n° 38
MARS-AVRIL 2017
5,90 €
HORS-SERIE
Rédacteur en chef invité
Christophe André
“!Ma méthode pour plus de sérénité!”
LE GUIDE DE LA
MÉDITATION POUR
Z Calmer son stress Z Stimuler sa mémoire Z Mieux dormir Z Apaiser les tensions au travail SE SENTIR PLEINEMENT PRÉSENT
NOTRE CAHIER PRATIQUE Apprendre à méditer en 2 ou 20 minutes
BIEN-ÊTRE&SPIRITUALITÉ
CLARISSE GARDET
CHRISTOPHE ANDRÉ
FABRICE MIDAL
A l’écoute de votre bien-être intérieur Plus de 500 livres audio à découvrir en librairie et sur www.audiolib.fr
Édito H O R S - S É R I E PSYCHOLOGIESMAGAZINE
2-8, rue Gaston-Rébuffat, 75019 Paris Tél. : 01 44 65 58 00. e-mail : magazine@psychologies.com Pour joindre votre correspondant : composez le 01 44 65 suivi de son numéro de poste DIRECTION
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À CHACUN
SA MÉDITATION
A
priori rien de plus simple : faire un geste, mais en prenant conscience de le faire. De ce que je ressens en le faisant. Ma main se porte sur ce verre et s’en empare : quelles sensations au contact de la peau"? Dans les muscles de l’avant-bras"? Ailleurs dans le corps"? Et quelles pensées, quelles émotions naissent de ce geste"? Telle que nous l’enseigne Christophe André, avec qui nous avons réalisé ce hors-série, la méditation commence là. Inspirée du bouddhisme, « laïcisée » par l’Américain Jon KabatZinn, la méditation dite « de pleine conscience » s’est d’abord répandue aux États-Unis il y a une quinzaine d’années. Héritière des dogmes catholiques et psychanalytiques, la France a mis plus de temps à s’y mettre. Chez nous, aujourd’hui, la méditation se pratique en milieu hospitalier. Et même le monde de l’entreprise et celui de la politique commencent à s’y intéresser, comme le montrent nos témoignages. Méditer apporte des bienfaits de santé et d’équilibre psychique largement validés par les études scientifiques : stimulation de nombreuses aires cérébrales, renforcement du système immunitaire et cardio-vasculaire, apaisement, présence à soi, meilleure écoute à l’autre. L’insomnie, la douleur, l’anxiété, la dépression sont autant de souffrances que la méditation permet de vivre plus sereinement. Ce hors-série offre la possibilité de se familiariser pas à pas avec les différentes techniques. Et c’est pour vous en donner les clés que nous nous sommes appuyés à la fois sur l’expertise de Christophe André, psychiatre comportementaliste et grand passeur en France de la « pleine conscience », auteur du récent 3 Minutes à méditer (Éditions de L’Iconoclaste) ; et sur celle de Christine Barois, médecin psychiatre elle aussi, et auteure de l’ouvrage Pas besoin d’être tibétain pour méditer (Solar Éditions), notre partenaire sur le cahier pratique de ce hors-série. Comment s’y mettre"? C’est simple : il suffit de s’y mettre. De respirer, d’écouter, de sentir. D’exister. Philippe Romon, rédacteur en chef
ÉGALEMENT : UNE APPLI, DEUX ATELIERS Pour compléter ce hors-série, Psychologies propose une appli nouvellement enrichie, « Méditer avec Christophe André », et deux ateliers de méditation au cinéma Le Balzac, à Paris, dimanche 23 avril. Le premier, destiné aux adultes, animé par Fabrice Midal de 9 heures à 10 h 30. Le second, ouvert aux enfants et à leurs parents, dirigé par Laurent Dupeyrat de 11 heures à 12 h 30. INSCRIPTIONS : Boutique.psychologies.com, rubrique « Nos événements ».
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SOMMAIRE
LE GUIDE DE LA MÉDITATION Avec Christophe André Psychiatre et collaborateur de longue date de Psychologies, Christophe André pratique depuis de nombreuses années la méditation en pleine conscience. Ses ouvrages sur le sujet connaissent un immense succès. Rédacteur en chef invité de ce hors-série, il va nous guider dans une pratique méditative qui peut s’appliquer à tous les domaines de la vie.
3 Édito 4 Sommaire CHAPITRE 1
LES BIENFAITS 8 Entretien avec Christophe André 12 18 22 24 27 28
“Je veux partager l’expérience d’une transformation intérieure” La méditation bonne pour tous ! Méditation mode d’emploi TEST Que peut vous apporter la méditation ? Mieux vivre le cancer Cours de méditation pour les futurs médecins, par Thierry Janssen RÉCIT “Ma semaine de retraite à méditer en pleine conscience”
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CHAPITRE 2
UN ART DE VIVRE 66 Savourer le quotidien, un exercice difficile 70 TEST & EXERCICES Qu’est qui vous empêche 74 80 82 86 92 94
de vous recentrer ? Le bonheur comme une œuvre d’art Faire le vide en soi, chez soi Cuisiner et manger zen Ces massages qui nous allègent le corps et l’âme La beauté d’un visage serein TÉMOIGNAGES Se relier à la terre
CHAPITRE 3
LA PRATIQUE
U L R I C H L E B E U F/ M .Y. O . P - S A N D R I N E E X P I L LY - P R I S M A A R C H I VO/ L E E M A G E - H É L È N E B U L LY
100 104 106 108 110 112 116 118 120 122 124 126 128
34 Entretien avec Christiane
36 40 44 48 51 56 60
Berthelet Lorelle “J’aide à entendre ce qui vient au corps et à la conscience” Ma première séance de zazen TÉMOIGNAGES Pourquoi je médite L’école, un cercle vertueux Entretien avec Chade-Meng Tan “La bienveillance booste la performance” De la sagesse dans le business Un jugement de pleine conscience Entretien avec Jon Kabat-Zinn Et vous, Jon Kabat-Zinn, comment méditez-vous ?
Respirer, c’est tout S’offrir une digitale détox Relativiser les tensions au travail Renforcer la mémoire Améliorer le sommeil Apaiser enfants et ados Encourager sa créativité Apprivoiser la douleur Traverser la dépression Soigner l’anxiété Développer l’empathie S’aider du yoga Activer le kit de survie
Découvrez notre application avec Christophe André Disponible sur iOS et Android, elle guide de façon claire le débutant comme l’adepte désireux de relancer sa pratique. Avec un nouveau chapitre sur la méditation au travail, et désormais une quinzaine de méditations audio de Christophe André.
“LES DISCUSSIONS DU SOIR” Retrouvez Christophe André dans l’émission de Leili Anvar le mercredi 5 avril à 22 h 15 sur France Culture. À réécouter et à podcaster sur franceculture.fr.
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Chapitre I
LES
BIENFAITS La méditation peut nous aider dans tous les domaines de la vie : ceux de la santé, du travail, et même en politique et au tribunal"! Avec Christophe André, notre guide en pleine conscience.
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“JE VEUX PARTAGER
L’EXPÉRIENCE
D’UNE TRANSFORMATION INTÉRIEURE” Psychiatre, Christophe André pratique la méditation à titre personnel et avec ses patients. Pour lui, méditer en pleine conscience ne constitue pas qu’un entraînement mental, mais une véritable démarche de vie.
Propos recueillis par Pascale Senk et Paul Velasquez
Psychologies : Pouvez-vous nous dire pour commencer, en quelques mots, ce qu’est au juste la méditation!? Est-ce une méthode, une technique!?
Christophe André : La méditation est une méthode, une fa-
çon de faire donc, mais destinée à nous permettre d’accéder à une nouvelle une façon d’être. Le but de la méditation, notamment la méditation de pleine conscience, n’est pas de tenter d’accéder à quelque chose, mais d’être exactement là où l’on est, tel que l’on est, et de permettre au monde d’être exactement tel qu’il est à cet instant même.
SANDRINE ROUDEIX
Concrètement, c’est une pratique!?
C.A. : Oui et même très ancienne, qui existe depuis plus de deux mille cinq cents ans, en Orient comme en Occident. Aujourd’hui, elle connaît un engouement qui tient à plusieurs facteurs : nous pouvons l’aborder de manière laïque, sans embrasser une religion en particulier, elle est simple d’accès et ses bénéfices ont été confirmés par de nom-
breuses études scientifiques. À cela s’ajoute une dimension spirituelle qui répond aussi à un besoin très actuel : la méditation nous aide à résister aux grandes pollutions psychiques de notre époque, comme le consumérisme ou la dispersion digitale. Elle nous permet de nous recentrer sur l’essentiel.
Comment êtes-vous venus à la méditation!?
C.A. : C’est un drame personnel qui m’y a conduit. Mon
meilleur ami est mort dans mes bras, après un accident de moto. Un de mes patients m’a parlé d’un monastère près de Toulouse, ma région d’origine, où il allait se retirer pour s’apaiser. J’en ai fait autant et j’y ai découvert la vie contemplative, le recueillement, le silence. Ce n’était pas évident au début"; j’avais perdu l’habitude de ne rien faire et de ne pas fuir mes épreuves dans l’action. Les premiers jours, je me suis trouvé confronté à de terribles montées d’angoisse et de détresse. Exactement ce que vivent la plupart des patients lors des premières séances de méditation. En persévérant, cela s’est doucement décanté. J’ai alors fait l’expérience d’une transformation intérieure – mon regard sur moi-même s’était modifié. Après ce séjour au monastère, j’ai effectué d’autres retraites et formations à la méditation. Avec le recul, il me semble aujourd’hui que c’est l’outil psychologique qui m’a apporté le plus sur le plan personnel.
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³
Entretien | “Je veux partager l’expérience d’une transformation intérieure”
émotionnels, et vous utilisez désormais la méditation dans votre exercice professionnel.
C.A. : Mes patients souffrent en effet de maladies liées
au stress, à l’anxiété, à la dépression. Je me suis d’abord orienté vers les thérapies cognitives et comportementales qui consistent à associer des mises en situation concrètes aux discussions avec le thérapeute. Mais dans ces troubles les rechutes sont fréquentes et je me suis intéressé à la prévention de ces rechutes par l’introduction dans le quotidien du patient de nouvelles habitudes et d’une nouvelle façon de vivre. Par l’alimentation, l’exercice physique, mais aussi par une façon de voir le monde, de traverser les émotions, de rencontrer l’adversité aussi bien que les moments de bonheur. C’est dans ce cadre que j’ai commencé à utiliser la méditation de pleine conscience avec mes patients.
Cette forme de méditation ne s’inscrit pas dans une discipline religieuse. Pourtant, elle est bien d’origine bouddhiste!?
C.A. : En effet, la méthode a été modifiée et laïcisée pour être utilisée dans des contextes de soins. Après mon drame personnel, j’ai entrepris de lire des publications scientifiques sur la question. J’ai alors rencontré Matthieu Ricard qui m’a aidé à découvrir la méditation bouddhiste et m’a mis en contact avec ceux qui étudiaient scientifiquement la méditation. C’est avec eux que je me suis formé, notamment Jon Kabat-Zinn (voir p. 60) et Zindel Segal. Dès 2004, j’ai commencé à proposer cette méthode à nos premiers groupes de patients dans le service universitaire où j’exerce, à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Les premiers résultats se sont révélés enthousiasmants, pour les patients comme pour les soignants"!
Et aujourd’hui, où en est la médiation dans le domaine du soin!?
C.A. : Nous avons soigné de nombreux patients, formé de
nombreux soignants, et la méditation de pleine conscience a pris son essor chez nous comme dans le monde entier. De plus en plus de recherches sont conduites et publiées, de plus en plus de médecins et de thérapeutes l’utilisent ou la prescrivent. Des diplômes universitaires ont été créés en France pour les professionnels du soin, par exemple le diplôme « Méditation et neurosciences » à Strasbourg ou « Méditation et relation de soins » à Paris. Désormais, la méditation de pleine conscience est considérée comme un outil de soin et de prévention tout à fait pertinent, en psychiatrie et en médecine. Et ses bénéfices commencent à être appréciés à l’école, dans l’entreprise, dans de nombreux domaines de la vie quotidienne en général"!
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“
Je comprends mieux aujourd’hui la souffrance de mes patients. Je suis plus apte à la soulager
“
³ Vous êtes psychiatre, spécialiste des troubles
Quelle incidence a eu la méditation sur votre pratique de clinicien!?
C.A. : Je comprends mieux aujourd’hui la souffrance de mes
patients. Je suis plus apte à la soulager, moins parasité par des sentiments d’impuissance ou d’agacement. Comme soignants, nous recevons une formation centrée sur l’attention à ce qu’exprime le patient, mais il faut aller au-delà et faire également preuve d’acceptation inconditionnelle et de chaleur. Je vais vous faire part d’une autre expérience personnelle. Il y a quelques années, j’ai eu des problèmes de santé. De soignant, je suis devenu soigné, confronté à des médecins qui ne me regardaient pas toujours dans les yeux. Un jour, je devais subir une ponction de moelle, je suis tombé sur une infirmière vraiment gentille. Je l’ai senti physiquement : mes inquiétudes se sont dissipées, une onde de douceur a envahi mon corps. Aujourd’hui, je dis à mes étudiants : « Quand le patient arrive, allez vers lui, tendez-lui la main… » Les gens en souffrance doivent se sentir accueillis.
Vous dites aussi que la méditation n’a pas seulement pour vocation de nous apaiser.
C.A. : Oui, elle nous aide aussi à accroître notre discernement. Pour être lucide, nous devons comprendre qu’il y a, d’une part, la réalité et, d’autre part, notre jugement sur cette réalité. Nous ne devons pas confondre les deux. Si quelqu’un m’a vexé, cela ne signifie pas qu’il est mauvais ou que je mérite ses reproches. La seule réalité, c’est ce qu’il m’a dit et ce que j’ai ressenti. Tout le reste n’est que construction mentale, souvent toxique. Travailler à avoir du recul envers ces mouvements automatiques de notre esprit, c’est le but. Si nous augmentons notre maîtrise sur nos pensées, nous augmentons notre liberté par rapport aux événements.
Suffit-il d’observer ses pensées pour s’en libérer!?
C.A. : Non, mais c’est tout de même la première étape, celle de la lucidité"; ensuite vient le travail régulier pour modifier nos automatismes psychologiques et émotionnels. Nous
avons en Occident cette idée fausse selon laquelle notre équilibre mental relève du tempérament ou du passé, et que la possibilité d’aller bien dans sa tête est une sorte de destinée. Sur ce point, le bouddhisme est formel : pacifier ses états d’âme ne vient pas d’un don mais d’un travail"! Le jour où j’ai compris que cette idée pouvait s’appliquer à l’équilibre mental, cela a changé d’abord ma propre hygiène psychologique, mais surtout mon discours aux patients. Je leur explique qu’ils n’iront pas mieux simplement en comprenant qui ils sont et d’où ils viennent, même si c’est une première clarification très importante. La thérapie que je leur propose est un apprentissage, celui de l’équilibre émotionnel et relationnel. Nous aurons des rencontres régulières, mais le patient devra s’adonner à des exercices quotidiens entre les séances.
Vous évoquiez également au début de notre entretien l’action bénéfique sur l’attention.
C.A. : Oui, sur la stabilité attentionnelle. L’attention est une
faculté indispensable pour assurer un minimum de continuité dans nos actions et nos pensées, pour approfondir notre concentration et, au-delà, tout simplement pour mieux réfléchir. Or nos capacités de concentration sont menacées par notre environnement moderne, qui nous agresse en permanence : interruptions, sollicitations, incitations liées aux écrans, aux publicités, à la société de consommation…
POUR PASSER À LA PRATIQUE Parmi les nombreux ouvrages que Christophe André a consacrés à la méditation et à la quête du bien-être, soulignons la parution récente de 3 minutes à méditer (L’Iconoclaste). Un manuel plein de conseils avisés et d’exercices simples : apaiser ses émotions, apprendre à ne rien faire, respirer, mieux dormir… Ce livre reprend l’émission que Christophe André proposait sur France Culture l’été dernier. Il est accompagné d’un CD regroupant 40 exercices guidés par la voix de l’auteur.
Et par manque d’autocontrôle, nous y cédons bien volontiers!!
C.A. : Oui, la méditation devient alors un moyen d’appro-
fondir la connaissance de soi. Méditer nous aide à mieux observer et comprendre le fonctionnement de notre esprit. À mieux suivre nos pensées et nos émotions, comment elles naissent et s’estompent, l’influence qu’elles exercent sur nous. Une influence puissante, car beaucoup de nos souffrances viennent de nous-mêmes. La vie nous fournit sa propre charge d’adversité, mais ensuite nous en rajoutons par nos ruminations, nos inquiétudes, nos désespoirs – la double peine, en quelque sorte"! La méditation nous permet de voir comment notre esprit quitte le réel pour partir dans le virtuel de nos cogitations. Elle nous aide ainsi à revenir aux problèmes réels et rien qu’à eux, sans en rajouter.
Nous l’avons déjà vu à travers l’inspiration bouddhiste de la méditation : elle présente également une dimension spirituelle…
C.A. : Qu’on soit bouddhiste ou pas, je le répète, la méditation
permet une meilleure présence à soi et au monde. Ce n’est pas qu’un outil d’amélioration de nos performances cérébrales, émotionnelles et comportementales – ce qui est déjà pas mal, non"? Comme je l’ai évoqué tout au début, la méditation représente plus globalement, et progressivement, une manière de vivre qui modifie notre rapport à nous-mêmes et au monde. Elle est, en effet, une voie pour cultiver la spiritualité, c’est-à-dire la vie de notre esprit lorsqu’il s’ouvre à ce qui nous dépasse, le questionnement sur la vie et la mort, l’audelà, l’infini, l’univers, la création… Pouvons-nous vraiment vivre sans spiritualité"? Je ne le crois pas. Parce qu’alors nous ne sommes plus des humains, mais des machines.
Concrètement, comment méditez-vous!?
C.A. : Pour moi comme pour les autres, méditer régulière-
ment n’est pas toujours facile et demande des efforts. Le matin, je pratique une méditation assise de 10 à 30 minutes selon les jours"; 10 minutes pour les jours où j’ai peu de temps, parfois même 5 minutes. L’important est de s’asseoir et de prendre conscience de son état intérieur. Quand je suis en vacances ou en week-end, 20 à 30 minutes. Ensuite, plusieurs fois dans la journée, je fais de petites parenthèses de pleine conscience : dans les moments d’attente et ceux d’émotion. Une parenthèse dans les instants agréables pour mieux les savourer, et dans ceux désagréables pour mieux les affronter. Enfin, le soir je m’efforce de prendre un temps de pleine conscience avant de m’endormir, pour apaiser mon corps et mon esprit. Dans tous les cas, même si c’est parfois difficile je continue la pratique, parce que je sais que mes efforts sont payés au centuple"! O
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LA MÉDITATION
BONNE POUR TOUS !
Incontournable pour faire face aux stress quotidiens, la méditation est une pratique simple. Mais elle n’en est pas moins exigeante… Des méditants nous donnent leur point de vue. Par Anne Laure Gannac
T
out le monde s’y met. Seul dans son salon, au volant de sa voiture, à l’hôpital, avec ses collègues de chez Google, LinkedIn ou Apple (pour ne citer que les entreprises les plus connues. Voir p. 48), par centaines devant un maître charismatique ou avec quelques novices réunis dans une salle de gym, en enchaînant des postures de yoga, ou en faisant la cuisine, en mangeant… Des millions d’entre nous s’adonnent désormais à cet « exercice délibéré d’attention à ce qui se passe moment après moment, dans le présent vivant – sans aucune attention ni conception1 ». Si la vague a pris forme aux États-Unis il y a environ quarante ans, elle n’a inondé la France que récemment. Collaboratrice de Jon Kabat-Zinn, biologiste américain, le premier à avoir proposé la médita-
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tion comme remède, Danielle Lévi Alvarès2 raconte que lorsqu’elle a rencontré le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh au Village des Pruniers, dans la Dordogne, dans les années 1980, elle n’a pas compris : « Outre-Atlantique, il était une star, ses livres sur la pleine conscience rencontraient un immense succès. Mais en France, où il vivait, il n’était même pas publié"! Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : “Ça n’intéresse pas les Français.” » En cause, un puissant attachement à la médecine traditionnelle, une domination de la psychanalyse sur le champ psychothérapeutique, et une méfiance à l’égard de pratique teintée de spiritualité, vite soupçonnée de sectarisme.
UN CONTREPOINT AU DIVERTISSEMENT
Mais les temps changent. Dans un contexte de crise économico-écologico-sociétale dont nul ne voit le bout, chacun part en quête d’un moyen de garder la tête hors de l’eau. Pour cela, les grands consommateurs d’anxiolytiques que nous sommes cherchons des alternatives. Certes, il y a la psychanalyse et les psychothérapies, mais cela coûte souvent cher, dure longtemps et peine à trouver une place dans l’agenda. La méditation"? C’est gratuit, sans matériel, cela peut se pratiquer à tout moment. Et les témoignages de méditants « transformés » se multiplient, avec des preuves à l’appui : outre leur satisfecit personnel, une somme d’études scientifiques démontrant les bienfaits de la pleine conscience sur le cerveau et sur la santé. Au pays de Descartes, il n’en fallait pas plus pour convaincre jusqu’aux médecins les plus dubitatifs. Si la méditation trouve tant d’adeptes, c’est aussi parce qu’elle s’impose comme un contrepoint au « divertissement » propre à notre époque. Divertissement, d’abord, au sens de spectacle, du paraître dans lequel chacun peut avoir le sentiment de ne plus se retrouver. Comme remède, la méditation propose un retour radical à ce qui se donne à voir et à ressentir ici et maintenant. Divertissement, aussi, au sens de diversion : dans une culture de l’hypersollicita-
H E R O I M AG E S /G A L L E R Y S TO C K
tion et de la démultiplication de soi entre écrans et réseaux sociaux, méditer invite à se « rassembler » en exerçant son esprit à être présent au seul présent. D’où sa promotion auprès des jeunes sujets aux troubles de l’attention. D’après le philosophe Fabrice Midal, fondateur de l’École occidentale de méditation, cette pratique vient répondre à une « crise majeure » engendrée par « un recours constant à l’abstraction scientiste » : convaincus du pouvoir supérieur de la science et de la raison, nous en sommes venus à nous abstraire du réel pour ne plus le considérer que comme une somme d’objets mesurables. Face à ce fantasme de contrôle, la méditation promeut le lâcher-prise et le retour à sa place d’être vivant parmi les autres – ce qui entre d’ailleurs en résonance avec la mouvance écologique. Fabrice Midal évoque aussi la « crise du savoir » : à ceux qui ne veulent plus croire aux grandes leçons faites à des amphis d’étudiants, la méditation montre que la connaissance du monde et de soi est le fait d’une expérience personnelle"; même si la figure du maître est incontournable, l’expérience vécue par le
ÉVEILLEZ-VOUS À LA MÉDIATION ! Psychologies organise, le dimanche 23 avril, deux cours de méditation animés, chacun, par un grand expert, au cinéma Le Balzac, à Paris. Philosophe et écrivain, Fabrice Midal dirigera, de 9 heures à 10 h 30, un cours d’initiation destiné aux adultes. Pour les enfants (à partir de 7 ans) et leurs parents (sans limite d’âge !), le cours sera assuré de 11 heures à 12 h 30 par Laurent Dupeyrat, enseignant-chercheur et consultant, formé en Asie à de nombreuses techniques de méditation, spécialiste de la méditation pour les enfants. Renseignements et inscriptions : Boutique.psychologies.com, rubrique « Nos événements ».
³ HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 13
Témoignages | La méditation bonne pour tous!!
³ méditant demeure son seul point de référence. Puis,
1. In La Méditation de Fabrice Midal (PUF, “Que sais-je"?”). 2. Danielle Lévi Alvarès, auteure de La Réparation (JC Lattès).
14 — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — HORS-SÉRIE
David, 33 ans, consultant, donne des cours de méditation
Plus de justesse dans mes choix” « Mon père enseignait le yoga. Enfants, avec ma sœur, il nous faisait travailler notre respiration et notre concentration. Ma pratique est devenue plus consciente en 1999. Cette année-là, mon père est mort et je suis parti à Paris faire mes études. Aujourd’hui, je médite de quelques minutes à une heure par jour. J’ai plusieurs techniques. La plus simple, mais aussi la plus compliquée, c’est de ne rien faire, sans se laisser détourner par ce que mon père appelait la “conciergerie intérieure”. La deuxième consiste à m’appuyer sur un mantra, la répétition d’un nom divin, et me laisser porter par la puissance vibratoire de la langue sanskrite. La troisième repose sur une intention claire de méditer, une assise tranquille et une immobilité intérieure : je vois le mental travailler, mais je n’entre pas en relation avec ce qu’il me présente. Par le recul qu’elle m’offre sur les choses, la méditation me permet de comprendre que certaines habitudes ancrées en moi sont sans fondements. Elle enracine aussi l’esprit dans la matière. Grâce à elle, je peux amener plus de justesse et d’intégrité dans mes choix au quotidien. »
B E R T R A N D J A C Q U OT P O U R P S YC H O LO G I E S
quoique la compassion et l’altruisme en soient les corollaires, méditer, c’est d’abord être seul avec soi et ses pensées. Des aspects qui séduisent à l’ère de l’individualisme et du narcissisme. Alors, tous méditants demain"? Fabrice Midal nous souffle la réponse quand il estime que « la méditation est à l’esprit ce que la gymnastique fut, au début du XXe siècle, pour le corps ». Or, s’il y a aujourd’hui une majorité de personnes pour dire que la gym est indispensable, il en reste quantité d’autres pour refuser de s’y mettre. Surtout quand cette « gym » est soudain présentée comme « la » solution à tous les maux. « Croire que la méditation va changer le monde relève d’une grande naïveté : elle ne remplace pas la pensée, estime Danielle Lévi Alvarès. Aurionsnous plus de chance de sortir de la crise si nos dirigeants méditaient"? Peut-être… Mais peut-être pas : on peut être lucide sans méditer, bien des individus l’ont prouvé dans l’histoire"! » Promesse de clairvoyance sur soi et sur le monde, la méditation peut donner le sentiment d’avoir découvert la vérité. L’arrogance est un risque. De même que le repli sur soi et un désengagement de la vie sociale. En cause : le fait que beaucoup de gens apprennent la méditation sans évocation de la bienveillance et de l’altruisme"; deux piliers qui lui sont indissociables, mais qui sont ignorés par trop d’enseignants. Car comme toute mode, celle-ci a généré son lot de charlatans. Il suffit de voir comment la « pleine conscience » est mise au service d’ouvrages ou de sites promettant « réussite » et autres « succès » en totale incohérence avec les valeurs bouddhistes. Cette mode laisse aussi penser que la pratique de la méditation peut off rir à tous le bien-être immédiat. Or, il y a des contre-indications psychiatriques (psychose, crises d’angoisse…) Et surtout, si la pratique est simple, elle n’est pas facile. Dans le silence de l’assise, les pensées et les jugements sur soi peuvent être très envahissants, sans parler de l’inconfort physique. D’après le bouddhisme, ce sont là des manifestations de l’ego qui ne supporte pas d’être réduit au silence. Ainsi, loin de nous aider à fuir nos difficultés, la méditation oblige à s’y confronter comme jamais. Mais, après des siècles de philosophie et de psychologie qui nous ont donné le goût de la lucidité, il semble que nous soyons prêts à payer ce prix. O
Véronique, 48 ans, formatrice et fondatrice du ciné-woman
Ce temps devenait source de stress” « Je suis allée consulter un psychiatre spécialiste des questions nutritionnelles pour régler mes problèmes de poids. Il m’a proposé des exercices de méditation. Il s’agissait, un quart d’heure par jour, de travailler sur ma respiration et de laisser aller mes pensées, un peu comme regarder passer un train, sans chercher à les retenir ou à s’y attacher. Cela devait m’apporter une sérénité suffisante pour m’empêcher de compenser par la nourriture. Je me suis appliquée à faire cet exercice quotidiennement. Le problème, c’est que je n’étais jamais synchrone. Quand je “travaillais” sur mon souffle, impossible de laisser filer mes idées. Et quand je parvenais à lâcher prise, c’était la respiration qui n’allait pas. Au bout d’un moment, ce “temps pour moi” devenait même une source de stress4; il “fallait” que je le fasse, cela devenait un devoir. Et je n’avais pas le sentiment de me sentir mieux. J’ai pensé à ces gens qui vous disent que la pratique du jogging les plonge dans un bien-être intense. J’imagine que cela doit être pareil pour les assidus de la méditation. Mais visiblement, sur moi, cela n’a pas fonctionné. » ³
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Témoignages | La méditation bonne pour tous!!
journaliste
Il faut pratiquer pour savoir ce que c’est” « J’ai commencé le yoga il y a neuf ans en piquant un DVD à ma mère. Moi qui étais quelqu’un de très cérébral, cela m’a permis de me réconcilier avec mon corps. Depuis je pratique tous les jours et, naturellement, j’ai arrêté de fumer et je suis devenu végétarien. Le yoga convie à la méditation et ce glissement s’est fait il y a cinq ans. Je pratique la technique vipassana, celle que Bouddha enseignait. Elle passe par l’observation de son souffle, une activité du corps qui peut être consciente ou inconsciente. Assis en silence, je ferme les yeux et observe simplement mon espace intérieur. La méditation, c’est comme l’orgasme : en parler ne sert pas à grand-chose il faut pratiquer pour savoir de ce que c’est. Alors que le cerveau tricote des pensées, la méditation consiste à considérer ce processus pour mieux se détacher de cette gigantesque broderie “égotique”. Évidemment, il m’arrive toujours de ressentir de la colère, de l’impatience. Mais, désormais, je connais ses signes avant-coureurs et j’arrive à desserrer l’emprise mentale qu’ils pouvaient avoir. Surtout, la méditation me permet de mieux m’accepter. Et donc, par ricochet, de mieux accepter l’autre, tel qu’il se présente à moi. »
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Marie-Laurence, 50 ans, chef d’entreprise
Je me prends moins au sérieux” « Il y a huit ans, je me suis interrogée sur le sens à donner à mon travail. Mon mari a alors laissé traîner un flyer sur un séminaire de méditation. Je me suis dit “Pourquoi pas4?”. Et cela a été un bouleversement. Je me suis rendu compte combien nous croyions dur comme fer en nos pensées, nos émotions, et les suivions parfois comme un âne suit la carotte. J’ai commencé à me lever un peu plus tôt pour pratiquer, mais pas seulement. Je le fais aussi au bureau. Notamment avant un coup de fil important, une réunion cruciale ou quand tout me semble confus. Je prends alors le temps qui m’est offert : jusqu’à la prochaine sonnerie de téléphone, jusqu’à ce qu’une de mes collaboratrices frappe à la porte. Je ne m’en cache pas, mais je ne fais pas non plus de prosélytisme auprès d’elles. Une chose est sûre : la méditation m’aide dans ma vie au travail et a aussi fait évoluer ma pratique professionnelle. Je “vois” mieux les gens, au-delà de la simple notion d’efficacité. Je sombre moins dans la panique et je me prends moins au sérieux. Surtout, je redécouvre le plaisir de travailler “ensemble”, en valorisant les talents et les compétences de ceux qui m’entourent. »
B E R T R A N D J A C Q U OT P O U R P S YC H O LO G I E S
Emmanuel, 31 ans,
Laurence, 45 ans, directrice commerciale
C’est avant tout une posture” « En 2009, j’ai entendu une émission sur France Culture dans laquelle était invité le philosophe Fabrice Midal. J’ai ressenti quelque chose d’assez rare : une parole qui me touchait. J’ai appris alors qu’il était le fondateur de l’École occidentale de méditation. J’ai donc décidé de suivre un séminaire sur un week-end. Voilà comment ma pratique a débuté. Il existe beaucoup de clichés liés à la méditation. On parle souvent d’“être zen”, avec l’image de gens sourire béat aux lèvres. Or ce n’est pas l’expérience que j’ai pu en faire. La méditation, c’est avant tout une posture. Je m’assieds le dos droit et je ressens un soulagement, tout en étant “tenue”. Je me mets au diapason de la situation. Tout s’aiguise : la qualité de l’air dans la pièce, le vent qui caresse ma peau… Dans un monde où l’on fait plein de choses à la fois, la pratique de la méditation permet de retrouver un plus grand sens de la présence et d’éprouver ce qu’est être présent… ou pas. Quant à la posture, elle laisse son empreinte durablement. Quand, dans mon quotidien, je m’avachis, presque à mon insu, tout de suite, mon corps se redresse. Comme s’il gardait la mémoire de ce moment où je me “tiens” face au monde. »
Hélène, 45 ans, journaliste
J’ai besoin d’un état d’épuisement” « Je pratique plusieurs formes de yoga, dont l’ashtanga, qui donne lieu, en fin de séance, à quelques minutes de méditation. Mais je me suis rendu compte que je n’arrivais à me “mettre dedans” qu’une fois sur deux. C’est un exercice difficile, qui nécessite de parvenir à un état de dépouillement très complexe. Parfois, j’ai l’impression d’être incapable de me connecter à ce qui m’entoure, je me regarde ânonner des mantras que je ne maîtrise pas, au milieu de Parisiens aisés alors qu’originellement ces paroles sont psalmodiées par des gens qui vivent dans le dénuement. Je devrais regarder passer paisiblement mes pensées et je me retrouve dans un état de contemplation coupable, avec un regard ironicocynique sur la situation. Pour parvenir à méditer, j’ai besoin de certaines conditions : un état de relâchement, d’épuisement à la fin de ma séance. Mais aussi le sentiment d’être entourée de gens dont je me sens proche. Je médite parfois le matin, à jeun. Dans les moments d’anxiété, cela me permet de remettre les compteurs à zéro. » Témoignages recueillis par Joséphine Lebard HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 17
MÉDITATION
MODE D’EMPLOI Faut-il suivre une discipline particulière!? Avoir recours à une appli, un site, un gourou!? Être seul ou en groupe!? On dit que méditer est simple, mais mille et une questions viennent à l’esprit de celui qui veut, justement, apaiser son mental!! Voici, en dix points, comment s’y mettre. En toute sérénité. Par Paul Velasquez
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A
nnonçons-le d’entrée : c’est parce que la pratique méditative est terriblement simple qu’elle est difficile. C’est-à-dire pas compliquée à mettre en place, ne demandant aucun équipement autre que soi-même, aucune autre activité que ne rien faire : tout cela, pour les hyperconnectés que nous sommes, est difficile. Difficile de se dire que de la méditation il faut d’abord ne rien en attendre. Ne pas vouloir être performant. La méditation n’est pas un sport, encore moins un sport de combat, que ce soit contre soi ou les autres. Méditer, c’est déposer les armes.
Quelle méthode ?
M A R T I N B A R R AU D/G E T T Y I M A G E S
LE VIPASSANA
C’est l’une des plus anciennes techniques bouddhistes de l’Inde. Le terme sanskrit signifie « la vision pénétrante ». La méthode vise, en deçà des illusions, à retrouver la vraie nature de l’esprit. Ça, c’est pour le principe. Dans la pratique, il s’agit de laisser les pensées surgir sans les forcer ni les retenir, sans les condamner ni les approuver. De se contenter d’observer ce qui se présente comme les images d’un film apparaissant et disparaissant. Qu’une part d’ombre vienne envahir la conscience, peine, colère, crainte, honte, on l’acceptera jusqu’à ce qu’elle s’en aille « comme le pus sort de la plaie », dit le maître. Si l’exercice est trop L’APPROCHE ZEN douloureux, il suffit de revenir à la respiration : La tradition zen cherche à dérouter l’intellect à l’aide des kôans, sentir l’air qui entre et sort par les narines, jusqu’à qui sont l’énonciation d’un paradoxe ou d’une énigme (« L’âne ce que l’esprit soit prêt à poursuivre sa recherche. regarde le puits, le puits regarde l’âne. Ne pas s’enfuir »). Pour le début, la méthode peut paraître aride. Il Tandis que les mantras (également chantés dans ce type de est possible de suivre des cours, notamment lors méditation) conduisent à la dissolution de la pensée, les kôans, de retraites (voir références p. 21). Souvent plonau contraire, contraignent le méditant à aller au bout de sa régée dans le silence, la démarche est exigeante. flexion pour se heurter à un mur. Dans les deux cas, l’esprit est Elle peut changer la vie, mais il faut s’accrocher. soulagé de son agitation quotidienne. La méditation zen se pratique souvent en dojo, selon des rites LA MÉDITATION CHANTÉE assez stricts. La discipline est de rigueur. Elle conviendra à Les pensées se bousculent, s’éparpillent ou enceux qui ont besoin d’un cadre contraignant pour se libérer. tretiennent des vues fausses"? Pour saper ces processus mentaux, la méthode de la kundalini LA MÉDITATION TRANSCENDANTALE (MT) (un yoga développant l’énergie vitale) a recours En 1967, les Beatles assistent à une conférence de Maharishi aux mantras. Il s’agit de la récitation répétitive, Mahesh Yogi à Londres. Ils partent le lendemain de cette confémurmurée ou silencieuse, d’un son (le fameux rence pour leur séminaire d’initiation à la technique de médita« om ») ou d’une formule sacrée (« shri ram, jai tion transcendantale. Depuis, leur vie a changé, la nôtre aussi. ram »). Le mantra est prononcé dans l’expiration Enfin, pour ceux qui apprécient l’influence musicale de John la plus longue possible. Sa charge symbolique et Lennon, tout au moins. « jai guru deva » (« toute gloire au maître sa puissance vibratoire contribuent à vider la divin ») est sans doute devenu le mantra chanté le plus célèbre de conscience pour y laisser un sentiment de paix. la pop. Passée de mode, la MT reste hautement recommandable Active, la kundalini se pratique également parpour ceux qui éprouvent le besoin de s’appuyer sur un mantra fois en dansant – simplement en laissant aller son personnel (et secret, transmis par le maître). Ou que Let it Be corps dans l’espace. Une méthode ludique, idéale incite au lâcher-prise… pour ceux qui ne tiennent pas trop en place. ³
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Méditation mode d’emploi LE YOGA, LA NATATION, LA MARCHE… ³
LA MÉDITATION DE PLEINE CONSCIENCE
La pratique du yoga s’apparente à la méditation : le travail du souffle, la prise de conscience du corps, à chaque instant – en particulier quand les articulations, les tendons, les muscles s’expriment"! En yoga kundalini (voir p. 19), le chant de mantras permet aussi de toucher à la méditation. Mais il en va de même pour des sports qui se caractérisent par la répétition de l’activité : la natation, la marche, la course à pied… La psychanalyste Christiane Berthelet Lorelle va jusqu’à proposer un travail combinant postures de yoga, la méditation et l’écoute de l’inconscient (voir p. 34). Soutenu par le souffle, le corps entre dans une régularité, une temporalité mécanique qui libère l’esprit. De la natation, une boutade dit « c’est bien, mais il y a des longueurs ». Justement, c’est dans le va-et-vient du geste et de la respiration, dans le déplacement lent et constant du corps dans l’espace que peut s’installer la pratique méditative.
