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LE SALUT PAR LE SPORT ? Effets et paradoxes d'une politique locale d'insertion William Gasparini et Sandrine Knobé Médecine & Hygiène | Déviance et Société 2005/4 - Vol. 29 pages 445 à 461

ISSN 0378-7931

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gasparini William et Knobé Sandrine,« Le salut par le sport ? » Effets et paradoxes d'une politique locale d'insertion, Déviance et Société, 2005/4 Vol. 29, p. 445-461. DOI : 10.3917/ds.294.0445

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LE SALUT PAR LE SPORT ? EFFETS ET PARADOXES D’UNE POLITIQUE LOCALE D’INSERTION William Gasparini et Sandrine Knobe*

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MOTS-CLÉS: SPORT – INSERTION SOCIALE – POLITIQUE LOCALE – ANIMATEURS SPORTIFS Depuis la fin des années 1980, au travers de multiples opérations de prévention, dispositifs d’insertion, actions locales et recherches-actions, le sport trouve une nouvelle utilité sociale dans sa participation à la « paix sociale » dans certains quartiers et à la lutte contre une forme de « crise » du lien social (De Singly, 2003). Puissant facteur de cohésion (surtout chez les jeunes et notamment les garçons), le sport semble aussi permettre la réussite de quelques-uns, malgré des origines ethniques, culturelles et socio-économiques qu’ailleurs on stigmatiserait. Les exemples de Zinedine Zidane, Abdelatif Benazzi, Brahim Asloum, Mehdi Baala et d’autres (notamment dans le football, le basket, les sports de combat, les courses d’endurance) nous montrent qu’à la différence de la culture, de l’économie ou de la politique, le sport peut fonctionner comme un ascenseur social. L’une des conclusions du colloque « Cultures et football » organisé par le CNRS en 1998 était d’ailleurs que, dans le football, la pauvreté est véhiculée comme une valeur positive1. Réalisée en 2003 par la SOFRES, une enquête auprès de jeunes Français d’origine maghrébine indique que le sport est considéré comme le troisième lieu d’intégration après l’école et le travail 2. Ce résultat est à resituer dans un contexte où les champions sportifs deviennent progressivement des symboles de l’excellence sociale 3 alors qu’autrefois, ils étaient plutôt le signe de l’arriération populaire (du moins aux yeux de la majorité des intellectuels). En effet, * 1

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Équipe de recherches en sciences sociales du sport, Université Marc Bloch, Strasbourg II. Colloque « Cultures et football » organisé par le CNRS en mai 1998, sous la direction de C. Bromberger (IDEMEC), J.-M. Faure et C. Suaud (CSEC), communications publiées dans Lenoir, 1998. Enquête SOFRES réalisée en novembre 2003 (à l’occasion du 20e anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme) auprès d’un échantillon national de 400 personnes âgées de 18 à 30 ans, nées en France de parents algériens, marocains ou tunisiens, vivant dans des communes de plus de 10 000 habitants (méthode des quotas – sexe, âge, activité de l’interviewé et nationalité des parents – et stratification par région). À tel point qu’en janvier 2004, selon un sondage IFOP/JDD, Zinedine Zidane serait la personnalité préférée des Français.

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Depuis les années 1980, un certain nombre de politiques publiques menées en France s’appuient sur le sport comme vecteur d’insertion sociale. Aujourd’hui, le sport semble avoir gardé les faveurs des acteurs politiques et sociaux œuvrant en ce domaine. Pourtant, il est loin de véhiculer uniquement des valeurs positives et fait l’objet de critiques parfois virulentes. Dans ce contexte, comment se construisent et s’articulent sur le plan local les discours sur le sport comme moyen d’insertion sociale ? Nous montrerons en quoi l’idée de « salut par le sport » est diversement interprétée en fonction des positions occupées dans le dispositif d’insertion mais aussi des rapports différenciés au sport.


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depuis les années 1980, « le sport est sorti du sport », il est devenu un état d’esprit, un mode de formation du lien social, du rapport à soi et à autrui (Ehrenberg, 1991). Parce qu’il constitue un « produit d’appel » pour des jeunes en rupture sociale, le sport est alors massivement convoqué dans le cadre de politiques d’intégration sociale, notamment dans les banlieues populaires et les quartiers dits sensibles. Néanmoins, au-delà des quelques sportifs de haut niveau médiatique pris comme exemples d’une intégration réussie, le sport peut-il réellement participer à la lutte contre les nouvelles formes d’exclusion sociale et favoriser l’insertion des jeunes? À quelles conditions le sport peut-il constituer un mécanisme de réintégration et quels sont les effets réels des dispositifs mis en place par les collectivités locales? Au-delà des discours apologétiques, y a-t-il finalement un salut (Weber, 1904) par le sport pour des jeunes en situation d’exclusion sociale? Une monographie réalisée à Strasbourg entre 2000 et 2003 a permis de mettre en lumière deux publics visés par le dispositif local d’insertion et de prévention par le sport mis en place par la municipalité dès 1995 : les « jeunes » (dans un objectif de « paix sociale », occupationnel, d’apprentissage des règles et du goût de l’effort) et les animateurs des mêmes dispositifs, dans une perspective d’insertion professionnelle. On découvre alors qu’au-delà des objectifs officiels du dispositif, d’autres buts sont visés ou réajustés en fonction non seulement de la réalité du terrain, mais aussi des convictions des différents acteurs engagés dans cette action sociale locale. Une étude approfondie devrait aussi permettre de repérer en quoi l’espace des jugements sur les vertus du sport dans le salut social des jeunes est inséparable non seulement de l’espace des positions des membres dans le dispositif, mais aussi de leurs rapports différenciés au sport. Il s’agira dans un premier temps d’analyser l’effet de conjoncture, c’est-à-dire ce que les prises de position locales sur l’insertion par le sport doivent aux discours institutionnels plus généraux sur les vertus positives du sport. Puis, pour saisir le sens des discours des acteurs engagés dans le dispositif et leurs opinions divergentes sur la question, il s’agira dans un deuxième temps d’analyser, à partir de l’enquête qualitative menée à Strasbourg pendant trois ans, son fonctionnement et d’en repérer les enjeux et les controverses. Pour tenter d’en rendre compte, il paraît alors important de prendre pour objet les schèmes de perception et de jugement qui construisent les catégories permettant aux acteurs du dispositif de penser et de légitimer l’insertion par le sport. L’objectif de l’analyse est donc double : d’une part, décrire le dispositif et les conditions de son émergence, d’autre part, tenter d’analyser les perceptions du modèle légitime d’intégration par le sport et les controverses autour de son utilité sociale.

