Making It: l'industrie pour le développement (#5)

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MakingIt 1er trimestre 2011

L’industrie pour le développement

Le commerce :

n L’empreinte

pauvreté n Peter Sutherland n Transport maritime durable n Chine et Afrique n Timor oriental

moteur de développement ?


Numéro 1, décembre, 2009 l Rwanda means business: interview with President Paul Kagame l How I became an environmentalist: A small-town story with global implications by Phaedra Ellis-Lamkins, Green For All l ‘We must let nature inspire us’ – Gunter Pauli presents an alternative business model that is environmentally-friendly and sustainable l Old computers – new business. Microsoft on sustainable solutions for tackling ewaster l Green industry in Asia: Conference participants interviewed l Hot Topic: Is it possible to have prosperity without growth? Is ‘green growth’ really possible? l Policy Brief: Greening industrial policy; Disclosing carbon emissions

Numéro 2, mai, 2010 l Après Copenhague » : Bianca Jagger appelle à des mesures immédiates pour éviter une catastrophe climatique l Nobuo Tanaka de l’Agence internationale de l’énergie cherche à lancer la transition énergétique de l’industrie l L’énergie pour tous » : Kandeh Yumkella et Leena Srivastava nous parlent des mesures à prendre pour améliorer l’accès à l’énergie l Ces femmes entrepreneuses qui transforment le Bangladesh l Partout sous le soleil » : le PDG de Suntech, Zhengrong Shi, nous parle du pouvoir de l’énergie solaire l Sujet brûlant : les avantages et les inconvénients des biocarburants l Politique en bref : le financement des énergies renouvelables, les prix de rachat garanti

Numéro 3, juillet 2010 l L’impressionnant essor économique de la Chine : Entretien avec le ministre du commerce, Chen Deming l Jayati Ghosh au sujet de la politisation de la politique économique l « Vers un débat plus productif » – Ha-Joon Chang demande d’accepter l’idée que la politique industrielle peut fonctionner l Le président de la banque mondiale Robert Zoellick, au sujet de la modernisation du multilatéralisme l « Écologisation de l’économie mexicaine » – Juan Rafael Elvira Quesada l Sujet brûlant : La microfinance fonctionne-t-elle ? l Politique en bref : Secteur privé et développement ; le pouvoir des capitaux patients

Numéro 4, Novembre 2010 l Renforcer la capacité productive – Cheick Sidi Diarra soutient que les PMA doivent, et peuvent, produire davantage de biens et de services de meilleure qualité l Milford Bateman nous parle des alternatives à la microfinance par la banque communautaire l Kiribati, petit pays, grand sacrifice : entretien avec le président Anote Tong l Un défi au pas de la porte – Le conseil mondial des entreprises pour le développement durable Patricia Francis nous parle du changement climatique et du commerce l Sujet brûlant : la pertinence de l'entrepreneuriat pour le développement économique l Politique en bref : Investissement dans les énergies renouvelables en Inde ; promotion des capacités d'innovation industrielle

Un magazine trimestriel. Stimulant, critique et constructif. Forum de discussion et d’échange au carrefour de l’industrie et du développement.


Éditorial

Ce numéro de Making It: l’industrie pour le développement se concentre sur les évolutions récentes du commerce international. Dans l’article principal, Peter Sutherland, ancien Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, défend l’idée suivante : pour que tous les pays du monde puissent profiter des retombées positives du commerce international, il serait essentiel de conclure le cycle de Doha. Il souligne les liens entre la croissance des flux commerciaux et celle de l’économie mondiale, et incite les dirigeants du monde entier à renouveler leur engagement en faveur des échanges multilatéraux. Xiao Ye se penche sur la forte croissance qu’ont récemment connu les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine. Elle note que les exportations des pays d’Afrique subsaharienne vers la Chine concernent essentiellement des matières premières, tandis que la Chine se tourne vers d’autres régions du monde pour satisfaire ses besoins croissants en biens manufacturés, en équipements de transport et en machines-outils. Quand l’Afrique commencera-t-elle à produire les biens à forte valeur ajoutée qui représentent plus de 70 % des importations chinoises ? Les investissements chinois pourraient-ils devenir le moteur du processus d’industrialisation tant attendu de l’Afrique ? Le professeur Colin McCarthy reste sur le sujet de l’Afrique pour critiquer la gestion de l’intégration régionale. Il rappelle aux responsables politiques un facteur à ne pas négliger : la nécessité pour les nations de développer leur capacité à produire des biens et des services compétitifs. Sur un sujet complètement différent, à savoir l’empreinte carbone des échanges commerciaux, des représentants des secteurs du fret et de l’aviation dressent un bilan optimiste de leurs efforts pour réduire les émissions de CO2. Vous trouverez également des articles sur le développement dans le respect du climat et sur la sortie du Cap-Vert du groupe des pays les moins avancés, un zoom sur le Timor oriental, et bien d’autres choses encore. Comme toujours, nous invitons nos lecteurs à utiliser le site web du magazine – www.makingitmagazine.net – pour se joindre au débat et partager leur point de vue sur les sujets que nous abordons.

In Memoriam Ole Lundby, l'un des principaux acteurs de la création et de la réalisation du magazine Making It, nous a quitté le 10 février 2011. Ole enrichissait le magazine d'innombrables idées héritées de sa longue et admirable carrière en tant que diplomate et négociateur commercial pour le compte de la Norvège et, plus récemment, dans la fonction publique internationale. Il a façonné l'identité de notre publication, qu'il voyait comme une plateforme cruciale pour étendre le débat sur les politiques industrielles mondiales à un large public, de façon accessible et stimulante. Il était toujours au courant des débats de l'actualité, toujours prêt à essayer de nouvelles approches, et toujours parfaitement clair sur son objectif final d'un développement économique qui profiterait aux pauvres du monde entier. Ole était un collègue et un ami irremplaçable. Il va beaucoup nous manquer.

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Contenus

MakingIt L’industrie pour le développement

Éditeur : Charles Arthur editor@makingitmagazine.net Comité éditorial : Ralf Bredel, Tillmann Günther, Sarwar Hobohm, Kazuki Kitaoka, Ole Lundby, Wilfried Lütkenhorst (président), Cormac O’Reilly Site Web et assistance : Lauren Brassaw outreach@makingitmagazine.net Illustration de la couverture : Dave Granlund Design : Smith+Bell, UK – www.smithplusbell.com Merci à Donna Coleman pour son aide Imprimé par Gutenberg Press Ltd, Malte – www.gutenberg.com.mt sur un papier certifié FSC Pour consulter cette publication en ligne et pour participer aux discussions portant sur l’industrie pour le développement, rendez-vous sur www.makingitmagazine.net Pour vous abonner et recevoir les prochains numéros de Making It, veuillez envoyer un e-mail contenant votre nom et votre adresse à subscriptions@makingitmagazine.net Making It: L’industrie pour le développement est publié par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienna International Centre, P.O. Box 300, 1400 Vienne, Autriche Téléphone : (+43-1) 26026-0, Fax : (+43-1) 26926-69 E-mail : unido@unido.org Copyright © 2011 The United Nations Industrial Development Organization Aucun extrait de cette publication ne pourra être utilisé ou reproduit sans l’accord préalable de l’éditeur ISSN 2076-8508 Les appellations employées et la présentation réalisée des contenus de ce magazine n’impliquent en aucun cas l’expression d’opinions de la part du Secrétariat de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) concernant le statut légal de quelconque pays, territoire, ville, région ou de ses autorités, ni concernant la délimitation de ses frontières ou limites, ni concernant son système économique ou son degré de développement. Les termes « développé », « industrialisé » et « en développement » sont utilisés pour des raisons de commodité statistique et n’exprime pas nécessairement de jugement sur le niveau de développement atteint par un pays ou une région en particulier. L’évocation de noms d’entreprises ou de produits commerciaux ne constitue en aucun cas un soutien de la part de l’ONUDI. Les opinions, données statistiques et estimations contenues dans les articles signés relèvent de la seule responsabilité de l’auteur ou des auteurs, y compris ceux qui sont membres ou employés de l’ONUDI. Vous ne devez donc pas considérer qu’elles reflètent les opinions ou qu’elles bénéficient du soutien de l’ONUDI. Ce document a été produit sans avoir été officiellement révisé par les Nations Unies.

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FORUM MONDIAL 6 Lettres 8 Développement compatible avec le climat – Comment éviter les conséquences négatives liées au changement climatique ? Article de Simon Maxwell 10 Sujet brûlant – Les représentants des secteurs du transport maritime et aérien tentent d’endiguer l’augmentation des niveaux de CO2

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16 Affaires des affaires – Actualités et tendances ARTICLES 18 En route vers une prospérité mutuelle ? – Xiao Ye se penche sur le récent essor du commerce entre l’Afrique subsaharienne et la Chine

22 22 Le marché du tapis afghan – Charles Arthur retrace le parcours du principal produit d’exportation d’Afghanistan du lieu de production au point de vente

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Numéro 5, 1er trimestre 2011

38 34 Zoom sur un pays : Timor oriental – De la dépendance à l’aide aux revenus des ressources – Entretien avec Son excellence le président José Ramos-Horta 38 L’empreinte pauvreté – Mary Arnesen présente un nouvel outil pour aider les entreprises à comprendre comment leurs activités affectent les gens au sein de leurs chaînes de valeur 40 Du statut de méchants à celui de visionnaires – Andy Wales explique que de nombreuses grandes entreprises considèrent désormais les questions de responsabilité sociale, de philanthropie et de respect de l’environnement comme des éléments de plus en plus importants pour la stratégie d’entreprise

ARTICLE PRINCIPAL 24 Une fenêtre d’opportunité pour le commerce mondial ? – Face à la montée du protectionnisme et aux frictions continues dues aux taux de change, Peter Sutherland évalue les possibilités de la conclusion d’un accord commercial multilatéral 30 Cap-Vert : l’émancipation – Fátima Fialho explique comment son pays a quitté le groupe des pays les moins avancés et envisage à présent son développement en tant que pays à revenu intermédiaire 32 Dépasser les frontières et supprimer les obstacles – Colin McCarthy remet en question l’approche de l’intégration régionale en Afrique

POLITIQUE EN BREF 42 Utilisation des normes privées à votre avantage 43 Une nouvelle approche de la croissance basée sur l’exportation 44 La politique industrielle au centre de la scène 46 Le mot de la fin – Lucy Muchoki nous parle de l’industrie agro-alimentaire en Afrique

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FORUM MONDIAL La section « Forum Mondial » de Making It est un espace d’interaction et de discussions, dans lequel nous invitons les lecteurs à proposer leurs réactions et leurs réponses à propos de tous les problèmes soulevés dans ce magazine. Les lettres destinées à la publication dans les pages de Making It doivent comporter porter la mention « Pour publication » et doivent être envoyées par courrier électronique à l’adresse : editor@makingitmagazine.net ou par courrier à : The Editor, Making It, Room D2138, UNIDO, PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Les lettres ou les courriers électroniques peuvent faire l’objet de modifications pour des raisons d’espace).

LETTRES

science et de la technologie et améliorer tous les secteurs économiques et la vie de chacun. l Diêgo Lôbo, blogueur environnemental, Salvador, Bahia, Brésil

Industrie verte Fervent lecteur de Making It depuis son lancement, j’ai trouvé très intéressante la série d’articles dans laquelle vos correspondants proposaient que les pays en développement profitent des opportunités qu’offrent les dernières avancées technologiques et évitent de suivre le même chemin de développement industriel que celui de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Selon l’argument avancé, le concept de « leapfrogging » (sauter des étapes) – grâce aux énergies renouvelables et à des procédés industriels plus efficaces et moins polluants – permettrait aux pays en développement d’affermir la légitimité de « l’industrie verte », d’aspirer au développement durable et de participer à la lutte mondiale contre les changements climatiques, la pénurie de carburant et la pauvreté aggravée. Cela paraît éminemment sensé, voire même essentiel. J’ai donc été très surpris que dans la dernière édition, dont le contenu était axé sur les pays les moins avancés, aucun des trois articles principaux, dont le sujet traitait de la manière dont les PMA peuvent progresser, ne fassent référence au concept de leapfrogging. Ni le correspondant de la CNUCED, ni le Haut représentant de l’ONU pour les PMA, pas plus que le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, n’a jugé nécessaire de mentionner ce concept. Au contraire, ils semblaient tous suggérer que, tout ce dont les PMA ont besoin, c’est de s’appliquer encore plus

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à suivre les modèles établis, c’est à dire développer leurs capacités de production, produire plus et vendre plus – sans considération pour les problèmes d’appauvrissement des ressources naturelles, de pic pétrolier, de surconsommation, de pollution, de changements climatiques, etc. Il semble que de trop nombreux décideurs s’obstinent encore à ne pas voir la pertinence de l’industrie verte pour les pays en développement. l Angela Sabas, reçu par courrier électronique

Biodiversité – grande et petite « Biodiversité : défis politiques dans un monde en mutation » (Making It, numéro 4) est un article très intéressant, mais il me semble qu’un débat aussi important que celui de la biodiversité ne devrait pas se cantonner à la survie de l’humanité et la conservation des écosystèmes – la formidable biodiversité de notre planète

peut être également une voie vers le développement économique. Le Brésil en est un des meilleurs exemples. Mon pays est le plus biodiversifié au monde, puisqu’il possède environ 15 à 20 % de toutes les espèces de la planète, sans compter toutes celles qui n’ont pas encore été cataloguées. Selon le professeur Kjell Aleklett de l’Université d’Uppsala, le Brésil – à l’image de la Russie – est le pays le mieux préparé à affronter un monde sans pétrole, grâce à ses capacités de production d’énergie et de nourriture. En outre, notre potentiel de recherche et développement, fondé sur la biodiversité de nos ressources, est colossal. On estime que cela pourrait générer plus de 2 billions USD par an, ce qui représente bien plus que notre PNB. En d’autres termes, si le Brésil se met à investir dans ces technologies, plutôt que d’être dépendant du pétrole, il pourrait devenir l’un des leaders dans les domaines de la

L’article et l’interview sur les Kiribati, « les Kiribati : petit pays, grand sacrifice » (Making It, numéro 4), sont très intéressants et montrent le choix crucial dans lequel s’engage ce petit pays afin d’intervenir efficacement sur les problèmes de changement climatique, et ce en dépit de sa situation économique. Il semble également que cela aille à l’encontre de la tendance générale des modèles de développement industriel de type « exploitation des ressources », parfois proposés par certaines organisations internationales. Ce qu’a mis en place Anote Tong, le président des Kiribati constitue, très précisément, un modèle pour le reste du monde, aussi bien pour les pays industrialisés que pour ceux en développement. En fermant l’accès à leurs zones de pêche afin de protéger l’environnement et de conserver la vie marine, les Kiribati ont franchit une étape vers la sauvegarde du futur de leur pays. Ceci est particulièrement méritoire, étant donné que les conférences des Nations Unies sur les changements climatiques des deux dernières années semblent incapables de faire quoique ce soit pour créer un accord qui changera sérieusement l’attitude de l’humanité et les effets liés aux bouleversements climatiques. l Yves Loiseau, commentaire sur le site Internet


Pour toute discussion complémentaire relative aux sujets évoqués dans Making It, veuillez accéder au site Web du magazine, à l’adresse www.makingitmagazine.net et à la page Facebook du magazine. Les lecteurs sont invités à parcourir ces sites et à participer aux discussions et aux débats en ligne à propos du secteur pour le développement.

Gouvernement et entreprises Dans l’article « Secteur privé et développement » (Making It, numéro 3), Karen Ellis de l'Institut de développement d'outre-mer (Overseas Development Institute) insinue que : « l’époque est mûre pour un nouveau type de politique industrielle » fondée sur des consultations gouvernementales de grande envergure auprès des entreprises. Cette approche présente cependant un certain nombre de faiblesses. Premièrement, si cet embryonnaire secteur économique à forte croissance repose sur une nouvelle technologie perturbatrice, les entreprises existantes auront peut être intérêt à restreindre l’accès au marché de ces nouveaux concurrents. De plus, il est difficile de consulter des entreprises qui n’existent pas encore. Deuxièmement, la proposition souffre de la « critique du chameau » de Dani Rodrik’s concernant les études commerciales. Si vous prenez au hasard un animal dans le désert pour discuter avec lui des défis environnementaux, vous tomberez peut-être sur un chameau, et celui-ci ne considérera pas forcément le manque d’eau comme un défi crucial. De la même manière, les entreprises existantes sont celles qui ont trouvé le moyen de surmonter les principaux défis opérationnels. Une fois encore, on peut se demander si les gouvernements doivent vraiment s’entretenir avec des entreprises qui n’existent pas encore. Enfin, il n’est même pas certain que quiconque, y compris le gouvernement, les entreprises ou

les hypothétiques entreprises potentielles, puisse prédirent les futurs secteurs de croissance. Il n’est pas non plus évident qu’une accumulation de points de vue en soit capable. D’une manière générale, la croissance est hasardeuse et imprédictible. La meilleure politique industrielle serait peut-être de revenir à l’essentiel, j’ose le dire, du consensus de Washington : fournir un environnement macroéconomique stable à toutes les entreprises et à tous les secteurs d’activités, et laisser le marché déterminer où se trouvent les meilleurs investissements. l Lee Crawfurd, RovingBandit.com

Leadership Mon livre, The Blue Sweater, a été sélectionné par un grand nombre d’universités aux ÉtatsUnis pour faire partie de leurs ouvrages de référence, ce qui signifie que tous les étudiants de première année le lisent et l’utilisent pour leur instruction. J’ai ainsi eu le privilège de visiter de nombreux campus universitaires cet automne. Ce qui m’impressionne, encore et

toujours, c’est de constater à quel point les jeunes gens sont avides de se lancer dans des débats compliqués en ce qui concernent les types de solutions nécessaires à un monde interconnecté – et à quel point ils ressentent le manque d’infrastructures à cet effet. Nous voyons trop de nos dirigeants agir à partir de certitudes idéologiques, au moment même où nous avons besoin de réfléchir ensemble, afin de mieux comprendre comment, nous en tant qu’humanité, sommes parvenus à un monde aussi interconnecté, avec cependant un fossé entre riches et pauvres qui ne cesse de s’agrandir. Notre monde exige de nouvelles solutions. Elles consistent d’abord, à déterminer les problèmes à portée de main, puis à utiliser nos nombreuses ressources, y compris les marchés, y compris les gouvernements et y compris le capital patient et la philanthropie, pour les résoudre. Ce mode d’action nécessitera un leadership plus proactif, plus imaginatif et plus moral. Chez Acumen Fund, notre engagement à investir chez les entrepreneurs, mais aussi chez les leaders et dans les idées, est plus fort que jamais. Il existe de nombreux points spécifiques où nous n’en sommes qu’au commencement. Mais d’un point de vue général, nous avons besoin de vous pour nous aider à utiliser les idées du capital patient, de la dignité et de l’interconnexion, afin d’étendre le mouvement des droits civils à chaque être humain de la planète. Le moment est venu de penser grand. l Jacqueline Novogratz, Acumen Fund, New York, États-Unis

Mexique Ayant été à la fois un entrepreneur mexicain et un employé du ministère mexicain du commerce (Secretaría de Economía), j’ai beaucoup apprécié l’article, « Agissons – le point de vue d'un entrepreneur : Mexique » ; (Making It, numéro 1). Les témoignages de créateurs d’emplois directs, tels que celui de M. Maauad, sont très utiles. Devenir entrepreneur au Mexique est beaucoup plus aisé que par le passé, en particulier grâce à un accès facilité au crédit, même si les taux d’intérêt pourraient être plus bas. En revanche, les formalités administratives demeurent plus laborieuses que dans la plupart des pays de l’OCDE, même si les choses s’arrangent une fois installé. Il existe plusieurs programmes gouvernementaux pour encourager la compétitivité dans les domaines de la recherche et du développement, des exportations et de la productivité. Le gouvernement soutient les politiques environnementales responsables, qui sont en phase avec celles des autres pays de l’OCDE. l Alberto González, commentaire sur le site Internet

Bon sens économique ? Je m’inquiète que la rapide « consolidation fiscale » engagée par les gouvernements européens tels que la Grande-Bretagne ne provoque une diminution de la production et de la demande, qui entraînera ensuite un étouffement du développement et de la croissance. Qu’en pensent vos lecteurs ? l Paul Miller, reçu par courrier électronique

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Comment éviter les conséquences négatives liées au changement climatique et profiter en même temps de ses avantages potentiels ? Article de Simon Maxwell

