MakingIt Numéro 2
L’industrie pour le développement
Time to go
Vent green? de
changement
n Bianca Jagger: Après Copenhague n Suntech Power n Transitions énergétiques pour l’industrie n Captage et stockage du CO2
Numéro 1, décembre 2009 l “Rwanda means business” : interview avec le Président Paul Kagame l “How I became an environmentalist” : témoignage d’une petite ville provinciale aux implications mondiales par Phaedra Ellis-Lamkins, Green For All l “We must let nature inspire us” : Gunter Pauli présente un modèle commercial alternatif, à la fois soucieux de l’environnement et viable l “Old computers – new business” Microsoft sur les solutions durables pour s’attaquer aux cyber-gaspilleurs l “Green industry in Asia” : interview des participants à la conférence l Sujet d’actualité : “Is it possible to have prosperity without growth?” La “croissance écologique” est-elle vraiment réalisable ? l Politique en bref : “Greening industrial policy”, la vérité sur les émissions de CO2
Nouveau magazine trimestriel. Stimulant, critique et constructif. Forum de discussion et d’échange au carrefour de l’industrie et du développement.
Editorial
Le thème de ce second numéro de Making It : L’industrie pour le développement porte sur l’énergie, et plus précisément l’approvisionnement énergétique pour stimuler le développement durable, faciliter des activités productrices en alimentant des outils et machines électriques, et encourager des procédés de fabrication qui provoqueront moins (idéalement, aucun) de dégâts au niveau de l’environnement. Le monde ne peut pas s’attaquer à la menace du changement climatique sans résoudre le problème de l’accès à l’énergie et des solutions énergétiques. Il n’est pas possible de lutter contre la pauvreté sans créer de richesse, et il est impossible de créer de la richesse sans disposer d’une source d’énergie peu chère pour alimenter les activités économiques. Et aucun des objectifs du Millénaire pour le développement ne peut être concrétisé sans améliorer l’accès à des sources énergétiques abordables et fiables. Quelles sont les options d’énergies renouvelables pour les pays en développement ? Comment les industries des quatre coins du monde peuvent-elles faire pour augmenter la production afin de répondre à la hausse de la demande tout en diminuant dans le même temps leurs émissions de gaz à effet de serre ? Que faut-il faire pour donner aux habitants les plus pauvres de la planète l’accès à l’énergie, et comment faut-il s’y prendre ? L’énergie pour le développement est un vaste sujet et Making It espère provoquer la réflexion, et servir de vecteur à des discussions et des débats élargis et approfondis. Le nouveau site web de Making It, www.makingitmagazine.net, constitue une plateforme interactive pour l’échange d’idées et d’opinions et nous vous invitons, vous le lecteur, à vous y joindre. Nous voulons savoir ce que vous pensez de ce sujet, ce que le développement énergétique signifie pour votre pays, votre communauté, votre entreprise. Si vous êtes d’accord ou non, ou si même vous pensez que nos collaborateurs sont passés à côté du problème, nous voulons connaître vos réactions, votre réponse.
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Sommaire
MakingIt L’industrie pour le développement
Rédacteur en chef : Charles Arthur editor@makingitmagazine.net Comité éditorial : Ralf Bredel, Tillmann Günther, Sarwar Hobohm, Kazuki Kitaoka, Ole Lundby (président), Cormac O’Reilly Illustration de couverture de Patrick Chappatte – www.globecartoon.com Conception : Smith+Bell, Royaume-Uni – www.smithplusbell.com Traduction: WorldAccent, Royaume-Uni – www.worldaccent.com Merci à Lauren Brassaw, Donna Coleman, et Manuel Mattiat de leur assistance. Imprimé par Ueberreuter Print GmbH, Autriche – www.ueberreuter.com sur du papier certifié PEFC Pour consulter cette publication en ligne et pour participer aux discussions sur l’industrie pour le développement, veuillez consulter www.makingitmagazine.net Pour vous abonner et recevoir les numéros futurs de Making It, veuillez envoyer un e-mail avec vos nom et adresse à subscriptions@ makingitmagazine.net Making It : Industry for Development est publié par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienna International Centre, P.O. Box 300, 1400 Vienne, Autriche Téléphone : (+43-1) 26026-0 Fax : (+43-1) 26926-69 E-mail : unido@unido.org Copyright © 2010 The United Nations Industrial Development Organization Aucune partie de la présente publication ne peut être utilisée ou reproduite sans l’autorisation préalable du rédacteur. ISSN 2076-8508 Les titres employés dans ce magazine, et la présentation des matériaux, ne sousentendent pas l’expression d’un avis, quel qu’il soit, de la part du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) concernant le statut juridique de tout pays, territoire, ville ou zone, ou de ses autorités, ou concernant la délimitation de ses frontières ou démarcations, ou de son système économique ou degré de développement. Les désignations telles que “développé”, “industrialisé” et “en développement” sont destinées à être utilisées à titre de commodité statistique et n’expriment pas forcément un jugement sur le stade d’avancement atteint par un pays ou une zone donné(e) en termes de processus de développement. Toute mention du nom d’une entreprise ou de produits commerciaux ne constitue par leur aval par l’ONUDI. Les avis, données statistiques et estimations contenues dans les articles signés relèvent de la responsabilité de leurs auteurs, notamment ceux qui sont des employés de l’ONUDI, et ne doivent pas être interprétés comme reflétant les opinions ou portant le soutien de l’ONUDI. Le présent document a été produit sans révision officielle de la part des Nations Unies.
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FORUM MONDIAL 6 Lettres 7 Après Copenhague – Bianca Jagger 10 Sujet d’actualité – Les avantages et les inconvénients des biocarburants 14 Questions commerciales – Infos, tendances, innovations et manifestations ARTICLES 16 Choix d’énergies renouvelables dans les pays en développement – José Goldemberg et Oswaldo Lucon font l’état des lieux 19 Transitions énergétiques pour l’industrie – Nobuo Tanaka, Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie
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22 CHRONIQUE L’énergie pour tous – Kandeh Yumkella, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, et Leena Srivastava, de l’Energy and Resources Institute, discutent des mesures à prendre pour améliorer l’accès énergétique
Numéro 2, mai, 2010
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30 Le Bangladesh transformé par les femmes entrepreneurs – Dipal Barua affirme que les systèmes d’énergies renouvelables peuvent contribuer à l’autonomisation des femmes et à la création d’émplois 32 Partout sous le soleil – Zhengrong Shi, fondateur et PDG de Suntech Power, vante les vertus de la ressource énergétique la plus abondante de la nature 36 L’énergie pour le développement – Interview avec Michael Spindelegger, Ministre des Affaires étrangères d’Autriche
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40 Captage et stockage de CO2 – Statoil CEO, Helge Lund, explique comment le CCS peut aider à endiguer le changement climatique POLITIQUE EN BREF 42 Le financement des énergies renouvelables 43 Toute la différence que peuvent apporter les décisionnaires 44 FiT: La tarification préférentielle 46 Le mot de la fin – Alice Amsden discute de la politique industrielle et de la réduction de la pauvreté
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FORUM MONDIAL
La rubrique du Forum mondial de Making It est un lieu d’interaction et de discussions et nous encourageons les lecteurs à réagir et à répondre aux questions soulevées dans le magazine. Les lettres destinées à être publiées dans Making It doivent porter la mention ‘For publication’ et être envoyées par e-mail à : editor@makingitmagazine.net ou par courrier à : Making It, UNIDO (Room D-2226), PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Il est possible que les lettres/e-mails soient modifiés pour des raisons de place). Dans le but d’assurer une plateforme pour de plus amples discussions sur les questions soulevées dans Making It, un site web du magazine a été créé sur www.makingitmagazine.net Les lecteurs sont encouragés à naviguer dans le site pour participer aux discussions et débats en ligne sur l’industrie pour le développement.
LETTRES Microsoft et les déchets électroniques Je suis surpris de voir que Making It (Numéro 1, décembre 2009) comporte un article de Microsoft sur les déchets électroniques. Greenpeace vient de publier son tout dernier Guide de Green Electronics, qui évalue les 18 premiers fabricants d’ordinateurs personnels, de téléphones mobiles, de téléviseurs et de consoles de jeux, les jugeant sur leurs politiques en matière de produits chimiques toxiques, de recyclage et de changement climatique. Microsoft a reculé de deux places depuis la dernière évaluation, et figure désormais en 17e position sur 18 ! Le rapport de Greenpeace stipule : « En matière de déchets électroniques, Microsoft participe dorénavant à une coalition de l’UE qui soutient la responsabilité des producteurs individuels... (mais) pour ce qui est d’autres critères de déchets électroniques, Microsoft n’a pas remporté le moindre point ». Et de préciser : « Microsoft propose de nombreux liens vers des initiatives de recyclage lancées par Microsoft (MAR, Digital Pipeline), d’autres organisations (par ex. myGreenElectronics de CEA) et d’autres fabricants d’appareils électroniques, mais il continue de se refuser à reprendre gratuitement ses propres produits ». Le rapport ajoute : « Microsoft utilise des plastiques recyclés dans les pellicules d’emballage de ses produits, mais aucune précision n’est donnée sur leur utilisation dans les appareils à proprement parler ». l Constantine Simpson, reçu par e-mail
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Un porte-parole de Microsoft a envoyé la réponse suivante : L’engagement de Microsoft en matière de durabilité environnementale s’appuie sur des stratégies qui visent à minimiser l’impact de nos opérations, à utiliser l’informatique pour améliorer la rentabilité énergétique et à accélérer les découvertes technologiques qui engendreront de meilleures connaissances scientifiques à l’échelle mondiale. Nous reconnaissons qu’il reste encore du travail à faire pour atteindre nos objectifs de durabilité et nous ne relâchons pas nos efforts dans ce domaine. Au niveau de notre secteur des appareils électroniques de consommation, nous observons, voire même dépassons, l’ensemble des directives et règlements applicables en matière environnementale. Nous sommes engagés à faire des progrès au niveau des questions environnementales, sans faire de compromis en termes de durabilité, de sécurité, de performance et de coûts abordables que les consommateurs exigent. Nous sommes constamment en quête de trouver des moyens d’être plus efficaces, d’utiliser moins de matériaux et d’assurer une amélioration continue, tout en maintenant un niveau de qualité en hausse et en gardant les coûts au minimum. Par ailleurs, nous avons éliminé des substances et réduit les matériaux sans pour autant sacrifier à notre engagement en matière de sécurité du consommateur, d’innovation et de qualité.
L’heure est au vert ! Le magazine Making It est une contribution très appréciée aux efforts de l’ONUDI d’encourager les débats sur le développement et d’assurer sa notoriété auprès d’un public plus large. Il s’exprime dans des mots simples et ne
craint pas les sujets à controverse. Cela fait près d’un quart de siècle que j’agis régulièrement comme consultant auprès de l’ONUDI et je n’avais encore jamais vu une telle publication. Je lui souhaite les meilleurs succès. En ce qui concerne l’article à la rubrique Hot Topic (Sujet d’actualité) du premier numéro qui portait sur la prospérité sans croissance : pour ce qui est de la nature, la production industrielle a adopté la position qui consiste à supposer qu’une relation à sens unique peut être durable, et omet de restituer à la biosphère ce qu’elle en extrait. Nous avons enfin compris que cela n’est pas possible. Le titre de couverture du premier numéro de Making It : « Time to go green » (L’heure est au vert) aurait dû s’accompagner d’un point d’exclamation, non pas d’un point d’interrogation. l Paul Hesp, reçu par e-mail
Préoccupations environnementales : du luxe de riche ? C’est un bon article (« How I became an environmentalist » – Making It, Numéro 1) mais je me demande quel serait le point de vue de Mme Ellis Lamkins si elle vivait dans un pays bien plus pauvre. La Californie n’est certainement pas un endroit pauvre et je me demande si l’environnement signifie aussi quelque chose pour ceux qui n’ont que quelques centimes par jour pour vivre en Afrique et en Asie ? l Marko Simic, reçu par e-mail Réponse du rédacteur en chef de Making It : Il me semble que dans son article, Ellis-Lamkins cherche à montrer que la santé et la sécurité, et l’environnement, sont des
préoccupations immédiates dans les pays du monde entier. Comme elle l’écrit, les parents veulent « assurer la santé, la sécurité et la viabilité économique de leurs enfants et de leurs communautés ».
Accroc Après le premier numéro de Making It, on ne peut qu’être impressionné par la qualité de la production, tout d’abord en termes de contenu, puis au niveau de l’agencement, des couleurs et du design. Alors que la tendance actuelle est de délaisser l’imprimé en faveur du numérique, cette version papier m’accompagne dans mes voyages. Ayant moi-même démarré trois projets dans le secteur de la publication, je ne sais que trop bien qu’il faut des professionnels pour accrocher le lecteur, et c’est certainement ce que vous êtes parvenus à faire avec moi. l Pr. Gunter Pauli, fondateur de Zero Emissions Research and Initiatives, auteur de The Blue Economy, Tokyo, Japon
Formidable Merci beaucoup de m’avoir envoyé un exemplaire de votre magazine. En tant qu’ancien représentant autrichien auprès de l’ONU et actuel président du Conseil consultatif du European Traning Centre for Human Rights and Democracy, je lirai vos numéros futurs avec beaucoup d’intérêt. Bien cordialement, et mes meilleurs vœux de réussite pour cette formidable initiative. l Walther Lichem, Vienne, Autriche
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Après Copenhague BIANCA JAGGER, qui a participé à la conférence sur le changement climatique à Copenhague en décembre 2009, critique vivement l’accord qui en a résulté et en appelle à des mesures immédiates et concrètes pour enrayer une catastrophe climatique. Je ne suis pas prête d’oublier mon expérience de participer au sommet de Copenhague sur le changement climatique (COP15) en décembre dernier. Il s’agissait là d’une occasion unique d’engager le monde sur la bonne voie pour éviter les conséquences catastrophiques du changement climatique. Deux jours durant, les dirigeants du monde entier se sont réunis sous un même toit dans un but commun. Comptant la participation de 120 chefs d’Etat, le COP15 a été le plus grand rassemblement de son genre à avoir lieu, en-dehors de l’Assemblée générale des Nations Unies qui se tient à New York. Les deux semaines de réunions, qui se sont poursuivies jusque tard dans la nuit, ont marqué l’apogée de deux années d’intenses négociations. La conférence a fait l’objet d’une attention sans précédent, tant de la part du public que des médias. Et pourtant, le résultat, l’Accord de Copenhague, est un honteux compromis. Yvo de Boer a récemment annoncé son intention de démissionner de son poste de chef de la Convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). A la veille de COP15, il avait affirmé sans équivoque que ce sommet ne pourrait être réussi que s’il engendrait des mesures significatives et immédiates. Or malheureusement, COP15 n’a pas tenu ses promesses. Henry Ford a dit un jour « la plupart des gens dépensent plus de temps et d’énergie à éviter les problèmes qu’à essayer de les résoudre » et c’était vrai dans un trop nombre de positions de négociation qui se sont affichées lors de COP15. Ce sont bien ces mêmes dirigeants et ces mêmes négociateurs qui doivent maintenant assumer l’entière responsabilité de leurs actions.
Juridiquement contraignant L’échec de Copenhague a été ressenti dans le monde entier, se traduisant par de graves incertitudes quant à la capacité des chefs d’Etat à produire un traité international sur le changement climatique qui soit exhaustif et juridiquement contraignant. Or l’expression « juridiquement contraignant »
En 2004, Bianca Jagger a reçu la récompense Right Livelihood, surnommée « l’autre prix Nobel », pour son « engagement de longue date et son dévouement à des campagnes portant sur tout un éventail de questions relevant des droits de l’homme, de la justice sociale et de la protection de l’environnement ». Elle est la fondatrice et la présidente de la fondation Bianca Jagger Human Rights Foundation.
