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VERS UNE REDÉFINITION DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES ADAPTÉES Frédéric Reichhart ERES | Reliance 2007/2 - n° 24 pages 85 à 91

ISSN 1774-9743

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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Reichhart Frédéric,« Vers une redéfinition des activités physiques et sportives adaptées », Reliance, 2007/2 n° 24, p. 85-91. DOI : 10.3917/reli.024.0085

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VERS UNE REDÉFINITION DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES ADAPTÉES Frédéric Reichhart Doctorant, attaché temporaire à l’enseignement et à la recherche, membre de l’équipe d’accueil et de recherche en sciences du sport (EA 1342), Marc-Bloch de Strasbourg

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Réfléchir à la question de l’interaction de l’Éducation physique et sportive (EPS) et des situations de handicap met inévitablement en lumière une rencontre qui paraissait longtemps improbable. Jusqu’à présent, EPS et situations de handicap appartenaient à deux paradigmes distincts, et qui coexistaient sans se rencontrer, séparés par la même frontière que celle qui sépare le normal du pathologique… Une rupture est à noter avec la loi du 11 février 2005 qui, en relançant le débat déjà fort ancien de l’intégration scolaire des enfants déficients en milieu ordinaire, pose de nombreux questionnements à la fois pédagogiques, pragmatiques et idéologiques autour de la place des personnes en situation de handicap dans la société. Ces questions n’épargnent pas le champ de l’éducation physique et sportive car les enseignants de cette discipline sont confrontés à des situations inédites, celles de l’élaboration de séances d’EPS pour un groupe d’enfants comprenant des élèves déficients. Quels sont les enjeux qui se cristallisent autour de la rencontre entre l’EPS et les situations de handicap ? En fait, nous verrons que ces enjeux demeurent doubles. Premièrement, ils se cristallisent autour du traitement social du handicap et de la place laissée aux personnes en situation de handicap dans la société. Deuxièmement, ces enjeux prennent forme autour de la définition des Activités physiques et sportives adaptées (APSA), la déformant et imposant une reformulation.

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et situations de handicap : l’appartenance à deux paradigmes distincts

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La prise en compte et la prise en charge des personnes en situation de handicap dans la société française mettent en perspective l’émergence de deux paradigmes qui se dévoilent et se formalisent par une structuration institutionnelle, par des finalités spécifiques, mais aussi au travers d’affirmations idéologiques distinctes : ainsi, nous notons le développement d’un « paradigme de la déficience » formalisé par le traitement social du handicap et la constitution du secteur médico-social, communément appelé « secteur spécialisé ». Ce paradigme induit une logique d’accompagnement socio-éducatif des personnes déficientes marquée par des visées intégratives, rééducatives ou thérapeutiques. Quant au « paradigme de l’intégrité », il convoque la « normalité » faisant référence à la société encore appelée « milieu ordinaire » où vivent les « personnes intègres 1 ». La distinction de ces deux paradigmes se traduit par l’« insularisation » des personnes

déficientes 2. Ces dernières se retrouvent dans un entre-deux : en reprenant les termes de Stiker, elles demeurent dans une « liminarité », c’est-à-dire qu’elles ne sont pas vraiment exclues car prises en charge, mais pas vraiment intégrées, car cantonnées à un espace liminal 3. Il convient de préciser l’inscription des pratiques physiques et sportives au sein de cette distinction. En effet, nous distinguons les activités physiques et sportives pratiquées par les personnes intègres de celles pratiquées par les personnes déficientes : elles ne suivent pas les mêmes évolutions, n’induisent pas les mêmes usages. Tandis que l’éducation physique et sportive (EPS) se pose dans le cadre des établissements scolaires auprès d’enfants intègres 4, les Activités physiques et sportives adaptées (APSA) se développent dans les institutions spécialisées autour d’enfants en situation de handicap. Cette distinction alimente notre questionnement : comment et où l’EPS et les situations de handicap peuvent-elles s’articuler ? Quels sont les enjeux et les conséquences de cette articulation ?

