La Flèche Brisée - Delmer Daves

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UNION FRANÇAISE DU FILM POUR L’ENFANCE ET LA JEUNESSE

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Né à San Francisco deux ans avant le tremblement de terre de 1906, Delmer Daves se destinait d’abord à une carrière d’avocat. Pendant ses études à la Stanford University, il s’intéressa à l’industrie bourgeonnante du film, et débuta comme accessoiriste sur le western The Covered Wagon en 1923, puis devint conseiller technique sur de nombreux films. Après la fin de ses études de droit, il poursuivit sa carrière à Hollywood. S’installant à Hollywood en 1928, il commence comme scénariste, crédité une première fois pour la comédie So This Is College produit par la MGM. Dans les années 1930, il se fit un nom d’auteur à succès, tout en apparaissant comme acteur dans de petits rôles non crédités. Il écrivit les comédies musicales de Dick Powell Dames, Flirtation Walk, et Page Miss Glory entre 1934 et 1935. Mais ses plus grands succès de cette époque vinrent avec La Forêt pétrifiée (The Petrified Forest) et Elle et lui (Love Affair). Ce dernier film connaîtra une version en couleurs en 1957 toujours sous la direction de Leo McCarey et Daves au scénario, Elle et lui (An Affair to Remember). En 1943, Daves réalise son premier film Destination Tokyo avec Cary Grant. Au cours de ses vingt-deux années de carrière, il cultive un style sans prétention, avec une approche sereine de la réalisation en laissant ses acteurs et le scénario conduire le film. Parmi ses films les plus remarqués : Les Passagers de la nuit (Dark Passage) (1947), qui utilise finement la subjectivité, La Flèche brisée (Broken Arrow) acclamé par la critique, le western tendu 3 H 10 pour Yuma, et le mélodrame A Summer Place. Daves fut nommé au prix de la Directors Guild of America pour son travail sur Cowboy. La Montagne des neuf Spencer (Spencer’s Mountain) qu’il écrivit, dirigea et produit, est basé sur le roman éponyme autobiographique de Earl Hamner, également à l’origine de la populaire série The Waltons. Daves fut marié à l’actrice Mary Lawrence de 1938 jusqu’à sa mort le 17 août 1977. (wikipedia)

e s s e r p e revue d La Flèche Brisée Broken Arrow Etats-Unis / 1950 / 92 min / Western / visa n° 10170 Réalisateur Delmer Daves Scénario Michael Blankfort d’après le roman d’ Elliott Arnold, “Blood Brother” Interprétation James Stewart (Tom Jeffords) Jeff Chandler (Cochise) Debra Paget (Sonseeahray) Arthur Hunnicutt (Milt) Will Geer (Ben Slade) Basil Ruysdael (Général Howard) Directeur de la photographie Ernest Palmer (Technicolor) Musique Hugo Friedhofer Décors Albert Hogsett et Lyle R.Wheeler Production Julian Blaustein (20th Century-Fox) Distributeur Swashbuckler films

Arizona, 1870. La guerre fait rage entre blancs et Apaches. Ex-éclaireur pour l’armée de l’Union, Tom Jeffords sauve de la mort un jeune indien et s’attire ainsi la reconnaissance de sa tribu. Ecoeuré par l’interminable inimitié qui sévit entre les deux peuples, il décide d’apprendre la langue, les moeurs, l’histoire et les coutumes apaches et de se rendre dans les montagnes afin d’y rencontrer leur chef Cochise...


www.dvdclassik.com/Critiques/fleche-brisee-dvd.htm « This is the story of a land, of the people who lived on it in the year 1870, and of a man whose name was Cochise. He was an Indian - leader of the Chiricahua Apache tribe. I was involved in the story and what I have to tell happened exactly as you’ll see it - the only change will be that when the Apaches speak, they will speak in our language. What took place is part of the history of Arizona and it began for me here where you see me riding... » récite avec douceur et calme une voix off alors que l’on aperçoit, point minuscule isolé au milieu de majestueux paysages, un cavalier s’avancer vers nous. Il s’agit de Tom Jeffords, autrement dit James Stewart qui commençait sa carrière westernienne en cette année 1950 avec deux grands classiques, l’autre étant le superbe Winchester 73 d’Anthony Mann. Cantonné jusqu’à présent, et la plupart du temps, dans la comédie (dramatique ou non), la carrière de l’acteur allait désormais prendre une toute autre tournure. Après avoir illuminé les films de Capra ou de Lubitsch, il allait, tout au long des deux décennies suivantes, interpréter des personnages plus sombres, torturés et complexes dans les plus grands chefs-d’œuvre d’Anthony Mann, Alfred Hitchcock et John Ford. Une évolution de carrière magistrale annoncée par la scène finale de La Flèche brisée au cours de laquelle, par la force de son simple regard, l’acteur exprime, sans en faire de trop, une immense détresse et une colère contenue qui pourrait facilement se transformer en une violence incontrôlable : on y pressent les futurs et inoubliables personnages qui auront pour nom Glyn McLintock, Howard Kemp, Jeff Webster, Scottie Ferguson ou Ransom Stoddard.