Controverses autour des effets de l’insertion par le sport Une double exclusion

En France, la pratique d’un sport semble être devenue le signe extérieur d’une bonne intégration dans notre société moderne, au même titre que la possession d’un téléphone portable ou la connexion à Internet. En 2000, 91% des jeunes Français de 15 à 24 ans déclaraient pratiquer une activité sportive de manière « volontaire » (Enquête INSEP/Ministère des Sports, 2000)4 et, parmi eux, plus de la moitié le font dans le cadre d’un club. La prati4

L’enquête nationale « Pratiques sportives des Français » a été réalisée en 2000 par une équipe de sociologues de l’Institut national du sport et de l’éducation physique (dépendant du ministère des Sports) auprès d’un échantillon de 6 526 personnes représentatif de la population française âgée de 15 à 75 ans. Cette enquête a recensé toutes les formes de pratique sportive, du sport institutionnel aux nouvelles modalités de pratique sportive (sports de glisse urbaine, fitness…).

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que sportive est plus fréquente chez les garçons que chez les filles (77% contre 60%) 5. Ces résultats placent le sport en tête des loisirs des jeunes juste après la télévision. Or, les chiffres de la massification de l’accès aux pratiques sportives masquent de profondes inégalités qui persistent malgré les politiques de « sport pour tous » et d’aide à la licence : comme dans les pratiques culturelles, c’est dans les milieux sociaux les moins favorisés que les jeunes font le moins de sport, le phénomène étant particulièrement marqué chez les filles6. Pourtant, parmi les activités culturelles (au sens large), la pratique sportive et le spectacle sportif restent les domaines de la culture les plus « ouverts » aux catégories populaires. Avec une possible dérive culturelle car pour certains, le sport et le spectacle sportif constituent l’unique « fenêtre sur le monde » au détriment d’autres formes de culture (théâtre, musique, lecture) et d’autres formes d’engagement (politique, humanitaire…).

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Selon les résultats de nombreux colloques consacrés à l’insertion sociale, le sport (notamment le sport de compétition) constituerait l’une des réponses adaptées pour faire face à la crise du lien social. On attend beaucoup du sport là où d’autres politiques éducatives, d’emplois ou de familles échouent. Or, loin des discours apologétiques ou bien critiques7, les sociologues et historiens du sport ont montré depuis longtemps que le « sport » ne contient pas de valeurs intrinsèques, il n’est pas vertueux, éducatif ou intégrateur en soi ; il porte les valeurs qu’on lui attribue (Gasparini, 2002). Ce qui signifie que la pratique sportive peut aussi bien constituer un facteur d’intégration qu’un facteur d’exclusion. Les formes de chauvinisme, d’élitisme, de rejet des moins forts, de nationalisme et de racisme dans les pratiques sportives nous montrent bien la difficulté à affirmer que le sport intègre « naturellement ». Tout au long du XXe siècle, le sport a servi conjointement, explicitement ou implicitement, les deux finalités : tantôt au service de l’élitisme aristocratique et bourgeois (le mouvement sportif à ses origines), du racisme (par exemple sous le gouvernement de Vichy en France) et de l’exclusion sociale (si l’on considère, par exemple, la distribution sociale inégale des pratiques sportives), tantôt au service de la démocratisation des loisirs (sous le Front Populaire, par exemple) et de l’insertion des plus défavorisés (avec les dispositifs sportifs mis en place par les collectivités territoriales dans les quartiers dits sensibles). L’intégration par l’institution sportive

Le postulat de l’intégration par l’institution sportive rejoint l’analyse des institutions de Durkheim (1893), selon laquelle l’intégration sociale suppose que les individus s’inscrivent dans des solidarités, qu’ils adhèrent aux buts et valeurs de la société et qu’ils se conforment aux règles prescrites. Face au constat de désorganisation sociale proche de l’anomie (que l’on trouve dans certaines zones de relégation sociale), les politiques publiques mettent en place des dispositifs sportifs dans des cadres institutionnels pour (re)mettre les jeunes sur la 5

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Selon les résultats de Sports Stats-Info, Bulletin de statistique et d’études du ministère des Sports, n° 03-07, novembre 2003. Quand le milieu social s’élève, les filles sont plus nombreuses à pratiquer un sport et le font plus fréquemment. Dans les foyers aux niveaux de revenu les plus élevés, 80% des jeunes font du sport, tandis que dans les foyers moins favorisés, ils ne sont que 60% et les écarts sont beaucoup plus marqués pour les filles que pour les garçons (Enquête ministère des sports, Muller, 2003). Voir à ce sujet les nombreuses contributions de J.-M. Brohm et des auteurs du « mouvement critique du sport ».

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Le sport : une contribution paradoxale à l’intégration sociale


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voie de l’insertion ou de l’intégration sociale (Collectif, 1993). Elles partent ainsi du postulat que le sport institutionnel intègre car il porterait en lui des valeurs positives intrinsèques et des règles démocratiques que l’on peut transférer dans d’autres domaines. Il s’agit alors d’instaurer des passerelles depuis les activités de rue vers les activités plus institutionnelles, entre le monde « sous-socialisé » et le monde de l’association sportive (le but politique sous-jacent étant de resocialiser les jeunes). On attend donc du sport de compétition un apprentissage conjoint de l’affrontement et de l’organisation légitimes. Mais le sport peut-il vraiment contribuer à l’apprentissage d’une citoyenneté pleine et entière, qui ne se réduise pas au simple respect des règles ? De plus, l’existence de dispositions initiales par rapport au sport et à l’effort sportif (Knobe, 2003) peut, dans une certaine mesure, venir contredire l’idée d’une possible acquisition ou d’un probable développement de nouvelles compétences. Qu’en est-il, en effet, du caractère plus ou moins durable et unificateur des dispositions de l’habitus (Bourdieu, 1979) ? Les nouveaux apprentissages, s’ils s’avèrent possibles, auraient, selon P. Bourdieu, tendance à s’inscrire en accord avec les schèmes déjà intériorisés par l’individu. De véritables changements seraient donc plutôt rares. Pourtant, dans nos sociétés actuelles où l’individu est confronté à de multiples expériences, l’unicité de l’habitus serait plus problématique (Lahire, 1998). Les individus pratiquant plusieurs activités sportives par exemple (Augustini, Irlinger, Louveau, 1996) et parfois selon des modalités différentes (par exemple détente versus compétition), ne s’y engagent pas de la même manière et avec une égale intensité. Les individus ne seraient donc pas de simples « reproducteurs » d’un rapport à l’effort identique en toutes situations. Il semble alors nécessaire d’effectuer une différenciation entre propriétés de position et propriétés de situation (Bourdieu, 1966). Or, la difficulté ne consiste pas tant à saisir ce qui relève de la situation, qu’à comprendre en quoi elle peut être à l’origine de l’acquisition de nouvelles dispositions ou de la modification de dispositions préalablement intériorisées. Ainsi, des aspects circonstanciels peuvent vraisemblablement avoir des effets de situation qui ne modifient en rien les dispositions. De plus, la question de la possibilité d’un transfert de schèmes d’un univers social à un autre reste ouverte et problématique. Parce qu’il est spécifique et qu’il renvoie à la logique même du sport de compétition, l’effort développé dans le sport n’entraîne pas mécaniquement un réinvestissement de cet effort dans d’autres situations (scolaires ou professionnelles), tout comme le respect de la règle sportive n’entraîne pas forcément le respect des règles sociales. Slogan didactique et managérial, le « transfert de compétences » ne peut fonctionner que si les situations sont comparables et si le transfert s’accompagne d’une réflexivité, c’est-à-dire d’une conscience de réutiliser la règle ailleurs. Ces idées d’acquisition, de modification et de transfert sont au cœur même des enjeux des politiques d’intégration sociale par le sport. Les dispositifs mis en place dans le cadre de ces politiques sont-ils susceptibles d’engendrer de telles modifications ou transferts ? Permettent-ils aux « jeunes » d’acquérir le respect des règles ou le goût de l’effort ? La réalité nous montre qu’il existe plusieurs modes et niveaux d’intégration dans le sport et qu’on ne peut envisager les pratiques sportives hors club uniquement comme des formes « inférieures » du lien social à dépasser. En effet, de nombreuses études ethnologiques nous montrent qu’il existe une sociabilité spécifique dans les sports de rue8 qui peut aussi créer des solidarités, des règles internes et qui permet une forme d’insertion sociale, sans le passage obligé du club (Chantelat, Fodimbi, Camy, 1996). Par ailleurs, de la même 8

Souvent une sociabilité intergénérationnelle de quartier très riche.