L’EPS et le « paradigme de l’intégrité » L’éducation physique et sportive prend place au sein du « paradigme de l’intégrité ». Pour comprendre cette inscription, il faut faire référence à l’histoire, pas simplement du sport mais des pratiques corporelles. En fait,

››› 1. Le terme de personnes intègres peut paraître surprenant mais nous préférons l’utiliser plutôt que celui de personnes « normales ». En fait, pour comprendre ce choix, il faut faire référence aux travaux de Fougeyrolas et du Processus de production du handicap (PPH). Dans ce modèle, l’anthropologue canadien inscrit les caractéristiques de l’individu dans un système organique qui dialectise la déficience avec l’intégrité physique. 2. C. Gardou, « Du singulier à l’universel. Sport de haut niveau et situations de handicap », Reliance n°15, Toulouse, érès, 2005, p. 10. 3. H.-J. Stiker, Corps infirmes et sociétés, Paris, Aubier, 1982. 4. Les enfants scolarisés en « milieu ordinaire » ne sont pas déficients puisque les enfants déficients sont pris en charge dans le secteur spécialisé, au sein de structures médico-sociales.

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les pratiques corporelles présentent une diversité d’usages allant de pratiques de loisirs à des pratiques sportives. Étayées par le prisme des activités de plein air et pleine nature, alimentées par l’essor touristique et la démocratisation des vacances entamée par le Front populaire en 1936, les pratiques corporelles deviennent progressivement touristiques après la Seconde Guerre mondiale. Comme l’explique Corbin, « la diffusion sociale des congés payés, puis des vacances autorise cette brusque mutation des figures et des usages du temps libre ». En parallèle du développement touristique, les pratiques corporelles se « sportivisent » ; depuis le milieu du XIXe siècle, la « sportivisation » des activités physiques s’opère avec l’apparition des associations sportives et leur organisation en fédérations 5. Cette « sportivisation » bénéficie également de l’importance du mouvement olympique. Puis, progressivement, les valeurs éducatives attribuées à la pratique sportive la conduisent dans les enceintes des établissements scolaires sous la bannière de l’éducation physique et plus tard de l’éducation physique et sportive. L’EPS devient une discipline scolaire à part entière ; elle concerne les enfants scolarisés en établissement dépendant de l’Éducation nationale, c’est-à-dire les enfants intègres.

Les APSA au sein du « traitement social du handicap » Par contre, les pratiques corporelles des personnes déficientes suivent une tout autre évolution. Dès le XIXe siècle, elles apparaissent dans les initiatives éducatives et pédagogiques des médecins et aliénistes, à destination d’enfants aliénés puis d’enfants arriérés d’école. La tentative d’éducation de Victor de l’Aveyron par le Dr T. Itard (1774-1838), de 1801 à 1806, se pose comme une initiative princeps 6. Réfutant une déficience intellectuelle congénitale, Itard suppose à Victor un déficit provenant d’un manque de stimulations environnementales 7. Par conséquent, il préconise une pédagogie « où la pratique des activités physiques adaptées a une place de choix 8 » ; il développe une prise en charge « où le corps va occuper une place détermi-

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nante 9 ». Appuyant sa pédagogie sur la maturation intellectuelle, Bilard affirme qu’Itard a établi les « fondements d’une réhabilitation motrice adaptée 10 ». Itard, à son insu, ouvre la voie à la considération de l’acte moteur permettant d’atteindre un but déterminé. Le traitement moral que propose Séguin 11 (1812-1880) prend également en compte l’acte moteur. Pour contrer l’immobilisme des idiots, il cherche à développer les fonctions sensori-motrices et propose l’éducation du « système musculaire 12 ». De ce fait, il préconise la gymnastique pour la maîtrise du geste et permettre le passage d’une action motrice désordonnée à une action motrice décidée. Selon lui, « la gymnastique doit prendre place dans l’éducation spéciale des arriérés, elle rend les élèves plus forts, plus coordonnés, leurs mouvements deviennent plus précis et exacts 13 ». Le traitement médico-pédagogique de Bourneville (18401909) accorde aussi une place importante aux pratiques corporelles 14. Le médecin aliéniste obtient que l’on tente l’éducation des enfants arriérés 15 et préconise le développe-

