Anthologie Saint Louis

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Anthologie littéraire et historique de Saint-Louis du Sénégal


Plan de l’ouvrage SOMMAIRE PREFACE INTRODUCTION I. SAINT-LOUIS ET L'HISTOIRE A. Historique de la fondation de Saint-Louis Historique de Saint-Louis Définition de Saint-Louis au XVIIIe siècle B. Figures marquantes de l’histoire de Saint Louis Un gouverneur libertin Élégie pour Aynina Fall

C. Evènements historiques Le Radeau de la Méduse

C. Evènements marquants de l’histoire de Saint-Louis II. CULTURES SAINT-LOUISIENNES A. Croyances Mame Coumba Bang Un récit initiatique « Saint-Louis » Chez le marabout B. Moeurs


Mariage à la mode du pays

C. Manifestations Pâques à Saint-Louis Fêtes des « moniteurs » Les régates de Saint-Louis

III. SOCIOLOGIES SAINT-LOUISIENNES

A. Les esclaves L’esclavage au XVIIIe siècle B. Les signares Naissance du phénomène des signares Que sont les signares devenues ? Mort d’une signare C. Les pêcheurs

IV. VILLE DE SAINT-LOUIS

A. L’arrivée à Saint-Louis Saint-Louis, nous voilà ! Ce fut comme une apparition B. Dans la ville


Saint-Louis au début du XIXe siècle Dans les ruelles de Guet-n’-dar Le marché de Saint-Louis C. Architectures et monuments saint-louisiens

Une ville de paille La maison des plaisirs Demeure de signare Un véritable petit bijou

D. Perceptions Saint-Louis, l’ennui Un tombeau nommé Saint-Louis R*** B*** à Saint-Louis Vision poétique de Saint-Louis Touab ! Touab ! Sonnet pour « Saint-Louis »

LEXIQUE NOTES BIBLIOGRAPHIE DU CORPUS BIOGRAPHIE AUTEURS


BIBLIOGRAPHIE AUTEURS REMERCIEMENTS


I. SAINT-LOUIS ET L'HISTOIRE


A. Historique de la fondation de Saint-Louis


Historique de Saint-Louis Quelle avait donc été l’histoire de cette petite île fluviale de quelques centaines de mètres de longueur où j’allais passer tant d’années de ma vie, et, plus généralement, de cette partie de l’Afrique où j’avais, sans m’en douter aucunement d’ailleurs, planté mes pénates ? Depuis des temps immémoriaux, les tribus arabes du nord de l’Afrique avaient coutume de traverser le terrible désert du Sahara pour commercer avec les pays qui le bordaient au sud et dont le plus occidental était la Sénégambie. En revanche la voie maritime devait longtemps demeurer inexploitée si l’on excepte les mythiques périples du pharaon égyptien Nechao et du Carthaginois Hannon. Pour ce qui est des Européens, la découverte de la Sénégambie a été relatée par le Portugais Gomes Eanes de Zurara qui, dans sa Chronique de Guinée, raconte (…) comment Dinis Dias s’en fut au pays des Noirs et des captifs qu’il en ramena en 1444. Mais des marins dieppois avaient, les premiers, croisé les côtes de la Sénégambie selon Villault de Bellefond dans un voyage paru à Paris en 1669. Le célèbre père Labat dans sa Nouvelle relation de l’Afrique occidentale contenant une description exacte du Sénégal…, parue à Paris en 1728, affirmait qu’il fallait mettre fin aux racontars des Espagnols et Portugais et reconnaître l’antériorité de la découverte du Sénégal par les Normands qui selon lui, étaient établis à Rufisque au mois de novembre 1364. Mais, entre la guerre de Cent Ans et la mort des principaux marchands de Dieppe, ce commerce périclita. Au seizième siècle, toutes les nationalités européennes s'y côtoyaient, dont en particulier, les Portugais, certes, mais aussi Hollandais, les Anglais et Français. Le commerce se faisait à des points fixes de la côte ou des rives des fleuves, points que l'on nommait des escales, où les navires pouvaient en outre relâcher et avitailler, mais il n'existait pas d'établissement permanent. L'île de Palma, que les Hollandais appelèrent ensuite Corée, qui veut dire dans leur langue, bonne rade, ne comporta jusqu'au quinzième siècle qu'une sommaire église de pierre couverte de paille, édifiée par les hommes de l'escadre de Diogo de Azambuja, quand ils allaient pour construire le fort de Saint-Georges de La Mine, dans le golfe de Guinée. Cette église servait à enterrer, en terre chrétienne ceux qui venaient à décéder dans ces parages. Le père Alexis de Saint-Lo, faisant, en 1635, escale à Rufisque, établissement situé sur la grande terre presqu'en face


de Corée et actuellement complètement à l'abandon, constatait que si les nègres y juraient et proféraient des grossièretés dans la seule langue française, l'on pouvait dénombrer dans la rade une multitude de vaisseaux de différentes nations. Tout au long du dix-septième siècle, les nations européennes rivalisèrent pour arracher à la Hollande l'îlot stratégique de Gorée dont l'importance, dans une baie abritée de la barre, et face aux colonies d'Amérique, de l'autre côté de l'Atlantique, ne faisait que croître. Au début du dix-septième siècle, les Anglais s'étaient en outre établis sur un petit îlot situé à l'embouchure du fleuve Sénégal, qui est en voie, aujourd'hui, d'être recouvert par les flots, mais que l'on continue à appeler l'Islet aux Anglais. Le fleuve Sénégal, à quelques lieues en amont de son embouchure, fait une boucle à peu près parallèle à la mer, et l'on appelle Langue de Barbarie, cette bande de sable qui sépare le fleuve de l'océan. Une seconde habitation, ne résista guère mieux. En définitive, en 1659, le commis Louis Caulier transporta cet établissement sur une île un peu plus grande, un peu plus haute et un peu plus éloignée de l'embouchure et à laquelle, en l'honneur de son souverain, Louis XIV, Le Grand, et probablement aussi par référence à son propre saint patron, il donna le nom de Saint-Louis. Ces deux îles, Corée et Saint-Louis, situées à environ cinquante lieues l'une de l'autre, l'une fluviale, l'autre maritime, toutes deux proches de la terre ferme, avaient chacune sa sphère d'influence. L'île de Corée commandait nos comptoirs du Sud : Rufisque, Porto Dael ou Portudal, Joal, Albréda, sur la Gambie, et était un point clef de la navigation maritime par sa situation à la pointe de la partie la plus occidentale de l'Afrique. L'île SaintLouis, elle, commandait toute la navigation sur le fleuve Sénégal, prodigieux moyen de pénétration dans l'intérieur de la terre africaine : on le considérait alors comme l'un des affluents du Nil ! Ces deux îles furent, tout au long du dixhuitième siècle, l'objet des convoitises anglaises. L'histoire de Saint-Louis fut plus simple. Occupée momentanément en 1693 par les Anglais, elle ne connut en fait qu'une longue période de domination britannique de 1758 à 1779. En 1779, une partie de l'escadre du marquis de Vaudreuil, allant pour les Amériques, fit, sous la conduite du duc de Lauzun, un crochet pour la reprendre. Je raconterai plus tard les péripéties que j'ai pu connaître moi-même dans ces rivalités franco-anglaises, depuis mon arrivée au Sénégal. Ces établissements étaient obtenus et autorisés dans le cadre de conventions formelles avec les souverains indigènes exerçant leur suzeraineté


sur ces lieux. Corée et Saint-Louis étaient, de par leur étroitesse géographique et leur situation, totalement tributaires des populations autochtones de la Grande Terre, la presqu'île du Cap-Vert, et ses principautés Lébou, pour Corée ; le royaume du Oualo, et éventuellement celui du Cayor, pour Saint-Louis. Ces établissements avaient une vocation commerciale, simple comptoirs où il était possible de rassembler et d'entreposer les marchandises destinées à la métropole. Ce furent essentiellement cuirs, ivoire (ou morfil), esclaves, or et gomme aux seizième et dix-septième siècles ; esclaves et gomme au dix-huitième siècle. La gomme est, dans sa presque totalité, le fruit de l'activité commerciale sur le fleuve Sénégal. Depuis deux siècles, s'y sont succédées plusieurs compagnies privilégiées. Ces compagnies à capitaux privés bénéficiaient d'une protection de l'Etat, un privilège, qui leur assurait une exclusivité soit sur un territoire, soit sur un type de commerce, moyennant versement au Trésor public de redevances arrêtées d'un commun accord. Allant de faillite en banqueroute, elles n'ont toutefois cessé d'exploiter de façon tout à fait misérable les richesses de ces contrées. J'ai retrouvé un libelle de Lamiral, personnage dont j'aurai l'occasion de reparler ultérieurement et qui, s'inspirant de la généalogie de Jésus dans l'Evangile selon saint Mathieu et de celle que Rabelais donne à Pantagruel, offre un saisissant aperçu des problèmes liés à l'existence de ces compagnies. Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisiennes, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


Définition Sénégal ou l’Isle Saint-Louis

SENEGA, SENEGAL, ou l’ISLE SAINT-LOUIS, isle d’Afrique, à l’embouchure de la rivière de Senega, à deux lieues au-dessous de la grande isle de Biseche, & environ à trois quarts de lieue au-dessus de l’islet aux Anglois. On la nomme l’isle de Saint-Louis, à cause du fort de ce nom, qui y est situé. C’est le principal comptoir de la compagnie, & la résidence du directeur & commandant général. L’isle de Saint-Louis, dit le père Labat, est à 16d de latitude septentrionale, au milieu de la rivière de Niger ou de Senegal, à trois ou quatre lieues de la Barre, selon que la rivière s’ouvre un passage dans la langue de sable, qu’on appelle la pointe de Barbarie, & qui forme d’un côté l’embouchure de la rivière. Cette isle n’est pas grande. Bien des gens, qui y ont été, lui donnent une lieue ou environ de circonférence. Le sieur Froger, ingénieur, qui la mesura en 1705, dit qu’elle a onze cents cinquante toises de longueur du nord au sud. Comme sa largeur est fort inégale, il ne l’a pas déterminée. Un autre ingénieur, qui la mesura en 1714, ne donna à la pointe, qui est plus voisine de la Barre, que quatre-vingt-dix toises de largeur, & à celle qui lui est opposée cent quatre-vingt-douze, & à l’embouchure où le fort est construit cent trente toise. Le bras de la rivière, qu’elle a du côté de l’est, a trois cents quatre-vingts toises de largeur, & celui de l’ouest deux cents dix. Le terrein en est plat, maigre & sablonneux. L’extrémité qui regarde la barre étoit autrefois plus plate que tout le reste, & par conséquence inondée dans les grandes eaux. Elle n’y est plus sujette présentement. La rivière & les vents du nord y ont apporté des sables, qui ont fait des dunes, qui élèvent le terrein, & qui font paroître le fort comme dans un enfoncement. Il reste pourtant à cette pointe une espèce de marais ou mare d’eau salée, qu’on appelle un Marigot, & qui est environnée de plusieurs dune de sables. La pointe nord est couverte de grands arbres, qui paroissent comme une futaie, mais qui ne font que des mangles ou des palétuviers, dont le pied est toujours dans l’eau. On trouve dans la terre ferme, & aux isles de l’Amérique, plusieurs espèces de ces arbres, comme on peut le voir en plusieurs endroits de ce livre. L’espèce, que l’on trouve plus communément au Sénégal, est celle des mangles noires. Ils font feu vif & ardent ; & si on les employe à des ouvrages dans l’eau, comme pilotis & autres, ils durent long-tems. On se sert encore de l’écorce des palétuviers pour taner les cuirs. Il y a un marais ou marigot considérable dans le terrein occupé par ces arbres, & un autre plus petit, environ au milieu, de la longueur de l’isle, avec un


bouquet d’arbres de différentes espèces, qui en est fort voisin, & sert de retraite aux moutons & cabris qu’on nourrit sur l’isle, dont le sol, quoique sablonneux, ne laisse pas de produire herbe courte, déliée, touffue & un peu salée, que ces animaux aiment extrêmement, qui les engraisse, & donne à leur chair un goût excellent. Ces marigots servent encore à retirer les cochons de l’habitation de la compagnie. Ils y trouvent de quoi se vantrer, & passer à couvert du Soleil une bonne partie de la journée. Mais les hommes ne peuvent y prendre le frais, parce que ces endroits servent de retraite pendant le jour à des millions de moustiques, & de cousins ou maringoins, qui se tiennent à couvert de la chaleur. C’est le premier désagrément que l’on éprouve sur cette petite isle. Le second est qu’elle manque absolument d’eau douce plus de la moitié de l’année. Il n’y a aucune source ni fontaine ; & pour être au milieu d’une grande rivière, on n’en est pas plus avancé, parce qu’elle est salée depuis le mois de décembre jusqu’à celui de juillet. Pendant les autres mois la crûe des eaux, et la rapidité de leur cours, empêchent les marées de monter assez haut pour gâter l’eau de la rivière. On s’en sert alors : elle est très-bonne à boire, & fort saine ; mais dans les autres tems il faut avoir recours aux puits, que l’on creuse dans le sable, où l’on trouve une eau saumâtre, c'est-à-dire un peu moins que demi-salée, & dont il faut user, faute d’autre. Pour ka rendre plus pure & plus potable, on la fait passer au travers d’une pierre un peu poreuse qu’on apporte des Canaries, & qui est creusée en cône. L’eau, en filant par les pores, s’y décharge de toutes les impuretés qu’elle avoit, & même d’une partie de son sel. Pour la rafraîchir on la met dans des vases de terre, qui ne doivent point être vérnifiés, & qu’on place dans un lieu exposé au vent du nord, qui est toujours frais. Ce qu’il y a de désagréable dans les puits que l’on creuse, c’est qu’ils ne durent pas long-tems : leur eau devient enfin tout-à-fait salée, & il en faut creuser d’autres. Il est vrai que la peine n’est pas grande, parce qu’il y a peu à creuser pour trouver l’eau douce, & qu’on trouveroit infailliblement la salée, si l’on se donnoit la peinede creuses davantage. Ce qu’il y a encore d’extraordinaire, c’est que l’eau de ces puits devient salée à mesure que celle de la rivière devient douce, & qu’elle redevient douce en même tems que celle de la rivière se gâte en se salant. * Labat, Relation de l’Afrique occidentale, t. 2, p. 220. On ne sait précisément le temps où les directeurs de la compagnie transportent leur établissements de l’isle de Beos, où il étoit au commencement, à celle du Sénégal. Ces établissements ont changé plusieurs fois de figure, selon la nécessité ou le caprice des directeurs qui ont commandé sur les lieux. Il ne reste de ce premier établissement dans l’isle de Senega que quatre tours rondes,


d’environ vingt pieds de diamètre, qui font un angle obtus : les deux tours du milieu ne sont éloignées l’une de l’autre que de quatre toises & demis, & celle des deux bouts sont éloignées l’une de l’autre de onze. Il y a apparence qu’elles ne devoient pas êtres seules, & que leur nombre devoit être plus grand, & renfermer un espace plus considérable, en formant un château comme on les faisoit autrefois. Elles sont de bonnes maçonnerie, & couvertes en pointe avec des tuiles. On juge par leur construction & par leur situation qu’elles sont trèsancienne, & du premier tems que la compagnie s’établit dans le pays. Les directeurs, qui ont gouverné les affaires de la compagnies, ont uni ces tours par des murs, & les ont renfermées dans une enceinte de bois terrassée, sous une partie de laquelle il y a des magasins, avec de mauvais bastions mal tracés, encore plus mal bâtis. De plus ce fort est trop petit pour loger les employés de la compagnies, qui sont obligés d’avoir des cases de paille hors de l’enceinte, où ils sont exposés à tout ce que les Nègres voudroient entreprendre contre eux, sans se pouvoir secourir les uns les autres, même le fort, s’il prenoit envie aux Nègres de l’insulter. Ce fort est pourtant muni de trente canons, montés sur plusieurs batteries, avec une assez bonne quantité de menues armes, & l’on y fait garde exactement ; car quoique les François soient bien avec les Nègres, les marchandises, que ceux-ci savent être dans les magasins, sont dispersés dans les six établissements qu’elle a sur la côte, & au-dedans du pays. C’est le directeur & commandant général qui fait cette répartition, qui, sous le bon plaisir de la compagnie, pourvoit à tous les emplois qui viennent à vaques, retient à son service ceux qu’il croit lui convenir, renvoye en France ceux qu’il ne juge pas à propos de garder. Son autorité est grande, & le fait respecter des employés de la compagnie ; & des rois, princes & seigneurs du pays. C’est dans l’isle de Senega que les Nègres apportent leurs marchandises, comme cuirs, yvoire, captifs, & quelquefois de l’ambre gris ; car pour la gomme Arabique, c’est des Maures qu’on la tire. On donne en échange à ces Nègres de la toile, du coton, du cuivre, de l’étain, du fer, de l’eau de vie, & quelques bagatelles de verre. Le profit qu’on tire de ce commerce est de huit cent pour cent. Les cuirs, l’yvoire, la gomme, se portent en France ; & on envoye les esclaves aux isles françoises de l’Amérique. On en a des meilleurs à dix francs pièces, & on les revend plus de cent écus. Souvent pour quatre ou cinq pots d’eau de vie on a un bon esclave ; ainsi la dépense est moins dans l’achat que le transport. * Voyage de Sieur le Maire, p. 72, & suiv.


La rivière de Senega sépare les Azoaghes, Maures ou Basanés, d’avec les Nègres ; de façon que d’un côté du fleuve ce sont les Maures plus blancs que noirs, & de l’autres des hommes parfaitement noirs. Les premiers sont errantd, campent, & ne sfont de séjour en un lieu, qu’autant qu’ils y trouvent des pâturages ; au lieu que les Nègres sont sédentaires, & habitent des villages. Ceux-là sont libres ; mais ceux-ci ont des rois, qui les tyrannisent, & les font esclaves. Les Maures sont petits, maigres, & de mauvaise mine, ayant l’esprit fin & délie : les Nègres au contraire sont grands, gros & bienfaits, mais simples & sans génie. Le pays habité par les Maures n’est qu’un sable stérile, privé de toute verdure ; & celui des Nègres est fécond en pâturages, en mil, & en arbre toujours verds, mais qui ne portent point de fruits bons à manger. C’est de ces Maures que les François tirent la gomme Arabique. Ils la cueillent dans les déserts de la Libye intérieurs. Elle croît aux arbres qui la portent, comme celle qui vient aux cerisiers, aux abricotiers & aux pruniers en France. Ils l’apportent vendre un mois ou six semaine avant l’inondation du Niger. On leur donne en échange du drap bleu, de la toile de la même couleur, & quelque peu de fer. Ils viennent de cinq ou six cents lieues dans les terres pour apporter, l’un un demi quintal de gomme, l’autre plus ou moins. Ils sont tout nuds sur les chameaux, chevaux & bœufs, dont ils se servent aussi souvent à porter leurs marchandises. Les plus considérables d’entre eux ont une espèce de manteau fait de peau fourrée, qui ressemble assez à la chape de nos chantres : les autres n’ont qu’une méchante pièce de cuir qui cache leur nudité. Ils ne se nourrissent tous que de lait, & de gomme qu’ils font dissoudre dedans. Les François les nourrissent en partie, lorsqu’ils viennent trafiquer. On achète leurs bœufs exprès pour les leur faire manger ; mais ils les égorgent eux-mêmes, autrement ils n’en mangeroient pas. Quoiqu’ils ayent beaucoup de bestiaux, ils en mangent rarement, si ce n’est lorsqu’ils les voyent prêts à mourir de maladie, ou de vieillesse. Comme le trafic se fait sur le bord de la rivière, ils ne trompent pas facilement, parce qu’on embarque la marchandise à mesure qu’on la reçoit d’eux. Le commerce se fait, dans les mois de mai & de juin, à trente lieues au-dessus de l’habitation. Lorsque tout est fini, ils se répandent en injures, & ils attrapent quelques François, ou autre blanc, ils les tuent en représailles d’une querelle passée il y aura vingt ans. Ils se retirent dans les terres si tôt que le Niger commence à se déborder. Bruzen de la Martinière, Le Grand Dictionnaire Géographique Historique et Critique, Volume V (1768).