C’est la méthode dont tout le monde parle en ce moment. Pour une bonne raison : pour débuter, cette pratique est facilement accessible et ne demande pas de préparation particulière. Elle consiste à porter l’attention sur ce qui nous entoure – les bruits environnants, un courant d’air, une odeur –, sur notre corps tel qu’il se présente – ça gratouille ici, ça chatouille par là –, ou sur les émotions et les pensées présentes – ras-le-bol d’être assis à ne rien faire, avec tout le boulot qui m’attend, et l’autre qui ne m’a toujours pas rappelé, etc. « S’arrêter de faire, de remuer, de s’agiter, résume Christophe André. Se mettre un peu en retrait, à l’écart du monde. » Tout en étant présent. En pleine conscience. La « pleine conscience » est le nom d’une forme de méditation dont l’apprentissage a été formalisé, dans le cadre du soin, sous la forme de deux protocoles : la MBSR (mindfulness based stress reduction), comme son nom l’indique pour la régulation du stress et des émotions, et la MBCT (mindfulness based cognitive therapy) pour le traitement de la rechute dépressive via les thérapies comportementales. Ces deux programmes visent à former les participants à intégrer la mindfulness dans la vie quotidienne, dans une approche laïque. Pendant huit semaines, ils apprennent à méditer de façon progressive et à explorer les mécanismes physiques, mentaux et émotionnels en lien avec le stress et les émotions. Des ateliers basés sur la pleine conscience existent également pour les enfants et les adolescents.
Comment s’y prendre ? SEUL OU EN GROUPE ?
Les deux, mon capitaine. Pour le débutant, l’intérêt évident du groupe est de bénéficier à la fois d’une dynamique collective et de l’enseignement d’un « maître » – une figure qui va nous inspirer et nous stimuler. D’un cadre. Et dans la mesure où la pratique demande discipline et régularité, cela peut être essentiel. Mais méditer, c’est aussi une activité quotidienne, qui peut se pratiquer aussi bien chez soi que n’importe où, littéralement : au bureau, dans la rue, les transports, aux toilettes… Méditer est une activité qui apporte un bien-être à la fois instantané et sur le long terme. Pour ce dernier, il vaut mieux mettre en place une pratique régulière, quotidienne si possible, d’une quinzaine de minutes au moins. Et, pour s’encourager, se sentir un peu moins seul, les applis peuvent être utiles.
LES CHRÉTIENS MÉDITENT AUSSI Au IVe siècle, la prière continue consistait à répéter intérieurement un mot ou une phrase tout au long de la journée. « Peu à peu, l’Église a institué la prière à haute voix, décourageant la méditation au profit de la confession, acte d’allégeance au clergé », explique le diacre Robert McKeon, du groupe de prière Méditation chrétienne.
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Dans les années 1960, le moine bénédictin John Main fut l’un de ceux qui redécouvrirent cette voie spirituelle intime. En 1991, la communauté mondiale de la méditation chrétienne est créée. Guidée à Londres par le père Laurent Freeman, elle compte vingt-cinq centres dans le monde. Flore Demey
APPLI OU PAS ?
Les technophobes lancent un débat toujours pertinent : si méditer c’est un peu se couper du monde, se débrancher, les applis et autres sites internet ne constituent-ils par une insurmontable contradiction"? Oui et non. Pour débuter, rien de tel que la guidance d’une voix amicale, en prenant soin de retenir, précisément, celle qui ne va pas constituer un obstacle à la pratique. Mais la méditation est aussi l’art de l’effacement, et au bout d’un certain temps, variable selon le méditant, ce support devient simplement inutile. Et on s’en passe alors très bien, pour entrer par soi-même dans le bain méditatif. Jusqu’au jour où ce soutien est à nouveau nécessaire. Ou pas. La méditation est aussi l’art de la contradiction assumée.
ASSIS, DEBOUT, COUCHÉ ?
L’auteur de ces lignes pratique volontiers les trois postures et vous invite à en faire autant. Allongé : quand le réveil est trop dur, que le monde paraît trop hostile et que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Il vaut mieux méditer en restant couché au fond de son lit que de ne pas méditer du tout. La principale difficulté ici réside précisément dans le confort de la situation : il ne faut pas s’endormir. Encore que : s’endormir, ce n’est pas non plus si grave que ça. Mais ce n’est plus méditer… La posture assise, sur une chaise ou un coussin (zafu), le dos bien droit, permet avantageusement d’allier dynamisme et détente. C’est un peu la reine des postures en matière de méditation. Quelques douleurs ici ou là ne nuisent pas et aident à se sentir présent. À condition de ne pas se crisper dans l’attitude : laissez donc tomber ces épaules, méditer n’est pas un dogmatisme"! Enfin, il y a ceux qui méditent en marchant. Pourquoi pas"? Il vaut mieux disposer d’un peu d’espace autour de soi et d’un terrain dégagé, pour avancer les yeux mi-clos, la respiration dégagée, un sourire aux lèvres.
LIEUX ET APPLIS POUR DÉBUTER Retraite vipassana Centre Dhamma Mahi mahi.dhamma.org Lérab Ling (Centre de retraite bouddhiste tibétain) lerabling.org Apprentissage Shambhala dechencholing.org/fr Kundalini jayaparis.fr Méditation transcentale meditationtranscendantale.fr
Applis (disponibles sur l’App Store ou Google Play) : Z Méditer avec Christophe André : tests, exercices et conseils. 4,99 € Z Petit Bambou : de courtes histoires pour expliquer les principes de la méditation. 4,99 € par mois Z Pleine conscience : inspirée du programme de Jon Kabat-Zinn. 1,99 € Z Zenfie : comporte des modules pour les adultes mais aussi pour les enfants dès 3 ans. Tarifs modulables.
ET SI LE TEMPS FAIT DÉFAUT ?
« Je n’ai pas une minute à moi », disent les gens très stressés, ceux qui auraient pourtant le plus besoin de méditation. Eh bien, une minute suffit. Soixante secondes. Ou même trente. Essayez : calez le minuteur de votre sacro-saint smartphone sur 30 secondes, fermez les yeux et respirez. Alors"? Cela va déjà mieux. Un tout petit peu. Et demain, doublez la dose : une minute, deux, quatre… Vous finirez par ne plus vous en passer. O
SUR LE WEB DANS QUEL CONTEXTE MÉDITER ? Et dans quelle position ? À quoi penser et comment respirer ? Retrouvez les conseils de Fabrice Midal dans nos vidéos : Méditer en 10 leçons. À voir dans la rubrique Culture de Psychologies.com
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TEST
QUE PEUT VOUS APPORTER
LA MÉDITATION ? Vous êtes tenté par cette pratique, mais que peut-elle vous apporter au juste à vous, personnellement!? Selon que vous êtes plutôt pessimiste ou inquiet, que vous avez tendance à vous disperser ou à vous laisser déborder, les réponses à ces questions de la vie quotidienne vous permettront de mieux cibler les bénéfices de la méditation. Par Christophe André et Flavia Mazelin Salvi
1O
J’ai tendance à : Me disperser et m’éparpiller. + Réfléchir sans arrêt. V Penser au pire.
2
Il m’arrive souvent de :
O Ne plus trouver mes affaires. V M’angoisser pour une broutille.
+ Être perdu dans mes pensées.
3 V
J’aimerais être un peu moins :
4 V
Face à un problème j’ai tendance à :
Pessimiste. + Compliqué. O Agité.
Penser tout de suite à l’échec. O Le fuir et me changer les idées. + Y penser jour et nuit.
5 +
La réunion à laquelle je participe n’en finit pas : Je réfléchis à autre chose. V Je me soucie du temps perdu. O J’envoie des textos et des mails.
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MAJORITÉ DE + La méditation peut vous offrir
PLUS DE SIMPLICITÉ
6
Ce que j’aimerais apprendre à mon cerveau, c’est : O Se calmer. V Être insouciant. + Se mettre en vacances.
7+
Au cœur du conflit, je cherche surtout à : Garder la tête claire. V Éviter les débordements. O Passer rapidement à autre chose.
MAJORITÉ DE V La méditation peut vous offrir
8
Je dois rendre un projet dans la journée. Je me dis : + Par où commencer ? V Je ne vais pas y arriver. O Je n’aurai pas le temps.
9 V
Des pensées qui tournent en boucle, une incapacité à débrancher, une tendance à tout mentaliser et à tout compliquer… Votre cerveau tourne à plein régime. On se calme un peu ? La méditation de pleine conscience vous aidera à être plus présent à l’ensemble de vous-même, et pas seulement à votre mental. Ce qui vous permettra de ne pas toujours raisonner, rationaliser, intellectualiser ce qui vous arrive. Nous vous conseillons de prêter une attention particulière aux exercices de méditation visant à clarifier son esprit.
Dans mon esprit, il y a :
Mille et un soucis. + Mille et une pensées. O Mille et un projets.
DÉCOMPTE DES POINTS Faites le total de vos +, O et de V puis reportez-vous au profil majoritaire. Nombre de + : Nombre de O : Nombre de V :
PLUS DE SÉRÉNITÉ Émotions débordantes, projections anxieuses, scénarios catastrophe… Pas de doute, l’anxiété mène le bal. On s’apaise un peu ? La méditation de pleine conscience vous aidera à gagner en sérénité en étant moins piégé par le virtuel (de l’inquiétude et des catastrophes) et mieux ancré dans le réel (des soucis normaux et aussi tout ce qui va bien dans votre vie). Nous vous conseillons de prêter une attention particulière aux exercices de méditation permettant de s’ouvrir aux émotions.
MAJORITÉ DE O La méditation peut vous offrir
PLUS DE STABILITÉ Agité, dispersé, hyperréactif à tout, vous multipliez les projets et êtes sur tous les fronts à la fois. Résultat : vous vous épuisez sans toujours atteindre vos objectifs. On se pose un peu ? La méditation de pleine conscience vous aidera à gagner en stabilité mentale et en concentration, à mieux comprendre et réguler vos impulsions. Nous vous conseillons de prêter une attention particulière aux exercices de méditation permettant de s’ancrer dans le présent.
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MIEUX VIVRE En milieu hospitalier aussi, la méditation peut constituer un formidable soutien pour traverser les épreuves, même les plus difficiles. Reportage.
LE CANCER
Par Philippe Romon
U
n jeudi matin à Chevilly Larue. Nous sommes une quinzaine à retirer nos chaussures pour une séance de méditation en pleine conscience dispensée dans cette annexe de l’hôpital Gustave-Roussy, principal centre européen de lutte contre le cancer, en banlieue sud de Paris. Parmi nous il y a des mourants. Personne actuellement en grande souffrance, mais des gens qui se savent condamnés. « Trente-six mois », m’ont dit les médecins, partage cet homme, que nous appellerons Emmanuel. « Les nuits surtout sont difficiles, précise-til. Pendant des heures ça trotte dans ma tête. Je pense au grand départ. » Pour d’autres, le pronostic vital n’est plus engagé, mais l’angoisse dévore leur vie. L’angoisse, la panique parfois. Annick a 36 ans, deux enfants en bas âge, et elle se remet d’une tumeur maligne de stade 3 au sein. Il y a la colère aussi, la tristesse. « Sans arrêt le passé me revient », confirme Francine, dont les poumons sont atteints. Mais chacun est dans cette salle pour prendre toutes ces émotions en main. « Vous allez apprendre à prendre soin de vous dans une présence attentive, bienveillante et sans jugement », explique Charlotte Borch-Jacobsen, qui anime le
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groupe. « Je suis fatiguée de lutter », intervient Josyane, elle aussi diagnostiquée d’un cancer du sein. On la sent tendue, au bord des larmes. « Je te comprends, répond Charlotte avec calme. Prendre soin de soi, c’est faire la paix avec la maladie. » Ancienne kinésithérapeute, formée à la technique méditative de la mindfulness based stress reduction (MBSR) développée aux États-Unis par Jon Kabat-Zinn, Charlotte Borch-Jacobsen propose un protocole qui court sur huit semaines, à raison d’une séance en groupe hebdomadaire de deux heures, comme celle à laquelle nous assistons. Aujourd’hui, c’est la découverte du scan corporel. Tous les participants se sont allongés sur un tapis de yoga en mousse, et pendant une bonne demi-heure l’instructrice passe en revue chaque partie du corps, en demandant simplement d’en prendre conscience. « Vos orteils du pied droit, que ressentez-vous"? Du froid"? Un chatouillement"? Rien du tout"? C’est bien aussi, rien du tout"! » D’autres exercices consistent à prendre conscience pour chacun de sa respiration, par exemple, à observer la ronde incessante des pensées (« Sans jugement, laissez-les juste passer ») ou à déguster lentement un grain de raisin sec, en appréciant sa texture et le bruit de sa mastication autant que sa saveur.
MÉTHODE INTÉGRÉE DANS LES HÔPITAUX
Mais l’essentiel se fera ensuite entre ces séances collectives, chez soi, dans le quotidien de la pratique : une demi-heure, trois quarts d’heure par jour, selon la forme, l’élan de chacun. D’une grande simplicité, les exercices demandent, pour porter leur fruit, l’astreinte d’une pratique régulière. « Cela devient une philosophie de vie », constate Massimo, qui a suivi le protocole de mai à juillet 2016. En décembre 2015, on lui avait découvert un cancer de stade 3 aux deux poumons. Inopérable. La chimiothérapie et la radiothérapie l’ont laissé épuisé et anxieux. « La pratique me permet de retrouver le calme et la sérénité, constate-t-il. Et je me sens mieux protéger contre une récidive. »
G U I S L A I N & M A R I E D AV I D D E LO S S Y/G E T T Y I M A G E S
Premier centre européen du traitement contre le cancer avec 11"000 patients nouveaux chaque année, l’Institut Gustave-Roussy propose, depuis 2013, un programme d’accompagnement et de soutien au patient offrant une palette d’activités allant de la sophrologie à l’art-thérapie et passant par la méditation de pleine conscience. « Nous nous sommes intéressés à la réduction du stress par la méditation tout simplement parce que les données de la littérature scientifique ont clairement montré un impact de celle-ci sur la qualité de la vie et le bien-être psychologique des patients, explique Sarah Dauchy, chef du département interdisciplinaire de soins de support. Et c’est ce que nous communiquons clairement aux patients, en étant très attentifs au fait qu’il n’y ait pas de méprise sur l’objectif du MBSR, qui n’est pas de se battre contre le cancer, mais d’en vivre mieux la traversée. »
Une soixantaine de patients par an profitent actuellement du programme de méditation, ouvert également au personnel – plus de trois mille personnes travaillent à GustaveRoussy. « La méditation de pleine conscience permet aux soignants d’être moins stressés et de développer davantage d’empathie envers les soignés », déclare Sébastien Gouy, chirurgien gynécologique et participant enthousiaste de la première heure à l’égard de la pratique. Lui-même médite une quarantaine de minutes chaque jour. « J’ai un métier très intense et trois enfants dont deux en bas âge. Je ne sais pas si la méditation fait de moi un meilleur praticien, s’amuse-t-il, mais elle m’aide certainement à être un homme plus serein"! » La présence de la méditation dans le milieu hospitalier français connaît désormais un développement appréciable – une dizaine d’hôpitaux ont mis en place des programmes basés sur la pleine conscience et, à la faculté de médecine de Strasbourg, un diplôme « Médecine, méditation et neurosciences » a été créé en 2012. Mais ce développement est récent. Au début des années 2000, un article du n° 182 de Psychologies Magazine déplorait la frilosité du corps médical à l’encontre des pratiques méditatives et l’exhortait à « s’y mettre ». « Il y a une dizaine d’années, lorsque je parlais de la méditation en pleine conscience dans le milieu psychiatrique français, on me regardait avec de gros yeux comme si je faisais partie d’une secte », se souvient la psychiatre Yasmine Liénard. Puis les validations scientifiques sont arrivées. ³
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Mieux vivre le cancer
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« À Sainte-Anne, la méthode fait désormais partie des outils que nous utilisons couramment, en prévention des rechutes anxieuses et dépressives », confirme Christophe André, chef de service dans cet établissement hospitalier parisien. Par ailleurs, le psychiatre, rédacteur en chef invité de ce numéro spécial de Psychologies, est sans doute un de ceux qui a le plus contribué au développement de la « pleine conscience » dans notre pays.
PRÉVENTIVE MAIS PAS CURATIVE
Il est vrai que le monde de la recherche s’est pris d’un véritable engouement pour la méditation. En 2003, on comptait une cinquantaine de travaux sur le sujet publiés dans des revues scientifiques"; en 2012, ce nombre dépassait les quatre cents, pour atteindre les sept cents études en 2014. Et toutes ces investigations vont dans le même sens : la méditation de pleine conscience permet de renforcer le système immunitaire – notamment contre la grippe"! –, de lutter contre l’oxydation des cellules grâce à la réduction du stress, de réduire la sensation des douleurs chroniques – de celles qui accompagnent les migraines, en particulier –, de réduire l’anxiété et contribue à prévenir les récidives de la dépression. D’un point de vue neurologique, l’utilisation récente des techniques d’imagerie cérébrales (IRM, EEG) commence à
QUELQUES PISTES ET CONTACTS Z Réseau Ville-Hôpital Lutter contre la douleur Cette association regroupe des médecins et autres professionnels de la santé pour une prise en charge coordonnée des patients atteints de douleurs chroniques. Tél. 01 43 41 14 00. reseau-lcd.org
Z MBSR pour la réduction du stress et la régulation des émotions. mbsr-paris.fr/ Z MBCT, méthode de pleine conscience avec thérapies comportementales, pour lutter contre la rechute dépressive. docteur-tran-celine.fr
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montrer que la méditation agit favorablement sur des zones du cerveau comme l’amygdale cérébrale et l’hippocampe, où est produite une hormone anxiogène, le cortisol. Cette production diminue avec la pratique régulière de la méditation. D’autres zones du cerveau sont également concernées, dont le cortex préfrontal. Celui-ci s’amincit avec l’âge, ce qui participe au déclin des fonctions cognitives, mais les pratiquants assidus de la méditation ne montrent pas de signe de diminution de l’épaisseur de cette partie du cortex. La méditation pourrait donc contribuer à lutter contre les maladies du vieillissement et de la sénilité. D’autres études ont également montré que la pratique méditative permettait au corps de produire davantage de monoxyde d’azote – un gaz qui dilate les vaisseaux sanguins, facilitant ainsi la circulation du sang et réduisant la pression nécessaire à son parcours dans le corps, diminuant les risques de pathologies liées à la pression artérielle. La méditation constitue-t-elle pour autant une panacée en matière de santé"? « La pratique est préventive avant d’être curative », rappelle Christophe André. Intervenant récemment sur l’antenne de France Culture, Caroline Eliacheff, psychanalyste, soulignait également que l’engouement actuel pour la méditation ne doit pas non plus faire oublier qu’en matière de psychisme, en tout cas, « le sujet humain est souvent d’autant plus attaché à son symptôme qu’il déclare vouloir s’en débarrasser ». Qu’il résiste, malgré lui en somme aux meilleures méthodes comportementales. Certes, mais qu’en pensent ceux qui sont les premiers concernés"? Qu’il ne s’agit pas d’en faire une religion, mais bien une pratique qui aide à vivre. « Avant même l’opération, j’avais enfoui en moi l’énorme chagrin de perdre mon sein, raconte Françoise, prof de maths à la retraite et en rémission de son cancer depuis quelques mois. Un chagrin que je me refusais à admettre, et qui s’exprimait par de terribles colères envers tout le monde, à commencer envers moi-même. La méditation m’a tout simplement permis de m’accepter telle que je suis. De faire la paix avec mon corps. » Aujourd’hui elle ne pratique pas tous les jours. « Mais j’y reviens à certains moments. Par exemple, quand je suis dans mon jardin, je m’assieds, je respire, et je profite de la caresse du soleil sur ma peau. » O
COURS DE MÉDITATION
POUR LES FUTURS MÉDECINS
Q
ui aurait cru des matières enseignées, le temps que cela passé à étudier (une centaine arriverait un d’heures par semaine), le stress jour ? Il y a généré par la responsabilité de dix ans, lorsque soigner et le manque je donnais des conférences à propos d’épanouissement personnel. Outre des bienfaits de la méditation, le haut risque de burn out et de certains de mes confrères médecins dépression, il s’ensuit une et un nombre important de inquiétante diminution de Thierry Janssen est un ancien journalistes pensaient que l’empathie et de l’élan altruiste, une chirurgien devenu j’appartenais à une secte. Vous accumulation des erreurs de psychothérapeute. Il a fondé imaginez ma joie en apprenant que, diagnostic et un manque de l’École de la présence à l’université de Montréal au Québec, clairvoyance dans les choix thérapeutique (edlpt.com). un cours de méditation est à présent thérapeutiques. Dernier ouvrage paru : obligatoire pour tous les étudiants en Depuis qu’ils apprennent à se Confidences d’un homme en quête médecine. Cette incroyable évolution centrer sur le moment présent en de cohérence (Pocket). des mentalités est certainement due méditant, les étudiants de à l’apparition d’études scientifiques l’université de Montréal déclarent qui prouvent que méditer est bon être plus paisibles et plus heureux. Ils pour la santé du corps et de l’esprit. Elle est aussi le fruit des constatent une meilleure clarté de pensée et ils disent être efforts pédagogiques entrepris par les moines bouddhistes plus sensibles à la souffrance d’autrui. De tels propos sont exilés en Occident et, à leur suite, par les auteurs laïcs plutôt rassurants pour leurs futurs patients ! Un confrère à (comme Jon Kabat-Zinn) qui invitent à intégrer la qui je faisais part de ces résultats encourageants me disait méditation dans la vie quotidienne. Cependant, ne nous que, pour lui, il y a un danger à apprendre la méditation leurrons pas, il n’y a pas d’évolution sans nécessité aux futurs médecins. Car cela risque de les transformer d’évoluer. Dans le cas des étudiants en médecine, cette profondément au point où, soucieux de vivre d’une façon nécessité ne peut plus être niée. plus apaisée, ils pourraient ne plus vouloir participer au Plusieurs enquêtes, aux États-Unis ou en Chine, développement d’une médecine basée sur la révèlent que 15 à 20 % des futurs médecins présentent des surproduction et la surconsommation d’examens et de symptômes de burn out et de dépression moyenne ou remèdes. De mon point de vue, c’est ce qui pourrait se grave, accompagnés d’idées suicidaires dans la moitié des produire de mieux. Je pense, en effet, que le défi auquel cas. Ces chiffres sont nettement plus élevés que dans la devra faire face la médecine de demain n’est pas population non médicale du même âge. En cause : la technologique, mais humain. Et puis comment pourrionspersonnalité perfectionniste des candidats médecins, leur nous espérer continuer à aller bien si ceux à qui nous désir de réussite, l’obligation de performance, le volume confions notre santé deviennent de plus en plus malades ?
PAR
E M M A N U E L L AU R E N T
THIERRY JANSSEN
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“MA SEMAINE DE RETRAITE À MÉDITER
EN PLEINE CONSCIENCE”
Christophe André a vécu l’expérience d’un stage de méditation. Pendant huit jours, le rédacteur en chef invité de ce hors-série, par ailleurs psychiatre et psychothérapeute, s’est recentré, corps et esprit, sur le seul moment présent. Carnet de route d’un voyage intérieur et bienfaisant.
U
ne semaine de retraite à méditer en pleine conscience : il y a plusieurs mois que j’attends ce moment avec impatience. Le séminaire auquel je vais participer utilise une forme de méditation dérivée des approches bouddhistes, mais épurée de ses aspects religieux : la MBSR, acronyme de l’anglais mindfulness based stress reduction, ou réduction du stress basée sur la pleine conscience, n’est pas à proprement parler une psychothérapie ni un outil de soin, mais elle est devenue, alors que s’accumulaient les recherches prouvant son efficacité, une démarche reconnue pour aider les personnes souffrant de maladies chroniques ou sévères. Elle est aussi précieuse aux autres, car sa pratique régulière nous aide à engager un rapport différent avec nos souffrances et à mieux savourer notre existence, en développant nos capacités à ressentir et observer ce qui se passe en nous, et en
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permettant à nos mécanismes naturels d’autoréparation de se mettre en marche. Voilà, nous allons donc passer une semaine à pratiquer intensivement des exercices de pleine conscience : en silence, assis, debout, couchés, en marchant, en mangeant… 1ER JOUR
LE GRAND BAZAR
Nous sommes environ cent cinquante. Au début, j’ai l’impression qu’il est absurde de réunir tant de monde, et que cela va altérer la portée du travail, ou le transformer en show. Mais ce sera exactement l’inverse : la force de tout un groupe attentif et communiant va amplifier la portée de chaque instant de cette semaine. « Aucun d’entre nous n’est ici par hasard. Pour s’être arraché à ses occupations, chacun a sûrement des motivations importantes et beaucoup d’attentes. Désolés, la plupart d’entre vous vont être déçus… »,
U L R I C H L E B E U F/ M .Y.O . P.
préviennent nos instructeurs. Nous voici d’entrée invités à accepter les bases mêmes de la pleine conscience : « Tourner son attention vers l’instant présent. Sans rien repousser – même le désagréable – ni rien rechercher. » Notre instructeur principal est Jon Kabat-Zinn, l’homme qui a introduit la méditation dans le champ de la médecine et de la psychologie. Il est accompagné de Saki Santorelli, un autre instructeur très expérimenté. Ils nous expliquent le mode d’emploi du séminaire : la première méditation démarre le matin à 6 heures, la dernière prend fin à 21"h"30. Le temps de travail est réparti entre méditations silencieuses, enseignement et discussions. Nous nous engageons dans une première méditation assise. En commençant à méditer, on pense – on espère – trouver le calme, le vide. En réalité, on tombe d’abord sur un grand bazar, du tapage, du chaos. On aspirait à la clarté, on trouve la confusion. Parfois même l’angoisse, la détresse, tout ce qui nous fait souffrir et
qu’on évitait inconsciemment en se distrayant et en s’agitant ailleurs. Pourtant, ça avait l’air simple, vu de dehors"! On imaginait que s’asseoir et fermer les yeux suffiraient à nous apaiser. Mais non, ce n’est qu’un début, et il va falloir travailler, apprendre à rester là, légèrement hors du monde, assis, les paupières closes. Apprendre inlassablement à laisser décanter le tumulte de nos états d’âme et le bavardage de notre esprit… 2E JOUR
LE CORPS
Cela doit bien faire trois quarts d’heure que nous sommes assis en silence dans cette grande salle baignée de lumière. Les uns sur des chaises, beaucoup sur un gros coussin, le zafu. Je suis, comme quelques-uns, sur un petit banc incurvé, le shoggi. Les sensations inconfortables arrivent doucement. Crampes, envies de bouger, retour de vieilles ³
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“Ma semaine de retraite à méditer en pleine conscience”
ment oublier. L’expérience méditative nous amène à la rencontre de notre corps, et ce n’est pas toujours agréable. Au moins dans un premier temps… La méditation n’est pas qu’un exercice psychique. C’est aussi une pratique éminemment corporelle. Et après de longues séances, le corps peut être épuisé, parfois plus encore que l’esprit. Parmi les pratiques méditatives, la pleine conscience repose sur une expérience respectueuse des sensations corporelles. Elle demande de se connecter à son corps, de lui prêter conscience et attention. Il ne s’agit pas d’y penser ou d’essayer de le détendre, mais simplement d’entrer en contact avec lui. Sans chercher à modifier quoi que ce soit. On sait aujourd’hui que donner régulièrement un espace de conscience à nos sensations corporelles est bénéfique à notre santé. C’est pourquoi la pratique propose « le scanner du corps », cet exercice qui consiste à passer régulièrement en revue toutes les parties de notre être, tranquillement. Même si ce corps est malade, souffrant, usé, on lui donne de notre mieux, ici et maintenant, estime, espace et affection. Et peu à peu, cette attention portée facilite l’apaisement : du corps, bien sûr, mais aussi des émotions, et de l’esprit… La méditation bouddhiste évoquait déjà ces deux voies : celle de l’apaisement, appelée shamatha et celle de la « vision pénétrante », vipassana. La première voie est nécessaire pour que la seconde s’exerce pleinement. L’esprit agité et dispersé ne peut poser sur le monde un regard lucide. Il reste dans une représentation du monde, mais il n’est pas dans le monde. À plusieurs reprises dans la semaine, j’aurai le sentiment que mon apaisement, corporel et émotionnel, débouche sur une pensée calme et claire. Par moments, j’ai l’impression jubilatoire et transitoire que mon intelligence est libérée et sans limites… 3E JOUR
L’INSTANT PRÉSENT
Ce matin, lors de la méditation silencieuse qui commence nos journées, Saki prend brièvement la parole : « Depuis hier soir, lorsque nous nous sommes séparés pour aller dormir, des centaines de milliers de personnes sont mortes sur la Terre. Par un incroyable concours de chances et de circonstances, nous sommes ici, bien vivants… » Suit
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Se dire que vivre est une chance, ce n’est plus seulement une pensée, mais un ressenti émotionnel très fort
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³ douleurs que les activités de nos vies nous font habituelle-
un long silence. Dans ces instants, sentir que vivre est une chance, ce n’est plus seulement une pensée, mais un ressenti émotionnel et corporel très très fort. C’est bizarre comme je me sens vivant tout au long de la semaine. Je vivais avant, et je vivrais après. Mais là, je traverse chaque instant les yeux de l’esprit grands ouverts sur des choses simples et importantes, comme respirer, ressentir son corps, marcher… Le moment présent devient un refuge et un lieu d’observation de ce qui se passe en nous : le lieu où notre vie se déroule pour de vrai. La philosophie de l’instant présent, ce n’est pas dire qu’il est supérieur au passé ou au futur. Juste que c’est lui qu’il faut protéger car il disparaît de notre conscience dès que nous sommes affairés. C’est à lui qu’il faut donner de l’espace pour exister. Se tourner vers l’instant présent, c’est expérimenter une troisième voie pour aborder l’existence : à côté du combat ou de la fuite, c’est la simple présence, adossée à toute la réalité de ce que nous ressentons, même si c’est douloureux ou compliqué. Commencer par accepter que ce soit là, même si ça fait mal. Et l’observer. Contrairement à ce que nous redoutons, cela n’aggrave pas notre souffrance, au contraire. Cela va nous permettre d’y répondre calmement, au lieu de nous débattre et de toujours retomber dans les mêmes pièges : la plainte, la fuite, l’affliction… 4E JOUR
LE SOUFFLE
Mon plus proche compagnon durant cette semaine de retraite aura été mon souffle. C’est vers lui que je reviens à chaque fois que mon esprit vagabonde pendant un exercice. C’est lui qui me sert de phare. Il y a tant de leçons à recevoir de la part du souffle… Depuis toujours, la respiration occupe une place centrale dans les pratiques méditatives : c’est le moyen le plus puissant pour se connecter à l’instant présent. C’est pourquoi un des conseils les plus simples que l’on donne aux débu-
tants, c’est de prendre plusieurs fois dans la journée le temps de respirer pendant deux ou trois minutes entières. On pense souvent qu’on n’a pas grand-chose à faire d’un phénomène aussi ordinaire et automatique que la respiration. Quelle erreur"! Il y a d’énormes bénéfices à prendre conscience de sa respiration, de toutes les sensations auxquelles elle est reliée dans notre corps, sans chercher à la modifier, sans rien en attendre. Mieux vaut mille fois tourner son attention vers notre souffle que vers nos ruminations. 5E JOUR
LE SILENCE
Au milieu du séminaire, nous sommes invités à rester silencieux pendant trente-six heures et à éviter le regard des autres. Il nous est demandé de renoncer à toute forme d’échange avec autrui et à toute distraction pour nous satisfaire uniquement de l’essentiel. J’adore ça, les temps de silence. J’en ai déjà fait l’expérience lors de nombreuses retraites. Le silence agit d’abord comme une cure de « détox ». Nous sommes en effet cernés de bruit : celui de la ville, de la musique, omniprésents, et celui que nous produisons en bavardant. Le silence nous renvoie à nous-même : on s’aperçoit, en rentrant dans cette phase de silence, du boucan de nos pensées, de leur désordre, et du fait qu’en temps normal, nous recouvrons leur tapage d’un autre tapage ou de distractions. Cette phase peut être angoissante ou déstabilisante : nos pensées anxieuses ou dépressives nous sautent alors à l’esprit. Mais peu à peu, si on ne leur répond pas, elles s’affaiblissent d’elles-mêmes. À la fin, le silence devient confortable, il nous permet d’ouvrir notre conscience à l’essentiel. Ainsi, paradoxalement, alors que nous sommes en silence et que je ne peux leur parler, je me sens très proche des autres. C’est que, parfois, le langage
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La méditation n’isole pas du monde, au contraire : elle nous relie plus fortement encore à ce qui nous entoure
peut séparer (si je ne suis pas d’accord avec ce qu’on me dit par exemple, ou si cela m’ennuie). Le silence, s’il est librement choisi, peut étonnamment rapprocher. 6E JOUR
LA SAVEUR DE LA PAROLE
Le silence était donc merveilleux. Mais la sortie du silence, selon des règles précises, l’est encore plus. En premier lieu, nous sommes invités à nous regarder tous : merveille des regards et des sourires, après ces presque deux jours à éviter tous les yeux et les visages. Puis nous nous mettons par deux, face à face, le visage sur l’épaule de l’autre. Pendant dix minutes, le premier chuchote tout ce qu’il a ressenti pendant cette période de silence. On ne se regarde pas, et celui qui écoute ne dit rien, n’approuve pas de la tête et ne cherche qu’à entendre avec autant de force, de cœur et de présence que possible. Puis on change de rôle. Et c’est magique. Je suis assis ce matin-là à côté d’un compagnon que je ne connais pas, avec qui je n’ai échangé que quelques bonjours. Mais nous nous parlons et nous écoutons avec gravité et intensité. C’est bon de se taire, mais c’est délicieux de se remettre à parler et à écouter. Le détour par le silence donne encore plus de saveur à la parole. 7E JOUR
LA MARCHE EN PLEINE CONSCIENCE
« Le miracle, c’est de marcher sur la terre », écrit le maître bouddhiste vietnamien Tich Nhat Hanh. J’ai vécu ce miracle chaque jour de la retraite. Régulièrement, nous sommes invités à pratiquer la « marche en pleine conscience » : une marche très lente, durant laquelle on s’efforce de se relier à toutes les sensations dues au fait de poser un pied devant l’autre. Un peu étrange au début, car on est surtout occupé à se freiner, freiner l’automatisme de marcher vite et vers une destination. Là, on avance lentement, et on ne va nulle part. Il fait beau à peu près toute la semaine, alors je marche souvent pieds nus dans l’herbe. Je contemple les fleurs des champs. Je retrouve souvent les mêmes chaque jour. Un matin, vers 6"h"30 souffle un petit vent froid, qui fait ployer les brins d’herbe. Je me demande s’ils ont froid comme moi, et je ne trouve pas saugrenu de me poser la question. Dans la journée, je marche si doucement que je surprends souvent des grillons ou des lézards postés devant leur trou. Sentiment de proximité avec toute cette vie humble. Mais aussi avec les autres membres du groupe. La méditation n’isole pas du monde, au contraire : elle nous relie plus fortement encore à ce qui nous entoure. C’est peut-être pour cela qu’en chinois, « pleine conscience » s’écrit à partir des idéogrammes « présence » et « cœur ». Présence du cœur. ³
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“Ma semaine de retraite à méditer en pleine conscience”
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Au lieu de me retenir, comme d’habitude, je laisse sortir les larmes. Bizarrement, je ne me sens pas mal à l’aise
“
³ Peu à peu, pendant ces exercices de marche consciente, mon
esprit cesse de bavarder. Je suis dans la marche et dans la présence. De temps en temps, je m’arrête pour regarder au loin, les arbres, ou le ciel et les nuages qui passent. Je repense à ces lignes de Henry David Thoreau, le philosophe et poète américain qui vécut deux années seul dans les bois du Massachusetts : « Pouvoir regarder le soleil se lever ou se coucher chaque jour, afin de nous relier à un phénomène universel, préserverait notre santé pour toujours. » Cela me semble une évidence. Je me sens comme immortel… 8E ET DERNIER JOUR
TREMBLEMENTS
ÉPILOGUE
LE RETOUR
Nos i n st r uc teu r s nou s ava ient prévenu s : « Maintenant, nous allons tous rentrer chez nous, avec le souvenir très fort de ce que nous avons vécu ensemble. Mais ce sera autre chose : nous ne serons plus dans notre bulle, mais dans notre vie. Notre conjoint va nous demander ce que nous avons fait pendant cette semaine. Nous allons lui dire que nous sommes restés assis pendant des heures, que nous avons marché dans l’herbe plusieurs fois par jour. Et il nous répondra : “Parfait, tu t’es bien reposé pendant une semaine avec tes copains, alors maintenant, descends la poubelle et occupe-toi un peu des enfants.” La prochaine fois que nous nous disputerons, il nous dira : “Retourne faire un peu de méditation pour te calmer"!” Et tout cela sera normal. Et nous l’accueillerons en pleine conscience, et nous y répondrons avec bienveillance, du mieux que nous le pourrons. » Et c’est exactement ce qui s’est passé pour moi… O
STUPEUR ET
Il y a eu du silence, mais tout au long du séminaire, nous avons aussi parlé. Lors des pauses ou des soirées, en aparté ou en petits groupes, et pendant les sessions de travail : nous avons souvent été invités à dire ce que nous ressentions pendant les méditations. Et beaucoup ont raconté des souffrances personnelles : des maladies parfois graves, des deuils, des violences. Il y a eu des larmes, de grandes émotions. Alors, au moment de nous séparer, nous avons conscience que nous allons quitter une sorte de parenthèse où nous avons vécu quelque chose de fort et de communautaire. Conscience que nous allons perdre l’appui du groupe et du lieu, en sachant confusément que bien des choses nous en resteront, mais quoi"? Chacun est invité à dire un ou deux mots de ce qu’il retiendra de cette semaine. Et doucement je sens que je commence à avoir envie de pleurer. Au lieu de me retenir, comme d’habitude, je laisse sortir les larmes. Bizarrement, je ne me sens pas mal à l’aise. Je respire, j’écoute et je ressens aussi tout le reste de mon corps. Profond soulagement. Mais petite perturbation, tout de même. En partant, je ne retrouve plus mon carnet de toutes les notes de la semaine. Je cherche partout, j’alerte tout le monde. Puis je me résous à partir sans lui. Évidemment, il était dans la poche de mon blouson, glissé dans la doublure…
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L’APPLI POUR MÉDITER Notre application avec Christophe André Disponible sur iOS et Android, elle guide de façon claire aussi bien ceux que la méditation intrigue mais qui hésitent à s’y mettre, que les adeptes désireux de relancer sa pratique. Plusieurs chapitres introductifs expliquent les objectifs de la méditation, donnent des conseils pour s’y mettre et présentent ses bénéfices, notamment au travail (nouveau chapitre). Cette version de l’application est enrichie de nouvelles méditations de Christophe André, soit un total d’une quinzaine, de longueurs différentes.