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était ostensiblement absente dans le texte de trois pages de l’Accord de Copenhague. L’accord se contente d’être « politiquement contraignant » pour les pays qui choisissent de le ratifier. Par ailleurs, il ne fixe pas d’objectifs de réduction des émissions ni pour 2020 pas plus que pour 2050, et s’abstient de fixer une date butoir au-delà de laquelle des points d’action deviendraient applicables. La conférence des parties à Copenhague n’a même pas adopté l’Accord. Elle s’est contentée d’en prendre note. « Le statut exact du soi-disant Accord de Copenhague... n’est pas clair... », a fait remarquer Rob Fowler, président de l’Académie du droit environnemental d’IUCN. « Il ne parvient même pas à atteindre le statut d’acte de “droit souple” et constitue donc le résultat le plus minime qu’il était possible de concevoir ». A la fin du sommet, les chefs d’Etat des Etats-Unis et du groupe des pays BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) sont parvenus à un accord de dernière minute dans les coulisses. C’était comme si les 9 mois de discussions préparatoires n’avaient jamais eu lieu et comme si le plan d’action de Bali adopté en 2007 n’avait jamais existé. Ce groupe a trouvé qu’il était plus facile de parvenir à un (non-)accord derrière des portes closes sur quelques points de principe élémentaires, plutôt que de travailler à un traité en passant par le processus officiel ‰
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‰ de la CCNUCC. Bien que l’Union européenne se fût montrée le chef de file indiscutable en matière de changement climatique lors du COP3 en 1997 et de la ratification du protocole de Kyoto, elle ne faisait pas partie de ce groupe. Les participants de la CCNUCC ont été mis devant le fait accompli, interprété par beaucoup comme relevant d’un ultimatum « à prendre ou à laisser ». L’Accord de Copenhague n’est pas parvenu à un accord unanime, plusieurs motions d’ordre ayant été soulevées par les parties. Comme l’a fait remarquer Apisai Ielemia, le premier ministre de Tuvalu, dans le système des organismes des Nations Unies « les nations petites et grandes sont traitées avec un respect égal ; l’annonce publique d’un accord avant la conférence des parties a fait preuve d’un manque de respect vis-à-vis du processus et du système des organismes des Nations Unies ». Il a souligné des problèmes majeurs au niveau de l’accord politique, en affirmant qu’il était dépourvu de base scientifique, de mécanisme d’assurance internationale et de garanties sur la pérennité du protocole de Kyoto. « Nous sommes venus ici en nous attendant à un processus ouvert et transparent. Malheureusement, ça n’a pas été le cas ». Ce qui s’est passé à Copenhague a laissé les pays en développement frustrés d’être marginalisés par le monde développé, d’être exclus de la prise de décision et devant le manque de transparence du mode de négociations.
350 parties par million L’Accord de Copenhague reconnaît qu’une hausse des températures de plus de 2 °C serait catastrophique, mais il ne comporte aucun engagement ferme pour s’attaquer à cette crise mondiale imminente. « La limite maximale sûre pour la teneur en CO2 dans l’atmosphère se situe à la barre des 350 parties par million (ppm) », a déclaré le professeur James Hansen, Chef de la NASA Goddard Institute for Space Studies. Les niveaux atmosphériques avoisinent actuellement les 389 ppm. Le programme des Nations Unies de réduction des émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts dans les pays en développement, le programme
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La rue à Copenhague, s’il vous plaît?
C’est Copen-hague
Sommet le réchau sur -ment deffeplanète, la 2020
(REDD), était censé faire partie du traité juridiquement contraignant. Les émissions provenant du déboisement représentent environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre, et le Rapport Stern sur l’économie du changement climatique affirme que « réduire le déboisement constitue un moyen extrêmement rentable de réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Planter 10 millions de km² de forêts naturelles aidera à stabiliser la concentration de CO2 dans l’atmosphère de la Terre au niveau des 350 ppm que prescrit le professeur Hansen. En l’absence d’un traité juridiquement contraignant, la mise en œuvre de REDD s’appuie sur des actions volontaires et engagées sur le plan national. Les estimations les plus basses sur le financement de REDD sont comprises entre 22,4 milliards dollars É.U. et 37,3 milliards dollars É.U. entre 2010 et 2015 pour venir à l’appui des activités préparatoires. A ce jour, six pays développés : l’Australie, la France, le Japon, la Norvège, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, se sont engagés à assurer un apport d’un montant total de 3,5 milliards dollars É.U. pour venir à l’appui de la mise en œuvre de REDD entre 2010 et 2012.
L’Accord comporte certes un engagement de la part des pays développés à payer au monde en développement 30 milliards dollars É.U. « d’aide au climat » au cours des 3 prochaines années, en vue de porter ce montant à 100 milliards dollars É.U. par an à compter 2020. Cette offre n’est toutefois pas juridiquement contraignante. L’Accord omet de préciser les pays récipiendaires de ce financement, les montants, les conditions et les mécanismes à appliquer.
De l’argent virtuel Même des engagements concrets peuvent être imprévisibles, conditionnels, et sélectifs dans leur mise en œuvre, et les « objectifs » de financement visés par l’Accord sont tout sauf concrets. Comme le dit le professeur Hansen, même l’argent promis aux pays en développement est « ... de l’argent virtuel. Il n’existe aucun mécanisme pour qu’un financement de la sorte se produise bel et bien, et aucune attente à ce qu’il ne se fasse ». De « l’argent virtuel » ne suffit pas. Nous devons en appeler pour qu’un plan fiscal concret soit en place, qui vise à encourager le développement durable. Lorsque les gouvernements sont venus à la rescousse des
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banques lors de la récente crise financière mondiale, aucun « objectif » n’a été déclaré. A eux seuls, les Etats-Unis ont dépensé 750 milliards dollars É.U. pour sauver leurs banques. Après le sommet de Copenhague, le quotidien français Libération a critiqué la lenteur et le manque d’engagement pour sauver la planète par rapport aux efforts déployés pour sauver le système financier mondial : « Cette observation amère s’impose : lorsqu’il s’agit d’aller à la rescousse du système financier, le dialogue est bien plus efficace et résolu. Il est clairement plus facile de sauver les finances plutôt que de sauver la planète ». Alors où allons-nous maintenant ? Question des plus difficiles. Comment faire pour parvenir à un engagement contractuel, quand les dirigeants du monde entier, réunis dans un but unique et avec toutes les ressources de COP15, n’y sont pas parvenus ?
« Je ne cherche pas à être alarmiste, c’est bien la situation qui est alarmante. C’en est fini de trouver d’éternelles excuses et de tout remettre à plus tard, de faire un pas en avant et deux pas en arrière. »
Première épreuve primordiale Il avait été demandé aux pays de présenter leurs engagements volontaires en matière de réduction des gaz à effet de serre sur le plan national dans un document commun d’ici le 31 janvier 2010. Il s’agissait là de la première épreuve primordiale de la pertinence de l’Accord. A la mi-février, 55 pays avaient mis en avant des plans visant à diminuer les gaz à effet de serre. A ce jour, c’est la Norvège qui a arrêté l’objectif le plus significatif, en s’engageant à des réductions de l’ordre de 30 à 40 % d’ici 2020. De même, le Liechtenstein, Monaco, le Japon et l’Islande se sont engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 30 % et l’UE s’est engagée à une réduction comprise entre 20 et 30 %. Tous ces pays ont basé leurs réductions par rapport à leurs niveaux de 1990. Par contre, les Etats-Unis et le Canada ont cadré leurs engagements dans des termes trompeurs, offrant de réduire les émissions de 17 % par rapport aux niveaux de 2005, ce qui ne représente qu’une réduction de 3,2 % par rapport à leurs niveaux de 1990. L’Inde, le cinquième pollueur au monde par la taille, s’est engagée à réduire ses émissions de CO2 de 20 à 25 % d’ici 2020, par rapport aux niveaux de 2005, sans pour autant préciser les mesures qui seront prises pour y parvenir. De même, la Chine «
s’efforcera de réduire ses émissions par unité de PIB de l’ordre de 40 à 45 % d’ici 2020 ». La Chine a également pour projet « d’augmenter la part des combustibles non fossiles dans sa consommation d’énergie primaire de près de 15 % d’ici 2020, et d’accroître la couverture forestière de 40 millions d’hectares, et le volume de réserves forestières de 1,3 milliards de m3 d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 2005 ». Il revient à chaque pays de contrôler soimême son engagement vis-à-vis de l’Accord et de respecter ses propres objectifs. Certains Etats ont fait part de leur soutien à l’Accord sans pour autant avoir présenté des objectifs à ce jour. D’autres ont avancé des objectifs de réduction, mais n’ont pas fait part de leur soutien pour l’Accord.
et deux pas en arrière. L’heure est venue pour que les décideurs politiques et économiques prennent des mesures concrètes lesquelles visent à enrayer cette catastrophe climatique. C’est maintenant qu’il faut faire preuve courage et de leadership, c’est maintenant qu’il faut agir. L’impératif moral du siècle est de s’attaquer au changement climatique. Notre avenir en dépend, mais aussi le destin des générations futures, et l’avenir de toutes les espèces qui vivent sur cette planète. Aujourd’hui plus que jamais, les nations, sociétés, communautés et individus sont tous interconnectés et interdépendants. C’est une illusion de l’esprit que de croire possible de compartimenter les crises qui assaillent notre monde aujourd’hui et qu’il est possible de s’y attaquer sans révolutionner notre mode de vie. Le changement climatique concernera tout le monde, partout, tous les Etats, et tous les groupes socioéconomiques, de centaines de façons : pollution urbaine, érosion des zones rurales, contamination des océans et rivières, désertification, migration de masse vers des villes surpeuplées, sécurité des individus et des Etats... Nous devons impérativement changer nos façons de vivre, manger, penser, échanger et voyager pour bâtir sur des fondations solides et pérennes. Nous n’y arriverons qu’avec la coopération entre les nations, les Etats, les dirigeants, les parties, les organisations et les individus. A ce croisement crucial de l’histoire, il en va de notre survie à tous ou de notre perte à tous. n
Agir maintenant L’échec de la part des dirigeants du monde à parvenir à un traité mondial, exhaustif et juridiquement contraignant a relevé d’une lamentable abdication de responsabilité. Je ne cherche pas à être alarmiste, c’est bien la situation qui est alarmante. C’en est fini de trouver d’éternelles excuses et de tout remettre à plus tard, de faire un pas en avant
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SUJET D’ACTUALITÉ Avec cette rubrique régulière, Making It invite des collaborateurs distingués à réfléchir à un sujet d’actualité qui fait l’objet de controverses. Le débat se poursuit : quels sont les avantages et les inconvénients des biocarburants ?
Biocarburants : un argumentaire en faveur du droit à l’alimentation JEAN ZIEGLER, vice-président du Comité consultatif du Conseils des droits de l’homme des Nations Unies et ancien rapporteur spécial auprès des Nations Unies sur le droit à l’alimentation (2000-2008). Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Toutes les 5 minutes, quelqu’un perd la vue en raison d’une insuffisance de vitamine A. Tous les jours, 25 000 personnes meurent de faim et de causes qui y sont immédiatement apparentées. Plus d’un milliard de personnes sont gravement malnutries de manière définitive. Le noma est l’une des conséquences les plus brutales de la malnutrition : il s’agit d’une maladie dévastatrice qui touche principalement les enfants de moins de 12 ans. Elle laisse un trou béant dans le visage de l’enfant, s’il arrive à survivre car le taux de mortalité est compris entre 80 et 90 %. C’est une réalité choquante et une ironie insupportable que le même rapport de la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, donnant le nombre de victimes de l’insécurité alimentaire dans le monde, indique que l’agriculture mondiale dans son état de développement actuel pourrait, sans le moindre problème, nourrir 12 milliards de personnes, soit près du double de l’actuelle population mondiale. Ces dernières années, les biocarburants ont été salués non seulement comme solution au changement climatique et à l’insécurité énergétique, mais aussi comme option capable de s’attaquer à l’insécurité alimentaire qui fait des ravages dans des régions du monde. Cependant, avant même que la crise
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alimentaire n’en vienne à son apogée en 2008, alors que la controverse concernant les biocarburants battait son plein, des inquiétudes se faisaient entendre sur les effets qu’une hausse de la production de biocarburants allait avoir sur le droit à l’alimentation.
Impact environnemental Les études récentes révèlent que les biocarburants, en tant que tels, ne constituent pas la panacée environnementale. Le côté écologique des biocarburants et leur capacité à faire des économies carbone dépendent de leur mode de production. La canne à sucre, par exemple, est considérée être très efficace pour la production de bioéthanol, et la consommation de celui-ci est moins nuisible pour l’environnement que l’utilisation de carburants traditionnels. Il n’empêche que les avantages du bioéthanol diminuent considérablement si des forêts tropicales riches en carbone sont converties en plantations de canne à sucre, et dont l’effet provoque une énorme augmentation des émissions de gaz à effet de serre. A en croire une estimation, la conversion de forêts tropicales, tourbières, savanes ou prairies en
« Une étude de la Banque mondiale estime qu’entre 70 et 75 % de la hausse des prix des denrées alimentaires de 2002 à 2008 étaient imputables aux biocarburants »
champs pour produire des biocarburants basés sur des denrées alimentaires au Brésil, en Malaisie, en Indonésie et aux Etats-Unis a pour effet de créer une « dette carbone de biocarburant ». Ce procédé génère jusqu’à 420 fois plus de CO2 que les réductions de gaz à effet de serre que ces biocarburants permettraient de réaliser en remplaçant les carburants fossiles. Dans de pareilles conditions, la production de biocarburants remplit le rôle d’un cheval de Troie environnemental. Dans les plantations d’huile de palme de grande échelle à Bornéo et à Sumatra, et dans les exploitations de canne à sucre au Brésil, les eaux usées et la pollution de l’eau, l’utilisation à outrance d’engrais, l’érosion des sols, la pollution de l’air localisée attribuable à la pulvérisation de produits chimiques et la pratique du brûlis de la terre après la récolte constituent tous des problèmes de premier ordre. Les effets nocifs pour l’environnement de la production de biocarburants influent directement sur la concrétisation du droit à l’alimentation de millions de personnes à moyen et à long terme, surtout parmi les groupes qui ont besoin d’accès à un sol fertile et à de l’eau propre pour faire pousser leurs cultures.
Prix des denrées alimentaires Dans le rapport de 2007 du Rapporteur spécial auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies, je soulevais le problème du rôle que jouent les biocarburants dans l’augmentation des prix des denrées alimentaires sur le plan international. Beaucoup d’experts ont établi la même corrélation. Une étude de la Banque mondiale estime qu’entre 70 et 75 % de la hausse des prix des denrées alimentaires de 2002 à 2008 étaient imputables aux biocarburants, et que celle-ci s’est accompagnée en outre des conséquences annexes de diminution des stocks de céréales, de changements d’utilisation des sols à grande échelle, d’activités spéculatrices et d’interdictions d’exportation. John Lipsky, du Fonds monétaire international, estime que l’utilisation de cultures vivrières, tout particulièrement de maïs, pour produire du bioéthanol, est responsable à hauteur d’au moins 40 % de l’explosion des prix. Les subventions et autres outils fiscaux destinés à
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entier, les régimes fonciers sont systématiquement discriminatoires vis-à-vis des femmes, où très souvent les droits fonciers dépendent de l’état matrimonial. Dans ce contexte, l’augmentation de la production de cultures de biocarburant peut avoir un coût élevé sur la sécurité alimentaire des femmes rurales, qui sont rarement capables de s’opposer légalement à leur déplacement par une agro-industrie puissante. Dans la même veine, comme l’avertit un analyste, la concentration foncière (c’est-à-dire l’acquisition de grandes parcelles de terre, généralement par des groupes étrangers ou des Etats) peut entraîner « un processus de marginalisation des petits agriculteurs à un degré jusque-là jamais vu, qui soit deviennent des travailleurs mal payés, soit vont grossir les rangs des pauvres vivant dans les villes ».
Désolé, sauver la planète m'occupe
Moins d’emplois
promouvoir l’utilisation de biocarburants, surtout aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, ont contribué de manière décisive à une hausse de la demande de sucre, de maïs, de blé, de graines oléagineuses et d’huile de palme. L’incitation de produire des cultures pour des biocarburants a été d’autant plus exacerbée par les cours élevés du pétrole, qui ont accentué l’attrait des biocarburants comme alternative aux combustibles fossiles. Il s’est alors produit une véritable concurrence entre les denrées alimentaires et le pétrole, alors que les stocks mondiaux de blé et de maïs se sont mis à diminuer considérablement. L’augmentation de la demande de ces denrées alimentaires comme biocarburants a provoqué la hausse sensible de leurs cours sur les marchés mondiaux, ce qui s’est traduit à son tour par une hausse des prix des denrées alimentaires. L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires prévoit que le nombre de personnes souffrant de malnutrition pourrait augmenter de 16 millions pour chaque hausse de point de pourcentage du prix réel des denrées alimentaires.
