SPORT, POUVOIR LOCAL ET DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE EN ALSACE William Gasparini ERES | Espaces et sociétés 2006/1 - no 123 pages 53 à 67
ISSN 0014-0481
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gasparini William,« Sport, pouvoir local et démocratie participative en Alsace », Espaces et sociétés, 2006/1 no 123, p. 53-67. DOI : 10.3917/esp.123.0053
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L a gestion du sport, domaine de compétence longtemps réservé à l’État
français, apparaît comme un exemple particulièrement intéressant de secteur d’activité où a émergé depuis la décentralisation, en 1982, un nouveau jeu de relations entre les acteurs territoriaux du sport, renforçant dans le même temps le pouvoir des élus locaux. Dans les collectivités territoriales, le pouvoir reste très souvent concentré entre les mains d’un petit nombre d’élus, tant politiques qu’associatifs, de moins en moins représentatifs de la population. De nombreuses politiques sportives locales sont élaborées sans réel diagnostic partagé avec le monde associatif et, encore moins, avec les « citoyens-citadins ». Au-delà d’une volonté affichée de rapprochement, la loi de 2002 relative à la « démocratie de proximité » place souvent l’implication des habitants dans la politique municipale sous le contrôle des élus locaux. Privées de leur autonomie, les instances de participation sont alors conçues comme des « courroies de transmission » entre la municipalité et les habitants (Garnier, 2003).
William Gasparini, maître de conférences HDR, Équipe de recherches en sciences du sport (EA 1342), université Marc Bloch, Strasbourg. William.Gasparini@umb.u-strasbg.fr
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Comme dans d’autres secteurs, les politiques sportives locales révèlent finalement les faiblesses de l’engagement des citoyens qui sont tour à tour indifférents, écartés ou dépités dans leurs rapports aux décisions politiques locales. Il en résulte en France une disparité des politiques sportives, oscillant entre la politique de prestige élaborée par les élites locales et la réponse objective aux demandes et sensibilités des citoyens-sportifs. De rares tentatives pour donner la parole ou impliquer les habitants sont mises en place pour tenter d’endiguer la faillite actuelle de la démocratie représentative. Afin d’attirer et de se concilier des populations traditionnellement à l’écart du débat politique, des élus locaux tentent depuis quelques années d’accroître leur capital de légitimité par de nouveaux procédés de marketing politique, en proposant des formes inédites d’échange : conseils consultatifs thématiques, conseils municipaux des enfants, conseils de quartier, forums, assises locales du social, de la culture ou du sport. Pourtant, au-delà des discours politiques convenus sur les vertus de la démocratie locale, il n’existe pas à l’heure actuelle d’évaluation objective de ces politiques publiques. Dans le domaine du sport, peu d’expériences d’assises ont débouché sur un projet sportif communal ou intercommunal élaboré par les citoyens. Dans l’est de la France, les villes alsaciennes de Kingersheim (Haut-Rhin) et de Schiltigheim (Bas-Rhin) se sont engagées dans cette voie, en s’appuyant notamment sur le sport comme outil de démocratie participative 1. Nous comparons ces deux tentatives de démocratie participative par le sport au travers d’« Assises locales du sport » qui ont eu lieu en 2002 (Kingersheim) et en 2004 (Schiltigheim). L’étude permet de repérer en quoi ces dispositifs, qui visent à croiser les points de vue d’experts et d’élus avec ceux des citoyens « ordinaires », permettent ou non l’expression d’une « citoyenneté locale ». Au-delà du discours officiel des élus politiques, les observations tirées de l’intervention sociologique 2 montrent que les débats publics dont le sport local est l’objet servent souvent de simple caution démocratique. Nous examinons ces deux expériences de démocratie participative, pour en dégager les caractéristiques particulières et en interroger la validité. Un bilan plus poussé de ces pratiques reste nécessaire pour évaluer les effets à plus long terme. L’enquête montre aussi que, derrière un souci affirmé de participation élargie, les maires et leurs adjoints au sport se positionnent comme
1. En Alsace, seules les villes de Kingersheim et Mulhouse (Haut-Rhin), Illkirch et Schiltigheim (Bas-Rhin) ont engagé un vaste débat public autour du sport. 2. À la demande des municipalités, nous sommes intervenu comme « expert » dans ces dispositifs afin d’apporter des éléments de comparaison avec d’autres villes, de susciter de nouveaux questionnements sur le sport et de tenter de construire, avec les acteurs locaux, des pistes de changement. Cette position privilégiée, à l’intérieur du dispositif, nous a permis non seulement d’analyser leur organisation formelle mais aussi d’interviewer les participants engagés dans ce jeu participatif, notamment les élus et les dirigeants associatifs.