››› 5. La création de l’Union des sociétés françaises de course à pied (USFCP) date de 1887. En 1889, elle devient Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), puis Fédération française d’athlétisme en 1920. 6. Itard préconise l’éducation de Victor dans une approche comportementaliste qui met l’apprentissage psychomoteur en avant. 7. Thierry Gineste, Victor de l’Aveyron, dernier enfant sauvage, premier enfant fou, Paris, Hachette, 1993. 8. J. Bilard et coll. L’avènement de l’éducation physique pour les adolescents présentant une déficience intellectuelle. Éléments pour la construction d’un projet d’éducation physique en institut médico-éducatif, sous la direction de Grégory Ninot et Christophe Maiano, 2001, Sport sciences diffusion. p. 47. 9. Op. cit., p. 47. 10. Op. cit., p. 47. 11. Chargé de l’instruction des enfants idiots à Bicêtre en 1840. 12. Yves Pélicier, Guy Thuillier, Un pionnier de la psychiatrie de l’enfant : Édouard Seguin (1812-1880), Comité d’histoire de la Sécurité sociale, Paris, 1996. 13. É. Seguin, Traitement moral, hygiène et éducation des idiots, Baillère, Paris, 1846. 14. G. Benoît, J.-P. Klein, Histoire contemporaine de la psychiatrie de l’enfant, 2000, p. 36. 15. J. George, « De l’enseignement spécialisé à l’intégration dans l’école », Les cahiers pédagogique, n° 428, décembre 2004.

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ment des fonctions sensorielles pour les idiots valides 16. Pour les idiots invalides, il rend obligatoire l’éducation de la station debout et de la locomotion. Ensuite, avec la création des classes de perfectionnement en 1909 et le développement du concept d’arriéré d’école, les activités physiques se maintiennent. Binet et Simon préconisent avant tout le travail de la souplesse et de l’élasticité musculaire, et l’aspect essentiellement moteur de l’éducation et de la rééducation pour ces enfants. Mais la sportivisation des activités corporelles auprès des déficients demeure plus tardive. En fait, Binet et Simon affirment les sport violents et fatigants comme peu recommandables pour les enfants arriérés d’école. Cela se traduit par le développement de pratiques « douces » et adaptées à l’état physique et à la fatigue des enfants : ainsi, la gymnastique corrective, la gymnastique de maintien et la gymnastique rythmique se pratiquent massivement. Jusque dans les années 1970, les pratiques physiques des personnes déficientes ne parviennent pas à se « sportiviser ». Seuls les déficients moteurs se situent dans une logique sportive dès 1948 : en Grande-Bretagne, le Dr Guttman organise des compétitions sportives17. Proposées aux patients de la clinique de Stoke Mandeville 18, ces activités sportives se composent essentiellement de tir à l’arc et de basket19. Toutefois, ces activités compétitives répondent à la rééducation de patients paralysés ou amputés 20. Il faut dire que l’application du sport à des personnes déficientes renvoie à une image dangereuse et inadaptée. À partir des années 1970, les mentalités et les pratiques changent. OutreAtlantique, sous l’impulsion d’Eunice Kennedy Shriver, le sport adapté aux personnes déficientes intellectuelles se développe avec l’organisation d’une compétition sportive, en 1968, sous le nom de Special Olympics International 21. En France, la Fédération française d’éducation par le sport des personnes handicapées mentales (FFESPHM), créée en 1971, va relayer cette dynamique. Progressivement, les enfants scolarisés en institut médico-éducatif ou institut médicoprofessionnel (IMPRO) pratiquent des activités physiques et sportives adaptées 22. Ces dernières ont été créées au Québec en 1974 par Clermont Simard, avec « la volonté d’adapter les activités corporelles pour servir au mieux

le projet individualisé des élèves déficients intellectuels 23 ». Toutefois, les APSA ne se structurent pas comme un ensemble de pratiques homogènes et uniformes. Elles renvoient à deux modalités : – la première fait référence au développement du sport fédéral. Elle soutient une pratique sportive organisée dans le cadre de fédérations de sport adapté, de type Fédération française handisport (FFH) et Fédération française de sport adapté (FFSA) ; – la seconde émerge sur un versant plus « éducatif » ; composée de pratiques dites institutionnelles, cette modalité se déroule dans le cadre d’une prise en charge éducative ou rééducative au sein d’un établissement médico-social.

