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RENTRÉE LITTÉRAIRE – DIX BIOPICS INCONTOURNABLES

Cinq cent vingt et un romans vous attendent cette année pour la rentrée littéraire, et autant de personnages dont certains très connus, la mode des biopics et récits inspirés d’une histoire vraie ne fléchissant pas. On en a choisi dix. LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

Auguste Rodin En 1884, un certain Dewavrin prend le train de Calais, dont il est maire, à Paris. Il veut rencontrer un sculpteur dont la réputation est parvenue jusqu’à lui, Auguste Rodin, pour lui proposer de réaliser la grande œuvre à laquelle songe le conseil municipal depuis des années, un hommage aux six habitants qui, en 1347, se sont offerts aux Anglais pour sauver la population. Rodin accepte. Un chantier de dix ans commence… De la correspondance entre l’artiste et son commanditaire, Michel Bernard a tiré ce roman qui trace leurs deux portraits : Rodin, perfectionniste maladif et génial, et l’édile, soutien fidèle et avisé, qui fait tout pour la gloire du sculpteur. Concis mais documenté, le roman reconstitue l’ambiance de la Troisième République et décrypte les enjeux politiques qui se cachent derrière les commandes officielles. Les visites dans l’atelier du maître, rue de l’Université, où l’on croise Camille Claudel, sont un enchantement : on entend presque les coups de marteau. Les Bourgeois de Calais de Michel Bernard (La Table Ronde, 192 p., 20 €)

Don Quichotte Don Quichotte, héros de la rentrée ? Cervantes n’a pas ressuscité, mais Lydie Salvayre a décidé de lui écrire à travers les âges pour lui dire ce qu’elle pense de son héros – rien que du bien. « Vous l’avez compris, cher Monsieur, je suis terriblement de parti pris, et j’ai tendance à approuver votre Quichotte, quoi qu’il dise et qu’il fasse. En un mot, je suis fan. » Quichotte, sous sa plume, est l’homme idéal dont nous aurions plus que jamais besoin ; ancré dans la vieille Espagne catholique, mais porteur de valeurs éternelles et actuelles – le courage, le goût du défi, l’esprit de justice, le féminisme, le désintéressement, l’insolence face au pouvoir. Convoquant Karl Marx, Sigmund Freud, Antonin Artaud, Guy Debord, Gilles Deleuze, la récipiendaire du Goncourt 2014 reproche à Cervantes de réserver trop d’avanies à son personnage, mais elle le remercie de l’avoir créé. Qui sait si le destinataire n’aura pas envie de répondre à l’autrice, dans un roman d’outre-tombe à paraître à la rentrée 2022 ? Rêver debout de Lydie Salvayre (Seuil, 208 p., 18 €) Francis Bacon Tableau final de l’amour raconte à la première personne la vie d’un artiste anglais qui ressemble à Francis Bacon, qui peint exactement comme Bacon et qui connaît les mêmes aventures que Bacon (jusqu’à l’exposition au Grand Palais de 1971, en présence de Georges Pompidou). Mais l’auteur, Larry Tremblay, assure qu’il ne s’agit pas vraiment de Bacon, puisque tous les autres personnages et de nombreux détails personnels sont inventés… Le roman met en exergue les liens entre la vie sentimentale et sexuelle de l’artiste et sa démarche artistique, ainsi que le mélange d’érotisme, de noirceur et de pulsion de mort qui caractérise son univers. La langue est plutôt crue et les questions sexuelles sont abordées frontalement, au risque, parfois, d’une certaine complaisance ; Tremblay s’inscrit dans une veine à la Georges Bataille, à la Michel Leiris ou à la Jean Genet, qui n’est pas sans donner un côté vaguement daté à ce roman tourmenté, charnel, un peu tape-à-l’œil, mais tout de même saisissant. Tableau final de l’amour de Larry Tremblay (La Peuplade, 216 p., 18 €)