Développement compatible avec le climat Politiques, méfiez-vous ! Industriels, méfiezvous ! Le changement climatique sera plus perturbant que vous ne l’imaginez, plus difficile à gérer au niveau politique, et il constituera un défi sans précédent pour le développement durable. Ceci, non pour les raisons évidentes – même si, oui il fera plus chaud et plus sec et/ou humide et oui il y aura plus de catastrophes naturelles qui détruiront les infrastructures critiques et démantèleront des moyens de subsistance âprement acquis. Le défi le plus important – le défi beaucoup plus important – à relever, est que le changement climatique va conduire à une restructuration de l’économie mondiale, dont personne ne sortira indemne. Il y aura de nouveaux gagnants et de nouveaux perdants et ce, à une échelle historique. La rupture survient parce que le changement climatique va affecter les relations entre les intrants et les extrants, ainsi que les prix de ceux-ci. Les effets en seront parfois préjudiciables si, par exemple, la productivité agricole venait à chuter et ébranler l’industrie agro-alimentaire. Cependant, ils seront parfois bénéfiques si, par exemple, de nouvelles ressources prenaient de la valeur, entraînant ainsi le développement de nouvelles industries. Les stratégies de développement, qu’elles soient privées ou publiques, ne peuvent rester indifférentes face à ces changements. Les entreprises sont des expertes de l’innovation, aussi bien en termes de technologie que de développement de produits et de marchés. Elles ont constaté les bénéfices des économies d’énergie et ont évolué rapidement vers SIMON MAXWELL est président exécutif du CDKN, le réseau Climate and Development Knowledge Network

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l’éolien, le solaire et les autres énergies renouvelables. Mais sont elles en mesure de réagir assez rapidement ? La fameuse formule de Schumpeter décrit le capitalisme comme étant sous l’emprise d’une « destruction créatrice ». Sous l’influence du changement climatique, la créativité l’emportera-t-elle sur la destruction ? Les gouvernements doivent également se confronter à ce problème. Avec le retour en vogue des politiques industrielles, les gouvernements investissent dans les infrastructures matérielles et institutionnelles nécessaires pour mettre en valeur et soutenir l’émergence de nouveaux faisceaux industriels. Comment peuvent-il être certains que leurs investissements favoriseront un développement durable ? L’expérience nous enseigne que lorsque le changement est en route, il peut s’accélérer à une vitesse considérable. Le changement climatique en lui-même est peut-être un phénomène dont les effets ne se feront sentir que dans des décennies, mais le changement économique peut avoir une incidence en quelques années simplement. Cela est particulièrement vrai lorsque les moteurs politiques, tels que les subventions et les lois, entrent en jeu. Les conséquences sociales peuvent être dramatiques : certains en profiteront parce qu’ils possèdent les ressources adéquates, tandis que d’autres seront laissés pour compte parce que les emplois auront évolué vers de nouveaux secteurs et de nouvelles localisations. La mondialisation a eu ce type d’impact sur nos existences. Il y a trois étapes à franchir si l’on veut éviter les conséquences négatives du changement climatique et profiter des éventuels avantages. Premièrement, il faut abandonner le discours borné sur l’adaptation et la réduction

et évoluer vers un concept élargi de « développement compatible avec le climat ». Ceci afin d’éviter le risque de négliger les questions de développement dans le débat sur le changement climatique ; mais surtout parce que l’attention focalisée sur l’adaptation et la réduction fait l’impasse sur les changements structurels de l’économie au sens large induits par les changements de la productivité ou des prix. L’adaptation est importante, bien évidemment, mais dans une optique de renforcement des infrastructures et d’amélioration de la prévention des catastrophes. Parlez-en au Pakistan et à l’Australie, tous les deux victimes de terribles inondations en 2010. Il en va de même pour la réduction, mais dans une optique de diminution des émissions, en valeur absolue pour les pays développés et proportionnellement pour la plupart des pays en développement. Parlez-en au Vietnam, dont la croissance est de 8 % par an et qui émet déjà deux tonnes de CO2 par personne et par an – la quantité maximum autorisée si l’on veut maintenir l’augmentation de température à 2 °C. En plus d’agir sur ces fronts, les pays doivent également surveiller et planifier les grandes mutations économiques. Parlez-en à la Bolivie, qui est assise sur l’une des plus importantes réserves mondiales de lithium, un composant essentiel à la nouvelle génération de piles à basses émissions. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ce pays, l’Arabie Saoudite du lithium. On ferait peutêtre mieux de l’appeler l’Arabie Saoudite de l’ère postpétrolière. Deuxièmement, il est nécessaire d’élargir l’horizon et de passer d’une vision à court terme vers une vision à long terme. Nombre des discussions sur le changement climatique se focalisent sur l’adaptation immédiate, sans doute inévitable lorsque des existences et des moyens de subsistance sont en danger, mais fallacieuse lorsque les économies et les sociétés passent par des changements rapides. Telle économie rurale en 2010 deviendra peut-être une économie urbaine en 2030. Telle économie agricole sera probablement sous l’emprise de l’industrie et des services. Telle économie avec peu de ressources pourra, avec de la chance, en obtenir plus. Les décideurs politiques doivent s’interroger sur ce que serait la trajectoire à long terme d’un pays sans changement climatique, et quels seraient les


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Photo: Reuters/Nguyen Huy Kham

ajustements nécessaires en cas de changement climatique. Augmenter ou réduire le développement le long du littoral ? Se fier ou se défier du commerce international ? Investir ou non dans l’énergie hydroélectrique ? Les incertitudes abondent et il est difficile de répondre aux questions fondamentales liées aux modèles de développement. C’est pourquoi la planification de scénarios est une technique efficace pour soutenir la planification d’un développement compatible avec le changement climatique et un bon moyen pour commencer à mettre en forme des futurs alternatifs et concevoir des investissements à faibles risques. L’Afrique du Sud est un pays qui a utilisé cette approche avec efficacité. La troisième étape consiste à repenser les politiques depuis le commencement, à convier les parties concernées et à construire les bases d’un dialogue pour les multiples parties prenantes. Ceci, parce que chaque élément associé au changement climatique et chaque décision prise pour sécuriser le développement compatible avec le climat, entraînera inévitablement un débat politique passionnel. Dans les pays développés, les prises de décisions, sont souvent paralysées, parce que les considérations climatiques se heurtent au mur des intérêts pétroliers et charbonniers, ou aux lobbies représentant les industries énergivores traditionnelles. Les automobilistes et les transporteurs routiers se plaignent de l’augmentation des prix du carburant, alors que des prix encore plus élevés seraient nécessaires pour endiguer la consommation. Les militants contre la pauvreté se plaignent du coût du chauffage au cours des hivers froids et de l’augmentation de la pauvreté énergétique. Route ou rails ? Un nouvel aéroport ou une nouvelle piste d’atterrissage ? Une protection contre les inondations ? Des subventions pour les nouvelles industries ou pour les anciennes ? Les élections se sont gagnées ou perdues en répondant à ces questions. Le dilemme des politiciens est que les systèmes politiques enracinés dans les batailles de partis et dans les cycles électoraux à court terme sont notoirement nuisibles à l’établissement des structures politiques à long terme, nécessaires pour soutenir l’innovation. C’est pourquoi, nous avons besoin d’un véritable engagement, qui permettrait de construire un consensus national sur le

Des fermiers au travail près d’une cimenterie dans le village de Sai Son, à l’extérieur d’Hanoi, Vietnam.

« Le développement compatible avec le climat combine les notions d’adaptation et de réduction avec celle de développement élargi : il s’agit d’un concept qui met au défi les décideurs politiques de continuer à réduire la pauvreté et à proposer un développement humain, sans empirer le changement climatique et sans se transformer en victimes d’un changement inéluctable. »

développement compatible avec le climat, et qui impliquerait les responsables politiques, mais également le secteur privé et la société civile. Les dirigeants doivent montrer l’exemple, à l’image de ceux du Rwanda et des Maldives. Mais le leadership n’est pas le seul fait du royaume politique. Les dirigeants des autres secteurs doivent jouer leur rôle. Soutenue par une analyse et un contrôle indépendant, l’élaboration de lois peut également aider, ainsi que le Royaume-Uni et l’Indonésie l’ont tous deux découvert. Les politiques doivent encore se concentrer sur les opportunités positives, ainsi que sur les problèmes et les contraintes. Connie Hedegaard, le commissaire européen en charge du climat, agit de la sorte. Elle souligne, par exemple, le potentiel de croissance et d’emploi que représentent les énergies renouvelables. Comme le faisait remarquer Napoléon, « un chef est un marchand d’espérance ». Le développement compatible avec le climat n’est pas une tâche facile, mais il modèle la vision de notre avenir. n

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SUJET BRÛLANT La mobilité croissante des personnes et des marchandises de part en part de la planète, influe sur la demande en transport et les émissions de gaz carbonique (CO²) qui y sont associées. Making It a demandé à des représentants des secteurs du transport maritime et aérien – deux moyens de transport essentiels au commerce mondial – ce qu’ils allaient entreprendre pour endiguer l’augmentation des niveaux de CO² responsables du changement climatique.

Transport maritime durable JACOB STERLING est responsable du service Climat et environnement de Maersk Line, la plus grande société mondiale de marine marchande. La flotte comprend plus de 500 navires porteconteneurs et la société a des bureaux dans plus de 125 pays. En 2010, Maersk Line a effectué environ 40 000 escales– soit approximativement une toutes les dix minutes. Le changement climatique est un défi qui nous concerne tous. Le transport maritime fait partie du problème – mais certainement aussi, partie de la solution parce qu’il a le potentiel de fournir des services qui peuvent aider au développement d’une économie à faible empreinte carbone. Ni le transport maritime, ni l’aviation ne font partie du Protocole de Kyoto, même si l’inclusion du transport maritime dans un nouvel accord mondial sur le changement climatique était inscrite à l’agenda de la COP15, ainsi qu’à celui de la COP16 de Cancun, en décembre 2010. Avec une empreinte CO2 supérieure à celle du territoire allemand, il est évident que le transport maritime devrait être inclus dans un accord international sur le changement climatique. Maersk Line a vivement soutenu l’idée que, l’Organisation Maritime Internationale (OMI), l’agence spécialisée des Nations Unies, soit en charge de développer les régulations concernant les émissions de CO2 associées au transport maritime. Cependant, les dernières réunions du Comité de protection environnementale maritime de l’OMI n’ont

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guère été encourageantes. Manifestement, certains pays considèrent qu’il n’y a plus d’urgence à trouver un accord, et les autres attendent que la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) définisse une direction globale, avant de prendre des décisions fermes pour des secteurs spécifiques tels que celui du transport maritime. Bien que l’accord obtenu au COP16 ne mentionne pas le transport maritime, l’espoir renaît que les négociations au sein de l’OMI concernant ce mode de transport évoluent désormais plus rapidement. Cela est important parce qu’il existe un potentiel significatif pour améliorer l’efficacité du transport maritime. Ce qui est encore plus important, c’est qu’en l’absence de régulation sur le CO2 relative au transport maritime, le secteur risque d’être considéré comme étant à la traîne, alors qu’il dispose d’un véritable potentiel pour faciliter le développement d’une économie à faible empreinte carbone au travers de ses services de transport. Quelques exemples du potentiel d’amélioration de l’efficacité du transport maritime : l Maersk Line s’est fixé un objectif volontaire de réduire de 25 % ses émissions de CO2 par conteneur déplacé d’ici 2020 (par rapport à 2007) – et nous avons déjà réduit de plus de 10 % grâce à l’introduction du slow steaming (réduction de la vitesse des navires) et d’autres mesures opérationnelles. Depuis son lancement en 2007, le slow steaming


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Photo: Maersk Line

Un porte-conteneurs Maersk Line quittant le port de Hong Kong.

permet de réaliser des économies de carburant de manière continue. Lorsqu’on réduit la vitesse de 20 %, la consommation de carburant baisse de 40 %. Afin de compenser la réduction de la vitesse moyenne, on ajoute un ou deux navires supplémentaires pour garantir la même fréquence de service. l Les nouveaux navires que nous mettront en service en 2011, présentent un rendement énergétique 20 % supérieur à celui des nouveaux bâtiments similaires, ces derniers s’étant moins axés sur le rendement énergétique lors de la phase de conception. l Maersk Line démarre actuellement un projet par lequel nous allons analyser les nouvelles technologies susceptibles d’être ajoutées a posteriori à nos navires afin d’améliorer leur rendement énergétique et diminuer leur impact sur l’environnement. Nous espérons que cela contribuera plus encore à la réduction de nos émissions de CO2. En conséquence, nous encourageons vivement, les pays participant aux réunions de l’OMI et de la CCNUCC à faire tomber les barrières et à parvenir à un accord mondial sur le changement climatique lié au transport maritime, qui s’appliquera à toutes les compagnies maritimes, quelque soit le drapeau sous lequel elles naviguent – sous la forme, par exemple, d’une taxe carbone sur l’achat du carburant de soute. Un tel accord augmenterait presque certainement le coût opérationnel d’une liaison maritime, mais tant que l’accord est conçu pour garantir un champ d’action équitable pour chacun, nous y serons favorables.

Un défi et une opportunité Aborder le changement climatique est un défi colossal – mais je crois que l’une des raisons pour lesquelles il est si difficile de parvenir à un accord mondial est que l’on s’attache trop à instaurer des limites et à imposer des réductions. Si on veut que le monde ait un avenir prospère et à faible empreinte carbone, il faut s’intéresser davantage aux secteurs d’activités qui ont besoin de croître et non de se ratatiner. Les turbines éoliennes et les panneaux solaires font évidemment partie de la solution. Il en va de même des enzymes, capables de réduire l’utilisation de produits chimiques et d’énergie dans de ‰

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SUJET BRÛLANT ‰ nombreux processus de production. Les solutions TIC peuvent également faire baisser les besoins en transport aériens. Nous pensons que le transport maritime peut aussi se développer en un secteur capable de proposer des solutions transformatives pour une économie à faible empreinte carbone. À ce jour, le transport maritime est de loin le moyen de transport de marchandises le moins énergivore. Par exemple, le transport par bateau d’une paire de chaussure depuis la Chine vers l’Europe du Nord émettra le même volume de CO2 que de conduire deux kilomètres dans une voiture standard. Et lorsque le fret est transporté par bateau plutôt que par avion, les émissions de CO2 sont en général réduites de 90 % ou plus. Cela signifie que plus on augmentera le transport maritime aux dépends du transport routier et du fret aérien, plus on réduira les émissions mondiales de CO2. Un récent rapport publié par le Low-Carbon Leaders Project a mis en avant l’énorme potentiel de tels changements modaux. Il recommande, en particulier, que les décideurs politiques élargissent leur point de vue actuel, et qu’au lieu de se focaliser sur la réduction des « kilomètres alimentaires », discutent plutôt de la manière de promouvoir ces changements modaux vers des moyens de transport efficaces. Maersk Line souhaite vivement prendre des parts de marché chez les autres moyens de transport. Cela fait partie de notre stratégie commerciale et nous disposons de nombreuses innovations pour y parvenir. Par exemple, nous avons développé, avec la société Aqualife, une méthode pour transporter des homards vivants dans des conteneurs spéciaux – normalement les homards vivants sont transportés par avion et leur transport par bateau réduit considérablement les émissions de CO2. Il est même possible de transférer le transport de fleurs coupées de l’aérien au maritime pour peu que les négociants en fleurs soient prêts à ajuster leur activité à des délais de livraison un peu plus longs. Pour demeurer fraîches, les fleurs devraient normalement voyager par avion. Cependant,

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malgré nos temps de transit supérieurs, nous pouvons offrir la même prestation grâce à nos tous derniers conteneurs étanches, capables de conserver les fleurs aux températures appropriées. De manière générale, Maersk Line souhaiterait voir les compagnies maritimes devenir plus compétitives en ce qui concerne leurs performances environnementales. Pour parvenir à cela, nous essayons de faire en sorte que nos clients puissent comparer les prestations des compagnies maritimes non seulement sur les questions traditionnelles de prix et de temps de transit, mais également sur les performances environnementales. En octobre 2010, Maersk Line est devenue la première compagnie maritime à recevoir une vérification indépendante de ses émissions de CO2– navire par navire. Ainsi, nous pouvons désormais donner à nos clients des données crédibles d’émission de CO2. Un exemple sur la manière dont nous allons mettre à profit ces données, est notre nouvelle carte d’émission de CO2 destinée aux principaux clients de Maersk Line. Cet outil permettra à nos clients d’avoir un suivi de leurs émissions de CO2 avec Maersk Line et de les comparer avec les moyennes du secteur.

« Déplacer le soleil » Certains considèrent qu’il serait plus judicieux de stopper le commerce mondial dans son ensemble et de produire des biens localement, afin d’éviter les émissions liées au transport. Le rapport mentionné ci-dessus, Transformative Solution Leadership

« Nous pensons que le transport maritime peut se développer en un secteur susceptible d'apporter des solutions au développement d'une économie à faible empreinte carbone. »

(Leadership des solutions transformatives), et en particulier le paragraphe intitulé, Smart Goods Transport (Transport de marchandises intelligent) a une approche différente. Il recommande que les décideurs politiques modifient leur point de vue sur la manière dont le transport doit être réduit, et le recadrent sur la manière dont les services, qui sont nécessaires à la société, pourraient être produits avec le minimum d’émissions de CO2. Qu’est-ce que cela signifie-t-il en termes simples ? Eh bien, un des services importants dont la société a besoin est l’approvisionnement en nourriture. En 2050, on estime que la population mondiale sera d’environ neuf milliards, ce qui signifie qu’il faudra produire – et transporter – beaucoup plus de nourriture. L’argument fondamental de ce rapport est que les régions proches de l’équateur reçoivent plus de soleil et présentent donc de meilleures conditions pour la croissance des végétaux, et qu’il serait donc judicieux d’augmenter la production agroalimentaire dans ces régions à fort potentiel, puis transporter la nourriture vers les points de consommation avec des moyens à faible empreinte carbone. Le rapport intitule ce concept « déplacer le soleil ». Ce qui compte, ce n’est pas tant la distance parcourue par des biens particuliers, mais la quantité totale de CO2 émise par la production et le transport de ces produits. Cette approche nous semble parfaitement logique et nous pensons que cela créera de réelles opportunités pour les économies en développement dans les régions de l’équateur qui pourront produire la nourriture pour le reste de la planète. Nous sommes également enthousiastes quant aux implications que cela implique pour le transport maritime et pour Maersk Line. Grâce à nos conteneurs frigorifiques peu énergivores, nous assurons déjà des prestations de transport pour les producteurs alimentaires du monde entier, et c’est une activité que nous aimerions certainement voir se développer à l’avenir. C’est ce que nous allons faire, malgré l’absence de régulation mondiale sur le CO2, et nous espérons que cela inspirera les décideurs politiques qui se consacrent à trouver un accord mondial sur le changement climatique. n


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Électricité et chauffage (consommation énergétique) 45 %

CO2 (ne prend pas en compte le changement d'utilisation des terrains)

Véhicules utilitaires légers (Voitures, fourgons et camionnettes) 6% Fret terrestre (rails et route) 4% Transport maritime 3 % Aviation 2 %

Transport (consommation énergétique) 19 %

Autres consommations de combustible (consommation énergétique) 11 % Processus Industriels 5 % Émissions fugitives (consommation énergétique) 1 %

Émissions liées au transport en 2009 CO2 (en pourcentage du total des émissions mondiales de CO2) Source: Carbon War Room

Source : World Resources Institute (Institut des ressources mondiales)

Émissions par secteur d’activité en 2007

Fabrication et construction (consommation énergétique) 19 %

Aviation – faire face au changement climatique PAUL STEELE est le directeur exécutif du Groupe Air Transport Action Group (ATAG), un groupement mondial réunissant des sociétés et des associations du secteur du transport aérien qui s’emploient à promouvoir une capacité aéronautique économiquement rentable et à développer des améliorations structurelles, dans un cadre écologiquement responsable. En avril 2008, lors du troisième sommet Aviation et environnement, le secteur de l’aéronautique est parvenu à un consensus rarement atteint, sauf sur des questions de sécurité. Il a signé une déclaration qui l’engage à prendre en compte les défis liés au changement climatique. Bien que nous soyons un élément essentiel de l’activité économique, c’est à dire un intermédiaire de développement économique, de développement social, de commerce et de tourisme, nous sommes concernés par les risques liés au changement climatique et aux émissions de CO2 produites par le secteur de l’aéronautique. Si le secteur persiste dans cette direction, nous allons assister à une augmentation significative des émissions de CO2. Depuis cette déclaration, l’industrie aéronautique a effectué de nombreuses analyses, et nous savons désormais très bien dans quels domaines nous devons intervenir et la manière dont nous devons intervenir. En 2009, nous avons défini trois objectifs ambitieux pour aborder la question du changement climatique.

