Evaluation du Programme Régionale en Economie Circulaire de la Région de Bruxelles-Capitale

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Evaluation du Programme Régionale en Economie Circulaire de la Région de Bruxelles-Capitale Un regard académique sur le programme initial et les réalisations (2016-2018)

Octobre 2018

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Evaluation du Programme Régionale en Economie Circulaire de la Région de Bruxelles-Capitale Un regard académique sur le programme initial et les réalisations (2016-2018)

Résumé Ce document présente les résultats d’une évaluation du programme régional en économie circulaire et ses réalisations depuis 2016. Pour réaliser ces évaluations, la Chaire en Economie Circulaire et Métabolisme Urbain (Chair Circular Metabolism) a mobilisé deux experts universitaires de renommée internationale en matière d’économie circulaire : Jean-Baptiste Bahers de l’Université de Nantes et Franck Scherrer de l’Université de Montréal. Pour faciliter la transposition de l’apport des évaluateurs dans la nouvelle phase du Programme Régional, nous proposons une synthèse des points d’attention soulevés dans les évaluations. Nous proposons également deux nouvelles mesures qui pourraient répondre à la plupart des faiblesses mentionnées par les évaluateurs et ainsi améliorer substantiellement le programme régional durant cette deuxième phase.

Abstract This document presents the results of an evaluation of Brussels’ Regional Program for Circular Economy and its achievements since 2016. To carry out these evaluations, the Chair for Circular Economy and Metabolism (Chair Circular Metabolism) mobilized two academic experts of international renown in the field of circular economy: Jean-Baptiste Bahers from the University of Nantes and Franck Scherrer from the University of Montreal. To facilitate the transposition of the evaluators' input into the new phase of the Regional Program, this document contains a summary of the main points of attention raised in the external evaluations. We also propose two new measures that could address most of the weaknesses mentioned by the evaluators and thus substantially improve the regional program during this second phase.

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Contenu RESUME

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ABSTRACT 2 1.

DESCRIPTION DE LA DEMARCHE

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2. REGARD CRITIQUE SUR LE PROGRAMME PAR JEAN-BAPTISTE BAHERS 6 (UNIVERSITE DE RENNES) 3. REGARD EXTERIEUR SUR LE PREC ET SON EVALUATION A MI-PARCOURS PAR FRANCK SCHERRER (UNIVERSITE DE MONTREAL) 12 4.

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SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS 18


1. Description de la démarche Aristide Athanassiadis et Stephan Kampelmann

En 2016, la Région Bruxelloise s’est dotée d’un programme ambitieux pour promouvoir la transition de son économie vers une économie plus circulaire. Ce PREC, que les autorités préfèrent désormais d’appeler « Be Circular », prolonge certains traits de l’Alliance Emploi-Environnement – comme l’idée d’une symbiose entre objectifs et enjeux économiques et environnementaux et l’accent sur les dynamiques coopératives et multi-acteurs – mais y en à rajouter beaucoup d’autres. Parmi les nombreuses réalisations depuis 2016, on peut citer l’appel à projet – aussi nommé « Be Circular » - comme une mesure qui a réussi d’activer un grand nombre de petites entreprises, d’indépendants et d’associations dans le montage des projets en économie circulaire. Puisque le PREC a été conçu pour durer jusqu’en 2020, l’année 2018 marque donc le moment à mi-chemin entre le début et la fin de l’actuelle programmation. L’architecture du PREC a laissé beaucoup de flexibilité à l’émergence de nouvelles actions. Il s’agit donc aussi d’un moment charnière pouvant donner naissance à de nouvelles impulsions, un nouveau souffle ou une réorientation de certains dynamiques. En définitif, il s’agit d’un moment nécessitant une évaluation des réalisations qui ont été mise en place durant les deux premières années et une réflexion sur le futur déploiement de l’économie circulaire jusqu’à 2020 et au-delà. Une telle évaluation gagne en pertinence et en validité si elle dépasse le cercle de personnes qui sont directement impliqué dans le pilotage du programme. Cette observation est une des raisons pour laquelle la région a décidé de financer, par le biais d’Innoviris, la Chaire en Economie Circulaire et Métabolisme Urbain. En effet, une des missions de notre Chaire est d’apporter un regard externe, plus critique car émanant de la position plus – mais pas totalement – en recul des chercheurs universitaires en économie circulaire. C’est donc avec plaisir et enthousiasme que nous avons participé à ce défi de l’évaluation du PREC/Be Circular. Mais au lieu de se baser uniquement sur notre propre lecture des réalisations du programme (qui pourrait être également biaisée), nous nous sommes appropriés de l’idée de Bruxelles Environnement d’également solliciter des regards académiques externes. Par conséquent, nous avons demandé à trois experts universitaires de renommée internationales d’effectuer une lecture critique du programme bruxellois : Dominique Bourg (Université de Lausanne), Jean-Baptiste Bahers (Université de Nantes) et Franck Scherrer (Université de Montréal). A l’arrivée, ce sont les deux derniers qui ont répondu à notre demande et nous ont transmis, au courant de l’été 2018, un texte portant sur leur regard externe par rapport au programme bruxellois. Ces évaluations se sont principalement basées sur deux documents : le texte du programme initial, y compris la description des axes thématiques, des mesures, de la gouvernance du dispositif et les réflexions et études qui ont précédés le programme régional ; et l’évaluation « interne » des

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réalisations de ce programme au cours des premières deux années rédigées par les administrations régionales. Malgré leurs statuts d’experts internationaux en économie circulaire, les deux évaluateurs soulignent d’emblée la difficulté de l’exercice. Ces difficultés sont en partie dûes au caractère novateur et original du programme bruxellois, ce qui fait qu’il existe peu de référence ou points de comparaison qui permettrait d’en évaluer la performance. Ensuite, et de manière plus générale, l’évaluation des programmes publics transversaux comme le PREC est un exercice peu commun pour lesquels il existe peu d’outils ou de méthodes établis. Ceci étant dit, les deux évaluateurs ont mis en profit leur grande expérience dans l’analyse de l’économie circulaire et de projets publics, ce qui a permis de mettre en exergue un grand nombre de points forts de la dynamique bruxelloise, mais aussi un certain nombre de points d’attention que le lecteur peut découvrir dans ce document. Souhaitant que ces évaluations dépassent l’exercice académique et qu’elles informent directement la suite du programme régionale en économie circulaire, nous avons listé les principaux points d’attention présentés par les deux évaluateurs dans la dernière section de ce document. Sur base de ceux-ci, nous proposons également deux nouvelles mesures qui pourraient répondre à la plupart des faiblesses mentionnées par les évaluateurs et ainsi améliorer substantiellement le programme régional. Nos recommandations ont bénéficié des discussions avec les évaluateurs externes et les membres du comité de suivi de la Chaire ; nous tenons de les remercier ici pour leurs temps et contributions constructives et intelligentes. Le contenu de ces recommandations n’engagent cependant que les auteurs.