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Tom Jeffords, le héros de cette histoire, était en réalité surintendant de la poste entre Fort Bowie et Tucson. En seize mois, il avait du enterrer plus d’une vingtaine de ses employés massacrés par Cochise. C’est pourtant lui qui ira trouver seul ce dernier ; après avoir rétabli un semblant de paix, tous deux deviendront frères de sang (d’où le titre Blood Brother du roman original relatant cette période de l’histoire américaine et narrant des faits s’étendant bien après ce que nous raconte le film). Dans le contexte de la production des westerns à cette époque, Broken Arrow parut comme révolutionnaire car on voulut y voir le premier western totalement pro indien ; ce qui est un peu abusif car, comme nous le dit JeanLouis Rieupeyrout ayant pu juger sur pièces, certains films déjà à l’époque du cinéma muet défendirent exactement le même point de vue (The Red Man and the Child, Indian Land Grab, Braveheart Braveheart) ; il en fut de même avec Massacre en 1934. Ces films ayant totalement disparu de la circulation, la grande majorité des spectateurs et des critiques n’ont pu en avoir connaissance. Mais n’oublions pas John Ford qui, les deux années qui précédèrent le tournage de Broken Arrow Arrow, amorça réellement ce revirement d’Hollywood envers les Indiens à travers ces deux chefs-d’œuvre que furent Fort Apache et She Wore a

Yellow Ribbon (La Charge héroïque). Mais c’est tout à l’honneur de ce généreux chantre de l’antiracisme qu’était Delmer Daves d’avoir réalisé le film qui allait traîner dans son sillon une tripotée d’autres westerns réhabilitant totalement ce peuple jusqu’ici la plupart du temps utilisé comme un réservoir de “méchants et sauvages de service”. « J’aime beaucoup Broken Arrow parce que j’ai pu montrer dans cette œuvre l’Indien comme un homme d’honneur et de principes, comme un être humain et non comme une brute sanguinaire. C’était la première fois qu’on le faisait parler comme un homme civilisé parlerait à son peuple, de ses problèmes et de son avenir. L’ONU décerna des louanges considérables à ce film parce qu’il présentait un monde où les gens en conflit se respectaient. L’on trouvait des salauds chez les blancs, mais aussi des types recommandables, de même qu’il y avait des Indiens faméliques mais aussi des hommes en qui l’on pouvait avoir confiance. Une vérité première… À partir de ce moment, Hollywood cessa de peindre les Indiens comme des sauvages » raconte le réalisateur à Bertrand Tavernier dans Amis américains (Edition Actes Sud). En effet, aucun manichéisme dans son film puisque dans un camp comme dans l’autre, on y trouve des âmes droites et sincères ainsi que des gens fourbes et belliqueux. Si la négociation entamée entre blancs et Indiens ne connut pas la prospérité souhaitée, elle prouva néanmoins la présence de part et d’autres d’âmes loyales et désirant ardemment l’arrêt des conflits et du sang versé. Broken Arrow est l’histoire de trois hommes rêvant de vivre sous le signe symbolique et pacifique de la Flèche brisée. Outre Cochise et Tom Jeffords, il y eut aussi Howard, ce général chrétien qui prouvait que l’armée n’était pas composée que d’assoiffés de sang comme Custer. Certains iront critiquer le fait que les Apaches parlent anglais mais dès la première scène, la voixoff prévient les spectateurs de ce fait. Souhaitant toucher le plus de monde possible, Delmer Daves a choisi de suivre les contingences plus ou moins imposées de l’époque, les sous-titres n’étant encore alors pas très bien vus. Bertrand Tavernier, plutôt que de parler de parti pris, évoque une certaine “licence poétique” faisant le parallèle avec Hamlet ne parlant jamais danois. Il en va de même pour le choix d’acteurs blancs pour interpréter les Indiens principaux ; suivront tout au long de la décennie Burt Lancaster dans Bronco Apache d’Aldrich, Charles Bronson dans L’Aigle solitaire de Daves, Robert Taylor dans La Porte du diable de Mann… Effectivement, l’important ne se situe pas à ce niveau : « Je fais des films et des westerns pour les gens dont il est question dans ces films… C’est une joie d’être honnête vis-à-vis de la vérité… Je veux faire comprendre et comprendre c’est d’abord aimer. » Delmer Daves, qui avait depuis l’adolescence effectué des séjours dans les camps des Navajos Hopi, sait de quoi il parle ; sa connaissance intime