››› 16. J. Bilard, L’éducation et la rééducation corporelle des enfants et adolescents inadaptés, dans François Brunet et Gilles Bui-Xuân, Handicap mental, trouble psychique et sport (p. 89-114). Clermont-Ferrand, FFSA- AFFAPS, 1991. 17. L’organisation régulière de ces rencontres donne naissance au « Stoke Mandeville Games ». 18. Le contexte historique explique que l’établissement accueille d’anciens combattants britanniques revenus du front avec une déficience, essentiellement des aviateurs de la Royal Air Force devenus tétraplégiques. 19. Horst Stohkledl, The 50th anniversary of wheelchair basketball, New York,Waxman, 1996. Guttman va organiser en 1960 à Rome une rencontre sportive regroupant des athlètes déficients physiques. Cet événement marque la naissance de ce qui deviendra les Jeux paralympiques. 20. O. Schantz, « Leistungsentwicklung bei den Paralympischen Spielen », dans R. Burger, D. Augustin, D. Müller, N. et W. Steinmann (Hrsg.), Trainingswissenschaft. Facetten in Lehre und Forschung, Niedernhausen : Schors Verlag, p. 74-89, 2005. 21. H. Miau, « La FFSA : d’une logique éducative à une logique sportive ? », dans François Brunet et Gilles BuiXuân, Handicap mental, trouble psychique et sport (p. 239248), Clermont-Ferrand, FFSA-AFRAPS, 1991. 22. Selon Henri Miau, « La période de 1982 à 1989 voit se substituer au mot d’éducation physique l’éducation physique et sportive adaptée. Une sportivisation adaptée va ainsi se diffuser au sein des instituts médico-éducatifs ». 23. Clermont Simard, « Contribution du secteur professionnel de l’activité physique adaptée aux sciences de l’éducation », Mouvement, 9, 197-207, 1974.

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Vers un nouveau paradigme : le paradigme de la mixité

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Une rupture apparaît, dévoilant une redistribution des contenus des deux paradigmes. Elle se caractérise par l’effritement des traitements séparés entre enfants déficients et enfants intègres au profit de la fusion des traitements sous le paradigme de la mixité. En fait, il s’agit d’une véritable révolution dans le traitement de la différence : les enjeux ne consistent plus en la distinction de deux paradigmes et de deux modalités de prise en charge. Ils se déplacent vers la création de modalités de pratiques nouvelles entre personnes déficientes et personnes intègres. Ce paradigme inédit s’inscrit dans une démarche globale et sociétale : ce processus d’ « accessibilisation », cette démarche de mixité se formalisent dans de nombreux domaines 24, y compris celui des activités physiques et sportives de type fédérales ou scolaires, les activités touristiques et de loisir. Ainsi, dans le cadre du sport scolaire, nous assistons à la création du programme « Sport intégré » dès 1992. Ce programme permet notamment à des sportifs handicapés physiques et visuels, licenciés à la FFH, présentant un niveau de performance, d’accéder à des compétitions traditionnelles en sports individuels ou en sports d’équipes organisées au sein de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS). Toujours dans le domaine sportif, il nous faut souligner cette initiative de la direction départementale de la Jeunesse et des Sports de Normandie, qui lance une campagne de labellisation visant à identifier les clubs sportifs ordinaires présentant des conditions d’encadrement pour accueillir des sportifs en situation de handicap 25. Enfin, les activités touristiques sont traversées par les mêmes logiques, avec de plus en plus de prestations dites « classiques » qui demeurent accessibles aux personnes en situation de handicap 26. C’est avec l’intégration scolaire des enfants déficients en milieu ordinaire que l’EPS est confrontée aux situations de handicap. En fait, l’éclatement des paradigmes aboutissant à une « désinsularisation » reste corrélé au processus d’intégration scolaire, caractérisé par plusieurs étapes. Depuis 1970, des approches successives confortent la scolari-