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2. Regard critique sur le programme par Jean-Baptiste Bahers (Université de Nantes)

Jean-Baptiste Bahers a suivi une formation d’Ingénieur des Systèmes Industriels et Environnement et un Master Développement Durable et Management Environnemental de l’Université de Technologie de Troyes (UTT). En 2012, sa thèse de doctorat porte sur les dynamiques des filières de récupération-recyclage et écologie territoriale en MidiPyrénées. Depuis 2013, il était Enseignant-Chercheur en évaluation environnementale et écologie territoriale à l’École des Métiers de l’Environnement (EME) de Rennes et responsable pédagogique du Mastère spécialisé (label CGE) en Economie circulaire. Actuellement, il est chargé de recherche CNRS (Section interdisciplinaire 52 "Environnements-sociétés") dans le Laboratoire Espaces et Sociétés de Université de Nantes. Jean-Baptiste est membre du comité de rédaction de la revue FLUX. Lien : https://perso.univ-rennes2.fr/jean.baptiste.bahers

Préambule Je tiens à vous remercier pour cette opportunité très enrichissante de réaliser ce travail d’analyse du programme. Cette tâche est toute nouvelle me concernant, car si j’ai souvent l’occasion d’évaluer des projets ou publications scientifiques, je ne n’ai jamais évalué de politiques publiques ou de plans territoriaux. Mon champ d’expertise scientifique est surtout orienté vers la compréhension des métabolismes urbains et territoriaux, la territorialisation des politiques d'économie circulaire, et le développement des filières de l'écologie industrielle (matériaux, biomasse, déchets, énergies). En outre, je suis responsable d’un mastère spécialisé en Economie circulaire que j’ai monté en 2014. Je m’intéresse aux villes intermédiaires françaises (Nantes, Rennes) et aux territoires insulaires (Fiji, Comores). En cela, je suis loin d’être expert de toutes les questions passionnantes traitées dans le programme et les rapports.

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PARTIE I : VISION, STRATEGIE, OBJECTIFS ET CONTEXTE L’ancrage dans la thématique du métabolisme urbain (MU) (p11) est très pertinent et original. En effet, le MU connaît un essor dans le monde scientifique, mais il est beaucoup moins diffusé dans le monde opérationnel. Pour autant, c’est un formidable outil de pilotage pour les territoires car les méthodes scientifiques d’analyse sont éprouvées et méritent d’être appliquées. Il s’agit donc là d’un enjeu à creuser, d’autant plus que la communauté scientifique à Bruxelles le permet (ce qui n’est pas le cas dans tous les territoires qui se réclament d’une stratégie d’économie circulaire). La région Bruxelloise a donc les moyens d’être à la pointe sur cet important en jeu d’implémentation territoriale du MU, notamment afin que l’économie circulaire (EC) ne représente pas seulement des mesures incantatoires à la marge, mais puissent être mesurée à l’aune des résultats de circulation des flux. Je pense ainsi que les thématiques de dématérialisation territoriale, entendue comme la promotion d’une sobriété matérielle et énergétique, ainsi que la relocalisation du MU pourraient être approfondies car elles promettent de belles perspectives opérationnelles. Le MU peut donc être approprié comme un outil de diagnostic, de proposition et d’évaluation. PARTIE II : Mesures transversales 1.

Un cadre normatif et législatif favorable

Concernant la thématique LEG, la REP (LEG1 p18) peut devenir un outil au service de l’EC ou pas, car cela dépend fortement de sa mise en œuvre. En effet, on peut observer dans certaines filières REP en France des dysfonctionnements structurels qui réduisent grandement le potentiel qu’on prête à ce dispositif (voir par exemple Bahers, 2016). Il pourrait être préciser le rôle que peut jouer la région car à priori la réglementation européenne est le plus souvent à l’origine de filières REP. Par ailleurs, il a également été souvent démontré que la REP favorise surtout les filières industrielles de recyclage et valorisation, au détriment du réemploi et de la réparation, et des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). En cela, elle passe à côté d’un enjeu primordial. La région Bruxelloise semble bien avoir relevé cette difficulté de mise en œuvre et l’inscrit clairement dans ses actions. La LEG3 met en avant la gestion collective des déchets, ce qui est une avancée importante. En effet, il est préférable de penser à la mutualisation de la collecte, compris comme une synergie inter-entreprises, plutôt que recourir au fait que chaque entreprise fasse appel à son propre collecteur. Cette mutualisation permet aussi de développer une réflexion sur des infrastructures partagées et efficientes de traitement des déchets. Par ailleurs, il est important d’avoir un regard sur les distances parcourues car pour certaines catégories de déchets (ménagers, de construction ou organiques), l’impact du transport peut devenir prépondérant d’un point de vue environnemental. De même, mettre en œuvre une procédure d’expérimentation (appelée ici régime d’exception) est une excellente perspective pour des innovations que le législateur ne connaitrait pas.

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2. Aides économiques directes Concernant l’AED, les actions répondent clairement aux enjeux des entreprises. Il faudrait peut-être adosser une évaluation environnementale aux financements des entreprises. En effet, ce qui est circulaire n’est pas forcément durable d’un point de vue environnementale. Il s’agit ici de prouver que les solutions des entreprises correspondent bien aux enjeux d’épuisement des ressources. De plus, une solution qui présente un bénéfice environnemental peut rencontrer des « effets rebonds», entendus comme des effets indésirables et négatifs qui résultent des changements de production ou consommation. 3.1. Aides économiques indirectes La propositionAEI1 est une excellente opportunité car la coordination est souvent le premier frein au déploiement de l’écologie industrielle et de l’économie circulaire. Ce déficit de coordination peut engendrer des difficultés et des baisses de motivation des acteurs à moyen terme. Ainsi, cette plateforme de coordination peut répondre à ce défi. En outre, il reste la question de la pérennité de ces structures, qui sont souvent dépendantes des subventions et de l’engagement de la collectivité. Le long terme doit pouvoir être pris en compte. A la lecture du rapport d’évaluation à mi-parcours, la plateforme de coordination devrait évoluer en une plateforme globale de soutien à l’économie circulaire, qui se concentrerait sur l’accompagnement plutôt que sur l’articulation des différentes solutions. C’est peut-être dommage de passer à côté de cette opportunité. 3.2 Nouveaux modèles économiques : économie circulaire et économie sociale Il s’agit là d’un enjeu d’importance qui a l’ambition d’être traité dans le PREC. En effet, l’ESS fourmille d’initiatives qui sont innovantes socialement et organisationnellement, ce qui est souvent dévalorisé face aux innovations technologiques. Pour autant, les actions ECOSOC pourrait être plus claires et plus directes. Les bonnes intentions peuvent rapidement dériver si aucun objectif chiffré n’est fixé. 4. Innovation –Innover, tester, démontrer, veille La création de la chaire en métabolisme urbain et économie circulaire est une excellente nouvelle et à la hauteur des ambitions que se propose d’avoir le PREC. Elle est une de ces expérimentations interfacées qu’il faut poursuivre pour faire converger les mondes de la recherche et de l’opérationnel. De plus, c’est une interface adaptée pour permettre aux solutions innovantes d’être diffusées dans d’autres sphères (public, enseignement, etc.). L’INNOV 11 est également une belle piste enthousiasmante. 5. Thématique Marché Public –Exemplarité des pouvoirs publics et mise en capacité des entreprises En France, il est très difficile de favoriser et promouvoir des entreprises locales et de l’ESS à cause des contraintes réglementaires des marchés publics. A la lecture du rapport d’évaluation, le contexte belge n’est peut-être pas plus facile. De