Des groupes vulnérables Il est nécessaire de faire tout particulièrement attention aux divers impacts sociaux que la production de biocarburants exerce sur les groupes vulnérables. Potentiellement, le développement de la production de biocarburants a un rôle important à jouer en termes de réduction de la pauvreté, et donc à respecter le droit de chacun à avoir un niveau de vie adéquat, et notamment à la sécurité alimentaire. Il n’empêche que l’expérience a montré qu’il s’accompagne d’autres impacts sociaux autrement nuisibles. L’expansion de la production de biocarburants en Amérique latine et dans des régions d’Asie du sud-est et d’Afrique s’est traduite par des violations de droits fonciers et des évictions forcées : les agences des Nations Unies les ont documentées dans de nombreux rapports et études. Les populations indigènes, les petits agriculteurs et les habitants des forêts sont les plus touchés. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de discuter de droits fonciers, il est indispensable de tenir compte de la différence entre les sexes. Dans le monde
Certains défenseurs des biocarburants affirment qu’ils présentent des possibilités de création d’emplois, qui sont donc implicitement bénéfiques pour la sécurité alimentaire de ces employés. Or les données empiriques présentent une réalité plus complexe, si ce n’est contradictoire. Dans les pays à forte expansion de la production de biocarburants, les emplois dans le secteur agricole semblent avoir baissé et on y observe une tendance accrue à des emplois saisonniers. La généralisation de la mécanisation des moyens de récolte va forcément s’accompagner de prévisions négatives en termes d’emplois futurs. Si l’on s’accorde sur le fait que plus d’emplois s’accompagnent d’une sécurité alimentaire accrue, alors moins d’emplois et des emplois moins stables sont synonymes d’insécurité alimentaire et de menace portée à la concrétisation du droit à l’alimentation. Un nombre alarmant de rapports rédigés par des ONG et des agences gouvernementales et intergouvernementales insistent sur les salaires souvent catastrophiques et les conditions de travail exécrables pratiqués dans les plantations d’huile de palme et de canne à sucre. On y observe un système de servitude pour dettes, qui a pour effet de soumettre les travailleurs à des relations d’esclavage avec les propriétaires de la plantation et/ou d’autres ‰
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SUJET D’ACTUALITÉ ‰ intermédiaires. La faim et la nécessité de nourrir leurs familles contraignent des individus à accepter des conditions de travail épouvantables, qui souvent équivalent ou s’apparentent à de l’esclavage.
Le développement des bioénergies en Afrique subsaharienne
Des réformes structurelles Dès aujourd’hui, nous devons nous mettre à évaluer les biocarburants depuis le point de vue du milliard d’habitants qui ont faim sur la planète. En d’autres mots, il incombe aux gouvernements d’assumer leurs responsabilités légales en termes de respect, de protection et de concrétisation du droit à l’alimentation de leurs populations. C’est pour cette raison que si l’on envisage d’élargir la production de biocarburants, il est nécessaire d’engager des réformes structurelles pour faire face aux problèmes structurels. Nous devons prendre à bras le corps le bien-être des générations actuelles et futures. Il est nécessaire d’engager des réformes foncières, destinées à habiliter les groupes vulnérables, comme les agriculteurs sans terre, les habitants des forêts, petits exploitants agricoles, groupes indigènes et femmes. Il est impératif d’ajuster les budgets pour soutenir de tels programmes et d’accorder la priorité aux groupes vulnérables pour assurer leur droit à l’alimentation. Et enfin, des mesures législatives qui encouragent des modèles inclusifs, comme par exemple le programme Pro-Biodiésel au Brésil, doivent être reproduites et poursuivies de toute urgence. Ce sont de telles mesures qui permettraient aux biocarburants d’apporter la solution sociale qu’ils promettent. En attendant, il revient aux pays développés, qui sont en partie responsables de la hausse de la demande de biocarburants suite à leurs programmes de subventions, de reconnaître et de s’attaquer aux effets sociaux et environnementaux de la production de biocarburants, et de l’expansion de leur production. Après tout, comme le disait Jean-Jacques Rousseau il y a de nombreuses années de cela : « Entre le faible et la fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ». Le droit à l’alimentation doit être défendu par tous. n
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STEPHEN KAREKEZI et JOHN KIMANI – AFREPREN/FWD (Réseau de l’énergie, de l’environnement et du développement pour l’Afrique), organisation non-gouvernementale basée à Nairobi, au Kenya. La hausse récente des cours du pétrole et du charbon, qui s’est accompagnée d’une intensification des débats sur le changement climatique, ont conduit de nombreux analystes à suggérer que le développement de bioénergies modernes pourrait aider à enrayer les impacts négatifs induits par la volatilité des cours de combustibles fossiles et par une dépendance continue vis-à-vis d’options traditionnelles mais inefficaces d’énergie à partir de la biomasse, tout en contribuant dans le même temps à réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est pour toutes ces raisons que ces trois-quatre dernières années, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne se sont lancés dans des initiatives de bioénergies modernes, et plusieurs d’entre eux se sont empressés de conclure des accords avec des investisseurs internationaux pour le développement de biocarburants liquides de grande échelle. Certains pays ont donné leur accord au déboisement de forêts vierges et à la conversion de terres arables qui conviennent à des cultures vivrières en des champs pour des cultures de biocarburants, avec des impacts potentiellement nuisibles sur les réserves forestières et la sécurité alimentaire. Par ailleurs, bon nombre des nouveaux programmes de biocarburants ne sont pas conçus pour répondre à la demande interne, mais sont en grande partie destinés à l’exportation sur les marchés internationaux, particulièrement vers l’Union européenne (EU) qui a annoncé des objectifs ambitieux en matière de biocarburants. Devant ces développements, certains gouvernements africains ont décidé de mettre en œuvre des mesures qui limitent la
production directe de bioénergies (particulièrement de biocarburants liquides) à partir de cultures vivrières et/ou à partir d’anciennes terres arables vivrières. Ainsi par exemple, en 2008, le président de la République-Unie de Tanzanie a interdit la culture du jatropha dans une région sélectionnée pour la production rizicole. La controverse qui entoure le développement de biocarburants liquides en Afrique subsaharienne a éclipsé des options de biocarburant moins connues, mais réussies, aux impacts positifs importants, tant à faible échelle au niveau des petits agriculteurs, que sur le plan d’économies nationales d’Afrique subsaharienne. L’une de ces options concerne la cogénération à haute pression à partir des sous-produits de la production du sucre de canne.
Cogénération La cogénération est la production simultanée d’électricité et de chaleur à partir d’une seule centrale électrique. Une centrale électrique de cogénération brûle de la bagasse (ce résidu fibreux qui reste après le broyage des tiges de canne à sucre pour en extraire le jus), ce qui émet de la vapeur qui produit de la chaleur et entraîne une turbine qui produit de l’électricité. La cogénération bagasse utilise des déchets qui sont autrement un embarras pour les raffineries de sucre : elle prend facilement feu et pose des problèmes environnementaux car quand elle se décompose, la bagasse émet du méthane, un gaz à effet de serre plus puissant que le dioxyde de carbone. La cogénération bagasse ne constitue pas une technologie nouvelle de l’industrie sucrière d’Afrique subsaharienne : c’est en fait une utilisation novatrice d’équipements de cogénération hautement efficaces, dans le but de créer une source
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Sucrerie, île Maurice.
Partage des revenus L’une des réalisations sans doute les plus importantes est le recours à tout un ensemble de mesures innovantes de partage des revenus. L’industrie mauricienne de la cogénération a ainsi travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement pour veiller à dériver d’importants gains monétaires de la vente d’électricité produite à partir de la cogénération pour en faire bénéficier l’ensemble des parties prenantes de l’économie sucrière, y compris les pauvres, les petits agriculteurs et les exploitants de canne à sucre. Les politiques de partage équitable des revenus à l’île Maurice constituent un modèle à émuler pour les projets actuels et futurs à base de bioénergies dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Autre développement important à relever : sur l’île Maurice, le développement de la
du total de la demande d’électricité dans la région. Si on y inclut les déchets de la biomasse issus d’autres agro-industries et de la sylviculture, alors la cogénération pourrait produire 10 % de l’électricité de la région.
Enseignement principal
Tim Graham/Getty Images
d’approvisionnement énergétique commercial de plus en plus importante. L’île Maurice est le leader au niveau de ce procédé où, grâce à l’usage extensif de cogénération bagasse, l’industrie sucrière du pays est autonome en termes d’électricité et est capable de revendre ses excédents au réseau électrique national. L’industrie sucrière contribue dorénavant à plus de la moitié de l’approvisionnement en électricité de l’île. La cogénération à l’île Maurice est conçue pour utiliser la bagasse pendant la saison de la récolte de la canne à sucre (qui dure environ 6 mois), du charbon étant utilisé le restant de l’année pour assurer l’approvisionnement en électricité. Le développement de cogénération à base de bagasse a apporté de nombreux avantages à l’île Maurice : une dépendance réduite vis-àvis des importations de pétrole, la diversification de la production d’électricité, des gains d’efficacité dans le secteur électrique en général et la hausse des revenus pour les petits exploitants de canne à sucre. Il a également aidé les sucreries de l’île Maurice à faire face aux variations des cours mondiaux du sucre, et notamment à la réduction des prix de faveur du sucre que l’UE accorde aux pays ACP (Caraïbes, Afrique et Pacifique). Ces dernières années, c’est grâce aux revenus issus de la vente d’excédents d’électricité par la cogénération que les sucreries mauriciennes ont réussi à rester rentables.
cogénération n’a entraîné ni une hausse de la spéculation foncière, ni une augmentation du prix des denrées alimentaires, qui sont les deux principales pierres d’achoppement du développement à grande échelle des bioénergies. En fait, avec le temps, alors que le développement accru de la cogénération a engendré une hausse de l’approvisionnement en électricité, la terre sur laquelle la canne à sucre est cultivée est sur le déclin, ce qui sousentend que les gains d’efficacité en matière de cogénération ont permis de libérer des terrains pour d’autres utilisations, notamment à des fins de production vivrière. Plusieurs autres pays d’Afrique subsaharienne se sont mis à suivre l’exemple de l’île Maurice. L’Ethiopie, le Kenya, le Malawi, le Soudan, le Swaziland, l’Ouganda et la République-Unie de Tanzanie participent à l’initiative baptisée « Cogen for Africa ». Il s’agit d’un projet régional innovant portant sur les énergies propres, financé par le Fonds pour l’environnement mondial et mis en œuvre par AFREPREN/FWD. Le potentiel qu’il présente pour l’Afrique subsaharienne prise dans son ensemble est considérable. Si l’on se base sur la production sucrière actuelle en Afrique subsaharienne, la cogénération bagasse issue des industries sucrières est capable de satisfaire 5 % environ
Le principal enseignement à tirer du succès de la cogénération à base de bagasse sur l’île Maurice est la nécessité de donner la priorité à l’utilisation efficace de déchets agricoles existants pour les convertir dans des combustibles bioénergétiques modernes. Cette option nuit le moins aux pauvres et pourrait apporter des revenus supplémentaires pour les communautés rurales pauvres. Il est cependant capital d’établir des mécanismes efficaces de partage des revenus, qui veillent à ce que les revenus accrus provenant de l’exploitation de déchets agricoles soient partagés de manière équitable et que l’ensemble des parties prenantes en profitent, tout particulièrement les agriculteurs à faibles revenus. Cette option nécessite également d’instaurer un cadre juridique et réglementaire qui permette le développement de bioénergies modernes basées sur des déchets agricoles et qui prévoie, entre autres incitations, l’accès au réseau électrique et au marché des carburants de transport. Dans certains cas, il faudra également mettre en place des mécanismes veillant à la centralisation efficace des déchets agricoles. Une fois que les pays d’Afrique subsaharienne auront optimisé l’utilisation des déchets agricoles existants pour la production d’énergie, et qu’ils auront mis en place des structures adéquates de partage des revenus, sur le plan réglementaire et de politique, ils pourront envisager la possibilité d’opter pour des plantations bioénergétiques de grande échelle, à condition de faire le juste équilibre entre sécurité alimentaire et production énergétique. Heureusement, l’expertise technique, réglementaire et politique nécessaire pour promouvoir une industrie de l’énergie des déchets agricoles renferme aussi dans de nombreux cas des compétences nécessaires pour développer et entretenir un secteur dédié et viable de plantations bioénergétiques qui ne nuit pas aux pauvres et n’entame pas la sécurité alimentaire. n
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tendances n Le rythme de la croissance mondiale s’est accéléré en février, avec des résultats soutenus pour le secteur de la production industrielle en avant sur les services, mais les firmes ont continué à licencier, d’après l’indice de la production totale mondiale produit par JP Morgan, la firme de services financiers. « La reprise s’est à nouveau fermement appuyée sur le secteur de la production industrielle, le redressement des services restant fragile en comparaison », a déclaré David Hensley, de JP Morgan. n Les chiffres récents du PIB pour la région entière semblent indiquer que les économies asiatiques sont en tête de la reprise
mondiale. La Thaïlande, Taïwan Province de Chine, Hong Kong SAR et la Malaisie ont tous publié des chiffres indiquant que leurs économies avaient retrouvé la croissance en glissement annuel au quatrième trimestre 2009. Toutefois, l’Economist Intelligence Unit (EIU) pense qu’il serait erroné de voir dans cette succession de bonnes nouvelles la preuve que la région a entamé une reprise rapide et durable. Les chiffres récents étaient portés par des facteurs provisoires, et il reste encore à déterminer dans quelle mesure cette croissance est liée à des mesures de relance qui ne peuvent pas durer plutôt qu’à une demande autonome. (EIU)
n La Chine s’est hissée au deuxième rang des fabricants industriels au monde, juste derrière les États-Unis. Ces deux pays et le Japon sont responsables de la moitié de la production industrielle mondiale. Bien que la Chine occupe la première place en termes de quantité absolue de production, le Japon reste le pays le plus industrialisé au monde en termes de valeur ajoutée industrielle par habitant, qui s’élève à près de 9 000 dollars É.U. par rapport à 700 dollars É.U. pour la Chine. (ONUDI) n La récession industrielle très marquée qui a frappé l’Amérique latine en 2009 va être suivie d’une reprise forte mais inégale, d’après
un rapport de Manufacturers Alliance/MAPI. Ce rapport se concentre sur les trois principales économies de la région : celles du Brésil, de l’Argentine et du Mexique, qui sont responsables de plus de 80 % de la production industrielle de la région. MAPI prévoit que la production industrielle globale de l’Amérique latine affichera un recul de 7,9 % en 2009, pour se redresser en 2010 d’une hausse de 5 %. (MAPI) n Les dépenses en énergie propre se sont maintenues à un niveau meilleur que prévu pendant la crise financière et la récession qui lui a fait suite en 2009, mais il subsiste toujours un écart vertigineux entre les niveaux d’investissement actuels et les besoins à mettre en œuvre pour réduire les émissions de CO2. Un rapport récent du Forum économique mondial (FEM) a révélé que, fait remarquable, les
QUESTIONS COMMERCIALES Ouverture de la première centrale électrique à osmose En novembre 2009, la société norvégienne Statkraft a ouvert une centrale électrique prototype qui génère de l’électricité à partir du processus naturel qui maintient les plantes debout et les cellules animales gonflées, rigides et hydratées. L’osmose se produit lorsque deux solutions de concentrations différentes entrent en contact avec une membrane semi-perméable. A la centrale électrique à osmose de Tofte, près d’Oslo, les deux solutions employées sont l’eau de mer et l’eau douce, siphonnées tout près de leur confluent, à l’embouchure d’un fjord. L’eau de mer et l’eau douce sont dirigées vers des chambres distinctes, séparées par une membrane artificielle. Les molécules de sel présentes dans l’eau de mer attirent l’eau douce à travers la membrane, ce qui a pour effet d’accroître la pression du côté où se trouve l’eau de mer. Cette pression peut alors être utilisée pour alimenter une turbine génératrice d’électricité. La capacité de production de la centrale prototype de Tofte est limitée, son but premier étant de faire des essais et de développer le procédé. Beaucoup de grandes villes dans le monde se dressent sur des estuaires fluviaux où de l’eau de mer et de l’eau douce sont facilement disponibles. Statkraft estime que le potentiel mondial d’électricité osmotique se situe au total à près de 1 700 térawatts-heures par an, soit près de 10 % de la consommation d’électricité actuelle sur le plan mondial. La société espère construire d’ici quelques années une centrale électrique à osmose d’exploitation commerciale. Contrairement à l’énergie éolienne et l’énergie solaire, l’énergie osmotique est capable de fournir une source d’énergie constante, même si les changements saisonniers des niveaux fluviaux entraînent quelques variations. Les critiques pensent que la généralisation de cette technologie pourrait s’avérer difficile car il reste encore à résoudre des questions fondamentales, comme par exemple les effets du limon et des bactéries fluviales sur la performance de la membrane au fil du temps.
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Ouvriers en train d’évacuer l’air d’un conduit géothermique.