Alfred Hitchcock Des oiseaux harcèlent les Parisiens, comme dans Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock. Le héros, prof à La Fémis, se trouve être un spécialiste du réalisateur. Par une coïncidence troublante, sa femme disparue s’appelait Suzanne, comme Suzanne Pleshette, qui joue Annie dans le film. Le pire, c’est qu’elle lui ressemble beaucoup… « Un passage s’est créé entre la fiction et la réalité, entre le film d’Hitchcock et le monde réel, une brèche par laquelle les oiseaux se sont engouffrés pour venir semer la terreur. » Xavier Lapeyroux avait déjà tâté du fantastique dans son précédent roman, De l’autre côté du lac ; il signe ici un livre hommage saturé d’allusions au chef-d’œuvre de Hitchcock, doublé d’un jeu bien ficelé sur le vrai et le faux. À noter que le cinéma et les cinéastes s’invitent cette année dans plusieurs romans de la rentrée littéraire comme Les Étoiles les plus filantes d’Estelle-Sarah Bulle, sur le tournage d’Orfeu Negro de Marcel Camus, ou Murnau des ténèbres de Nicolas Chemla, sur celui de Tabou, le dernier Murnau. Dans les oiseaux de Xavier Lapeyroux (Anne Carrière, 224 p., 19 €) Mozart « Monsieur, vous avez en vous quelque chose d’inouï. Si Dieu le permet, vous ferez de grandes choses. De vous, on parlera encore dans plusieurs siècles, soyez-en sûr. » Ce dialogue entre Goethe adolescent et Mozart enfant, lors de leur rencontre à Francfort en 1768, sort tout droit de l’imagination de Matthieu Mégevand, qui achève avec ce roman son triptyque sur l’art et les artistes, après La Bonne Vie (sur le poète Roger Gilbert-Lecomte) et Lautrec. Le parti pris est inchangé : un mélange de biographie et de roman où les trous sont comblés par la fiction, et un style épuré qui donne un livre bref, compact, sans emphase. La meilleure partie est la première, sur l’enfance nomade de Mozart que ses parents trimballent à travers l’Europe pour l’exhiber. On mesure au passage la place qu’occupait la musique dans la vie des cours et de la haute société européenne, même si les aristocrates n’avaient pas toujours le bon goût de se taire quand l’artiste s’installait au clavecin. Tout ce qui est beau de Matthieu Mégevand (Flammarion, 192 p., 18 €)

Louis Chevrolet La marque Chevrolet est synonyme de bolides de légende, de belles carrosseries et de rêve américain. Elle doit son nom très français au coureur automobile Louis Chevrolet, natif du Jura suisse, parti à la conquête du Nouveau Monde. Fort de ses succès sur les circuits, il s’associe à l’entrepreneur Billy Durant et conçoit pour lui la Classic Six, premier modèle de la marque, un bijou de technologie avec six cylindres à culasse en T… avant de lâcher l’affaire et de donner son nom à Durant. « Son propre nom ! s’insurge Michel Layaz. En exclusivité ! On doit se pincer pour y croire. » C’est ainsi que Louis Chevrolet ne gagnera pas le moindre dollar sur les voitures qui porteront son nom… L’écrivain suisse raconte la vie de ce personnage dans un roman bref et captivant ; casse-cou, fonceur et ingénieux, Louis Chevrolet aura été le dindon de la pire farce de la grande histoire de l’automobile américaine, ce qui donne à ce livre plein d’huile et de bruit une touche étrangement mélancolique. Les Vies de Chevrolet de Michel Layaz (Zoé, 128 p., 15 €)

Marcel Duchamp En 1918, Marcel Duchamp débarque en Argentine où il passera neuf mois. Il y mettra au point plusieurs œuvres dont Le Petit Verre. Il se trouve qu’on ne sait rien sur cette parenthèse dans son existence. « Pour la raconter, explique Benoît Coquil, il faut appeler la fiction à la rescousse. » L’auteur imagine donc : les occupations (possibles) de l’artiste à Buenos Aires, les objets qu’il a (peut-être) emportés, les annonces qu’il a (peut-être) passées dans la presse, les rencontres qu’il a (peut-être) faites… « Duchamp sera passé là comme un spectre. Un savon glissant sur une plaque de verre, sans retenir ni être retenu. Matériaux étanches l’un à l’autre, sans atomes crochus. » Le pari d’écrire un livre sur ce non-sujet est étrange, la brièveté du récit et l’impasse où aboutissent la plupart des pistes explorées par l’auteur témoignant du fait qu’il n’y a rien à en dire. Mais la bizarrerie même de ce pari fait le charme de ce court récit, dans une veine paradoxale qui n’aurait pas déplu à son héros. Buenos Aires n’existe pas de Benoît Coquil (Flammarion, 208 p., 18 €)