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manière qu’il n’existe pas une jeunesse en difficulté ou en errance (Pattegay, 2001), il n’existe pas une seule réponse sportive à donner face à la crise du lien social. Si le traitement de l’exclusion sociale par le sport signifie lutter au quotidien contre le désengagement des plus délaissés, l’objectif de la pratique sportive (dans un premier temps) pour cette catégorie est davantage l’engagement dans l’action au sein d’un cadre sportif informel (avec ponctualité, respect des règles, régularité…), avec construction et appropriation progressive des règles, que l’intégration dans une institution sportive où les règles sont fixées de manière non démocratique.

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C’est fin décembre 1994, suite à des incidents de vandalisme, qu’une première action d’intégration sociale par le sport est mise en place dans un quartier strasbourgeois (Cronenbourg). Il s’agissait, pour la première fois à Strasbourg, de proposer des activités sportives à des pratiquants non licenciés. Selon l’élu chargé des sports de l’époque : pour nous, le sport fédéral ne répondait pas aux besoins des jeunes, le secteur sportif appréhendait peu cette population, les clubs sportifs n’avaient pas de démarche citoyenne (R.H., adjoint chargé des sports de 1989 à 2001). Cette expérience s’étendra progressivement, les années suivantes, à tous les quartiers de Strasbourg dans le cadre d’un programme intitulé « Animation Sécurisation Insertion ». Des animations sportives sont ainsi proposées en soirée ainsi que dans la journée les mercredis, samedis, dimanches et lors des vacances scolaires. L’encadrement est toujours assuré par deux personnes9. Pour mener à bien toutes ces actions, une équipe de trente-six personnes œuvre à temps complet. De septembre 2001 à juin 2002, plus de 21 000 jeunes ont participé aux animations sportives proposées. Par ailleurs, la période de vacances scolaires a vu plus de 6 000 adolescents utiliser les structures ainsi mises en place. Les principaux objectifs de ce programme d’intégration par le sport relèvent de l’animation de la cité et de l’insertion10. Il s’agit non seulement de proposer des animations (afin d’élargir l’offre existante) et des pratiques de proximité en offrant de temps en temps la possibilité de déplacements vers d’autres quartiers, mais aussi de favoriser l’insertion sociale des animateurs (formés et diplômés) ainsi qu’une insertion fédérale des jeunes dans des clubs sportifs. Notre attention se portera ici plus particulièrement sur le quartier de Hautepierre parce qu’il fait partie de ces quartiers strasbourgeois médiatiquement « stigmatisés »11. Édifié à 9

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Au départ, un technicien sportif – en général une personne ayant une formation en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) – devait travailler en collaboration avec un « grand frère » issu du quartier. Progressivement, les grands frères ont été remplacés par d’autres techniciens sportifs. Ce programme d’action s’est étendu, depuis peu, aux adultes et aux personnes handicapées. Une extension aux publics scolaires a aussi donné lieu à la création d’une classe transplantée au Baggersee (plan d’eau) qui fonctionne toute l’année (accueil de différentes classes sur des projets pédagogiques : travail sur la nature, le respect…). Cette classe existe depuis 2001. En mars 2003, le décès d’un jeune homme de 33 ans tué par une balle en pleine tête tirée accidentellement par un policier à l’issue d’une course-poursuite donne lieu à des scènes de guérilla urbaine dans plusieurs quartiers strasbourgeois, dont Hautepierre (voitures brûlées, véhicules de pompiers dégradés par des jets de pierre…). Au mois d’octobre 2003, des incendies de voitures ainsi que l’incendie d’un théâtre font suite au décès par noyade d’un jeune de ce même quartier qui tentait d’échapper à la police. Sa réputation de « zone à problème » a valu à Hautepierre, en février 2004, la visite très médiatisée du ministre de l’Intérieur de l’époque, N. Sarkozy, venu lancer sa tournée des 23 quartiers français les plus exposés à la délinquance.

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Monographie d’un dispositif local d’insertion par le sport


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Résultats Effets et limites du dispositif « animations sportives de proximité »

Une forte volonté éducative En matière d’insertion sociale, le sport apparaît comme un vecteur fort de socialisation, de citoyenneté et d’éducation (Clément, 2000). Qu’il s’agisse d’une conception de sportoutil ou de sport-éthique (Charrier, Jourdan, 1999), il semble avoir les faveurs des acteurs œuvrant dans le domaine de l’insertion sociale. Il en va de même à Strasbourg-Hautepierre où les principaux effets attribués au dispositif par les différents acteurs sont d’ordre éducatif. Il permettrait ainsi un ensemble d’apprentissages où la transmission de valeurs prime sur l’acquisition de techniques sportives. À l’époque de la mise en place du dispositif en 1993-94, nous avions une vision plus généreuse que la seule lutte contre la violence dans les quartiers. Les gamins regardaient à travers les vitres des gymnases et ne pouvaient pas rentrer, l’accès leur était interdit parce qu’ils n’étaient pas licenciés dans les clubs. Or, la ville doit s’adresser au plus grand nombre. La démarche n’était pas uniquement occupationnelle ou spor12 13

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Données INSEE du recensement 1999. L’enquête s’est déroulée en deux étapes. Dans un premier temps, en 2000, 18 emplois-jeunes (recrutés entre 1998 et 2000) ont été interrogés ; puis, entre décembre 2003 et avril 2004, 18 autres acteurs du dispositif ont été interviewés dans une deuxième phase de l’enquête (élus, fonctionnaires, animateurs en fin de contrat emploi-jeune, adolescents). Mis en place dès 1997 par la ministre socialiste de l’Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry, le dispositif emplois-jeunes constituait (dans un contexte de fort chômage des jeunes) l’un des dispositifs d’accès à l’emploi pour des jeunes de 18 à 26 ans. Il remplaçait d’autres formes d’emplois non marchands aidés (Travaux d’utilité collective, Contrat emploi-solidarité, Contrat emploi de ville) et visait prioritairement la création de métiers d’avenir répondant à de nouveaux besoins de la population française. Relevant principalement de l’initiative locale selon une logique de projet, ces emplois étaient soutenus financièrement par l’État pendant 5 ans. Le dispositif a été supprimé par le gouvernement de M. Raffarin en 2002.