Trois objectifs Premièrement, le secteur s’engage à améliorer, entre 2010 et 2020, l’efficacité

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SUJET BRÛLANT ‰ énergétique des carburants de 1,5 % par an. Cela peut paraître peu, mais cela représentera néanmoins une amélioration de 17 % d’ici 2020. Deuxièmement, à compter de 2020, nous nous engageons à neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique ; autrement dit, nous voulons établir un quota maximum d’émissions, tout en continuant à développer et accroître le secteur. Et troisièmement, d’ici 2050, notre objectif est de réduire nos émissions totales de 50 % par rapport à leur niveau de 2005. Ce sont des objectifs très ambitieux, auxquels le secteur adhère unanimement, chose rarement observée par le passé. Il existe une volonté collective très forte pour les atteindre. Cependant, les objectifs seuls ne sont pas suffisants. Nous devons établir un plan de route qui définit les directions à prendre pour les remplir. Ayant annoncé ces objectifs, le moment viendra où nous serons tenus pour responsables de ce que nous avons déclaré vouloir réaliser. Nous savons que des opportunités d’améliorations technologiques, structurelles et opérationnelles sont à l’étude. Mais nous savons également, que pour relever le défi de neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique d’ici 2020 et pour parvenir à l’objectif à plus long terme de réduction de ces émissions de moitié, nous devrons en faire beaucoup plus en termes de développement technologique et de rendement énergétique des carburants. Chacun de ces objectifs demande un énorme engagement de la part du secteur.

Rendement énergétique des carburants Si l’on considère l’objectif à court terme qui consiste à améliorer l’efficacité énergétique des carburants de 1,5 % par an, cela se traduit par la réduction de 728 millions de tonnes de gaz carbonique entre aujourd’hui et 2020. Et cela signifie, que pour l’année 2020 seule, nous devrons réduire nos émissions de CO2 d’environ 150 millions de tonnes. Grâce à toutes les analyses que nous avons effectuées, nous savons désormais où se trouvent les possibilités de réduction. Je crois que cela

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vaut vraiment la peine de souligner que certaines de ces possibilités, telles que les investissements dans le renouvellement de la flotte, les améliorations de fonctionnement et les ajustements a posteriori, relèvent entièrement du secteur. Mais dans certains domaines, en particulier celui des infrastructures et celui de la gestion et de la conception de l’espace aérien, les gouvernements ont un rôle important à jouer. On nous pose très souvent cette question : « Est-ce que le secteur attend que les gouvernements dépensent plus d’argent pour les systèmes de gestion du trafic aérien ? » Évidemment, ce n’est pas la seule solution. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Il s’agit également d’une volonté politique. Il s’agit de prendre des décisions en ce qui concerne la gestion de l’espace aérien, les compromis entre les espaces aériens militaires et civils, etc. Et puis bien entendu, il y a les carburants alternatifs qui sont très importants pour l’aviation, et en particulier les prometteurs biocarburants. Là encore, nous devons nous tourner vers les gouvernements afin qu’ils aident et soutiennent ce secteur d’activité,

« À compter de 2020, nous nous engageons à neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique ; autrement dit, nous voulons établir un quota maximum d'émissions, tout en continuant à développer et accroître le secteur. »

afin qu’ils fassent décoller cette jeune industrie pour lui permettre d’alimenter les besoins en carburant de l’aviation civile. Cet objectif d’améliorer le rendement énergétique des carburants de 1,5 % par an se traduit par un besoin de 12 000 avions neufs d’ici à 2020. Cinq mille en remplacement des avions existants et 7 000 pour approvisionner les marchés à forte croissance que sont la Chine, l’Inde, l’Afrique, l’Amérique Latine et le Moyen-Orient. Cela aura un coût de 1,3 billion USD pour le secteur.

Neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique Notre second objectif – neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique – est probablement le plus crucial, est probablement le plus difficile et est certainement le plus litigieux d’un point de vue politique. Neutraliser la croissance des émissions de gaz carbonique signifie stabiliser le volume total de nos émissions à partir de 2020. Mais pour y parvenir, nous devons travailler sur tous les tableaux, en combinant des mesures technologiques (y compris les carburants alternatifs, l’efficacité opérationnelle et l’amélioration des infrastructures) avec des mesures économiques, toutes deux en termes d’incitations financières et d’opportunité susceptible de compenser certaines de ces émissions à moyen terme. En étudiant à nouveau le plan de route et en regardant encore plus loin, nous avons identifié les carburants alternatifs, et en particulier les biocarburants, comme une réelle opportunité. Lorsqu’en 2008, nous avons signé cette déclaration, les biocarburants et les carburants alternatifs étaient de l’ordre du rêve. Ils sont aujourd’hui devenus réalité. Nous avons fait voler des avions, nous savons que les biocarburants fonctionnent et nous savons que nous pouvons les utiliser pour faire baisser la consommation. Le processus de certification est en cours, et avant la fin du premier trimestre 2011, ces carburants seront disponibles pour l’aviation. Le défi concerne désormais la commercialisation et la rentabilité. Ne nous voilons pas la face ; c’est un défi colossal, c’est un défi gigantesque, mais c’est également une formidable opportunité. n


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Photo: Uden Graham/Redlink/Corbis

Avion cargo en plein chargement à l'aéroport international de Hong Kong.

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tendances n De nombreux marchés émergents ont fortement rebondi après la crise économique mondiale, l’Asie en premier lieu. L’Australasie et l’Asie (hors Japon) devraient poursuivre leur croissance en 2011, avec une croissance du PIB annoncée de 6,7 %. Une grande partie de la région est cependant

aux prises avec l’inflation galopante et les signes d’un ralentissement naturel de la reprise récente orientée vers l’exportation et les incitations, ce qui complique les perspectives économiques. La trajectoire de la croissance chinoise reste critique : l’Economist Intelligence Unit prévoit un

ralentissement relativement limité à 8,8 % en 2011, mais l’économie pourrait être volatile si l’inflation ne cesse d’augmenter. L’Europe de l’Est, le MoyenOrient et l’Afrique du Nord, ainsi que l’Afrique subsaharienne verront leur croissance s’accélérer en 2011.

Les exportations et la production industrielle de l’Europe de l’Est, durement touchée par la crise financière, rebondiront. Malgré cela, l’environnement commercial et la confiance des consommateurs restent fragiles, et la contagion de la zone euro et la hausse de l’aversion au risque fragilisent

L’usine s’impose elle-même son plus grand obstacle : comment rivaliser avec d’autres fabricants de vêtements en versant des salaires beaucoup plus élevés ? Joseph Bozich, le PDG de Knights, est optimiste. « Nous espérons prouver qu’agir positivement peut être bon pour l’entreprise, que ce ne sont pas

deux choses antinomiques », déclare-t-il. Joseph Bozich explique que le coût à la sortie de l’usine s’élèvera à 4,80 USD pour un t-shirt, soit 80 cents ou 20 % de plus que si la société se contentait de verser le salaire minimum. Knights absorbera

AFFAIRES DES AFFAIRES

En République dominicaine, une usine d’assemblage de vêtements fait office de modèle et de test de ce qui peut se produire lorsque les salaires « vivent » et qu’une organisation syndicale est autorisée. L’usine de fabrication d’Alta Gracia, située dans la Zone de libre-échange dans la ville de Villa Altagracia, verse à ses 130 travailleurs un « salaire de subsistance » (généralement défini comme la somme d’argent nécessaire pour bien nourrir et loger une famille) représentant trois fois le salaire moyen des travailleurs textiles du pays. Bien que d’autres usines et entreprises textiles plus favorables aux travailleurs suivent cet exemple en garantissant des salaires au dessus du minimum et des conditions décentes, les dirigeants restent globalement frileux sur la question des syndicats. Ce n’est pas le cas à Alta Gracia, où le syndicat se développe et prend part à des réunions avec la direction. L’usine est une expérience en réponse aux longues campagnes

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Photo : Students Against Sweatshops - Université de Houston

Industrie textile : une nouvelle approche

d’étudiants et de militants visant à stopper le recours aux ateliers de misère par l’industrie textile. Elle est détenue par Knights Apparel, une société basée en Caroline du Sud aux États-Unis, principal fournisseur des vêtements licenciés des universités des ÉtatsUnis.


l’ensemble des marchés financiers. L’augmentation légère de la production pétrolière (malgré la retenue continue de l’OPEP), la hausse des prix internationaux du pétrole et les dépenses gouvernementales importantes seront bénéfiques à la croissance économique du Moyen-Orient. En Afrique subsaharienne, les producteurs de matières premières continueront parallèlement à tirer parti de la demande chinoise, augmentant non seulement les recettes

une marge bénéficiaire plus faible que d’habitude, poursuitil, sans reporter la différence sur le prix de gros payé par les détaillants. Cette proposition est risquée, mais Alta Gracia a déjà reçu des commandes de t-shirts et de sweat-shirts pour les librairies de 400 universités américaines, et les groupes militants soutiennent activement notre projet. United Students Against Sweatshops, une organisation nationale de jeunes et d’étudiants, a distribué des tracts dans les librairies des universités exhortant les nouveaux étudiants à acheter les vêtements d’Alta Gracia, et le Worker Rights Consortium, un groupe de 186 universités incitant les usines qui fabriquent les vêtements destinés aux universités à traiter équitablement leurs travailleurs, a donné son approbation à la marque. Ce projet fait une différence notable sur le plan humain. Les travailleurs sont en mesure de construire des maisons plus grandes et plus solides, et de nourrir correctement leur famille. Les dépenses effectuées par les ouvriers pour les produits de nécessité permettent également à d’autres entreprises de se développer dans le village. (Alternet)

d’exportation mais également les entrées d’investissement. (Economist Intelligence Unit) n En 2010, l’Amérique latine a vu sa pauvreté diminuer grâce à la solide reprise économique dans la plupart des pays de la région, selon un rapport de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). Cependant, 32,1 % de la population devrait rester pauvre en 2010, soit 180 millions de personnes au total, dont 72 millions vivant dans une

extrême pauvreté. La hausse des revenus des ménages pauvres et les transferts publics visant à réduire l’impact de la crise ont réduit les inégalités dans la région. Selon la CEPALC, les sociétés plus égalitaires soutiennent généralement davantage la réussite scolaire et l’apprentissage de tous les groupes sociaux. Le rapport souligne que l’éducation est l’un des principaux facteurs capables d’annuler les inégalités

d’origine, qu’elles soient familiales ou territoriales, et d’offrir des chances égales pour le bien-être et la productivité de la société dans son ensemble. (CEPALC)

L’autre facette du CO2 La plupart des supermarchés utilisent des réfrigérateurs et des congélateurs qui émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre, et consomment également d’énormes quantités d’électricité. Mais il existe désormais une alternative écologique. Dans la ville du Cap en Afrique du Sud, la chaîne de magasins Pick n Pay a installé des congélateurs de pointe respectueux du climat dans deux de ses points de vente. Ces appareils remplacent les réfrigérants synthétiques standards, tels que les CFC (chlorofluorocarbures) et HCFC (hydrochlorofluorocarbures), par le CO2 (dioxyde de carbone), un réfrigérant naturel beaucoup moins nuisible à l’environnement. Mais ce n’est pas tout. Comme chacun le sait, le CO2 est un gaz à effet de serre et un contributeur majeur du réchauffement climatique. On peut alors se demander comment ce changement peut être considéré comme écologique. L’utilisation du CO2 semble paradoxale, mais les experts s’accordent à dire que le CO2 est la solution pour une réfrigération écologique dans les supermarchés. En effet, c’est un gaz naturel qui peut être « emprunté » au cycle du carbone, il est donc neutre pour le climat. Ainsi, les supermarchés qui utilisent le CO2 n’ajoutent pas de

gaz à effet de serre dans l’environnement. Les fluorocarbures habituels, tels que les CFC, sont des molécules construites pour réfrigérer, entre autres choses. Leur utilisation a fortement contribué à l’appauvrissement de la couche d’ozone. Suite à ce constat déplorable, près de 200 pays ont signé le Protocole de Montréal de 1987, acceptant d’éliminer progressivement la production d’un certain nombre de substances appauvrissant l’ozone, comme les CFC et les HCFC. Toutefois, les nations industrialisées ont éliminé les CFC et les HCFC pour les remplacer par des hydrofluorocarbones (HFC), qui malgré leur innocuité pour la couche d’ozone, n’en restent pas moins de puissants gaz à effet de serre avec un potentiel de réchauffement global significatif. Néanmoins, ils restent la norme dans les réfrigérateurs et les congélateurs des supermarchés. Les fuites constituent l’un des plus gros problèmes de ces réfrigérants. Pratiquement tous les systèmes de refroidissement fuient, mais les HFC sont plus sujets aux fuites que les CFC en raison de leur plus petite structure moléculaire. Par ailleurs, les réfrigérateurs utilisant le CO2 peuvent résister à une pression de gaz beaucoup plus forte que les

unités de réfrigération traditionnelles, et présentent donc beaucoup moins de risques de fuir. Outre le fait qu’ils nécessitent moins de réfrigérants car ils fuient moins, ces appareils sont aussi plus économes en énergie. Les congélateurs au CO2 des magasins Pick n Pay du Cap utilisent 25 % d’énergie en moins que leurs prédécesseurs. Le seul inconvénient est le coût de fabrication plus élevé, qui semble être le principal obstacle freinant la généralisation de la réfrigération écologique. Trop nombreux sont les supermarchés rebutés par l’investissement relativement élevé nécessaire pour effectuer la transition. (Deutsche Welle)

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Afrique-Chine

En route vers une prospérité mutuelle ? L’explosion du commerce entre les économies émergentes et les pays de l’Afrique subsaharienne est un phénomène marquant de la nouvelle tendance des échanges et investissements internationaux. En 1990, le commerce entre les pays à revenu faible et intermédiaire et les pays de l’Afrique subsaharienne ne représentait que 5 % de l’ensemble du commerce en Afrique. Aujourd’hui, il en représente plus d’un quart. Si la tendance actuelle se poursuit, il est possible que dans les 10 à 15 prochaines années, la part des pays à revenu faible et intermédiaire dans le commerce africain soit égale à celle des pays à revenu élevé. Cette accélération des échanges commerciaux entre pays en développement est l’une des caractéristiques les plus significatives de l’économie mondiale actuelle. En ayant récemment acquis le statut de pays à

revenu faible et intermédiaire, la Chine est le leader de l’expansion des échanges Sud-Sud. Au cours d’une seule décennie (1999-2008), le commerce entre la Chine et l’Afrique subsaharienne est passé de 8 milliards USD à 86 milliards USD, soit un taux de croissance annuel moyen de 35 %, beaucoup plus élevé que les 17 % du taux de croissance moyen des échanges de la Chine. Les statistiques du commerce peuvent difficilement suivre le rythme de croissance des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ! Selon le ministère chinois du commerce, l’ensemble des échanges entre la Chine et l’Afrique (Afrique du Nord comprise) devait atteindre 110 milliards USD en 2010. Pourtant, malgré ce taux de croissance fulgurant, les échanges commerciaux de l’Afrique avec la Chine ne représentent aujourd’hui que 15 % de l’ensemble de ses

XIAO YE est économiste à la Banque mondiale. Les opinions exprimées ici n'engagent que leur auteur et ne représentent pas celles de la Banque mondiale. Cet article est une version abrégée et modifiée de « En route vers une prospérité mutuelle ? Les échanges et les investissements entre la Chine et l'Afrique », Setting the Agenda for Africa’s Economic Recovery and Long-Term Growth, (Banque Africaine de Développement, la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, et le Programme des Nations Unies pour le développement, à paraître).

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Photo: Matthew Ashton/AMA/Corbis

Xiao Ye se penche sur le récent essor du commerce entre l’Afrique subsaharienne et la Chine et s’interroge sur la manière dont les pays africains peuvent saisir les nouvelles opportunités qu’elle offre afin de faire progresser leurs propres programmes de développement.

échanges, soit un chiffre similaire à celui de la part de l’Afrique subsaharienne dans l’ensemble de ses échanges avec les États-Unis. Les investissements directs étrangers (IDE) chinois en Afrique restent encore plus modestes. En 2008, le stock d’IDE de la Chine en Afrique totalisait 7,8 milliards USD alors que celui des États-Unis s’élevait à 69 milliards USD. L’importante visibilité de la Chine en Afrique semble refléter davantage la vitesse plutôt que l’ampleur de l’expansion de ses activités commerciales et d’investissement avec les pays de ce continent. Le commerce et les investissements Nord-Sud continuent à dominer la scène africaine mais beaucoup moins qu’il y a dix ans.


Trade statistics can hardly keep up with the pace of trade growth between Africa and China.

Modèles des exportations Si dans les années 1950, une poignée de pays de l’Afrique subsaharienne exportaient vers la Chine, aujourd’hui presque tous les pays du continent le font. L’entrée spectaculaire de la Chine sur la scène internationale a permis aux pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux, réduisant ainsi leur vulnérabilité par rapport aux chocs des prix des matières premières, et d’accroître la concurrence parmi les importateurs des exportations africaines. Un bon exemple pour illustrer cet aspect est l’impact de la récente crise financière mondiale. Actuellement, l’Afrique connaît une reprise économique solide, avec une croissance ayant rebondi de 1,7 % en 2009 à 4,7 % en 2010, soit une

Vuvuzelas : fabriqué en Chine – saisir l’esprit de la Coupe du monde et ses avantages. On dit que les longues trompettes en plastique qui ont suscité tant de controverses pendant la Coupe du monde 2010 de football en Afrique du Sud sont fabriquées selon le modèle de la traditionnelle corne de koudou africaine utilisée pour alerter les villageois voisins. Les vuvuzelas sont peut être le « son de l’Afrique » mais jusqu’à 90 % de ces instruments vendus pendant la compétition ont été fabriqués en Chine. Wu Yijun, directeur de Jiying Plastic Products dans la province du Zhejiang, en Chine, a estimé que l’ensemble du marché des vuvuzelas dépasserait les 20 millions USD en 2010.

évolution légèrement inférieure à son taux de croissance de 5 % avant la crise. Mais si les pays africains continuaient de compter sur les exportations vers les marchés des économies développées, comme ils le faisaient, la reprise économique aurait été plus incertaine, compte tenu de la lente reprise aux États-Unis et de la crise qui se poursuit en Europe. Tous les pays d’Afrique subsaharienne ne bénéficient pas de la même manière de l’essor des exportations de l’Afrique vers la Chine. Cinq pays exportateurs de pétrole, l’Angola, le Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon et le Soudan, représentent deux tiers des exportations du continent vers la Chine. De plus, il faut noter que l’exportation du pétrole brut est à forte ‰

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‰ intensité capitalistique et qu’elle ne profite

« Pourquoi les pays de l’Afrique subsaharienne n’exportent-ils pas de produits manufacturés ou de produits à valeur ajoutée vers le vaste marché chinois ? »

généralement pas à l’ensemble de la population des pays exportateurs, en particulier si les gouvernements imposent faiblement et gèrent mal les revenus pétroliers. S’il ne fait aucun doute que le pétrole brut domine les exportations africaines vers la Chine, cette concentration n’est pas unique et les exportations de l’Afrique vers le reste du monde suivent un schéma similaire. L’analyse plus détaillée des exportations de l’Afrique subsaharienne par produit confirme la tendance générale d’une domination croissante des exportations de matières premières. Au début des années 1990, si les exportations de matières premières des pays africains (pétrole, minerais et métaux) vers la Chine ne représentaient que 42 % du total des exportations, une décennie et demi plus tard, elle s’élevaient à 87 %. On observe une tendance similaire des exportations vers le reste du monde, avec une proportion des exportations de matières premières passant de 56 % au début des années 1990 à 67 % à la fin des années 2000. La dépendance de l’Afrique par rapport aux exportations de matières premières est plus marquée dans ses relations commerciales avec les États-Unis et la Chine tandis que ses exportations vers les pays de l’Union européenne sont plus diversifiées. Le modèle des exportations de la Chine vers l’Afrique subsaharienne ressemble également beaucoup au modèle de ses exportations vers le reste du monde. Les produits fabriqués de la Chine, à savoir, les produits manufacturés, les machines et les équipements de transport représentent environ 90 % de l’ensemble de ses exportations à la fois vers l’Afrique et le reste du monde.* Cependant, tandis que la part de l’ensemble des exportations chinoises vers l’Afrique représentées par les produits manufacturés restait élevée au cours des 15 dernières années, la part des exportations chinoises vers le reste du monde a diminué de

façon significative. La Chine remonte apparemment la chaîne de valeur de ses exportations vers le reste du monde avec des exportations de machines et d’équipements de transport qui sont passées au cours des 15 dernières années de seulement 20 % à plus de 40 %.