Les 10 premières villes à géothermie au monde Copenhague, Danemark : Après s’être fixé l’objectif de zéro émission de CO2 d’ici 2025, la ville pourrait répondre à 50 % de ses besoins en chauffage en ayant recours à ses ressources géothermiques. Larderello, Italie : La ville se targue de la première centrale électrique géothermique, qui a ouvert au début du XXe siècle. Reykjavik, Islande : Des ressources géothermiques abondantes assurent le chauffage de près de 87 % des bâtiments d’Islande.
Reno, Nevada, États-Unis : La ville et les chefs d’entreprise commercialisent la ville comme centre de géothermie pour les activités industrielles, les bureaux d’entreprise et les centres de recherche. Perth, Australie : Son but est de devenir la toute première ville au monde à être refroidie à base de géothermie, au moyen de climatiseurs géothermiques vendus dans le commerce.
n 2010 International Conference on Environmental and Agriculture Engineering 1-3 août, Kyoto, Japon www.iceae.org n Global Compact China – Japan – Korea Roundtable 3 août, Shanghai, Chine www.unglobalcompact.org n The Third IASTED African Conference on Power and Energy Systems 6-8 septembre, Gaborone, Botswana www.iasted.org/conferences/ home-684.html n CSR Asia Summit 2010 14-15 septembre, Hong Kong www.csr-asia.com/summit2010
Xianyang, Chine : Désignée récemment « ville officielle géothermique de Chine », Xianyang aide la Chine à atteindre son objectif de 16 % de consommation énergétique à partir d’énergies renouvelables d’ici 2020. Madrid, Espagne : Six projets à base d’énergies renouvelables sont en cours, dont un est un projet de 8 MW de chauffage de district à base de géothermie. Masdar City, Abu Dhabi : La ville a pour ambition de fonctionner à 100 % à partir d’énergies renouvelables, la moitié devant être assurée par ses ressources géothermiques. Klamath Falls, Oregon, États-Unis : L’énergie géothermique sert à chauffer les immeubles depuis les tous débuts du XXe siècle et est maintenant utilisée pour toute une multitude de fonctions, notamment pour chauffer maisons particulières, établissements scolaires, entreprises, piscines, et pour les systèmes de fonte de neige pour les trottoirs et les routes. Boise, Idaho, États-Unis : Le département des travaux publics de Boise est doté du plus gros réseau géothermique à emploi direct des Etats-Unis. Source : The Geothermal Energy Association, association professionnelle composée de sociétés américaines qui apportent leur soutien à la généralisation de l’énergie géothermique.
événements n The Right Livelihood Award 14-19 septembre, Bonn, Allemagne www.rightlivelihood.org/ rla30.html n 4th International Conference on CSR 22-24 septembre, Berlin, Allemagne www.csr-hu-berlin.org n The GREEN (Global Resources Environment & Energy Network) Expo 28-30 septembre, Mexico, Mexique www.ejkrause.com/ thegreenexpo/index.html
n World Habitat Day, Better City, Better Life 4 octobre, Shanghai, Chine www.unhabitat.org/ n Assessing the Role of Prejudice and Discrimination in Power, Poverty and Environmental Sustainability 7-10 octobre, Yaoundé, Cameroun www.4eppse.org/conference.html n Renewable Energy World Asia 2-4 novembre, Singapour www.powergenasia.com/ index.html n Renewable Energy Africa (REA) Conference and Expo 2010 9-11 novembre, Johannesburg, Afrique du Sud www.reafrica.co.za
PRAKASH SINGH/AFP/GETTY IMAGES
PHOTO: MAYUMI TERAO/ISTOCK
investissements en 2009 se sont maintenus à 145 milliards dollars É.U., en recul de seulement 6 % par rapport à leur niveau de 155 milliards dollars É.U. en 2008. Cette baisse aurait probablement été bien plus importante si les gouvernements du monde entier n’avaient pas consacré des milliards à leurs programmes de relance économique. Toutefois, d’après le FEM, si l’on souhaite limiter à 2°C la hausse des températures moyennes dans le monde, il sera nécessaire d’engager des investissements de près de 500 milliards dollars É.U. par an pour mettre en place les infrastructures énergétiques à émissions réduites de CO2 qui s’imposent. Tant bien même que des investissements record devraient être réalisés au cours des années à venir, il reste un écart important de quelque 350 milliards dollars É.U. à combler. (FEM)
New Delhi : Projet de triporteurs à hydrogène Un parc de 15 véhicules triporteurs fonctionnant à l’hydrogène est sur le point d’entrer en service à New Delhi, en Inde. Ces rickshaws motorisés transporteront des passagers entre la station de métro de Pragati Maidan au centre d’exposition tout proche. Ces véhicules baptisés Hy-Alfa, construits par le constructeur automobile indien Mahindra and Mahindra, sont équipés d’un moteur de 400 cm3 à combustion interne à hydrogène avec des réservoirs de carburant de type à gaz comprimé. L’hydrogène sera fourni par l’un des plus grands fournisseurs d’hydrogène au monde : Air Products. Ce projet, dirigé par le International Centre for Hydrogen Energy Technologies (ICHET), basé à Istanbul, aux côtés d’un consortium d’entreprises, présente un fort potentiel de se reproduire dans l’Inde entière. L’hydrogène est un sous-produit de l’industrie indienne du chlore et de la soude qui, pour l’heure, est brûlé car il n’a pas d’utilité. « Hy-Alfa est le premier véhicule de son genre au monde », a déclaré Dr Mathew Abraham, Directeur général du Centre de recherche et développement de Mahindra
On s’attend à ce que le carburant hydrogène soit la solution aux problèmes créés par les émissions à forte teneur en oxyde d’azote générées par les triporteurs GNV (gaz naturel pour véhicules) qui circulent actuellement en Inde.
and Mahindra. « Il ne fonctionne qu’au gaz hydrogène comprimé et il est conçu pour ne pas émettre la moindre émission, ce qui en fait un plaisir à conduire dans les rues de villes constamment congestionnées. En fait, l’hydrogène est la technologie et le carburant de demain. C’est la solution à long terme à la pollution, comme sécurité énergétique et pour résoudre les problèmes liés aux émissions de CO2 ».
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Photo: KieselUndStein/istock
Choix d’énergies
renouvelables dans les pays en
développement Devant la hausse imminente de la consommation énergétique mondiale, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et l’amenuisement des réserves de combustibles fossiles, JOSÉ GOLDEMBERG et OSWALDO LUCON se penchent sur les solutions de rechange.
JOSÉ GOLDEMBERG est professeur à l’Institut d’électrotechnique et de l’énergie, Université de São Paulo, Brésil. OSWALDO LUCON est conseiller technique à l’énergie pour le Secrétariat d’Etat à l’environnement de São Paulo, au Brésil.
En 2009, la consommation énergétique mondiale s’est élevée à 11,3 milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP). La consommation énergétique dans les pays industrialisés est pratiquement stable depuis 10 ans, par contre, dans le reste du monde, elle est en hausse de près de 5 % par an. A cette allure et d’après les technologies actuelles, la consommation énergétique annuelle mondiale pourrait atteindre 20 milliards de TEP d’ici l’an 2020. Les conséquences d’une telle croissance (dont près de 80 % proviennent de carburants fossiles) seraient catastrophiques à trois égards : l’épuisement des ressources de carburant fossile, les problèmes géopolitiques provoqués par l’accès à de tels carburants, et des problèmes environnementaux, notamment en termes de réchauffement climatique. Les pays en développement assistent à une forte hausse de leurs émissions de gaz à effet de serre, due en majeure partie à leur industrialisation rapide et à l’augmentation des transports, mais aussi en raison de l’utilisation non viable de bois de chauffage et de la déforestation qui s’en est suivie. Pour résoudre ces problèmes, il faut s’attaquer à leurs causes : des efforts considérables doivent être déployés qui englobent des actions et politiques complémentaires en termes (i) de rendement énergétique (ou de conservation énergétique) afin d’obtenir un bien-être équivalent tout en consommant de moins grandes quan-
tités de ressources naturelles, (ii) d’énergies renouvelables qui peuvent être utilisées à la place de carburants fossiles, et (iii) de nouvelles avancées technologiques pour améliorer le rendement énergétique et utiliser des énergies renouvelables. Le rendement énergétique permet d’allonger la vie de ressources limitées, de réduire les impacts environnementaux, de garantir des approvisionnements pour le long terme et il offre fréquemment des retours économiques attrayants. Toutefois, le renforcement de l’accès à des services énergétiques dépend étroitement d’un accroissement de l’approvisionnement. Heureusement, celui-ci peut être obtenu en ayant recours à un large éventail de sources renouvelables qui, comme l’énergie hydraulique et la biomasse, sont d’ores et déjà bien développées. La plupart des pays en voie de développement se situent dans des zones tropicales où l’existence de rivières et de terres arables arrosées par des eaux de pluie assurent des conditions idéales à l’épanouissement de ces secteurs énergétiques. La concurrence avec la production alimentaire et la consommation de l’eau à des fins multiples présente certes des problèmes qui ne doivent cependant pas être surestimés et auxquels il est possible de remédier par une planification adéquate en termes de logistique et d’occupation des sols. Des options attrayantes d’énergie à partir de la biomasse existent déjà. La production d’éthanol à base de canne à sucre (et la ‰
MakingIt 17
‰ cogénération bagasse associée) au Brésil, l’én-
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Biomasse
260
Eolienne
240
120 100 80 60 40 20
Rien que pour ces raisons, il pourrait être promu comme combustible de rechange dans d’autres pays du monde. Devant la menace de barrières commerciales techniques imposées suite aux pressions exercées par les consommateurs, les inquiétudes sur les impacts environnementaux et sociaux des biocarburants suscitent une réponse responsable. En attendant, on attend beaucoup des biocarburants de la seconde génération, notamment en ce qui concerne l’éthanol cellulosique (produit à partir de bois, d’herbes ou des parties végétales non combustibles) qui pourrait déclencher une véritable révolution énergétique écologique une fois que ses coûts seront devenus compétitifs.
Dissociation
Japon
140
Inde
160
Espagne
180
Allemagne
200
Etats-Unis
Petites centrales hydrauliques
220
Chine
280
Photovoltaïque solaire (réseau) Géothermique
EU-27
La technologie éolienne de production d’électricité est devenue hautement complexe, d’importants développements ayant eu lieu dans les domaines du contrôle, de l’aérodynamique et des matériaux. Les installations à grande échelle peuvent être dotées de centaines de gros générateurs de haute technologie, chacun capable de produire 5 MW d’électricité, avec des pales faisant plus de 80 m d’envergure. Le coût des générateurs éoliens a récemment baissé de beaucoup, principalement du fait que les fabricants des pays développés ont bénéficié de politiques de soutien gouvernemental. Par conséquent, le prix des éoliennes pour les clients des pays en développement est lui aussi en train de baisser. L’énergie thermique solaire présente un potentiel phénoménal dans le monde en développement, les obstacles à un déploiement plus rapide se situant au niveau de coûts de démarrage relativement élevés et des subventions accordées à des sources conventionnelles à base de combustibles fossiles. Les projets de démonstration s’appuient souvent sur des applications simples, comme par exemple des capteurs ou des fourneaux solaires en plastique, surtout dans les pays les plus pauvres. Cependant, leur adoption reste souvent très limitée et l’utilisateur finit fréquemment par se replier sur des sources d’énergie plus traditionnelles. Sur une note plus positive, la Chine a pris des longueurs d’avance en subventionnant l’utilisation de panneaux solaires pour le chauffage de l’eau, alors qu’au Brésil, le recours à des panneaux solaires pourrait éviter de devoir engager des investissements importants de renforcement de la production électrique afin de faire face aux besoins d’électricité aux heures de pointe. L’énergie solaire peut ainsi être utilisée pour produire de l’électricité pour les chauffe-eaux et autres petits appareils ménagers. Pour les petites îles, les villages montagnards
310 Gigawatts 300
Pays en développement
Energie éolienne et solaire
Capacités des énergies renouvelables, 2008 (REN21, Rapport mondial sur la situation des énergies renouvelables, mise à jour de 2009) Monde
ergie géothermique aux Philippines, la transformation de déchets agricoles en énergie en Inde, l’énergie solaire thermique en Chine, et des fourneaux à bois améliorés dans quelques pays africains ne sont que quelques-uns des nombreux exemples à succès. Des technologies renouvelables plus récentes sont également en cours de développement, la biomasse présentant de bonnes perspectives d’avancées technologiques rapides, tout particulièrement en ce qui concerne l’utilisation améliorée de déchets agricoles, l’incinération de déchets solides municipaux et la production de plusieurs types de biodiésel. Il existe plusieurs voies de transformation bioénergétique qui ont recours à divers types de biomasse, depuis de simples chaudières pour des systèmes de chauffage pour particuliers à des exploitations agri-énergétiques intégrées. Bien qu’ils n’en soient toujours qu’à leur phase de recherche, il est possible que dans certaines circonstances, les biocarburants de la seconde génération et les applications avancées solaires, marines et géothermiques soient économiquement viables.
0 et d’autres communautés plus isolées, les systèmes photovoltaïques solaires présentent de bonnes solutions. Cette technologie convient parfaitement à des applications de petite envergure et à certains créneaux, l’électricité produite étant suffisante pour réfrigérer les vaccins et les médicaments, préserver les aliments et les produits de la pêche, assurer la viabilité de petites et micro-entreprises, éclairer maisons, écoles et centres médicaux, extraire et pomper de l’eau des puits, et alimenter les systèmes de communication et de divertissement. La technologie solaire pourrait faire partie des principales technologies à être intégrées dans les systèmes futurs d’énergie décentralisée.
Biocarburants Jusqu’à présent, le bioéthanol et le biodiésel constituent les meilleures options de biocarburant, suivies dans certains cas des huiles végétales. Le programme brésilien d’éthanol à base de canne à sucre produit du carburant dont le prix est compétitif sur le marché libre, et présente un équilibre énergétique positif allant jusqu’à 10 unités de rendement pour une unité d’entrant.
La crise énergétique de la fin des années 1970 a entraîné une révolution énergétique lorsque de nouvelles technologies qui se sont mises à être commercialisées à cette époque ont permis de fournir des services énergétiques nécessitant un intrant énergétique moindre qu’il n’aurait été possible de le faire avec les technologies qui étaient alors répandues. C’est donc ce qui a produit une dissociation entre croissance du PIB et croissance énergétique, dissociation qu’ont connue les pays industrialisés des années 1970 et 1980. Une meilleure rentabilité de la consommation énergétique et l’abandon des carburants fossiles en faveur de sources énergétiques renouvelables se sont traduits par une poursuite de la croissance économique, mesurée en fonction du taux de croissance du PIB, alors que la croissance de la consommation énergétique s’est mise à ralentir. Ainsi par exemple, la consommation énergétique de l’Union européenne est aujourd’hui 50 % moins importante qu’elle ne l’aurait été si les mesures prises en réponse à la crise du pétrole de 1973 n’avaient pas été mises en œuvre. La Chine offre un autre exemple dans ce sens, qui applique des mesures de rentabilité énergétique osées depuis 1990. Alors que le PIB a été presque multiplié par 9, au cours de la même période, les émissions de CO2 ne sont que deux fois et demie plus élevées. Dans ce contexte, une formidable opportunité s’offre aux pays en développement aujourd’hui. En effet, rien ne dit qu’ils doivent reproduire le processus de développement économique qu’ont connu les pays industrialisés, caractérisé par une phase sale, pleine de gâchis et extrêmement nocive en termes de pollution environnementale : ils peuvent incorporer dès les premiers stades de leur processus de développement les technologies modernes et efficaces qui sont actuellement disponibles. L’utilisation de ressources à base d’énergies renouvelables se répand rapidement et il est probable qu’elle contribuera de beaucoup à la consommation énergétique au cours des décennies à venir. Ainsi donc, la viabilité du développement de la majorité de la population humaine au cours du XXIe siècle pourrait être assurée grâce à une combinaison de rentabilité énergétique et de nouvelles technologies renouvelables émergentes basées sur la biomasse, l’énergie éolienne et l’énergie solaire. n
Photo: Keith Dannemiller/Corbis
La
prochaine
révolution
industrielle Ouvrière travaillant à des opérations d'extraction de zinc et de plomb à la mine de Madero, Zacatecas, Mexique.