B. Figures marquantes de l’histoire de Saint-Louis


Un gouverneur libertin

Le chevalier de Boufflers, titre qu'il préférait conserver compte tenu des bénéfices que lui accordait son statut de chevalier de Malte, même s'il avait récupéré à la mort de son frère aîné le titre familial de marquis, n'aimait pas Saint-Louis et lui préférait Gorée. Là-bas il avait, à ce que l'on dit, mené une vie insouciante, tout en prétendant rester fidèle à celle qui était déjà la femme de sa vie, avant de finalement devenir son épouse, la brillante comtesse de Sabran. Gorée bruissait encore de l'écho de ses mille et une fantaisies, des fêtes données en son honneur par la signare Anne Pépin, la fille du chirurgien, qui affichait, sans aucune pudeur, le penchant qui les animait mutuellement. Venu au Sénégal pour y chercher gloire et fortune, le chevalier de Boufflers en repartit sans acquérir ni l'une ni l'autre. Mais selon la tradition typiquement goréenne, et que l'on a essayé, sans succès, de pérenniser ici à Saint-Louis, plusieurs de ses amies de cœur ont conservé comme des reliques les grains de sable de sa dernière foulée en terre sénégalaise. Sotte superstition qui poudrait qu'ainsi l'on soit assuré de voir revenir celui que l'on perd ! Boufflers aura très vite oublié le Sénégal et n'y sera jamais revenu, même si l'on entretient encore, ici et là, la mémoire de ses facéties, et l’écho de ses incartades. Il évoquera son passage dans ce pays dans les premières lignes de son discours académique en des termes qui caractérisent les grandeurs et les petitesses du personnage. Je parcourois naguère ces plages désolées dont le premier aspect offre l'emblème et la preuve de l'esprit inculte de leurs habitant. J'aimois à pénétrer dans ces pays si peu connus, si mal observés, où la main de la nature a tout fait, où la main de l'homme n'a rien changé ; j'y conversois avec ces hommes simples, qui, réduits aux seuls besoins physiques, bornés à des notions pour ainsi dire animales, ignorant jusqu'aux noms d'arts et de sciences, paroissent condamnés à des ténèbres éternelles. Hélas ! jusqu'à présent ils n'ont point reçu de nous le bienfait que l'obscurité doit attendre de la lumière ; notre cupidité s'est fait une étude barbare d'ajouter encore à leurs erreurs. Vainqueurs de l'océan (c'est le nom qu'ils nous donnent) vainqueurs, dis-je, de cet océan qui les séparait de nous, possesseurs de richesses qui leur étaient inconnues, distributeurs avares de mille dons perfides, nous leur sommes apparus comme des dieux malfaisans qui viennent exiger des victimes humaines.


Voilà les hommes que je quitte, et je me trouve au milieu de ceux dont les plus éclairés attendent et reçoivent à chaque instant de nouvelles lumières, de ceux à qui la pensée doit ses plus riches trésors et ses plus brillantes conquêtes. J'ai vu jusqu'où l'esprit humain peut tomber ; je vois jusqu'où il peut s'élever ; j'ai vu ce que la nature avait fait de l'homme, je vois ce que l'homme a fait de la nature, dans ces brûlantes régions, la faible étincelle de raison que chaque homme reçut en naissant, ne sert qu'à lui seul ; elle suffit à peine à le conduire, pendant le cours d'une vie oisive, dans le cercle étroit de ses besoins, et s'éteint avec lui, sans laisser aucune trace. Dans nos climats, au contraire où l'art d'écrire et l'impression transmettent les idées à l'absence et à l'avenir, l'esprit d'un homme peut appartenir à tous, et celui de tous à chacun. Tout Boufflers est là ! Avide de sensations, avide de faire frissonner son auditoire à l'évocation de ces sauvages qu'il n'a jamais vus que de loin et débordant de générosité dénonçant la barbarie de l'esclavage, sans avoir jamais rien fait pour s'y opposer dans les faits. La chance de Boufflers aura été d'être secondé par un homme énergique, efficace, et suffisamment peu soucieux de sa carrière pour ne pas lui porter ombrage, celui qui resta pour tous ce brave colonel Blanchot. Blanchot aura été le seul gouverneur sous les ordres duquel j'aurai servi en qualité de militaire, jusqu'à ce que l'âge, les rancœurs, l'usure, le climat débilitant eussent raison de lui. Je reviendrai ultérieurement sur ces tristes moments, mais si jamais homme a vraiment aimé ce pays, si jamais homme à mérité plus que tout autre le respect et la considération, c’est celui que j’ai eu l’honneur de servir en qualité d’aide de camp et dont j’honore la mémoire. Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisiennes, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


Élégie pour Aynina Fall poème dramatique à plusieurs voix I (pour un gorong : rythme funèbre)

LE CORYPHÉE

Quel calme redoutable dessous l'azur ! Et pas un souffle quand passe l'ombre des Esprits Si blanche. Un ouragan soudain a déferlé sur la saison, pleuvant sa poussière de sang. Le tonnerre aux cris brefs a rugi, Fall ! et la foudre a frappé Koumba-Betty. Les pylônes du télégraphe tremblent sous la tension de la douleur La brousse s'enflamme au loin de sinistres incendies.

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Niiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiina ! Woï Nina ! woï Niiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiina !


CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Fall ! Fall ! Fall !

FALL !

CHŒUR DES JEUNES FILLES

II était élancé comme un rônier II était noir comme Osiris le Dieu II était doux comme le crépuscule quand chantent bas les tourterelles II était bon comme une mère II était beau comme un louis d'or. CHŒUR DES JEUNES HOMMES

II était droit comme un rônier II était noir comme un bloc de basalte Terrible comme un lion pour les ennemis de son peuple Bon comme un père au large dos Beau comme une épée nue. LE CORYPHÉE (le gorong se tait pendant que parle le Coryphée)

C'était à Thiès, l'autre année. Les chacals s'étaient réunis autour de l'hyène, et les cynocéphales. Et de tendres antilopes aux yeux de nuit.


Il arriva. Quand le virent les cynocéphales, ils se mirent à ricaner, secouant, dans leurs racines, tous les baobabs du Cayor et du Baol. Il était là, les bras croisés, les lèvres calmes. Son front sans ride leur faisait honte. Sa poitrine de bronze leur faisait envie, et sa prestance comme un monolithe autour duquel se rassemble le Peuple quand surgit l'événement. Ses yeux de soleil au zénith leur baissaient les yeux. Sa présence leur était souffrance. Les cynocéphales se jettent sur lui, lui plantent leurs crocs dans le dos. Les chacals aboient. Le sang ruisselle de ses blessures profondes, qui arrosent la terre d'Afrique. Comme lion du Ferlo, d'un bond il est hors d'atteinte et, de ses yeux de foudre, tient l'Adversaire à distance. Mais son cœur sans haine avait été touché – pas son bras.

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Nina ! Nina ! Niiiiiiiiiiiiiiiiiiina ! woï Nina !

CHŒUR DES JEUNES HOMMES


FALL !!

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Fall ! Que dirons-nous à nos mères, ce soir à l'ombre ? Qui protégera désormais nos gorges vertes ? Qui notre étoile d'or Contre tous les mauvais garçons ? Dis, qui notre secret ? Toi notre étoile ô Fait !

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Le serpentaire s'est levé à gauche, et nous n'avons pas vu de blanc message. Quelle nouvelle annoncer à nos pères et à nos frères ? Qui guidera les camarades ? Qui conduira les ambassades ? Réponds-nous Fall ! H se fait lard, et la nuit est remplie de cris hostiles. Ce n'est plus nuit des temps anciens, et le voyageur égaré tenait message de l'étoile.


CHŒUR DES JEUNES FILLES

Quel champion quel athlète, quel cavalier chanteronsnous ? Mais pour qui nos poèmes ? Quelle voix désormais rythmeront les tam-tams ? Pour qui l'éloge et l'épopée ?

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Par la Porte de l'Est Qui mènera l'assaut contre les tatas des Puissants ? Commandera l'assaut contre les remparts de l'Argent ?

LE CORYPHÉE (le gorong se tait pendant que parle le Coryphée)

Têtes courtes et sourdes, têtes aveugles, tels les brigands du Nord, qui se croient malins et ne comprennent rien à rien ! Quand lirez-vous les signes ? Voyez le laurier rosé qui grandit sur les cendres. L'herbe repousse, tendre, pour les antilopes après les incendies de Novembre. Il a versé son sang, qui


féconde la terre d'Afrique ; il a racheté nos fautes ; il a donné sa vie sans rupture pour l’UNITÉ DES PEUPLES NOIRS. Aynina Fall est mort, Aynina Fall est vivant parmi nous.

II (pour deux dyoung-dyoungs : rythme royal)

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Nina ! Nina ! Nina ! waï Niina !

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Fall ! nous te nommons par ton nom !

LE CORYPHÉE

Oui nous prendrons aux Conquérants leurs armes comme nous l'avons toujours fait Nous les tiendrons solidement en main, nous en ferons des signes fastes : « Une étoile d'or vert sur roue d'acier. » Admirez la locomotive, haute sur pattes, si souple et


fine, comme un cheval du Fleuve. Elle unit Saint-Louis à Bamako, Abidjan à Ouagadougou Niamey à Cotonou, Fort-Lamy à Douala, Dakar à Brazzaville. Or voilà notre sceau, et la roue signe de notre destin. Les circoncis la danseront aux fêtes de l'Initiation Nos voix la feront d'or, nos tam-tams une étoile.

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Nous t'avons pleuré une lune Chanté pour toi les thrènes du Rebelle.

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Nous t'avons veillé une lune Sur la locomotive aux longs pistons d'olive.

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Oui nous avons loué ta force toute une lune Nos pères ont lavé ton corps, oint ton corps d'ambre d'aromates


Nos mères t'ont vêtu de vêtements précieux.

LE CORYPHÉE

Maintenant qu'au galop de ta locomotive, tu arrives premier des combattants Annonciateur de la Bonne Nouvelle...

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

Prince des camarades...

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Le plus beau le plus noir des cavaliers...

LE CORYPHÉE

Maintenant que tu arrives...

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Bloc sans couture de la terre sénégalaise...


CHŒUR MES JEUNES HOMMES

Roc sans fissure des peuples africains...

TOUS ENSEMBLE

Nous voici tous unis, comme les dix doigts de la main.

CHŒUR DES JEUNES FILLES

Nina ! Nina ! Nina ! waï Niina !

CHŒUR DES JEUNES HOMMES

FALL !

Léopold Sédar Senghor, Œuvre poétique, Nocturnes.


C. Evènements historiques


Le Radeau de la Méduse 1814. La chute de l'Aigle semblait consommée, le Sénat avait appelé Louis XVIII au trône, Talleyrand au comble de ses intrigues pouvait à la hâte signer un traité avec les Anglais. Ce traité de paix, en date du 30 mai 1814, stipulait dans son article VIII la restitution implicite du Sénégal à la France, restitution qui, comme lors de la fugitive paix d'Amiens, devait se faire dans les trois mois. Dans un premier article additionnel, le roi, à qui l'on avait forcé la main sur ce point, s'engageait à supprimer la traite des Noirs dans un délai de cinq années. Fidèle à des habitudes qu'un demi-siècle de bouleversements politiques n'avait pas réussi à ébranler, le ministère de la marine et des colonies, rédigea le 9 janvier 1815 ses sempiternelles instructions pour Monsieur le maréchal des camps et armées du roi, comte Trigant de Beaumont, nommé commandant et administrateur, pour le roi, au Sénégal et dépendances, faisant office de commissaire pour la reprise de possession du Sénégal et dépendances. Les cent jours ! Le 29 mars 1815, une ordonnance de l'Empereur interdisait immédiatement et définitivement la traite des Noirs. Waterloo, le 18 juin, puis la seconde abdication de Napoléon, le 22, ramenaient Louis XVIII sur le devant de la scène. Le 30 juillet, le roi, sur la pression de l'Angleterre, confirmait expressément le décret du 29 mars. Le deuxième traité de Paris, du 20 novembre 1815, ne modifiait rien à l'état des choses coloniales. Toutefois, une convention annexée à l'article IX dudit traité stipulait, en son article XVI, qu'aussi longtemps que la France n'aurait pas rempli certains engagements financiers qu'elle avait pris, pour dédommager ses ennemis, les alliés conserveraient en garantie les établissements outre-mer qu'ils détenaient encore, dont le Sénégal et ses dépendances. Enfin, les choses ayant été régularisées et la restitution, à présent effectivement envisageable, une ordonnance royale du 5 avril 1816 décida de l'envoi en Afrique d'une commission de spécialistes composée de géographes, de


minéralogistes, d'agriculteurs etc. à l'effet de procéder à une enquête sur la possibilité, puisque la main d'œuvre noire n'était plus exportable, de venir l'exploiter sur place. Le 25 avril 1816, une ordonnance nommait le lieutenantcolonel d'Infanterie Julien Schmaltz et lui conférait le titre de commandant et administrateur pour le roi du Sénégal et dépendances. Trigant de Beaumont avait été nommé sur du vide et révoqué par l'histoire. Etait maintenu l'ancien principe d'unité de pouvoir militaire et administratif adopté depuis la fin de la mission du marquis de Boufflers en 1789. Le 18 mai 1816 une dépêche ministérielle visant la reprise de la possession était émise dans les mêmes termes que pour Trigant de Beaumont. Le même jour, était adressé un mémoire du roi pour servir d'instructions au sieur Schmaltz, colonel d'infanterie, commandant et administrateur pour Sa Majesté au Sénégal et dépendances. Les différentes modalités pratiques pour reprendre la colonie en main étaient mises en place. Il fallut donc organiser une expédition pacifique qui ne rassemblait pas moins de trois cent soixante-cinq personnes. Personnel militaire et civil, parmi lesquels deux curés, deux instituteurs, deux greffier notaires, deux directeurs d'hôpitaux, deux pharmaciens, cinq chirurgiens, deux capitaines de port, trois pilotes, un jardinier et quatre boulangers. S'y ajoutaient dix-huit femmes, pour la plupart épouses des précédents, dont celle du colonel Schmaltz, à quoi on ajoutera encore huit enfants dont, également, la demoiselle Schmaltz fille du gouverneur. Dans la perspective d'un voyage projeté pour le pays « Galam, se trouvaient un ingénieur des mines, un ingénieur géographe et un cultivateur naturaliste. Enfin, une expédition qui devait reconnaître sur le Cap-Vert, ou dans les environs, un lieu propre à l'établissement d'une colonie, comprenait un médecin, un cultivateur pour les cultures européennes, un autre pour les cultures des colonies, deux ingénieurs géographes, un naturaliste, un officier de marine, vingt ouvriers et trois femmes. Le 17 juin 1816, à sept heures du matin, dans la rade de l'île d'Aix, le colonel Julien Schmaltz, commandant et administrateur pour Sa Majesté au Sénégal et dépendances, donnait le signal du départ de cette escadre, monté, avec environ quatre cents personnes, outre trois barils de pièces d'argent, qui devaient former le trésor de la colonie, et un buste de Louis XVIII, à bord de la frégate amirale, commandée par Monsieur Hugues Le Roy de Chaumareys, capitaine de


frégate, et dont le nom est à jamais tristement célèbre dans toutes les mémoires : La Méduse.

