MakingIt 2e trimestre 2011
L’industrie pour le développement
n Les solutions
à la coca n Nestlé : la création de valeur partagée n Efficacité énergétique n Vandana Shiva n Éthiopie
L’agribusiness : de la ferme à la table
Numéro 1, décembre, 2009 l Rwanda means business: interview with President Paul Kagame l How I became an environmentalist: A small-town story with global implications by Phaedra Ellis-Lamkins, Green For All l ‘We must let nature inspire us’ – Gunter Pauli presents an alternative business model that is environmentally-friendly and sustainable l Old computers – new business. Microsoft on sustainable solutions for tackling ewaster l Green industry in Asia: Conference participants interviewed l Hot Topic: Is it possible to have prosperity without growth? Is ‘green growth’ really possible? l Policy Brief: Greening industrial policy; Disclosing carbon emissions
Numéro 2, avril, 2010 l Après Copenhague » : Bianca Jagger appelle à des mesures immédiates pour éviter une catastrophe climatique l Nobuo Tanaka de l’Agence internationale de l’énergie cherche à lancer la transition énergétique de l’industrie l L’énergie pour tous » : Kandeh Yumkella et Leena Srivastava nous parlent des mesures à prendre pour améliorer l’accès à l’énergie l Ces femmes entrepreneuses qui transforment le Bangladesh l Partout sous le soleil » : le PDG de Suntech, Zhengrong Shi, nous parle du pouvoir de l’énergie solaire l Sujet brûlant : les avantages et les inconvénients des biocarburants l Politique en bref : le financement des énergies renouvelables, les prix de rachat garanti
Numéro 3, juillet 2010 l L’impressionnant essor économique de la Chine : Entretien avec le ministre du commerce, Chen Deming l Jayati Ghosh au sujet de la politisation de la politique économique l « Vers un débat plus productif » – Ha-Joon Chang demande d’accepter l’idée que la politique industrielle peut fonctionner l Le président de la banque mondiale Robert Zoellick, au sujet de la modernisation du multilatéralisme l « Écologisation de l’économie mexicaine » – Juan Rafael Elvira Quesada l Sujet brûlant : La microfinance fonctionne-t-elle ? l Politique en bref : Secteur privé et développement ; le pouvoir des capitaux patients
Numéro 4, novembre 2010 l Renforcer la capacité productive – Cheick Sidi Diarra soutient que les PMA doivent, et peuvent, produire davantage de biens et de services de meilleure qualité l Milford Bateman nous parle des alternatives à la microfinance par la banque communautaire l Kiribati, petit pays, grand sacrifice : entretien avec le président Anote Tong l Un défi au pas de la porte – Le conseil mondial des entreprises pour le développement durable Patricia Francis nous parle du changement climatique et du commerce l Sujet brûlant : la pertinence de l'entrepreneuriat pour le développement économique l Politique en bref : Investissement dans les énergies renouvelables en Inde ; promotion des capacités d'innovation industrielle
Numéro 5, février 2011 l Une fenêtre d’opportunité pour le commerce mondial ? – Peter Sutherland évalue les possibilités de la conclusion d’un accord commercial multilatéral l En route vers une prospérité mutuelle – Xiao Ye se penche sur les échanges entre l’Afrique subsaharienne et la Chine l Développement compatible avec le climat – Comment éviter les conséquences négatives liées au changement climatique ? Article de Simon Maxwell l Timor oriental – De la dépendance à l’aide aux revenus des ressources – Entretien avec Son excellence le président José Ramos-Horta l Colin McCarthy remet en question l’approche de l’intégration régionale en Afrique l Sujet brûlant : Les représentants des secteurs du transport maritime et aérien tentent d’endiguer l’augmentation des niveaux de CO2 l Politique en bref : les normes privées ; une nouvelle approche de la croissance basée sur l’exportation ; la politique industrielle de l’UE
Un magazine trimestriel. Stimulant, critique et constructif. Forum de discussion et d’échange au carrefour de l’industrie et du développement.
Éditorial
Photo: Amit Dave/Reuters
Ce numéro de Making It : l’industrie pour le développement examine certains aspects du vaste concept d’agribusiness, souvent défini comme l’ensemble des activités de la ferme à la table, mais qui comprend également le traitement des matières premières en vue de la production de nombreux produits non alimentaires tels que le textile, le papier et le biocarburant. Le terme d’agribusiness recouvre l’approvisionnement en intrants agricoles, la production et le traitement de produits agricoles ainsi que leur distribution auprès du consommateur. L’agribusiness est un secteur qui compte de grandes sociétés comme les géants Cargill, Archer Daniels Midland (ADM) et Bunge, mais également de petites entreprises comme cet exploitant indien qui fait sécher le riz à l’aide de sa mobylette dans la photo ci-dessous. Comme l’a souligné Kanayo Nwanze, l’agribusiness est la solution à deux grands défis de notre époque : réduire la pauvreté chez les petits agriculteurs et nourrir la population croissante du monde. L’agribusiness représente l’espace crucial entre les 500 millions de petites exploitations agricoles et les sept milliards d’humains qui ont faim. Patrick Kormawa aborde ce thème dans le cadre de l’Afrique subsaharienne et expose un nouveau cadre de référence stratégique pour le développement de l’agribusiness capable de stimuler la croissance et de réduire la pauvreté sur le continent. Cependant, le secteur agro-industriel, s’étant développé au cours des dernières décennies, peut-il continuer à exister dans un monde de plus en plus préoccupé par les émissions de gaz carbonique, la pénurie d’eau et les menaces qui pèsent sur la biodiversité ? Dans ce numéro également, l’Égyptien Helmy Abouleish et l’Indienne Vandana Shiva mettent en avant les mérites des intrants de l’agriculture biologique ; Paul Bulcke, PDG de la plus grande entreprise agroalimentaire au monde, explique comment Nestlé participe à toutes les étapes de la chaîne de valeur agricole ; Guillermo García dévoile comment les produits agro-industriels peuvent représenter une solution viable à la coca en Colombie ; enfin, Johanna Sorrell se demande si la production d’huile de palme, en forte hausse, peut être durable.
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Sommaire
MakingIt L’industrie pour le développement
Éditeur : Charles Arthur editor@makingitmagazine.net Comité éditorial : Ralf Bredel, Tillmann Günther, Sarwar Hobohm, Kazuki Kitaoka, Wilfried Lütkenhorst (président), Cormac O’Reilly et Jo Roetzer-Sweetland Site Web et assistance : Lauren Brassaw outreach@makingitmagazine.net Illustration de la couverture : Dave Granlund Design : Smith+Bell, UK – www.smithplusbell.com Merci à Donna Coleman pour son aide Imprimé par Gutenberg Press Ltd, Malte – www.gutenberg.com.mt sur un papier certifié FSC Pour consulter cette publication en ligne et pour participer aux discussions portant sur l’industrie pour le développement, rendez-vous sur www.makingitmagazine.net Pour vous abonner et recevoir les prochains numéros de Making It, veuillez envoyer un e-mail contenant votre nom et votre adresse à subscriptions@makingitmagazine.net Making It: L’industrie pour le développement est publié par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienna International Centre, P.O. Box 300, 1400 Vienne, Autriche Téléphone : (+43-1) 26026-0, Fax : (+43-1) 26926-69 E-mail : unido@unido.org Copyright © 2011 The United Nations Industrial Development Organization Aucun extrait de cette publication ne pourra être utilisé ou reproduit sans l’accord préalable de l’éditeur ISSN 2076-8508 Les appellations employées et la présentation réalisée des contenus de ce magazine n’impliquent en aucun cas l’expression d’opinions de la part du Secrétariat de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) concernant le statut légal de quelconque pays, territoire, ville, région ou de ses autorités, ni concernant la délimitation de ses frontières ou limites, ni concernant son système économique ou son degré de développement. Les termes « développé », « industrialisé » et « en développement » sont utilisés pour des raisons de commodité statistique et n’exprime pas nécessairement de jugement sur le niveau de développement atteint par un pays ou une région en particulier. L’évocation de noms d’entreprises ou de produits commerciaux ne constitue en aucun cas un soutien de la part de l’ONUDI. Les opinions, données statistiques et estimations contenues dans les articles signés relèvent de la seule responsabilité de l’auteur ou des auteurs, y compris ceux qui sont membres ou employés de l’ONUDI. Vous ne devez donc pas considérer qu’elles reflètent les opinions ou qu’elles bénéficient du soutien de l’ONUDI. Ce document a été produit sans avoir été officiellement révisé par les Nations Unies.
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FORUM MONDIAL 6 Lettres 8 Un printemps arabe pour les femmes ? Lina Abou-Habib se demande si les révolutions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord peuvent permettre l’émancipation économique des femmes ou si le patriarcat maintiendra son emprise 10 Sujet brûlant : l’efficacité énergétique entraîne-elle une augmentation de la consommation d’énergie ? Jesse Jenkins et Harry Saunders décrivent l’importance de l’effet rebond, tandis que Marianne MoscosoOsterkorn avance l’idée que les mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique sont toujours justifiées 16 Affaires des affaires– Actualités et tendances ARTICLES 18 Le secteur agroalimentaire : un moyen pour l’Afrique de sortir de la pauvreté – Patrick Kormawa soutient que pour réduire la pauvreté, il est essentiel de passer à un modèle de croissance fondé sur le développement du secteur agroalimentaire
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Numéro 6, 2e trimestre 2011
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30 22 Comment décrocher de la coca – Guillermo García explique comment le passage à une agriculture industrielle peut aider les paysans colombiens à abandonner la culture de la coca pour se tourner vers des activités légales et plus sûres ARTICLE PRINCIPAL 24 Nourrir un monde surpeuplé – Selon Kanayo Nwanze, il faut offrir aux petits exploitants agricoles l’opportunité d’agir en tant qu’entrepreneurs plutôt qu’en simples spectateurs dans les nouveaux marchés potentiellement fructueux qui se développent 30 ‘Création de Valeur Partagée’ pour la société et les actionnaires – Le PDG de Nestlé, Paul Bulcke, reconnaît que le succès de l’entreprise dépend de la création d’une valeur ajoutée pour toutes les personnes concernées 32 Une agriculture pour l’avenir – Pour Helmy Abouleish, directeur général du groupe SEKEM d’Égypte, l’agriculture biodynamique est la seule façon de parvenir à une compétitivité à long terme
34 Zoom sur un pays : Éthiopie – En passe de tracer sa propre voie Il y a, selon Peter Gill, de véritables raisons d’être optimiste, et le Premier ministre Meles Zenawi fait part de sa vision du développement durable en Éthiopie 38 L’huile de palme peut-elle être durable ? – Johanna Sorrell examine les différentes options de l’industrie de l’huile de palme 40 Rester en vie – Entretien avec Vandana Shiva, militante pour l’environnement POLITIQUE EN BREF 42 Crises alimentaires : on recherche des architectes 43 Le conditionnement : la solution pour plus de nourriture et pour un plus grand développement économique 44 Biocarburants : éthique et politique 46 Le mot de la fin – Andy Sumner parle du « nouveau milliard d’en bas » MakingIt 5
GLOBAL FORUM
LETTRES La prospérité pour qui ? Dans le numéro 5, Lucy Muchoki explique que l’industrie agroalimentaire africaine est menacée par « la concurrence des marchés étrangers qui sont généralement puissamment protégés et subventionnés ». Elle relate également que l’agroalimentaire africain doit « concurrencer, sur le marché des produits de base à bas prix, les producteurs d’autres pays qui ont acquis en termes de coût un fort avantage sur nos producteurs locaux. » Cette situation est le résultat direct du cadre régissant le commerce international que Peter Sutherland tente avec tant d’énergie de préserver. Pour Sutherland, « la prospérité découle de notre dépendance économique mutuelle ». La prospérité pour qui ? l Janice Jones, Banjul, Gambie
Timor oriental L’entretien avec le président Ramos-Horta est excellente. C’est inhabituel et original de voir un leader politique s’exprimer aussi franchement. Tous mes vœux vont au président et au Timor oriental. J’espère que le pays pourra continuer à incarner la façon dont les revenus du pétrole et du gaz peuvent être mis au service de l’intérêt de toute la population. l Jane Godwin, reçu par courrier électronique
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Photo: José H . Meirelles
La section « Forum Mondial » de Making It est un espace d’interaction et de discussions, dans lequel nous invitons les lecteurs à proposer leurs réactions et leurs réponses à propos de tous les problèmes soulevés dans ce magazine. Les lettres destinées à la publication dans les pages de Making It doivent comporter porter la mention « Pour publication » et doivent être envoyées par courrier électronique à l’adresse : editor@makingitmagazine.net ou par courrier à : The Editor, Making It, Room D2138, UNIDO, PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Les lettres ou les courriers électroniques peuvent faire l’objet de modifications pour des raisons d’espace).
Ramos-Horta, président du Timor oriental : « il est original de voir un leader politique s’exprimer aussi franchement. »
équilibre qui rend l’information accessible aux personnes comme moi. Je pense que votre démarche consistant à publier un large éventail de points de vue sur un même sujet permet vraiment au lecteur de se forger sa propre opinion. Je suis impatiente de découvrir le prochain numéro sur l’agribusiness et notamment de lire des articles sur l’impact de cette industrie sur la population et ses moyens d’existence. l Émile Potolsky, reçu par courrier électronique
Moins cher, plus rapide, plus sûr
Une nouvelle approche J’ai aimé le bref article intitulé « Industrie textile : une nouvelle approche » (Making It, numéro 5) au sujet de l’usine d’Alta Gracia en République dominicaine, où les travailleurs ont le droit de se syndiquer et reçoivent un salaire qui leur permet de vivre. J’ai été particulièrement frappé par les dernières lignes de l’article qui indiquent que les autres entreprises du village prospèrent parce que les travailleurs de l’usine d’Alta Gracia gagnent suffisamment d’argent pour qu’il en reste une fois les nécessités de base couvertes. Ils dépensent leur argent et les autres entreprises en profitent. Il semble évident que le versement de salaires décents ait des répercussions bénéfiques sur
l’économie à un niveau supérieur, mais cette idée n’a manifestement jamais fait son chemin chez les « experts » de la Banque mondiale et du FMI qui continuent de faire pression sur des pays comme Haïti pour qu’ils maintiennent les salaires au niveau le plus bas possible afin d’attirer l’exploitation étrangère... pardon, l’investissement étranger. l Jean-Baptiste Jean, Montréal, Canada
Le juste équilibre J’ai toujours un grand plaisir à lire les articles du magazine Making It ainsi que ceux qui semblent être exclusivement publiés sur le site. J’apprécie notamment l’équilibre entre les recherches et les rapports présentés dans les articles d’une part, et les auteurs de haut niveau que vous choisissez d’autre part,
Je suis choqué de lire que les « verts » britanniques, en dépit de la catastrophe survenue au Japon, maintiennent que l’énergie nucléaire est la seule alternative aux combustibles fossiles (site web du magazine Making It). Ils devraient relire les propos d’Amory Lovins, vétéran de l’écologie et analyste énergétique : « Les centrales nucléaires sont si longues et coûteuses à construire qu’elles réduisent et retardent la protection du climat. Je vous explique. Chaque dollar dépensé dans un nouveau réacteur achète 2 à 10 fois moins d’économies carbone, et 20 à 40 fois plus lentement, que le même dollar dépensé dans une solution moins chère, plus rapide et plus sûre qui rend l’énergie nucléaire à la fois inutile et contraire à l’intérêt économique : cette solution peut être une utilisation plus efficace de l’électricité, la production de chaleur et d’électricité dans des usines ou des bâtiments (cogénération) et les énergies renouvelables. » l Şemseddin Sami, commentaire sur le site Internet
Pour toute discussion complémentaire relative aux sujets évoqués dans Making It, veuillez accéder au site Web du magazine, à l’adresse www.makingitmagazine.net et à la page Facebook du magazine. Les lecteurs sont invités à parcourir ces sites et à participer aux discussions et aux débats en ligne à propos du secteur pour le développement.
J’ai récemment parcouru le numéro 2 de votre magazine (« Le vent du changement ») et j’ai trouvé que c’était un excellent complément au débat sur la façon de, selon vos propres termes, « favoriser les activités productives en alimentant les outils, les machines et les processus de fabrication par des moyens ayant un impact moindre, ou nul idéalement, sur notre environnement ». Le terrible tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé le Japon en mars sont un puissant témoignage de la force extraordinaire de la nature. Les causes des tremblements de terre sont sans rapport avec l’intervention humaine, mais nous savons que le réchauffement climatique accroît la fréquence des événements météorologiques extrêmes et donc les probabilités de subir de nouvelles catastrophes, à l’image de celles qui ont touché Haïti, le Chili, la Nouvelle-Zélande et maintenant le Japon. Il me semble que la catastrophe nucléaire provoquée par le tsunami à la centrale de Fukushima au Japon est la preuve que nous devons remettre en question notre dépendance toujours plus grande vis-à-vis du nucléaire dans la réduction des émissions de CO2. Voilà de possibles « vents du changement » qui me donnent tant d’émotions. Lorsque le président japonais Naoto Kan a annoncé que son pays allait abandonner les projets d’extension de l’industrie nucléaire, la nouvelle a évidemment été bien accueillie. Il a déclaré : « ...il est
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Photo: Stinne Vallø Ertmann
Un vent de malheur
Je prends depuis longtemps plaisir à lire Making It et à m’informer des dernières problématiques du développement industriel. J’ai récemment remarqué que le magazine était également disponible sous forme numérique sur le site web. Au vu des efforts visant à réduire l’utilisation de papier pour le bien de l’environnement, je souhaiterais contribuer en lisant le magazine en ligne plutôt que dans sa version imprimée. Je souhaiterais donc demander la résiliation de mon abonnement au magazine papier. l Dr Antonis Gitsas, Vienne, Autriche
Eau
nécessaire de s’orienter vers la promotion des énergies naturelles et renouvelables telles que le vent, le solaire et la biomasse ». l Steven Sedgley, Nottingham, Royaume-Uni
Making do J’ai le plaisir d’annoncer la publication de mon livre gratuit, Making Do: Innovation in Kenya’s Informal Economy, qui tente d’approfondir notre compréhension des systèmes d’innovation entourant les ingénieurs-entrepreneurs de petite échelle en Afrique. Cette compréhension peut nous permettre de mieux collaborer pour l’industrialisation du Sud
et améliorer nos propres travaux ici au Nord – un message qui, je le pense, trouvera un écho favorable au sein des communautés de Making It et de l’ONUDI. C’est le premier ouvrage consacré à l’innovation locale en Afrique en plus de 15 ans et j’espère atteindre un public le plus large possible afin de provoquer le débat et de d’encourager l’action parmi les communautés de la conception, de l’entreprise et du développement. C’est pour cela que Making Do est disponible gratuitement en ligne : http://analoguedigital.com/ makingdo l Steve Daniels, New York, États-Unis
L’eau est une problématique de premier plan et je suis surpris qu’elle n’ait pas encore été mentionnée dans une édition de Making It. Quelle place cette ressource épuisable occupe-t-elle dans le développement industriel durable ? D’après l’Organisation mondiale de la santé, le problème empire avec la croissance des villes et des populations ainsi que la consommation toujours plus importante de l’agriculture et de l’industrie. Continuer d’utiliser sans compter cette ressource et bien d’autres au nom de la croissance économique revient à mordre la main qui nous nourrit. Je crois que Making It pourrait lancer un débat pertinent sur la question de l’utilisation et de l’abus des ressources ainsi que sur les solutions pour remédier à un système qui encourage ces attitudes. l Peter Lund, reçu par courrier électronique
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Lina Abou-Habib se demande si les révolutions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord peuvent permettre l’émancipation économique des femmes ou si le patriarcat maintiendra son emprise.
Un printemps arabe pour les femmes ? Au cours des derniers mois, le spectacle des révolutions populaires en marche au MoyenOrient et en Afrique du Nord (MOAN) a été une expérience à la fois passionnante et surréaliste. En effet, au fil des jours et des semaines, nombre de mes prévisions et prédictions se sont avérées fausses. Dans le cas de la Tunisie, j’étais véritablement convaincue que le soulèvement n’entraînerait aucun changement radical et qu’en l’absence d’alternative viable, Ben Ali et ses sbires conserveraient le pouvoir. J’avais tort... et c’est la même chose en Égypte. Qui aurait pu imaginer que l’oligarque tout-puissant et sa famille abandonneraient le pouvoir ? Les événements ont effectivement pris un tour à la fois passionnant et surréaliste. Toutefois, ce qui m’a plus frappée encore est ce qu’une amie féministe d’Égypte a décrit comme « des changements sociaux radicaux et profonds ». Comme beaucoup d’autres, elle affirmait que « les femmes sont
omniprésentes » et « [qu’]il n’y a absolument aucun incident de harcèlement sexuel sur la place Tahrir ». Les médias du monde entier ont filmé et acclamé la participation visible des femmes dans toutes les manifestations de la révolution égyptienne. Pendant un instant de l’histoire, la société a paru dépasser la violence sexiste, les préjugés et la discrimination à l’égard des femmes. Pendant un instant de l’histoire, de nombreuses femmes d’Égypte ont fait l’expérience de l’égalité, du leadership collectif et de la participation pleine et entière à la vie publique et politique. Pendant cet instant, leurs voix et leurs gestes ont compté. Certaines organisations de femmes ont cherché à saisir cet instant. Dans un passé peu éloigné de nous, les femmes qui avaient participé aux mouvements de libération et de lutte contre les forces coloniales ont été rapidement oubliées et remises à leur place, à
LINA ABOU-HABIB est la fondatrice et la directrice du Collective for Research and Training on Development-Action (Collectif pour la recherche et la formation sur l’action pour le développement) (CRTDA), basée à Beyrouth et travaille dans tout le monde arabe. Elle est la présidente de l’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID).