En s’appuyant sur la nouvelle publication de l’Agence internationale de l’énergie intitulée « Transitions des technologies énergétiques pour l’industrie : les stratégies pour la prochaine révolution industrielle », NOBUO TANAKA se penche sur les technologies qui permettent de réduire les émissions industrielles de CO2 et les politiques à mettre en œuvre pour en assurer le déploiement. Près d’un-tiers de la demande énergétique mondiale et pas loin de 40 % des émissions mondiales de CO2 sont attribuables à des activités industrielles. La plupart de ces émissions de CO2 sont apparentées aux grosses industries de matières premières, comme celles des produits chimiques et pétrochimiques, du fer et de l’acier, du ciment, de la pâte et du papier, et de l’aluminium. Si nous voulons sortir vainqueurs de notre lutte contre le changement climatique, l’industrie va devoir transformer sa manière d’utiliser l’énergie et réduire radicalement ses émissions de CO2. Depuis plusieurs dizaines d’années, l’efficacité énergétique de l’industrie s’est améliorée, et l’intensité de CO2 a très sensiblement diminué dans de nombreux secteurs. Pourtant, ces avancées ont été plus que contrebalancées par l’accroissement de la production industrielle à l’échelle mondiale. En conséquence de quoi, la consommation énergétique industrielle et les émissions de CO2 ont continué d’augmenter. Au cours des 40 prochaines années, on s’attend à ce que la demande de matériaux industriels de la
plupart des secteurs double, voire même triple de volume. Les prévisions de consommation énergétique et d’émissions futures basées sur les technologies actuelles montrent qu’en l’absence de mesures décisives, rien ne viendra enrayer ces tendances. Il n’est tout simplement pas possible de continuer ainsi. Pour réduire sensiblement les émissions industrielles de CO2, il va falloir généraliser l’adoption des meilleures technologies disponibles (MTD) actuelles, ainsi que développer et déployer tout un éventail de nouvelles technologies. Cette transition technologique est urgente : il est impératif que les émissions industrielles culminent au cours de cette décennie, si l’on souhaite éviter les pires impacts du changement climatique. L’industrie et les gouvernements vont devoir se mettre à travailler ensemble pour rechercher, développer, démontrer et déployer les nouvelles technologies NOBUO TANAKA est le Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)
prometteuses qui ont déjà été identifiées, et pour découvrir et faire progresser de nouveaux procédés qui permettront de produire à long terme des matériaux industriels sans émissions de CO2. Par ailleurs, ces réductions d’émissions ne seront possibles que si toutes les régions du monde y contribuent. La responsabilité ne peut pas incomber uniquement aux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui sont responsables de 33 % des émissions industrielles de CO2 actuelles dans le monde. La production industrielle va continuer à augmenter le plus fortement dans les pays qui n’appartiennent pas à l’OCDE, tant et si bien que si rien n’est fait, ils produiront à terme 80 % des émissions industrielles mondiales de CO2. L’industrie affiche toute une série de caractéristiques qui la distinguent des autres secteurs d’utilisation finale et il est nécessaire d’en tenir compte lors de l’élaboration de politiques énergétiques et climatiques pour le secteur. Premièrement, s’il subsiste des potentiels im- ‰
MakingIt 19
‰ portants d’efficacité énergétique, ceux-ci sont moindres que ceux des secteurs du bâtiment ou des transports. Il faudrait donc que les politiques fassent la promotion de niveaux réalistes d’amélioration en termes d’efficacité énergétique et de réduction de CO2 et garantissent, dans la mesure du possible, de la souplesse lorsqu’elles sont réalisables. Deuxièmement, beaucoup d’industries évoluent sur des marchés mondiaux ou régionaux, et ainsi donc l’introduction de politiques qui imposent un coût sur les émissions de CO2 dans certaines régions mais pas dans d’autres risque de nuire à la compétitivité et de provoquer des « fuites de carbone », c’est-à-dire d’inciter les industries à se délocaliser dans des régions où les restrictions de CO2 sont moins strictes. Alors que jusqu’à ce jour, il y a peu voire aucune preuve qu’il en soit ainsi, cela pourrait devenir un problème significatif si les prix du CO2 venaient à augmenter sensiblement à l’avenir. Troisièmement, beaucoup de secteurs industriels disposent des connaissances, de l’accès aux technologies et des possibilités de financement nécessaires pour réduire leurs propres émissions de CO2 à condition que les gouvernements offrent un cadre de politique stable, prévoyant des incitations claires, prévisibles et à long terme d’emploi de technologies nouvelles, efficaces et à faibles émissions de CO2. L’application des MTD actuelles pourrait réduire la consommation énergétique industrielle de 20 à 30 %, objectif qui devrait relever d’une priorité à court terme. Mais on est encore loin de réductions absolues des niveaux d’émission de CO2 alors que l’on prévoit un doublement voire un triplement de la production dans de nombreux secteurs. La poursuite des améliorations en termes d’efficacité énergétique constitue le moyen le plus répandu et le moins cher de dégager des économies de CO2 entre maintenant et 2050. Il va falloir accroître les gains d’efficacité de 1,3 % par an, taux qui nécessitera le développement de nouvelles technologies économes en énergie. L’industrie est actuellement en train de développer, de démontrer et d’adopter de nombreuses technologies nouvelles qui soutiennent un résultat de la sorte, par exemple : la réduction par fusion, de nouvelles membranes de séparation, la gazéification de la lessive noire et de la biomasse, et la cogénération avancée. Il faudra aussi découvrir de nouveaux carburants et de nouvelles technologies faibles en émissions de carbone, le recyclage et la récupération énergétique remplissant un rôle moindre et néanmoins important. Le recours à la biomasse et à l’électricité comme porteurs d’énergie libres de CO2 sera significatif. Si les technologies requises sont souvent spécifiques à des secteurs particuliers, le développement et le déploiement du captage et du stockage de CO2 (CCS) contribueront de manière déterminante à de profondes réductions d’émissions, particulièrement dans les secteurs du fer et de l’acier, et du ciment. De plus amples travaux de recherche, de développement et de démonstration sont nécessaires pour développer des procédés de fabrication révolutionnaires capables de produire des matériaux sans émission de CO2, et pour mieux comprendre les approches systémiques, comme par exemple l’optimisation des cycles de vie par le
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iques et pétrochimiques, la pâte et le papier et l’aluminium. A eux 5, ces secteurs contribuent à 75 % du total des émissions directes de CO2 provenant de l’industrie. Pour pouvoir réduire sensiblement la consommation énergétique et les émissions de CO2, il va falloir avoir recours aux MTD actuelles, mais il sera aussi nécessaire de développer et déployer de nouvelles technologies prometteuses.
Fer et acier Si dans le monde entier on appliquait les MTD actuelles, on pourrait obtenir des gains énergétiques de près de 20 % sur la consommation actuelle. Etant donné le potentiel limité d’efficacité qui est inhérent aux technologies existantes, de nouvelles technologies vont devoir être déployées, comme la réduction par fusion. Le changement de combustibles pourra aussi aider à faire baisser les émissions. Le CCS est une option importante, qui permettrait au secteur de réaliser d’importantes réductions d’émissions à l’avenir. Des projets pilotes à grande échelle de captage du CO2 dans des usines métallurgiques doivent être développés de toute urgence pour mieux comprendre le coût et la performance des différentes méthodes de captage de CO2.
Ciment Il est très difficile de réduire les émissions de CO2 dans ce secteur en raison des fortes émissions du procédé liées à la production de mâchefer, le principal composant du ciment. Améliorer l’efficacité énergétique au niveau des cimenteries existantes, investir dans des MTD pour les cimenteries nouvelles et renforcer l’utilisation d’autres carburants et de remplacements du mâchefer sont autant de mesures qui permettraient de réduire de 21 % l’actuelle consommation énergétique, mais cela ne suffira pas pour parvenir à des réductions nettes d’émissions à l’avenir. De nouvelles technologies doivent être développées et mises en œuvre, surtout dans l’application de CCS dans la production du ciment.
Produits chimiques et pétrochimiques
recyclage et l’utilisation de matériaux plus efficaces. Ces options à plus long terme seront nécessaires au cours de la deuxième moitié de ce siècle pour assurer la pérennité des procédés industriels jusqu’à la fin du siècle et au-delà. Les développements technologiques sont toujours semés d’incertitudes. Il est bien possible que certaines technologies identifiées ne voient jamais le jour, mais il se peut aussi que les travaux de recherche futurs dévoilent de nouvelles technologies ou des avancées jusqu’ici inconnues. Une approche portefeuille peut être un moyen de faire face à cette incertitude. Il va falloir réduire les émissions de CO2 dans l’industrie entière, mais surtout dans les secteurs les plus gros consommateurs d’énergie : Le fer et l’acier, le ciment, les produits chim-
Si les meilleures pratiques technologiques étaient appliquées à pleine échelle dans les procédés chimiques, il serait possible de réaliser des gains énergétiques de l’ordre de 15 %. D’autres mesures permettraient d’économiser de l’énergie finale, comme par exemple l’intensification du procédé et l’intégration du procédé, et l’usage accru de la cogénération, étayées de l’optimisation du cycle de vie par le recyclage et la récupération énergétique à partir de déchets plastiques après consommation. Il reste cependant de grosses barrières qui limitent l’exploitation de ce potentiel théorique. Pour réaliser de plus amples réductions de CO2 dans ce secteur, il est indispensable de développer tout un éventail de nouvelles technologies.
Pâte et papier Il existe dans de nombreux pays un potentiel important de gain d’efficacité énergétique et de réduction des émissions de CO2 dans ce secteur. Une transition aux MTD actuelles permettrait d’économiser 25 % de l’énergie consommée aujourd’hui. La réduction d’émissions dans ce
Foto : Barnaby Chandler/istock
secteur nécessitera de plus amples améliorations dans les domaines de l’efficacité, du changement de combustibles en faveur de la biomasse et du recours accru à la cogénération. Pour réaliser d’importantes réductions d’émissions, il faudra également employer de nouvelles technologies, comme par exemple la gazéification de la lessive noire, l’élimination de lignine, la gazéification de la biomasse et le CCS.
Aluminium La majeure partie des consommations énergétiques de l’industrie de l’aluminium se présente sous la forme d’électricité utilisée pour la fonte de l’aluminium. L’impact de l’application de MTD est limité, présentant un potentiel de réduction énergétique de l’ordre de 12 % par rapport aux niveaux actuels. D’importantes options peuvent être retenues, notamment en termes de limitation des pertes calorifiques dans les raffineries, d’amélioration des commandes des procédés et de réduction des pertes calorifiques et de consommation d’électricité dans les alumineries. A long terme, la solution unique la plus efficace pour réduire les émissions de CO2 à long terme consisterait à consommer de l’électricité “carbone zéro” dans les alumineries. *** Si toutes les régions se mettaient à réduire sensiblement leur intensité CO2, il ne serait possible de réduire que de 21 % les émissions de l’industrie mondiale en 2050 par rapport aux niveaux d’aujourd’hui (l’industrie contribuant ainsi à réduire de moitié les émissions mondiales). Si l’on opte pour l’immobilisme, sans changement de politique, il faut s’attendre à ce que les émissions continuent d’augmenter dans toutes les régions jusqu’en 2050. En Chine, les émissions continueront de s’intensifier au cours des 20 années à venir, pour ensuite se mettre à n’augmenter que modérément, dès lors qu’après 2030, la consommation des produits les plus intensifs en CO2, comme le ciment, l’acier et le fer, commencera à se stabiliser. Etant donné que la consommation intérieure alimente la demande, c’est en Inde que les émissions industrielles de CO2 augmenteront le plus. Dans d’autres pays en développement en Asie, en Afrique et au MoyenOrient, les niveaux actuels de développement industriel sont très nettement inférieurs, et on s’attend à ce que ce soit là que la production industrielle augmentera le plus rapidement. Ces trois régions seront responsables de 24 % du total des émissions industrielles du monde d’ici 2050, dépassant de loin le total des émissions de l’industrie de l’OCDE. Si l’industrie mondiale est décidée à réduire très nettement ses émissions, il faudra déployer des efforts importants dans ces régions pour réduire l’intensité de CO2 de la production industrielle, et elles auront besoin d’appui en termes de transfert et de déploiement technologiques. Il ne sera pas simple d’engager les changements nécessaires pour réduire les émissions au sein de l’industrie. Il faudra un changement radical de mise en œuvre des politiques de la part des gouvernements et l’industrie devra quant à elle engager des investissements sans précédent dans les meilleures pratiques et les nouvelles technologies. Il sera également vital d’obtenir la par-
« L’industrie et les gouvernements vont devoir se mettre à travailler ensemble pour rechercher, développer, démontrer et déployer les nouvelles technologies prometteuses qui ont déjà été identifiées »
ticipation des pays en développement et de leurs industries pour opérer cette transition, puisque la majeure partie de la croissance future de la production industrielle, et donc des émissions de CO2, se produira dans les pays en-dehors de la région de l’OCDE. Compte tenu de toutes ces considérations, un système mondial d’échange de quotas d’émissions pourrait bien s’avérer un instrument de politique crucial pour promouvoir la réduction de CO2 dans l’industrie. Il est toutefois peu probable qu’un marché carbone émerge immédiatement sur le plan mondial et donc, à court et moyen termes, une première mesure pratique pourrait consister à conclure des accords internationaux couvrant les principaux secteurs à forte intensité énergétique, en vue de stimuler le déploiement de nouvelles technologies tout en s’attaquant aux inquiétudes en matière de compétitivité et de fuites de carbone. En attendant, il sera nécessaire d’appliquer les politiques nationales d’efficacité énergétique et de CO2, avec des normes, incitations et réformes réglementaires à la clé (notamment l’élimination de subventions aux prix énergétiques), qui visent des secteurs spécifiques ou des barrières données. Pour généraliser le déploiement de certaines technologies nouvelles, il pourra aussi être important d’en obtenir l’acceptation par le public. Pour venir étayer les politiques d’innovation suite à la demande du marché (« market-pull »), de nombreuses technologies nouvelles auront besoin de l’appui des gouvernements pendant leurs phases de recherche, développement et démonstration (RD&D) avant qu’elles ne deviennent commercialement viables. Il existe un besoin criant d’accélération majeure des activités de RD&D dans des technologies révolutionnaires, potentiellement capables de transformer la consommation énergétique industrielle ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il sera tout particulièrement important d’accorder du soutien aux projets de démonstration. Pour cela, il faudra faire preuve d’une collaboration internationale accrue et incorporer des mécanismes destinés à faciliter le transfert et le déploiement de technologies à faible émissions de carbone dans les pays en développement. Plusieurs associations industrielles régionales et internationales se penchent d’ores et déjà sur la façon dont leurs membres pourraient relever le défi posé par le changement climatique. Je salue ces efforts et affirme une fois encore que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) cherche à y contribuer. C’est ainsi que le G8 a demandé à l’AIE d’élaborer des feuilles de route pour les technologies les plus importantes à faible émission de carbone. Dans le cadre de ces activités, nous venons d’élaborer une feuille de route du ciment, en collaboration avec l’initiative ciment pour le développement durable, engagée par le World Business Council for Sustainable Development. Nous serions tout à fait disposés à faire de même avec d’autres secteurs, afin de contribuer à montrer la voie vers la prochaine révolution industrielle. La croissance de la production industrielle doit impérativement se développer de manière durable. Les pays et l’industrie devraient faire de la croissance écologique leur priorité. n
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L’ÉNERGIE 22 MakingIt
L’accès énergétique est largement considéré comme étant le maillon « manquant » des objectifs du Millénaire pour le développement. Or c’est bien lui qui apportera aux populations du monde entier la possibilité de se défaire du piège de la pauvreté. KANDEH K. YUMKELLA et LEENA SRIVASTAVA affirment que le moment est venu de faire de l’accès à l’énergie une priorité afin de promouvoir le développement économique.
POUR TOUS MakingIt 23
Photo: Sven Torfinn/Panos
Une proportion considérable de l’humanité, qui se chiffre en plusieurs milliards de personnes, vit sans accès à des services énergétiques modernes. On entend par là les services fondamentaux que la plupart d’entre nous considérons comme allant de soi, comme l’éclairage, du combustible pour se chauffer et cuisiner et l’énergie mécanique. Malgré les efforts de très nombreux individus engagés, qui travaillent à d’excellents programmes, 1,5 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, près de 2,5 milliards de personnes ont recours à la biomasse traditionnelle comme principale source d’énergie : il est clair que cette situation n’est pas tenable. Il est largement accepté que ce manque d’accès à des services énergétiques abordables et fiables constitue une entrave fondamentale au développement humain, social et économique, et représente un obstacle majeur à réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Cette question illustre également bien toute l’iniquité profonde qui existe entre les riches et les pau-
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vres. Grosso modo, les trois-quarts les plus pauvres de la population mondiale n’utilisent que 10 % de l’énergie mondiale. Les pays riches se donnent pour but un approvisionnement énergétique qui soit sûr, acceptable sur le plan environnemental et abordable, mais qu’en est-il des milliards de personnes qui n’y ont pas accès ? Cette question n’a rien d’abstrait en ce qui nous concerne. Nous en avons tous deux été les témoins directs dans nos propres pays : la Sierra Leone et l’Inde. Il existe bien quelques rares histoires à succès : des pays comme la Chine par exemple ont très nettement amélioré l’accès énergétique pour leurs populations au cours de ces dernières décennies, mais dans toute l’Afrique subsaharienne, et dans certaines parties de l’Asie, les gens vivent en étant dépourvus des services énergétiques de base. On s’attend à ce que la demande en énergie dans ces régions augmente considérablement, avec l’accroissement démographique et les améliorations des niveaux de vie, ce qui ne
Bamako, Mali : Cours du soir d’alphabétisation pour adultes, éclairé par une ampoule alimentée par une batterie de voiture.