DIMANCHE 23 AVRIL 2017
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AVEC LAURENT DUPEYRAT
AVEC FABRICE MIDAL Fabrice Midal est le fondateur de l’École occidentale de méditation laïque, dans laquelle il enseigne. Il est aussi philosophe et écrivain. Ce cours d’initiation à la méditation s’adresse autant à ceux qui n’ont jamais pratiqué qu’à ceux qui souhaitent recevoir un nouvel éclairage sur cette discipline. Découvrez la méditation de manière simple et pédagogique, et obtenez les bases grâce à des exercices que vous pourrez reproduire facilement au quotidien. Apprenez à être au diapason de votre corps : savoir l’écouter, lui parler et repérer les émotions qui le traversent. Profitez de plusieurs méditations guidées pour vous aider dans ce cheminement.
Laurent Dupeyrat est diplômé de la Sorbonne et enseignant chercheur. Formé en Asie à de nombreuses techniques, il est spécialiste de la méditation pour les enfants. Pendant une heure et demie, vous allez méditer en famille : avec la méditation du cerisier, vous serez calmes et présents"; en méditant sur le goût du citron, vous allez découvrir comment vos sensations fonctionnent"; avec la méditation du vent, vous allez sentir que votre souffle est très important. Vous allez également méditer sur le soleil et sur la lune pour découvrir à quel point votre imagination est forte… Une exploration méditative joyeuse et ludique à faire en famille!! Pour les enfants à partir de 7 ans.
Dernier ouvrage paru Foutez-vous la paix#! Et commencez à vivre (Flammarion-Versilio), un livre pour se libérer des injonctions, vivre sereinement sans se poser de questions et oser enfin être soi.
Dernier ouvrage paru J’ai rendez-vous avec le vent, le soleil et la lune : méditations pour les 7-12 ans (éditions de La Martinière), pour une initiation ludique à la méditation, seul ou en famille.
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Cours enfant + parent : • 45 € pour un enfant + 1 parent • + 10 € par enfant supplémentaire • + 15 € par adulte supplémentaire
UN ÉVÉNEMENT
“J’AIDE À ENTENDRE CE QUI VIENT AU CORPS ET À
LA CONSCIENCE”
Psychanalyste et psychomotricienne de formation, Christiane Berthelet Lorelle dirige des groupes de travail où l’expérience du corps, du souffle et de la méditation dans le yoga rencontre l’écoute de l’inconscient. Propos recueillis par Philippe Romon
Psychologies : La méditation aide-t-elle le travail psychanalytique!?
Christiane Berthelet Lorelle : Il y a méditation et méditation,
différentes techniques et différents objectifs. La méditation zen par exemple est une pure attention sans aucun but a priori"; la méditation de « pleine conscience » s’appuie sur nos sensations pour donner consistance à notre présence et apaiser l’esprit"; celle du yoga est préparée par le mouvement du corps au rythme du souffle pour renouveler son énergie, dénouer ses tensions, l’unifier, canaliser l’attention et ainsi entrer dans une écoute concentrée qui permet l’orientation vers un objet de méditation. Or bien des pratiquants restent suspendus au bien-être, sans se laisser rejoindre par la question qui les concerne, l’énigme ou la situation qui les préoccupe. C’est pourtant ce dernier élément qui peut aider le travail analytique lorsque l’objet de méditation concerne le sujet dans ses impasses ou ses symptômes. Car le relâchement des défenses qui ouvre au vide permet d’entendre autrement ce qui vient à la conscience.
CHRISTIANE BERTHELET LORELLE Psychanalyste et psychomotricienne de formation, Christiane Berthelet Lorelle dirige un groupe de recherche sur les liens du yoga et de la psychanalyse.
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Il faut donc certaines conditions pour que la méditation aide au travail analytique!?
C.B.L. : En effet, il faut qu’il y ait, de la part du pratiquant qui a fait (ou fait encore) une analyse, l’élection d’un objet de réflexion qui lui soit « cher et désiré » selon le Yoga-Sutra I.29 de Patañjali, c’est-à-dire investi, suffisamment attractif pour retenir son attention, de façon à ce que celui-ci vienne lui (ou le) parler. Voilà pourquoi dans les groupes de re-
cherche que j’anime, il est toujours proposé aux personnes qui pratiquent le yoga dans la perspective de méditer le contexte de leur vie, de cerner au préalable ce qu’elles souhaitent mettre au travail, pour que chaque phrase gestuelle et respiratoire vienne se corréler à l’inspiration au désir qui les anime, et à l’expiration à l’obstacle qu’elles veulent éliminer. C’est une méditation en quatre temps : d’abord posturale, symbolique, dynamique et purifiante, ensuite plus profonde dans l’écoute de l’assise silencieuse, puis prolongée dans l’écriture, et enfin parlée, c’est-à-dire entendue et partagée. Là, de cette manière, la pratique méditative peut aider au travail analytique. Car elle procède d’un nettoyage (kriya) et d’une absorption progressive (samyâma) qui suscite et vise l’inconscient (avidyâ). Elle apprend à écouter ce qui se dit comme venant de plus loin que soi-même et développe une connaissance intuitive et profonde. Des révélations inattendues peuvent alors se présenter.
La méditation va-t-elle remplacer la psychanalyse!?
C.B.L. : [Rires] Comment peut-on imaginer une chose pa-
reille"? Nous sommes tous si différents. Pour certains la psychanalyse est inévitable et la méditation impossible, pour d’autres, les deux sont complémentaires, et pour d’autres encore la méditation est l’unique ascèse. On ne pourra jamais éradiquer le désir d’intelligence d’un sujet qui cherche
SUR LE WEB CE QUE LA MÉDITATION M’A APPORTÉ Cinq pratiquants nous ont raconté à quel point méditer a changé leur vie. Des témoignages à découvrir dans la rubrique Culture de Psychologies.com
À LIRE Christiane Berthelet Lorelle est l’auteure notamment de La sagesse et le désir.
Yoga et la psychanalyse.
(Seuil 2003)
Son dernier ouvrage paru,
Les créations du corps et de l’inconscient, explore le
champ d’une psychanalyse appliquée à la pratique du yoga et de la méditation. (Liber)
à comprendre la source de ses souffrances, trop violentes à vivre. La méditation – même celle que je décris – ne pourra jamais remplacer une cure analytique dont l’opération clinique est de tenter d’extraire la racine des conflits internes dans le lent processus du transfert et des associations libres, dans l’analyse des émotions pulsionnelles de vie et de mort, des projections et des identifications inconscientes. La psychanalyse vise un savoir fondé sur la reconnaissance de l’inconscient « structuré comme un langage » à l’œuvre dans nos paroles, nos pensées et nos actes. Elle mène une enquête, cherche une vérité logée dans nos symptômes, nos rêves, nos lapsus. Elle est un déchiffrage. Or la méditation, même si elle permet une écoute placide, sensible autant que distanciée, lorsqu’elle n’est pas utilisée dans un processus analytique, vise à sublimer, élever au-dessus des problèmes, déplacer l’attention, étendre le champ de la conscience dans un univers sans limite pour mieux s’y situer, s’y relier, se laisser transcender par l’espace. De ce fait, bien sûr, ses effets sont bienfaisants, mais ils peuvent s’avérer insuffisants pour certaines pathologies et une véritable contre-indication pour des sujets psychotiques.
J’inverse ma question initiale : faire une psychanalyse aide-t-il à méditer!?
C.B.L. : Faire une analyse est déjà une méditation à part entière qui absorbe l’être tout entier engagé dans une mutation subjective. À partir de là, chacun peut avoir ou non le désir de méditer pour s’ouvrir à une écoute plus vaste qui relie à ce qui nous dépasse. O
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MA PREMIÈRE SÉANCE DE Zazen, zafu, kesa, gassho… Il n’y a pas que la méditation “en pleine conscience” pour faire le vide. Comme dans cette séance d’initiation zazen à laquelle s’est essayée notre journaliste. Par Ségolène Barbé
ZAZEN
Q
u’est-ce donc que le zazen"? Que ressent-on dans la position du lotus"? Comment médite-t-on"? En arrivant au Dojo zen de Paris1, je n’ai qu’une vague idée des réponses. Sur place, déjà une vingtaine de postulants, dont aucun ne doit avoir plus de 35 ans. Nous empruntons l’escalier de bois qui mène au dojo, lieu de pratique de la méditation (où l’on étudie le do, la « voie »), et passons au vestiaire enfiler des vêtements « souples et sombres », ôter chaussures, chaussettes, montres et tout ce qui pourrait nous distraire pendant les deux heures à venir. Une grande salle lumineuse et dépouillée. Au milieu, un autel avec des fleurs, de l’encens et un bouddha imposant. Assis en arc de cercle sur un zafu, le coussin de méditation, nous sommes prêts… Disciple depuis 1986 du grand Taisen Deshimaru, moine zen qui apporta en Occident la pratique du zazen, la « méditation assise », dans les années 1960, Martine nous accueille, vêtue d’un kesa, la longue tunique noire de rigueur. Et commence par quelques instructions pratiques. La discipline d’abord : la ponctualité (les portes ferment cinq minutes avant chaque séance), le gassho – le salut ri-
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S A N D R I N E E X P I L LY P O U R P S YC H O LO G I E S
tuel les mains jointes – devant la statue de Bouddha, à la fois quand on entre dans le dojo (du pied gauche) et quand on en sort (du pied droit), ou avant de s’asseoir en posture de méditation… La posture justement, pas évidente pour des néophytes. Avec la hauteur que donne le zafu, la position du lotus requiert une souplesse que nous sommes rares à posséder. On tolère aussi le demi-lotus, et même les jambes en tailleur, pour les plus réfractaires… dont je fais partie. Je compte bien en apprendre davantage dans l’heure qui suit. On va sûrement m’expliquer le but de la méditation, me donner le secret de la sérénité… Non"? UNE VOIE DIFFICILE « Concentrez-vous sur la position du corps : les genoux bien ancrés dans le sol, le haut du crâne tendu vers le ciel, le dos droit, le bassin en avant et les épaules relâchées, explique Martine. Concentrez-vous sur votre respiration, ample, naturelle, surtout sur l’expiration, qui doit filer vers le bas. Laissez passer les pensées sans vous y arrêter. La méditation n’est pas une démarche intellectuelle, c’est avant tout une discipline du corps. » Je commence à comprendre que je ne suis pas là pour
DE L’INTÉRÊT DU GROUPE « Avec une seule bûche dans la cheminée, vous faites un petit feu, avec plusieurs bûches, vous en faites un grand ! explique Martine, nonne zen au Dojo zen de Paris. Pratiquer la méditation dans un dojo permet d’être soutenu par l’énergie spirituelle que dégage le groupe. C’est comme la locomotive d’un train qui tire tous les wagons derrière elle. » La méditation en solo, souvent essentielle pour les méditants réguliers qui ont besoin d’entretenir cette pratique quotidiennement, peut être un véritable piège pour les débutants. « Méditer, c’est mettre de côté son ego. C’est difficile lorsqu’on est seul, on peut se fourvoyer facilement. Le groupe aide à lâcher prise avec soi-même. »
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Ma première séance de zazen
³ analyser, mais pour me plier à une posture d’éveil, à un re-
lâchement total de l’esprit. Munis de ces précieuses informations, nous allons enfin tester le zazen proprement dit. Une vingtaine d’adeptes nettement plus confirmés, dont quelques moines zen, nous ont rejoints pour cette séance qui doit durer deux fois une demi-heure, entrecoupées de la marche kin hin, la « concentration en mouvement », de quelques minutes qui permet aussi, plus prosaïquement, de se dégourdir les jambes. Un peu impressionnés par le cérémonial, nous nous plaçons chacun face à un mur dans la posture du zazen. Martine passe, rectifie les dos trop ronds, les épaules trop crispées, donne les derniers conseils. Puis c’est le silence… ou presque. Difficile, au début, de faire abstraction des gargouillis, du bruissement des kesas des moines, des respirations sonores, des fous rires nerveux. Pas évident non plus de garder cette posture plutôt inconfortable. Peu à peu, je m’efforce de laisser passer mes pensées terre à terre, de mettre de côté ma bonne volonté comme mon scepticisme, je m’applique à expirer largement. Et un étrange soulagement m’envahit. Je me sens fortement ancrée dans le sol et en même temps élancée vers le ciel. Le groupe me semble presque immobile. Tout à l’heure plutôt source d’énervement ou d’amusement, il m’apparaît à présent comme une force, un soutien essentiel dans cette escalade commune vers… je ne sais pas très bien où, une sorte d’état de non-pensée, pourraiton dire. J’ai l’impression, fugiÀ LIRE tivement, de parvenir à faire le vide dans mon esprit, de m’oublier comme je ne l’ai jamais fait. J’ai le sentiment d’être au milieu de nulle part, de partir ailleurs, de flotter loin de mon
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corps… Je me laisse bercer par la voix de Martine : « C’est comme un verre d’eau qui contient des impuretés. À force de laisser le verre reposer, les impuretés retombent au fond et l’eau redevient limpide. » Quelques minutes volées au temps, au quotidien… mais l’engourdissement me gagne. Justement, Martine passe derrière nous avec, à la main, le kyosaku, un long bâton plat utilisé pour « réveiller » ceux qui le souhaitent d’une tape sur chaque épaule. J’ai l’impression d’avoir dans mon dos un vautour prêt à fondre sur sa proie, mais je m’ef force de refouler ces pensées négatives. Au moment de faire le gassho, signe que je demande à recevoir un coup de kyosaku, je me ravise, dissuadée par le claquement impressionnant de ce « bâton de l’éveil » sur un méditant. Sur la voie de l’apaisement, j’ai encore quelques progrès à faire… La seconde demi-heure de zazen est d’ailleurs plus difficile : j’ai du mal à laisser filer les pensées « comme des nuages dans le ciel », elles s’obstinent et brouillent mon esprit. Pendant la courte cérémonie traditionnelle qui clôt cette séance d’initiation, je m’interroge. Que s’est-il passé tout à l’heure"? Est-il possible de ne penser à rien"? Pourquoi me sentais-je si soulagée"? Tout cela m’a-t-il vraiment convaincue"? Pas encore, mais intriguée, sans aucun doute. Il faudra revenir. O
J’ai l’impression de parvenir à faire le vide dans mon esprit, de m’oublier comme je ne l’ai jamais fait
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1. Renseignements sur dojozenparis.com
Vivre le zen d’Ezra Bayda.
Cet ouvrage donne des outils concrets pour intégrer la méditation dans votre quotidien. (Marabout)
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TÉMOIGNAGES
POURQUOI
JE MÉDITE
Redécouvrir l’essentiel, trouver l’apaisement ou simplement faire une pause, autant de motivations qui ont poussé ces trois personnalités artistique, politique et du monde des affaires à pratiquer la méditation. Trois voyages singuliers sur les terres de la sérénité.
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Propos recueillis par Philippe Romon Photos Ed Alcock
une est une femme engagée dans la politique, l’autre un ancien banquier devenu directeur des ressources humaines de la Société Générale, le troisième un acteur célèbre. Ensemble ils ont en commun de croire aux bienfaits d’une démarche où le corps n’est plus dissocié de l’esprit. Délaissé au profit de la raison par les philosophies occidentales, le corps fait un retour en force dans nos sociétés par la fenêtre de la méditation et du yoga. Nos témoins ont des parcours très différents, mais ils sont représentatifs de la tendance générale qui consiste à chercher ce qui peut faire du bien hors des sentiers battus pour apporter de la présence à soi et aux autres dans des domaines aussi différents que le monde de l’entreprise, une assemblée de députés ou une salle de théâtre. Cheminement singulier, quête commune, leurs témoignages sont une invitation à inventer sa propre voie.
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Un matin au bord du Mékong” Édouard-Malo Henry,
directeur de ressources humaines
« Je suis banquier de profession et ma carrière m’a amené à séjourner dans de nombreux pays – dont six années en Australie, cinq au Canada – quand la crise financière de 2008 m’a sérieusement ébranlé. J’avais 48 ans, mes enfants étaient grands et je m’interrogeais sur le sens de ma vie et celui de mon engagement professionnel. Avec l’accord de ma femme, j’ai pris un congé sabbatique de six mois et je suis parti, seul, marcher sac à dos en Asie. Mes chemins de solitude m’ont conduit à travers la Birmanie, le Laos, le Bhoutan, le Népal. Je dormais dans les villages, mon budget était limité à 10 dollars par jour. Au bout de quelques semaines le bruit intérieur qui m’agitait s’est apaisé. Un matin, vers 5 heures, au bord du Mékong au Laos, j’ai contemplé un pêcheur dans sa barque sur l’eau calme. Au loin dans la brume aboyait un chien. L’écho léger de chants bouddhistes parvenait jusqu’à moi. Et j’ai ressenti une grande plénitude, en me jurant de ne jamais perdre le souvenir de cette expérience. À Katmandou, j’ai rencontré Matthieu Ricard, dont j’avais en poche le Plaidoyer pour le bonheur (éd. Retrouvées). Ce voyage m’a profondément changé. Ou révélé. Le silence intérieur que me confère la méditation me rend plus présent au monde, à l’autre. Et la richesse de cette relation à l’autre est pour moi la définition de la vie. Je pratique la méditation généralement pendant une quinzaine de minutes en arrivant à mon bureau dès 7 heures du matin. Parfois aussi à l’heure du repas lorsque je suis seul. Sans même que je pense à un « plan de carrière », celle-ci s’est alors trouvée dynamisée répondant à mon désir d’aider à la transformation de mon entreprise. Je suis aujourd’hui le directeur des relations humaines d’une société qui emploie cent cinquante mille salariés dans soixante-dix pays. Il n’est pas question pour moi de faire du prosélytisme, même si, lorsque mon voyage suscite des questions autour de moi, j’y réponds volontiers. Suis-je tenté de reprendre mon sac à dos4? À votre avis4? »
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Témoignages | Pourquoi je médite
Un laboratoire d’expériences” Bernard Campan, acteur « J’ai découvert la méditation il y a vingt ans avec l’enseignement d’Arnaud Desjardins, auteur et réalisateur. Depuis huit ans, c’est une pratique quotidienne, avec quelques réaménagements. Actuellement, je médite 30 minutes le matin. Je n’ai pas de technique particulière, pas de mantras ou de supports visuels. Je me détends en portant l’attention sur le souffle. Vigilant à ce qui se passe. Conscient du corps, des sensations, des émotions, des pensées. Inévitablement je pars à la dérive, perdu dans mes nuages… et je reviens. « Juste être là », ces trois mots me guident souvent pour revenir à la
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sensation d’être, à la présence. Je suis fasciné par l’extrême simplicité et l’immense difficulté du propos de la méditation : « Ne rien faire », ou encore, juste « Être ». Pour moi, la méditation est un laboratoire expérimental, un exercice qui m’aide à vivre le quotidien plus consciemment, plus délibérément. C’est-à-dire à être plus cohérent dans mes choix, à mieux envisager les conséquences, à tenir compte de l’autre, à m’engager dans l’existence… Montaigne disait : “Si l’esprit de l’homme dérape, c’est à cause de l’esprit lui-même dès lors qu’il n’obéit plus aux lois du corps.” Méditons pour le vérifier4! »
Ouvrir la politique à l’humain” Delphine Batho, députée « Je suis venue à la méditation par une démarche politique, une soif d’idées nouvelles, mais aussi une réflexion sur l’exercice du pouvoir. En travaillant sur l’économie circulaire et collaborative, j’ai rencontré des personnes qui n’ont pas essayé de me convaincre de méditer, mais leur exemple était éloquent4! Du coup, j’ai lu beaucoup d’ouvrages sur le sujet et sur les neurosciences. Comme j’avais fait du yoga, j’utilisais empiriquement quelques techniques de respiration, et j’ai toujours cultivé un lien particulier avec la nature. Mais ce n’est pas suffisant dans un monde politique qui peut être très toxique. Les preuves scientifiques des effets de la méditation sur le cerveau m’ont ébranlée. Trouver le chemin jusqu’à la pratique n’a pas été simple. Comme des milliers de personnes, je ne savais pas où m’adresser en confiance. Je suis laïque et athée, le terme de “pleine conscience” continue de me gêner, je préfère celui de “pleine présence” ou “pleine attention”. J’ai suivi avec une amie instructrice un programme de formation MBSR de huit semaines. Je n’avais pas l’intention de témoigner à ce sujet, je le vivais comme une affaire privée. C’est ma rencontre avec Chris Ruane, député britannique qui a porté le programme Mindful Nation au Royaume-Uni, qui m’a convaincu de prendre la parole. Il est sidérant qu’un engouement aussi profond pour cette pratique dans la société française ne soit jamais évoqué dans le monde politique. C’est ce que je veux changer, avec pour priorité la diffusion de la méditation auprès des enfants à l’école, dans le domaine de la santé, et pour prévenir le burn out au travail. Tant mieux s’il y a des séances de méditation à Davos, mais de la même façon qu’au siècle dernier, il a fallu se battre pour la démocratisation du sport, je considère que l’entraînement du cerveau ne doit pas être réservé à une élite. La méditation n’est pas un refuge, mais une force de changement. Elle n’est pas un palliatif pour se résigner à un univers stressant, elle est un progrès scientifique qui peut être mis au service d’un idéal de bien-être. »
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L’ÉCOLE,
UN CERCLE VERTUEUX
Pour nos enfants aussi, c’est la course en permanence. Résultat!? Ils sont fatigués, agités, stressés. Mais en Suisse, aux États-Unis ou au Québec, la méditation à l’école permet d’améliorer le bien-être des élèves et leurs performances. Une pratique qui pourrait faire son chemin en France. Par Anne-Laure Vaineau et Paul Velasquez
D
ès les premières années d’école primaire, autour de 6-7 ans, le quotidien des enfants commence à prendre l’allure d’un marathon. « Réveille-toi"! Habille-toi"! On est en retard"! Vite, va à l’école. Reviens. Prends ton goûter. Dépêche-toi de faire tes devoirs. Prends ta douche et va vite te coucher pour ne pas être fatigué demain… » Du lundi au vendredi, et parfois même le week-end pour ceux qui enchaînent avec les entraînements sportifs ou les activités. Le tout, en pleine période d’apprentissages, où il s’agit de pouvoir être attentif et concentré. « On voit arriver en consultation des enfants en état de quasi burn out, s’inquiète la psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin. C’est encore très rare, mais c’est tout de même alarmant. La vie des enfants, à l’image de la nôtre, est soumise à une accélération du temps qui est épuisante. » Si prendre conscience de cela nous permet autant que possible de relâcher la pression et de leur aménager des mo-
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ments de répit, il peut être difficile d’inverser complètement la vapeur. Mais il est possible de les aider à moins subir le stress de cette course contre le temps. En leur apprenant à mieux reconnaître leurs émotions pour ne plus en avoir peur. En leur faisant découvrir ce qu’est le calme, et ce qui est à l’intérieur d’eux-mêmes, quand le monde arrête de tournoyer autour. En les entraînant à mobiliser toutes leurs ressources, pour réussir à se concentrer et ainsi renforcer leur confiance en eux. C’est ce que propose la méditation de pleine conscience, à partir de laquelle Jeanne SiaudFacchin a mis au point une véritable méthode à destination des enfants, mais aussi des adolescents. « Concrètement, c’est s’entraîner à être présent à ce qu’ils sont en train de vivre, à ne plus avoir la tête ailleurs pour pouvoir se relier à toutes leurs sensations. » La différence avec la relaxation ou la sophrologie"? « Il ne s’agit pas de rechercher la détente ou le relâchement. Il s’agit de se relier, d’entrer en contact avec soi, avec ses émotions présentes, qu’elles soient positives ou négatives. » De façon imagée, cela revient à « fermer les volets de sa maison », comme aime l’expliquer la psychothérapeute aux enfants. « Je leur dis que c’est comme s’ils étaient une boule à neige qui viendrait d’être secouée. Et que d’un coup, on décidait d’attendre que tous les flocons retombent, pour voir enfin apparaître la figurine ou le paysage derrière. Ce qui apparaît alors, quand le calme est atteint, c’est ce qu’il y a à l’intérieur d’eux-mêmes. » « Tous les travaux en neurosciences l’ont démontré, la méditation de pleine conscience permet instantanément de faire baisser le taux de cortisol (l’hormone du stress) dans le sang, affirme la psychothérapeute. Parallèlement, elle déclenche la sécrétion de tout un cocktail d’hormones qui font du bien, telles que l’ocytocine, et les endorphines. L’incidence physiologique est donc instantanée. » C’est bien souvent ce qui
donne envie aux enfants de recommencer. D’autant que la plupart d’entre eux, avant de découvrir la pleine conscience, ne savent pas vraiment ce que signifie « le calme ». « Nous passons notre temps à leur dire “maintenant ça suffit, calmetoi”. Mais sans leur expliquer ce que cela peut leur apporter, ni comment y parvenir. Avec des mots simples, on peut leur dire qu’être calme, cela permet de se sentir mieux dans son corps, plus chaud à l’intérieur, plus doux, plus tranquille… Ou, comme me l’a dit un enfant un jour “comme si on s’allongeait sur un petit nuage tout moelleux”. Je prends le pari que tous auront envie d’essayer"! »
S K Y N E S H E R /G E T T Y I M AG E S
À L’ÉCOLE, MÉDITER POUR MIEUX APPRENDRE
Un peu comme les cailloux du Petit Poucet lui permettent de rentrer chez lui, le calme et l’apaisement permettent aux enfants de retrouver le chemin de leurs connaissances. « Prenons l’exemple d’un enfant qui n’arrive pas à retenir sa leçon, alors qu’il a correctement révisé. S’il est incapable de réciter en classe, ou d’utiliser ses connaissances lors du
LENOIR, PASSEUR DE LA PENSÉE Frédéric Lenoir a vécu une aventure intense avec des centaines d’enfants à travers le monde francophone, de Paris à Madrid, en passant par Abidjan ou Genève. Celle de la méditation et de la philosophie, dès le plus jeune âge. L’amour, le respect, le bonheur, le sens de la vie interpellent aussi les petits enfants, et les ateliers que mène Frédéric Lenoir témoignent de leur incroyable capacité à penser. Il a également monté une fondation, Savoir être et vivre ensemble, dont la vocation est de former des animateurs de philosophie et de méditation dans les écoles. À lire : Philosopher et méditer avec les enfants (Albin Michel).
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TROIS MINUTES CHAQUE JOUR, ET TOUT CHANGE…
L’école, un cercle vertueux
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contrôle, c’est à cause du stress, parce qu’il ne retrouve plus le chemin. » Si l’enfant apprend, par des exercices de méditation de pleine conscience, à se recentrer et à se relier à lui-même, et qu’il les reproduit avant de réviser, et avant d’être interrogé, il retrouvera plus facilement le chemin de ses ressources. Depuis quelques années, Jeanne Siaud-Facchin intervient régulièrement directement dans les écoles, à la demande des enseignants. Ils bénéficient ainsi d’une formation qu’ils peuvent ensuite reproduire toute l’année avec leurs classes. « Il suffit déjà de faire quelques minutes (2 ou 3 suffisent) de pleine conscience avant le cours pour constater les bénéfices. Les enfants intègrent beaucoup plus solidement ce qu’on leur apprend. Ils sont plus calmes, plus apaisés, plus disponibles pour les apprentissages. Et on recommence une minute à la fin du cours. Les yeux fermés, les mains posées avec les paumes bien à plat. Pour se reconnecter à soi-même. Ça consolide ce qui vient d’être appris en mémoire, et permet de passer à une autre matière, ou à une autre activité, beaucoup plus sereinement. »
CANALISER L’ÉNERGIE DES ÉLÈVES ET ACCROÎTRE LA PATIENCE DES PROFS
« Le livre que nous attendions tous. » François Busnel
« Trois minutes en apesanteur, avec soi-même.»
L’ICONOCLASTE 231 pages, 19,90 €, avec un CD de 40 exercices guidés
D’autres initiatives méritent d’être signalées. En Suisse, rapporte le quotidien genevois Le Temps, depuis septembre 2015, la Côte International School a mis au point une méthode éducative fondée sur la pleine conscience. Pour leur apprendre à s’apaiser et à se reconnecter avec eux-mêmes, l’école a fait appel à une professeure de yoga et coach en méditation qui s’inspire, elle aussi, de la méditation de pleine conscience. La pratique aide les enseignants à canaliser l’énergie de la classe. Ainsi, plutôt que de perdre patience lorsque la concentration des enfants s’envole, la professeure de musique invite ses élèves à fermer les yeux et à écouter leur musique intérieure. Quelques minutes de pleine conscience suffisent pour retrouver le calme et la concentration. Les effets bénéfiques de la pleine conscience s’observent aussi en période d’examen (voir encadré). « Lorsqu’un enfant n’arrive pas à réciter sa leçon alors qu’il l’a correctement apprise, c’est généralement parce qu’il manque de confiance en lui-même, explique Jeanne Siaud-Facchin. Sa peur de l’échec altère ses facultés de concentration et de mémorisation. » Quelques exercices de pleine conscience suffisent parfois à retrouver le chemin de la connaissance. « Les yeux fermés, l’élève respire profondément quelques minutes et observe
LES BONNES NOTES DE LA MÉDITATION On connaissait les vertus de la méditation sur le stress, une étude publiée, en 2014, par la revue américaine Developmental Psychology suggère que la méditation pratiquée par plusieurs établissements nord-américains, selon la méthode Mindup, bénéficie aux performances scolaires des enfants dès 9 ans. L’étude a porté sur 99 élèves du primaire qui suivent des ateliers de méditation de pleine conscience à raison de trois minutes, trois fois par jour. L’accent est mis sur la respiration, et s’accompagne d’exercices simples comme sentir et manger en pleine conscience. Les enfants pratiquent également la gratitude et la bienveillance. Les chercheurs ont effectué des mesures physiologiques (le taux de cortisol, agent du stress notamment), comportementales, de bien-être tel qu’il est auto-évalué par les élèves, de sociabilité et de notes en maths. Les résultats sont spectaculaires. Comparé aux autres élèves, ce panel obtient des notes en maths supérieures de 15 %, et 24 % d’entre eux témoignent d’un comportement social moins agressif. Optimisme, concentration, empathie, tous les autres voyants sont également positifs.
ses pensées de peur ou d’anxiété sans les retenir ou les juger. Cette technique lui permet le moment venu de mieux puiser dans ses ressources. » Au Québec où de nombreux établissements ont fait entrer la pleine conscience à l’école, les enseignants ont constaté une nette diminution des incivilités en classe. Ces témoignages vont dans le sens du dalaï-lama pour qui « si, dès l’âge de 8 ans, on enseignait la méditation, nous pourrions éliminer la violence dans le monde en une seule génération ». La méditation bénéficie aux élèves, mais aussi aux professeurs. « Trois minutes de respiration permet de se recentrer et de faire tomber la pression, rappelle Jeanne Siaud-Facchin. Plus détendu, le professeur sera aussi mieux à l’accueil de ses élèves, qui à leur tour seront moins agressifs. » La méditation à l’école, un cercle vertueux"! O
Quoi de commun entre un ermite à demi-nu méditant jambes croisées dans une forêt, et un chirurgien se concentrant sur son souffle avant d'opérer à cœur ouvert ?
Exercez-vous à cette pratique progressivement et à votre rythme. Le cahier qui développe la propension à être heureux !
Pour les exercices pratiques pour enfants et ados, voir p. 112. Atelier de méditation ouvert aux enfants, voir p. 33.
www.editions-jouvence.com
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LA BIENVEILLANCE
BOOSTE LA PERFORMANCE” “La spiritualité a sa place en entreprise”, expose Chade-Meng Tan, qui enseigne avec succès la méditation aux salariés et dirigeants de Google. Rencontre avec un drôle de professeur de paix. Par Anne Laure Gannac
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earch inside yourself ou SIY. Littéralement : « Cherchez en vous-même. » Derrière ce nom associé au moteur de recherche le plus puissant au monde – Google – se tient un programme de formation à l’intelligence émotionnelle fondé sur la méditation de pleine conscience. Il est proposé depuis sept ans aux employés du géant de l’internet, dans la Silicon Valley, en Californie. L’idée est née dans la tête de l’un de ses premiers ingénieurs, Chade-Meng Tan, durant les 20 % de temps libre que Google concède à ses employés pour développer leurs propres projets. Avec Daniel Goleman, psychologue américain spécialisé dans l’intelligence émotionnelle, ce bouddhiste singapourien a mis au point un programme de sept semaines reposant sur trois piliers. Un : la maîtrise de l’attention, via la méditation. Deux : la connaissance de soi et la maîtrise de soi, ou comment utiliser sa capacité d’attention pour mieux connaître le processus de ses émotions et mieux les gérer. Trois : la création d’habitudes mentales sociales, en développant la bienveillance et la compassion. Chade-Meng Tan parcourt la planète pour faire adopter
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par d’autres entreprises ce programme, déjà suivi par plus de deux mille employés de Google. Mais pas seulement. S’affichant volontiers aux côtés de Matthieu Ricard, Natalie Portman, Sting ou Barack Obama, celui que l’on surnomme Jolly Good Fellow (« le joyeux chic type ») pour son goût de la blague, ne cache pas son intention de faire méditer le monde entier. Avant de donner une conférence devant des milliers de chefs d’entreprise, employés, méditants ou sceptiques curieux, il nous accueille pour un tête-à-tête dans un hôtel parisien. En chaussettes, assis en tailleur sur le fauteuil, l’air infailliblement joyeux. Et convaincant.
Psychologies : Voici sept ans que vous délivrez ce programme SIY au sein de Google. Qu’est-ce que cela a changé pour ses employés!?
Chade-Meng Tan : Leur vie, professionnelle et personnelle. Je le sais parce qu’ils me le disent : « Quand je bute face à un problème, je fais une méditation et après je sais le résoudre » ou « J’y vois plus clair quand je dois prendre une décision » ou « J’ai eu cette promotion, je sais que c’est grâce à ton programme ». Beaucoup me confient que cela a considérablement amélioré leurs relations : « Il y a moins de tension dans l’équipe », « Je suis plus à l’écoute ». Mais aussi leurs relations avec leurs proches. D’autres encore évoquent les effets sur leur santé ou le fait que, « sans savoir pourquoi », ils ont cessé de fumer… Mais ce n’est pas magique"! C’est un travail de l’esprit qui exige de l’entretien.
A-t-il été facile de l’imposer chez Google!?
C.-M.T. : Oui. D’abord parce que les gens qui y travaillent sont
ouverts aux nouvelles idées. Ensuite, parce que je m’appuie systématiquement sur des données scientifiques attestant des effets de la méditation. Puis parce que j’utilise le langage adéquat. Je ne dis jamais : « Plongez profondément dans vos émotions. » Mais : « Développez une haute résolution dans la perception de votre processus émotionnel. » Ça, c’est du langage pour ingénieurs"! Enfin, j’insiste sur les bienfaits qui les intéressent : la performance, la créativité, la produc-
CHADE-MENG TAN, singapourien, ingénieur chez Google depuis 2002. Depuis dix ans, il y met en pratique un programme fondé sur la méditation de pleine conscience et l’intelligence émotionnelle.
la gym : vous pouvez vous y mettre pour devenir plus musclé, pour perdre du poids, pour vous défouler… Peu importe"; dès lors que vous faites les bons gestes, vous obtiendrez un résultat positif.
Méditer reste une voie d’accès à la spiritualité : celle-ci a-t-elle sa place dans l’entreprise!?
C.-M.T. : Personnellement, je la définis ainsi : « Chercher en soi et, en cherchant en soi, aller audelà de soi. » Or, cette définition peut très bien s’appliquer au travail : faites votre boulot au mieux pour vous-même et, ce faisant, servez au mieux les autres – votre employeur, vos clients et le monde entier. Donc, en ce sens, oui, je pense que SIY est spirituel et que la spiritualité a sa place au travail.
En revanche, vous ne parlez jamais du fait que vous êtes bouddhiste, si!?
tivité. C’est ainsi que mon programme a su convaincre. Sans oublier mon irrésistible beauté, bien sûr. [Rires]
P E T E R DA S I LVA / T H E N E W YO R K T I M E S - R E D U X / R E A
Vous mettez donc la méditation au service de la productivité et de l’ambition personnelle!?