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les véritables leaders d’influence au sein du dispositif. Au fil des débats publics, les citoyens sont progressivement dessaisis de leur pouvoir d’expression au profit des experts choisis par les édiles. Le dispositif de démocratie participative devient ainsi un « dispositif » au sens de Michel Foucault (1975), c’est-à-dire un ensemble d’opérations qui rendent légitime l’exercice d’une autorité. L’espace des jugements sur le sport local et son accès démocratique sont inséparables de la position des acteurs et de leur stratégie dans l’espace politique local, mais aussi de leurs rapports au sport et au monde social. LES CONDITIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES « POLITIQUES PARTICIPATIVES »
DES
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Kingersheim est une commune de 12 000 habitants dans la banlieue nord de Mulhouse. Elle est intégrée dans la Communauté d’agglomération Mulhouse-Sud Alsace et dans le canton très peuplé de Wittenheim. Elle est la huitième ville du Haut-Rhin par sa population. Pôle tertiaire et industriel né de la reconversion de l’industrie minière (bassin potassique) et des activités traditionnelles (bière, textile, agriculture), Kingersheim est le siège du deuxième grand espace commercial d’Alsace (après Strasbourg). Sans réel patrimoine prestigieux et comprenant un cœur de cité mal identifié, cette ville a vu sa population progressivement augmenter, devenant dans le même temps une extension de la banlieue mulhousienne. C’est une ville-dortoir sans grand attrait et traversée par des axes routiers importants. Depuis les années 1980, avec l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale (socialiste), des projets d’animation de la cité voient le jour, redynamisant la vie locale. La « démocratie de proximité » apparaît dans les années 1990 comme le nouveau projet de l’équipe en place, permettant à la municipalité de se démarquer des villes voisines. Dès 1998, le maire se rend physiquement dans les foyers de la ville pour connaître l’opinion des habitants sur certains projets. Des conseils consultatifs réunissant habitants, usagers et riverains sont mis en place en 2000 dans de nombreux domaines 3. C’est dans ce contexte qu’ont lieu en 2002 les « Assises locales du sport », véritable « opération test » selon le maire, avant de poursuivre la démarche participative dans d’autres domaines. Conforté dans sa politique de proximité, il lance début 2004 les « États généraux permanents de la démocratie », lors d’un
3. Réhabilitation du site d’accueil pour les gens du voyage, construction d’une salle de sports, d’une Maison de la petite enfance, salle de spectacle, Maison de la citoyenneté, création d’un espace de jeux, etc.
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Kingersheim et les États généraux permanents de la démocratie
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conseil municipal extraordinaire. À cette occasion, les habitants ont été invités à participer à une grande consultation téléphonique début mai 2004 4, qui a débouché sur des réunions publiques pour la restitution des résultats, en juin 2004. Enfin, des conseils consultatifs sont créés pour chaque projet touchant à la vie de la cité 5. Selon le maire : « Il s’agira de privilégier toutes les initiatives qui accroîtront la délibération et la participation. Ce faisant, par l’implication personnelle ou collective, nous travaillerons à refonder un esprit de responsabilité et de solidarité. » (Kingersheim Magazine, éditorial, mai 2004).
La ville de Kingersheim a reçu en 2004 le Grand Prix de la communication publique intitulée « Citoyenneté et démocratie locale » pour ses États généraux permanents de la démocratie. Concernant le sport, Kingersheim compte plus de 2 000 pratiquants sportifs adultes et un tiers des jeunes Kingersheimois sont licenciés dans les vingt associations sportives de la ville.