Modèles des importations Les modèles des importations de l’Afrique subsaharienne depuis la Chine et le reste du monde sont similaires et complémentaires les uns par rapport aux autres. Les pays africains importent presque exclusivement des produits à valeur ajoutée, essentiellement des produits manufacturés, des machines et des équipements de transport, de la nourriture et des produits chimiques. Tandis qu’une part importante des importations de l’Afrique subsaharienne depuis la Chine sont des produits manufacturés, pour le reste du monde il s’agit de machines et d’équipements de transport. Cela confirme que la Chine est plus compétitive dans l’exportation de biens manufacturés, probablement surtout pour le marché bas de gamme, tandis que le reste du monde est plus compétitif dans l’exportation d’équipement de transport et de machines.

90

Les produits fabriqués représentent des exportations de la Chine vers l’Afrique

20 MakingIt

%

Les modèles des importations de la Chine depuis l’Afrique subsaharienne et le reste du monde ne pouvaient toutefois pas être plus différents. De l’Afrique subsaharienne, la Chine importe surtout des matières premières, tandis que, depuis les autres pays, elle importe beaucoup de produits manufacturés, de machines et d’équipements de transport ainsi que des produits chimiques. Il est évident qu’en plus des matières premières, la Chine a également besoin de produits à valeur ajoutée qui représentent plus de 70 % du total de ses importations. Mais l’Afrique subsaharienne n’a pas encore été en mesure de capter ce marché. Ceci indique que le modèle des échanges sinoafricains peut changer seulement si les pays de l’Afrique subsaharienne obtiennent des avantages concurrentiels dans le secteur des produits à valeur ajoutée sur le marché international.

L’avantage comparatif de l’Afrique La question qui se pose est donc, pourquoi les pays de l’Afrique subsaharienne n’exportent-ils pas de produits manufacturés ou de produits à valeur ajoutée vers le vaste marché chinois ? Simplement parce que les pays de l’Afrique subsaharienne manquent de compétitivité en matière de production de biens manufacturés à la fois sur les marchés intérieurs et internationaux. Pour qu’un pays soit compétitif, il doit être capable d’utiliser son capital humain et ses ressources naturelles pour produire des biens et des services à des prix concurrentiels. Chaque pays est doté de ressources différentes, qu’il s’agisse de ressources humaines ou naturelles. La Chine est un pays qui a réussi à transformer son avantage comparatif, c’est à dire une main d’œuvre bien formée ainsi que de bonnes infrastructures afin de produire des biens manufacturés pour le marché international. Elle a également évité la

Les matières premières représentent des exportations de l’Afrique vers la Chine

87

%


8

milliards

USD

Les échanges entre l’Afrique subsaharienne et la Chine

1999

2008

86

milliards

USD

Taux de croissance annuel moyen des échanges entre la Chine et l’Afrique (1999–2008) :

35

%

concurrence frontale avec les produits existants. Par exemple, si la Chine fabrique les trois-quarts des chaussures dans le monde, elle n’est pas parvenue à devenir concurrentielle sur le marché des chaussures de luxe, qui est encore dominé par les fabricants de chaussures des pays développés. On observe le même phénomène pour les sacs à main et les vêtements. En revanche, selon l’indice de compétitivité mondiale du Forum économique mondial, les pays africains sont en retard dans un contexte global. Il convient également de noter que l’augmentation des exportations de produits manufacturés n’est pas la seule réponse. Toute exportation à fort coefficient de main-d’œuvre devrait générer une croissance généralisée. Grâce à des terres agricoles vastes et un bon climat, plusieurs pays africains ont été en mesure d’élargir leurs exportations à fort coefficient de main-d’œuvre, par exemple, le Mali et ses mangues, le café du Rwanda, le cacao du Ghana et l’horticulture au Kenya. Parmi les autres initiatives qui ont transformé les avantages comparatifs de l’Afrique en exportations, on trouve le tourisme au Rwanda et au Cap-Vert ainsi que le pôle de transport de Nairobi, au Kenya.

Taux de croissance moyen de la Chine (1999–2008) :

17

%

Un avantage réciproque Il ne fait aucun doute que l’essor économique spectaculaire de la Chine bénéficie de l’approvisionnement en matières premières de l’Afrique mais dans le même temps, les économies des pays de l’Afrique subsaharienne, grâce à l’appétit de la Chine en matières premières, profitent également des prix élevés des matières premières, et les consommateurs africains, du moins à court terme, profitent aussi des produits manufacturés chinois bon marché. Avant que la Chine n’arrive sur la scène internationale, l’Afrique était souvent soumise

« Il s’agirait d’une relation “ gagnant-gagnant ” pour la Chine que de collaborer avec l’Afrique en facilitant sa quête de l’industrialisation. »

aux chocs des prix des matières premières et devait importer la plupart de ses produits manufacturés en provenance des pays à revenu élevé à un prix supérieur. Ce n’est probablement pas le fruit du hasard si l’Afrique connaît actuellement la plus longue période de croissance ininterrompue depuis les années 1960. Entre 2000 et 2009, la période où les échanges entre la Chine et l’Afrique se sont accélérés, l’Afrique s’est maintenue avec une croissance annuelle du PIB supérieure à 3 %. Plus impressionnant encore, tandis que la croissance du PIB des économies avancées a chuté à 0,5 % en 2008 et à -3,2 % en 2009, l’Afrique a enregistré une croissance de 5,2 % de son PIB en 2008 et de 1,7 % en 2009. Les pays africains figurent parmi les pays les plus rapides à se remettre de la crise financière mondiale et la Banque mondiale prédit que l’Afrique subsaharienne rebondira rapidement vers le chemin de la croissance, avec un chiffre supérieur à 5 % en 2011 et 2012. La question est de savoir comment l’Afrique subsaharienne peut profiter davantage de son lien avec la Chine, surtout en capturant le marché chinois pour les produits à valeur ajoutée ? Depuis que la Chine s’efforce de remonter la chaîne de valeur sur le marché international, il s’agirait d’une relation « gagnant-gagnant » pour la Chine que de collaborer avec l’Afrique. En effet, cela faciliterait sa quête de l’industrialisation et la mènerait ainsi à une deuxième phase de sa renaissance, au profit de la majorité de sa population. Les pays de l’Afrique subsaharienne doivent toutefois jouer un rôle de premier plan en insistant sur la part légitime des bénéfices qui leur revient en raison de leurs liens commerciaux avec la Chine, avec d’autres économies émergentes, ainsi qu’avec les pays développés. n *Tout au long de l’article, l’auteur utilise la Classification type pour le commerce international de l’ONU.

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Après l’agriculture, l’industrie du tapis est le deuxième employeur d’Afghanistan. L’Afghanistan compte une population de plus de 25 millions d’habitants, dont environ un million travaillent dans l’industrie du tapis. Les tapis et les fruits secs se disputent la place de premier exportateur légal du pays, la culture du pavot pour la fabrication illicite d’héroïne et d’opium demeurant l’activité économique la plus lucrative en Afghanistan.

L’Afghanistan rural La fabrication des tapis afghans est effectuée par un vaste réseau de tisserands à travers les campagnes. La production a lieu en grande partie dans les provinces du nord, mais aussi dans la province occidentale d’Hérat et autour de la capitale Kaboul. Les marchands de tapis fournissent les métiers autoportants, la laine et les patrons de tapis aux tisserands, et près de 95 % de la production s’effectue à domicile. De 1996 à 2001, contraintes par le régime taliban, le tissage de tapis à domicile était pour les femmes l’un des seuls moyens de subvenir à leurs besoins. La taille, la qualité et les matériaux utilisés influencent les délais de production : par exemple, le tissage par une famille d’un tapis de 10 m² de qualité supérieure nécessite dix mois environ. Lorsque le tapis est achevé, le marchand revient l’acheter. Le tisserand est payé en fonction du type de tapis, de 25 USD pour un petit tapis simple à 300 USD pour un grand tapis de qualité supérieure comportant plus de détails. En raison de la situation géographique enclavée et montagneuse de l’Afghanistan, les tapis sont traditionnellement transportés vers les marchés à dos de mulet, ou plus récemment par camion. En 1922, le père de George Vartian créa son entreprise de vente au détail de tapis à Vienne en Autriche. Son fils se remémore ses premiers voyages de prospection en Afghanistan. « Dans les années 1960, j’accompagnais mon père sur les marchés de Kaboul. À cette époque, c’était vraiment le centre exportateur. »

Peshawar, Pakistan La production de tapis a évolué de manière significative au cours des 30 dernières années, avec la délocalisation d’une étape essentielle de la production de tapis faits mains. En effet, le processus de découpe et de lavage s’effectue

désormais au Pakistan voisin, notamment dans la ville de Peshawar et ses environs. Aujourd’hui, environ 80 % des tapis afghans sont « finis » au Pakistan, puis expédiés à l’étranger avec une étiquette « made in Pakistan » (fabriqué au Pakistan). Les décennies de guerre et d’instabilité d’une part, et le manque d’accès aux terrains clairement titrés et au crédit d’autre part, expliquent en partie le manque d’investissement dans le développement des infrastructures afghanes de découpe et de lavage qui a entraîné la délocalisation. Les revendeurs de tapis afghans considèrent que vendre des tapis non finis aux grossistes pakistanais est moins risqué qu’investir à long terme dans une infrastructure de finition en Afghanistan. Cette situation est préjudiciable aux producteurs et négociants afghans, ainsi qu’à l’économie afghane dans son ensemble, en raison d’une perte importante de la valeur ajoutée. En effet, les tisserands afghans touchent seulement 10 % environ des bénéfices réalisés par les exportateurs pakistanais. Les marchands qui ne délocalisent pas la finition souffrent de l’hésitation des acheteurs internationaux à se rendre en Afghanistan, le commerce ayant été dévasté par le long conflit militaire. George Vartian affirme : « Depuis quelque temps, il est plus facile et plus sûr d’acheter sur les marchés de Peshawar que de se rendre en Afghanistan ». Cependant, cette étape du commerce de tapis est elle aussi en danger suite aux événements récents dans la région frontalière. Connie Duckworth, PDG du grossiste de tapis afghans basé aux États-Unis, Arzu Studio Hope, explique : « Depuis un an ou deux, la montée de l’insécurité le long de la frontière pakistanaise complique de plus en plus l’importation des tapis depuis l’Afghanistan ».

Comment exporter ? La seule autre voie commerciale possible est aérienne et relie Kaboul à Dubaï, puis différentes destinations à travers le monde. Cependant, seuls quelques producteurs de tapis afghans l’utilisent. Bien que le fret aérien semble l’option théorique la plus viable en raison des dangers et des difficultés du transport routier, c’est en pratique un moyen de transport prohibitif à la petite échelle de l’industrie du tapis afghan. Comme Connie Duckworth l’explique, « Le transport par camion des tapis vers le Pakistan,

avant leur expédition par voie maritime, est de loin l’option la plus rentable ». La majorité des tapis exportés sont expédiés vers les principaux marchés d’Europe et d’Amérique du Nord depuis le port de Karachi au Pakistan. Malgré l’impact de la récession mondiale sur le commerce international de tapis, la demande en tapis afghans de haute qualité semble s’être maintenue. George Vartian affirme que les ventes sont restées stables en Autriche, « Les Russes venus à vivre à Vienne ces dernières années sont de bons clients, mais notre éventail de clients est varié ». Aux États-Unis, les ventes d’Arzu sont relativement saines. Selon Connie Duckworth, « Même si la croissance a été plus lente que nous l’aurions souhaité, nos ventes ont augmenté de 16 % en 2009, et de 11 % en 2010 ». Pour la communauté internationale, l’industrie du tapis est l’un des rares domaines de l’économie afghane ayant une croissance significative et un potentiel d’exportation. En 2010, les départements américains de l’Intérieur et de la Défense ont attribué un contrat de 1 million USD à une société de conseil américaine afin d’élargir le marché des tapis afghans. La société a en premier lieu identifié des fournisseurs afghans fiables, puis découvert trois voies de transport commercialement viables hors de l’Afghanistan. Son prochain objectif consiste à attirer des acheteurs potentiels qui restent loin de la région déchirée par la guerre vers un tout nouveau pôle commercial international implanté à Istanbul en Turquie.

Encourager la production afghane L’Agence des États-Unis pour le développement international a financé une nouvelle usine de lavage et de finition de tapis qui a ouvert en 2009 dans la province orientale de Nangarhar. Cette même année, Arzu, qui traite directement avec les tisserands, a également commencé à explorer des moyens de relancer le processus de finition sur le sol afghan. Connie Duckworth explique : « Le niveau de violence et d’incertitude ayant augmenté, nous avons commencé à chercher des solutions locales afghanes pour le lavage et la finition. Nous avons mis environ un an à identifier et tester à petite échelle les finisseurs locaux pouvant répondre à nos critères de qualité stricts. Depuis 2010, tous nos tapis sont désormais finis en Afghanistan ». n

Le marché du tapis afghan Pendant des siècles, l’Afghanistan s’est positionné comme un producteur de tapis de premier plan au niveau international, mais son industrie du tissage de tapis a souffert des années de guerre et d’instabilité politique qui ont suivi. Charles Arthur retrace le parcours du tapis afghan du lieu de production au point de vente. 22 MakingIt


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Photo: Thomas Lee


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Image: Istock


Le commerce est un puissant moteur de la croissance économique, écrit Peter Sutherland, mais un cadre multilatéral pour les accords commerciaux est essentiel si tous les pays veulent en profiter. Face à la montée du protectionnisme et aux frictions continues dues aux taux de change, il évalue les possibilités de la conclusion d'un accord commercial multilatéral.

Une fenêtre d’opportunité pour le commerce mondial ?

PETER SUTHERLAND occupe le poste d’administrateur de Goldman Sachs International. Il est également ambassadeur de bonne volonté de l’ONUDI. De 1993 à 1995, il a occupé le poste de directeur-général de l’Organisation Mondiale du Commerce, et de 1989 à 1993, il a été président d’Allied Irish Banks. Auparavant, il a occupé entre 1985 et 1989 la fonction de Commissaire européen chargé de la concurrence, et entre 1981 et 1984, il a été Procureur général d’Irlande.

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L’année 2010 a été témoin d’une reprise attendue après le plongeon du commerce mondial suite à la crise financière et économique ; mais cette reprise aujourd’hui faiblit. Des mesures protectionnistes et des accords commerciaux bilatéraux continuent d’être mis en place dans le monde. Dans un contexte de tensions internationales croissantes concernant les déséquilibres des comptes courants et les taux de change, 2011 offre l’opportunité de sortir les négociations de Doha de l’impasse. C’est une opportunité qui exige que le G20 et d’autres dirigeants mondiaux répondent aux tensions monétaires et à la tourmente financière continue de façon calme et mesurée. L’aboutissement positif des négociations multilatérales enverrait un signal clair de l’engagement de la communauté internationale en faveur des bénéfices du commerce pour l’économie mondiale. La perspective multilatérale est également un important antidote contre le nationalisme économique croissant qui a rendu le débat du G20 sur les déséquilibres internationaux et les taux de change si improductif.

Commerce et crise économique mondiale Le commerce est un puissant moteur de la croissance économique. Le volume des exportations a augmenté d’environ 6 % par an entre 2000 et 2006, suite à une décennie de forte croissance pendant les années 90. Un processus de spécialisation croissante dans l’industrie de la fabrication, suivi par de plus en plus d’industries du secteur des services, ont permis d’accélérer la productivité et la croissance. La mondialisation, reflétée dans les chiffres du commerce et de l’investissement international, a constitué une autre étape dans le partage du travail, identifié par Adam Smith comme étant la clé de la richesse des nations. La prospérité découle de notre dépendance économique mutuelle. Le processus peut toutefois être déstabilisant ; la croissance se traduit de façon abstraite par la création et la perte d’emplois pour les entreprises individuelles et les employés. Ceux qui prônent la libéralisation du commerce sont parfaitement conscients du fait que les bénéfices et les coûts du changement sont ressentis différemment. Nous ne devons jamais ignorer les tensions et les coûts transitionnels qui en découlent. Mais tous les pays peuvent tirer des bénéfices du commerce, et un cadre multilatéral pour les accords commerciaux est la meilleure façon de garantir que ces bénéfices seront largement partagés. Un accord sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sera beaucoup plus efficace que n’importe

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quel accord bilatéral et régional pour garantir que les pays les plus pauvres en profitent. L’urgence de la nécessité de progresser sur ce cadre commercial multilatéral a été rendue évidente par la récente fragilité des échanges. L’irruption de la crise a entraîné une réduction de 12 % du volume mondial des échanges en 2009. Le déclin a été bien plus prononcé que celui qui s’était produit au cours des années 30. Heureusement, le niveau des échanges a rebondi pour atteindre celui d’avant la crise (dû en grande partie à une solide croissance économique en Asie) mais le taux de croissance des importations et des exportations ralentit de nouveau. Les dernières projections du Fond Monétaire International indiquent que la croissance mondiale du PIB faiblit et ralentira progressivement en 2011. La crise financière n’est clairement pas terminée comme le prouvent les événements de la zone Euro. En résumé, de nombreux pays développés ne pourront pas compter sur autre chose qu’une faible croissance pour l’année à venir, pas suffisamment en tout cas pour réduire le chômage. La fragilité de la reprise dans de nombreux pays a créé des conditions qui pourraient favoriser le protectionnisme.

La montée du protectionnisme La montée du protectionnisme au cours des deux dernières années ne doit pas être exagérée. Les principales économies commerçantes du monde sont étroitement liées par des décennies d’investissements et d’échanges transfrontaliers. L’OMC a conclu que seule une très petite proportion des importations du G20 avait été affectée par des mesures protectionnistes. Néanmoins, le nombre de nouvelles mesures introduites a été troublant, particulièrement si l’on tient compte des pressions politiques pressantes dans certains grands pays commerçants. Comme l’a déclaré Pascal Lamy, directeurgénéral de l’OMC, dans le rapport annuel 2010 de l’organisation, même si le rythme auquel les nouvelles mesures protectionnistes sont introduites est plus lent aujourd’hui qu’en 2009, il existe un risque que l’accumulation de telles mesures perturbe de façon significative les échanges et les investissements. Il a exhorté les gouvernements du G20 à supprimer les mesures commerciales introduites en tant que réponse temporaire à la crise. Une évaluation prudente de la progression du protectionnisme a calculé qu’entre novembre 2008 et septembre 2010, les gouvernements du G20 avaient introduit 395 mesures


« Même si le rythme auquel de nouvelles mesures protectionnistes sont introduites est plus lent qu’en 2009, il existe un risque que l’accumulation de telles mesures perturbe de façon significative les échanges et les investissements. » de restriction du commerce, avec une accélération de ce rythme entre le sommet du G20 de Toronto en juin 2010 et celui de Séoul en novembre, bien que l’on soit passé de mesures de protection contre les importations à des mesures de promotion des exportations. Mais cette tendance du G20 reste néfaste car ces mesures touchent les exportateurs à faible revenu. Et un large éventail d’industries est concerné. Dès le début de la crise, les pays se sont dépêchés de protéger leurs secteurs financiers mais de plus en plus d’entreprises du secteur des équipements de transport, des produits agricoles, des produits chimiques, de certains types de machines, et des métaux, font partie de celles favorisées. Puis il y a la progression continue, qui va en s’amplifiant, des accords bilatéraux et régionaux. Environ 200 accords ont été signalés à l’OMC fin octobre 2010, 100 autres accords sont actuellement en cours de négociation. La région la plus active a été l’Extrême Orient. L’OMC a évalué que bien que les accords commerciaux régionaux libéralisaient le commerce entre les parties, la libéralisation était souvent marginale, car les accords avaient tendance à ne pas surmonter les intérêts protectionnistes acquis, et souvent à ne pas supprimer les mesures de protection pour certains secteurs spécifiques. Le rapport annuel de l’OMC signale que de nombreux accords régionaux abordent des questions non couvertes par les règles multilatérales telles que les goulets d’étranglement de nature réglementaire, qui peuvent avoir un important impact sur le commerce. Mais il dit également : « Étant donné les économies d’échelle et d’envergure dans la réduction des barrières réglementaires au commerce et à l’investissement, il est temps que ces efforts soient appliqués au système d’échange multilatéral. » Il y a des signes encourageants dans le fait que de nombreux pays n’appartenant pas au G20 se soient attachés à réduire les droits de douane sur les importations au cours des derniers mois, les réductions concernant principalement les équipements, les pièces et les composants. Ces pays, près d’un tiers des pays de l’Afrique subsaharienne ainsi qu’environ 20 autres pays hors d’Afrique, reconnaissent les bénéfices du commerce, notamment les importations, vitales pour le développement des industries domestiques. D’un autre côté, certains observateurs dans les pays en développement restent sceptiques face aux bénéfices potentiels de la participation à un nouvel accord ainsi que, selon eux, la

perte d’un important outil de politique industrielle si un plafond est fixé sur les droits de douane sur les importations. Toutefois, l’accès au marché est une question clé pour les négociateurs des pays développés s’ils veulent pouvoir recommander des réductions sur les droits de douane. Ces impasses dans les discussions sont trop familières. Les pays doivent être capables de changer de position, si les perspectives d’accords en 2011 devaient s’améliorer, aussi difficile que cela soit dans le contexte d’une croissance domestique faible dans les pays développés et des déséquilibres commerciaux mondiaux.

