les femmes, ACTRICES DU commerce Équitable 1
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les femmes, ACTRICES DU commerce Équitable 3
ÉDITEUR RESPONSABLE Carl MICHIELS COORDINATION Phenyx43 RÉDACTION Dan AZRIA - Phenyx43 Florence NEYRINCK CONCEPTION Julie RICHTER - Phenyx43 PHOTO COUVERTURE Association des Villageois de N’Dem - Sénégal Crédit photo : Fédération Artisans du Monde David Erhart
Les opinions exprimées dans cette publication sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la CTB ou de la Coopération belge au Développement. Des extraits de cette publication peuvent être utilisés dans un but non commercial à condition d’en citer l’origine et l’auteur. © CTB, Agence belge de développement, Bruxelles, mars 2012
INTRODUCTION
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FEMMES ET DÉVELOPPEMENT
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ACTRICES MAJEURES DU DÉVELOPPEMENT INÉGALITÉS ET INJUSTICES POUR MIEUX COMPRENDRE
LE COMMERCE ÉQUITABLE ET LES FEMMES
COMPRENDRE LE COMMERCE ÉQUITABLE LES BÉNÉFICES DU COMMERCE ÉQUITABLE POUR LES FEMMES LA PLACE DES FEMMES DANS LES ORGANISATIONS DU COMMERCE ÉQUITABLE
10 11 14
17 18 22 26
INITIATIVES REMARQUABLES
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CONCLUSION
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EN AFRIQUE EN AMÉRIQUE LATINE EN ASIE
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INTRODUCTION Dans la plupart des pays du monde, les femmes ne sont pas considérées comme les égales des hommes. Inégalité de revenus, d’accès aux ressources et à l’éducation, privation de droits,… Sur les cinq continents, à des degrés divers, le patriarcat demeure le système dominant et limite souvent les perspectives d’émancipation et d’autonomie des femmes qui dépendent pour vivre, de leur mari, de leur père ou de leurs frères. L’injustice absolue. Non seulement, c’est inique mais c’est aussi contreproductif. En effet, permettre aux femmes de bénéficier des mêmes droits que les hommes au travail, à la propriété ou à l’éducation réduirait sensiblement la pauvreté et favoriserait le développement rapide de nombreuses régions du monde. En tant que modèle alternatif de croissance, le commerce équitable place le bien-être des travailleurs au cœur de l’activité économique. Pour ce faire, il établit des normes formelles que les organisations de producteurs doivent respecter, en particulier l’égalité entre hommes et femmes. Et cela fonctionne. Ainsi que nous allons le voir, le commerce équitable est un formidable moyen pour permettre aux femmes de s’investir, de travailler, d’apprendre et d’assumer de nouvelles responsabilités.
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Crédit : Artisans du/ Monde - Ndem Coopérative Gumutindo (Ouganda) - Crédit : Gumutindo Where’s my coffee
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FEMMES ET DÉVELOPPEMENT
ACTRICES MAJEURES DU DÉVELOPPEMENT INÉGALITÉS ET INJUSTICES POUR MIEUX COMPRENDRE
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Kagera (Tanzanie) - Crédit : Andy Carlton / Twin
ACTRICES MAJEURES DU DÉVELOPPEMENT Les femmes jouent un rôle majeur dans les dynamiques de croissance. Les études sur le sujet mettent en effet en évidence le fait que le développement du travail des femmes contribue(rait) à résoudre nombre des problèmes qu’affrontent les populations des pays du Sud, notamment en matière de souveraineté alimentaire. Ainsi, selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), si les femmes dans les zones rurales avaient le même accès que les hommes à la terre, aux techniques, aux services financiers, à l’instruction et aux marchés, il serait possible de nourrir 100 à 150 millions de personnes en plus dans le monde1. Rien qu’en donnant aux femmes paysannes le même accès aux ressources agricoles, il serait possible d’augmenter de 20 à 30 % la production des exploitations qui leur seraient confiées dans les pays en développement (où vivent la quasi-totalité des 925 millions de personnes sous-alimentées dans le monde en 2010). Cette étude souligne enfin que ces changements de pratiques et de mentalités réduiraient de 12 à 17 % le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde, soit 100 à 150 millions de femmes, d’hommes et d’enfants.
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Dans de nombreux pays du monde, les femmes ne sont pas considérées comme les égales des hommes.
INÉGALITÉS ET INJUSTICES Souvent issues de traditions ancestrales qui accordent aux mâles un rôle social et politique prépondérant, ces inégalités s’inscrivent dans des visions du monde qui se heurtent parfois à la modernité, voire qui la refusent. Bien qu’existent de nombreuses constantes dans ces systèmes sociaux inégalitaires, il convient d’appréhender ces situations en fonction de leurs contextes culturels propres. Dans les nations occidentales, ces inégalités sont perceptibles en particulier dans le monde du travail où, à compétences et responsabilités équivalentes, les femmes sont souvent moins bien payées que les hommes et moins représentées dans les instances dirigeantes. En règle générale, ces iniquités sont plus importantes dans les pays en développement, notamment dans les milieux les plus pauvres, où la misère, le manque d’éducation et le poids des traditions contraignent la plupart des femmes et limitent leurs accès aux ressources et aux droits qui sont accaparés par les hommes. Les généralités sont très souvent malvenues pour traiter ces questions et tous les pays en développement ne présentent évidemment pas les mêmes caractéristiques. De nombreux pays du Sud se sont illustrés par leurs efforts pour promouvoir l’égalité des hommes et des femmes et certains font même figure de références dans ce domaine. Le Rwanda, par exemple, est le pays qui compte le plus grand nombre d’élues au parlement national. En Inde, l’infanticide des filles bouleverse les équilibres sociaux. Les femmes y sont traditionnellement soumises aux hommes et leur droit à la propriété est très limité. Considérées comme des personnes de seconde classe, elles peuvent être abusées et chassées si leurs familles ne peuvent pas payer leur dot ou leur mariage. La scolarisation des jeunes filles y est rare (40 % des Indiennes de moins de 14 ans ne vont pas à l’école3) et il existe encore beaucoup de mariages arrangés dès le plus jeune âge.
Dans les pays arabes, les questions religieuses pèsent très lourdement sur les relations entre les hommes et les femmes. Nombre d’entre elles sont encore considérées à travers le prisme des textes sacrés qui les soumettent à la volonté de leur père, de leurs frères et de leur mari. Dans certaines régions musulmanes et animistes d’Afrique, la polygamie permet aux hommes d’avoir plusieurs femmes. En Amérique latine, la culture machiste discrimine les femmes et tend à les enfermer dans des activités ménagères ou de reproduction.
REGARD CRITIQUE
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Les 2/3 des personnes analphabètes dans le monde sont des femmes.
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Plus de 65 % des enfants de 6 à 11 ans non scolarisés sont des filles.
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La malnutrition touche environ 900 millions de personnes, en particulier les fillettes, les femmes enceintes, en âge de procréer ou allaitant (80 % des femmes enceintes en Asie sont anémiques).
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Près de 70 % des 1,2 milliards de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour sont des femmes.
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80 à 90 % des familles pauvres ont pour chef de famille une femme.
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Plus de 32 % des femmes sont confrontées à la violence domestique.
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Chaque année, 4 millions de femmes et de fillettes sont achetées et vendues à un mari, un proxénète ou un marchand d’esclaves.
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80 % des réfugiés dans le monde sont des femmes et des enfants.
Ces différences sont importantes et doivent être prises en compte. On observe cependant le fait que le modèle patriarcal domine très nettement sur les cinq continents et qu’il cantonne très souvent les femmes aux mêmes fonctions et les enferme structurellement dans une position d’infériorité.
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La plupart des grands fléaux qui affectent l’humanité atteignent les femmes plus durement que les hommes.
DOMMAGES COLLATERAUX Dans les régions du monde meurtries par la guerre (République Démocratique du Congo, Afghanistan, Somalie, Tibet,…), les femmes doivent affronter des situations de violence extrême. Dans les conflits les plus durs, elles voient leurs époux et leurs fils prendre les armes, elles sont parfois considérées comme des ressources à piller et sont victimes de viols et de maltraitance. Même dans les situations de tensions moins brutales (des situations d’occupation militaire, de dictature ou de colonisation), les crispations identitaires ou sociales conduisent à leur mise à l’écart de la société civile, à la perte de leurs droits. Et lorsqu’enfin, les crises s’apaisent, que vient le temps de la pacification et de la reconstruction, elles sont souvent les grandes oubliées et sont condamnées à supporter seules les traumatismes qu’elles ont subis. A titre d’exemple, une étude basée sur les conflits mozambicain, sierra léonais et angolais a montré que les filles n’étaient quasiment jamais prises en compte dans les programmes de réinsertion des enfants-soldats (alors qu’elles ont été des milliers à être enrôlées de force). Et ce, essentiellement en raison du sexisme qui préside à l’élaboration de ces programmes de «Désarmement, Démobilisation et Réhabilitation» (DDR), selon les auteurs de cette étude4. De même, lorsque les grandes pandémies s’abattent sur les régions du monde les moins développées, les femmes sont souvent les plus exposées et, quand ce n’est pas elles qui souffrent de la maladie, elles doivent en supporter le coût humain. Dans les pays les plus touchés par le virus du VIH/SIDA, les générations productives sont les plus atteintes (23% des 15-49 ans en Afrique du Sud par exemple5). Non seulement la durée de vie moyenne chute mais la pyramide des âges s’en trouve bouleversée avec une population adulte affaiblie et plus de 20 millions d’orphelins dans le monde6. Nombre d’entre eux se retrouvent alors à la charge de leurs grands-mères. Avec jusqu’à 10 ou 15 enfants à nourrir parfois, celles-ci «sont devenues soutien de famille pour leurs propres enfants malades ou pour la progéniture de ces derniers que la maladie et la mort obligent trop souvent à abandonner.»7
Ces inégalités sont d’autant plus injustes que les femmes travaillent nettement plus que les hommes.
Godavari Delta Women’s Lace Artisans (Inde) Crédit : Trade Aid New Zealand
LE TRAVAIL DES FEMMES
Elles fournissent les deux tiers des heures travaillées dans le monde et leurs journées sont morcelées entre le temps qu’elles passent dans la production (souvent agricole ou artisanale), celui qu’elles vouent aux activités ménagères (dix fois plus que les hommes) et les heures qu’elles consacrent à leur famille.
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Women in Zimbabwe Crédit : Wagner Horst / UNESCO
Entre l’éducation et les soins des enfants, le ménage, la cuisine, le ramassage du bois et les heures passées dans les champs, les usines ou sur les métiers à tisser, les femmes assument l’essentiel des tâches et des activités qui permettent aux sociétés humaines de fonctionner. Et pourtant, leurs ressources sont bien moindres que celles des hommes (elles ne gagnent que 10 % du revenu mondial8) et l’essentiel de ce labeur n’est pas rémunéré, ni même valorisé de quelque manière que ce soit.
INÉGALITES MULTIPLES Les différences de traitement entre hommes et femmes dépendent des structures juridiques, des coutumes et des traditions de chaque région du monde, mais, globalement les questions de droits et d’accès aux ressources sont centrales pour appréhender ces situations et les faire évoluer. Au sein de ces systèmes économiques et sociaux, ces inégalités sont multiples et prennent différentes formes.
Accès à la terre et aux ressources productives
Accès à l’éducation
L’accès à la terre et aux ressources agricoles (bétail, semences, etc.) est primordial pour les populations pauvres. Une petite parcelle ou une vache représente parfois la seule source de richesse qu’elles possèdent, leur unique moyen de subvenir aux besoins de leurs familles. Or, si les femmes réalisent l’essentiel des travaux agricoles (près de 75 % en Afrique9), elles ne sont presque jamais propriétaires des parcelles qu’elles cultivent et du bétail qu’elles élèvent. Elles n’en ont que l’usage. Au Mali ou au Burkina Faso, par exemple, alors que 70 % des personnes qui travaillent la terre sont des femmes, seulement 2 % des femmes sont propriétaires. En Afrique, elles produisent plus de 80 % de la nourriture mais elles possèdent moins de 10 % des terres10.
L’éducation est le deuxième domaine où les inégalités entre hommes et femmes sont les plus marquées, et où, surtout, elles ont le plus d’incidences en termes de développement. Les filles sont beaucoup moins nombreuses que les garçons à bénéficier de programmes de scolarisation. Près des deux tiers des 900 millions d’analphabètes dans le monde sont des femmes et les filles ne représentent que 30 % des enfants scolarisés. Cette situation défavorable n’évolue pas puisque 63 % des adultes ne sachant ni lire ni écrire étaient des fem mes pour la période 1985-1994, contre 64 % pendant la période 2000-200611. Lorsqu’elles ont accès à l’école, les filles sont souvent contraintes d’en partir plus tôt, que ce soit pour aider leur mère aux tâches ménagères, pour s’occuper des enfants les plus jeunes ou pour des raisons de mariage ou de grossesse. Cette forme d’inégalité est peutêtre la pire car non seulement elle prive les femmes de savoir-faire, mais surtout elle les enferme dans l’ignorance et les exclut des autres formes de droits ou de ressources (formation, crédits, etc.). En Bolivie, par exemple, malgré des améliorations importantes, de nombreuses femmes des zones rurales sont encore privées d’éducation et n’apprennent pas l’espagnol, ce qui limite considérablement les contacts qu’elles peuvent avoir avec l’administration, les médias et les organisations sociales.
De nombreux systèmes coutumiers traditionnels ne reconnaissent pas aux filles le droit d’hériter (voire de posséder) des terres ou des bêtes. Elles n’y ont alors accès que par l’intermédiaire de leur mari ou de leur père. Elles restent au service des hommes et n’accèdent aux ressources que pour travailler et satisfaire les besoins alimentaires de leurs familles. Et, souvent, lorsque les règles et les lois leur accordent enfin ces droits, elles en profitent rarement, par manque d’instruction ou par peur des réactions des hommes de leurs communautés. Accès au crédit
La question du financement est fondamentale en termes de développement. En effet, pour accroître leurs ressources et augmenter leur productivité, les artisans et les paysans des pays du Sud doivent pouvoir investir, que ce soit pour acquérir des semences, s’équiper de matériels de travail (outils, machines, etc.) ou préfinancer leurs récoltes. Or, là aussi, les inégalités sont criantes. Parce qu’elles ont moins de garanties à offrir, qu’elles se déplacent plus difficilement (car elles doivent s’occuper de leur famille), mais aussi pour des raisons culturelles, les femmes ont beaucoup moins accès que les hommes au crédit, ce qui limite considérablement leurs capacités productives et leur autonomie. Ainsi, en Afrique par exemple, elles ne reçoivent que 10 % des prêts accordés aux petits agriculteurs et moins de 1 % de l’ensemble des prêts accordés à l’agriculture, alors qu’elles ont la responsabilité de 80 % des cultures agricoles du continent. La coutume selon laquelle la terre et les biens que l’on en tire ne se transmettent que de père en fils ou d’homme à homme au sein d’une famille les place en position d’infériorité totale. Pourtant, les initiatives menées auprès des femmes pour favoriser l’investissement (notamment le microcrédit) ont montré que celles-ci «investissent avec plus de succès que les hommes et qu’elles respectent davantage les échéances de remboursement.»12
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POUR MIEUX COMPRENDRE LA NOTION DE GENRE Pour appréhender ces questions d’inégalités hommes-femmes et les faire évoluer, les critères sexuels ne sont pas les plus pertinents. D’un point de vue systémique, les différences entre les femmes et les hommes sont dictées par les conditions sociales et culturelles et non par des différences biologiques. On parle alors non pas de sexe, mais de genre. «Le genre fait référence aux rôles et responsabilités dévolus aux femmes et aux hommes, et qui sont façonnés au sein de nos familles, de nos sociétés et de nos cultures. Le concept de genre inclut également les attentes de chacun quant aux caractéristiques, aptitudes et comportements des femmes et des hommes (féminité, masculinité). Les rôles et les attentes attribués à chaque sexe sont acquis»13. L’étude des questions de genre se concentre donc sur les rapports sociaux entre les femmes et les hommes, sur leurs fonctions différentes au sein des sociétés et sur le regard que leur portent celles-ci. Ainsi, à l’inverse de la différenciation biologique qui est universelle, la notion de genre s’inscrit dans un cadre culturel donné, qui dépend du niveau de développement, du poids des traditions, des pratiques religieuses, etc.
L’EMPOWERMENT, UN CONCEPT CENTRAL Le processus qui permet aux femmes d’acquérir l’autonomie qui les aidera à sortir de ce carcan porte le nom d’«empowerment», un terme anglophone qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. Renforcement ? Emancipation ? Autonomisation ? La notion d’empowerment recouvre ces différents concepts mais elle englobe aussi des notions qui justifient son utilisation en tant que tel pour appréhender les inégalités dont souffrent les femmes et contribuer à leur réduction14. L’empowerment, qui vise à coopérer avec les femmes pour qu’elles puissent mieux prendre en main et gérer leur environnement, est ainsi devenu un levier très important en termes de politique de développement.