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Schiltigheim est une ville de 31 000 habitants, voisine de Strasbourg (265 000 habitants). Traditionnellement industrielle, elle a connu de profondes transformations socio-économiques dans les années 1970. En effet, les brasseries industrielles (Fischer, Adelshoffen, Schutzenberger, Heineken) ainsi que les industries métallurgique, frigorifique et hydraulique entrent dans une crise qui a pour conséquence une profonde mutation de la vie industrielle de la ville. Avec la robotisation de l’industrie brassière et l’apparition de nouvelles générations d’entreprises, souvent de petite taille mais de haute technologie ou de tertiaire supérieur 6, la structure de la population se transforme peu à peu : le nombre d’ouvriers diminue au profit des classes moyenne et supérieure (cadres, employés et professions intermédiaires). En matière de loisirs, la municipalité a diversifié ses efforts afin de répondre aux besoins de nouvelles populations et d’associations de plus en plus nombreuses et variées. La plupart des créations de nouvelles associations sportives à Schiltigheim entre 1970 et 1980 sont le fait des nouvelles couches sociales qui occupent des emplois plus qualifiés et qui expriment de nouvelles valeurs, plus individualistes notamment (Gasparini, 1998). Cependant,
4. La première en France dans une ville de moins de 20 000 habitants. 5. La ville compte actuellement douze conseils consultatifs sur les équipements, la carte scolaire, la mise en œuvre d’une enveloppe participative dans les écoles, ou…, la mise en place d’un panneau électronique municipal. 6. Aventis dans le domaine pharmaceutique, BNP Paribas, cabinets d’expertise comptable, sociétés de services aux entreprises, etc.
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Schiltigheim : la proximité comme réponse aux transformations socio-économiques
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la commune de Schiltigheim accueille encore de nombreux résidents ouvriers, ce qui explique le nombre élevé de pratiquants de sports dits « populaires », le football et la lutte notamment. Schiltigheim porte actuellement l’image d’une cité sportive avec plus de trente disciplines pratiquées dans cinquante associations déclarées. Face au constat d’un turn-over de la population locale de plus en plus important et du manque de communication entre habitants, mais aussi entre la municipalité et les résidents, l’équipe municipale a développé dès son arrivée une politique visant la « proximité ». Élu en 1977, le maire déclare : « La démocratie de proximité faisait partie de notre projet […]. Il manquait la proximité avec la population. Comme il y a de plus en plus de mobilité professionnelle, les habitants ne sont plus citoyens du même lieu. Ce sont des citoyens-individus plutôt que des citoyens qui appartiennent à une collectivité. »
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ASSISES ET ÉTATS GÉNÉRAUX DU SPORT : PROXIMITÉ SPATIALE ET CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE
Selon les équipes municipales des deux villes, l’objectif est de « définir en concertation avec la population, le monde associatif, scolaire et socio-éducatif, un projet sportif pour la ville ». Le but affiché est d’amener le plus grand nombre d’habitants à participer directement à l’élaboration du projet sportif pour les années à venir. Si l’on tient compte du fait que 35 % des habitants de Kingersheim et 40 % de ceux de Schiltigheim pratiquent une activité sportive, la question sportive semble effectivement susceptible d’attirer ces populations dans des dispositifs d’expression citoyenne. Or, si les deux instances de participation institutionnalisée visent à rapprocher les décideurs des sportifs, force est de constater que seules certaines catégories de citoyens sont représentées. Si le dispositif élargit le cercle de la décision et rapproche « physiquement » les acteurs, celui-ci reste circonscrit aux « élites » sportives locales. Moments forts du débat public, les « assemblées citoyennes » regroupent principalement les maires, les adjoints chargés des sports, les chefs de service du sport, des personnes ressources (fonctionnaires du service des sports, sociologues, consultants), les dirigeants de clubs sportifs et un petit nombre d’habitants issus majoritairement des couches moyennes. Présentée comme « démocratique », la gouvernance sportive locale apparaît en réalité comme une instance plutôt « technocratique » (Blanc, 2001), excluant certaines catégories de pratiquants sportifs (et de sportifs potentiels).
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Dès son élection, il crée un journal municipal, ouvre les séances du conseil municipal à la population et met en place, dès 1980, le premier conseil de jeunes en France. Suivront dans les années 1990 les Assises locales de la vie économique, les Assises du social et enfin les États généraux du sport en 2004.