Le 9 juillet 1816, au soir, deux canots débarquèrent à Saint-Louis. Sur le quai, j'aperçus un groupe de pauvres gens, éprouvés par une navigation difficile. Rescapés d'un naufrage, ils étaient à plaindre. J'ignorais encore le reste. Partie de l'île d'Aix le 17 juin 1816, à sept heures du matin, la flottille s'engagea en début d'après-midi dans le pertuis d'Antioche et louvoya entre les îles d'Oléron et de Ré pour atteindre la haute mer. Dès les premières manœuvres chacun put s'étonner de ce que Chaumareys n'avait aucune expérience de la navigation en convoi puisqu'il appareilla sans avoir donné aucun signal préalable, comme il est pourtant d'usage, pour permettre aux autres navires d'établir leur voilure et de se préparer à lever l'ancre. Tant bien que mal, le convoi se reforma, mais il apparut bientôt que la Méduse dont l'allure était vive, devait réduire sa voilure pour attendre la Loire dont les formes plus pleines et surtout le lourd chargement ne permettaient pas d'aller à la même vitesse. Impatient d'arriver à son poste, prenant prétexte de son souci de préparer l'arrivée de sa suite, Schmahz donna l'ordre de se désolidariser du reste du convoi lorsqu'il doubla le Finistère. Non sans peine, et toutes voiles au vent, l'Echo suivit la frégate amirale. Les Açores et les îles Canaries furent passées sans incident majeur. Chaumareys, qui ne connaissait pas cette côte, avait placé toute sa confiance en un certain Richefort, ancien officier auxiliaire de marine, qui venait de passer dix ans en prison en Angleterre, et se trouvait à bord, envoyé en qualité d'explorateur par la Société coloniale africaine. Ce Richefort, parlant haut, certain de tout, indisposa tout de suite l'ensemble des officiers d'état-major. En vain tentèrent-ils de souligner les risques d'une navigation trop près de la côte africaine, alors que, le 1er juillet, la frégate avait doublé le cap Bayados devant les immensités désertiques du Sahara. La situation exacte du banc d'Arguin, haut-fond de sable d'environ cinquante kilomètres de large, était inconnue, et, jusqu'à la veille du départ, Chaumareys avait reçu des instructions l'invitant à se méfier des cartes par trop imprécises. Les cartes des environs étaient anciennes, la carte de Belin


dont se servait Chaumareys datait de 1753 et le banc d'Arguin se mouvait en changeant selon les caprices des marées et des courants marins. L'Amazone, bateau de la compagnie des Indes, en 1718, avait touché sur le banc de Tindel, au sud du grand banc d'Arguin, sur des fonds de dix huit pieds d'eau. Le Cupidon, le 8 octobre 1733, après voir été endommagé en franchissant ce banc échoua à Portendik. Comtesse, endommagée en février 1738, La Victoire, échouée et coulée, le mois suivant ; le Saint-Joseph, talonnant sur le banc en avril 1774, alors que se trouvait à son bord le sieur Monneray, directeur de la compagnie de Guyane ; le Marin échoué le 20 mai 1778, selon le récit des abbés Bertout et Déglicourt. Que d'accidents dans ces parages ! Il n'empêche, le passage du tropique se déroula : dans l'insouciance et dans la gaieté de cette fête un peu ridicule qu'il est d'usage de donner à bord en cette circonstance. Les officiers, sous-officiers et marins qui se trouvaient à bord, les habitués de la côte africaine, les géographes de l'expédition tentèrent d'alerter !« capitaine sur les risques qu'il faisait courir à la frégate, en vain. Richefort était sûr de lui, Richefort donnait les instructions, et Chaumareys, fasciné par tant d'autorité et d'assurance, laissait faire. Dans la nuit du 1er au 2 juillet, le commandant de l'Echo fit plusieurs signaux lorsqu'il décida de prendre le cap sud-ouest et non au sud-sud, voire sudest, pour s'éloigner d'une côte qu'il savait pleine Et dangers. Il ne lui fut même pas répondu. Pourtant les instructions nautiques reçues par chacun des quatre capitaines disaient formellement qu’il faut donc, lorsqu'on va au Sénégal, faire quatorze lieues au sud-ouest en quittant le Cap-Blanc ; il faudra ensuite revenir sur bâbord : la prudence exige que l'on sonde de temps en temps avant d'avoir dépassé le banc d'Arguin et que l'on gouverne plus au large du moment où l'on aura trouvé le fond. Au matin du 2 juillet, l'on s'était assuré de la profondeur de l'eau, mais très vite, il était visible que les fonds remontaient. La mer avait changé de couleur, et semblait sablonneuse, les pêcheurs capturaient plus de poissons, il y avait des algues à la surface. Personne ne sembla s'en soucier. Subitement, en début d'après-midi, la sonde annonça une profondeur qui n'était plus que de dix huit brasses. L'officier de quart fit de suite prévenir le commandant, qui ordonna de venir un peu plus au vent. On amena les voiles, la sonde ne donna plus que six brasses, le capitaine, prévenu, en toute hâte ordonna de serrer le vent le plus possible ; il était malheureusement trop tard. La frégate


talonna à trois reprises pour finalement s'immobiliser. La marée était au plus haut ; la profondeur de cinq mètres et soixante centimètres. Il était trois heures et quart de l'après-midi. Toutes les manœuvres entreprises le reste de l'après-midi et le lendemain matin, s'avérèrent inutiles. On tenta de se hisser à partir d'une ancre jetée au loin. Plus le temps passait, plus la frégate s'enfonçait dans la vase sablonneuse. On jeta par dessus bord tous les objets et instruments d'un poids conséquent, mâts, ballast, chargements de poudre, et même de farine, malgré l'opposition formelle de Schmaltz, rien n'y fit. Il devint certain qu'il fallait abandonner la frégate. Malheureusement celle-ci ne comportait que six embarcations de sauvetage très largement insuffisantes pour contenir ses quatre cent passagers, Un conseil fut convoqué à bord, en présence du colonel Schmaltz, qui décida de la confection d'un radeau pouvant porter deux cent hommes, et les vivres pour toutes les embarcations. Ce radeau, sans force motrice autonome, devait être remorqué par les plus importantes chaloupes, et le cortège, navigant de concert, devait atteindre très vite la côte saharienne et une fois à pic sec, descendre vers le sud en direction du Sénégal qui n'était plus qu'à une centaine de kilomètres. Pendant ce temps, les efforts déployés pour tenter de dégager la frégate continuaient. Ordres et contrordres se succédaient, personne ne dirigeait les évènements. Après quelques instants d'espérance, au cours desquels la frégate se déplaça d'une centaine de mètres, elle vint se ficher plus encore dans le sable. La mer était mauvaise, des courants violents faisaient talonner le navire de plus en plus fortement. Bientôt le gouvernail fut détruit, et, transformé en puissant levier, défonçant progressivement tout l'arrière de la frégate. Il n'y avait plus aucun espoir de sauver la Méduse. Il fallait évacuer. A bord, la terreur était à son comble et les crises de désespoir au paroxysme. Chacun savait le problème de l'insuffisance de canots de sauvetage. Parallèlement aux manœuvres de sauvetage, l'on s'était activé à la préparation du radeau.

Dans la soirée du 4 juillet, le radeau rompit son amarre ; il fallut envoyer un canot le récupérer, non sans mal, ce qui ne contribua pas peu à faire monter la tension. L'évacuation de la Méduse devenait une urgence absolue, dans la nuit du 4 au 5. le niveau de l'eau avait encore monté et atteignait deux mètres soixante-


dix centimètres au matin. Les pompes étaient dans l'incapacité de résorber une pareille quantité d'eau. Le 5 au matin, l'ordre d'évacuation fut donné. La veille, avait été décidé de manière précise la place qu'occuperait chacun, les militaires devant se trouver à bord du radeau. Le moment venu, chacun ne songea qu'à sauver sa vie, nul ne suivit plus les consignes et le plus indescriptible désordre présida à cette évacuation. C'est ainsi que des vivres que l'on avait soigneusement préparé la veille furent oubliés, bousculés, jetés à la mer, hélas ! A bord du radeau ne se trouvaient que des tonneaux de vin. Curieusement, malgré la panique et l'incommodité de la situation, l'on n'eut à déplorer aucun accident, ni aucune perte au moment de l'embarquement. En définitive, se trouvaient sur le grand canot du bord, monté par un lieutenant, avec le gouverneur Schmaltz et sa famille, trente cinq personnes. Cette vaste embarcation, bordant quatorze avirons, aurait certainement pu en porter une plus grande quantité, mais les trois malles du gouverneur et de sa famille... Le canot major à quatorze avirons reçut quarante-deux individus. Le canot du commandant bordant douze avirons prit vingt-huit matelots. La chaloupe, quoique dans un très mauvais état et démunie de rames, se chargea des gens de l'équipage au nombre de quatre vingt huit. Un canot de huit avirons et qui devait être laissé au Sénégal, pour le service du port, fut monté par vingtcinq passagers. La plus petite des embarcations comptait quinze personnes à son bord, dont la famille du greffier Picard, soit outre lui-même, et son épouse, trois jeunes filles et quatre enfants en bas âge. Restait le radeau. Chargé de cent vingt-neuf soldats et officiers de terre ; de vingt marins et passagers et d'une malheureuse femme qui n'avait pas voulu se séparer de son mari, soit en tout cent cinquante personnes. Il avait été formellement interdit aux militaires d'emporter leurs fusils, à bord du radeau, et la plupart n'avait conservé que leurs sabres. Vers sept heures du matin, le signal du départ fut donné et quatre canots s'éloignèrent du bord. Le radeau était encore le long de la frégate où il était amarré, l'embarcation du commandant était sous le beaupré et le Grand Canot près du radeau où 11 venait de déposer des hommes. Un officier de marine assura aux occupants du radeau que se trouvait à son bord tous les instruments utiles à la navigation et qu'il avait lui-même la responsabilité de la conduite de celui-ci. Puis il disparut et choisit un autre transport... Chacun assista au spectacle du gouverneur se faisant descendre à :3bord de son canot dans un fauteuil fixé à l'extrémité d'un palan. Madame Schmaltz et sa fille s'y trouvaient déjà, ainsi que divers officiers, dont le sieur


Richefort, protégés par l'aide de camp du gouverneur qui, à coup de sabre, repoussa tous les malheureux qui voulaient prendre les places encore disponibles et ce sous le regard Impassible de ces dames. Chaumareys tenta de s'échapper subrepticement alors même que plusieurs dizaines de malheureux criaient au secours. Le grand canot vint alors jeter une remorque au radeau qui prit ainsi le large. Le Canot major donna ensuite une touline au premier ; le canot dit du Sénégal en fit de même. Le radeau composé de bric et de broc avec les débris de mâts et des planches mesurait environ vingt mètres de long sur sept de large. Allégé de tous les vivres qu'il contenait, une fois son chargement humain au complet, il s'enfonçait dans l'eau d'environ un mètre ! Il restait encore trois canots et environ quatre-vingts personnes à bord de la Méduse. La chaloupe, commandée par le lieutenant de vaisseau Espiau, arriva à revenir vers la frégate pour embarquer les derniers passagers. Espiau, remonté à bord, embarqua tous ceux qui voulurent partir, assura les autres de ce qu'on les ferait chercher sitôt arrivés au Sénégal et ne quitta le bord qu'après avoir fait hisser à la corne le grand pavillon national. Les différentes embarcations firent cortège, l'on hurla à pleins poumons des milliers de vive le roi et l'on arbora un petit pavillon blanc à l'extrémité d'un canon de fusil. Ainsi trois cent quatre-vingt-trois personnes prirent la mer, alors que dix sept irréductibles, dont souvent l'état d'ébriété ne permettait même pas d'envisager de les descendre du bord en sécurité, décidaient de rester dans les flancs de la Méduse à présent désertée. En définitive, tout semblait aller pour le mieux, les rameurs souquaient ferme, le vent et les courants étaient favorables, l'on se prit à espérer. Et puis subitement, alors que trois canots, dont celui du gouverneur, tiraient le radeau, une certaine confusion se fit, l'un des canots se désolidarisa, puis le deuxième, puis les trois. Le radeau était seul. Les interprétations divergent quant aux raisons de cet abandon, car abandon il y eut, Schmaltz soutint pour sa part que l'amarre rompit, d'autres témoins donnèrent une version toute différente. En tout état de cause personne ne fit le moindre effort pour rattraper le radeau. Chacun ne pensait qu'à sauver sa propre embarcation. Et voilà comment fut commis l'un des plus atroces crimes de l'histoire maritime de notre temps. Dans un premier temps, à bord du radeau personne ne s'affola, persuadé soit qu'il ne s'agissait que d'une fausse manœuvre, soit plus encore, que l'on avait aperçu une voile au loin et que l'on se précipitait pour appeler des secours. Ce


n'est que lorsque toutes les embarcations disparurent à l'horizon que les malheureux comprirent enfin ce qui leur arrivait. Il fallut prendre des décisions, au milieu d'accès de désespoir et de révolte. Le plus gradé des militaires était le jeune aspirant Coudein, à peine âgé de vingt et un ans, et qui était par surcroît blessé à la jambe. Un mât et une voile de fortune furent montés, l'on retrouva un petit compas de poche pour s'orienter et chacun se prit à espérer que les canots après avoir touché la côte et déchargé leur cargaison, reviendraient au plus vite récupérer les naufragés. La première nuit fut affreuse, mais encore pleine d'espérances, malgré la fureur des éléments. Il était à peu près certain que les canots avaient touché terre et que tous les autres passagers de la Méduse étaient sains et saufs. Le jour arriva et calma les flots. Quelques infortunés avaient été coincés entre les éléments du radeau et avaient ainsi péri ; certains avaient été emportés. En une seule nuit, une vingtaine d'hommes manquait à l'appel. Après vingt-quatre heures de navigation, la faim, la peur, le soleil, l'absence de sommeil commencèrent à faire leurs ravages sur les esprits. Deux jeunes mousses et un boulanger se donnèrent la mort en se jetant à la mer après avoir fait leurs adieux à leurs compagnons d'infortune. Plusieurs croyaient voir la terre ou une voile, beaucoup déliraient. Certains gardaient espoir de voir revenir les canots partis la veille, et la journée se passa dans cette fiévreuse attente. Elle fut vaine ! La nuit tomba, emportant les derniers espoirs. La tempête reprit de plus belle, bien plus violente que la veille, emportant à chaque lame quelques malheureux. Persuadés de leur perte beaucoup burent plus que de raison. Les ordres des officiers ne furent plus entendus alors qu'il y allait de la stabilité du radeau dans la tempête. Bientôt un parti de ces malheureux décida de saborder le radeau, les officiers voulurent les en empêcher et ce fut le carnage le plus ignoble. A coups de hache, de sabres, à coups de massues, les révoltés taillaient, jetaient à la mer. La malheureuse et unique femme du radeau, fut ainsi culbutée, ainsi que son mari, et ils ne furent sauvés qu'in extremis d'une noyade certaine. C'était une cantinière qui depuis vingt-quatre ans suivait tous les champs de bataille, secourant les blessés, assistant les mourants. A bord du radeau, un calme précaire était revenu. Certains militaires demandèrent pardon à leurs officiers; on put se croire à l'abri de nouveaux incidents. Ce répit ne dura qu'une heure et la bataille reprit plus violente et plus


désespérée que jamais. Le massacre les laissa tous hébétés. Il n'y avait rien à manger ; la faim conduisait au délire même les plus raisonnables et les plus solides. Le matin se leva. Environ soixante-cinq hommes avaient disparu pendant la nuit, ainsi que la plus grande partie des réserves d'eau et de vin. Corréard et Savigny, rescapés de cette terrible aventure, nous ont raconté la suite dans leur récit, les infortunés que la mort avait épargnés, se précipitèrent sur les cadavres, les coupèrent par tranches, et les dévorèrent à l'instant ! Beaucoup, n'y touchèrent pas ; presque tous les officiers furent de ce nombre. Voyant que cette affreuse nourriture avait relevé les forces de ceux qui l'avaient employée, on proposa de la faire sécher pour la rendre un peu plus supportable au goût. Ceux qui eurent la force de s'en abstenir prirent une plus grande quantité de vin. Les autres essayèrent de manger tout ce qui se trouvait à bord : baudriers de sabres et de gibernes dont ils parvinrent à avaler quelques petits morceaux ; linge ; cuirs de chapeaux sur lesquels il y avait un peu de graisse ou de crasse ; un matelot tenta de manger des excréments, mais il ne put y réussir. La journée se passa toujours dans l'attente des secours qui ne venaient pas. Le soir tomba ; l'océan s'était décidé à se calmer ; la nuit fut presque paisible. Le quatrième matin dévoila une douzaine de personnes mortes d'épuisement au cours de la nuit. La mer fut la sépulture de tous, sauf l'un, que l'on conserva au titre de nourriture. La journée fut belle ; vers quatre heures de l'après midi un banc de poissons volants vint se prendre dans les structures du radeau et l'on put en récupérer un certain nombre. La nuit tombée, l'on alluma un feu qui permit de cuire le poisson... et la viande que l'on avait conservée, et dont, cette fois-ci, tous les officiers goûtèrent. Un nouveau complot fut ourdi pendant la nuit, qui entraîna un véritable bain de sang. La cantinière fut, une fois de plus, sauvée de la noyade. Le cinquième matin se leva, il ne restait plus que trente personnes — dans quel état ! — à bord du radeau. Les membres inférieurs continûment plongés dans l'eau de mer avaient perdu tout leur épiderme, les souffrances de chacun étaient horribles et les secours ne venaient toujours pas. Au septième jour de leur navigation, il ne restait plus que pour quatre jours de vin... Il était certain qu'au moins une quinzaine de ces malheureux étaient condamnés à mourir dans les heures à venir, mais leur consommation de liquide réduisait l'espérance de survie allés autres. Il fut décidé de jeter tous les


blessés à la mer. Parmi eux «e trouvaient la malheureuse cantinière et son mari. Les jours qui suivirent furent atroces, partagés entre espoir et résignation. Un matin un papillon blanc vint se poser sur la voile, messager d'une terre proche ; le lendemain ce fut au tour d'un goéland, suivi d'autres de ses congénères, qui toutefois ne se laissèrent jamais attraper, malgré toutes les manœuvres entreprises. Les derniers survivants en étaient réduits à boire leur urine qu'ils faisaient rafraîchir, autant que possible, avant de la consommer. Au treizième jour, lorsque le brick L'Argus finit par retrouver le radeau, le 17 juillet au matin, il ne restait plus que quinze survivants à bord. Six jours s'étaient écoulés depuis que l'on avait jeté les blessés à la mer. Renaud, le chirurgien de l'Argus prit immédiatement en charge les blessés, et malgré plusieurs accès de délire qui frappaient certains des rescapés, parvint assez vite à les ramener à la raison. Le 19 juillet, enfin, ils arrivèrent à Saint-Louis où plus personne ne les attendait. Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisiennes, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


II. CULTURES SAINTLOUISIENNES


A. Croyances


Mame Coumba Bang Mame Coumba Bang Génie protecteur De Saint-Louis et de ses fils, Ton royaume et de ses fils, Ton royaume est le fleuve; Entre le fleuve et la mer L'embouchure est ton lit, Bopou Thior aussi. Mame Coumba Bang Notre grand-mère... Coumba l'orpheline m'a mis Sous protection dès la naissance, Le lait versé dans le fleuve Est le pacte, Le pacte qui nous lie Qui te lie à Saint-Louis Et à ses fils. Mame Coumba Bang Mame Coumba bang Est-ce-toi ce varan Repu qui émerge


Sous le pont Ou cette vieille femme Ramassant, Furtivement Quelques galets, Sur la berge Au crépuscule?

Alioune Badara Coulibaly, Sénéfobougou Natal, Saint-Louis du Sénégal, Xamal, 1997.


