Reportage photo NIGER
Ils cartographient le climat Six jeunes Nigériens ont répertorié avec l’UNICEF les effets du changement climatique, déjà très visibles dans leur pays. Le but ? Enrichir une carte mondiale des sites en danger, intitulée Act now for tomorrow, qui sera montrée lors de la COP 21. Photoreportage de Unicef France/ Michaël Zumstein
Avec son GPS, Fatiman relève les coordonnées géographiques de cette dune de sable qui avance sur Niamey, la capitale. « À cause des vents de plus en plus violents, les dunes se déplacent et ensablent les champs et certains quartiers. » PHOSPHORE ‹ 35 › DÉCEMBRE 2015
À gauche À ceux qui coupent des arbres, Hassane, étudiant en géographie, dit leur importance pour atténuer le réchauffement climatique : « Ils protègent la ville des tempêtes de sable, piègent le carbone et contribuent à l’arrivée de la pluie. »
À gauche Les « mappers » prennent des photos des cours d’eau qui débordent chaque année un peu plus : les pluies sont plus rares mais plus intenses. Ci-dessous Des villageoises racontent le détour qu’elles doivent faire pour aller au marché ou se faire soigner devant une route coupée suite à une violente inondation l’an dernier.
À droite « On met notre cœur pour raconter l’histoire de chaque lieu témoigne Halima (à droite). On croit à la prise de conscience que peut provoquer cette carte mondiale des lieux touchés par le changement climatique, on refuse d’être fatalistes ! »
Ci-dessous L’immense mare que doivent traverser les élèves de ce collège-lycée pour aller en cours est encore une preuve de la vigueur des pluies. « Déjà que beaucoup de jeunes sont déscolarisés, ça donne encore moins envie d’aller à l’école… », déplore Halima.
Ces enfants sont des «déplacés climatiques» : en 2012, leur quartier de 6 955 habitants a été dévasté par les eaux du fleuve Niger. Ils ont été relogés ici, où un autre problème se pose : l’école est menacée par l’érosion du sol, plus assez tenu par les racines des arbres et raviné par les fortes pluies…
ALGÉ RIE
“Une carte pèse plus qu’un discours”
MALI
Six jeunes Nigériens ont travaillé pour alerter sur la réalité du changement climatique.
NIGE R
NIGER IA
Fleur de la Haye,
L
envoyée spéciale
e changement climatique ? Aux jeunes que les « mappers » croisent lors de leur tournée au Niger, la notion ne dit pas grand-chose. « J’ai remarqué qu’il y avait plus de moustiques », lâche un lycéen devant l’immense mare qui baigne les portes de son établissement. « Il ne fait pas le lien entre l’augmentation des inondations et les moustiques car le changement climatique n’est pas au programme au lycée », explique Raymond, l’un des six apprentiscartographes missionnés par l’UNICEF pour en localiser les signes au Niger (d’autres le font dans 10 autres pays dont la France, la Malaisie, le Guatemala). « Chez nous, beaucoup pensent qu’il y a un dérèglement des pluies et qu’il fait de plus en plus chaud parce qu’ils ont trop pêché et que c’est Dieu qui les punit », regrette Hassane. Lui aussi est croyant mais il sait que le coupable, c’est l’effet de serre généré par les pays industrialisés (États-Unis, Chine, Europe…).
« Vous polluez et on en subit les conséquences » Ci-dessus Fierté d’Islamane d’avoir l’honneur d’entrer dans la chambre froide d’un laboratoire qui met au point des semences climato-résistantes.
Ci-dessus Ces semences sont moins gourmandes en eau, adaptées à un sol sablonneux, plus rapides à pousser pour tenir compte du raccourcissement de la saison des pluies…
PHOSPHORE ‹ 38 › DÉCEMBRE 2015
Dans ce labo, différentes espèces de sorgho (au premier plan) et de mil sont croisées pour obtenir ces petits miracles.
résume son ami Raymond. Fans de cartographie, les deux garçons participent à cette aventure pour sensibiliser les Nigériens et attirer l’attention des puissants sur leur triste sort lors de la grande conférence sur
le climat à Paris. « Une carte pèse plus qu’un long discours, c’est un outil qui aide à visualiser les problèmes et à prendre des décisions », affirme Hassane.
En attendant, les victimes de ces aléas climatiques se débrouillent. Pour compenser la perte de leur récolte de riz (laminée par de trop fortes pluies), les femmes d’une île proche de Niamey ont envoyé leurs maris à la pêche. Les bergers dont les pâturages sont grignotés par le Sahara vont toujours plus loin pour faire brouter leurs chèvres et moutons. Une famille des bords du fleuve Niger bâtit une digue avec des ordures. Mélange de plastiques multicolores et de boue, elle n’est pas très efficace : un pan entier a littéralement fondu lors du dernier débordement. Abdoul Aziz, un frêle garçon de 16 ans, a connu ça. Il habitait ce quartier avant d’être relogé avec 770 familles après une inondation en 2012 : « La nuit, pendant que je dormais, l’eau est montée très vite, mime-t-il en montrant son front. Il n’y a pas eu de
morts mais ma maison a été détruite. Maintenant, je vis sous une bâche tendue entre quatre plaques de tôle. » Halima écoute et note, désolée. Les mappers pointent le paradoxe climatique du Niger : des zones ravagées par les inondations et d’autres qui meurent de soif (le pays est aux deux tiers désertique).
« Il faudrait pouvoir récupérer cette eau, la stocker et la déplacer là où il y en a besoin », réfléchit Raymond. À force de manquer de pluie (et des nutriments qui l’accompagnent) nombre de sols sont devenus incultivables. « Ce qui augmente les risques de famines, pointe Abcia. Nous devons être les ambassadeurs de ces problèmes ! » Mais aussi ceux des remèdes existants, comme de restaurer les sols en y laissant fermenter du fumier ou en arrosant les plantes au goutteà-goutte à la racine pour économiser l’eau. « Des chercheurs de notre pays ont des solutions ! souligne Islamane. C’est frustrant qu’elles ne soient pas plus connues et appliquées… » Q