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la maison... Une autre collègue féministe m’a dit qu’elles s’efforçaient, de manière systématique, de « prendre des photos, recueillir des témoignages et documenter avec force détails ce que les femmes avaient fait pour rendre cette révolution possible... pour ne pas oublier ». Mais nous avons oublié. L’activité politique qui a suivi le renversement du dictateur est apparue presque entièrement conduite par les hommes. Lors de la Journée internationale des droits de la femme, le 8 mars, des centaines de femmes se sont rassemblées place Tahrir pour réclamer un rôle plus important dans la construction de leur nouveau pays. Elles ont été attaquées par des hommes furieux qui leur ont crié de rentrer chez elles. Quels que soient les responsables et les raisons qui les ont motivés à commettre des actes aussi haineux, ce fut un triste rappel que l’égalité entre les sexes et les droits des femmes ne sont en rien garantis. Au-delà des différentes analyses de ces incidents et de leurs causes, beaucoup d’entre nous ont choisi de les interpréter comme un rappel violent que les femmes ne doivent pas et ne peuvent pas occuper la sphère publique. Si la simple présence des femmes dans la sphère publique n’est ni acceptée ni tolérée par certains et qu’elle n’est ni protégée ni défendue par beaucoup d’autres qui ont combattu pour la révolution, le changement et la transformation, alors quel avenir attend les femmes dans l’ère post-révolution ? La participation des femmes dans la région MOAN a toujours été extrêmement faible, en particulier au niveau de la vie politique mais
aussi dans le secteur économique formel. Les institutions sociales patriarcales et les valeurs, les pratiques et même le cadre légal qu’elles véhiculent sont des instruments efficaces et puissants pour le maintien des femmes dans une position de dépendance et de subordination. En dépit des diverses réformes et pseudo-réformes appliquées ces dix à vingt dernières années, les tribunaux religieux qui traitent les affaires familiales ne reconnaissent et ne codifient toujours pas le concept d’égalité. Le foyer est invariablement considéré comme une institution sacrosainte et intouchable ; dans la plupart des cas et pratiquement partout, cela signifie que toutes les formes de discrimination à l’égard de femmes et de violation de leurs droits peuvent avoir lieu dans une impunité quasi totale. Les institutions économiques de la région MOAN sont loin d’être égalitaires et d’offrir un accès égal aux femmes et aux hommes. Inégalité des salaires, discrimination sur le lieu de travail, plafonds de verre, harcèlement sexuel, pénalisation des rôles maternels et familiaux des femmes, travail de sape ancestral vis-à-vis du leadership féminin... tous ces facteurs contribuent à l’exclusion des femmes de la sphère économique. En Égypte par exemple, les femmes sont principalement représentées dans le secteur agricole, fort peu réglementé, où le travail des femmes est souvent confondu, inconsciemment ou non, avec leurs autres tâches domestiques, non négociables et non reconnues. Dans les secteurs plus prospères et mieux payés des services, de l’industrie et du commerce, la participation des femmes est de moins de 13 % et elles sont peu visibles dans les échelons supérieurs de direction. La participation des femmes au sein du secteur informel, non réglementé et souvent assimilable à de l’exploitation, atteint 46 % en Égypte, ce qui renforce l’invisibilité des femmes. En Tunisie, malgré une meilleure réputation en matière d’égalité entre les sexes, le sort des femmes n’est pas bien meilleur : elles constituent 55 % de la maind’œuvre dans l’agriculture mais sont moins de 22 % dans le secteur des services ! Si l’exclusion et la discrimination à l’égard des femmes dans la région MOAN, comme dans bien d’autres régions, constituent un phénomène établi et institutionnalisé qui se
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manifeste autant dans le foyer que dans les institutions sociales plus vastes, y compris celles de l’État, alors quel changement les révolutions apportent-elles aux femmes ? La question la plus cruciale qui vient à l’esprit est sans doute la suivante : le vent nouveau du changement qui continue de souffler sur la région MOAN est-il porteur d’un véritable projet, d’une volonté sincère, d’un engagement vis-à-vis de l’égalité entre les sexes ? En d’autres termes, les révolutions remettent-elles en question le caractère prétendument sacré de la sphère privée ? Est-ce qu’elles reconnaissent les femmes comme des citoyennes à part entière, quel que soit l’endroit où elles se trouvent, à la maison, au travail ou dans la sphère publique ? Les inégalités continueront-elles d’être protégées par l’impunité ou serontelles combattues ? Et dans ce dernier cas, comment ? Allons-nous vers l’intériorisation, l’appropriation et la pratique d’une citoyenneté inclusive ? La diversité sera-t-elle respectée et défendue ? Les droits sexuels et le droit des femmes sur leur propre corps deviendront-ils une réalité ?
Pour résumé, comment, et sur quelle base, les nouveaux États émergents vont-ils reconstruire des institutions sociales qui ne soient pas patriarcales ? Comment les institutions sociales de la région MOAN seront-elles tenues pour responsables de l’égalité des sexes, surtout dans un contexte où le simple concept de responsabilité de l’État vis-à-vis des citoyennes et des citoyens est, en soi, une nouveauté ? À ce moment de l’histoire, cinq mois après le début de la « Révolution de jasmin » en Tunisie et son effet de contagion dans toute la région, il est impossible de regarder dans une boule de cristal et de prédire si ces bouleversements apporteront plus ou moins d’opportunités, d’emplois, de liberté et d’émancipation aux femmes et aux filles. Toutefois, on peut dire sans crainte que si l’on ne pose pas ces questions difficiles, et sans une volonté sincère de remettre en question, de transformer et de contrôler les institutions patriarcales, l’égalité entre les sexes ne restera qu’un rêve lointain pour les femmes de la région MOAN. n
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Plus efficace
SUJET BRÛLANT
L’efficacité énergétique entraîne-t-elle une augmentation de la consommation d’énergie ? En février 2011, le Breakthrough Institute a publié un examen complet des études existantes et des preuves d’un effet de rebond, étude qui a conclu qu’une grande partie des économies d’énergie issues de gains d’efficacité énergétique à moindre coût est érodée par un effet de rebond de la demande. Dans certains cas, le rebond dépasse l’économie réalisée, si bien que le gain d’efficacité entraîne une augmentation de la consommation d’énergie dans un effet de retour de flamme.
JESSE JENKINS et HARRY SAUNDERS décrivent l’importance de cet effet de rebond. En réponse à cela, MARIANNE MOSCOSO-OSTERKORN, directrice générale du Renewable Energy and Energy Efficiency Partnership (Partenariat pour l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique) (REEEP) avance l’idée que l’efficacité énergétique offre des avantages considérables sur le plan économique et sur celui de la sécurité énergétique, et que des mesures visant à l’améliorer sont toujours justifiées.
Repenser le rebond et l’efficacité
JESSE JENKINS est le directeur de la Politique énergie et climat du Breakthrough Institute et l’auteure principale, aux côtés de Ted Nordhaus et de Michael Shellenberger, de Energy Emergence: Rebound and Backfire as Emergent Phenomena (Émergence énergétique : le phénomène émergent du rebond et du retour de flamme). HARRY SAUNDERS est le directeur exécutif de Decisions Processes Incorporated, cabinet de conseil spécialisé dans la gestion d’entreprise et la prise de décision, et c’est un membre éminent du Breakthrough Institute. L’efficacité énergétique est largement considérée comme un moyen peu coûteux de réduire la consommation d’énergie et les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les politiques d’efficacité
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Moins efficace énergétique figurent en bonne place dans les boîtes à outils de nombreux gouvernements nationaux, d’agences internationales de développement et d’ONG. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) comme le Groupe intergouvernemental d’étude des changements du climat (GIECC) estiment que ce sont les mesures d’efficacité énergétique qui donneront les meilleurs résultats dans l’effort de réduction des émissions, nécessaire pour stabiliser le climat mondial. C’est surtout dans les économies émergentes que l’on met l’accent sur l’efficacité, car obtenir un meilleur rendement énergétique en diminuant la consommation semble, dans ces pays, la meilleure voie vers une croissance durable et la réduction du risque climatique.
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On trouve aujourd’hui des indications de score d’efficacité énergétique dans de nombreux bâtiments neufs ainsi que sur les appareils électroménagers et électroniques.
A B C D E F G Toutefois, de récentes recherches et de nouveaux rapports rédigés par chacun d’entre nous mettent en avant un phénomène économique puissant mais largement négligé, qui exige de repenser globalement l’efficacité énergétique et son rôle dans les stratégies d’atténuation du changement climatique et de développement durable : l’effet de rebond. Des mesures véritablement rentables d’efficacité énergétique ont pour effet de baisser le prix de revient des services dérivés de la consommation de carburant (chauffage, climatisation, transports, processus industriels, etc.), ce qui entraîne une hausse de la demande chez les consommateurs et les industriels. On observe d’autres effets indirects sur l’ensemble de l’économie : les consommateurs dépensent l’argent économisé grâce à l’efficacité énergétique en
achetant d’autres produits et services consommateurs d’énergie, les secteurs industriels s’adaptent aux changements du prix relatif des produits finaux et intermédiaires, si bien qu’une productivité énergétique accrue stimule la croissance économique dans son ensemble. Pris collectivement, ces mécanismes économiques entraînent un rebond de la demande en services énergétique. Et ce rebond peut éroder une bonne partie, quand ce n’est pas la totalité, des réductions attendues de la consommation d’énergie et surtout des indispensables diminutions des émissions de gaz à effet de serre. De plus, les effets de rebond sont souvent plus prononcés dans les secteurs productifs de l’économie comme l’industrie et l’agriculture, et dans les économies émergentes du monde.
Tout sauf linéaire et direct Ces effets de rebond vont à l’encontre d’une hypothèse fondamentale de l’analyse et des prévisions conventionnelles en matière d’énergie et de climat : l’idée qu’une amélioration de l’efficacité énergétique entraîne une réduction linéaire, directe, « un pour un » de la consommation globale de l’énergie. Les estimations des réductions de la consommation d’énergie et des émissions rendues possibles par un gain d’efficacité sont généralement dérivées de modèles d’ingénierie verticaux et de la détermination des opportunités de gain d’efficacité disponibles dans chaque secteur économique. Les analystes additionnent ensuite les mesures d’efficacité disponibles dans chaque secteur pour déterminer les gains possibles pour l’économie dans son ‰
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SUJET BRÛLANT ‰ ensemble, puis soustraient ces gains d’efficacité à des prévisions de consommation d’énergie basées sur le maintien des activités à l’identique. Cette méthode de base est au cœur des stratégies largement répandues de McKinsey and Company, de l’AIE et du GIECC. Le plus grave est que ces études n’envisage aucun effet des gains d’efficacité énergétique sur l’activité économique ou la demande en services énergétiques. De cette façon, on considère qu’un pourcentage donné de gain d’efficacité entraîne simplement et directement une réduction de la consommation totale d’énergie selon un pourcentage équivalent et égal. Pourtant, en réalité, l’économie est tout sauf directe, linéaire et simple, surtout lorsqu’elle réagit à des variations dans les prix relatifs des produits et des services. Lorsqu’un produit, un service ou un intrant de production voit son prix diminuer, les consommateurs et les entreprises en utilisent plus, lui trouvent de nouveaux usages rentables et, surtout, réinvestissent les économies réalisées dans d’autres activités productives. Dans le même temps, toute amélioration nette de la productivité énergétique contribue à la croissance économique.
Il n’y a pas de paradoxe Souvent appelé « paradoxe de Jevons » d’après l’économiste britannique qui a, le premier, observé ce mécanisme dans un traité de 1865, l’effet de rebond est en fait le produit de principes économiques bien connus : l’élasticité de la demande, la substitution et la contribution de la productivité à la croissance économique. Les économistes n’avanceraient jamais, par exemple, qu’une amélioration de 10 % de la productivité de la main-d’œuvre aurait pour effet de réduire la demande globale en maind’œuvre de 10 % dans l’ensemble de l’économie. À l’échelle d’une usine ou d’une chaîne d’assemblage, l’amélioration de la productivité de la main-d’œuvre peut éventuellement permettre au site de fonctionner avec quelques employés en
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moins dans l’atelier. Pourtant, encore une fois, une productivité accrue de la maind’œuvre réduit le coût de production, augmente la demande pour les produits concernés et ouvre de nouveaux marchés peu rentables auparavant. Elle libère de l’argent qui peut être réinvesti dans d’autres domaines de production et crée de nouveaux emplois dans d’autres secteurs d’activités. Toutes ces dynamiques entraîne un rebond de la demande de main-d’œuvre. Au niveau macroéconomique, on sait que l’amélioration de la productivité de la maind’œuvre est un moteur de croissance économique, qu’elle crée de nouvelles manières rentables d’utiliser le travail et qu’elle augmente le nombre d’emplois global plutôt qu’elle ne le réduit. En dépit des hypothèses simplifiées qui caractérisent les prévisions et les analyses énergétiques, la réalité est que l’énergie ne se comporte pas différemment de la main-d’œuvre, des matières premières ou du capital.
Le rebond sera sans doute plus puissant dans les régions où on l’étudie le moins Des dizaines d’études universitaires ont examiné les données empiriques, réalisé des enquêtes de modélisation et évalué l’échelle des effets de rebond. L’ampleur de l’effet de rebond varie selon le type d’amélioration de l’efficacité énergétique et le secteur économique concerné. Il semble toutefois que les cas ayant fait l’objet des recherches les plus intenses soient précisément ceux dans lesquels le rebond était le plus faible : l’amélioration de l’efficacité dans les services énergétiques destinés aux consommateurs finaux, dans les économies riches et développées. Cela inclut les gains d’efficacité dans le transport des personnes, le chauffage et la climatisation des logements ainsi que les appareils électriques domestiques. Dans ces économies, des consommateurs relativement riches bénéficient déjà pleinement de la plupart des services énergétiques ou n’en sont pas loin. Un consommateur n’a pas vraiment avantage à chauffer son logement au-delà d’une température ambiante confortable, même si l’efficacité du chauffage s’améliore. L’augmentation directe de la demande pour ces services énergétiques, due à la baisse de leur prix apparent, est donc relativement
modeste et n’érode généralement que 10 à 30 % de l’économie d’énergie d’origine, voire moins. En prenant en compte les effets indirects et macroéconomiques supplémentaires, le rebond total de la demande en énergie peut éroder 25 % à 33 % des économies d’énergie issues des mesures d’efficacité destinées aux utilisateurs finaux dans les pays développés. Toutefois, la consommation de services à destination des utilisateurs finaux dans les nations les plus riches du monde est loin d’être symptomatique des tendances de l’économie globale. En fait, c’est ailleurs que l’on trouve les effets de rebond les plus importants : dans les secteurs productifs de l’économie qui consomment la majeure partie de l’énergie quel que soit le pays, et dans les économies émergentes qui abriteront l’essentiel de la future croissance de la demande énergétique.
Les économies émergentes À l’opposé de la situation des pays les plus riches, la demande en services énergétiques
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Image: Siemens
L’efficacité énergétique peut réduire les coûts de fonctionnement des terminaux à conteneurs. Siemens Drive Technologies a amélioré les fonctions de commande des grues portiques sur pneus, obtenant ainsi une réduction de 70 % dans la consommation de carburant.
est loin d’être saturée dans le monde en développement. Il faut rappeler qu’environ un tiers de la population mondiale ne dispose pas d’un accès suffisant aux services énergétiques modernes de base. Dans les économies émergentes, le coût et la disponibilité des services énergétiques est souvent le principal frein à leur utilisation. La demande est donc bien plus élastique (réactive aux variations de prix) et les effets de rebond ont une ampleur bien plus grande que dans les économies développées. Tout cela explique l’envergure de l’effet de rebond. Très peu d’études ont soigneusement examiné les dynamiques de rebond dans les économies en développement, mais celles qui l’ont fait ont observé que le seul effet de rebond était de l’ordre de 40 à 80 % pour les services énergétiques à destination des consommateurs finaux comme l’éclairage et la cuisson des aliments ; ce chiffre est deux fois plus élevé que les rebonds équivalents observés dans les pays plus riches. Comme le reconnaît de nombreuses études sur le développement, l’accès à de
nouveaux services énergétiques modernes est aussi le principal moteur des dynamiques de développement. Que ces services soient assurés en augmentant la quantité de combustible brûlé, l’efficacité de la combustion ou les deux (scénario le plus vraisemblable), le résultat est le même : une activité économique plus intense et un progrès du confort, qui exige plus d’énergie en retour. Les analystes énergétiques doivent donc se montrer prudents lorsqu’ils généralisent des expériences ou des intuitions sur les effets de rebond dans les pays riches et développés pour les étendre aux populations qui vivent dans les économies émergentes. L’ombre du paradoxe de Jevons plane encore sur la majeure partie du monde en développement.
Les secteurs productifs Il est également indispensable d’étudier en profondeur l’effet de rebond faisant suite aux gains d’efficacité dans les secteurs productifs (industrie, commerce et agriculture), étant donné que deux tiers environ de l’énergie du
monde est consommée par la production et le transport des produits et services, ainsi que par le raffinement, le traitement et l’acheminement de l’énergie aux points d’utilisation finaux. Toutefois, les études actuellement disponibles indiquent que les effets de rebond directs sont bien plus importants dans les secteurs productifs que dans les usages finaux (entre 20 et 70 % plus importants, tout du moins dans le contexte des États-Unis) et qu’il faut y ajouter les effets indirects et macroéconomiques. Les effets de rebond dans les secteurs productifs dépendent principalement de la capacité des entreprises à réorganiser leurs facteurs de production (main-d’œuvre, capital, équipement et diverses matières) pour mieux profiter des services énergétiques devenus plus abordables (un processus que les économistes appellent substitution des intrants ou des facteurs). Si, à long terme, il est relativement facile pour les entreprises de remplacer certains facteurs de production par des services énergétiques à l’efficacité croissante, les effets de rebond directs peuvent être considérables. C’est particulièrement vrai pour les décisions liées à la construction de nouvelles capacités de production, et nous devons donc nous attendre à constater un rebond plus prononcé dans les secteurs productifs à forte croissance des économies émergentes. Des mécanismes supplémentaires viennent gonfler l’ampleur du rebond : les produits devenus moins chers font l’objet d’une demande accrue et la productivité économique globale augmente.