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partir de 1969, ce quartier propose une structure sous forme de « mailles ». Parmi les huit mailles, cinq sont consacrées à l’habitat (essentiellement locatif) et trois à des activités commerciales (centre commercial), hospitalières (CHU) et sportives (stade d’athlétisme, vélodrome, terrains de football et de tennis, piscine). La population de Hautepierre12 est relativement jeune puisque 45,4% des habitants y ont moins de 25 ans (contre 35,6% pour Strasbourg). Le taux de chômage de ces mêmes jeunes (15-24 ans) y est assez élevé : 31,9% pour les hommes et 36,1% pour les femmes de cette tranche d’âge (contre environ 9% pour cette tranche d’âge à Strasbourg). Les logements sociaux représentent aussi 59,5% des logements du quartier. Des animations sportives de proximité sont proposées dans ce quartier depuis 1996. Afin de mieux saisir le fonctionnement de ces animations, nous avons recueilli sous forme d’entretiens semi-directifs les discours des différents acteurs impliqués13. Notre échantillon est composé au total de 42 personnes : 4 élus (Conseil municipal et Conseil général du Bas-Rhin), 4 fonctionnaires du service du sport, 22 animateurs socio-sportifs (4 du dispositif actuel et 18 sous contrats emplois-jeunes14 interrogés en 2000) et 12 jeunes de 12 à 18 ans.


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tive, c’était aussi une vision de la ville et de la solidarité, de la collectivité, de la ville éducative (R.H, ancien adjoint chargé des sports de 1989 à 2001 sous la municipalité socialiste dirigée par C. Trautmann).

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Les animateurs cherchent à leur donner des règles à respecter, ça participe un peu à ce qu’ils puissent s’insérer dans la société en ayant justement dans la tête qu’il faut respecter certaines choses, qu’on ne peut pas faire tout ce qu’on veut. Et donc c’est des notions, des valeurs qu’on peut essayer de transmettre. Et par rapport au sport, bon ben voilà le fait d’avoir une certaine hygiène de vie, faire du sport pour être bien dans son corps, bien dans sa tête… On essaie de donner comme ça des valeurs. Et des valeurs de la société finalement. Quand on a un travail, il faut respecter des horaires tout ça, respecter la hiérarchie… Voilà on pense qu’on participe à leur insertion sociale de cette manière-là (C.M., animateur – contrat emplois-jeunes). À partir du moment où les jeunes intègrent le dispositif, la principale préoccupation des animateurs et des responsables est d’inculquer aux « jeunes » la notion de respect (de soimême, des autres et du matériel). Seront ainsi exigées ponctualité et politesse. En cas de non-respect, des sanctions individuelles et/ou collectives peuvent être appliquées. Ces règles de fonctionnement et de comportement ne semblent pas aller de soi et nécessitent un rappel constant de la part des animateurs. Ce leitmotiv qu’est le respect semble porter ses fruits, du moins dans les discours des « jeunes ». En effet, c’est la principale pour ne pas dire la seule valeur qu’ils mettent en rapport avec les animations sportives de proximité. Cette notion semble toutefois, dans leurs discours, fortement limitée à l’univers sportif, c’est-à-dire que si respect il y a et il doit y avoir, c’est dans ce cadre précis. La question du transfert reste alors ouverte. De même, si les « jeunes » s’engagent intensément dans leur pratique du sport, rien ne nous permet de penser qu’ils s’engagent de manière similaire dans leur travail scolaire15 par exemple. La prise en compte des propriétés de situation (Bourdieu, 1966) ainsi que des enjeux et intérêts spécifiques (Bourdieu, 1984) permettrait peut-être de saisir une certaine forme de continuité ou de stabilité dans le comportement des adolescents. On apprend à se respecter…, car si on respecte pas ça devient craignos et puis, c’est mieux quand tout le monde te respecte et que tu fais la même chose (N., 13 ans, participante aux animations sportives de proximité). On respecte les règles et puis on est tranquille dans le gymnase. Y’a des règles de jeu, et puis faut pas crier sur les autres quand y a un problème, on doit parler (Z., 12 ans, participante aux animations sportives de proximité). 15

Beaud et Pialoux (2003, 22) indiquent par exemple : Les enseignants des écoles primaires et des collèges de ZEP ont souvent mentionné devant nous ce qui leur était apparu comme caractéristique de la rupture des années 1990 : la fin de l’effort scolaire pour une partie croissante de leurs élèves qui leur répondaient amèrement : « à quoi bon ? » ou « Pour finir chômeurs ».

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Le sport a un rôle éducatif parce qu’on apprend des choses, on apprend à se respecter, à respecter les autres, respecter un arbitre, un entraîneur… Parce qu’on apprend aussi un certain nombre de techniques (A.B., conseiller territorial des activités physiques et sportives, responsable des relations entre associations sportives pour le quartier de Hautepierre).


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Sentiment d’impuissance et désillusions

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Moi, j’estime qu’après 14 ans si on a pas eu un travail conséquent et un suivi avec eux [ça devient difficile]. La notion de groupe de jeunes qui est un peu en révolution avec les règles, peut-être avec la société et la citoyenneté, ça prend le dessus. Mais avant bien entendu les règles sont respectées. On n’a pas de soucis avant 13 ans, mais audelà c’est très difficile (F.A., agent territorial d’animation, responsable du dispositif « animations sportives de proximité » dans le quartier de Hautepierre). Les animations sportives de proximité c’est quelque chose d’intéressant pour les préados, mais les grands personnellement je vois pas où on peut aller au-delà. Parce que les grands c’est que de la consommation, pure, que du foot, ils ne veulent pas autre chose. Malgré ça on ne peut pas travailler avec eux, on ne peut pas avancer avec eux (A. Be., animateur – contrat emplois-jeunes). Cette impression semble encore renforcée par un sentiment d’impuissance à l’égard de ce public de jeunes (plus de treize ans). En effet, le clivage petits/jeunes n’apparaît pas seulement comme une différence en termes de modalité d’intervention (cycles sportifs contre matches de football), mais plus profondément comme une opposition en matière de possibilités véritables d’intervention. Si les petits sont encore malléables et dociles, les jeunes au contraire ne le seraient plus du tout. L’autorité des animateurs vis-à-vis des « jeunes », qui est déjà relativement réduite en pratique, fait encore l’objet de confrontations plus ou moins virulentes, sanctionnées par des avertissements, voire des fermetures de gymnase. L’efficacité de leurs actions semble, selon les animateurs, se focaliser sur les petits.

Le club comme vecteur d’insertion sociale Selon un point de vue qui traverse l’opinion publique, le sport de compétition encadré permettrait l’intégration sociale car il est d’abord un affrontement régulé et permet de confronter le jeune à un système de droits et de devoirs (le règlement) (Travert, L’Aoustet, 2003). Le joueur est alors dans l’obligation de respecter une autorité (arbitre, entraîneur, 16

Sur les sept créneaux proposés durant la semaine à Hautepierre, seuls deux sont consacrés aux plus de treize ans.

