TRADE FOR DEVELOPMENT
Surpêche, le Mal de mers
Pêche responsable, le remède ?
ÉDITEUR RESPONSABLE Carl Michiels COORDINATION La Machine à Écrire sccs - Samuel Poos (CTB) RÉDACTION Olivier Bailly CONCEPTION TwoDesigners
© CTB, agence belge de développement, avril 2010. Tous droits réservés. Le contenu de cette publication peut être reproduit, après autorisation de la CTB et pour autant que la source soit mentionnée. Cette publication du Trade for Development Centre ne représente pas nécessairement le point de vue de la CTB.
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SOMMAIRE
LE CAUCHEMAR DE COUSTEAU
Un état des lieux des mers et des océans > Le mal de mers
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Hausse de la température des mers
4
Surpêche
6
Pollution
7
> P olitique de l’eau : à qui appartient l’eau ?
9
Tension entre pêche industrielle et pêche artisanale
9
Le système de quotas individuels transférables (QIT)
10
Droits économiques, sociaux et culturels des individus et communautés
11
La nouvelle politique européenne de pêche
12
Une 11ème province belge
14
> Deux exemples de pêche belge en mer solidaire
15
Bonne pêche ou mauvaise pêche ? Initiatives en faveur d’une pêche durable > Qu’est que la pêche durable?
17
> L e code de conduite de la FAO pour une pêche responsable
17
> Les Labels
19
MSC
19
Les autres labels
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> L’aquaculture durable
25
> Pêche artisanale et organisations de pêcheurs
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Importance de la pêche artisanale
27
Priorités aux organisations de pêcheurs
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Des organisations du Sud
29
> La consommation citoyenne
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références & Bibliographie
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Le cauchemar de Cousteau Un état des lieux des mers et des océans > Le mal de mers L’eau nous entoure. Comme le souligne l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), « il serait plus correct de dire que nous vivons sur une planète Océan plutôt que sur la planète Terre. Les océans couvrent presque 70% de la surface mondiale, près de 95% des volumes habitables1. » La Planète est bleue, mais elle a le mal de mers. Selon le World Wide Fund for Nature (WWF), « 40% des océans du globe sont gravement touchés par les activités humaines ». Pourquoi ? L’organisation environnementale, via son rapport annuel Planète vivante 2008 2, identifie trois causes principales : la hausse de la température des mers, les méthodes de pêche destructrices et la pollution.
Impact de la pollution des mers et des océans par l'activité humaine
source : www.consoglobe.com
Hausse de la température des mers 1 | Laffoley, D. d’A. (éd.), Towards Networks of Marine Protected Areas. The MPA Plan of Action for IUCN’s World Commission on Protected Areas, IUCN WCPA, 2008, Gland, Switzerland, 28 pp. 2 | Planète vivante, Rapport 2008, WWF 2009. 3 | Bilan 2007 des changements climatiques. Contribution des Groupes de travail I, II et III au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Équipe de rédaction principale, Pachauri, R. K. et Reisinger, A. (publié sous la direction de~)], GIEC, 2007, Genève, Suisse, 103 pages. 4 | Le GIEC précise cependant qu’il est difficile de dissocier les effets des contraintes d’origine climatique de ceux résultant d’autres contraintes comme la surpêche ou la pollution.
En 2007, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)3 l’affirme : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l’échelle du globe, une hausse des températures moyennes de l’atmosphère et de l’océan. » En conséquence4, le niveau de la mer s’est élevé de 3,1 mm/an depuis 1993 et des changements fondamentaux dans les océans s’opèrent. Le GIEC cite les « déplacements des zones de distribution géographique et les variations de l’abondance des algues, du plancton et des poissons dans les océans de latitudes élevées, l’augmentation des populations d’algues et de zooplancton dans les lacs situés à des latitudes élevées et les lacs d’altitude ; les modifications de l’aire de distribution géographique et la migration précoce des poissons dans les cours d’eau ». Et ce n’est pas tout.
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Les océans s’acidifient suite à la hausse de la concentration atmosphérique de CO2. Les effets sur la biosphère marine restent difficiles à prévoir mais selon le GIEC, le phénomène aura une incidence néfaste sur les testacés (mollusques couverts d’écailles dures comme l’huître ou la moule) et crustacés marins (les coraux, par exemple) et sur les espèces qui en sont tributaires. D’ores et déjà cependant, il est évident que les populations de corail, très sensibles, blanchissent5 et disparaissent suite à cette acidification. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) évoque à ce jour un tiers des coraux disparu et une perte qui devrait s’élever à 60% d’ici 2030. La disparition de ces écosystèmes perturbe les mers. Les poissons herbivores sont moins nombreux, les algues prolifèrent et les poissons carnivores manquent de nourriture. Plusieurs espèces de poissons disparaissent dans les zones des coraux6. Outre l’impact sur la biodiversité – les barrières de corail abritent entre 1 et 3 millions d’espèces –, le PNUE évoque également un manque à gagner global de 172 milliards de dollars par an, pour des services qui vont « de la protection des côtes à la protection des poissons7 ».
État des stocks mondiaux en 2004 0%
10%
20%
30%
40%
50%
1% 7% 17% 52% 20% 3% source : www.fao.org
État des 200 principales ressources halieutiques 1950–2000 100%
80%
60%
40%
20%
20 00
19 95
19 90
19 85
19 80
19 75
19 70
19 65
19 60
19 55
0%
19 50
5 | Le blanchissement corallien se produit lorsque les algues qui vivent en symbiose avec les polypes coralliens vivants (qui donnent leurs couleurs aux coraux) sont expulsées. Le corail blanchissant peut mourir, ce qui modifie l’écosystème des récifs et, par voie de conséquence, a un impact sur la pêche, le tourisme régional et la protection des côtes. Agence spatiale européenne, 2005, cité par notre planète.info. 6 | « Réchauffement des eaux : les coraux disparaissent irrémédiablement », notre planète. info, 2006. 7 | http://www.geo.fr/environnement/actualitedurable/corail-ecosysteme-biodiversite-50037
source : www.fao.org
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Surpêche
EN QUEUE DE POISSON : Le cabillaud (ou morue)
L’homme pêche beaucoup. Selon le rapport La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2008 8, plus de 110 millions de tonnes de la production mondiale (soit 77%) ont été pêchées ou élevées pour la consommation humaine en 2006. Le reste est destiné aux produits non alimentaires, en particulier à la fabrication de farine et d’huile de poisson. Globalement, le poisson a assuré à plus de 2,9 milliards de personnes au moins 15% de leur apport en protéines animales. La pêche est donc une pratique importante pour de nombreuses existences, essentiellement au Sud. L’homme pêche-t-il trop ?
Jadis, ce poisson à chair blanche foisonnait dans les assiettes et poissonneries européennes. C’était l’âge d’or dau cabillaud. Ou plutôt l’âge d’or du consommateur de cabillaud. En quelques années, le stock de cette pêche en mer Baltique et en mer du Nord s’est effondré. Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM, organisation qui coordonne et promeut la recherche marine dans l’Atlantique Nord) et l’Union européenne appellent à une réduction drastique des quotas, voire une cessation des activités de pêche au cabillaud dans les eaux de l’Est de la Baltique. Le plan européen de reconstitution des stocks de cabillaud ayant échoué en 2004, le Conseil a décidé d’en lancer un nouveau cette année (2009). La situation catastrophique des stocks n’empêche pas les pêcheurs d’en vouloir toujours plus. En avril 2009, des artisans-pêcheurs de la région Nord-Pas-de-Calais réclamaient une hausse des quotas de cabillauds. Ce quota critiqué a été augmenté de 30% par rapport à 2008.
C’est une certitude. À force d’exploiter les ressources halieutiques, celles-ci ne parviennent plus à se renouveler et s’épuisent. Selon la Food Agriculture Organization (FAO), « la proportion de stocks sous-exploités ou modérément exploités a suivi un déclin linéaire passant de 40% au milieu des années 70 à 20% en 2007, alors que celle des stocks pleinement exploités est restée relativement stable pour se situer à environ 50% ». La proportion de stocks surexploités ou épuisés oscille quant à elle entre 25 et 30% depuis le milieu des années 90. Ce chiffre signifie qu’entre 75 à 80% de l’exploitation halieutique en mer ont atteint leur rendement constant maximal, rendant impossible toute intensification de la production. La FAO précise encore que « la plupart des stocks des 10 premières espèces – qui correspondent en volume à environ 30% de la production mondiale des pêches de capture – sont surexploités ou exploités à plein rendement ». Greenpeace est encore plus alarmiste. À ce rythme, en 2048, il n’y aura plus de poissons en mers. Les conséquences de cette surpêche se font surtout sentir dans les pays du Sud. La pêche artisanale offre 80% d’emplois directs et indirects et assure 80% des débarquements de poisson destiné à la consommation humaine 9. Un exemple ? Au Sénégal, comme partout ailleurs, le poisson se fait rare. En 25 ans, les ressources halieutiques du pays ont diminué de 75%10 ! Le secteur est pourtant essentiel pour le pays : la main d’œuvre liée à la pêche est estimée à 600 000 travailleurs. L’Europe de 1980 à 2006 avait un accord (renégocié 17 fois) avec le Sénégal pour exploiter ses eaux, avec une contrepartie (entre autres) financières11. Couplées à la pêche artisanale, ces prises ont épuisé les mers sénégalaises. Face à la surexploitation des ressources, les ménages locaux se contentent des captures de moindre qualité tandis que l’essentiel de la pêche part en Europe. Avec la raréfaction du poisson sur les côtes littorales, les pêcheurs n’utilisent plus leurs pirogues pour chasser le poisson, mais pour fuir12.
8 | La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2008, Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, Rome 2009. 9 | « La pêche artisanale ACP : la plus performante pour répondre aux défis du nouveau millénaire », Debra Percival, Le Courrier UE-ACP. 10 | « La pêche sénégalaise en eau trouble », mardi 7 juillet 2009, source : Les Afriques citée par PlanèteBleue.info : http://eau.apinc.org/spip.php?article868 11 | Accord de pêche UE / Sénégal, Moussa SONKO, Centre de Droit maritime et océanique, Université de Nantes, Vol. 13 2007/1. 12 | Lire à ce propos le reportage « Pêcheurs sénégalais : naufragés en sursis » de José Lavezzi, 18 avril 2008.