Où cela nous mène-t-il ? Les stratégies conventionnelles visant à atténuer le changement climatique reposent largement sur l’efficacité énergétique. Ainsi, dans un scénario de stabilisation du climat mondial publié par l’AIE en décembre 2009, l’agence estime que les mesures d’efficacité pourraient permettre de réaliser environ la moitié des réductions d’émissions nécessaires. Pourtant, du point de vue du climat ou de la conservation des ressources mondiales, l’effet de rebond nous fait reculer d’un pas (voire plus) à chaque fois que nous ‰ en faisons deux grâce à une meilleure
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SUJET BRÛLANT ‰ efficacité. C’est surtout le cas dans l’ensemble du monde en développement et dans les secteurs productifs de l’économie mondiale. Une vision claire des effets de rebond exige donc une réévaluation fondamentale du rôle de l’efficacité énergétique dans les efforts visant à atténuer le changement climatique. Sans une détermination précise et rigoureuse des effets de rebond, on risque de surestimer la capacité de l’efficacité énergétique à produire des réductions durables de la consommation des ressources et des émissions de gaz à effet de serre. Il est indispensable de mettre l’accent sur l’autre levier d’action à notre disposition : la décarbonisation des ressources énergétiques mondiales par le déploiement et l’amélioration des sources d’énergies à faible émission de CO2. Sinon, la communauté internationale restera dangereusement éloignée de ses objectifs en matière d’atténuation du changement climatique. Mais dans le même temps, nous pouvons réaffirmer le rôle des efforts d’accroissement de l’efficacité énergétique dans le relèvement du niveau de vie des populations et le développement économique mondial. L’exploitation du plein potentiel de l’efficacité énergétique pourrait bien être le pivot faisant basculer un monde plus pauvre et moins efficace vers plus de richesse et d’efficacité. Ce basculement est naturellement l’option la plus souhaitable même si le monde utilise plus ou moins la même quantité d’énergie dans les deux cas. La poursuite de toutes les opportunités d’efficacité énergétique doit donc être maintenue comme composant clé de la marche vers le développement mondial, même si nous devons réévaluer le capacité de ces mesures à contribuer aux efforts visant à atténuer le changement climatique. n
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Les nombreux avantages de l’efficacité énergétique MARIANNE MOSCOSO-OSTERKORN est la directrice générale du Renewable Energy and Energy Efficiency Partnership (Partenariat pour l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique) (REEEP), un partenariat international qui s’efforce d’éliminer les obstacles entravant l’adoption des technologies d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique et qui concentre d’abord son action sur les marchés émergents et les pays en développement. Le rapport du Breakthrough Institute intitulé Energy Emergence: Rebound and Backfire as Emergent Phenomena met en lumière les défis et les complexités associés à l’évaluation de l’impact global des mesures d’efficacité énergétique. Les conclusions sont complexes, et elles sont sujettes à l’interaction de nombreux facteurs différents parmi lesquels la croissance économique, la consommation d’énergie, la technologie, les comportements et les effets de rebond. Malheureusement, les hypothèses employées ne sont pas entièrement vérifiables et les différents modèles produisent des résultats très variables, ce qui tend à dévaluer les conclusions suggérées. Les effets globaux de l’efficacité énergétique peuvent en effet être débattus à l’aide de nombreuses méthodes théoriques et de modélisation visant à mesurer les rebonds directs et indirects. Mais cet argumentaire oublie de mentionner les nombreux avantages de l’efficacité énergétique en dehors de l’atténuation du changement climatique, avantages qui doivent être pris en considération. L’efficacité énergétique entraîne un accroissement de la productivité et des résultats économiques, fait baisser la pénurie et la facture énergétique et surtout – point essentiel – elle renforce la sécurité de l’approvisionnement en énergie. Si l’on s’en tient strictement à l’argument climatique, il serait plus intéressant de se
poser la question suivante : l’état actuel du climat ne serait-il pas beaucoup plus grave si les mesures d’efficacité énergétique n’avaient pas été mises en place par le passé ? Selon l’Agence internationale de l’énergie, des économies considérables ont déjà été réalisées au cours des 20 dernières années ; pour l’agence, la demande mondiale en énergie serait 50 % supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui sans ces mesures d’efficacité. Cet effet doit être pris en compte lorsque l’on évalue l’impact climatique des mesures d’efficacité énergétique actuellement en place.
La Californie débraye Des exemples comme celui de la Californie montrent que les juridictions qui assurent activement la promotion de l’efficacité énergétique peuvent présenter une courbe énergétique contrastant nettement avec celle de leurs voisins immédiats. On observe aujourd’hui que le Californien moyen ne consomme que 60 % de l’énergie consommée en moyenne par un Américain, preuve s’il en est que l’efficacité énergétique est effectivement parvenue à dissocier la croissance de la consommation d’énergie de la croissance économique dans l’un des États les plus peuplés des États-Unis. Et cette tendance n’est pas qu’un éclair passager : elle se poursuit depuis plus de quatre décennies. L’exemple de la Californie montre qu’en dépit de tous les arguments liés à l’effet de rebond, de réelles économies d’énergie ont eu lieu. Il n’a pas été nécessaire de construire de nouvelles centrales coûteuses et toute l’économie en a profité. L’expérience californienne montre également que les programmes d’efficacité énergétique ont des effets pédagogiques qui produisent des changements durables dans les comportements au fil du temps, une tendance que l’on observe également dans
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Projet du REEEP pour l'efficacité énergétique dans un pays insulaire du Pacifique.
Photo: SPC Applied Geoscience and Technology Division
plusieurs pays d’Europe et d’Asie. Certes, d’aucuns pourraient affirmer que ce phénomène n’apparaît que dans des marchés saturés où les besoins énergétiques des populations sont déjà satisfaits, mais aucune étude n’est actuellement en mesure de fournir des données fiables pour soutenir cet argument.
Un aspect d’un ensemble plus vaste Ce que l’expérience concrète nous montre, c’est que les mesures d’efficacité énergétique semblent avoir une efficacité maximale lorsqu’elles sont mises en œuvre dans le cadre d’un ensemble d’activités intégrant de nouvelles technologies, des systèmes d’incitation, une démarche éducative, un renforcement des capacités et la sensibilisation du public. Ces types de programmes intégrés ont entraîné des réductions importantes de la consommation d’énergie. Le programme holistique d’efficacité énergétique mis en place au Japon après la première crise énergétique dans les années 1970 en est un autre exemple probant. D’une façon très comparable à la Californie, le Japon est parvenu à dissocier presque entièrement la consommation d’énergie et la croissance du PIB. Des études montrent également que des programmes d’efficacité énergétique ciblant à la fois les consommateurs finaux et l’industrie produisent des effets considérables dans les pays en développement et à revenus intermédiaires comme la Thaïlande et les Philippines. La Thaïlande a lancé en 1994 une initiative d’efficacité énergétique concernant les appareils électriques, qui est depuis devenu un système obligatoire parfaitement fonctionnel qui couvre plus de 50 appareils, éclairages et équipements. Selon l’étude menée par la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique sur l’efficacité énergétique, le programme d’étiquetage et de normes thaïlandais était, en septembre 2009, responsable de 10 175 gigawatt-heures d’économies d’énergie, de 1 725 MW d’économies de capacité en période de pointe et de 6,6 millions de tonnes de réduction de CO2. Aux Philippines, les normes obligatoires et l’étiquetage des appareils de climatisation ont permis d’économiser 6 MW de capacité pendant la
première année du programme. Dernier exemple : le Programme national d’échange de tubes fluorescents du Ghana, lancé en 2007, a réduit la demande en période de pointe pesant sur les systèmes électriques distendus du pays, et a fait baisser la facture d’électricité pour les consommateurs appartenant majoritairement aux classes de revenus les plus faibles. Grâce au remplacement de six millions d’ampoules dans les foyers ghanéens, des économies de 124 MW par an en période de pointe et une réduction des émissions de CO2 de 112 320 tonnes ont été réalisées. Ainsi, l’économie énergétique globale a été de 33 millions de dollars américains.
Économies d’énergie Ces exemples puisés dans les pays à faibles revenus mettent en évidence que les programmes d’efficacité énergétique visant les consommateurs finaux ont un réel impact en termes d’économies nettes sur les systèmes électriques nationaux dans les pays en développement, notamment grâce à la réduction de la demande en période de pointe. Il semble que ces économies ne soient pas absorbées par l’augmentation de la consommation, en particulier à ce moment de la journée. En effet, même si certaines de ces économies peuvent être utilisées à un
autre moment, les bienfaits pour le système énergétique national et les réductions d’émissions de CO2 ne sont pas amoindris. Les économies réalisées contribuent à réduire l’approvisionnement coûteux des systèmes de pic de charge, essentiellement basés sur les combustibles fossiles. La technologie n’est pas à elle seule la solution, et oui, les possibles effets de rebond des mesures d’efficacité énergétique doivent être pris en compte par les décideurs dans le cadre d’une estimation réaliste de l’impact de ces mesures sur la réduction du CO2. Mais cet effet environnemental, dont l’envergure est plus que jamais sujette à débat, est un contreargument qui ne prend en compte qu’un seul élément. L’expérience concrète démontre clairement que l’efficacité énergétique produit des bienfaits considérables sur le plan économique et en matière de sécurité énergétique, et donc que les mesures qui visent à l’améliorer sont toujours justifiées. Bien sûr, d’autres mesures telles que la décarbonisation de la production énergétique globale doivent également être mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique, mais les programmes d’efficacité énergétique renforcent la sensibilisation des populations aux questions énergétiques et constituent donc un premier pas décisif pour sauver la planète. n
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l’inflation. Il faut surtout noter que les pays développés sont mieux placés pour résister à une faible croissance. Par exemple, le fait que des emplois supplémentaires soient créés et que les consommateurs continuent à dépenser (malgré la hausse des carburants) est un signe de la santé économique aux ÉtatsUnis venant équilibrer des chiffres de PIB probablement décevants au premier trimestre. La croissance récente dans la zone euro a également été étonnamment robuste, notamment grâce à l’économie allemande qui reste le moteur de la région. Aucun de ces facteurs ne permet de minimiser les risques persistants,
pesant sur la croissance globale. Malgré la correction récente du marché, les niveaux élevés des prix du pétrole restent une source d’inquiétude. Des niveaux élevés du pétrole ou la poursuite de l’augmentation des prix auront une incidence négative sur la croissance économique. Les pressions inflationnistes sont généralement une source d’anxiété. La crise de la dette dans la zone euro est également loin d’être résolue. Les évolutions dans cette région pourraient déstabiliser les marchés financiers et remettre en cause la reprise globale. La production industrielle au Japon s’est effondrée à la suite du tsunami du 11 mars, et a eu un impact négatif sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Par ailleurs, dans les marchés émergents, les efforts réalisés par la Chine pour ralentir son économie créent une incertitude particulière. Ses politiques seront-
bien et ne peut être utilisée pour la cuisine. On estime que l’état du Bihar produit 1,8 milliard de kilos d’enveloppes de riz par an. La plus grande partie se dégrade dans les champs en émettant du méthane, qui est un gaz à effet de serre.
Husk Power Systems prévoit d’étendre ses capacités et ses centrales pour disposer de 2 000 centrales en fonctionnement à la fin de l’année 2014. Le pays compte 100 000 villages qui ne sont pas raccordés au réseau
tendances n L’économie mondiale s’est ralentie au cours des derniers mois mais l’Economist Intelligence Unit prévoit un prolongement de la reprise faisant suite à la Grande récession des années 2008-2009. Différents facteurs sont sources de préoccupations, notamment le prix élevé des matières premières, l’instabilité au Moyen Orient et en Afrique du Nord, la rupture des chaînes d’approvisionnement consécutive à la catastrophe ayant eu lieu au Japon et une politique monétaire plus exigeante dans de nombreux pays. Mais les fondements sous-jacents à une reprise durable semblent toujours être en place.
On attend une croissance du PIB mondial pour l’année 2011 de 4,3 % par an. Ce chiffre est légèrement plus faible que l’année précédente, au cours de laquelle la reconstitution des stocks et les mesures extraordinaires de relance initiée par les décideurs politiques de nombreux pays ont permis de créer une croissance de près de 5 %. L’accroissement cyclique lié à ces mesures étant à présent derrière nous, il revient à l’économie mondiale de croître sans soutien. Les perspectives sont, en règle générale, relativement bonnes. Les marchés émergents se portent toujours bien même si de nombreux pays luttent pour contenir
QUESTIONS ÉCONOMIQUES
Une petite société en forte croissance basée dans le Bihar, l’état le plus pauvre de l’Inde, a perfectionné puis commercialisé un système permettant de transformer en électricité, l’enveloppe des grains de riz ; ce système permet ainsi d’approvisionner des villages éloignés à l’aide d’une source d’énergie propre et fiable. La société, Husk Power Systems, a créé un processus à partir d’un déchet courant, l’enveloppe des grains de riz ; il s’agit de la chauffer jusqu’à ce qu’elle se décompose sous forme de gaz puis d’utiliser les gaz pour alimenter un moteur produisant de l’électricité. La première centrale de production de gaz a été créée en 2007 et Husk Power dispose à présent de 65 usines fournissant de l’électricité à environ 180 000 personnes qui utilisaient auparavant le kérosène comme source d’éclairage. Chaque centrale peut alimenter de 400 à 500 ménages pendant 7 à 8 heures par jour, à un prix de 80 roupies seulement – soit environ 1,75 dollars mensuels par ménage. Dans le Bihar rural, on utilise
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Photo: Acumen Fund
Une révolution dans l’électricité
tout ce qui peut être utilisé mais l’enveloppe de riz représente une exception. Lorsque le riz est blanchi, le cœur extérieur ou l’enveloppe du riz est éliminée, et comme l’enveloppe du riz est riche en silice, elle ne brûle pas
elles efficaces et si tel est le cas, est-ce une bonne chose ? Un ralentissement en Chine aurait une incidence négative sur de nombreux pays. Les bouleversements du « printemps arabe » continuent également de se faire ressentir, et créent, à maints égards, des risques économiques et géopolitiques. (Economist Intelligence Unit) n La croissance des richesses, la modification des habitudes alimentaires et l’augmentation de la consommation alimentaire dans les pays en développement – ainsi que l’accroissement de la population mondiale – favorisent l’augmentation croissante de la demande en denrées agricoles telles que le sucre, les graines de soja et la viande. Par conséquent, les perspectives sont excellentes pour les agriculteurs, les éleveurs, les transformateurs – en particulier, au
Brésil et dans une moindre mesure en Argentine. Les opportunités sont considérables. Des marchés historiquement fragmentés comme le bétail et le sucre, commencent à se consolider, ce qui permet ainsi aux entreprises de réaliser des économies d’échelle. De nouvelles sources de financement permettent aux acteurs de surmonter des marchés financiers de tout temps insuffisamment développés. La demande accrue pour des énergies propres et abordables crée des opportunités non-traditionnelles comme la production et l’exportation de biocarburants. Le sol et les conditions météorologiques favorables en Argentine et au Brésil créent un environnement idéal pour la culture et l’élevage. Par exemple, les ressources du Brésil en terres arables sont considérables et représentent
4 100 000 kilomètres carrés – soit environ la taille de l’Union Européenne avant l’ajout de la Bulgarie et de la Roumanie – et seulement 17 % de ces terres sont actuellement utilisées. Ainsi, le Brésil pourrait-il plus que doubler son niveau d’utilisation sans endommager la forêt tropicale du pays. Les pays comme la Chine, l’Inde et les États-Unis disposent tous des terres cultivables moins importantes et des taux d’utilisation bien plus élevés. Pour sa part, l’Argentine, dispose de 1 700 000 de kilomètres carrés de terres agricoles et sa pampa s’étend sur 760 000 kilomètres carrés de terres agricoles et de pâturages qui sont parmi les plus fertiles au monde. La combinaison de ces ressources naturelles exceptionnelles avec de faibles coûts du travail permet d’expliquer comment le Brésil est devenu le plus important producteur mondial de jus d’orange
congelé, de cannes à sucre, de volaille, de bœuf et de café et le deuxième plus grand producteur de graines de soja. L’Argentine est le premier producteur d’huiles et de farines de soja et un acteur majeur pour la production des graines de soja et de bœuf. En 2005, le Brésil et l’Argentine se plaçaient respectivement à la 6e et à la 13e place en termes de valeurs à l’exportation. L’incidence du secteur agroalimentaire sur les économies du Brésil et de l’Argentine est profonde. En 2006, le secteur agroalimentaire représentait 36 % des exportations du Brésil et 52 % de celles de l’Argentine (respectivement, pour un montant de 49 milliards de dollars et de 24 milliards de dollars). De plus, dans les deux pays, le secteur agroalimentaire et les activités associées génèrent environ un tiers du PIB. (McKinsey Quarterly)
L’Indonésie est idéale pour les entrepreneurs
électrique, d’après le ministère indien pour les Énergies nouvelles et renouvelables. Selon ce ministère, vingt mille villages sont si éloignés qu’ils ne peuvent être raccordés par l’extension du réseau électrique.
Selon la BBC, l’Indonésie est le pays idéal pour les entrepreneurs souhaitant démarrer une entreprise. Elle est suivie par les États-Unis, le Canada, l’Inde et l’Australie dans le classement des pays offrant le meilleur soutien aux nouvelles entreprises. Les résultats sont tirés d’une enquête réalisée auprès de 24 000 personnes dans 24 pays. Il a été demandé aux personnes si l’innovation était fortement valorisée dans leur pays ; s’il était difficile pour des gens comme eux de démarrer une entreprise ; si les personnes qui le font, sont bien considérées ; et si des personnes ayant des idées ingénieuses pouvaient généralement les appliquer. La combinaison de toutes ces réponses sous forme d’un indice unique classe l’Indonésie en première place pour les entrepreneurs. Toutes les économies développées où l’enquête a été réalisée obtenaient des scores bien supérieurs à la note moyenne, à l’exception de l’Italie, qui a obtenu un résultat nettement inférieur. Mais de nombreuses économies en développement se sont aussi avérées être favorables aux entrepreneurs – les pays comme l’Inde, la Chine et le Nigeria ont également été perçus par leurs
propres habitants comme des lieux relativement propices aux nouvelles entreprises. Au niveau des régions, les quatre pays de l’Asie orientale et du Pacifique ayant fait l’objet de l’enquête ont reçu des notes élevées. Les trois pays de l’Afrique subsaharienne ont tous également affiché des résultats au-dessus de la moyenne. En Amérique Latine, le Mexique et le Pérou ont obtenu d’assez bons résultats mais le Brésil et la Colombie restaient nettement
Classement des 10 « nations les plus favorables aux entrepreneurs » 1 Indonésie 2 États-Unis 3 Canada 4 Inde 5 Australie 6 Nigeria 7 Chine 8 Kenya 9 Mexique 10 Philippines Résultats de l'enquête de BBC World Service, publiés le 25 mai 2011
en-dessous de la moyenne. L’enquête ne fournit pas de preuves sur les raisons motivant les personnes interrogées et à certains égards, les résultats sont cohérents avec les perceptions largement répandues des pays en question. Par exemple, les États-Unis ont une culture favorable au secteur privé et un secteur public plus limité que de nombreux pays d’Europe occidentale. Le pays est perçu comme un endroit favorable aux entrepreneurs. La Russie qui a obtenu un faible score dans cette enquête, est perçue à l’échelle internationale comme un pays où l’état est trop enclin à intervenir dans la vie économique. Mais il y a des surprises. Le droit du travail en France est relativement strict et dans cette enquête le pays est considéré comme un endroit propice à une nouvelle entreprise. Les problèmes du Nigeria en matière de corruption ne l’ont pas empêché d’obtenir de meilleures performances dans cette enquête que la plupart des pays. L’enquête a été menée pour BBC World Service par la société de sondage Globescan, en association avec le programme de l’Université du Maryland sur les attitudes en matière de politique internationale.
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Patrick Kormawa soutient que pour réduire la pauvreté, il est essentiel de passer à un modèle de croissance fondé sur le développement du secteur agroalimentaire.
Le secteur agroalimentaire :
On estime que la population de l’Afrique a atteint 1,4 milliards en 2010, avec les conséquences qu’on peut imaginer en termes de sécurité alimentaire, d’urbanisation croissante, et d’emploi des jeunes. Les pays africains ont un besoin urgent de se concentrer, à nouveau, sur leurs stratégies de croissance agricole et économique. L’agriculture du continent est nettement sous-capitalisée, avec des niveaux de mécanisation et de valeur ajoutée extrêmement faibles. La moyenne de 13 tracteurs pour cent kilomètres carrés de terres arables en Afrique est faible comparée à la moyenne mondiale (200/100km2 de terres arables) et de celle d’autres régions en développement telles que l’Asie du Sud (129/100km2 de terres arables). Le même raisonnement s’applique à l’irrigation : l’Afrique subsaharienne (ASS) dispose seulement de 4 % de terres arables cultivables et permanentes contre 39 % en Asie du Sud et 11 % en Amérique Latine et dans les Caraïbes. La part actuelle de l’industrie agroalimentaire dans le PIB est très faible. Les données de la Banque Mondiale indiquent que le niveau de la production agroalimentaire en Thaïlande correspond à celle de la région de l’Afrique subsaharienne dans son ensemble ; alors que celle du Brésil représente pratiquement quatre fois celle du continent africain. Il faut également noter que dans tous les pays africains sauf deux (l’Afrique du Sud et le Zimbabwe), la part de l’agriculture dans le PIB dépasse de 10 points celle de l’industrie
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agroalimentaire, ce qui souligne l’incapacité de la région à apporter de la valeur ajoutée à la production agricole. Cette relative incapacité à produire et à traiter des denrées agro-industrielles, limite l’étendue de l’industrialisation, et indique que ces pays ne parviennent pas à tirer parti des opportunités qui leur permettraient de créer de la valeur ajoutée et des emplois. Là où la transformation d’une tonne de produits agricoles génère une valeur ajoutée d’environ 180 USD dans les pays à revenus élevés, elle ne crée que 40 USD dans les pays africains. En outre, alors que 98 % de la production agricole des pays à revenus élevés connaît une transformation industrielle, cette proportion n’est que de 30 % dans les pays africains. Les zones rurales des pays africains disposent d’une activité et d’une capacité de production agricole limitées. Ainsi, les pays de l’Afrique subsaharienne en particulier subissent-ils d’importantes pertes après les récoltes, en particulier pour les denrées périssables telles que les fruits et les légumes. Ces pertes atteignent en moyenne 35 à 50 % de la production totale réalisable. Pour les céréales, ces pertes varient entre 15 et 25 %. PATRICK KORMAWA est l’un des experts séniors de l’ONUDI pour le développement du secteur agroalimentaire et est actuellement en charge du bureau régional à Abuja au Nigeria. Il est corédacteur d’Agribusiness pour la prospérité de l'Afrique , publié par l’ONUDI en 2011.