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Le dispositif « animations sportives de proximité », qui existe depuis bientôt dix ans, a connu quelques évolutions remarquables. En effet, le public visé s’est élargi. Alors qu’à l’origine seul le football en salle et à destination de jeunes âgés d’au moins quinze ans était programmé, depuis 2002, les créneaux ont été redistribués en fonction des tranches d’âge. Ainsi, des activités sportives plus diversifiées sont actuellement proposées aux enfants de huit à treize ans (les « petits ») sous forme de cycles de sept à huit séances. Les créneaux attribués aux plus de treize ans ont progressivement diminué au profit des plus jeunes16. Cette nouvelle orientation permet aux animateurs de ne plus être cantonnés à un seul rôle de sécurisation. D’ailleurs, ils remettent ouvertement en cause l’existence de créneaux football destinés aux plus de treize ans où leur rôle semble se limiter à celui de gardien de gymnase. Mais pour des raisons politiques, essentiellement de paix sociale dans le quartier, ces créneaux sont maintenus. Dans ce cadre, les animateurs ouvrent le gymnase, donnent la balle et assurent une répartition équitable de la durée des matches. Ils ne peuvent proposer un autre mode de fonctionnement sans soulever une réprobation générale. Ils ont ainsi globalement le sentiment d’être inutiles.


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dirigeants), de remplir la fonction qui lui est attribuée (notamment dans les sports collectifs) et d’intégrer une organisation qui suppose un certain nombre de contraintes (horaires, programmation des entraînements, respect du calendrier, du règlement intérieur…). Les animateurs rappellent fréquemment et unanimement que les animations sont toujours proposées sous forme de pratique libre. En aucun cas, il ne s’agit de reproduire un fonctionnement de club (sous-entendu de compétition). L’esprit même de ces animations irait à l’encontre de tout ce que prône le sport de compétition : régularité, intensité, progression, dépassement. Cette opposition au club est à la fois mise en avant comme une spécificité fondamentale et décrite comme un des principaux freins à un véritable rôle d’insertion sociale. Dans le même temps, les animateurs avouent que lorsque les jeunes sont confrontés à un obstacle, ils préfèrent généralement abdiquer plutôt que de persévérer. L’acquisition d’un possible goût de l’effort serait alors incertaine. Cette vision de l’effort est surtout mise en avant par les animateurs au passé sportif et aux propriétés sportives les plus compétitives. Paradoxalement pour eux, le modèle sportif par excellence reste le système compétitif fédéral. Et c’est à travers ce filtre de la compétition qu’ils paraissent évaluer la qualité et l’intensité des efforts des participants aux animations sportives de proximité. Marqués par leur propre histoire sportive et ayant eux-mêmes accepté ces contraintes et cette discipline, ils ne reconnaissent pas le goût de l’effort dans une seule recherche de plaisir. Alors, que penser de ces pratiquants qui ne viennent que pour « se faire plaisir » et éviter les contraintes de l’organisation fédérale ? Les points de vue sont ici voués à s’opposer. C’est pourquoi les jeunes qui se donnent à fond dans le cadre de leurs matches de football paraissent davantage valorisés par les animateurs, du moins pour ce qui est de l’effort fourni. Ils viennent juste là pour se faire plaisir. Ils viennent pas du tout dans l’optique de s’entraîner. Ils le savent très bien que ce sont les clubs qui font ça, que nous on est pas dans cette optique-là. Justement ils viennent parce que les règles sont plus souples qu’une association, qu’un club. Même s’ils rêvent de devenir champions, ils s’en donneront pas forcément les moyens. Je suis pas sûre que… Si vraiment ils le voulaient, c’est pas en venant aux animations sportives… Moi j’irais dans un club. Enfin, je pense que le jeune qui veut vraiment réussir, nous ils viennent pour s’amuser, ils viennent pas forcément pour être champion, ou pour s’entraîner (R.D., éducateur territorial des activités physiques et sportives). Je pense qu’on représente un très bon support pour l’insertion. Je ne sais pas si on fait de l’insertion sociale par le sport. C’est ma position. On en fait peut-être dans une philosophie mais concrètement non […] C’est peut-être le club qui va apporter plus l’insertion sociale […]. Ce que le club apporte c’est quand même des relations plus soutenues avec les familles. Lorsqu’il y a des compétitions, des familles se déplacent, rencontrent d’autres familles. Je pense que dans un club il y a plus de facilité d’insertion que dans l’animation (F.A., agent territorial d’animation, responsable du dispositif « animations sportives de proximité » dans le quartier de Hautepierre). La croyance selon laquelle le sport ou le club sportif posséderait des vertus intrinsèques (Gasparini, 2003) permettant de lutter contre les incivilités, les violences ou l’anomie ne semble pas partagée par l’ensemble des acteurs du dispositif. Plus on s’élève dans la hiérarchie des responsabilités au sein du dispositif, plus on aperçoit une distance critique par

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rapport à cette croyance. Selon l’ancien adjoint chargé des sports, le dispositif était surtout mis en place en réponse à la fermeture du système fédéral local qui exclut certaines catégories de jeunes.

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Je pense qu’aujourd’hui le sport a une mauvaise image parce qu’il n’a qu’une image de pognon. Celui qui est premier sera le plus riche. Et cette image, je vous avoue que moi-même je ne regarde plus de matches de foot, je ne regarde plus de matches de basket, je ne regarde plus rien parce que tout est pourri par l’argent. Je fais du sport pour mon bien-être à moi, point, mais je ne participe plus à cette société-là, voilà. Il faut d’abord que le sport change d’image avant d’imaginer que le sport peut être un moyen d’insertion pour les jeunes (S.O., conseiller général du Bas-Rhin depuis 1998). Selon l’ancien adjoint chargé des sports, l’intégration réelle ne peut se faire uniquement par l’imprégnation ou l’incorporation de règles sportives extérieures, sans qu’il y ait dialogue et participation citoyenne à la construction des règles. Mais la distance critique apparaît aussi tributaire du rapport au sport de l’acteur du dispositif. En effet, la proximité avec le milieu sportif compétitif (en tant qu’ancien sportif de compétition ou dirigeant sportif) ou le milieu médical semble conduire les individus à intégrer plus facilement le discours apologétique sur le sport de compétition ou encore la vision coubertinienne du sport. En ce qui concerne ma culture, étant un ancien sportif, étant médecin, très attaché à la prévention plutôt qu’à la guérison, le sport est du point de vue personnel le meilleur gage d’intégration sociale et du point de vue compétitif le meilleur moyen d’intégration et d’acceptation de la vie en société et du jeu de la vie qui est quelque part aussi une forme de compétition […] C’est par le sport qu’on arrivera à toucher les jeunes et à les rendre sensibles à la vie en société et au partage du territoire, au partage des activités et au respect de l’autre. […] Le sport, le contrôle de soi-même, le dépassement de soi, ce sont des valeurs sportives et ce sont des valeurs sociales très fortes (H.G., conseiller municipal délégué au quartier de Hautepierre depuis 2001). Effets « pervers » d’un dispositif d’insertion sociale

L’exclusion des filles La volonté politique d’intégrer prioritairement des jeunes adolescents par le sport afin d’éviter la rébellion la plus visible (vandalisme, violences physiques notamment) a paradoxalement entraîné une exclusion des filles et des jeunes femmes, et une « masculinisation » de l’espace public par les sports urbains, libres ou encadrés.