des mœurs et coutumes de ce peuple lui permet de nous livrer un remarquable document ethnologique et à travers la vision qu’en a le médiateur blanc, il est le premier à nous montrer les Indiens dans leur vie quotidienne. Ces séquences descriptives sont tellement belles qu’on regrette d’ailleurs que le réalisateur ne se soit pas appesanti plus longuement sur elles comme le fera William Wellman l’année suivante dans le sublime Across the Wide Missouri (Au-delà du Missouri) qui pourtant ne dure qu’à peine 75 minutes. Pour que Broken Arrow me fasse autant jubiler, il aurait peut-être fallu qu’il dure une heure de plus, ce qui paraît plutôt inconcevable pour l’époque. Car là où Wellman pouvait se permettre de prendre son temps, son film se révélant être une chronique, Daves ne le pouvait pas ayant à raconter aussi et simultanément tout un pan d’Histoire. Bref, il existe un certain déséquilibre dans le scénario qui m’a empêché de réellement m’attacher aux personnages ; une succession de scènes longuement dialoguées et d’étonnantes ellipses qui rendent l’intrigue un peu saccadée, manquant d’ampleur et d’intensité. Mais arrêtons là les critiques car la générosité du propos devrait honnêtement balayer ces défauts ; historiquement, Broken Arrow demeure une date très importante pour le cinéma. Delmer Daves, avec son humanisme généreux et sa profonde honnêteté morale, plaide avec une sincérité qu’il est difficile de prendre en défaut la réconciliation des antagonismes, aborde avec respect et dignité le traitement du problème indien et combat comme il l’a toujours fait toute idée de supériorité raciale. Il cherche à exalter la noblesse et la beauté de ses héros simples, généreux et de bonne volonté qui auront toutefois à lutter contre des moulins à vent, la violence étant tapie au détour d’un chemin, d’un buisson, d’un rocher et surgissant avec une crudité et une force redoutables (fabuleuse séquence de l’attaque de la diligence par Geronimo). La meilleure bonne volonté du monde arrivera difficilement à bout de la haine et des rancœurs. D’autres chefs apaches (pas forcément pour de mauvaises raisons d’ailleurs) tels Vittorio, Nana, Nachez, Chato ou Geronimo continuèrent le combat. Le choc que provoque la confrontation de scènes douces, lyriques et tendres (que sont celles vraiment magnifiques entre James Stewart et Debra Paget) avec ces quelques accès de fureur est une des constantes du style de Daves et l’un de ses traits de génie qui prendra toute son ampleur dans ses trois westerns consécutifs, sommets de son œuvre, composés de The Last Wagon, Jubal et 3h10 pour Yuma. Broken Arrow était le dixième film de Delmer Daves et ce dernier fut dès lors catalogué comme le cinéaste antiraciste d’Hollywood. À tel point qu’ensuite, ses contrats formulaient qu’il devrait désormais toujours raconter des histoires d’amour entre des gens de races différentes ! Les séquences de La Flèche brisée consacrées à l’histoire d’amour étaient à l’origine les

passages les plus remarquables du film : une sorte d’idylle simple et lyrique qui voyait son point d’orgue dans la sublime séquence de la nuit de noces portée par un déchirant thème d’amour de Hugo Friedhofer ; on y voyait cette sublime image des nouveaux époux monter de superbes chevaux blancs les conduisant à leur tipi. Instant magique qui démontre le talent plastique incomparable de Daves. De même, le respect mutuel et l’amitié naissante entre Cochise (excellent Jeff Chandler qui endossera encore deux fois la défroque du chef apache dans des westerns de George Sherman et Douglas Sirk) et Jeffords était décrite avec une profonde tendresse. Daves fut en général plus à son aise dans la “chronique” que dans l’historique (témoin son bancal et pourtant très honorable et très intéressant Drum Beat Beat). « Ecoute mon frère. Il faut accepter que les militaires respectent la paix. Geronimo ne valait pas mieux que ces blancs. Je porte le fardeau de leur traîtrise, porte celui de cette mort (As I bear the murder of my people, so you will bear the murder of your wife). Cochise est fidèle à son peuple. Personne ici ne rompra la paix, pas même toi. » Quel plus beau message de réconciliation, quelle plus belle conclusion pouvaient nous offrir le cinéaste et le scénariste ? La paix avant toute autre considération surtout quand il pourrait s’agir d’une simple et inutile vengeance. Voilà les dernières paroles d’un film foncièrement honnête, qui annonce une des plus belles et plus sensibles filmographies westerniennes de l’histoire du cinéma, celle de Delmer Daves. Jeremy Fox