« Un récit initiatique » Alors, Mame Safi lui racontait de sa voix douce et mélodieuse, un peu chevrotante, les histoires et les légendes des temps anciens, quand les toubabs n’avaient pas encore foulé le sol de l’Afrique et que les génies de la brousse, les lutins et les fées vivaient en toute liberté parmi les hommes. Elle lui raconta l’histoire du « fasu rab », du cheval-génie qui, chaque nuit du jeudi au vendredi, traversait l’île de Ndar au grand galop et projetait par ses yeux une lumière aveuglante, rendant fou ou paralysant à vie tous ceux qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin. Elle lui raconta l’histoire d’Amad Gaye Baar, ce pêcheur qui, parti en haute mer avec son fils, prit dans ses filets un gigantesque hippocampe tout harnaché d’or qui n’était autre que le grand génie de la mer. Amad Gaye Baar et son fils furent sans doute les seuls hommes au monde à avoir jamais vu de leurs propres yeux la fabuleuse créature. A la suite de cette vision hallucinante le fils du pêcheur perdit malheureusement la raison. Quant à Amad Gaye Baar lui-même, il cessa d’aller en mer pour se consacrer entièrement à la religion. Il vécut très longtemps, cent trente ans selon certains, et avant de mourir, il accomplit quelques miracles dans son quartier de GuetNdar où encore aujourd’hui il est vénéré comme un « walliyou », un saint. Mame Safi raconta à sa petite fille bien d’autres récits et faits légendaires qui se déroulèrent dans le village des pêcheurs de Guet-Ndar. Mais de toutes les histoires que lui racontait sa grand-mère, Safiètou préférait de loin celle de Mame Coumba Bang, la déesse du fleuve, dont Mame Safi lui avait décrit la beauté dans des termes d’une incomparable saveur poétique. « Sais-tu, ma chère petite fille, que Mame Coumba Bang était à l’origine un être humain comme toi et moi ?... Le fait est que, à sa naissance, elle fut volée par une djinn-femelle à une femme qui venait de la mettre au monde puis remplacée par un bébé-djinn…La mère de l’enfant qui ne s’était aperçue de rien allaita la bébé-djinn qui mourut au bout de quelques jours… » De sa pipe enterre cuite qui ne la quittait jamais, Mame Safi tirait quelques bouffées de « poon », ce tabac des maures à la fumée âcre mais à l’époque fort prisé par les femmes d’un certain âge qui lui prêtait des vertus thérapeutiques. Puis elle reprenait le fil de son récit : « Quant à l’enfant volé qui était une fille, elle survécut et grandit parmi les djinns qui l’élevèrent et l’initièrent aux secrets du monde des êtres invisibles. Elle fut baptisée Mame Coumba, nom qu’elle révéla par la suite à une jeune fille de sa lignée maternelle, ton aïeule Faajol Gaye à qui elle était un jour apparue,


assise sur un banc, d’où le mot « bang » accolé à son nom… » Safiétou écoutait sa grand-mère avec passion, buvant littéralement ses paroles. Lorsqu’elle était à côté de la vieille femme, savourant ces merveilleuses légendes, elle avait l’impression que le temps s’était aboli ou qu’il avait suspendu son vol. La petite fille apprit encore de la bouche de sa grand-mère que Mame Coumba Bang était la gardienne des eaux du fleuve dans lequel elle vivait avec d’autres « rabs », comme Mame Kantaay, sa sœur de lait, moins connue mais tout aussi indulgente qu’elle à l’endroit du genre humain. Mame Coumba Bang qui n’ignorait pas ses origines, était très attentionnée envers les membres de sa propre lignée. Elle leur assurait une protection efficace contre le « thiat », les mauvaises langues et le mauvais œil et aucune action démoniaque ou intention perfide ne pouvaient les atteindre. Mame Coumba Bang avait, aux dires de Mame Safi, « la peau couleur d’or rougeoyant comme le couchant et une abondante chevelure qui lui arrivait à la ceinture ». Après avoir tiré une nouvelle bouffée de tabac pour s’éclaircir les idées, elle continuait : « Par les nuits de pleine lune Mame Coumba Bang sortait des eaux et se promenait dans les rues de la ville sous l’apparence d’une très belle « drianké ». C’est ainsi qu’elle avait entraîné dans le lit du fleuve maint galant homme subjugué par son charme irrésistible et mortel. Certaines personnes savent la reconnaître, mais malheur à elles si elles s’avisaient d’en parler, car Mame Coumba Bang les réduirait au silence, les rendant muettes pour le restant de leur vie… » Mame Safi expliqua aussi à sa petite fille que les djinns enlevaient de temps en temps des enfants nouveau-nés car ils avaient besoin des êtres humains pour leur rappeler leur passé, eux-mêmes étant privés de mémoire, et assurer ainsi la survie de leur espèce. Ces enfants humains élevés par les djinns acquéraient alors les mêmes pouvoirs que ces derniers mais également les rangs les plus élevés dans leur société. Lorsqu’un jour Safiétou demanda à sa grand-mère si elle-même avait déjà rencontré la déesse du fleuve, Mame Safi s’était contenté de sourire en hochant pensivement la tête (…) Louis Camara, « La petite fille de Mame Coumba Bang » (Extrait, conte inédit).


« Saint-Louis » J'ai survolé Saint-Louis de jour, J'ai survolé Saint-Louis de nuit

Nulle part je n'ai rencontré Les génies qui faisaient Sa légende

Nulle part je n'ai senti La présence des génies protecteurs.

Par l’insouciance des habitants N’ont-ils pas quitté Leurs demeures invisibles Pour la forêt sacrée comme refuge ?

J’ai survolé Saint-Louis de jour, J’ai survolé Saint-Louis de nuit, Je n’ai rencontré nulle part les Génies Qui faisaient sa légende. Je n’ai senti nulle part la présence Des Génies protecteurs. Alioune Badara Coulibaly, Rayons de soleil sur Saint-Louis, Dakar, Le Nègre

international, 2009.


Chez le marabout Une idée est née derrière le front de la vielle Hélène, la grand-mère de Nini. Sa petite-fille est en amitié depuis cinq mois avec ce monsieur Martineau qui a l'air si comme il faut. Pourquoi ce monsieur n'épouserait-il pas sa petitefille ? Cette idée la hante comme un remords. La vieille la tourne et retourne dans sa tête si habile aux combinaisons. Le matin, quand elle se lève, l'idée est là. L'idée éclate dans ses premiers bâillements, emplit son café, l'accompagne à la petite messe, trouble la béatitude qu'elle goûtait en présence de son Dieu, dispute la place au souci de ses devoirs religieux. L'idée est partout en elle et autour d'elle. Mais que faire? Après avoir ruminé pendant longtemps le problème, tenté plusieurs solutions impossibles, elle songe finalement, et avec quel bonheur, à un procédé très vieux qui opère, contrairement à la science moderne, en pleine obscurité. Elle songe au maraboutage. Ceux qui pratiquent cette science infuse portent le nom de « marabouts ». Ils sont docteurs dans ces connaissances qui échappent aux appareils et aux instruments. On ne les voit presque jamais. Dans leurs sombres retraites, entourés de savoir et de mystère, ils semblent être en contact direct avec les morts et avec la divinité. Leurs mains sont assez longues; ils peuvent ainsi fouiller à loisir, dans le passé, le présent ou l'avenir, la clef d'une vie humaine et détourner le cours d'une existence. Leurs yeux à demi clos sondent des profondeurs cachées; et leur bouche voilée profère des incantations dont la puissance se mesure à l'influence qu'elles produisent sur une destinée. Il existe, dans un faubourg tranquille de Sor, la case d'un marabout d'origine mandingue. Tout le monde sait que les Mandingues descendent directement des grandes dynasties fétichistes. Aussi sont-ils considérés comme des hommes à la science dangereuse, toujours prêts à se venger ou à jeter la perturbation dans les idées et les sentiments d'un individu. Ils portent, dit-on, un talisman qui les protège de toute agression. Le pouvoir de ce talisman est tel que si vous , brutalisez un Manding digne de ce nom vous tombez immédiatement et le mal qui vous frappe se manifeste par des coliques suivies d'effets honteux. Un Manding peut encore vous jeter la maladie ou la mort à une distance que l'imagination ne peut. concevoir. Ce pouvoir mystérieux est connu sous le nom de « corté ».


La vieille Hélène qui a à sa disposition des femmes indigènes très bien renseignées, peut être au courant de tout ce qui se passe dans la ville entière de Saint-Louis. C'est ainsi qu'un soir sans lune, elle quitte la maison grise située au bord du Petit-Bras. Nul ne la voit longer les hautes murailles, traverser la petite rue qui mène au Pont Faidherbe en passant par le Lycée. Un seul témoin l'accompagne : Bakary, le petit Bakary, l'âme damnée de la maison. Or Bakary, à l'occasion, est muet et sans cerveau. On l'a dressé pour oublier sur-le-champ ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu, voire pour soutenir le contraire de ce qu'il a vu ou entendu. Telle une ombre malfaisante qui glisse à travers la foule, la vieille Hélène atteint le pont Faidherbe et choisit pour ne pas être dévisagée le trottoir situé du côté sud où seuls passent les promeneurs nocturnes. A sa droite le fleuve s'étend à l'infini, reflétant dans son eau sombre les quelques lumières qui jalonnent le quai. Devant elle, formant comme une barrière hostile, apparaît un amas de silhouettes et de végétation qui est le village de Sor. Le village de Sor... Elle y arrive bientôt avec ce petit train des vieilles personnes dont l'allure est sage autant que les pensées. Personne ne la remarque, car chacun a ses idées qui l'empêchent de voir les autres. Celui-ci va annoncer le décès d'un parent; cet autre court vers sa belle, un autre goûte particulièrement la douceur de cette nuit tranquille. Chez l'un le cerveau effectue d'interminables calculs, chez l'autre les sentiments l'emportent. La vieille Hélène aussi a son idée qui ne la quitte jamais. Elle traverse aisément le village de Sor et arrive au quartier de Ndiolofène qui est par excellence le domaine des mystères et de la végétation. Et tout à coup surgit d'un coin ténébreux une femme noire qui l'aborde en chuchotant des mots de ralliement. Toutes deux, suivies du petit Bakary, marchent vers un dédale d'arbres noirs, s'engagent dans l'ombre qui les engloutit et arrivent finalement devant une pauvre case isolée. Une petite lumière y clignote et le lieu donne l'impression d'un foyer de fétichisme.


La nuit est noire. Autour de la case un silence complet pèse. Pas un chien ne fait entendre son aboiement. Pas un bébé ne pleure; pas un éclat de rire, pas une toux forte ne signale alentour une présence humaine. Le petit Bakary qui est superstitieux par hérédité ouvre de grands yeux effrayés dans les ténèbres, sur la sombre végétation qui semble bouger et danser devant lui à quelque distance. Il lui semble entendre le silence et ses oreilles en bourdonnent. La femme noire précède la vieille Hélène. Elle frappe contre la porte et un gémissement qu'on ne peut attribuer à une créature humaine répond comme du fond d'un tombeau. La femme noire dérange une porte en roseaux tressés donnant sur un abîme à peine éclairé où bouge une forme accroupie sur le sol... Avec des gestes d'une extrême lenteur, le marabout invite les deux visiteuses à s'asseoir. Le marabout ne parle pas tout de suite. La rigueur des dogmes auxquels il obéit, auxquels il assouplit son corps et ses organes lui interdit toute communication avec les hommes, du moins par la parole. En attendant, la vieille Hélène parcourt d'un regard hébété l'intérieur de la case. Les murs en terre glaise qui devaient être gris autrefois sont crasseux et remplis de crevasses. A un des angles s'élève une montagne de livres saints couverts de peaux de chèvre. Et sur cette montagne s'étire un énorme chapelet dont les grains noirs ont une grosseur peu commune. En bas une sorte de grabat, également couvert de livres saints. Par-ci par-là des canaris, des vases, des bouteilles remplis de produits mystérieux jonchent le sol de terre battue. Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


B. Les mœurs


Mariage à la mode du pays Avec la croissance de leur fortune et de leur statut social, ces dames ne voulurent plus n'être que des concubines de luxe. Elles prétendaient à un statut d'épouse légitime qui se heurtait bien évidement aux circonstances de fait, dont, en particulier, la précarité de l'établissement de l'époux dans la colonie et l'impossibilité, ou, souvent, le refus de le suivre dans ses différentes affectations à travers le monde, ou à son retour en métropole. Le concubinage prit alors toutes les caractéristiques du mariage approuvé par l'Eglise. Une signare n'aurait pas voulu d'un homme, quelle que soit sa richesse, s'il ne s'était pas publiquement affiché comme son mari et n'avait pas préalablement demandé sa main à tous ses parents. Cette forme originale de mariage fut appelée mariage à la mode du pays. Il fallait trouver un compromis entre l'impossibilité d'envisager une union stable et durable, et la nécessité de respecter certaines formes qu'exigeait l'honorabilité morale à laquelle les dames du Sénégal aspiraient, tant pour elles-mêmes que pour leurs filles. En ces temps de moralisation, de restauration d'un ordre ancien, et pour moi révolu, au moment où j'écris ces lignes, il est de bon ton d'aller chercher des justifications à cette situation de fait qui, à mes yeux, n'en exige aucune. Ainsi certains ont cru pouvoir avancer que la colonie ayant été prise plusieurs fois par les Anglais, et occupée par eux pendant un assez grand nombre d'armées, des fonctionnaires anglais furent substitués aux fonctionnaires français mais que naturellement le gouvernement anglais n'envoya au Sénégal ni prêtres, ni missionnaires catholiques. Or, comme la population chrétienne était catholique, elle ne pouvait pas renoncer aux mariages, mais il était impossible de les célébrer avec les consécrations légale et religieuse et l'on fut obligé de s'en passer. Cette analyse ne résiste pas aux faits, en ce qu'elle fait fi de l'existence de cette coutume bien antérieurement à la première période anglaise pour SaintLouis. D'autre part, même pendant la période anglaise, la population avait pris l'habitude de célébrer les offices chez un notable qui se substituait au prêtre en cas de nécessité. Pourquoi n'aurait-il pas célébré, même de façon rudimentaire, des mariages, alors qu'il administrait le saint baptême ? En outre, le passage accidentel à Saint-Louis sous domination anglaise de quelques représentants du clergé catholique n'a rien changé, puisque si ceux-ci ont beaucoup baptisé,


enfants et adultes, ils n'ont à peu près célébré aucun mariage. Enfin, il est établi et ma propre existence en est le vivant exemple, que le retour des Français, et donc du culte catholique, n'a rien changé à cette coutume.

Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisienne, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


C. Manifestations


Pâques à Saint-Louis C'est Pâques, c'est la fin de Carême. Jour radieux, plein de promesses et de consolations pour les gens pieux qui viennent d'observer avec austérité tous les commandements de l'Eglise. Un soleil splendide s'est levé, aussi joyeux que les hommes et les anges qui vont participer à la célébration de cette grande journée. Les cloches, revenues de Rome, carillonnent depuis le matin. On dirait que dans l'air flottent des souvenirs d'histoire sainte, de grandes visions inachevées, une nostalgie grisante qu'approfondit de plus en plus la voix des cloches. A huit heures l'église est envahie. De toute part arrivent les fidèles : hommes, femmes, enfants de toutes couleurs, drapés dans leurs costumes des grandes fêtes. Ils viennent, les uns appelés par leur foi ardente, les autres pour satisfaire à une simple obligation traditionnelle. Il y en a dont l'unique préoccupation est de faire admirer la coupe irréprochable de leur costume fait ailleurs qu'à Saint-Louis. Ceux-là se tiennent en groupes sur le seuil de l'église pour bavarder. Nini arrive comme tout le monde. Elle est vêtue d'une robe dont l'étoffe et la coupe sont de la dernière mode. Elle a des gants blancs et porte des chaussures lamées argent. Un petit chapeau mignon d'un genre inconnu à Saint-Louis, sans bord et rappelant une toque de bonze, surmonte ses cheveux teints au bistre clair. Son amie Madou qui l'attendait court à sa rencontre. Elles se font de brefs compliments et pénètrent ensemble dans l'église. A la sortie de la messe, la rue Schoelcher qui longe l'église devient un vrai parterre où les robes mêlent leurs couleurs bigarrées et leurs reflets chatoyants qui rutilent sous le soleil. La foule qui tout à l'heure s'était fondue dans la maison sainte en un même élément soumis au même idéal, se divise maintenant en îlots suivant les classes sociales ou les affinités. Car si les hommes sont égaux devant Dieu, ils ne le sont plus dans la rue. Il faut peut-être attendre le paradis céleste pour voir se réaliser le miracle d'une parfaite communion des couleurs, des races et des sentiments. Les groupes les plus importants sont ceux des mulâtresses de première et de seconde classe où l'on distingue quelques couples de Blancs « bon teint ». Il y a aussi des groupes plus hétérogènes formés de mulâtresses de troisième classe et de filles noires cent pour cent.


- A ce soir. - C'est entendu. Les invitations se multiplient. On doit prendre l'apéritif chez X, déjeuner chez Y, dîner chez Z. Toute la journée, ce sont des visites interminables, des coupes de Champagne levées à la santé des uns et des autres, des beuveries inqualifiables. L'homme se fait payer cher les instants de recueillement et les sacrifices qu'il consent à la divinité. Quand il a, par des jeûnes et des prières, fait absoudre en un jour tous ses péchés de l'année, il recommence à pécher de plus belle la minute d'après. Enfin le soir arrive et noie toutes les toilettes dans l'ombre d'une nuit sans lune. Il verse son calme et sa douceur infinie sur tant d'ivresses. Sous l'impulsion de forces invisibles les phonos, les pick-up, les postes semblent partir tout seuls. On entend le nasillement des uns, le hurlement des autres. La voix de la radio entrecoupée de crachements et de hoquets, donne les nouvelles du monde et termine sur des airs classiques. La ville de Saint-Louis prend un air de fête. Les fenêtres largement ouvertes crachent des flots de lumière, de musique, de battements de mains frénétiques, de rires convulsifs. Mais comme la gaîté est contagieuse, les indigènes, de leur côté, organisent dans leurs quartiers respectifs des tam-tams et des « sandiayes ». « Sandiaye sa n'ga diogué Ndar Dieum N'Dakarou Dial Diop, bimblang. » (Le sandiaye a quitté Saint-Louis pour Dakar de Dial Diop.) Sur le sable mou des villages la mélopée, scandée par des battements, donne envie de tourner, de tourner plus fort, en découvrant les jambes, les cuisses et les hanches chargées de colliers de perles. Mais le sandiaye est parti et il ne reviendra peut-être jamais: On se demande par quel moyen il a quitté le pays de Ndar pour se rendre à Dakar de Dial Diop. Il a tourné simplement, emporté par une chanson légère qui l'a véhiculé dans l'espace. Et quand la petite Dakaroise a entendu cette chanson vagabonde venue de loin, elle s'est mise à danser, à tourner follement sous l'empire de Satan, animateur des joies humaines.