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Pour lui, le dispositif n’était pas là contre le sport fédéral, il doit évidemment jouer le rôle de passerelle, mais le milieu fédéral s’est désintéressé de ces jeunes, il s’est replié sur lui-même, comme sous une cloche. Il faudrait que les dirigeants sportifs appréhendent l’activité sportive comme une activité parmi d’autres qui concourent à une vie citoyenne. Et je ne crois pas que le sport intrinsèquement transporte une quelconque valeur. J’ai souvent été surpris que le sport puisse véhiculer des valeurs comme la solidarité mais aussi la pire des choses (dopage, l’exclusion des gens de couleurs, le communautarisme…) (R. H, ancien adjoint chargé des sports de 1989 à 2001 sous la municipalité socialiste dirigée par C. Trautmann).


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Les filles sont complètement exclues ou alors il faut qu’elles soient bonnes mais pour être bonnes il faut être dans un club et là dans les 8-11 ans, ce n’est jamais le cas et si elles voulaient former une équipe elles ne sont jamais assez nombreuses. Il y a souvent des problèmes car les parents ne les laissent pas aller aux matches (S.S., responsable du service « Animations sportives de proximité »).

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En été, on propose des animations en bas de l’immeuble, pour aussi attirer les parents et discuter avec eux et on arrive un peu à avoir les filles, qui voudraient bien venir mais que les parents ne laissent pas venir, car ils ne connaissent pas très bien ce que nous proposons. Mais une fois que les parents connaissent les animateurs et ce qu’on propose, ils les laissent venir. Il y a environ 10% de filles (S.S., responsable du service « Animations sportives de proximité »). De plus, dans le programme d’activités du dispositif strasbourgeois, seul le football est proposé aux adolescents, ce qui entraîne une première division sexuelle. Et si des adolescentes viennent tout de même dans ces animations, elles occuperont alors la place de supportrices des joueurs, rôle qui leur est assigné dans d’autres domaines. En préparant involontairement ces jeunes filles à une domination masculine, une deuxième violence symbolique se dessine alors. Par contre, ça s’arrête à 13 ans, donc là où je trouve qu’il y a un manque de continuité c’est de dire… et les filles… et même tous nos jeunes, une fois 13 ans, il n’y a plus rien derrière. Qu’est-ce qu’on en fait ? C’est vrai que ça existe depuis longtemps, ceux qu’on a eus tous petits qui arrivent maintenant à l’âge butoir, ben il faudrait qu’on puisse leur proposer une continuité d’activités pour pas les abandonner lâchement. Donc moi ce concept, je le trouve bien mais avec ces deux remarques-là que vraiment est-ce que c’est vraiment judicieux par rapport aux adultes parce qu’on a plus rien à leur apporter. Enfin c’est judicieux d’un point de vue politique et financier parce que autrement ils brûlent le gymnase ou ils cassent tout pour rentrer dedans. Donc oui, il y a un intérêt politique et financier, maintenant un intérêt éducatif, non. Moi je trouve dommage qu’après on n’est pas une continuité là avec ces jeunes et surtout les filles. Les garçons, une fois qu’ils ont plus de 13 ans, ils trouvent encore les créneaux foot, les adultes où ils viennent. Mais les filles, ça y est, elles ont presque le sentiment qu’on les abandonne et qu’on est plus là pour elles. C’est ça que je trouve dommage (R.D., éducateur territorial des activités physiques et sportives). Cette masculinisation des politiques d’insertion par le sport semble accompagner le retour des valeurs « viriles » qui se diffusent dans de nombreuses institutions, notamment l’école ou l’entreprise, et renforcent une domination masculine déjà très présente dans le monde social en général et dans le monde sportif en particulier (Bourdieu, 1998 ; Davisse, Louveau, 1998). Prenant conscience de ce phénomène, la municipalité strasbourgeoise de l’époque a alors progressivement tenté de « féminiser » les politiques de la

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Que ce soient dans les équipements municipaux de proximité, les gymnases ouverts en soirée ou dans le cadre des animations d’été organisées dans les quartiers, les filles sont généralement minoritaires, voire absentes et en tout cas, toujours reléguées à des fonctions et des activités conformes à leur place présumée (danse et activités « d’expression », voire supportrices des garçons).


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ville en développant davantage d’activités en direction des filles, en féminisant l’encadrement et en favorisant la mixité sexuelle.

L’insertion par l’emploi sportif à l’épreuve de la réalité

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Mais il y avait aussi un autre objectif, qu’on ne mettait pas trop en avant, c’était de former des animateurs qui n’avaient pas de diplôme. Et ça, ça a plus ou moins bien marché car beaucoup ont passé un BESAPT, un BE ou un brevet d’animation. Donc, par rapport aux agents, les objectifs ont été atteints, par rapport aux jeunes, c’est plus difficile à évaluer… (S.S., responsable du service « Animations sportives de proximité »). Or, l’enquête auprès des médiateurs sportifs indique qu’ils ne partagent pas entièrement cette vision de leur réussite sociale. Le recrutement d’animateurs sportifs issus des quartiers a apporté des solutions au malaise social rencontré, mais il pose aussi un certain nombre de problèmes, pédagogiques et professionnels. D’abord, ces animateurs de même origine socio-géographique (la banlieue) que les publics-cibles sont souvent tiraillés entre l’autorité et le laisser-faire et sont insuffisamment armés pour faire face aux pressions psychologiques de leurs « petits frères ». Pourtant, les médiateurs sportifs issus du quartier restent des relais importants entre l’institution (la collectivité locale) et les adolescents (Duret, 1996). Recréant du lien social au sein et entre des groupes sociaux souvent « fermés » (bandes, groupes ethniques, familles élargies, groupes de chômeurs, etc.), ces acteurs sont porteurs d’une image d’intégration professionnelle et sont reconnus comme compétents dans le dialogue social (même s’ils ne le sont pas nécessairement sur le plan pédagogique). À la différence d’autres villes de taille comparable, à Strasbourg, le recrutement s’est plutôt orienté vers un plus haut niveau de qualification. Il s’agit de recruter des gens très compétents. Une personne compétente qui sait s’adapter très facilement en fonction de son savoir-faire peut le transmettre beaucoup plus facilement avec de la pédagogie, avec une démarche. Un grand frère il va parler avec ses mots, il va négocier peut-être avec un rapport de force. C’est pas forcément une solution (F.A., agent territorial d’animation, responsable du dispositif « animations sportives de proximité » dans le quartier de Hautepierre). Ensuite, malgré la volonté des élus et fonctionnaires du service du sport, l’objectif d’insertion professionnelle par les métiers du sport n’est pas toujours atteint, notamment pour les animateurs recrutés sous contrat emplois-jeunes. L’enquête réalisée en 2000 nous permet de mieux comprendre la situation et les projets professionnels de cette catégorie de jeunes adultes en voie d’insertion.