Édouard Drumont Drumont fut l’auteur d’un best-seller de la Troisième République, La France juive, brûlot antisémite réédité deux cents fois jusqu’en 1914. Christophe Donner renverse le titre : La France goy est une fresque touffue qui recrée l’atmosphère des années 1880-1890, en citant force articles et discours de l’époque. Outre Drumont, serpent calomniateur qui « ne respire que par le scandale et par le duel », Donner met en scène deux autres vedettes, le romancier Léon Daudet et l’anarchiste Miguel Almereyda (de son vrai nom Eugène Vigo, père du futur cinéaste Jean Vigo), sans oublier quelques seconds couteaux comme Edgar Bérillon, psychiatre demeuré célèbre pour son antigermanisme proche du délire. Au milieu de ce tourbillon, l’auteur suit la trace de son aïeul Henri Gosset, monté à Paris en 1892, qui a côtoyé les protagonistes de cette histoire… En se plaçant du point de vue des personnages, Donner rend très vivant ce récit qui ressemble à un livre d’histoire écrit comme un roman, dans un style efficace et nerveux. La France goy de Christophe Donner (Grasset, 512 p., 24 €)

Monsieur Joseph Ferrailleur, magouilleur, millionnaire, collabo, résistant, Joseph Joanovici, dit « Monsieur Joseph », est une figure fascinante de l’histoire de l’Occupation. Il a inspiré de nombreux livres, notamment une bio d’Alphonse Boudard et une formidable bande dessinée de Nury et Vallée. Christophe Jamin remet en scène ce personnage interlope dans ce bref roman placé sous le signe d’un écrivain, Patrick Modiano, idole de l’auteur, explorateur chevronné des années de l’Occupation. L’auteur de Place de l’Étoile est partout, dès l’exergue et le titre du premier chapitre (« Dimanches d’août »), tel un fantôme omniprésent et insaisissable, qui attire magnétiquement Jamin dans son propre univers. Faisant s’entrechoquer le Paris d’aujourd’hui et celui des années 1940, l’auteur propose une déambulation mélancolique teintée de fantastique, comme un exercice de style dont les nombreuses allusions et clins d’œil modianesques sont à la fois la signature et la limite. Passage de l’Union de Christophe Jamin (Grasset, 140 p., 14,90 €)

Joseph Kessel France, 1927. Joseph Kessel publie Les Cœurs purs, un recueil comportant la nouvelle « Makhno et sa juive », portrait cruel de l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno, décrit comme un psychopathe sanguinaire. Il se trouve que Makhno est alors réfugié en France, et qu’il travaille aux usines Renault de Billancourt. Scandalisé par le texte de Kessel, il se lance à sa poursuite dans Paris pour lui faire la peau. Il le débusque pour finir dans un cabaret enfumé que fréquentent aussi André Malraux et Jean Cocteau… Mikaël Hirsch mélange histoire et fiction dans cet ovni littéraire envoûtant qui n’est pas une biographie déguisée des deux adversaires, mais une sorte de rêverie nocturne, une déambulation littéraire dans un milieu interlope et dangereux où se mêlent d’anciens soldats rouges et blancs, des combattants à la casaque incertaine, des écrivains mythomanes et diverses figures du Paris mondain. Tous les mythes de l’Europe des années 1920 se bousculent, dans une ambiance de film noir. Une réussite. L’Assassinat de Joseph Kessel de Mikaël Hirsch (Serge Safran, 160 p., 16,90 €)

BERNARD QUIRINY

LA SÉLECTION DU MOIS

1 Expo SANDRA ROCHA

Julia Rocha, Narcisse et Écho, 2021 © Sandra Rocha

Placée sous l’égide d’Ovide et de ses Métamorphoses, l’exposition « Sandra Rocha. Le moindre souffle » explore le territoire du vivant dans ce qu’il a de plus vibrant. Jusqu’à ses 20 ans, la photographe et plasticienne Sandra Rocha a vécu sur l’île de Terceira, dans l’archipel des Açores. De là lui est venu ce besoin impérieux de restituer les impressions du biotope qui l’a vue naître, près de trente ans après l’avoir délaissé. Les images de Rocha contiennent une puissante charge d’intériorité conjuguée à l’environnement qui en forme la matrice. On ne saurait dire quel miracle est à l’origine de ses compositions, mais tout semble y tomber à sa place, comme par enchantement. Par le détour de la mythologie et de la poésie, la photographe semble chercher à rétablir l’harmonie métaphysique qui unit la figure féminine à l’élément aquatique. Désir et volupté y échappent à toute stratégie de séduction, exsudant une sensualité archaïque bien antérieure aux constructions socioculturelles. Nulle déité surplombante pour autant, mais le flux longitudinal d’une intimité au plus près du vivant, comme une extension contemporaine des œuvres d’Ana Mendieta. L’île et les fonds marins qui la cernent, toujours changeants et fluctuants, y apparaissent comme lieu de transformation, à même de réparer le lien rompu entre l’être humain et les prodiges « transgenres » de l’écosystème, nous rappelant qu’au-delà des déterminismes sociaux nous ne sommes sur Terre qu’un des maillons du vivant.