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SIPA (Inde) - Crédit : Trade Aid New Zealand
L’empowerment des femmes se constitue de quatre composantes15 : > Le vouloir : Les obstacles qui empêchent les femmes d’être les égales des hommes ne sont pas tous de nature juridique ou économique, le premier d’entre eux est de nature psychologique. Pour accéder à cet empowerment et s’émanciper, les femmes doivent commencer par le vouloir. Or cette envie de vouloir est parfois elle-même brimée et enfouie si profondément qu’il convient avant toute chose de la (rés)susciter pour ensuite travailler sur les questions de droit et d’accès aux ressources. > Le pouvoir : L’accès à un statut et une position plus égalitaires pour les femmes exige que celles-ci puissent surmonter les obstacles qui les privent de ces droits. Corvées domestiques, éducation des enfants, ramassage du bois,… autant de tâches qui empêchent de très nombreuses femmes d’assumer des responsabilités collectives ou de s’engager dans des projets économiques ou sociaux. L’empowerment implique donc de travailler sur cette question de capacité matérielle. Pour que les femmes qui le veulent s’investissent dans des activités productrices ou des actions communautaires, encore faut-il qu’elles le puissent, que les contraintes et les corvées ne contrarient pas ces élans. Cette notion de pouvoir englobe aussi la question des savoir-faire et des techniques et souligne la nécessité de doter les femmes des compétences («skills») grâce auxquelles elles pourront s’engager dans des démarches d’empowerment.
> Le savoir : L’empowerment se présente comme un processus, une démarche, une évolution vers une situation moins inégalitaire et plus juste. Or, pour celles qui veulent s’engager dans cette démarche (et le vouloir est la première étape), il est indispensable d’accéder au savoir, à la connaissance. Comment cela se passe-t-il ailleurs ? Comment font les autres femmes? Quels sont mes droits? L’empowerment passe par l’accès à l’information et à la connaissance, ce qui souligne l’importance de l’éducation et de la formation continue comme instruments de développement et de réduction des inégalités.
> L’avoir : Cette dernière composante de l’empowerment est probablement la plus évidente (mais pas forcément la plus importante). Elle met en évidence le problème de l’accès aux ressources (terres, bétail, finances, etc.) et des moyens disponibles pour les exploiter et les faire fructifier. Cette notion d’avoir pose donc la question de la propriété et des règles régissant cette propriété mais aussi des mécanismes permettant de jouir de cette propriété, d’investir, de transformer, de vendre et d’acheter. Enfin, plus largement, ce pilier de l’empowerment intervient dans l’accès des femmes au pouvoir politique, qui est souvent lié aux problématiques de propriété (des terres, des troupeaux, etc.).
A travers ces réflexions, c’est la nécessité d’appréhender les dynamiques d’émancipation dans le cadre d’une approche holistique globale qui est mise en avant. Synthèse de nombreux travaux, le concept d’empowerment met en évidence la nécessité de traiter ces quatre dimensions de manière équilibrée et cohérente pour produire des résultats et permettre à des groupes de femmes dans un environnement donné de s’approprier de nouveaux droits, de nouvelles ressources, de nouvelles responsabilités…
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KKM Handweaving (Inde) - CrĂŠdit : Trade Aid New Zealand
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LE COMMERCE ÉQUITABLE ET LES FEMMES
COMPRENDRE LE COMMERCE ÉQUITABLE Le commerce équitable apparaît comme un outil performant pour favoriser l’empowerment des femmes. Mais d’où vient ce mode d’échange alternatif ? Comment y est traitée la question du genre ? Quelques questions auxquelles il convient de répondre.
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Cacaocultrice (Ghana) - Crédit : Max Havelaar-Stiftung
AUX ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE Le commerce équitable est né d’un constat simple : les écarts de richesse entre les populations des pays les plus riches et celles des pays les plus pauvres ne cessent de se creuser malgré les sommes importantes investies dans l’aide au développement. C’est en 1964, lors de la Conférence des Nations unies pour la Coopération et le Développement (CNUCED), qu’est définie pour la première fois la notion de commerce équitable avec comme principe fondateur «Le commerce, pas la charité» («Trade, not Aid»). Les premiers magasins de commerce équitable s’ouvrent en Europe dans les années 1960, tandis que se mettent en place dans les pays en développement les coopératives et organisations de producteurs qui vont bénéficier de ces échanges plus justes.
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LE COMMERCE ÉQUITABLE, C’EST QUOI ? En 1999, les principales organisations internationales du commerce équitable (la World Fair Trade Organisation WFTO, Fairtrade International - FLO, l’European Fair Trade Association - EFTA et le Network of European World Shops - NEWS) se sont entendues sur une définition commune :
«
Le commerce équitable est un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au sud de la planète. L es organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel.
«
Concrètement, le commerce équitable garantit aux producteurs des pays les plus pauvres des prix d’achat généralement plus rémunérateurs que les cours mondiaux ainsi qu’une relative stabilité des prix et la mise en place de conditions et de délais de paiement favorables (voire des possibilités de préfinancement), qui évitent aux paysans et aux artisans de brader leurs produits ou d’avoir recours à des prêts usuraires. Le prix équitable couvre tous les coûts de production du produit, y Pour soutenir la mise en œuvre de ce système compris les coûts environnemenéconomique,ces organisations ont défini les taux, et assure aux producteurs un niveau de vie décent. De plus, à respecter les acheteurs du commerce équitable s’engagent à verser des primes supplémentaires dites «de déve1. Créer des opportunités pour les producteurs loppement» qui sont utilisées pour économiquement en situation de désavantage. la réalisation d’investissements productifs et/ou de programmes 2. Favoriser la transparence et la crédibilité. sociaux (alphabétisation, accès aux soins, etc.). 3. Encourager la capacité individuelle.
10 GRANDS PRINCIPES
4. Promouvoir le commerce équitable. 5. Garantir le paiement d’un prix juste. Bead for Life (Ouganda) - Crédit : Bead for Life
6. Veiller à la non-discrimination (égalité des sexes) et à la liberté d’association. 7. Assurer des conditions de travail décentes. 8. Proscrire le travail des enfants. 9. Protéger l’environnement. 10. Encourager des relations commerciales fondées sur la confiance et le respect mutuel. 19
Pour une organisation de producteurs, l’entrée dans le commerce équitable se traduit formellement par la labellisation de sa production et/ou par son adhésion aux organisations de référence (l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable - WFTO, en particulier). Mais quelle que soit la voie choisie, cette adhésion se traduit par le respect des 10 grands principes cités précédemment.
LA QUESTION DU GENRE DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE Parmi ceux-ci, il en est un qui traite très explicitement de la question du genre. Il s’agit du principe n°6 consacré à la non-discrimination, à l’égalité des genres et à la liberté d’association. Il est dit dans cet article16 :
«
Dekyiling Handicraft (Inde) - Crédit : Erik Törner
L’organisation ne fait aucune discrimination dans l’embauche, la rémunération, l’accès à la formation, la promotion, le licenciement ou la retraite qui soit fondée sur la race, la caste, l’origine nationale, la religion, le handicap, le sexe, l’orientation sexuelle, l’appartenance syndicale, l’appartenance politique, le statut VIH/ SIDA ou l’âge. L’organisation offre des possibilités aux femmes et aux hommes de développer leurs compétences et favorise activement les candidatures de femmes à des postes vacants et des postes de direction dans l’organisation. L’organisation prend en compte la santé, la sécurité et les besoins particuliers des femmes enceintes et des mères qui allaitent. Les femmes participent pleinement aux décisions concernant l’utilisation des avantages résultant du processus de production. » Cet article absolument fondamental évoque en outre la question de l’égalité matérielle :
«Les organisations qui travaillent directement avec les producteurs veillent à ce que les femmes soient toujours payées pour leur contribution au processus de production, et quand les femmes font le même travail que les hommes, elles reçoivent les mêmes rémunérations que les hommes. Les organisations veilleront à ce que les femmes soient autorisées à travailler selon leurs capacités et que, dans les situations de production où le travail des femmes est moins valorisé que celui des hommes, le travail des femmes soit réévalué pour égaler les niveaux de rémunération des hommes.
«
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Cette disposition est la plus claire, celle qui évoque la question du genre de la manière la plus directe. Mais certains autres principes du commerce équitable ont une incidence sur l’empowerment des femmes et sur leur participation aux activités productives de leurs communautés. L’imposition de normes organisationnelles (système de décision participatif et instances démocratiques) ainsi que l’importance accordée aux questions environnementales ont, comme nous le verrons, des conséquences positives sur le statut des femmes, leur émancipation et, plus globalement, leur bien-être et leur santé.
COOPAC (Rwanda) - Crédit : COOPAC
FILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE Depuis la fin des années 1980 et la création,d’une part, de la WFTO, l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (qui s’appelait l’IFAT, l’Association Internationale du Commerce Equitable jusqu’en 2009),
et le lancement du label Max Havelaar, d’autre part, on observe l’émergence et la coexistence de deux grandes filières de régulation du commerce équitable : la filière intégrée et la filière labellisée.
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Mode d’organisation historique du commerce équitable, la filière intégrée présente comme caractéristique principale le fait que tous les acteurs intervenant dans l’élaboration et la commercialisation du produit (producteur, transformateur, importateur et points de vente) sont engagés dans le commerce équitable et se conforment volontairement à ses principes. Avec ses 400 organisations mem bres (dont une majorité dans les pays en développement) représentant l’ensemble des maillons de la chaîne du commerce équitable (producteurs, transformateurs et distributeurs), la WFTO, l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable, est considérée depuis sa création en 1989 comme le principal coordinateur de la filière intégrée. Depuis peu, la WFTO est occupée à développer son propre système de certification, le WFTO Fair Trade System. Concrètement, le fait pour une organisation d’être en conformité avec cette norme volontaire certifiera la mise en place par celleci d’un ensemble de pratiques et de procédures démontrant sa bonne gestion sur les plans social, économique et environnemental.
La grande majorité des organisations d’artisan(e)s équitables (où l’on retrouve l’essentiel des structures exclusivement féminines) sont membres de la WFTO, ce qui explique l’importance de cette filière dans l’étude des questions de genre. La filière labellisée repose sur la certification du produit commercialisé. Les entreprises qui élaborent ces produits s’engagent à respecter un cahier des charges précis et à s’approvisionner auprès d’organisations de producteurs des pays en développement (souvent des coopératives) qui ont été agréées par l’organisme de labellisation (organisation indépendante qui certifie le respect des critères définis pour l’attribution du label). Les produits labellisés peuvent ensuite être commercialisés dans n’importe quel point de vente, y compris la grande distribution classique. Le label Fairtrade Max Havelaar est le plus célèbre d’entre eux mais il en existe d’autres (Fair for Life, FairWild, Ecocert ESR, Naturland Fair, notamment) qui proposent des approches ou des logiques spécifiques.
LES BÉNÉFICES DU COMMERCE ÉQUITABLE POUR LES FEMMES Le commerce équitable est un modèle de développement qui favorise l’empowerment des femmes et leur participation aux activités productives rémunérées de leurs communautés. Ainsi que l’ont montré de nombreuses études, les bienfaits de ce système solidaire sont multiples et dépassent très largement les aspects économiques liés à l’augmentation des revenus.
Kasinthula Cane Growers (Malawi) - Crédit : Candico / Fairtrade
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Au démarrage de projets équitables, les producteurs sont incités à se structurer en groupements (souvent des coopératives). Dans ce cadre, les femmes sont amenées à sortir de chez elles, à se rencontrer et à s’organiser.
DIGNITÉ ET ÉCOUTE
CenfroCafé (Pérou) Crédit : Trade Aid New Zealand
Si, dans un premier temps le projet économique prévaut, le développement du réseau social qui naît de ces opportunités acquiert une importance majeure pour ces femmes qui disposent alors d’un espace d’échanges et de discussion. Dans ces lieux de partage, elles sont entendues et peuvent débattre de problèmes parfois personnels ou liés à la vie de la communauté. Mais surtout, elles osent s’exprimer, prendre la parole en public. Au niveau personnel, elles prennent confiance en elles, s’affranchissent de leurs peurs et apprennent à affirmer leurs idées17. Le témoignage d’Inès de l’association péruvienne Kuyunakuy souligne l’importance de cette notion : «Nous les femmes, nous avons peur de parler. Nous nous trompons toujours, nous ne parlons pas très bien nous et n’avons jamais bien appris à parler en espagnol. Nous avons peur de nous tromper. Maintenant, nous avons un peu moins peur, j’ai appris à parler dans mon organisation. Cela m’a servi pour parler à quelqu’un sans avoir peur. Je suis plus habile et j’ose donner mon opinion. J’aime aller aux réunions, je m’y sens heureuse.»18 Ainsi, au sein des groupes qui se mettent en place dans le cadre du projet de commerce équitable de leurs communautés, ces femmes, qui auparavant vivaient dans l’isolement, acquièrent «une nouvelle vision d’elle-même, une identité positive, elles y développent une certaine estime de soi, une dignité.»19 C’est donc bien la question du «vouloir», premier pilier de l’empowerment des femmes, qui est mise en avant dans cet aspect du commerce équitable.
INSTAURER DE NOUVELLES RELATIONS Dans les communautés impliquées dans le commerce équitable, les femmes participent au fonctionnement des organisations et sont actives dans les systèmes de production, elles perçoivent un revenu et contribuent aux ressources de la famille. Ces nouvelles fonctions favorisent leur reconnaissance sociale et suscitent des changements d’attitudes et de comportements à leur égard, au niveau de leur environnement global et au sein de leurs ménages. Elles qui auparavant dépendaient exclusivement de leurs maris, de leurs pères ou de leurs frères deviennent des opérateurs économiques actifs et reçoivent un revenu qu’elles peuvent gérer. Cette métamorphose économique (qui illustre les notions d’ «avoir» et de «pouvoir») a des conséquences sur leur autonomie et sur leur statut mais aussi sur le système social dans lequel elles évoluent, comme le souligne ce témoignage des femmes du Panjora Mahila Shomitee, au Bangladesh, qui produisent des objets en jute : «Avant, on demandait 2 takas (0.04 €) aux hommes, maintenant il arrive qu’ils nous demandent de l’argent. Les femmes sortent elles-mêmes pour acheter leurs saris et, aujourd’hui, le divorce unilatéral par répudiation ne se fait plus dans le village.»20
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Cette évolution des rapports de pouvoir dans les couples est d’une grande importance en termes de réduction durable des inégalités, en particulier dans la mesure où elle modifie positivement le regard qu’ont les enfants sur le fonctionnement de la famille et, plus globalement, sur les relations entre hommes et femmes.
Kuapa Kokoo (Ghana) Crédit : Max Havelaar France
Invitée à rencontrer des petits producteurs de café en Amérique latine, Sabine Denis, directrice de Business & Society, rapporte des échanges qu’elle a eus avec des paysannes au Nicaragua21: «Une femme m’a confié qu’elle ne répondait auparavant jamais aux questions d’une personne étrangère comme moi, mais qu’elle laissait toujours la parole à son mari. Elle s’exprime aujourd’hui plus librement. Autrefois, cette femme devait demander l’autorisation pour tout. Elle est aujourd’hui plus autonome. Même les finances du ménage sont aujourd’hui gérées de façon conjointe. La violence conjugale, sous la pression de la pauvreté et de l’alcoolisme, reste un problème majeur, mais les femmes sont aujourd’hui plus fermes sur leurs étriers grâce au commerce équitable. La règle veut par exemple qu’aucun café ne soit acheté chez un fermier qui se rend coupable d’actes de violence conjugale !»
POUVOIR APPRENDRE Dans le cadre de leurs organisations de commerce équitable, les femmes ont l’opportunité de se former et de maîtriser de nouveaux moyens de production (métiers à tisser, machines agricoles, etc.). En plus de bénéficier de ces apprentissages techniques, elles accèdent souvent aux savoirs de base qui leur sont proposés dans le cadre des programmes sociaux mis en place grâce aux primes de développement payées par les acheteurs équitables.
Alphabétisation, éducation sanitaire, formations commerciales, linguistiques ou informatiques,… le commerce équitable permet à ces femmes de poser le premier pas dans le cercle vertueux de l’éducation et de la formation grâce auquel elles accéderont aux savoirs (le troisième pilier de l’empowerment), elles prendront connaissance de leurs droits, elles occuperont de nouvelles responsabilités et contribueront à changer les mentalités et les pratiques.
Chargée de commercialisation à Q’Antati, une coopérative bolivienne, Victoria met l’accent sur ces bienfaits des formations qu’elle a suivies : «Ma qualité de vie n’a peut-être pas fort changé, mais j’ai appris à dépasser mes peurs. Maintenant je peux discuter avec des professionnels et j’aime cela. Je me sens fière. Pour mon association je suis une dirigeante. Au début je ne voulais pas, mais les femmes m’ont dit que je devais y aller. On ne peut pas refuser…»22
ENTRAIDE ET SOLIDARITÉ Minka (Pérou) - Crédit : Trade Aid New Zealand
A la différence des entreprises classiques, les organisations de producteurs impliquées dans le commerce équitable ont pour vocation première de favoriser le bienêtre de leurs membres. Elles sont donc souvent mises en place avec le souci de permettre une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, en offrant plus de souplesse dans les horaires ou des dispositifs adaptés qui profitent en premier lieu aux femmes de ces communautés. Employée à Sartañani dans l’Alto bolivien, Rosa explique que les femmes de sa coopérative peuvent amener leurs jeunes enfants sur le lieu de travail : «L’organisation d’artisanes accepte que nous venions travailler avec notre bébé, elle est aussi compréhensive si nous arrivons en retard.»