Dans le milieu européen on se prépare pour se rendre à l'une ou l'autre des soirées prévues. Il y a bal au « Cercle Civil », au « Cercle des Sous-Off. » et au « Saint-Louisien-Club ». Le « Cercle Civil » est situé à Saint-Louis, rue Porquet. C'est une association où ne peuvent entrer que les Européens, un milieu qui réunit la haute bourgeoisie coloniale composée d'ingénieurs, de médecins, d'administrateurs, voire de commis et d'instituteurs blancs. La condition nécessaire et suffisante pour y être admis est d'être blanc ou nègre haut placé des Antilles. Les mulâtres n'y sont pas reçus, mais leurs nièces et leurs sœurs, les Ninis, les Riris, les Loulous, les Nanas et les Nénettes peuvent y venir quand elles sont dûment accompagnées par des Blancs membres du Cercle et qui leur servent de caution. C'est un cercle fermé au sens le plus large du mot. Le « Cercle des Sous-Off » demeure le seul milieu où Blancs et Noirs peuvent se trouver ensemble, s'amuser ensemble et rigoler ensemble comme des frères. Il faut reconnaître qu'à la colonie les militaires font en général preuve de plus de modestie et de compréhension qu'une prétendue bourgeoisie née sur place à la faveur d'avantages que refuserait la Métropole. Et dire que leur mission n'est pas essentiellement, comme celle des coloniaux embourgeoisés, de faire œuvre d'apostolat... Le « Cercle des Sous-Off » n'admet comme membres que des militaires, mais sans distinction d'aucune sorte tenant compte de l'origine ou de la couleur. Certains Noirs du pays qui ont des amis parmi les membres du cercle peuvent aller aux soirées qu'il organise : ils sont reçus sans aucune retenue ni aucune attention spéciale; tout simplement comme des hommes. Les mulâtresses de première et de seconde classe ne vont jamais à ce cercle où, disent-elles, on rencontre trop de nègres et de petits caporaux. Quant au « Saint-Louisien-Club », situé rue Blaise-Dumont, c'est un cercle créé par quelques autochtones de bonne volonté qui ont compris l'utilité d'une organisation répondant à des besoins nouveaux mais réels de l'indigène évolué. La jeunesse noire « à faux-cols et à cravates » dont les aspirations dépassent le cadre des bamboulas et des guitares africaines, y peut danser, prendre l'apéritif, écouter des conférences, assister à des représentations théâtrales. Les conditions d'adhésion ne prévoient aucune mesure d'ostracisme.


Nini et Madou vont au « Cercle Civil » de l'air le plus détaché du monde. Là elles trouveront des Blancs bien éduqués, des dames de la « haute ». On les fera danser, - il n'y a pas de danseuse plus lascive et plus collante qu'une mulâtresse. On les fera boire aussi, boire beaucoup pour entendre leur babil qui est un réel divertissement, et peut-être pour les pousser plus facilement à des exhibitions sur la scène du cercle. Au « Saint-Louisien-Club » les premiers danseurs sont arrivés et le pickup joue des concerts en attendant le moment d'attaquer les one-steps, les rumbas, les sambas et les tangos. L'élégance est parfaite dans les costumes de drap sombres, les plastrons et les cols empesés, d'où émergent, faisant contraste, des têtes noires bien peignées et pommadées. Les dames et les demoiselles qu'on remarque à toutes les tables ne le cèdent en rien pour leur élégance et leur bonne tenue à n'importe quelle mulâtresse de première ou de deuxième classe. Et puis, au moins, elles se sentent chez elles, dans un milieu où elles peuvent franchement s'amuser, sans aucun complexe. Des couples d'Antillais sensibles à l'ironie du Blanc ont préféré passer ici leur soirée et concrétiser des liens raciaux que l'on se contente le plus souvent d'évoquer aux heures sombres, aux heures de commune misère... La première danse exécutée par le pick-up est une rumba qui envoûte et qui donne aux Sénégalais la nostalgie de pays lointains différents du leur mais dont les rythmes brisent leurs reins en mille morceaux, comme le font certaines notes obsédantes et syncopées de leurs tam-tams ancestraux. La biguine et la rumba sont des danses jaillies d'une opposition : celle de la violence et celle de la douceur. Douceur des tangos lents d'origine méditerranéenne; violence des bamboulas africaines, nourries par les haleines brutales qui caressent l'échiné des hommes quand sonne l'appel de l'instinct sous la pesanteur de la nuit et de la forêt. Chez ceux qui les ont créées, la biguine et la rumba sont l'expression peut-être inconsciente d'un état d'âme collectif grevé par une vague nostalgie du pays d'origine, ensoleillé et toujours présent dans la chair. Nostalgie qui ne peut se traduire en accents suaves et doux parce qu'il subsiste un regret, un souvenir qui l'empoisonne : celui de l'exil et de la contrainte. La biguine et la rumba sont les deux modes d'une même réaction pour accepter tout en la repoussant la danse européenne, la civilisation européenne...


Les couples s'élancent sur la piste et se déplacent d'un mouvement souple des reins, au rythme de cette berceuse afro-américaine qui les endort et les fait danser un peu malgré eux. La bamboula, aux dires des vieux, n'est pas plus satanique. La rumba cesse, on applaudit avec frénésie... Les visages noirs commencent à briller de sueur et de plaisir. On regarde le pick-up et le pick-up recommence la rumba. Au « Cercle Civil », Nini et Madou n'auront pas le bonheur de danser la biguine et la rumba qui répondent cependant à leurs instincts nègres. Durant la pause qui suit cette première danse, un monsieur arrive accompagné d'une dame et d'une demoiselle, tous trois blancs « bon teint ». Le président les reçoit comme il faut et les fait asseoir à une table réservée. C'est M. Campian et sa famille. M. Campian est le seul Blanc de Saint-Louis qui fréquente le « SaintLouisien-Club ». Homme d'une certaine position sociale, puisqu'il est ingénieur des Ponts-et-Chaussées et sous-directeur des Travaux Publics du Sénégal. On le croit très négrophile, plus négrophile que M. Roddin, professeur au Lycée Faidherbe qui a donné en plein « Saint-Louisien-Club » une conférence sur l'égalité des races. La bonté de l'un ou de l'autre est un perpétuel sujet de discussions passionnées. En tout cas M. Campian vient fréquemment au Cercle où il a eu l'occasion de connaître des indigènes très corrects et déférents qui l'aiment et s'honorent de sa présence parmi eux. Une valse... Les couples se lèvent, s'enla cent et tournent, tournent encore, tournent toujours, tournent à perdre haleine. La valse, sandiaye des toubabs que n'accompagnent ni mélopées ni battements de mains et qui ne cause ni chutes ni pâmoisons. Sandiaye des Blancs venu de loin, sous forme de chanson légère, et que l'on danse à deux, poitrine contre poitrine, souffle contre souffle. La valse également ne reviendra jamais au pays du froid. Dehors les indigènes sont massés. Ils regardent les danseurs à travers les nattes qui bouchent les ouvertures. Ils font des réflexions. Certains d'entre eux voudraient venir valser et boire autre chose que de la limonade et du sirop; mais l'autorité de la tradition et la peur des mauvaises langues pèsent sur eux.


Les filles noires qui reviennent de leurs tam-tams ne sont pas indifférentes à cette musique ailée qui fait tourner mieux que les mélopées des sandiayes... A mesure que la soirée se prolonge une gaîté franche succède aux airs guindés des uns et libère les autres de leur invincible timidité. Les confettis volent à l'assaut des danseurs. On bombarde les couples assortis. L'excitation atteint son paroxysme. Le soleil se lève sur toutes les fêtes en voie de déclin. L'aube blanchit l'atmosphère et rend peu à peu moins poétique le contenu des salles de danses : gens et choses. Les plus sérieux se retirent pour profiter des dernières ombres qui abritent après le bal les vêtements froissés et les secrètes ivresses. Les plus gris restent sur place, défiant l'apparition du jour et les réflexions que leur état peut susciter. Ils videront le reste de la cambuse et dévoreront les derniers sandwiches. Cela ne regarde personne : c'est un jour de gaîté, de joies gastronomiques et de pardon.

Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


Fête des « moniteurs » Six Octobre. Dans Vile de Saint-Louis, à N'Dar Toute, à Sor et jusqu'à Leybar on ne parlait que des réjouissances des « moniteurs». Karim n'assista qu'au tam-tam de clôture qui avait lieu non loin de la demeure de Marième. A deux heures, il y eut une foule telle que les rues avoisinantes furent inaccessibles. Il y avait là des saint-Louisiens arrivés des quatre coins du Sénégal. On racontait que certains d'entre eux avaient abandonné leur travail parce que le patron n'avait pas consenti à leur donner quelques jours de congé... Il était venu des natanguistes1 natifs de Rufîsque, Dakar, Louga, Tivaouane, Thies... Les méchantes ïangues disaient que des femmes avaient divorcé pour s'amuser librement... Demoiselles et jeunes hommes s'étaient drapés de boubous de cérémonie. Les griots se surpassaient et produisaient une musique, comme on n'en fait qu'à N'Dar et lors des grands jours : Les « ndeundd »2 poussaient leurs hululement d'allégresse, fougueux et sautillants, semblables à des chevaux de parade. Leur accompagnement était chevauché par la phrase musicale du « sabar »3 qui piaffait d'impatience, trépignait d'un pied, puis de l'autre, virevoltait, faisait des siennes, provoquait les danseurs... Et bientôt les vedettes ouvrirent le tam-tam : Toutes belles, toutes gracieuses dans leurs mouvements; les spectateurs ne parvenaient pas à discerner celle qui dansait avec le plus d'art ! Ce fut le tour de Marième. La magnificence de ses toilettes et le goût sûr qui les avait combinées étonnèrent tous-ceux qui étaient présents. Elle fut applaudie dès le premier pas.

1

Natanguiste : noceur (terme de snobisme), fêtard. Ndeundd : grand tam-tam d’accompagnement. 3 Sabar : tam-tam principal, plus sonore et plus vibrant que le tam-tam d’accompagnement. 2


Les musiciens jouaient un air nouveau... Une danse qui avait des démangeaisons, se secouait, frémissait, devenait frénétique et brusquement piquait une syncope... Une cascade de sons aux molécules heurtées et surchauffées, comme un torrent dans sa descente vertigineuse du Fouta-Djallon; une musique au rythme éperdu, image de la haute tension de la sève noire !... Marième dansa pareille à une cascade : le Niger descendant des rochers 1 Elle dansa avec la fougue d'un « pur-sang » lancé sur la plaine nue !... Et Karim, sous l'emprise de l'admiration, laissa tourbillonner dans le cercle trois billets de cent francs. Les griots applaudirent à l'aide d'une musique dense, profonde, au rythme louangeur. Marième ramassa l'argent, souriante, et le remit au chef d'orchestre. La réconciliation était consacrée.

Ousmane Socé, Karim, 1935.


Les régates de Saint-Louis Puis, dans l'après-midi, au moment où la chaleur du jour est tombée, s'organisent des régates qui ajoutent aux fêtes de Saint-Louis une note bien locale. Une à une les pirogues de Guet-Ndar arrivent, montées par des hommes vigoureux qui rament debout. Elles sont longues, effilées, comme des poissons enchantés. La foule les accueille par des clameurs sauvages et l'on se bouscule pour voir de plus près ces hommes aux muscles saillants et durs dont l'ardeur se lit sur leur visage inondé de sueur. A l'horizon, du côté où le fleuve semble finir et où commencent les plaines mauritaniennes, une bouée est ancrée portant un drapeau tricolore. Le signal du départ étant donné, les pirogues s'éloignent, laissant derrière elles un sillage écumeux. Les hommes rament avec méthode, dans un élan de solidarité splendide. Les anciennes rivalités de familles et de quartiers, le souvenir d'une défaite qu'il faut venger, celui d'une victoire remportée l'an dernier et qu'il faut conserver à tout prix cette année, tant de raisons de ramer sans défaillance animent les concurrents qui forment, dans chaque pirogue, un même corps soumis au même rythme et à la même cadence, rythme et cadence dont dépend l'issue de la compétition. Sur les quais un immense brouhaha s'élève, ponctué par le battement joyeux des tam-tams enragés. A mesure que les pirogues s'éloignent, le champ du spectacle se rétrécit; la distance semble les rapprocher. On n'aperçoit bientôt plus que des masses oblongues douées de mouvements synchroniques, échelonnées sur un espace réduit et qui bougent avec la lenteur de gros vers de terre. Ayant contourné la bouée, les pirogues reviennent, grossissant à mesure qu'elles approchent du point d'arrivée. On distingue de plus en plus nettement la première et la dernière. Et les hurlements de la foule montent à leur paroxysme. Les vainqueurs, magnifiques et ruisselants de sueur, brandissent leurs pagaies en l'air et poussent à leur tour des cris de triomphe. La foule de leurs


amis les accueille dans un délire poignant et manque de se jeter à l'eau pour les embrasser... Quinze minutes plus tard les pirogues repassent sous, le pont Faidherbe en direction de Guet-Ndar où, dans l’intimité des traditions inviolées, divers quartiers manifesteront les uns leur joie débordante et les autres leur mortel ressentiment. Les spectateurs se dispersent, désertant les quais où bientôt l'on n'aperçoit plus que des voiliers isolés et taciturnes qui continuent, sur le même rythme monotone et lent, leur balancement sur le fleuve. Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


III. SOCIOLOGIES SAINTLOUISIENNES


A. Les esclaves


L’esclavage au XVIIIe siècle Je mis beaucoup de temps à me faire à la situation des captifs. A Metz il n'y avait ni esclaves, ni captifs, ni Noirs. Dans les ports de France où j'avais servi il m'était arrivé d'entr'apercevoir un de ces hommes de couleur domestique de tel ou tel riche marchand ou matelot à bord d'un navire, sans autrement m'en émouvoir. Je savais qu'il existait des hommes (et des femmes) noirs en Afrique. Je croyais savoir que les Européens leur avaient apporté un embryon de civilisation qui les sortirait des abîmes où ils se tenaient, dans un état plus proche de la nature que les êtres humains normaux. Je ne m'étais donc jamais interrogé outre mesure sur la légitimité de leur servitude tant celle-ci me semblait un moindre mal dans une vie vouée à l'obscurité et à l'ignorance. Un demi-siècle en Afrique a, de toute évidence, modifié mon regard sur la question. Dès mon arrivée, j'avais été frappé par la liberté et l'indépendance dont faisaient preuve les Noirs et plus généralement les personnes de couleur avec lesquelles j'ai passé la plus grande partie de ma vie. Habitué à les voir soumis, brimés, à michemin entre l'objet inanimé et l'animal de compagnie, je découvris sur cette terre un peuple fier, indépendant, délicat, savant, subtil et libre et mesurai bien vite à quel point mes préjugés avaient pu déformer mon approche des choses. Le reste de ma vie en sera la démonstration quotidienne. Je n'ai pas choisi ma femme parmi ces métisses si claires qu'on les croyait blanches, ni parmi ces quelques femmes blanches, cantinières et femmes de rien, orphelines et reléguées, qui traînent leur langueur fade et comme décolorée dans ces terres flamboyantes. Ma femme est de ces femmes dont le très beau noir de la peau chante comme un hymne au soleil, tout à la fois miroir et parure, décor et invite, persuasion et confort. Mes filles sont - comme il se doit - les plus belles filles de la terre et jamais poète ne pourra trouver les mots pour dire leur beauté et leur charme. Et les hommes noirs ne sont pas en reste dont le corps généralement bien proportionné et élancé, la noblesse du port et de l'allure, s'allient avec une intelligence et une culture qui n'ont rien à envier avec celle de la plupart de mes concitoyens. Le baron Roger faisait souvent observer que l'on rencontre des villages dans lesquels il existe plus de nègres sachant lire et écrire l'arabe, qui est pour eux une langue morte et savante, qu'on ne trouverait dans beaucoup de campagnes de France de paysans sachant lire et écrire le français !


Alors, l'esclavage ! Il est aisé de répondre en premier lieu qu'il s'agit d'une coutume qui existe et a toujours existé dans toutes les civilisations. Il est encore plus facile d'observer que c'est une pratique dont les Africains usent et abusent entre eux, et que donc, si les Africains mettent eux-mêmes leurs propres frères dans les fers, comment pourraiton nous le reprocher, à nous étrangers. Il est certain, par surcroît, que l'esclavage ne pourrait se pratiquer en Afrique si les Africains eux-mêmes, et leurs rois tout particulièrement, n'étaient les premiers à se charger de les pourchasser de les rassembler et de les amener jusqu'à la côte pour les livrer aux négriers de tout poil qui y font de fructueuses affaires. Le débat est insoluble, il est celui de l'œuf et de la poule, y aurait-il des marchands d'esclaves s'il n'y avait personne pour les acheter ?

Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisienne, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


B. Les signares


Naissance du phénomène des signares Michel Adanson, le célèbre naturaliste aixois, qui a séjourné au Sénégal entre 1749 et 1753, nous explique dans un mémoire rédigé en 1763, dans cette ortografe nouvele qu'il cherchait à propager : les François établis sur cete ile pour le comerce n'aiant pas la permission de se marier et d'i amener des femmes de France, i ont atiré des négresses qu'ils i ont domicilié avec les mêmes avantajes qu'eussent pu exijer des Européennes. On pense bien que dans un pais très chaud les homes ne sont pas insensibles, moins encore des François qui ont toujours eu des égards pour un sexe aussi danjereux qu'aimable, et il faut avouer qu'il i a au Sénégal des négresses qui, malgré leur couleur noire méritent d'être aimées. Ô grande vérité ! Elles méritent l'amour. Tout avait été fait pour réprimer ce dangereux penchant. C'est ainsi que le sieur La Courbe, directeur par intérim de l'habitation du Sénégal écrivait en 1685 qu'il avait organisé l'habitation pour que les employés ne puissent trouver aucun prétexte pour se mêler aux négresses. Ces mesures ne furent pas du tout du goût des intéressés qui se plaignirent de ce qu'on les voulaient faire vivre comme des religieux. Et l'ordonnance royale du 17 janvier 1682 portant création de la compagnie du Sénégal dut expressément prévoir des sanctions pour interdire ces contacts. Toutes ces mesures furent vaines et les enfants nés de ce commerce illégitime formèrent une nouvelle race que l'on appela mulâtre, mixtive ou métisse. Les femmes prirent l'habitude de se faire appeler signare, mot dérivé du portugais senhora et signifiant madame. Si l'on ne peut dater, faute d'un état civil cohérent à l'époque, l'apparition des premiers métis à Saint-Louis du Sénégal, différents documents en attestent la naissance certaine à la fin du dix-septième siècle. Le Tableau des habitants existant sur l'île Saint-Louis au 1er juillet 1758, établi par le commis Duranger, resté à Saint-Louis de niai à novembre 1758, pour liquider les affaires françaises, après la conquête anglaise, mentionne déjà un nombre respectable de métis. Ce tableau en effet, est établi selon le procédé classique du dénombrement des cases et il est intéressant de souligner qu'il recense dans le sud de l'île soixante-dix cases dont trente-quatre occupées par des nègres, trente-deux par des mulâtres et quatre


par des Français. Dans le nord, l'on trouve soixante-huit cases dont cinquanteneuf appartiennent à des Noirs, huit à des mulâtres et une seule à un Français. Quel était le statut social de cette population mitoyenne pour reprendre l'expression d'Adanson ? Les premières générations de garçons mulâtres ont été employées par la compagnie en qualité d'ouvriers ou de matelots, mais, à l'époque, toujours en tant que maîtres, parce que nés d'un père français, et non comme esclaves, quand bien même leur mère eût été esclave. Les filles mulâtresses ont joui des privilèges de leurs mères, et se sont souvent établies aux frais de la compagnie en tirant très rapidement le plus grand profit matériel et social de leur charme à propos duquel tous les auteurs s'accordent. Et l'on trouve au Sénégal toutes les variétés du type métis, avec sa palette infinie de coloris, depuis la svelte jeune fille à la carnation presque translucide, au regard illuminé par des yeux verts, jusqu'à la sombre beauté couleur d'ocré majestueusement drapée dans une large écharpe de pagne tissé aux éclatantes couleurs. Femmes d'affaires avisées, ces signares ont su établir et gérer leurs fortune avec une maestria stupéfiante, n'hésitant pas à mêler leurs intérêts à ceux des agents de la compagnie dont elles partageaient l'existence. Il existe ainsi un virulent rapport concernant le conflit qui opposa en 1776-1777 Le Brasseur, représentant du roi de France, et Dubost-Naguet, représentant des associés de la compagnie, intitulé Note sur la traite illicite faite par le sieur Frémin, sous le nom de la signora Marie-Thérèse, concubine du gouverneur. Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisienne, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