Bien que la production agro-industrielle à forte valeur ajoutée et non-traditionnelle destinée à l’exportation fournisse à certains pays africains des opportunités commerciales de plus en plus nombreuses et dynamiques, le principal facteur de hause de la demande dans les pays d’Afrique subsaharienne est, et demeurera le marché domestique et régional. Compte tenu des facteurs démographiques et de l’évolution des habitudes de consommation des produits agricoles, alimentaires ou non, les marchés domestiques et le commerce intracontinental se maintiendront à des niveaux élevés ; ils représenteront plus des trois quarts de la valeur totale du marché sur l’ensemble du continent et les marchés domestiques représenteront à eux seuls 80 % de la valeur totale du marché dans des régions telles que l’Afrique orientale. L’industrie agroalimentaire emploie une main d’œuvre importante et crée des emplois dans les activités agro-industrielles, notamment pour les entreprises qui quitteront à terme le pays au fur et à mesure du développement économique. Afin de récolter les bénéfices de la création d’emplois, il est important que les décideurs politiques et les partenaires de développement orientent leurs interventions sur l’ensemble de la chaîne de valeurs agroalimentaires, et pas uniquement sur l’agriculture en tant qu’activité isolée. Les stratégies agricoles ne peuvent se limiter – comme par le passé – à des stratégies orientées ‰
Photo: Sven Torfinn/Panos
UN MOYEN POUR L’AFRIQUE DE SORTIR DE LA PAUVRETÉ
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au développement de la chaîne de valeurs, doit jouer un rôle essentiel et fournir la dynamique d’entraînement pour les investissements. Une stratégie tournée vers le développement de l’industrie agroalimentaire, qui s’appuie sur une croissance plus forte de la productivité dans l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur, offre la meilleure opportunité de croissance économique rapide et étendue et de réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne. En effet, le développement des emplois dans l’ensemble des chaînes de valeur en amont de la fabrication agroindustrielle peut représenter l’un des moyens de sortir de la pauvreté pour les petits agriculteurs. Pour que cela ait une incidence réelle, une transformation structurelle doit se produite, impliquant un changement dans l’économie pour passer d’une production orientée vers la subsistance et le marché domestique à une économie moderne intégrée, fondée sur la spécialisation et l’échange, souvent basée sur des économies d’échelle. Les éléments hors exploitation agricole de l’industrie agroalimentaire et de la vente alimentaire au détail se développent en termes de valeur ajoutée et d’emplois, par rapport à la production au niveau des exploitations agricoles. Un tel changement est essentiel pour parvenir à réduire la pauvreté. Un à deux tiers des petits exploitants agricoles semblent en effet manquer de ressources pour « sortir de la pauvreté par les cultures ». Ils finiront donc par être obligés d’évoluer vers un emploi plus lucratif dans les autres secteurs émergents, comme l’industrie et les services du secteur agroalimentaire.
Photo: Aubrey Wade/Panos
‰ vers la production. La demande, en partie liée
Un nouvel espace pour la politique agricole Une nouvelle étude de l’ONUDI, Agribusiness pour la prospérité de l'Afrique, met en garde face aux dangers de « recycler des idées fausses ». L’un des risques est de croire que l’Afrique doit effectuer une Révolution verte similaires à celles qui ont touché l’Asie et l’Amérique Latine. On pourrait aussi bien déclarer que l’Afrique va connaître une révolution industrielle comme celle qui a eu lieu dans la région orientale de l’Asie. Rappelons que le monde a évolué depuis que ces événements se sont produits. Il faut également noter qu’on ne peut garantir que les modèles de croissance du développement agricole peuvent être répliqués avec succès en Afrique, actuellement ou à l’avenir, du fait de l’évolution de la technologie et des marchés. Ainsi, une nouvelle approche en matière de politique de développement agricole est-elle nécessaire. Elle doit consister essentiellement à s’éloigner des erreurs passées d’une croissance tournée vers la production, pour passer à une trajectoire de développement du secteur agroalimentaire qui tienne compte des besoins africains de développement économique et social. L’étude de l’ONUDI propose de concevoir un nouveau cadre stratégique pour que le développement agricole se fonde sur les sept piliers suivants :
Améliorer l’offre agricole en vue d’un apport de valeur ajoutée : Pour permettre à l’agriculture de devenir une voie de développement pour sortir
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de la pauvreté, il est essentiel que les pays africains soient pleinement intégrés à l’industrie agroalimentaire mondiale. Il est important de tirer les leçons de l’expérience politique des pays émergents. Dans ces pays, le développement de l’industrie agroalimentaire s’est fait grâce à des stratégies publiques et à des politiques délibérées mais ciblées, et au soutien et au développement institutionnel. Les principaux acteurs, notamment les décideurs nationaux et locaux ainsi que les partenaires de développement, doivent comprendre et trouver rapidement des solutions aux facteurs contribuant à des échecs commerciaux. Les pays africains doivent également cesser de voir l’agriculture à faible coût comme la solution miracle pour éradiquer la faim en Afrique au 21ème siècle. L’ère des prix
alimentaires bas est terminée. Les pays africains doivent adopter de nouvelles approches agricoles telle que « l’intensification durable » proposée dans Foresight. The Future of Food and Farming (2011). Cela ne sera possible qu’en mobilisant toutes les technologies et tous les apports agro-industriels modernes, la mécanisation et les cultures et élevages génétiquement modifiés en vue d’accroître la productivité. Améliorer les chaînes de valeur : L’amélioration de la compétitivité des exploitations agricoles et des sociétés, quelle que soit leur taille, sera essentielle. Les pays africains ont besoin d’investir dans des chaînes de valeur concurrentielles, prenant en compte les demandes et les exigences du marché local, régional et international. Les comités de
technologiques en faveur de l’industrie agroalimentaire : Il faut rapidement renforcer les politiques concernant les sciences, les technologies et l’innovation (STI), en mettant l’accent sur l’amélioration du mécanisme de coordination pour l’apprentissage et l’innovation, la promotion des systèmes d’innovation nationaux et régionaux, le renforcement du développement des ressources humaines, et l’amélioration des infrastructures STI en général. Il est essentiel de renforcer les liens entre les connaissances créées par les universités, leur mise en œuvre par les laboratoires et leur commercialisation par les entreprises privées.
Promouvoir un financement efficace et innovant : Il faut fortement développer les mécanismes traditionnels de financement : la mobilisation de ressources domestiques, les fonds souverains, le financement par les diasporas et les institutions financières en faveur du développement, du crédit-bail et de la collatéralisation. Certains instruments de financement, même les plus innovants comme l’atténuation des risques liés aux prêts bancaires par des systèmes d’assurance, le financement par le biais de grandes entreprises pilotes dans les chaînes de valeurs, les capitaux propres, le capitalrisque et les capitaux hybrides, ont montré qu’ils pouvaient fonctionner et doivent être explorés. Il faut noter ici que les conditions permettant la mobilisation et l’utilisation des ressources locales sont créées pour permettre « d’attirer » des investissements privés dans le secteur agroalimentaire.
Créer un environnement économique favorable : La création d’un environnement global permettant le développement et la promotion des entreprises agroalimentaires nécessite déjà un environnement commercial favorable, une stabilité macro-économique, des taux de change satisfaisants, des systèmes et des établissements financiers efficaces et une stabilité sociale, une bonne gouvernance, des accords de propriété foncière transparents, un climat propice aux affaires, etc..
Améliorer l’accès aux infrastructures et à l’énergie : Il est essentiel que le développement
participants des chaînes de valeurs pourraient jouer un rôle essentiel dans la coordination des fonctions et des activités des producteurs et des autres acteurs clés. Cela nécessiterait de promouvoir et développer des chaînes de valeurs efficaces en matière d’apport agricole, de mécanisation, de transformation et des industries agroalimentaires associées.
Exploiter la demande locale, nationale et internationale : De nombreux pays africains n’ont toujours pas accès aux dynamiques marchés agroalimentaires mondiaux du fait d’un manque de compétitivité et d’une incapacité à ajuster leur offre aux évolutions des marchés. A cet effet, Aid for Trade peut jouer un rôle essentiel afin de renforcer les capacités commerciales, dépasser les rigidités au niveau de l’offre pour déboucher sur
des opportunités commerciales et renforcer les normes et les systèmes de vérification. Il est également essentiel de promouvoir la coopération de l’industrie agroalimentaire par une réduction des barrières douanières et nontarifaires intra-africaines, en négociant la réduction de ces barrières avec le Sud et le Nord. Une nouvelle approche sera nécessaire pour stimuler la coopération agro-industrielle au sud dans le domaine de la participation à la chaîne de valeurs, le transfert de technologies et les investissements directs étrangers, ainsi que pour harmoniser la « priorité de la transformation des denrées de l’Afrique » avec les besoins en ressources de partenaires commerciaux majeurs comme la Chine.
Renforcer les efforts et les capacités
de l’industrie agroalimentaire soit mis en avant dans les régions où les infrastructures et les services énergétiques nécessaires sont disponibles et qui sont reliés aux couloirs de transport et autoroutiers. À cet effet, les partenariats public-privé seront particulièrement nécessaires. Les services de distribution d’énergie propre, renouvelable, à faible teneur en carbone et durable, et la réduction des émissions des gaz à effet de serre seront une part importante de la stratégie. La promotion des technologies de l’information et de la communication est également une condition préalable à la participation aux chaînes de valeur. Enfin, le mécanisme de développement propre qui privilégie les projets en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement pourrait jouer un rôle moteur dans les processus de diffusion de la technologie en Afrique et ainsi contribuer à la création d’emplois verts et d’opportunités d’investissement. n
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COMMENT DÉCROCHER DE LA COCA En Colombie, près de 100 000 paysans cultivent la coca. Les récoltes colombiennes de feuilles de cette plante servent de matière première pour produire la moitié de la consommation mondiale annuelle de cocaïne. Cette drogue représente chaque année un marché mondial de 88 milliards USD. Sur la base de ces chiffres, on pourrait penser que la culture de la coca est une activité lucrative que les paysans colombiens seraient peu disposés à abandonner. La vérité est bien différente. Les résultats des études sur le terrain indiquent que le revenu annuel net d’une famille de paysans vendant des feuilles de coca est à peine de 2 100 USD. En investissant dans les composés chimiques et la main d’œuvre supplémentaire nécessaires pour transformer les feuilles en pâte de coca, l’ingrédient principal de la cocaïne, il est possible de doubler ce revenu annuel. Même ainsi, il est évident que la production illicite de cette plante, loin d’offrir des bénéfices confortables aux paysans, leur permet à peine de subsister. Ce sont les intermédiaires et les trafiquants qui touchent le pactole. Un autre facteur qui contribue à faire de la culture des feuilles de coca un mode de vie aussi précaire en Colombie est la présence de groupes armés illégaux (guérilleros et paramilitaires) qui luttent pour le contrôle du commerce illicite de la cocaïne. Ces groupes ont le monopole de l’achat et de la vente de la pâte de coca. Ils extorquent des « taxes » aux trafiquants, aux laboratoires et aux circuits de transport de la cocaïne. Ils assurent aussi un contrôle territorial sur la production de coca et incitent aux cultures illicites dans leur zone d’influence. Pour finir, les paysans vivent en permanence sous la menace d’une éradication par le gouvernement de leurs cultures prohibées. Si on leur offrait une alternative acceptable, les infrastructures nécessaires et un accès à d’autres opportunités de vente, la plupart des familles abandonnerait volontiers la coca pour se tourner vers d’autres sources de revenus. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les programmes de développement alternatif menés par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) en Colombie et dans d’autres pays producteurs de substances illicites. En Colombie, le gouvernement, l’UNODC et d’autres partenaires internationaux ainsi que le secteur privé local soutiennent les associations de paysans qui abandonnent la culture de la coca pour se tourner vers d’autres productions : les
GUILLERMO GARCÍA est le coordinateur de projets en charge du développement alternatif en Colombie pour l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
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Guillermo García explique comment le passage à une agriculture industrielle peut aider les paysans colombiens à abandonner la culture de la coca pour se tourner vers des activités légales et plus sûres.
L’un des projets de développement alternatif de l’UNODC, dans le département de Putumayo en Amazonie, suit 256 familles qui cultivent 365 hectares de palmiers pêches, l’arbre à partir duquel sont récoltés les cœurs de palmier. Le cœur de palmier, la partie la plus tendre et délicate de l’arbre, possède un goût délicat et une texture douce. C’est un aliment organique naturel sans aucun additif artificiel, qui facilite la digestion grâce à son importante teneur en fibres naturelles. La France et l’Espagne sont les plus gros consommateurs mondiaux de cœur de palmier, mais la demande internationale pour ce produit est en pleine croissance. « Les cœurs de palmier de Putumayo » est la première marque sur le marché colombien. Elle est exportée en France, au Japon et au Canada.
haricots, le cacao, les cœurs de palmier, le café, le miel, les noix de coco, les produits laitiers ou les sauces gastronomiques par exemple. Le principe est de fournir aux cultivateurs des solutions alternatives légales et profitables, tout en améliorant les conditions de vie dans les zones rurales, villages et centres urbains des régions qui abritent les cultures illicites. Cette méthode d’intervention socio-économique s’est avérée des plus efficaces. Le développement alternatif ne consiste pas uniquement à remplacer un type de culture par un autre, mais aussi à bâtir avec la participation des paysans des modes de vie alternatifs qui s’inscrivent dans un cadre de légalité et de sécurité. Dans certains cas, le revenu que génère les productions alternatives n’est pas suffisant pour faire concurrence à celui de la coca, mais le développement alternatif réduit le niveau de violence et permet l’accès à des débouchés plus larges. La sécurité économique des cultivateurs s’en trouve ainsi améliorée. Deux types d’initiatives sont déterminants pour expliquer le succès des interventions de développement alternatif en Colombie. Les premières visent à augmenter les investissements dans les activités agricoles et les productions qui créent des revenus pour les paysans. Les secondes aident au développement de l’agriculture industrielle et du marketing afin de générer de la valeur ajoutée en transformant les récoltes en produits nouveaux et compétitifs. Dans le cadre d’un programme financé par la Banque interaméricaine de développement, l’UNODC aide les entreprises agricoles commercialement viables à placer leurs produits sur les marchés nationaux et d’exportation existants. L’aide fournie concerne des domaines comme la modernisation de la gestion et des pratiques, la qualité des produits, l’emballage, le marketing et la distribution. Le programme offre aussi son assistance pour accéder aux marchés spécialisés ou de niche, comme par exemple l’agriculture biologique et le commerce équitable. L’UNODC a réussi à signer des accords marketing avec les chaînes de supermarché d’ampleur nationale Carrefour et Casino, portant sur la vente de six produits fournis par cinq organisations de développement alternatif. Il s’agit des cœurs de palmier, du poivre noir, du miel d’abeille, du café, des barres de chocolat et des haricots. n
‘Hommage à Warhol’ par Lauren Brassaw
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Photo: Philippe Lissac/Godong/Panos
Nourrir un monde surpeuplé Les goûts alimentaires et les marchés agricoles connaissent actuellement de nombreux changements. Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à une multiplication rapide des supermarchés au niveau local et mondial, ainsi qu’au développement de chaînes de valeur consolidées pour les produits agricoles. Selon Kanayo Nwanze, il faut offrir aux petits exploitants agricoles l’opportunité d’agir en tant qu’entrepreneurs plutôt qu’en simples spectateurs dans les nouveaux marchés potentiellement fructueux qui se développent. >>>
KANAYO F. NWANZE a entamé le 1er avril 2009 son mandat de président du Fonds international de développement agricole, devenant le cinquième président de l'institution. Le FIDA travaille avec les personnes pauvres des milieux ruraux afin de leur permettre de cultiver et de vendre davantage d'aliments, d'augmenter leurs revenus et d'être acteurs de leur propre vie. Depuis 1978, le FIDA a investi plus de 12,5 milliards USD en subventions et prêts à faible taux d'intérêt en faveur des pays en développement, permettant à plus de 370 millions de personnes de sortir de la pauvreté. Basé à Rome, le FIDA est une institution financière internationale et une agence spécialisée des Nations unies. Ressortissant nigérian, M. Nwanze est un fervent partisan et leader du changement. Il possède plus de 30 années d'expérience, acquise dans trois continents, en matière de lutte contre la pauvreté par le biais de l’agriculture, du développement rural et de la recherche.
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À l’heure actuelle, plus de 900 millions de personnes sont victimes de faim chronique et enlisées dans la pauvreté. Si l’on se tourne vers l’avenir, ce problème semble plus grave encore. En 2050, plus de neuf milliards de personnes vivront sur cette planète. Pour pouvoir nourrir un monde surpeuplé et affamé, la production alimentaire devra enregistrer une hausse de 70 %. Nourrir les personnes les plus pauvres et les plus touchées par la famine constitue le défi de notre époque, mais avec un peu de créativité et d’engagement, il s’agit d’un défi que nous pouvons relever. La solution est entre les mains des personnes qui possèdent les 500 millions de petites exploitations agricoles à travers le monde. Celles-ci constituent l’essence même du développement agricole et la clé qui permettra de nourrir la planète à l’avenir. Il conviendra d’adopter une approche radicalement différente du développement agricole mondial et local si l’on souhaite pouvoir exploiter le potentiel de ces petits exploitants, bon nombre desquels vivent dans la pauvreté. Cette année, le Fonds international de développement agricole (FIDA) a publié le Rapport 2011 sur la pauvreté rurale, une synthèse globale des défis et des solutions susceptibles d’éliminer la pauvreté dans le monde en voie de développement. Le rapport se penche sur l’environnement actuel des petits exploitants, riche d’opportunités mais en proie à de nouvelles menaces. Les histoires des rares petits exploitants qui sont parvenus avec succès à se doter des technologies et à saisir de nouvelles opportunités contrastent nettement avec les situations désespérées dans lesquelles se trouvent des millions d’autres. L’émergence de chaînes de valeur et de supermarchés modernes dans le monde en développement risque d’élargir davantage ce fossé. Il est vrai que l’introduction de nouvelles technologies et de systèmes de marché sophistiqués, associée à la hausse de l’urbanisation, promet de répondre de manière satisfaisante à la demande croissante de produits agricoles tout en faisant sortir de la pauvreté des millions de personnes. Mais si ces forces du marché ne sont pas maniées correctement, elles pourraient retirer aux petits exploitants les ressources nécessaires pour résister à la marginalisation. Un secteur agricole florissant qui prenne en compte les petits exploitants et favorise une économie moderne et diversifiée requiert rien de moins qu’une révolution agroindustrielle. Une telle révolution doit avant tout faciliter le développement de liens étroits entre les marchés et les petits exploitants. C’est seulement ainsi que nous pourrons nous rapprocher du premier Objectif du millénaire pour le développement : réduire de moitié l’extrême pauvreté et la
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La production alimentaire devra être augmentée de 70 % d’ici à 2050. faim dans le monde d’ici à 2015. Cette stratégie axée sur les personnes avantage aussi bien les producteurs que les consommateurs. En favorisant des marchés à la fois modernes et intégrés et en aidant les petits exploitants démunis à en faire partie, nous pouvons améliorer la vie de millions de personnes victimes de la pauvreté de nos jours et nourrir la population mondiale de demain.
Évaluer la situation actuelle Pour beaucoup trop de petits exploitants, le quotidien est synonyme de lutte pour garder la tête au-dessus de l’eau, et leurs cultures représentent un moyen de survie, plutôt qu’une source de profits. Bien qu’ils fournissent 80 % des denrées consommées localement en Asie et en Afrique subsaharienne, nombre de ces agriculteurs se trouvent aux portes de la crise et se battent non pour aller de l’avant, mais tout simplement pour survivre. Sans outils ni techniques modernes, les récoltes sont souvent trop maigres pour générer des excédents. Les terres et l’eau se font de plus en plus rares et deviennent des ressources précieuses. En outre, le commerce est d’autant plus entravé que les infrastructures sont rares ou inexistantes et que peu de personnes achètent les produits issus des petites exploitations, notamment dans les zones les plus isolées.
Le FIDA tente de trouver des solutions à ces défis en posant deux questions clés : premièrement, peut-on attendre d’un agriculteur vivant dans le dénuement qu’il prenne un risque supplémentaire en investissant dans des cultures à meilleur rendement ? Deuxièmement, existe-t-il un moyen d’insérer les petits exploitants dans les marchés sans qu’ils soient confrontés à la marginalisation ? Nous pouvons répondre à l’affirmative à ces deux questions, anecdotes à l’appui. L’une de ces anecdotes est celle d’Ahmad Abdelmunem Al-Far, habitant du Caire devenu un entrepreneur à succès. Après avoir intégré un projet subventionné par le FIDA, dans le cadre duquel il s’est vu accorder une portion de désert récemment irrigué, l’accès à un financement par crédit, ainsi que des systèmes d’évacuation des eaux usées, de traitement des ordures et de micro-irrigation, Ahmad a su développer une activité prospère. Il produit actuellement des cultures parmi lesquelles les fèves, les oignons, les oranges, les poivrons verts et les pommes de terre, et a rejoint les 36 000 autres fermiers présents sur le marché. Ces projets sont couronnés de succès parce qu’ils reconnaissent les petits exploitants pour ce qu’ils sont : des entrepreneurs potentiels. En considérant les petites fermes comme des exploitations visant à réaliser des bénéfices plutôt qu’à attirer des subventions, nous pouvons constater des progrès remarquables. Le FIDA soutient des projets de ce genre dans les communautés rurales du monde entier, et dans toutes les régions, il nous est donné d’assister à de belles réussites comme celle d’Ahmad. Grâce à l’aide de nos partenaires, nous sommes en mesure de financer des projets permettant de développer les infrastructures locales, y compris les infrastructures du dernier kilomètre et les systèmes d’irrigation et de régularisation des eaux. Nous contribuons à réduire les pertes après récoltes et nous aidons les fermiers à améliorer la qualité de leurs produits.