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De nombreuses villes françaises ont profité du dispositif des emplois-jeunes (19982003) pour embaucher dans le secteur sportif, et notamment dans la branche du « sport social » (animation sportive de proximité, médiation et surveillance dans les quartiers et les équipements sportifs). Ces emplois présentent alors une fonction double : d’une part, insérer de jeunes adultes (généralement non diplômés de l’enseignement supérieur) dans le monde du travail par l’emploi sportif et, d’autre part, insérer des adolescents par le sport encadré par les emplois-jeunes (Gasparini, 1999). À travers la présence de ces éducateurs, le service public local réinvesti aussi des quartiers où il n’était plus très actif. C’est un peu le pari de la ville de Strasbourg à partir de 1996, la volonté d’insérer professionnellement par le sport qui s’est surtout développée en 1998 avec le dispositif emplois-jeunes.


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Au-delà de quelques singularités, l’étude de l’identité sociale des animateurs sous ce type de contrat révèle globalement une origine sociale populaire17. L’analyse des diplômes scolaires permet de segmenter l’échantillon en trois catégories : la plus importante (11 personnes) concerne les non-diplômés et les diplômés de l’enseignement technique court ne possédant aucun brevet sportif ou de l’animation en général18. Viennent ensuite la catégorie des diplômés de fin d’études secondaires (ou diplôme sportif équivalent bac) (4 personnes) et celle des diplômés de l’enseignement supérieur (essentiellement diplômes STAPS) (3 personnes). La majorité des emplois-jeunes réside ou est issue de zones urbaines strasbourgeoises où le parc social est dominant (Neuhof, Elsau, Cité de l’Ill, Port du Rhin, Stockfeld) et dans de vieux quartiers relativement excentrés (Koenigshoffen, Montagne Verte, Vieux Cronenbourg)19. Alors que les plus diplômés envisagent généralement de préparer un concours de la fonction publique territoriale (Éducateur ou conseiller territorial des activités physiques et sportives)20, les plus démunis en capital scolaire apparaissent moins résolus dans leurs projets et plus indécis dans leurs stratégies professionnelles. Les projets de formation qualifiante leur sont généralement suggérés par le service « nouveaux services-emplois jeunes » (projets de type BAFA, BEATEP ou BESAPT). Ce manque de confiance tant en leurs capacités qu’en ce que la société peut leur offrir conduit les uns à une forme de fatalisme (et de passivité) et les autres à exprimer (avec plus ou moins de virulence) leur sentiment d’être dans une impasse 21. En effet, malgré les efforts des différents services de la ville de Strasbourg impliqués dans leur formation et leur professionnalisation, ces catégories d’emplois-jeunes se sentent souvent vouées, à la fin de leur contrat, à une nouvelle exclusion professionnelle 22, sans doute plus stigmatisante et plus totale que par le passé : plus stigmatisante dans la mesure où elles ont eu, en apparence, « leur chance » ; plus totale, dans la mesure où une part de plus en plus grande des places sur le marché du travail sportif est réservée en droit, et occupée en fait, par les détenteurs (toujours plus nombreux) d’un diplôme (brevet d’État, diplôme STAPS notamment)23. L’expérience répétée de 17

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Enquête par questionnaires et interviews réalisés en octobre 2000 auprès de l’ensemble des emplois-jeunes en poste au service des sports de la ville de Strasbourg (n = 18). Ces jeunes sont généralement titulaires de certificats d’aptitudes professionnelles techniques, notamment de menuiserie, carrosserie, etc. Leur position sociogéographique dans l’espace strasbourgeois reproduit celle des classes ouvrières. On distingue en effet assez nettement une couronne ouvrière sur les franges de Strasbourg ainsi que dans quelques communes périphériques. Les classes moyennes se concentrent au contraire dans une deuxième couronne plus proche du centre alors que l’habitat des classes aisées se situe plutôt au Nord-Ouest de la Communauté urbaine et au Nord-Est de Strasbourg. Il est à noter que le centre attire surtout les 18-35 ans (étudiants et cadres entre autres) avec une forte présence du sexe féminin (ADEUS, 1996). Ce constat rejoint les résultats d’enquêtes nationales portant sur toutes les catégories d’emplois-jeunes : selon le ministère de l’Emploi, la majorité des 130 000 jeunes embauchés à ce titre depuis fin 1997 considèrent la condition « emplois-jeunes » comme une période probatoire préparant l’accès à l’administration ou aux collectivités territoriales. Voir l’enquête réalisée par D. Gélot à partir d’une enquête auprès des employeurs effectuée en 1998 par le CREDOC et auprès des jeunes par la SOFRES (Gélot, 1999). Ce malaise « socioprofessionnel » s’est exprimé notamment au cours de l’enquête dans les résistances ou les refus de répondre à certaines questions portant sur leur trajectoire personnelle et leurs échecs successifs, tant scolaires que professionnels. Notamment pour tous ceux qui envisagent de travailler dans le secteur sportif associatif, très peu pourvoyeur d’emplois stables et à plein-temps : selon une enquête de l’INSEE Alsace réalisée en 1998, c’est dans le secteur sportif que l’on trouve le plus faible nombre d’emplois associatifs. Voir à ce sujet Bourdieu et Champagne, 1993. Le malaise des lycéens issus des familles les plus démunies (en situation d’échec scolaire ou obtenant des titres scolaires dévalués) peut être rapproché du malaise des

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l’échec, d’abord à l’école 24, puis sur le marché du travail, semble produire chez ces jeunes une perception du monde qui interdit ou décourage toute anticipation raisonnable de l’avenir. Façonnant notamment les dispositions à l’égard du temps et, par là, le rapport au travail, ces facteurs structuraux expliquent peut-être l’affinité entre ces jeunes aux dispositions instables et les emplois temporaires ou précaires.