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nombreuses collectivités françaises ont de fait développé des stratégies dites de « contournement » quand le portage politique est appuyé. Pour être clair, la réglementation sur la libre concurrence est une barrière importante dans la relocalisation du MU. Par ailleurs, la MP 2 indique que « Bruxelles Environnement identifiera les marchés publics bruxellois présentant le potentiel le plus important en termes d’économie circulaire ». On peut se demander de quel potentiel s’agit-il, car les enjeux d’emploi, de développement économique ou d’impact environnemental ne sont pas systématiquement convergents. Concernant la MP 4, il est également possible d’envisager et d’encourager un label partagé entre entreprises afin d’accroitre la transparence et les collaborations à proximité.

6. Emploi dans les secteurs de l’économie circulaire Il serait intéressant d’avoir une action qui prend en compte la stabilisation des emplois existants. Nous sommes dans une période dans laquelle beaucoup de structures se développent avec des difficultés de pérennisation malgré leur utilité indiscutable. Comme le rapport d’évaluation le suggère, il est évident que cette thématique doit aussi être en lien avec la formation. La proposition de travailler sur une « méthodologie de calcul de la création d’emplois » est très pertinente, car c’est en général assez peu transparent. Pour autant, il ne faut pas minimiser la création d’emplois, et la région Bruxelloise pourrait se reporter à des outils comme l’empreinte socio-économique territoriale qui prend en compte les emplois directs et indirects, ou les pertes d’emplois évitées. Cette méthode doit pouvoir valoriser cet ensemble. 7. Faire de la formation et de l’enseignement des leviers pour demain Le travail d’identification des compétences et formations nécessaires pour l’EC est très intéressant et utile. D’autres initiatives ont été réalisées dans ce sens en France comme en région PACA. Il s’avère qu’il est difficile de quantifier systématiquement. Par ailleurs, les emplois à haute valeur ajoutée sont à regarder avec attention, car pour être responsable d’un mastère spécialisé (Bac+6) en EC, c’est ce que cherchent les étudiants aujourd’hui. La structure du travail est en mutation et le public en recherche d’emploi souhaite des métiers de chargé de projet avec une grande autonomie. Avec la FOR 7, il faudrait faire attention à ce que cela ne devienne pas dogmatique. Par exemple, il est possible de débuter les actions par le référencement ce qu’il existe comme bonnes pratiques. 8. Construction Cette thématique est prégnante dans la perspective de travailler sur le métabolisme urbain et la filière n’est pas en avance sur ce sujet. C’est donc une excellente initiative de travailler sur la construction. Il faut également soutenir le secteur du réemploi et de la requalification (qui est nommée rénovation) dans le PREC. Le rapport d’évaluation ne semble évoquer que les nouvelles constructions, qui représentent peu d’impacts environnementaux par rapport à celles déjà existantes. La requalification urbaine à l’aide des principes de l’EC est source de perspectives passionnantes qui permettraient de renverser le paradigme du «faire

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la ville sur la ville». Par ailleurs, la question des infrastructures semble être assez absente alors que c’est probablement le secteur le plus consommateur de matière et le plus facile à organiser car moins diffus. 9. Thématique Ressources et Déchets Les enjeux concernant cette thématique sont bien identifiés. Concernant les filières déchets, les objectifs de réemploi et de recyclage peuvent être différenciés pour plus de clarté et de soutien à la réduction et au réemploi. Par ailleurs, on peut penser aux maisons de la réparation comme en Autriche qui permettent de regrouper des initiatives et jouer le rôle de guichet unique pour les consommateurs et les entreprises. Il existe en France un supermarché inversé dans le Sud-Ouest qui permet aux entreprises de venir s’approvisionner directement en matériaux recyclés. La principale difficulté dans ces structures reste l’équilibre financier, la gestion des volumes et la diffusion commerciale de l’activité. Le plan pourrait en outre mettre l’accent sur la limitation des exportations des matières recyclées (et non des déchets qui sont normalement déjà encadrés par les lois internationales), qui ne profitent que trop rarement aux territoires pour nourrir des filières industrielles lointaines. On considère souvent que le marché s’organise librement, mais cela aboutit à du sous-cyclage mondialisé et des dysfonctionnements territoriaux. Par exemple, les pays d’Europe sont souvent exportateurs de matières recyclées et en même temps importateurs de ces mêmes matières à peine transformées. Un plan « ressources », qui planifierait la consommation de matière à l’échelle territoriale, peut être un élément très favorable. 10. Logistique Il est très intéressant de traiter cette thématique car elle est souvent mise de côté dans la transition vers l’EC. Pour autant, la gestion des flux est intrinsèquement liée à la logistique. Mettre en lien logistique et réemploi est ainsi une excellente manière d’aborder la transition. L’accent est mis sur la logistique inverse dans le PREC, certes prometteuse, mais il pourrait être fait un travail d’identification des freins logistiques à l’EC. Ils sont probablement plus nombreux que les questions de retour à vide (qui évidemment intéressent les logisticiens). La mutualisation et le partage de transport pourrait être également à l’étude. 11. Commerce La question de l’approvisionnement ne semble pas être traitée dans cette thématique, qui pourtant est essentielle dans la perspective de relocalisation du MU. En effet, l’externalisation de l’approvisionnement alimentaire ne cesse de croitre. La question de l’autosuffisance alimentaire à proximité pourrait être abordée. Cela pourrait être en lien avec la thématique alimentation dans laquelle peu d’actions sont réalisées d’après le rapport d’évaluation. 13. Thématique territoire