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Pollution Même si les mers sont vastes, la pollution causée par l’homme n’épargne pas les écosystèmes aquatiques. L’essentiel de cette pollution ne provient pas des marées noires causées par des bateaux pétroliers défectueux (ou peu scrupuleux). De fait, la pollution des transports maritimes ne représenterait « que »12% de la pollution totale. Selon le WWF, « près de 80% de la pollution marine provient d’activités basées sur les continents ». Greenpeace précise que parmi les polluants retrouvés dans la mer, 44% ont des sources terrestres et 33% une origine atmosphérique. Ces pollutions proviennent du pétrole, des pesticides et fertilisants agricoles, des déchets solides, des produits chimiques toxiques et de l’évacuation des eaux usées. Les pratiques agricoles, avec une utilisation croissante d’engrais azotés et phosphatés, « infectent » les eaux avoisinantes et favorisent la prolifération des végétaux aquatiques et l’eutrophisation (la diminution de la quantité d’oxygène dans l’eau). Par ailleurs, le rejet de produits chimiques dans l’atmosphère nuit aux eaux terrestres. Selon le WWF, « presque tous les organismes marins, du plus minuscule plancton aux baleines, en passant par les ours polaires, sont contaminés par les substances chimiques produites par l’Homme ». D’autant plus si l’animal arrive en bout de course de la chaîne alimentaire. Ainsi, les ours polaires, qui se nourrissent d’otaries, peuvent avoir des niveaux de contamination trois milliards de fois plus élevés que leur environnement13.
13 | h ttp://www.panda.org/about_our_earth/ blue_planet/problems/pollution/
Enfin, concernant les eaux usées, l’absence de traitement peut entraîner l’eutrophisation des eaux et la dispersion de maladies. Et les eaux non traitées concernent la majorité des eaux côtières du globe, pas uniquement le Sud. Ainsi, en Méditerranée, 80% des eaux usées ne sont pas traitées.
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Poisson Pilote : Charles Braine Responsable de la mission Océans et Côtes, WWF France
en plus gros et la prospection de plus en plus lointaine. La logique poursuivie était d’assurer la sécurité alimentaire. Le constat est-il valable pour les autres continents ? On peut le généraliser avec des nuances. Les USA, le Japon et la Nouvelle-Zélande par exemple ont mieux géré la pêche côtière. Par contre, l’impact d’une flotte en haute mer, comme au Japon, est désastreux.
75 à 80% des ressources halieutiques exploitées au maximum et plus, c’est énorme. Sommes-nous certains de cette proportion ?
Comment se fait-il qu’en dix ans et face à une telle catastrophe organisée, la prise de conscience ne soit pas générale ?
Elle provient des études de la FAO qui recoupe les déclarations des captures de toutes les flottes dans le monde. C’est un travail remarquable de compilation de données et, à ma connaissance, personne n’en conteste les conclusions. Par ailleurs, cela fait un moment que la situation est dramatique. Depuis dix ans, on stagne à 90 millions de tonnes de poissons par an alors que les moyens de la pêche ne cessent d’augmenter d’année en année.
La question récolte peu d’attention, c’est vrai. Pour l’opinion publique, il doit y avoir une part de sociologique et d’anthropomorphisme. Le poisson ne déclenche pas les mêmes réactions affectives que l’éléphant d’Afrique ou l’ours polaire. Ensuite, au niveau des politiques, la transition vers une pêche durable prendrait, selon moi, au moins dix ans. Dix ans de crises. Pas un politique ne voit à si long terme. En France, face aux grévistes de la pêche, on a débloqué 320 millions d’euros non pas pour muter la flotte mais pour entretenir un statu quo et faire taire les pêcheurs.
Les stocks ne sont pas indéfinis. Ils fonctionnent comme un capital en banque. Vous pouvez pêcher les intérêts, ce qu’on appelle le « taux acceptable de capture », mais pas puiser dans le capital. On a toujours la quantité souhaitée, mais ce qu’on ne voit pas si on ne contrôle pas son compte, c’est que les ressources diminuent. C’est ce qui est arrivé au cabillaud à Terre-Neuve (Canada). Les pêcheurs grignotaient chaque année le stock. L’année avant son effondrement, lorsque nous les prévenions du danger imminent de leur surpêche, les pêcheurs nous rétorquaient qu’il y avait encore du cabillaud à tel endroit. De fait, c’était la dernière poche de concentration. L’année suivante, les stocks se sont effondrés, entraînant dans leur chute des dizaines de milliers d’emplois. Les dégâts causés sont-ils irréversibles ? C’est impossible à dire. Les paramètres d’un écosystème sont complexes et interconnectés. Pour reprendre l’exemple du cabillaud, c’était un grand prédateur dans la chaîne alimentaire. Mais d’autres ont pris sa place et rien ne dit qu’il pourra la retrouver. Qui est responsable de cette situation ? On incrimine souvent les pêcheurs mais ce ne sont pas eux les seuls fautifs. La situation est le résultat d’erreurs politiques et stratégiques. En Europe, la politique d’après‑guerre des Nations puis de l’Union a été de miser sur la pêche et l’agriculture en facilitant l’accès à ces professions par diverses aides. Les bateaux étaient de plus
Quelles conséquences pour les populations du Sud ? Aujourd’hui, on exporte notre surpêche en eaux asiatiques, pacifiques, africaines. On ne dépassera pas les 90 millions de tonnes par an, c’est une certitude. Cela fait 15 kilos par habitant. Or les Européens aujourd’hui consomment en moyenne 21,4 kilos par habitant, et on les bombarde pour qu’ils mangent encore plus d’Omega 3. Mais ces apports de protéines dans nos assiettes, venus du Golfe de Guinée par exemple, devraient se retrouver sur un marché à Dakar. Puisque les ressources sont limitées et que nous mangeons plus que notre part, non seulement nous pêchons le poisson dans les eaux des pays en développement, mais en plus nous privons ces populations d’aliments dont ils ont sans doute plus besoin que nous. Une solution à ce grand gâchis ? Pour l’Europe, la politique de la gestion de pêche est difficile à comprendre. L’Union européenne devrait fixer les grandes lignes en termes de stocks, d’emplois, d’environnement. Ensuite, la traduction des actes devrait être décentralisée avec un territoire cohérent en termes de pêcheries (mêmes techniques de pêche, mêmes poissons). Ces plans de gestion à long terme responsabilisent les pêcheurs et les amènent à cogérer la mer.
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
> P olitique de l’eau : à qui appartient l’eau ? Tension entre la pêche industrielle et la pêche artisanale Si les stocks surexploités ont explosé dans les années 70 et 80, les quantités de ces quinze dernières années restent invariables. Le plafond d’exploitation est-il atteint ? C’est fort probable. Comment dès lors se répartir les stocks existants ? Un accès à la mer non régi par des lois mènerait à une curée marine. Même avec des législations contraignantes, la filière de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, affiche un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros, soit un des plus gros producteurs mondiaux de poissons 14! Aussi, comme le signale Svein Jentoft, du Centre de gestions des ressources maritimes de l’université de Tromso (Norvège), « les droits de propriété sont utiles dans la gestion des pêches. L’absence de droits de propriété met en danger la ressource. Mais la propriété existe sous différentes formes. Un industriel peut posséder des droits, de même que des états et des communautés15 ». Là est le dilemme crucial du monde de la pêche. À qui appartient le poisson ? Ce débat porte essentiellement sur la concurrence entre la pêche industrielle et la pêche artisanale. Pour discerner les droits d’exploitation et de gestion de chacun, deux approches existent. L’une favorise un système de marché via des quotas individuels transférables (QIT), l’autre prend en compte les notions de droits traditionnels et de communautés côtières.
Consommation apparente moyenne 2003-2005 en kg par année par personne
Production apparente moyenne 2003-2005 en T par année 150 000 T
30 kg 25 kg
120 000 T
20 kg
90 000 T
15 kg 60 000 T 10 kg 30 000 T
5 kg 0 kg
0
source : www.fao.org
14 | La politique commune de la pêche, guide de l’utilisateur, Communautés européennes, Belgique, 2009, p. 27. 15 | Svein Jentoft, « Allez-y ! », revue Samudra, n°42, novembre 2005.
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Le système de quotas individuels transférables (QIT)
EN QUEUE DE POISSON : Le flétan du Groenland
Avec des yeux globuleux hideux et un sourire qui n’a rien à envier au pirhana, le flétan du Groenland ne gagnera pas le prix de beauté des amis de Neptune. Amateur d’eaux froides (plutôt le Nord-Ouest de l’Atlantique), il traîne ses écailles dans des eaux profondes, jusqu’à 1 500 mètres. Comme le thon rouge, il termine régulièrement en sushi ou sashimi. Selon Greenpeace, « le flétan du Groenland est surpêché. La biomasse est en train de chuter et on estime qu’elle est actuellement à son plus bas niveau observé ».
La gestion des pêcheries fondées sur des droits organisés en marché peut prendre différentes formes : permis de pêche, quotas communautaires, quotas par individu, par navire, ou quota individuel transférable (QIT). Au cours de ces dernières années, il a été surtout question des QIT16, en place dans diverses législations nationales au Nord de la planète. Ces quotas s’organisent de la sorte : après un état des lieux des ressources disponibles, l’état désigne à chaque pêcheur (ou bateau) une quantité de poissons à prendre en fonction des espèces, le TAC : total admissible de captures. Ce droit de pêche peut être vendu (transférable). Les montants des quotas peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars pour un petit bateau17. Ce système de gestion est mis sur pied pour que la pêche profite de l’efficacité de la propriété privée, avec des bases économiques saines et solides des exploitants, des emplois stables. Il réduit aussi la pression des pêcheurs sur les ressources en ajustant les prises aux ressources disponibles. Mais l’efficacité des QIT est très largement contestée par les communautés de pêcheurs et diverses organisations internationales. Le point de départ – octroyer des droits à certains – paraît inéquitable. Ensuite, dans plusieurs pays dont l’Islande, l’application de pareilles mesures a conduit à concentrer ces quotas de pêche dans les mains des pêcheries les plus puissantes. Les ressources collectives sont en quelque sorte confisquées. Les pêcheurs qui jadis pouvaient espérer devenir leur propre patron en sont réduits à « louer » des quotas, ou à pêcher pour d’autres. En Afrique du Sud, la complexité des procédures aux permis de pêche a privé de nombreux pêcheurs artisans de leur activité. Sur 4 070 ayant introduit une demande, seuls 813 pêcheurs ont obtenu un droit de pêche, et pour des quantités leur permettant de se maintenir à peine au-dessus du seuil de pauvreté18. Même l’avantage écologique de la préservation des ressources halieutiques est remis en cause. Afin de ne pas « user » leur quota inutilement, des pêcheurs balanceraient à la mer les poissons les moins rentables. Voire la totalité si les cours du jour sont trop bas ! De plus, le contrôle des quantités est difficile et les fraudes sont fréquentes.
Exportations et importations UE de produits de la pêche en 2006 (en tonnes) 7 000 000 T 6 000 000 T 5 000 000 T 4 000 000 T 3 000 000 T 2 000 000 T 1 000 000 T
Exportations
Importations
0 source : http://ec.europa.eu
16 | B jorn Hersoug, « Ouverture de la tragédie ? », Samudra, n°46, novembre 2006. 17 | C hiffre donné pour 1999 par Parzival Copes, dans « Qui va exploiter les ressources littorales ? », Samudra, n°23, septembre 1999. 18 | N assegh Jaffer et Jackie Sunde, « Droits de pêche contre droits de l’Homme ? », Samudra, n°44, juillet 2006.