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PFTPC (Territoires Palestiniens) Crédit : Simon Rawles / Fairtrade
Liliana, quant à elle, travaille au sein de l’organisation Casa Betania au Pérou. Elle se félicite du système adopté dans son organisation : «Ici, nous travaillons selon le temps dont nous disposons. J’ai mon petit garçon donc je travaille jusqu’à deux heures de l’après-midi. Il y a d’autres ateliers où il n’y a pas cette facilité et elles travaillent douze heures d’affilées.»23 Et quand ce n’est pas le système lui-même qui propose ces solutions, les femmes dans les organisations de commerce équitable ont plus de possibilités pour nouer des relations les unes avec les autres et s’organiser entre elles pour gérer ces contraintes fortes que sont l’éducation et la garde des enfants. Ainsi, des réseaux de jeunes mères se mettent en place pour partager ces tâches et permettre à chacune d’entre elles de s’impliquer dans le projet de la communauté. Elles accèdent ainsi au «pouvoir», l’une des quatre composantes de l’empowerment.
EXISTENCE ÉCONOMIQUE Rapportés dans une étude très documentée sur le sujet24, ces propos d’un villageois indien témoignent de cette évolution : «Maintenant c’est bien d’avoir une fille parce qu’elle peut gagner de l’argent».
Exigence formelle des agences de certification et des organisations internationales du commerce équitable, le salariat des femmes dans les groupements de producteurs distingue nettement ce système des modèles traditionnels où le travail des femmes est très rarement rémunéré. Or, le fait pour les femmes de bénéficier de revenus propres a des conséquences directes sur leur émancipation et leur autonomie mais aussi sur le bien-être de leurs familles. Plus que les hommes, les femmes investissent très souvent l’argent qu’elles gagnent dans l’éducation des enfants, dans l’accès aux soins de santé et, plus généralement, dans l’amélioration des conditions de vie et du quotidien de leurs proches. Mais au-delà de l’impact matériel, c’est l’image même de la femme et son rôle dans la société et dans la famille qui évoluent lorsque celle-ci contribue à la richesse du foyer. La perception des fonctions traditionnelles de la femme se transforme et celle-ci se voit reconnaître une valeur productive qui lui était niée jusqu’alors.
RESPONSABILITÉS COLLECTIVES Les bienfaits du commerce équitable pour les femmes dépassent souvent le cadre de leurs organisations. Les savoir-faire en gestion et l’assurance qu’elles acquièrent dans leur environnement de travail les encouragent à assurer de nouvelles responsabilités au sein de leurs communautés ou d’enceintes associatives ou politiques plus larges. En Bolivie, par exemple, on constate la présence de plus en plus affirmée des femmes issues de coopératives équitables dans les conseils communaux, les organisations syndicales ou les mouvements sociaux. Ce phénomène d’émancipation sociale constitue un puissant facteur de développement, celles qui s’engagent dans cette voie faisant figure d’exemples pour les jeunes générations. Qui plus est, inspirées probablement par leurs propres expériences et initiées aux vertus des systèmes participatifs solidaires, ces femmes choisissent souvent de s’investir au sein d’organisations à vocation sociale. Microfinance, crèches, cantines, orphelinats, soutien à l’éducation,… autant de domaines dans lesquels les femmes formées dans le cadre des dynamiques équitables se mobilisent pour contribuer aux mieux-être de leurs communautés et à la réduction des inégalités.
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LA PLACE DES FEMMES DANS LES ORGANISATIONS DU COMMERCE ÉQUITABLE
LE COMMERCE ÉQUITABLE, UN MOYEN L’EMPOWERMENT, UNE FINALITÉ Les initiatives de commerce équitable ont souvent pour origine la volonté des artisans ou des paysans des pays du Sud d’améliorer leurs revenus en se positionnant sur des marchés qui offrent des garanties structurelles que ne proposent pas les marchés conventionnels (prix d’achat plus élevés et stables, relations commerciales durables, primes de développement, etc.). Ceci étant, dans de nombreux cas, le commerce équitable est d’abord intégré comme un moyen pour des organisations qui ont pour objectifs premiers la réduction de la pauvreté et la lutte contre les exclusions dont sont victimes de nombreuses minorités (personnes handicapées ou atteintes du VIH/SIDA, communautés ethniques marginalisées, etc.) . C’est vrai en particulier pour les groupements de femmes qui ont l’empowerment comme raison d’être et qui adoptent le commerce équitable (généralement dans l’artisanat) pour soutenir financièrement leurs activités sociales, pour se former et apprendre et pour bénéficier de réseaux d’entraide et d’échanges. Au Pérou, par exemple, l’organisation Casa Betania, initialement créée au bénéfice des femmes des quartiers marginalisées, n’a lancé son projet de création de vêtements équitables qu’après avoir travaillé sur les questions de santé mentale de ses bénéficiaires25.
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UNE PRÉSENCE MAJORITAIRE Tant au sein des réseaux occidentaux de distribution et d’appui que dans les groupements de producteurs des pays du Sud, les femmes sont très majoritaires dans les organisations et les instances du commerce équitable. Ainsi, selon l’Association européenne de commerce équitable EFTA, près de 80 % des Européens qui s’engagent bénévolement dans des réseaux de commerce équitable sont des femmes26. Au sein d’Artisans du Monde, l’une des grandes fédérations du secteur, 70 % des présidents des groupes locaux sont des femmes. On retrouve cette même proportion (70 à 80 % de femmes) au sein des coopératives et des associations de producteurs d’artisanat qui bénéficient du système équitable (cette proportion est moindre dans le secteur agricole)27.
Watford & Three Rivers Fairtrade Directory (UK) Crédit : Abbots Langley News
GROUPEMENTS MIXTES OU EXCLUSIVEMENT FÉMININS Du point de vue du genre, deux modèles d’organisations équitables cohabitent avec des caractéristiques différentes : les groupements exclusivement féminins et les structures mixtes.
Groupements mixtes
Organisations féminines
Très majoritaires dans le secteur agricole, les groupements mixtes présentent comme avantages de favoriser les contacts de travail entre les hommes et les femmes et d’encourager la prise en considération de ces dernières par les membres masculins de l’organisation. Ce modèle est notamment défendu lorsque les problématiques d’accès aux ressources (comme l’eau ou la terre) ne peuvent être résolus qu’avec la participation des hommes.
Si l’on considère l’empowerment comme l’un des objectifs principaux du projet de création d’activités équitables, les groupements exclusivement composés de femmes offrent à celles-ci de nombreux avantages spécifiques. Le regroupement permet ainsi de répondre à des problématiques qui sont propres aux femmes. Collectivement, elles peuvent acquérir des terres (lorsque la loi leur permet) ou du matériel, accéder au crédit en mutualisant leurs apports, financer des formations et des programmes sociaux ou solliciter des appuis extérieurs. Qui plus est, quand elles sont uniquement entre elles, les femmes acquièrent plus d’assurance et s’approprient plus facilement certaines compétences. Les femmes rencontrées «disent avoir appris au sein du groupe à prendre la parole en public, à développer des arguments et à acquérir une certaine confiance en elles.»29 Et ces apprentissages, beaucoup plus difficiles à acquérir dans un environnement mixte, peuvent alors être exploités au sein d’espaces ou se côtoient hommes et femmes, comme les conseils communaux ou les cellules syndicales. «Mon père me demande de le représenter car maintenant je sais mieux nous défendre que lui» commente une femme d’une coopérative de Sartañani en Bolivie. Tandis que d’autres expliquent qu’elles préparent au sein de leur groupement de femmes les positions qu’elles défendent au sein du conseil communal (une instance où traditionnellement les femmes n’ont pas la parole)30.
Ceci étant, si l’égalité est clairement affirmée dans les textes fondateurs du commerce équitable, on observe dans les faits que les postes à responsabilité sont le plus souvent occupés par des hommes. Ainsi que le soulignent les travaux d’une équipe de chercheurs des universités de Louvain et de Liège28, «dans ces organisations mixtes même si, comme nous l’avons montré, il existe une certaine ouverture aux problèmes d’inégalités de genre et au manque de participation des femmes, celles-ci estiment avoir peu d’espace d’écoute et plus de difficulté à se faire entendre et respecter.» L’étude comparée de ces différents modèles met ainsi en évidence l’importance du critère d’égalité hommesfemmes dans les organisations mixtes notamment parce qu’il permet aux femmes d’accéder de fait aux ressources qui sont l’apanage traditionnel des hommes.
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L’étude de la place des femmes dans le commerce équitable et des bienfaits de celui-ci exige de prendre en compte les environnements dans lesquels ces travailleuses évoluent. Dans les villes et les campagnes, dans les champs, dans les ateliers ou dans les usines, les situations diffèrent et demandent à être précisées.
Keleltu Hasegola Co-perative, Oromia (Ethiopie) Crédit : Trade Aid New Zealand
VILLES ET CAMPAGNES, ARTISANAT ET AGRICULTURE Depuis le lancement des premières initiatives de commerce équitable à la fin des années 1960, les principaux secteurs d’activité qui bénéficient de ce mode de commercialisation plus juste sont l’agriculture et l’artisanat. Les filières agricoles qui se sont investies dans ce mode d’échange solidaire ont globalement tiré profit de la labellisation de leur production avec notamment un accroissement de leur marge et, surtout, une plus grande sécurisation de leurs marchés. Et ce, malgré la volatilité des cours et une forte dépendance aux conditions climatiques. En ce qui concerne l’artisanat équitable, le constat est différent.
L’artisanat équitable, majoritairement féminin Des biens non standardisés, réalisés avec des outils simples, en quantité limitée et s’appuyant sur des techniques transmises de génération en génération, telles sont les caractéristiques de l’artisanat dans les pays en développement. Pourtant, l’artisanat traditionnel constitue l’une des principales sources de revenus pour des millions de personnes pauvres en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Et, la plupart du temps, ce sont les femmes qui créent ces bijoux, paniers, broderies, céramiques ou instruments de musique, et les recettes de ces activités sont prioritairement affectées à l’éducation, à la santé et aux besoins quotidiens de la famille. Secteur dominant dans le commerce équitable jusque dans les années 1990, l’artisanat présente des caractéristiques qui le rendent particulièrement adapté au travail féminin.
Réalisable à domicile et sans horaire fixe, indépendante des conditions extérieures (météorologiques notamment), l’activité artisanale offre comme avantage d’exiger peu de ressources ou d’investissements. A contrario, ce secteur fait face aujourd’hui à des difficultés qui limitent son développement. Confronté à la concurrence industrielle des pays asiatiques émergents, l’artisanat équitable souffre de problèmes structurels liés en particulier à la désorganisation des filières de production et à l’inadéquation de l’offre sur de nombreux segments de marché. Qui plus est, s’il est relativement aisé de certifier et promouvoir le caractère équitable de biens de consommation alimentaires, cela s’avère beaucoup plus compliqué pour l’artisanat, secteur très informel constitué d’une multitude d’unités de production souvent familiales ou communautaires.
L’agriculture, l’égalité incomplète Le secteur de l’agriculture domine aujourd’hui largement dans le commerce équitable. Café, cacao, fruits, thé, vin,… le marché des produits agroalimentaires équitables connaît depuis une dizaine d’années une croissance soutenue qui a fortement contribué à la crédibilité de ce modèle d’échange plus juste. Essentiellement mixtes (à quelques exceptions près), les organisations agricoles équitables ont comme avantage de pouvoir intégrer une main d’œuvre (masculine et féminine) importante au sein d’activités de production en croissance. Les principaux défauts qu’on pourra trouver à ces structures sont liés justement aux questions de mixité (évoquée ci-avant) et d’accès limité pour les femmes aux ressources traditionnelles (et symboliques) que sont la terre, l’eau ou le bétail.
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Prokitree (Bangladesh) - Crédit : Trade Aid New Zealand
TOUT N’EST PAS PARFAIT Le commerce équitable offre donc un cadre pertinent pour l’empowerment des femmes qui s’approprient des outils productifs performants pour améliorer leur quotidien, accèdent aux ressources qui leur font défaut et acquièrent de nouvelles compétences. Pour autant, la mise en œuvre d’un projet de commerce équitable pour les femmes peut poser des problèmes, encore que la plupart de ceux-ci sont plus liés à la nature de l’activité qu’à son caractère équitable.
Ainsi, dans certaines zones d’Inde, les femmes impliquées dans de tels dispositifs soulignent le fait que ce nouveau statut économique ne rééquilibre pas forcément la répartition du pouvoir (et a fortiori des tâches) au sein des ménages. Certaines se plaignent même du fait que leurs maris recherchent moins énergiquement du travail depuis qu’elles rapportent de l’argent31. Par ailleurs, les exigences commerciales nouvelles qui pèsent sur ces femmes (notamment en termes de délais) peuvent avoir des conséquences négatives sur leur qualité de vie. Ainsi, par exemple, pour répondre à temps à une commande, c’est toute la famille qui sera mise à contribution jusqu’aux petites heures du matin. Qui plus est, lorsque les impératifs économiques prennent le pas sur l’objet social du projet équitable, cela peut avoir des conséquences néfastes sur la cohésion de l’organisation. Celles qui alors ne peuvent répondre à la demande, faute de temps, de moyens ou de qualifications, peuvent se sentir exclues de la dynamique productive et du groupement. Enfin, en favorisant l’empowerment des femmes, le commerce équitable les expose aux réactions des hommes de leurs communautés, qui voient alors leur rôle traditionnel remis en cause et s’élèvent contre ces mutations sociales que génère le projet équitable.
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Annie Tendaï, National Handicraft Center (Zimbabwe) - Crédit : Trade Aid New Zealand
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INITIATIVES REMARQUABLES
Aux quatre coins du globe, des femmes sont impliquées dans des projets de commerce équitable. Que ce soit par leur impact social ou leur performance économique, ces initiatives illustrent concrètement les bienfaits de ce modèle solidaire qui favorise l’empowerment des femmes et leur permet de parler au monde. Les initiatives présentées ne sont que quelques unes parmi tant d’autres.
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EN AFRIQUE Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique a beaucoup souffert. Luttes pour l’indépendance, répression brutale des puissances coloniales, régimes autoritaires sanglants, frontières incohérentes, pillage des ressources, affrontements tribaux, guerres du diamant, programmes d’ajustements,… ces fléaux sont à l’origine de l’essentiel des difficultés humanitaires, sociales et économiques que rencontre le continent et dont les femmes sont les premières victimes. Aujourd’hui, alors que semble se dessiner un avenir plus lumineux pour l’Afrique, on voit émerger de nouvelles élites, dynamiques et responsables, dont une partie s’engage en faveur d’un commerce plus équitable, plus durable. Au sein de ces initiatives (et plus largement des réseaux solidaires), les femmes occupent un place prépondérante et leur accès aux ressources et aux responsabilités constitue un enjeu majeur pour le développement du continent.
Association des Villageois de N’Dem (Sénégal) - Crédit : Fédération Artisans du Monde
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GUMUNTINDO, LE CAFÉ DES FEMMES OUGANDAISES Pendant toute la période coloniale, l’Ouganda était considéré comme la «Perle de l’Afrique» par les occidentaux qui ont découvert le pays en recherchant les mythiques sources du Nil. Ses paysages magnifiques, la diversité de sa faune et de sa flore, ses terres fertiles, ses plantations prospères et sa paysannerie aisée,... au moment de son indépendance en 1962, l’Ouganda semblait prêt à affronter la modernité avec des atouts certains. Mais, très vite les tensions s’exacerbent entre les peuples nilotiques du Nord et les populations bantoues du Sud. En 1971, Idi Amin-Dada, prend le pouvoir et instaure un régime de terreur.
Ruwenzori Mountain Lady (Ouganda) - Crédit : Dylan Walters
Le nombre de ses victimes est estimé à 200 000 personnes, femmes, hommes et enfants. Sept ans plus tard, en novembre 1978, l’armée tanzanienne entre en Ouganda et contraint le dictateur à prendre la fuite. Mais les troubles se poursuivent et les dictatures s’enchaînent. L’inflation atteint des sommets, une famine terrible ravage le pays, l’opposition est brutalement réprimée. En janvier 1986, Yoweri Museveni accède au pouvoir et s’attèle à la reconstruction du pays (stabilisation de l’inflation, croissance durable, etc.) mais la situation demeure difficile avec la persistance d’une rébellion violente, l’Armée de la Résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) soutenue par le Soudan islamiste, qui fait régner la terreur dans le Nord du pays.
Gumutindo signifie «Bon fermier» en langue Bugisu
Enlèvements, viols, abandons,… les femmes ougandaises ont terriblement souffert de ces décennies de violences ethniques et confessionnelles. Aujourd’hui, l’Ouganda est un pays apaisé (bien que des poches de violence subsistent). Pourtant, en dépit d’avancées légales remarquables, les femmes doivent encore supporter le poids des traditions et des superstitions ainsi que le coût humain du VIH/SIDA.
Lydia Nabulumbi, Gumutindo (Ouganda) - Crédit : Trade Aid New Zealand
Gumutindo Coffee Cooperative Enterprise En Ouganda, les principaux sites de caféiculture sont situés dans le district de Mbale, à l’Est, près de la frontière avec le Kenya, sur les versants du Mont Elgon, la plus haute montagne du pays. Le climat subtropical et les terres volcaniques fertiles de ces provinces constituent un environnement idéal pour la production de café. C’est dans cette région qu’a été créée en 2000 la Gumutindo Coffee Cooperative Enterprise par certains des groupements de producteurs nés sur les ruines du vieux système coopératif ougandais. Rapidement, les responsables de la coopérative centrale ont compris que pour survivre et se développer, ils devaient apprendre à maîtriser l’ensemble de la filière et s’engager dans la production et la certification d’un café de qualité. En 2003, la production de Gumutindo est labellisée équitable (Fairtrade) et l’année suivante, l’ensemble des produits des fermes affiliées sont certifiés biologiques par EcoCert. Aujourd’hui, la Gumutindo Coffee Cooperative Enterprise est composée d’une douzaine de grandes coopératives de base qui regroupent quelque 6 500 fermiers.