Que sont les signares devenues ? Saint-Louis est la capitale des mulâtresses, leur univers fermé d'où elles entrevoient la belle et douce France. La belle et douce France, objet de soupirs énamourés, patrie perdue. A Saint-Louis l'élément mulâtre se distingue nettement de l'élément noir. On dirait les immigrants d'une race d'aristocrates déchus vivant dans un perpétuel effort pour en imposer à leur entourage, les nègres. Entre mulâtres même il y a des cloisonnements étanches. Ils se distinguent entre eux non seulement par des titres de noblesse authentique ou fausse mais encore et surtout par la teinte de leur peau et par le nom de famille devenu célèbre grâce à l'aïeul blanc qui a été magistrat, officier ou grand négociant. Mais la volonté de ségrégation la plus nette se remarque chez les mulâtresses qui se divisent en trois grandes classes. Il y a les mulâtresses de première classe qui sont presque blanches et refusent d'être prises pour des métisses. Leur plus grand souci, leur raison d'être est de ressembler aux « Toubabou-Guètch »4. Elles ont un intérieur dont elles exagèrent le confort et la tenue. Elles se croient souvent des filles de bonne famille « plus éduquées que beaucoup de Blanches qui s'expatrient ». Les mulâtresses de seconde classe sont plus basanées mais non moins prétentieuses que les premières. Elles sentent que celles-ci ont vis-à-vis d'elles un certain complexe de supériorité que ne justifie bien souvent qu'une légère nuance dans la couleur comparée de leur épidémie. Aussi nourrissent-elles à l'égard des mulâtresses de première classe un ressentiment très fort qui n'attend qu'une occasion pour se traduire en actes. Les mulâtresses de première et de seconde classe relèguent dans le même mépris les Noirs et les Mulâtres. Parmi ces derniers se trouvent cependant des hommes ayant une instruction et une situation qui en imposent. Mais ce n'est pas tout cela qu'il faut à leur orgueil insensé; ce qu'il leur faut c'est un homme blanc et rien d'autre. 4

Toubabou-Guètch : Blanc de France


Les mulâtresses de troisième classe occupent le dernier échelon de cette hiérarchie. La position sociale de leurs parents et la teinte foncée de leur peau sont incompatibles avec la vie entièrement à l'européenne. Aussi vivent-elles entre les deux milieux et les deux conceptions qui marquent le clan blanc et le clan noir. En marge de ces trois catégories, il faut placer certaines mulâtresses de toutes teintes échappées du troupeau, qui ont fait piquer au noir leur lèvre inférieure, tout comme les négresses noires, tresser leurs cheveux à l'indigène, et qui mordent avec dignité, en pleine rue, l'habituel « sotiou », morceau de bois tendre qui rend les dents éclatantes de blancheur. C'est un spectacle, un panorama séduisant d'espèces et de sous-espèces, de couleurs épidermiques, de toilettes, de grâces diverses; un monde hétéroclite dominé par des antagonismes latents et des rancunes tenaces. Le sort des mulâtresses de première et de seconde classe est digne d'attirer l'attention du psychiatre. Elles ont grandi dans l'idée qu'autrefois tous les Noirs de Saint-Louis étaient leurs esclaves; que malgré la pseudoabolition de l'esclavage et les efforts de la démocratie qui voudrait l'égalité des races et des classes, il est impossible qu'elles condescendent à considérer les Noirs comme des égaux. Les vieilles grand-mères et les vieilles tantes qui représentent l'ordre ancien montent la garde. Conservatrices farouches en matière religieuse ou sociale, elles tiennent à conduire à bon port leurs petites filles, les Nini, les Madou et les Nénettes. Aussi les mulâtresses de Saint-Louis ont-elles l'air de détonner dans un milieu où Blancs et Noirs authentiques vivent normalement, sans heurt et sans bruit, chacun dans le cadre qui répond à ses mœurs. Elles savent peu des choses de la vie bourgeoise, autrement dit de la bienséance, mais elles sont à cheval sur ce peu : une maladresse commise par un Noir leur arrache des cris d'horreur. Une expression qui leur est familière et chère est : « Ceci a de l'allure. » - Ce chapeau a de l'allure; … ce pull (pull-over) a de l'allure; ... ce manteau a de l'allure... Elles sont en perpétuelle lutte avec le soleil et la nature de leur pays qui poussent à la lassitude, à la mélancolie plutôt qu'aux gaîtés et aux allures


compassées; un trait dominant de leur humeur est une effervescence un peu simulée. Il est étonnant de voir comme elles sont agiles et remuantes dans ce cadre d'Afrique si plein de mollesse. Peu d'entre elles ont vu Paris; mais toutes vous diront la féerie des ChampsElysées, le charme du Trocadéro, les merveilles des Tuileries. Et quand la nostalgie les grise par trop fort, elles parlent de leur prochaine rentrée en France. Surtout n'allez pas leur demander si elles parlent wolof (la langue de leurs aïeux nègres). Elles ne comprennent que le français, - et peut-être l'anglais - car l'anglais est une langue de civilisé et il a de l'allure. Elles parlent d'ailleurs le français avec une vivacité et une couleur que leur envieraient les Parisiennes les plus intoxiquées. Elles sont à l'affût des tournures de langage frais émoulues de Paris. […] Le grand rêve qui les hante est celui d'être épousées par un Blanc d'Europe. On pourrait dire que tous leurs efforts tendent vers ce but qui n'est presque jamais atteint. Leur besoin de gesticulation, leur amour de la parade ridicule, leurs attitudes calculées, théâtrales, écœurantes, sont autant d'effets d'une même manie des grandeurs. Il leur faut un homme blanc, tout blanc, et rien que cela. Presque toutes attendent, leur vie durant, cette bonne fortune qui n'est rien moins que probable. Et c'est dans cette attente que la vieillesse les surprend et les accule au fond des sombres retraites où le rêve finalement se change en hautaine résignation. Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


Mort d’une signare Une âme de plus vient ainsi de quitter ce monde; une âme chargée d'expérience, autrefois pétrie de rêves. Encore un livre vivant qui brûle emportant son secret; un livre qui eût pu enrichir une vaste documentation sur l'histoire des « Signaras » de jadis, qui vivaient en vraies châtelaines, entourées de serviteurs et d'esclaves. Epoque où, ravissantes filles du pays en robes à corbeille et à colifichets, elles faisaient tourner et chavirer la tête de quelques hommes blancs venus au Sénégal sous le nom bien vieilli de « colons »; où les Noirs connaissaient leur place et s'y tenaient sagement. Personne mieux que Nini et tante Hortense ne mesure le vide que produit le départ de grand-mère Hélène. Elle était l'âme de la maison, aussi vieille que les murs gris, l'escalier branlant et les meubles vétustes.

Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


C. Les pĂŞcheurs


IV. VILLE DE SAINTLOUIS


A. L’arrivée à Saint-Louis


Saint-Louis, nous voilà

Dans une joyeuse pagaille, nous remontions à bord de toutes sortes d’embarcations de fortune pour rejoindre l’île du Sénégal qui s’étalait paresseusement devant nous sous la lumière crue. Notre curieuse flottille se dirigeait gaillardement vers le fort Saint-Louis dont les détails se faisaient plus précis à mesure que nous en approchions. Le vent avait tourné, un souffle chaud et sec, dont j'ignorais encore le nom, nous giflait le visage. Engoncés dans nos uniformes conçus pour l'hiver de nos contrées, nous commencions à souffrir des ardeurs du soleil approchant son zénith. Mes compagnons semblaient de moins en moins enthousiastes d'autant que l'établissement ou nous allions vivre pendant de longs mois se révélait de plus en plus pitoyable. Chacun de nous, de façon plus ou moins visible avait les yeux embués de larmes et se prenait à regretter d'avoir eu foi en ces promesses d'aventure et de fortune de nos recruteurs. La misère, même au soleil, restait insupportable. Mais il était trop tard pour se poser des questions, trop tard pour exprimer des regrets, trop tard pour songer à philosopher. Nous étions depuis un moment en vue de l'île dominée, si j'ose dire, par un mauvais bâtiment d'une incroyable laideur, que l'on nous annonça comme le fort où nous serions appelés à passer tant d'années de notre vie, du moins pour les plus résistants d'entre nous... Il n'a guère changé depuis, de bric et de broc, mal conçu, mal construit : l'addition successive de pièces et d'étages n'a toujours pas réussi à lui donner ni un style, ni encore moins un semblant de confort. Au milieu du pittoresque d'une foule bigarrée, nous avons donc débarqué face au fort dont les drapeaux claquaient dans le vent. Certains d'entre nous commençaient déjà à être incommodés par la chaleur, les secousses du passage de la barre, l'appréhension d'un futur on ne peut moins reluisant. Persuadé de mon importance, je faisais semblant d'être blasé. Est-on bête à vingt-cinq ans ! Après un cérémonial bâclé, vague prise d'arme sur l'esplanade ouvrant sur l'entrée principale du fort, qui ne nous avait même pas permis d'entrevoir le colonel Blanchot, alors absent du Sénégal, nous pûmes enfin prendre possession de ce que je n'ose qualifier d'appartements. Il régnait dans ce bâtiment bas de plafond une chaleur infernale qui entretenait l'odeur de vase, d'humidité et de pourriture qui souvent en Afrique accentue cette sensation désolée. L'intérieur du


fort s'était montré tout à fait à la mesure de ce que son aspect extérieur pouvait nous en laisser imaginer. Je savais que nombre de militaires de la garnison préféraient vivre en ville, chez l'habitant ou plutôt, chez l'habitante, et il se disait discrètement que le gouverneur Blanchot lui-même..,, mais l'heure n'était pas, ou pas encore, aux accommodements. Que dire encore de ces premiers jours ? Pas un homme qui ne regrettât un coin tranquille de cette France, que beaucoup ne reverraient plus. La maladie commençait à en emporter quelques-uns, ces fièvres inexpliquées qui frappent jusqu'aux plus valides et les emportent en quelques heures. La saison sèche touchait à sa fin et le ciel s'obscurcissait parfois de part en part, sans pourtant lâcher sur notre îlot un peu de cette pluie qui aurait été pour nous comme une libération. Nous connaissons tous ces moments où l'air est magnétique, où les couleurs sont crues, le soleil aveuglant, la mer agitée, la touffeur et la moiteur oppressantes et où chacun, bête ou homme, a les nerfs à vif. Des bagarres éclataient fréquemment dans ces moments là et même si chacun savait la part jouée par le temps dans cet état de fait, la discipline militaire ne permettait pas de tolérer l'intolérable. Mais assez de considérations atmosphériques ! Les hommes qui nous accompagnaient étaient issus de toutes les couches de la population. Gentilshommes en mal de fortune, ou désireux de se faire oublier après avoir échappé à une lettre de cachet pour dette, fils de famille sans héritage soucieux de trouver un établissement digne, mais aussi aventuriers de grands chemins, coquins de toutes sortes et de toutes espèces. Le faible nombre d'officiers et de sous-officiers permettait une relative promiscuité entre nous, abolissant quelquesunes de ces barrières qui demeurent infranchissables en métropole malgré deux révolutions !

Sylvain Sankalé, A la mode du pays, Chroniques saint-louisienne, Paris, Riveneuve éditions, 2007.


« Ce fut comme une apparition »

En descendant la côte d'Afrique, quand on a dépassé l'extrémité sud du Maroc, on suit pendant des jours et des nuits un interminable pays désolé. C'est le Sahara, la « grande mer sans eau » que les Maures appellent aussi « Bled-elAteuch », le pays de la soif. Ces plages du désert ont cinq cents lieues de long, sans un point de repère pour le navire qui passe, sans une plante, sans un vestige de vie. Les solitudes défilent, avec une monotonie triste, les dunes mouvantes, les horizons indéfinis, — et la chaleur augmente d'intensité chaque jour. Et puis enfin apparaît au-dessus des sables une vieille cité blanche, plantée de rares palmiers jaunes ; c'est Saint-Louis du Sénégal, la capitale de la Séné-gambie '. Une église, une mosquée, une tour, des maisons à la mauresque. Tout cela semble dormir sous l'ardent soleil, comme ces villes portugaises qui fleurissaient jadis sur la côte du Congo, Saint-Paul et Saint-Philippe de Benguéla. On s'approche, et on s'étonne de voir que cette ville n'est pas bâtie sur la plage, qu'elle n'a même pas de port, pas de communication avec l'extérieur ; la côte, basse et toujours droite, est inhospitalière comme celle du Sahara, et une éternelle ligne de brisants en défend l'abord aux navires. On aperçoit aussi ce que l'on n'avait pas vu du large : d'immenses fourmilières humaines sur le rivage, des milliers et des milliers de cases de chaume, des huttes lilliputiennes aux toits pointus, où grouille une bizarre population nègre. Ce sont deux grandes villes yolofes, Guet-n'dar et N'dartoute', qui séparent Saint-Louis de la mer. Si on s'arrête devant ce pays, on voit bientôt arriver de longues pirogues à éperon, à museau de poisson, à tournure de requin, montées par des hommes noirs qui rament debout. Ces piroguiers sont de grands hercules maigres, admirables de formes et de muscles, avec des faces de gorilles. En passant les brisants, ils ont chaviré dix fois pour le moins. Avec une persévérance nègre, une agilité et une force de clowns, dix fois de suite ils ont relevé leur pirogue et


recommencé le passage ; la sueur et l'eau de mer ruissellent sur leur peau nue, pareille à de l'ébène verni. Ils sont arrivés, cependant, et sourient d'un air de triomphe, en montrant de magnifiques râteliers blancs. Leur costume se compose d'une amulette et d'un collier de verre; leur chargement, d'une boîte de plomb soigneusement fermée : la boîte aux lettres. C'est là que se trouvent les ordres du gouverneur pour le navire qui arrive ; c'est là que se mettent les papiers à l'adresse des gens de la colonie. Lorsqu'on est pressé, on peut sans crainte se confier aux mains de ces hommes, certain d'être repêché toujours avec le plus grand soin, et finalement déposé sur la grève. Mais il est plus confortable de poursuivre sa route vers le sud, jusqu'à l'embouchure du Sénégal, où des bateaux plats viennent vous prendre, et vous mènent tranquillement à Saint-Louis par le fleuve.

Cet isolement de la mer est pour ce pays une grande cause de stagnation et de tristesse ; Saint-Louis ne peut servir de point de relâche aux paquebots ni aux navires marchands qui descendent dans l'autre hémisphère. On y vient quand on est forcé d'y venir; mais jamais personne n'y passe, et il semble qu'on s'y sente prisonnier, et absolument séparé du reste du monde. Pierre Loti, Le Roman d’un spahi, 1885.


B. Dans la ville


Saint-Louis au début du XIXe siècle

C'est ici le moment de donner une description abrégée du Sénégal et de ses environs, pour que le lecteur soit plus à même d'apprécier ce que j'aurai à dire dans la suite. Les voyageurs qui ont écrit sur l'Afrique, ont fait un tableau trop magnifique du pays connu sous le nom de Sénégal. Apparemment que fatigués d'une longue et ennuyeuse traversée, ils auront été charmés à l'aspect de la première terre sur laquelle ils pouvaient se reposer. Cette première impression prend toutes les couleurs de la réalité chez l'observateur superficiel, ou qui ne fait que passer ; mais s'il y reste quelque temps, l'illusion se détruit, et le Sénégal lui paraît tel qu'il est en effet ; c'est-à-dire, un pays brûlant, aride, malsain, et dépourvu des végétaux les plus nécessaires à la nourriture de l'homme et à la conservation de sa santé. La ville de Saint-Louis qu'on nomme aussi Sénégal, parce qu'elle est le cheflieu de tous les établissements français sur cette côte, est bâtie sur une petite île ou banc de sable formé au milieu du fleuve du Sénégal et à deux lieues de son embouchure. Elle a deux mille toises de long, sur trois cents de large. Les naturels du pays l'appellent Ndar ; et Bu-Fing ou Rivière-Noire, le fleuve qui l'arrose. Ce dernier nom répond à celui de Niger que les anciens géographes ont donné à ce fleuve. La population de Saint-Louis est d'environ dix mille âmes, dont cinq cents Européens, deux mille nègres ou mulâtres libres, et à peu près sept mille cinq cents esclaves. Il n'y a guère à Saint-Louis que cent cinquante maisons bâties à l'européenne. Le reste des habitations se compose de simples cases de roseaux ou huttes de paille qu'une légère étincelle peut faire disparaître en un moment, ainsi que les maisons de brique qui les avoisinent. Les rues sont larges, mais non pavées. La plupart sont tellement remplies de sable, que les vents et les ouragans apportent des déserts du Sahara, qu'il est presque impossible d'y marcher lorsque les vents d'est soufflent ; ce sable fin et brûlant semble se dissoudre dans l'air : on le respire, on le mange avec les aliments ; en un mot, il pénètre partout. Les rues étroites et peu fréquentées en sont souvent obstruées. Plusieurs maisons de la ville sont assez jolies ; elles ont au plus un étage. Quelques-unes possèdent des galeries couvertes ; mais en général tous les toits sont dans le goût oriental, c'est-à-dire, en forme de terrasse.


Les jardins du Sénégal, quoiqu'on en ait beaucoup vanté les légumes, sont en petit nombre et en très mauvais état. Toute leur culture se borne à celle de quelques mauvais choux dévorés par les insectes, à une planche de radis amers, et à deux ou trois quarrés de salade fanée avant qu'elle soit bonne à manger. Mais il faut dire que ces végétaux sont trouvés exquis, parce qu'on n'en a pas de meilleurs. Cependant le jardin du gouverneur possède plusieurs autres plantes, comme concombres, melons, carottes, œillet d'Inde, quelques plans d'ananas stériles, et même des "soucis". Il y a encore dans ce jardin trois dattiers, une petite treille, et quelques jeunes plantes d'Amérique et de l'Inde. Mais tous ces végétaux sont rabougris, tant par la nature chétive du sol où ils végètent, que par les vents brûlants du désert qui souvent les dessèchent. Quelques-uns néanmoins qui se trouvent abrités par les murs, et que l'on a soin d'arroser souvent, sont un peu plus vigoureux. Cinq à six arbres assez touffus (figuier des îles), sont plantés ça et là dans les rues ; on voit aussi trois ou quatre baobabs dont les feuilles sont dévorées par les nègres avant qu'elles soient développées, et un palmier du genre rondier qui sert de signal aux navires qui viennent du large. Charlotte Dard, La Chaumière africaine (1e édition Dijon, 1824), Paris, L’Harmattan,2005 .