C.-M.T. : Oui, car nous sommes tous motivés par le succès et le profit. Si je propose un enseignement intitulé « Comment cultiver la bienveillance », seules quelques rares personnes vont le suivre. J’explique plutôt : « Si, quand vous entrez en réunion, votre regard est plein de bienveillance, tous voudront votre succès. »
Mais peut-on encore parler de méditation!? Traditionnellement, elle doit être gratuite, sans but…
C.-M.T. : C’est tout à fait juste. Mais l’essentiel, je crois, est de
bien pratiquer. Peu importe ce qui vous pousse à vous asseoir en méditation, l’important est ce qui se passe pendant l’assise, où, en effet, il ne doit plus y avoir de but. Prenons l’exemple de
C.-M.T. : Je ne le cache pas, mais je ne l’affiche pas non plus, parce que cela ne me semble pas utile"; devenir conscient ne nécessite pas d’être bouddhiste. Porter son attention sur son souffle et agir avec compassion, tout le monde peut le faire. Je veux mon enseignement accessible à tous, et l’étiquette du bouddhisme pourrait être une barrière pour certains.
Pensez-vous que, constatant ses bienfaits, les entreprises puissent vouloir imposer la méditation à leurs employés!?
C.-M.T. : Non, la méditation ne peut être imposée d’aucune
façon. Vous pouvez forcer les gens à construire une maison, parce que vous les verrez porter les briques, mais vous ne pouvez pas les forcer à faire de la méditation, parce que vous ne voyez pas leur esprit en action. La seule possibilité est de les motiver à s’y mettre. Pour cela, deux moyens existent : la présentation théorique de ses bienfaits et l’expérience. Si vous êtes sale depuis toujours et faites l’expérience de la douche et de la propreté, vous ne voudrez plus jamais revenir en arrière. De même, il suffit d’une expérience de méditation. ³
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Entretien | “La bienveillance booste la performance”
EN PRATIQUE ³
L’un des piliers de votre programme est la maîtrise de soi. Comment la distinguer du contrôle de soi, surtout dans le cadre professionnel, où l’on fait appel à la volonté et à l’ambition!?
C.-M.T. : Imaginez les émotions comme une vague, tandis
que vous êtes sur la plage. Vous ne pouvez pas arrêter la vague, mais au moins pouvez-vous éviter de vous laisser emporter par elle. Il vous faut, pour cela, développer un art de la glisse. SIY apprend l’art d’éviter de se laisser déborder par ses émotions, mais ne cherche en aucun cas à les étouffer. La confusion est aisée, mais pas longtemps"; très vite, chacun se rend compte qu’il est bien moins puissant à lutter contre une émotion qu’à la laisser passer. Car tout comme la vague disparaît à l’instant même où elle atteint la plage, l’émotion disparaît au moment même où elle nous atteint.
SIY veut permettre une meilleure maîtrise de nos émotions et de celle des autres. Comment être certain que cela ne sera pas mis au service de mauvaises intentions ou de manipulations!?
C.-M.T. : Il est impossible de pratiquer en même temps la
compassion, la bienveillance et la manipulation. C’est pour cela que l’enseignement de la méditation ne peut se passer de celui de la bienveillance et de la compassion. À commencer par la compassion pour soi-même : accepter d’être témoin de sa propre souffrance et de ses propres faiblesses. C’est indispensable, car c’est cela qui permet l’équanimité [notion renvoyant, dans le bouddhisme, à l’impartialité de la bienveillance, ndlr]. Ainsi, un bon méditant est aussi d’une puissante bienveillance.
Le temps pour méditer vous manque ? Vous ne tenez pas plus de quelques jours ? Exercez-vous, au quotidien, aux micropratiques proposées par Chade-Meng Tan, l’ingénieur bouddhiste. Vous pouvez pratiquer seul, à tout moment. Le bénéfice est extrêmement puissant sur l’instant comme à long terme : peu à peu, cela permet de modifier nos habitudes de pensée. Si vous êtes ou avez été un méditant : le matin, asseyez-vous en posture de méditation et faites une seule respiration en pleine conscience, c’est-à-dire en portant toute votre attention sur le souffle, sans le juger ni le modifier. Ensuite, vous pouvez continuer ou pas : une respiration est déjà essentielle. Une respiration en pleine conscience au milieu de la journée. Dans un moment de stress, par exemple juste avant de passer un appel téléphonique ou d’entrer en réunion : les yeux mi-clos, en silence, portez toute votre attention sur votre respiration. Une seconde. C’est tout. Chaque fois que vous allez aux toilettes, faites vos premiers pas en conscience : reportez toute votre attention sur la sensation du pied qui se pose, se lève, se déroule… Juste un, deux ou trois pas. Une pensée de bienveillance et de compassion par jour. Dans la rue ou au bureau, portez votre attention sur une personne au hasard, en pensant : « Je souhaiterais que cette personne soit heureuse. » C.-M.T.
Google est vivement critiqué et redouté pour sa puissance, qui semble échapper à tout contrôle…
Entre nous, êtes-vous vraiment sérieux quand vous affirmez que la méditation peut sauver le monde!?
succès tant que nos actions sont justes.
indissociables à l’instauration de la paix. La fin de la pauvreté et ce que j’appelle l’illumination globale, c’est-à-dire la paix intérieure, la joie et la compassion. Je me concentre sur la seconde. Mais la bonne nouvelle c’est qu’elle agit sur la première. Car plus nous serons dans la joie, la paix et la compassion, plus nous serons motivés pour créer un monde meilleur.
C.-M.T. : En effet. Pourtant, ma conviction est que l’on a du
Mais est-ce si « juste » de servir la course à la technologie!? Au nom de la paix intérieure, la majorité des méditants prône, au contraire, de l’abandonner…
C.-M.T. : Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle
les outils technologiques distrairaient notre attention. Je crois que nous avons toujours cherché des moyens de nous détourner de la pleine présence. Enfant, je passais mon temps avec un livre à la main, c’est une autre façon de ne pas « être, simplement ». La technologie n’a pas inventé le problème. De même que nous n’avons pas inventé sa solution, qui existe depuis des millénaires : apprendre à centrer son esprit.
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C.-M.T. : Oui, je crois qu’il y a deux conditions nécessaires et
Au fond, vous prenez votre mission très au sérieux…
C.-M.T. : Si cela ne tenait qu’à moi, je ferais du golf toute la
journée. Mais j’ai choisi de mettre mon esprit scientifique au service du dharma car, oui, je crois que c’est ma mission. Cela dit, je vous corrige : elle est bien trop importante pour que je la prenne au sérieux"! O
DE LA SAGESSE DANS
WAV E B R E A K M E D I A /AG E FOTO S TO C K
LE BUSINESS
Un quart des entreprises américaines proposent des ateliers de réduction du stress à leurs employés. Visite chez General Mills, le géant de l’agroalimentaire, où les cadres supérieurs pratiquent la méditation avant de prendre des décisions stratégiques, y compris celles qui sont parfois douloureuses. Par David Gelles, du “Financial Times” Traduction et adaptation Paul Velasquez
N
ichée sur plusieurs hectares de bois et de prairies à l’extérieur de Minneapolis, dans le Minnesota, General Mills est une des plus grosses entreprises au monde d’agroalimentaires – les produits Yoplait, Géant Vert ou les glaces Häagen-Dazs, c’est elle. Les trois mille employés occupent de jolis bâtiments aux allures de campus universitaire. Poussez la porte un mardi matin, et vous tomberez sur un groupe de quelques dizaines de cadres sup assis sur des petits coussins en train de méditer en silence. Dans une autre salle, en fin d’après midi, une cinquantaine de dirigeants se tiennent debout sur une jambe dans la posture yogique de l’arbre. Chaque bâtiment du QG est pourvu d’une salle de méditation, équipée de zafu (les coussins de méditation) et de tapis de yoga, où les employés n’hésitent pas à venir faire une pause entre deux réunions stratégiques. ³
HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 51
De la sagesse dans le business
rituelle. Cela va faire bientôt dix ans que le personnel de General Mills pratique la méditation de pleine conscience sur leur lieu de travail. La culture de l’entreprise en a été profondément marquée. « Il s’agit d’entraîner son esprit à voir avec plus de clarté, de faire en nous un espace de créativité et de nous sentir reliés les uns aux autres, affirme Janice Marturano, qui est à l’origine du programme. Cet esprit de compassion envers soi-même et les autres, les collègues, les clients, c’est ça la pleine conscience. »
STEVE JOBS, UN PRÉCURSEUR
L’initiative de General Mills est à l’avant-garde d’une révolution tranquille qui va peut-être transformer le monde de l’entreprise. Google, Sony, Apple, LinkedIn, Facebook ou Twitter ont déjà adopté la pratique. En France, des grands groupes mettent en place des programmes de méditation de pleine conscience pour leurs équipes dirigeantes, mais la plupart n’osent pas encore communiquer sur leur engagement (voir le témoignage d’Édouard-Malo Henry, p. 40). Steve Jobs a été un précurseur en ce domaine. Le fondateur d’Apple était ouvertement bouddhiste. Il a participé à de nombreux séjours de méditation en Inde et sa façon de voir le monde – et de concevoir ses produits – s’en est ressentie. « Il suffit de s’asseoir et d’observer ce qui se passe pour se rendre compte combien le mental est agité, a partagé Jobs avec son biographe, Walter Isaacson1. Essayez de le forcer à s’arrêter et ce sera pire. Mais à force de persévérance, le calme finit par s’installer et à ce moment-là des pensées plus subtiles viennent à jour. L’intuition peut alors se déployer et la situation apparaît plus clairement. L’esprit s’élargit littéralement. Mais c’est une discipline, qu’il est nécessaire de pratiquer régulièrement. » On estime à ce jour que plus d’un quart des entreprises américaines ont lancé des initiatives de réduction du stress, et ce nombre ne cesse de grandir. Je dois vous faire un aveu : je pratique moi-même la méditation depuis une bonne dizaine d’années. J’ai commencé à la fac, sous la forme d’un cours, puis je suis allé étudier en Inde pendant un an, où j’ai eu l’occasion de méditer avec des instructeurs de traditions zen ou bouddhiste tibétaines.
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“
— Mikisha Nation, ressources humaines —
“
³ Le tout dégage une sereine ambiance de communauté spi-
Des salariés heureux et impliqués dans leur tâche contribuent à créer un environnement où il est agréable de travailler
Je n’ai pour ma part jamais atteint d’état supérieur de la conscience, mais la méditation m’est utile quotidiennement, pour m’aider à rester calme dans un environnement professionnel stressant. Et, alors que mon boulot consiste à écrire sur les entreprises high-tech, j’y ai rencontré de plus en plus de dirigeants adeptes de la pratique.
SUR UN MATELAS EN SALLE DE CONFÉRENCES
La Silicon Valley constitue, en effet, un creuset pour la méditation au travail. Dans un autre secteur, celui des mutuelles de santé, Aetna, une des plus grosses entreprises américaines dans ce domaine, a lancé un programme de méditation et de yoga pour ses employés dès 2010. Le P-DG Mark Bertolini, lui-même méditant, en est à l’origine. Après y avoir converti ses trois mille cinq cents employés, c’est à ses clients qu’Aetna propose désormais un forfait de méditation. « Tous les matins au réveil, je pratique mes asanas, pranayamas, chants védiques, et ma méditation, raconte Mark Bertolini à la revue Yoga Journal. C’est mon programme de bien-être. Il me permet d’être mieux centré et davantage présent. » Chez Target, le géant américain de la grande distribution établi lui aussi à Minneapolis, un groupe appelé les Marchands méditants a été mis sur pied en 2010. La pratique est ouverte à tous les employés et plus de cinq cents d’entre eux à ce jour y ont pris part. La méditation se tient quotidiennement à l’heure du déjeuner. Mikisha Nation, 33 ans, originaire de Jamaïque et qui travaille aux ressources humaines, a participé à la mise en place de ce groupe de méditation en complément de ses activités professionnelles. « Je sais que ça peut paraître bizarre de s’allonger sur un matelas au milieu d’une salle de conférences, mais des salariés, heureux, en bonne santé et impliqués dans leur tâche contribuent à créer un environnement où il est agréable de travailler, dit-elle. En fait, on y gagne tous"! »
Chez Green Mountain Coffee, un producteur de café en grains, la direction propose des retraites mensuelles d’une journée aux employés, ouvertes également à leur famille et amis. Les séances sont conduites au sein de la maison-mère dans le Vermont par un instructeur bouddhiste américain. À Londres, l’entreprise YogaAt dispense des formations de yoga et de méditation à des entreprises comme la chaîne hôtelière Taj et le club de foot professionnel de West Ham. YogaAt est dirigé par un ancien banquier, James Muthana, qui a quitté la City après dix années dans la finance. Son nouveau business est florissant. « Mes clients se rendent compte qu’il ne suffit pas d’attirer de jeunes talents, il faut aussi les garder et les aider à croître. »
LA JURISTE AU LANCEMENT DU PROGRAMME
Le programme de General Mills, Mindful Leadership, fait intervenir de la méditation assise d’inspiration bouddhiste et du yoga doux. L’idée est que des employés moins stressés sont plus productifs et de meilleurs dirigeants, pour le plus grand bénéfice de l’entreprise. Plus de sept cents cadres supérieurs ont pris part au programme, dont la réputation a gagné l’ensemble des États-Unis et que d’autres multinationales l’ont adopté. Comment une entreprise pesant 17 milliards de dollars (16 milliards d’euros) de revenus en est-elle arrivée à se lancer dans une révolution spirituelle"? La réponse, c’est la transformation personnelle d’une employée en particulier qui va nous l’apporter, la « gourou de General Mills ». Janice Marturano a rejoint l’entreprise en 1996 comme juriste au sein du service juridique. C’est une femme de petite taille et calme, au CV parfait : la meilleure école de droit de New York, puis Panasonic et Nabisco, une carrière d’une dizaine d’années déjà. À la General Mills, Janice Marturano sert d’agent de liaison d’une part avec la Food and Drug Administration, un service du gouvernement fédéral américain qui décerne les autorisations de mise sur le marché, et d’autre part avec les instances de la bourse de Wall Street qui veillent au maintien de la libre concurrence sur le marché américain. Un rôle pivot. En 2000, General Mills entreprend de racheter Pillsbury, un géant de la boulangerie et pâtisserie industrielle, pour 9 milliards d’euros. Le deal devait donner naissance au quatrième plus grand groupe alimentaire mondial, mais les régulateurs juridiques ont fait traîner les négociations pendant un an et demi. Pour Janice, la pression était terrible. Pour ne rien arranger, ses parents sont morts durant cette période. Elle se sentait émotionnellement et mentalement
QUELQUES CHIFFRES À MÉDITER… 25% 30% 3 500 89%
des principales entreprises américaines proposent à leurs employés des ateliers de réduction de stress. c’est la baisse du niveau de stress après une heure de yoga, pour les employés de l’assureur Aetna (rapport Aetna/Duke University).
employés d’Aetna se sont inscrits aux ateliers de méditation de pleine conscience et de yoga proposés par l’entreprise. des dirigeants seniors de General Mills affirment être mieux à l’écoute de leurs collègues grâce à la méthode de la pleine conscience.
épuisée. « Je n’arrivais plus à m’en sortir », reconnaît-elle. C’est alors qu’elle s’est inscrite à une retraite de méditation en pleine conscience animée par Jon Kabat-Zinn (voir p. 60), dans le désert de l’Arizona. Elle ne savait pas à quoi s’attendre en arrivant. « Jon nous a annoncé que nous allions commencer par une méditation d’une heure, et je me suis dit, quoi, il se fout de nous"? Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir fabriquer pendant toute une heure à ne rien faire"? », se souvient-elle. Mais au sixième et dernier jour de la retraite, Janice, s’est retrouvée à pratiquer une marche méditative dans le désert à 6 heures du matin, sans aucune envie de retourner à la civilisation. Elle a continué à méditer une fois rentrée à la maison, à Minneapolis, et a commencé à constater de petits changements dans sa vie. Elle se sentait émotionnellement plus résiliente et plus concentrée au travail. Mais au bout de quelque temps, la tension entre la clandestinité de la méditation d’une part, la frénésie du juridique commercial de l’autre, lui a paru constituer une absurdité. « Je voulais ³
HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 53
De la sagesse dans le business
³ trouver le moyen de combiner les deux activités. »
Elle entreprend d’en parler à quelques collègues dont elle savait qu’eux aussi pratiquaient la méditation. Quand le nombre de sympathisants à sa cause lui a paru suffisant, elle s’est adressée à Saki Santorelli, professeur associé à l’école de médecine de l’université du Massachusetts et proche de Kabat-Zinn, avec qui il avait étudié les effets physiologiques de la méditation, pour mettre au point le premier jet d’un programme. Début 2006, ils accompagnent treize dirigeants de General Mills dans un petit B&B du Minnesota pour une retraite de cinq jours. « Nous étions en fait tous très excités, se souvient Beth Gunderson, directrice du pôle efficience de l’organisation. Tout le monde voulait en être"! Et soudain l’initiative avait pris vie. »
DES DIRIGEANTS PIEDS NUS
À ce jour, le programme de méditation de pleine conscience a été dispensé à plus de quatre cents employés de General Mills et à plusieurs centaines de dirigeants d’autres entreprises. Dans la foulée, Janice Marturano a fondé l’Institut pour le leadership en pleine conscience, une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de former des dirigeants de diverses sociétés. Après quinze années de bons et loyaux services à General Mills, Janice Marturano a rejoint l’institut pour y travailler à temps complet. Elle retourne toutefois régulièrement sur le campus de General Mills pour participer à la refonte culturelle de son ancien employeur. Je m’y suis rendu un mardi de juin, dans la chaleur continentale du Middle West. C’est une chose de savoir que des centaines de dirigeants pratiquent la méditation et le yoga, une autre de les voir en action – ou plutôt dans l’inaction, pieds nus sur leur matelas, un sourire radieux illuminant
80 % des dirigeants estiment que le changement dans leur aptitude à prendre des décisions est positif 54 — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — HORS-SÉRIE
MÉDITATION & PRODUCTIVITÉ La méditation apaise le stress. Elle améliore l’écoute à l’autre, facilite les relations, éventuellement libère la créativité. Pour autant, appliquée dans l’entreprise, rend-elle les salariés plus productifs ? Rien n’est moins sûr, car la pratique méditative est paradoxale : à titre personnel, elle apporte d’autant plus de bénéfices que l’on ne cherche justement pas à être « efficace » ou « performant ». Vouloir méditer à tout prix n’a pas beaucoup de sens, car méditer consiste à glisser un espace entre soi et ce qui résiste en soi, voire à ce que cet espace s’immisce sans qu’on l’y force. On ne peut donc pas contraindre qui que ce soit à méditer. Il s’agit d’une démarche personnelle qui peut rendre plus performant si la performance n’est pas exigée, mais qui peut aussi libérer le méditant, ouvrir pour lui des espaces nouveaux : autant d’inattendu qui ne rendra pas forcément le salarié plus productif. Christophe André
leur visage. La séance de deux heures était prévue pour 16 heures, dans une vaste salle de conférences près de l’accueil. En arrivant les uns et les autres se sont enlacés, et j’ai même remarqué ici et là des larmes d’émotion : la direction avait récemment annoncé une première vague importante de licenciements. Parmi les participants, il y en avait qui allaient devoir mettre fin au contrat de certains de leurs collègues, alors que d’autres figuraient parmi les futurs chômeurs. La méditation est une chose, la loi du marché en est une autre. Les participants accueillaient Janice Marturano comme une vieille amie. Portant des vêtements décontractés – souvent des tee-shirts vantant les produits maison – les uns et les autres ont pris place sur les zafus, jambes croisées ou sur les genoux. Janice, elle-même en position de lotus, a fait résonner à trois reprises un bol de prières tibétain en bronze. « Veuillez adopter la posture qui, en ce moment même, vous paraît digne et forte, at-elle prononcé d’une voix chaude et enveloppante. Laissez votre corps se reposer et sortir de son agitation, et portez la sensation sur chacune de vos respirations. » Un soupir a parcouru l’assistance alors que tous ces dirigeants très stressés ont commencé à lâcher leurs tensions. l’animatrice a continué à mettre l’accent sur l’attention à la
respiration, qui est à la base de la méditation. Le groupe tout entier s’est laissé aller à la sensation de l’air qui entre et sort par les narines. Au bout de quelques minutes, elle les a invités à étendre cette présence à l’ensemble du corps. Trente minutes plus tard, elle a fait résonner le bol à nouveau. Le groupe s’est levé à l’unisson et chacun a poussé les coussins au bord de la salle pour les remplacer par de fins matelas de yoga. Pendant la demi-heure qui a suivi, Janice a conduit son groupe à travers une série de postures douces, invitant chacun, encore une fois, à faire l’expérience des sensations du corps. Puis elle s’est lancée dans un petit discours impromptu tricoté d’un poème, de commentaires sur la pleine conscience et de propagande de l’entreprise. Elle a évoqué les licenciements à venir. « En période de transition dans nos vies, il est tellement facile d’être pris dans la tourmente et de s’y perdre, a-t-elle dit. Profitez de cette pratique pour stabiliser votre mental. Les temps sont durs, mais peuvent aussi être des temps d’espoir. »
UNE PRATIQUE QUI RÉDUIT AUSSI LES COÛTS
General Mills présente la particularité d’avoir embrassé à un niveau institutionnel le programme du leadership en pleine conscience. Le résultat a été spectaculaire, au moins en termes d’image : en 2011, le magazine Leadership Excellence a décerné à l’entreprise le prix donné chaque année aux dirigeants innovants – l’année d’avant, General Mills n’était qu’en quatorzième position. Les résultats sont également probants en termes d’efficacité du programme. Après la première des sept semaines de cours dispensés par Janice Marturano, 83 % des participants ont déclaré « prendre du temps chaque jour afin d’optimiser ma productivité personnelle », contre 23 % avant le cours. 82 % déclarent éliminer de leurs activités les tâches contre-productives (contre 32 % avant). Parmi les dirigeants participant à l’atelier, 80 % estiment que le changement dans leur aptitude à prendre des décisions est positif, et 89 % affirment être mieux à l’écoute des autres. D’autres sociétés ont pu apprécier les vertus de la méditation, tant sur le plan de la santé des employés que dans la réduction des coûts. La compagnie d’assurances Aetna, en partenariat avec l’école de médecine de l’université de Duke, a constaté qu’une heure de yoga permettait de réduire de 30 % le stress de ses salariés et de diminuer les coûts moyens de dépenses de santé de 1900 euros par an et par salarié. « Les bénéfices se mesurent également en famille, constate Mike Martiny, chef de l’information chez General Mills et
pratiquant depuis 2007. Si je suis avec mes enfants et que je passe mon temps à consulter mes emails, c’est comme si je n’étais pas avec eux. La méditation m’a appris à faire chaque chose en son temps. Quand je suis avec les miens, je suis vraiment avec eux. »
À L’HEURE DE LA MONDIALISATION
Bien que la méditation de pleine conscience puise ses racines dans le bouddhisme – une spiritualité antimatérialiste et anticapitaliste par essence –, la plupart des adeptes de la méditation en entreprise ne voient pas de contradiction entre l’esprit et la pratique. Sans doute la démarche fait-elle désormais partie de la mondialisation. Après tout, General Mills vend des produits alimentaires en Inde aussi bien que dans l’Indiana. De la même façon, les principes fondamentaux des grandes religions s’échangent désormais librement à travers le monde. Tant et si bien que ces gens bossant dur pour produire, par exemple, des céréales de petit déjeuner à faibles calories, mais dégageant de fortes marges bénéficiaires, ont parfaitement le droit d’améliorer par la même occasion leur vie spirituelle, voire de faire l’expérience de l’illumination. « Il ne s’agit plus d’équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, affirme Janice Marturano. Nous n’en avons qu’une vie. Ce qui compte, c’est de s’y éveiller. » O 1. In Steve Jobs de Walter Isaacson (Le Livre de poche).
À LIRE
Ces décideurs qui méditent et s’engagent, un pont entre sagesse et business de Sébastien Henry Un ouvrage foisonnant qui explore l’impact de la méditation sur le management. Il propose aux dirigeants des exercices pour développer la pratique méditative dans leur entreprise. (Dunod)
Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité de Michael Chaskalson Des exercices simples et courts, des astuces à utiliser au bureau pour développer sa créativité, sa concentration et son écoute. (Les Arènes)
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UN JUGEMENT DE PLEINE CONSCIENCE
Par Jon Kabat-Zinn1
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J’
ai eu l’occasion, il y a quelques années, de diriger un programme de huit semaines de MBSR (mindfulness based stress reduction) destiné à un groupe de juges de la cour fédérale de grande instance du Massachusetts. Je me suis très vite rendu compte que le stress faisait partie des risques élevés de leur métier. Jour après jour, semaine après semaine, les juges témoignent et s’imprègnent du flux constant – horrible mais au final fastidieux – des funestes conséquences de l’avidité, de la haine, de l’ignorance et de l’inattention humaines, grandes ou petites, selon les affaires. En outre, chacun des mots qu’ils prononcent dans la salle d’audience est noté et consigné dans les archives publiques, mais peut être également repris par les médias et cité hors contexte. Au moindre dérapage,
R O B E R T DA LY/G E T T Y I M A G E S
Et si la méditation de pleine conscience entrait au tribunal!? Jon Kabat-Zinn raconte ici comment cette pratique a pu inspirer les instructions données par un juge du Massachusetts au jury du célèbre procès d’Amy Carter et d’Abbie Hoffman.
ils peuvent être accablés de critiques, si bien qu’ils ont tendance à en dire le moins possible. (…) Aussi les juges tendentils naturellement à être prudents. (...) Dans les affaires non jugées par des jurys, ils doivent également se faire une opinion, seuls, et aboutir à des verdicts. Ce qui peut s’avérer une autre source de stress – une des parties s’estimant inévitablement lésée, quand ce ne sont pas les deux. De plus, qu’ils soient élus ou nommés à vie, il arrive que leurs décisions aient des retombées politiques importantes, ce qui constitue une pression supplémentaire. Le voudraient-ils, ils ne pourraient évidemment pas faire part chaque soir à leur famille des détails de leurs journées. Pourtant, à moins qu’ils ne disposent d’un moyen particulièrement efficace pour rester détachés et demeurer dans une sagesse et une équanimité réelles, chaque fois qu’ils se présentent simplement à leur travail et qu’ils prêtent l’oreille aux témoignages et aux arguments de chacun, une goutte de poison leur est instillée. Pour couronner le tout, personne ne leur a appris à siéger, bien qu’il s’agisse du motclé de leur métier. Apprendre à siéger/à s’asseoir dans le cadre de la MBSR semblait donc idéal sur le plan karmique pour ces juges de la cour fédérale. Et, en effet, ces huit semaines de pratiques passées ensemble ont été formidables. Pour la première fois, la plupart d’entre eux ont disposé d’une tribune où ils pouvaient s’exprimer de manière relativement ouverte avec leurs pairs dans un cadre protégé, puisque nous nous trouvions dans un hôpital, loin de tous les attributs judiciaires. Leur stress était abordé dans le contexte plus vaste de la pleine conscience et de l’apprentissage de différentes façons de la pratiquer avec créativité, en tenant compte de leur situation unique. Quelques mois après ce travail avec les juges, dans une fête organisée chez un ami à l’ouest du Massachusetts, j’ai fait la connaissance d’un jeune avocat, Tom Lesser, qui pratiquait la méditation bouddhiste. Il m’a raconté l’histoire suivante.
“LE PROCÈS DE LA CIA”
Il faisait partie de la défense dans une célèbre affaire du Massachusetts jugée en 1987 : le procès Amy Carter et Abbie Hoffman. Amy Carter était la fille de l’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter. Son coaccusé n’était autre qu’Abbie Hoffman, l’activiste politique et leader yippie2 des années 1960 qui, en tant que membre des Sept de Chicago3, avait fait l’objet d’un des procès les plus médiatisés et les plus controversés de l’histoire des États-Unis. Hoffman était ensuite entré dans la clandestinité pour échapper à des poursuites pour trafic de drogue et avait eu recours à la chirurgie esthétique pour ne pas être reconnu. Pendant plusieurs années, il était parvenu à mener une vie respectable et même publique sous une fausse identité, au sein d’une communauté de banlieue dans le nord de l’État de New York. En fait, sous les traits de l’activiste citoyen modéré Barry Freed, il avait été nommé à une commission fédérale sur l’écologie par le président Carter, avait témoigné devant une commission du Sénat américain et reçu une citation du gouverneur de New York, Hugh Carey, pour son travail en faveur de l’environnement et de la vie locale sur le fleuve Saint-Laurent. Toujours est-il qu’en novembre 1986 Amy Carter et Abbie Hoffman, désormais à visage découvert, s’étaient associés à un certain nombre d’autres individus pour protester contre le recrutement organisé par la CIA sur le campus principal de l’université du Massachusetts. Environ une centaine d’entre eux avaient été arrêtés pour violation de la propriété et trouble de l’ordre public, et quinze avaient fini par être jugés pour leur acte de désobéissance civile, conformément à leur volonté. La presse avait surnommé l’affaire « Le Procès de la CIA ». La défense était parvenue à convaincre un jury composé de six citoyens que les lois civiles que les accusés avaient enfreintes étant mineures comparées aux actes criminels de la CIA, notamment le financement d’une guerre illégale au Nicaragua à travers l’affaire Iran-Contra4. Des témoins éminents avaient attesté que la CIA violait des lois nationales et internationales, ³
Apprendre à siéger en pleine conscience semblait idéal sur le plan karmique pour ces juges de la cour fédérale
HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 57
Un jugement de pleine conscience
³ et que les accusés n’avaient en réalité pas eu d’autre choix que
attention très particulière à mes instructions. Vous vous soud’agir comme ils l’avaient fait pour mettre un terme à ces agis- venez de ce terme que j’ai déjà utilisé la dernière fois et que sements contraires aux souhaits express du Congrès. En défi- j’utiliserai de nouveau aujourd’hui, en faisant référence à la nitive, Carter, Hoffman et leurs coaccusés s’étaient vus acquit- méditation de pleine conscience, n’est-ce pas"? (…) Je veux que ter. Les médias avaient relayé l’affaire à travers tout le pays. En vous prêtiez attention moment après moment après moment. sa qualité d’avocat de la défense, Tom Lesser se trouvait pré- C’est important, parce que les règles de notre justice sont telles sent dans la salle d’audience quand le juge avait « briefé » les ju- qu’aujourd’hui c’est vous qui allez exercer les droits que nous rés retenus, un phénomène déjà inhabituel en soi. En général, confère la Constitution. (…) Et c’est très important parce que on n’indique pas au jury comment il doit considérer une affaire vous représentez chaque citoyen de ce pays. » avant qu’elle ne soit terminée, que toutes les preuves aient été présentées. Imaginez donc son étonnement quand le juge pro- S’ASSEOIR DANS UNE POSTURE DE DIGNITÉ nonça le discours suivant (je reprends au mot près les minutes Peut-être devrait-on rappeler systématiquement les de l’audience) : « Il est important que vous compreniez les élé- consignes de pleine conscience aux jurys avant chaque proments de l’affaire. Il est également important que vous prêtiez cès. Voici les termes génériques que tout juge pourrait emtoute votre attention, selon la terminologie de la méditation ployer pour aller à l’essentiel sans se servir du mot « méditation » : « Je veux que vous de pleine conscience dont j’ai écoutiez ce qui sera présenté pris connaissance il y a quelque dans cette salle d’audience temps. La méditation de pleine avec une attention totale. conscience est un processus Pendant que vous écouterez par lequel on prête attention les témoignages, il vous sera moment après moment après peut-être utile de vous asseoir moment. Il est aussi important dans une posture qui incarne que vous mainteniez un esprit la dignité et la présence, et de ouvert, que vous ne preniez pas rester en contact avec la sensade décision avant que toutes les tion de votre souffle qui entre preuves aient été soumises à et qui sort. Soyez conscients votre examen. » — Richard Connon, juge — de la tendance de votre esprit à LES CONSEILS tirer des conclusions avant que DU JUGE tous les témoignages ne soient Le juge donnait des instructions de pleine conscience au jury"! présentés et les plaidoiries finales prononcées. Essayez au Peu après la fin du procès, Tom était allé lui rendre visite dans mieux de suspendre en permanence votre jugement et d’être son cabinet pour savoir comment il avait connu la pleine simplement témoins de tout ce qui se présente dans la salle conscience et la méditation. D’après les souvenirs du jeune d’audience, moment après moment après moment. Si vous avocat, le juge, Richard Connon, a répondu à peu près ceci : constatez que votre esprit est trop distrait, vous pouvez tou« J’ai participé récemment à un programme de réduction du jours le ramener à votre souffle et à ce que vous entendez, stress à l’école de médecine de l’université du Massachusetts. encore et encore si nécessaire. Ce n’est que lorsque tous les Au cours du stage, Jon Kabat-Zinn a souligné combien il est témoignages auront été présentés que vous pourrez délibéimportant de regarder les choses moment après moment après rer ensemble en tant que jury et aboutir à une décision. Mais moment. Eh bien, ça m’a semblé tout simplement stupéfiant. pas avant. » O J’avais songé à regarder les choses moment après moment, mais les regarder se déployer moment après moment après 1. Texte extrait de L’Éveil des sens, de Jon Kabat-Zinn (Pocket). moment est radicalement différent – l’idée que l’attention 2. Les yippies sont les membres du Youth International Party, un parti libertaire créé aux États-Unis en 1967. puisse être à ce point continue et ininterrompue était tout 3. Les Sept de Chicago sont sept activistes radicaux qui avaient appelé simplement étonnante. C’est exactement ce qu’on attend d’un à l’insurrection lors de la convention démocrate en 1968. jury. » Juste avant les plaidoiries, le juge a rappelé ses instruc- 4. L’affaire Iran-Contra a eu lieu dans les années 1980. Les États-Unis, de la présidence de Ronald Reagan, ont vendu des armes à l’Iran, alors tions. « Je vous demande à présent de prêter une attention lors sous embargo, pour financer les Contras, mouvement anticommuniste particulière aux plaidoiries, mais également de prêter une nicaraguayen.
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Une attention à ce point continue, c’est exactement ce que l’on attend d’un jury
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ET VOUS, JON KABAT-ZINN,
COMMENT MÉDITEZ-VOUS ? Chantre de la méditation de pleine conscience, Jon KabatZinn est l’un des premiers à introduire cette pratique en milieu hospitalier afin de soulager les douleurs chroniques. Quels sont ses conseils au quotidien"? Lui aussi pratiquant, notre journaliste l’a confronté avec ses propres résistances. Propos recueillis par Philippe Romon Illustration Mélanie Kochert
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iplômé du MIT (Massachusetts Institute of Technology), docteur en biologie moléculaire et professeur émérite de médecine à l’université du Massachusetts, Jon KabatZinn 1 pratique à titre personnel la méditation de pleine conscience depuis près d’un demi-siècle. Il a fondé la Clinique de réduction du stress basée sur la pleine conscience, en 1979, et le Centre pour la pleine conscience dans la médecine, en 1995. Sa carrière de chercheur s’est concentrée sur les interactions entre psychisme et organisme, notamment sur la façon dont cette pratique peut aider les personnes souffrant de douleurs chroniques. S’inspirant du bouddhisme, Jon Kabat-Zinn a su donner une dimension laïque et contemporaine à la méditation – contribuant à son succès. Plus de huit cents centres hospitaliers dans le monde proposent ses programmes. De passage en Europe pour une série de conférences, il nous reçoit, détendu, souriant et pugnace, dans les bureaux de son éditeur parisien.
Psychologies : Je propose que nous partions d’une situation concrète. Ce matin, je me suis réveillé à la fois anxieux et déprimé. En quoi la méditation peut-elle m’aider!?
JonKabat-Zinn : Permettez que je vous cite ce passage du poète persan Rûmi, écrit au XIIIe siècle : « Aujourd’hui, comme tous les jours, nous nous réveillons vides et
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Jon Kabat-Zinn devant notre journaliste Philippe Romon. ³ HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 61
Entretien | Et vous, Jon Kabat-Zinn, comment méditez-vous!?
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Debout dans le métro, ressentez vos pieds sur le sol, ça bouge. Respirez : ça sent mauvais ? Tant mieux ! Vous êtes vivant
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³ terrifiés. Mais, avant d’ouvrir le tiroir de notre cerveau,
écoutons la musique dans notre cœur. » La méditation de pleine conscience, c’est exactement cela : elle apprend comment être dans une relation apaisée malgré les expériences douloureuses. L’essentiel est d’atteindre un espace en soi où l’on sait – pas de manière cognitive ou cérébrale, mais intuitivement – que l’on ne fait pas un avec sa douleur. Une forme de conscience attentive à soi.
C’est très bien, comme projet, mais cela reste tout de même un peu abstrait…
J.K.-Z. : Il est important de savoir que l’on peut, au réveil, se sentir vide, terrifié, déprimé, anxieux, etc. De le savoir, et de l’accepter. La méditation propose d’explorer cet état. C’est un des paradoxes de la méditation : il ne sert à rien de se forcer. Il faut s’y mettre, mais en laissant venir. C’est très zen.
Oui, mais comment s’y prend-on!? Je ne suis toujours pas sûr d’avoir compris ce que je peux faire, le matin au réveil, pour surmonter l’état dans lequel je suis.
J.K.-Z. : Pour commencer, rien. Vous restez au lit. Allongé
sur le dos, immobile. Et, petit à petit, vous ressentez votre corps. Les sensations qui en émanent. Sa respiration. Je ne parle pas ici que de l’inspiration et de l’expiration, qui passent par le nez ou la bouche, mais du corps tout entier qui respire. Votre attention se porte donc sur cette chose bien concrète, bien présente, ici et maintenant, votre corps. Prendre conscience du souffle a en soi déjà un effet apaisant. Mais pas seulement. Il vous permet de vous reconnecter, de littéralement reprendre corps. À partir de là, essayez de localiser l’anxiété. Où se manifeste-t-elle"? Dans la tête, sous la forme de ce terrible nuage noir, mais
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peut-être aussi au niveau du sternum, ou à travers une tension dans l’épaule.
C’est en général le moment où les idées noires reprennent le dessus : je ne vaux rien, j’ai un millier de choses à accomplir mais pas le moindre désir de m’y mettre, etc.
J.K.-Z. : Tout à fait. Le mécanisme habituel se met en place.