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Cette thématique est très pertinente et répond aux enjeux précités. Descendre à l’échelle des quartiers est également primordial et bien pensé dans le PREC. Par ailleurs, il est à noter que les retours d’expériences en France montrent que, lorsqu’il y a beaucoup de territoires sur la même thématique, les responsabilités sont plus diluées. Il en résulte parfois un manque de portage politique. Un travail de coordination de ces échelles est ainsi indispensable pour éviter le jeu de compétitions ou conflits territoriaux. Gouvernance Le dispositif de gouvernance semble bien penser. Il manque peut-être l’implication d’associations environnementales, qui peuvent jouer un rôle dans la concertation et la prise en compte de contraintes locales. Leur capacité d’expertise est souvent minimisée alors que pour certaines, elles sont implantées depuis des décennies. J’ai pu observer par exemple en région Midi-Pyrénées ou en Bretagne leur montée en compétence lorsqu’elles sont intégrées dès la genèse des projets. Elles sont ainsi en capacité de jouer un rôle de « filtre » social des projets d’EC. Par ailleurs, l’action GOUV 9 est une bonne opportunité pour la région Bruxelloise même si la mobilisation des chercheurs est parfois compliquée du fait d’un manque de temps criant dans leurs missions. Reporting et indicateurs Les indicateurs de suivi sont intéressants et permettent de mesurer l’implémentation des actions et la mobilisation des acteurs. Par ailleurs, il serait également opportun d’y associer des indicateurs de flux et du MU. La méthode MFA qui permet de comprendre la transition du MU regorge d’indicateurs pertinents pour évaluer la transition. Concernant le rapport d’évaluation à mi-parcours (ou d’activité intermédiaire) du PREC 2016 –2017, le document est d’excellente facture. Il peut néanmoins être fait quelques améliorations de forme pour faciliter sa lecture, comme élaborer un sommaire qui prenne en compte toutes les pages des rapports (en l’état c’est un peu une compilation de documents qui ne sont pas forcément lies), éviter parfois les catalogues d’éléments, et mettre en parallèle les thématiques et les actions. Les diagrammes manquent un peu de contexte pour être compris de manière indépendante. Ainsi, il faut peut-être revoir les titres pour les préciser.

Références BAHERS J.-B., 2016, Les dysfonctionnements de « la responsabilité élargie du producteur » et des éco-organismes, Mouvements, n° 87, pp 82 –95, disponible sur https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-3-p-82.htm

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3. Regard extérieur sur le PREC et son évaluation à miparcours par Franck Scherrer (Université de Montréal)

Franck Scherrer, est professeur titulaire en urbanisme à l’Université de Montréal depuis 2010. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, il est diplômé en géographie (M.sc. université Lyon 2), et en urbanisme (P.h.D Institut d’urbanisme de Paris), Il a été tout d’abord chargé de mission pour la prospective des villes au sein du ministère français de l’urbanisme, puis professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris (Université Paris-Val de Marne), et à l’Institut d’urbanisme de Lyon (Université Lumière Lyon 2) dont il est le directeur de 2006 à 2010. Il a la particularité d’avoir enseigné en parallèle dans des écoles de génie (professeur associé à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’État), en France, et comme professeur invité à l’Université Libanaise et à l’Université Tongji de Shanghai. Son activité de chercheur s’est déroulée au sein du Laboratoire CNRS Techniques, Territoires, Sociétés (Paris Marne-laVallée) puis du Laboratoire CNRS Environnement, Ville, Société (Lyon), où il a été directeur de l’équipe de recherche « action et territorialisation ». Son expérience est particulièrement étendue en matière d’animation scientifique au sein de dispositifs de recherches intersectoriels (société et culture et nature et technologie) comme les programmes interdisciplinaires de recherche sur la ville du CNRS, du Plan Urbanisme, Construction, Architecture, ou de la Zone-Atelier Bassin du Rhône du CNRS durant sa carrière en France, et désormais comme directeur de l’Institut EDDEC qui a pour mission de soutenir et promouvoir la formation, la recherche, l’action et le rayonnement de l’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal, en matière d’environnement, de développement durable et d’économie circulaire. Il est par ailleurs président de l'APERAU, association internationale de promotion de la recherche et de l’enseignement de l’urbanisme qui regroupe les instituts d'urbanisme francophones. Lien : https://urbanisme.umontreal.ca/professeurs/fiche/in/in16829/sg/Franck%20Scherrer/

Préambule Porter un regard évaluatif sur le PREC et ses résultats à mi-parcours depuis l’extérieur relève un peu du défi pour trois raisons principales : -

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Il y a actuellement très peu de points de référence sur lesquels s’appuyer pour évaluer les plans ou programmes de déploiement de l’économie circulaire à


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l’échelle d’un territoire, autant du côté de la littérature académique, que de celui de l’expertise des grandes organisations internationales ou des instances européennes. Le PREC peut être considéré comme un des programmes d’action en EC parmi les plus complets mis en place par des gouvernements de type métropolitain en Europe (et il n’y a aucun équivalent encore en Amérique du nord), et certainement un de plus exemplaires par la combinaison de l’ampleur et la diversité de ses mesures, la précision du ciblage des secteurs d’intervention, mais aussi le soin apporté aux instruments de mis en œuvre. Aussi il est bien plus facile de s’appuyer sur l’exemple du PREC pour apporter des recommandations à d’autres villes qui s’engagent dans ce type de démarche que l’inverse ! Toute évaluation extérieure d’une démarche de développement territorial se heurte rapidement au manque de connaissances sur le contexte politicoinstitutionnel local ainsi que sur la trajectoire socio-économique de développement du territoire. La portée et la pertinence des recommandations qui peuvent être amenée dans cet exercice sont limitées et doivent être considérées surtout par l’effet de décalage qu’elles amènent.

Cela étant j’ai regroupé un certain nombre de remarques et suggestions sous quatre chapitres : les outils de connaissance (vision-diagnostic-évaluation), la sensibilisation et la mobilisation des acteurs, les stratégies de mise en œuvre, la gouvernance.

1. Les outils de connaissance : - La lecture du PREC et de l’évaluation à mi-parcours donne une impression de paradoxe : les 2 documents insistent à très juste titre sur la « transformation structurelle » et le « changement de paradigme » que représente le passage à l’économie circulaire, mais ne donnent pas à voir une vision prospective du territoire de la région bruxelloise à l’horizon des 25-30 ans qui sont nécessaires pour achever cette transition. Faute de la présentation de cette vision du « futur désirable », et de la démarche du retour au temps présent pour déterminer la trajectoire et les étapes vers cet horizon, il est très difficile d’évaluer la pertinence des cibles, des objectifs et même des critères d’évaluation choisis, au regard de cette transition. Par exemple, le discours du PREC insiste beaucoup sur les opportunités économiques à court terme des objectifs environnementaux, notamment en matière d’emploi et de qualification de la main d’œuvre. Or à peu près tous les analystes sont d’accord pour dire les tâches productives, les métiers et les types d’emploi des 30 prochaines années vont être profondément modifiés, sans même parler de l’impact de l’économie circulaire. Se donner une vision prospective des emplois de demain et une trajectoire vers cette vision permettrait de déboucher sur d’autres indicateurs pour évaluer les actions du PREC dans ce domaine. - D’une manière générale, l’horizon temporel du PREC a été limité dans sa rédaction au seul terme de ses 2 phases 16-19 et 19-25, ce qui provoque un effet de « raccourcissement » de la transition : ainsi l’écriture de la vision 19/25