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EN QUEUE DE POISSON : L’empereur
L’empereur a la chair délicate, très appréciée. Mais l’empereur est vaincu. La surpêche le menace de disparition d’ici 3 à 5 ans. Pourtant, il vit caché dans les eaux profondes (jusqu’à 1 800 mètres) et surtout, il vit longtemps, jusqu’à 150 ans ! Mais les chalutiers de grand fond sont venus le ratisser dès les années 80. La maturité sexuelle de son Excellence est tar-
dive, à 20 ans, et madame ne pond pas tous les ans. Avec un cycle de reproduction aussi long, les pêches ne devraient pas dépasser plus de 1 à 2% des stocks disponibles. L’IUCN a inscrit l’empereur sur sa liste rouge des poissons menacés et un moratoire est envisagé, mais la pêche continue. Comme de nombreux poissons, son Altesse souffre et meurt en silence.
Droits économiques, sociaux et culturels des individus et communautés Les communautés côtières, elles, mettent en valeur l’attachement traditionnel de leur pratique de pêche. Souvent munis d’un équipement simple, les pêcheurs connaissent les cycles biologiques des espèces de leurs zones, et sortent le poisson pour manger et commercer. Des pratiques moins destructrices, plus sélectives et pourvoyeuses d’emplois que la pêcherie industrielle. Aussi, les organisations de petits pêcheurs défendent le droit à la cogestion des eaux sur une base communautaire, s’appuyant sur les forces et capacités de la société civile. Cela ne signifie ni une absence de règles, ni la dictature d’un petit groupe d’usagers, mais plutôt « un processus fait en collaboration et avec la participation de tous les acteurs, pour une réglementation des prises de décision entre représentants d’usagers, agences gouvernementales, organismes de recherche, et autres partenaires. Le partage du pouvoir et le partenariat sont des éléments essentiels19 ». Par ailleurs, un système de zone côtière destiné uniquement aux petits pêcheurs est régulièrement demandé. Les gros chalutiers ne pourraient ainsi pas pêcher à trois ou cinq miles nautiques de la côte, qui deviendraient des « zones artisanales exclusives ». Ces zones existent, comme au Chili ou au Pérou, mais elles tolèrent des « fenêtres de pénétration » pour la pêche industrielle 20. Le système de zone préservée est cependant difficile à rendre effectif. Comment clairement identifier le zonage ? Comment maintenir une surveillance sur des centaines de kilomètres de côte 21 ? En Europe, une bande côtière fut réservée aux pêcheurs locaux pour permettre aux navires de faible tonnage de continuer à pêcher près de leur port d’attache. C’était en 1970.
19 | Svein Jentoft, op cit. 20 | Brian O’Riordan, « A la recherche du Graal », Samudra, n°39, novembre 2004. 21 | Maarten Bavinck, « Initiatives et mesures incertaines », Samudra, n°27, décembre 2000.
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La nouvelle politique européenne de pêche 22
EN QUEUE DE POISSON : Le flétan de l’Atlantique
Comme tous les poissons plats de sa famille, le flétan d’Atlantique possède ses deux yeux du côté droit de la tête et une face aveugle non pigmentée dirigée vers les profondeurs des mers. Cet aspect peu agréable n’empêche malheureusement pas ce poisson d’être un plat très prisé, sa grande taille permettant de servir de beaux filets sans arêtes. En 1994, l’UICN a accordé le statut d’espèce en danger de disparition au flétan de l’Atlantique. Son indice de vulnérabilité est de 88/100, soit l’estimation d’une espèce « très vulnérable ».
La politique européenne commune de la pêche (PCP) est la version marine de la PAC (politique agricole commune). Officiellement en place depuis 1983, elle a connu une importante réforme en 2002. La capacité de prise de la flotte européenne dépassait plusieurs fois le volume des stocks disponibles, et déclinants, dans les eaux européennes. La question de durabilité des ressources halieutiques se posait. Parmi les modifications importantes dans la PCP en 2002, les subventions se sont détournées de la construction de nouveaux navires pour soutenir les communautés côtières à travers la restructuration du secteur. Et l’organisation des TAC (total admissible de captures) s’est structurée en faveur d’une stratégie à long terme entre autre par la mise place de plans pluriannuels. Certes, et comme le reconnaît la Commission, ces TAC restent supérieurs aux niveaux identifiés par les scientifiques pour restaurer les stocks. Certes, les navires sont toujours trop nombreux face aux poissons disponibles, mais des lignes de force d’une pêche durable étaient tracées. En vain. Autant les défenseurs de l’environnement que la Commission elle-même reconnaissent aujourd’hui que les objectifs sont loin d’être atteints. Hors des zones européennes, les eaux sont tout aussi troubles. L’Europe récolte 20% de ses prises dans les eaux internationales de haute mer et 40% dans les zones marines de pays partenaires. Certains de ces pays sont proches de l’Union européenne et viennent en échange pêcher dans « nos » eaux. D’autres sont trop éloignés, trop peu équipés ou peu intéressés par cette réciprocité. C’est le cas de plusieurs pays en développement qui passent avec l’Europe des accords de partenariat dans le secteur de la pêche (APP). La contrepartie européenne vers ces pays est alors financière. Ils ont pour ambition également de renforcer la capacité des pays partenaires à garantir, dans leurs propres eaux, la durabilité des pêcheries. Pour l’UE, ces accords possèdent des garde-fous pour éviter toute surexploitation des ressources halieutiques des pays partenaires. De plus, ils permettent de contrôler les navires européens dans ces zones. Sans APP, des chalutiers européens pourraient rester en Afrique et puiser dans les ressources halieutiques sans cadre législatif efficace. Moins élogieuses sur ces accords, les organisations civiles du Sud dénoncent la venue de ces navires subventionnés venant concurrencer les petits pêcheurs locaux. Greenpeace parle carrément d’un fiasco total : « Ni la préservation des stocks, ni le maintien de l’activité ni l’établissement d’un secteur économique viable n’ont été des objectifs atteints 23. » Pays habitué à se défendre bec et ongle contre toute velléité extérieure d’exploitation, le Sénégal a ainsi refusé de prolonger l’accord de pêche existant depuis 1980 avec l’Union Européenne. Ce pays d’Afrique de l’Ouest exigeait notamment une réduction d’au moins 60% des quantités de capture autorisées le long de ses côtes. Or, l’accord de pêche 2002-2006 avait déjà débouché sur une réduction des captures autorisées. Inacceptable pour les Européens qui pointent la pêcherie artisanale, responsable selon elle de 80 à 90% des prises.
22 | Les informations de ce sous-chapitre proviennent notamment de La politique commune de la pêche, guide de l’utilisateur, Communautés européennes, Belgique, 2009, p. 27. 23 | http://www.greenpeace.org/france/news/reforme-de-la-politique-commun 12
le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
En attendant un hypothétique accord, les poissons sénégalais continuent à garnir les assiettes européennes. Même si les chalutiers européens n’ont plus le droit de pêcher en eaux sénégalaises, des sociétés mixtes exploitent toujours le poisson24. En 2012, la Commission, juridiquement tenue de revoir alors les volets de la PCP concernant la conservation et la flotte, entend réformer celle-ci en profondeur. Des propositions de modification sont d’ores et déjà sur la table. La Commission a lancé une vaste consultation publique25 ainsi qu’un Livre vert pour nourrir les débats. Ce document mentionne qu’il importe de « renforcer les capacités d’analyse et de recherche scientifiques de manière à mieux évaluer l’état de conservation du stock et à déterminer les niveaux de capture compatibles avec une pêche durable26 ». Une manière de souligner que depuis des décennies, l’Europe pêche à vue chez ses partenaires. Dans une note critique sur le Livret vert, Greenpeace souligne que le document de la Commission encourage une approche plus écosystémique de la pêche et veut privatiser l’accès à la ressource. L’ONG environnementale reçoit favorablement le document, estimant que les propositions vont dans le bon sens27. L’avis n’est pas partagé par tous les acteurs de la société civile (lire à ce propos le Poisson pilote de Béatrice Gorez).
Volume et valeur des débarquements dans les États membres (2006) T
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source : http://ec.europa.eu
24 | « La pêche sénégalaise en eau trouble », mardi 7 juillet 2009, source : Les Afriques citée par PlanèteBleue.info : http://eau.apinc.org/spip.php?article868 25 | h ttp://ec.europa.eu/fisheries/reform/index_fr.htm 26 | L ivre vert, Réforme de la politique commune de pêche, Bruxelles, 22 avril – http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/ LexUriServ.do?uri=COM:2009:0163:FIN:FR:PDF 27 | h ttp://www.greenpeace.org/raw/content/france/presse/dossiers-documents/reforme-de-la-politique-commun.pdf
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Une 11ème province belge Les 5 premières espèces “produites” par la Belgique en 2006 (en tonnes) 5 139 T 3 991 T 1 861 T 1 551 T 1 193 T
Plie
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Raie
source : http://ec.europa.eu
Cabillaud
Lotte
La pêche est un petit secteur en Belgique. La flotte de pêche belge se compose de quelque 103 bateaux, dont 99 chalutiers (décembre 2007). La production du pays en 2005 était de 25 769 tonnes de poissons et de crevettes (captures et aquacultures)28. À titre comparatif, nos voisins français affichent une production de 853 669 tonnes, les Anglais 787 629 tonnes, et les Hollandais 473 985 tonnes. Les principales espèces pêchées en zone belge sont la sole, la plie, le cabillaud, la raie, la lotte et les crevettes. Si la pêche est une compétence régionale, la Stratégie maritime belge, notamment par rapport à la mer du Nord, est du ressort des autorités fédérales. La Belgique a développé le concept « La mer du Nord, notre onzième province » et se présente comme pionnière en matière de préservation du milieu marin. Fort de sa loi du 20 janvier 1999, l’état a fait coup double : introduire l’approche de l’écosystème et le principe de précaution. Toute activité de construction ou activité industrielle, commerciale et publicitaire nécessite depuis lors l’obtention d’une autorisation, avec évaluation de l’impact de l’activité sur l’environnement. Par ailleurs, pour parer à toute pollution pétrolière en Belgique, un système de barrages et de pompes protège les côtes. C’est ainsi que lorsque le Tricolor a sombré au large de Dunkerque en février 2003, la nappe pétrolière n’a pas atteint le domaine naturel du Zwin. Enfin, cinq zones marines protégées ainsi qu’une réserve marine dans la baie de Heist ont été créées.
28 | La PCP en chiffres, données de base sur la politique commune de la pêche, Commission européenne, 2008, Belgique.