S’engager pour le futur Ces améliorations sont cruciales au vu de la croissance des supermarchés en termes de taille et d’influence et au vu des chaînes de valeur consolidées modernes qu’ils ont créées au cours de ces dernières années. Ces supermarchés visent à offrir des produits de haute qualité à leurs clients et imposent des normes encore plus rigoureuses à leurs fournisseurs. En général, ils préfèrent s’approvisionner auprès d’un nombre réduit de grands fournisseurs, ce qui empêche aux petits exploitants de prendre pied sur ces marchés.
La transition de l’agriculture traditionnelle à l’agricuture moderne se révèle souvent des plus difficiles. Pour réussir, les petits exploitants ont souvent besoin de soutien en vue d’exploiter leurs fermes dans une optique commerciale et de bénéficier des opportunités du marché. Selon le Rapport 2011 sur la pauvreté rurale, les petits exploitants doivent dans le plupart des cas acquérir de nouvelles compétences et connaissances afin d’augmenter leur productivité et de répondre aux exigences du marché en termes de qualité et de normes phytosanitaires. Ils doivent également avoir un accès aux informations du marché en temps réel pour connaître les attentes du marché. Bien que les petits exploitants soient vulnérables lorsqu’ils opèrent seuls, ils peuvent faire preuve d’une grande efficacité lorsqu’ils rassemblent leurs forces et créent des associations de producteurs ruraux. Grâce à ces associations, ils peuvent effectuer des achats en gros d’intrants et unir leurs productions afin d’avoir davantage de poids lors des négociations avec les acheteurs et de s’assurer de ne pas être défavorisés dans les échanges commerciaux. Explorer le marché moderne devient bien moins intimidant lorsqu’on se sent mieux protégé. Les contrats formels peuvent renforcer la confiance que les petits exploitants placent dans le marché. Et tandis qu’on assiste à une demande croissante de produits transformés de la part des clients urbains, de nouvelles opportunités d’emploi sont créées pour les travailleurs ruraux et les petits exploitants. Il convient également de mettre l’accent sur l’accès au crédit, qui reste un élément déterminant permettant aux agriculteurs de participer aux nouvelles forces du marché et d’en tirer parti. De nombreuses banques travaillent désormais dans les communautés rurales pour aider les agriculteurs à gérer les risques liés à leur entrée sur le marché, et les entreprises de traitement agroalimentaire établissent des crédits à la production à leurs fournisseurs. La tendance à la hausse des emprunts a eu et continue d’avoir des résultats spectaculaires et, désormais, les petits exploitants doivent bénéficier d’un meilleur accès aux financements à long terme afin d’être plus confiants lorsqu’ils intègrent le marché.
Partenariats La possibilité d’un développement agricole à grande échelle dans les communautés rurales dépendra du concours de nombreux acteurs : décideurs et services publics, organisations de la société civile, organisations non gouvernementales et donateurs jouent tous un rôle essentiel pour permettre aux petits exploitants de participer de manière plus efficace aux chaînes de valeur modernes. Nous ‰
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« Pour pouvoir nourrir une population qui a faim, nous avons besoin que ces jeunes hommes et femmes deviennent de petits exploitants modernes et réalisent des bénéfices sur le marché. Cependant, ils doivent également se voir offrir des possibilités de travail rural non agricole. » ‰ savons que les gouvernements sont en mesure d’accroître les possibilités des petits exploitants qui vendent leurs produits sur les marchés locaux et mondiaux, et nous savons qu’ils peuvent en outre augmenter les dépenses publiques en faveur de l’agriculture. Les investissements du secteur privé peuvent faciliter l’accès des petits exploitants aux marchés et contribuer à mettre en œuvre des politiques qui incluent leurs produits au lieu de les exclure. Les donateurs peuvent encourager les agriculteurs à s’organiser et à faire en sorte d’obtenir des contrats équitables dans les chaînes de valeur. Enfin, les gouvernements, les donateurs et le secteur privé sont tous susceptibles de rendre la gestion des petites exploitations viable pour les femmes et les jeunes. De nos jours, nombre de petits exploitants jouissent d’opportunités sans précédent leur garantissant la réussite économique et le développement agricole. La formation, l’organisation et les infrastructures peuvent permettre de faire sortir des millions de personnes démunies de la pauvreté. Les femmes, les hommes et les jeunes issus de milieux ruraux pourraient enfin voir se matérialiser le concept d’agriculture rentable et, par la même occasion, la possibilité d’offrir à leurs familles de meilleurs logements, de meilleurs soins de santé et une meilleure éducation. À mesure que de nouveaux petits exploitants prennent pied dans les marchés modernes, l’expérience nous dit qu’une économie rurale prospère ne saurait tarder.
Des communautés rurales prospères La croissance agricole est le moteur de la croissance économique. Cette vérité a traversé les siècles et la planète, de l’Angleterre du XVIIIe siècle à la Chine du XXe siècle en passant par le Japon du XIXe siècle. Le développement du secteur agricole est synonyme d’une vie rurale dynamique, aussi bien à la ferme qu’en dehors. Soixante pour cent de la population rurale mondiale se situe entre 15 et 24 ans, et parmi ces jeunes, nombreux sont ceux qui seront confrontés à un choix : rester dans leur zone rurale pour y travailler ou chercher un emploi dans les villes. Pour pouvoir nourrir une population qui a faim, nous avons besoin que ces jeunes hommes et femmes restent dans leurs communautés d’origine et deviennent membres à part entière de l’économie rurale. Nous avons besoin qu’ils deviennent de petits exploitants modernes et réalisent des bénéfices sur le marché. Cependant, ils doivent également se voir offrir des possibilités de travail rural non agricole. Chaque dollar investi dans l’agriculture génère entre 30 et 80 cents de revenus secondaires dans l’économie. Ceci démontre qu’une agriculture rentable est essentielle non
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Près d’Arusha, République unie de Tanzanie. Travailleurs au milieu des serres d’une entreprise qui produit, cultive et développe des graines pour les exporter à des maraîchers et agriculteurs européens.
seulement dans l’intérêt du secteur agricole lui-même, mais aussi dans l’intérêt de l’environnement économique au sens large. La naissance d’une demande locale pour les biens et les services entraîne la création d’emplois non agricoles et le développement d’une industrie de transformation à petite échelle, ce qui stimule en retour la croissance agricole.
Photo: Sven Torfinn/Panos
Tournés vers un avenir plein de promesses Il suffit d’observer les fermiers ruraux du Ghana, de la République unie de Tanzanie et du Viêt Nam pour comprendre à quel point les petits exploitants sont essentiels à la croissance agricole et économique dans le monde en développement. En effet, la croissance du PIB générée par l’agriculture est au moins deux fois plus efficace dans la réduction de la pauvreté que la croissance des autres secteurs. C’est en investissant durablement dans la chaîne de valeur que nous pourrons progresser sur le chemin de la réussite et faire en sorte que l’agriculture devienne une manière encore plus efficace de réduire la pauvreté dans les communautés rurales. Les décennies à venir apporteront des changements réels et fondamentaux au mode de vie des petits agriculteurs et à la manière dont ils font tourner leurs exploitations. Les risques sont visibles, mais les possibilités abondent. Les défis soulevés par le changement climatique sont réels et nous devons nous assurer que nos efforts s’inscrivent dans une logique de développement durable sur le plan environnemental. Toutefois, grâce à des primes intelligentes, des idées créatives et un soutien stratégique, de nombreux petits exploitants pourront non seulement survivre, mais prospérer. Une croissance agricole favorisée par les marchés modernes présente le potentiel d’un mode de vie caractérisé par une plus grande sécurité financière, une éducation plus solide et de meilleurs soins de santé. En bref, le marché pourrait rendre la vie meilleure. Le développement devra se produire au cœur de chaque pays si nous espérons assister aux changements à grande échelle nécessaires pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement et nourrir les générations futures. C’est seulement lorsque les pays en développement feront de la croissance agricole rurale une priorité que nous pourrons soutenir et renforcer leurs efforts. Il n’existe aucune politique miracle qui fonctionne pour toutes les régions, mais en adoptant une approche intelligente adaptée au niveau local, nous pouvons faire sortir des millions de personnes de la pauvreté et assurer leur prospérité. Le FIDA s’engage à travailler dans ce sens. Les petits exploitants montreront le chemin, et nous continuerons à leur tendre la main. n
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‘Création de Valeur Partagée’ pour la société et les actionnaires
Produits Maggi dans un rayon de supermarché. Photo : Nestlé
Le PDG de Nestlé, Paul Bulcke, reconnaît que le succès de l’entreprise dépend de la création d’une valeur ajoutée pour toutes les personnes concernées : des agriculteurs qui cultivent ses produits à ses employés, ses clients et aux communautés dans lesquelles elle est présente. Il y a toujours eu une forte interdépendance et interconnectivité entre l’activité économique et le progrès social. Ces derniers temps, toutefois, l’activité économique est de plus en plus considérée comme une nécessité inopportune plutôt qu’un partenaire indispensable. Je crois qu’il est temps de rétablir la vérité sur la relation entre l’économie et la société. Heureusement, au cours des dernières années, une nouvelle définition du rôle de l’économie dans la société a vu le jour, clairement axée sur la réflexion à long terme et l’alignement des intérêts des actionnaires et des sociétés pour un impact
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mutuel, c’est-à-dire pour la Création de Valeur Partagée (CVP). Ce n’est pas une nouvelle approche ou une nouvelle réalité. C’est ce que la réalité économique aurait toujours dû être. La CVP est simplement une nouvelle façon de définir le rôle fondamental de l’activité économique dans la société, pour créer une valeur mutuelle. D’abord énoncé par d’éminents penseurs tels que Michael Porter d’Harvard, le concept de la CVP a un écho significatif pour Nestlé car elle reflète la façon dont nous opérons depuis des décennies. Son adoption a clarifié notre approche
existante et, avec nos pratiques économiques durables et notre politique de conformité solide, elle garantira la pérennité de notre succès ainsi que des sociétés que nous servons. L’une des choses que nous a apprises notre présence sur le marché depuis plus d’un siècle est l’impact d’une approche orientée. Étant donné la nature de nos activités et notre volonté de devenir le leader mondial de la nutrition, de la santé et du bien-être, nous avons identifié la nutrition, l’eau et le développement rural comme des axes prioritaires pour le déploiement de nos efforts de CVP. Nous avons identifié ces secteurs car ils sont
intrinsèquement liés à notre chaîne d’approvisionnement et c’est là que nous pouvons avoir le plus fort impact.
Valeur nutritive Dans le monde développé et en développement, ce secteur d’intérêt a été source de bénéfices pour la société tout en nous permettant d’améliorer notre propre compétitivité. Les investissements visant à améliorer la valeur nutritive de nos produits, à travers les normes de vie et de viabilité à long terme des communautés rurales et la réduction de notre impact sur l’environnement, par exemple, améliorent l’attractivité de nos produits tout en protégeant l’environnement et en offrant d’importants bénéfices à long terme pour la société. L’un des meilleurs exemples de ceci est notre ‘stratégie de produits à positionnement populaire’. Ces produits alimentaires hautement accessibles, vendus principalement dans les régions à faible revenu, nous ont permis d’atteindre des milliards de consommateurs à travers le monde. En travaillant avec les gouvernements locaux pour comprendre les besoins des gens dans certaines régions spécifiques, et en enrichissant ces produits avec des micronutriments essentiels, nous cherchons à améliorer la santé publique ainsi que la popularité de nos produits. Pour illustrer l’importance de la portée de cet impact, nous avons en 2010 vendu 90 milliards de portions de nos produits enrichis Maggi et utilisé notre savoir-faire scientifique pour enrichir nos produits laitiers en vitamine A, en fer ou en zinc, en fonction des besoins des populations locales de 80 pays. Ces produits offrent des opportunités d’emploi directes aux régions pauvres, à la fois à travers nos installations de production locales et nos méthodes de distribution uniques qui ont déjà donné naissance à plus de 6 000 microentrepreneurs, pour la plupart des femmes, dans certaines des régions les plus pauvres du Brésil, de la Thaïlande et des Philippines.
Utilisation de l’eau Notre travail vis-à-vis de l’eau a également un impact mondial. Nous avons réduit notre propre consommation d’eau et production d’eaux usées de deux tiers ces dix dernières années, réalisant ainsi des économies substantielles. Et nous aidons nos fournisseurs à améliorer leur utilisation de l’eau. L’agriculture étant l’un des plus importants utilisateurs d’eau douce, le fait d’aider les agriculteurs à adopter une meilleure gestion des ressources en eau aura une influence durable et de grande envergure. Nous investissons dans leurs communautés et avons fourni des puits d’eau potable pour les écoles dans plus de 100 villages d’Inde et d’Afrique de l’Ouest. Notre travail permet à des communautés plus saines et plus productives de voir le jour, capables de fournir les matières premières de qualité dont nous avons besoin. Les ressources mondiales en eau ne sont pas seulement essentielles pour nos propres opérations ; elles sont essentielles pour la vie. Nous prenons cela très à cœur et utilisons notre
« Nous avons identifié la nutrition, l’eau et le développement rural comme des axes prioritaires pour le déploiement de nos efforts de CVP... ils sont intrinsèquement liés à notre chaîne d’approvisionnement et c’est là que nous pouvons avoir le plus fort impact. ”
position pour promouvoir l’action au-delà du cadre de notre propre entreprise, par exemple, en éduquant les enfants à travers le monde à la bonne gestion de l’eau, et en élaborant des solutions intégrées en réponse à la crise mondiale de l’eau à travers la participation active à des groupes, tels que le World Economic Forum Water Resources Group et le CEO Water Mandate du Pacte mondial des Nations Unies.
Développement rural Notre troisième axe de priorité est le développement rural. Avec 70 % de la pauvreté mondiale concentrée dans les zones rurales, l’investissement dans ces régions est crucial, particulièrement dans le développement de la capacité agricole. Avec 443 usines à travers le monde, principalement dans des zones rurales et plus de la moitié dans des pays en développement, et en tant qu’important acheteur international de produits agricoles, nous représentons une source significative de cet investissement. Dès les années 1920, nous avons construit des usines dans les zones rurales du Brésil et de l’Afrique du Sud et avons constaté à quel point elles étaient source de développement. En apportant de nouvelles possibilités et en facilitant le développement des infrastructures, telles que les routes et les systèmes de traitement des eaux, nous pouvons contribuer à des améliorations durables dans les communautés rurales et donner aux gens de nouveaux espoirs et ambitions, avec un impact positif majeur pour l’avenir. L’agriculture peut être un facteur clé du développement rural. En s’engageant auprès des communautés agricoles et en fournissant une assistance technique et financière, nous les avons
aidés à bâtir un avenir meilleur. Aujourd’hui, nous traitons directement avec près de 600 000 agriculteurs à travers le monde, affectant la vie de millions d’autres.
Investir dans la productivité En tant que plus grand transformateur de lait au monde, nous acquérons près de 12 millions de tonnes de lait auprès d’environ 30 districts laitiers à travers le monde, où nous investissons pour aider les agriculteurs à devenir plus productifs en leur offrant des conseils gratuits, des vaccins et la possibilité d’un soutien financier. Au-delà de nos districts laitiers, nos principaux engagements pour améliorer la productivité et la rentabilité des agriculteurs ont été « Le Cocoa Plan » et « Le Nescafé Plan ». Entre aujourd’hui et 2020, nous investirons dans ces deux programmes 700 millions de dollars américains dans des initiatives de développement rural clés, notamment à travers des investissements en recherche et développement, en nous attaquant à des problèmes tels que le travail des enfants et le HIV, en mettant en place des projets sociaux et en nous assurant que les produits Nestlé n’ont pas d’impact sur la déforestation. Nous savons que nous ne détenons pas toutes les réponses concernant les meilleures façons de créer de la valeur partagée, et nous invitons les parties prenantes externes à nous faire part de leurs idées. Le Comité consultatif sur la CVP de Nestlé, un organisme comprenant des experts en nutrition, en eau et en développement rural du monde entier, nous a déjà fourni des perspectives inestimables sur ce que nous pouvons améliorer. D’après ses recommandations, nous chercherons cette année à stimuler davantage les investissements généraux dans le développement rural et nous continuerons à exprimer de vives préoccupations à l’égard de problèmes tels que les effets de la déforestation sur les biocarburants. La Création de Valeur Partagée peut également être utilisée par la communauté mondiale pour promouvoir des actions sur les problèmes urgents tels que la nécessité de doubler la production alimentaire d’ici 2050. Nous pensons que de telles questions sont mieux traitées à travers l’action collaborative, avec les gouvernements, les entreprises et la société civile, travaillant ensemble et utilisant les forces de chaque partenaire pour l’avancement de toutes les parties. C’est seulement à ce moment-là qu’il sera possible d’exploiter la capacité de l’agriculture à assurer la sécurité alimentaire, la durabilité environnementale et la croissance économique mondiale. En conclusion, il existe deux principes de base que nous considérons comme les moteurs de la CVP : l la compréhension qu’aucune entreprise ne peut réussir à long terme si elle concentre ses efforts uniquement sur ses actionnaires : elle doit également avoir un impact positif sur la société, et, l l’idée que des sociétés libres et ouvertes ne peuvent réussir à long terme que dans le cadre d’une économie dynamique aux entreprises prospères, qui reconnaissent également leur interdépendance mutuelle avec les communautés dans lesquelles elles opèrent. n
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UNE AGRICULTURE ‘Il est absolument essentiel et urgent que le monde
Pour Helmy Abouleish, directeur général du groupe SEKEM (Égypte), l'agriculture biodynamique n'est pas seulement une façon d'aborder des problèmes majeurs tels que le changement climatique et la sécurité alimentaire, mais également la seule façon de parvenir à une compétitivité à long terme.
Le monde fait face à de nombreuses crises : économique, sociale et environnementale. Les pays en développement sont particulièrement affectés, composant avec des économies faibles et inégales, et se trouvent dans les régions les plus exposées aux changements climatiques. À la fois au niveau social et environnemental, le secteur agricole joue un rôle majeur dans l’économie des pays en développement : au niveau social car c’est le secteur qui fournit la majorité des emplois, et parce qu’il tente de garantir la sécurité alimentaire – une question cruciale dans un contexte d’augmentation des prix des denrées alimentaires et des récentes émeutes de la faim ; et au niveau environnemental, car il utilise jusqu’à trois quarts des ressources en eau douce du monde, et car les systèmes agricoles établis peuvent être à l’origine de l’érosion des sols, de la pollution et de la désertification. Il est absolument essentiel et urgent que le monde abandonne les pratiques agricoles standard et adopte des systèmes plus durables. Mais de tels systèmes agricoles peuventils produire suffisamment pour nourrir le monde à un prix abordable ?
Le modèle agricole SEKEM SEKEM, une initiative de développement durable holistique basée sur une agriculture biodynamique, va dans ce sens. L’agriculture biodynamique est une forme spécifique d’agriculture biologique qui, comme défini par l’association écologique Demeter, considère l’agriculture comme « un écosystème autonome chargé de créer et maintenir sa santé et sa vitalité individuelle sans apports externes ou non naturels. […] Les sols, les plantes, les animaux et les humains créent ensemble cette image d’un organisme vivant holistique. » SEKEM applique des méthodes agricoles biodynamiques, notamment l’utilisation massive
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de compost, afin de transformer les terres désertiques en sols sains et fertiles. L’utilisation de cultures résistantes et les prédateurs naturels éliminent le besoin d’intrants extérieurs, tels que les engrais chimiques et les pesticides. L’agriculture biodynamique implique des cycles d’éléments nutritifs fermés, dans lesquels SEKEM élève du bétail pour produire son propre compost, cultive des céréales pour le nourrir et utilise la rotation des cultures pour améliorer la fertilité des sols. Le surplus est vendu aux supermarchés et aux magasins biologiques, au niveau national et international.