Commerce et « guerres des monnaies » La probabilité d’une avancée dans les pourparlers commerciaux est liée à la tension accrue lors des débats internationaux sur les déséquilibres commerciaux mondiaux et les taux de change. Avant le sommet du G20 à Séoul en novembre 2010, l’expression « guerre des monnaies » a pris de l’importance. Dans les économies faibles telles que les États-Unis et le Royaume-Uni, les politiques monétaires à assouplissement quantitatif visent à prévenir le retour de la récession, mais affaiblissent inévitablement leur monnaie. Leurs partenaires commerciaux, de l’autre côté, n’acceptent pas de modifier leurs propres politiques afin de corriger les larges déséquilibres entre les pays en déficit et ceux en excédent. Dans tous les cas, les pressions politiques domestiques rendent toute manœuvre difficile pour les politiciens. Les économistes ont depuis longtemps mis en évidence l’existence d’un « trilemme » : entre un taux de change stable, une politique monétaire autonome et la libre circulation internationale des capitaux, seuls deux objectifs sur trois ‰

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‰ peuvent être atteints. Si les pays ne coordonnent pas leurs politiques monétaires et n’imposent pas de contrôles sur les capitaux, alors le taux de change devra en supporter la pression. Le choix auquel les pays à marché émergent sont confrontés est le suivant : laisser le taux de change s’apprécier, ce que la Chine redoute car cela pourrait, selon elle, ralentir sa croissance et être source de chômage ; résister à l’appréciation mais souffrir de la formation de bulles de prix des actifs ainsi que de la pression sur la taille de leur excédent commercial ; ou inverser les tendances vers des marchés de capitaux plus libres et le développement financier et économique en découlant. Pour les pays développés tels que les États-Unis, le « trilemme » est le suivant : autoriser la dépréciation de la monnaie que les partenaires commerciaux perçoivent comment étant de la concurrence déloyale ; durcir la politique monétaire au risque d’affaiblir la croissance domestique ; ou accepter une vulnérabilité inévitable aux flux de capitaux internationaux. Mais la politique commerciale est une autre arme dans l’arsenal de la diplomatie économique internationale. Il pourrait exister, avec le temps, la tentation d’éviter le « trilemme » en ayant recours à la protection, en tant que moyen direct de réduire les déséquilibres des comptes courants. Lorsque les États-Unis ont récemment réclamé l’adoption d’objectifs pour l’équilibre des comptes courants, cela impliquait une politique de gestion directe des flux commerciaux. Que le protectionnisme continue ou non de progresser, l’environnement pour la conclusion d’un accord commercial multilatéral sera amélioré si les pays du G20 avancent sur la coordination de politiques macro-économiques. Sinon, outre la tentation d’introduire des mesures de protection commerciales, des contrôles supplémentaires sur les capitaux imposés par les

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pays en développement pourraient voir le jour, ainsi qu’une certaine volatilité des taux de change, et une incertitude permanente, tant que les déséquilibres mondiaux resteront tels qu’ils existent aujourd’hui.

Financement du commerce Des progrès ont été enregistrés sur une autre des frictions affectant le commerce international : le financement du commerce. Pour les entreprises des grands pays développés, l’environnement du financement s’est continuellement amélioré depuis le paroxysme de la crise. Toutefois, les pays en développement et les petites et moyennes entreprises affectées par le resserrement du crédit dans les pays développés, trouvent toujours qu’il est bien trop coûteux d’accéder au financement commercial, particulièrement pour les importations. On estime que pour de nombreux pays pauvres, le coût du financement des importations est largement supérieur à 10 %, avec des exigences en termes de réserve de liquidités pouvant atteindre la moitié de la valeur nominale du prêt. Cela est presque impossible pour la plupart des importateurs. La déclaration du G20 à Séoul exprimait le soutien des gouvernements en faveur de l’initiative de l’OMC et de la Banque Mondiale pour contrôler le risque que certains pays et entreprises soient exclus des principaux financements du commerce. Les progrès à cet égard seront les bienvenus ; l’évaporation généralisée des financements du commerce en 2009 a été l’une des raisons de l’effondrement du volume des importations et exportations cette année-là. Les bénéfices du commerce ne seront pas partagés de façon appropriée à moins que les entreprises des pays en développement ne disposent des moyens pratiques pour commercialiser leurs produits.


Conclusion du cycle de Doha Le lien entre la croissance du commerce et la croissance de l’économie mondiale, pour toute la période depuis l’adoption d’un cadre multilatéral après la seconde guerre mondiale, parle de lui-même. Si les dirigeants mondiaux veulent vraiment voir une reprise de la croissance, il faudra certainement qu’ils renoncent à un protectionnisme débridé. Mais ce n’est pas suffisant. Ils doivent renouveler leur engagement envers un commerce multilatéral. Il existe une opportunité au cours des prochains mois de le faire, et de se retirer de cette « guerre des monnaies » et d’abandonner les politiques protectionnistes. En novembre 2010, les gouvernements britannique, allemand, indonésien et turc ont organisé un groupe de travail, que j’ai dirigé avec le Professeur Jagdish Bhagwati, pour examiner comment le commerce mondial pouvait être stimulé. Nous ferons nos recommandations sur les mesures à prendre pour libéraliser et encourager le commerce dès le début de l’année 2011.

Le prix potentiel La portée du prix potentiel d’un vaste accord multilatéral a été soulignée par un récent atelier organisé par l’OMC. Les économistes ont estimé qu’un cycle de Doha abordant le problème des subventions agricoles et de l’accès au marché pour tous les biens stimulerait l’économie mondiale entre 121 milliards USD et 202 milliards USD. Ces chiffres ne donnent pas toute la dimension de l’importance du commerce pour le dynamisme de l’économie mondiale, et du processus continu de spécialisation à la base de l’amélioration de la productivité et des niveaux de vie. Apparemment, il existe toujours un engagement politique en faveur d’un accord multilatéral. Le communiqué du G20 de novembre 2010 a exprimé une volonté de résister au protectionnisme et a promis que toute nouvelle mesure protectionniste serait repoussée. D’un autre côté, il n’est pas parvenu à un consensus sur une coordination des politiques afin de corriger les déséquilibres mondiaux. Ernesto Zedillo, l’ancien président du Mexique, a récemment dit des dirigeants du G20 qu’ils étaient « prisonniers du mercantilisme ». Il a écrit : « Le G20 a rendu le conflit plus probable, non seulement en échouant sur le thème de la

coordination des politiques macro-économiques, mais également en ne menant pas à bien le cycle de Doha en 2010. Au lieu de terminer le travail – considérant 2011 comme « une opportunité essentielle » – les dirigeants du G20 pourraient avoir fermé la porte à une conclusion réussie du cycle lorsque cela était le plus nécessaire. » Le premier ministre britannique, David Cameron, a décrit l’incapacité à conclure le cycle de négociations commerciales comme « un sujet d’embarras international ». Je partage la déception que le G20 ne soit pas parvenu à conclure le cycle de Doha en 2010 ; mais la fenêtre d’opportunité reste encore ouverte pendant quelques temps. C’est l’occasion rêvée de faire progresser les échanges et de favoriser ainsi la croissance économique et la réduction de la pauvreté dans les pays en développement. C’est également une opportunité de raviver l’idée de bénéfice mutuel et de coopération dans l’économie mondiale. Le nationalisme économique de l’esprit mercantiliste peut apporter des bénéfices à court terme à certains secteurs de l’industrie, mais il sape les perspectives de croissance à long terme. Il a toujours été avéré que chaque pays pouvait bénéficier des connaissances et des ressources d’autres pays. Échanger pour tirer profit de ces gains mutuels est l’une des constantes de l’histoire de l’humanité. Dans les économies d’aujourd’hui technologiquement avancées et basées sur la connaissance, notre interdépendance est plus profondément et largement ancrée que jamais. Le cadre commercial et l’environnement du taux de change sont nécessaires pour soutenir cette structure de production mondiale. Bien sûr, les décisions politiques peuvent inverser la tendance après-guerre. Mais nous savons quels en seraient les effets. Cela s’est produit dans les années 30, une période également tendue pour l’économie mondiale après une longue période de mondialisation. Le commerce s’est effondré et la croissance avec. Les dirigeants du G20 comprennent bien évidemment les leçons de l’histoire et demeurent déterminés à conclure le cycle de Doha au cours des 12 prochains mois. Mais cette volonté sera plus facile à transformer en réalité s’ils s’engagent également à discuter des monnaies et des déséquilibres mondiaux. Dans un cas comme dans l’autre, 2011 devrait marquer un tournant décisif pour l’avenir du commerce, et l’avenir de l’économie mondiale. n

« C’est l’occasion rêvée de faire progresser les échanges et ainsi de favoriser la croissance économique et la réduction de la pauvreté dans les pays en développement. C’est également une opportunité de raviver l’idée de bénéfice mutuel et de coopération dans l’économie mondiale. » MakingIt 29


Image : Nations Unies au Cap-Vert

FÁTIMA FIALHO a été nommée Ministre de l’Économie, de la Croissance et de la Compétitivité en octobre 2008. En février 2010, ce ministère a été supprimé et Mme Fialho a été transférée au tout nouveau ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Énergie.

Cap-Vert : l’émancipation Fátima Fialho, la Ministre du Tourisme, de l’Industrie et de l’Énergie du Cap-Vert, explique à Making It comment son pays a quitté le groupe des pays les moins avancés et envisage à présent son développement en tant que pays à revenu intermédiaire. Peuplé de 530 000 habitants, le Cap-Vert est un archipel volcanique aride, pauvre en ressources naturelles et souffrant de sécheresses chroniques qui ne semble pas être le candidat idéal pour conduire le développement africain. C’est pourtant ainsi qu’il est salué. En effet, ses taux de pauvreté sont en baisse et l’archipel semble être l’un des rares pays d’Afrique répondant à l’ensemble des Objectifs du Millénaire pour le développement. D’autres nations africaines, aussi peuplées que le Cap-Vert, n’ont pourtant pas réussi à suivre l’exemple de ce pays qui progresse en dépit de son manque de ressources. Malgré les revenus beaucoup plus élevés de ces pays,

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principalement issus du pétrole, ils n’ont pas été en mesure d’utiliser d’importantes sommes d’argent au profit de leurs populations. Lors d’une visite à Praia, la capitale, en avril 2010, le Président de la Banque africaine de développement, Donald Kaberuka, a déclaré : « Bénéficier de ressources naturelles riches est évidemment un avantage, mais le Cap-Vert nous prouve que le décollage est possible grâce à une bonne gouvernance, des institutions solides et un climat politique et social pacifique, cela quelles que soient les conditions initiales ». En novembre 2007, le Cap-Vert a quitté la liste des pays les moins avancés (PMA) de l’Organisation des Nations Unies, devenant

seulement le second pays à s’émanciper du groupe depuis sa création en 1974 (émancipation du Botswana en 1994). À la fin de l’année 2007, le Cap-Vert a rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Entre 2000 et 2006, le PIB a atteint un taux moyen de 5,4 % et le pays a enregistré des indicateurs de développement humain sans précédent. Selon Fátima Fialho, la Ministre du Tourisme, de l’Industrie et de l’Énergie, ces réalisations résultent d’une politique gouvernementale déterminée. La Ministre affirme : « Malgré des ressources naturelles pauvres, la réussite de notre pays a été rendue possible grâce à une série de mesures gouvernementales visant à améliorer l’environnement commercial et permettre au secteur privé de prospérer et de devenir le moteur national du développement économique ». Dès 1991, le Cap-Vert a mis en œuvre des politiques économiques axées sur le marché qui ont facilité les investissements étrangers, favorisé le secteur privé par des privatisations, et développé le tourisme, les industries de fabrication légère et la pêche. Le Cap-Vert s’est servi de sa bonne gouvernance comme d’un sésame, notamment pour sécuriser les investissements, les prêts et les niveaux de sécurité accrus. Cette stratégie a permis au Cap-Vert d’atteindre un taux d’investissement important, s’élevant à 48 % du PIB en 2008, et des niveaux élevés d’investissements directs étrangers (IDE), d’aide publique au développement (APD), et d’envois de fonds. En effet, plus d’un million de Cap-verdiens expatriés envoient de l’argent à leurs familles vivant au Cap-Vert. Fátima Fialho ajoute : « Entre 2002 et 2007, le pays a amélioré son environnement commercial. Pendant ces cinq années, nous avons observé une croissance dynamique de l’entrepreneuriat au niveau du nombre d’entreprises, de l’emploi et du chiffre d’affaires. Plus précisément, le nombre d’entreprises a augmenté de 32 %, le nombre d’employés de 60 %, et le chiffre d’affaires de 88 % ». Fátima Fialho est persuadée que seul le développement d’un secteur privé dynamique peut soutenir la baisse récente des niveaux de pauvreté (de 37 % en 2001 à 27 % en 2007). La Ministre vante également les vertus du commerce. « Le commerce a longtemps fait partie de la stratégie de développement de notre pays. Notre adhésion récente à l’OMC fera naître un grand nombre d’emplois et facilitera notre intégration à l’économie mondiale, nous


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permettant ainsi d’éviter les difficultés liées à la dépendance au marché intérieur. Nous pensons que rejoindre l’OMC offre à nos entreprises l’accès à un vaste marché sur lequel elles peuvent placer leurs produits sans discrimination ». Fialho ajoute : « Nous évoluons clairement d’une économie dépendante des envois de fonds et de l’aide extérieure, vers une économie dont les principales sources de devises étrangères seront le commerce international des services et les investissements directs étrangers axés sur les exportations ». L’économie est actuellement dominée par le secteur des services, principalement le tourisme, le transport, le commerce et les services gouvernementaux. La part des services dans l’économie a augmenté suite au boom du tourisme et contribue à l’établissement du pays comme centre financier offshore. « Le gouvernement est impliqué dans le secteur des services dont les résultats ont contribué de manière significative à la réduction du déficit extérieur actuel. Malgré la crise mondiale récente, les exportations de biens et de services n’ont pas souffert de ses effets. Le secteur des services s’est développé et représente désormais 70 % du PIB national ».

Le tourisme Cap-Verdien a toujours été dominé par les italiens depuis la construction du premier aéroport du Cap-Vert sur l’île de Sal en 1939 par le dictateur italien, Benito Mussolini. Aujourd’hui, quatre aéroports internationaux accueillent des vols charters en provenance de toute l’Europe. Ils ont transporté la majorité des 330 000 touristes accueillis dans les hôtels tout-inclus de l’archipel en 2009. Selon Fialho, le tourisme est récemment devenu un secteur économique stratégique pour le gouvernement. « Depuis 2001, l’exportation de services s’est fortement développée, ainsi que l’entrée de devises étrangères via l’exportation de services, plus récemment. Depuis 2006, les revenus du tourisme dépassent d’ailleurs les envois de fonds ». « L’investissement public et le soutien stratégique du gouvernement au secteur touristique ont permis un afflux continu d’investissements directs étrangers dirigés essentiellement vers le secteur du tourisme et les activités liées au tourisme. Aujourd’hui, ce secteur reçoit plus de 90 % du total des IDE ». La Ministre inclut également l’énergie dans son discours et se montre optimiste quant à l’extension de l’accès à l’énergie sur les îles moins développées de l’archipel. « Un programme

d’électrification rurale a permis l’émergence d’opportunités commerciales à travers le pays, dynamisant l’entrepreneuriat dans toutes les régions, avec des impacts sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté ». Malgré les sollicitations du gouvernement pour encourager les compagnies pétrolières à prospecter dans ses eaux territoriales, le CapVert ne dispose pas de ressources en pétrole ou en gaz connues et importe la totalité de ses besoins pétroliers. Fialho tient à aborder cette vulnérabilité. « D’ici 2020, le Cap-Vert est déterminé à satisfaire 50 % de ses besoins énergétiques grâce à des sources renouvelables. Cela contribuera à réduire la dépendance du pays vis-à-vis des combustibles fossiles, mais aura également un impact important sur la balance des paiements, en libérant des ressources qui pourraient ensuite être investies dans les infrastructures et la réduction de la pauvreté ». « Investir dans les énergies renouvelables, en particulier la micro-génération, est une stratégie efficace pour satisfaire la demande en énergie dans les petites communautés rurales. Ces investissements devraient permettre la création d’emplois et de revenus pour les familles dans ces communautés ». n

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Colin McCarthy remet en question l’approche de l’intégration régionale en Afrique Depuis leur indépendance, les gouvernements africains se sont approprié les questions d’intégration régionale et ont conclu un grand nombre d’accords d’intégration régionale (AIR). Cependant, le commerce inter-régional reste, en comparaison, relativement faible. Alors que les causes de cet échec ont été étudiées en détail, la question de savoir si le paradigme sous-jacent à l’approche africaine de l’intégration est la bonne a reçu peu d’attention. Les gouvernements africains suivent typiquement le modèle linéaire d’intégration régionale, en commençant par un accord de libre-échange et en terminant par une union économique et monétaire comme point fort. Toutefois, dire que cette approche répond au besoin que les pays économiquement marginalisés ont de dépasser les obstacles sur leur chemin pour rattraper le retard avec les autres pays développés est discutable (beaucoup étant dans la catégorie des Pays les moins avancés (PMA) des Nations Unies).

Les limites des AIR

Dépasser les frontières et supprimer les

Un AIR, sous la forme d’un accord de libreéchange réduit les coûts de transaction du commerce en supprimant un obstacle à la frontière, à savoir les droits de douanes. Ces derniers constituent indéniablement un frein important à la frontière, mais les preuves affluent et le sentiment d’exaspération aux frontières pourrait suggérer un problème encore plus grave. Ceci peut être dû aux problèmes de gestion des postes frontière ou simplement au fait que la documentation et les procédures ne soient pas normalisées. Pour les économies africaines enclavées, l’exaspération est d’autant plus importante qu’il faut traverser plusieurs frontières. Beaucoup de contraintes commerciales audelà des frontières ne sont pas traitées par les AIR formels. Compte tenu de la faible disponibilité des transports bon marché sur les voies navigables intérieures, les coûts logistiques du commerce de biens sont élevés. Cette situation est aggravée par des systèmes de transports peu développés, conçus pendant l’ère coloniale pour assurer le transport des biens vers les ports, ayant pour conséquence des réseaux inter-régionaux sous-développés et des coûts de transport parmi les plus élevés au monde. COLIN MCCARTHY est un collaborateur du Centre de Droit Commercial pour l’Afrique Australe (Trade Law Centre for Southern Africa - TRALAC) et Professeur Émérite à l'Université de Stellenbosch. Cet article est basé sur « Reconsidering regional integration in subSahara Africa », publié dans Supporting Regional Integration in East and Southern Africa – Review of Select Issues, TRALAC, 2010.

