La coccinelle

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La coccinelle


La coccinelle en colère


As-tu remarqué que les coccinelles vont toujours seules? Ces

gracieuses petites bêtes font preuve d’un calme et d’une fierté surprenants. Elles n’ont peur de rien : ni de toi, ni de ton grand doigt quand tu les invites à monter dessus pour les regarder de près, et... tu le soupçonnes déjà en les voyant marcher sur ta main, imperturbables : les coccinelles ont un sacré tempérament! En particulier une qui se tenait sur sa feuille verte, souveraine et gracieuse par le fait de se savoir être là où elle devait être. Elle s’appelait Reina. De son mirador vert elle surveillait les autres feuilles de son rosier, la lumière qui s’y filtrait, et les ombres d’oiseaux qui croisaient le ciel. Elle marchait, en avant, en arrière, faisant des tours sur elle-même, accomplissant sereinement sa gymnastique matinale. Son joli dos bombé couleur orange vif commençait à chauffer déjà sous les rayons estivaux. Ce matin-là le soleil promettait de faire des siennes toute la journée qui allait être chaude et longue. Quoi de plus normale à cette époque de l’année dans les plaines sévillanes?


La coccinelle en colère

A cause de cela elle faisait la moue. Reina n’aimait pas la canicule. Il allait falloir trouver un point d’eau pour se rafraîchir et là, elle risquait fort de croiser d’autres coccinelles ayant eu la même idée. Une petite sauvage, cette Reina! Elle tenait précieusement à son intimité : chacune sur sa feuille et c’est très bien comme ça! Et surtout à chacune ses pucerons! C’est de cette façon que la paix règne chez les coccinelles. Alors notre petite coccinelle, bien agacée déjà par la chaleur qui montait, déploya ses ailes et se lança dans les airs à la recherche d’une flaque d’eau. Elle survola le jardin, en faisant attention aux oiseaux et atterrit sur la fontaine en azulejos. Évidemment elle n’était pas seule...



La coccinelle en colère

Comme elle le craignait, quelques autres congénères s’y étaient donné rendez-vous sur les dalles fraîches.

Cinq ou six, la foule! Elles étaient toutes rouges, et toutes affairées à marcher: en avant, en arrière, à faire des huit, leur gymnastique de midi, comme d’habitude, sans tenir grand compte de leurs voisines. De temps en temps une coccinelle marchait sur une autre comme si de rien n’était, des fumées couleurs cramoisies s’élevaient alors d’entre elles. Des nuages de poudre rouge, la poudre rouge de colère espagnole, et tout cela dans le plus grand silence. Dans un contexte pareil, difficile de se désaltérer tranquille. Notre coccinelle décida de reprendre son chemin, vers une autre source d’eau moins fréquentée.



La coccinelle en colère


Elle traversa un champ de blé et, fatiguée, s’arrêta sur un

coquelicot. Ce fut sans avoir remarqué que dans la fleur se trouvait bien camouflée une autre coccinelle qui reprenait aussi son souffle. Normal par une chaleur pareille. Grande fut la surprise de Reina, quand elle découvrit que cette congénère lui adressa la parole avec un grand sourire!

Elle

lui parla! Oui! Alors, elles ne sont pas toutes muettes ces petites bêtes!


La coccinelle en colère

Une voix rocailleuse lui dit:

« Bonjourr, señorita.» Elle s’étonna d’entendre cette voix mais elle s’étonna encore plus fort d’entendre la sienne lui répondant: « Euh eh... Bonjour « Il faut dire que c’était la première fois qu’elle liait connaissance avec une autre coccinelle. La voix ajouta : « Vous aves oune yoli robe oranjé !» Elle ne savait pas très bien quoi répondre. Elle était en nage et le soleil était à son zénith. La chaleur suffocante dans ce champ d’épis de blé immobiles et l’absence du moindre souffle de vent n’amélioraient pas son humeur. «Y a-t-il un endroit tranquille où on peut se rafraîchir en paix, à la fin?» pensa-t-elle en plissant les yeux pour faire un regard «chinois» à travers lequel l’autre coccinelle se trouvait écrasée à l’horizontal.


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La coccinelle en colère

L’autre, qui était d’ailleurs un autre, la regardait au

contraire, avec des yeux grands ouverts et s’avançait vers elle, avec un intérêt, hum, vous le devinez déjà, plus que naturel. Malgré sa méfiance innée, un petit doute traversa l’esprit de la curieuse. Elle se laissa approcher. Elle oublia comme par magie la chaleur qui l’étouffait ainsi que sa mauvaise humeur. Elle se laissa approcher et tomba soudainement sous le charme d’une chanson andalouse rythmée de quelques frappes de mains par l’hidalgo qu’elle ne put s’empêcher elle-même d’accompagner de coups de talons. Entre nous: il faut bien que les coccinelles se multiplient...


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La coccinelle en colère

« No

te vayas todavia, no te vayas por favor...que hasta la guitarra mía llora cuando dice Adios», disait la chanson gitane. Mais...


Un nuage de poudre rouge ne tarda pas à s’élever, et la robe

de Reina vira d’un orange vif à un rouge éclatant sous le soleil. Toute ébouriffée, elle s’envola du coquelicot et ne tarda pas, fière comme elle l’était, à retrouver son peigne, ses éventails et son calme légendaire quelques mètres plus loin. Elles sont si gracieuses, les bêtes à bon dieu. Elles paraissent vivre avec la sérénité de ceux qui ne font que répondre exactement à leur vocation. Mais elles n’aiment pas l’invasion. Si d’aventure elles se retrouvent nez à nez avec d’autres coccinelles, elles peuvent exploser, tel des petits volcans, et des nuages de poudre rouge peuvent alors s’élèver et retomber sur elles. Ce sont des petites colériques, et quand la colère éclate elles deviennent rouges, d’un rouge magnifique. Ce rouge qui ne les quitte plus, même quand revient le calme.

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La coccinelle en colère

Solange Tredinick Š 2009 www.tredinick.com


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