Café gourmet, café de spécialité Avec le soutien du Trade for Development Centre de la CTB Après les succès obtenus grâce à la certification équitable et biologique de sa production, Gumutindo s’engage aujourd’hui sur de nouveaux marchés de niche à haute valeur ajoutée : les cafés de spécialités. L’idée maîtresse de cette démarche est d’assurer la production de cafés équitables et biologiques de très haute qualité, sélectionnés avec le plus grand soin, pour répondre aux demandes spécifiques des importateurs spécialisés. Les prix payés pour ces cafés de spécialités sont nettement supérieurs encore à ceux pratiqués pour du café équitable et biologique. Le Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement, soutient cette dynamique commerciale dans le cadre d’un projet qui s’est achevé en janvier 2011. Cet appui a permis à la coopérative de développer de nouvelles gammes de cafés de qualité supérieure «Single Origin» qui sont aujourd’hui présentées (avec succès) sur les marchés occidentaux et extrême-orientaux.
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Le café des femmes de Gumutindo Depuis sa création, la coopérative centrale Gumutindo reconnaît une place centrale aux femmes des communautés paysannes qui la composent, et encourage leur implication à tous les niveaux de l’organisation. Quatre des sept directeurs sont des femmes et l’équipe de permanents de la structure est composée pour moitié de femmes alors même qu’elles représentent moins de 20 % de ses adhérents. Cette position est clairement revendiquée par la coopérative qui explique que «lorsque la femme contrôle une partie du revenu de la famille, celle-ci en profite de nombreuses manières. Ces changements ont des effets positifs visibles et importants au sein de sa famille et sa communauté.»32 Depuis 2009, les caféicultrices de la coopérative travaillent en partenariat étroit avec l’équipe de direction à l’élaboration d’une gamme de café équitable et biologique exclusivement produit par des femmes. Cette initiative, «Women’s Coffee», qui a reçu le soutien de nombreuses organisations du commerce équitable (Equal Exchange notamment), a été lancée sur la base de considérations à la fois techniques et commerciales. Le café cultivé, récolté et préparé par les femmes caféicultrices de Gumutindo est en effet de haute qualité (compte tenu des soins qu’elles apportent à leurs plantations et à leur travail) et bénéficie d’une traçabilité irréprochable.
Or, il existe un intérêt croissant des consommateurs pour l’origine des produits qu’ils achètent (en particulier s’ils sont équitables) et pour les histoires qu’ils racontent. Et la grande majorité de ceux qui achètent le produit final dans les magasins sont des femmes, particulièrement sensibles aux questions d’émancipation et d’égalité, et qui pourraient vouloir soutenir cette initiative en achetant ce café «Women Made». La mise en place de cette filière de production exclusivement féminine s’inscrit très clairement dans le cadre du projet de développement global qui est la raison d’être de Gumutindo et dont l’empowerment des femmes est un des piliers. L’accès de celles-ci aux ressources (qui leur est encore très limité du fait des traditions rurales et ce, malgré des évolutions juridiques notables) implique en effet de faire évoluer les mentalités des hommes des communautés. Et le succès de ce projet, ainsi que la confiance et les responsabilités qui leur sont accordées, «encourageront les femmes paysannes à cultiver, à produire et à vendre plus de ce café d’excellente qualité et cela encouragera leurs maris à les soutenir et à les aider.»33 Qui plus est, la vente de ce café bénéficiera prioritairement aux femmes productrices de Gumutindo, qui pourront alors choisir de consacrer une part de ces revenus et des primes de développement à la mise en place d’activités dont elles seront les premières bénéficiaires.
«En tant que femme, la participation au commerce équitable est très bénéfique. Nous maîtrisons la production. Le commerce équitable nous a enseigné comment améliorer la qualité de notre café. Il aide également les femmes à vendre leurs produits. Nous avons accès à de bons marchés maintenant. Le commerce équitable donne aussi aux femmes plus de liberté d’expression. Quand nous sommes payées, nous achetons ce que nous voulons et nous ne devons rien demander à nos maris. Et nous savons comment gérer un budget pour les besoins domestiques. Nous avons goûté notre propre café, celui que vend CaféDirect. Il est délicieux !» Jennipher Wattaka, productrice, membre de Gumutindo34
Bénéfiques pour les femmes La liste des réalisations collectives menées à bien par la coopérative Gumutindo grâce au commerce équitable et biologique est impressionnante : acquisition de nouveaux entrepôts et de bureaux modernes en 2006, extension de la clinique, création de trois écoles primaires et d’un établissement d’enseignement secondaire, mise en place et implantation de deux centres locaux de santé, fourniture d’électricité dans les villages, etc. Depuis 2009 et le lancement du projet de café «Women Made», une attention toute particulière est portée aux actions en faveur des femmes des communautés de Gumutindo. Un groupe de travail spécifique a été mis en place pour promouvoir les droits des travailleuses et des paysannes, des actions ont été initiées (dont la création d’une troupe de théâtre) avec pour objectifs la mobilisation des femmes et la sensibilisation aux problèmes de genre et d’égalité. L’accent est mis notamment sur les questions de prise de décision dans les ménages, de violence conjugale et de soutien aux personnes atteintes par le VIH/SIDA (en particulier les orphelins). Le café des femmes de Gumutindo, une initiative heureuse et positive.
Pour en savoir plus : www.gumutindocoffee.co.ug - www.wheresmycoffee.co.uk - www.twin.org.uk www.fairtrade.org.uk - www.cafedirect.co.uk
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South African wine grapes - Crédit : Tim Parkinson
WOMEN IN WINE - AFRIQUE DU SUD La condition des femmes sud-africaines Les conditions de vie des femmes en Afrique du Sud, ainsi que leur niveau d’empowerment réel, dépendent en grande partie de la couleur de leur peau, de leur ethnie et de leur situation sociale. C’est en effet au sein de la population féminine noire des zones rurales ou des banlieues les plus pauvres qu’on observe les situations les plus difficiles, violentes et inégalitaires. En effet, malgré l’adoption en 1996 de la nouvelle constitution qui affirme que l’Afrique du Sud est une démocratie unie, non-raciale, non-sexiste et qui reconnaît aux femmes une citoyenneté pleine et entière, les femmes noires sont nombreuses à être confrontées aux violences sexuelles, au virus du VIH/SIDA et à l’exclusion pour celles atteintes de la maladie. Dans ce pays qui est l’un des plus touchés au monde, la pandémie frappe en particulier les femmes qui représentent près de 55 % des personnes malades. Les femmes de moins de vingt-cinq ans y sont trois à quatre fois plus infectées par le VIH/SIDA que les hommes de la même tranche d’âge35. Dans les campagnes, l’organisation Amnesty International a recueilli les témoignages de femmes qui expliquent qu’elles ne sont guère en mesure de se protéger contre l’infection par le VIH/SIDA, par crainte de subir des violences lorsqu’elles proposent d’utiliser des préservatifs. «La vie des femmes dans les campagnes sud-africaines est marquée par une violence persistante au sein de leur famille, de leur foyer et de leur village, peu sûr et en sous-effectif policier», explique Michelle Kagari, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International. Elle ajoute que «la coexistence de l’épidémie du VIH et de la violence contre les femmes porte un grave préjudice aux femmes, aux jeunes filles et aux fillettes sudafricaines, en termes de violence physique mais aussi psychologique.»36 A côté de ces situations graves, des études ont montré que les femmes noires dans les villes ont vu leur statut social et professionnel s’améliorer de manière sensible. Ces progrès, qui illustrent l’émergence d’une classe moyenne féminine noire dans le pays, ont des conséquences positives sur leur représentation politique. Elles occupent aujourd’hui près de 40 % des sièges au sein de la chambre basse du parlement, ce qui fait de cette chambre la troisième au classement mondial37.
Women in Wine, féminin, éthique et (bientôt) équitable L’organisation Women in Wine a été créée en 2006 par un groupe de 20 femmes noires, professionnelles du vin venues d’horizons différents, mais animées d’un amour partagé pour la viticulture. Elles voulaient «donner aux femmes, en particulier aux travailleuses dans les fermes et les vignobles ainsi qu’à leur familles, la possibilité d’être partie prenante dans l’industrie viticole.»40 Women in Vine est ainsi devenue la première entreprise viticole exclusivement détenue, contrôlée et gérée par des femmes.
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Le vin équitable sud-africain L’Afrique du Sud est l’un des principaux producteurs de produits agricoles équitables dans le monde et le vin certifié Fairtrade fait véritablement office de vitrine du commerce équitable sud-africain, de son dynamisme et de la qualité de ses produits. Ces vins ont acquis aujourd’hui une reconnaissance internationale réelle ainsi qu’en témoignent les nombreux prix obtenus ces dernières années par certains des millésimes rouges, blancs et pétillants produits par les viticulteurs certifiés Fairtrade38. Ces indéniables succès ne doivent toutefois pas occulter la réalité raciale et sociale difficile du secteur viticole en Afrique du Sud. La viticulture demeure en effet l’un des pans de l’activité économique du pays où la politique de discrimination positive mise en place par le gouvernement dans le cadre du programme Black Economic Empowerment (BEE) a le plus de difficulté à donner des résultats concrets. En effet, «bien que la viticulture soit une industrie bien établie en Afrique du Sud, c’est aussi un secteur encore considéré comme un bastion de l’influence et de la puissance des blancs. Moins de 1% des sociétés productrices appartiennent à des hommes d’affaires noirs.»39
«Pour réaliser cette vision partagée de faire évoluer l’industrie du vin sudafricain, nous avons dû trouver des solutions nouvelles et créatives afin de rompre avec les traditions selon lesquelles pour produire d’excellents vins, vous devez avoir des terres, des vignes, des caves et une grande entreprise pour les exportations», explique Beverly Farmer, fondatrice et PDG de Women in Vine (Pty) Limited. Aussi, les associées de l’entreprise ont choisi de miser sur leur expertise et surl’élaboration de partenariats étroits avec des fournisseurs de qualité, notamment issus de filières viticoles certifiées Fairtrade.
Beverly Farmer, fondatrice et PDG de Women in Vine (Pty) Limited.41
L’une de ces partenaires, par exemple, est Boland Kelder qui produit et fournit à Women in Wine des vins répondant à des spécifications détaillées. Beverly Farmer s’en explique : «Nous communiquons à nos fournisseurs nos demandes précises. Nous sommes très exigeantes car nos marques «Women in Wine» et «Eden’s Vineyards» sont les atouts majeurs de notre entreprise, et nous travaillons continuellement pour mettre en place une réputation de vins de qualité supérieure.» Près de 500 travailleuses des fermes et vignobles de la région du Cap sont associées au projet et bénéficient de sa croissance, auxquelles il faut ajouter environ un millier de femmes propriétaires de tavernes dans ces provinces qui ont également des participations significatives dans l’entreprise. La structure adoptée (sous forme fiduciaire partagée) leur permet ainsi de partager les fruits de cette initiative qui connaît un franc succès sur les marchés internationaux. Une organisation a d’ailleurs été mise sur pied, la «Farmworkers Women in Wine Trust», pour gérer une part de ces bénéfices et mettre en œuvre des actions de développement des compétences et de formation des ouvrières agricoles. Elle pilote également des projets au sein des communautés pour améliorer la qualité de vie des femmes et des enfants dans les exploitations agricoles et favoriser la consommation responsable de vin. Très attachées à cette dimension sociale, les fondatrices et les membres de Women Wine travaillent aujourd’hui à la préparation de la certification Fairtrade de leur production de vins rouges et blancs. Pour ses efforts, l’entreprise a remporté le Prix d’Ethique décerné par le célèbre magazine spécialisé britannique «The Drinks Business».
Pour en savoir plus : www.womeninwine.co.za
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Whitewine South Africa - Crédit : Merlin Bungart
«C’est notre devoir et notre droit de prendre notre juste place dans les hautes sphères économiques dominées par les hommes. La preuve de notre savoir-faire est dans la saveur de notre produit et notre vin parle pour nous» .41
L’UNION DES GROUPEMENTS DES PRODUCTRICES DES PRODUITS DE KARITÉ - BURKINA-FASO
Burkina Faso Women - Crédit : FAS USDA
Situé au cœur de l’Afrique occidentale, le Burkina Faso a renoué avec la démocratie en 1991 et a adopté à cette occasion une constitution qui souscrit formellement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (et donc à ceux de la femme). Pourtant, en dépit d’un cadre légal qui promeut l’égalité des sexes et des avancées réglementaires importantes, les femmes au Burkina Faso connaissent une situation assez comparable à celle des pays voisins. Epouse, mère de famille, porteuse d’eau, commerçante, paysanne,… véritable pilier de la société africaine, la femme est omniprésente dans tous les aspects de la vie sociale. Mais ce sont les hommes qui concen trent entre leurs mains l’essentiel des revenus et des ressources. Dans les régions les plus rurales, ces inégalités sont particulièrement sensibles (surtout en matière d’alphabétisation et d’accès aux soins) en dépit de progrès importants constatés notamment en matière de violences faites aux femmes. Les campagnes de sensibilisation menées ces dernières années par le gouvernement ont permis de réduire les pratiques ancestrales les plus brutales, telles que les excisions, les viols ou les accusations de sorcellerie qui conduisaient à la maltraitance et à l’exclusion de femmes âgées seules.
Une vie de femme au Burkina Faso «Dans la famille rurale du Burkina Faso, le sort de la femme n’est guère enviable. Levée avant le jour, elle parcourt des kilomètres, parfois plusieurs fois par jour pour aller puiser de l’eau qu’elle ramène ensuite sans moyen de transport. Vingt à trente litres d’eau sur la tête c’est lourd, surtout quand on est jeune et qu’on a le ventre vide. Piler le mil s’apprend juste après qu’on sache marcher. Aller chercher l’eau est important mais il faut aussi du bois pour cuisiner. Comme le bois est rare, il faut aller le chercher loin, souvent trop loin. Après cette mise en forme qui ne dispense aucunement la femme d’allaiter en même temps l’enfant qu’elle porte sur le dos, il faut passer aux choses sérieuses. Préparer un repas dans un pays où l’alimentation est centrée autour de la culture du mil est une chose simple : il n’y a qu’à piler. Ensuite, elle va pouvoir se mettre au travail, c’est à dire être un peu productive : aller vendre quelques légumes au marché si le temps qui lui reste pour dormir n’est pas déjà compté.»42 Comme dans beaucoup de pays en développement, c’est dans le domaine du travail et de sa reconnaissance que les inégalités entre les femmes et les hommes sont les plus criantes. Impliquées dans de très nombreuses activités productives et sociales, les femmes (dont personne ne conteste la valeur du travail) sont cantonnées à l’économie informelle. A part dans quelques rares secteurs (l’administration et les ONG notamment), les femmes sont très rarement salariées et globalement exclues des postes de responsabilités dans les organisations publiques ou privées.
«Le karité, c’est le mari des veuves et le père des orphelins» Il est un trésor au Burkina Faso qui n’appartient qu’aux femmes qui, seules, en détiennent le secret. Le karité, l’«or vert» des femmes burkinabées, est une noix qui pousse sur un arbre fruitier et auquel on reconnaît les nombreuses vertus. L’huile épaisse qu’on en extrait (le «beurre» de karité) protège, soigne et hydrate la peau, les lèvres et les cheveux. Pendant des décennies, ces propriétés n’étaient connues que des femmes africaines qui ne vendaient leur production que sur les marchés locaux. Il faut deux jours en moyenne pour produire un kilo de beurre dans les conditions de travail artisanales. Il faut d’abord récolter les noix, les dépulper, les décortiquer, les concasser, les torréfier, louer un âne avec une charrette pour les amener au moulin du village et les moudre, malaxer la mouture puis baratter, laver le mélange plusieurs fois avant de le cuire trois fois et filtrer deux fois pour enfin obtenir le précieux kilo de beurre de karité43.
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Généralement réservée aux femmes, la production de beurre de karité joue un rôle important dans l’équilibre des revenus des ménages dans les zones rurales en procurant aux familles des recettes complémentaires aux activités agricoles traditionnelles (le maïs, le riz et l’igname) et en fournissant aux femmes seules les maigres ressources qui leur permettent de survivre.
L’Union des Groupements des Productrices des Produits de Karité de la province de la Sissili-Ziro (UGPPK/SZ) À une heure et demie de route au sud de la capitale Ouagadougou, un peu avant la frontière avec le Ghana, se trouve la petite ville de Léo au cœur de la région de Sissili et du Ziro. C’est là qu’en janvier 2001, 18 groupes de femmes s’associent pour former ensemble l’Union des Groupements de Productrices de Produits de Karité afin de renforcer leurs compétences, d’assurer une gestion durable du karité, de développer une production compétitive et de qualité et d’accéder à de nouveaux marchés rémunérateurs. L’idée de départ est née d’un constat simple : les femmes rurales productrices de beurre de karité avaient jusqu’alors de grandes difficultés à accéder au marché d’exportation. Le manque de crédibilité des groupements féminins visà-vis des clients internationaux, la qualité inconstante des produits, la faible capacité de production et l’analphabétisme des leaders en étaient les causes principales44.