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www.critikat.com/La-Fleche-brisee.html 18 mars 2008

Nouvel Éden

La Flèche brisée réalisé par Delmer Daves

Réalisé en 1949, et sorti avec un an de retard aux États-Unis, La Flèche brisée marque le retour de James Stewart au western après une dizaine d’année d’éloignement du genre. Si le film est avant tout connu pour la prise de position pro-Indienne de son scénario, le travail du réalisation de Delmer Daves n’est aucunement à négliger : La Flèche brisée reste grâce à eux, des décennies après sa sortie, un grand film subversif. À la fin du XIXe siècle, la guerre fait toujours rage entre les indiens natifs de la région des Dragoon Mountains, dans la région actuelle entre l’Arizona et le nord du Mexique. C’est dans ces monts que s’est réfugié le chef indien Cochise, qui commande aux tribus apaches, et qui mènent la vie très dure aux colons blancs locaux. Dégoûté de ce qu’il a vu des conflits entre Indiens et Blancs, le capitaine Jeffords (James Stewart) va tenter de mener une négociation pour la paix entre les deux peuples. Mais entre les Blancs qui ne voient Cochise et son peuple que comme un ramassis d’assassins, et les Indiens qui refusent de céder à la colonisation blanche, la trêve ne se négocie pas sans douleur.

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« C’est l’histoire d’un territoire, de ceux qui y vivaient en 1870, et d’un homme dont le nom était Cochise. Il était indien – le chef de la tribu apache des Chiricahua. J’ai pris part à cette histoire et ce que je m’apprête à vous dire advint exactement comme vous allez le voir – le seul changement sera que, lorsque les Apaches parlent, ils parleront dans notre langue. Ce qui se passa fait partie de l’histoire de l’Arizona et cela commença ici, à l’endroit où vous me voyez chevaucher. » Ainsi commence La Flèche brisée, avec le capitaine Tom Jeffords (James Stewart) en voix off, qui met ainsi les choses au point : ce que nous allons voir est une histoire vraie – si ce n’est que les Indiens y parleront en anglais. Entrer dans un western avec l’assurance que l’histoire en est réelle impliquerait-il que les autres films du genre ne le sont pas ? Ce serait aller trop loin peut-être, mais il est indéniable que La Flèche brisée se démarque dès son début des histoires traditionnelles du genre, opposant Blancs et Indiens. La voix de Stewart, largement présente tout au long du film, ne possède même pas le ton conquérant que l’on attendrait. C’est la voix d’un homme lassé, mais pas encore revenu suffisamment de tout pour laisser mourir devant lui un jeune Apache. Le jeune homme criblé de balle qui se traîne sur le sable, sous les yeux de