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De plus, les contrats commerciaux, même les plus simples (ordres d’achat ou de vente), requièrent des informations de comparaison des prix et dépendent d’un accès rapide et bon marché à des informations fiables sur le marché, y compris les informations sur la solvabilité des clients potentiels. Malgré cela, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne n’ont ni les compétences ni le capital pour établir et faire fonctionner des systèmes de communication modernes. La taille de leur marché n’est pas suffisante pour permettre à des publications économiques viables de représenter une source d’informations sur les conditions du marché. Ces barrières empêchent d’ouvrir le marché au reste du monde, mais leur impact sur le commerce régional est particulièrement pernicieux. Paradoxalement, les informations sur les marchés industrialisés sont plus facilement récupérables que les informations sur les opportunités économiques dans la région. En conséquence, les entreprises sont dissuadées de se développer au-delà de l’entretien des relations commerciales avec les fournisseurs et les clients dans les économies développées. Pertinence de l’intégration régionale

Un accord régional de libre-échange supprime les taxes, la première étape formelle conforme à la directive de l’Organisation Mondiale du Commerce qui lance un processus d’intégration régionale. Mais l’expérience a montré que même cette étape est difficile et représente souvent un processus chronophage. L’étape suivante du modèle linéaire, c’est-àdire la mise en place d’une union douanière, fait naître de nouveaux problèmes. La négociation et la mise en œuvre d’un tarif extérieur commun (TEC) est complexe, et d’autant plus compliquée qu’il est nécessaire de concevoir et mettre en place les pratiques de gestion et les institutions supranationales nécessaires pour gérer le TEC. Si la structure du tarif est simple, par exemple un tarif à quatre niveaux, et que les catégories des lignes tarifaires dans ces niveaux sont correctement délimitées, la gestion des taxes de l’union douanière pourrait ne pas être trop problématique. Cependant, en Afrique subsaharienne, les taxes commerciales sont une importante source de revenus ; par conséquent, la perception et la répartition des recettes douanières pourrait devenir problématique. Des changements difficiles doivent être réalisés, sans


The Ikidia Saving for Change group holds a weekly meeting in Domba, Mali.

gain proportionnel venant de la baisse des barrières commerciales. Une autre limite vient du fait que les AIR en Afrique concernent les échanges de biens et, en tant que tels, ne tiennent pas compte des services. Le commerce de services est devenu une partie substantielle du commerce international, et pour beaucoup de pays en développement, une source importante de recettes en devises étrangères. Mais les services facilitent également le commerce de biens, qui ne peut pas exister sans l’appui de services commerciaux, financiers, professionnels, de transport et de communication. La pertinence d’un AIR et un engagement formel au modèle linéaire est de plus en plus discutables compte tenu de la faible capacité d’une économie africaine typique à produire des biens et des services qui peuvent être échangés dans la région. Soumettre une région aux différentes étapes d’une intégration régionale sans développer la capacité des pays participants à produire des produits commercialisables sera peu utile. Et c’est vraiment le problème clé de l’intégration régionale en Afrique, un problème évident dont personne ne reconnaît l’existence.

Repenser l’approche aux AIR Remettre en question le processus d’intégration régionale en Afrique n’est pas nier l’importance du facteur régional dans le développement économique. Les ressources au sens large sont trop rares et les défis économiques auxquels un grand nombre de petits pays ou de pays enclavés font face sont trop sérieux pour ignorer le besoin d’une perspective régionale. Mais il faut s’inquiéter de l’architecture des AIR africains, qui sont connus pour leur implémentation limitée de plannings ambitieux pour une intégration approfondie. Après un certain temps, le manque de progrès devient sa propre contrainte. Toute la discussion et la planification du monde ne peuvent empêcher le développement d’un cynisme sousjacent qui entrave le progrès. Il n’est pas surprenant qu’après 40 ans de rhétorique sur des grands programmes d’intégration et des plannings ambitieux suivant un parcours linéaire vers l’union économique, une intégration réelle reste un but évanescent. Cultiver un engagement à l’intégration régionale, basée sur des programmes qui contribueront au développement de la

Photo: Gideon Mendel/Corbis

obstacles

La cour des douanes près du poste frontière à Chirundu, à la frontière entre la Zambie et le Zimbabwe. Chaque jour, des centaines de camions tentent de passer la frontière, mais les conducteurs doivent souvent passer des jours, voire des semaines, à attendre l’autorisation des douanes.

compétitivité et des capacités du côté production des économies, demande une approche plus réaliste, caractérisée par du gradualisme, de la coordination, et un effort et des politiques solides de développement national. Une première étape serait la suppression des obstacles au commerce intrarégional, mais en connaissance absolue du fait que les tarifs ne sont probablement qu’un frein mineur au commerce régional. Le développement de réseaux de transport via des investissements coordonnés dans les infrastructures, dans les services de communication, et dans la normalisation et la simplification des procédures douanières aux frontières, pourraient être le complément de la libéralisation des taxes pour encourager le commerce en réduisant les coûts de transaction. Cependant, lorsque l’on cherche à supprimer les obstacles commerciaux, il est nécessaire d’adopter une approche large qui inclut le commerce de services autant que le commerce de biens. Avec la reconnaissance due au besoin national de réguler les services financiers et professionnels, la croissance transfrontalière des flux de services n’est pas seulement importante en tant que telle, mais également pour faciliter le commerce de biens. Enfin, un pays ne peut faire de commerce dans la région, et dans le monde, que lorsqu’il a la capacité de produire des biens et des services qui peuvent être vendus à des prix compétitifs. La croissance du commerce nécessite ainsi de se concentrer sur les facteurs principaux qui contribuent à l’expansion de offre de l’activité économique. Certainement, tous les gouvernements revendiquent de poursuivre ces objectifs à l’ancienne, mais dans le monde réel de politique et d’administration en pratique, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne font peu de choses pour atteindre ces objectifs. Prendre les premières vraies mesures d’un développement de la capacité de l’offre économique, et les compléter par une suppression des obstacles au commerce régional est important. La coordination régionale et des accords d’intégration formels peuvent y contribuer, mais ceux-ci devraient rester modestes de nature, et forts en engagements et en mise en œuvre. Le plus important, dans tout ceci, est de reconnaître que le développement commence chez soi. Étendre la frontière de la production d’une économie doit, en premier lieu, être considéré comme un effort national, indépendant de tout accord d’intégration régionale. Les exercices d’intégration régionale ne peuvent se substituer aux initiatives concrètes de développement national. n

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ZOOM SUR UN PAYS

Timor oriental

Photo: Beawiharta Beawiharta/Reuters

De la dépendance à l’aide aux

« Le principal défi de développement consiste à utiliser les revenus provenant du gaz et du pétrole pour développer le capital humain et physique »

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Ci-dessus : Les partisans de RamosHorta scandent des slogans pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2007.


Photo: Bazuki Muhammad/Reuters

revenus des ressources

Lorsque le Timor oriental a obtenu son indépendance en mai 2002, le pays faisait face à des défis considérables en matière de développement so l’indépendance et l’arrivée des casques bleus internationaux, 75 % de la population était déplacée et près de 70 % des bâtiments, maisons et écoles avaient été détruits par une campagne de violence organisée, conduite par des milices. Le pays vacillant luttait pour reconstruire ses infrastructures, stabiliser l’économie et mettre en place de solides institutions gouvernementales. Son produit intérieur brut (PIB) par habitant comptait parmi les plus faibles au monde. Toutefois, depuis 2005, le Timor oriental est parvenu à se libérer de sa dépendance à l’aide internationale pour tirer des richesses de ses ressources : la production de pétrole dans la Mer du Timor, entre le Timor oriental et l’Australie, fournit au gouvernement les revenus nécessaires pour assurer la reprise économique et répondre aux besoins les plus urgents. On a vu apparaître en 2005 les premiers signes d’une timide reprise économique avec l’augmentation de 2,3 % du PIB réel, mais dès 2006 l’économie ralentissait de nouveau sous le coup d’importants troubles sociaux et politiques. L’économie a ensuite connu un fort rebond, la croissance du PIB atteignant 7 % en 2007 puis 12,8 % en 2008. Les revenus dérivés du pétrole ont pratiquement doublé en 2008 pour s’élever à 2,4 milliards USD (un chiffre à rapprocher du

PIB hors pétrole de 499 millions USD), et représentaient alors 95 % du total des revenus de l’État. Grâce à l’explosion de ses revenus tirés du pétrole et du gaz, le Timor oriental est resté relativement protégé de la crise économique mondiale de 2008-2009. Les hauts niveaux de dépense publique ont isolé l’économie du pays des pires aspects de la crise, et son PIB a continué de progresser : 7,5 % en 2009, 8 % en 2010. L’un des principaux résultats de la politique du gouvernement a été la mise en place d’un fonds pétrolier, créé en 2005 pour contribuer à protéger l’avenir économique du pays en prévision de l’épuisement des réserves de pétrole et de gaz. Ce fonds, un programme d’épargne respectant les « bonnes pratiques internationales », est intégré au budget ; les apports et les prélèvements sont soumis à l’approbation du parlement. À la fin du mois de septembre 2010, le fonds pétrolier affichait un solde de 6,6 milliards USD. Le Timor oriental est avant tout une économie agricole faiblement productive. L’agriculture représente environ un tiers de l’économie et c’est également le principal employeur : environ 90 % de cette population d’un million de personnes dépend de l’agriculture et de l’économie de subsistance pour ses moyens d’existence. Selon l’Economist Intelligence Unit, le secteur agricole manque gravement de nouveaux investissements conséquents, notamment l’industrie du café qui est l’exportateur le plus lucratif du pays en dehors

du pétrole et du gaz, et va manifestement le rester pour encore longtemps. Il est indispensable de procéder à des investissements dans la replantation, les infrastructures, les transports et le marketing pour augmenter les rendements et réduire les coûts. Un tiers environ seulement des 10 000 tonnes de café produites chaque année est convenablement traité pour être vendu sur le marché de niche du café biologique de qualité supérieure. Et sur cette fraction, un tiers seulement est effectivement vendu en raison de la rareté des acheteurs. Si la culture la plus importante reste le café, il est également possible de développer d’autres activités telles que le cacao, la noix de cajou et la vanille. L’industrie reste sous-développée et les produits manufacturés n’apportent qu’une contribution minime au PIB. Le potentiel de développement à moyen terme est limité par la faiblesse des compétences et des liaisons de transport. L’essentiel de la fabrication est représentée par de petites structures et les domaines les plus actifs sont le tissu et le mobilier. Le pays pourrait sans doute se développer en tant que destination touristique en s’adressant notamment au marché de niche de l’écotourisme. Le pays offre des étendues de nature préservée d’une grande beauté, ainsi que de très belles plages et une vie marine riche. On ne compte que quelques établissements et complexes hôteliers mais le développement d’installations touristiques suscite l’intérêt. Les prix restent toutefois élevés dans le secteur du tourisme et des inquiétudes persistent quant à la sécurité de la région. Le principal défi de développement du Timor oriental consiste à employer les revenus provenant du gaz et du pétrole pour développer le capital humain et physique nécessaire à la promotion et au soutien de la croissance de l’économie hors pétrole, de manière à absorber une main d’œuvre qui grossit rapidement. En dépit d’une reconstruction conséquente et d’une réelle croissance du PIB au cours des dernières années, le Timor oriental reste le pays le plus pauvre de l’Asie, et la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté. n

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Entretien Making It avec Son excellence le président José Ramos-Horta

« Nous travaillons à la diversi Le Timor oriental a parcouru un long chemin depuis son indépendance en 2002 et le pays a fait de grands progrès dans la consolidation de l’État et la prise en charge de sa population. Les données récentes suggèrent qu’à de nombreux égards, l’économie maintient ses bonnes performances. Comment le Timor oriental est-il parvenu à réaliser ces progrès ? La croissance économique robuste enregistrée par le Timor oriental depuis 2007-2008 est à mettre avant tout au crédit des investissements conséquents réalisés par le gouvernement dans les infrastructures publiques, mais elle s’explique également par les allocations versées aux plus pauvres, aux personnes âgées, aux veuves, aux personnes handicapées et aux vétérans de la résistance. Nous avons aussi beaucoup investi dans l’achat de tracteurs et autres équipements agricoles, et nous essayons d’améliorer les semences, d’étendre les terres cultivées et d’augmenter la productivité par hectare. C’est pour toutes ces raisons que l’économie s’est développée, et nous connaissons depuis trois ou quatre ans une croissance à deux chiffres. Quels enseignements les autres pays peuvent-ils tirer de l’expérience de développement du Timor oriental ? Malheureusement, je ne peux pas dire que nous soyons un modèle de développement pour les autres pays car nous sommes encore confrontés à de nombreux défis. Nous avons déjà connu des coups durs par le passé. De plus, nous sommes très privilégiés car nos revenus issus du pétrole et du gaz nous assurent un important flux de liquidités. Nous pouvons donc financer

l’intégralité de nos besoins budgétaires. Nous ne dépendons d’aucun soutien budgétaire externe. À cet égard, nous avons beaucoup de chance. Nous sommes dans une situation unique dans la mesure où, peu après notre indépendance en 2002, nous avons commencé à percevoir des revenus importants du pétrole et du gaz. Quels sont les principaux défis rencontrés par le pays dans son effort pour parvenir à un développement durable ? Il nous reste beaucoup à faire pour atteindre les Objectifs du millénaire et élever notre pays à un niveau de développement supérieur afin de quitter le groupe des pays les moins avancés pour rejoindre celui des pays à revenus moyens. Nous devrons investir des millions de dollars dans la construction d’infrastructures et mettre un fort accent sur l’éducation et la santé au cours des 20 prochaines années. Les difficultés et les défis auxquels nous sommes confrontés touchent les ressources humaines : nous n’avons pas assez de personnel qualifié et d’institutions fonctionnelles pour délivrer les services ou exécuter le budget de manière juste et efficace. La prospérité future du Timor oriental dépendra impérativement de sa capacité à optimiser les bénéfices à long terme de l’exploitation de ses ressources naturelles. Dans le contexte de ce que l’on appelle souvent la « malédiction des ressources », en quoi l’expérience du Timor oriental peut-elle être une source d’inspiration pour les autres pays en développement possédant d’importantes ressources naturelles ? Le Timor oriental est membre de l’Initiative pour

la transparence dans les industries extractives, l’EITI, qui réunit des pays disposant d’importantes réserves minérales, des entreprises du secteur du pétrole et d’autres ressources, et des acteurs de la société civile. Nous sommes très fiers et heureux que le Timor oriental soit à la première place du classement de l’EITI en Asie pour ses performances et pour sa gestion des ressources pétrolières : c’est le troisième pays seulement à bénéficier du sceau de conformité de l’EITI. Nous allons donc continuer à utiliser nos revenus du pétrole et du gaz de façon prudente et transparente, afin d’appuyer le développement durable de notre pays avec une intégrité et une honnêteté absolues. Existe-t-il des initiatives visant à diversifier l’économie et notamment à renforcer les capacités de production du pays ? Nous sommes très conscients des risques que court le Timor oriental – ou tout autre pays dans une situation semblable – en dépendant de l’exportation d’une seule marchandise, en l’occurrence le pétrole et le gaz, même si celle-ci nous assure des revenus considérables. Notre Fonds pétrolier dépasse aujourd’hui les 7 milliards USD, ce qui place le Timor oriental bien au-dessus du seuil des pays les moins avancés en termes de capital par habitant. Nous nous efforçons de diversifier notre économie en commençant par investir dans l’agriculture afin d’assurer notre sécurité alimentaire d’ici cinq à dix ans. Nous investissons également beaucoup dans les infrastructures, en améliorant le réseau

Photos: José H. Meirelles

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ZOOM SUR UN PAYS

Timor oriental

fication de notre économie » routier et en ajoutant un port et un aéroport, ainsi que dans l’énergie et les télécommunications. Ce sont les fondements d’une économie moderne et diversifiée. Si nous voulons envisager sérieusement le développement de l’industrie touristique, nous devons d’abord moderniser les transports et les communications, mais aussi nous attaquer aux problèmes de santé publique en réduisant la prévalence de la malaria, de la dengue et d’autres maladies. Il ne serait pas sage et encore moins politiquement correct de développer un tourisme qui coexisterait avec une pauvreté extrême, la malaria et la dengue. Ces deux aspects sont tout simplement irréconciliables. Nous voulons vraiment développer le tourisme et faisons déjà des efforts en ce sens, mais avant d’avoir une véritable industrie touristique, nous devons résoudre des problèmes de santé publique, en nettoyant nos villes et en faisant reculer la malaria et la dengue. Il nous reste enfin à trouver des sources d’eau potable mais aussi d’énergie fiable et peu chère pour tout le pays – même si cette dernière question trouve assez rapidement réponse. Comme de nombreux pays comptant parmi les moins avancés, le Timor oriental a une population jeune qui s’accroît rapidement. Quel avenir peut attendre cette portion de la population en termes d’opportunités économiques ?

L’un des plus grands défis du gouvernement – et c’est d’ailleurs l’une de ses grandes priorités – consiste à investir dans l’éducation. Le gouvernement actuel a déjà fait la preuve de son engagement pour la jeunesse et l’éducation en renforçant le soutien apporté par le biais de bourses dans les domaines des sciences et technologies, de l’administration publique et de la gestion d’entreprise, pour que nos jeunes puissent poursuivre leurs études au Timor oriental ou à l’étranger. Nous offrons des dizaines de bourses pour envoyer nos étudiants en Australie et ailleurs. Nous avons plus de 100 étudiants aux Philippines et près de 800 autres qui étudient la médecine à Cuba ou ici, au Timor oriental. Voilà la garantie qu’à l’avenir, le Timor oriental sera riche d’une population jeune et éduquée, compétitive sur le plan régional comme international. La Quatrième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (LDC-IV) se déroulera en Turquie en mai. En tant que membre du groupe des pays les moins avancés, quels résultats le Timor oriental en attend-il ? J’ai assisté au Sommet des Objectifs du millénaire pour le développement à New York en septembre 2010, et je dois dire que j’ai été extrêmement déçu de son issue : aucun engagement réel, concret, spécifique, n’a été pris par les pays développés et les institutions

internationales pour tenir les promesses faites précédemment par les pays riches d’apporter une aide au développement des pays les plus pauvres. À New York, tous les leaders des pays industrialisés ont reconnu qu’ils n’avaient pas apporté l’aide promise. J’ai entendu beaucoup d’entre eux admettre cet échec de leur part, et j’ai également entendu qu’en dépit de la crise financière internationale, les pays riches ne pénaliseraient pas les pays les plus pauvres par une réduction de l’aide au développement. Voilà ce que j’ai entendu. Nous avons tous entendu ce discours sur les engagements à New York. Pourtant, dès que les feux des médias se sont détournés, presque tous les pays développés ont commencé à réduire l’aide au développement des pays étrangers ! Alors je ne me fais pas d’illusion : la quatrième conférence sur les PMA en Turquie n’apportera selon moi rien de plus que les sommets des Nations Unies. Je n’envisage même pas de m’y rendre car nous avons déjà assisté à des dizaines de conférences internationales dans le monde entier. Nous dépensons des sommes importantes en transport, en frais, en hébergement, mais pour quel résultat ? Je ne crois pas que nous obtiendrons de meilleurs résultats en Turquie que lors des précédentes conférences internationales sur le développement. n

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JOSÉ RAMOS-HORTA a été élu président du Timor oriental en 2007. Il a auparavant occupé les postes de Premier ministre et de ministre de la Défense de juillet 2006 à mai 2007, et de ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2006. En 1996, il a reçu avec l'archevêque Carlos Belo le Prix Nobel de la Paix en reconnaissance de leurs efforts pour une solution équitable et pacifique au conflit du Timor oriental.

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L’empreinte pauvreté

Mary Arnesen, chef de projet entreprises et marchés chez Oxfam Grande-Bretagne, présente un nouvel outil pour aider les entreprises à comprendre comment leurs activités affectent les gens au sein de leur chaîne de valeur, ainsi que les communautés et les pays dans lesquels elles opèrent.

L’impact social des grandes entreprises est un sujet de plus en plus en vogue. Au fur et à mesure que les entreprises externalisent une large gamme d’activités et délocalisent leur production vers les pays en développement, l’attention que les médias et les consommateurs portent à leur chaîne logistique augmente proportionnellement. De plus, les pays en développement eux-mêmes sont à présent considérés comme des marchés intéressants, et les autorisations d’y opérer qu’obtiennent les entreprises sont étroitement liées à leur impact et leur image, exactement comme dans les pays développés. Les entreprises ont donc un intérêt réel à mieux comprendre leur impact social. Elles sont aussi plus conscientes des risques qu’elles courent à ne pas comprendre et améliorer cet impact. Au cours des dernières années, les problèmes du développement durable sont devenus une préoccupation commune. De nombreuses études détaillées ont mené à la création de modèles sophistiqués mesurant la consommation en carbone et en eau, les « empreintes ». Mais l’analyse sociale, notamment dans le domaine de la pauvreté et du développement, souffre toujours d’un retard en matière de méthodologies et d’indicateurs solides. Gerry Boyle, directeur des relations entreprises d’Oxfam Grande-Bretagne, affirme que « l’impact qu’ont les grandes entreprises sur le développement économique est souvent un mystère pour les entreprises elles-mêmes comme pour les parties prenantes de leur activité. » Oxfam, l’une des plus importantes organisations de la société civile dédiées à la

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réduction de la pauvreté, est convaincue de la nécessité d’indicateurs et de cadres de réflexion cohérents. Leur création est la prochaine étape du processus qui permettra aux entreprises de comprendre leur propre impact. De nombreuses entreprises suivent déjà l’impact de certaines de leurs décisions, comme par exemple la construction d’une usine ou l’ouverture d’une mine, et cherchent à limiter cet impact. Pourtant, au vu des nombreuses dimensions constitutives de la pauvreté comme des opérations multinationales modernes, il est bien plus compliqué de suivre et de gérer les effets plus généraux que peuvent avoir sur la pauvreté une entreprise et sa chaîne de valeur.