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Après cette première période de mise en route (qui s’est accompagnée d’un fort turnover des animateurs), le dispositif « animations sportives de proximité » se stabilise et entre dans une deuxième période marquée par une certaine forme de reconnaissance. De nouvelles actions sont mises en œuvre (notamment en faveur des personnes handicapées) et modifient également les recrutements effectués. D’ailleurs, la redéfinition du public cible semble être corrélée aux attentes et aux propriétés sociales des personnels d’encadrement recrutés. Les problèmes posés par certaines initiatives des « grands frères » ont conduit la ville de Strasbourg à mettre davantage l’accent sur les compétences « sportives » en matière de recrutement. Ainsi, depuis 2003, les animateurs sont pour la plupart titulaires d’une licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS)25. Le succès du dispositif lui-même a insufflé cette orientation puisque sa consolidation passe par la titularisation des animateurs qui, pendant longtemps, occupaient des postes précaires (statutairement vacataires ou emplois-jeunes). En s’institutionnalisant, le dispositif d’insertion par le sport s’est aussi progressivement « professionnalisé » car actuellement seuls des éducateurs territoriaux des activités physiques et sportives (ETAPS) occupent les postes d’animateurs socio-sportifs. Initiée par la municipalité socialiste de l’époque, cette politique locale d’insertion est à resituer dans une politique plus générale de prévention et d’action sociale. Celle-ci s’est accompagnée d’un souci de « municipaliser » le sport, notamment à travers la prise en charge de l’animation urbaine et le recrutement d’éducateurs municipaux spécialisés dans les activités sportives. Or, en déplaçant le niveau de qualification vers le haut, les responsables du service ont aussi modifié (involontairement) la base initiale de recrutement social. D’origine non plus modeste mais davantage issus de la « classe moyenne », ces nouveaux animateurs aspirent à une activité professionnelle plus valorisante d’un point de vue personnel (ne pas être simple « gardien de gymnase ») et à une évolution de carrière en ascension (l’objectif étant pour beaucoup l’obtention du concours de conseiller territorial des activités physiques et sportives). De manière peut-être paradoxale, alors qu’ils ont été recrutés pour intervenir dans une logique « d’insertion sociale » auprès de « jeunes en difficulté », ils tendent à faire évoluer le dispositif en faveur de publics moins « difficiles » (les « petits » par exemple) et plus prompts à reconnaître leur « utilité ».

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emplois-jeunes d’origine populaire ; de la même manière que l’institution scolaire tend à apparaître de plus en plus comme un leurre (tant aux familles qu’aux élèves eux-mêmes), le système « emplois-jeunes » peut produire une immense déception collective si les jeunes démunis culturellement ne parviennent pas à s’insérer professionnellement et de manière stable dans un métier du sport à l’issue de leur contrat. Le taux de redoublement au cours de la scolarité des emplois-jeunes apparaît relativement élevé, ainsi que les filières courtes « imposées » sous l’effet d’échecs successifs ou de résultats scolaires trop faibles. C’est le cas de trois des quatre animateurs interrogés.

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Évolution du dispositif et modification des recrutements


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William Gasparini Sandrine Knobe Équipe de recherches en sciences du sport (EA 1342) Université Marc Bloch, Strasbourg II 14, rue René Descartes 67084 Strasbourg Cedex William.Gasparini@umb.u-strasbg.fr sknobe@wanadoo.fr

BIBLIOGRAPHIE ADEUS, Observatoire de l’habitat, Strasbourg, 1996. AUGUSTINI M., IRLINGER P., LOUVEAU C., 1996, Un aspect négligé par l’étude de l’engagement sportif : la multipratique et ses modalités, Loisir et société, 19, 1, 237-262. BEAUD S., PIALOUX M., 2003, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, Fayard. BOURDIEU P., 1966, Condition de classe et position de classe, Archives européennes de sociologie, 7, 201-223. BOURDIEU P., 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit. BOURDIEU P., 1984, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit. BOURDIEU P. (dir.), 1993, La misère du monde, Paris, Seuil. BOURDIEU P., 1998, La domination masculine, Paris, Seuil. BOURDIEU P., CHAMPAGNE P., Les exclus de l’intérieur, in BOURDIEU P. (dir), 1993, La Misère du monde, Paris, Seuil, 597-603. CHANTELAT P., FODIMBI M., CAMY J., 1996, Sport de la cité. Anthropologie de la jeunesse, Paris, L’Harmattan. CHARRIER D., JOURDAN J., 1999, Insertion par le sport : le choc des cultures, Revue européenne de management du sport, 2, 35-51. CLÉMENT M., 2000, Sport et insertion, Paris, Presses Universitaires du Sport. COLLECTIF, Du stade au quartier, 1993, Actes du colloque « Le rôle du sport dans l’intégration sociale des jeunes », 28-29/01/1992, Paris, Éditions Syros.

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Le sport fait partie de ces sujets sur lesquels les avis les plus contradictoires peuvent être émis en toute légitimité, donnant l’impression d’un domaine où l’arbitraire des opinions individuelles règne en maître (Suaud, Faure, 1999). Pour saisir le sens des discours sur les effets supposés du sport et le rapport au dispositif d’intégration sociale par le sport, il apparaît dès lors indispensable d’analyser ce que les prises de position sur l’insertion par le sport doivent aussi aux intérêts et convictions des différentes catégories d’agents. L’étude monographique permet ainsi de saisir non seulement les possibles décalages entre les objectifs (politiques) annoncés et la réalité de l’intégration sociale, mais aussi les évolutions internes d’un dispositif sous l’effet de ses acteurs. Le cas strasbourgeois nous apporte alors des éléments pour comprendre en quoi l’espace des jugements sur les vertus du sport dans le « salut » social des jeunes est inséparable non seulement de l’espace des positions des membres dans le dispositif, mais aussi de leurs rapports différenciés au sport.


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SOCIÉTÉ

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Summary Since the 1980’s, a certain number of public policies led in France consider sport as a vector of social insertion. Today, sport seems still to have the favors of political and social actors working in this domain. However, sport doesn’t transport only positive values and is sometimes the subject of virulent critiques. In this context, how the speeches on sport as means of social insertion are constructed and articulated ? We will show in what the idea of « salvation by sport » is interpreted variously according to a part, of the positions occupied in the device of insertion and on the other hand, of the differentiated reports to sport. KEY-WORDS: SPORT – SOCIAL INSERTION – DEVICE – LOCAL POLITICS – SPORT’S ANIMATORS Zusammenfassung Seit den 1980er Jahren wird in der französischen Politik häufiger der Sport als ein Mittel der sozialen Integration thematisiert. Auch heutzutage scheint der Sport bei politischen und sozialen Akteuren, die in diesem Feld arbeiten noch immer die Bedeutung zu haben.

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KNOBE S., 2003, L’influence des dispositions sociales dans l’acte de désigner. L’exemple des qualifications plurielles de l’effort sportif, Revue Carnets de Bord, 6, 63-71.


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GASPARINI ET KNOBE, LE SALUT PAR LE SPORT ?

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Allerdings transportiert der Sport nicht nur positive Werte und manchmal ist er Gegenstand heftiger Kritik. Wie also artikuliert sich in diesem Kontext der Diskurs über Sport als Mittel der sozialen Integration ? Wir zeigen in diesem Beitrag, wir « Heilung durch Sport » von den verschiedenen Akteuren in diesem Feld der sozialen Integration interpretiert wird und welchen unterschiedlichen Beziehungen zum Sport dabei hergestellt werden.

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Desde los años 1980, una cierta cantidad de las políticas públicas aplicadas en Francia se apoya en el deporte como vector de inserción social. Actualmente, el deporte parecer haber guardado los favores de los actores políticos y sociales que actúan en ese terreno. Sin embargo, el deporte está lejos de vehicular únicamente valores positivos y es a veces objeto de críticas virulentas. En este contexto, cabe preguntarse cómo se construyen y articulan a escala local los discursos sobre el deporte como medio de inserción social. En este artículo mostraremos como la idea de la « salvación por el deporte » es interpretada de diversas maneras tanto en función de la posición ocupada en el dispositivo de reinserción, como en función de la propia relación con el deporte.

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Sumario


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