KANDEH K. YUMKELLA est le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel. Depuis août 2007, il occupe le poste de Président d’ONU-Energie, mécanisme interorganisations chargé de la coordination des questions liées à l’énergie au sein du système des Nations Unies. Il est également Président du Groupe consultatif sur l’énergie et les changements climatiques du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, groupe composé de chefs d’entreprise et d’experts. LEENA SRIVASTAVA est Directeur exécutif de l’Energy and Resouces Institute (TERI), institut de recherche indépendant à but nonlucratif, basé à New Delhi, et opérant dans les domaines de l’énergie, de l’environnement et du développement durable. Elle était l’auteur principal du Troisième rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental sur le changement climatique. va que s’ajouter à l’échelle des défis à relever. Il est tout à fait étonnant de penser que si rien ne change au cours des prochaines décennies, le nombre total de personnes n’ayant pas accès à des services énergétiques modernes ne va pas baisser. Les efforts engagés actuellement sont insuffisants, tant en termes d’échelle que d’envergure, et il n’y a pas le moindre doute qu’essayer de s’attaquer à ce problème en utilisant les mêmes moyens que par le passé ne résoudra rien.
L’énergie pour le développement
« Les orientations politiques et de développement doivent s’intéresser davantage à l’accès énergétique pour en faire une priorité centrale »
Les services énergétiques influent directement sur la productivité, la santé, l’éducation, l’eau salubre et les services de communication. Par conséquent, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il existe une étroite corrélation entre l’accès énergétique et les indices de développement socioéconomique (comme l’indice du développement humain, l’espérance de vie à la naissance, le taux de mortalité infantile, le taux de mortalité maternelle et le PIB par habitant). Cela fait des décennies maintenant que le système des Nations Unies travaille aux questions de l’accès énergétique. En 2005, ONU-Energie, le mécanisme interorganisations chargé de la coordination des questions énergétiques, s’est penché sur le lien qui existe entre l’énergie et les OMD, et nous rappelle que : l Les services énergétiques, comme l’éclairage, le chauffage, la cuisson, l’énergie motrice, l’énergie mécanique, les transports et les télécommunications sont chacun autant de facteurs essentiels au développement socioéconomique, par les avantages sociaux qu’ils engendrent, et sont créateurs de revenus et d’emplois. l Les réformes du secteur énergétique devraient protéger les pauvres, tout particulièrement les 1,1 milliard de personnes qui vivent avec moins de 1 dollars É.U. par jour, et devraient tenir compte des inégalités entre les sexes, en reconnaissant que la majorité des pauvres sont des femmes. En 2007, le PNUD a passé en revue un grand nombre de rapports OMD nationaux en vue d’évaluer dans quelle mesure les questions énergétiques y figurent. Les résultats ont révélé la nécessité d’adopter une approche plus cohérente et orientée sur l’énergie lors du processus d’examen des OMD de 2010. Par exemple : l Près d’un quart des rapports couvraient amplement les questions énergétiques, avec notamment une analyse plus nuancée de la situation énergétique du pays, mais un tiers seulement ‰
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‰ des rapports ne comportaient qu’une quantité modérée d’informations sur l’énergie (c’est-à-dire un paragraphe ou plus, offrant quelques statistiques ou des données de référence sur l’énergie), et que l’énergie n’était que peu voire pas du tout abordée dans 42 % des rapports. l Les sujets énergétiques les plus populaires abordés étaient l’efficacité énergétique et la consommation énergétique comme contribuant à la pollution de l’air. Les rapports de pays d’Afrique s’attachaient cependant à discuter fréquemment de l’énergie dans le contexte de l’utilisation de bois comme combustible et des questions de déforestation. Les obstacles à l’accès énergétique sont bien connus. Ces barrières, quoique complexes, sont surmontables et la coopération internationale peut contribuer à ce processus. Toutefois, on ne saurait trop insister sur l’absence totale de barrières techniques : nous savons comment faire pour construire des installations électriques, nous savons comment concevoir de bons fourneaux, et nous savons comment nous y prendre pour répondre efficacement à la demande énergétique. Il reste maintenant à en faire une priorité sur le plan politique. Les orientations politiques et de développement doivent s’intéresser davantage à l’accès énergétique pour en faire une priorité centrale. Il est tout aussi important de bien comprendre que les communautés locales doivent être étroitement impliquées dans la planification, le déploiement et la consommation en tant qu’utilisateurs finaux de ces services énergétiques. Les interventions d’accès énergétique doivent être guidées par une prise de conscience des situations et des besoins uniques des communautés.
Le gros des efforts engagés pour améliorer l’accès énergétique s’est, bien entendu, porté sur des régions d’Asie et d’Afrique subsaharienne. On y compte des décennies d’expérience de programmes mal conçus ou mal mis en œuvre, parmi lesquels quelques modèles probants ont cependant émergé, notamment des efforts publics comme ceux déployés par les institutions financières internationales et les agences de l’ONU, ainsi que la fourniture de financements et services s’y rapportant par des ONG et des entreprises du secteur privé, comme la société indienne Solar Electric Light Company. De nombreuses campagnes mondiales commencent également à s’attaquer à ce problème. Parmi elles, citons la campagne « Lighting a Billion Lives », qui s’attache à apporter de l’éclairage dans les vies d’un milliard de personnes des populations rurales, en remplaçant les lampes à kérosène et à la paraffine par des lampes solaires. Cette campagne, lancée en
Figure 1: Pays pourvus d’objectifs d’accès énergétique (PNUD, 2009) Tous les pays en développement (nombre total de pays : 140)
Electricité 68 Carburants modernes 16 Fourneaux améliorés 11 Energie mécanique 5
PMA (nombre total de pays : 50)
Afrique subsaharienne (nombre total de pays : 45) Electricité 35 Carburants modernes 12 Fourneaux améliorés 7 Energie mécanique 5
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Production supplémentaire Réseau électrique urbain Raccordé au réseau* 69 %
Mini-réseau 27 %
890 TWh
Isolé hors réseau 4 %
Réseau électrique rural
Investissements supplémentaires Distribution Raccordé au réseau 62 %* Transmission
Mini-réseau 27 %
$803 billion (2008) Isolé hors réseau 11 % Production
Obtenir l’appui des entreprises
Carburants modernes 8 Fourneaux améliorés 4 Energie mécanique 0
Figure 2 : Besoins d’investissements jusqu’en 2030 (AIE, 2009)
Electricité 25
* Couvre la production, la transmission et la distribution d’électricité aussi
bien pour les réseaux électriques urbains que ruraux
février 2008, illustre les possibilités de mobiliser le secteur de l’industrie dans des actions sur le développement. Une quinzaine de mois après l’inauguration de la campagne, après qu’une centaine de villages de l’Inde entière y aient adhéré, de grandes entreprises ont enfin perçu les opportunités commerciales qu’elle présentait. Des fabricants de composants et monteurs du produit final (les lampes solaires) ont proposé de s’associer à TERI (The Energy and Resources Institute) dans le cadre de cette initiative. Les principaux éléments moteurs de ce partenariat ont été : l La détermination de mettre en œuvre cette initiative et la confiance qui en a découlé. l La perception d’un effort à petite échelle et dispersé contrebalancée par la promesse de gros volumes. l Les connaissances dérivées de modèles commerciaux spécifiques au contexte et en constante évolution (facturation à l’acte, les dépenses d’investissement évoluant progressivement pour passer d’une subvention, à une prise partielle de participation, à un financement par des prêts et profiter d’autres programmes de développement) et de l’élargissement des partenaires (industrie, donateurs, gouvernements, institutions financières, universités, médias, etc). l La création d’une base entrepreneuriale locale qui s’appuie sur cette initiative, mais douée d’une capacité d’évolution vers des activités de développement apparentées. Parmi les autres campagnes de grande envergure en cours, citons : l Lighting Africa, initiative du Groupe de la Banque mondiale destinée à donner accès d’ici 2030 à 250 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne à des produits d’éclairage non basés sur des combustibles fossiles, des coûts bas, sûrs et fiables, avec les services d’énergie de base associés. l Energy Poverty Action, initiative commune du World Business Council for Sustainable Development, du World Energy Council et du Forum économique mondial, destinée à faire preuve d’approches évolutives, reproductibles, commercialement viables et environnementalement durables de commer-
Figure 3 : Impacts d’une infrastructure non fiable (Banque mondiale, 2007) Problème de service : Electricité Retard d’obtention au raccordement électrique (jours)
Afrique subsaharienne 79,9 jours
réseau électrique, les mini-réseaux (mais non pas les mini-financements !) n’en ont pas moins un rôle important à jouer pour desservir les populations rurales. Globalement, les calculs actuels de macro-investissements ne parviennent pas à refléter toute la variété et la complexité des besoins et environnements d’investissement. Par ailleurs, il est plus facile de calculer ce chiffre pour l’électricité que pour des combustibles modernes (où il existe davantage de problèmes de capacité de substitution, de problèmes culturels et entre les sexes, etc). Il est bon de répéter que ce problème nécessitera de faire appel à toute une combinaison de mécanismes financiers afin de répondre à un large éventail de risques réels et perçus.
Pays en développement 27,5 jours
Plus qu’un simple éclairage
Coupures d’électricité (jours par an)
Il est primordial de ne pas oublier que le fait d’apporter des services énergétiques fiables et sûrs aux populations qui en sont démunies ne se résume pas à la simple fourniture d’éclairage électrique ou de fourneaux améliorés. Pour promouvoir le développement et la croissance économiques, il est important que ces services énergétiques se consacrent à des utilisations productives qui influent positivement sur les moyens de subsistance des populations, en apportant de l’électricité à l’industrie, en améliorant les prestations sanitaires et l’éducation et en améliorant les transports. Par ailleurs, il ne suffira pas de fournir une source d’électricité si les équipements et appareils nécessaires ne sont pas déployés. Pour finir, l’accès à l’énergie durable nécessitera un modèle qui génère des revenus locaux, capables de subvenir au coût de services énergétiques modernes. L’électricité apporte non seulement de l’éclairage qui permet aux enfants d’étudier le soir, mais aussi un moyen de refroidissement des produits agricoles périssables et une valeur ajoutée accrue aux premiers stades de l’industrialisation. L’expérience a prouvé à maintes reprises la non-viabilité sur le long terme des programmes à base de subventions. L’objectif visé doit impérativement relever d’une réalité commerciale. Il n’empêche que beaucoup de marchés énergétiques sont faussés et que les interventions politiques sont monnaie courante. Ainsi par exemple, en Inde, certains Etats fournissent gratuitement de l’électricité aux agriculteurs. Cela s’est traduit par d’énormes déficits gouvernementaux, des gâchis des ressources de la nappe phréatique pourtant rares affectées à des systèmes d’irrigation inefficaces et l’absence de financement visant à une électrification renforcée, une modernisation des centrales électriques et l’amélioration des réseaux de transmission et d’électricité ailleurs. Il n’y a pas de doute que les subventions énergétiques ne constituent pas un moyen optimal de résoudre les problèmes d’accès. Il est clair que l’accès à l’énergie est loin de se résumer à une simple question de quantité. La qualité prime avant tout. Il en va tant pour l’électricité que pour les carburants. Ainsi, un service électrique très coûteux et peu fiable entrave les activités économiques de bon nombre de pays et constitue un obstacle sérieux à la bonne marche et à la croissance des entreprises. Les indicateurs de la Banque mondiale (Figure 3) illustrent l’ampleur du problème en termes de délais de raccordement, de coupures d’électricité, de valeur de la perte de la production et de la nécessité de production d’électricité sur place. Des coûts élevés de transaction et d’investissement unitaire limitent l’approvisionnement dans les campagnes en raison de la faiblesse de la demande de la part de populations dispersées. Des services publiques qui sont faibles sur le plan commercial et financier ne sont pas en mesure d’engendrer l’expansion de l’accès du réseau, or ils occupent des positions de monopoles dans de nombreux pays. L’Afrique du Sud en est un parfait exemple, où les très faibles prix de l’électricité se sont traduits par des insuffisances d’investissement, qui à leur tour entraînent de fréquentes coupures d’électricité. Au lieu de réguler les prix, les gouvernements devraient plutôt s’attacher à développer les infrastructures, encourager la libéralisation du ‰
Afrique subsaharienne 90,9 jours Pays en développement 28,7 jours Valeur de la perte de production imputable à des coupures d’électricité (pourcentage du chiffre d’affaires)
6,1
%
Afrique subsaharienne
4,4
%
Pays en développement
Entreprises maintenant leurs propres équipements de production d’électricité (pourcentage du total)
47,5
%
Afrique subsaharienne
31,8
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Pays en développement
cialisation de la fourniture énergétique moderne au niveau des communautés. Il faut qu’ils soient ancrés dans des politiques nationales pour que ces programmes et campagnes aient le plus d’effet. Tous ceux d’entre nous qui travaillons pour des organismes internationaux devons apporter notre soutien aux plans et objectifs nationaux et régionaux. Un article récent du PNUD a révélé que 68 pays en voie de développement ont des objectifs dans le domaine de l’électricité (Figure 1), mais pour pouvoir atteindre leurs objectifs, ces pays vont avoir besoin de soutien financier, ils vont devoir développer leurs capacités et se doter de meilleures structures de réglementation et de gouvernance.
Questions d’argent Les implications financières d’un accès universel à l’énergie sont énormes et sont amplement décrites dans le World Energy Outlook 2009, publié par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’agence s’est penchée sur un scénario d’accès spécifique à l’énergie universelle (l’électricité) et les résultats ont révélé la nécessité de dépenser près de 800 milliards dollars É.U. au cours des 20 prochaines années (Figure 2). Ce chiffre correspond à peu près à 40 milliards dollars É.U. par an sur cette période, soit 10 % du total des investissements engagés dans le secteur énergétique par an (d’après le dossier de référence de l’AIE). C’est à peu près ce dont attestent les expériences du Brésil et d’Afrique du Sud, qui font part d’un besoin d’environ 2 000 dollars É.U. par ménage. Bien que la majeure partie des investissements envisagés dans le scénario de l’AIE se consacre à des extensions de réseau et une production raccordée au
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‰ marché et générer un climat d’investissements viable sur le long terme. Plutôt que de subventionner les prix pour tous, il serait préférable d’aider les plus pauvres de la société dépourvus d’accès énergétique en développant les capacités, l’accès à la technologie et par des investissements directs.
Le climat est en train de changer Le quatrième (et le plus récent, de 2007) rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental sur le changement climatique (IPPC) a souligné le lien indiscutable qui existe entre changement climatique et développement durable. Il a également reconnu le fait que le changement climatique pourrait devenir une entrave à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Il a toutefois omis de boucler la boucle en s’abstenant de reconnaître explicitement le lien qui existe avec l’accès à l’énergie. Cette omission s’explique par le fait que l’énergie (et son accès) a été largement reconnue comme étant l’OMD sous-jacent, ou l’OMD « manquant ». Ainsi donc, pour s’attaquer aux besoins du monde en matière de développement durable et de changement climatique, la clé serait donc peut-être bien : (i) de fixer un objectif quantitatif d’accès à l’énergie, et (ii) d’étudier les possibilités permettant de corréler plus étroitement le défi d’assurer la fourniture énergétique à la nécessité de trouver des voies de développement d’énergie propre pour l’avenir. Un objectif acceptable en termes d’accès énergétique devrait-il défendre des principes d’équité, ou se contenter de faire face aux besoins de survie des pauvres ? Si la finalité d’accorder la priorité à l’accès énergétique est de mobiliser des fonds de développement, alors l’argumentation de l’équité n’aurait pas lieu d’être. D’un autre côté, fixer un objectif qui s’attache à assurer l’accès énergétique à un niveau qui ne permet pas de créer des opportunités pour se sortir du piège de la pauvreté ne serait pas non plus acceptable. Par conséquent, il faudrait au minimum estimer les besoins énergétiques à satisfaire pour réaliser les OMD. Quelle que soit la cible finale, l’établissement d’objectifs pourrait avoir comme première fonction de planifier les investissements et de déterminer la source des fonds de développement. Or dans la réalité, l’approche la plus rationnelle à adopter pourrait consister à garantir l’accès physique aux services énergétiques, à des niveaux de prix qui rendraient les services abordables. Cela fait si longtemps que le fossé se creuse entre riches et pauvres, ville et campagne, entre développé et en voie de développement, que le moment est venu d’essayer consciemment d’évaluer les coûts et les avantages de combler les écarts technologiques qui séparent ces catégories dans l’intérêt commun d’une efficacité mondiale et de protection du climat. Il y a toutefois à craindre que la communauté mondiale ne se concentre principalement sur les actuels consommateurs d’énergie fossile et émetteurs de gaz à effet de serre. Tous ceux qui ne font pas partie du problème immédiat risquent bien d’être les oubliés des solutions émergentes. Garantir l’accès à une énergie durable à faibles émissions de carbone n’est pas simplement un moyen d’éviter que près de la moitié de la population mondiale ne soit piégée pour l’avenir dans des voies d’émissions dont elles ne pourraient plus se défaire. C’est aussi un facteur primordial pour développer les capacités d’adaptation parmi les populations les plus vulnérables par le soutien que cet accès apporte à tous les OMD. Si les efforts de réduction des gaz à effet de serre ne constituent pas un argument suffisant pour attirer l’attention nécessaire sur le défi de l’accès à l’énergie, alors les négociations climatiques doivent impérativement reconnaître le rôle primordial que remplit l’accès à l’énergie en termes d’efforts d’adaptation. Dans l’idéal, au vu des retombées positives en chaîne que génère l’accès à une énergie durable, il serait indispensable de réserver des fonds pour s’attaquer à cette problématique majeure qui concerne les pays en développement.