Jeffords, attire d’emblée sa sympathie, surtout parce qu’il est la victime symbolique d’un conflit que l’on sent devenu insensé pour Jeffords. Qu’est-il advenu du cowboy conquérant, de l’homme seul en butte à un monde hostile avec pour seuls atouts sa monture, ses armes et le sentiment profond que la conquête qu’il mène est juste ? Jeffords n’est aucunement la figure habituelle du héros de western, semble-t-il. Désabusé, prompt à renvoyer dos à dos Blancs et Indiens, coupables selon lui des mêmes fautes, il pourrait apparaître lâche, couard, une figure du traître intéressé. Mais la force du personnage écrit par le scénariste Albert Maltz est qu’il n’est rien d’autre qu’un héros de western traditionnel. Seulement, le monde hostile auquel il est en but n’est ni la nature indomptée, ni les peuplades indigènes, mais bien le monde imposé par l’homme blanc, celui d’une exploitation éhontée d’une terre qui n’est pas sienne. Sa lassitude, sa conscience des fautes de ses congénères ne sont pas sans rappeler les grandes figures de la probité morale face à l’absurdité du nombre que sont les personnages principaux des Sentiers de la gloire ou de La Ligne rouge. Mais à la différence du colonel Dax et du soldat Tella, Jeffords se voit proposer une échappatoire. C’est ainsi que, reprenant la lettre des codes du western, La Flèche brisée propose à son protagoniste une terre vierge, à conquérir, une nouvelle place d’où repartir : rien moins que l’Éden. Sonseeahray (Debra Paget), la jeune Indienne qu’il rencontre lorsqu’il se rend au camp de Cochise, et dont il tombe amoureux, est non pas l’Ève de cet Éden renouvelé, mais bien la Lilith de cet endroit. Elle est son égal, non sa subordonnée, et celle qui permet à Jeffords de faire volte-face dans son chemin vers l’autodestruction, tant il est vrai que son geste de se rendre chez les Apaches pour négocier possède une véritable dimension suicidaire. On pourrait qualifier la relation de Sonseeahray et Jeffors de trop simple, trop évidente, mais c’est la grandiloquence romanesque de leur sacrifice à tous les deux – puisqu’en acceptant de s’épouser, ils se condamnent à une vie de parias – qui fait tout son prix. Subvertissant encore une fois le code du western, qui ravale traditionnellement la femme à un rang inférieur même au cheval du héros du genre, le scénario de Maltz élève la femme au rang de force expiatoire, de la même façon que son séjour chez les Apaches aura l’effet d’une résurrection sur Jeffords. « J’ai cru que tu t’écorchais vif », s’écrit la jeune femme lorsqu’elle aperçoit Tom Jeffords se rasant pour la première fois : non seulement les Indiens apparaissent comme plus tolérants, plus enclins au dialogue, mais encore ils possèdent la pureté,


la candeur d’avant la chute, d’avant l’arrivée de la barbarie dans la vie de l’homme européen. La photographie d’Ernest Palmer accompagne ce sentiment de pureté : si Debra Paget et Jeff Chandler – qui interprète d’une façon magistrale le rôle du chef apache Cochise – ne sont pas natifs américains, le maquillage, les tons parfois outranciers des couleurs de l’image effacent en eux toute trace d’appartenance à la race européenne. De la même façon, un grand soin est accordé aux scènes se déroulant auprès des Indiens, quitte à parfois briser le rythme attendu dans un western (avec notamment la très belle scène de la danse le premier soir). À tout prendre, La Flèche brisée est avant tout un film tout en lenteur, excepté lors des scènes se déroulant chez les Blancs. Nombreuses sont elles où les confrontations virent à l’agressivité. Les regards, les attitudes, la mise en scène des lieux mêmes brisent l’harmonie des lignes structurelles de l’écran. Chez les Indiens, au contraire, un soin est apporté à l’équilibre dans l’image renforçant encore l’impression d’assister à des scènes sises dans un éden oublié. Ainsi, la mise en scène de l’arrivée de Jeffords chez les Indiens est extrêmement symptomatique d’un retournement de valeur : de figure centrale du récit, le cowboy devient la proie inquiète d’Indiens dont il ressent à peine la présence, pour finir par accéder à l’inexpugnable camp de Cochise. Là, à l’entrée de ce qui deviendra pour lui (et pour les Américains, puisque ce faisant, il pose la première pierre de l’entrée de l’homme blanc dans cette région) l’endroit de la renaissance, Jeffords apparaît à l’écran écrasé par la nature : deux piliers de pierre l’entourent, un ciel d’un bleu pur l’écrase – lui n’est qu’une fourmi, en regard d’une nature inviolée par le Blanc. Ici, comme ailleurs, l’homme blanc n’est pas le maître qu’il voudrait être, et c’est à la fois l’apprentissage de l’humilité et la capacité à faire les premiers pas vers l’autre qui assureront sa survie. On est alors bien loin des cowboys univoques, monolithiques et conquérants qui sont la tradition du genre. On peut reprocher à La Flèche brisée son manque d’exactitude historique, notamment en ce qui concerne une autre grande figure indienne présente dans le film, Geronimo. Le doute est légitimement permis quant au fait que celui-ci n’ait été qu’un chien fou arrogant. De la même façon, Cochise reste une figure très idéalisée du « bon sauvage », du sauvage tolérant – mais peu importe, finalement. La Flèche Brisée n’est finalement pas un film sur la véritable histoire des Indiens, mais plutôt sur la véritable histoire des Blancs qui les combattirent. Que les Indiens soient dessinés à grands traits peut-être vu, finalement, comme l’expiation des portraits de sauvages sanguinaires auxquels ils