du 9 octobre au 19 décembre au Centre photographique d’Île-deFrance (Pontault-Combault)

JULIEN BÉCOURT

2 Danse

LAVAGEM

© Renato Mangolin

La chorégraphe brésilienne Alice Ripoll fait de nouveau exploser l’énergie fascinante de ses danseurs dans une pièce engagée sur le thème du lavage. En 2019, on découvrait la danse sensuelle, enjouée et stimulante de la Brésilienne Alice Ripoll. ACORdo déstabilisait, avec ses quatre danseurs qui subtilisaient nos effets personnels, rappelant les contrôles policiers au Brésil, tandis que Cria faisait jaillir des pas de dancinha, gestuelle entraînante des favelas. Un désordre jovial, qui célébrait la danse exaltée des interprètes remarquables de sa compagnie Suave. Cette année, malgré le Covid et le régime de Jair Bolsonaro qui ne lui accorde aucun financement, elle monte avec REC (son autre compagnie, dont la plupart des membres ont grandi dans les favelas de Rio) Lavagem, qui explore la symbolique du lavage. En prenant comme point de départ la polysémie du terme – qui renvoie au personnel d’entretien comme au blanchiment d’argent –, elle met en scène des danseurs et danseuses armés d’éponges et de seaux, comme pour mettre en lumière des gestes habituellement invisibles. Et si cette danse raconte les disparités sociales au Brésil, elle entend aussi créer une esthétique singulière, qui stimule les imaginaires. Une chose est sûre : dans un pays de plus en plus en proie à la pauvreté où la gestion de la crise sanitaire ne fait qu’empirer les choses, le geste chorégraphique d’Alice Ripoll incarne plus que jamais la résistance de l’art et de la diversité face au fascisme.

du 15 au 19 septembre à la Grande Halle de la Villette, et les 15 au 16 octobre au Théâtre Louis-Aragon (Tremblay-en-France) (45 min)

BELINDA MATHIEU

3 Resto NOSSO

© Anne-Claire Heraud

Après l’avoir adorée chez Tempero (« épice »), son premier restaurant parisien du XIIIe arrondissement, on retrouve Alessandra Montagne chez Nosso (« notre »), à deux pas du mk2 Bibliothèque. Alessandra Montagne a déjà eu mille vies. Petite fille élevée par ses grands-parents dans une ferme du Minas Gerais, au Brésil. Exilée en France à la fin des années 1990. Institutrice au cœur immense. Cuisinière lumineuse de générosité. Et la voilà qui a même entamé des études de naturopathie. Pour l’heure, on la retrouve chez Nosso, le restaurant de ses rêves, avec cuisine ouverte et terrasse. Elle y reçoit comme à la maison, capable en plein service de sortir du four une plaque garnie de pão de queijo (« pain de fromage ») pour passer en distribuer aux convives. En se fournissant presque exclusivement auprès de producteurs d’Île-de-France, en faisant une chasse impitoyable au gaspillage, et en instaurant un climat de bienveillance, en cuisine comme en salle, la marraine de la première promotion de la Source FoodSchool (projet à suivre) régale de plats généreux à prix doux. On ferait des kilomètres pour la poitrine de porc confite à la purée de pommes de terre fumée, sa focaccia au jus de carotte minute et poutargue, son lieu jaune à la crème de carotte et citron, son risotto d’épeautre aux légumes de saisons et crème d’oignon, et sa panna cotta au coulis mangue-passion. Et on se laisse guider par le sommelier, Aurélien GilArtagnan, qui privilégie les vins sains pour toutes les bourses. Menus : 23 et 27 €. Carte : à partir de 32 €.

Nosso, 22, promenade Claude-Lévi-Strauss, Paris XIIIe

STÉPHANE MÉJANÈS

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