Dans les ruelles de Guet-n’dar

Au milieu de Guet-n'dar, partageant la cité en deux, du nord au sud, une large rue de sable, bien régulière et bien droite, s'ouvrant au loin toute grande sur le désert. — Le désert pour campagne et pour horizon. De chaque côté de cette vaste tranchée, un dédale de petites ruelles tortueuses, contournées comme les sentiers d'un labyrinthe. C'est dans ces quartiers que Fatou conduit Jean ; — et, pour le conduire, à la manière nègre, elle lui tient un doigt dans sa ferme petite main noire, ornée de bagues de cuivre. On est en janvier. — II est sept heures du matin, et le soleil se lève à peine. — L'heure est agréable et fraîche, même au Sénégal. Jean marche de son pas fier et grave, — tout en souriant intérieurement de l'expédition drôle que Fatou-gaye lui fait faire, et du personnage auquel il va rendre visite. Il se laisse conduire de bonne grâce; cette promenade l'intéresse et l'amuse. Il fait beau ; cet air pur du matin, le bien-être physique apporté par cette rare fraîcheur, tout cela influe doucement sur lui. — Et puis, en ce moment, Fatou-gaye lui paraît fort mignonne, et il l'aime presque. C'est un de ces moments fugitifs et singuliers, où chez lui le souvenir est mort, où ce pays d'Afrique semble sourire, — où le spahi s'abandonne sans arrière-pensée sombre à cette vie qui depuis trois ans le berce et l'endort d'un sommeil lourd et dangereux, hanté par des rêves sinistres. L'air du matin est frais et pur. Derrière les palissades grises en roseaux qui bordent les petites rues de Guet-n'dar, on commence à entendre les premiers coups sonores des pilons à kouskous, mêlés à des éclats de voix nègres qui s'éveillent, à des bruits de verroterie qu'on remue ; — à tous les coins du chemin,


des crânes de moutons cornus, (pour ceux qui sont au courant des usages nègres : les égorgés de la tabaski1), plantés au bout de longs bâtons, et regardant passer le monde, avec des airs de tendre leur cou de bois pour mieux voir. — Et, posés partout, de gros lézards fétiches, au corps bleu de ciel, dandinant perpétuellement de droite et de gauche, par suite d'un singulier tic de lézard qu'ils ont, leur tête d'un beau jaune qui semble faite en peau d'orange. Des odeurs de nègres, d'amulettes de cuir, de kouskous et de soumaré. Des négrillons, commençant à paraître aux portes avec leur gros ventre orné d'un rang de perles bleues, — avec leur nombril pendant, leur sourire fendu jusqu'aux oreilles, et leur tête en poire, rasée à trois petites queues. Tous s'étirent, regardent Jean d'un air étonné avec leurs gros yeux d'éniail, — et disant quelquefois, les plus osés: « Toubah ! toubah!... toubah ! bonjour ! » Pierre Loti, Le Roman d’un spahi, 1885.


Le marché de Saint-Louis Un moment après, Jean s'en allait en courant au marché de Guet-n'dar. Fatou avait avoué à la fin, et donné le nom du marchand nègre auquel elle l'avait vendue. Il espérait bien qu'elle était là encore et qu'il pourrait la racheter, sa pauvre vieille montre ; il venait de toucher son mois, et cet argent devait suffire. Il marchait très vite, il courait; très pressé d'arriver, — comme si, justement pendant le trajet, quelque acheteur noir était là, la marchandant, prêt à l'emporter. À Guet-n'dar, sur le sable, tapage, confusion de tous les types, babel de toutes les langues du Soudan. — Là se tient perpétuellement le grand marché, plein de gens de tous les pays, où l'on vend de tout, des choses précieuses et des choses saugrenues, — des denrées utiles et des denrées extravagantes, — des objets invraisemblables, — de l'or et du beurre, — de la viande et des onguents, — des moutons sur pied et des manuscrits, — des captifs et de la bouillie, — des amulettes et des légumes. D'un côté, fermant le tableau, un bras du fleuve avec Saint-Louis derrière : ses lignes droites et ses terrasses babyloniennes; ses blancheurs bleuâtres de chaux, tachées de rougeurs de briques, — et, ça et là, le panache jauni d'un palmier montant sur le ciel bleu. De l'autre côté, Guet-n'dar, la fourmilière nègre aux milliers de toits pointus. Auprès, des caravanes qui stationnent, des chameaux couchés dans le sable, des Maures déchargeant leurs ballots d'arachides, — leurs sacs-fétiches en cuir ouvragé. Marchands et marchandes accroupis dans le sable, riant ou se disputant ; bousculés, piétines, eux et leurs produits, par les acheteurs. - Hou! dièndé m’pât !... (marchandes de lait aigre, contenu dans des peaux de bouc cousues retournées le poil en dedans). - Hou! dièndé nébam !... (marchandes de beurre, - de race peuhle, - avec de grand s chignons tricornes plaqués de cuivre, - pêchant leur marchandise à


pleines mains dans des outres poilues ; - la roulant dans leurs doigts en petites boulettes sales à un sou la pièce, - et s’essuyant les pattes après dans les cheveux. - Hou! dièndé kheul!... dièndé khorompolé!... (marchandes de simples, de petits paquets d'herbes ensorcelées, de queues de lézards et de racines à propriétés magiques). - Hou! dièndé tchiakhkha!... dièndé djiarab!... (marchandes accroupies, de grains d'or, de grains de jade, de perles d'ambre, de ferronnières d'argent; — tout cela étalé par terre sur des linges sordides, — et piétiné par les clients). - Hou! dièndé guerté!... dièndé khankhel!... dièndé iap-nior !... — (marchandes de pistaches, — de canards en vie, — de comestibles insensés, — de viandes séchées au soleil, de pâtes au sucre mangées par les mouches). Marchandes de poisson salé, marchandes de pipes, marchandes de tout ; — marchandes de vieux bijoux, de vieux pagnes crasseux et pouilleux, sentant le cadavre; — de beurre de Galam pour l'entretien crépu de la chevelure ; — de vieilles petites queues, coupées ou arrachées sur des têtes de négresses mortes, et pouvant resservir telles quelles, toutes tressées et gommées, toutes prêtes. Marchandes de grigris, d'amulettes, de vieux fusils, de crottes de gazelles, de vieux corans annotés par les pieux marabouts du désert ; — de musc, de flûtes, de vieux poignards à manche d'argent, de vieux couteaux de fer ayant ouvert des ventres, — de tam-tams, de cornes de girafes et de vieilles guitares. Et la truanderie, la haute pouillerie noire, assise alentour, sous les maigres cocotiers jaunes : de vieilles femmes lépreuses tendant leurs mains pleines d'ulcères blancs pour demander l'aumône, — et de vieux squelettes à moitié morts, les jambes gonflées d'éléphantiasis, avec de grosses mouches grasses et des vers pompant leurs plaies sur le vif. Et des fientes de chameau par terre, et des fientes nègres, des débris de toutes sortes et des tas d'ordures. - Et là-dessus, tombant d'aplomb, un de ces soleils brûlants qu'on sentait là tout près de soi, dont le rayonnement cuisait comme celui d'un brasier trop rapproché. Et toujours, et toujours, pour horizon le désert ; la platitude infinie du désert.


Pierre Loti, Le roman d’un spahi, Paris, Gallimard, 1885.


C. Architectures de la ville


Une ville de paille Guet-n'dar, la ville nègre, bâtie en paille grise sur le sable jaune. — Des milliers, des milliers de petites huttes rondes, à moitié cachées derrière des palissades de roseaux secs, et coiffes toutes d'un grand bonnet de chaume. — Et les milliers de pointes de ces milliers de toits affectant les formes les plus extravagantes et les plus pointues, — les unes droites, menaçant le ciel, — les autres de travers, menaçant leurs voisines, — les autres, enfin, racornies, ventrues, défoncées, ayant l'air fatigué d'avoir tant séché au soleil, — paraissant vouloir se recroqueviller, s'enrouler comme de vieilles trompes d'éléphant. — Et tout cela à perte de vue, découpant de bizarres perspectives de choses cornues sur l'uniformité du ciel bleu. Pierre Loti, Le Roman d’un spahi, 1885.


La maison des plaisirs L'habitation de Cora était une immense maison de briques, ayant cet aspect un peu égyptien des vieux quartiers de Saint-Louis, et blanche comme un caravansérail arabe. En bas, de grandes cours, où venaient s'accroupir dans le sable les chameaux et les Maures du désert, où grouillait un bizarre mélange de bétail, de chiens, d'autruches et d'esclaves noirs. En haut, d'interminables vérandas soutenues par de massives colonnes carrées, comme, les terrasses de Babylone. On montait aux appartements par des escaliers extérieurs en pierre blanche, d'un aspect monumental. Tout cela, délabré, triste comme tout ce qui est à Saint-Louis, ville qui a déjà son passé, colonie d'autrefois qui se meurt. Le salon avait un certain air de grandeur, avec ses dimensions seigneuriales et son ameublement du siècle dernier. Les lézards bleus le hantaient; les chats, les perruches, les gazelles privées s'y poursuivaient sur les fines nattes de Guinée ; les servantes négresses, qui le traversaient d'un pas dolent en traînant leurs sandales, y laissaient d'acres senteurs de soumaré et d'amulettes musquées. Tout cela respirait je ne sais quelle mélancolie d'exil et de solitude ; tout cela était triste, le soir surtout, quand les bruits de la vie se taisaient pour faire place à la plainte éternelle des brisants d'Afrique.

Dans la chambre de Cora, tout était plus riant et plus moderne. Les meubles et les tentures, récemment arrivés de Paris, y étalaient une élégance fraîche et confortable; on y sentait des odeurs d'essences très fashionables, achetées chez les parfumeurs du boulevard. C'était là que Jean passait ses heures d'ivresse. Cette chambre lui faisait l'effet d'un palais enchanté, dépassant tout ce que son imagination avait pu rêver de plus luxueux et de plus charmant. Cette femme était devenue sa vie, tout son bonheur. Par un raffinement de créature blasée sur le plaisir, elle avait désiré posséder l'âme de Jean en même temps que son corps ; avec une chatterie de créole, elle avait joué, pour cet amant


plus jeune qu'elle, une irrésistible comédie d'ingénuité et d'amour. Elle avait réussi : il lui appartenait bien tout entier.

Pierre Loti, Le Roman d’un spahi, 1885.


Demeure de signare La maison de Nini est située au bord du Petit-Bras du fleuve à SaintLouis-du-Sénégal. Elle fait partie d'un groupement de masures toutes vieilles, toutes lézardées, qui se tiennent, s'appuient les unes aux autres dans un suprême élan de solidarité. Rien ne l'embellit plus depuis cinquante ans. Elle a pris le ton gris de toutes ces maisons de Saint-Louis qui s'effritent, se désagrègent dans une hautaine vieillesse. Vue dans la nuit elle semble morte. La lumière, camouflée par un système de stores en nattes du pays, n'a même pas la force de filtrer à travers les persiennes constamment fermées. Malgré sa jeunesse et sa bonne volonté, Nini n'a pas réussi à mettre de la vie dans ce repaire plein de souvenirs. On y trouve, sous une épaisse couche de poussière, des fauteuils modèle 1800, de petites tables garnies de velours, des chaises mutilées, des armoires en ruine. Devant la maison, Martineau veut prendre congé de la mulâtresse, mais celle-ci propose : - Je tiens à vous présenter à grand-mère et tante. Le Blanc s'excuse, Nini insiste, supplie : - Ne me faites pas ça, dit-elle, c'est pour moi un grand plaisir et la meilleure façon de leur expliquer pourquoi je rentre si tard. Martineau est donc obligé de se laisser faire. La porte d'entrée grince en livrant passage aux deux amis. La cour est sombre et humide. Le boy qui a entendu geindre la porte, accourt pour allumer. Ils montent l'escalier, un escalier branlant, et s'engagent dans une véranda couverte. Les deux vieilles dames en deuil sont là, causant à voix basse de choses d'église et du bon vieux temps. - Bonsoir grand-mère, bonsoir tante. Je vous présente M. Martineau, mon camarade de bureau. L'une et l'autre se redressent malgré l'âge et les rhumatismes. Martineau s'avance, s'incline et leur serre courtoisement la main. - Il y a longtemps que Virginie nous a parlé de vous, monsieur, et nous sommes heureuses de faire votre connaissance, dit la vieille Hélène.


La tante Hortense approuve de la tête et sourit le plus gentiment qu'elle peut. De la véranda on passe au salon, mais Martineau manifeste déjà l'envie de se retirer. Nini le retient et, caressante : - Non, dit-elle, on n'a pas idée, asseyez-vous, même un instant. Puis elle appelle Bakary. Le boy accourt. Entre-temps la grand-mère et la tante ont quitté la véranda pour rejoindre les jeunes gens au salon. Il y a là un petit garçon, noir cent pour cent, deux vieilles mulâtresses noires à moitié, une jeune fille blanche aux quatre cinquièmes et un Blanc authentique. Cela fait un tableau des plus pittoresques et des plus touchants. Martineau fait errer son regard sur le décor du salon. Il y a une profusion de choses brillantes et multicolores, disposées avec goût mais de tons criards. Des meubles, qu'on ne fabrique plus depuis le siècle dernier, sont tenus dans une propreté méticuleuse : un buffet, une desserte sur laquelle se tient une statuette de bronze, vague déesse de la beauté; une table à ailettes chargée de menus objets brillants et que domine un portrait de Nini; dans un coin, un piano, le piano de la famille, vieux, dit la grand-mère Hélène, de cinquante ans. Un divan rouge écarlate, « large et profond comme un tombeau », occupe une partie du salon située entre deux portes qui donnent accès aux chambres à coucher. Il est surplombé par une sorte de dais orné de grosses pommes dorées où s'attache une tenture de velours à plis nombreux et parallèles, de même couleur que le divan. Sur le parquet ciré gisent des peaux de panthère ouvragées, des coussins rembourrés, rouges et noirs, et quatre poufs de couleurs différentes. Entre les fauteuils se trouvent de petites tables à apéritif de modèle récent ornées de napperons minuscules à dessins arabes. Tout cela brille sous la lumière électrique qui tombe d'un lustre. De grands tableaux, représentant des natures mortes et diverses scènes de la vie bourgeoise, sont accrochés aux murs dans des cadres dorés. Ça et là, aux meilleures places, se distinguent les photos de famille, agrandies, exposées comme les témoins éloquents d'une gloire ancienne. Abdoulaye Sadji, Nini mulâtresse du Sénégal, Dakar, Présence Africaine, 1954.


Un véritable petit bijou Les Sakho, comme la plupart des familles de ce quartier au sud de l'Ile de Ndar ou Sindoné dans le jargon local, habitaient dans une vieille maison coloniale, fatiguée par le poids des ans mais aussi par l'humidité et la salinité de l'air marin qui rongeaient impitoyablement tous les bâtiments de l'île. Les maisons de Sindoné étaient particulièrement vétustés, sans doute parce qu'elles se situaient dans le plus ancien quartier de l'île et certaines étaient même si décrépites qu'elles donnaient l'impression d'être sorties tout droit de l'époque des signares. Néanmoins, elles tenaient bon car leurs murs en briques rouges étaient d'une épaisseur peu commune et faits pour durer des siècles.[…] Lorsqu'on gravissait les marches de l'escalier en bois qui menait à l'étage de la maison du père Sakho, on avait l'impression que toute la maison dansait et cela donnait un peu froid dans le dos. Pourtant c'était une très belle demeure qui portait, certes, la marque du temps, mais qui avait conservé tout le charme, l'élégance et la patine des vieilles maisons coloniales, avec leurs petites vérandas intérieures et leurs voûtes cintrées soutenues par de solides colonnes en briques rouges enrobées de béton. La maison du vieux Sakho, avec son joli petit balcon en fer forgé et torsadé (ce qui le distinguait des autres généralement en bois), était sans aucun doute l'une des plus originales et des plus authentiques de tout le quartier de Sindoné. Également l'une des plus solides, bien que, à l'instar de toutes celles qui l'entouraient, elle présentât un nombre impressionnant de lézardes et de fissures que le maître des lieux s'empressait de faire colmater chaque fois qu'elles tombaient sous son œil vigilant. Il l'avait rachetée à une vieille mulâtresse descendante d'une Signare qui, voulant finir ses jours en France, la lui avait cédée à un prix plus que raisonnable. Le père Sakho était très fier de sa maison qui, en effet, était un véritable petit bijou.

Louis Camara, Il pleut sur Saint-Louis, Dakar, Les Nouvelles Editions Africaines, 2007.


D. Perceptions


Saint-Louis, l’ennui Chaque soir, à Saint-Louis, c'était le train de vie monotone des petites villes coloniales. La belle saison ramenait un peu d'animation dans ces rues de nécropole ; après le coucher du soleil, quelques femmes que la fièvre avait épargnées promenaient des toilettes européennes sur la place du Gouvernement ou dans l'allée des palmiers jaunes de Guet-n'dar; cela jetait une impression d'Europe dans ce pays d'exil. Sur cette grande place du Gouvernement, bordée de symétriques constructions blanches, on eût pu se croire dans quelque ville européenne du Midi, à part cet immense horizon de sable, cette platitude infinie, qui dessinait au loin sa ligne implacable. Les rares promeneurs se connaissaient et se dévisageaient entre eux. Jean regardait ce monde, et ce monde aussi le regardait. Ce beau spahi qui se promenait seul, avec un air si grave et si sévère, intriguait les gens de SaintLouis, qui supposaient dans sa vie quelque aventure de roman.