Mais, à ce moment-là, dites-vous la chose suivante : toutes ces idées noires, que sont-elles d’autre que… des idées. Des pensées. Que vous pouvez décider d’observer, comme des bulletins météo de vous-même : accumulation de brouillard, gros orage en perspective, voire dépression en mer d’Irlande. Et que se passe-t-il quand on observe ces nuages"? Ils se dissipent. Rien de tout cela n’est permanent, sauf, bien entendu, si vous vous identifiez à votre souffrance. Si vous vous dites : cette dépression, c’est moi. Alors, oui, elle va rester en vous toute la journée.
Mais c’est bien ce qui se produit!! Cette dépression, cette angoisse, je ne la vis pas comme une chose extérieure à moi mais comme faisant partie de moi, de ma vie. Je dirais même : peut-être m’aide-t-elle à vivre!!
J.K.-Z. : Et pourtant. En observant votre météo intérieure,
vous avez introduit un interstice, du jeu. Les choses ne sont déjà plus aussi monolithiques. Peut-être trouverez-vous alors la force de vous lever et d’aller vous brosser les dents. En pleine conscience, à nouveau. Juste ça : se brosser les dents, se rendre compte que l’on se brosse les dents. Pareil pour le petit déjeuner : quel goût a le thé ou le café ce matin"? Ce morceau de pain"? Rien de tout cela ne dépend de mes pensées, n’est-ce pas"? Mais bien de ce que je suis en train de ressentir dans l’instant présent. Ce sont de petites étapes, mais elles permettent de réaliser un progrès formidable simplement parce que la dépression, sans disparaître complètement, cesse d’être une prison. Rien de magique, mais la mise en place d’une distance avec ce qui fait souffrir. Méditer, c’est accepter l’émotion qui s’empare de nous tout en reconnaissant que nous ne sommes pas tout entiers cette émotion.
Comment cela se passe-t-il pour vous!? Êtes-vous exempt de ces avis de gros temps!?
J.K.-Z. : Je suis un humain comme les autres, j’ai moi aussi
des émotions. De la colère, de la tristesse, du chagrin…
Et ce n’est pas à déplorer, pas plus qu’une simple averse n’annonce de dérèglement climatique. Bien entendu, parfois, il faut affronter des épreuves plus lourdes. Une tornade, un tremblement de terre, un décès… C’est la condition humaine. Mais tout dépend ensuite de la relation que l’on peut établir à notre condition humaine. La méditation de pleine conscience permet justement de trouver la bonne distance.
monde autour de vous prendra une autre dimension, moins écrasante. Essayez, vous verrez, le transport vous paraîtra bien plus supportable. Parce que vous en faites une expérience personnelle, vous sortez du piège dans lequel il vous enfermait. Je ne dis pas que l’on y parvient du jour au lendemain. Notre programme de formation en huit semaines est là pour vous y aider.
Et comment pratiquez-vous!?
On dirait que vous cherchez à me vendre votre produit!! La fin de la souffrance, le mieux-être, c’est aussi ce que propose l’industrie pharmaceutique…
J.K.-Z. : Je me lève, quel que soit mon état d’âme, je vais me
brosser les dents et je m’installe sur mon coussin de méditation. Voilà ma seule discipline depuis maintenant près d’un demi-siècle. J’enchaîne des postures de yoga pendant une vingtaine de minutes, en savourant ce que je ressens, douleur ou satisfaction. Parfois, la vingtaine de minutes se transforme en une heure… Je laisse l’énergie m’emplir.
C’est formidable, vingt minutes, une heure, mais la méditation est votre profession. Pour un pauvre mortel comme moi, tenir plus de quelques minutes est une épreuve que je ne peux pas surmonter!!
J.K.-Z. : Quand vous dites « je », de qui parlez-vous au juste"? Qui est ce « je » qui s’impatiente"? Déjà là, vous pouvez explorer la question. Il y a le « je » qui veut pratiquer et celui qui se lasse. S’agit-il du même « je »"? Vous pouvez examiner ce glissement comme un scientifique le ferait de son objet d’étude. D’un autre côté, les trois minutes que vous consacrez quotidiennement à la méditation vous conviennent peut-être parfaitement. Qui sait, dans dix ans, vous en serez peut-être à quinze heures au fond d’une grotte dans le Cachemire – ce que je ne recommande pas forcément"! Au-delà de ces quelques minutes où vous vous forcez à méditer, peut-être devriez-vous simplement ne rien faire, comme nous le disions tout à l’heure. Rester assis, et respirer.
Ce n’est pas qu’une question de patience. Tout le monde ne peut pas consacrer deux heures par jour à la méditation.
J.K.-Z. : Ce que je préconise, ce n’est pas tant de méditer
que d’« être ». Être dans ce que l’on fait, au moment présent. Je sais bien que certains d’entre nous ont des conditions de vie difficiles. Il faut se lever tôt, s’occuper des enfants, prendre le métro… Même là, cependant, il est possible d’être en pleine conscience. Debout dans le métro, ressentez vos pieds sur le sol, ça bouge. Respirez : ça sent mauvais"? Tant mieux"! Vous êtes vivant"! Observez les visages des autres passagers. La beauté, la laideur, la souffrance, et soudain le
J.K.-Z. : Oui, mais moi je prescris de la méditation à la place
de la médication. Avec l’avantage considérable que, une fois la pratique méditative acquise, vous en bénéficierez pour la vie. C’est quand même mieux que d’être accro aux médocs, non"?
Et la psychothérapie!? Vous avez l’air sceptique.
J.K.-Z. : La psychothérapie dépend de la qualité du théra-
peute. Je ne conteste pas la valeur des thérapies. Mais, avec la méditation, nous vous apprenons à vous débrouiller tout seul. Prenons un exemple : sommes-nous en train de méditer dans cet échange"?
Je ne sais pas, c’est vous l’expert!!
J.K.-Z. : Eh bien, pour moi, oui, c’est de la méditation. La
manière dont je suis en relation avec l’expérience même de cet entretien est pour moi une forme de méditation. Le fait d’être présent à soi et aux autres, c’est ça, la méditation. Et il y a de la beauté dans chacun de ces moments. Ne pas la voir, c’est passer à côté de la vie. Rûmi, le poète soufiste dont nous parlions tout à l’heure, a également écrit : « Durant des années, j’ai mené ma propre existence fuyant le vide. Puis un plongeon, un balancement des bras, et c’est fini. » Or que faisons-nous si souvent"? Nous désirons ce que nous ne pouvons pas avoir, même lorsque nous l’avons. « Je suis à Kyoto et je me languis de Kyoto », dit un autre poète, japonais. Le stress de cette insatisfaction chronique est considérable. De la folie pure"! La méditation nous réconcilie avec l’instant présent. En nous détachant de nous-mêmes, elle nous réconcilie avec nous-mêmes. O
1. Auteur de Méditer : 108 leçons de pleine conscience (Marabout “Poche”) et de Méditations guidées (De Boeck Supérieur).
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Chapitre 2
UN ART
DE VIVRE
Méditer, c’est vivre pleinement chaque instant : la dégustation du plat même le plus ordinaire, le soin que l’on apporte à son corps, la contemplation d’un tableau, une marche en forêt. Invitation au voyage intérieur.
SAVOURER LE QUOTIDIEN UN EXERCICE DIFFICILE L’avenir nous angoisse, le temps nous stresse, rien ne nous semble plus illusoire que de vouloir vivre pleinement l’instant présent. Notre journaliste a tout de même essayé. Par Cécile Guéret
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ehors, il fait froid, gris, triste. C’est la crise, à laquelle je ne comprends pas grand-chose, sauf qu’on va tous finir par perdre notre emploi, se taper les uns sur les autres et mourir dans un accident nucléaire. Alors, l’instant présent, là, tout de suite, je n’ai pas envie d’en profiter… à moins qu’il ne s’agisse des cinq délicieuses minutes avant 8 heures où je suis au chaud dans mes rêves, juste avant d’écouter les infos. Le reste du temps, j’aime autant me raconter de joyeuses petites histoires, me souvenir d’une anecdote qui me fait encore rire ou tirer des plans (optimistes) sur la comète. Les rayons des librairies ont beau déborder de livres m’invitant à « être zen », à « méditer pour ne plus déprimer » ou à « vivre mieux ici et maintenant », je ne vois pas comment plonger dans l’instant présent sans sombrer dans l’angoisse. Et je ne suis pas la seule puisque, à les entendre, mes amis aussi passent plus de temps à regretter le passé ou à le ruminer, à idéaliser l’avenir ou à l’appréhender. Pourquoi est-ce si difficile de vivre dans le présent, la seule réalité qui semble à ma portée"? Mon cerveau (et le vôtre) en est, tout simplement, incapable. « Nous n’avons pas de récepteur spécifique pour saisir l’instant,
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contrairement aux saveurs ou aux odeurs », rappelle Pierre Buser1, neurobiologiste. Nous nous en remettons donc aux horloges, lesquelles n’ont rien à voir avec notre conception subjective de la durée. Une heure chez le dentiste me semble une éternité et une semaine de vacances, un bref instant. Surtout, précise-t-il, « nous élargissons toujours l’instant en le colorant du passé immédiat et du futur proche », comme nous lions les notes de musique entre elles pour constituer une mélodie. D’où cette sensation qu’il nous échappe, que le temps de nous dire qu’il faut en jouir (et le poster sur Facebook), il est déjà trop tard… Parvenir à vivre dans l’ici et maintenant est en fait une capacité de l’enfance, de l’époque où nous ne nous posions pas la question. « À mesure que
nous grandissons, nous acquérons la dimension du temps. Tout petits, nous apprenons à raconter notre journée, à préparer notre cartable, donc à nous remémorer le passé et à prévoir l’avenir », résume Alain Braconnier 2 , psychiatre et psychanalyste. Bien sûr, dans des moments de jeu ou de gaieté, je retrouve parfois la spontanéité, l’insouciance de l’enfance, et je goûte avec plaisir cette liberté. « Mais, le plus souvent, vous devez analyser ce que vous avez bien fait ou mal fait, anticiper, choisir… Pour un adulte, être en permanence dans le présent serait d’ailleurs irresponsable », reprend le psychiatre. Pour certains de mes amis, profiter du moment, même un tout petit peu de temps à autre, est absolument impossible"! Constamment dans leurs souvenirs,
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Savourer le quotidien, un exercice difficile
ils ne peuvent pas s’empêcher de répéter que « c’était mieux avant », regrettent leurs actes ou ruminent leurs échecs au point de limiter leurs possibilités. « Si je n’avais pas raté le concours d’infirmière il y a dix ans, je serais plus heureuse aujourd’hui », regrette ainsi Catherine, 45 ans, qui reconnaît aussi avoir manqué des occasions de rebondir. « Dans la répétition, nous cherchons la réparation, éclaire Katia Denard, psychanalyste. En rejouant la même scène, nous espérons intimement qu’enfin quelque chose va changer. » L’inconscient, disait Freud, ne connaît pas le temps : nos souffrances anciennes non réglées restent actives comme si elles dataient d’hier. Et puis, révèle Katia Denard, « en ruminant le passé, nous cherchons à rester dans ce que nous connaissons déjà, même si c’est désagréable. Pourquoi changer pour un scénario actuel mais étranger et qui nous fait si peur"? ». D’autres en-
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En rejouant la même scène, nous espérons qu’enfin quelque chose va changer — Kate Denard, psychanalyste —
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tachent plutôt le présent de leur peur de l’avenir. Perfectionnistes, ils ne peuvent apprécier l’instant, trop imparfait comparé à un idéal inaccessible. Anxieux, ils sont incapables d’en tirer profit, hantés par la crainte de ce qui pourrait arriver (de pire, forcément).
J’AI PEUR D’ÊTRE “VRAIMENT LÀ”
ET QUAND LE MOMENT PRÉSENT EST TROP DUR ? Un deuil, une maladie, des fins de mois angoissantes… On donnerait tout pour faire autre chose, être ailleurs, avec des gens dont l’instant présent est joyeux et contagieux, quand le nôtre est sombre et oppressant. Pour le moine bouddhiste Thich Nhât Hanh, mieux vaut pourtant reconnaître notre douleur, la prendre dans nos bras « comme une maman avec son bébé qui pleure » et, ainsi, petit à petit, attendre qu’elle s’apaise. « La décrire afin de l’apprivoiser, conseille la psychiatre Stéphanie Hahusseau. Est-ce qu’elle brûle, est-ce qu’elle tord le ventre ? Est-ce qu’elle est ronde, pointue ? » Certains préfèrent se rendre utiles en faisant du café pour toute la famille endeuillée, ou aller courir et ne penser qu’à leur foulée. Une manière comme une autre de s’appuyer sur l’instant – une cuillerée de sucre après l’autre – ou de revenir à sa respiration.
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Pour moi, goûter le bonheur réveille également une forme de culpabilité. Comme s’il y avait quelque chose de honteux à profiter, que je n’en étais pas digne. Ou, superstitieuse, que ma réjouissance attire le mauvais œil ou que le passé se répète. Longtemps, je me suis ainsi empêchée de vivre pleinement les bons moments. Au point, parfois, de frôler la prophétie : « Ne te réjouis pas trop, ça ne va pas durer. Fais-toi de beaux souvenirs », me susurrait une petite voix un poil déprimante. Aujourd’hui, j’ai fait des progrès, j’arrive à être heureuse la plupart du temps. Je ne pense plus, par exemple, lorsque mon compagnon me donne un baiser, que c’est peut être le dernier, qu’il va me plaquer ou se faire écraser par un bus. Si, alors que je suis dans ses bras, je m’inquiète d’être en retard au bureau, c’est parce que si je goûtais vraiment l’instant présent je ne le quitterais pas… « En empoisonnant un peu le plaisir de l’instant, vous tentez d’atténuer la souffrance liée à sa disparition possible, souligne Marie-José de Aguiar, gestalt-thérapeute. Le plein bonheur, c’est parfois trop. Craignant que le réveil soit rude, vous choisissez inconsciemment de le para-
siter. » Je réalise alors qu’être dans le contact total avec l’autre me renvoie à la peur de la fusion, de la perte de contrôle, de l’engloutissement… et devient mortifère. « Être vraiment là, en conscience, est une posture très “impliquante”, poursuit la gestalt-thérapeute. Cela peut même être insupportable si, en plus, cela vous rappelle combien vous avez manqué de ces moments-là auparavant. Ou si cela ouvre sur un besoin de l’autre qui paraît sans fond, terriblement angoissant. » Pour l’atténuer, par pudeur et pour me protéger, je préfère alors regarder ailleurs, gesticuler, parler du passé, de l’avenir, avoir l’air pressée. Bref, je m’organise pour ne pas me dévoiler, ne pas dire mes émotions, mes sensations, ni voir ce qui advient dans la rencontre et le silence. « Pourquoi pas, me rassure Marie-José de Aguiar, si c’est plus sécurisant. Le tout, c’est que vous en ayez conscience. » Avec, tout de même, un petit bémol, car « être dans l’instant est très créatif. C’est en regardant ce qui se passe entre vous deux, maintenant, qui est inédit et unique, que vous pouvez faire du nouveau ensemble ». Tandis qu’accrochés à nos croyances, à ce que nous imaginons de l’autre ou projetons sur lui, nous ne faisons que reproduire ce que nous savons faire, dans un dialogue de sourds.
JE CHERCHE LE BON AJUSTEMENT
Comment, dès lors, parvenir à goûter le moment présent"? En allant voir ce qui, dans le passé, nous en empêche, et comment nos peurs et nos souffrances se réactualisent aujourd’hui. Après quelques années de thérapie, et même s’il me reste du chemin, je sais que les revisiter m’a bien aidée à les cicatriser. « Accepter ce qui a été, c’est aussi endosser votre responsabilité aujourd’hui à changer les choses », me dit Katia Denard. « C’est également avoir conscience que vos expériences anciennes ont modelé votre façon d’être, de percevoir la réalité, et que vous l’abordez avec votre subjectivité », m’explique en écho la psychiatre Stéphanie Hahusseau3. Faire le lien entre hier et demain, tirer le fil entre ce qui m’a construite et mes projets me
ÉPICURE, PHILOSOPHE DE L’ICI ET MAINTENANT Parler d’épicurisme revient à penser immédiatement bonne chère, existence consacrée au plaisir et à la satisfaction de toutes nos envies. Pourtant, la philosophie d’Épicure (341-270 av. J.-C.) est un peu plus complexe. Dans sa conception de la vie, il rappelle qu’à tout moment il faut parvenir à vivre l’instant présent pour mieux se soustraire à une angoisse majeure : celle de la mort. Dans sa fameuse Lettre à Ménécée1, il explique qu’il est inutile de s’en faire pour un avenir hypothétique, incertain, qui ne dépend pas de nous et qu’on ne saurait maîtriser. S’angoisser inutilement pour le futur ne sert qu’à gâcher le présent. D’où l’importance de s’imposer quatre règles de vie : ne pas craindre les dieux ; ne pas craindre la mort ; le bien est facile à atteindre ; on peut supprimer la douleur. Un moyen de vivre « sans que l’âme soit troublée », principe qu’Épicure nomme ataraxie. Elsa Godart 1. Lettre à Ménécée d’Épicure (Flammarion, “GF”).
permet de savourer pleinement mon existence aujourd’hui. « En revenant à votre relation amoureuse et en constatant qu’elle est solide, satisfaisante, vous pouvez aussi avoir confiance et vous rassurer : l’expérience du moment vous prouve que le passé ne se reproduit pas », expose MarieJosé de Aguiar. À moi, ensuite, de trouver le bon ajustement avec le présent. M’en protéger ou le remettre à plus tard, lorsqu’il n’est pas adéquat. M’y plonger pleinement quand il m’est agréable. Ou le faire durer des heures quand je le trouve un peu trop court. Avec la sensation délicieuse et inouïe de pouvoir arrêter le temps. O 1. Pierre Buser, professeur émérite à l’université Pierre-etMarie-Curie, membre de l’Académie des sciences, auteur avec Claude Debru du Temps, instant et durée, de la philosophie aux neurosciences (Odile Jacob). 2. Alain Braconnier, auteur de Protéger son soi pour vivre pleinement (Odile Jacob). 3. Stéphanie Hahusseau, auteure de Tristesse, Peur, Colère, agir sur ses émotions (Odile Jacob, “Poches”).
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TEST & EXERCICES
QU’EST-CE QUI VOUS EMPÊCHE DE VOUS La méditation nous enseigne que la ronde des regrets nous emprisonne dans le passé, les projections anxieuses nous exilent dans le futur. Ce test et ses exercices vont vous permettre d’identifier ces mécanismes pour mieux les neutraliser. Par Flavia Mazelin Salvi, avec Frédéric Fanget1, psychiatre et psychothérapeute
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T H O M A S B A R W I C K /G E T T Y I M AG E S
RECENTRER ?
1
À la veille d’un événement heureux : Q Vous éprouvez de l’anxiété. VVous repensez à ceux qui ont jalonné votre vie. O Vous essayez de calmer votre excitation. X Vous vous concentrez sur les préparatifs.
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Vous feuilletez un album de photos de famille, vous vous dites : Q Nous sommes le fruit d’enchaînements qui nous échappent. V De quoi demain sera-t-il fait ? O J’ai du mal à me souvenir de tous ces épisodes. X J’aimerais tant revivre certains moments…
3
Une source d’anxiété possible : Q Le temps qu’il fera pour les vacances. V L’intégration de votre enfant dans sa nouvelle classe. O Votre bilan professionnel de fin d’année. X N’importe quel examen médical.
4
On vous annonce la promotion à laquelle vous aviez fini par renoncer : Q Vous êtes déstabilisé, vous aviez d’autres plans. V Votre plaisir est émoussé, trop de temps a passé. O Vous en prenez acte sans savoir ce que vous déciderez. X Un tourbillon d’émotions vous empêche d’y voir clair.
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La grande fête que vous avez donnée est terminée, vous êtes fatigué et : Q Heureux. V Un peu découragé à l’idée de tout remettre en ordre. O Un peu frustré de n’avoir pas pu vraiment l’apprécier. X Un peu impatient de vous isoler au calme pour vous repasser le film.
Vous affrontez un échec professionnel aussi injuste qu’inattendu. Votre réaction ? Q Vous êtes perdu, sans voix et sans réaction. V Vous élaborez aussitôt un plan B. O Vous digérez le choc en prenant tout le temps qu’il faut. X Vous vous repassez en boucle le film du début à la fin. À chacun son pessimisme, comment s’exprime (parfois) le vôtre ? Q Le meilleur est derrière. V Je n’ai pas de chance. O Le plus dur est à venir. X La vie choisit à notre place.
Il vous arrive souvent d’oublier : Q Des dates anniversaires. V Parapluie, écharpe, sac… O Des rendez-vous. X Ce que vient de vous dire votre interlocuteur.
Laquelle de ces citations exprime le mieux votre rapport au temps ? Q « Que de temps perdu à gagner du temps ! » (Paul Morand). V « Le temps fait naître les occasions » (Jacques Bénigne Bossuet). O « Il y a deux sortes de temps : le temps qui attend et le temps qui espère » (Jacques Brel). X « Chaque fois qu’il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s’efface » (Jules Romains).
Le temps suspend son vol, vous en profitez pour : Q Jeter un œil sur votre avenir. V Modifier un ou deux choix du passé. O Examiner soigneusement votre présent. X Flotter sans penser à rien.
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Qu’est-ce qui vous empêche de méditer régulièrement ? Q Un agenda beaucoup trop plein. V L’impression de perdre un temps précieux. O Vous méditez à votre façon en rêvant, en contemplant. X Vous préférez laisser défiler vos souvenirs que faire le vide dans vos pensées.
1. Auteur de Je me libère (Odile Jacob).
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Lors d’une réunion, votre esprit s’échappe parfois (ou souvent) pour : Q Battre la campagne. V Élaborer des projets ou stratégies. O Affiner un point de votre intervention. X Rechercher des cas de figure similaires.
6
Vous devez déménager dans moins de trois mois : Q Vous vous sentez ballotté entre deux vies. V Vous avez déjà un pied dans votre nouvelle existence. O Vous préparez la transition jour après jour. X Vous vivez dans une nostalgie rétroactive.
CALCULEZ VOTRE RÉSULTAT Pour chaque question, entourez votre réponse et faites le total de vos A, B, C et D, puis reportez-vous page suivante au profil qui vous correspond. Questions
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Test & exercices | Qu’est-ce qui vous empêche de vous recentrer!?
MAJORITÉ DE A
MAJORITÉ DE B
VOUS VIVEZ HORS DE VOTRE CORPS
VOUS VIVEZ DANS LE FUTUR
Les manifestations : être physiquement là, mais avoir la tête ailleurs, se sentir à côté de ses émotions ou bien emporté par elles… C’est par le corps, dans le corps, que naissent les émotions et qu’elles s’expriment en y imprimant diverses sensations. Raison pour laquelle, lorsque nous sommes absents de notre corps, nous le sommes également de nos émotions. Elles nous envahissent sans que nous comprenions ce qui nous arrive et, faute d’être identifiées, ne peuvent être ni comprises ni utilisées. La distraction ou les troubles de la concentration sont les signes que corps et esprit sont dissociés. Or c’est seulement par les sens, que le moment présent peut être vécu. Un clivage profond peut avoir plusieurs causes. Parmi elles : des carences précoces d’ordre affectivo-sensoriel (un bébé insuffisamment touché, cajolé, rassuré…) ; une éducation qui a mis l’accent sur le « faire » en excluant le « ressentir », ou qui a ignoré les émotions de l’enfant ; ou encore l’abondance et la précocité des doubles messages parentaux… En conséquence, le corps est un « lieu » étranger, et, par opposition, le mental, un lieu où l’on essaie de comprendre ce qui nous arrive et ce qui nous entoure.
Les manifestations : projections anxieuses, élaboration de scénarios complexes ou bien fuite en avant dans un futur aussi flou qu’idéalisé… Si les raisons de se projeter dans l’avenir sont multiples, et les formes de ce « voyage » différentes selon les individus, toutes ont une cause commune : l’anxiété. Le présent ne peut pas être pleinement investi ni l’avenir envisagé dans la sérénité, car tout se passe comme si notre système d’alerte intérieur était déréglé. Chaque situation de vie étant appréhendée par une grille de lecture pessimiste ou alarmiste. Deux grandes causes peuvent expliquer le recours systématique à ces réponses anxieuses : l’intégration de modèles parentaux pessimistes et anxiogènes ou une éducation hyperprotectrice qui vous a empêché de développer ressources et compétences. Résultats : anticipation anxieuse, refuge dans le rêve, ou procrastination sont les réponses. Avec, à la clé, une érosion progressive de l’estime de soi, car plus on se sent menacé et vulnérable, moins on agit, et moins on a confiance en soi.
COMMENT HABITER SON CORPS
COMMENT NEUTRALISER LES PROJECTIONS ANXIEUSES
que l’on ressent, puis le nommer. Cela nous permet de nous connecter à la réalité présente (via les sensations), de comprendre ce qui nous arrive (via les émotions). D’élaborer aussi une réflexion, des projets, à partir de nos besoins et de nos désirs », résume la psychothérapeute Béatrice Millêtre1, qui a élaboré cet exercice – à pratiquer entre huit et quinze jours selon les progrès – destiné à nous aider à nous programmer pour devenir plus présent au quotidien. Z Avant de vous coucher, repassez-vous le film de votre journée. Arrêtez-vous sur les moments que vous avez vécus de manière quasi automatique (prendre le petit déjeuner, le métro, assister à une réunion…), visualisez-les et demandez-vous ce que vous auriez pu ressentir si vous les aviez vécus de manière plus consciente. Z Le lendemain matin au réveil, programmez les différents moments de la journée au cours desquels vous serez attentif à ce qui se passe en vous et autour de vous (notez-les pour ne pas oublier). Z Le soir, repassez-vous le film de la journée, moment par moment, en vous remémorant le plus précisément possible les sensations et les émotions éprouvées. Notez les instants qui ont échappé à votre vigilance et reprogrammez-les le lendemain matin. Au fil des jours, vous constaterez qu’étant plus conscient de vos sensations et de vos émotions, vous vous sentez plus attentif, plus concentré, davantage acteur de votre vie.
Z « Se projeter des films négatifs entretient une anxiété dévitalisante. En revanche, un enracinement conscient dans le présent permet d’être connecté à toutes ses ressources intérieures le jour où l’on doit affronter un événement difficile », affirme la psychothérapeute Bernadette Blin1, en préambule de l’exercice suivant, inspiré du Mandala de l’être2 de Richard Moss (Albin Michel). Z Découpez en deux une feuille de papier. Sur l’une des moitiés, écrivez « Maintenant » en majuscules, sur l’autre « Futur ». Posez-les au sol devant vous en laissant entre les deux feuilles un espace d’environ cinquante centimètres. Z Debout, à égale distance des deux feuilles, fermez les yeux, laissez tomber vos bras, et prenez conscience de votre corps (des pieds jusqu’au sommet du crâne) et du trajet de votre souffle. Z Déplacez-vous devant la feuille « Futur », puis amenez à votre esprit le scénario qui vous préoccupe. Détaillez-le. Portez votre attention sur les sensations et émotions qu’il génère (tensions musculaires, gorge nouée…). Mettez-vous devant la feuille « Maintenant » et demandezvous : « Comment vivrais-je sans cette histoire ? » Ressentez dans votre corps (sensations et émotions) ce que provoque la disparition du scénario anxiogène. Installez-vous dans ce nouvel état d’esprit. Depuis la même place, mais en regardant la feuille « Futur », accueillez avec compassion, la partie de vous qui vit dans la peur et la douleur. Imaginez-vous la prendre dans vos bras et dites-lui : « Je suis là, avec toi. » En regardant la feuille « Maintenant », dites à haute voix : « Mon histoire commence maintenant. »
1. Béatrice Millêtre est docteure en psychologie, psychothérapeute spécialiste en sciences cognitives, auteure de Six clés pour se sentir enfin à sa place (Payot).
1. Bernadette Blin est psychologue et psychothérapeute transpersonnelle, auteure avec Brigitte Chavas de Manuel de psychothérapie transpersonnelle (InterEditions).
Z « Habiter son corps, c’est d’abord se mettre à l’écoute de ce
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MAJORITÉ DE C
VOUS VIVEZ DANS LE PASSÉ Les manifestations : ruminations nostalgiques ou amères, regrets, remords, inlassable réécriture de l’histoire (la sienne, celle de son entourage ou de ses ascendants)… Les retours les plus fréquents dans le passé sont placés sous le signe des regrets. « J’aurais dû… », « J’aurais pu… » sont les deux expressions qui expriment le mieux l’état d’esprit de celui qui tourne le dos au présent. Lorsqu’elle est le point de départ d’une remise en question, cette posture mentale qui consiste à faire le point de ce qui aurait pu ou dû être fait est positive. Si ce n’est pas le cas, rester figé dans les regrets peut faire le lit de la dépression : en inhibant toute forme d’action, toute élaboration de projets, on se vide progressivement de son énergie vitale et on se coupe des autres. Cette immobilisation dans le passé produit en outre des sentiments et des émotions négatives (colère, dévalorisation, rancœur) qui peuvent menacer notre santé. Plusieurs cas de figure expliquent cette difficulté à tourner la page : une hypertrophie de l’ego (j’étais promis à un destin plus glorieux), l’incapacité à se remettre en question (la vie, les autres sont responsables de mes mauvais choix) ; une éducation qui a mis l’accent sur les échecs et a généré une forte inhibition du risque (j’ai peur, donc j’ose le minimum et je le regrette) ; enfin, une culture familiale fataliste (dans la vie, on prend ce qui vient, on ne choisit pas).
COMMENT COUPER COURT AUX RUMINATIONS Z « Pour lâcher le passé, il faut comprendre ce qui nous rattache
à lui et ce à quoi on a du mal à renoncer. Que la rumination soit amère ou nostalgique, affirme la thérapeute Juliette Allais1. C’est ce que j’appelle “identifier l’objet perdu”. » Dans l’exercice suivant, elle propose une visite dans le passé en forme d’enquête. LA RUMINATION NOSTALGIQUE : persuadé que rien ne sera jamais plus à la hauteur du passé, on se passe et repasse le film des « jours heureux ». Z Déterminez avec précision quelle époque, quels événements, quelles personnes déclenchent des regrets. Le résultat constitue votre « objet perdu ». Z Demandez-vous comment vous vous sentiriez si vous pouviez revivre cet événement. Notez les bénéfices (physiques, psychiques, matériels…) que vous procure le retour de cet objet perdu, puis demandez-vous ce que vous n’êtes plus sans cet objet, notez les « manques ». Z Pour finir, mettez en vis-à-vis la liste des bénéfices et celle des manques, et interrogez-vous sur la façon dont vous pouvez, dans votre vie présente, obtenir ce qui vous manque. Notez les différentes pistes possibles.
LA RUMINATION AMÈRE : regrets et remords insistants, échecs ou conflits non digérés… Difficile d’avancer quand le passé est toujours actif. Z Identifiez les événements ou les personnes à l’origine de vos ruminations négatives. Quelles émotions cette rumination provoque-t-elle ? (colère, honte, douleur…). Quelles croyances l’événement déclencheur de rumination active-t-il ? (« Je ne suis pas à la hauteur », « je n’ai pas de chance », « je fais toujours les mauvais choix »…) Z Demandez-vous à présent comment vous vous sentiriez sans la cause de votre rumination. Notez les effets (physiques, psychiques, matériels) qu’entraînerait sa disparition. Savourez longuement cet allégement. Z Interrogez-vous ensuite sur la façon dont vous pourriez atteindre cet état positif. En réparant le passé (expliquer, pardonner…), en listant tout ce qui peut être motif de gratitude dans votre vie actuelle, en tirant les enseignements des fautes et des erreurs d’hier. Notez toutes vos idées pour rompre avec l’amertume. 1. Juliette Allais est thérapeute jungienne, enseignante en psychogénéalogie, auteure d’Amour et sens de nos rencontres (Eyrolles).
MAJORITÉ DE D
VOUS SAVEZ VIVRE AU PRÉSENT Avoir conscience de ce qui se passe en soi et autour de soi, revenir à ses sensations et à ses émotions pour mieux se comprendre, savourer les bons moments de la vie, ne pas fuir (dans le passé ou le futur) systématiquement en cas de gêne ou de douleur… Tels sont les principaux indicateurs d’un bon ancrage dans le présent, qui se caractérise par une souplesse psychique et temporelle. C’est-à-dire n’être ni otage de son passé ni aimanté par l’avenir, mais pouvoir naviguer de l’un à l’autre de manière à tirer les leçons des expériences et construire des projets à partir de ses besoins et de son désir. À la source de cette capacité à expérimenter différentes temporalités sans se perdre, on retrouve souvent une éducation qui a permis de développer une bonne confiance en soi (connaissance de ses points forts et faibles, estime de soi, sécurité intérieure). Ainsi peut-on, sans culpabilité ni complaisance, se retourner sur son passé et se projeter dans l’avenir de manière à la fois sereine et réaliste.
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LE BONHEUR
COMME UNE ŒUVRE D’ART Dans un très beau livre mêlant peinture et réflexions, le psychiatre Christophe André nous offre ses leçons de bonheur et de sérénité. Extraits.
LA LEÇON DE KLIMT
AIMER ÊTRE HEUREUX Trouver le bonheur, c’est peut-être tout simplement le retrouver. Dans quels lointains souvenirs prend naissance cette sensation complexe et furtive que l’on nomme « bonheur » ? (…) En psychologie, les théories de l’empreinte révèlent qu’il y a des périodes de la vie qui favorisent certains apprentissages. Les langues par exemple : si nous les avons entendues tôt et souvent, l’acquisition en sera plus facile. De même, le langage du bonheur nous est plus accessible s’il a bercé notre toute petite enfance. (…) S’il en était de même pour le bonheur ? Si les bonheurs d’enfance permettaient d’accéder plus tard à toutes les formes de bonheurs adultes ? Ces empreintes précoces et indicibles, c’est donc en elles que réside le cœur battant de notre aptitude future au bonheur, de nos facilités à nous sentir heureux. Si nous avons reçu très tôt cette empreinte du bonheur, c’est la première des chances. D’où le premier des devoirs : ne pas la gâcher, car il reste encore à faire. Mais si l’on n’a pas eu cette chance, il ne reste plus qu’à se mettre au travail. Gustav Klimt (1862-1918), Les Trois Âges de la femme (1905)
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P R I S M A A R C H I VO/ L E E M AG E
U
n enfant se love contre sa mère. Tous deux sont endormis dans une étreinte tendre et émouvante. Blotti contre la mince poitrine maternelle, le tout-petit semble s’imprégner de celle qui lui a donné la vie, de sa chaleur et de son amour. (…) La peinture de Klimt nous permet de réfléchir au grand mystère de la naissance du bonheur, et aussi à celui de la transmission et de la préparation des bonheurs futurs : le bonheur dont parle cette scène est celui d’un héritage et d’une promesse…
HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 75
U
n élan vers l’azur. Des fleurs d’amandier s’élancent vers le ciel. Rien d’autre que le blanc des pétales et le bleu de l’azur. Comme une incarnation du bonheur : fort et fragile comme la vie. Dans un raccourci magnifique et fulgurant, épuisé par le chaos intérieur et sa lutte contre la maladie psychique, Van Gogh se concentre sur l’essentiel : l’élan de la vie vers la transcendance et les cieux. Il a peint le tableau tête levée vers le ciel, sans rien voir d’autre autour de lui. Il en a écarté toute forme de paysage ou d’information annexe, jusqu’au tronc de l’arbre, pour se concentrer sur l’union de ces extrêmes : les fleurs et le ciel, le bleu et le blanc, le périssable et l’éternel, le terrien et le céleste…
LA LEÇON DE VAN GOGH
Pour les psychologues évolutionnistes, beaucoup de nos comportements et de nos attirances sont les vestiges de nos anciens besoins animaux : si les humains apprécient tant le spectacle d’une belle nature – une rivière bordée d’arbres, un littoral sous le soleil –, c’est qu’ils y voient la promesse de ressources pour leur survie, de quoi manger, se reposer, se réparer… Pourtant, au-delà du plaisir ressenti s’éveille aussi un obscur et profond sentiment d’appartenance à un ordre qui nous englobe et nous dépasse. C’est pourquoi nous ne faisons pas qu’observer la nature, ou même l’admirer. En réalité, nous entrons en connivence avec elle, nous nous rapprochons de notre identité la plus élémentaire : celle des vivants. Nous ne faisons que nous immerger dans la nature, revenir à elle. Lorsque nous contemplons un arbre en fleur. Lorsque nous sommes absorbés par le mouvement des vagues ou des nuages... Chaque fois que nous respirons l’odeur des champs ou de la forêt, c’est l’écho lointain du bonheur de ces « retrouvailles biologiques » qui se fait entendre en nous. Ces rencontres avec la nature font plus que nourrir notre bonheur : elles lui sont indispensables… Le tableau de Van Gogh aurait pu s’appeler Naissance du bonheur car tout est là, de l’éclosion des bonheurs humains : la fragilité et la force, l’enracinement dans la vie et l’élan vers la transcendance. Ces bonheurs naissants sont les plus importants, mais aussi les plus vulnérables. Rien de plus facile que de les piétiner ou de les négliger. Cette peinture nous ouvre les yeux sur leur beauté, leur fragilité. Et sur leur nécessité absolue pour notre existence. Vincent Van Gogh (1853-1890), Rameau d’amandier en fleur (1890)
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DE AGOSTINI/LEEMAGE
REGARDER VERS LE CIEL
Le bonheur comme une œuvre d’art
Jardiner m’a appris la lenteur ”
HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 77
A DAG P, PA R I S , 1 9 5 9 - C L I C H É : G A L . LO U I S C A R R É / B A N Q U E D ’ I M AG E S D E L’A DAG P
Le bonheur comme une œuvre d’art
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L
e bonheur est-il un état d’esprit"? Une opération mentale"? Une décision"? Un effort"? Une volonté"? Une construction intérieure"? Il est tout cela, le plus souvent, une fois réunies les conditions matérielles minimales nécessaires à sa présence. C’est à la fois une bonne nouvelle : notre bonheur dépend de nous-même. Et une mauvaise : nous en sommes donc responsables. Et cela va nous demander travail et efforts. Ce personnage à l’apparence tourmentée, au corps sommaire, sans bras ni jambes, au visage ingrat mais rayonnant est une sorte de miroir malicieux que son auteur, Gaston Chaissac, se tend à lui-même. Ce grand mélancolique à la santé fragile nous rappelle que le bonheur ne nous est jamais – ou pas souvent – donné ni offert. Mais qu’il est en revanche toujours accessible à l’immense intelligence humaine. Avec son grand sourire, plein de force et de confiance généreuse, cet œil narquois, attentif, émerveillé, et surtout grand ouvert sur le monde, ce bonhomme me fait penser à mon ami Alexandre Jollien, philosophe au corps meurtri, chantre du « joyeux combat » pour une existence lucide et heureuse. Et nous rappelle l’essentiel : l’intelligence du bonheur existe"; elle relève chez certains d’un talent, chez d’autres d’une lutte"; elle nous est accessible…
À LIRE
De l’art du bonheur de Christophe André « Se tenir face à un tableau, respirer doucement, garder le silence, laisser la peinture nous parler, nous habiter. Lui donner en nous toute la place… » Pour le psychiatre Christophe André, la contemplation d’une toile de maître est, en soi, une expérience du bonheur. Dans cet ouvrage, le comportementaliste se fait poète et tire « vingt-cinq leçons pour vivre heureux » de vingt-cinq chefs-d’œuvre. Un hymne à la vie à la fois intimiste et universel, dont nous vous présentons quatre extraits. Avec l’espoir que vous aussi, en les regardant, vous vous sentirez bien, peut-être même heureux. (L’Iconoclaste)
LA LEÇON DE CHAISSAC
TRAVAILLER À SON BONHEUR D’où vient cette étrange idée reçue que le bonheur doit être spontané ? Et que les efforts pour s’en rapprocher seraient improductifs, voire contre-productifs ? Pourquoi toutes ces critiques contre la recherche de bonheur ? (…) La punition divine lancée à nos ancêtres Adam et Ève : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », c’était aussi : « Tu gagneras une partie de tes bonheurs à la sueur de ton front. » Que cela soit le fait d’une malédiction divine ou de la condition humaine. Le bonheur n’est pas une chance, mais une intelligence. Qui peut s’apprendre et se développer. On dit souvent que la vie est un combat. Le bonheur aussi, surtout pour ceux que la vie n’a pas gâtés au départ. Que nos handicaps soient visibles, comme ceux qui nous touchent dans notre chair, ou qu’ils ne le soient pas, comme ceux qui proviennent de notre passé, de nos angoisses, de notre spleen, ils nous fournissent toujours de nombreuses raisons de ne pas être heureux. Mais une fois établi cet éternel constat – il existe des gens plus heureux que nous, et d’autres plus malheureux –, quels prétextes nous reste-t-il pour continuer de ruminer notre mal de vivre ? Cette position de victime de l’existence est d’autant plus dangereuse qu’elle peut faire de nous des intouchables que plus personne n’osera approcher, guider ou conseiller. Cela aggravera notre solitude et notre handicap. Et cela nous renverra finalement à nous-même. (…) On ne peut pas être toujours heureux. Mais il est possible, aussi souvent que possible, de penser à laisser la voie libre au retour du bonheur.
