déficience intellectuelle pour qu’elles livrent leurs témoignages. « Comme on voulait représenter au mieux la largeur du spectre, on a aussi interrogé des proches de personnes autistes avec déficience intellectuelle, pas pour qu’elles parlent à leur place mais pour qu’elles livrent leur vécu avec ces personnes-là », raconte Pascal. Six personnes sont sélectionnées, et Pascal s’entretient avec elles pendant une heure ou deux, en leur posant les mêmes questions. Les épisodes sont assemblés avec ces différents témoignages et le point de vue d’un professionnel, en fin d’épisode.

Mission réussie Le premier, sorti fin octobre, déconstruit les mythes et les préjugés qui entourent l’autisme. « C’était l’entrée qui nous paraissait la plus large et la plus accessible car finalement, que l’on soit concerné ou non par l’autisme, on en a tous une vision stéréotypée, véhiculée par la culture populaire », explique Pascal. Ce premier épisode a suscité de nombreuses réactions positives « de la part, beaucoup, de professionnels de santé et de personnes concernées, mais aussi un peu du grand public », assure Romain Tabone. « On a eu le retour d’un psychiatre, lui-même avec TSA, qui a compris grâce à l’un des témoignages que les comorbidités pouvaient faire obstacle au diagnostic. C’est quelque chose qu’il n’avait jamais envisagé, conclut Pascal. Donc si on a réussi à toucher au moins un soignant, notre mission est réussie ». Anaïs et Raphaëlle Vivent


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Jean-Philippe Piat, guide de survie de la personne autiste

TVB : Vous avez créé en 2017 un blog pour les personnes autistes. Quelles solutions souhaitiez-vous leur apporter ? JPP : À l’époque, je trouvais qu’il n’y avait pas d’aide concrète pour les personnes autistes Asperger. J’ai beaucoup lu en anglais car la littérature y est très riche. J’ai écrit un premier article et finalement il y a tellement de choses à dire ! Sur l’aspect social, organisationnel, la sensorialité… Mon idée était de favoriser le bien-être des personnes autistes au travers d’articles. Mon blog permet aussi aux personnes non-autistes de comprendre pourquoi les autistes ont telle réaction face au bruit, face à des situations anxiogènes…

TVB : Votre livre s’intitule Guide de survie de la personne autiste. Le terme « survie » est très fort. À quelles problématiques avez-vous été confronté ? JPP : Au niveau social, j’étais très replié. Je vivais un peu aux crochets de ma famille, ce qui devenait compliqué à vivre, arrivé à un certain âge. Avant le diagnostic, chaque matin je me demandais : « Qu’est-ce qui cloche avec moi ? » J’avais fait des études correctes mais au niveau professionnel mes entretiens se passaient mal, les rares fois où j’étais embauché je ne passais pas la période d’essai… Quand vous êtes seul et en difficulté, vous pouvez penser à des idées extrêmes. La survie évoque cela et les situations auxquelles on est confronté avec les autres. J’étais exclu. L’espérance de vie des personnes autistes est réduite du fait du risque suicidaire, qui est en grande partie dû à cette exclusion. Celle-ci n’est pas forcément volontaire : certains autistes ont la volonté et la motivation d’aller vers les autres mais n’ont pas les habiletés sociales pour bien gérer la situation et d’autres, à force d’échecs, se replient sur eux et ne veulent plus essayer.

TVB : Vous abordez dans votre livre des sujets très pratiques, comme la gestion de crise et du stress au quotidien. Quels conseils donnez-vous ? JPP : Il y a trois choses. D’abord, il s’agit d’identifier une situation sociale malveillante et le fait qu’on la subisse puis d’arriver à s’affirmer. Ensuite, il faut avoir des solutions. On peut par exemple réfléchir à différentes typologies de situations pour s’y préparer. On peut solliciter des psychologues, ses proches, la médecine du travail pour les problèmes de comportement au travail… Je donne des indications dans mon livre pour travailler là-dessus. Ensuite, il s’agit d’apprendre à gérer les échecs sociaux pour en retirer quelque chose : réfléchir à la façon dont on aurait pu mieux agir, à d’autres solutions, pour réduire l’anxiété et ne pas généraliser l’expérience. Et mieux gérer ces situations par la suite.