L’UGPPK a donc été créée sous forme de coopérative centrale avec «la volonté de fédérer dans une structure pérenne les forces et les moyens de ces groupements féminins pour mettre en place des centres de production et assurer une interface commerciale et logistique d’exportation.»45 Très vite, l’UGPPK s’engage avec succès dans le commerce équitable. Elle est ainsi la première organisation de productrices de beurre de karité à obtenir la certification équitable par Fairtrade International en 2006 qu’elle complétera par une certification Bio d’Ecocert en 2008. L’essentiel de la production de beurre de karité est vendu aux fabricants de cosmétiques équitables avec des volumes d’exportation (vers la France et le Canada principalement) en forte croissance (de 8 tonnes en 2002 à presque 200 tonnes en 2009). Les principaux clients de l’UGPPK sont l’Occitane, Alter Eco, Thémis, Nature et Vie et Ten Thousand Villages.
Par les femmes pour les femmes (et leurs familles) L’Union des Groupements des Productrices des Produits de Karité de la province de la Sissili-Ziro est considérée comme une référence en matière d’empowerment des femmes par le commerce équitable. Aujourd’hui, 72 groupements (comptant au total près de 3 000 productrices) composent la coopérative centrale UGPPK. Dans le cadre du commerce équitable, les productrices reçoivent le double, voire le triple, du prix payé sur le marché conventionnel. Et une prime supplémentaire de 0,30 $ pour chaque kilo vendu est aussi distribuée aux membres de la coopérative qui la répartissent généralement de la façon suivante : 40 % est destinée à l’alphabétisation, 20 % au parrainage des orphelins, 10 % pour la préservation de l’environnement et 30 % pour contribuer à l’autonomie financière des femmes en milieu rural46. Ces ressources issues du commerce équitable ont permis la réalisation de projets sociaux importants, qui ont surtout bénéficié aux femmes de la coopérative mais aussi à la protection des membres les plus fragiles des communautés qui la composent. Ainsi, ces primes ont été en particulier utilisées pour la formation des femmes aux techniques agricoles, pour financer des programmes de sensibilisation au virus VIH/SIDA et pour l’achat de matériel scolaire pour les orphelins. Une ludothèque a par ailleurs été créée par l’UGPPK pour accueillir les enfants qui sont pris en charge par des animatrices pendant que leurs mères travaillent, ainsi qu’une une garderie pour les plus petits, ce qui permet aux jeunes filles, normalement en charge des plus jeunes, d’aller à l’école. Mais c’est dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation des femmes que les efforts de la coopérative centrale sont les plus importants et les plus visibles. Plus de 800 femmes ont ainsi bénéficié de ces programmes et appris à lire et à écrire. Et, depuis 2007, l’UGPPK organise chaque année une journée de l’excellence pour distinguer les meilleures apprenantes des centres d’alphabétisation. Cette initiative est aujourd’hui citée en exemple dans tout le pays et pour d’autres projets d’empowerment. Enfin, la coopérative s’illustre depuis plusieurs années par son travail en faveur de la préservation de l’environnement (plantation d’arbres, recours à l’énergie solaire, etc.).
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Vainqueur des Be Fair Awards 2010 En octobre 2010, l’Union des Groupements des Productrices des Produits de Karité a remporté le Be Fair Award de la meilleure organisation équitable de producteurs composée majoritairement de femmes. Organisé par le Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement, dans le cadre de la Semaine du Commerce Equitable, ce concours récompense les initiatives équitables les plus performantes ou les plus dynamiques dans différents domaines. Le jury a en particulier «apprécié l’impact social fort (création de centres d’alphabétisation, préservation de l’environnement, augmentation du revenu des femmes,…) et a souligné la qualité des produits dans une Afrique faisant souvent l’objet de reproches»47. L’Union des Groupements des Productrices des Produits de Karité est organisée selon le modèle coopératif, ce qui signifie que les femmes sont collectivement propriétaires de leur organisation et qu’elles participent ensemble aux prises de décision. Ce système, caractéristique des groupements de producteurs engagés dans l’équitable, favorise la participation des femmes à la vie de la communauté. Elles sont ainsi de plus en plus impliquées dans la politique municipale où elles affirment leurs positions et défendent leurs droits et ceux des plus démunis. L’Union des Groupements des Productrices des Produits de Karité, c’est l’histoire d’une production féminine traditionnelle ancestrale qui devient vecteur d’empowerment. Une belle aventure dans la spirale vertueuse du développement.
UGPPK (Burkina Faso) - Crédit : Alter Eco
«Avec l’UGPPK, les revenus sont meilleurs. J’ai pu payer un vélo à mon fils, une machine à coudre à ma fille, ajouter une pièce à la maison pour ma fille et mon petit-fils. Je peux payer les ordonnances et les visites chez le médecin, acheter des habits. C’est merveilleux !» Abibata Ido, productrice de beurre de karité, membre de l’UGPPK48 Pour en savoir plus : www.afriquekarite.com www.befair.be
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Au Maroc, les activités de création artisanale en matière textile sont traditionnellement réservées aux femmes qui contribuent ainsi aux ressources familiales. A Marrakech, au cœur d’une des plus belles villes du Maroc, s’est développée depuis des siècles une tradition de tissage reconnue sur tout le pourtour méditerranéen. C’est aussi dans cette cité ancestrale aux mille couleurs qu’est née en 1991 la coopérative «Femmes de Marrakech» avec pour objectifs le développement d’une filière de création d’accessoires de mode de qualité et l’accroissement des revenus de ces femmes artisanes.
LES FEMMES DE MARRAKECH - MAROC La coopérative et ses activités
Les défis du développement
L’histoire commence en 1987, lorsqu’une styliste américaine décide de créer à Marrakech un petit atelier de confection de prêt-à-porter féminin à partir de sousdi, un tissu luxueux et léger, traditionnellement fabriqué dans la région de Fès. Quelques années plus tard, elle décide de revendre son activité en se proposant comme cliente aux futurs repreneurs. Les ouvrières de l’atelier, pour l’essentiel des femmes pauvres et peu éduquées, rachètent l’entreprise avec le soutien financier de la Société d’Investissement et de Développement International, et créent une association qui deviendra une coopérative en 1994. Les débuts sont difficiles, mais grâce aux contacts établis avec des organisations du commerce équitable (Artisans du Monde en particulier), le groupement de productrices parvient à commercialiser ses ouvrages et à subvenir aux besoins de ses membres.
Les années passant, les responsables de la coopérative prennent conscience des faiblesses qui handicapent le développement de leurs activités. Amina Naoui, trésorière de l’organisation, expliquait ainsi en 2003 que «si la plupart des femmes maîtrisent les étapes du processus de couture (commande du tissu de Fès, coupe, couture, finition, premier contrôle, teinture, contrôle final et emballage), nous sommes conscientes du manque de compétences en techniques commerciales, en négociation, en anglais, en informatique, sans parler de l’analphabétisme.»49 Des actions sont alors menées pour combler ces handicaps, avec l’appui des acheteurs équitables en Europe qui soutiennent la formation des ouvrières.
Les bénéfices du commerce équitable Un projet pour l’avenir
Femmes de Marrakech (Maroc) Crédit : FM / Esprit Equo
En 2005, la coopérative «Femmes de Marrakech» est certifiée par l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (la WFTO qui s’appelait alors l’IFAT). Les bénéfices de cette certification sont rapidement visibles. L’organisation est gérée de manière démocratique et toutes participent aux décisions concernant les choix stratégiques, les conditions de travail et les salaires. Ces femmes, qui viennent de milieux défavorisés et sont pour la plupart analphabètes, bénéficient de revenus corrects et réguliers (salaires fixes) et se voient proposer des formations ainsi que des cours d’alphabétisation dispensés à l’Institut Français de Marrakech.
En 2005, à Rome, est créé Esprit Equo, une boutique de commerce équitable qui s’engage en faveur des coopératives des pays du Sud en développant de nouvelles lignes de produits conçus pour promouvoir les traditions et les savoir-faire des petits producteurs. Rapidement, les contacts pris entre les fondateurs de la boutique italienne et les femmes de la coopérative marocaine permettent d’identifier les faiblesses structurelles de leur activité : gamme limitée, manque d’innovation dans les produits, design dépassé, marketing insuffisant, méconnaissance des marchés internationaux, mauvaise qualité des matières premières et fournisseurs peu fiables. Pour améliorer cette situation et valoriser les savoir-faire de la coopérative marocaine, celle-ci imagine avec ses partenaires italiens un projet de développement intégré avec comme objectifs l’amélioration de la qualité des produits (tant au niveau du design qu’au niveau des matières premières) et la modernisation de sa politique commerciale et promotionnelle.
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Femmes de Marrakech (Maroc) - Crédit : FM / Esprit Equo
Les résultats du projet Initié en avril 2009, le projet a véritablement permis d’intégrer les pratiques de travail des stylistes italiens aux savoir-faire traditionnels des femmes marocaines dans le cadre d’une relation dynamique et durable. Associées aux travaux réalisés sur les modèles pour l’élaboration des prochaines collections d’Esprit Equo, les ouvrières de Femmes de Marrakech ont appris à organiser leur production en fonction de ces logiques nouvelles et à sélectionner des matières premières de meilleure qualité. C’est ainsi que, pour pallier les défaillances des intermédiaires traditionnels, de nouveaux fournisseurs ont été identifiés et qualifiés en particulier pour les matériaux de base. Ce fut ainsi l’occasion de privilégier de nouveaux textiles équitables et durables.
Une nouvelle gamme de produits Fashion Au final, le projet a abouti à la création et à la valorisation d’une gamme de produits de mode de haute qualité. Robes, ceintures, sacs à main, accessoires,… la collection 2010-2011 d’Esprit Equo fabriquée par Femmes de Marrakech est toute en finesse et en lumière. Dévoilée en septembre 2010 en avant-première à Paris au cours de l’Ethical Fashion Show, le salon de la mode éthique, cette nouvelle collection a été mise à l’honneur durant le «Critical Fashion» à Milan en mars 2011.
Saida CHAABOUNI et Hassan BAJAJ, Femmes de Marrakech
Avec le soutien du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement Ce projet, qui a permis à la coopérative de Marrakech s’approprier les techniques les plus exigeantes de la mode européenne et d’y insuffler le savoir-faire et les traditions des femmes marocaines, a reçu le soutien financier du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement, à hauteur de 28 000 euros (73.86 % du coût total du projet). Des ateliers de Marrakech aux podiums des couturiers milanais… Une très belle histoire.
Pour en savoir plus : www.espritequo.com www.artisansdumonde.org
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Femmes de Marrakech (Maroc) - Crédit : FM / Esprit Equo
«Fusion du stylisme italien et du savoir-faire des artisanes marocaines, la nouvelle collection «Femmes du Maroc» d’Esprit Equo est la symbiose entre les exigences de l’élégance moderne, l’innovation et l’éthique sociale».
Women and children of Nivali (Mozambique) - Crédit : Stig Nygaard
L’UNION GÉNÉRALE DES COOPÉRATIVES DE MAPUTO (UGC) - MOZAMBIQUE La révolte des veuves «Il ne peut y avoir de développement communautaire, ou national, sans la contribution des femmes.» Celina Cossa Présidente de l’Union Générale des Coopératives de Maputo. Lauréate en 1998 du Prix du leadership pour l’Afrique en matière de maîtrise durable de la faim55. Lauréate en 2009 du Prix du leadership pour la sécurité alimentaire56.
Au début des années 1980, au plus fort de la guerre civile qui déchire le Mozambique, alors que de nombreux hommes sont morts dans les violences, enrôlés de force ou exilés dans les pays voisins, un groupe de femmes créé l’Union Générale des Coopératives de Maputo pour mettre en commun et partager leurs maigres ressources. Nombre de ces femmes vivent alors dans la misère et beaucoup sont veuves ou âgées. Julieta et Rosita Lhamine ont participé à la création de ce mouvement. Elles se souviennent. «C’était vraiment difficile. Nous devions veiller en permanence pour voir si les combattants du RENAMO (Résistance Nationale du Mozambique, mouvement antimarxiste très violent financé et soutenu par la Rhodésie, le Zimbabwe de l’époque, et l’Afrique du Sud) n’approchaient pas. Nous continuions à cultiver, mais l’après-midi, c’était souvent impossible. Même maintenant, mon cœur souffre de cette colère et de la peur de mourir. Je vois encore des cadavres, les corps de ceux qui étaient attrapés et battus à mort pendant que nous fuyions et que nous devions enterrer après» explique Julieta. Et sa sœur de poursuivre : «Nous n’avions ni pompes, ni arrosoirs, ni tuyaux, rien. Nous avons donc créé l’Union générale pour soutenir nos coopératives et essayer d’obtenir ces choses.»50
Aux côtés des paysannes Vingt ans plus tard, l’UGC est l’une des plus importantes entreprises agricoles du Mozambique et la principale source d’approvisionnement de la capitale, Maputo, en fruits, légumes et volailles. L’organisation, qui a fédéré les coopératives de la région au fur et à mesure des années, s’est complètement restructurée quand le gouvernement a mis en œuvre sa politique de libéralisation.
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Auparavant organisation de production, elle s’est transformée en coopérative de services en proposant à ses adhérentes des formations techniques ainsi que des financements qui leur étaient refusés par les banques. Dans les années 1990, l’UGC s’est aussi distinguée, aux côtés de l’Union Nationale des Paysans du Mozambique (UNAC) en aidant ses membres à acquérir officiellement les terres abandonnées qu’elles cultivaient. Ce combat politique et juridique pour l’accès à la terre a mobilisé toutes les forces de l’organisation pendant des années. Celina Cossa, la Présidente de l’UGC se souvient : «Lorsque nous avons vu que nous risquions de perdre des terres, nous avons pris des mesures à temps.» L’organisation est sur tous les fronts. Sur le terrain, elle aide ses membres à se procurer des relevés topographiques et d’autres documents nécessaires à l’obtention de titres fonciers, tandis que ses représentantes les plus charismatiques (dont Celina Cossa qui est nommée par ailleurs à la tête de l’Union Nationale des Associations Paysannes) militent auprès du Parlement pour l’adoption d’une réforme plus favorable du droit foncier. Ce combat de longues années porte ses fruits. La très grande majorité des productrices acquiert des titres officiels pour l’exploitation des parcelles qu’elles cultivent et la nouvelle loi sur le régime foncier adoptée en 1997 officialise ces dispositions et défend les droits des petits producteurs. Le lobbying exercé par l’UGC a eu, par ailleurs, des conséquences importantes en matière de droits des femmes. Ainsi, le nouveau cadre légal promeut l’égalité des femmes et des hommes lorsqu’il s’agit d’obtenir des titres fonciers et rappelle que la transmission par héritage des terres doit s’effectuer «indépendamment du sexe» des personnes concernées51. Impressionné par le travail de l’organisation paysanne, le gouvernement mozambicain sollicite même l’UGC pour participer au comité chargé de veiller à la mise en œuvre du nouveau régime foncier.
Développement et solidarité Les réalisations de l’Union Générale des Coopératives de Maputo sont impressionnantes. D’une structure marginale, elle est devenue l’une des organisations paysannes les plus puissantes du pays (avec 10 000 membres regroupées au sein de 200 coopératives) et ses dirigeantes sont considérées et accueillies dans le monde entier aujourd’hui. Une véritable référence. Ces succès reposent autant sur les valeurs de solidarité qu’elles défendent que sur leurs réussites économiques et commerciales. En soutenant la diversification des activités de ses membres lors des premières années de paix, et en développant l’aviculture grâce à ses propres ressources et aux financements de la Banque mondiale, l’organisation est devenue le premier producteur de poulets au Mozambique.
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Les résultats en termes de développement sont particulièrement significatifs.
Les revenus moyens des productrices de l’organisation sont supérieurs de 50% en moyenne au salaire minimal national. «Lorsqu’on considère que nos membres sont en majorité illettrées, ont atteint un certain âge et trouvent donc très rarement du travail, quel qu’il soit, on comprend mieux le rôle important que jouent nos coopératives dans la vie économique et sociale des populations les plus défavorisées et des femmes en particulier» souligne Celina Cossa52. Au delà des services d’appui à la production, l’organisation propose aussi des prestations de garde d’enfants et d’alphabétisation. Depuis plusieurs années, d’importants moyens sont ansi consacrés à l’éducation des femmes (qui représentent 95% des membres)53. Des formations techniques sont dispensées dans les métiers de l’agriculture et de l’élevage mais aussi en menuiserie et création artisanale. En outre, des cours d’enseignement général et d’alphabétisation leur sont systématiquement proposés. L’éducation des femmes est en effet considérée comme une priorité, ainsi que le souligne Celina Cossa, la Présidente de l’UGC, car cette éducation «les forme au rôle de leader de leur communauté»54. Par ailleurs, l’UGC a financé la construction de centres de santé où sont dispensés tous les soins de base, gratuits pour les membres de l’organisation.