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sation des enfants déficients en milieu ordinaire : les Adaptations et éducation spécialisée (AES) 27 se prolongent par l’Adaptation et l’intégration scolaire (AIS). Mais, déjà en 1970, la mise en place des Groupes d’aide psychopédagogique (GAPP) dans le cadre de la politique de prévention des inadaptations par la circulaire n° 4-70-83 du 9 février 1970 introduit l’idée du changement : plutôt qu’une prise en charge en milieu spécialisé, il se dessine la volonté de développer une aide individualisée pour les enfants en difficulté afin de conforter la scolarité en milieu ordinaire. La loi de 1975 pose le cadre réglementaire et institutionnel du traitement du handicap en France par l’affirmation de la prise en compte et prise en charge du handicap comme une obligation nationale 28. En revanche, en 1982, une circulaire pose les grandes lignes d’une politique d’intégration scolaire en milieu ordinaire 29. Elle souligne notamment que : « L’intégration des jeunes handicapés en milieu scolaire ordinaire a en effet été retenue parmi les priorités du plan intérimaire 1982-1983. L’intégration vise tout d’abord à favoriser l’insertion sociale de l’enfant handicapé en le plaçant le plus tôt possible dans un milieu ordinaire où il puisse développer sa personnalité et faire accepter sa différence 30. » Quelques années plus tard, dans

››› 24. Par exemple, le champ professionnel est marqué par la loi du 10 juillet 1987 qui impose un quota de 6 % de travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de vingt salariés. 25. À ce sujet, J.-P. Génoloni a réalisé un rapport de recherche en 1995 : « L’insertion des personnes handicapées dans les clubs et associations sportives de la communauté urbaine de Lille ». Rapport de recherche du contrat d’agglomération réalisé par le laboratoire Sport intégration culture, faculté des sciences du sport et de l’éducation physique, université de Lille. 26. F. Reichhart, « L’offre touristique en faveur des personnes en situation de handicap : entre le tourisme intégré et le tourisme sectoriel. Revue d’histoire », Traverse, novembre 2006. 27. H. Benoît, « Les besoins éducatifs particuliers », La nouvelle revue de l’AIS, n° 22. 28. J.-M. Gillig, Intégrer l’enfant handicapé à l’école, Dunod, Paris. 1999. 29. Sans pour autant affirmer une priorité d’orientation vers le milieu ordinaire. 30 J. Zaffran, L’intégration scolaire des handicapés, L’Harmattan, 1997.

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son article premier, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 affirme l’intégration scolaire : « L’intégration scolaire des jeunes handicapés est favorisée 31. » Cette loi propose d’établir une passerelle entre les institutions spécialisées et le milieu scolaire, annonçant le concept d’ « éducation intégrée ». Selon Jean Bilard, cette période marque une volonté de changement qui illustre le « rejet d’une institution spécialisée coupée du monde social, donc surprotectrice pour les sujets handicapés mentaux 32 ». À présent, ce nouveau cadre législatif resitue le milieu scolaire ordinaire comme prioritaire, sous réserve de conditions d’accueil adaptées aux besoins de la personne : EPS et situations de handicap sont scellées par ce nouveau canevas législatif.

Quelles conséquences ?

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Le paradigme de la mixité vient effacer, nous pourrions même dire qu’il vient faire voler en éclats les deux autres paradigmes. En fait, cette rupture déstabilise l’ordre établi, renverse une vision du monde, bouleverse la représentation de la déficience et le traitement social du handicap. Elle aboutit à une rencontre pensée comme improbable aupa-

ravant, celle des enfants en situation de handicap avec l’EPS. En fait, deux paradigmes antagonistes s’entremêlent. À présent, situations de handicap et EPS s’articulent. Quelles sont les conséquences de cette révolution ? Assistons-nous à la naissance d’un nouveau paradigme ? Nous voyons deux conséquences à cette situation : – la première se situe dans l’annulation du lien causal et linéaire entre APSA et déficience ainsi qu’entre enfant intègre et EPS. En d’autres termes, nous assistons à l’éclatement des deux paradigmes et à une redistribution de leur contenu ; – une autre conséquence vient toucher l’essence même et la définition des APSA. Cette conséquence implique une nécessaire redéfinition des APSA, pratiquées par des enfants intègres et déficients. En fait, un nouveau paradigme émerge, comprenant une autre modalité d’activités physiques et sportives : le paradigme de l’intégrité et de la déficience

››› 31. Circulaires n° 82/2 et n° 82-048 du 29 janvier 1982. 32. Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989. 33. Et qui va se prolonger jusqu’à alimenter l’esprit de la loi du 11 février 2005.