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Deux exemples de pêche belge en mer solidaire Les pêcheurs de Moanda (Congo - projet Trias / Banque mondiale) La région de Moanda, jadis riche en poisson, n’a plus grand‑chose à proposer aux amateurs de produits de la mer. Mal outillés, peu formés, les pêcheurs travaillent dans des conditions déplorables. La concurrence de la pêche de chalutiers et la prospection du pétrole dans la zone renforcent encore les difficultés des pêcheurs artisans. Compte tenu de la rareté du poisson, ils s’éloignent de plus en plus des côtes, allant jusqu’à 50 kilomètres en haute mer pour acheter les fretins (des poissons variés de faible qualité) en échange d’argent, ou de produits agricoles.
Les lacs N’Zilo et Tshangalele (Congo - projet CTB) Dans la province du Sud-Est du pays, au Katanga, plusieurs lacs sont situés en zone d’exploitation minière peu contrôlée. Ils sont soumis à une pollution inquiétante due aux résidus de métaux lourds et à l’acide sulfurique utilisés pour extraire les matières premières du sol. Les lacs N’Zilo et Tshangalele, au Sud-Est de la province, font partie de ces eaux qui paient un lourd tribut environnemental à l’activité humaine.
Pour soutenir la communauté de pêcheurs, l’ONG Trias a, dans le cadre d’un projet de la Banque mondiale, donné trois modules de formation à une soixantaine de leaders des associations des pêcheurs de Moanda. Ces formations étaient très variées et ciblées, traitant du rôle d’une association, de l’initiation à la technique de pêche responsable et à la collecte des données statistiques de pêche. Les leaders villageois y ont appris une gestion de la mer, avec une utilisation adéquate des intrants de pêche et une pêche veillant à préserver les espèces de poisson. Leur rôle fut ensuite de transmettre ces enseignements aux autres pêcheurs de leur contrée30.
Pourtant, le lac N’Zilo affiche une production halieutique potentielle de 2 500 tonnes/an pour 830 pêcheurs. Le Lac Tshangalele serait fréquenté par 1 400 pêcheurs pour une exploitation maximum de 4 500 tonnes/an29. Pour tenter de rendre l’eau saine et de soutenir ces artisans‑pêcheurs, la coopération belge soutient à la fois l’amélioration de la qualité de la production, de l’organisation de la filière halieutique et de la qualité des eaux. La station de l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomique (l’INERA) a été partiellement réhabilitée et les pêcheurs, sensibilisés aux techniques de pêche responsable, participent aux programmes de cogestion des ressources proposés par le gouvernement.
29 | « Informations générales sur les principales zones de pêche », Kalibu Mino Kahozi, coordinateur national du Service national de promotion et de développement de la pêche (SENADEP), Kinshasa, septembre 2002. 30 | S ource : http://go.worldbank.org/WKVB28VSQ0
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le cauchemar de cousteau - Un état des lieux des mers et des océans
Poisson Pilote : Béatrice Gorez,
leur propre flottille. Leurs motivations sont évidemment l’exploitation d’un secteur.
coordinatrice de la Coalition pour des accords de pêche équitables
De là à ce que les réformes de 2012 soient des « mesurettes » ?
La politique commune de pêche est décrite par tous les acteurs, Commission européenne comprise, comme un échec. Vous partagez cet avis ?
Les réformes de 2002 étaient déjà des modifications cosmétiques. Donc le risque est réel, mais la Commission a pris la juste mesure de l’urgence. Elle propose des ouvertures sur la gouvernance, la décentralisation, sur une double approche pêche artisanale pêche industrielle. Mais aujourd’hui, ce sont toujours les états membres qui décident, et qui sont encore plus exposés aux lobbies industriels.
Nous pouvons tout de même être satisfaits d’avoir sur ce point une politique commune. L’adhésion d’un nouvel état membre peut poser des problèmes cependant. Par exemple, lors de son entrée dans l’UE, la Pologne a reçu une grande capacité de pêche, qui se déroule aussi dans les pêcheries des pays en développement. Avec les subsides de l’Union européenne, la Pologne voit sa pêche facilitée, avec un coût d’exploitation moindre et un effort de pêche qui augmente. C’est un problème : les accords avec les nouveaux membres ne tiennent pas compte d’une gestion durable des pêcheries. Et la réforme de 2002 n’a rien arrangé. Les réformes à venir, annoncées dans le Livre vert de la Commission, sont-elles encourageantes ? Nous n’en sommes pas encore à de nouvelles orientations de la pêche. Il n’y a encore aucune proposition sur la table. L’instant est plus au constat. Dans le Livre vert, la Commission fait peu de cas de sa responsabilité dans l’état actuel des pêches. Elle ne met pas en avant la faiblesse de la centralisation des prises de décision, ce qui est pourtant capital. Pour les sujets sensibles comme le contrôle des pêches, les amendes, la gestion des subventions octroyées, la balle est renvoyée dans le camp des états membres. Par ailleurs, lorsque Bruxelles gère un point, elle le fait de manière très bureaucratique. Alors que les problèmes de surpêche sont différents en fonction des pêcheries, elle applique le « one size fits all », même réduction d’effort pour tout le monde. Ces mesures sont mal comprises par les acteurs de terrain. De plus, ces réductions touchent les petits bateaux, pas la pêche industrielle. Grâce à leurs lobbies intenses ? C’est évident. Et ces lobbies voient à très court terme. De plus, des investisseurs arrivent dans la pêcherie sans être pêcheurs, comme les Intermarchés en France qui ont
Les droits de pêche seraient-ils une solution ? Ma crainte principale par rapport à ces droits est que cette privatisation de l’accès concentre les droits dans les mains de quelques puissants. Cette convergence a déjà été constatée là où ces droits étaient appliqués. Ces droits divisent les organisations de la société civile. Oui. Des ONG environnementales constatent que la pression sur la pêche a diminué là où des quotas individuels transférables (QIT) étaient instaurés. Mais il nous paraît très difficile de dissocier l’environnement et le social si on veut conserver une pêche côtière viable. Quelles solutions alors ? Nous sommes d’accord d’organiser les conditions d’accès des pêcheries. Élaborons des critères qui relèvent du développement durable : les méthodes de pêche sélective, le nombre et la qualité des emplois créés, la pêche pour consommation humaine, l’utilisation énergétique. Bref, des normes environnementales, sociales et économiques. Ensuite, évaluons les bateaux qui demandent l’accès aux ressources halieutiques en fonction de cette grille de critères. Je ne m’inquiète pas pour la pêche artisanale, elle est la plus compétitive sur la durabilité. Mais cette évaluation ne va-t-elle pas demander une gestion administrative trop lourde aux petites communautés de pêcheurs ? C’est plutôt au niveau des états de contrôler cette grille et d’évaluer à qui octroyer le droit de pêche. J’ajouterai une donnée importante : la pêche durable ne peut s’envisager sans prendre en compte le marché. Or, si on veut que les pêcheurs aujourd’hui prennent moins mais mieux le poisson, si on veut qu’ils vivent de cette pêche de qualité, il faudra payer plus cher notre poisson. C’est inévitable.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
Bonne pêche ou mauvaise pêche ? Initiatives en faveur d’une pêche durable > Qu’est que la pêche durable ?
La FAO encourage la pêche « responsable ». Le Marine Stewardship Council (MSC) prome(u)t une pêche « durable ». Derrière ces différences lexicales, les concepts sont similaires. Protection, conservation et renouvellement des ressources halieutiques et de leurs habitats. Exploiter la ressource de manière à la maintenir disponible pour les générations futures, le tout en préservant autant que possible l’environnement.
> L e code de conduite de la FAO pour une pêche responsable
Initié en 1995 par la FAO, le Code de conduite pour une pêche responsable31 définit des principes pour une pêche responsable, en tenant compte de tous les aspects biologiques, technologiques, économiques, sociaux, environnementaux et commerciaux pertinents. Et de fait, l’approche du Code est holistique. De portée mondiale mais à valeur facultative, il aborde aussi bien la conservation, l’aménagement et le développement de toutes les pêcheries, y compris l’aquaculture. Le Code vise également « la capture, la transformation et le commerce du poisson et des produits de la pêche, les opérations de pêche, l’aquaculture, la recherche halieutique et l’intégration des pêches dans l’aménagement des zones côtières ».
Principaux producteurs mondiaux (2005) 60
31 | h ttp://www.fao.org/DOCREP/005/v9878f/ v9878f00.htm et Qu’est ce que le Code de conduite pour une pêche responsable, FAO, Rome 2001, réimpression 2005, 19 pages.
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source : http://ec.europa.eu
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
Au niveau méthodologique, ce Code englobe la gestion basée sur les écosystèmes32, une approche intégrant la complexité de la dynamique des écosystèmes, les besoins économiques et sociaux des communautés humaines, et le maintien de la diversité, du fonctionnement et de la santé des écosystèmes. S’adressant à des entités étatiques, il encourage la transparence et les consultations. Même s’il prône une participation effective de l’industrie, des travailleurs du secteur, des organisations environnementales et autres organisations intéressées, il n’évoque à aucun moment la pêcherie artisanale ou les pêcheries de petite taille, où l’essentiel des pêcheurs pourtant travaillent. Au contraire, concernant les pays en développement, le Code met plus l’accent sur une pêche massive, appelant chaque acteur à soutenir le renforcement de ces pays dans « leurs possibilités de valoriser leurs propres pêcheries, ainsi que de participer aux pêcheries de haute mer ». Le point est bref, alors que 50% du marché international de poisson provient de pays en développement33. Le Code de conduite pour la pêche responsable avait pour objectif de devenir un document de référence. Il l’est. Il a inspiré le MSC, la PCP et continue à nourrir d’autres documents stratégiques.
EN QUEUE DE POISSON : Le requin
Steven Spielberg et son film « Les dents de la mer » ont intronisé les requins au rang des espèces animales les plus effrayantes pour le genre humain. Impression paradoxale puisque ce sont les requins qui sont menacés d’extinction par l’activité de l’homme. Selon les experts de l’IUCN, des 64 espèces de requins et raies de haute mer (pélagiques), 32% sont menacés d’extinction, principalement à cause de la surpêche. Même le grand requin blanc est considéré
comme « vulnérable ».Les requins sont principalement capturés lors de pêcheries aux thons et à l’espadon pélagiques. Compte tenu de la demande asiatique, leurs ailerons sont alors coupés et souvent, le corps entier de l’animal est rendu à la mer. Selon Greenpeace Canada, « les populations de requins ont été décimées pour n’atteindre que 10% de ce qu’était leur biomasse au début de la pêche industrielle ». Les dents de la mer tombent une à une…
32 | « Gestion écosystémique dans les zones de pêche marines », Planète vivante 2008, www.panda.org/about_wwf/what_we_do/marine/our_solutions/index.cfm 33 | FAO Technical Guidelines for Responsible Fisheries, Responsible fish trade, n° 11, Rome, FAO, 2009, 23 pages.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
> Les labels MSC En 1996, le Marine Stewarship Council (Conseil de bonne gestion des pêches) est créé par deux gros poissons du monde aquatique. D’un côté, le WWF, l’ONG environnementale la plus importante au monde. De l’autre, Unilever, une société de l’agrobusiness qui pesait alors 900 millions de dollars en produits poissonniers et représentait 20% des parts du marché européen et américain des poissons surgelés.