étaient auparavant habitués. Le slogan du film, à l’époque de sa sortie aux États-Unis, disait : « Le cinéma peut être fier de ce film... Aujourd’hui... Demain... À une génération de nous... » Ne s’accorder avec cette affirmation que parce que l’histoire de Sonseeahray et de Tom Jeffords est bouleversante serait facile, et ce serait surtout oublier l’hymne à la tolérance et à l’humilité que La Flèche brisée adressait à l’Amérique d’alors, où il était toujours de bon ton de considérer tout ce qui n’était pas W.A.S.P. comme une soushumanité. Le fait qu’Albert Maltz, scénariste du film, ait été à ce moment-là déjà présent sur la liste noire du maccarthysme est probablement une preuve suffisante de la subversion latente qui baigne La Flèche brisée. Vincent Avenel

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www.tortillafilms.com La Flèche Brisée n’est pas un western comme les autres. Bardé de récompenses, sa renommée est en partie due au fait qu’il soit le premier western à adopter un point de vue pro indiens, se basant sur un livre d’Elliott Arnold, lui-même basé sur des faits réels (avec quelques libertés tout de même). Mais bien entendu, cela ne s’arrête pas là. En lui-même, le film se révèle également profondément intelligent, réfléchi et bien conçu, doté en outre de la couleur, chose non systématique en 1950 et qui permet ici de magnifier le désert d’Arizona. Pour le personnage de Tom Jeffords, le médiateur entre les deux camps en lutte, Delmer Daves choisit l’acteur qui incarnait probablement à l’époque la plus grande foi en la paix et en la justice dans ce qu’elle a de plus noble (voire d’utopique) : le grand James Stewart, alors en phase de diversification des rôles.

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Tout cela mène donc a un film profondément pacifiste, qui, si il adopte certes le point de vue des indiens, ne tombe pourtant jamais dans le manichéisme. Ainsi, dès sa première scène, lorsque Tom Jeffords porte secours au jeune indien blessé, le film ne s’intéresse pas à la guerre en elle-même, mais à son influence sur les hommes. D’abord réticent, l’indien acceptera l’aide de celui qu’il croyait son ennemi. Il ira jusqu’à le glorifier au sein de sa tribu, qui, ainsi, l’épargnera malgré son incursion en territoire apache. À mille lieux de l’image traditionnelle du sauvage immoral que l’on prêtait alors aux indiens, et qui trouve écho dans les dialogues au sein de la communauté blanche, lorsque Jeffords rentre chez lui sain et sauf. Une image de sauvages qui, on peut le deviner au travers de ces dialogues, remontent à de lointaines considérations d’attaques et de vengeances qui se sont perdues et dont l’origine et les fautifs se perdent eux-mêmes dans le fil de l’histoire, sans que pour autant le conflit en lui-même ne s’en soit trouvé amoindri, bien au contraire. Démontrant ainsi que cette image de l’indien sauvage est aussi erronée que celle du blanc systématiquement corrompu, Delmer Daves appelle d’emblée à plus de compréhension. Chose que les mentalités blanches refusent de comprendre, jusqu’à en menacer Tom Jeffords de pendaison pour sympathie envers l’ennemi. Pourtant, c’est bien la courte expérience vécue par Jeffords au sein du groupe apache qui l’a convaincu du bon sens des indiens, aussi peu immoraux qu’il ne l’est lui-même. C’est ainsi qu’il va tenter de souder les liens entre les deux peuples, risquant sa peau d’un côté comme de l’autre. Si les indiens l’accueillent favorablement quoiqu’un peu suspicieusement, en revanche les blancs seront nettement plus difficiles à convaincre, et il faudra l’intervention des autorités militaires et même présidentielles pour favoriser son entreprise de paix. Une entreprise qui ne peut qu’être longue et fastidieuse à la vue de l’enracinement du conflit, mais qui n’est pas insurmontable. Commençant modestement par l’autorisation aux messageries postales de circuler en terres indiennes, les négociations vont petit à petit s’influencer suite