Le paradigme de mixité

Paradigme de la déficience Enfants déficients et APSA

Paradigme de l’intégrité Enfants intègres et EPS

Paradigme de la mixité Enfants déficients et intègres EPS

Paradigme de la déficience Enfants déficients et APSA

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cède le pas à un paradigme mixte où enfants valides et intègres se côtoient dans des séances d’EPS. Par contre, le paradigme de la déficience subsiste car certains enfants continuent d’être pris en charge dans le secteur spécialisé et bénéficient d’APSA. En somme, nous assistons aujourd’hui à une restructuration des APSA. Décloisonnées, elles ne demeurent plus restreintes à un public déficient ou en difficulté. Elles impliquent l’articulation pédagogique et didactique des activités physiques et sportives entre des personnes intègres et des personnes déficientes.

››› Pour approfondir

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BENOÎT, G. ; KLEIN, J.-P. 2000. Histoire contemporaine de la psychiatrie de l’enfant, p. 36. BENOÎT, H. « Les besoins éducatifs particuliers », La nouvelle revue de l’AIS, n° 22. BILARD, J. 1991. « L’éducation et la rééducation corporelle des enfants et adolescents inadaptés », dans François Brunet et Gilles Bui-Xuân, Handicap mental, Trouble psychique et sport (p. 89-114), Clermont-Ferrand FFSA-AFFAPS. BILARD, J. et coll. 2001. « L’avènement de l’éducation physique pour les adolescents présentant une déficience intellectuelle. Éléments pour la construction d’un projet d’éducation physique en institut médicoéducatif », Grégory Ninot et Christophe Maiano (sous la direction de), Sport sciences diffusion, p. 47.

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GARDOU, C. 2005. « Du singulier à l’universel. Sport de haut niveau et situations de handicap », Reliance, n° 15,Toulouse, érès, p. 10. GEORGE, J. 2004. « De l’enseignement spécialisé à l’intégration dans l’école », Les cahiers pédagogique, n° 428, décembre. GILLIG, J.-M. 1999. Intégrer l’enfant handicapé à l’école, Paris, Dunod. GINESTE, T. 1993. Victor de l’Aveyron, dernier enfant sauvage, premier enfant fou, Paris, Hachette. MIAU, H. « La FFSA : d’une logique éducative à une logique sportive ? », dans François Brunet et Gilles BuiXuân, op. cit. PÉLICIER,Y. ;THUILLIER, G. 1996. Un pionnier de la psychiatrie de l’enfant : Édouard Seguin (1812-1880). Comité d’histoire de la Sécurité sociale, Paris. REICHHART, F. 2006. « L’offre touristique en faveur des personnes en situation de handicap : entre le tourisme intégré et le tourisme sectoriel. Revue d’histoire ». Traverse, novembre. SCHANTZ, O. 2005. « Leistungsentwicklung bei den Paralympischen Spielen », dans R. Burger, D. Augustin, D. Müller, N. & W. Steinmann (Hrsg.), Trainingswissenschaft. Facetten in Lehre und Forschung. Niedernhausen : Schors Verlag, p. 74-89. SEGUIN, É. 1846. Traitement moral, hygiène et éducation des idiots, Baillère, Paris. SIMARD, C. 1974, « Contribution du secteur professionnel de l’activité physique adaptée aux sciences de l’éducation », Mouvement, 9, 197-207. STIKER, H.-J. 1982. Corps infirmes et sociétés, Paris, Aubier. STOHKLEDL, H. 1996. The 50th anniversary of wheelchair basketball, New York,Waxman. ZAFFRAN, J. 1997. L’intégration scolaire des handicapés, Paris, L’Harmattan.

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