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La silhouette d’une mosquée se détache à proximité de lignes électriques qui ont été détournées pour voler de l’électricité. New Delhi, Inde.
« Pour promouvoir le développement et la croissance économiques, il est important que ces services énergétiques se consacrent à des utilisations productives qui influent positivement sur les moyens de subsistance des populations, en apportant de l’électricité à l’industrie, en améliorant les prestations sanitaires et l’éducation et en améliorant les transports »
Photo: Ami Vitale/Panos
Nouvelle orientation L’ONUDI organise avec ses partenaires une grande conférence sur l’énergie une fois tous les deux ans. La dernière en date, qui a eu lieu en Autriche en 2009, donnait priorité à l’accès énergétique et les participants y ont identifié les besoins suivants : l Accorder à la question de l’accès énergétique une reconnaissance et une priorité sur le plan mondial. l Etablir un cadre international solide qui précise clairement un objectif d’accès énergétique. l Rédiger une feuille de route de mise en œuvre détaillée, avec objectifs et jalons intermédiaires. l Créer un mécanisme de développement des capacités à l’intérieur du pays et entre les secteurs politiques, gouvernementaux, technologiques, financiers et opérationnels. l Créer un mécanisme de renforcement des investissements et des financements vers un accès universel. Ces recommandations demandent à être peaufinées et, comme l’écrit l’expert ghanéen en matière d’énergie Abeeku Brew-Hammond, il en ressort plusieurs domaines d’action clés : l Mobiliser les ressources financières nationales et faire un meilleur usage des apports externes. l Insister sur des usages productifs et des objectifs rémunérateurs. l S’appuyer sur l’éventail complet de ressources et technologies disponibles. l Augmenter le nombre d’acteurs et développer des institutions efficaces. l Elaborer des politiques innovantes. l Réaliser la mise en œuvre par l’application de moyens solides de surveillance et de vérification. Comme en a conclu le Forum des Ministres de l’énergie en Afrique en 2007 en parlant des défis qui existent au niveau régional : « Pour inverser la tendance de la performance du secteur énergétique, trois principaux défis sont à relever : remplacer les listes de vœux de projets existants par des projets aptes à bénéficier de concours bancaire, établir des politiques réglementaires capables d’améliorer l’attractivité des pays en termes d’investissements, et enfin créer des institutions dotées de rôles clairs et des ressources appropriées ». Afin de concrétiser une ou plusieurs de ces ambitions, il pourrait être bénéfique de concevoir et de tester un nouvel indicateur de l’accès à l’énergie : ce travail ne fait que commencer. Pour finir, il est urgent de s’intéresser à l’application des bons modèles commerciaux, au développement de moyens de prise de décision et de mise en œuvre et à la création d’une politique de soutien/de cadres réglementaires qui veillent à ce que des avancées par bonds technologiques et le repositionnement institutionnel se produisent à une allure rapide. Dans les pays en développement, les secteurs de l’information et des télécommunications ont connu une explosion de la demande qu’ils n’avaient pas anticipée, témoignant d’une progression par bonds technologiques où l’absence d’accès a été remplacée par une offre de communications à la pointe de la technologie. Il est tout à fait possible qu’il en aille de même pour les systèmes énergétiques modernes. Nous sommes convaincus de notre capacité à y parvenir, tout en confortant parallèlement de nouvelles économies solides et écologiques ; s’abstenir de le faire est tout simplement hors de question. A l’instar de la pauvreté, l’ampleur du problème est si colossale qu’elle en paraîtrait presque insurmontable. Or l’accès à l’énergie pourrait en fait être la meilleure méthode de s’attaquer au problème à court terme. Son importance est amplement reconnue. Il nous reste maintenant à nous appuyer sur cette prise de conscience commune pour étayer les modèles efficaces qui existent et créer de nouveaux moyens de débloquer de nouvelles opportunités. n Les auteurs souhaiteraient remercier le soutien que leur a apporté Morgan Bazilian, conseiller énergétique à l’ONUDI, pour la rédaction de cet article.
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DIPAL BARUA met en œuvre des solutions basées sur les énergies renouvelables qui permettent d’autonomiser les femmes, de créer des emplois, de faciliter le développement rural et de protéger l’environnement.
Le Bangladesh transformé par les femmes entrepreneurs Dipal Barua caresse une vision. Il voit sa patrie devenir l’une des premières « nations solaires » au monde. Il est convaincu que l’énergie solaire et les autres énergies renouvelables sont capables de transformer la vie des 75 millions de Bangladais qui n’ont pas accès à l’électricité. Pour parvenir à cette transformation, il veut former 100 000 femmes entrepreneurs à créer leurs propres entreprises d’énergies renouvelables d’ici l’année 2015. Si Dipal Barua arrive à ses fins, le Bangladesh va, dit-il, « devenir le modèle à émuler pour les 1,6 milliard d’habitants du monde entier qui souffrent de précarité énergétique ». Pour concrétiser cette vision, Barua, cet homme âgé de 55 ans, a récemment fondé la fondation Bright Green Energy Foundation. Il s’agit là de la toute dernière étape d’une illustre carrière consacrée à apporter le développement durable aux populations rurales du Bangladesh. Barua a été l’un des membres fondateurs de la Grameen Bank, lauréate du prix Nobel de la paix, cette banque de développement de la microfinance et des communautés qui a été lancée dans son village natal de Jobra en 1976. « J’ai consacré la majeure partie de ma vie à rechercher des solutions viables et commercialisables aux problèmes socioéconomiques auxquels les populations rurales sont confrontées », a déclaré Barua. « J’en suis venu à me rendre compte que l’absence d’accès à des sources d’énergie efficaces constituait l’un des principaux obstacles à leur développement. Plus de 70 % des populations rurales de mon pays doivent s’en remettre à des sources d’énergie primitives. Cela a pour effet de restreindre leurs opportunités économiques et de nuire à leur santé ». En 1996, Barua a fondé Grameen Shakti, organisme à but non-lucratif dont la mission est de promouvoir, développer et fournir de l’énergie renouvelable. En qualité de directeur général, Barua a bâti Grameen Shakti pour en faire l’une des plus grandes entreprises d’énergie renouvelable au monde, à la croissance des plus rapides. Les premières tentatives de commercialiser les systèmes solaires photovoltaïques pour particuliers à des conditions abordables ont pourtant dû se heurter à de nombreux obstacles, comme il se le rappelle.
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« Il n’existait aucun environnement facilitateur pour permettre la propagation des technologies à base d’énergies renouvelables dans les campagnes. Elles étaient méconnues, leurs coûts en étaient élevés, les connaissances techniques manquaient et l’infrastructure était inexistante ». « Il nous a fallu y sensibiliser les populations rurales et gagner leur confiance. Nous avons formé nos ingénieurs à devenir des “ingénieurs sociaux”, chargés de faire du porte-à-porte pour démontrer l’efficacité des énergies renouvelables. Nous avons formé des jeunes sur place pour de-
venir des techniciens, et veiller ainsi à ce que les gens bénéficient d’un service d’après-ventes efficace et gratuit sur le pas de leur porte ». Dans un pays où près de 40 % de la population vit avec moins de 1,25 dollars É.U. par jour, le coût d’une installation solaire à usage domestique même la plus élémentaire, de 15 000 takas bangladais (217 dollars É.U.), était prohibitif pour bon nombre de ménages ruraux. Barua se rappelle essayer de convaincre des clients potentiels d’investir dans des installations électriques solaires. « Je disais aux gens que pour le coût de kérosène qu’ils dépensaient à éclairer leurs maisons, ils pouvaient s’acheter une petite installation solaire qui durerait 20 ans ou plus. » Grameen Shakti a reçu un formidable coup de fouet en 2002 lorsque la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial ont accordé à l’organisation des prêts à faibles intérêts pour aider à l’accroissement d’échelle de sa four-
niture d’accords de micro-finance. Parmi les options proposées d’achat d’une installation solaire à usage domestique selon des conditions privilégiées, la plus populaire s’est avérée celle qui consiste en un acompte de 15 % et des mensualités de remboursement pendant 3 ans. Fin 2009, plus de 300 000 installations solaires à usage domestique ont été installées, apportant de l’électricité à plus de 2 millions de personnes. « L’installation solaire à usage domestique joue un rôle très efficace à apporter de l’électricité “écologique” aux ménages ruraux. Un meilleur éclairage facilite l’éducation et aide les femmes à travailler et cuisiner », a précisé Barua. « Il permet aussi aux femmes de participer à des activités rémunératrices une fois la nuit tombée. » Et comme Barua le fait remarquer, les conséquences sur les revenus ne se limitent pas qu’aux ménages. « Les magasins et petites entreprises ont eux aussi installé des installations solaires pour pouvoir rester ouverts après le coucher du soleil ». Ces dernières années, l’entreprise Grameen Shakti s’est diversifiée, en lançant un programme de biogaz pour fournir du gaz de cuisson, de l’électricité, et des engrais organiques. Ils ont aussi lancé un programme de fourneau amélioré pour réduire la pollution de l’air dans les espaces clos et la quantité de bois nécessaire comme combustible. Fin 2009, plus de 7 000 petites installations de biogaz, et 40 000 fourneaux améliorés ont été installés. L’un des principaux facteurs contribuant à la réussite de Grameen Shakti est dû à la décision délibérée d’impliquer les femmes aussi bien au niveau de l’adoption des énergies renouvelables, que de l’installation et de l’entretien des installations énergétiques. Comme Barua le fait remarquer, « Les femmes sont les principales victimes de la crise énergétique. Ce sont elles qui souffrent le plus de la pollution de l’air en milieu fermé, des corvées ménagères et d’un manque de temps, pris par des activités pénibles telles que d’aller chercher du bois et de cuisiner. Nous pensons qu’il faut tout faire pour que les femmes cessent d’être des victimes passives et deviennent des forces actives du changement dans leur vie et au sein des communautés où elles vivent ».
Ci-contre : Des femmes bangladaises en train d'apprendre à monter et installer des installations électriques solaires. Photo principale : Entrepreneur solaire en action Photos offertes par Ashden Awards.
Dans plus de 40 centres technologiques implantés en zone rurale et gérés principalement par des femmes ingénieurs, les femmes suivent un stage initial de 15 jours pour apprendre à monter des contrôleurs de charge et des chargeurs de téléphone mobile, et pour installer et assurer la maintenance de leurs installations solaires à usage domestique. Si elles continuent leur formation, elles seront capables d’assurer la réparation des systèmes. Le programme a ainsi permis de former plus d’un millier de femmes techniciennes et elles ont joué un rôle décisif dans l’adoption rapide des installations solaires électriques. Pour Barua, la réussite du programme de femmes techniciennes constitue l’une de ses réalisations dont il est le plus satisfait. « Au début de ce programme, nous n’étions pas sûrs de pouvoir attirer suffisamment de femmes de la campagne, ou si elles seraient capables de travailler de manière indépendante. Mais nous avons formé
plus d’un millier de femmes qui ont grandi en confiance et ont désormais la possibilité de gagner un revenu de près de 150 dollars É.U. par mois. Ces jeunes femmes, issues pour la plupart des sociétés les plus conservatrices, peuvent maintenant voir d’autres horizons et opérer indépendamment en qualité de techniciens : c’était quelque chose d’inimaginable il y a encore quelques années de cela. » En 2009, Dipal Barua a remporté le Zayed Future Energy Prize du Gouvernement d’Abu Dhabi, en reconnaissance de son travail afin d’apporter les technologies d’énergies renouvelables aux populations rurales. Une partie du prix se présentait sous forme d’une récompense de 1,5 million d’US$, et Barua s’est servi de cet argent pour fonder la Bright Green Energy Foundation. Il envisage de s’appuyer sur la réussite de Grameen Shakti et veut former 100 000 femmes, pour qu’elles puissent créer leurs propres entre-
prises d’énergie renouvelable. « Mon but est d’apporter aux femmes l’assistance technique et financière pour qu’elles deviennent des entrepreneurs “écologiques” ». Barua affirme que la Fondation permettra d’avancer les technologies d’énergies renouvelables vers leur prochain niveau de développement. « Nous envisageons un avenir où chaque ménage et chaque entreprise du Bangladesh auront accès à une énergie respectueuse de l’environnement qui ne pollue pas, et à un coût abordable. » « Si je réussis », en conclut-il, « le Bangladesh deviendra le pays des technologies des énergies renouvelables, comme il est aujourd’hui le pays du micro-crédit : une source d’inspiration pour tous. Ce serait alors une démonstration extrêmement positive de ce que les énergies renouvelables peuvent faire pour les personnes désavantagées du monde entier ». l Interview de Charles Arthur, ONUDI
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Partout sous le soleil Le DR. ZHENGRONG SHI est le fondateur et CEO de Suntech Power, leader mondial dans les solutions innovantes à base d’énergie solaire Regardez cette image satellite de notre monde vu la nuit. D’énormes tentacules de lumière partent des villes pour se propager dans l’ensemble des régions les plus riches du monde, créant des zones d’activité économique fébrile. Tant bien même que les pays ne sont pas délimités par des codes couleur comme sur les cartes politiques traditionnelles des murs de classe, cette image satellite bicolore nous en dit long sur l’accès : l’accès aux soins de santé, l’accès à l’argent, l’accès à l’information et, plus particulièrement, l’accès à l’énergie. Globalement, les zones de lumière correspondent aux poches de prospérité, fondées sur une croissance économique à forte intensité énergétique. Les trois plus gros blocs économiques au monde : l’Europe occidentale, les Etats-Unis et le Japon, sont de loin plus lumineux que leurs voisins en termes d’uniformité et d’intensité, et la corrélation est directe, puisque ce sont dans ces régions que l’on retrouve les plus fortes espérances de vie. Le gros de l’Afrique et de l’Asie centrale reste enfoui sous la pénombre. Le contraste qui sépare une république de Corée lumineuse de sa voisine du nord, le long du 58e parallèle, reflète on ne peut plus clairement les disparités de richesse et d’opportunités qui existent entre les deux pays.
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Dans le même temps, l’industrialisation s’est accompagnée de très lourds coûts environnementaux, notamment en termes de carbone. L’impact d’une production énergétique d’origine carbonique ne se limite cependant pas qu’au changement climatique mondial. Il ne faudrait pas pour autant oublier les dégâts environnementaux localisés causés par la production d’électricité à base de carbone, comme par exemple la pollution de la nappe phréatique et du sol, ou les déplacements de population, ou encore les préjudices sanitaires provoqués par des concentrations de particules dans l’air ambiant dans les centres industriels.