aux premiers succès rencontrés pour aboutir à l’objectif d’un traité de paix qui serait ratifié par Cochise, le chef apache, et le général Oliver Howard (personnage ayant réellement existé, tout comme Cochise, et qui effectivement négocia avec les apaches). La principale raison de ces succès n’est certainement pas militaire, mais avant tout humaine. Vivant de façon très proche avec les apaches, appréhendant leur culture et partageant avec eux sa culture propre, Jeffords prône véritablement l’amitié comme solution politique. Symbole de cet échange, la liaison qu’il nouera avec une jeune apache (Debra Paget, qui douze ans plus tard participa par deux fois au cycle Poe de Roger Corman). Une liaison pleine d’échanges, fructueuse et qui n’est pourtant pas le fruit de la symbolique, mais bien des sentiments. Malgré tout, Daves ne verse pas dans l’illusion, et le cheminement vers la paix ne vient pas naturellement mais sera parsemé d’embûches. Daves mettra notamment en avant le fait que tout groupe humain possède ses irréductibles. Certains chefs apaches (menés par un certain Geronimo) sous les ordres de Cochise refuseront le traité, comme toujours en se basant sur un passé militaire et non sur un présent humain, et s’en iront en renégats, bafouant ce que leur ancien chef a accepté pour la paix. Du côté des blancs, la vieille image des sauvages indiens ne sera pas non plus effacée, et là aussi les extrémistes feront parler la poudre. Jusqu’à l’histoire d’amour, qui sera elle-même parasitée par un prétendant éconduit de la belle Sonseeahray. Bref dans toute nouvelle alliance, les ressentiments, les vieux préjugés et les ego se poseront toujours irrémédiablement en obstacles et tenteront de faire échouer le processus de paix. Mais le film nous enseigne que malgré toutes les exactions commises par ces extrémistes, la paix reste possible si la volonté y est. Au-delà de son aspect historique et de la réconciliation entre indiens et blancs américains, La Flèche Brisée (tout un titre symbole de paix en soit) concerne bien des conflits ayant existés. Conflit national comme ici (le film présentant en outre une situation que l’on peut retrouver ailleurs : Irlande, Palestine...) ou international (la guerre froide en vigueur à l’époque). Sans tomber dans l’optimisme béat, sans faire oublier les difficultés, Delmer Daves montre que la politique se doit avant tout d’être au services de tous les hommes, et non pas diviser ceux-ci sous des motifs aussi vagues et infondés que le passé de leur communauté, la couleur de leur peau ou les considérations territoriales. Pour surmonter ce clivage, La Flèche Brisée prône l’amitié, la coopération, la confiance mutuelle et le partage culturel et humain. Un film réalisé en 1950 dont le propos ne ferait certainement pas tâche à notre époque où le refus de connaître “l’autre” et où l’extrêmisme est de mise. Utopique, peut-être, mais certainement très pertinent. Loïc Blavier


http://tepepa.blogspot.com/2009/06/la-fleche-brisee.html 12 juin 2009 La Flèche Brisée est le film du mois sur Western Movies, l’occasion pour moi de redécouvrir ce western mythique. Pourquoi mythique ? Parce qu’il est considéré comme le premier western « pro-indien », le premier western à dépeindre les indiens non pas comme des hordes sanguinaires et cruelles, ou comme un simple danger rôdant, mais comme un peuple, avec ses coutumes, ses traditions, son sens de la parole et de l’honneur. Succès retentissant à l’époque de sa sortie, La flèche brisée est désormais le jalon à partir duquel les WASP prennent soudain conscience que les indiens sont human after all, arrêtent de produire des serials où les apaches tournent autour des chariots en criant wouhou et commencent à se flageller consciencieusement en produisant des films comme Soldat Bleu ou Little Big Man dans lesquels le blanc est une ordure raciste et les Tuniques bleues d’immondes monstres qui massacrent squaw et papoose comme on massacre des bébés phoques, tout en évoquant par ce biais, une autre guerre, plus contemporaine des années 60 et 70. Mais comme on a déjà pu le dire ici, cette vision est largement caricaturale, les américains n’ayant pas attendu si longtemps pour s’émouvoir de la disparition de tout un peuple. Ce qui fait que non seulement la réputation du film est usurpée, mais en outre, les belles intentions du réalisateur tombent un peu à plat. En effet, se poser en bon moralisateur et en défenseur de la cause indienne 60 ans après Wounded Knee, en faisant jouer tous les rôles indiens par des blancs, c’est mieux que rien mais ça a dû quand même froisser quelque peu les rescapés de l’autre camp. Avoir une approche pédagogique en nous montrant toutes les étapes du mariage, le conseil de guerre ainsi que les tortures dans un souci louable de ne pas faire passer les Apaches pour des enfants de cœur, fort bien, mais avec presque 60 ans supplémentaires qui sont passés depuis la sortie du film, la théâtralité surannée, la solennité de leurs poses, leur communication basée sur des métaphores visuelles, le tout associé à une fâcheuse tendance à l’exotisme font que malgré tous les efforts de l’équipe, la représentation des indiens ressemble plus désormais à un foutage de gueule généralisé qu’à un hommage sérieux rendu au peuple indien. Pour ainsi dire, quelqu’un de non préparé qui regarderait ce film après Danse avec les loups risquerait bien de se marrer un bon coup tant les costumes des indiens manquent de crédibilité. Pour autant, le film - bien que largement parasité par le message plein de bonnes intentions du film, les dialogues prévisibles sur le mode «De quel coté es-tu?» et la découverte pataude aux visibles ficelles que les indiens sont cools et civilisés – n’est pas complètement mauvais. Les vingt premières minutes sont très prenantes, en fait tant que les indiens sont encore une menace imprécise, tant que Jeff Chandler en Cochise conserve une aura inquiétante. Les efforts authentiquement historiques de Jeffords (James