Indéniablement équitable Stricto sensu, l’Union Générale des Coopératives de Maputo n’est pas formellement certifiée équitable ou durable mais l’impact social et humain considérable de ses activités, ainsi que l’attachement de ses membres aux valeurs de partage en font indéniablement un acteur majeur du progrès social et un témoin essentiel des bénéfices du commerce et de l’économie solidaire en Afrique. Celina Cossa, la Présidente de l’UGC, a reçu en 1998 le Prix de leadership pour l’Afrique en matière de maîtrise durable de la faim décerné par l’ONG Hunger Project, et, en 2009, le Prix de leadership pour la sécurité alimentaire décerné par le Réseau FANRPAN (Food Agriculture Natural Resources and Policy Analysis Network).
Pour en savoir plus : http://spesmru.intnet.mu/sepac/ugc.htm www.pbs.org/hopes/mozambique www.fanrpan.org http://africaunchained.blogspot.com http://africa.ipsterraviva.net
EN AMÉRIQUE LATINE Après sa découverte par les explorateurs portugais et espagnols, l’Amérique latine a été pendant longtemps la cible des appétits des grandes puissances et la victime de fractures intérieures brutales. Entre les massacres des populations indigènes par les colons, les injustices sociales, l’impérialisme américain et soviétique, les révoltes des «sans-terre» et les conséquences du commerce des esclaves, le continent a longtemps traversé des périodes de grande violence qui, comme souvent, ont eu les femmes et les minorités comme premières victimes. Depuis la fin de la Guerre froide, la situation s’améliore notablement et, sur ces terres historiques du commerce équitable (où certains des premiers projets du secteur furent initiés), les femmes s’engagent avec dynamisme dans des initiatives visant à combiner développement économique, solidarité et réduction des inégalités.
Prodecoop (Nicaragua) - Crédit : Trade Aid
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Women in Ecuador (Equateur) Crédit : Presidencia de la República del Ecuador
JAMBI KIWA - FEMMES D’ÉQUATEUR Héritage de l’Histoire, en Equateur, les questions de genre se mêlent étroitemnent aux questions ethniques. Sur les quelque 12,5 millions d’Équatoriens, plus de trois millions et demi sont des indigènes, qui se répartissent en onze ethnies, la principale étant l’ethnie quichua qui vit dans la région andine et en Amazonie. Aux inégalités hommes-femmes s’ajoutent des clivages ethniques et sociaux qui font qu’aujourd’hui, la situation des femmes blanches d’origine hispanique vivant en milieu urbain a peu à voir avec celles des femmes autochtones des zones les plus rurales du pays. Si les premières ont tiré profit des avancées majeures intégrées à la nouvelle constitution adoptée en 2008, c’est beaucoup moins vrai pour les descendantes des premiers peuples du continent, ainsi que l’explique Rosa Rodríguez, spécialiste équatorienne des questions de développement et de genre : «Les femmes ont gagné des espaces de plus en plus importants pour créer des conditions d’égalité et développer une pleine participation à la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays en construisant leur citoyenneté». Mais cette avancée ne concerne pas encore la majorité des femmes autochtones du pays, estime-t-elle en ajoutant : «C’est un processus permanent d’exclusion ; la situation des femmes indigènes a été marquée par une double discrimination, ethnique et sexuelle. C’est pourquoi les progrès dans la participation publique ne concernent pas encore la majorité des femmes.»57 Gardiennes des savoirs et des traditions ancestrales, les femmes indiennes autochtones en Equateur, comme celles d’origine africaine, commencent pourtant à s’exprimer, à s’organiser et à revendiquer leurs droits au sein de sociétés patriarcales et machistes. Longtemps, ces progrès ont été limités par la pauvreté et la misère mais, aujourd’hui, à la faveur de la croissance et du développement du pays, les questions de genre, de citoyenneté et d’égalité sont de plus en plus prises en compte.
Les années de lutte Pendant des siècles, la colonisation espagnole a privé les Indiens des Andes de leurs terres, les a condamnés au servage et au travail forcé dans les haciendas détenues et gérées par les grands propriétaires fonciers. Dans la région du Chimborazo où vivent les Indiens Puruha, ce système a perduré jusqu’au XXème siècle et résisté à toute tentative de réforme. Les indigènes y vivaient une sorte d’apartheid qui les excluait des principaux services publics (en particulier les écoles) et les traitait comme des êtres inférieurs. Il faudra attendre les années 1960 et l’engagement historique de l’évêque de Riobamba Monseigneur Proaño aux côtés des populations autochtones pour que s’engage un premier mouvement d’émancipation. Les communautés indiennes s’organisent et revendiquent leurs droits sur les terres où elles vivent. Ce n’est que dans les années 1990, après des décennies de luttes et de violences sociales, que ces demandes aboutissent et qu’une partie de ce patrimoine leur est restituée.
Vies de femmes Les populations indigènes du Chimborazo ont récupéré certaines de leurs terres mais la pauvreté et la pression démographique et foncière sont telles que la plupart des hommes en âge de travailler quittent la région et vont dans les villes ou les grandes exploitations. Ils partent généralement après les labours et ne reviennent au village qu’au moment de la récolte. En leur absence, ce sont les femmes qui s’occupent des terres et des quelques animaux (cochons, moutons, etc.) qui les font vivre. C’est dans ce contexte qu’est née en 1999 l’association Jambi Kiwa avec pour objectif la création d’activités économiques nouvelles susceptibles d’enrayer la pauvreté endémique qui frappe ces familles, de réduire l’exode rural et de permettre à ces femmes de contribuer aux ressources de leurs communautés en valorisant leurs savoir-faire ancestraux58. Très vite, l’association de femmes s’engage dans la production et la commercialisation de plantes médicinales et d’herbes aromatiques. Activité traditionnelle des femmes indiennes, la culture de ces végétaux aux nombreuses vertus exige peu d’investissement (un petit jardin irrigué avec l’eau de consommation) et des travaux d’entretien relativement modestes pour celles qui en connaissent les secrets et se les transmettent de génération en génération.
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Des marchés des Andes aux boutiques équitables Durant les premières années, les femmes de l’association vendent leurs mélanges savants (composés de plusieurs dizaines de plantes médicinales) sur les marchés des villages, puis auprès des citadins équatoriens qui les apprécient énormément. Forte de ces succès, l’association décide d’améliorer et d’accroitre sa production. Les plantes (dont un grand nombre sont propres à la flore andine) sont associées entre elles et cultivées en terrasses sans aucune utilisation de produits chimiques. Le terreau est enrichi par des composts faits de résidus organiques mélangés au fumier des volailles et du petit bétail. Des vers de terre (élevés dans des casiers adaptés) transforment ce compost en humus de qualité. L’initiative remporte un grand succès et, pour gérer cette croissance, l’association (qui compte alors près de 400 femmes) acquiert un bâtiment, avec l’aide du diocèse de Riobamba, où sont installés un séchoir et des hachoirs adéquats. L’organisation passe ainsi d’un mode de production artisanal à une petite industrie de fabrication de tisanes et de mélanges d’herbes destinés aux marchés locaux mais aussi aux boutiques de Quito, la capitale. En 2004, la production atteint les 10 tonnes de plantes séchées. Une nouvelle unité de transformation est alors construite et équipée de séchoirs plus performants et de hachoirs plus modernes. C’est à ce moment-là que l’Association obtient la certification du commerce équitable (Fairtrade) et commence à exporter sa production.
«En tant que femme, il était difficile pour moi de faire face aux grandes questions sociales. Mais, grâce à l’association, j’y suis parvenue. J’ai été élue au conseil de la paroisse, le principal organe directeur de notre petite ville. Les gens m’ont soutenue, car ils ont vu que nous avons essayé de changer les choses avec notre organisation et qu’ils ont apprécié nos réalisations.» Rosa Guaman, Directrice exécutive de Jambi Kiwa59
Rosa Guaman, Jambi Kiwa (Equateur) - Crédit : Pobles Harmonia / Alejo Cock
Mieux vivre avec le commerce équitable
Pour en savoir plus :
Le développement des activités de Jambi Kiwa a eu un impact significatif sur la qualité de vie des femmes du Chimborazo et de leurs communautés. La vente de ces herbes médicinales, aromatiques et condimentaires a ainsi accru les ressources des familles de manière significative et l’intégration de la filière sur le territoire a en outre généré la création d’emplois nouveaux sur les sites de traitement et de conditionnement. Inspirée par le dynamisme de ses membres, la coopérative (qui a obtenu la certification biologique BCS Oko) s’est appropriée de nouvelles compétences en particulier en matière d’agriculture organique et de conseil aux productrices. En plus des programmes d’alphabétisation, des formations leur sont ainsi proposées sur des sujets tels que la rotation des plantations, les cultures associées, la fertilisation naturelle, la conservation des sols ou bien encore l’agroforesterie. Partagés entre les productrices, les nouveaux revenus générés ont contribué à réduire les migrations et à favoriser le maintien des familles sur leurs terres. Aujourd’hui, l’association compte près de 650 femmes et ses produits sont exportés en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. Une nouvelle dynamique s’est ainsi mise en place qui a permis de favoriser la création d’infrastructures, l’ouverture d’écoles et la mise en place d’équipements communautaires.
www.jambikiwa.com www.ethiquable.coop
Tout cela, grâce aux femmes et à leurs savoirs.
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Q’ANTATI - LES ARTISANES DE BOLIVIE
Equateur - Crédit : MacJewell
Aymara people (Equateur) Crédit : Helen Marsh / Practical Action
Terre de contrastes, la Bolivie est le pays le plus élevé et l’un des plus enclavés d’Amérique latine, coincé entre le Chili, le Pérou, le Paraguay, le Brésil et l’Argentine. De la forêt Amazonienne à l’Altiplano aride, des trésors des Andes aux souvenirs de l’empire Inca, la Bolivie est un pays d’une diversité extraordinaire, tant au niveau des paysages que des hommes. C’est aussi une des nations les moins développées du continent, malgré des ressources minières et énergétiques importantes. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, en particulier dans les campagnes et sur les hauts-plateaux. Pourtant, des progrès très sensibles ont été enregistrés ces dernières années au niveau social et ont en particulier profité aux femmes du pays. Elles sont ainsi plus de 700 000 à avoir appris à lire et à écrire grâce à la campagne d’alphabétisation «Yo sí puedo» lancée en 2006 (plus de 85 % des bénéficiaires sont des femmes), et nombreuses sont celles qui témoignent de l’importance de ce programme comme vecteur d’accès aux ressources et au droit60. Mais en dépit de ces efforts gouvernementaux qui placent la Bolivie en bonne position pour atteindre les Objectifs du Millénaire en termes d’éducation (97 % d’adultes alphabétisés et parité des sexes dans l’éducation primaire et secondaire d’ici 2015), les fléaux qui affectent le pays sont tels que la réduction significative de la pauvreté reste un objectif difficile à atteindre. Corruption, infrastructures défaillantes, cultures illicites, endettement,… autant de freins au développement économique et social du pays. Et cette misère, qui touche en particulier les zones rurales et les communautés indigènes, a pour principales victimes les femmes qui sont douloureusement confrontées aux problèmes de violence conjugale et domestique (un fléau particulièrement difficile à endiguer en Amérique latine) et de sous-représentation dans les structures dirigeantes des organisations politiques, économiques et sociales.
Q’Antati : créer pour exister
En 1974, un groupe d’artisanes, dont une majorité issue de l’ethnie indienne Aymara, décide de se structurer en groupement pour valoriser leur savoir-faire artisanal et proposer ensemble une gamme de produits susceptibles de séduire les marchés nationaux et internationaux. Nommée Asociación de Artesanos Q’Antati («aube» en langue aymara), la nouvelle organisation associe des communautés féminines rurales des montagnes ainsi que des groupes de femmes des régions urbaines autour de La Paz. Chacune de ces unités se spécialise dans une forme d’artisanat traditionnel. Les techniques utilisées pour la création de ces vêtements (gants, bonnets, écharpes, etc.) et couvertures en laine d’alpaga, de ces instruments de musique et objets décoratifs sont héritées des savoir-faire que les Indiennes se transmettent de mères en filles depuis des générations. Pour bon nombre de ces femmes indigènes des hauts-plateaux, les ressources générées par la vente de ces objets par leur organisation constituent un complément de revenus important qui s’ajoute aux recettes des ventes agricoles. L’organisation fédère aujourd’hui douze groupements d’environ 450 artisanes qui filent, tissent, brodent, sculptent et taillent ces objets et textiles dans le respect des traditions ancestrales.
Développement équitable
Fondée sur les principes d’autogestion et de partage, l’organisation centrale soutient ses membres par le biais de formations techniques (à l’innovation, à la gestion de production, et à l’intégration en filières) mais aussi en modernisant les équipements de production (dans le respect absolu des savoir-faire traditionnels) de ces communautés de femmes. Par ailleurs, celles-ci réfléchissent depuis peu à la mise sur pied d’un projet de tourisme équitable et, en parallèle, au développement de réseaux de commerce équitable Sud-Sud. Membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO), Q’Antati est souvent citée comme référence en matière de commerce équitable pour et par les femmes. Dans un pays économiquement et socialement fragile, l’organisation des artisanes indigènes boliviennes a réussi à associer des communautés réparties sur des territoires très différents et à fédérer les volontés de chacune pour créer une identité commune, synonyme de solidarité, de fierté et de traditions.
Pour en savoir plus : www.tenthousandvillages.com
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LE QUINOA ÉQUITABLE ET LES FEMMES BOLIVIENNES
Anapqui (Bolivie) - Crédit : Alter Eco
Sur les plateaux froids et arides de l’Altiplano (la plus haute région habitée au monde après le plateau du Tibet) pousse le quinoa, une céréale (plus exactement une pseudo-céréale61) aux nombreuses vertus nutritives, que les Incas appelaient «Chisiya Mama», ce qui signifie en quechua «Mère de tous les grains». Emblématique des cultures andines, le quinoa a longtemps été l’aliment de base des populations indigènes des hauts-plateaux. En 1983, des communautés de producteurs quechuas et aymaras du sud de l’Altiplano se regroupent et fondent ANAPQI, l’Association Nationale des Producteurs de Quinoa, pour vendre leurs excédents de récoltes sans passer par les intermédiaires locaux qui leur imposaient alors des conditions commerciales très dures. Aidée par des agences d’aide au développement, l’organisation centrale (qui fédère des groupements de producteurs locaux) s’engage dans la production biologique (certification Ecocert obtenue en 1997) puis équitable (Fairtrade en 2006). Distribuée dans les réseaux du commerce équitable et les boutiques diététiques aux Etats-Unis et en Europe, la production de quinoa d’ANAPQI connaît un succès considérable et les bénéfices sociaux de cette croissance sont rapidement visibles. Ce développement a d’ailleurs été si important qu’il a généré des problèmes écologiques et de concurrence que l’organisation s’efforce de régler. La mise en place d’ANQUI et son adhésion aux principes et aux valeurs du commerce équitable ont largement contribué à l’empowerment des femmes indigènes et à l’évolution de leur statut dans les sociétés indiennes de l’Altiplano. Traditionnellement cantonnées dans des activités domestiques et familiales, les femmes des groupements affiliés à ANAPQUI (qui regroupe quelques 1200 familles) se sont investies dans les activités de production, aussi bien au niveau de la récolte que dans les usines de traitement et de conditionnement. Elles sont aujourd’hui nombreuses à participer et à s’impliquer dans le fonctionnement des différents échelons de l’organisation. Des programmes de formation et d’assistance technique ont été mis en place avec comme objectif le renforcement du rôle des femmes dans les coopératives aux postes de production mais aussi d’administration et de gérance. Les recettes générées, auxquelles s’ajoutent les primes de développement, ont été réinvesties dans l’amélioration des structures productives et dans la mise en place d’actions d’envergure en matière d’éducation et de santé, en particulier au profit des femmes enceintes et des enfants. La construction de réservoirs d’eau pour l’abreuvement des animaux dans une trentaine de communautés a considérablement diminué la charge de travail des femmes qui n’ont plus à sortir l’eau des puits pour les lamas62.
Des programmes de diversification ont été développés pour promouvoir de nouvelles activités touristiques et artisanales au bénéfice des femmes des communautés qui acquièrent ainsi de nouvelles compétences et valorisent leurs savoir-faire traditionnels au sein d’organisations où elles sont majoritaires. Le développement des activités d’ANAPQUI, en tant qu’organisation d’envergure nationale, a favorisé la création de nouvelles entreprises équitables en Bolivie, notamment dans les secteurs de la transformation du quinoa. La société La Coronilla, par exemple, produit et vend des «Popsnacks» (sorte de popcorns) fabriqués à partir de quinoa acheté à ANAPQUI. Dès les débuts, en 1972, les fondateurs de cette entreprise privée de fabrication de nouilles (le plat préféré des Boliviens) ont souhaité contribuer à l’empowerment des femmes et à la revalorisation de produits indigènes sur
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le marché local. Les trois quarts des employés, tant au niveau de la production qu’au niveau administratif, sont des femmes qui touchent plus que le salaire minimum officiel (ainsi qu’un treizième mois) et bénéficient d’une couverture sociale étendue (assurance maladie et accidents). Les hommes et les femmes reçoivent le même salaire, mais ces dernières travaillent quotidiennement une heure de moins qu’elles peuvent consacrer aux activités familiales et ménagères. En plus des congés maternité qui leur sont payés, les femmes de La Coronilla sont encouragées à participer à des programmes éducatifs et de formation continue63.