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L’analyse de l’organisation formelle du dispositif (notamment ses différentes étapes) permet de constater que les citoyens « ordinaires » n’interviennent qu’en tant qu’objet de sondage et que les marges d’initiative des participants restent très limitées. Lancés en octobre 2002, les États généraux du sport de Schiltigheim visaient en priorité les associations sportives, soit au total trente associations rencontrées individuellement par l’adjoint chargé des sports accompagné d’élus de la commission municipale des sports. Lors de ces rencontres au siège social de chaque association, un questionnaire a été remis à chaque comité directeur. Parallèlement, deux autres enquêtes ont été réalisées auprès des scolaires et des habitants de la ville 7. Dans un deuxième temps, au cours d’une assemblée réunissant les dirigeants des associations sportives et les principaux acteurs du sport local (conviés par les élus), les résultats des différentes enquêtes ainsi que les conclusions et recommandations qui en découlent ont été exposés. Le débat public s’est alors engagé à l’intérieur du cadre préétabli par l’équipe organisatrice, l’objectif fixé étant de « mobiliser toutes les énergies » pour « élaborer un Projet sportif local (PSL) en se basant sur une politique participative le plus large possible ». Or, sur les 110 personnes présentes à l’assemblée, les deux tiers étaient des dirigeants d’association et le dernier tiers était composé d’élus et d’experts 8. Puis, à partir des recommandations des organisateurs, des ateliers de travail ont été formés, puis transformés en commissions afin de « dégager des projets d’actions concrets et d’élaborer les contours de la politique sportive de demain ». Les Assises locales du sport de Kingersheim : un débat public entre pairs Organisées conjointement par la commission municipale « sport » et le service des sports de la Ville, les Assises locales du sport kingersheimois ont pour objectif affiché par l’adjoint au maire de « rassembler tous les acteurs du sport, parfois même au-delà des limites de notre ville, pour débattre de
7. La première enquête s’adressait au public scolaire schilikois, afin de connaître les habitudes sportives des jeunes scolarisés (407 questionnaires). La seconde enquête par téléphone (échantillon de 400 habitants) avait pour but de mieux connaître les pratiques sportives de la population. 8. Conseillers municipaux et généraux, professeurs d’EPS, fonctionnaires du service des sports de la ville et du ministère de la Jeunesse et des Sports. Une minorité de femmes et de « jeunes » était présente.
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Les États généraux du sport à Schiltigheim : la construction politique du dispositif
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DISPOSITIF DE PROXIMITÉ ET DISTANCE SOCIALE L’analyse des deux dispositifs montre d’abord que les « citoyens-citadins » sont uniquement représentés à travers les résultats d’enquêtes, ou par l’intermédiaire de discussions informelles, lors de la phase de diagnostic. Audelà du souci officiel de démocratie participative, le débat public et la discussion des orientations de la politique sportive locale se réalisent finalement à l’intérieur d’un cercle restreint d’acteurs « qualifiés ». Les « jeunes sportifs » (adolescents et jeunes adultes, licenciés ou pratiquants autonomes) et les femmes sont largement sous-représentés. L’observation des deux expériences indique que le dispositif participatif est destiné à faire légitimer un projet sportif construit en direction de groupes sociaux conviés parce que acquis d’avance, et non à faire naître un débat contradictoire porteur d’idées innovantes. Comme dans d’autres domaines, la participation sportive est d’abord une revendication des « couches moyennes et supérieures ». Ainsi, l’analyse des professions des dirigeants sportifs ayant 9. Sportifs, dirigeants associatifs, parents, médecins, professeurs d’EPS, entraîneurs, sponsors. 10. Les thèmes des tables rondes étaient : le sport dans l’école ; le sport outil de cohésion sociale ; ensemble au service du sport ; sport de masse et sport de haut niveau ; sport, économie et communication ; clubs et collectivité : un travail en équipe ; le sport au service de la santé ; le sport accessible à tous ; cadres sportifs : professionnalisation et bénévolat. 11. Sous statut associatif et composé uniquement de dirigeants sportifs élus, il doit mutualiser les moyens, fédérer les énergies et proposer des initiatives sportives.
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l’avenir de la pratique sportive et de loisir dans notre commune ». Selon les élus, il s’agit de définir les nouvelles orientations de la politique sportive afin de « mieux répondre aux besoins de la population locale ». Conviés par la municipalité, participants 9 et intervenants (élus, chef d’entreprise, sociologue, sportif de haut niveau, inspecteur départemental de la Jeunesse et des Sports, etc.) se sont interrogés sur l’évolution des pratiques sportives, des structures et équipements, des financements et partenariats au cours de tables rondes 10 réparties tout au long d’un week-end de mars 2002. Au total, 345 personnes ont assisté à la réunion de lancement des Assises et, parmi elles, 167 se sont investies dans les tables rondes. Comme pour les États généraux du sport de Schiltigheim, la très grande majorité des participants étaient des dirigeants de club, des professeurs d’EPS, des fonctionnaires territoriaux et d’État, des représentants d’associations de parents d’élèves et des conseillers municipaux. Sous l’impulsion des présidents d’association et des élus politiques, deux principales décisions ont été prises : la mise en place d’un Office municipal des sports dégagé de la tutelle du conseil municipal 11 et le développement des activités sportives non compétitives, de loisir et de santé dans les clubs, après une convention entre les associations et la Mairie.