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de la stratégie sur le commerce laisse comprendre que les problèmes de la transition vers l’EC seront déjà réglés à ce terme. Ce qui ne peut que produire un effet de déception, de surcroit non mesurable, dans le rapport à miparcours. Il ne me parait pas trop tard, bien au contraire, pour s’engager dans une démarche collective de prospective de la transition vers l’EC à Bruxelles, en s’appuyant sur la mobilisation des acteurs et toute l’expérience de la première phase du PREC, pour préparer le PREC 2 par exemple... Les documents ne présentent pas tout le travail de diagnostic préalable qui a été mené pour déterminer la priorisation des secteurs économiques d’intervention. Le choix me parait d’ailleurs très pertinent (construction, ressources et déchets, alimentaire, logistique, commerce) au regard des autres villes engagées dans le même type de démarches, ainsi qu’ambitieux (trop?). Par contre la seule justification par les volumes d’émissions de GES et des flux de matières résiduelles me parait limitée, surtout en termes de critères d’évaluation ou de tableau de bord. Il faudrait rajouter un critère prépondérant de « potentiel de circularisation » comprenant notamment la diversité des stratégies différentes d’EC qui peuvent s’appliquer dans un même secteur, ainsi que leur hiérarchie. Sinon on risque « d’enfermer » la politique de déploiement de l’EC dans des politiques pré-existantes (luttes aux changements climatiques ou gestion des matières résiduelles), et faire primer par défaut (et parce qu’elles sont mieux mesurables) certaines stratégies comme le recyclage ou la valorisation sur d’autres (partage de l’usage du bien ou du service ou prolongation de la durée de vie, co-conception, production additive, etc.) Les fiches de mesure qualitative d’impact qui sont présentée à la fin du document d’évaluation sont une initiative intéressante pour produire des éléments d’évaluation plus adaptés au caractère, un peu insaisissable par les indicateurs de tableau de bord classique, de la mesure du changement, surtout en phase d’amorçage. Leur portée pourrait être améliorée si elle référait chaque étude de cas à la phase dans la trajectoire de transition dans laquelle elle se place : (par exemple) expérimentation, passage à l’échelle méso, changement de décor (normatif, réglementaire, fiscal, etc.), passage à l’échelle macro; sinon on risque d’être un peu perplexe lorsqu’on rapporte les 12 tonnes du projet phosphore au potentiel des 50.000 tonnes du flux de matières concerné. Cela permettrait aussi de préciser ce que cela prendrait comme mesure pour passer à l’étape suivante.

2. Sensibilisation et mobilisation des acteurs - Il s’agit d’un point fort du PREC, comme on le voit bien dans l’évaluation à miparcours. La sensibilisation des acteurs économiques est mise de l’avant, et plus original, l’intégration de l’EC dans la formation professionnelle à tous les niveaux. Il s’agit d’un champ d’action très important, comme le confirme la littérature scientifique récente, dont les enquêtes montrent que les principaux obstacles au développement de l’EC sont culturels (manque d'intérêt / de sensibilisation des consommateurs, culture d'entreprise hésitante), et que le

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concept d’économie circulaire relève encore d’une « discussion de niche » entre les professionnels du développement durable1. D’une certaine manière, l’évaluation mi-parcours vient confirmer la forte capacité du PREC à mobiliser les professionnels éclairés de la région bruxelloise, mais aussi la difficulté à implémenter l’économie circulaire dans les programmes de formation ou à mesurer l’impact des mesures de sensibilisation pour un public élargi. Une cible en matière de sensibilisation qui me semble absente de PREC, c’est l’ensemble des professionnels des administrations publiques au-delà du « noyau dur » constitué du développement économique/innovation, développement durable et gestion des matières résiduelles que l’on retrouve généralement ailleurs. Or, une des leçons que l’on a pu tirer de l’expérience antérieure en matière de planification du développement durable - agenda 21, plan climat, etc -, c’est l’importance des ateliers de formation/mobilisation transversaux aux différents services toute nature confondue des administrations locales. Le PREC pourrait se donner comme objectif complémentaire d’ouvrir chaque année d’ici 2025 un « atelier EC » au sein de différentes administrations du gouvernement régional plus éloignées des thématiques de départ, ainsi que d’une ou plusieurs municipalités-pilote. Sur le plan de la mobilisation des acteurs, le rapport d’évaluation souligne – et je m’en étonne aussi – l’absence du public-cible constitué des grandes et moyennes entreprises. Or on ne peut pas fonder une stratégie de déploiement de l’EC sur les seules initiatives innovantes (start-up, économie sociale, écosystèmes d’acteurs locaux ...), sans tenir compte de l’effet d’entrainement majeur des entreprises « mainstream ». On comprend que compte tenu des secteurs choisis, notamment la construction et la gestion des déchets, les grandes entreprises concernées sont plutôt des groupes internationaux du BTP ou des services urbains qui peuvent être surtout concernés par la modification des clauses « EC » dans les marchés publics ou les changements de normes. Mais il ne faut pas mésestimer l’importance des entreprises manufacturières qui cherchent des territoires urbains partenaires pour expérimenter de nouvelles stratégies circulaires de partage de l’usage par exemple (comme le groupe Seb pour le partage du petit électroménager). Enfin, l’évaluation des mesures d’incitation financière ou d’accompagnement des initiatives innovantes ne met pas en valeur le caractère éventuellement inédit ou diversifié des écosystèmes d’acteurs que réunit potentiellement la nouvelle boucle de valeur circulaire mise en place. Or il s’agit d’une des caractéristiques significatives de la mise en place des nouveaux systèmes productifs dans le paradigme de l’EC.

3. Les stratégies de mise en œuvre - Le PREC comprend plus d’une centaine de mesures, ce qui en fait comme on l’a déjà dit une démarche de déploiement territorial de l’économie circulaire particulièrement complète. L’évaluation à mi-parcours relate des degrés

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( https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800917317573.)