Objectif et critères du label Face à la surpêche et ses conséquences dramatiques, l’éco-label MSC indique aux consommateurs du Nord quelles pêcheries sont exploitées durablement. Le MSC est un certificat obtenu sur une base volontaire, valable cinq ans et ne s’appliquant qu’à la pêche en mer. Il entend encourager les pratiques « responsables, adaptées à l’environnement, et qui prennent en compte les composantes sociales et économiques de ce secteur. Et cela tout en préservant la diversité biologique, la productivité et les processus écologiques de la vie marine34 ». Le MSC est parti de documents existants comme le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO. L’éco-label est basé sur trois principes et 23 critères. Les principes mettent en avant une pratique qui : > évite la surpêche et reconstitue les stocks halieutiques menacés ; > préserve les écosystèmes marins et l’environnement ; > respecte les normes et législations locales. Dans les faits, le MSC est avant tout un label environnemental. Des clauses sociales équitables fortes comme la liberté syndicale ou l’association en coopérative n’y sont pas exigées. La situation des pêcheurs est en fait peu prise en compte. Exception : un des critères spécifie que la gestion de pêcherie devra « respecter les droits légaux mais aussi coutumiers et les intérêts à long terme de tous ceux qui dépendent de la pêche pour leur alimentation et leur gagne-pain, tout en respectant le principe de durabilité économique35 ».
34 | L e Conseil de bonne gestion des pêches, principes et critères pour un système de pêche durable (1997) et MSC Principles and criteria for sustainable fishing (2002), www.msc.org 35 | Id. 36 | M SC, rapport annuel 2007/2008. 37 | E nquête d’opinion sur le commerce équitable et durable auprès de la population belge – Septembre 2009. Enquête réalisée par GfK à la demande du Trade for Development Centre.
La certification garantit à la fois que les produits de la mer proviennent de pêcheries certifiées durables, et que chaque entreprise de la chaîne d’approvisionnement a fait l’objet d’un audit de traçabilité minutieux. Ce qui signifie que ce sont des pêcheries qui ont accès à la certification concernant la capture du poisson, et ensuite des opérateurs pour le traitement de celui-ci jusqu’à votre assiette. Et il est fort possible que votre table ait déjà accueilli un produit MSC, sans même le savoir. Des marques comme Iglo, Mc Cain ou Findus arborent le logo du petit poisson bleu, tandis qu’en Belgique, les Delhaize, les Carrefour et même les Quick proposent des poissons dits durables36. Le succès (au moins commercial) est donc au rendez-vous. Dix ans plus tard, le marché mondial des produits estampillés MSC approche le milliard de dollars. 250 millions de produits MSC sont vendus par an, dans 36 pays. Pourtant, en Belgique, 5% des personnes interrogées seulement connaissent le label MSC37.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
EN QUEUE DE POISSON : Le thon rouge
C’est lui dont la tendre rougeur s’étale sur un lit de riz pour constituer un délicieux sushi. De fait, 90 à 95% de la pêche du thon rouge sont consommés par les Japonais. Mais même s’il se mange cru, il est cuit : compte tenu de sa grande valeur commerciale, les stocks de thon rouge s’amenuisent d’année en année. Ce poisson (qui peut atteindre jusqu’à une tonne) a déjà disparu dans l’ouest de l’océan Atlantique. Il pourrait aussi quitter les eaux de la Méditerranée si sa surpêche ne prend pas fin. Pour Greenpeace, « personne ne connaît exactement le nombre de thons rouges prélevés chaque année en Méditerranée, mais il est clair que les niveaux de capture actuels sont bien supérieurs aux quotas légaux ». Dans ces eaux, le manque de collaboration des acteurs de cette pêcherie et le flou entourant les élevages qui capturent vivants des poissons du stock sauvage rendent impossible la gestion des stocks de thon rouge.
MSC, inadapté à la pêche artisanale au Sud ? Le label MSC a l’avantage d’intégrer les différents acteurs dans la conscientisation et l’action pour une pêche plus durable. Intervenant sur le terrain de la pêche industrielle, il « verdurise » des poissons qui, de toute façon, se serait retrouvés sur les étals des grands centres commerciaux. Dans cette optique, le MSC a rendu plus responsables la production et la consommation mondiale de poisson. Il a aussi amélioré les pratiques des pêcheries et continue à le faire. Cependant, la certification a, dès sa création, essuyé un feu nourri de critiques. En premier lieu, la logique d’un marché qui régulerait par sa demande la « soutenabilité » de la pêche mondiale a rendu sceptiques de nombreux chercheurs et associations de pêcheurs. Ensuite, en modifiant le marché du poisson, ce label a également modifié les conditions d’accès à ce marché. Or, la critique principale à l’encontre de la certification de WWF/Unilever est d’être inaccessible et inadaptée aux pêcheries locales et artisanales du Sud. MSC serait un programme de certification avant tout tourné vers les marchés du Nord, l’exportation. Il constituerait, par sa difficulté d’accès, une forme de protectionnisme vert vis-à-vis des productions du Sud, privées des débouchés des pays dits industrialisés. Les faiblesses institutionnelles au Sud et le coût pour accéder à la certification seraient autant d’obstacles, le prix avoisinant les 35 000 dollars pour une petite exploitation. « Le prix de la certification couvre le temps et les voyages des enquêteurs impliqués dans le processus », explique Oluyemisi Oloruntuyi, responsable MSC pour les pêcheries dans les pays en voie de développement. Qui précise par ailleurs que MSC ne prend pas en charge la certification et les détails du coût sont des informations à obtenir auprès des organismes de certification. « Cependant, le coût de la certification est en général en corrélation avec la taille et la complexité de la pêcherie à certifier. Plus la pêche est petite, plus le coût est supposé l’être. »
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
En Afrique du Sud, une étude sur l’application du MSC dans l’industrie de la pêche du pays conclut que « les pêcheries des pays en développement, et principalement celles de petite taille, ont été marginalisées par le système MSC ». L’approche managériale de la certification et le non-respect de ses principes minent le MSC, qui, selon l’auteur Stefano Ponte, doit revenir aux fondements mêmes de la démarche : atteindre les principes de durabilité dans des conditions locales et économiques spécifiques, en soutenant et non en sanctionnant le producteur. Sans cette orientation, « le MSC et les initiatives similaires continueront à mettre la “durabilité” au service des intérêts commerciaux38 ». Selon Charles Braine, responsable de la mission Océans et Côtes, WWF France, « le MSC évolue, intègre les remarques, s’améliore. Il a aujourd’hui pris en compte les pêcheries artisanales ne bénéficiant pas de données scientifiques sur leur production ». De fait, les responsables du label ont reconnu que leur exigence de méthodologie et d’évaluation empêchait les pêcheries artisanales de postuler pour le programme MSC. Aussi, de nouvelles « lignes directrices pour l’évaluation des pêcheries artisanales et qui disposent de peu de données » ont été mises au point (GASSDD - Guidelines for the Assessment of Small-Scale and Data-Deficient fisheries). Elles s’appuient sur l’évaluation des risques de la pêche (MSC Risk-Based Framework). Des essais de GASSDD sont en cours entre autres en Argentine, en Équateur, au Pérou, en Gambie et en Mauritanie39. Oluyemisi Oloruntuyi souligne que le conseil d’administration40 MSC a approuvé en juin 2009 que le “Risk Based Framework” intègre formellement la méthodologie de reconnaissance pour la certification. Au final, Charles Braine regrette ces critiques qui visent à nuire au MSC : « Aujourd’hui, au niveau mondial, le MSC est ce qui se fait de mieux en termes d’éco-label pour les pêches. »
38 | Stefano Ponte, Senior Researcher in Danish Institute for International Studies, « Ecolabels and fishtrade : Marine Steward Council certification and the South African hake industry », Working Paper, n°09/2006, August 2006. 39 | MSC, rapport annuel 2007/2008. 40 | Board of Trustees.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
Poisson Pilote : Gilles Hosch
expert en planification et gestion des pêches
Le Code de conduite de la FAO est en place depuis 14 années et les ressources halieutiques sont toujours aussi malmenées, un échec ? Le Code de conduite de la FAO est un instrument extrêmement important et son impact est considérable. C’est un instrument politique structurant, le seul au niveau international qui définisse les éléments minimaux pour une approche responsable et durable de la gestion des pêches. Il n’existe pas d’autres référentiels d’une telle universalité, applicabilité et autorité. Bien qu’il s’adresse à tous les acteurs de la pêche, il faut rester réaliste. Là où les gouvernements ne parviennent pas à mettre en place un cadre réglementaire solide qui garantit la durabilité économique et écologique de la pêche, le Code n’y parviendra pas non plus. Les gouvernements nationaux sont les acteurs principaux de cet enjeu. Depuis 14 ans, le Code leur a servi à définir et à mettre en place des politiques de la pêche cohérentes. Quasi tous les textes contraignants post-95 font référence au Code. Chercher à forcer la main en 1995 aurait probablement envoyé le texte dans les abysses des bonnes intentions. Sa nature non contraignante, de « sage », est une de ses forces principales. La lenteur apparente de son application et la crise mondiale dans le secteur de la pêche sont à attribuer à des gouvernements incapables de faire leur boulot. Mais le Code n’oublie-t-il pas d’énoncer, dans ses principes, les dimensions sociales et culturelles du Sud ? Non. Il mentionne les droits et intérêts des petits pêcheurs dans son premier chapitre portant sur les principes fondamentaux. Ce qui est vrai par contre, c’est que le Code a été rédigé avec les pêches en haute mer en tête. Au moment de sa rédaction, celles-ci se développaient de manière incontrôlée, et un des objectifs était de contrôler ce phénomène. Cependant, les principes de la bonne gestion sont valables tant pour les pêches industrielles
que pour les pêches de subsistance, artisanales et continentales. Et ce n’est pas une question Nord-Sud : les dimensions sociales et culturelles ne sont pas moindres en France ou en Islande qu’elles ne le sont au Sénégal ou à Tonga. L’application du Code est désagréable partout parce qu’il s’agit de rompre avec le passé, la culture du libre accès, et la mentalité du « gold rush ». Il s’agit d’inscrire les pêches dans une approche cartésienne de ressources proprement gérées, et d’amener les acteurs à changer certains aspects de la « culture de la pêche » d’antan – Nord et Sud confondus. Le contrôle des océans reste un challenge. Des mesures techniques contraignantes, comme les zones de pêche artisanales exclusives, sont-elles effectivement réalisables, voire souhaitables ? Si nous voulons une pêche durable, il faudra des cadres de gestion structurés et suivis. La vraie question concerne les besoins de suivi, de contrôle et de surveillance. En 2007, la Cour des auditeurs européenne a arrêté que les états membres n’avaient pas mis en place les structures et processus de base permettant le suivi effectif des TAC et quotas européens – pièces cardinales de la PCP. Des pays comme le Mozambique et Madagascar ont déterminé des zones exclusives pour la pêche artisanale ; dans l’exemple de ces deux pays, sur une longueur de côte combinée de 8 000 kilomètres, soit un cinquième du périmètre de notre planète ! Ces pays n’ont pas les capacités d’appliquer cette mesure. Or, une mesure qui n’existe que sur papier fragilise la solidité du cadre dans son ensemble. Attention donc aux bonnes intentions. Oui à des contrôles, mais de manière structurée et réaliste. Autre outil de référence : le MSC. Il est l’objet de nombreuses critiques. Justifiées ? Oui et non. Les premiers coupables de l’effondrement des stocks sont les grandes pêches industrielles. Donc, le MSC visait avant tout à créer un label pour inciter ces grandes sociétés à mieux gérer leurs affaires. Si le MSC peut « verduriser », conscientiser cette pêche industrielle, ce sera une victoire. Cependant, le MSC est aussi une « boîte » qui vit des rentrées qu’elle génère à travers la certification des pêches. Et les certifications sont très chères, à tel point que même des exploitations certifiées du Nord se demandent si ça vaut le coup de maintenir la certification. De plus, tout label, pour fonctionner, doit avoir une base de consommateurs avertis et sensibles à la cause, ce qui n’est toujours pas le cas en Europe. Faut-il réformer la certification alors ? Je crois qu’une des meilleures solutions serait d’établir le MSC en tant que Fondation (Trust Fund) et d’avoir une certification non payante.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