Pour en savoir plus : www.anapqui.org.bo www.coronilla.com www.claro.ch
EN ASIE Des rives méditerranéennes de la Turquie aux archipels d’Extrême-Orient, l’Asie présente une multitude de visages hérités de traditions très différentes. L’Asie Mineure, la Russie orientale, la Péninsule Arabique, le sous continent indien, les centaines d’îles d’Indonésie et des Philippines, la Chine, le Japon,… autant de sous-régions très différentes les unes des autres et dont les cultures se sont construites autour de civilisations puissantes et millénaires. Historiquement, l’Asie a accueilli certaines des premières initiatives de commerce équitable. Ainsi que nous allons le voir, celles-ci ont souvent été mises en œuvre par des femmes pour défendre leurs droits, s’émanciper et bénéficier de ressources propres.
Prokitree (Bangladesh) - Crédit : Trade Aid New Zealand
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Depuis le milieu du XXème siècle, le Bangladesh connaît une succession de crises. Guerres, conflits religieux, catastrophes naturelles, coups d’Etats sanglants, corruption endémique,... l’ancienne colonie britannique peine à se développer et à tirer un bénéfice social du commerce mondial. Entre misère et traditions patriarcales rétrogrades, les femmes sont les premières victimes des violences qui secouent le pays.
CORR THE JUTE WORKS - BANGLADESH CORR The Jute Works (Bangladesh) - Crédit : Trade Aid New Zealand
En termes de droits des femmes, le tableau est effectivement particulièrement sombre. Au Bangladesh, les femmes subissent des discriminations d’une rare brutalité qui s’expriment en particulier dans les familles et les couples. La défiguration par l’acide est encore souvent infligée à celles qui refusent les mariages forcés ou qui n’obéissent pas à leurs maris ou à leurs frères. Et celles qui fuient sont condamnées à la prostitution ou à la prison où elles subissent les violences des gardiens. Malgré les quelques engagements pris par le gouvernement pour améliorer la condition des femmes bangladaises, les effets concrets dans la vie quotidienne tardent à se manifester. Rongé par la corruption, le système économique, social et judiciaire peine à appliquer ces dispositions et à sensibiliser les populations aux questions d’égalité de droit, alors même que les discriminations contre les femmes sont justifiées par des textes religieux, musulmans ou hindous, anciens mais toujours reconnus par la constitution. L’industrialisation du pays ces dernières années a eu relativement peu d’incidence sur les droits des femmes. De plus en plus nombreuses à travailler dans les usines et à migrer vers les villes, elles sont devenues socialement plus visibles, mais restent des cibles particulièrement vulnérables, exposées aux risques de violence sexuelle, de répression au travail et de persécution religieuse.
Pimola and Rosi Nokrek, CORR The Jute Works (Bangladesh) Crédit : Trade Aid New Zealand
Exister malgré la violence En 1971, alors que s’achève la Troisième Guerre indo-pakistanaise, de nombreuses organisations se créent avec le soutien d’agences internationales pour reconstruire le pays et venir en aide aux femmes les plus démunies et aux dizaines de milliers de veuves sans ressources. L’aide financière et technique de l’organisme catholique CORR (Caritas Bangladesh) permet ainsi à certaines de ses femmes de s’associer pour créer The Jute Works en 1973 et commercialiser leurs productions artisanales. Celles-ci sont confectionnées essentiellement à partir de jute, une plante cultivée pour les fibres longues et soyeuses que l’on tire de ses tiges et dont on fait des tissus. Fondée pour «promouvoir et défendre la dignité des populations exclues et discriminées de la société bangladaise, et en particulier des femmes», l’organisation travaille aux côtés des plus pauvres sans distinction de religions, de castes ou de races, et consacre très vite une part de ses moyens aux handicapées et aux orphelins. En 1981, le groupement adopte des statuts d’entreprise à but non lucratif (ONG). Il fonctionne comme une organisation faîtière de niveau national en collectant et en commercialisant (à l’export en particulier) les créations de ses membres. Ses objectifs : changer les conditions de vie des femmes rurales, faire reconnaître leurs droits et les aider à obtenir des revenus par la production artisanale.
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«Je fabrique de l’artisanat pour The Jute Works depuis 1981. Depuis que j’en fais partie, j’ai pu gagner assez d’argent pour acheter des terres afin d’y cultiver du riz pour notre famille. J’ai participé à une formation pour élever des veaux. J’ai acheté deux bœufs et un char à bœufs pour aider mon mari dans son travail. J’ai acheté des poulets, des chèvres et une vache laitière avec lesquels je gagne un peu d’argent. Avec le salaire de The Jute Works, nous avons pu acheter de quoi construire des toilettes derrière la maison. J’espère que ma sœur va continuer ses études et obtenir un diplôme à l’université et j’aimerais que mon fils poursuive ses études et qu’il trouve un bon travail.» Firoza, artisane à The Jute Works65
Mutualiser, partager et travailler The Jute Works travaille ainsi avec près de 150 groupements d’artisans regroupant environ 3 600 femmes (pour 150 hommes), répartis dans 18 districts du Bangladesh. Les groupes sont autonomes mais peuvent faire appel aux équipes de The Jute Works à tout moment tandis que, sur le terrain, les chefs de groupes assurent le suivi de production. Des visites régulières permettent à The Jute Works de coordonner les activités et de veiller à la juste distribution des commandes entre les membres du groupes. L’organisation centrale mutualise les achats de matière première et répartit les projets entre les différents groupements. Une fois leur travail terminé, les producteurs apportent les produits finis au département de contrôle qualité de l’ONG et les revenus de chacun sont calculés en fonction du nombre d’heures travaillées. Pour faire face à la baisse de la demande pour les produits en jute, l’ONG a développé de nouveaux processus de production auxquels les femmes ont été formées. En plus des articles en jute (sacs, paniers, sets de table, hamacs), les groupements créent des articles en terre cuite, en cire ou en fibres de bananier. Ils maîtrisent également la fabrication d’objets artisanaux à base de papier mâché, de perles de verre et de cuir64.
Lueurs d’espoir et de justice
Le Bangladesh est un pays difficile pour les femmes. Le poids des traditions patriarcales y est tel que nombre d’hommes dans les zones rurales s’opposent violemment aux efforts menés pour alphabétiser les femmes ou leur permettre de valoriser leur travail. Dans cet environnement, l’œuvre de The Jute Works revêt une importance capitale pour appuyer et soutenir les dynamiques d’empowerment. De fait, en plus des formations professionnelles qu’elle dispense, l’organisation équitable mène de vastes programmes d’éducation et de sensibilisation aux questions sanitaires de base (hygiène, planning familial, gestion des ressources). Elle encourage la sécurisation alimentaire de ses membres en distribuant des semences pour les cultures maraîchères et participe financièrement à l’équipement en eau potable. L’organisation s’est en outre distinguée par ses initiatives en faveur de systèmes sociaux mutualisés au niveau du réseau. Ainsi, The Jute Works a mis sur pied un fonds de développement géré démocratiquement par chaque groupement pour développer des projets locaux et pour encourager les productrices à explorer d’autres activités complémentaires. Des caisses sociales ont par ailleurs été instituées pour proposer des microcrédits, couvrir les frais de santé des membres et financer des programmes d’éducation. The Jute Works est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO) depuis 2006.
Pour en savoir plus :
Pimola Nokrek, CORR The Jute Works (Bangladesh) Crédit : Trade Aid New Zealand
www.cjwbd.com www.artisansdumonde.org www.etikebo.com
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Berceau des grandes religions monothéistes méditerranéennes et européennes, le Proche-Orient constitue l’une des principales zones de cristallisation des tensions mondiales. Les guerres israélo-arabes, le contrôle des routes du pétrole, les jeux des grandes puissances durant la Guerre froide ainsi que l’incurie de certains gouvernements arabes ont fait de cette région l’une des plus sensibles du monde.
SINDYANNA OF GALILEE L’émergence des fondamentalismes religieux ces vingt dernières années a compliqué encore un peu plus cette situation avec la venue au pouvoir de mouvements extrémistes qui ont adopté des positions beaucoup plus radicales encore que celles de leurs prédécesseurs, en particulier en matière d’égalité hommes-femmes. Directement ou indirectement, ces dernières figurent souvent parmi les principales victimes des tensions régionales. Ainsi, dans les Territoires palestiniens et en Israël, «les femmes arabes qui n’ont pas accès à l’éducation souffrent de trois handicaps : elles sont arabes dans un Etat juif, femmes dans une société patriarcale et travailleuses non qualifiées.»66 Or, le commerce équitable favorise la participation des femmes dans le fonctionnement des activités économiques et celles-ci contribuent activement à la pacification des relations entre communautés jadis opposées.
Aux côtés des producteurs L’organisation de commerce équitable Sindyanna of Galilee a été fondée en 1996 par deux femmes, Hadas Lahav, une journaliste juive israélienne, et Samia Nasser, une enseignante palestinienne, avec le soutien de la maison d’édition Hanitzotz qui regroupe des militants pacifistes des deux communautés. Sindyanna of Galilee développe des activités de soutien aux organisations de femmes arabes en Israël et dans les Territoires et de valorisation des produits palestiniens auprès des acteurs économiques et des consommateurs de la région mais aussi en Europe et aux Etats-Unis67. Pour ce faire, l’association travaille avec des groupements de producteurs d’olives, de savons et d’épices (des petits paysans en majorité arabes dont l’activité ne bénéficie ni des aides de l’Etat ni du soutien économique octroyé aux autres secteurs agricoles) auxquels elle propose de meilleurs prix pour leurs produits. Elle organise en outre des formations à destination des groupements de femmes arabes et juives et finance divers projets sociaux. Depuis octobre 2003, l’organisation est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO).
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Hadas Lahav et Samia Nasser - Sindyanna of Galilee (Israël et Palestine) Crédit : Ross Stirling - Sindyanna of Galilee
Militants pour la paix Aux côtés de la maison d’éditions Hanitzotz et du syndicat palestinien Workers’ Advice Center (WAC)68, Sindyanna of Galilee mène un combat pour la reconnaissance des droits des populations arabes (et des femmes en particulier) en Israël et en Cisjordanie, ainsi que pour la recherche de solutions au conflit israélopalestinien. En parallèle, arabes, juifs et volontaires internationaux luttent ensemble sous l’égide de Sindyanna pour tenter d’arrêter les processus d’expropriation des terres et l’arrachage d’arbres en menant des campagnes de plantation d’oliviers. L’organisation déploie également des efforts importants pour développer les infrastructures agricoles et aider les paysans à améliorer la qualité de leur production d’huile d’olive69.
Sindyanna of Galilee (Israël et Palestine) Crédit : Sindyanna of Galilee
Par les femmes pour les femmes
En soutenant les projets d’associations féminines en Israël et en Cisjordanie, Sindyanna of Galilee veut promouvoir le nécessaire rapprochement des communautés et dénoncer les difficiles conditions de vie des Palestiniennes, qui souffrent à la fois de l’occupation israélienne et des rigidités de la société arabe traditionnelle. «Une minorité de femmes travaille dans l’agriculture. Elles doivent très souvent passer par des intermédiaires qui les conduisent sur leur lieu de travail et collectent leurs salaires (ils récupèrent bien souvent 40 % au passage)», expliquent Michal Schwartz et Asma Agbarieh-Zahalka, deux des responsables du WAC qui collaborent avec Sindyanna of Galilee pour favoriser leur émancipation et accompagner leurs projets professionnels. Michal Schwartz va même plus loin et pense que ces femmes peuvent devenir des actrices de changement pour la libération de la société et contribuer à une plus grande solidarité entre travailleurs arabes et juifs70. Le soutien qu’apporte Sindyanna of Galilee est très concret. Ainsi, des femmes arabes participent aux projets éducatifs menés au sein de centres culturels gérés par des volontaires aussi bien juifs que palestiniens. Dernièrement, un atelier de confection de paniers en osier a été mis en place pour permettre à des femmes des communautés défavorisées d’exercer un métier tout en restant au village pour s’occuper de leur famille et leurs terres71.
Avec le soutien du Trade for Development Centre de la CTB Grâce au soutien qu’elle a reçu du Trade for Development Centre de la CTB (Agence belge de développement) l’organisation Sindyanna of Galilee a engagé un ingénieur spécialisé pour la mise au point d’un système de contrôle qualité. Il a également contribué à l’amélioration du manuel de qualité et d’hygiène rédigé à l’intention des groupements de producteurs. Aide financière fournie par le Trade for Development Centre de la CTB : 7.500 €
Pour en savoir plus : www.sindyanna.com www.wac-maan.org.il www.befair.be
L’huile de la paix Le projet Peace Oil est le fruit d’une initiative conjointe des principaux acteurs du commerce équitable en Israël et dans les Territoires palestiniens : Sindyanna of Galilee, Green Action et Canaan Fair Trade. Ces trois organisations se sont associées en 2005 pour proposer aux consommateurs américains et européens une huile d’olive de qualité supérieure élaborée conjointement par des producteurs israéliens et palestiniens. Commercialisée par Olive Branch Entreprise, une organisation palestinienne localisée en Cisjordanie, l’Huile de la Paix s’inscrit dans le cadre d’un vision militante forte : «Bâtir l’interdépendance économique entre les peuples par la création de partenariats générateurs de bénéfices mutuels, une incitation pratique et concrète à la paix»72.
Pour en savoir plus : www.peaceoil.net
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Femmes à Deogarh, Orissa (Inde) - Crédit : Simon Williams, Ekta Parishad
Rural woman in an Self Help Group (Inde) Crédit : McKay Savage
SASHA ASSOCIATION FOR CRAFTS PRODUCERS - INDE
«Pourquoi es-tu venue au monde, ma fille, quand un garçon je voulais ? Vas donc à la mer remplir ton seau : puisses-tu y tomber et t’y noyer» Chanson populaire de l’Inde 73
En matière d’égalité hommes-femmes, l’Inde occupe la 112ème place sur 134, selon le classement 2010 établi par le Forum Economique Mondial74. Dans cet immense pays synonyme pour beaucoup d’occidentaux de merveilles, d’exotisme et de langueur, la réalité quotidienne des femmes est surtout faite d’inégalités importantes et de violences récurrentes. Celles qui ne sont pas victimes des infanticides pratiqués à grande échelle sont mariées dès leur plus jeune âge, soumises au bon vouloir de leur époux, en proie aux violences conjugales ou exposées à la répudiation et à la prostitution,… De la naissance à la vieillesse, nombreuses sont les femmes indiennes qui subissent ces injustices et vivent dans la peur des hommes. Cette réalité repose à la fois sur une structure sociale extrêmement rigide, sur des traditions très sexistes et sur la persistance d’un système législatif qui refuse de reconnaître aux femmes les mêmes droits que ceux accordés aux hommes. Elles sont en effet «soumises à des lois sur le statut personnel fondées sur des règles religieuses qui renforcent l’inégalité par rapport aux hommes en matière de divorce, de droits sociaux de base et de droits successoraux.»75
La persistance de ce droit coutumier dans de nombreuses régions de l’Inde constitue l’une des raisons principales pour lesquelles l’Inde est considérée comme l’un pays les plus dangereux du monde pour les femmes. Et ce, dans un pays qui, en tant que «plus grande démocratie du monde», s’est pourtant illustré à plusieurs reprises ces dernières décennies en matière d’avancées sociales et politiques. Dans la culture populaire indienne traditionnelle, le fait d’avoir une fille est perçu comme un fardeau ou une malédiction et les parents préfèrent voir naître des garçons, car ce sont eux qui perpétuent le patronyme, s’occupent des parents lorsqu’ils sont vieux et, surtout, héritent des terres. Les filles, en revanche, n’apportent rien, bien au contraire, car il faut même payer leur dot à la famille de leur mari. Un vieux proverbe résume même cette situation : «Élever une fille, c’est comme arroser le jardin d’un voisin»76. Des dizaines de millions de jeunes filles sont alors privées de scolarité et mariées dès leur jeune âge par leurs parents. Tant que persisteront ces pratiques, la situation ne pourra pas connaître d’évolutions sensibles.
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L’artisanat, savoir des plus pauvres Depuis une vingtaine d’années, l’Inde vit une mutation économique majeure qui se caractérise notamment par l’émergence de centres technologiques de pointe et une industrialisation massive des zones urbaines. Mais, globalement, les territoires ruraux profitent peu de ce mouvement. Au contraire. Les forces vives de ces régions migrent vers les villes et les protections sociales traditionnelles se désagrègent. C’est pourtant dans ces provinces éloignées que se concentrent la pauvreté, les inégalités et les injustices dont sont victimes les femmes, les plus démunis et les membres des castes dites «inférieures». Dans ce monde rural de l’Inde d’aujourd’hui, l’artisanat occupe une place très importante en termes d’activité. Ce sont des millions d’hommes et de femmes qui, à la maison et dans des ateliers, gagnent leur vie en tissant, en travaillant le bois, en tannant le cuir, en frappant le métal et en taillant la pierre. Pour tous ceux (femmes, intouchables, orphelins, etc.) qui n’ont pas la chance de posséder des terres fertiles, l’artisanat est l’un des rares moyens de subsistance.