Gaston Chaissac (1910-1964), Personnage sur fond bleu (1959)
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FAIRE LE VIDE
EN SOI, CHEZ SOI
Comment recharger ses batteries sans quitter son domicile!? En laissant circuler l’énergie grâce aux principes du feng shui, en rangeant son intérieur et en créant une ambiance propice à la rêverie. Par Marie-Laurence Grézaud
F
ranchir le seuil de chez soi, poser son sac, se défaire de ses chaussures… et peu à peu se sentir à l’abri de la dureté du monde. Si notre demeure est d’abord un refuge qui nous protège, elle est aussi un lieu qui nous ressemble. « Elle constitue, après le vêtement, notre troisième peau et notre identité », résume Dominique Loreau1, qui vit au Japon depuis plus de trente ans et partage au travers de ses ouvrages de développement personnel sa vision d’un certain art de vivre. Notre bien nommé « intérieur » reflète ce que nous sommes, désirons être ou paraître. C’est la raison pour laquelle il faut aimer être chez soi. « Si, une fois rentré, on ne pense qu’à ressortir, c’est qu’il y a un problème, que notre lieu de vie nous renvoie quelque chose qui nous dérange », analyse Laurence Dujardin2, coach en bien-être et consultante en feng shui. « Notre maison est le témoin silencieux de nos bilans, de nos joies personnelles, mais aussi de nos souffrances intimes. Elle connaît tout de nos bagarres, de nos désillusions. Et elle déçoit si nous l’avions imaginée comme le lieu où toutes les blessures allaient cicatriser », écrit le psychiatre et psychanalyste Alberto Eiguer dans Votre maison vous révèle (Michel Lafon). Ainsi, « se ressourcer chez soi est parfois plus compliqué que de partir à l’autre bout du monde », remarque Laurence Dujardin.
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LA CHASSE AUX ENNEMIS DU QI
Certains aménagements peuvent malgré tout contribuer à transformer notre maison en un lieu plus apaisant. Le feng shui, art ancestral chinois, postule que le ressourcement provient d’une bonne circulation de l’énergie vitale, le qi, dans notre environnement. « On n’a pas pu prouver l’existence de ce faible courant issu des entrailles de la terre, mais la médecine chinoise, notamment l’acupuncture, intervient sur cette énergie qui traverse aussi notre corps », précise Hélène Weber3, maître feng shui. « En travaillant sur la maison, on permet à ses occupants d’être en harmonie avec elle et avec eux-mêmes », affirme Laurence Dujardin. Quelques conseils pour se sentir mieux chez soi : éliminer les obstacles qui entravent la circulation de l’énergie en dégageant les « bouches » de la maison (portes et fenêtres) et en faisant le vide dans les pièces à vivre. Privilégier la lumière naturelle, grande pourvoyeuse de qi. Réaménager les « atmosphères nostalgiques » chargées de bibelots et de meubles hérités, qui peuvent raviver des souvenirs douloureux. Comme les tableaux aux couleurs tristes ou représentant des scènes agressives, ils imprègnent et conditionnent les lieux de leur énergie particulière. Éviter les rideaux rayés (barreaux symboliques), qui font obstacle au qi, venu de l’extérieur. Ranger les ob-
jets tranchants ou pointus, laisser les cactus, qui génèrent des vibrations agressives, dehors et arrondir les angles des tables et des poignées. Jeter les fleurs fanées, la vaisselle ébréchée ou les robots ménagers en panne, qui bloquent l’énergie vitale. Enfi n, éteindre les appareils électriques, dont les ondes perturbent la circulation du qi. Pour Dominique Loreau, la saleté et le désordre fatiguent et perturbent le mental. Avec elle, ce qui apparaît comme une corvée devient aussi fascinant qu’un voyage initiatique en Inde"! « Un endroit propre incite à entretenir des pensées claires, explique-t-elle. L’esprit a besoin d’espace, de calme et de volupté. » Car, si ranger demande des efforts, cela permet de vivre avec légèreté, nonchalance et paresse. Une paresse exquise, qui donne l’occasion de « recharger ses batteries ». C’est alors que, l’esprit libre, on éprouve une grande plénitude. A S I A I M A G E S /G E T T Y I M A G E S
UN KIMONO POUR SE SENTIR AUTRE
Mais parfois, nettoyer et ranger ne suffisent pas. « Une personne très stressée aura beau être dans un environnement zen, cela ne changera rien », remarque Carole Simonelli, thérapeute ostéothaï et professeure de yoga. Pour s’apaiser, elle conseille de faire le vide… d’abord en soi. Une fois l’énergie libérée et le désordre éliminé, reste à
créer une ambiance enveloppante. En régalant nos sens : prendre un bain parfumé, déguster un bon vin, écouter les sons des violons d’une symphonie, humer les parfums qui s’échappent de la cuisine… « Je rapporte toujours des épices ou des thés des pays que je visite, raconte Robert. Une fois rentré, les sentir dans la cuisine ou en déguster, cela m’emporte ailleurs. » Enfi ler une djellaba, un kimono est aussi « une façon de se sentir autre », assure Dominique Loreau"; allumer un bâton d’encens « agrandit une pièce, selon les Japonais ». Laisser son regard se porter sur un mobile suspendu ou sur un mur d’inspiration qui nourrit notre imaginaire : on le compose soi-même en accrochant des photos de voyages, des cartes postales, des colliers, des foulards ou son chapeau de plage en rentrant de vacances. Tout est un pêle-mêle « vivant » en perpétuel renouvellement. Mais attention à ne pas trop en faire. « Un bon intérieur est un intérieur qui se laisse oublier », professe Dominique Loreau. Car s’évader, n’est-ce pas aussi pouvoir se détacher de ce qui nous entoure et laisser libre cours à notre imagination"? O 1. Auteure de L’Art de l’essentiel : jeter l’inutile et le superflu pour faire de l’espace en soi (Flammarion). 2. Auteure du Cahier feng shui des paresseuses (Marabout). 3. Coauteure de Feng shui, questions-réponses (Guy Trédaniel Éditeur).
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CUISINER ET MANGER Lenteur, vigilance, gratitude sont les trois ingrédients à utiliser sans modération pour transformer les repas comme leur préparation en une véritable méditation de l’esprit et des sens. Par Flavia Mazelin Salvi
ans les monastères zen, le chef cuisinier (tenzo) occupe la seconde place derrière l’abbé. C’est dire l’importance que le zen accorde à cette fonction. Mettre toute son attention dans la préparation du repas et dans sa dégustation nous permet de réunir corps et esprit afin de savourer pleinement le moment présent, tout en développant la qualité qui nous fait aujourd’hui le plus défaut : la vigilance. Trop souvent happés par la ronde infernale des obligations et des contraintes, nous courons littéralement après notre vie. Trois fois par jour, au moment des repas, nous pouvons faire halte. Et pratiquer ce que le maître zen Thich Nhât Hanh appelle « la pleine conscience ». C’està-dire faire de nos gestes la prolongation de notre esprit. Et transformer ainsi une simple nécessité en un moment de vrai partage et de plaisir.
CÉLÉBRER L’ORDINAIRE
Pour la plupart d’entre nous, cuisiner est un cassetête : manque de temps, manque d’idées, nous expédions les repas comme une corvée. Nous préparons nos menus comme des automates, nous avalons la nourriture quotidienne sans y prêter attention et, de fait, nous nous nourrissons mal, même lorsque la nourriture est bonne. Or, cuisiner et manger zen sont avant tout un état d’esprit, qui repose sur la
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conscience que chacun de nos actes fait totalement partie de notre vie. On ne peut en négliger certains sans conséquences négatives. Qui n’a pas fait l’expérience de digestions difficiles ou de fringales au sortir d’un repas"? Pour le zen, cuisiner et se nourrir sont aussi nobles que méditer ou travailler. C’est en créant une hiérarchie entre les actes que nous produisons que nous nous morcelons et nous nous dispersons. « Quand vous faites la cuisine, ne regardez pas les choses ordinaires avec un regard ordinaire », préconise maître Dôgen dans Instructions au cuisinier zen (Gallimard). Il ne s’agit donc pas ici de préparer un festin à base de mets rares et raffinés pour célébrer un repas. Mais s’ils sont préparés avec soin et amour, puis dégustés avec attention, une simple soupe de légumes, un gratin dauphinois ou une tarte aux pommes se transforment en mets royaux. Là est le secret. Prendre soin de soi et des autres, c’est prendre également soin de chaque geste de la vie ordinaire. « Il est important que votre esprit ne change pas selon la qualité de l’objet. Si votre esprit dépend des choses, c’est comme si vous changiez d’attitude et de langage selon la qualité de la personne que vous rencontrez », précise encore Dôgen. Voilà des propos de nature à changer le regard que nous portons habituellement sur les produits surgelés ou déjà préparés, que nous achetons ou consommons à la va-vite. Transformer l’ordinaire en extraordinaire en modifiant son état d’esprit, c’est le défi que nous pouvons tous relever au quotidien.
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D
ZEN
TEMPURA DE GAMBAS AUX DEUX SHISOS POUR 4 PERSONNES. Préparation : 15 min. Cuisson : 10 min. O 12 gambas de 40 à 50 g, fraîches ou décongelées O 12 feuilles de shiso vert O 40 g de petites pousses
de shiso pourpre O 1 l d’huile neutre pour la cuisson O 1 citron non traité O Fleur de sel et poivre du
moulin Pour la pâte O 1 jaune d’œuf O 20 cl d’eau très froide O 120 g de farine de blé blanche, type 45 Z Lavez et égouttez les gambas ; décortiquez-les en laissant le dernier anneau et la queue. Épongez-les avec du papier absorbant et pratiquez dans la partie ventrale de fines incisions. Réservez-les sur une assiette tapissée du même papier. Z Faites chauffer l’huile dans une sauteuse, à feu doux : maintenez-la juste frémissante. Pendant ce temps, préparez la pâte : battez le jaune d’œuf puis, sans cesser de tourner, versez l’eau en mince filet et ajoutez la farine en la tamisant et en tournant rapidement. Z Plongez les gambas dans la pâte en les tenant par la queue ; égouttez l’excédent de pâte et glissez-les dans l’huile frémissante : au bout d’une minute, retirez-les avec une écumoire et mettez-les sur une assiette tapissée de papier absorbant. Z Plongez les feuilles de shiso une à une dans la pâte et, en les tenant par le bout de la tige, faites couler l’excédent de pâte. Les feuilles blondissent en quelques secondes. Égouttez-les avec du papier absorbant. Dressez gambas et shiso dans les assiettes et portez la tempura à table, accompagnée de petites pousses de shiso pourpre, de quartiers de citron, de fleur de sel et poivre du moulin. Vous pouvez aussi l’accompagner de sauce de soja coupée de saké et de jus de citron vert. Ajoutez des rubans de courgette, lamelles de champignons, carrés d’aubergine, etc.
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Cuisiner et manger zen
Regardant des “haricots verts, j’y vois
flotter des nuages, j’y discerne la pluie et le soleil…
³
“
— Thich Nhât Hanh, maître zen —
DÉVELOPPER LA VIGILANCE
Dans la cuisine d’un monastère zen règnent ordre et propreté, non par hygiénisme maniaque ou par mépris du corporel et du périssable, mais au contraire par respect de la vie. Les ustensiles sont soigneusement choisis, puis lavés aussitôt après utilisation"; le gaspillage des denrées étant strictement interdit, tous les gestes de découpe doivent être soigneux et les restes recyclés. Ces consignes, loin de ralentir le cuisinier, permettent une gestion optimale de ses gestes et des produits qu’il utilise. En se concentrant sur chaque geste – égoutter, découper, pétrir… –, on se rend rapidement compte que ce que nous considérons d’ordinaire comme une corvée se transforme peu à peu en véritable ascèse. « La faute est toujours tapie dans l’absence de vigilance », disent à juste titre les bouddhistes. En apprenant à se tenir tout entier, sans distraction ni précipitation, dans les gestes les plus humbles, on gagne en concentration et en méticulosité, sans parler de la douce satisfaction que procure un travail bien accompli…
SAVOURER AVEC TOUS SES SENS Idéalement, nous devrions prendre nos repas en silence. Nous connaissons les méfaits des dîners chahutés par des discussions passionnées : en absorbant la nourriture, nous absorbons en même temps les émotions qui lui sont associées. Pour s’en protéger, certains « surmangent », tandis que d’autres sont tellement « noués » qu’ils ne peuvent rien avaler. Résultat : dans les deux cas, nous nous faisons violence. S’il n’est pas toujours possible, pour d’évidentes raisons culturelles et sociales, de manger en silence, nous pouvons tout du moins supprimer quelques parasites comme 84 — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — HORS-SÉRIE
la radio ou la télévision, ou encore éviter les restaurants trop bruyants. Une ouïe ménagée prédispose favorablement à la dégustation et permet aux autres sens de prendre le relais. Ne pas se précipiter sur la nourriture est non seulement une règle élémentaire de politesse, mais également une façon de marquer une pause symbolique. Après le temps de l’action vient celui de l’immobilité et du partage. Le plaisir des yeux est aussi l’antichambre du plaisir du palais. Et prendre le temps de regarder les aliments, leur couleur, leur disposition dans l’assiette (jamais remplie) nous permet de nous installer dans le moment présent. Vient ensuite le plaisir de l’odorat. Le fumet qui se dégage d’un plat participe au plaisir à venir de sa dégustation. Laquelle doit impérativement s’effectuer dans la lenteur. Prendre de petites bouchées, mâcher en s’attardant sur la saveur – est-elle sucrée, salée, amère, épicée"? – nous fait apprécier la nourriture, mais nous rend aussi plus exigeants sur sa qualité. La lenteur va de pair avec la mesure. N’oublions pas qu’il faut entre vingt et trente minutes aux hormones de satiété pour envoyer leur message au cerveau.
PRATIQUER LA GRATITUDE
Dans son livre Soyez libre là où vous êtes (Dangles), Thich Nhât Hanh nous invite à faire de nos repas une méditation active. « Le fait de manger en toute conscience peut être l’occasion de beaucoup de joie et de bonheur. » Au-delà du plaisir gourmand et sensuel se trouve un autre bonheur : celui de se sentir partie prenante de la grande chaîne de la vie. « Posez les yeux sur la nourriture dans votre assiette. Ensuite, souriez à cette nourriture, voyez un ambassadeur venu du ciel et de la terre. Regardant des haricots verts, j’y vois flotter des nuages, j’y discerne la pluie et le soleil… Lorsque je mâche ces haricots verts, je me sens relié au ciel, à la terre, au paysan qui les a fait croître, au cuisinier qui les a fait cuire. En mangeant de cette façon-là, je sens que la solidité, la liberté et la joie sont
CROUSTILLANTS DE RICOTTA CITRON-CANNELLE POUR 6 PERSONNES. Préparation : 15 min. Cuisson : 15 min. O 2 paquets de 10 feuilles de brick
Pour la farce O 250 g de ricotta très égouttée O 1 jaune d’œuf O 2 cuil. à soupe de chapelure fine O 2 cuil. à soupe de parmesan finement râpé O 1 citron non traité O 2 pincées de cannelle
en poudre O Sel, poivre du moulin Pour dorer O 1 jaune d’œuf O 2 c. à café de lait O 1 c. à soupe de sucre ou de graines de pavot blanc ou bleu Z Préparez la farce la veille ou plusieurs heures à l’avance : égouttez la ricotta dans une passoire fine, mettez-la dans un saladier, ajoutez très peu de sel, beaucoup de poivre, la cannelle, la chapelure, le parmesan et le jaune d’œuf. Z Lavez le citron, épongez-le et râpez la partie colorée de son zeste au-dessus du saladier. Mélangez avec une spatule. Z Réservez la farce au réfrigérateur, dans une boîte hermétique. Z Faites chauffer le four à 175 °C.
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Z Découpez un carré au centre de chaque paquet de feuilles de brick, sans les séparer ni les détacher des feuilles de papier qui les séparent.
choses possibles. Ce repas ne nourrit pas seulement mon corps, il nourrit aussi mon âme, ma conscience et mon esprit. » Parce que préparer un repas et le savourer sont aussi un moment de partage, maître Dôgen insistait sur les trois qualités que le cuisinier doit placer au centre de sa pratique afin qu’elle ait vraiment du sens : un esprit rempli de joie (kishin), un esprit large et sans préjugés (daishin) et un esprit aimant et bienveillant (roshin). Trois qualités que nous pourrions, à table ou aux fourneaux, essayer de développer quand nous nous sentons pris dans les filets de la routine ou de l’agitation. O
Z Déposez 1 c. à café bombée de farce au milieu de chaque carré et repliez la feuille de manière à obtenir la forme désirée (papillotes, coussinets, rouleaux). Z Disposez les petits paquets sur une plaque à pâtisserie antiadhésive. Z Badigeonnez-les avec le mélange jaune d’œuf et lait, et poudrez très légèrement de sucre ou de graines de pavot. Z Glissez au four et laissez dorer 15 minutes environ. Servez-les tièdes.
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CES MASSAGES
QUI NOUS ALLÈGENT LE CORPS ET L’ÂME Plein le dos, sur les rotules, le cœur lourd!? Pour compléter la méditation et retrouver joie de vivre et légèreté, de la tête aux pieds, voici cinq massages à pratiquer chez soi.
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Par Marie-Anne Garcia-Bour
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our la détente et le réconfort, se faire masser, c’est du bonheur. La peau, qui garde en mémoire toutes nos émotions, fait alors provision de plaisir et de douceur. Des réserves d’antistress pour les jours à venir. Mais le massage est aussi un voyage à l’intérieur de soi. En nous reliant à nous-même, il nous offre une autre lecture de notre corps. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’au cours d’un soin, des émotions nous submergent au moment où l’on s’y attend le moins. Bien avant que des spécialistes ne se penchent sur la symbolique du corps et nous apprennent à décrypter les messages de notre labyrinthique anatomie, de nombreuses expressions populaires se sont chargées d’observations empreintes de bon sens. Vous êtes sur les rotules"? Vous en avez plein le dos"? On vous casse les pieds"? Pourquoi ne pas vous faire masser spécifiquement cette partie du corps"? Même ciblés, les massages que nous vous présentons considèrent le corps dans sa globalité, pour une harmonie durable. ³
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Ces massages qui nous allègent le corps et l’âme
Je suis sur les genoux” LE MASSAGE THAÏ DES JAMBES La symbolique Les jambes, qui nous
servent à marcher, donc à nous mettre en relation avec les autres, peuvent exprimer nos tensions avec le monde ou avec autrui (« je-nous »), notre crainte d’aller de l’avant.
La méthode Enseigné dans les temples
et inspiré des traditions chinoises, indiennes et japonaises, le massage thaïlandais a une action préventive. Très physique, parfois à la limite du brutal, il agit par étirement des membres et compression des articulations pour relancer l’énergie. Et rend encore plus appréciable l’alternance avec les pétrissages, qui dénouent les tensions, et les glissés à l’huile camphrée. Sur les jambes, ce massage est un soin complet à lui tout seul. Il agit sur les méridiens du foie, des reins et de la vessie, et sur les muscles profonds qui stimulent le retour veineux. Le sang circule mieux, la lymphe est drainée, les jambes dégonflent.
Nos adresses Z Ban Sabaï, à Paris 4e et 16e. Tous les masseurs
ont été formés au temple Wat Pho, à Bangkok. On vient ici pour soigner ses jambes lourdes et pour le modelage final mains, nuque, tête. Une heure et quart, 80 €. Rens. : bansabai.fr Z Espace France Asie, 11, rue du Chevalier-de-
Saint-George, 75008 Paris. Un véritable intérieur thaï dans un appartement parisien ! Sa fondatrice, Micky France-Suwanachoti, diplômée de l’école de médecine de Bangkok, a formé d’excellents masseurs. Une heure, 80 €. Rens. : espace-france-asie.com
Je ne digère pas ce qu’il m’arrive” L’AUTOMASSAGE DU VENTRE La symbolique Le foie et la vésicule biliaire sont liés, selon la médecine chinoise, à nos yeux. Alourdis de nourritures physiques ou psychiques (colère, peur, jalousie), ils peuvent témoigner d’un refus d’y voir clair. En bonne santé, nos organes digestifs produisent 80 % de nos cellules immunitaires, et ramènent optimisme et confiance en soi. La méthode Entre cerveau et ventre, la communication est incessante. Grâce notamment au nerf pneumogastrique, qui innerve crâne, thorax et système digestif, le cerveau est au courant de toutes les misères du ventre. Et vice versa : en cas de stress, le ventre se bloque. Pratiqué très en profondeur, cet automassage du ventre détend les plexus des organes (carrefours de nerfs). « Effectué quotidiennement, il redonne de l’énergie aux organes et, au bout de deux à trois mois, guérit colopathies, insomnies, règles douloureuses, maux de dos, etc. », explique Pierre Pallardy, osthéopathe, auteur de cette méthode. Massez-vous le ventre à sec, avec des ongles coupés court, en dehors des temps de digestion et de toute affection (rhume, fièvre, etc.), en position assise ou couchée, les jambes repliées.
1. Commencez par cinq respirations abdominales. 2. Pratiquez des manœuvres de malaxage doux dans le sens des aiguilles d’une montre.
3. Repérez les endroits douloureux. En respirant profondément, travaillez-les en pinçant la peau et en la broyant entre pouce et doigts. L’intensité de ce broyage de la couche de graisse et de toxines qui recouvre les organes doit être progressive. La douleur (supportable) est un point de repère pour localiser les plexus. 4. Terminez mains sur le ventre, en écoute, comme en méditation. 5. Trois règles sont à observer parallèlement : bien mâcher pendant les repas ; faire régulièrement dans la journée cinq respirations profondes ; et pratiquer un sport pour le plaisir (marche, vélo, qi gong, etc.).
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J’ai la tête lourde de soucis” LE MASSAGE DU CUIR CHEVELU La symbolique Avec ses hémisphères, le cerveau nous rappelle par sa forme la nécessité de rééquilibrer les deux aspects de notre vie : notre nature féminine et sensible, qui nous vient de notre cerveau droit"; et notre nature masculine, logique et rationnelle, qui nous vient de notre cerveau gauche.
Nos adresses Z Carita, 11, rue du Faubourg-Saint-Honoré,
75008 Paris. Le cuir chevelu est exfolié avec un soin aux huiles essentielles et aux graines de tournesol. Soin Rénovateur, une heure vingt, 136 €. Rens. : carita.fr Z Leonor Greyl, 15, rue Tronchet, 75008 Paris.
Un soin cocooning, tout en douceur, qui embellit les cheveux et le moral. Entre 100 et 125 € la séance. Rens. : leonorgreyl.com Z René Furterer, 15, place de la Madeleine,
75008 Paris. Le lent massage aux huiles essentielles nous plonge dans une bienfaisante béatitude. Deux heures, de 148 à 160 €. Rens. : renefurterer.com
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La méthode C’est un principe de base de l’ostéopathie : notre crâne est comme un globe dont les plaques non soudées s’ouvrent et se referment au rythme d’une « respiration autonome primaire ». Cette sorte de flux et de
reflux est en communication avec le liquide céphalorachidien qui va et vient sous le crâne et le long de la colonne vertébrale. Stimulé par le massage du cuir chevelu, ce liquide noble qui irrigue toutes les parties du corps circule mieux, apportant détente et énergie. C’est pourquoi, réussi, ce massage donne l’œil brillant, les traits reposés, le corps léger. Les coiffeurs le proposent de plus en plus, allié à un nettoyage et à la pose d’un masque régénérant. L’occasion également de masser nuque et trapèzes pour parfaire la relaxation.
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Ces massages qui nous allègent le corps et l’âme
J’en ai plein le dos” LE MASSAGE AYURVÉDIQUE
La méthode Composante impor-
relancer l’énergie. Pétrissages, étirements musculaires, glissés à l’huile de sésame, les rythmes s’alternent pour faciliter l’apaisement. Essentielle pour la circulation sanguine et lymphatique et pour le fonctionnement de toutes les voies d’élimination, la zone sacrée (le bas du dos) est particulièrement travaillée. Dans certains centres, l’application sur tout le dos de tampons de riz cuit chaud aux plantes drainantes augmente encore le bien-être.
tante de la médecine ayurvédique, ce massage sert à purifier le corps et à
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Nos adresses Z Montecino, 7, rue du Louvre, 75001 Paris.
Formée à ce massage par un médecin ayurvédique, Djea n’hésite pas à se mettre à quatre pattes sur la table pour masser sacrum et lombaires. Une heure ou une heure et demie, 90 et 125 €. Rens. : montecino-paris.com Z Spa Cinq Mondes, 6, square de l’Opéra-
Louis-Jouvet, 75009 Paris. Ce centre pratique avec un haut niveau d’exigence des massages d’ailleurs, comme l’ayurvédique, contrôlé par un médecin indien. Cinquante minutes ou une heure et demie, 100 ou 150 €. Rens. : cinqmondes.com
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La symbolique Le dos, et particulièrement la colonne vertébrale, qui soutient le corps et la croissance, parle de nos tendances à accumuler les soucis sur nos épaules. Ou à leur donner trop d’importance. « Un endroit clé pour comprendre que nos problèmes physiques révèlent nos difficultés relationnelles et apprendre à lâcher prise », confirme la psychothérapeute Annick de Souzenelle.
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ulture
LA BEAUTÉ
D’UN VISAGE SEREIN
Parce qu’il favorise la circulation sanguine, le massage facial redonne de la vitalité et de l'éclat au teint. Prendre soin de son visage par des gestes simples, à la fois apaisants et stimulants, est aussi un acte de méditation. Voici quatre gestuelles beauté développées en collaboration avec les Laboratoires Vichy.
POUR UNE PEAU PLUS LISSE L’application d’un soin visage aura en plus une action protectrice.
Commencez par les zones exposées (front, nez, pommettes). Lissez de l’intérieur vers l’extérieur.
POUR UNE PEAU PLUS FERME Voici deux techniques pour ralentir la formation des signes de l’âge, ainsi que les effets de l’environnement et des émotions sur la peau.
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Pression digitale. Pour aider la peau à travailler seule son autodéfense.
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Ouverture du visage. Geste lissant pour garder les traits détendus.
POUR UN TEINT PLUS ÉCLATANT Trois pressions sur chaque point en un mouvement lissant continu.
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Sous le menton, exercez une légère pression, puis lissez en accompagnant d’un sourire.
Au coin des narines, pincez la peau en suivant les rides du sourire.
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Sur les pommettes, réchauffez la peau en tirant doucement les muscles. Souriez.
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Sous les mâchoires, tirez le bas du visage vers l’arrière avec les pouces. À pratiquer avec une respiration profonde par le nez.
POUR SE DÉTENDRE Ce geste permet d’apaiser les tensions.
MUKHA ABHYANGA En sanskrit, c’est le massage du visage.
Appuyez sur la zone entre les yeux en profondeur et lissez avec la paume vers le haut.
Le toucher est doux et convient aux personnes qui souhaitent réduire leur stress. Il raffermit la peau et détend l’esprit. Ce massage constitue un excellent préambule à la méditation. Selon la tradition indienne, le visage est le miroir de la santé globale du corps, un pont entre la beauté intérieure et extérieure.
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TÉMOIGNAGES
SE RELIER À
LA TERRE Marcher, jardiner, voyager : trois manières de se fondre dans la nature, de renouer avec le “grand tout”, de retrouver souffle, calme, et sérénité. D’élargir son âme. Trois intellectuels nous livrent leur expérience intime. Par Christilla Pellé-Douël et Paul Velasquez Photos Yannick Labrousse
L
e contact physique avec la nature aide-t-il à la méditation"? Je me souviens d’une séance pendant laquelle s’était déchaîné, venant d’un chantier voisin, le vacarme des marteaux-piqueurs : loin de nous dissuader de poursuivre la pratique, notre maître nous avait incités, au contraire, à recevoir cet assaut sonore, à l’accueillir et l’accompagner, pour lui permettre de nous traverser. Méditer n’exige donc pas d’être installé dans un environnement forcément bucolique. Mais la terre, pour ce qu’elle a de solide sous le pied et de palpable à la main, l’air que l’on respire, l’eau dans laquelle on peut s’immerger, constituent autant d’éléments qui vont nous permettre de mieux ressentir notre corps, pour dégager l’esprit et l’apaiser. Au rythme de la nature – un rythme qui nous dépasse, nous enveloppe, nous relie. Du brouhaha urbain au murmure du vent dans les branches, nous sommes le monde qui nous entoure.
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La marche réenchante mon existence” David Le Breton, sociologue et écrivain
« La marche implique les ressources élémentaires du corps, sans technologies, à pas d’homme, sans hâte, chacun selon son rythme. Elle sollicite un temps ralenti à ma mesure et à celle de mon désir. Je parcours les sentiers, j’arpente les forêts ou les montagnes, je gravis les collines pour avoir le plaisir de les redescendre, tout en restant à hauteur d’homme, livré à mes seuls moyens physiques, introduit à la sensation continue de moi et du monde. La marche réenchante mon existence. Elle n’est pas seulement regard, elle m’est aussi immersion parmi les nappes d’odeurs, les sons, la tactilité, quand le sentier se confronte soudain à une rivière, un ruisseau et que mes mains s’abandonnent à la fraîcheur de l’eau. Je sens l’épaisseur subtile de la forêt que recouvre l’ombre, les effluves de la terre ou des arbres, j’éprouve la texture du jour. J’entends les cris des oiseaux, les bruits de l’orage ou les appels des gamins dans les villages, les stridulations des cigales ou le craquement des pommes de pin sous le soleil. Selon les saisons, je cueille les fraises des bois, les noisettes, les champignons… La marche est une expérience sensorielle totale qui ne néglige aucun sens. Les retrouvailles avec le cosmos ne sont jamais loin, mes pas me mènent infiniment plus loin que le paysage. » David Le Breton est l’auteur, notamment, de Marcher, éloge des chemins et de la lenteur et Du silence (Métailié).
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Témoignages | Se relier à la terre
Je ne trouve la paix que dans les déserts” Josef Schovanec, philosophe et écrivain
« Que faire quand, malgré les efforts et les apprentissages, vous êtes irrémédiablement “bizarre” aux yeux d’autrui4? Se promener. C’est ainsi, ironie du sort, que je suis devenu autiste du voyage, explorateur de ce que je nommerais l’au-delà vide, le Sahara ou les grands déserts d’Asie. Ce n’est que là que je trouve la paix. Qu’importe que votre voix soit bizarre si seuls les rochers du Baloutchistan réverbèrent son écho4? Qu’importe la précarité de votre statut social quand la tente noire de la nuit saharienne est votre toit4? “Nous sommes possédés par nos possessions”, diagnostiquait Théodore Monod, l’errant des déserts. Loin des clichés de nature paradisiaque, loin des fantasmes de possession et des illusions de l’enracinement, nul paysage n’est plus hostile que celui du désert. Il ne promet pas un ajout dans le bric-àbrac quelque peu fétichiste dont on espère le salut. Nous poussant à repenser notre nature même, il est au contraire ce lent professeur d’humanité si cher à Monod. Pour moi, l’exclusion due à la dictature de la norme sociale a peut-être été une chance : contraint de devenir anthropologue au pays des nonautistes, après maints voyages et péripéties, évadé de la camisole chimique autant que des fausses promesses de la normalité, je rêve certains soirs de devenir guide touristique. Celui qui aide les passants impatients qui s’ignorent tels à voir les choses de l’autre côté de la bulle. La leur. » Josef Schovanec est l’auteur de L’Amour en Autistan (Pocket) et de Voyage en Autistan (Plon).
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Jardiner m’a appris la lenteur” Belinda Cannone, écrivaine
« J’ai toujours été une femme pressée et, avant de m’installer dans ma maison des champs, je n’avais jamais imaginé mettre les mains dans la terre. Et puis j’ai décidé de planter deux hortensias devant la porte et, comme par un engrenage inexorable, je suis tombée jardineuse… Et j’ai ainsi appris la lenteur, le calme du temps étiré. On est entré un instant plus tôt dans le jardin et soudain, comme s’éveillant d’un beau songe, on ne sait plus depuis quand on jardine : deux heures, trois4? Le temps a passé à sa manière et on avait tout oublié de la vie ordinaire. Car il a d’abord fallu regarder – oh4! comme on a envie de regarder, passionnément : où en est donc le lilas4? Les tiges des pivoines ont-elles commencé à poindre, rouges et charnues4? Les anémones du Japon n’en prennentelles pas trop à leur aise4? Il faut arracher, patiemment – oh4! cette patience4! –, les plantes fanées, choisir les emplacements des fleurs annuelles, creuser, et, si vaste soit l’emprise des mauvaises herbes sous la poussée printanière, on sait que l’on en viendra pourtant à bout, tranquillement. Devenue jardinière, rien ne sera plus comme avant, on aura appris à s’insérer dans le grand flux du temps naturel, celui qui nous extrait de nous-mêmes – de ce petit moi si inquiet, si exigeant –, car le jardin, comme la musique, est l’occasion d’abandonner provisoirement ses oripeaux trop singuliers pour s’harmoniser à l’univers. » Belinda Cannone est l’auteure, notamment, de S’émerveiller (Stock) et Un chêne (Le Vistemboir).
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Chapitre 3
LA
PRATIQUE Stimuler la mémoire, améliorer le sommeil ou apaiser une angoisse… La méditation peut être une fidèle alliée. Le cahier a été réalisé en collaboration avec l’ouvrage de Christine Barois “Pas besoin d’être tibétain pour méditer” (Solar Éditions).
ChristineBaroisestmédecinpsychiatreàParis. Spécialistedustress,del’anxiétéetdeladépression,elleanime égalementdesformationsàlaméditation.
Les méthodes méditatives mènent au calme. De quelle façon!? En s’appuyant sur le plus simple des savoir-faire : la respiration. Démonstration. Par Anne Laure Gannac
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ogas chitta vrtti nirodah », nous enseigne, en sanskrit, le Yoga-Sutra. « Le yoga est la cessation des fluctuations de l’esprit », pourrezvous désormais traduire avec la sagesse d’un Indien éclairé. Autrement dit : le yoga, c’est le calme. Qu’il enchaîne les postures ou répète des mantras l’œil mi-clos, le yogi ne cherche rien d’autre que la tranquillité, qui dépend de l’apaisement des pensées. Quiconque prend le temps d’observer ses idées, ses projets, ses espoirs ou ses regrets le constatera : ça fluctue là-dedans, comme une mer agitée par des courants contraires. Imaginez : passer sa vie sur un radeau au milieu de l’océan tempétueux. Comment ne pas être stressé"? Il faut que cela cesse. Et que la mer devienne un lac, toujours
L E E J EO N G LO C K / 2 0 1 6 . O P I O M G A L L E R Y, S É R I E « P R I VAT E S A C R E D P L A C E », 2 0 0 9
RESPIRER,
C’EST TOUT en mouvement mais doux, tranquille et résilient : si une rafale de vent vient accentuer le pli de ses ondulations, la surface retrouve ensuite sa texture de satin. Ah"! connaître le secret du lac au pied des montagnes… À défaut, la méditation (dont le yoga) nous enseigne celui du calme intérieur : la respiration. C’est tout. Inutile de se mettre en quête d’un Graal spectaculaire. Le calme réside juste ici, dans cet acte inné, vital et simple. Des preuves"? Observez votre respiration quand vous êtes inquiet, en colère ou terrifié : rapide, saccadée, irrégulière. Puis prêtez attention à elle quand vous admirez un paysage, quand vous jardinez ou priez, ou après une séance de sport intense : elle est douce, fluide et régulière, sans accroc ni rétention. Le sceptique en
vous réagit : « N’est-ce pas plutôt parce qu’on fait ces activités apaisantes que nos pensées se calment et, avec elles, la respiration"? » C’est l’histoire de la poule et de l’œuf – cette question qui fascine nos esprits formés au principe de causalité, mais qui s’avère assez inintéressante, puisque l’œuf et la poule sont voués à dépendre l’un de l’autre.