Le facteur de coût Une question cruciale que l’on se pose lorsqu’on envisage d’abandonner les pratiques agricoles standard est : allons-nous devoir faire face à des coûts plus élevés ? Le modèle SEKEM d’agriculture biologique et durable, utilisant efficacement les ressources et protégeant les sols, requiert en moyenne 10 à 30 % de main d’œuvre supplémentaire que la production agricole conventionnelle. L’emploi de davantage de travailleurs entraîne généralement des dépenses générales plus élevées. De même, les produits bio dans les rayons des supermarchés coûtent toujours plus cher que les alternatives conventionnelles. La conclusion logique doit être que la production biologique est plus onéreuse que la production habituelle. Mais est-ce vraiment le cas ? La réponse est non. Une vision économique si étroite ne prend pas en compte les facteurs externes fiscaux et socio-économiques qui ne sont pas internalisés dans le prix du marché des produits bio. Prenons comme exemple l’Égypte : il existe des subventions pour l’énergie et l’eau qui promeuvent des pratiques gourmandes en
ressources. Des pratiques à utilisation efficace des ressources, telles que l’agriculture biodynamique, ne bénéficient pas autant (voire pas du tout) de ces subventions et sont ainsi désavantagées, donnant lieu à des distorsions du marché. Les économies indirectes découlant de systèmes agricoles plus durables ne figurent pas non plus dans ce calcul. Des sols plus sains avec une haute teneur en matières organiques solides améliorent la capacité de rétention de l’eau, diminuent la consommation en eau et empêchent l’érosion. Par rapport à la production agricole habituelle, l’amélioration de l’efficacité énergétique, la réduction des effets de serre et la meilleure séquestration du carbone permises par l’agriculture biodynamique en font un fantastique outil pour minimiser les changements climatiques. Les cultures résistantes, l’assolement et les méthodes de diversification telles que l’agrosylviculture, entraînent une réduction du risque de mauvaises récoltes. Les cultures intercalaires et l’absence d’intrants chimiques augmentent la biodiversité. Par ailleurs, des dépenses moindres en intrants extérieurs permettent de disposer de ressources financières pour couvrir les coûts plus importants de main d’œuvre, renforçant ainsi les moyens de subsistance en milieu rural. Les méthodes agricoles biodynamiques sont également plus saines car elles n’exposent pas les agriculteurs, les animaux, les sols, l’air ou les eaux de surface à des produits chimiques dangereux. Il est toutefois difficile de quantifier les économies engendrées par les systèmes d’agriculture durable ainsi que leur potentiel d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Ce n’est cependant pas seulement du bon sens, la communauté scientifique et les analystes économiques pensent également que cela aurait un formidable impact économique
POUR L’AVENIR
abandonne les pratiques agricoles standard.’
positif. Par ailleurs, un autre facteur important doit être pris en compte : les économies faites sur le coût des systèmes de santé nationaux lorsque les pesticides et engrais chimiques sont remplacés par des prédateurs naturels et le compost. La santé des agriculteurs s’améliore considérablement et les populations peuvent bénéficier d’une grande variété d’aliments ne contenant pas de résidus chimiques. En prenant en compte tous les aspects relatifs au coût, de la main d’œuvre aux machines en passant par les subventions et les coûts en matière d’environnement et de santé, l’agriculture durable est déjà une alternative intéressante. Tandis que les prix de l’énergie augmentent, que l’eau se fait plus rare et que les changements climatiques se font plus intenses, seuls les systèmes d’agriculture durable constitueront une option viable et abordable.
Nourrir le monde En 2050, l’humanité devra produire suffisamment de nourriture pour neuf milliards de personnes. La disponibilité, l’accessibilité et le prix abordable des aliments, en quantité suffisante, sont les critères à la base de la sécurité alimentaire qui doivent être pris en compte dans le choix du système agricole de demain. l Disponibilité : Contredisant la croyance bien établie que les intrants extérieurs tels que les engrais chimiques sont nécessaires pour augmenter la production alimentaire, de plus en plus de scientifiques, de groupes de travail et d’experts, tels qu’Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, revendiquent désormais que les techniques de conservation des ressources à faibles intrants extérieurs ont la possibilité avérée d’accroître considérablement les récoltes. Dans les systèmes agricoles traditionnels des pays en
développement, et dans les régions où les sols sont dégradés, les récoltes peuvent être augmentées de 200 %. l Accès et prix abordable : Les zones rurales où les plus importantes augmentations des récoltes pourraient être obtenues à travers des méthodes d’éco-intensification, telles que l’agrosylviculture, sont souvent les régions souffrant de la pauvreté et de la faim. L’accroissement des récoltes permettrait donc de s’attaquer directement au problème de l’accès à la nourriture et de nourrir les populations agricoles. Comme les systèmes agricoles durables demandent plus de main d’œuvre, un nombre important d’emplois seraient créés, ce qui à son tour permettrait à davantage de personnes d’acheter des produits alimentaires pour leurs familles.
L’avenir Les paradigmes agricoles dominant doivent être transformés. Dans les pays développés, l’agriculture industrielle permet d’atteindre des niveaux de productivité élevés, principalement à travers l’utilisation massive d’engrais, de pesticides et d’herbicides chimiques, d’eau et de carburants pour le transport. L’agriculture traditionnelle, principalement dans les pays en développement, entraîne souvent la déforestation et l’extraction excessive de nutriments du sol. Les modes durables de production agricole représentent la seule solution qui permettrait de fournir des quantités suffisantes de denrées alimentaires, abordables et nutritives, à la population mondiale croissante. En cette période de changement, comme nous en avons récemment fait l’expérience en Égypte, il est temps de mettre en place des efforts renouvelés et intensifiés pour la promotion de solutions durables en réponse aux gigantesques défis auxquels nous faisons face. n
Le groupe SEKEM a pour principales activités la récupération de terres, l'agriculture biologique, la production de produits alimentaires, phyto-pharmaceutiques et textiles. SEKEM a été fondée par le Dr. Ibrahim Abouleish en 1977, et est aujourd'hui la plus grande entreprise d'agriculture biologique et agroalimentaire d'Égypte, employant environ 1 500 personnes. Les herbes, les fruits et les légumes cultivés dans les exploitations agricoles de l'entreprise sont transformés pour créer des produits alimentaires et des médicaments de haute qualité, qui sont vendus sur le marché national et international. Les entreprises SEKEM comprennent le plus grand distributeur de thé biologique et le plus important producteur d'herbes du Moyen Orient. SEKEM est célèbre pour ses efforts en matière de responsabilité sociale d'entreprise au sein des communautés où elle est présente, et elle est reconnue à l'international pour son rôle dans le développement durable.
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ZOOM SUR UN PAYS
Éthiopie
Peter Gill a été l'un des premiers journalistes à relater la famine éthiopienne au milieu des années 1980. Vingt-cinq ans plus tard, il voit le pays mettre en place des politiques économiques en faveur des plus pauvres et il y a selon lui de véritables raisons d'être optimiste. L'histoire de l'Éthiopie a toujours eu une importance particulière dans celle du monde. Tout d'abord, c'est là que l'aventure humaine a réellement commencé. L'Éthiopie est ensuite devenue l'une des plus grandes puissances du monde antique et a été chrétienne avant la majeure partie de l'Europe. Elle a été le terrain de conflits entre christianisme et islam mais les deux communautés religieuses vivent aujourd'hui en bonne intelligence. Elle a été la seule en Afrique à résister au colonialisme européen et conserve encore son esprit d'indépendance. Mais dans le monde moderne, elle est devenue synonyme de pauvreté et de misère. La grande famine de 1984-1985, qui a entraîné la mort de centaines de milliers de personnes, a flétri la réputation de l'Éthiopie et ouvert l'ère moderne de l'aide humanitaire. Un quart de siècle plus tard, le pays reste extrêmement dépendant de l'aide extérieure et peine à débarrasser son image de ces clichés. Cependant, le gouvernement, au pouvoir depuis 20 ans, n'a jamais relâché les efforts qu'il consacre à la transformation économique nécessaire pour que la mort par la faim appartienne définitivement au passé. Il y a une génération, c'était la ville de Korem, dans le nord de l'Éthiopie, qui abritait le plus vaste camp de réfugiés de la faim et attirait les équipes de télévision. Sur le site du camp aujourd'hui disparu, on trouve une école primaire et un tout nouvel hôpital. Lorsque je m'y suis rendu, les administrateurs locaux préparaient un congrès sur la famine, encouragés par des affiches portant des slogans
tels que « La faim ne doit plus tuer » et « Plus jamais ça, mettons un terme à la faim ». Dans tout le nord du pays, qui constitue le cœur et le centre politique de l'Éthiopie, l'effort de développement est impressionnant. Après des décennies de dégradation environnementale, les collines reverdissent. Les projets de conservation de l'eau et d'irrigation se multiplient sur un territoire encore dépendant des pluies. Derrière tous ces progrès, il y a un gouvernement qui reste fidèle à son passé révolutionnaire et aux liens qu'il entretenait avec la paysannerie, et considère le développement comme une campagne sociale tout autant qu'une politique de gestion économique. De façon tout à fait consciente et délibérée, l'Éthiopie a évité un exode rural massif et chaotique en concentrant l'investissement dans les campagnes. La terre est toujours la propriété de l'État et ne peut être achetée ni vendue. Une existence frugale sur une petite terre à la campagne peut être préférable à une vie de misère dans un bidonville. Le rythme de l'urbanisation s'accélère mais c'est la perspective d'emplois, souvent destinés à une génération plus jeune et mieux éduquée, qui en est le moteur, et non la nécessité de fuir la pénurie. L'objectif consiste à susciter une évolution sociale et non une crise du déplacement. Loin du secteur social et des projets de secours de l'aide occidentale, un effort de développement plus important encore est en cours. Il est financé par des prêts internationaux et réalisés par les Éthiopiens eux-mêmes, ainsi que les Chinois qui deviennent rapidement les
acteurs externes les plus importants de la renaissance longtemps attendue de l'Afrique. C'est une révolution des infrastructures qui concerne non seulement les routes mais aussi les télécommunications. Dans les régions les plus reculées d'Éthiopie, j'ai vu des équipes d'ingénieurs chinois issus de ces secteurs traverser les plateaux en rangs serrés. L'homme qui préside cette mutation compte parmi les Africains les plus remarquables de sa génération. Le parcours du Premier ministre Meles Zenawi témoigne plus largement de l'histoire politique de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. Cet ancien étudiant marxiste a abandonné ses études de médecine pour rejoindre et finalement conduire la guérilla. Lorsqu'il a pris le pouvoir en 1991, il était face à un pays en ruine qui devait trouver sa voie dans un monde capitaliste. Il n'a cessé depuis d'impressionner les dirigeants du monde et les Nobel d'économie par son analyse des besoins de l'Éthiopie et la dextérité avec laquelle il met en œuvre ses politiques. Meles Zenawi n'est pas un démocrate libéral mais il a néanmoins pour but de doter l'Éthiopie d'institutions populaires durables. Et pour qu'elles aient un ancrage solide, il pense qu'il est essentiel de mesurer la pauvreté. Une phase d'économie dirigée et d'autorité de l'État sur les institutions politiques est nécessaire dans un premier temps. Une telle philosophie politique peine à trouver un écho favorable en Occident mais ceux qui pensent qu'un repas complet est aussi un droit humain fondamental devraient accorder l'attention qu'ils méritent aux projets du Premier ministre pour son pays. n
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Une école dans le sud de l’Éthiopie. Le contour des frontières du pays a été tracé sur le mur.
Photo: Eric Lafforgue
Peter Gill, journaliste et réalisateur de documentaires spécialisé dans les problématiques de développement, est l'auteur de Famine and Foreigners: Ethiopia since Live Aid (Famine et étrangers : l'Éthiopie depuis le Live Aid), récemment publié par Oxford University Press.
tracer sa propre voie MakingIt 35
UN Photo/John McIlwaine
Dans les extraits suivants d'entretiens et de discours récents, le Premier ministre Meles Zenawi fait part de sa vision du développement durable en Éthiopie.
Construire un État développementiste À la fin de l'année 2010, le gouvernement d'Éthiopie a dévoilé un ambitieux Plan de croissance et de transformation (PCT) sur cinq ans visant à doubler la production agricole et à soutenir la croissance du PIB à deux chiffres que le pays enregistre en moyenne depuis cinq ans. Au lancement du plan, Meles Zenawi a déclaré aux journalistes : « Dans le futur, nous serons autonomes sur le plan alimentaire... Je pense que nous pouvons y parvenir au cours des cinq prochaines années. » En mars 2011, il a communiqué les nouvelles suivantes au sujet de la mise en œuvre du PCT :
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« Nous observons deux goulots d'étranglement dans la mise en place du PCT. Le premier est celui de la finance et le second, les capacités de mise en œuvre. Pour ce qui est de la finance, nous avons beaucoup travaillé pour identifier les lacunes et trouver des sources pour les combler. Le budget sur cinq ans semble bien assuré, en partant du principe que les prêts et les subventions que nous recevons de l'étranger se maintiendront à leur niveau actuel... Concernant les capacités de mise en œuvre, nous avons bien entamé leur renforcement,
aussi bien au niveau des ministères et des entreprises publiques qu'en obtenant le soutien du secteur privé. Dans le secteur des entreprises publiques notamment, nous avons fondé la Corporation des métaux de base et du génie et nous nous attachons à renforcer ses capacités. Elle est maintenant en mesure d'accepter des contrats locaux de construction d'usines telles que des usines sucrières, et de fabriquer suffisamment de pièces détachées pour alimenter, entre autres, le secteur de la fabrication et de l'automobile. La Corporation
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Éthiopie assure ainsi un important travail de remplacement des importations. Nous cherchons à améliorer radicalement le paysage concurrentiel du secteur du bâtiment. Nous espérons aider à la création de centaines d'entreprises de construction locales. Nous avons préparé les financements qui permettront de les soutenir et nous nous sommes procuré des engins de terrassement. Nous allons devoir fonder plusieurs villes industrielles. Dans le sud de l'Oromie par exemple, nous espérons développer environ 150 000 hectares de plantations de sucre associés à six grandes sucreries, ce qui représente environ six petites villes. Nous établirons quatre ou cinq plantations sucrières supplémentaires et environ sept usines d'engrais dans l'ouest de l'Oromie, ce qui implique également la construction d'une ville de grande taille. » Lors de la conférence « Énergie hydraulique : pour un développement durable 2011 » qui s'est déroulée dans la capitale éthiopienne Addis Abeba à la fin du mois de mars, Meles Zenawi a présenté les projets de son gouvernement pour l'alimentation énergétique du développement durable du pays. « Notre gouvernement a décidé d'exploiter les abondantes ressources de l'Éthiopie pour générer de l'électricité à partir de sources renouvelables, non seulement pour résoudre la pénurie d'énergie électrique qui frappe actuellement notre pays, mais aussi pour exporter de l'énergie vers les pays voisins, moins avancés dans la production d'énergie renouvelable. L'Éthiopie a en effet élaboré des plans visant à réduire à zéro toute émission nette de carbone d'ici 2025, un objectif ambitieux et noble que ne partagent que quelques pays dans le monde, en partie parce qu'elle est consciente de son potentiel. Notre plan pour 2025 s'appuie sur trois piliers. Le premier consiste à générer pratiquement toute notre électricité à partir de sources propres et renouvelables, en mettant l'accent sur l'énergie hydraulique mais en incluant également le vent, la géothermie et le biogaz des plantations de sucre comme sources complémentaires importantes. Le second pilier de notre plan est l'optimisation de l'utilisation de l'électricité et des biocarburants pour le transport et les autres besoins énergétiques. Le troisième et dernier pilier consiste à mener un programme de reforestation massif des terres dégradées afin, notamment, de créer un gigantesque réservoir de carbone. Nous
« Dans le futur, nous serons autonomes sur le plan alimentaire... Je pense que nous pouvons y parvenir au cours des cinq prochaines années. »
envisageons donc de replanter plus de 15 millions d'hectares de terre dégradée au cours des prochaines années. En d'autres termes, nos plans ambitieux visant à produire 8 000 MW supplémentaires à partir de l'énergie hydraulique au cours des cinq prochaines années contribuera non seulement à combler, avec toute l'urgence requise, les manques criants de notre région en matière d'infrastructures, mais aussi à éliminer nos émissions de carbone tout en aidant les pays voisins à réduire leurs propres émissions. »
S'adressant à la conférence des ministres de l'économie et des finances de l'Union africaine à la fin du mois de mars, le Premier ministre Meles Zenawi a recommandé aux pays d'Afrique de renforcer le rôle de l'État et d'investir lourdement dans les infrastructures. « Il est essentiel et plus qu'urgent d'avoir un débat sur un nouveau paradigme de développement centré sur le concept d'État développementiste. Le modèle néo-libéral de croissance n'est pas parvenu à apporter la prospérité à l'Afrique. Pendant trente ans, la longue campagne contre les activités de l'État n'a produit ni croissance durable, ni transformation économique. Elle a notamment échoué parce que ses efforts incessants pour l'affaiblissement de l'État en Afrique et de son rôle dans l'économie n'est pas parvenu à transformer un environnement improductif reposant sur la recherche de rente à tout prix. Ces activités se sont même parfois aggravées et enracinées plus profondément dans l'ère de la domination néolibérale. Tout cela conduit à penser que le modèle néo-libéral a échoué à la fois dans sa compréhension du problème sous-jacent et dans la solution qu'il prescrit. » « L'une des plus grandes menaces qui pèse sur la croissance durable de nos économies reste le retard considérable du développement des infrastructures de nos pays. Si le secteur privé a un rôle important à jouer dans cet effort, l'État doit rester à sa tête et assumer une mission essentielle. Trois décennies passées à attendre que le secteur privé vienne combler les manques de nos infrastructures n'ont servi qu'à accentuer notre retard. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre plus longtemps. Nous devons nous engager dans un programme massif d'investissements à la fois publics et privés dans les infrastructures si nous voulons avoir la moindre chance de soutenir la modeste croissance que nous avons réalisée ces quelques dernières années. La récente décision du G20 de mobiliser une partie de l'excédent de l'épargne dans le monde en faveur de l'investissement dans les infrastructures en Afrique revêt pour nous une importance stratégique. Nous devons impliquer le G20 activement pour veiller à ce que les ressources nécessaires soient mises au service de l'investissement dans les infrastructures d'Afrique, et que la majeure partie d'entre elles soient orientées vers l'investissement public. Nous devons commencer à agir différemment. » n
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L’huile de palme peut-elle être durable ? Environ 50 millions de tonnes d’huile de palme sont produites chaque année, un chiffre certainement amené à augmenter. La demande est soutenue par le rendement de cette culture, car dans le cas de l’huile de palme, ce dernier est près de six fois plus élevé par hectare que celui de l’huile de colza. Compte tenu de ces niveaux de rendement exceptionnels, les cultivateurs se tournent à un rythme croissant vers la culture de palmiers à huile, ce qui n’est pas sans susciter des inquiétudes quant à son impact sur les plans environnemental et culturel. De fait, différentes organisations de défense attribuent à l’augmentation de la production d’huile de palme la responsabilité du développement de pratiques agricoles préjudiciables, de la destruction de forêts équatoriales vulnérables et de conséquences négatives pour les cultures autochtones. Aujourd’hui, près de 8 % de l’huile de palme est produite selon des normes « durables » s’efforçant de limiter les dégâts causés par la production massive d’huile de palme grâce à des méthodes moins invasives. En revanche, la production durable d’huile de palme pourrait bien s’avérer plus coûteuse et moins efficace que la production classique.
L’omniprésence de l’huile de palme Au cours des trente dernières années, l’huile de palme a connu une croissance de production exponentielle. Les projections pour la consommation annuelle d’huile de palme estiment qu’elle bondira de son niveau actuel de 38 millions de tonnes à 63 millions de tonnes en 2015, pour atteindre les 77 millions de tonnes en 2020. L’Indonésie est le plus important producteur mondial d’huile de palme, cependant un nombre croissant de pays se hissent au rang de concurrents sérieux sur le marché mondial, parmi eux la Malaisie, la Colombie, le Brésil, le Nigéria, le Libéria, la Thaïlande et l’Ouganda. Cette croissance n’est pas uniquement portée par l’efficacité de l’huile de palme en termes de coût, mais également par ses multiples applications pour la conception et la production de toute une gamme de graisses et de produits alimentaires, tels que les pâtisseries, les laits condensés et en poudre, les frites, les aliments concentrés ainsi que les compléments intégrés à l’alimentation des animaux. L’étendue des applications de l’huile de palme s’étire jusqu’aux produits non-comestibles comme le savon, les détergents, les bougies, les produits cosmétiques, la colle, les encres d’imprimerie, les lubrifiants mécaniques et les biocarburants. En raison de l’étendue de ce champ d’applications, les industries fortement dépendantes de l’huile de palme seraient bien en peine pour trouver une alternative adaptée et JOHANNA SORRELL écrit sur les sujets de l'environnement et du développement durable pour le 2degreesnetwork.
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La production à grande échelle et durable d’huile de palme est-elle une option tangible pour l’industrie concernée, s’interroge Johanna Sorrel. présentant un rendement et une efficacité en termes de coût aussi élevés.