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d’avancement divers sur lesquels il est difficile de se prononcer. Néanmoins les constats faits dans le document d’évaluation amènent à formuler certains commentaires et suggestions : La thématique territoire est clairement identifiée dans le document comme devant être réorientée. La création de quartiers prototypes en économie circulaire, à l’instar des éco quartiers ou quartiers durables des années 90-00’ est la voie la plus ambitieuse, pour ne pas dire prestigieuse, et demande la mobilisation de beaucoup de moyens financiers et humains pour être employée : Aujourd’hui seul Amsterdam et un peu Paris semble s’engager dans cette voie. De plus, on peut tirer de l’expérience des éco-quartiers deux leçons : il a été plus facile, compte-tenu de nombreux facteurs dont la dynamique des marchés immobiliers, de mener à bien des projets de quartiers-pilotes durables sur la base de la fonction résidentielle que sur celle la fonction économique, productive ou des pôles d’emploi; la démarche des quartiers prototypes a été bénéfique en terme de passage à l’échelle macro sur le plan de la transition énergétique des bâtiments par exemple, mais beaucoup moins à l’échelle méso des villes dans lesquelles ces quartiers ont été développés, en terme de diffusion de l’innovation, de la planification spatiale, etc. Enfin il faut pour ce type de projets urbains un portage politique au niveau municipal très fort. Par ailleurs, les appels d’offre ciblés de projet de développement urbain intégrant l’EC, comme « réinventer le Grand Paris » ou « reinventing cities » supposent pour être efficace une disponibilité foncière publique attractive pour les groupes immobiliers. Si c’est le cas à Bruxelles, ce pourrait être une stratégie à explorer, autant sinon plus que « l’urbanisme transitoire », d’autant que les deux ne sont pas incompatibles mais complémentaires. Sans proposer en l’état une stratégie clé en main, la réorientation de la thématique territoire ne saurait faire l’abstraction d’un travail de caractérisation plus fin des différentes échelles et type d’espaces urbains pertinents pour un déploiement différencié de l’économie circulaire : unité de voisinage, centralité secondaire, grande friche industrielle, quartiers mixtes denses, tissu urbain de banlieue ou péri urbain, pôles métropolitains... Si une démarche de quartier-pilote en EC devait être engagée, je suggèrerais de procéder de manière plus incrémentale à partir des casernes d’Ixelles en élargissant progressivement le périmètre et le système d’acteur. Une autre série de remarques concernent la thématique logistique. Je trouve très intéressant que le PREC ait sélectionné ce secteur d’intervention, car il est tout à fait essentiel comme service infrastructurel indispensable au déploiement de tous les autres secteurs de l’économie circulaire, en plus d’être concerné intrinsèquement comme secteur d’activité. Le document d’évaluation relève qu’il s’agit aussi d’une thématique qui a un faible bilan de mise en œuvre. Je partage l’avis exprimé que ce retard peut-être une chance pour donner à cette thématique d’action une dimension beaucoup plus transversale pour « soutenir les besoins logistiques concrets des autres projets du PREC ». Mais cela va sans doute amener à redéfinir, voir changer la priorité des projets initiaux.


4. La gouvernance La question de la gouvernance dans le cadre du PREC est abondamment évoquée dans le document d’évaluation, à plusieurs niveaux. Les points fort du PREC, au regard d’autres expériences de ville, est le niveau élevé d’intersectorialité au sein de l’action gouvernementale, même s’il est souligné qu’elle peut être améliorée. La capacité de collaboration entre professionnels de différents secteurs doit être soulignée, or cela reste une des conditions sine qua non de la cohérence de l’action publique territoriale. Si la cohérence intersectorielle est bonne, on voit en revanche très peu de signe de mise en cohérence interscalaire : l’intégration des autres paliers de gouvernements, surtout le palier municipal est très peu explicite dans le document d’évaluation comme dans le PREC, or elle est aussi fondamentale pour le déploiement de l’économie circulaire. L’organisation de « chantiers » d’EC entre administrations, comme évoquée plus haut, peut-être une manière d’amorcer cette intégration interpalier. Plus généralement, il me semble que la deuxième phase du PREC, ou la préparation d’un futur PREC 2 serait l’occasion de passer progressivement de dispositifs de soutien au lancement ou au montage de projets expérimentaux ou innovants à des dispositifs de soutien au changement d’échelle, en particulier l’échelle méso, par approfondissement, diffusion, diversification ou fusion d’initiatives similaires.

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4. Synthèse et recommandations Aristide Athanassiadis et Stephan Kampelmann

Les deux évaluateurs académiques que nous avons sollicités pour jeter un regard externe sur le premier programme bruxellois en économie circulaire ont souligné sa qualité novatrice, ambitieuse et complète ; l’utilité d’une approche transversale et coopérative entre différentes administrations et compétences (environnement, économie, aménagement du territoire, gestion des déchets, recherche…) ; et la plupart des choix thématiques comme des éléments forts du programme. Ils ont, cependant, également mis en exergue un certain nombre de points d’attention, accompagnés des recommandations constructives pour améliorer le programme dans l’avenir. Nous terminons ce document en synthétisant les principaux points d’attention soulevés par Jean-Baptiste Bahers et Franck Scherrer à l’égard du PREC. Pour répondre à ces points, nous proposons deux mesures concrètes pour la deuxième phase du programme régional d’économie circulaire. Nous pensons que l’adoption de ces deux mesures répondrait de manière convaincante et efficace à la plupart des critiques formulées mais aussi à des lacunes de cette première partie du programme. De plus, nos propositions intègrent également des informations plus contextuelles et opérationnelles. Enfin, nos propositions ont été nourrie d’une première itération car elles ont bénéficié d’un retour des représentants de Bruxelles Environnement, Perspective, Innoviris, Citydev, Hub et ACR+ lors du comité de suivi de la Chaire le 10 septembre. Le tableau suivant liste les principaux points d’attention issus de l’évaluation externe. Les points évoqués par les évaluateurs portent sur des aspects très divers du PREC : certains font références à des faiblesses plutôt fondamentales (comme l’absence d’une vision prospective de long terme), alors que d’autres soulignent des aspects plus ponctuels (comme l’absence d’une formation spécialisée en économie circulaire dans les établissements d’enseignement supérieur bruxellois). Lorsque ces points d’attention ont été discutés au comité d’accompagnement de la Chaire, il s’est avéré difficile d’adresser l’ensemble de ces faiblesses dans l’immédiat, c’est-à-dire dans la deuxième phase du programme régional qui débute à la fin de l’année 2018. A titre d’exemple, la pérennité des structures de l’économie sociale active dans l’EC ; l’activation du levier des marchés publics ; et une approche institutionnelle vers des territoires extra-régionaux sont à l’heure actuelle difficile à adresser. Par contre, nous pensons que d’autres faiblesses du programme actuel sont plus faciles à surmonter moyennant des mesures concrètes pour l’exécution desquelles l’écosystème régional dispose déjà les compétences requises, les connaissances et les acteurs nécessaires ainsi qu’une ouverture politique pour leur mise en place. Pour répondre de manière constructive et opérationnelle aux faiblesses de l’actuel PREC soulevés par l’évaluation externe, nous soumettons donc deux nouvelles

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mesures qui sont décrites ci-dessous. Les deux dernières colonnes du Tableau 1 montrent la correspondance entre ces deux mesures et les différentes critiques qui ont été formulées.

Tableau 1. Points d’attention de l’évaluation et nouvelles mesures proposées. Points d’attention soulevés par les évaluateurs académiques externe

Nouvelles mesures proposées par la Chaire #1.Territorialiser l’économie circulaire à partir de « hotpots »

Les actions pour stimuler l’EC risquent d’être marginales si elles ne sont pas réellement connectées avec le MU. Pérennité des structures dépendantes des financements ; actions ECOSOC doivent être plus claires avec des objectifs chiffrés. La question des infrastructures est largement absente du PREC. Besoin de cursus spécialisé en EC (par ex : master en EC). Néglige l'échelle du quartier et l'approvisionnement des commerces (essentiel pour la relocalisation du MU). Le levier des marchés publics n’est pas suffisamment mobilisé. Pas de vision prospective (pas de backcasting) ; vision long terme absente ; faible articulation entre les actions à court terme et la trajectoire à plus long terme. Pas de diagnostic préalable visible ; absence d’un critère de circularité ; le programme est largement basé sur les politiques existantes. Le volet territorial est encore peu développé et est à réorienter ; limites de l’approche par quartiers exemplaires à cet égard. Passer d'une "discussion de niche" vers une sensibilisation d'un public élargi ; nécessité de mobiliser (« coloniser ») d’autres domaines de l’action publique.