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participé au dispositif met en évidence quatre catégories principales : professions libérales, petits patrons et cadres d’entreprise ; enseignants et professions intermédiaires de la santé et du travail social ; professions intermédiaires administratives et commerciales d’entreprise ; et les techniciens, contremaîtres et employés. Parmi les participants, les ouvriers sont minoritaires, alors que nombre d’entre eux pratiquent le football, la lutte, la gymnastique, les quilles, la pétanque ou le basket dans les deux villes. Cette absence semble traduire la distance, ou la mise à distance, de cette catégorie face aux responsabilités associatives (Gasparini, 1998, 2000a) et aux dispositifs de participation en général. La responsabilité associative, notamment dans les fonctions de président ou de dirigeant élu au comité, apparaît globalement comme un phénomène de « couches » sociales moyennes et supérieures. Les fonctions de représentation dans de nombreuses associations échoient volontiers aux cadres ou aux notables, tandis qu’il incombe le plus souvent aux membres d’origine populaire de « s’occuper du matériel » ou de « former les jeunes à la base » (Bozon, 1984). ASSOCIATIONS SPORTIVES ET POUVOIR MUNICIPAL : Les formes de participation institutionnalisée semblent avoir été mises en place avec le souci d’encadrer et de contrôler la participation pour éviter tout risque d’émergence d’un contre-pouvoir. L’absence des sportifs non encadrés, des jeunes notamment, indique que les dispositifs s’adressent avant tout au mouvement sportif associatif « légitime ». Malgré le constat (à travers les enquêtes de terrain) d’un décalage entre l’offre associative et une demande de pratique sportive plus autonome, seuls les acteurs institutionnels des différents sports ont pu échanger dans le débat public. Mais n’était-ce pas finalement l’objectif des élus ? L’adjoint aux sports de Schiltigheim déclare qu’il attendait : « que les participants discutent, posent des problématiques, des innovations, des nouveautés […]. Les présidents discutent entre eux et ça, c’est nouveau ».
L’objectif réel du dispositif n’est-il pas de faire émerger un espace de compromis local entre des associations sportives (poursuivant traditionnellement des intérêts sportifs particuliers) et un pouvoir local soucieux de déléguer sous contrôle une partie de ses missions d’intérêt général ? On observe ainsi un « processus de récupération » des associations par le pouvoir municipal (Bonnier, 1972) qui semble accepté par les dirigeants associatifs. Sous l’impulsion des élus et experts-organisateurs, le projet sportif local réunit en effet des acteurs issus de « mondes » différents sur le plan sportif (football, tennis, cyclisme, etc.), mais sensiblement proches sur le plan des valeurs. L’analyse du contenu de leurs prises de parole permet de déceler un consen-
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UNE PROXIMITÉ DE VALEURS
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sus autour de valeurs du sport partagées par les dirigeants associatifs et les élus politiques, comme la moralité du bénévolat sportif, la perversion du sport par les acteurs non associatifs ou encore la critique des nouveaux adhérents « sportifs-consommateurs ». Cette proximité de valeurs s’accompagne d’une proximité d’intérêts politiques entre élus associatifs et élus politiques. La vie associative permet une sorte de « rodage » et un apprentissage préalable du rôle de décideur local, le sport peut ainsi servir de tremplin vers le pouvoir politique local. La notabilité construite dans les associations sportives et le capital social (Bourdieu, 1980) accumulé au cours des années de négociations avec le pouvoir municipal constituent bien une ressource pour une carrière politique (Dumas, 1987 ; Laville et Sainsaulieu, 1997). LE MAIRE ET SON ADJOINT CHARGÉ DU SPORT,
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Émanation directe du politique, les dispositifs de participation étudiés indiquent un intérêt pour « la proximité » mais aussi pour les actions à rentabilité politique et à forte teneur communicationnelle. Au-delà des stratégies politiques des élus et de louables intentions d’élargir le cercle de la décision politique, la mise en place d’un dispositif de débat public semble aussi répondre à des objectifs latents. À un premier niveau d’analyse, la dimension sportive et sa promotion constituent évidemment un enjeu électoral de choix, pouvant rallier les suffrages de la population locale. Mais s’engager dans un dispositif participatif par le sport, c’est aussi accorder à un jeu social et politique déterminé, un intérêt digne d’être poursuivi (Bourdieu, 1994). Cet intérêt ne peut être totalement saisi que dans sa relation aux dispositions et ressources détenues par les édiles. Sportivité et militantisme moral des maires Les maires des deux villes étudiées entrent dans la catégorie des « maires négociateurs » de Patrick Bayeux (2000 12). Cette stratégie de gestion appliquée aux politiques sportives municipales renvoie à un « modèle de la connivence », privilégiant l’écoute des administrés et le fonctionnement en équipe (notamment avec un adjoint). Mais le rapport au sport des élus municipaux est aussi étroitement lié à leurs représentations, caractéristiques sociales et
12. L’auteur distingue deux autres styles de management : le maire autoritaire, maître d’un processus de décision appliquant « le modèle de l’interférence » et le maire distant qui s’implique moins directement en mettant en place un mécanisme qui oriente la décision en fonction de son projet politique.