Sasha Association for Crafts Producers L’organisation Sasha (Sarba Shanti Ayog) Association for Crafts Producers a été créée en 1978 à Kolkata (anciennement Calcutta) pour procurer des revenus et créer des emplois pour les personnes les plus marginalisées et les plus pauvres de la société indienne, en particulier les femmes. Depuis le début, l’association s’emploie à promouvoir et à développer la production artisanale comme activité rémunératrice et, pour ce faire, met en réseau des groupements locaux de femmes et d’hommes et leur apporte un soutien technique, organisationnel et financier. Les productions de ces artisan(e)s sont alors préfinancées et achetées à des prix et à des conditions qui leur garantissent des revenus corrects et durables. Véritable plateforme de services, Sasha est à l’origine de la création d’une fondation, l’Enterprise Development Foundation, qui soutient l’entreprenariat des femmes et des plus pauvres, en leur proposant des financements (microcrédits) et des formations. L’objectif de cette structure est d’encourager et de motiver les artisan(e)s à développer leurs capacités en leur transmettant des savoirs (en termes d’innovation et de développement produits), en leur faisant prendre conscience de l’importance de la qualité et de la protection de l’environnement et en leur cherchant des débouchés à travers le monde entier77.
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Cette volonté de miser sur l’esprit d’entreprendre est l’une des spécificités de Sasha qui défend l’idée que, lorsque ces femmes et ces hommes, petits producteurs et artisans de rue, s’organisent et créent leurs propres activités, ils deviennent des piliers du développement économique et social de leurs communautés. Aussi petites ou misérables soient elles, ces dernières en bénéficient durablement. Peuvent alors s’enclencher des dynamiques locales d’empowerment fondées sur de nouvelles ressources mais surtout sur la volonté d’entreprendre et de réussir ensemble. Quand les jeunes, filles et garçons, apprennent à vouloir autre chose que servir les autres et deviennent eux-mêmes employeurs, les indicateurs de développement s’améliorent considérablement. Pour atteindre ces objectifs, Sasha a développé une gamme d’outils d’aide et d’accompagnement très complète et efficace. Encouragement à l’innovation et à la créativité, appui au montage de business plan, amélioration des techniques, mise en relations avec des financeurs et des professionnel(le)s reconnu(e)s,… les services proposés par les équipes de Sasha permettent à l’organisation centrale de fonctionner comme une véritable agence de développement dédiée à l’empowerment des femmes, des plus pauvres et des déshérités en Inde.
Aujourd’hui, Sasha (dont l’équipe est composée d’une majorité de femmes) travaille avec 150 groupements regroupant près de 5 000 artisans, dont 65% de femmes, dans les régions du Bengale Ouest, d’Orissa et de Karnataka.
Roopa, Sasha (Inde) - Crédit : Trade Aid New Zealand
Membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO) depuis 2006, Sasha Association for Crafts Producers est par ailleurs l’un des acteurs les plus actifs des Forums Indien et Asiatique du Commerce Equitable.
Entreprenariat équitable et dynamisme économique
Sasha (Inde) - Crédit : Trade Aid New Zealand
La promotion et le développement de l’entreprenariat solidaire sont deux des principaux piliers qui fondent l’organisation équitable indienne. Celle-ci s’est donnée les moyens au fur et à mesure des années, pour atteindre ses objectifs et montrer aux populations et aux élites indiennes que la réussite économique ne repose ni sur le sexe, ni sur la caste, ni sur le niveau social. Pour soutenir sa démarche, Sasha s’est dotée d’installations susceptibles de servir les projets de ses membres. Ainsi, elle a ouvert un magasin à Kolkata qui est devenu célèbre dans cette mégalopole chaotique et dans les régions voisines pour ses articles de bon goût et à la mode. Sont vendues sur ces étals les réalisations des femmes et des hommes que Sasha accompagne : vêtements tissés et colorés, accessoires en cuir, mobiles sculptés et décorés, objets décoratifs, bijoux en métal frappé, etc.
Woman weaving (Inde) - Crédit : Shefshef
Emblématiques de l’artisanat rural traditionnel indien, les mobiles (qui sont parmi les objets les plus renommés de l’association) sont fabriqués par des groupements de femmes à partir de poupées d’animaux bourrées de coton et colorées, reliées entre elles par des tissages ornés de coquillages et de perles de céramique. Au sein du groupement de femmes, le processus de fabrication est divisé en plusieurs étapes (coupe, couture, bourrage, décoration et assemblage) et chaque étape est réalisée par une personne différente, ce qui permet aux moins qualifiées de participer immédiatement à la production en intervenant sur les travaux les plus faciles.
Woman right council (Inde) - Crédit : Lajpat Dhingra
Eduquées, formées et soutenues par Sasha, les femmes indiennes prennent alors conscience de leur vraie valeur et deviennent actrices des changements qui conduiront un jour la société indienne à leur reconnaître leurs droits légitimes.
Pour en savoir plus : www.sashaworld.com www.bouticethic.com www.claro.ch
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Une finalité, l’empowerment Les services proposés par Sasha à ses membres ont pour uniques objectifs de permettre à ces femmes et ces hommes d’échapper à la misère, de faire vivre leurs familles et, à terme, de devenir eux-mêmes des vecteurs de développement. L’entreprenariat est un moyen pour atteindre ces résultats. Ceci étant, Sasha intervient dans d’autres domaines pour soutenir ces dynamiques d’empowerment. Ainsi, l’organisation équitable encourage ses membres (surtout les femmes) à diversifier leurs sources de revenus et à s’investir dans l’agriculture biologique de proximité. L’association possède des terres sur lesquelles elle expérimente des techniques de production adaptées, organise des ateliers et des formations et travaille sur la création de meilleures variétés. Curcuma, gingembre, riz et légumes sont les principales cultures qui sont développées ici. L’organisation fournit à ses membres les semences et les savoir-faire grâce auxquels elles s’approprieront ces techniques nouvelles et seront plus autonomes au niveau alimentaire. Socialement parlant, Sasha a développé pour les groupements ruraux qu’elle encadre des programmes éducatifs particulièrement importants. L’accent est mis sur l’acquisition par les enfants, filles et garçons, d’une réelle confiance en eux (considérée comme le socle de l’esprit d’entreprendre). Pour ce faire, des ateliers sont organisés dans les villages et la musique et la danse sont mises à l’honneur. Enfin, Sasha se mobilise en matière d’hygiène et de santé. Elle met en œuvre des activités de prévention des maladies telles que la malaria, la tuberculose et le VIH/SIDA. Pour cela, elle travaille en collaboration avec les autorités publiques pour distribuer des médicaments et des vaccins aux femmes seules et aux familles démunies.
MDI VIETNAM LE COMMERCE ÉQUITABLE DES HAUTS-PLATEAUX Progrès et périls La situation des femmes au Vietnam paraît extrêmement contrastée. Le pays peut en effet s’enorgueillir d’être l’un de ceux qui offrent aux femmes des perspectives économiques et sociales très comparables à celles des hommes, mais il est des zones d’ombre dans ce paysage, en particulier en ce qui concerne les violences domestiques et les agissements des réseaux de prostitution, très actifs dans certaines régions. Des décennies de communisme populaire ont donné à la femme vietnamienne des droits et un statut légal identiques dans bien des domaines à ceux des hommes. Depuis les années 1980, le gouvernement de Hanoï s’emploie à améliorer la condition des femmes, en particulier en termes de santé et d’éducation. Culture marxiste oblige, l’accès à l’enseignement (du primaire au supérieur) y est sensiblement le même pour les individus des deux sexes et plus de 35 % d’entre elles sont titulaires d’un diplôme universitaire78. Cette politique d’Etat a des conséquences positives visibles au niveau de l’emploi féminin. Ainsi, «la participation des femmes à la population active rémunérée est comparable à celle des hommes, et elle dépasse les 80 % pour les femmes de 20 à 30 ans»79. Qui plus est, ces emplois se répartissent sur l’ensemble de l’échelle hiérarchique. Elles sont en effet nombreuses à occuper des postes de direction dans les entreprises (près de 25 % en 2011, la moyenne mondiale étant de 20 %)80. Tout n’est pourtant pas rose pour les femmes au pays d’Ho Chi Minh. En effet, une étude nationale menée par les autorités publiques et l’Organisation des Nations unies a révélé que plus de la moitié des Vietnamiennes subissent des violences physiques, sexuelles ou psy chologiques de la part de leur mari à un moment ou à
Vietnamese girl (Vietnam) - Crédit : Oceanik
un autre de leur vie. Malgré cette forte prégnance de la violence domestique au Vietnam, le sujet reste tabou. Les victimes n’osent pas en parler en raison de la honte et de la stigmatisation qu’entraînent ces situations. Certaines pensent même que ces brutalités font normalement partie des relations conjugales81.
L’ombre de la prostitution L’autre point noir qui apparaît quand on étudie les questions de genre au Vietnam concernent la traite des femmes et leur exploitation dans les réseaux de prostitution sur toute l’Asie du Sud-est. Séduites par des perspectives d’emploi dans les grandes villes, des groupes de femmes généralement issues des zones les plus rurales sont emmenés au Cambodge, en Chine, à Hong Kong, à Macao, en Malaisie, à Taiwan et même aux États-Unis. Entre 2004 et 2010, 65 % des cas identifiés de trafic de femmes en Chine était d’origine vietnamienne. La plupart sont vendues par des trafiquants dans l’Empire du milieu pour faire partie d’un réseau de prostitution, comme travailleuses illégales ou encore sont forcées d’épouser des hommes chinois, souvent de classe modeste, d’âge moyen, sans statut social reluisant. Pour ces femmes, cela signifie surtout devenir une esclave moderne82. Le gouvernement vietnamien lutte activement contre ces réseaux qui sont vraisemblablement gérés par les grandes organisations criminelles du sous-continent, mais ces efforts peinent à porter leurs fruits malgré des campagnes de sensibilisation menées pour prévenir les jeunes filles des provinces rurales de ces dangers.
Progrès et retards, campagne et ville Les acquis de l’émancipation des femmes vietnamiennes sont, comme dans de nombreux pays, surtout sensibles dans les zones urbaines et dans les régions les plus développées. En dépit de l’attention portée par le gouvernement aux questions d’équilibre territorial, on observe des différences très nettes entre la situation des femmes éduquées dans les villes et celle des femmes des provinces les plus rurales. Les femmes des ethnies minoritaires qui vivent dans les régions les plus retirées des hauts-plateaux au nord du pays ne bénéficient en effet pas de ces conditions favorables. Certaines de ces communautés sont d’ailleurs si éloignées qu’elles vivent dans une autarcie presque complète, faute d’infrastructures modernes.
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Le commerce équitable dans les montagnes du Vietnam En 2007, deux coopérants chevronnés, Minh Tuyet Nguyen et Dominic Smith, décident, après des années à gérer des projets de développement, de créer une entreprise sociale, MDI Vietnam (International Market Development and Investment JSC), avec pour objectifs d’aider les communautés des hauts-plateaux à commercialiser leur production de thé et de noix de cajou. Dès sa création, l’entreprise installée au Vietnam s’emploie à soutenir l’essor des populations rurales en privilégiant la voie du développement durable et des échanges équitables avec les producteurs. Les premiers mois sont consacrés pour l’essentiel à rencontrer ces communautés paysannes, à les aider à s’organiser en groupements et en filières structurées, à améliorer les techniques de récolte et de séchage, et à travailler sur la qualité du produit. Très vite et conformément à leurs idéaux, ils s’engagent sur la voie du commerce équitable, en sensibilisant les communautés paysannes qu’ils accompagnent aux questions sociales, organisationnelles et environnementales qui seront prises en compte pour la certification.
Traditionnellement, la culture, la récolte et la préparation du thé sont des activités féminines au Vietnam. Aussi, la question de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes s’est rapidement imposée. Ainsi que l’exigent les règles de la certification, les revenus engrangés par les communautés productrices sont partagés entre les travailleurs, sans distinction de sexe. Aujourd’hui, MDI Vietnam est certifié Fairtrade pour son thé et ses noix de cajou. Elle est aussi la première entreprise d’un pays en développement à se voir accorder par Fairtrade International le droit de produire et de labelliser des produits équitables83. L’organisation travaille avec une vingtaine de communautés regroupant plus d’un millier de familles dans différentes régions rurales du pays. La plupart appartient à des ethnies minoritaires et ne parle pas vietnamien.
Pionnier du commerce équitable Sud-Sud
MDI (Vietnam) - Crédit : MDI
Depuis sa création, MDI Vietnam se distingue d’autres projets équitables par sa volonté de vendre ses produits au Vietnam même. Les fondateurs et l’équipe de l’entreprise mettent en effet un point d’honneur à ce que leurs produits soient accessibles dans le pays où ils ont été élaborés ainsi que dans d’autres pays en développement : «Tout le monde mérite d’avoir accès à des produits de qualité et socialement responsables», affirme Dominic Smith. Avec la commercialisation de leur marque “Betterday” sur le marché asiatique («better quality, better health and better for society»), ils contestent l’idée largement répandue que le commerce équitable ne s’adresserait qu’au milliard d’habitants des pays plus aisés du Nord.
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Cette position juste et militante a valu à l’entreprise de remporter le premier Be Fair Award Sud-Sud lors de la Semaine du Commerce Equitable en 2009. Ce concours organisé par le Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement, récompense en effet les initiatives équitables les plus remarquables, notamment en matière de commerce équitable Sud-Sud. Les membres du jury ont choisi de récompenser MDI Vietnam «en raison de son impact direct sur les conditions de vie des petits agriculteurs, principalement des femmes issues de minorités ethniques du Nord-Vietnam, et pour le dynamisme qu’elle déploie à développer le commerce équitable dans le Sud.»84
Le thé des femmes Si les producteurs de noix de cajou sont majoritairement des hommes, la culture du thé est quant à elle une activité essentiellement féminine. Acquise récemment, la certification équitable n’a pas encore produit d’effets très visibles (notamment en termes de développement des infrastructures), mais les premiers bénéfices mettent en évidence la valeur du projet. En un an, les revenus des productrices de thé ont ainsi doublé, permettant ainsi à ces paysannes d’acheter du matériel scolaire pour leurs enfants. Les productrices sont en effet directement rémunérées pour leur récolte (à l’égal des hommes) et, si la plupart de ces communautés préfèrent d’abord employer ces nouvelles ressources pour améliorer leurs équipements de production, les perspectives de croissance qui se dessinent devraient permettre d’accroitre significativement leur niveau de vie et les entraîner sur la voie d’un développement soutenu et durable.
MDI (Vietnam) - Crédit : MDI
«Nous sommes fières de savoir que notre thé est vendu dans de nombreux pays. Je n’arrive pas à croire que ma photo apparaisse sur nos boîtes de thé et qu’elle soit visible pour tant de monde !» Une productrice de l’ethnie Mong, partenaire de MDI Vietnam85
Pour en savoir plus : www.mdivietnam.com www.befair.be
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CONCLU SION Pesanteur des traditions, fardeau de l’ignorance ou fruit de la misère, les obstacles sont nombreux pour les femmes qui veulent s’engager, vivre dignement et tailler dans ces carcans d’un autre âge. Mais, grâce notamment au commerce équitable, les succès sont là. Des hauts-plateaux boliviens aux rives du Jourdain et du Gange, des milliers de femmes mobilisent leur intelligence, leur courage et leur force pour contribuer au bien-être de leurs communautés. Elles s’organisent et travaillent durement pour nourrir leurs familles et éloigner les spectres de la pauvreté, de l’ignorance et de la violence. Leurs filles connaîtront très certainement un monde meilleur que celui qu’elles ont connu. Elles iront à l’école, apprendront un métier, seront autonomes et pourront plus facilement choisir leurs conjoints. Elles se souviendront des histoires de leurs mères et partageront leurs expériences et leurs savoirs. Une autre bonne raison d’acheter équitable.
Women (Mali) - Crédit : Fairtrade Max Havelaar
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TRADE FOR DEVELOPMENT CENTRE
Pour le Trade for Development Centre (TDC), programme de la CTB (l’Agence belge de développement), les commerces équitable et durable peuvent être des outils de réduction de la pauvreté et des leviers de développement. Le centre a pour objectif l’émancipation économique et sociale des petits producteurs du Sud, à travers leur professionnalisation et l’accès aux marchés, que ces derniers soient locaux, régionaux ou internationaux. Le TDC couvre trois types d’activités, présentés brièvement ci-dessous. Vous trouverez plus d’information sur notre site Web www.befair.be.
> Appui aux producteurs Programme d’appui financier Le programme a pour mission d’identifier les organisations de petits producteurs (coopératives, associations, entreprises) qui développent des projets de commerce équitable et commerce durable, et de leur apporter un soutien financier adapté ainsi qu’un appui en gestion financière et marketing. Activités d’appui à la commercialisation Le TDC est un centre d’expertise en « marketing & ventes » et un organe d’appui concret aux projets de la CTB liés directement ou indirectement à la commercialisation de produits et/ou services : • Conseil stratégique en business et marketing • Information et analyse de marchés • Coaching en marketing & ventes
> Expertise sur le commerce équitable et durable Pôle d’analyse et de réflexion, le TDC organise une veille stratégique sur l’évolution du commerce équitable et durable. Via son site Internet, sa newsletter, de nombreuses publications et contributions lors de séminaires, le TDC apporte aux consommateurs, pouvoirs publics, producteurs et autres acteurs économiques, une information la plus objective possible, entre autres sur les différents labels et systèmes de garantie existants.
> Sensibilisation Le TDC met en place des campagnes de sensibilisation à destination des consommateurs, des acteurs économiques et des pouvoirs publics belges. La Semaine du Commerce Equitable est notre campagne la plus connue. Visitez notre site Web pour en savoir plus.
CTB - agence belge de dĂŠveloppement TRADE FOR DEVELOPMENT centre rue haute 147 1000 Bruxelles T +32 (0)2 505 19 35 www.btcctb.org www.befair.be 64