Les autres labels > Naturland Fondée en 1982, l’association pour l’agriculture organique Naturland compte plus de 44 000 membres à travers le monde proposant leurs produits bio, du café mexicain à l’huile grecque, en passant par les épices sri-lankaises. Parmi les produits Naturland : la perche du Nil41. L’organisation allemande voulait certifier son poisson durable, vendu avant tout en Allemagne et en petites quantités en Italie. Le MSC ne suffisait-il pas ? « Les programmes de pêche tels que le Marine Stewardship Council avaient des lacunes sur la certification de petites pêcheries artisanales, a expliqué le docteur Stefan Bergleiter, responsable Organic Aquaculture & Wild Fish pour l’organisation allemande. Naturland a décidé que cela valait la peine d’investir cette niche et de mettre sur pied un programme de certification pour les pêcheries à petite échelle42 ». Lancée en juillet 2007, la certification « Naturland Standards for Sustainable Capture Fishery » couvre les huit sites de débarquement dans la région ouest du lac Victoria (Tanzanie). Similaire aux standards MSC d’un point de vue environnemental, Naturland a ajouté des critères sociaux et équitables. Ainsi, la certification a organisé une échelle de calibration pour assurer aux pêcheurs un prix correct en fonction du poids de leur poisson. Mieux, le « Naturland Standards for Sustainable Capture Fishery43 » favorise les principes de démocratie de base. Aussi, ses standards sociaux stipulent que « tous les travailleurs ont le droit de liberté syndicale. Ils ont accès à de l’eau potable et à des soins de première urgence. Ils bénéficient de contrats. Les prix minimum sont régis par la loi nationale. » Par ailleurs, des programmes d’éducation et d’information sur la santé, la sécurité, ou encore la prévention de la malaria ou du SIDA seront proposés aux travailleurs. Cette certification, qui remplit les trois piliers du développement durable, concerne près de mille pêcheurs en Tanzanie.
> AquaGAP (IMO) Depuis début 2009, l’aquaculture peut obtenir une nouvelle certification : l’AquaGAP44. Celle-ci aboutit au bout d’une phase de trois ans pendant laquelle le producteur doit progressivement remplir les exigences du label. L’AquaGap assure la traçabilité du produit, une qualité à chaque stade de production, veille à un impact environnemental minimal, et porte une attention particulière aux écosystèmes entourant la ferme piscicole. 41 | h ttp://www.naturland.de/8496.html 42 | “ Lake Victoria fishery project launched”, April Forristall, SeafoodSource, 28 avril 2009. 43 | « Naturland Standards for Sustainable Capture Fishery Naturland », Naturland – Association for Organic Agriculture, novembre 2008, http:// www.naturland.de/fileadmin/MDB/documents/ Richtlinien_englisch/Naturland-Standards_ Sustainable-CaptureFishery_2008-11.pdf 44 | h ttp://www.aquagap.net
Au niveau environnemental, le standard intègre des aspects comme l’efficience en utilisation d’énergie et d’eau. Si AquaGAP n’exige pas une nourriture bio pour les poissons, le label veille à ce que les protéines marines proviennent de sources durables. Concernant les droits économiques et sociaux, la certification prévoit la formation des ouvriers à diverses matières, l’interdiction de travail des enfants, le refus de toute discrimination. Par ailleurs, « l’employeur autorisera et encouragera les activités associatives et les négociations collectives ».
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Contrairement à Soil Association et Naturland qui proposent essentiellement des produits sur des marchés nationaux, le nouveau né AquaGAP affiche des ambitions planétaires. Il s’adresse à tous les acteurs de la chaîne de production. Pensé de manière générique, le programme ne se limite ni à des régions spécifiques, ni à des espèces précises. Ainsi, la qualité AguaGAP sera reconnaissable par tout professionnel de la pêche et par le client final. Une telle assurance peut s’expliquer par l’origine des parents du nouveau venu. Si le label appartient à l’association suisse Bio-Foundation qui en assure la gestion, il a été développé par l’Institute of Marketecology (IMO). Depuis 1990, l’IMO distille son savoir de certification à travers le monde. Il s’agit de l’agence la plus renommée en la matière. La première compagnie certifiée AquaGAP s’appelle Vinh Hoan, une ferme vietnamienne de pangasius. Ce producteur a été suivi pendant deux ans, améliorant progressivement ses points critiques et renforçant ses bonnes pratiques en aquaculture. À ce jour, neuf autres sociétés naviguent dans les eaux du processus d’obtention de la certification AquaGAP.
> Soil Association organic standards (aquaculture) La Soil Association est une organisation britannique fondée à la fin de la seconde guerre mondiale par un groupe de scientifiques, nutritionnistes et fermiers. Inévitablement, ce type d’équipage déboucha sur la promotion d’une agriculture organique. Même si, depuis, elle a été rejointe par de nombreuses autres associations sur ce terrain fertile, la Soil Association se présente comme la plus importante organisation britannique impliquée dans la production biologique, avec une équipe de 200 personnes travaillant comme inspecteurs de certification à travers le pays. Car de fait, l’organisation anglaise certifie. Elle certifie même qu’elle a les standards les plus compréhensibles et les plus exigeants au monde pour la production biologique. Plus de 80% des produits bio de Grande-Bretagne portent le symbole de Soil Association. Soil Association a mis sur pied des standards couvrant une production organique piscicole de poissons et crustacés. Ces principes visent à développer des écosystèmes aquatiques durables et rentables, à améliorer la qualité de l’eau, et à respecter les besoins des autres vies aquatiques. Des contrôles réguliers enregistrent et vérifient notamment les paramètres détaillés de la qualité de l’eau. Soil Association prend particulièrement soin de la vie animale. Dans le cadre de l’aquaculture, les standards vont jusqu’à stipuler qu’il faut favoriser le bien-être des animaux en évitant la malnutrition et la faim, l’inconfort physique et les températures extrêmes, les blessures et maladies, la peur et le stress, et enfin les restrictions de comportement. Des consignes additionnelles sont prévues pour différentes espèces comme le saumon atlantique, la truite, l’omble, la crevette, la moule ou la carpe45.
45 | www.soilassociation.org
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> Aquaculture durable Regardant les mers se vider de poissons un peu plus chaque jour, le secteur de la pêche a vu dans l’aquaculture la solution à tous ses problèmes. Puisque les poissons désertaient les eaux sauvages, les pêcheurs deviendraient bergers et élèveraient leurs bans halieutiques en batterie, dans des aires aquatiques artificielles créées par l’homme. L’option paraissait séduisante. Les stocks sont contrôlés, les écosystèmes marins ne sont pas ou peu perturbés, les ressources naturelles peuvent souffler pendant que la production en aquaculture alimente le marché du poisson. Et ce dans des proportions de plus en plus remarquables. Ichiro Nomura, sous‑ directeur général du Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, le soulignait en ouverture du rapport sur La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 200846 : « Nous sommes peut-être sur le point de franchir un cap important. Après une croissance soutenue, en particulier au cours des 40 dernières années, le secteur de l’aquaculture est, pour la première fois, en passe de produire la moitié du poisson consommé dans le monde ». Cependant, régler la question des ressources halieutiques mondiales en se tournant vers l’élevage pose plusieurs questions. D’abord au niveau des océans et des mers, le problème reste entier. Des espèces disparaissent, d’autres sont menacées. Les acteurs de la pêche ne peuvent pas évacuer cette énorme perte de biodiversité sous prétexte que le marché du poisson a trouvé une nouvelle manne aquatique à exploiter. De plus, si certaines espèces offrent des facilités d’élevage en aquaculture comme la crevette pattes blanches, toutes ne se prêtent pas aussi docilement à patauger dans un bassin.
EN QUEUE DE POISSON : Le saumon d’Atlantique
Bien qu’il ait disparu de 309 rivières d’Europe et d’Amérique, le saumon d’Atlantique a été classé par l’IUCN dans la catégorie des poissons dont la menace d’extinction est faible. Certes, l’intense aquaculture de ce poisson laisse à penser qu’il ne disparaîtra pas de sitôt. Pourtant, cette préservation d’une espèce « en cage » pourrait conduire à sa perte. Greenpeace et WWF soulignent que les saumons d’élevage, qui grandissent dans des filets plongés en rivière ou en mer, peuvent, en s’en échappant, transmettre des maladies et parasites au saumon sauvage, avec pour résultat final l’extinction de ce dernier. Pour éviter pareil désastre,
les élevages doivent en principe se tenir à distance d’une rivière à saumons, mais les consignes sont peu respectées. Autre problème des salmonicultures souligné par Greenpeace, « il faut de 2,5 à 5 kg de poissons sauvages pour produire 1 kg de saumon d’élevage ». Plutôt que de réduire la pression sur les ressources halieutiques, l’élevage de saumons l’augmenterait ! À noter que le Guide de consommation de poissons créé par WWF fait une différence entre saumon d’élevage (à consommer avec modération) et saumon sauvage (à éviter).
46 | La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2008, FAO, Rome, 2009.
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Enfin, l’aquaculture n’est pas à l’abri de gâchis environnementaux et d’abus sociaux. Comme tout secteur, une fois que la demande devient massive, entraînant une production intensive pour répondre à la demande du marché, des risques de débordements existent. Selon Greenpeace, l’aquaculture serait une « fausse solution à la surpêche ». Raisons invoquées : les poissons en cage, carnivores, dévorent la mer (voir l’encadré « Saumon d’Atlantique »), une énorme quantité de déchets est rejetée dans l’eau de façon concentrée (« l’ensemble des fermes d’élevage de saumon en écosse rejettent par jour autant de déjections que les 600 000 habitants d’Édimbourg »), et enfin, à cause de l’utilisation massive d’antibiotiques, les poissons d’élevage, immunisés mais porteurs de germes fatals, transmettent des maladies aux poissons sauvages47.