Une huile présentant surtout des possibilités ou des problèmes ? La rapide expansion de l’industrie de l’huile de palme a laissé dans son sillage d’importantes parcelles de terrains fragiles dégradés. Avec pour objectif la production de palmiers à huile à grande échelle, de nombreuses plantations emploient des techniques sur brûlis destructives, transformant les forêts en rangées de palmiers à huile bien alignés et faisant des écosystèmes dynamiques de la forêt équatoriale une monoculture. Les dégâts causés aux écosystèmes comprennent : l la destruction des forêts denses équatoriales pour faire place à de nouvelles exploitations d’huile de palme ; l le déversement des effluents des usines d’huile de palme, détruisant au passage la vie aquatique ; l le déplacement des populations indigènes et des cultivateurs de subsistance. l la destruction de l’habitat et en conséquence de la faune, avec un impact particulièrement sévère sur les populations globales d’orang-outangs. l la destruction par le feu et l’érosion de gigantesques parcelles de terres de tourbières, qui sont en mesure d’absorber d’importantes quantités de CO2 ; Certaines entreprises, tant producteurs qu’acheteurs, sont dans le collimateur des organisations de défense en raison de leur implication, soit directe soit indirecte, dans ces pratiques. Les campagnes de marketing social s’avèrent très efficaces pour initier des changements de comportement d’achat et d’approvisionnement de la part des entreprises, comme en témoigne l’exemple de la campagne virale de la vidéo Kit Kat de Greenpeace, demandant à Nestlé de cesser d’acheter de l’huile de palme provenant de zones où la forêt équatoriale a été dévastée. En conséquence de cette campagne, Nestlé a immédiatement arrêté d’acheter l’huile de palme fournie par Sinar Mas (la plus grosse entreprise d’huile et de pulpe de palme en Indonésie, et également planteur que Greenpeace accuse de détruire sans se cacher la forêt équatoriale pour étendre les plantations de palmiers). Nestlé a également pris contact avec The Forest Trust (une organisation caritative qui entend mettre fin à la déforestation illégale en remontant à la source des produits de consommation), qui va
aider Nestlé à définir un cadre pour des achats d’huile de palme plus durable. Nestlé, qui achète actuellement 18 % de son huile de palme auprès de sources « vertes », prévoit de franchir les 50 % d’ici à la fin de l’année 2011, et d’obtenir la totalité de son approvisionnement en provenance de sources respectueuses de l’environnement à l’horizon 2015.
La durabilité est-elle une option ? Bien que les impacts environnementaux et sociaux de la production d’huile de palme aient essuyé de vives critiques de la part d’un grand nombre d’acteurs de l’industrie, les prédictions funestes peuvent néanmoins être écartées par la mise en œuvre de pratiques durables qui est actuellement entreprise, grâce aux efforts concertés de la part des acteurs commerciaux et associatifs. Le fait de donner accès à l’information est un facteur décisif de changement pour beaucoup d’organisations qui tentent d’amorcer une évolution du comportement des entreprises. Par exemple, en 2009 le WWF a lancé le classement des acheteurs d’huile de palme (« Oil Buyers Scorecard »), avec comme objectif de base de pointer du doigt de nombreux grands acheteurs prétendant avoir adopté des méthodes d’achat respectueuses de l’environnement, mais qui ont échoué à atteindre leurs propres objectifs. Beaucoup de grandes corporations ont entamé une réforme de leur production et de leurs achats d’huile de palme pour répondre aux inquiétudes des groupes de défense et des consommateurs. Par exemple, dans le cadre de l’initiative « Hello Green Tomorrow » d’Avon, cette société a rendu publique sa Promesse pour l’huile de palme (« Palm Oil Promise »), un engagement pris par toute l’entreprise, à dimension mondiale, vis-à-vis de l’huile de palme durable, qui l’astreint à acheter 100 % d’huile de palme certifiée durable. D’autres options se basant sur la durabilité ont émergé au cours des quelques dernières années, et les principaux acteurs de l’industrie commencent à mettre en œuvre les normes définies par ces organisations. Le plus important d’entre eux, la table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), travaille collaborativement à définir un ensemble de normes à l’échelle mondiale en vue de guider d’industrie de l’huile de palme sur une voie durable. Actuellement, la RSPO compte plus de 400 membres, avec parmi eux des ONG, des investisseurs, des producteurs d’huile de palme et des grandes entreprises comprenant Unilever Global, Cognis et IOI. Bien que la RSPO soit la plus grande organisation contribuant à amener l’industrie de l’huile de palme vers un avenir durable, il s’agit en outre d’une organisation s’appuyant largement sur une base volontaire. Il n’est donc pas surprenant qu’un grand nombre d’organisations activistes aient accusé la RSPO de pratiquer l’« étiquetage vert », et aient identifié ce qu’ils considèrent comme des failles importantes dans
les principes et critères définis par cette table ronde. Par exemple ; l Friends of the Earth a accusé la RSPO d’être un « outil techniquement limité, qui n’est pas en mesure d’apporter des solutions adéquates à l’impact désastreux de la culture des palmiers à huile sur les forêts, les terres et les communautés » ; l Greenpeace est à la fois soutient et critique de la RSPO, mais a souligné la poursuite des activités de déforestation par des entreprises membres de la RSPO ; l Le Rainforest Action Network soutient également certaines initiatives de la RSPO, mais a cependant exprimé une nette insatisfaction au regard de certains de ses processus. Si la définition de normes et les débats qui l’entourent sont une chose, leur mise en œuvre est une toute autre histoire. Afin d’y remédier, Greenpalm, un programme d’échanges commerciaux certifiés conçu pour contribuer à garantir une production durable d’huile de palme, a été échafaudé. GreenPalm fait office d’« intermédiaire » aidant les acheteurs d’huile de palme à acquérir des crédits de certification pour « compenser » leurs achats, principalement en raison du fait que l’achat direct en provenance de sources d’approvisionnement limitées d’huile de palme durable est souvent une opérations extrêmement difficile. Chaque crédit acheté représente un bonus payé aux producteurs durables pour une tonne d’huile de palme, contribuant ainsi à garantir et renforcer la durabilité de la chaîne d’approvisionnement. Bien que ces systèmes soient loin d’atteindre la perfection, ils constituent des outils évolutifs pour mettre l’huile de palme sur les rails d’une production plus durable, et continueront espérons-le à mettre au point des normes réelles et atteignables, de la plantation à l’achat.
Un ouvrier pulvérise du désherbant paraquat dans une plantation de palmiers à huile aux abords de Kuala Lumpur. La paraquat est interdit dans l'Union européenne, néanmoins des millions d'agriculteurs dans toute l'Asie utilisent ce produit chimique pour éradiquer les mauvaises herbes, s'exposant de ce fait à de sérieux risques sanitaires.
Photo: Zainal Abd Halim/Reuters
Vers quoi nous dirigeons-nous maintenant ? Une plus forte demande et une consommation accrue, conjointement à un manque de terres arables disponibles en raison de la compétition avec d’autres cultures et des disputes entre acteurs du secteur, poseront des défis croissants à la production d’huile de palme à l’avenir. En l’absence de perspectives à court terme de diminution de la demande en huile de palme, rien ne garantit que l’industrie de l’huile de palme soit en mesure de maintenir ses niveaux actuels de production si toutefois des mesures pour assurer la durabilité étaient mises en place dans toute l’industrie, suscitant au passage l’inquiétude des acteurs ayant investi d’importants capitaux dans l’industrie. L’éducation des consommateurs et de l’industrie, ainsi que la volonté de s’impliquer à tous les niveaux chaque fois que cela est possible, sont autant de facteurs amenés à jouer un rôle crucial tandis que la production suivra inévitablement son cours, durablement ou pas. l Reproduit avec l’autorisation de 2degrees – The Global Community for Sustainable Business.
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Entretien
VANDANA SHIVA Navdanya est un mouvement que j'ai lancé en 1987, et ici à la ferme Navdanya (dans l'Uttaranchal au nord de l'Inde), notre principale activité est la conservation des semences. Nous en avons conservé plus de 1 500 variétés. C'est également un endroit où les agriculteurs viennent chercher des semences. De plus, c'est une ferme biologique, et j'en suis ravie car, lorsque nous avons démarré, c'était un « désert » d'eucalyptus. Grâce à notre pratique de l'agriculture biologique, la terre est désormais vivante, les pollinisateurs sont Les systèmes biodiversifiés revenus et les papillons s'activent. C'est devenu un peuvent produire deux à sanctuaire de la biodiversité. trois fois plus de nourriture Notre troisième activité est la production de connaissances, par hectare que les tant sur le plan de la monocultures intensives. formation que de la recherche. Nos recherches montrent que les systèmes écologiques et biodiversifiés peuvent produire deux à trois fois plus de nourriture par hectare que les monocultures intensives. Les mensonges de l'agriculture industrielle et du génie génétique ont été percés au grand jour grâce aux pratiques de cette ferme. Les semences nous enseignent le renouvellement, la générosité, la multiplicité et la diversité.
« Nous devons conserver les semences » L'urgence est mondiale car les semences ont été usurpées et colonisées. De grandes entreprises ont décrété que les semences étaient leur propriété intellectuelle et cette appropriation ne peut se faire que par la modification et la mutilation au moyen du génie génétique. Aussi sommes-nous face à un double danger : celui des modifications génétiques et celui du brevetage des semences. Nous avons pu constater le résultat de cette combinaison dans le domaine du coton. L'Inde est la terre du coton. Nous en cultivions auparavant 1 500 variétés. C'est la terre sur laquelle Gandhi a tissé la liberté au travers du coton... La semence est le métier à tisser d'aujourd'hui, mais elle est maintenant menacée, car nous ne filons plus que du coton Bt génétiquement modifié, sous le contrôle d'une seule entreprise, Monsanto. Ainsi, si nous ne conservons pas de semences, toute la diversité disparaîtra à jamais, emportant avec elle la mémoire que renferment les semences : la mémoire écologique et la mémoire culturelle. De même disparaîtra, dans la foulée, le gagne-pain des agriculteurs. La généralisation du coton Bt a tellement endetté les agriculteurs que dorénavant ils se suicident. L'Inde a connu
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250 000 suicides au cours de la Nous devons défendre dernière décennie. Nous n'observons pas le même phénomène chez les notre liberté. C'est cultivateurs de maïs, de tomates, pourquoi nous devons d'oignons ou de riz. Nous ne le constatons que dans le cas d'une conserver les semences. culture, le coton, et nous en voyons les conséquences. Le coton Bt anéantit la Nature. Il anéantit les agriculteurs. Il anéantit l'agriculture. Nous devons défendre la vie. C'est pourquoi nous devons conserver les semences. Nous devons défendre notre liberté. C'est pourquoi nous devons conserver les semences.
Travailler main dans la main avec la Nature L'agriculture écologique et biologique travaille conjointement avec la Nature. Cela signifie premièrement que vous protégez la Nature. Vous n'êtes pas en conflit avec la Nature, contrairement à l'agriculture industrielle qui est née de la guerre et qui perpétue la guerre contre la Nature et la Terre. En second lieu, l'agriculture biologique protège les agriculteurs. Une agriculture qui repose sur la guerre vend des produits chimiques de guerre aux agriculteurs, ainsi que des semences génétiquement modifiées et brevetées. Ces exploitants s'endettent, puis soit ils quittent leur terre et deviennent des réfugiés ou des migrants, soit ils mettent fin à leur vie. Au contraire, une agriculture écologique travaille avec les intrants internes qu'apportent la ferme et la Terre. La fertilité du Il n'est pas nécessaire sol provient des cultures que la d'acheter quoi que ce soit Terre nous donne, tandis que la lutte contre les parasites provient sur le marché. La Terre dit de la diversité offerte par la Terre. généreusement : « Prenez Il n'est pas nécessaire d'acheter quoi que ce soit sur le marché. La tout ce que j'ai ». Terre dit généreusement : « Prenez tout ce que j'ai ». Troisièmement, cette agriculture est bénéfique pour la personne qui consomme car lorsqu'on produit la nourriture selon les méthodes de la Nature, on produit une alimentation saine, variée, délicieuse et nutritive...
Le génie génétique Examinons un peu la science des cultures génétiquement modifiées. Le génie génétique ne fait que déplacer les gènes uniques, c'est-à-dire ceux qui n'ont qu'une propriété unique. Les seuls gènes qui ne présentent qu'une seule propriété sont les gènes toxiques qui produisent des toxines. Tous les autres,
Photo: Elena Tubaro
VANDANA SHIVA est philosophe, scientifique, militante pour l'environnement et écoféministe. Elle a fondé Navdanya, une organisation non gouvernementale basée en Inde qui soutient la préservation de la biodiversité, l'agriculture biologique, les droits des agriculteurs et le processus de conservation des semences. En 1993, elle s'est vu remettre le Palmarès mondial des 500 par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) pour son travail remarquable au service de la protection de l'environnement. Elle a écrit de nombreux ouvrages, dont le plus récent s'intitule Staying Alive: Women, Ecology and Development (« Rester en vie : les femmes, l'écologie et le développement », non traduit), publié en 2010.
«RESTER EN VIE » les gènes multiples, présentent une propriété positive : le rendement, la résistance à la sécheresse et aux inondations, ou une propriété relative à la couleur, à la saveur et au goût. Le génie génétique ne peut pas déplacer des gènes multiples. Il s'agit d'un outil très rudimentaire. Il fonctionne comme un pistolet : on ne fait que tirer avec. Avec un « pistolet à gènes », on ne peut qu'injecter un gène à une seule caractéristique. La vie est trop complexe. Il n'est pas possible d'injecter les facultés complexes et autorégulatrices de la vie. On peut les aimer, les entretenir, en avoir conscience, mais on ne peut pas les injecter. C'est une technologie primitive et rudimentaire. La promesse selon laquelle le génie génétique produirait davantage de nourriture, qui était un mensonge du point de vue technique depuis le début, est maintenant mise à nu. En Inde, on nous avait dit que le coton En Inde, on nous avait dit génétiquement modifié que le coton génétiquement donnerait 3 750 kg par hectare. Or l'entreprise, après avoir modifié donnerait 3 750 kg menti aux paysans, les poussant au suicide, a dû par hectare... En réalité, le admettre que le rendement rendement n'est que de 1 n'était que de 1 250 kg par hectare. Le rendement de nos 250 kg par hectare. Le est bien supérieur ! rendement de nos variétés variétés Nous avons simplement est bien supérieur ! distribué des variétés traditionnelles de coton aux paysans de la « région des suicides », et ils ont obtenu de meilleurs résultats. Ces variétés ne poussent pas en monoculture. Seulement deux applications du génie génétique se sont répandues dans le monde, en raison de l'aspect rudimentaire de la technologie : les cultures résistantes aux herbicides et les cultures produisant la toxine Bt. Les premières portent un gène leur permettant de tolérer d'importantes doses de l'herbicide dont est propriétaire la société, tandis que les secondes portent un gène toxique destiné à produire un pesticide à l'intérieur de la plante. Les premières étaient censées supprimer les mauvaises herbes, et les secondes les insectes parasites. Les premières nous ont apportés les « super-mauvaises herbes » : les dégâts causés sont si importants que des centaines de milliers d'hectares sont désormais ravagés aux États-Unis. Monsanto soudoie les agriculteurs pour qu'ils achètent davantage d'herbicides et les pulvérisent sur les « supermauvaises herbes » résistantes au Roundup. Quant à la toxine
Bt, le ver de la capsule du cotonnier y est résistant en Inde, et Monsanto commercialise maintenant le Bollguard II. De nouvelles espèces nuisibles ont vu le jour partout, et les agriculteurs dépensent plus en pesticides qu'auparavant. Les cultures génétiquement modifiées, qui ont été introduites comme une solution aux produits chimiques, ont en réalité accru l'utilisation de ces derniers, ce qui est une « excellente » chose pour le secteur des biotechnologies puisque c'est le même secteur que l'industrie agrochimique. Les populations doivent en être informées pour savoir qu'il ne s'agit pas d'une solution. La solution, c'est l'agriculture écologique.
Les cultures génétiquement modifiées, qui ont été introduites comme une solution aux produits chimiques, ont en réalité accru l'utilisation de ces derniers
Nourrir les villes À propos de ces projections sur la croissance des populations urbaines dans le monde, il faut tout d'abord souligner qu'elles sont très patriarcales. Elles émanent d'esprits hautement manipulateurs, autoritaires et patriarcaux. Elles proviennent de la Banque mondiale qui dit : « Faisons sortir les paysans des campagnes » et qu'il y a « trop d'agriculteurs ». Il n'y a jamais assez d'agriculteurs ! Un paysan qui exploite un hectare ne prend rien à personne. Le problème, c'est la personne qui accapare la terre. L'empreinte écologique est l'empreinte de l'industrie, de la mondialisation. En réalité, nous avons besoin de davantage de population sur les terres arables, et je travaille à élaborer une vision d'un avenir dans lequel nous n'aurons pas 70 % de la population vivant dans les villes. Néanmoins, quels que soient les chiffres, chaque ville devrait avoir son propre « grenier ». La nourriture devrait être intégrée à la planification urbaine. Non seulement les villes, en fonction de leur taille, devraient-elles être entourées de zones fournissant de la nourriture selon la culture, le climat et les saisons, afin d'être approvisionnées par des systèmes de production alimentaire localisés, mais elles devraient en outre comporter des jardins urbains. l Entretien réalisée par Bhavani
Chaque ville devrait avoir son propre « grenier »
Prakash, militante pour l'environnement basée à Singapour et fondatrice de www.ecowalkthetalk.com, un site Internet consacré à l'environnement en Asie.
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POLITIQUE EN BREF
Crises alimentaires : on recherche des architectes Par OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur spécial des Nations Unies pour le Droit à l’Alimentation Robert Zoellick, Président de la Banque mondiale, a récemment répertorié les mesures que le G20 devrait adopter pour nous préparer à affronter les crises alimentaires d’aujourd’hui et de demain. Bien que satisfaisantes, ces mesures ne concernent que les symptômes de faiblesse du système alimentaire mondial et passent à côté des véritables causes de ces crises. Elles peuvent tout à fait réduire les conséquences des hausses des prix, mais elles ne sont pas adaptées pour éviter la récidive. Cela peut être fait si le G20 se concentre sur huit priorités. Le G20 doit soutenir la capacité des pays à nourrir leurs habitants. Depuis le début des années 1990, la facture alimentaire de nombreux pays pauvres a été multipliée par cinq ou six et ce non seulement à cause de la croissance de la population, mais également en raison de leur agriculture orientée vers l’exportation. Un manque d’investissement, en ce qui concerne l’agriculture nourrissant les communautés locales, rend ces pays vulnérables aux chocs des prix internationaux, ainsi qu’à la volatilité des taux de change. Le Mozambique, par exemple, importe 60 % de sa consommation en blé et l’Égypte importe 50 % de ses denrées alimentaires. La hausse des prix affecte directement la capacité de ces pays à nourrir leurs habitants à un coût acceptable. Cette tendance doit être inversée en permettant aux pays en développement de soutenir leurs agriculteurs et, lorsque l’approvisionnement interne est suffisant, en les protégeant du dumping des producteurs étrangers. Les réserves de nourriture doivent être établies, non seulement en ce qui concerne
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l’approvisionnement humanitaire dans les zones exposées aux catastrophes et pauvres en infrastructures, mais également afin d’encourager des revenus stables pour les producteurs agricoles et d’assurer une alimentation à prix abordable pour les pauvres. Si elles sont gérées de manière transparente et participative et si les pays s’organisent par régions pour combiner leurs efforts, les réserves alimentaires peuvent être efficaces pour encourager le pouvoir des vendeurs sur le marché et contrer les spéculations des opérateurs de marchés, tout en limitant la volatilité des prix. La spéculation financière doit être limitée.