TVB : Quels conseils donneriez-vous à une personne qui vient d’être diagnostiquée ? JPP : Déjà, lire sur l’autisme va l’aider à mieux comprendre et mieux expliquer. Car la façon de l’annoncer aux autres peut être complexe. Plutôt que d’annoncer « je suis autiste » – qui ne donne aucune information ni de façon de gérer l’information – il vaut mieux parler de son fonctionnement et de ses besoins. Par exemple : je supporte mal le bruit, j’ai besoin d’un planning cadré, de ne pas avoir trop de rendez-vous dans journée… Et puis la personne peut solliciter des aides. Idéalement, derrière le diagnostic, il faudrait qu’il y ait un accompagnement ; beaucoup d’associations militent en ce sens. On peut aller chercher du soutien auprès de groupes, voire de groupes Facebook où l’on compte beaucoup sur la solidarité. Marie Albessard

© Jean-Philippe Piat

D

iagnostiqué autiste Asperger à 37 ans, Jean-Philippe Piat a fait de l’autisme son « intérêt restreint ». Formateur et intervenant, il est l’auteur du blog Aspieconseil.com et de l’ouvrage Guide de survie de la personne autiste, via lesquels il souhaite aider de façon concrète les personnes autistes, et « favoriser leur bien-être ».

HS TVB #24 - P.31


PAGES 32 À 35

RESSOURCES & CONTACTS


La boite à outils du TSA par Nathalie

Cette page est une petite boite à outils non exhaustive proposée pour accompagner les TSA. Elle est séparée en 4 catégories : piochez librement ce que vous trouvez approprié pour vous dedans !

Sensoriel La sensibilité auditive - Les casque de chantier - Les appareils à réduction active de bruit (écouteurs, casque...) - Les bouchons d’oreilles (boules Quies, bouchons Loop...)

Communication - Expliquer le fonctionnement de son TSA à ses proches (car oui tous les TSA sont différents) - Prévenir en amont en cas de crise, si possible - Avant un événement, anticiper le besoin de s’isoler en prévenant les personnes présentes - Badge expliquant son trouble (TSA, handicap invisible...)

La sensibilité olfactive Les huiles essentielles dans un masque, sur un doudou, sur du tissu... Les steams Aident à focaliser l’attention ou le toucher : - Pin’s texturés - Bague avec anneau - Fidget toys

Chez soi - La couverture lestée - Les éclairages réglables (LED) - Les étiquettes ou les mots pour aider à ranger dans la maison - Les doudous - Prévoir une tenue confortable toute faite pour les jours où il est difficile de s’habiller - Connaître les « confort food », les noter ou les préparer en avance si possible - Préparer une trousse toute faite avec des médicaments, des objets récurrents… cela peut rassurer et faire gagner du temps

Faire des fiches Les règles à respecter (dans une chambre ou un appartement par exemple)

En cas de mutisme (pour demander sans avoir à parler, en pointant sur une liste)

Rappel pour les proches de comment gérer quel type de crise (meltdown, shutdown)

Petits conseils en plus - En cas de problème d’équilibre, des semelles orthopédiques peuvent aider - La cohérence cardiaque quant à elle est une sorte de « reset » émotionnel et physique à pratiquer quotidiennement. Petit plus, c’est une routine !

À savoir qu’appliquer et mettre tout ça en place prend du temps, il faut toujours s’écouter et ajuster au fur et à mesure du temps ! S’accompagner comme on accompagnerait un.e bon.ne ami.e!

HS TVB #24 - P.33


Les astuces pour mieux-vivre son TSA par Catherine

La théorie des petites cuillères

Cette théorie vise à rationner et mesurer son niveau d’énergie ainsi que la connaissance de soi. Elle part du principe que l’on commence une journée avec une quantité limité de cuillères (10 par exemple) et qu’on en retire une pour chaque tâche énergivore (2 pour parler à quelqu’un, 1 pour un bruit strident dans les transports, etc.). En s’approchant de la fin du stock de cuillères, l’isolement et les stratégies mises en place pour se faire du bien (et regagner des cuillères) sont à suivre afin d’éviter toute crise. Mesurer de manière pratique ou symbolique notre niveau d’énergie, et ce qui nous fait du bien ou pas, reste utile à tous pour connaître ses propres limites.