APPUYER SUR LE BOUTON QUI DÉTEND
Idem pour nos moutons : entre corps et esprit, entre émotions et pensées, l’échange est permanent. Et il a pour principal médiateur la respiration. Elle donne le tempo de nos émotions en même temps qu’elle bat à leur rythme. Elle insuffle la cadence à nos pensées en ³
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Respirer, c’est tout
À faire chez soi CHANTEZ LE “OM”
SUR LE WEB SAVEZ–VOUS RESPIRER ? Clé de notre forme comme de notre équilibre nerveux et émotionnel, la respiration peut également nous amener à des états de conscience modifiée… Découvrez ce que révèle votre rapport au souffle et quelles sont les habitudes à changer. À faire en ligne, dans la rubrique Tests sur Psychologies.com
³ même temps qu’elle traduit physiquement leur
Asseyez-vous et respirez naturellement (par le nez). À chaque expiration, prononcez le son « om » en étirant le « m » et en prêtant une attention particulière à la résonance que ce son « m » produit dans votre boîte crânienne. Cet exercice s’appelle pranava japa (de japa, « répétition », et pranava, qui désigne le « om », considéré comme le son de l’univers à sa création, le son de l’infini ou encore l’essence de toute chose). Si la rigueur de la tradition vous émoustille, faites cent huit « om ». Pourquoi cent huit"? Des astronomes indiens auraient estimé, il y a plusieurs millénaires de cela, que le diamètre du Soleil multiplié par cent huit équivaudrait, entre autres, à la distance entre la Terre et le Soleil. Depuis, cent huit est devenu un nombre sacré dans l’hindouisme et le yoga. Même sans atteindre ce nombre symbolique, pranava japa peut très bien remplacer la méditation silencieuse : le travail de concentration est facilité par le chant. Efficace en cas de stress ou pour commencer la journée en douceur.
RESPIREZ À PLAT VENTRE
Allongez-vous sur le ventre, le front posé agitation. Donc : apaisez votre respiration et vous sur vos mains croisées. Concentrez toute votre apaiserez vos pensées et vos émotions. Cela dit, attention sur la zone du plexus solaire, située bien sûr, si vous calmez ces dernières, vous caldans le haut de l’abdomen, à la lisière de la cage merez de facto votre respiration. Mais… bonne thoracique. « Devenez » uniquement cette zone. chance"! La tâche est bien plus ardue dans ce sensSur l’inspiration (par le nez), comptez quatre là. Pour apaiser sa respiration, les techniques temps en essayant de gonfler cette partie, et sur sont nombreuses. Pourtant, un seul conseil peut chaque expiration ne videz qu’elle, toujours en suffire : appuyez sur le « bouton ». Dans le haut quatre temps. Vu de l’extérieur, le milieu de votre de l’abdomen, à la lisière de la cage thoracique, dos monte puis descend tandis que le reste du se trouve un centre nerveux, le plexus solaire, où corps reste immobile. Très pratique dans le lit en se concentrent un ensemble de nerfs reliés aux cas d’insomnie. organes digestifs – ce fameux « deuxième cerveau » pour nous, Occidentaux, mais qui figure en première place sur le podium cervical de nombre d’Orientaux. Cet ensemble de nerfs appartient au système nerveux parasympathique, qui ralentit les fonctions de l’organisme, facilite la digestion, abaisse le rythme cardiaque et la tension artérielle. Bref, il détend. Il suffit de constater comment, en cas de stress ou d’émotions fortes, cet endroit du corps est contracté, presque aspiré, et la respiration semble s’y bloquer. Lorsque cette même zone – qui correspond aussi à la base du diaphragme, muscle principal de la respiration – est détendue, grâce à certaines postures, à de la chaleur ou à un simple massage, les émotions se dissipent et la respiration retrouve sa fluidité. Comme les eaux du lac reprennent leur ondoiement serein.
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LA PLEINE CONSCIENCE AU QUOTIDIEN
À faire au travail ou dans les transports INSPIREZ PAR PALIERS
Dans une assise confortable et solide, commencez, à l’inspiration (par le nez), par engager doucement le plancher pelvien (comme pour retenir une envie d’uriner), puis continuez à inspirer par paliers : une inspiration suivie d’une pause, une inspiration suivie d’une pause, etc. Jusqu’à cinq. La sensation est donc celle d’une inspiration montant depuis le plancher pelvien, passant au nombril (alors aspiré et « allongé »), puis dans le haut de l’abdomen, dans la cage thoracique qui s’amplifie (devant mais aussi sous les aisselles et dans le dos entre les omoplates), jusque sous les clavicules. À la fin de l’inspiration, relâchez doucement le contrôle du plancher pelvien et expirez de façon fluide jusqu’à cinq ou, si possible, jusqu’à dix. Faites au minimum trois cycles. S’il exige un peu de pratique pour être fait sans tension, cet exercice qui amplifie les capacités respiratoires a un puissant effet apaisant et revitalisant.
MASSEZ VOTRE PLEXUS
Devant un bureau ou debout parmi la foule, le dos tend à s’affaisser et les épaules à se refermer vers l’avant, ce qui comprime le plexus. Redressez-vous sans vous cambrer, ramenez les épaules en arrière et vers le bas. Pianotez du bout des doigts sur le haut de l’abdomen, dans le creux du plexus, afin de « ramollir » cette zone. Puis exercez-y un massage circulaire, dans le sens des aiguilles d’une montre, pour chauffer et relaxer toujours plus ce centre nerveux.
Z Au réveil, prenez le temps, dans votre lit, avant même d’avoir posé le pied à terre, de vous interroger : « Comment je me sens là-tout de suite-maintenant ? » Il est fréquent d’avoir du mal à « entrer » dans la journée, tant la perspective d’avoir mille choses à faire ou à régler est stressante. Mais là, dans votre lit, il n’est encore rien arrivé. Respirez quelques instants en pleine conscience. Z Saupoudrez votre quotidien de pleine conscience, lorsque vous préparez le petit déjeuner, sous la douche, lors de vos trajets… Z Tâchez de vous connecter à votre corps aussi souvent que possible pour repérer les sensations corporelles. Qu’éprouvez-vous ? Par exemple, êtes-vous en train de vous dépêcher ? Pour quoi faire ? Est-ce bien utile ? Z Profitez des sons, des bruits extérieurs pour vous ancrer dans le présent, tout au long de la journée. Comptez aussi sur votre respiration. Z Mettez à profit tous les moments d’attente – et ils sont nombreux ! « Attente = Détente » doit être votre nouveau slogan quand vous êtes dans les embouteillages, dans le métro, au téléphone, quand vous faites la queue au supermarché, etc. Respirez ! Il n’y a rien à faire, ne luttez pas, ne pestez pas, acceptez, lâchez prise. Et observez votre corps quand vous attendez. Z Avant de boire ou de manger, prenez un instant pour effectuer quelques respirations et vous recentrer. Réfléchissez à la provenance, à la transformation, au transport de cet aliment, au travail qu’il a demandé. Puis, à l’instar du grain de raisin sec, faites le tour de vos cinq sens avant de le porter à votre bouche. Posez votre fourchette entre chaque bouchée, mâchez entre 10 et 20 fois avant de déglutir. Avez-vous besoin ou envie de manger la bouchée suivante ? Z Côté interactions sociales maintenant. Soyez toujours attentif à vos propos et à ceux de votre interlocuteur. Pouvez-vous écouter sans être d’accord ? Attendez-vous votre tour pour répondre ? Êtes-vous tenté de minorer ou d’exagérer votre discours ? Savez-vous pourquoi ? Prêtez attention à vos sensations corporelles. Dans un échange en pleine conscience, il convient d’« avoir tous les trous ouverts » ! Z Si vous devez participer à une réunion ou un rendez-vous, prenez le temps d’observer quelques secondes les tensions de votre corps : le cou, les épaules, les mâchoires, le ventre. En « observant le penseur », vous observez aussi son corps. Z Avant de dormir, effectuez plusieurs respirations en pleine conscience. Z Si vous vous réveillez au milieu de la nuit, réjouissez-vous ! Posez toutes vos pensées sur la table de chevet, vous les reprendrez demain matin. Focalisez votre attention sur votre respiration, écoutez votre cœur qui bat.
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S’OFFRIR UNE
DIGITALE DÉTOX
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T
extos, courriels, réseaux sociaux… Nous sommes devenus addicts au numérique1"! Dans une journée type, nous recevons environ cent dix messages, vérifions trente-quatre fois nos Smartphone, allons cinq fois sur Facebook, passons environ une demi-heure à « liker » ce que nos amis ont publié. Pour chaque heure passée à parler au téléphone, nous en passons cinq à surfer sur internet. Des chercheurs ont mis en évidence notre consommation de numérique : nous passons soixante heures par mois en ligne, ce qui fait sept cent vingt heures par an. La majorité des employés, quels qu’ils soient, ne disposeraient, au cours d’une journée de travail et en moyenne, que de trois à quinze minutes sans aucune interruption. Ensuite, ils sont interrompus, doivent gérer ces distracteurs ou distractions et, à nouveau, se reconcentrer. Puisque la nouveauté est une sorte de stress qui nécessite une fonction d’adaptation, il apparaît que nous lisons nos courriels… en apnée. C’est Linda Stone, écrivaine et consultante américaine, ancienne cadre chez Apple et Microsoft, qui a décrit la première ce phénomène. Elle a observé en effet qu’elle retenait son souffle chaque fois qu’elle ouvrait sa boîte et consultait ses courriers électroniques. Sa respiration était différente, plus courte, comme face à un stress, lorsqu’elle évaluait ses messages : lequel est urgent, lequel peut attendre ou doit être supprimé. Intriguée, elle a cherché à en savoir plus sur cette drôle d’apnée et ob-
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Toujours le nez sur votre Smartphone ou votre ordinateur, vous avez du mal à fixer votre attention, à vous concentrer. Le moment est peutêtre venu de se déconnecter… au moins pour un certain temps.
servé ses proches. À la maison, au bureau, au café, eux aussi respiraient superficiellement. Linda Stone remarqua que le même phénomène se produisait avec le téléphone mobile : une respiration plus rapide, concentrée sur le haut du thorax. Elle s’est interrogée : quel impact sur notre santé"? Des chercheurs américains2 ont apporté la réponse : le fait de retenir son souffle et l’hyperventilation font partie des signes physiques du stress. Le système nerveux autonome, qui commande un certain nombre de nos fonctions (digestion, respiration, circulation et stress), est réparti entre deux axes : le système sympathique, lié à la situation de lutte devant un danger, déclenche une respiration haute et accélérée"; le système parasympathique, quant à lui, est stimulé par une respiration ample et abdominale, il permet de ralentir la fréquence cardiaque et envoie un signal de repos et de détente au cerveau. Pour Linda Stone, une évidence s’impose alors : quelques minutes de respiration ample chaque jour sont essentielles. Elle avance le concept de « l’attention partielle continue » pour décrire l’état attentionnel particulier dans lequel nous sommes en travaillant. Le débat reste ouvert pour savoir si l’addiction au numérique doit être considérée comme une pathologie médicale ou non. Une étude, menée à Boston sur le personnel médical, décrit un étrange phénomène : le « fantôme du Smartphone sur vibreur » et une « anxiété de la sonnerie3 ». Les participants ont l’impression que le téléphone vibre dans leur poche alors que rien ne se passe ou presque. Le moindre effleurement de leur vêtement sur la peau suffit à engendrer cette impression « fantôme »… Cet outil est devenu un prolongement de nousmêmes. Comme nous nous déplaçons d’un endroit à un autre avec une voiture, les caractéristiques du véhicule nous intéressent, mais la machine disparaît derrière la fonction. Un aveugle connaît le poids, la longueur, la rigidité et la texture de sa canne lorsqu’il est assis et qu’il la tient. Dès qu’il l’utilise pour se déplacer, ces caractéristiques-là s’évanouissent. Son esprit se focalise sur l’information que sa canne lui donne en interaction avec l’environnement. Il la traite comme une extension de la main et « sent » la route, comme s’il la touchait pour de vrai. L’ordinateur ou le Smartphone seraient-ils devenus notre canne blanche"? 1. In The Distraction Addiction d’Alex S. Pang (Little Brown and Company). 2. In American Journal of Hypertension, 2008. 3. Le syndrome des vibrations fantômes du portable.
EXERCICE POUR SORTIR DE L’HYPER CONNEXION Z Respirez profondément lorsque vous ouvrez un courriel ; alors que vous vous apprêtez à le lire, ne choisissez ni la lutte ni la fuite. Z Posez votre téléphone sur une table, de telle sorte que l’écran ne soit pas tourné vers vous. Ce que vous ne voyez pas (messages, notifications, etc.) ne vous distrait pas ! Z Ne faites rien pendant 2 minutes. Écoutez le bruit des vagues, par exemple. Z Évitez de regarder vos mails toute la journée. Réservez une plage horaire le matin et le soir pour consulter votre messagerie. Z Ralentissez le rythme, soyez attentif, cessez de faire plusieurs choses à la fois. L’efficacité multitâche est un mythe. Vous perdez du temps à passer d’une activité à l’autre puisque vous changez de rythme. Z Prenez du recul : ce n’est pas parce que vous lisez quelque chose en ligne que vous devez y répondre ou le commenter. Z Arrêtez de regarder votre Smartphone de façon compulsive, chaque fois que vous êtes à un feu rouge ou faites la queue dans un magasin. Pour déjouer cette tentation, rangez-le au fond de votre sac. Z Prenez un « congé numérique » chaque semaine : désactivez tous vos écrans d’un coucher du soleil à l’autre. Vous allez survivre à 24 heures hors ligne. Z Sur Facebook ou Twitter, ne partagez pas tout et n’importe quoi. Soyez sûr que votre publication, participation ou intervention, a du sens. Interrogez-vous : serez-vous toujours d’accord avec celle-là dans un ou dix ans ? Z Court-circuitez les longs enchaînements de courriers électroniques. Sortez de votre bureau, faites quelques pas et parlez avec votre collègue de vive voix. Z Soyez en pleine conscience devant l’écran ! Il est conseillé de s’interroger sur sa motivation avant chaque action en ligne : si vous constatez que vous êtes conduit par des émotions telles que la colère, la jalousie ou la peur, arrêtez-vous ! N’oubliez pas : de l’autre côté de l’écran de votre ordinateur, il y a d’autres personnes…
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RELATIVISER LES TENSIONS
AU TRAVAIL
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L
es effets positifs de la méditation sont à la fois intellectuels et physiques. Ces bénéfices, appliqués au monde du travail, sont une augmentation de la productivité, une réduction du stress et un niveau d’absentéisme moindre. Beaucoup sont sceptiques et pensent que c’est le dernier truc à la mode"! Aux États-Unis, 25 % des compagnies ont des programmes de mindfulness in the workplace ou mindfulness at work, autrement dit des programmes de pleine conscience au travail ou au bureau (voir « La bienveillance conduit au succès » p. 48). Les salariés de Google, Intel, Apple, Procter & Gamble, The Huffi ngton Post, entre autres, en bénéficient. En Angleterre et en Allemagne, la méditation est aussi très implantée. C’est à croire que c’est devenu le passe-temps favori des élites"! De nombreux et célèbres chefs d’entreprise témoignent de leur pratique. Ray Dalio, président fondateur de Bridgewater Associates, un fonds d’investissement américain, le dit haut et fort : « La méditation, plus que tout dans ma vie, a été le principal ingrédient de mes succès. » Elle n’est pas réservée aux grands patrons, pas plus qu’aux cadres supérieurs. Elle est accessible à tous.
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Votre travail vous stresse au point que vous n’avez plus de vie. Vous ne lâchez pas votre ordinateur du week-end, vous êtes irritable aussi bien avec vos proches qu’avec vos collègues et rien de tout cela n’a plus de sens pour vous. Ces exercices vous aideront à rééquilibrer la situation.
EXERCICES MÉDITATION ASSISE EN SILENCE, SANS SUPPORT 3 à 20 minutes
Suivant le temps dont vous disposez, cette méditation peut ne durer que trois minutes, ou s’étendre à vingt minutes, voire davantage ! Elle peut être pratiquée assis à votre bureau, ou discrètement à l’écart dans une pièce vide. Z Prenez la position que vous préférez pour méditer, le dos droit et digne. Z Essayez de vous attacher à ne fixer votre attention que sur votre corps, votre respiration et sur les sons. Z Repérez les pensées qui viennent. Z Notez simplement le sujet de votre préoccupation et revenez à l’exercice autant de fois que votre esprit sera parti vagabonder.
20 minutes
POUR NE PLUS ÊTRE DÉBORDÉ Voici quelques conseils de pleine conscience pour le super-occupé que vous êtes. Z Faites une chose à la fois. Z Faites-le lentement et délibérément. Z Limitez vos activités. Z Mettez de l’espace et du temps entre vos activités. Z Passez au moins 5 minutes chaque jour à ne rien faire. Z Arrêtez de vous inquiéter à propos de l’avenir.
Z Soyez présent lorsque vous parlez à quelqu’un. Z Mangez lentement et savourez vos aliments. Z Vivez lentement et savourez votre vie. Z Transformez certaines habitudes en moments de pleine conscience (quand vous faites le ménage, la cuisine ou dans la douche). Z Continuez à pratiquer la pleine conscience, même si vous êtes en colère ou fâché.
APPRENDRE À SE REPRENDRE
3 minutes
1. Par la conscience. Adoptez une posture droite et digne. Si possible, fermez les yeux. Puis interrogez-vous : « Comment est-ce que je me sens, là-tout de suite ? » « Quelles sont mes pensées-émotions-sensations corporelles ? » Reconnaissez et accueillez votre expérience, même si elle est désagréable. 2. La focalisation. Réorientez toute votre attention sur votre respiration. Elle peut fonctionner comme un point d’ancrage pour vous conduire dans le présent et vous aider à entrer dans un état de conscience et de calme. 3. L’élargissement. Élargissez le champ de votre conscience au-delà de votre respiration : vous êtes désormais attentif à votre posture, à votre expression faciale, vous percevez votre corps comme un tout.
MÉDITATION POUR OUVRIR L’ATTENTION AUX SONS
Z Comme pour une méditation assise, ci-dessus, adoptez une posture digne et droite. Vérifiez la position de la colonne vertébrale : elle doit être droite sans être raide. La tête est dans le prolongement du buste, le menton est légèrement rentré. Les points de contact de votre corps avec votre support sont bien repérés. Z Observez les sons qui vous entourent, ceux de la pièce, ceux de votre immeuble ou de votre maison, ceux de l’extérieur, de la rue ou du jardin.
Z Remarquez comme cette conscience du son permet d’ouvrir un troisième ancrage dans le présent. Que ces bruits soient proches ou lointains, imaginez leur trajectoire jusqu’à votre oreille. Parfois, certaines personnes préfèrent être attentives aux moments de silence pour se détacher du jugement. Devenez un fin technicien des sons : notez leur timbre, leur sonorité, leur durée. Z Dès que vous n’êtes plus attentif, observez où votre esprit est parti vagabonder et revenez à l’exercice. Z Soyez maintenant attentif à vos
pensées. Elles sont de vrais sujets d’observation, de réels événements dans votre esprit. Comme vous l’aviez fait avec les sons, observez-les sans les juger, avec curiosité. Laissez-les surgir puis partir les unes après les autres, contentez-vous de les étiqueter « pensées ». Comme si vous vous teniez derrière une cascade, regardez vos pensées comme des gouttes d’eau. Vous pouvez également choisir la métaphore du cinéma : elles sont projetées sur un écran, elles défilent telles des images. Laissez-les venir et s’en aller naturellement.
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RENFORCER
LA MÉMOIRE D’OÙ VIENNENT LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE ?
Parmi les causes médicales qui sont sources de pertes de mémoire, nous retrouvons l’anxiété et la dépression. En effet, puisque le sujet est accaparé par ses ruminations, occupé par ses anticipations, il a du mal à fi xer les informations. D’autres origines comme les problèmes de thyroïde, les carences en certaines vitamines, certains traumatismes crâniens ou encore la déshydratation peuvent aussi engendrer des troubles de la mémoire, une certaine confusion. Les effets secondaires de certains médicaments, comme les benzodiazépines, occupent une place à part. Ces molécules sont prescrites en cas d’anxiété et peuvent provoquer des pertes de mémoire. Heureusement, ces réactions sont réversibles : les souvenirs reviennent à l’arrêt du traitement. C’est un peu un comble : en voulant soulager une anxiété – et parfois sans expliquer au patient le risque de légère perte de mémoire – on peut majorer son angoisse…
LA MÉMOIRE, QU’EST-CE QUE C’EST AU JUSTE ?
En réalité, il n’y a pas une mémoire, mais plusieurs types de mémoires : perceptive"; à court terme, à long terme"; implicite et explicite"; sémantique, épisodique, procédurale.
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Vous cherchez vos clés ou vos lunettes, oubliez trop souvent votre mot de passe, ne vous souvenez plus du prénom du voisin ou d’un collègue… Voici quelques pistes méditatives qui permettent de remédier à ces troublants trous de mémoire.
EXERCICE LÂCHER SES PEURS La mémoire perceptive intervient en premier, lorsque le cerveau perçoit un objet, avant même de lui donner une signification. Prenons le cas d’une perception visuelle : le cerveau perçoit une forme puis garde en mémoire son empreinte, de sorte qu’elle soit plus rapidement identifiée lorsqu’elle se présentera à nouveau. La mémoire à court terme, autrement appelée « mémoire de travail », est très reliée à la pleine conscience. C’est elle qui permet de mémoriser des données puis d’effectuer un calcul mental par exemple. Elle dépend de notre état de conscience. Cette mémoire de travail peut s’appuyer sur ce qu’on appelle le calepin visuo-spatial : quand on tente de retenir un numéro de téléphone, on l’affiche comme sur un écran ou on le répète en boucle. La mémoire à long terme est divisée en deux pôles. La mémoire explicite, qui raconte quelque chose sur nous, c’est-à-dire un épisode de notre vie – on parle alors de mémoire épisodique –, ou des connaissances que nous avons emmagasinées – il s’agit de la mémoire sémantique –, et l’implicite, ou procédurale. La mémoire sémantique sert à mémoriser la connaissance, une information sur soi, les autres ou le monde. Ce type de mémoire n’est pas lié à un événement mais à un fait : nos yeux sont verts, le ciel est bleu, la capitale de la Hongrie est Budapest. La mémoire épisodique correspond, elle, à des événements associés à un lieu et à une date. Nous nous souvenons d’un événement de vie marquant, la date de naissance d’un enfant par exemple ou le lieu de notre mariage. Nous nous rappelons aussi des situations de danger des traumatismes, le décès d’un proche. La mémoire procédurale, ou mémoire de l’action, engendre notre savoir-faire. Elle permet d’apprendre à conduire, par exemple, à maîtriser un nouveau logiciel. L’apprentissage est découpé en séquences. Quand on apprend à conduire, on passe d’abord en première. Pour passer la première, on met le pied gauche sur l’embrayage, la main droite sur le levier, et ainsi de suite. Peu à peu, la pratique est acquise et la tâche peut être exécutée sans réfléchir. La mémoire procédurale a conservé la trace des différents gestes. Le pilotage devient automatique"!
30 minutes
Z Choisissez un événement au cours duquel votre réactivité émotionnelle vous a emporté, une situation représentative de ce qui vous pose problème, un moment désagréable où votre émotion vous a submergé, et qui encombre encore votre mémoire. Z Projetez-vous au début de l’épisode afin d’éprouver à nouveau les sensations corporelles. Vous allez revivre ce moment, et pas seulement le revoir, comme si c’était là, ici et maintenant. Souvent, nos souvenirs sont teintés de concepts, de jugements, c’est notre cerveau analytique qui s’actionne. Pour cet exercice, il convient de plonger à nouveau dans la situation en prenant le temps d’observer les sensations corporelles qui apparaissent. Dès que celles-ci reviennent, portez-y toute votre attention. Si vous ne les appréciez pas parce qu’elles sont douloureuses, déplaisantes ou inconfortables, vous aurez tendance à vous contracter, à les repousser, à les bloquer, par peur, par irritation. Chacune de ces réactions est le contraire de l’acceptation. Z Faites l’expérience de ces sensations corporelles, même si elles sont désagréables. C’est votre décision de les laisser s’exprimer. Vous avez choisi d’observer, du mieux que vous le pouviez, la façon dont vous vivez ce qui est présent. Accepter, accueillir vos sensations, c’est déjà expérimenter différemment la situation problématique. Vous cessez d’attendre que les choses changent, vous n’avez plus besoin de contrôler ou d’empêcher un ressenti. Vous êtes dans une posture de curiosité bienveillante. Même si ces sensations corporelles sont très désagréables, vous pouvez vous dire : « Ça va. Quoi que ce soit, ça va ! »
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AMÉLIORER
LE SOMMEIL
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L
’insomnie chronique est un problème majeur de santé publique qui touche environ 10 % des adultes. La pratique de la pleine conscience est une approche efficace pour traiter ce type de trouble. Ses résultats sur le sommeil sont comparables à ceux des sédatifs mais en mieux : l’optimisation est plus durable et, surtout, sans effets secondaires. Une étude a été menée à ce sujet pour mieux comprendre le lien du sommeil et de la formation à la pleine conscience. Les participants ont dit qu’ils ne dormaient pas plus"; en revanche, ils reconnaissaient mieux dormir, se réveiller plus « frais », se sentir moins en détresse par rapport à l’insomnie, et surtout mieux à même d’y faire face quand elle survenait. Par ailleurs, ils se sont sentis plus motivés pour suivre les directives d’hygiène du sommeil. L’exercice du body scan a été identifié comme un outil efficace pour se rendormir plus rapidement. Pour les participants, la méditation était indispensable au maintien des progrès. Le sentiment d’être mieux physiquement et émotionnellement plus stables les incitait à poursuivre leurs efforts. Pour l’insomniaque, la méditation présente l’avantage d’être praticable à tout moment – et sans les effets néfastes des somnifères"!
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Ne pas parvenir à s’endormir au coucher ou se réveiller dans la nuit en proie à un tourbillon de pensées est une épreuve souvent pénible. Pratiqués régulièrement, ces exercices peuvent être d’une aide précieuse.
EXERCICES LE ” BODY SCAN ” 25 minutes
Z Pour le pratiquer, vous pouvez soit vous allonger sur le dos, soit vous asseoir. Il n’y a pas de règle. La position qui est la plus confortable pour vous sera la bonne. Z Commencez par prendre le temps de réajuster votre posture pour ne pas avoir mal. Z Prenez le temps de repérer les points de contact de votre corps avec le support. Z Votre respiration soulève votre thorax, de sorte que l’expiration va stabiliser votre posture. Z Vous allez porter votre attention sur les différentes parties de votre corps. Suivez l’ordre qui vous convient, des extrémités vers le buste. Z Remontez progressivement des doigts vers l’épaule ou des orteils vers la hanche, de chaque côté, en prenant le temps de vous concentrer sur les différentes parties. Attendez une dizaine de secondes à chaque endroit, pour bien ressentir les sensations corporelles, la position de votre membre ou de la partie concernée, les points de contact avec le tissu de vos vêtements. Z L’intérêt de l’exercice n’est pas de se sentir bien, mais de voir comment l’esprit se balade, vagabonde. S’exercer à suivre les différentes parties du corps sert d’entraînement pour le faire revenir « là-tout de suite-maintenant ». Z Constater que vous avez pensé à autre chose est normal. Pratiquer vous aidera à revenir encore et encore sur les différentes parties du corps pour sortir du mental, pour revenir dans le présent et soutenir votre attention.
VOIR LES PENSÉES AUTREMENT Apprenez à regarder passer les pensées dans votre esprit. Elles se projettent comme sur un écran de cinéma ou évoluent dans le ciel comme les nuages. Voyez ces réflexions comme des phénomènes mentaux : elles n’ont rien à voir avec la réalité. Pour prendre du recul, voici quelques conseils : Z Il peut être tentant de croire que la pensée est vraie. Mais souvenez-vous : c’est à vous de décider si elle a de la valeur. Donnez-lui une note entre 0 et 10 – 0 si elle n’est pas crédible, 10 si elle vous semble réelle. Z Choisissez la façon dont vous allez réagir. Allez-vous continuer à vous « prendre la tête », allez-vous « laisser tomber » ? Z Écrivez noir sur blanc vos pensées. Les coucher sur le papier permet de les mettre à distance, ne serait-ce que le temps de les écrire. Les réflexions seront moins émotionnelles. Z Interrogez-vous : êtes-vous objectif ou submergé par vos
émotions ? Z Jouez avec vos pensées, faites-les partir et revenir. Passez en dessous, au-dessus, comme si vous en étiez le spectateur. Z Quand elles sont particulièrement pénibles, il peut être utile de revivre les sensations corporelles qu’elles déclenchent. Nos pensées empoisonnent parfois notre existence. Par exemple, nous nous mettons la pression pour exécuter mille tâches dans une journée – sans que personne ne nous demande quoi que ce soit. Nous dressons des listes de « choses à faire » totalement infaisables et nous nous imposons des échéances, sans faire la différence entre l’important et l’urgent. Résultat : nous sommes tendus et anxieux, sans vraiment savoir pourquoi, alors qu’il s’agit seulement de « choses à faire » et que certaines peuvent attendre. Pendant la méditation, ce type de pensées peut surgir et nous embarquer sans même nous prévenir !
MÉTHODE DE RELAXATION Z Interrogez-vous : « Comment je me sens, là-tout de suitemaintenant ? » Concentrez-vous sur vos pensées, vos émotions et vos sensations corporelles. Z Réservez-vous des temps de sommeil, surtout si vous êtes somnolent dans la journée. Peu importe le nombre d’heures, l’essentiel est que vous ne piquiez pas du nez. Faites une sieste de 20 minutes si c’est nécessaire. Z Agissez sur votre stress en optant pour une méthode de relaxation, comme la respiration consciente que vous pouvez utiliser à volonté. Vous ne pouvez pas toujours éliminer le stress, mais vous pouvez l’équilibrer.
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La méditation de pleine conscience constitue un formidable outil pour calmer les enfants et les adolescents et favoriser leur concentration, dès le plus jeune âge. Par Anne-Laure Vaineau
L
es enfants d’aujourd’hui sont souvent agités, c’est vrai"; ils sont aussi naturellement curieux, et méditer leur off re une belle occasion de jouer à l’explorateur d’eux-mêmes. En se familiarisant avec ce terrain de jeu, ils découvrent que l’attention et la concentration viennent sans effort et de manière amusante. Quant aux ados, agités par les hormones et les pulsions, ils trouvent dans la méditation un lieu de rencontre avec leur propre corps, qui les rassure et les contient. La méthode de méditation de pleine conscience élaborée par la psychologue et psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin 1 regroupe des exercices ludiques d’une part pour les enfants dès 5 ans, d’autre part pour les ados. Les uns et les autres sont à pratiquer en famille, parce qu’ils apaisent le stress des enfants, mais aussi celui des parents"! 1. Auteure de Tout est là, juste là : méditation de pleine conscience pour les enfants et les ados aussi (Odile Jacob).
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APAISER ENFANTS ET ADOS
TROIS EXERCICES DE MÉDITATION POUR LES ENFANTS
1.
DEMANDEZ À VOTRE ENFANT : “QUEL TEMPS FAIT-IL À L’INTÉRIEUR DE TOI ?”
Parce que nous passons notre temps à parler, et à leur parler, de la pluie et du beau temps, des nuages, du vent, de la température et de ce que nous ressentons en fonction de celle-ci, les enfants n’ont aucun mal à trouver des mots liés à la météo pour décrire ce qu’ils ressentent au fond d’eux-mêmes. Que ce soit pour traduire une émotion, une pensée ou une sensation physique. Leur poser la question leur demande de s’interroger sur ce qu’ils éprouvent. C’est le premier mouvement pour s’entraîner à être présent à ce qu’ils vivent, à se recentrer sur ce qu’ils ressentent.
L’EXERCICE DE L’ARBRE 2. POUR SE RÉALIGNER ET SE POSER Demandez à votre enfant d’imaginer qu’il est un arbre. Il se tient debout, les yeux fermés, et ressent que ses pieds, posés bien parallèlement au sol, s’enfoncent très loin. Comme des racines. Elles s’ancrent profondément dans la terre, et il se sent ainsi solidement attaché. Puis, tout doucement, il lève les bras au-dessus de la tête et s’étire très fort, très loin, comme si ses bras étaient les branches de cet arbre qui essaye d’attraper le soleil. Demandez-lui de ressentir tout ce qu’il se passe dans son corps, du bout de ses doigts tout là-haut dans le ciel, jusqu’au bout de ses pieds tout au fond dans la terre. Cet exercice lui permet de se réaligner, de se redresser, d’avoir l’impression d’occuper tout l’espace et ainsi de se sentir plus fort. Bien ancré dans le sol, il en ressort plus confiant.
3.
LA PETITE FOURMI POUR RESSENTIR ET SE DÉTENDRE
Cet exercice est l’adaptation du « balayage corporel » (body scan, en anglais) qui se pratique aussi en méditation avec les adultes. Contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas du tout un exercice de détente ou de relaxation, mais un entraînement au déchiffrage de nos sensations. Il invite à devenir un expert de son corps, tout comme l’on fait des gammes au piano pour habituer ses doigts à filer sur le clavier. Z Dites à votre enfant de s’allonger confortablement, et racontez-lui l’histoire de la petite fourmi. Il faut bien y mettre le ton, et tous les détails. En insistant bien sur tous les adjectifs qualificatifs liés aux cinq sens. C’est donc l’histoire d’une petite fourmi
qui commence à grimper sur le gros orteil, le gros doigt de pied, oups, ça chatouille un petit peu. Mais la petite fourmi continue, et pouf, elle tombe au milieu des doigts de pieds. Ouh là là, c’est bizarre, c’est un peu humide et chaud par ici. Alors elle remonte sur l’autre doigt de pied et ainsi de suite (il faut détailler). Et puis elle se retrouve sur le dessus du pied et là, elle est soulagée, c’est quand même plus facile d’avancer. Elle arrive ensuite sur la jambe, au niveau de la cheville, et là c’est la forêt pour cette toute petite fourmi, il y a des petites herbes aussi grandes qu’elle par-ci par-là. Et puis soudain, une grosse montagne, c’est le genou… et ainsi de suite. Avec le nombril dans lequel elle tombe. Les
battements du cœur qui bougent et font beaucoup de bruit. La bouche qui est humide. Le nez, qui souffle comme un gros ventilateur, puis l’aspire comme un gros aspirateur. Et ainsi de suite jusqu’aux cheveux, dans lesquels elle se perd dans cette jungle peuplée de grandes lianes… Et hop elle tombe par terre ! À la fin de l’histoire, la majorité des enfants sont tellement happés par leur imagination qu’ils cherchent la petite fourmi partout. Et surtout, ils se sentent complètement détendus. Parce que durant l’histoire, et alors qu’ils se concentraient sur toutes les sensations de leurs corps, imaginant cette petite fourmi leur grimpant dessus, ils ont sécrété des endorphines, les hormones du bien-être.
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TROIS EXERCICES DE MÉDITATION POUR LES ADOS Avant un contrôle ou un examen les exercices de méditation de pleine conscience peuvent aider les ados à éloigner l’anxiété et à mieux mobiliser leurs connaissances. Voici trois exercices issus de la méthode de la psychologue et psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin, pour les aider à se recentrer, et à se concentrer sur leur travail scolaire.
1.
UNE MINUTE POUR SE RECENTRER JUSTE AVANT UN EXAMEN Z Poser les paumes des mains bien à plat sur le bureau, les pieds bien à plat sur le sol. Si possible, fermer les yeux (mais pas si l’on a peur de passer pour un idiot devant ses camarades). Z Puis mettre toute son attention, toute sa conscience dans ses mains posées sur la table. Tout ce que l’on peut ressentir. Les doigts, la différence de pression entre les différents doigts, la différence de chaleur entre la paume et le dessus de la main. En même temps, les idées (notamment négatives) vont quand même venir essayer de cogner dans la tête « J’ai peur, et si c’était un sujet que je ne connais pas bien ou que je n’ai pas révisé, et si je ne sais pas quoi répondre ». À chaque fois qu’une nouvelle angoisse arrive, la regarder simplement passer et se recentrer sur ses mains. Et ce, pendant une toute petite minute juste avant de commencer l’examen. Grâce à cet exercice, le stress va baisser. C’est physiologique. Parce que l’exercice, aussi court soit-il, va permettre la sécrétion d’endorphines, les hormones du bien-être. Elles vont progressivement se libérer dans tout l’organisme et l’examen s’en passera forcément mieux.
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2.
LE PENSE-BÊTE POUR SE SOUVENIR D’ÊTRE PRÉSENT
Un petit fil noué autour du poignet ou d’un doigt, une petite croix faite au feutre sur le dos de la main. Peu importe ce que l’on choisit, l’idée est d’avoir toujours sur soi, visible, un petit « pense-bête ». Dès que le regard tombe dessus, il faut se demander : « Que suis-je en train de faire ? Que suis-je en train de ressentir ? Suis-je attentif à ce que je vis ? » L’objectif : se souvenir d’être présent à soi-même, à ce que l’on fait, sans laisser son esprit vagabonder.
3.
LA VISUALISATION, MOTIVATION DES CHAMPIONS
Visualiser le plus distinctement possible une très bonne note sur sa copie, ou son nom dans la liste des candidats admis à l’examen. L’imaginer si fort que l’image brille, et qu’instantanément, on ressent réellement des papillons dans le ventre. C’est la joie.