L’impact des entreprises C’est pourquoi Oxfam a développé sa méthodologie de « l’empreinte pauvreté ». Celle-ci vise à déterminer les principaux problèmes liés à la pauvreté, à créer un cadre de réflexion rigoureux grâce auquel une entreprise peut comprendre l’impact (positif comme négatif ) de ses activités, et à fournir une structure assurant la transparence de l’information sur cet impact. Il s’agit d’un processus collaboratif de recherche, conçu dans l’idée que ses résultats n’aideront pas seulement les acteurs du secteur privé à améliorer leur impact sur les gens, mais augmenteront aussi l’efficacité de leurs activités et leur permettront d’imaginer des solutions innovantes. « Il faut réfléchir en profondeur aux causes de la pauvreté. Il arrive qu’une entreprise ne soit pas du tout consciente que certaines de ses activités ont un

impact important sur les populations pauvres. Et on ne peut évidemment pas gérer ces impacts si on ne comprend ni leurs effets, ni leurs causes ! Notre méthodologie s’appuie sur une série d’outils quantitatifs et qualitatifs qui concernent à la fois la nature de la pauvreté et les activités d’entreprise à étudier », explique Gerry Boyle. Voici les principales caractéristiques de cette méthodologie : l elle se concentre sur l’humain – le principe est d’observer les problèmes du point de vue des gens qui vivent dans la pauvreté ; l elle est construite autour d’une proposition de valeur spécifique (un domaine qui intéresse à la fois l’entreprise et les communautés impliquées) permettant de se concentrer sur les domaines d’impact stratégique ; et enfin l elle offre une image diversifiée de la pauvreté, en étudiant la façon dont différentes couches d’activités s’empilent pour former une image plus large. Au cœur de la méthodologie se trouve le développement d’une matrice qui permet de définir le champ des recherches ultérieures. Cette matrice superpose cinq dimensions liées aux entreprises et cinq paramètres clés de la pauvreté. Elle aide ainsi à structurer l’éventail des nombreuses questions auxquelles il faut répondre pour comprendre la pauvreté sous ses multiples formes.

Les problématiques Des problématiques sont développées au sein de chacun des champs de la matrice. Elles


l Les chaînes de valeur (le processus de Cinq dimensions production et de livraison d’un produit et de la vie des d’un service, y compris les conditions de les relations avec les fournisseurs, entreprises lestravail, réseaux de distribution, etc.) l Les facteurs macroéconomiques (les impôts, les investissements publics et privés et la distribution des dividendes aux actionnaires) l Les institutions et la politique générale (l’impact des pratiques commerciales sur les lois et les réglementations, les politiques d’entreprise, les groupes de pression et de défense des intérêts) l Le développement des produits et le marketing (l’impact sur la culture et les institutions culturelles) l Les implications sociales des politiques environnementales (les conséquences sur la santé, la réduction des risques de catastrophe naturelle, et le changement climatique)

s’intéressent à la façon dont les activités de l’entreprise favorisent le développement mais peuvent aussi créer des obstacles à celui-ci. Kyle Cahill, administrateur de programme senior en charge de l’empreinte pauvreté chez Oxfam Amérique, commente à ce sujet : « Nous nous retrouvons à poser des questions qui vont de “Comment les marchés pourraient-ils améliorer l’équité entre les sexes, et augmenter l’implication des femmes dans les échanges et les bénéfices qu’elles en retirent ?” à “Comment les revenus sont-ils distribués et partagés tout le long de la chaîne de valeur ?” “Comment l’entreprise contribue-t-elle à fournir des services essentiels dans la région, et comment cela affecte-t-il les services publics ?”, mais aussi “Quels effets le développement de produits et les initiatives marketing ont-ils sur l’environnement culturel et la santé des communautés ?” » Le personnel de l’entreprise est associé de près aux études effectuées. Oxfam et l’entreprise profitent ainsi d’une occasion unique d’apprendre de leurs points de vue respectifs. Cette comparaison permet d’obtenir une nouvelle compréhension des effets qu’ont les activités d’une société sur les individus et les communautés qui l’entourent. L’implication du personnel de l’entreprise garantit aussi que les personnes les plus proches de l’activité sont en mesure d’aider à identifier les solutions les plus pratiques.

Unilever En 2005, Unilever, multinationale spécialisée dans les biens de consommation courante, a

l La diversité et l'égalité entre les sexes (l'accès à l'égalité des droits et la protection des identités culturelles)

Cinq paramètres de la pauvreté

l Les moyens de subsistance (l'accès à l'emploi, aux marchés et au crédit) l La santé et le bien-être (l'accès aux soins et à l'éducation) l L'autonomisation (le droit de s'organiser et de se syndiquer) l La stabilité et la sécurité (la capacité à gérer les catastrophes personnelles et naturelles, la criminalité et la violence)

collaboré avec Oxfam pour tester la méthodologie de l’empreinte pauvreté au sein de sa chaîne logistique en Indonésie. L’étude a été menée entre autres avec les agriculteurs et les commerçants locaux, les ouvriers et les responsables des usines, et les communautés locales. Parmi ces communautés, certaines dépendaient d’Unilever pour leurs emplois (directement ou indirectement), d’autres étaient les cibles des opérations publicitaires de l’entreprise et d’autres encore bénéficiaient de son soutien philanthropique. L’étude a notamment révélé que l’entreprise faisait appel à deux fois plus de personnes pour la distribution de ses produits que pour leur production, avec une proportion de travailleurs à temps partiel plus élevée que l’entreprise ne le pensait. Cette découverte a permis à Unilever d’identifier des moyens d’action clés pour augmenter la stabilité financière dans cette population et améliorer ainsi la productivité : l’implication et la syndicalisation de la main d’œuvre par exemple, ou un meilleur accès au crédit. Elle a également mis en lumière la complexité de la lutte contre la pauvreté. Thomas Lingard, directeur monde des affaires extérieures chez Unilever, a ainsi confirmé : « En examinant les emplois et la valeur créés aux différents endroits de cette chaîne, nous avons beaucoup appris sur les points précis où les entreprises peuvent avoir les impacts les plus positifs ou négatifs sur la réduction de la pauvreté. Mais la participation aux chaînes de valeur ne garantit pas à elle seule que la vie des populations pauvres va s’améliorer ;

d’autres institutions sociales et d’autres ressources sont nécessaires pour cela. » Le procédé de l’empreinte peut aussi aider les entreprises à identifier des problèmes et des contraintes pour lesquels il existe des solutions relativement simples. La mise en place de ces solutions profiterait autant à l’entreprise qu’à ceux avec qui elle interagit. Par exemple, au cours d’une étude menée avec une entreprise indienne, les recherches d’Oxfam ont montré que si les petits cultivateurs de l’entreprise appréciaient les services d’information et de renforcement des capacités en général, ils n’étaient que 8 % à connaître et utiliser les services d’information que l’entreprise avait développé pour les aider. En reliant plus directement ses services d’information à la fonction d’achat, l’entreprise a pu atteindre plus facilement ses agriculteurs et leur fournir des informations pour s’assurer qu’ils se concentraient sur les cultures les plus demandées sur le marché, et pour améliorer la productivité des petits cultivateurs. En se concentrant à la fois sur les dimensions clés de la pauvreté et sur les secteurs d’activité clés les plus susceptibles d’affecter celles-ci, l’empreinte pauvreté aide les entreprises à comprendre dans quelle mesure et de quelles façons leurs activités ont un impact sur les populations pauvres. Elles peuvent aussi montrer à ces mêmes entreprises comment leurs politiques et leurs pratiques pourraient être adaptées pour maximiser leur contribution générale à la réduction de la pauvreté. n

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Andy Wales, co-auteur du livre récemment publié Big Business, Big Responsibilities, explique que de nombreuses grandes entreprises considèrent désormais les questions de responsabilité sociale, de philanthropie et de respect de l’environnement comme des éléments de plus en plus importants pour la stratégie d’entreprise. Le fait de percevoir les grandes entreprises comme « de grands méchants » dans les années 1980 et 1990 s'est développé au moment où les organisations non gouvernementales (ONG) soulignaient les catastrophes environnementales comme les marées noires, les atteintes aux droits de l'homme ou encore le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement en Asie. Bien sûr, nous sommes encore confrontés à des marées noires, notamment avec la récente catastrophe de BP dans le golfe du Mexique, et ces derniers mois, nous avons observé de nouvelles allégations impliquant des détaillants britanniques qui s'approvisionnaient auprès d'entreprises utilisant le travail des enfants. Si vous lisez la presse, comme la plupart des gens, vous pouvez penser que peu de choses ont changé ces vingt dernières années. Mais en réalité, beaucoup de choses ont évolué, surtout au cours des dix dernières années. Big Business, Big Responsibilities raconte l'histoire de cinq nouvelles réalités qui impliquent que certaines grandes entreprises mondiales sont aujourd'hui plus susceptibles de lancer des appels à la protection de l'environnement plutôt que de laisser cette thématique derrière elles ; de promouvoir les droits de l'homme plutôt que de les ignorer et de travailler en partenariat avec les ONG plutôt que de toujours le faire en réaction à des campagnes.

Le partage des risques signifie le partage des responsabilités Les entreprises évoluent vers une philosophie d'intérêt personnel éclairé consistant à

reconnaître qu'en tant qu'institution confrontée à des risques partagés, elles partagent également des responsabilités. Le 2030 Water Resources Group, réunissant la Société financière internationale, McKinsey, Coca-Cola, Nestlé, SABMiller, Standard Chartered et d'autres, est un bon exemple d'un partenariat public / privé mettant la barre haut pour s'attaquer au risque partagé évident de la pénurie d'eau au niveau mondial. Ces entreprises sont impliquées parce qu'elles peuvent prévoir l'impact d'une pénurie d'eau généralisée dans le monde entier sur des perspectives de croissance à moyen et long terme. Les entreprises apportent un angle de vue différent sur le problème en aidant les gouvernements à comprendre que la pénurie d'eau n'est pas seulement un problème de développement ou d'écologie mais aussi un défi pour la croissance économique. Actuellement, les entreprises travaillent avec le Forum économique mondial et les gouvernements nationaux et régionaux dans des pays clés, comme l'Inde et l'Afrique du Sud, pour aider à améliorer la gestion des ressources en eau au niveau local au profit des collectivités, des entreprises et de l'environnement.

Surmonter les défis grâce à la collaboration Les partenariats philanthropiques entre les sociétés et les ONG existent depuis longtemps et on trouve aussi quelques collaborations sur les chaînes d'approvisionnement. Pourtant, maintenant une approche

beaucoup plus systématique et généralisée aux partenariats est en cours de développement, avec l'implication de toute une gamme d'entreprises, d'ONG et de gouvernements. À titre d'exemple, lorsque le rôle potentiel des sociétés Internet de limitation de la liberté d'expression et de la vie privée avait d'abord suscité l'intérêt du public, la question fut présentée en termes généralement simplistes : de grandes et puissantes entreprises qui mettaient leurs propres intérêts commerciaux devant les besoins, les droits et les intérêts de leurs utilisateurs. Les sociétés Internet comme Google, Yahoo! et Microsoft n'étaient plus présentées comme les pourvoyeurs de la liberté, ils étaient désormais les grands méchants responsables de la disparition de la liberté. Pourtant, ces mêmes entreprises ont uni leurs efforts avec les principales ONG de défense des droits de l'homme, les investisseurs et les universitaires pour lancer une nouvelle coalition, le Global Network Initiative (GNI), conçu pour adopter une approche collaborative afin de protéger la liberté d'expression et la vie privée en ligne. Les principes du GNI et les directives de mise en place proposent des orientations précieuses aux entreprises à travers l'ensemble du secteur des communications pour leur permettre de savoir quelles mesures prendre lorsqu'elles sont confrontées à des demandes difficiles de la part des gouvernements pouvant conduire à des violations des droits des utilisateurs, de la vie privée et de la liberté d'expression.

Du statut de méchantsàceluide

visionnaires 40 MakingIt


ANDY WALES est le Responsable mondial du développement durable chez SABMiller. Big Business, Big Responsibilities: from ‘villains’ to ‘visionaries’, par Andy Wales, Matthew Gorman, et Dunstan Hope, publié chez Palgrave Macmillan.

Avoir la confiance des autres n'a jamais été aussi important Lorsque les entreprises sont exposées pour des affaires de violations des droits de l'homme ou attaquées pour atteinte aux normes environnementales, cela s'en ressent au plus haut point en interne. La performance sociale et environnementale revêt une grande importance pour les employés des grandes entreprises. Elle importe aussi pour les futurs employés. Les enquêtes menées auprès de jeunes diplômés universitaires citent régulièrement la perception de la responsabilité sociale d'une entreprise comme une raison majeure pour choisir de travailler dans telle ou telle entreprise. Les consommateurs sont aussi de plus en plus pointilleux par rapport à leur vision des grandes entreprises et de leurs marques, et certaines entreprises telles que Unilever et Nike accélèrent ce phénomène en faisant de la durabilité et de l'éthique un élément clé de l'innovation. Une fois rassemblés, ces facteurs signifient que la communication proactive de la performance est importante et que la perte de confiance quand les choses vont mal devient plus problématique pour l'entreprise et la marque.

Les changements de la politique publique

La durabilité comme opportunité Les entreprises performantes de demain considèrent la durabilité comme une opportunité d'innover et non comme un risque à atténuer. Il y a dix ans, relever les défis sociaux et environnementaux a souvent été considéré par les grandes entreprises uniquement comme un exercice de gestion des risques. Le contraste entre cette approche d'atténuation des risques et l'approche novatrice adoptée par les entreprises leader d'aujourd'hui est saisissant. Un exemple intéressant est celui de China Mobile, la plus grande société de télécommunications en

nombre de clients (plus de 500 millions), en termes de taille du réseau et de capitalisation boursière. Lorsque le gouvernement chinois a mis en priorité le développement économique dans les zones rurales et la modernisation des techniques agricoles, China Mobile s'est mis à rechercher des moyens pour atteindre ces objectifs de politique publique en proposant de nouveaux produits et services. La société a mis en place un réseau rural d'informations qui deviendrait la première source d'informations agricoles, commerciales et métier dans les communautés rurales et a établi de nouvelles structures tarifaires abordables pour les collectivités rurales tout en élargissant son réseau aux zones les plus reculées de la Chine. À ce moment, environ 50 % de ses nouveaux clients venaient des zones rurales et d'autres sociétés internationales de télécommunications suivaient l'exemple. Les grandes entreprises ont encore du chemin à parcourir. Pourtant, les cas présentés ci-dessus montrent une approche et un engagement de la part des grandes entreprises qui n'étaient pas évidents il y a dix ans et qui cherchent aujourd'hui à résoudre certains de ces défis. Une bonne dose de scepticisme est toujours nécessaire, mais étant donné la différence que les grandes entreprises peuvent faire une fois qu'elles comprennent pourquoi la stratégie d'entreprise et les défis environnementaux et sociaux doivent être alignés, une approche optimiste ne saurait empirer les choses. n

Illustration: Images.com/Corbis

Les changements dans les politiques publiques pour répondre aux défis de durabilité vont de plus en plus façonner l'environnement de travail de l'entreprise. L'action des gouvernements

consistant à relever les défis mondiaux commence à remodeler le contexte réglementaire et commercial dans lequel les entreprises opèrent, et malgré certains retards dans la politique climatique, cette tendance devrait s'accélérer à mesure que l'urgence des actions à entreprendre augmente. Les entreprises de premier plan reconnaissent de plus en plus que si des mesures doivent être prises pour la viabilité, dans de nombreux cas, l'intervention d'une politique publique est également nécessaire. Le Groupe d'entreprises leaders sur les changements climatiques constitue un exemple de la manière dont les entreprises contribuent à soutenir l'action gouvernementale et à définir le type de politiques qui seront à la fois respectueuses de l'environnement, crédibles et efficaces économiquement.

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POLITIQUE EN BREF

Utilisation des normes privées à votre avantage Par MÜGE DOLUN BORA, responsable du développement industriel, ONUDI Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises des pays en développement et des économies émergentes deviennent des producteurs internationaux. La libéralisation des marchés de consommation offre à ces entreprises la possibilité d’exporter leurs produits sur les marchés mondiaux, qui exigent de plus en plus fréquemment une conformité à des « normes privées », un phénomène qui a le vent en poupe. Dans le contexte plus large des valeurs, des normes, des codes, de l’éthique, des pratiques, des directives, des principes et de la morale, les normes privées sont, dans le domaine du commerce, considérées comme un moyen de promouvoir le progrès social et le développement environnemental durable. Il est important de souligner que les normes privées diffèrent des réglementations techniques et des standards facultatifs nationaux, régionaux et internationaux que l’on peut rencontrer lors d’échanges avec un partenaire commercial. Les normes privées traitent des problématiques sociales, sécuritaires et environnementales, et ce sont les marques et les distributeurs qui les exigent de leurs fournisseurs. Ces normes présentent une grande diversité. Par exemple, les normes privées n’ont pas toutes le même champ d’application ni la même importance : elles concernent plus fréquemment la question du travail dans le secteur du cuir et de l’habillement, tandis que les exigences de conformité à certains critères environnementaux sont plus courants dans le secteur du mobilier. De plus, les normes peuvent s’appliquer au site de production et/ou au produit lui-même. Les codes de conduite des acheteurs font principalement

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« L’entreprise acquiert un avantage compétitif certain, renforce son efficacité et élargit sa base de clients. »

référence aux sites de production tandis que les certificats et les labels traduisent plus souvent le respect de critères relatifs au site de production et au produit. L’importance et l’influence croissantes des normes privées s’expliquent assez aisément. Dans les économies développées, les consommateurs comme les organisations de la société civile se montrent de plus en plus soucieux des conditions sociales et environnementales en vigueur dans les pays impliqués dans les chaînes d’approvisionnement des produits vendus sur leurs marchés. Informés des cas de violations graves des droits des travailleurs et des droits humains et des dégradations environnementales causées par l’activité des entreprises, les consommateurs perdent confiance dans la conduite responsable des grandes marques et des distributeurs. Dans le même temps, ces cas d’inconduite traduisent souvent l’échec des gouvernements des pays en développement à faire appliquer les normes et réglementations nationales et internationales. En conséquence, il incombe aux entreprises qui exercent leurs activités à l’échelle internationale de relever le défi posé par ce manque de gouvernance. D’autre part, avec la sensibilisation croissante des consommateurs aux méthodes de production et aux habitudes de consommation, les marques ressentent de plus en plus la nécessité de se différencier par des critères sociaux et environnementaux sur les marchés. Ce sont ces tendances qui ont contribué à ce que les grandes marques et les distributeurs choisissent de définir et d’appliquer des normes plus strictes au sein de leur chaîne d’approvisionnement, afin d’améliorer les performances sociales et écologiques des producteurs des pays en développement, et ce sur toute la longueur de


POLITIQUE EN BREF

la chaîne. Pour synthétiser, de nombreuses multinationales utilisent les normes privées comme un outil de gestion de la chaîne d’approvisionnement et comme un mécanisme pour acquérir un avantage marketing par rapport à leurs concurrents. Face à la nécessité de respecter des normes privées, un fournisseur a deux options : l’approche réactive ou l’approche proactive. L’approche réactive implique pour le fournisseur de se conformer à de nouvelles exigences chaque fois qu’il noue une nouvelle relation commerciale. L’approche proactive, quant à elle, est plus ambitieuse pour le fournisseur. Elle consiste en effet à d’abord développer une vision et un engagement, puis à mettre en place et appliquer un ensemble de normes sociales et environnementales exigeantes, et enfin à faire intervenir une vérification indépendante afin d’authentifier les nouvelles normes atteintes. En choisissant cette voie, l’entreprise acquiert un avantage compétitif certain, renforce son efficacité et élargit sa base de clients, entre autres bénéfices. Le guide de l’ONUDI Making Private Standards Work for You (« Utiliser les normes privées à votre avantage ») s’adresse aux producteurs des secteurs de l’habillement, de la chaussure et du mobilier désireux de faire affaire avec de grandes marques et d’importants distributeurs et leur fournit des informations sur le paysage complexe des normes privées. Il apporte des conseils stratégiques devant permettre aux fournisseurs des pays en développement de tirer avantage des normes privées. Ce guide peut également être utile aux exportateurs d’autres secteurs. n