HORS-SÉRIE JEUNESSE

Ressources & Contacts Autisme Info Service Sites web d’informations

Ressources pour aller plus loin et comprendre l’autisme Données publiques

La Haute Autorité de Santé et les services de santé publique recensent les structures liées à l’autisme et publient des chiffres et analyses. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/ autisme

Lectures

L’autisme : Une autre intelligence, Diagnostic, cognition et support des personnes autistes sans déficience intellectuelle de Laurent Mottron Le syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau : Approche comportementaliste de Tony Attwood

Comprendre l’autisme https://comprendrelautisme. com Autisme France www.autisme-france.fr

Podcast TroubleS dans le Spectre https://centre-ressource-rehabilitation.org/a-ecouterpodcast-troubles-dans-lespectre-1188

Structures ressources pour être aidé sur le TSA Centre TS2A

4 rue Jean Sarrazin 69008 Lyon 04 26 73 85 43 Demande.TS2A@ch-le-vinatier.fr https://centre-ressource-rehabilitation.org/ts2a

Centre de Ressources Autisme (CRA) de Lyon

La différence invisible et Dans ta bulle ! de Julie Dachez

Centre Hospitalier Le Vinatier 95 Boulevard Pinel 69650 Bron 04 37 91 54 65 www.cra-rhone-alpes.org

Asperger et fière de l’être et L’enfant atypique d’Alexandra Reynaud

CH Le Vinatier

Guide de survie de la personne autiste de Jean-Philippe Piat.

Centre Hospitalier Le Vinatier 95 boulevard Pinel Bron 04 81 92 56 25 www.ch-le-vinatier.fr

Permanence téléphonique les matins de 9h à 13h au 0800 71 40 40 www.autismeinfoservice.fr

Autisme 69

111 rue du Commandant Charcot 69110 SAINTE-FOY-LÈS-LYON https://autisme69.com

Unafam 69

Union nationale de familles et amis de personnes malades handicapées psychiques 66 rue Voltaire 69003 Lyon 04 72 73 41 22 www.unafam69.org

Centre douleur du Centre Hospitalier Saint-Jean-de-Dieu

290 route de Vienne 69008 Lyon 04 37 90 10 10 http://sjd.arhm.fr/consultations/consultations_specialisees/centre_douleur

Centre Ressource Réhabilitation

Le centre ressource met en œuvre des actions de formation, d’information et de recherche scientifique. www.centre-ressourcerehabilitation.org ZEST Dispositif visant à lutter contre la stigmatisation en santé mentale, en permettant de prendre la parole. www.centre-ressource-rehabilitation.org/zest

Panorama

Les groupes d’entraide mutuelle (GEM)

Retrouvez la carte des GEM sur le site psycom, ressource sur la santé mentale. https://www.psycom.org/ sorienter/les-groupes-dentraide-mutuelle

Ressources évoquées Service Expérimental d’Accompagnement et de transition La Traboule

5 rue de Montbrillant 69003 LYON 04 37 56 25 04 servicelatraboule@arhm.fr

Réseau Arevale Habitat partagé LOGITED

7 Rue du Capitaine 69003 Lyon 06 30 57 00 56 https://reseau-arevale.fr

Village Sésame

11 Chemin la Font 69510 Messimy 04 37 22 14 20 www.sesame-autisme-aura. com/le-village-de-sesame

Aspiejob

59/61 Bd du Château 92200 Neuilly-sur-Seine www.aspiejob.org

Retrouvez les personnes interrogées et les acteurs du projet lors d’un moment de restitution et valorisation à venir plus d'infos en dernière page et sur http://toutvabienlejournal.org


Restons en contact

Journée de sensibilisation

Vous avez une question, une remarque, une envie, écrivez-nous à contact@toutvabienlejournal.org Vous souhaitez nous soumettre un sujet, une idée, chercher des solutions avec nous, écrivez-nous à comiteredac@toutvabienlejournal.org Vous souhaitez organiser un atelier Decrypt’info, Crée ton journal ou un ciné-débat avec nous, écrivez-nous à actionssocioculturelles@toutvabienlejournal.org

Date et lieu à venir

Vous avez envie d’organiser un événement pour découvrir des solutions avec nous, nous distribuer ou devenir partenaire, écrivez-nous à partenariats@toutvabienlejournal.org

À l’occasion de la sortie de ce Hors-Série, TVB organisera un après-midi de sensibilisation avec les personnes concernées qui nous ont aidé à créer ce magazine. L’événement est encore en construction mais devrait inclure : - les témoignages vivants des personnes concernées ; - l’immersion dans la bulle de l’autisme avec casque anti-bruits et autres outils ; - jeux, ressources et conférence à penser.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux ou notre site internet pour rester informés de l’évolution de ces événements. http://toutvabienlejournal.org

Et retrouvez-nous sur la toile Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain @toutvabiennews Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain Toutvabienjournal

Avec le soutien du FDVA du Rhône et de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes

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http://toutvabienlejournal.org

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