Se connecter à cette sensation, à cette émotion, et l’ancrer au fond de soi. C’est ce que font de nombreux grands sportifs avant une compétition. Grâce à la visualisation, le cerveau se programme pour réussir. Devant l’obstacle, il réactive ce souvenir et relance ainsi, à notre insu, la motivation.
À LIRE Calme et attentif comme une grenouille d’Eline Snel. Avec un CD
de méditations guidées. (Les Arènes)
J’ai rendez-vous avec le vent, le soleil et la lune de J.Bernard et L. Dupeyrat. Une initiation ludique pour les 7-12 ans. (Éditions de La Martinière)
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ENCOURAGER
SA CRÉATIVITÉ
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a créativité est la capacité à trouver des idées nouvelles, originales et appropriées. D’une manière ou d’une autre, le processus de création revient à résoudre un problème. De A nous voulons aller à B. Il convient donc d’élaborer des hypothèses pour en déduire des résultats. Or, la pleine conscience stimule ce travail. Alors que l’autocritique, le jugement, la distractibilité, la peur de l’échec sont autant de freins à la créativité. En se remettant dans le présent, le potentiel créatif est libéré. Pour comprendre ce qu’est un changement de perspective, une autre façon de penser, il convient de remarquer combien notre esprit se hâte de voir les choses de la même manière, par habitude ou par manque de discernement. Nous sommes façonnés par les préjugés, les croyances apprises dans le passé. Face à une situation, nous faisons référence à ce que nous connaissons déjà. La méditation permet de créer en innovant, c’est-à-dire en changeant de point d’observation ou en bousculant ce qui est habituel. Pour booster notre créativité, autorisons-nous à penser différemment, à faire fi des préjugés, les nôtres ou ceux que notre entourage manifeste.
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Vous aimeriez vous lancer dans un projet ou celui en cours est en plein blocage. Ces exercices vous aideront à vous dégager de l’autoroute embouteillée des pensées pour explorer les chemins de traverse de la créativité.
EXERCICES LA MARCHE EN PLEINE CONSCIENCE 10-15 minutes
Z Choisissez un endroit où vous pouvez aller et venir tranquillement, sans crainte d’être observé. Cela peut être à l’intérieur ou à l’extérieur. Z Tenez-vous debout. Vos pieds sont parallèles, écartés de la largeur du bassin, les bras pendant de part et d’autre du corps, et vous regardez devant vous. Z Focalisez-vous sur vos plantes de pied et la manière dont votre poids se répartit sur les deux jambes. Faites quelques mouvements légers de flexion des genoux pour vérifier votre ancrage dans le sol. Z Commencez par déporter votre poids sur une jambe : voyez comme l’équilibre se modifie. Soulevez le talon de l’autre jambe et observez tous les muscles qui se mettent en mouvement. La plante du pied quitte le sol, puis le pied se soulève, la jambe se lève vers l’avant. Z Reposez le talon au sol, puis la plante du pied, et reportez le poids du corps sur cette jambe. Remarquez encore tous les muscles en mouvement, dans le bas du dos, dans les cuisses, les jambes…
Z Le poids du corps est maintenant entièrement transféré sur cette jambe. Vous pouvez laisser l’autre pied se lever. Déplacez-le lentement en avant, portez votre attention sur les changements de sensations physiques dans le pied et la jambe. Z Déplacez-vous ainsi tout doucement d’un bout à l’autre de votre parcours. Soyez particulièrement attentif aux sensations générées dans les plantes de pied et les talons quand ils reprennent contact avec le sol. Concentrez-vous aussi sur les muscles des jambes quand celles-ci se dirigent vers l’avant. Z Faites quatre ou cinq pas, puis changez de direction ; remettez-vous dans l’instant présent à chaque changement de direction. Z Utilisez ces sensations, particulièrement celles des pieds au contact du sol, comme un ancrage pour renouer avec le moment présent, exactement comme vous le faisiez grâce à la respiration en méditation assise (voir « Apaiser les tensions au travail » p. 107).
LE GRAIN DE RAISIN SEC Z Cette expérience a pour intérêt de modifier l’expérience, de s’entraîner à faire différemment. Aussi saugrenu que cela puisse paraître, ce premier exercice en pleine conscience est très représentatif de l’objectif de la méditation. Nous allons « découper » les événements du quotidien, en portant notre attention sur nos pensées, nos émotions et nos sensations corporelles. Z La pleine conscience change l’art et la manière. Nous voulons redevenir ingénus, curieux de ce qui se passe, comme si nous le vivions pour la première fois. Un peu comme si nous
cherchions à devenir spectateurs de l’expérience. Admettons que nous faisons les choses machinalement, sans y penser. Avec la pleine conscience, essayons de les vivre, instant après instant. Z Comme l’avait aussi un peu différemment décrit le médecin suisse Roger Vittoz1, développer sa réceptivité c’est mettre au repos le cerveau cognitif. Cet exercice va amener à la conscience les sensations de la vue, de l’odorat, de l’ouïe, du toucher et toutes celles intérieures. Z Prenez un grain de raisin sec, un
10-15 minutes physalis sec ou même une tomatecerise. Asseyez-vous. Regardez cet « objet » comme si c’était la première fois : vous arrivez d’une autre planète et vous n’en avez jamais vu. Vous allez maintenant l’explorer avec vos cinq sens. Puis vous le porterez à votre bouche. De la même manière, vous allez prendre le temps d’observer les sensations corporelles, la salivation, la mastication, le déclenchement de la déglutition. 1. Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle cérébral : les fondements de la méthode Vittoz (Desclée De Brouwer).
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APPRIVOISER
LA DOULEUR
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orsque nous nous faisons mal, une douleur se déclenche pour nous alerter et nous inviter à trouver une solution. C’est, typiquement, le coup de l’écharde dans le pied ou de la brûlure avec un plat sorti du four. L’information remonte au cerveau, le long des nefs, pour nous prévenir : il ne faut pas rester dans cette position, dans cette situation"! Une bonne façon de travailler sur ces symptômes est de considérer que ces désagréments sont des phénomènes. Dans la méditation, la douleur n’est pas nous. C’est une partie de notre corps dont les terminaisons nerveuses sont activées. Si nous parvenons à considérer les douleurs comme des processus d’alerte, nous pouvons prendre du recul. La douleur aiguë ne dure pas longtemps. En revanche, la douleur chronique est un réel problème de santé. Ce qui complique la situation dans la douleur chronique, c’est que nous aspirons à un monde idéal. Nous fuyons ce qui est désagréable, avons une aversion pour ce qui ne va pas. Et nous nous jetons sur les médicaments au premier mal de tête qui dure un peu… Souff rir"? Hors de question"! Pourtant, la douleur n’est pas la souffrance : la souffrance est la conséquence de la douleur phy-
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Considérer le mal comme un simple phénomène, apprivoiser la douleur pour ne pas y ajouter du stress, se détacher de la partie du corps qui nous fait souffrir, autant de recours que la pleine conscience nous permet d’envisager.
EXERCICE CHANGER LA RELATION À LA DOULEUR
sique ou émotionnelle. Elle réflexe est de fuir ce qui est ce que nous faisons de est désagréable. Alors Vous ressentez une douleur ? Interrogezla douleur, l’interprétation que dans le programme vous : « Là-tout de suite-maintenant, comment que nous lui donnons, le il nous est demandé de je me sens ? » ou « Là-tout de suite-maintenant, jugement. Souffrir est une nous connecter à la est-ce supportable ? » Faites un pas de côté, des possibilités de réaction prenez du recul, de la hauteur, et regardez votre douleur, de la regarder douleur. Il n’est plus question de lutter contre à la douleur"; mais elle n’est en face, dans sa globaelle puisqu’elle va vous instruire et vous guider. pas la seule. lité, dans ce système Repérez comment votre mental traite cette Malheureusement, dans qui est le nôtre. Rentrer information. Observez toutes les pensées les douleurs chroniques, en contact avec une automatiques liées à votre douleur : « Je suis quand les antalgiques et sensation désagréable foutu », « Rien ni personne ne peut quelque tous les traitements se nous paraît aussi comchose pour moi », « Je vais souffrir pendant des sont montrés inefficaces, la pliqué qu’absurde"! Et heures, des jours, toute ma vie », « Il faut pleine conscience ne peut pourtant, faire la paix absolument que ça s’arrête ». Cette étape est pas effacer les symptômes. avec sa douleur, ne pas très importante pour comprendre comment Mais elle peut soulager en se crisper quand elle notre interprétation nous rend malades. Nous changeant notre regard, survient, va automativoulons supprimer cette douleur parce que notre vécu. Sans suppriquement diminuer son nous refusons de ne pas en avoir le contrôle. mer la douleur, nous avons intensité. Au contraire, invitez-la dans votre vie. la possibilité de la voir Avoir mal est très parDans la douleur, il y a toujours de différemment et de l’inticulier parce que nous l’anticipation. Nous avons peur d’avoir mal et, fluencer. Les nombreuses avons pour habitude comme si nous allions prendre un coup, nous études menées par l’unid’anticiper. Nous antinous protégeons, nous tendons nos muscles versité du Massachusetts cipons ce qui va être dépour ne pas ressentir ce que nous anticipons. témoignent du bénéfice sagréable. Nous fuyons Ce qui majore la douleur. de la pleine conscience l’expérience émotionSi la douleur prend toute la place dans sur toutes sortes de dounelle et sensorielle dénotre esprit, nous ne sommes que douleur. Si, en revanche, nous pouvons revenir leurs. Les méditants sont sagréable au point de dans l’instant présent, nous ne sommes soulagés durablement, ils n’avoir jamais observé plus notre douleur. ont une meilleure image l’ampleur de la douleur. de leur corps, et leur huNous ne savons pas la meur s’améliore. Bien plus regarder sans crainte. que chez les patients sous Seulement, nous complisimple traitement médicamenteux. quons le problème : en plus d’avoir mal dans l’instant, Les scientifiques sont formels : les adeptes de la médinous nous crispons à l’idée que cette douleur nous fasse tation réagissent moins violemment à la douleur car mal. Pour faire simple, en plus d’avoir mal nous avons certaines zones du cerveau s’activent plus modérépeur d’avoir mal. ment. Il s’agit des zones responsables de la cognition Lorsque nous nous sentons impuissants face à la dou(cortex préfrontal), de l’émotion (amygdale) et de la leur, nous y ajoutons du stress, du désespoir, de la comémoire (hippocampe). lère, de la tristesse… Avec le temps, plutôt que de fuir la Une diminution d’activation des circuits de la douleur a douleur, ce qui ne fait que repousser le problème, nous également été observée. Ces résultats représentent une apprenons à l’apprivoiser. Nous l’explorons, tâchons petite révolution"! On sait maintenant comment « neude mieux la connaître au lieu de nous exténuer à l’arrêtraliser » certaines zones du cerveau normalement ter, nous en débarrasser ou y échapper. impliquées. La méditation engendre un état mental Accepter les ressentis comme ils sont, comme ils particulier qui débranche, en quelque sorte, le circuit : viennent, est très pénible quand nous avons mal. C’est on dissocie le cognitif et le sensoriel, ce n’est pas parce difficile, c’est vrai. Abandonner l’idée d’une vie sans qu’on pense qu’on a mal que c’est vrai. douleur est un véritable renoncement. Mais un renonApprendre à vivre avec la douleur est complexe. Notre cement salutaire. HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 119
TRAVERSER
LA DÉPRESSION
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a dépression est une maladie à part entière, qui se caractérise par une humeur triste et une perte de plaisir. Elle s’accompagne souvent de troubles du sommeil et de l’appétit, d’une dévalorisation de soi, d’un sentiment d’irritabilité, d’anxiété. Une dépression peut être d’intensité légère, moyenne ou sévère. Avec le temps, elle peut devenir chronique ou récurrente, cyclique : des épisodes dépressifs d’environ quinze jours reviennent régulièrement. En France, entre 5 et 15 % de la population serait atteinte par la dépression. Les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes, elles sont également plus exposées aux rechutes. Le premier épisode survient de plus en plus tôt, ce qui est inquiétant pour nos enfants. Par ailleurs, le risque est l’engrenage : après un premier épisode, le taux de rechute est de 50 %"; après un deuxième épisode, il grimpe à 80 %. Si nous nous entraînons à laisser de côté nos ruminations, alors le présent sans jugement, reprend peu à peu de la place. Notre objectif, en pleine conscience, est d’apprendre à repérer des états d’esprit caractérisés par les schémas de pensées négatives pour ensuite nous en libérer.
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Vous n’avez plus goût à grand-chose. Votre sommeil est très perturbé depuis plusieurs mois, votre alimentation aussi. Vous vous sentez accablé. Vous ruminez des idées noires. Ces exercices vous aideront à prendre soin de vous. La dépression n’est pas une fatalité.
EXERCICES EMBELLIR LE QUOTIDIEN
MÉDITATION DE LA MONTAGNE 20 minutes
Z Prenez place comme pour une méditation assise. Prenez le temps de vérifier votre posture, digne et droite. Z Visualisez une montagne que vous aimez ou imaginaire. Détaillez la cime, les flans, la base de cette montagne. Z Peu à peu, faites comme si vous étiez cette montagne. Votre tête est le sommet, les flans, vos côtés, votre assise est sa base. Z Ressentez la force de cette montagne, de la roche. Observez les phénomènes météorologiques qui passent sur elle comme vous observez les phénomènes psychiques qui vous traversent l’esprit. Vous, vous êtes toujours là, solide comme la montagne. Z Les saisons, la pluie, les bourrasques, le vent, la grêle, le gel, les giboulées sont désagréables sur la montagne. Mais vous savez que ça ne dure pas et que la solidité de la montagne ne risque pas d’en être affectée. Z Restez une dizaine de minutes à vous exercer avec la force et l’impassibilité de cette montagne.
Z Quelles sont vos activités lors d’une journée ordinaire ? Z Prenez une feuille de papier et notez tout ce que vous faites du lever au coucher, tout au long d’une journée habituelle : le réveil, le petit déjeuner, votre toilette, la préparation des enfants, le départ pour l’école, le transport jusqu’au bureau, la lecture de vos mails, la première réunion, la pause-café, etc. Listez toutes vos
10 minutes
activités, n’en oubliez pas. Z Inscrivez un « R » devant les activités qui vous ressourcent et un « P » devant celles qui vous « pompent » de l’énergie, qui vous coûtent. Z Réfléchissez : Comment diminuer les « P » et augmenter les « R » ? Vous ne pouvez rien sur certains aspects de votre vie, acceptez-le. Mais choisissez de réduire au maximum ce qui vous tire vers le bas.
L’ACTIVITÉ RESSOURCE Cet exercice vous invite à découvrir LA pratique qui vous fait du bien, celle à laquelle vous pourrez recourir en cas de coup dur ou d’humeur écrasante. Prenez un moment pour vous poser et faites l’exercice « Quelques minutes pour faire face » (voir « Apaiser l’anxiété » p. 122). Choisissez une activité qui vous fait du bien et à laquelle vous pourriez vous atteler en pleine conscience, en devenant témoin de vous-même. Soit une activité qui vous ressource comme, par exemple, prendre un bain, regarder un film avec votre conjoint, commander une pizza avec les enfants, téléphoner à un ami, cuisiner, écouter de la musique, vous offrir un massage, etc. Soit une activité qui vous procure un sentiment de maîtrise et de contrôle, comme, par exemple, ranger un tiroir, prendre un rendez-vous, faire une petite tâche dans le jardin, changer une ampoule, effectuer une démarche administrative, etc. Certes, l’activité n’est pas très glamour mais, grâce à elle, vous avez l’impression de reprendre un peu les commandes ! Plongez dans l’activité choisie en pleine conscience : découpez les actions les unes après les autres, comme pour l’exercice du grain de raisin sec (voir « Encourager sa créativité » p. 116), appréhendez-les avec vos cinq sens.
À LIRE
Manuel de méditation anti-déprime de Z. Segal, J. Teasdale et M. Williams. Un programme de méditation à faire chez soi, des questions de réflexion et des outils pour mesurer ses progrès. (De Boeck Supérieur)
Attention : la dépression est une souffrance à part entière qui nécessite l’intervention d’un thérapeute. Ces exercices sont complémentaires au travail entrepris auprès de l’expert, mais ne s’y substituent pas.
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SOIGNER
L’ANXIÉTÉ
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U
n des facteurs communs au stress, à la dépression et à l’anxiété est la rumination mentale, cette tendance à ressasser les événements passés, et à anticiper à outrance les situations à venir, à s’inquiéter sans interruption, en pilote automatique. Nos pensées deviennent répétitives, elles s’autoalimentent et nous plongent dans une négativité chronique. Il devient alors difficile de s’en sortir et l’anxiété s’installe – ou plutôt : nous nous installons dans l’anxiété. Méditer permet de quitter ces cercles vicieux de rumination et de sortir du piège de l’intellectualisation, qui ne fait que nous replonger dans le maelstrom du jugement dépréciatif. Basée sur l’expérience de l’instant présent, sur l’observation de soi, de son environnement immédiat et sur le ressenti du corps, la pratique méditative apaise précisément parce qu’elle nous permet de nous recentrer sur des choses d’une grande simplicité (l’agacement de la peau qui tout à coup chatouille, un bruit venu de la rue ou de son estomac, l’envie de boire un café), sans avoir recours au mental, mais sans le combattre non plus : le mental est comme ces nuages qui passent, ils peuvent être sombres comme une fin du monde, mais ils finissent par s’éloigner.
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Régulièrement l’anxiété vous taraude, et vous anticipez sur le pire qui est, bien évidemment, à venir. Si l’angoisse paralyse votre existence, il est temps d'agir. La méditation est un premier pas vers le soulagement.
EXERCICES POUR TRAVERSER UNE CRISE D’ANGOISSE Quand l’anxiété est très forte, nous n’avons pas de recul, pas les moyens de prendre de la distance. Dans ce cas-là, il convient de fixer notre attention sur la sensation corporelle et de laisser notre mental s’agiter, protester. Z Lorsque vous sentez le tumulte des pensées et des émotions qui monte, interrogez-vous : « Comment je me sens, là-tout de suite-maintenant ? » Devenir curieux de ce tumulte, c’est faire un pas de côté pour devenir simple spectateur de la difficulté qui vous traverse momentanément. Z Focalisez-vous sur votre respiration. Z Recentrez-vous sur vos « penséesémotions-sensations corporelles ». La pleine conscience vous permet de vous familiariser avec la nature de votre douleur. Dans les moments difficiles, vous avez besoin de savoir que le noyau de votre être est stable, qu’il est capable de survivre à la situation. Z Prenez conscience de cette réalité : traverser des moments difficiles fait partie de l’existence. La douleur émotionnelle n’est pas nécessairement une ennemie. Elle est un ingrédient de la vie. Nous souffrons parce que nous n’acceptons pas les choses comme elles sont. Sortir du monde des Bisounours nous responsabilise : nous sommes les témoins de notre vie, ne jouons plus les martyrs ! Z Essayez de percevoir la situation avec le plus d’objectivité possible. Parfois, vous pourrez faire quelque chose, parfois, non. Choisir de ne rien faire est en soi une action délibérée. Vous agissez dans le présent, et cette action peut modifier le problème. Cette stratégie peut vous aider à agir efficacement. Z Focalisez votre attention sur la source de votre souffrance : est-ce de la culpabilité, de la peur, de la frustration, le sentiment de perdre quelque chose ? Est-ce un caprice, une anticipation, une croyance ? Z Distinguez la cause de ses effets. Posez-vous des questions : « Quel est le problème ? » « Quel est l’effet sur moi ? » Ainsi, vous opérez un « recadrage ».
PRÉVENIR UNE CRISE DE BOULIMIE La nourriture est devenue pour vous une réponse alimentaire à un problème qui n’est pas alimentaire. En proie à une crise, voici ce que vous pouvez faire. Z Interrogez-vous : « Comment est-ce que je me sens, là-tout de suite-maintenant ? » Z Identifiez les tensions corporelles, remettez-vous dans l’instant présent. Z Effectuez l’exercice quelques minutes pour faire face afin de décrocher du mental. Z Questionnez-vous sur le besoin ou l’envie de manger. Z Interrogez-vous de nouveau. Votre besoin de réconfort est bien légitime, mais la façon dont vous vous apprêtez à vous réconforter vous déplaît et vous culpabilise ensuite. N’y a-t-il pas un autre moyen de vous faire du bien ? Prendre un bain ? Vous offrir un massage ? Aller chez le coiffeur ? Téléphoner à un ami ? Z Si c’est vraiment la nourriture qui vous tente, questionnez-vous sur l’origine de l’aliment : qui l’a cultivé, transporté, transformé ? Z À chaque bouchée, éprouvez l’aliment à l’aide de vos cinq sens avant de le mettre en bouche. Z Reposez toujours votre fourchette et mâchez longuement l’aliment, si possible en comptant jusqu’à 20. Observez la déglutition se déclencher toute seule, comme un réflexe. Z Avant de prendre la bouchée suivante, demandez-vous si vous avez besoin ou envie de continuer. Observez votre corps : est-il encore tendu, crispé ? Z Répétez le geste autant de fois qu’il y a de bouchées. Z Lorsque vous êtes en société, avec des amis, à un apéritif, une soirée, acceptez de vous… ennuyer. Ne vous remplissez pas pour tuer l’ennui : observez-le, en pleine conscience.
FAIRE FACE À UNE SITUATION PÉNIBLE EN QUELQUES MINUTES Cet exercice est à utiliser quand vous êtes confronté à une situation inconfortable. Interrogez-vous : « Comment est-ce que je me sens, là-tout de suitemaintenant ? » Prenez conscience de vos penséesémotions-sensations corporelles.
Redirigez votre attention sur votre respiration et sur vos sensations. Laissez-les faire ! Restez dans l’instant, comme si vous étiez témoin de ce qui se passe dans votre corps, comme si vous en aviez une parfaite vue d’ensemble. Dites-vous : « Ça va. Quoi que ce soit, ça va. »
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DÉVELOPPER
L’EMPATHIE
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L
’empathie est la capacité à reconnaître, comprendre et partager les émotions d’un autre. Ce terme vient du grec empatheia qui signifie « souffrir dedans ». L’empathie n’est pas la sympathie. Ce qui les différencie, c’est la notion de connivence : des points communs nous rendent l’autre sympathique. L’empathie n’est pas non plus la compassion, qui est la capacité de ressentir l’émotion d’autrui. Comment l’empathie vient à l’esprit"? Elle est généralement déclenchée par la perception affective de l’autre, de ce qu’il vit. S’imaginer les émotions d’un proche est un processus sophistiqué, mais notre nature nous permet de repérer les mouvements du corps et les expressions faciales de notre interlocuteur et de faire le parallèle avec nos propres émotions. La méditation de pleine conscience développe cette capacité. Mais pourquoi la développer"? Simplement parce que « quelqu’un de tout seul » cela n’existe pas. Nous ne pouvons pas vivre sans interaction. Nous devons penser ou repenser nos relations pour qu’elles soient plus harmonieuses. Mais pour cela nous devons commencer par changer notre relation à nous-même. L’empathie vers soi est le premier pas. Le reste suivra. L’exercice n’est pas facile mais très gratifiant"!
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Les autres ne vous comprennent pas… et vous ne les comprenez pas non plus!? Vos relations sont houleuses, à la maison comme au bureau!? Ces exercices vous permettront de développer un outil merveilleux : l’empathie.
EXERCICES MÉDITATION DE L’AMOUR BIENVEILLANT Installez-vous comme pour une méditation 25-30 assise. Prêtez attention à votre posture, digne et minutes droite. Visualisez une personne qui vous aime ou vous aimait d’un amour inconditionnel. Évoquez les qualités de l’amour que cette personne vous adresse ou vous adressait. Vous ressentez l’aura de cet amour pour vous. En respirant avec ces sensations, vous vous immergez. Imprégnez-vous de la sensation d’être inconditionnellement aimé et accepté. Vous demeurez dans l’éclat de son empreinte sincère sans avoir à mériter cet amour. Il se peut que vous ne vous en sentiez pas digne, peu importe. Ce qui l’emporte c’est que cet amour vous est destiné maintenant. Ressentez le bonheur d’être entraîné, bercé par le rythme du cœur aimant d’un autre et par la cadence de votre propre souffle. Laissez la chaleur de ce champ rayonnant étreindre et envelopper votre cœur. Si vous avez du mal à visualiser et à vous rappeler une telle personne à cet instant, faites appel à votre imagination. C’est une manière toute aussi efficace pour cette pratique. À présent, quand vous êtes prêt, voyez si vous pouvez devenir la source plutôt que l’objet de ces sentiments. Acceptez-les comme s’ils étaient les vôtres, en harmonie avec votre cœur et votre respiration. Vous bercez en vous l’acceptation et la bienveillance envers vous-même. Délectez-vous de cet amour, semblable à celui d’une mère qui étreint son enfant. Faites comme si vous étiez à la fois la mère et l’enfant. Laissez ce sentiment venir à vous, naturellement. À dose infime c’est
un baume et l’antidote à la négativité, l’autocritique, la haine de soi tapie dans notre psyché. Murmurez les phrases, doucement et à votre rythme, ressentez, éprouvez, affirmez : « Que je sois à l’abri et en sécurité, préservé de tout mal intérieur ou extérieur. Que je sois heureux et satisfait. Que je sois aussi sain et complet que possible. Que je connaisse le confort du bien-être. » Répétez deux ou trois fois cette phrase. La sensation de complétude, de satisfaction et de joie s’empare de vous. Vous êtes digne de l’amour bienveillant comme tout le monde. L’accepter c’est accorder son instrument avant d’en jouer dans le monde. Votre amour ne peut être ni aimant ni bienveillant s’il ne s’applique pas à vous-même. Une fois que vous avez établi autour de vous un champ d’amour, vous pouvez élargir celui du cœur, de même que l’état de conscience. Nous pouvons l’élargir à tous : ceux que vous aimez, avec qui votre relation est plus neutre (voisin, collègue) et ceux avec qui vous avez eu un différend. Essayez d’invoquer son image, de l’inviter dans le champ du cœur aimant. Pouvez-vous l’accueillir dans votre amour bienveillant ? Souhaitez-lui du bien : « Qu’il soit à l’abri et en sécurité, préservé de tout mal intérieur ou extérieur. Qu’il soit heureux et satisfait. Qu’il soit aussi sain et complet que possible. Qu’il connaisse le confort du bien-être. » Votre capacité à aimer n’a pas de limites.
KIT DE COMMUNICATION POSITIVE EN SITUATION HOSTILE Pour formuler une demande, une critique ou répondre à un reproche, utilisez le même modèle : Z Commencez toutes vos phrases par « je ». Z Dites d’abord que vous ne savez pas comment le dire. Z Décrivez les faits. Z Dites votre émotion. Z Exprimez ensuite vos besoins. Dans le dialogue empathique, une fois que vous avez exprimé votre ressenti et vos besoins, ouvrez tous
vos sens à l’attention de votre interlocuteur : Z Regardez la personne dans les yeux. Z Écoutez-la, c’est-à-dire attendez qu’elle ait fini sa phrase. Z Prenez le temps de ressentir l’émotion qui émane d’elle. Z Donnez des signes d’attention, comme des hochements de tête et des « hmm… ». Z Reformulez ses propos pour vous assurer d’avoir bien compris.
Dans tous les cas : Z Trouvez un équilibre : ne soyez « ni hérisson ni paillasson » ! Z Votre objectif doit être l’intérêt commun. S’il y a un gagnant et un perdant, alors la relation n’est pas équilibrée. Votre objectif doit être l’intérêt commun. Z Changez de vocabulaire. Corrigez les tics verbaux qui consistent à commencer toutes vos phrases par « non » ou « tu ». Vous observerez que nous sommes nombreux à les utiliser.
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S’AIDER DU
YOGA
POSTURE DE LA MONTAGNE. Vous êtes debout et bien droit, comme une montagne, afin de favoriser un bien-être mental et physique.
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Essayez deux ou trois fois chacune de ces postures élémentaires en prenant pleinement conscience de vos sensations. À éviter si vous souffrez des lombaires, du cou, avez de l’arthrite, ou si vous êtes enceinte.
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Tenez-vous debout, les bras ballants, et regardez devant vous. Vos épaules sont relâchées.
Allongez vos orteils et appuyez-les bien contre le sol.
POSTURE DE LA CHAISE Cette posture vous aide à renforcer les lombaires et à étirer le dos.
MOUVEMENTS CONSCIENTS N’importe quel étirement ou mouvement (même atteindre une boîte perchée en haut d’une étagère) devient du yoga quand vous le faites en pleine conscience, car vous associez mouvement et conscience. Levez et étirez vos jambes, levez et baissez vos bras, maintenez-les au-dessus de la tête, et transformez ces mouvements en balayage corporel mobile.
Abaissez les omoplates
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Tenez-vous debout, les pieds écartés à l’aplomb des hanches. Prenez une profonde inspiration et levez les bras au-dessus de votre tête en les maintenant parallèles, paumes l’une vers l’autre ou jointes.
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Ayez les genoux à l’aplomb des chevilles. Étirez le cou et la colonne vertébrale. Prenez une profonde inspiration, levez les bras en les tendant bien.
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Expirez et pliez les genoux comme pour vous asseoir sur une chaise. Descendez ainsi tant que vous êtes à l’aise. Étirez votre colonne vertébrale. Tenez cette posture en respirant profondément pendant six à huit cycles respiratoires. Revenez à la position debout, puis recommencez.
Veillez à ce que vos genoux pointent toujours vers l’avant et non vers les côtés.
POSTURE DE L’ENFANT Cette posture étire doucement les cuisses et les hanches. De nombreuses personnes trouvent cette position du fœtus apaisante.
Allongez les mains sur le tapis devant vous.
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À l’expiration, glissez vers l’avant entre vos cuisses, en abaissant au maximum la poitrine et en tendant les bras. Placez si possible votre front au contact du tapis ou du sol. Tenez cette position pendant trente secondes environ, avant de vous redresser.
Asseyez-vous sur les talons, les deux pieds légèrement en contact.
POSTURE DU COBRA Cette posture étire le haut du corps et du dos et vous aide à renforcer les bras et les épaules.
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Allongez-vous sur le ventre, les jambes écartées de la largeur des hanches et le dessus des pieds en contact avec le tapis. Pliez les bras et placez vos paumes de main sur le tapis à proximité des épaules.
Évitez de hausser les épaules.
Essayez de placer les mains près du corps afin d’intensifier l’étirement.
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Poussez sur les mains pour relever la tête et la poitrine en inspirant. Regardez droit devant vous et tenez la position redressée pendant quatre à six cycles respiratoires, puis abaissez le torse.
Extrait de Méditer : le guide pratique de la pleine conscience de Ken A. Verni (First Editions) HORS-SÉRIE — P S Y C H O L O G I E S M A G A Z I N E — 127
PAS DE PANIQUE !
ACTIVER LE KIT
Et soudain vous avez le sentiment de perdre pied, d’être prisonnier de vos idées noires, que plus personne ne vous comprend!? Voici 15 réponses simples et immédiates à des situations de crise.
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1 JE SUIS DUREMENT CRITIQUÉ Recevoir sereinement une critique, cela s’apprend. • Rester neutre : ne montrer aucune émotion à votre interlocuteur. • Laisser l’autre parler, reformulez ses propos pour vérifier que vous l’avez bien compris • Exiger preuves et précisions si la critique est générale ou subjective.
2 JE SUIS SOUS LE CHOC Expirez profondément par la bouche jusqu’à vider vos poumons, inspirez doucement par le nez. Recommencez ce cycle cinq fois. • Déposez quatre ou cinq gouttes d’huile essentielle de camomille romaine sur un mouchoir et respirez-les en fermant les yeux.
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DE SURVIE
3 JE VIENS DE ME DISPUTER Expulsez la tension physiquement, au niveau de la poitrine. • Debout, jambes écartées, montez vos bras vers le plafond puis abaissez-les vers l’arrière en faisant un cercle (dix fois). • Inspirez sur quatre temps en montant les bras et expirez sur quatre temps en les abaissant. • Faites la même chose de l’arrière vers l’avant.
4 JE VAIS PARLER EN PUBLIC Pour refaire circuler l’énergie dans tout le corps et gagner en clarté mentale, le yoga recommande la « respiration alternée ». • Bouchez votre narine droite (avec le pouce si vous êtes droitier, avec l’index si vous êtes gaucher), puis inspirez par la narine gauche. • Dégagez la narine droite et bouchez la narine gauche (avec l’index si vous êtes droitier, avec le pouce si vous êtes gaucher), puis expirez par la narine droite. • Effectuez ce cycle sept fois d’affilée.
5 JE RUMINE MES PENSÉES Ancrez-vous dans le présent en portant votre attention sur vos mains. • Expirez en les ouvrant au maximum – doigts bien écartés – puis inspirez en serrant très fort les poings. • À renouveler entre 5 et 7 fois. Vous pouvez effectuer le même exercice avec vos pieds.
6 JE NE ME SENS PAS À LA HAUTEUR Suivez les conseils du médecin anglais Stephen Russell1 et concoctez-vous votre mantra de réussite. • Choisissez la formule qui vous dynamise le plus (« je suis à la hauteur, je crois en moi »). • Écrivez-la au moins six fois en l’énonçant chaque fois à voix haute. • Relisez-la aussi souvent que possible surtout avant de vous endormir.
7 JE N’ARRIVE PAS À ME FAIRE COMPRENDRE Mettez en pratique les quatre principes de la communication non-violente. • Ne jugez pas votre interlocuteur. • Exprimez votre ressenti. • Exprimez vos besoins. • Formulez-lui votre demande.
8 J’ANTICIPE NÉGATIVEMENT Il est grand temps de revenir à la réalité, en répondant concrètement à ces questions. • Ai-je à ma disposition les preuves que la réalisation de ce scénario est inévitable ? • Qu’est-ce qui pourrait être pire que cet échec ou cette épreuve ? • Si ce scénario se réalise, suis-je sûr qu’il ne sera pas source d’enseignement pour moi ?
9 JE SOUFFRE D’INDÉCISION Pour mettre fin à l’indécision, la PNL (programmation neuro-linguistique) a un outil choc : le raisonnement en mode cartésien. Vous hésitez ? Posez-vous ces questions : • Que se passera-t-il si je fais ça ? • Ou si je ne fais pas ça ? • Qu’est-ce qui ne se passera pas si je fais ça ? • Ou si je ne fais pas ça ?
10 JE COURS TOUTE LA JOURNÉE Accordez-vous plusieurs pauses de 2 ou 3 minutes. • Debout, les bras le long du corps, les yeux fermés, un sourire aux lèvres, prenez conscience de votre respiration, du poids de votre corps, de la température et des bruits autour de vous.
11 JE SUIS TRÈS TENDU ET FATIGUÉ Le déficit de magnésium dans l’organisme favorise le stress. Pour retrouver la sérénité, rien de telle qu’une cure de magnésium marin. Soit 300 à 400 ml par jour, sous forme d’ampoules ou de comprimés pendant deux ou trois mois. ³
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12 JE REMETS TOUT À PLUS TARD Commencez toujours par la tâche la plus difficile ou la plus pénible. C’est ce que recommande le coach américain Brian Tracy2. Cette action antiprocrastination agit comme un vrai débloquant et rebooste la motivation.
13 JE ME METS VITE EN COLÈRE Une émotion récurrente en masque toujours une autre, plus profonde et plus ancienne. C’est ce que la psychologue Isabelle Filliozat3 appelle une « émotion élastique ». • Remontez dans le passé : dans vos colères récentes, repérez-en une qui vous semble significative. • Puis, tentez de retrouver la première situation qui a provoqué en vous une forte colère. Vous a-t-on maltraité, vexé, ignoré, manipulé ? • En retrouvant la cause, vous réussirez désormais à faire face plus calmement aux situations potentiellement explosives pour vous.
14 JE SUBIS LE STRESS DES AUTRES Face à un « stresseur », deux solutions : • Fuir en évitant ou réduisant le contact. • Combattre en s’affirmant ou en posant des limites. À vous de choisir le comportement qui vous correspond le mieux.
15 JE NE SAIS PAS DIRE NON Avant de céder, posez-vous ces questions : • En ai-je vraiment envie ? • Combien cela me coûtera-t-il (temps, énergie ; argent) ? • Que gagnerais-je en disant non ? • Quelle peur m’empêche de dire non ? • Au fil du temps, il vous sera de plus en plus facile de dire non ! 1. Auteur sous le pseudonyme de Barefoot Doctor de Libérez-vous"! (Marabout) 2. Auteur de Libérez votre potentiel et réussissez en 7 étapes (Alisio). 3. Auteure des Chemins de la joie (Lattès).
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EXERCICE FACE AU STRESS LA RÉPONSE DE RELAXATION 30 minutes
Z Asseyez-vous tranquillement dans une position confortable. Fermez les yeux. Z Tâchez de détendre profondément tous vos muscles. Commencez par vos pieds et progressez jusqu’au visage. Gardez-les détendus. Z Respirez par le nez. Prenez conscience de votre respiration. Lorsque vous expirez, dites le mot « un » en silence, et ce à chaque expiration. Respirez naturellement. Z Continuez ainsi pendant 10 à 20 minutes. Vous pouvez ouvrir les yeux pour vérifier l’heure, mais n’utilisez pas d’alarme. Lorsque vous avez terminé, asseyez-vous tranquillement pendant plusieurs minutes, en gardant les yeux fermés, puis, plus tard, ouvrez-les. Ne vous levez pas tout de suite, restez tranquille pendant quelques minutes. Z Ne vous préoccupez pas de savoir si vous avez réussi à atteindre un niveau profond de relaxation. Maintenez une attitude passive et permettez à la relaxation de se faire à son propre rythme. Z Si des pensées distrayantes apparaissent, essayez de les ignorer, ne vous attardez pas, revenez à votre respiration et répétez « un ». Z Avec la pratique, la réponse de relaxation devrait devenir familière, facile. Utilisez cette technique une ou deux fois par jour, mais pas dans les deux heures qui suivent le repas, car les processus digestifs semblent interférer avec le déclenchement de la réponse de relaxation.