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ACTEURS CENTRAUX DU DISPOSITIF
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ressources militantes (Michon, 1992). L’implication personnelle des maires dans la démarche participative nous révèle en effet une forte croyance en un modèle de relations sociales empreint de morale chrétienne. À travers le débat public autour du sport, il s’agit, selon le maire de Kingersheim :
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Professeur d’Éducation physique et sportive, ancien sportif de haut niveau régional en athlétisme et militant du parti socialiste depuis 1977 13, le maire est aussi très impliqué dans le secteur associatif : ancien entraîneur de club et dirigeant associatif, il est actuellement licencié dans un club de cyclisme et membre d’une association nationale, Démocratie et spiritualité, « qui considère que, face à l’échec des idéologies, il faut plus de spiritualité ». Ancien membre de l’Action catholique ouvrière, il s’estime proche d’Emmanuel Mounier, – « un personnaliste, je voudrais réintroduire sa pensée dans la politique ». Cette vision socialiste et chrétienne des rapports sociaux se retrouve dans son projet politique pour la ville de Kingersheim, notamment dans la charte intitulée : « Améliorer nos pratiques démocratiques pour mieux vivre ensemble », où il pose les jalons des États généraux permanents de la démocratie locale, à partir de l’expérience des Assises locales du sport. De son côté, le maire de Schiltigheim conçoit le sport comme : « un facteur de citoyenneté, un des lieux où la vie publique s’exprime le mieux. […] Il y a un manque de communication de la mairie en direction des citoyens mais aussi entre les habitants. Lorsque j’ai été élu en 1977, il manquait la proximité avec la population. J’ai commencé par ouvrir les séances du conseil municipal et j’ai autorisé les questions de l’assemblée. […] J’ai ensuite créé en 1980 le premier conseil de jeunes en France. […] C’est cette volonté qui m’anime toujours 14. […] C’est parce que les habitants sont de plus en plus des citoyensindividus, plutôt que des citoyens qui appartiennent à une collectivité, que j’ai lancé et soutenu dès le départ les États généraux du sport ».
Ancien instituteur de l’éducation spécialisée, élu maire en 1977 sur une liste centre gauche après avoir été adjoint chargé du sport et de la jeunesse pendant cinq ans, il a ensuite milité au parti socialiste jusqu’en 1990. Ancien 13. Il est aussi conseiller général et régional PS, ainsi que président de la Communauté d’agglomération de Mulhouse-Sud Alsace. 14. Dans les années 1990, il présidait l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANCEJ).
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« d’inventer un nouveau mode de relations entre les gens, partager et retisser les liens pour refonder la démocratie locale. Jouer sur la démocratie, c’est avant tout jouer sur le lien social […] et, parmi les activités sociales, le sport peut permettre de passer d’une démocratie providentielle à une démocratie citoyenne […]. Sport et démocratie se rapprochent parce qu’ils permettent l’éducation à la citoyenneté et ils privilégient l’effort sur le temps long ».
