Le bonheur sans nuages

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Le bonheur sans nuages


Le bonheur sans nuages


Lavoltige vous raconterait, enthousiaste, comment il est né

un jour de chance, sous une bonne étoile, en plein printemps dans un champs de trèfles à quatre feuilles. On ne pourrait sinon le croire. C’est vrai qu’il a une certaine grâce ! Il ne marche pas, on dirait qu’il glisse au-dessus de la chaussée. Il a une sorte de légèreté innée. Aucun principe ne le concerne, pas même celui de l’apesanteur… Il saute et ses sauts sont une merveille. Il décolle et redescend comme il veut, et remonte encore, sans aucun effort et avec un sourire presque béat. Rien ne peut le perturber. C’est une de ses qualités : il ne s’encombre pas des pensées inutiles. Dans son ciel au bleu fixe il n’y a aucun nuage. Les nuages, il les fait disparaître à volonté dès qu’ils se pointent, il les envoi aux oubliettes. Et dans ce ciel bleu il s’envole, il fait des boucles, il plonge et replonge… Le matin est le moment qu’il préfère de la journée. Il se lève toujours du bon pied, comment pourrait-il en être autrement ? A peine réveillé il bondit en un magistrale triple axel et aterrit doucement dans ses pantoufles jaunes qui l’attendent parfaitement rangées au saut du lit.


Le bonheur sans nuages

Ce matin-là, il se faisait beau devant son miroir. Il ajustait le dernier bouton de sa chemise, essuyait scrupuleusement ses lunettes rondes tout en sifflotant l’air qui passait à la radio: - In this world there is some trouble, if you worry you make it double, don’t worry, be happy...oh, oh, la la... C’était sa chanson favorite. Cette radio il l’avait achetée récemment pour remplacer Félix, son canari chanteur, qui avait disparu de sa cage quelques jours auparavant, sans laisser une seule plume derrière lui. Après avoir enfilé sa veste jaune, il mit sa main, geste devenu habituel, dans le bocal à poissons vide où il rangeait sa médaille dorée. Sa main ne trouva rien. Le visage collé au miroir, essayant un beau sourire où il montrait toutes ses dents, il tâtonna encore. Toujours rien! Gardant tout de son immuable sourire, il se dit simplement : «Ce n’est pas grave, on verra ça tout à l’heure», et finit de s’habiller.



Le bonheur sans nuages

Pendant qu’il s’admirait dans le miroir, il se remémora comment il était arrivé premier au Grand Concours de Sauts, et obtenu sa belle médaille, une médaille en or avec un ruban rouge dont il était très fier. Cette médaille ne quittait jamais sa poitrine. Chaque soir il la frottait avec un chiffon doux et la regardait briller avec satisfaction avant de la déposer dans le bocal à poissons vide sur sa table de nuit et d’éteindre sa lampe pour s’endormir paisiblement. Alors ce matin-là, une fois habillé, il la chercha un peu par tout, sous le lit, derrière le canapé, entre les tas de lettres sur son bureau. Toujours rien… - Bon ! Bon ! - se dit-il en haussant les épaules,- ça sortira plus tard.- Il n’y pensa plus et partit vers ses occupations habituelles. Il est comme ça, Lavoltige, quand quelque chose le chagrine, il peut ne plus y penser par une simple pirouette mentale. Il se déleste de toute pensée un peu encombrante qui pourrait peser sur sa tête… Mais tout de même ! Cela lui semblait un peu étrange que sa médaille ait disparu.


Chez lui, tout était impeccablement rangé, pas un poil de

chat qui traÎne, les placards propres et ordonnés. Chaque chose était là où il l’avait posée, sauf sa médaille… bizarre tout de même. Pas de trace de médaille le surlendemain non plus… ni le jour suivant. Depuis la disparition de sa médaille quelque chose en lui avait changé. Il avait l’air moins léger, en quelque sorte. Il était un peu maussade, il n’arrêtait pas d’y penser. Ses oubliettes à préoccupations semblaient si saturées que des soucis s’en échappaient. Pour la première fois il avait le cœur un peu lourd. La disparition de sa médaille lui fit remarquer d’autres évènements pour le moins étranges. Il découvrit la présence ici et là de petites bosses sous le tapis rond de son salon. Il y en avait de plus en plus. Parfois il avait la sensation de marcher sur quelque chose de mou, et même d’entendre des petits bruits quand il posait le pied dessus. C’est que pour la première fois il traînait les pieds


Le bonheur sans nuages En rentrant un soir chez lui, il se prit la chaussure sur une grosse bosse sous son tapis, si grosse qu’elle le fit tomber et rouler en avant. Il se retrouva tout défait et le museau par terre! Cela le mit dans une colère... (oh !). «Trop c’est trop. Ça commence à bien faire!», se dit-il agacé. «Qu’est-ce qu’il peut bien avoir sous ce tapis ?» Il décida de jeter un coup oeil. En le soulevant, il découvrit quelques surprises! De la poussière, vous allez dire. Soit. Mais aussi des petits choses blanches, grises, noires… des petits nuages, pleins de petits nuages blanc-coton et gris de pluie. Il trouva quelques lettres tristes auxquelles il avait oublié de répondre, un poisson rouge tout pâle et épuisé, un chaton qui perdait ses poils et un canari muet. Et au milieu de tout cela : sa médaille!



Le bonheur sans nuages Il resta longuement assis là a regarder, comme quelqu’un qui découvre un message secret et qui ne comprend pas tout à fait, les bras soulevant son tapis … Les nuages s’envolèrent, un à un. Il reprit sa médaille. Il ramassa son poisson et le remit dans son bocal, posa son chat dans sa litière, son canari dans sa cage et ses lettres difficiles à répondre sur son bureau, mais surtout il se promit de faire, à l’avenir, attention aux choses qui le méritent. Le cœur bien plus léger il partit faire un saut ou deux dans son jardin.


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Le bonheur sans nuages

Solange Tredinick Š 2009 www.tredinick.com


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