Stewart) pour faire passer le courrier ainsi que la rébellion de Geronimo sont autant de moments forts et bien rendus. L’embuscade finale également, est non seulement inattendue, mais plutôt bien menée : on constate d’abord que Cochise est le héros du film à égalité avec Jeffords, puisque le principal de l’action est porté sur lui, tuant au couteau et à la flèche. J’aime le regard du blanc qui regarde son fils tomber une flèche dans le ventre, la caméra qui s’attarde sur le père, tué au couteau, charrié par les eaux, le tireur embusqué qui hurle qu’il ne peut pas tirer parce que ses potes sont dans la ligne de tir (ce petit coté «humain» dans les fusillades, où même les salauds sont attentifs à la sécurité des leurs est malheureusement trop absent du western italien où l’humanité des victimes et des tireurs est totalement niée au profit du seul esthétisme de la scène), ce joli plan en contrejour et contreplongée de l’un des tireurs, ce petit cri de Sunsiareeh quand Jeffords se prend sa deuxième balle, ce petit cri qui dit tout, et bien sûr Jeffords qui réalise la mort de sa belle, et le discours de Cochise, étonnant de bon sens malgré l’excellente répartie de Jeffords «Speak to her!», tout cela me touche. Mais tout cela ne fait pas un très bon film non plus. L’attaque des chariots, poussive, datée alors que certaines attaques que j’ai pu voir dans les serials des années 30 paraissent plus inventives, l’attaque de la diligence avec les flèches misérables qui volent mollement avant de faire ploc par terre sont déjà le signe que le film a très mal vieilli. Et surtout, l’idylle entre Jeffords et Sunsiareeh (Debra Paget) plombe totalement le film, chiante au possible, noyée dans une mélasse de violons insupportables, sans qu’à aucun réel moment on n’ait envie de s’intéresser au devenir de ce couple dont l’enjeu interracial ne fait plus mouche aujourd’hui. Comme ces deux là ont environ un bon tiers du film ensemble à blablater sans se toucher, c’est un tiers du film sans intérêt, un tiers du film à regarder sa montre. Un tiers du film pesant qui casse le rythme d’une intrigue déjà largement parasitée par les signaux verts clignotant de la bonne conscience américaine en action, ça en devient presque un miracle que La Flèche Brisée puisse malgré tout être encore vu comme un western correct qui se suit sans déplaisir. Publié par Tepepa à 14:50 Libellés : Années 1950, Delmer Daves, James Stewart, Jeff Chandler, western américain

7


Jacques Lourcelles Dictionnaire du cinéma / Laffont

« Un des plus beaux westerns et le film préféré de son auteur. Dans l’histoire du genre, La Flèche brisée est le plus important des films ayant contribué à ce que soit reconsidéré, avec respect et dignité, le traitement du problème indien… Les mérites du film sont en effet la résultante de la profonde honnêteté morale de l’auteur et de sa connaissance approfondie du sujet… Le lyrisme de Daves et son talent plastique… expriment concrètement la dualité du sujet traité : ce qui aurait pu être (le bonheur parfait des deux héros ayant franchi tous les obstacles s’opposant à leur union) et ce qui a réellement été (l’extrême fragilité et la destruction de ce bonheur). Son œuvre, toujours très informée et documentée, contient aussi une part de rêverie, indispensable à l’homme. »

8

Patrick Brion Le Western, 1988

« L’année 1950 marque une véritable prise de conscience dans l’histoire du western. La porte du diable d’Anthony Mann dénonce la spoliation par des affairistes d’un Indien, héros de la guerre. La Flèche Brisée révèle avec la douloureuse sensibilité propre à son metteur en scène que les Indiens et les blancs auraient pu vivre en paix s’il n’y avait pas eu – de chaque côté – des extrémistes dévoyés par le racisme ou par leur goût pour la guerre. Sans chevauchées tapageuses, ni violences outrancières, le film s’attache à l’amour de deux êtres, à la valeur de l’amitié et à la beauté des paysages. Tout pourrait être idyllique s’il n’y avait pas la haine et l’intolérance de certains… »


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