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#2. Construire un cadre analytique systémique


Proposition #1 : Territorialiser l’économie circulaire à partir des « hotpots » Nous proposons la réorientation de l’axe territorial moyennant un déploiement successif du concept des « hotspots d’économie circulaire ». Dans sa version initiale, le déploiement de l’économie circulaire est pensé à l’aide d’une hiérarchisation des échelles d’intervention du quartier vers l’espace métropolitaine. Or, une économie circulaire viable ne peut émerger que lorsque ces échelles sont imbriquées. Ceci explique pourquoi un concept de type « Quartier exemplaire » s’appliquerait difficilement au déploiement de l’économie circulaire : les flux de matières d’un « quartier circulaire » dépasseront, pour une grande partie le périmètre du quartier. La question de l’articulation des territoires se pose alors. Au lieu d’essayer d’identifier et promouvoir une notion « quartiers circulaires exemplaires », notre proposition est de territorialiser l’économie circulaire à partir des lieux emblématiques qui peuvent jouer la fonction de catalyseur ou focus géographique du déploiement territorial de l’économie circulaire. Un hotspot d’économie circulaire peut être alors défini comme un périmètre relativement restreint (une friche ou grande parcelle, un ilôt, un quartier) qui joue le rôle de nœud stratégique dans l’organisation spatiale des flux physiques actuelles ou futures du système urbain plus large. Par conséquent, les critères de sélection pour des hotspot à cibler en priorité sont a) la centralité du hotspot dans l’organisation urbanistique et économique d’un ou de plusieurs flux de matière ; b) le volume total que représente ce(s) flux dans le système urbain ; c) des opportunités concrètes pour modifier le fonctionnement actuel du périmètre pour aller vers plus de circularité. A titre d’exemple, des hotspots pourraient donner lieu à des flux de déchets/ressources importantes dans les prochaines années (par exemple suite à la rénovation de bureau dans le quartier Manhattan), accueillir des nouvelles fonctions urbaines ou subir des mutations économiques profondes (Casernes d’Ixelles, quartier Heyvaert, quartier Masui), ou représenter des opportunités pour le déploiement de l’appareil productif et/ou logistique pour l’économie circulaire de Bruxelles (Buda, Zemu Biestebroeck). Concrètement, cette mesure consiste donc à utiliser ces « hotspots » comme point de départ du déploiement territorial de l’économie circulaire. La méthodologie de cette démarche reste à définir, mais elle pourrait combiner les actions suivants (flux/acteurs/espaces) : -

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Production, analyse et plateforme d’échange de données sur les flux actuels/potentiels à partir du hotspot (idéalement à travers une plateforme digitale). Activation des acteurs clés en lien avec ces flux. Co-production d’une vision prospective partagée (court, moyen et long terme) et backcasting pour l’évolution du hotspot au sein des dynamiques plus larges (économie du quartier, de la région, de la métropole, etc.). Il s’agit de définir des trajectoires envisageables sur le plan économiques et urbanistiques pour différents flux, en partant par la réalité concrète d’un périmètre locale. Cette


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co-production doit d’ailleurs s’intégrer dans une réflexion plus large sur des indicateurs systémiques pour la région dans son ensemble (voir ci-dessous). Définition d’indicateurs et objectifs chiffrés (en termes d’emplois, de tonnages, de qualité de vie, etc.) pour la trajectoire envisagée du hotspot. Activation des espaces et infrastructures nécessaires pour l’évolution du hotspot vers l’économie circulaire, comme des Centre de transbordement urbain, de logistique, de stockage etc pour le cas concret du hotspot. Par exemple : espace de stockage et de manipulation pour le verre plat issu de la rénovation des tours à bureau du quartier Nord.

Cette approche par hotspot pourrait percoler dans l’ensemble des mesures de l’axe territorial, y compris l’échelle métropolitaine (TER 8). Mais l’approche s’applique le plus directement aux actions à l’échelle locale, à savoir la mesure TER 1 (les périmètres d’interventions des Contrats de Quartier Durables et des Contrats de Rénovation urbaine) et TER 2 (portant sur les 10 pôles de développement identifiés par la Stratégie 2015). Il serait alors logique de prospecter ces zones d’intervention pour la présence de hotspots d’économie circulaire. La démarche par « hotspot » représente selon nous un grand nombre d’avantage : -

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Elle permet de territorialiser le déploiement de l’économie circulaire, mais sans le confiner à un périmètre restreint. Au contraire, la réflexion sur la trajectoire du hotspot peut intégrer successivement des échelles plus larges en abordant des questions des débouchés, de l’échelle des marchés, de l’ampleur des boucles pour des flux identifiés, de la présence d’acteurs régionaux pour l’opérationnalisation des solutions etc. Par conséquent, l’approche par hotspot est une manière d’ancrer le déploiement dans un périmètre concret tout en laissant la possibilité que son activation concernera des territoires plus larges ou extra-régionaux (comme le Noordrand pour les flux industriels ou le Pajottenland pour les matières organiques). La mesure proposée permettrait également d’avancer sur l’épineuse problématique de la mesure de l’économie circulaire de façon plus ancrée et moins abstraite par rapport à une réflexion théorique pour toute la région. Le cas concret d’un hotspot permettra plus facilement l’émergence des indicateurs pertinents et la formulation d’objectifs chiffrés. La territorialisation de l’économie circulaire à partir des hotspot mobilisera forcément d’autres acteurs qui ne sont pas encore directement touchés par la transition vers l’économie circulaire dans les communes, les quartiers et les administrations régionales. En travaillant avec eux sur le déploiement d’un hotspot concret, cette mesure est alors une manière de « coloniser » d’autres domaines de l’action publique, et notamment celui des projets urbains. La mesure proposée peut faire le pont avec des réflexion sur les besoins infrastructurels de l’économie circulaire dès lors que le déploiement d’un hotspot nécessite de telles structures. Elle peut alors faire le lien avec des réflexions sur le centre TIR ou une nouvelle installation de traitement de biodéchets et d’autres dynamiques touchant à des infrastructures (comme le projet H2020 Eurydice, le nouveau Masterplan du Port ou le nouveau Masterplan du TIR).