Production aquacole totale par État membre (2005) LV
MT
EE
SK
SI
BE
LT
CY
AT
542
555
736
955
1 200
1 536
2 013
2 333
2 420
769
2 122
4 313
1 714
2 773
3 292
4 197
14 243
8 772
PT
SE
BG
RO
HU
FI
PL
CZ
DK
3 145
5 880
6 485
7 284
13 661
14 355
20 455
36 607
39 012
7 678
16 818
32 971
13 002
26 292
41 219
35 296
65 621
98 364
NL
UK
44 685
60 050
68 175
106 208
172 813
180 943
221 927
258 480
EU-27 1 272 455
127 314
106 416
96 192
345 490
497 822
476 267
280 433
555 294
2 864 685
DE
IE
EL
IT
FR
ES
source : http://ec.europa.eu
L’organisation environnementale internationale ne jette pas pour autant le poisson avec l’eau de l’élevage. Elle propose plusieurs pistes48 pour que l’industrie de l’aquaculture épouse un fonctionnement plus durable. Parmi ses propositions, la production de plantes riches en protéines pourrait suppléer à une nourriture carnivore, moins soutenable car dépendant de la surpêche. Greenpeace cite également les labels privés ou publics des aquacultures, mais la piste la plus intéressante semble se trouver dans le « modern integrated multi-trophic aquaculture (IMTA) systems ». En décodé : la polyculture aquatique avec des espèces appartenant à différents niveaux de la chaîne alimentaire. Poissons, crevettes, algues, mollusques se rendent mutuellement service dans un cycle environnemental vertueux. Greenpeace cite l’exemple de la société israélienne SeaOr Marine Enterprises qui organise une aquaculture avec des poissons de mer, des algues et des ormeaux japonais (mollusques). Les déchets de la culture de poissons nourrissent la croissance des algues qui, à leur tour, servent d’aliments pour les ormeaux. Le système IMTA réduit les coûts environnementaux de l’aquaculture. Au Danemark, utiliser cette technique est devenu une condition pour obtenir la licence d’exploitation d’aquaculture. 47 | http://www.greenpeace.org/raw/content/france/presse/dossiers-documents/et-ta-mer-t-y-penses.pdf 48 | « Challenging the Aquaculture Industry on Sustainability », Greenpeace, 28 juin 2008.
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> P êche artisanale et organisations de pêcheurs Importance de la pêche artisanale La pêche artisanale offre aux habitants côtiers du Sud un débouché évident. Ainsi, la pêche artisanale mondiale fournit plus de 80% des emplois directs et indirects qui se créent dans le secteur halieutique. De plus, ce travail à petite échelle présente des avantages indéniables sur la pêcherie industrielle. Développant des prises plus axées sur la qualité que sur la quantité, équipée de systèmes plus légers, la pêche artisanale a une qualité de capture dont ne peuvent se prévaloir les gros chalutiers. Le Courrier ACP-UE fournit un exemple de ce constat : « En 2005, le poulpe pêché par la pêche artisanale mauritanienne se vendait à un prix supérieur de 200 dollars/tonne au prix de celui capturé par les chalutiers congélateurs. En ce qui concerne les poissons nobles de fond, seuls les produits artisanaux fournissent la qualité requise pour l’exportation en frais vers l’Europe, atteignant un prix moyen de 4,5 euros le kilo, alors que les mêmes poissons congelés de la pêche industrielle sont à moins de 2 euros le kilo49. » Cette pêche nourrit aussi les populations. Ainsi, en Afrique subsaharienne, la pêche artisanale assure jusqu’à 80% des débarquements de poisson destiné à la consommation humaine directe. Certes, tout n’est pas parfait dans la meilleure des mers. La pêcherie artisanale connaît des problèmes de stockage, de propreté au niveau des sites de transformation, ou au niveau des emballages des marchandises. 49 | D ebra Percival, « La pêche artisanale ACP : la plus performante pour répondre aux défis du nouveau millénaire », Courrier ACP-UE, avril/mai 2008. 50 | N ote d’information de ICSF-WFFP à l’intention des délégués à la 28e session du Comité des pêches (COFI) de la FAO, Rome, mars 2009.
EN QUEUE DE POISSON : La dorade (rose)
Pourtant, à l’emploi, le travail de qualité et la nourriture pour le Sud, il faut encore ajouter comme avantage un respect plus prononcé de l’environnement. La pêche artisanale sollicite moins les ressources naturelles, ses techniques de pêche sont plus sélectives, et sa consommation d’énergie par unité de poisson capturé est moindre50.
Ce poisson à la chair fine et parfumée est très apprécié par les gourmets. Les enfants de ceux-ci risquent cependant de devoir se contenter de FishSticks… La dorade rose a disparu, ou presque, du golfe de Gascogne, par exemple. Ces poissons sont fragiles et très vulnérables à la surpêche pour plusieurs raisons : ils se déplacent en vastes bancs, ce qui facilite leur capture. De plus, la dorade est
hermaphrodite et un équilibre harmonieux doit subsister entre le nombre de sexes mâles et femelles dans le banc pour assurer la reproduction. Les captures perturbent cette harmonie. Enfin, la croissance de ce poisson est lente. Une dorade rose prend cinq ans pour atteindre une taille de 50 cm. Pas sûr que pêcheurs et consommateurs aient la patience (et la chance) de la voir grandir.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
EN QUEUE DE POISSON : Le carrelet
Ce nom ne vous dit rien ? Ce poisson, très sensible à la pollution, est pourtant pêché en mer du Nord. Il est cependant plus connu sous nos l atitudes sous le nom de « plie ». Selon le WWF, la plie en mer du Nord, pêchée aux chaluts à perche ou aux chaluts de fond, « est surtout victime de prises accidentelles au cours de la pêche de la sole, la taille des mailles étant adaptée à celle-ci ». Selon Greenpeace, « plusieurs stocks sont menacés de surpêche et de capacité de reproduction réduite. D’autres ne sont même pas évalués. Les carrelets de grande taille sont désormais très rares ».
Priorités aux organisations de pêcheurs Si la pêche artisanale a donc un rôle important à jouer dans le développement et le bien-être à la fois des populations du Sud et des ressources halieutiques, son sort est peu pris en compte dans les négociations internationales concernant les pêches. Aussi, le secteur s’est organisé pour défendre ses droits. Lors de la Conférence mondiale sur la pêche artisanale organisée par la FAO en Thaïlande en octobre 2008, les acteurs de la société civile de la pêche ont mis au centre du débat la question des droits humains dans la pêche. Ils ont publié une Déclaration qui part du principe suivant : « Les droits humains des communautés de pêcheurs sont indivisibles et le développement de pêches artisanales et autochtones responsables et durables n’est possible que si leurs droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels sont pris en considération de façon intégrée. » Les organisations de pêcheurs insistent sur l’importance de leurs activités pour améliorer également leurs liberté, bien-être et dignité. Si la Déclaration pose des revendications corporatistes (comme le développement de zones économiques exclusives – ZEE – pour leur pêche), elle réclame également la protection des identités culturelles et des droits traditionnels, l’accès à l’eau potable, le droit à la sécurité sociale, le droit des femmes, la prévention de catastrophes naturelles ou encore l’éducation et la prévention et le traitement du SIDA51 !
51 | D éclaration de Bangkok sur la pêche artisanale, Atelier de la société civile, 11-13 octobre 2008, déclaration présentée le 18 octobre lors de la Conférence mondiale sur la pêche artisanale.
L’approche des organisations est fondamentalement globale. À travers ces nombreuses attentes, les communautés de pêche signifient aux décideurs que la pêche est bien plus qu’une activité économique. Elle est une partie intégrée à des existences côtières et les missions qu’elle doit remplir dépassent de loin la simple question de subsistance financière.
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Des organisations du Sud Le secteur associatif et les pêcheurs du Sud se sont organisés et mobilisés surtout depuis les années 90, suite à l’épuisement catastrophique des ressources de la mer. Ces dynamiques existent sur les trois continents du Sud et tissent des liens pour dégager des positions communes. Ainsi, la Déclaration de Bangkok est le fruit de concertations et conclusions des ateliers régionaux organisés à Siem Reap (Cambodge, 2007), à Zanzibar (Tanzanie, 2008), et à Punta de Tralca (Chili, 2008). Parmi ces associations actives au Sud, le Collectif international d’appui aux travailleurs de la pêche (ICSF) est incontournable. Cette ONG dédiée à la pêche artisanale tente de replacer, depuis 1984, les pêcheurs du Sud au centre des débats. Basée en Inde, l’organisation fonctionne comme un formidable secrétariat pour les pêcheurs du monde entier. Elle met sur pied campagnes et revendications du secteur ainsi que des échanges de savoirs entre regroupements de pêcheurs. L’ICSF fournit aussi de nombreuses informations via ses diverses recherches et publications dont le magasine Samudra, existant en trois langues. Toujours en Asie, la National Fisheries Solidarity Organization (NAFSO) est une association qui fédère dix organisations de pêcheurs du littoral et de l’intérieur du Sri Lanka. Elle défend ses membres en les sensibilisant aux bonnes pratiques de pêche, en dénonçant par exemple la pêche à la dynamite. Elle travaille avec des équipes de volontaires à Kalutara (ouest), Galle (sud), Matara (sud), Trincomalee (est) et Jaffna (nord). Le Conseil national interprofessionnel de la pêche artisanale au Sénégal (CONIPAS)52 se présente comme une interprofession qui regroupe les cinq grandes fédérations exerçant dans la pêche artisanale. Lancé en 2003, le CONIPAS se centre sur la pérennisation des ressources de la pêche artisanale, les conditions de travail de la profession ainsi que l’amélioration des performances de la transformation et de la commercialisation. Cette organisation faîtière participe entre autres aux négociations entre l’UE et le Sénégal pour les accords de pêche. Elle se préoccupe de toute la filière du commerce du poisson. Lors d’une intervention aux « Sommets des produits de la pêche » (Barcelone, 27-30 janvier 2008), le vice-président de la CONIPAS évoquait aussi bien les consommateurs que les organisations de chauffeurs de camions frigorifiques. Au Chili, la Confédération nationale des artisans-pêcheurs du Chili53 (CONAPACH), organisée en 14 fédérations régionales et réunissant plus de 20 000 pêcheurs, soutient le développement organisationnel de communautés côtières. Le mouvement coordonne aussi le réseau des femmes de la pêche artisanale. Entre 1986 et 1991, la CONAPACH a créé des écoles de dirigeants syndicaux et un centre d’éducation, le CEPIDAC (Corporación para la Educación Desarrollo e Investigación de la Pesca Artesanal de Chile), venant renforcer les associations de pêcheurs par la formation, l’information et le soutien technique, notamment dans l’exploitation responsable des écosystèmes marins.