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conseiller régional et général de 1985 à 1993, il était aussi parlementaire centriste de 1993 à 1997. Catholique pratiquant, il s’est engagé très tôt dans la vie associative locale : chef scout ainsi que basketteur de bon niveau dans le club sportif catholique ouvrier local, il s’est beaucoup investi dans le basket comme entraîneur, arbitre puis dirigeant. (« Je connais bien le milieu sportif. ») Engagé dans la Jeunesse ouvrière chrétienne aux côtés de son épouse, il a créé une Maison de jeunes dans les années 1960 tout en prenant en charge une émission radio pour les jeunes au titre du diocèse.
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« Chevilles ouvrières » du dispositif, les deux adjoints se rejoignent aussi dans leur implication, leur connaissance du monde associatif local et leur militantisme moral (Barthélémy, 1994). Au-delà du seul choix rationnel d’une stratégie politique locale, tout comme pour les maires, l’expérience associative et/ou syndicale apparaît prépondérante dans l’attrait vers une politique sportive participative. Tout se passe comme si les compétences acquises dans d’autres secteurs étaient transférées et exploitées dans la gestion du sport local. Selon l’adjoint chargé des sports et de la vie associative de Schiltigheim, le dispositif « États généraux du sport » serait « un excellent exemple de démocratie de proximité. Le tissu associatif est un élément de démocratie et l’association elle-même permet l’apprentissage de la citoyenneté ». Son militantisme moral et sa croyance dans l’efficacité de la démocratie participative semblent marqués par son passé associatif tant au niveau de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (où il était vice-président) qu’au sein de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT 15). Responsable national et régional de la FSGT, il semble imprégné du modèle du lien social par le sport développé par les instances nationales et se nourrit des initiatives de concertation locale autour du sport. Depuis les années 1990, cette organisation milite pour la mise en place de « Projets sportifs locaux » (PSL) dans les villes et pour la promotion d’un « Sport pour tous » démocratique et accessible aux plus démunis. De son côté, l’adjoint chargé du développement de la pratique sportive de la ville de Kingersheim voulait que :
15. Fédération « affinitaire », la FSGT est née de la fusion dans les années 1930 des organisations sportives ouvrières socialiste et communiste. Proche du parti communiste après la libération, elle devient progressivement une fédération multisports militante qui vise à défendre les intérêts sportifs du monde du travail dans la perspective d’une plus grande démocratie et d’une société plus solidaire.
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Les adjoints chargés aux sports : une éthique de la conviction
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Il a aussi créé le Conseil communal de la vie associative parce qu’il « croit dans le bénévolat et la participation des citoyens dans la prise de décision ». Ancien conseiller municipal, réélu sur la liste socialiste du maire en 2002, cet ancien président du club local de gymnastique avait permis son développement en termes d’effectifs « en triplant les adhérents, grâce à ma méthode ! » Pompier professionnel depuis 1975, il est surtout un militant actif du syndicat Force ouvrière 16. « C’est dans l’action commune que l’on peut progresser et développer une véritable citoyenneté. » Les deux adjoints déclarent avoir été soutenus dans leur action par les chefs du service municipal des sports. « Fonctionnaires d’exécution » des orientations politiques décidées par les élus locaux, ces derniers se distinguent pourtant dans leur degré d’engagement dans le dispositif. Issu du mouvement sportif (ancien footballeur de l’équipe fanion de la ville et éducateur sportif) et bénéficiant d’un important capital social lié à son engagement sportif, le chef du service des sports de Schiltigheim s’est largement impliqué dans la mise en œuvre et l’animation des États généraux du sport. Issue du secteur de l’enfance et spécialisée dans les questions de jeunesse, la chef du service « Enfance et sports » de Kingersheim a été plus en retrait, déléguant l’animation des Assises du sport au maire et à l’adjoint chargé du sport. Sa position minoritaire, en tant que femme dans un milieu sportif local largement dominé par les hommes, n’a fait qu’accentuer sa mise à distance dans l’animation du dispositif. CONCLUSION La comparaison des deux dispositifs révèle qu’au-delà des seules stratégies politiques explicites, des facteurs sociologiques sont susceptibles d’expliquer la forme du débat public autour du sport ainsi que ses enjeux de pouvoir. Conçues comme des espaces d’expression, les instances de participation étudiées ont finalement peu d’autonomie : construites comme des vecteurs de médiation entre la municipalité et les habitants, elles servent en réalité de caution démocratique, quelquefois à l’insu des participants, à des orientations politiques préétablies. Mais une lecture plus approfondie objective aussi un système de reconnaissances réciproques tacites entre les détenteurs du pouvoir local et les acteurs du mouvement sportif. Contrôlé tout au long de sa mise en œuvre par les élus et les experts, le dispositif fait émerger des projets d’action qui permettent de valider la poli-
