reportage
Le sport contribue à retisser le lien social
Avec les médiateurs nomades des quartiers nord d’Amiens Depuis avril 2013, deux éducateurs de l’Ufolep vont à la rencontre des jeunes au pied des HLM, et encadrent le soir la pratique du futsal en gymnase.
A
oût 2012 : au cœur de l’été, un contrôle d’identité, effectué à la sortie d’une fête en l’honneur d’un jeune récemment décédé, dégénère. Les quartiers nord d’Amiens s’embrasent : incendie d’une école maternelle et d’une salle de sport, violents affrontements avec la police (1)… Le chef-lieu de la Somme, peu habitué à faire la Une des journaux, devient un symbole du malaise des banlieues. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, se rend sur place et nomme quelques semaines plus tard une sous-préfète chargée de la politique de la Ville. La lettre de mission d’Isabelle Dorliat-Pouzet l’invite à cibler tout particulièrement les zones dites prioritaires, « en lien avec les collectivités locales et les associations agissant dans les quartiers sensibles ». Ces quartiers sensibles, ce sont des barres de HLM poussées au nord du centre-ville, sur l’ancienne plaine agricole, le long d’avenues tirées au cordeau. Au-delà, on trouve la zone industrielle, fameuse pour les luttes des ouvriers de Dunlop ou de Good Year, et les champs. Vingtcinq mille personnes y vivent. « Les problèmes sociaux de ces quartiers sont connus, avec un taux de chômage très largement au-dessus de la moyenne nationale et une délinquance notamment liée au trafic de drogue. Or, ces dernières années, la réduction des fonds publics destinés aux acteurs associatifs a eu pour conséquence leur effacement, parallèlement à l’affaiblissement des services publics », souligne Stéphane Lecossois, délégué Ufolep de la Somme. Le diagnostic établi par les autorités pointe également le manque de coordination entre les acteurs associatifs
Aller au-devant des publics « Il fallait aller au-devant de ces jeunes qui sont en dehors des circuits usuels. C’est pourquoi cette action prend la forme de tournées organisées par équipe, sur l’espace public, afin d’aller justement à la rencontre des publics, de se faire connaître et reconnaitre, en particulier des jeunes. Notre démarche consiste à aller vers eux, à rassurer, prévenir, informer et orienter. Cette proximité contribue à la cohésion sociale, et surtout à renouer un lien et à humaniser certains espaces publics. » ●
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Février 2014
Stéphane Lecossois, délégué Ufolep de la Somme.
en jeu une autre idée du sport ufolep n°10
et les services publics de proximité, et surtout la coupure avec les jeunes. C’est pour combler ce fossé entre les jeunes et ces services que l’Ufolep a été sollicitée, et deux postes d’éducateurs créés. Avec un profil particulier : celui de « médiateur nomade à dimension éducative et sportive ». Chaque jour sur le terrain Les journées de José Dos Santos, 29 ans, et Bouziane Oudji, 37 ans, en poste depuis avril dernier, débutent en milieu d’après-midi (2). Leur première mission consiste à engager le dialogue avec les jeunes là où ils se trouvent : dans les rues, les halls d’immeuble, et jusque dans les cages d’escalier de cités où la police elle-même hésite à pénétrer. « Au début, explique Bouziane, nous nous sommes présentés ainsi : “on est éducateur et on vous propose de venir jouer au futsal. Les gymnases sont ouverts pour vous tous les soirs, parlez-en à vos copains…” » En soirée, José et Bouziane se muent en effet en animateurs sportifs dans l’un des gymnases mis à disposition par la communauté d’agglomération d’Amiens Métropole. Dans ce gymnase, invariablement, on y joue au football, ou plus exactement au futsal, cette variante pratiquée par équipes de cinq joueurs sur un terrain de hand. Les matches sont très rythmés et chacun touche beaucoup le ballon, qui est de taille réduite. On marque beaucoup de buts et l’aisance technique – dribbles, roulettes – est valorisée. « Il est inimaginable de proposer autre chose. Avec les 8-15 ans, que nous accueillons un samedi et un dimanche après-midi sur deux, on peut diversifier un peu les pratiques sportives. Avec les grands c’est du futsal, forcément », sourit José. « Le but est que les jeunes passent un bon moment. Ils viennent prendre du plaisir entre potes. C’est pourquoi nous ne cherchons pas non plus à “mixer” les équipes. Le sport est ici un moyen, pas une finalité », complète Bouziane. Même si beaucoup se montrent fort habiles balle au pied, ce n’est pas l’excellence sportive qui est recherchée, mais le bien-être. Le public – masculin, cela va sans dire – est âgé de 18 à 30 ans. Les profils sont très variés : l’un a abandonné le lycée en cours d’année, l’autre est en bac pro, un troisième en BTS, un quatrième en recherche d’emploi… « L’habit ne fait pas le moine », résume José. Il arrive également qu’un survêtement siglé dissimule un bracelet électronique.