52 | http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/8-1-peche-initiatives.pdf 53 | http://www.conapach.cl/
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
Poisson Pilote : Sebastian Matthew,
secrétaire exécutif de l’International Collective Support of Fishworkers, basé à Chennai (Inde)
La situation des océans est dramatique. Vous pensez que la pêche artisanale a sa part de responsabilité ? On ne peut pas parler d’enjeux mondiaux et de pêches artisanales de manière globale parce que les situations sont très différentes en fonction des endroits et des pratiques de pêche. Certains pêcheurs pratiquent leur profession près de la côte tandis que d’autres s’éloignent de 70 kilomètres des côtes. Certains ciblent le thon, d’autres pas. Il y a donc différents segments regroupés dans le terme « pêche artisanale » et vous avez besoin de réponses locales à des enjeux locaux. La réponse peut devenir nationale quand il existe un conflit entre pêcheurs. Et elle sera internationale quand ce conflit éclate entre pêcheurs de différents pays se trouvant dans des eaux nationales adjacentes, comme c’est le cas avec l’Inde et le Sri Lanka ou la Thaïlande avec la Malaisie. Le plus important est de fournir une réponse adéquate à un problème spécifique. Pour être entendu au niveau international, il est tout de même important pour ces pêcheurs d’être organisés ? Avant tout, ICSF n’est pas une association de pêcheurs ; nous sommes une ONG qui soutient les organisations de pêcheurs de différents pays, nous relayons leur parole dans des rencontres internationales. Sinon oui, c’est important. Nous influons sur la rédaction d’accords internationaux importants comme le « UN Fish Stock Agreement ». Si vous lisez cet accord, vous verrez que la problématique de la pêche artisanale, à petite échelle, a été prise en compte. Les organisations de pêcheurs sont partout dans le Sud ? Oui. En Asie, ces organisations existent en Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande, aux Philippines et en Indonésie. En Afrique, elles sont en Afrique du Sud et sur la côte Ouest, au Ghana, en Guinée, au Sénégal. Dans ce pays, les associations de pêcheurs sont puissantes. Je veux dire par là qu’elles sont capables d’influencer les politiques nationales de pêche. En Amérique latine, il y a des organisations au Brésil, au Pérou et au Chili. Est-ce suffisant pour affronter la pêche industrielle ? Je ne suis pas inquiet. Ma lecture de la situation est que la pêche industrielle est sur le déclin. Si vous parcourez les derniers rapports des mers de la FAO 2006 et 2008, vous constaterez que le nombre de gros navires industriels chute. Et dans les 20 prochaines années,
cette industrie continuera à décliner un peu plus. Mais il est juste de préciser que ce sera aussi le cas pour les petits bateaux non motorisés. Les navires de 70-80 mètres disparaîtront mais également ceux de 10-20 mètres. Aussi, dans le futur, la pêche artisanale à petite échelle va jouer un rôle important dans les captures de poissons. Et ce qui m’intéresse est de faire de cette petite pêche une pêche encore plus responsable dans les années à venir. Le MSC est-il une solution ? Ils affirment avoir changé et prendre en compte la pêche artisanale. Vous êtes d’accord ? Non. Je ne connais pas un exemple dans un pays en développement où cette certification aurait été bénéfique pour la pêcherie artisanale. Un des problèmes est leurs attentes de données et d’informations à propos des pêches à certifier. MSC n’est pas, contrairement à ce qui est dit, un adjuvant pour transformer les pêcheries en modèles plus durables. C’est une reconnaissance du fait que vous êtes déjà durable. Pour utiliser une métaphore, MSC est comme un prix que vous gagnez pour avoir couru le 100 mètres en moins de 10 secondes. Tous ceux qui le feront auront un prix, mais vous ne pouvez pas aller dans n’importe quel village et dire à un type que s’il court son 100 mètres en moins de 10 secondes il aura un prix. C’est absurde. En d’autres mots, si votre pêcherie est déjà bien gérée, vous bénéficierez de la certification MSC. Maintenant, MSC a développé un « Risk-Based Framework for data-poor fisheries ». Les pêcheries de sardines à l’huile du Kerala (Inde) sont un des cas testés sous ce programme mais rien n’a encore émergé, il n’y a pas de signe que cette pêcherie sera certifiée, même un an après avoir pris un engagement de risques. Les standards pour les pêcheries artisanales s’inscrivent dans des processus intensifs et ne semblent pas bénéficier aux pêcheurs locaux qui veulent certifier leurs poissons sur le marché international. De plus, les bénéfices de cette certification ne justifient pas les coûts engagés pour adopter le processus proposé par MSC. Aux Maldives, vous parviendrez à certifier le thon bonite, mais globalement, MSC ne sera pas de grande utilité pour les pêcheries multi-espèces du monde en développement54. L’aquaculture durable alors, un débouché pour les pêcheurs du Sud ? Pas vraiment. D’abord, ce n’est pas une solution pour l’emploi. Pour 5 ou 10 emplois créés à la pêche de capture, vous créerez un job en aquaculture. Mais surtout, le pêcheur est un chasseur comme l’aquaculteur est un fermier. Ce n’est pas le même travail. Il y a bien des programmes en Chine et au Vietnam qui transforment avec succès les pêcheurs en fermiers de poissons, mais ce qui est fait dans une économie centralisée par décret ne peut pas être répliqué facilement partout ailleurs. Vous devez offrir des formations, modifier la mentalité du pêcheur, ce qui prendra du temps dans la plupart des pays.
54 | A cette critique, le Dr Oluyemisi Oloruntuyi, responsable MSC pour les pêcheries dans les pays en voie de développement, reconnaît que MSC est une reconnaissance et non un processus qui mène vers la bonne gestion. Cependant, la réussite commerciale des pêcheries MSC incite des associations partenaires à mener des programmes pour améliorer leurs performances et atteindre ainsi la certification.
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Bonne pêche ou mauvaise pêche ? - Initiatives en faveur d’une pêche durable
> La consommation citoyenne Vous voilà devant l’étal de votre poissonnier, devant de défunts habitants de la mer couchés sur le lit de glace. Comment opter pour un poisson dont la consommation ne soutiendra ni la surpêche, ni la pression sur la pêcherie artisanale, ni une pression sur l’environnement ? La mission est quasi impossible, aucune production et aucun label ne garantissant à la fois une pêche soutenable et une prise en compte des intérêts sociaux et culturels des pêcheurs. Une exception très spécifique : la perche du Nil de Naturland. En aquaculture, les poissons sortis d’une eau gérée selon le système IMTA proposent les avantages environnementaux les plus convaincants, mais rien ne laisse présager d’une attention sociale particulière aux conditions des travailleurs. Concernant la surpêche, le label MSC, loin d’être la panacée, a le mérite d’influer dans le bon sens sur les pratiques de la pêche industrielle. Autre geste responsable : éviter de consommer les poissons pendant leur période de reproduction, et refuser toutes les prises dites juvéniles, à savoir avant la croissance adulte du poisson. Pareil engagement est particulièrement difficile à tenir pour tous les poissons, il faudrait alors retenir à la fois leur taille adulte ainsi que leur période de reproduction. Peut-être chacun peut-il mémoriser ces données pour son poisson préféré… Solution plus simple et qui a le mérite de la clarté : ne pas manger les poissons dont l’espèce est menacée. Tant WWF que Greenpeace ont publié de petits guides pour vous éviter de participer à la disparition d’un poisson. Le Guide WWF distingue les poissons issus d’aquaculture et ceux issus de la mer. À vous d’éviter l’arête fatale. WWF : www.pourunepechedurable.fr/GUIDE_POISSON.pdf Greenpeace : www.greenpeace.org/raw/content/france/presse/dossiers-documents/peches-conduites-dangereuses.pdf
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Références & Bibliographie
> L affoley, D. d’A. (éd.), Towards Networks of Marine Protected Areas. The MPA Plan of Action for IUCN’s World Commission on Protected Areas, IUCN WCPA, 2008, Gland, Switzerland, 28 p. > L a situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2008, Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, Rome 2009. > L a politique commune de la pêche, guide de l’utilisateur, Communautés européennes, Belgique, 2009, p. 27. > L ivre vert, Réforme de la politique commune de pêche, Bruxelles, 22 avril – http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/ LexUriServ.do?uri=COM:2009:0163:FIN:FR:PDF > w ww.greenpeace.org/raw/content/france/presse/ dossiers-documents/reforme-de-la-politique-commun.pdf > Q u’est ce que le Code de conduite pour une pêche responsable, FAO, Rome 2001, réimpression 2005, 19 p. > F AO Technical Guidelines for Responsible Fisheries, Responsible fish trade, n° 11, Rome, FAO, 2009, 23 p. > L e Conseil de bonne gestion des pêches, principes et critères pour un système de pêche durable (1997) et MSC Principles and criteria for sustainable fishing (2002), www.msc.org > E nquête d’opinion sur le commerce équitable et durable auprès de la population belge – Septembre 2009. Enquête réalisée par GfK à la demande du Trade for Development Centre. > « Naturland Standards for Sustainable Capture Fishery Naturland », Naturland – Association for Organic Agriculture, novembre 2008, www.naturland.de/fileadmin/ MDB/documents/Richtlinien_englisch/NaturlandStandards_Sustainable-CaptureFishery_2008-11.pdf > www.aquagap.net > « Challenging the Aquaculture Industry on Sustainability »,Greenpeace, 28 juin 2008.
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Trade For Development centre : présentation
Trade for Development Centre Le Trade for Development Centre est un programme de la CTB (l’Agence belge de développement) pour la promotion d’un commerce équitable et durable avec les pays en voie de développement.
Les 3 axes de travail du Centre
> centre d’expertise C’est le centre d’expertise sur les thématiques d’aide au commerce, commerce équitable et commerce durable. Collecte, analyse et production d’information (enquêtes d’opinion auprès des consommateurs, études de marchés,...) Animation d’un groupe de travail au sein de la plate-forme d’appui au secteur privé « Entreprendre pour le développement ».
> appui aux producteurs Le Trade for Development Centre est un outil d’appui aux organisations de producteurs. Il soutient les producteurs marginalisés, les micros et petites entreprises ainsi que les projets d’économie sociale inscrits dans des dynamiques de commerce équitable et durable. Renforcement des capacités organisationnelles, techniques et productives Transmission d’informations pertinentes (sur les marchés, les certifications disponibles,...).
> sensibilisation Le Centre met en place des campagnes de sensibilisation à destination des consommateurs (Semaine du commerce équitable), des acteurs économiques et des pouvoirs publics belges.
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CTB - agence belge de dĂŠveloppement TRADE FOR DEVELOPMENT centre rue haute 147 1000 Bruxelles T +32 (0)2 505 19 35 www.btcctb.org www.befair.be