16. Il est responsable national du syndicat FO des pompiers.
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« tout le monde s’implique, les parents, les associations de parents d’élèves, les enseignants, les non-organisés, les autres associations culturelles […] c’est un chantier immense, il nous faudrait deux mandats pratiquement ! »
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tique sportive municipale et de déléguer par la même occasion une partie des missions aux associations sportives. Le « monde sportif local » (composé principalement d’acteurs institutionnels) semble ainsi doté d’une sorte de logique interne, inscrite à la fois dans les structures objectives (associations sportives, offices des sports, services des sports, programmes politiques) et dans les structures « subjectives » (représentations du sport et de l’action politique « légitime »). Reproduisant la structure sociale des rapports de domination à l’échelle locale, cette organisation est continuellement entretenue par des actions de construction et de reconstruction des structures qui dépendent notamment de la position sociale occupée par ceux qui les accomplissent et des valeurs qu’ils portent. Dans le même temps, la logique de fonctionnement du dispositif participatif autour du sport ne prend tout son sens que si on le replace dans son contexte socio-économique. La désindustrialisation et l’émergence des classes moyennes dans les deux communes créent les conditions de mise en œuvre d’une nouvelle politique sportive manifestement participative mais en réalité basée sur une forme de « gouvernance notabiliaire ». S’appuyant sur un réseau de dirigeants sportifs et d’intervenants issus des couches moyennes et supérieures, partageant les mêmes valeurs et poursuivant des intérêts proches (tant symboliques que politiques), les équipes municipales peuvent alors circonscrire un espace de compromis local avec les associations. Elles étendent ainsi leur pouvoir dans la perspective de déléguer sous contrôle et sans trop de risque une partie de leur mission d’intérêt général. Or, en écartant plus ou moins volontairement du dispositif les sportifs de base, les inorganisés, les fractions les plus populaires et les plus jeunes de la population locale ainsi que les non-pratiquants, les élus se privent d’un débat contradictoire porteur d’innovations en matière de sport. En complément des assemblées générales, l’organisation de micro débats sur les lieux de pratique sportive et la consultation de non-pratiquants (par exemple, filles issues de milieux populaires, mères de famille, jeunes exclus de la compétition, personnes obèses ou en surpoids, etc.) auraient peut-être permis de dégager d’autres perspectives en matière de sport loisir et de sport santé. La démocratie participative présente ainsi deux réalités. La première, avancée par les élus et cautionnée par les responsables sportifs, correspond au modèle démocratique idéal décrit par Jurgen Habermas (1981) dans lequel les citoyens débattent publiquement de leur bien commun, en échangeant des arguments rationnels et sans exclure personne. La deuxième, dégagée par l’analyse sociologique, montre au contraire qu’un dispositif participatif peut être destiné à faire légitimer un projet en retenant certaines catégories de citoyens dans le débat et en en écartant implicitement d’autres. Il en résulte une complicité objective entre les participants, fondée sur la reconnaissance de la valeur du dispositif. Ainsi, la conception
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de la démocratie participative des élus locaux est non seulement tributaire de leur projet politique (par exemple, rallier les suffrages de la population locale), de leur style de gouvernance mais aussi d’un certain nombre de propriétés incorporées « agissantes » (morale chrétienne, capital social, profession liée au social, etc). Contribuant à imprégner la configuration du jeu sportif local, la croyance dans les vertus de l’action collective organisée rend aussi compte d’un « capital militant » (Matonti, Poupeau, 2004) acquis à travers les nombreuses expériences de militantisme sportif et social et de compétences citoyennes importées de l’extérieur du monde politique. C’est à partir de la connaissance objective des contraintes du système local, des caractéristiques des acteurs et des enjeux sociopolitiques sousjacents que l’on peut finalement mieux saisir la stratégie des élus dans la conception du débat public. En nous invitant à envisager la relation dialectique entre l’investissement des participants (tant politiques que sportifs) et l’espace qui les conduit à agir et à apprécier les situations, l’étude permet alors de déconstruire le discours politique consensuel sur la démocratie participative. Mais elle nous conduit aussi à nous interroger sur les raisons sociologiques du désenchantement et du scepticisme de citoyens rejetant l’offre politique de démocratie participative.
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