Une nouvelle approche de la croissance basée sur l’exportation Par XAVIER CIRERA, chercheur membre de l'équipe Mondialisation à l'Institute of Development Studies au Royaume-Uni En septembre 2010, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a publié le

Rapport sur le commerce et le développement 2010 : Mondialisation et stratégies de développement. Le rapport alerte les pays en développement qui s'appuient lourdement sur la croissance des exportations et les incite à repenser leurs stratégies actuelles de croissance en mettant l'accent sur le renforcement de la demande intérieure. Le rapport souligne que les stratégies basées sur l'exportation ne peuvent être appliquées par tous les pays : certaines nations doivent nécessairement être consommatrices nettes des produits exportés. Ensuite, les marchés d'exportation mondiaux semblent destinés à croître bien plus lentement qu'avant la récession mondiale, rendant ces stratégies de moins en moins tenables. Enfin, s'appuyer sur une main d'œuvre bon marché pour rester compétitif à l'exportation produit un effet de « nivellement par le bas » des salaires qui s'avère contre-productif pour la réduction de la pauvreté comme pour la création d'emplois. Bien que ces arguments se tiennent, je défendrais pourtant l'idée que pour les pays petits et très pauvres, dont les Pays les moins avancés (PMA), une croissance basée sur l'exportation est inévitable. Dans le cas des pays en développement plus grands, présentant une demande intérieure potentielle suffisante, éviter les politiques déflationnaires peut être une bonne solution. Mais les pays pauvres sont limités par une demande intérieure très faible. Les marchés nationaux étant trop restreints, ces pays ont

besoin des marchés extérieurs pour soutenir et développer leur production, réaliser des économies d'échelle, améliorer la qualité de leurs produits et diversifier leurs exportations, afin que celles-ci ne soient pas limitées aux seules ressources naturelles et matières premières. Dans le contexte actuel, le principal défi des économies les plus pauvres consiste à maintenir l'augmentation des exportations et surtout à les diversifier – autres marchandises, produits manufacturés, services – afin de réduire leur vulnérabilité économique et soutenir leur croissance. Actuellement, la diversification des exportations et leur degré de sophistication et de contenu technologique sont très limités dans les pays en développement. L'expansion des exportations observée au cours de la dernière décennie concernait essentiellement les exportations existantes et non de nouveaux produits. Les stratégies de croissance actuelles basées sur l'exportation sont insuffisantes pour une transition vers des activités à valeur ajoutée et pour l'introduction de nouveaux produits. Le problème de la diversification des activités est exacerbé par les prix élevés des matières premières, ce qui incite les investisseurs à poursuivre l'expansion de la production dans ces secteurs. En dépit d'une croissance plus lente de la demande dans les économies industrialisées, certains cours vont vraisemblablement se maintenir à un haut niveau, soutenus par la croissance chinoise. Depuis les années 1960, les pays développés ont tenté de stimuler les exportations des PMA en accordant des préférences commerciales unilatérales telles que le Système généralisé de préférences (SGP) et, plus récemment, le programme « Tout ‰ sauf les armes » (EBA) et la Loi sur la

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POLITIQUE EN BREF

‰ croissance et les opportunités en Afrique (AGOA). Toutefois, ces initiatives semblent avoir une efficacité limitée et même négligeable en ce qui concerne la diversification des exportations. De plus, les faibles marges de préférence sur les produits d'exportation clés, et notamment l'érosion des préférences existantes, limitent l'impact positif potentiel que ces programmes peuvent avoir à l'avenir. Bien que la plupart des pays en développement soient membres d'un ou plusieurs Accords de commerce préférentiel (PTA), l'intégration économique de ces pays reste faible en réalité, essentiellement en raison de la médiocrité de la mise en œuvre des accords existants et de la présence de barrières non tarifaires élevés. Renforcer l'intégration Sud-Sud peut permettre d'exploiter les marges préférentielles et le facteur de proximité et ainsi fournir d'importantes opportunités d'expansion de la gamme des exportations, au-delà des marchandises traditionnelles. Cela exigera toutefois de renouveler les efforts de mise en œuvre des accords existants. Le commerce des services peut également fournir de nouvelles opportunités aux PMA. Si l'on a, jusqu'à maintenant, mis l'accent sur la protection des services nationaux vis-à-vis des concurrents étrangers, un effort de libéralisation des services dans les PTA existants peut accroître considérablement la compétitivité d'autres secteurs de l'économie et, dans le même temps, ouvrir de nouvelles possibilités d'exportation dans des activités exigeant une importante main d'œuvre. Enfin, il est nécessaire de mieux intégrer les politiques industrielles nationales aux programmes d'aide basés sur les échanges commerciaux actuellement en place, en s'attachant nettement à aider les entreprises à diversifier leurs activités et leurs exportations. En conclusion, plutôt que d'adopter des politiques tournées vers l'économie intérieure comme le suggère le rapport de la CNUCED, c'est d'une autre politique de croissance basée sur l'exportation que les PMA ont besoin. Cette nouvelle stratégie doit donner la priorité aux échanges Sud-Sud, au commerce des services et à des politiques permettant aux entreprises d'investir de nouveaux marchés et segments de production. n

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La politique industrielle au centre de la scène Par MICHELE CLARA, responsable de gestion de programme, ONUDI Le 28 octobre 2010, Antonio Tajani, Commissaire européen à l'industrie et l'entreprenariat, a dévoilé une initiative phare ambitieuse et exhaustive visant à stimuler la croissance et la création d'emplois en Europe en s'appuyant sur la solidité, la diversification et la compétitivité de la base industrielle dans les 27 pays de l'Union européenne. Intitulée Une politique industrielle intégrée à l'ère de la mondialisation, ce document est un appel sans compromis à l'industrie, qui peut jouer un rôle central dans la prise en charge des problèmes rencontrés par l'humanité à l'aube de ce nouveau siècle. Cette politique fait partie d'un programme plus vaste, Europe 2020 – Stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive, qui vise à assurer aux économies européennes une sortie rapide de la stagnation à court terme et un retour vers une croissance soutenue et durable dans le contexte d'une économie toujours plus concurrentielle et mondialisée. Si ces objectifs semblent familiers, c'est sans doute parce qu'ils étaient déjà au cœur d'une autre proposition tout aussi ambitieuse, émise par la Commission en l'an 2000 et appelée « Stratégie de Lisbonne » : une politique qui avait certainement ses mérites mais qui, comme la Commission l'a elle-même reconnu, n'est pas parvenue à atteindre ses objectifs. Envoyant le signal bienvenu d'une réelle volonté de tirer les enseignements des erreurs passées, la Stratégie 2020 comme son initiative phare Une politique industrielle intégrée à l'ère de la mondialisation prennent à bras-le-corps les défauts de la précédente stratégie et mettent en avant des mesures visant directement à les corriger. Ces programmes viennent à point nommé nous rappeler que l'élaboration de politiques, en particulier dans le domaine du développement économique, ne peut se faire

qu'à partir d'un processus transparent consistant à contrôler et évaluer les résultats par rapport à des indicateurs définis, sous le regard du public. À de nombreux égards, la politique industrielle proposée par le Commissaire Tajani est pionnière. Elle s'attarde tout d'abord sur la thématique de la survie et de la croissance de l'industrie, sujet qui revêt une importance stratégique pour tout gouvernement national quel qu'il soit. Il s'agit pourtant d'une politique émise par une entité supranationale, l'Union européenne. Le lecteur sera donc certainement tenté de commencer sa lecture de ce document de 33 pages par la toute dernière section, « Une nouvelle gouvernance de l'UE pour la politique industrielle », dans laquelle il développe des idées novatrices sur la collaboration de différents niveaux de gouvernements pour le succès de toute initiative de développement. Autre point très intéressant de cette politique, l'auteur tente de définir le champ d'application de toute politique industrielle. En dehors de quelques opposants virulents, la plupart des commentateurs économiques conviendraient aujourd'hui que l'État a un rôle à jouer dans des domaines tels que les infrastructures et l'éducation, qui ont tout deux un puissant impact sur le développement économique. D'autre part, comme l'ont vivement souligné les travaux d'économistes comme Ha-Joon Chang et Dani Rodrick, même les partisans les plus tenaces de l'innovation dirigée par les marchés se sont confortablement accommodés de généreux financements publics en faveur de l'innovation, de la recherche et du développement. D'autres aspects de l'élaboration de politiques industrielles sont, tous en conviennent, plus controversés. Le Commissaire Tajani en a pris son parti en les exposant systématiquement, comme en témoigne le


POLITIQUE EN BREF

Photo : Union européenne

Antonio Tajani, Vice président de la Commission européenne, Commissaire à l'industrie et à l'entreprenariat.

sommaire de sa politique où une politique de la concurrence et de l'innovation côtoie des mesures visant à traiter les surcapacités structurelles, à améliorer l'efficacité carbone et à renforcer la responsabilité sociale des entreprises. Le document n'évite pas ce que l'on considère généralement comme le sujet le plus brûlant, celui des politiques sectorielles, et propose des pistes de réflexion intéressantes sur le rôle de l'industrie dans la prise en charge de grandes problématiques de société comme le changement climatique, l'augmentation du coût de la santé au sein des populations vieillissantes, la surpopulation des zones urbaines et l'accès à l'énergie. Enfin, cette politique mérite que l'on souligne son format, très digeste. Pour chaque thème, le document présente de manière très succincte les raisons qui soustendent la politique et ses objectifs principaux, puis une liste d'engagements clairs accompagnés d'un échéancier décrivant les tâches confiées à la

« Une politique de la concurrence et de l'innovation côtoie des mesures visant à traiter les surcapacités structurelles, à atteindre une meilleure efficacité carbone et à renforcer la responsabilité sociale des entreprises. »

Commission mais aussi, souvent, aux étatsmembres et aux autres organismes européens. La Commission prévoit, dans un avenir proche, d'assumer un mandat tout aussi ambitieux dans le domaine de la gestion des connaissances, notamment pour jouer le rôle de source d'informations sur les bonnes pratiques et les enseignements auprès des états-membres. En tout et pour tout, la Commission européenne a produit un document d'une grande importance pour les citoyens de l'Union européenne mais aussi pour les professionnels de l'économie du développement. Comme toujours, son mérite devra être évalué si et quand les résultats prévus seront atteints. Seul le temps nous le dira. Mais pour tous ceux qui pensent que l'on accomplit de grandes choses en commençant par se poser les bonnes questions et apprendre de ses erreurs, la Politique industrielle intégrée à l'ère de la mondialisation est une excellente lecture. n

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LE MOT DE LA FIN

L’industrie agroalimentaire en Afrique En guise de mise en bouche pour le prochain numéro dédié à l’industrie agroalimentaire, Making It s’est entretenu avec LUCY MUCHOKI, PDG du Consortium panafricain de l’agrobusiness et de l’agroindustrie. Pourquoi le développement de l’industrie agro-alimentaire est-il important pour l’Afrique ? L’agriculture est un secteur dominant en Afrique et est essentielle au développement économique. Elle emploie plus de 60 % de la main-d’œuvre en Afrique, contribue à 17 % du PIB global et représente 40 % de la production économique totale. En outre, il a été révélé que la croissance du PIB générée par l’agriculture était au moins deux fois plus efficace pour réduire la pauvreté que la croissance du PIB dans d’autres secteurs. L’accélération de la croissance agricole est essentielle pour réduire la faim et la pauvreté, pour contribuer à l’autonomie des jeunes et des femmes ainsi que pour parvenir à un partenariat mondial pour le développement, soit les Objectifs du Millénaire pour le développement : un, trois et huit. Dans le contexte d’une demande alimentaire croissante dans le monde, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que six millions d’hectares supplémentaires devront être mis en culture chaque année au cours des 30 prochaines années. On estime que l’Afrique détient jusqu’à 60 % des terres restant non cultivées dans le monde et adaptées à l’agriculture. En outre, le marché mondial des produits agricoles est en plein essor, ouvrant de nouvelles possibilités pour la production africaine. Le potentiel de l’agriculture en Afrique est très encourageant mais il est urgent de concentrer les investissements dans l’agriculture en tant

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Lucy Muchoki, PDG du Consortium panafricain de l’agrobusiness et de l’agroindustrie (PanAAC).

que secteur d’activité à part entière. Sans une industrie agro-alimentaire dynamique et axée sur la croissance, la population rurale de l’Afrique subsaharienne ne sera jamais capable de se frayer son chemin hors de la pauvreté, ni d’agir comme un moteur de croissance économique plus large. Pourtant, aujourd’hui, l’Afrique est encore dominée dans la plupart des cas par l’agriculture à petite échelle, par les agriculteurs qui pratiquent une agriculture de subsistance. Quatre-vingt dix pour cent de la production agricole en Afrique subsaharienne provient de petites exploitations. Un passage de l’agriculture vivrière à une industrie agroalimentaire est plus important que jamais. L’industrie agro-alimentaire a-t-elle une pertinence particulière pour les jeunes en Afrique ? Soixante pour cent de la population rurale est constituée de jeunes hommes et de jeunes femmes âgés de 15 à 24 ans. En fonction du regard que vous portez sur la situation, il s’agit soit d’une opportunité potentielle pour le producteur de demain, soit d’une bombe à retardement prête à exploser dans les zones urbaines. Les jeunes ruraux sont occupés à migrer vers les zones urbaines à la recherche d’emplois, absents du marché. Aussi n’est-il peut-être pas surprenant d’observer une augmentation de la criminalité dans les zones urbaines. Dans le même temps, selon un rapport de la FAO, l’âge moyen de l’agriculteur africain est d’environ 60 ans. Cela signifie qu’il y a un énorme fossé générationnel qui doit être comblé immédiatement. Investir dans la jeunesse rurale est un investissement pour l’avenir de l’industrie agro-alimentaire en Afrique. Les nouvelles technologies qui s’éloignent des méthodes démodées s’appuyant sur le travail manuel et l’épuisement des sols, ne peuvent être intégrées que par les jeunes générations modernes ! Il est clair qu’un grand nombre d’emplois peut être généré en développant l’industrie agro-alimentaire. Quels sont les principaux défis de l’industrie agro-alimentaire en Afrique ? À vrai dire, il y en a beaucoup, à commencer par une faible productivité dans le secteur agricole due au manque d’intrants agricoles, comme les produits chimiques, les


LE MOT DE LA FIN

MakingIt L’industrie pour le développement

FURTHER READING

équipements, le fourrage, les semences, l’énergie, la technologie inadéquate ainsi qu’un mauvais stockage de la production. L’industrie agro-alimentaire elle-même souffre d’un manque de financement abordable et d’accès au crédit et de sousinvestissement dans les infrastructures. Davantage d’investissements doivent être injectés pour la durabilité de l’eau, le stockage de la nourriture, l’informatique, les nouvelles sciences et une formation adaptée. Alors que la mondialisation ouvre de nouveaux marchés pour la production africaine, elle pose aussi une menace potentielle pour l’industrie agroalimentaire en Afrique, notamment avec la concurrence des marchés étrangers habituellement très protégés et bien subventionnés comme ceux de l’Union européenne et des États-Unis. Dans ces conditions, la concurrence peut être très difficile pour la petite industrie agroalimentaire en développement en Afrique. La Chine peut également présenter une menace énorme sur le marché pour les produits agricoles de la région ainsi qu’en témoigne l’afflux de nombreux produits d’exportations en Afrique, notamment en Angola, et dans une moindre mesure, au Mozambique. Nous manquons également d’une capacité à livrer des solutions alimentaires sur l’ensemble de l’année, ce qui pourrait être atteint en adoptant des méthodes avancées globales d’approvisionnement et de logistique. Il est également nécessaire de mieux comprendre les besoins et les exigences futurs concernant la présentation du produit, la durabilité et la traçabilité, de sorte que nous puissions les proposer avant nos concurrents et pratiquer des prix avantageux. Enfin, les gouvernements africains ne mettent pas en place de politiques viables susceptibles de rendre l’industrie agro-alimentaire attractive pour les investisseurs. L’importance de l’industrie agro-alimentaire n’est pas suffisamment soulignée, les allocations budgétaires à l’agriculture sont inadaptées et les cadres juridiques et réglementaires inappropriés conduisent

à des impôts multiples sur les intrants et les produits agricoles. Il faut aussi noter que depuis l’indépendance, les pays africains ont, en politique, continué à poursuivre des programmes de libéralisation en vertu desquels ils ont réduit leur soutien à l’agriculture. Ce choix était fondé sur l’hypothèse erronée que les forces du marché récolteraient les mesures d’incitation ainsi créées. L’espoir que les forces du marché conduiraient à une efficacité agricole n’aurait pas dû surgir. Selon moi, ceci est resté un grand problème parce que le secteur privé, qui était censé combler le vide laissé par le gouvernement, n’était pas prêt. Que faudrait-il faire pour développer un secteur agro-alimentaire privé efficace et concurrentiel ? Les gouvernements doivent donner la priorité à de bonnes politiques et améliorer le climat pour l’investissement dans l’agro-industrie. Les investisseurs privés doivent disposer d’un bon environnement dans lequel opérer : un cadre transparent, des institutions solides, et un environnement réglementaire clair et efficace. Nous devons investir et construire des infrastructures qui permettront de préparer l’industrie agro-alimentaire en Afrique à un avenir où elle sera en mesure de proposer des prix bas et d’être concurrentielle sur les marchés des matières premières où, par rapport à nos producteurs, les producteurs d’autres pays ont un avantage certain en matière de prix bas. De nouveaux partenariats avec d’autres parties du monde permettraient à l’industrie agro-alimentaire africaine d’accéder et d’adopter de nouvelles technologies, et de trouver de nouveaux marchés ainsi que les investissements financiers nécessaires. Le secteur agro-alimentaire doit aussi libérer tout le potentiel des petites et moyennes entreprises qui constituent le socle du secteur privé africain. Reconnaître le plein potentiel des PME est essentiel pour optimiser au maximum la production du secteur privé et la création d’emplois. n

Bernstein, Ann – The Case for Business in Developing Economies Bowes, John (ed.) – The Fair Trade Revolution Cramer, Aron, and Karabell, Zachary – Sustainable Excellence: The Future of Business in a FastChanging World Halle, Mark – Crossing the Bridge to a carbon-neutral Society Hutchens, Anna – Changing Big Business: The Globalisation of the Fair Trade Movement Ocampo, José Antonio – Global Economic Prospects and the Developing World Oxfam International – Better Jobs in Better Supply Chains Reinert, Erik – How Rich Countries Got Rich… and Why Poor Countries Stay Poor Rodrik, Dani – The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy Ryan, Orla – Chocolate Nations. Living and Dying for Cocoa in West Africa Stiglitz, Joseph and Charlton, Andrew – Fair Trade for All: How Trade Can Promote Development Traidcraft – Material Concerns: How responsible sourcing can deliver the goods for business and workers in the garment industry Wales, Andy, Gorman, Matthew and Hope, Dunstan – Big Business, Big Responsibilities: From Villains to Visionaries: How Companies are Tackling the World's Greatest Challenges

FURTHER SURFING http://ictsd.org – The International Centre for Trade and Sustainable Development aims to influence the international trade system such that it advances the goal of sustainable development. http://sustainablecommodities.org – Discovering ways to ensure that sustainable practices are adopted into commodity production and trade to enhance social, environmental and economic welfare on a global scale. www.acici.org/aitic – The Agency for International Trade and Cooperation assists less-advantaged countries to effectively participate in the World Trade Organization (WTO) and in the multilateral trading system. www.cdkn.org – The Climate and Development Knowledge Network supports developing countries in tackling the challenges posed by climate change. www.dw-world.de/dw/0,,13279,00.html – Deutsche Welle’s Ideas for a Cooler World www.intracen.org – The International Trade Centre helps developing and transition countries achieve sustainable human development through exports. www.maxhavelaar.ch/en – Fair trade with the Max Havelaar Foundation. www.panaac.org – A private sector platform promoting sustainable agribusiness and agro-industry in Africa through enhanced productivity and competitiveness at national, regional and global levels. www.shippingefficiency.org – A free-access, beta datahub designed for ship owners, operators, ports, insurance companies, shipbrokers and other stakeholders, to factor in vessel efficiency information when making business decisions. www.southsouth.info – A community of professionals dedicated to South-South cooperation, knowledge exchange and learning for development. www.unido.org/index.php?id=o51261 – Trade capacity building with UNIDO

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MakingIt L’industrie pour le développement

Un magazine trimestriel pour stimuler le débat sur les problèmes du développement industriel global


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