« En formant des coopératives, elles peuvent remonter dans la chaîne de valeur en traitant, en conditionnant et en commercialisant leur production. Elles peuvent améliorer leur pouvoir de négociation, à la fois pour leurs achats et pour la vente de leurs cultures. »
Bien qu’elle ne soit pas en elle-même une cause de la volatilité des prix, la spéculation sur les dérivés des produits alimentaires de base l’aggrave de manière significative. Ces spéculations sont apparues en raison d’une dérèglementation massive des marchés de dérivés de produits alimentaires de base survenue en 2000 et qui doit aujourd’hui être inversée. Les grandes économies doivent s’assurer que ces dérivés ne se limitent qu’aux investisseurs qualifiés et d’expérience, qui interviennent selon les attentes relatives aux fondamentaux du marché, plutôt que sur un bénéfice spéculatif permanent ou à court terme. De nombreux pays pauvres en voie de développement craignent que les filets de protection sociale, une fois en place, ne soient pas durables sur le plan fiscal, en raison d’une soudaine chute des revenus d’exportations, de faibles récoltes, ou de hausses importantes des prix des produits alimentaires importés. La communauté internationale peut les aider à surmonter leur réticence en établissant un mécanisme de réassurance global. Si les primes d’assurance sont en partie payées par le pays assuré et complétée par la contribution de donateurs, les pays disposeraient d’un avantage puissant leur permettant de mettre en place des programmes de protection sociale solides. Les organisations d’agriculteurs ont besoin de soutien. La majorité des personnes manquant de nourriture fait partie de ceux qui dépendent de l’agriculture à petite échelle : l’une des principales raisons à cela est que ces personnes ne sont pas assez organisées. En formant des coopératives, elles peuvent remonter dans la chaîne de valeur en traitant, en conditionnant et en commercialisant leur production. Elles peuvent améliorer leur pouvoir de négociation, à la fois pour leurs achats et pour la vente de leurs cultures. Elles peuvent devenir une force politique importante : ainsi, les décisions qui les concernent ne seront pas prises en leur absence. Nous devons protéger l’accès à la terre. Chaque année, une zone supérieure à la surface agricole française est cédée à des investisseurs ou des gouvernements étrangers. Cette saisie des terres, principalement en Afrique subsaharienne,
constitue une grande menace pour la sécurité alimentaire future des populations concernées. Les gains réalisés en production agricole grâce à ces investissements profiteront aux marchés étrangers et non aux communautés locales. Le G20 pourrait exiger un moratoire sur ces investissements à grande échelle, jusqu’à ce qu’un accord soit passé afin de mettre en place un règlementation de base appropriée. La transition vers une agriculture durable doit s’achever. Les événements météorologiques sont également une cause majeure de la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Dans le futur, les changements climatiques sont susceptibles de causer d’autres pénuries de denrées. L’agriculture est également responsable des changements climatiques, ainsi que de 33 % des émissions de gaz à effet de serre si la déforestation en vue de cultures et de pâtures est comprise dans l’équation. Nous avons besoin de systèmes agricoles plus résistants aux changements climatiques et qui peuvent contribuer à leur réduction. L’agroécologie peut être une solution, mais le soutien des gouvernements est nécessaire pour développer les bonnes pratiques actuelles. Enfin, nous devons défendre le droit de l’Homme à la nourriture. Les gens n’ont pas faim en raison d’une faible production de nourriture mais parce que leurs droits sont violés en toute impunité. Les victimes de la faim doivent avoir le droit d’accéder à un recours lorsque leurs autorités ne prennent pas des mesures efficaces contre l’insécurité alimentaire. Les gouvernements doivent garantir un salaire de subsistance, des soins de santé adaptés et des conditions de sécurité pour les 450 millions de travailleurs agricoles dans le monde, en renforçant les conventions sur les droits des travailleurs dans les zones rurales soumises à une surveillance indépendante. La faim est une question politique et pas seulement un problème technique. Nous avons besoin des marchés, bien entendu, mais nous avons également besoin d’une vision du futur qui aille au-delà des solutions à court terme. Le système alimentaire mondial aura toujours besoin de défenseurs. Mais ce dont nous avons besoin aujourd’hui sont des architectes, afin de concevoir un système plus résistant au feu. n
Photo: Marian Steinbach
POLITIQUE EN BREF
Le conditionnement : la solution pour plus de nourriture et pour un plus grand développement économique Par KENNETH MARSH, président de Kenneth S. Marsh & Associates, Ltd., consultants dans l’industrie alimentaire, pharmaceutique et du conditionnement. Tous les pays membres des Nations Unies se sont engagés à réduire la faim dans le monde de 50 % d’ici 2015, dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La plupart des efforts réalisés pour réduire la faim sont concentrés sur la
production agricole (produire plus de nourriture). C’est essentiel, mais cela ne tient pas compte des 20 % à 60 % de produits alimentaires perdus chaque année dans le monde entre les récoltes et l’utilisateur final, au cours de la chaîne alimentaire. Ces pertes après récolte sont énormes et définissent l’opportunité et le besoin d’une amélioration du conditionnement. De la nourriture est perdue en raison de ‰ la surmaturation, d’une mauvaise
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POLITIQUE EN BREF
‰ conservation dans l’exploitation agricole, de faibles niveaux de distribution, pendant le transport d’une exploitation au marché, mais aussi par écrasement, oxydation, transfert d’eau, ou à cause d’attaques de rongeurs, d’oiseaux, d’insectes et de micro-organismes. Les facteurs culturels et les exigences légales jouent également un rôle majeur dans les pertes après récoltes. De la nourriture parfaitement viable est jetée chaque jour en raison d’exigences légales des services alimentaires publics. De la nourriture est perdue dans tous les pays. Les multinationales sophistiquées se vantent de ne pas avoir de pertes. En réalité, leurs pertes sont significatives mais ne sont pas signalées dans leurs livres de comptes. Par exemple, une marge de perte de poids lors du transport permet aux entreprises de faire payer la nourriture de manière à compenser les pertes anticipées. Les pertes ne dépassant pas 0,25 % à 0,50 % de la marge de perte de poids par transport sont considérées comme nulles. Cela peut sembler sans importance, mais cela s’ajoute au reste. Par exemple, avec une marge de 0,50 % par transport, on obtient une perte de 4 % pour l’acheminement d’un produit via huit transports et ce dans l’indifférence la plus totale. Pour un million de boisseaux de maïs, cela représenterait 40 000 boisseaux disparaissant des comptes. Le maïs coûtant actuellement près de 5 USD par boisseau aux États-Unis, cela signifierait 200 000 USD de revenus perdus. Mais personne ne saurait combien de céréales ont été réellement perdues car, dans les comptes officiels, la perte serait équivalente à zéro. En général, les matériaux et machines de conditionnement sont disponibles dans les pays développés et en développement. Cependant, les pays en développement ont tendance à souffrir de plus grandes pertes après récoltes et à sous-estimer le potentiel du conditionnement pour réduire ces pertes. Une étude réalisée au Sri Lanka, par exemple, a démontré que les cageots pliables en plastique pouvaient réduire les dommages dus à l’écrasement des produits frais de 20 % ; pourtant, les produits sont souvent transportés dans des sacs de jute, car ils sont moins chers. Le
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conditionnement est considéré comme une dépense, plutôt qu’une opportunité. Le conditionnement permet également de promouvoir le commerce international. C’est la « présentation » du conditionnement qui fait vendre le produit pour la première fois. Les produits de grande qualité bien connus dans leur pays d’origine ne s’exportent généralement pas, car leur conditionnement a été choisi pour son prix bas et manque de présentation pour conquérir un nouveau marché qui n’est pas familier avec le produit. Ce genre de scénario est courant dans les pays développés et en développement. Les produits alimentaires récupérés grâce à un meilleur conditionnement peuvent être utilisés pour réduire la faim dans le monde, ainsi que comme produits à valeur ajoutée. Un agent de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) a développé un programme de développement économique axé sur la transformation des aliments à l’échelle des villages. Le concept consistait à produire des produits alimentaires conditionnés à valeur ajoutée, à partir d’aliments récupérés et dont la durée de conservation est limitée. Par exemple, les bananes mûres ne durent que quelques jours mais les chips de banane séchée conditionnés peuvent durer des mois et donc se vendre plus cher. Le programme de transformation des aliments dans les villages a déjà entraîné le développement économique de quatre pays en Asie du Sud-Est (créant plus de nourriture, ainsi qu’une sécurité économique permettant l’achat d’une plus grande quantité de denrées alimentaires). Rien ne serait possible sans le conditionnement. Il est temps aujourd’hui de reconnaître que le conditionnement et les technologies après récoltes contribuent à réduire la faim dans le monde, au même titre que les efforts traditionnels réalisés pour encourager la production agricole. n
Une version de cet article a été publiée dans le bulletin de la World Packaging Organization (Organisation mondiale du conditionnement), en décembre 2010. Elle a été réimprimée avec l’autorisation de l’auteur et de la World Packaging Organization.
Biocarburants : éthique et politique Par le Dr ALENA BUYX, Directrice adjointe du Nuffield Council on Bioethics, qui a récemment publié le rapport intitulé, Biofuels: ethical issues (Biocarburants : les questions d’éthique). Le développement des biocarburants a été induit par trois défis mondiaux majeurs : le maintien de la sécurité énergétique, le développement économique et la réduction des changements climatiques. Le potentiel apparent des biocarburants à résoudre ces trois défis a rendu cette option attrayante pour les responsables politiques et toute une gamme de mécanismes encourageant le développement et l’intégration des biocarburants a été mise en place. Par exemple, la Directive 2009 de l’Union européenne sur les énergies renouvelables a effectivement établi que les biocarburants devraient représenter 10 % des carburants destinés au transport d’ici 2020 : un objectif que l’Europe semble bien décidée à atteindre. Cependant, les méthodes actuelles de production des biocarburants ont été fortement critiquées pour leurs effets sur l’environnement, sur la sécurité alimentaire et sur les prix, ainsi que sur les droits des travailleurs et des communautés. Par exemple, la conversion de forêts en plantations visant à produire de l’huile de palme en Malaisie a soulevé beaucoup d’inquiétudes concernant son impact néfaste sur la biodiversité de la région, tout comme les producteurs d’huile de palme faisant pression sur les communautés indigènes pour s’approprier leurs terres. C’est pourquoi il convient de s’assurer que les décisions concernant les biocarburants soient prises en connaissance de cause. Axé sur les valeurs morales telles que les droits de l’Homme, la solidarité, la durabilité,
l’intendance et la justice, le Nuffield Council on Bioethics a défini cinq principes d’éthique que les responsables politiques devraient utiliser pour évaluer les technologies de biocarburants et guider l’élaboration des politiques. 1) Le développement des biocarburants ne doit pas se faire aux dépens des droits fondamentaux de l’Homme (notamment l’accès à l’eau et à une alimentation suffisantes, le droit à la santé, le droit au travail et les droits fonciers). 2) Les biocarburants doivent être respectueux de l’environnement. 3) Les biocarburants doivent contribuer à une nette réduction des émissions totales de gaz à effet de serre et ne pas accentuer les changements climatiques mondiaux. 4) Les biocarburants doivent être développés en accord avec les principes commerciaux équitables et reconnaître les droits des individus à la récompense (notamment les droits du travail et de propriété intellectuelle). 5) Les dépenses et les bénéfices générés par les biocarburants doivent être redistribués de manière équitable. Pour mettre en place ces principes, le Conseil propose de remplacer les objectifs européens et nationaux en matière de biocarburants par une stratégie d’objectifs plus sophistiqués qui tient compte des conséquences plus larges de la production de biocarburants. La stratégie devrait comprendre une norme d’éthique complète pour tous les biocarburants développés et importés dans l’Union européenne, ainsi qu’un programme de certification. Dans l’idéal, les principes devraient être intégrés à d’autres politiques internationales de plus grande envergure, concernant par exemple la réduction des changements climatiques, le développement durable, l’utilisation des terres et les droits de l’Homme. Il existe un sixième principe d’éthique dans le rapport du Conseil : 6) Si les cinq premiers principes sont respectés et si les biocarburants peuvent jouer un rôle crucial dans la réduction des changements climatiques, alors, selon certaines observations majeures, il est de notre devoir de développer ces biocarburants.
Photo: Istock
POLITIQUE EN BREF
Le développement de nouveaux biocarburants est un domaine de recherche en pleine croissance et qui se concentre sur l’utilisation et la production écologique des matières premières issues de la biomasse. Ces activités ne doivent pas concurrencer, ou très peu, la production de nourriture, doivent nécessiter une utilisation minimale des ressources comme la terre et l’eau, doivent être transformées de manière efficace afin d’obtenir des biocarburants liquides de grande qualité et doivent être livrables en quantité suffisante. Deux approches du développement consistent à produire des biocarburants à partir des parties non comestibles des cultures (appelés biocarburants lignocellulosiques) et à partir d’algues. Cependant, la production à échelle commerciale n’est pas encore à l’ordre du jour pour la plupart de ces nouveaux types de biocarburants. Cela est dû en partie à la différence de taille entre les objectifs puissants et les pénalisations associées mis en place pour les biocarburants utilisés actuellement et les rares avantages du
développement de nouveaux biocarburants. C’est pourquoi les gouvernements doivent encourager ces recherches, par exemple en poussant les chercheurs à développer et mettre en place des politiques motivant directement la recherche et le développement de nouvelles technologies émergentes de biocarburants, qui nécessiteront moins de terres et autres ressources, éviteront tout dommage social et environnemental lors de leur production et réduiront de manière significative les émissions de gaz à effet de serre. n
Vous pouvez lire l’article Biofuels: ethical issues (Biocarburants : les questions d’éthique) sur : www.nuffieldbioethics.org/biofuels
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LE MOT DE LA FIN
Le « nouveau milliard d’en bas » Le prochain numéro examinera les défis liés à la gouvernance à l’ère de la mondialisation. Pour présenter le contexte de ce sujet, ANDY SUMNER, de l’Institute of Development Studies, souligne certaines des implications en matière de politique de développement suite à la révélation selon laquelle la majorité des pauvres dans le monde vit dans des pays à revenu intermédiaire. La pauvreté mondiale est communément fondée sur une fausse hypothèse selon laquelle tous les gens pauvres vivent dans des pays pauvres. En réalité, il existe un nouveau milliard d’en bas : 960 millions de personnes pauvres (soit 72 % des pauvres de la planète). Ces personnes ne vivent pas dans des pays pauvres mais dans des pays à revenu intermédiaire (PRI). Seul un quart des pauvres de la planète vit dans les pays à revenus faibles (PRF), qui se situent principalement en Afrique subsaharienne. Cette évolution représente un changement profond par rapport à la situation d’il y a tout juste vingt ans, où 93 % des pauvres vivaient dans des pays à faibles revenus. Les pauvres ne se sont bien évidemment pas déplacés. Les pays qui abritent une grande
partie des pauvres de la planète se sont enrichis, en termes de revenu par habitant, et ont donc changé de catégorie. En raison de leur croissance, les pays qui, selon la classification de la Banque mondiale, sont passés du statut de pays à revenu faible à celui de pays à revenu intermédiaire sont à l’origine de ce nouveau milliard d’en bas. La Chine et l’Inde comptent à elles deux environ la moitié des pauvres de la planète. Toutefois, le fait que l’Inde et la Chine figurent désormais parmi les pays à revenu intermédiaire n’explique pas tout. Même si l’on exclut ces deux pays, la proportion des pauvres de la planète dans les PRI a triplé en raison de l’essor de certains pays comme le Nigeria, le Pakistan et l’Indonésie, et d’autres, plus surprenant peutêtre, comme le Soudan, l’Angola et le Cameroun. Comment sommes-nous parvenus à ce résultat ? À partir des données démographiques et des chiffres de la pauvreté des indicateurs mondiaux de développement de la Banque mondiale entre 1988-1990 et 2007-2008, nous avons estimé le nombre de pauvres en millions dans chaque pays disposant de données. Ces estimations du nombre réel de personnes pauvres sont
occultées dans les pourcentages des taux de pauvreté souvent utilisés pour les évaluations des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Comme l’a souligné la Banque mondiale concernant la dernière estimation systématique de Chen et Ravallion (2008), le nombre actuel d’Africains et d’Indiens démunis est en réalité supérieur aux chiffres de 1990 même si, en termes de pourcentage de population, le taux a diminué. Pourquoi venons-nous juste de « découvrir » ceci ? Les données sont généralement vieilles de 2 à 4 ans et nombre de ces pays ont changé de catégorie dans les cinq dernières années.
Un nouvel accent sur la pauvreté relative devrait déterminer les priorités en matière d’aide Les politiques de développement doivent être axées sur les personnes pauvres et pas uniquement les pays pauvres. Il convient de se demander quel est le rôle de l’aide dans un PRF ou PRI. Un nouvel engagement clair doit être pris pour réduire la pauvreté relative et par la même les inégalités. Parallèlement, une plus grande gamme d’instruments d’aide catalytiques doit être développée. Ces instruments devraient permettre de
Les plus pauvres du monde (1,275 milliard de personnes dont le revenu est inférieur à 1,25 USD par jour) Deux tiers d’entre eux vivent dans cinq pays à revenu intermédiaire très peuplés : l’Inde, la Chine, le Nigeria, l’Indonésie and le Pakistan
Inde (456 m) Chine (208 m) Nigeria (88,6 m) Indonésie (66 m) Pakistan (35 m)
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LE MOT DE LA FIN
MakingIt Industry for Development
FURTHER READING
s’émanciper de l’aide, du besoin et de l’insécurité grâce à un nouvel accent mis sur la pauvreté relative et un soutien favorisant l’essor des classes moyennes imposables. Une telle entreprise aiderait à édifier les systèmes fiscaux nationaux ainsi qu’à améliorer la gouvernance et la redevabilité.
Fournir une aide sur mesure aux PRF et PRI de façon à cibler la pauvreté où elle existe La pauvreté devient de plus en plus un problème de répartition nationale et non plus internationale, rendant potentiellement la gouvernance ainsi que les politiques fiscales et de redistribution nationales plus importantes que l’aide publique au développement (APD). Mais ceci ne doit pas se traduire par une interruption de l’aide fournie aux « pays pauvres ». Au lieu de cela, les bailleurs de fonds doivent faire davantage de distinctions. Suite à l’impact de la crise financière sur les recettes et dépenses des États, les PRF du monde entier ont plus que jamais besoin d’assistance. Bien que certains PRI soient en mesure de soutenir leurs propres habitants démunis, ce n’est pas le cas de tous. Certains étant seulement légèrement au dessus du seuil, le fait de leur supprimer l’aide subitement pourrait les faire basculer à nouveau dans la catégorie des PRF. Même lorsque les ressources nationales semblent plus importantes, la volonté politique peut être mitigée. Ainsi, dans les PRI, la stratégie des bailleurs de fonds devrait comprendre une plus grande gamme de mécanismes d’aide qui aille au delà des ressources (par ex : mettre l’accent sur les problèmes liés au commerce, à la migration et au changement climatique). Un mécanisme permettant de partager la responsabilité financière entre les pays plus riches et les plus pauvres. La communauté de donateurs devra choisir comment réagir face au « nouveau milliard d’en bas ». De plus en plus, les stratégies de lutte contre la pauvreté et les efforts internationaux pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) viseront autant à lutter contre les inégalités dans les PRI qu’à remédier au manque absolu de ressources
dans les pays les plus pauvres. Il convient d’adopter une approche qui cible les personnes pauvres, où qu’elles soient, et qui est axée sur de nouveaux partenariats intergouvernementaux basés sur une responsabilité et une redevabilité communes envers les pauvres (telle que la Responsabilité de protéger, ou R2P dans le contexte humanitaire). Nous devons nous éloigner d’une simple perception du monde divisée entre les donateurs et les bénéficiaires. Une telle approche pourrait se traduire par un engagement visant à fournir un niveau minimum de revenu, de soins de santé et d’éducation aux citoyens, avec une responsabilité financière partagée entre les pays riches et les pays pauvres selon un barème mobile en fonction de la richesse du pays où résident les segments de population démunis. Toutefois, les nouveaux PRI ne seront peut-être pas disposés à recevoir une aide au développement traditionnelle. Dans un tel cas de figure, les bailleurs de fonds devront accepter d’abandonner l’aide traditionnelle pour soutenir des mécanismes qui bénéficient aux pauvres uniquement de manière indirecte dans les PRI.
Conclusion Selon la Banque mondiale, le monde comptera près d’un milliard de pauvres d’ici 2015, même si les OMD sont atteints. La plupart des personnes acculées à la pauvreté se trouveront dans des PRI et représenteront les plus pauvres ou « les plus difficiles à atteindre », selon les termes de l’UNICEF. À l’heure où les discussions pour un cadre post-OMD commencent en vue du sommet de haut niveau des Nations Unies prévu en septembre 2013, de nouvelles approches devront être développées. Tout nouvel accord mondial doit tenir compte de l’évolution de la nature même de la pauvreté à l’échelle mondiale ainsi que des sujets « difficiles » que sont notamment le changement climatique et l’adaptation, la démographie et l’urbanisation. À l’approche de 2015, le « nouveau milliard d’en bas » soulève des défis très différents pour les décideurs de ceux auxquels ils furent confrontés avant l’an 2000 et l’adoption de la Déclaration du Millénaire. n
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FURTHER SURFING www.barefootcollege.org – The Barefoot College is a non-government organization providing basic services and solutions to problems in rural communities, with the objective of making them self-sufficient and sustainable. www.berggruen.org – The Nicolas Berggruen Institute is an independent think tank and consultancy engaged in the comparative study and design of systems of governance suited to the new and complex challenges of the 21st century. www.globalpolicyjournal.com – Global Policy is an innovative and interdisciplinary journal. www.grist.org – Grist – environmental news and commentary with a wry twist. www.ifad.org – The International Fund for Agricultural Development (IFAD), a specialized agency of the United Nations, is dedicated to eradicating rural poverty in developing countries. www.nestle.com/CSV – Creating Shared Value is Nestlé’s way of doing business based on sustainability. www.oaklandinstitute.org – The Oakland Institute is a policy think tank whose mission is to increase public participation and promote fair debate on critical social, economic and environmental issues in both national and international forums. www.thebreakthrough.org – The Breakthrough Institute is a paradigm-shifting think tank committed to modernizing liberal thought for the 21st century. www.triplepundit.com – Triple Pundit is a new-media company for the business community that cultivates awareness and understanding of the triple bottom line.
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