Un tombeau nommé Saint-Louis Autour de lui, tout était au grand calme du milieu dû-jour, — Les vieilles maisons à la mauresque s'alignaient correctement, avec leur blancheur laiteuse, sous le bleu intense du ciel. — Parfois, en passant, on entendait derrière leurs murs de brique quelque plaintive et somnolente chanson de négresse ; — ou bien, sur le pas des portes, on rencontrait quelque négrillon bien noir, qui dormait le ventre au soleil, tout nu, avec un collier de corail, — et marquait une tache foncée au milieu de toute cette uniformité de lumière. — Sur le sable uni des rues, les lézards se poursuivaient avec de petits balancements de tête comiques, — et traçaient, en traînant leur queue, une infinité de zigzags fantasques, compliqués comme des dessins arabes. — Un bruit lointain de pilons à kouskous, monotone et régulier comme une sorte de silence, arrivait de Guet-n'dar, amorti par les couches chaudes et lourdes de l'atmosphère de midi... Cette tranquillité de la nature accablée semblait vouloir narguer l'exaltation du pauvre Jean, et exaspérer sa douleur; elle l'oppressait comme un mal physique, elle l'étouffait comme un suaire de plomb. Ce pays lui faisait tout à coup l'effet d'un vaste tombeau. Il s'éveillait, le spahi, comme d'un pesant sommeil de cinq années. — Une immense révolte se faisait en lui, révolte contre tout et contre tous !... Pourquoi l'avait-on pris à son village, à sa mère, pour l'ensevelir au plus beau temps de sa vie sur cette terre de mort ?... De quel droit avait-on fait de lui cet être à part qu'on appelle spahi, traîneur de sabre à moitié africain, malheureux déclassé, — oublié de tous, — et finalement renié par sa fiancée !... Il se sentait une rage folle au cœur, et ne pouvait pleurer; il éprouvait le besoin de s'en prendre à quelqu'un ou à quelque chose, — le besoin de torturer, d'étreindre, d'écraser quelqu'un de ses semblables dans ses bras puissants... Et rien, rien autour de lui, — que le silence, la chaleur et le sable. Pierre Loti, Le roman d’un spahi, 1885.


R*** B*** à Saint-Louis

À Saint-Louis j'ai un ami avec qui j'aime boire. Marco jazz. À Saint-Louis j'ai un ami photographe du bout de la vie. Laurent. A Saint-Louis j'ai des amis de survie. Des Blancs avec des âmes de braise. François aussi. Biologiste chercheur. À Saint-Louis j'ai des amis lointains. À Saint-Louis je m'assois avec les vieux. Djellaba babouches lunettes de soleil monture plastique. Sur des chaises, pleine rue. (cheikh Tounkara) Un car de touristes. Visage derrière la vitre fumée. Ils se grattent la tête en me voyant. Où m'ont-ils vu donc. Ils ont raison. Les filles croisent en riant. Le muezzin appelle à la prière. Le ciel est violet. Moussa avec ses béquilles. Épuisé. Mon fils africain. Garçon de souffrance avec son corps. Le village des pêcheurs. Guet n'Dar. Entre le lagon et la mer. Les couchers de soleil qui tournent te lèvent l’âme avant la nuit. Les éclaboussures colorées dans la flaque dans le grand œil maquillé d’un âne. Richard Bohringer, L’ultime conviction du désir, Paris, Flammarion, 2005.


Vision poétique de Saint-Louis

Nuit africaine lourde d’odeur, vibrante a te foutre l'âme à l'envers. Pied dans la boue de l'hivernage, fièvre jaune, hépatite. Impression de ne rien savoir. De n'avoir jamais rien su. Le fleuve Sénégal, immense, déborde, charriant des troncs d'arbres sous le ciel bleu, avec des brisures orange pour donner un air de film américain à la tragédie. Le pont Faidherbe, métallique, brille sous la pluie. Saint-Louis. À la recherche du son bleu. Saint-Louis. Au bout du monde. Posé sur le fleuve Sénégal comme une carcasse de cargo fauve. Les oiseaux, les premiers oiseaux le matin tôt. Juste à l'extrême. Lumière dorée, glacée, qui te fait marcher plus vite pour quitter ton ombre, et entrer dans les premiers rayons du soleil. Lentement défroisser le corps. S'inonder. Instant céleste, maternel. L'Afrique t'ouvre ses bras et te bénit.

Richard Bohringer, L’Ultime conviction du désir, Paris, Flammarion, 2005.


Touab ! Touab !

Toubab ! Toubab ! – 10, 20 fois par jour des enfants me rappellent ma condition : Toubab. L’étranger, le non noir en langue wolof. Pourtant le blanc n’est pas une denrée rare dans la région. On l’y a même beaucoup croisé depuis que Louis Caullier acheta une île près de l’embouchure du fleuve vers 1650. Il la baptisa St Louis. A cette époque, des Bordelais en nombre débarquèrent pour piquer le marché de l’esclavage aux Maures qui trafiquaient dans la région depuis des lustres. Ensuite ce seront la gomme arabique et l’arachide qui alimenteront le commerce. Les désirs expansionnistes de la vielle Europe assureront le développement de la plus ancienne ville blanche d’Afrique noire : capitale de l’A.O.F. l’Afrique Occidentale Française – qui regroupait les territoires du Sénégal, du Soudan de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire. A cette époque, des Toubabs, il y en avait partout. Venus forcer la fortune, ceux qui échappèrent au paludisme et autres fièvres fatales, succomberont aux charmes des mystères de l’Afrique. Fascinés par les coutumes et costumes exotiques, certains n’hésiteront pas à s’improviser ethno-anthropologue et consigneront impressions douteuses et théories fumeuses dans des textes qui font sourire de nos jours… La recrudescence des récits de voyage, les nombreux guides-papiers ou l’abondante littérature aseptisée des voyagistes est-elle bien plus sérieuse ? Amusés, désabusés ou fatalistes. Souvent hors champ. Les Africains, plus à l’aise avec la légende qu’avec les vérités historiques des blancs, regardent un peu passifs, les allées-venues de ces toubabs préoccupés. Saint-Louis du Sénégal est le théâtre privilégié, depuis plus de 300 ans, de cette rencontre inter-civilisation. De cette histoire d’amour ambiguë qui lie la France à l’Afrique – c’est ce sentiment confus que je suis venu palper pendant quelques mois. Toubab ! toubabs ! me crient les enfants noirs dans les rues…

Christophe Merlin, Saint-Louis du Sénégal, Paris, Albin Michel, 2004.


Sonnet pour « Saint-Louis »

Près de l'Océan qui t'empêche de vivre La vague du désert roule à l'horizon ; Calme tu dors et le soleil qui t'enivre Te berce à l'éclat de ses brûlants rayons.

De ton lourd sommeil nul chant ne te délivre Ville qu'endormit l'autre incantation; Et mon âme saoule des rêves des livres Voudrait entrevoir tes sourdes visions.

Elle voudrait ouïr ta voix qui s'est tue Et le murmure de tes nuits révolues Où s'agitaient tes pensés vers l'avenir.

Le flot rugit, la vague lèche la plage, La mer s'avance que tu laisses venir Calme dormeuse en songeant à un autre âge.

Birago Diop, Leurres et Lueurs, 1960.


GLOSSAIRE

A. B.

C. D. Drianké : femme opulente et d’une grande beauté

E. F. G. H. I. J. K.


L. M. N. Natanguiste : noceur (terme de snobisme), fêtard. Ndeundd : grand tam-tam d’accompagnement.

O. P.

Poon : tabac maure censé éclaircir la vue et entretenir la mémoire et consolider les os et la dentition.

Q. R. Rabs : créature surnaturelles, bienveillantes ou malveillantes selon le cas.

S. Sabar : tam-tam principal, plus sonore et plus vibrant que le tam-tam d’accompagnement.

T. Thiat : mauvais sort, sorte de signe indien difficile à vaincre. Touab


U. V. W. X. Y. Z.


NOTES


Bibliographie du corpus: ARGONDICO (Sylvie), Le Toubab de Saint-Louis, Paris, Présence Africaine Editions, 1997. BADARA COULIBALY (Alioune), Sénéfobougou Natal 2, Saint-Louis du Sénégal, Edition A. B. Coulibaly, 1997. BADARA COULIBALY (Alioune), Rayons de Soleil sur Saint-Louis, Dakar, Le Nègre international Editions, 2009 . BADARA SECK (Alioune), Quand les génies entraient en colère, Dakar, Nouvelles Editions du Sénégal, 2003. BOHRINGER (Richard), C’est beau une ville la nuit, Paris, Editions Denoël, 1988. BOHRINGER, Richard, L’Ultime conviction du désir, Paris, Flammarion, 2005. BOHRINGER, Richard, Carnet du Sénégal, Arthaud, 2007. BOILAT (David), Esquisses sénégalaises, 1853. BOUFFLERS (Stanislas de), Discours de réception à l'Académie française. BOUFFLERS (Stanislas de), Lettres d'Afrique à Madame de Sabran, Babel, 1998. BRUZEN DE LA MARTINIERE (Antoine Auguste), Le Grand Dictionnaire géographique, historique et critique, Paris, Libraires associés, 1768. CAMARA (Louis), Saint-Louis du Sénégal,Dakar, Paris, ASA Editions, 1999. CAMARA (Louis), Il pleut sur Saint-Louis, Dakar, Les Nouvelles Editions Africaines, 2007. CHEIKHOU (Diakité), Nafi ou la Saint-Louisienne, Ed. Universalis, 2010.


CISSE (Ahmed Tidjani), 1789 en l’Isle Saint-Louis du Sénégal, Conakry, Solignac, Bibliothèque Franco-Guinéenne, Les Editions Ganndal, Le Bruit des Autres, 1998. CORREARD (Alexandre), SAVIGNY (Jean-Baptiste), Le Naufrage de la Méduse, 1e édition 1821. Folio, 2005. DARD (Charlotte), La Chaumière africaine, publié pour la 1e fois en 1824, Paris, L’Harmattan, 2005. DIA (Fadel), La Raparille, Paris, Présence Africaine, 2009. DIOP (Birago) , Leurres et Lueurs, Présence africaine, 1960. DIOP (Boubacar, Boris), Retour à N'Dar Geej, O. Dapper, 2001 FALL (Malick), La Plaie, Albin Michel, 1967. LAFORÊT (Marie), Richard Toll , "Reconnaissances" © Polygram, 1993. LIEVE (Joris), Mali blues, Acte Sud, 1999. LOTI (Pierre), Le Roman d’un spahi, La Nouvelle Revue, 1881. Paris, Réédition Folio, 1992. MANDELEAU (Tita), Signare Anna, Dakar, Nouvelles Editions du Sénégal, 1991. MAPATE DIAGNE (Amadou), Les Trois volontés de Malic, Paris, Editions Larose, 1920. MAYORO DIOP (Abdel Aziz), Prisonniers de la vie, Dakar, NEAS, 1993. MERLIN Christophe, Saint-Louis du Sénégal, Paris, Albin Michel, 2004. ROHOU (Guy), Le Naufragé de Saint-Louis, Actes sud, 1988. SADJI (Abdoulaye), Nini, mulâtresse du Sénégal, Présence africaine, 1954. SAMBA SOW (Pape), Les Anges blessés, Thiès, Fama Editions, 2009. SANKALE (Sylvain), A la mode du pays, Chroniques saint-louisiennes, Paris, Riveneuve éditions, 2007. SOCE (Ousmane), Karim, 1935.


SENGHOR (Léopold Sédar), Œuvre Poétique, Paris, Editions du Seuil, 1990. TISSIER (Rémy), Le Dédale des disciples, Paris, éd. L'Harmattan, 2004.


Notices biographiques et bibliographiques

BADARA COULIBALY Alioune Biographie

Bibliographie Bon anniversaire, Sédar, éditions Xamal, Saint-Louis, 1996. (Poèmes). Sénéfobougou Natal 2, éditions Xamal, Saint-Louis, 1997. Chant du Soir, éditions Xamal, Saint-Louis, 1999. Rumeurs des alizés (Sénéfobougou 3), Le Nègre International éditions, Dakar, 2007. Pas d’ici sans ailleurs, Alioune B. Coulibaly/Rome Deguergue. 2008, PYLF. Les Dix mots de la langue française, Union des Poètes Francophones et les auteurs (collaboration), édition Relcofax Nyons, 2008. Anthologie Europoésie (collaboration), 2008. Sénégal : L’eau à palabres (collaboration), éditions du Garde-Temps, 2009, France. Rayons de soleil sur Saint-Louis, Le Nègre international éditions, Dakar, 2009, poèmes. Sur le long chemin de l’exode, roman, 124 pages, Impulse les Editions, Dakar, 2010. Anthologie poétique (collaboration). Enchantons la Vie/Glorifying Life, éditée par l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres AESAL, 2010-


Que peut la littérature en ces temps de détresse ?, Cahier du PEN CLUB 1. Correspondances. Editions Calliopées, 2010.

CAMARA Louis (1950 - )

Biographie -1950: Naissance à Saint-Louis du Sénégal -1970: Baccalauréat au Lycée Faidherbe de Saint-Louis -1973: Professeur de français des collèges d'Enseignement moyen général -1983: Lauréat du concours de Haï-Ku organisé par l'ambassade du Japon à Dakar -1996: Lauréat du Prix du Président de la république pour les lettres -1999: Boursier du Centre National du Livre de Paris et invité du festival des Francophonies de Limoges -2000: Détaché à la Bibliothèque du Centre de Recherches et de Documentation de Saint-Louis (CRDS) -2011: Enseignant-chercheur en Civilisation Yoruba à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (UFR/CRAC)

Bibliographie



LOTI Pierre (1850-1923) BIOGRAPHIE 14 janvier 1850 : Naissance de Jean-Théodore Viaud dans la ville de Rochefort. Il est le troisième enfant d'une famille protestante. Eté 1858 : Séjour à Oléron avec sa sœur Marie et son frère Gustave qui on respectvement 19 et 12 ans de plus que lui. 1859 : Julien est pour une année élève à Bernard-Palissy ; une institution protestante. Il eu avant et après cette période des précepteurs à domicile. 1862 : En octobre, Julien entre au collège de Rochefort en classe de troisième. 1863 : Julien décide d'écrire une lettre à son frère, partis pour la Cochinchine en lui annonçant qu'il deviendra marin. 1865 : Décès de son frère aîné Gustave, chirurgien de marine et de son amie d'enfance Lucette Duplais. 1867 : Il est reçu à l’École navale 1866 : Julien commence la rédaction d'un journal intime. 1869:Julien est alors nommé aspirant de 2e classe, il voyagera dès lors en Algérie, Turquie, puis au Brésil, États-Unis et Canada et se liera d'amitié avec Joseph Bernard. 1870 : Décès de son père. Il est également nommé cette même année aspirant de 1er classe. 17 août 1872 : premier texte publié dans L'Illustration, signé XXX. Le second édité le 24 août sera signé Julien Viau, Aspirant de 1re classe et sera accompagné de ses propres dessins. De mars à mai 1874 : Voyage à Saint-Louis du Sénégal où il sera passionnément amoureux d'une femme mariée. Elle viendra le voir en France en aout alors qu'elle attend un enfant de lui, il renoncera plus tard en 1882 a tout droit sur son fils. Cette année signe également la fin de son amitié avec Joseph Bernard. De janvier à juillet 1875 : Stage à l'école de gymnastique de Joinville. Où il y rencontrera probablement Sarah Bernhardt. 1876 : Départ pour le Levant où il rencontre Hakidjé (personnage d'Aziyadé) puis pour Constantinople. 20 janvier 1879 : Publication du roman Aziyadé, sans son nom d'auteur. 15 février 1880 : Publication de Le mariage de Loti qui rencontre un véritable succès et amitié avec Alphonse Daudet 2 octovre 1880 : Julien signe pour la premiere fois « M.Loti » dans un article du Monde illustré Septembre 1881 : Le roman d'un Spahi est publié. C'est le premier roman signé du pseudonyme Pierre Loti 1886 : Pierre Loti épouse Blanche Franc. 1887 : Décès de leur premier enfant, né prématurément. S'en suivra un voyage


en Roumanie puis à Constantinople où il apprendra la mort d'Hakidjé 1889 : Naissance de son fils Samuel . 21 mai 1891 : Pierre Loti est élu à l’académie française De févier à mai 1894 : Voyage privé de Loti en Terre Sainte. Il se rend à Jérusalem, Damas, Arabie, Balbek et Turquie. 1896 : Décès de sa mère. 1898 : Mise en retraite d'office. Il obtiendra l'année suivante de la réintégrer et sera promu capitaine de frégate. 1899 : Voyage en Inde et et en Perse en tant que ministère des Affaires Étrangères. 1900 : Loti passe quelque temps au Japon et en Corée. 1905 : Pierre Loti revient de Constantinople en rapportant la stèle funéraire du défunt Aziyadé qu'il installe alors dans la mosquée de sa maison à Rochefort. Il devient cette même année Commandant du dépôt à Rochefort. 1906 : Nommé capitaine de vaisseau. 1908 : Décès de sa sœur aînée Marie. 1909 : Voyage officiel à Londres. Sa femme va vivre en Dordogne. 1910 : Mise à la retraite après 42 ans de service dont 20 années passées en mer. De septembre à octobre 1912 : Voyage aux Etats-Unis, à New York 1913 : Gala en l'honneur de Pierre Loti. Voyage en Turquie. 1914 : Il est mobilisé puis renvoyé chez lui, et sera ensuite nommé agent de liaison de Gallieni. 1916 : Philippe Pétain refuse la venue de Loti à Verdun 1917 : Mission en Italie 1er juin 1918 : Il se retire définitivement de l'armée 1919 : Fin de la rédaction de son journal intime. 23 mars 1921 : Première attaque de paralysie. 1922 : Il obtient le Grand-Croix de la légion d'honneur de la part de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. 10 juin 1923 : Mort de Pierre Loti à Hendaye, suivis le 16 juin de funérailles nationales à Rochefort. Son corps sera ensuite enterré à Oléron


BIBLIOGRAPHIE 1879 : Aziyadé 1880 : Rarahu 1881 : Le roman d'un spahi 1882 : Le Mariage de Loti (Rarahu). Fleurs d'ennui. 1883: Trois journées de guerre en Annam 1883: Mon frère Yves 1884: Les Trois Dames de la Kasbah 1886 : Pécheur d'Islande 1887 : Madame Chrysanthème et Propos d'exil 1889 : Japoneries d'automne 1890: Au Maroc et Le Roman d'un enfant 1891: Le Livre de la pitié et de la mort 1892 : Fantôme d’Orient 1893 : L'Exilée et Le Matelot 1894 : Le Désert. Jérusalem et La Galilée 1897: Ramuntcho et Figures et choses qui passaient 1898 : Judith Renaudin 1899 : Reflets de la sombre route 1902 : Les Derniers Jours de Pékin 1903 : L'Inde sans les Anglais 1904 : Vers Ispahan 1904 : Traduction, avec Emile Vedel, du Roi Lear de William Shakespeare 1905 : La Troisième Jeunesse de Madame Prune


1906 : Les Désenchantées, un grand succès. 1907 : Vies de deux chattes 1909 : La Mort de Philæ . 1910 : Le Château de la Belle au Bois dormant 1912 : Un Pèlerin d'Angkor 1913 : La Turquie agonisante 1916 : La Hyène enragée 1917 : Quelques aspects du vertige mondial 1918 : L'Horreur allemande et Les Massacres d'Arménie 1920 : La Mort de notre chère France en Orient 1921 : Suprêmes visions d'Orient 1923 : Un jeune officier pauvre 1924 : Lettres à Juliette Adam 1925 : Journal intime, 1878-1881 1929 : Journal intime, 1882-1885 et Correspondance inédite, 1865-1904 1930 : Un pèlerin d'Angkor





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