Proposition #2 : Construire un cadre analytique systémique Le premier réflexe lorsque nous évaluons un programme d'économie circulaire est de mesurer la progression vers un état plus circulaire avant et après l’adoption du programme. Pour mesurer cette progression cependant nous avons besoin de pouvoir mieux définir ce que l’EC veut dire pour Bruxelles (la définition du document de départ permet difficilement d’évaluer une évolution) ainsi que développer des objectifs/indicateurs chiffrés. En effet, est-ce que Bruxelles recherche avoir un certain tonnage d’un certain type de matériaux réutilisé, un nombre d'emplois circulaires crées (encore qu'il faudrait définir un emploi circulaire), financer des initiatives circulaires d'un tel montant, quel pourcentage des dépenses des ménages est consacré sur des produits ou services circulaires ? Une fois que ces objectifs sont définis il devient important de savoir comment mesurer la transition éventuelle vers ceux-ci mais aussi de savoir comment relier l’effet des actions du programme sur ces objectifs (qui n'est pas forcément causal, ni évident à déterminer). Cette mesure cependant reste néanmoins un défi à mettre en place puisque les données sur les flux matériels à Bruxelles sont généralement de faible qualité (pas suffisamment granulaires et précises) et couvrent en général juste la quantité des flux entrants et sortants. Pour mieux comprendre la circularisation de l’économie il convient cependant de mieux savoir ce qu’il advient de ces flux une fois à l’intérieur du territoire, quels types d’activités économiques utilisent quels types de matériaux, sont-ils réutilisés où repartent-ils de Bruxelles en tant que déchets, etc. Par ailleurs, lorsque nous voulons mesurer un changement de paradigme ou l’effet d’actions innovantes à petite échelle (tels que les lauréats de l’appel Be Circular), il est difficile de faire ceci avec des données actuelles et les codes NACE développés pour une économie linéaire. Au lieu de s’efforcer à proposer directement des indicateurs circulaires qui risquent d’être limitatifs voire arbitraires (comme les 10 indicateurs proposés par la Commission Européenne), particulièrement pour les villes, il est nécessaire de penser de manière plus systémique afin d’éviter des effets pervers ou rebond à l’intérieur et/ou à l’extérieur de Bruxelles. Pour se faire, il serait nécessaire de mettre en place un cadre analytique en filigrane des indicateurs et différentes mesures spécifiques qui se focalise sur un secteur, un flux ou qu‘une seule action du PREC. Cette action devra être mise en place en collaboration avec Bruxelles Environnement, Perspective (IBSA), Bureau Fédéral du Plan, Plateforme Intrabelge d’Economie Circulaire, Steunpunt Circulaire Economie, Circle Economy, Urban Agenda for the EU, ACR+ et d’autres villes européennes. -

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Cadre de mesure analytique : La première chose à adresser ici est de construire une définition d’économie circulaire en termes mesurables, dresser un diagramme schématique qui relie les différents éléments de cette définition de manière systémique (pour éviter les effets rebonds ou d’éventuels angles morts). Une fois ce diagramme établi, il sera nécessaire de choisir la méthode d’évaluation puis les données à utiliser. A ce moment, l’utilisation des tableaux


Input-Output de la RBC (du Bureau Fédéral de Plan) combinée avec des tableaux MRIO (tels que Eora, Exiobase ou WIOD), permettront de retracer l’origine et la destination des flux de matière de la Région de manière la plus désagrégée (par pays d’origine, par type de matériaux, par code NACE)2. Cette méthode permettra également de développer des politiques différentes (relatives à la consommation, la production, etc.) et certains indicateurs (tels que les indicateurs de l’analyse de flux de matières d’Eurostat tels que la DMC, DMI, etc.). Cependant, lorsque possible les résultats de cette analyse devraient être validés par des données mesurées (tant au niveau macro/régional qu’au niveau micro/initiative). Les hotspots précédemment mentionnés serait des endroits idéaux pour combiner ces deux types de données ainsi que tester des visions et objectifs plus ancrés. -

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Mieux mesurer l’emploi circulaire. Outre la circularisation des flux matériels, de nombreuses villes utilisent l’économie circulaire comme une source de création d’emplois. La définition d’un emploi circulaire reste cependant encore un point épineux que plusieurs administrations (de villes, nationales, européennes et internationales) essaient d’adresser. Dans plusieurs cas, il s’agit d’une sélection de certains codes NACE qui représentent au plus près des métiers circulaires3 ou d’un moyen d’extrapoler à partir d’un emploi circulaire vers l’entièreté de son secteur (quel % d’une activité de services est réellement circulaire). Plusieurs efforts ont déjà été effectués dans d’autres villes et en Belgique qu’il serait utile d’harmoniser pour assurer une transférabilité de résultats (étude INDIC 2 de BE, une méthodologie développée par Paris4 : L'étude "Emplois en EC" de l'observatoire de l'emploi, Baromètre de l’emploi circulaire, à mettre à jour chaque trois ans, élaboré par Circle Economy pour la Fondation Roi Baudouin, etc. Création d’indicateurs circulaires : Une fois que ce travail de fond a été effectué, il devient dès lors possible de définir des indicateurs circulaires qui résument la trajectoire de Bruxelles vers une économie circulaire. Ce travail de

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Athanassiadis, A., M. Christis, P. Bouillard, A. Vercalsteren, R. H. Crawford, and A. Z. Khan. 2018. Comparing a territorial-based and a consumption-based approach to assess the local and global environmental performance of cities. Journal of Cleaner Production 173: 112-123. Christis, M., Athanassiadis, A., Vercalsteren, A., (à paraitre) The impact of circular economy strategies in cities on global climate change. Special Issue of the Journal of Cleaner Production – Cities: the core of climate change mitigation 3

https://ec.europa.eu/eurostat/web/circular-economy/indicators/monitoring-framework https://ec.europa.eu/eurostat/documents/8105938/8465062/cei_cie010_esmsip_NACE-codes.pdf 4

Auzanneau, M. and Margontier, S. (2015). “Méthodologie de quantification de l’emploi dans l’économie circulaire”. Obseratoire national des emplois et métiers de l’économie verte. Available at : http://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Documents_de_travail/2017/d ocument-travail-29-methodologie-quantification-emploi-ecocirculaire-fevrier2017.pdf

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compréhension devrait être complété avec des entretiens auprès de différentes villes ayant déjà mis en place des indicateurs circulaires. Une plateforme de visualisation de données (idéalement open data et open access tel que Monitoring des Quartiers, metabolisme.paris.fr/ ou Multiplicity de Metabolism of Cities) permettant de regrouper toutes les différent types de données utilisées (micro, macro) dans le cadre de mesure qui sont actualisées annuellement, et peuvent facilement être réutilisé par les chercheurs et les administrations pour des rapports et articles. Celle-ci peut également servir comme plateforme de sensibilisation pour les acteurs qui sortent du « cercle des habitués ». Afin d’insister sur ce dernier point il serait important de s’assurer de créer des tutoriels sur l’utilisation de la plateforme ainsi que certaines vidéos explicatives des enjeux présentés dans celle-ci.


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