C’est là que se trouve tout le challenge de notre génération. Des milliards de voix du monde entier demandent à avoir un meilleur accès à l’énergie, alors que bien d’autres insistent sagement que nous devrions respecter notre environnement naturel unique et si fragile. Ces deux objectifs sont parfaitement légitimes à part entière, et aucun des deux ne devrait l’emporter sur l’autre. Les défis environnementaux étaient les mêmes en Chine, où Suntech Power a vu le jour il y a plus de 10 ans de cela. Tandis que la croissance économique foudroyante de la Chine représente l’une des grandes réalisations humanitaires de l’histoire, en permettant à des millions de personnes de s’extraire de la pauvreté, elle s’est également accompagnée de défis environnementaux. Après avoir reçu mon doctorat à l’université de New South Wales (UNSW) en Australie, je suis retourné dans ma ville natale de Yangzhong, une île qui se niche dans le creux du Yangtze, pour y trouver les terres de ma jeunesse souffrant des effets secondaires environnementaux de l’industrialisation. Le gouvernement de Wuxi, dans la province de Jiangsu, était désireux de faire œuvre de
Una visión total de la Tierra por la noche, preparada utilizando más de 400 imágenes de satélites. Foto: NASA
pionnier pour créer des solutions qui encourageraient une croissance économique équitable sans pour autant ravager notre planète et ses ressources. C’est ainsi qu’avec un soutien de 6 millions dollars É.U. facilité par le gouvernement local et des entreprises locales, et avec l’appui d’amis et collègues animés des mêmes préoccupations à UNSW, j’ai fondé Suntech Power. En réunissant des équipements neufs et d’occasion, et absolument convaincus de notre vision, nous avons réussi à développer une centrale de production solaire d’une capacité de 10 MW, ce qui à l’époque n’était pas rien. Trois ans plus tard, en décembre 2005, surfant sur la vague provoquée par l’explosion de la demande mondiale de produits solaires, Suntech Power est devenue la première entreprise privée implantée en Chine à être cotée à la Bourse de New York. Notre croissance météorique a été rendue possible, non seulement avec le soutien d’amorçage que nous avons reçu en Chine, mais aussi grâce aux incitations gouvernementales venues de régions parmi les
plus riches au monde, notamment d’Allemagne, du Japon et de Californie, aux Etats-Unis. Le mouvement international en quête d’autres sources d’énergie a pris de l’ampleur, alors que les gouvernements se sont mis à reconnaître la nécessité de diversifier leurs sources énergétiques en raison de la rareté des combustibles fossiles et de l’augmentation des coûts de leur extraction, d’établir leur indépendance énergétique pour garantir la constance de l’alimentation énergétique sur le long terme, et de trouver des solutions pour atténuer le réchauffement climatique attribuable aux activités humaines. Dans ce contexte, notre capacité à soutenir une croissance de près de 100 % par an jusqu’en 2008, à faire concurrence à des concurrents établis et à devenir le plus gros producteur de panneaux solaires en silicone cristallin est principalement attribuable à notre engagement en matière d’innovation et de qualité. Depuis notre création, nous avons progressivement bâti l’une des équipes de recherche solaire les plus importantes au monde, comptant plus de 350 professionnels de R&D basés en Chine, en Australie, en Allemagne et au Japon. Par ailleurs, nous avons entretenu des relations de collaboration avec les plus grands instituts de recherche solaire, comme UNSW en Australie. C’est ce qui nous a permis d’être constamment à l’affût de nouvelles technologies et de battre des records les uns après les autres au niveau de panneaux ultra-effi-
caces. Par ailleurs, notre attachement à minimiser les coûts de production en employant des procédés de production semi-automatiques et une technologie innovante nous permet de garder notre promesse d’offrir des produits de la meilleure qualité à des prix raisonnables. Alors que dans plus en plus de pays, l’électricité provenant de sources solaires atteint la parité avec les prix de vente (“grid parity”) des sources d’électricité d’origine carbonique, nous nous attendons à faire partie d’une révolution énergétique qui viendra à l’appui de la croissance durable à long terme sur les marchés en développement et développés du monde entier. L’énergie solaire dispose d’une opportunité unique dans les régions non développées et en développement, surtout celles dotées de réseaux électriques excessivement sollicités et/ou limités. Bien souvent, le prix de la pose de lignes électriques jusque des villages isolés, des tours ‰
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‰ de communication, cliniques, écoles ou pompes à eau est bien supérieur au prix de l’installation de systèmes fonctionnant à l’énergie solaire. Dans beaucoup de marchés, il coûte plus cher de mettre en route un générateur diesel que d’installer un système à énergie solaire propre et silencieux au rendement équivalent. A l’avenir, la fourniture d’électricité se caractérisera non seulement par une production et une distribution centralisées, mais aussi par l’émergence de micro-réseaux indépendants, alimentés par des technologies fonctionnant aux énergies renouvelables. Des débouchés commerciaux sont en train de se faire jour pour les entreprises innovantes et entreprenantes en vue de faciliter l’adoption de l’énergie solaire sur les marchés émergents. L’un des grands atouts supplémentaires de l’énergie solaire tient au fait qu’entre 60 et 70 % de ses emplois sont générés sur le marché de l’utilisation finale. Ces emplois ont trait à la concep-
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tion sur place de systèmes d’énergie solaire, à la fabrication de composants du système, à la gestion de projets et à l’installation de systèmes. En créant un accès fiable à la ressource énergétique la plus propre et la plus abondante au monde, Suntech offre des opportunités économiques et de développement propres partout sous le soleil. Les gens parlent souvent combien l’environnement de la planète est délicat et appartient à un “système non linéaire” : en d’autres mots, un minuscule changement ajouté à un minuscule changement pourrait entraîner sept changements majeurs. Il en va autant pour notre climat que pour le développement social. Par exemple, il faut des routes pour livrer des médicaments, il faut des médicaments pour rester en bonne santé, il faut rester en bonne santé pour travailler, et il faut travailler si l’on veut construire des routes. Si on enlève le moindre maillon de cette chaîne de développement, le système
s’effondre dans son intégralité. C’est la raison pour laquelle nous devons donner priorité aux solutions qui éliminent à tout jamais les variables de risque, en simplifiant l’équation pour les communautés qui s’efforcent de parvenir à un développement durable et à assurer la prospérité de leurs enfants. Dans ce sens, les systèmes d’énergie solaire indépendants s’apparenteraient à des vaccins contre les pannes de courant. Ils évitent ce genre de circonstances où vous devez absolument appeler un médecin mais la batterie de votre téléphone est à plat, ou lorsque vous apprenez à votre enfant à lire et le courant est coupé car votre générateur est en panne de carburant, ou lorsque vous devez ralentir votre chaîne de production, car le réseau n’est pas capable de faire face aux demandes d’électricité aux heures de pointe. Les systèmes d’énergie solaire offrent des décennies d’énergie propre et fiable, et sont conçus pour fonctionner sans problème par les
Vue mondiale de la Terre la nuit, compilée à partir de 400 images satellite. Photo: NASA A gauche : Carte du rayonnement solaire de la Terre montrant les températures moyennes
conditions météorologiques et environnementales les plus extrêmes. Ils n’ont pas besoin d’être réapprovisionnés ou entretenus, et ils fonctionneront tant que le soleil brillera. Pour mieux servir les marchés de petite taille et autoproducteurs, Suntech Power a lancé récemment un nouveau produit appelé le Solar Home System, un produit complet “bas de gamme” qui assure une production fiable d’électricité solaire. Chaque système solaire comporte un module solaire (produisant entre 20 Wp et 120 Wp), un dispositif de stockage et de contrôle d’énergie, ainsi qu’une prise électrique en courant alternatif et des ampoules économes en énergie qui sont appropriées à la puissance spécifique du système. Mieux encore, le Solar Home System se transporte facilement dans le coffre d’une voiture ou d’un camion, peut être installé par n’importe qui muni d’une clé hexagonale, d’un tournevis et d’une pince, et fonctionne au moyen d’une interface à un seul
bouton. Nous sommes fiers d’annoncer que le Gouvernement de Mongolie, soutenu par la Banque mondiale, vient d’acheter 20 000 unités de notre Solar Home System de 50 Wp, et chacune fournira suffisamment d’électricité pour alimenter des ampoules ou recharger des téléphones cellulaires. Il s’agit bien là d’un exemple fantastique d’un gouvernement qui fait preuve de leadership en encourageant l’électrification rurale et le développement durable à long terme. Si vous observez la carte de l’éclairement énergétique de rayonnement solaire de la Terre, elle raconte une histoire pleine d’espoir. Le soleil brille autant sur les riches que sur les pauvres. Il n’a besoin ni de passeport, ni de visa, il ne fait pas l’objet de conflits ethniques, d’infrastructures cassées ou de disputes politiques. L’immense majorité des masses continentales habitées bénéficient d’un excellent ensoleillement. Vous n’avez pas forcément de quoi creuser un puits de
en avril 2003. Cette image a été créée par un sondeur infrarouge atmosphérique (AIRS), à une longueur d’onde infrarouge qui capte soit la surface de la Terre soit tout nuage entre les deux. Photo: NASA/JPL
Ci-dessous : Installation d’un Solar Home System au Tibet. Photo: Suntech Power
pétrole ou une mine de charbon dans votre jardin (et n’avez sans doute pas très envie de le faire), mais vous avez sans doute les moyens de profiter de l’énergie produite par le soleil. L’urgence de notre mission s’intensifie en même temps que les demandes énergétiques mondiales augmentent, et chaque matin est pour moi cause de réjouissance, par le simple fait de savoir que le soleil brille sur nous tous. Suntech Power a déjà livré près de 1,8 GW de capacité solaire à plus de 80 pays du monde entier. Qu’il s’agisse de projets de plusieurs mégawatts en Espagne et en Corée, ou d’installations commerciales en Californie et en Allemagne, ou encore d’installations autoproductrices dans l’Himalaya et au Moyen Orient, Suntech alimente un avenir où chacun dispose d’un accès fiable à la ressource énergétique la plus propre et la plus abondante que la nature peut nous offrir. J’en suis extrêmement fier car je crois profondément dans le pouvoir de l’accès. n
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Interview avec Michael Spindelegger, ministre des Affaires étrangères de la République d’Autriche
L’énergiepourle développement Making It : L’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, l’ONUDI, a la chance d’avoir son siège dans la capitale autrichienne, et cela fait plus de 40 ans que l’Autriche est un fervent défenseur de l’ONUDI, depuis qu’elle est implantée à Vienne. Comment voyez-vous les relations de l’Autriche avec l’ONUDI aujourd’hui ? Michael Spindelegger : En tant que pays hôte, l’Autriche entretient traditionnellement des liens étroits avec l’ONUDI. Nous voyons l’ONUDI comme un partenaire clé pour concrétiser les objectifs importants de politique de développement, et nous sommes absolument convaincus de la pertinence et de la qualité du travail de l’ONUDI. L’Autriche a fait preuve d’un engagement sans faille envers l’ONUDI par sa participation active ainsi que par ses contributions volontaires, en tant que l’un des principaux donateurs de l’ONUDI. L’organisation a réussi à unir la lutte contre la pauvreté au combat pour la durabilité environnementale et offre par conséquent des
solutions aux problèmes les plus pressants de la planète. Aujourd’hui, la crise mondiale nécessite les réponses mondiales et un regroupement des ressources. L’ONUDI occupe une position unique pour faire le lien entre les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement industriel par la facilitation du transfert technologique ainsi que par des mesures de développement de capacité. L’Autriche est fière d’héberger une organisation qui est parvenue à se hisser comme point de référence, tant pour le développement économique que dans le domaine de l’environnement. L’ONUDI peut compter sur le soutien continu de l’Autriche pour atteindre nos objectifs communs. Le programme sur trois ans de l’Autriche (200810) en matière de politique de développement compte parmi ses actions centrales le développement du secteur privé, et cible particulièrement les micro, petites et moyennes entreprises. Quelle est la principale raison à cette orientation ? Le secteur privé est un moteur majeur de crois-
sance économique. Un climat d’affaires prospère est une condition préalable indispensable au développement d’un secteur privé dynamique qui contribue à la réduction de la pauvreté. Par conséquent, la Coopération du développement autrichien apporte son soutien à des programmes destinés à améliorer la situation politique, économique, sociale et écologique. Pour que ces efforts aboutissent, trois facteurs sont indispensables : transparence, équité pour tous les participants au marché et accès aux infrastructures. Bien souvent, pour gagner sa vie, l’unique moyen consiste à démarrer une entreprise, seulement il n’est pas facile de faire décoller une idée commerciale. C’est pour cette raison que nous ciblons principalement les micro, petites et moyennes entreprises. Nous soutenons les programmes destinés à renforcer la certitude juridique et à introduire une législation fiscale ou du marché du travail qui contribue à créer un environnement favorable pour les petits entrepreneurs. Ces projets et programmes communiquent du savoir-faire en matière de ‰
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‰ gestion commerciale et sur l’organisation efficace de procédés de production. Par ailleurs, nous facilitons l’accès aux services financiers pour les petits entrepreneurs et d’autres qui ont besoin de capital d’amorçage pour mettre leurs idées en pratique, par exemple par le biais de fonds de micro-crédit ou par la Banque autrichienne de développement. Making It est tout particulièrement intéressé d’en savoir plus sur une autre orientation de la politique autrichienne de développement : l’énergie. Quel rapport voyez-vous entre l’énergie et le développement du secteur privé ? Le secteur énergétique est l’un des principaux contributeurs au changement climatique et à la pollution locale. Il est probable que dans certains pays en développement, la concentration sur la production d’électricité à partir de combustibles fossiles aura des conséquences écologiques d’une portée considérable. Les effets négatifs du changement climatique risquent de mettre en péril les progrès de développement réalisés jusqu’à présent. Il est nécessaire d’opter pour des solutions durables afin de maîtriser les difficultés complexes du secteur énergétique. Un objectif central de notre coopération au développement est de veiller à garantir l’accès à des services énergétiques abordables, fiables et durables. Nous apportons également notre soutien à des travaux de recherche appliquée et au développement des capacités. La disponibilité énergétique est d’importance cruciale pour n’importe quelle entreprise, mais aussi pour les ménages privés afin de faciliter les tâches ménagères, comme la cuisson ou le chauffage, et de consacrer davantage de temps aux études ou à du travail productif. L’un des pays prioritaires de la politique autrichienne de développement est le Bhoutan. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce partenariat ? Au fil des ans, l’Autriche est devenue l’un des partenaires de développement les plus importants du Bhoutan. Notre coopération fructueuse a vu le jour en 1986, lorsque nous avons été invités à coopérer à l’électrification de l’est du Bhoutan. Depuis, trois centrales hydro-électriques y ont été installées et sont aujourd’hui pleinement opérationnelles. En plus de cela, cinq programmes d’électrification rurale donnent accès à l’électricité à plus de 1 600 ménages, et un nouveau programme destiné à couvrir 800 foyers dans la région de Phobjikha est sur le point de démarrer. Nous sommes également actifs dans le domaine du renforcement des capacités. Nous apportons de l’aide technique et assurons le transfert de savoir-faire à des techniciens bhoutanais pour faire en sorte que des entreprises locales se chargent de mener à bien des projets hydro-électriques. Par ailleurs, l’Autriche soutient la formation pratique des effectifs du ministère de l’Energie bhoutanais. Toujours dans le domaine de l’énergie, pouvezvous dresser dans ses grandes lignes la contribution qu’apporte l’Autriche au centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
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Pleins phares sur le Bhoutan Le royaume du Bhoutan est un petit pays enclavé du sud de l’Asie, situé dans la partie orientale de l’Himalaya, bordé par l’Inde et la Chine. Le Bhoutan abrite une population d’environ 687 000 habitants, répartis sur une superficie d’à peu près 47 000 km², dont près de 70 % du territoire est recouvert de forêts. La majeure partie de la population vit dans les montagnes centrales, les deux-tiers étant ce qu’on peut appeler des habitants ruraux. Bien que la croissance économique soit jugée importante, le Bhoutan est soucieux de préserver sa culture, son environnement et son identité nationale. Le gouvernement considère son but premier de créer un climat où chaque individu peut chercher le bonheur et y parvenir. C’est ainsi que le gouvernement poursuit une voie de changement holistique, qui s’inscrit dans une vision unique de développement national : le Bonheur National Brut. Cette philosophie politique s’appuie sur quatre piliers qui définissent les efforts de trouver l’équilibre entre progression spirituelle et avancées matérielles : le développement socioéconomique durable, la préservation et l’utilisation durable de l’environnement, la promotion de la culture et une bonne gouvernance. L’économie du pays est restée globalement à l’abri de la crise économique mondiale et affiche des signes de reprise après les légères retombées négatives Drapeau national du qui se sont royaume du Bhoutan. répercutées sur le tourisme et l’industrie métallurgique. L’énergie hydraulique pourrait s’avérer un moteur de croissance et de revenus publics de premier ordre. Le Bhoutan en a une demande intérieure limitée et l’excédent d’électricité est exporté vers l’Inde. Le pays a le potentiel de développer 23 760 MW d’énergie hydraulique, dont seulement 5 % ont été exploités jusqu’à présent. Au cours des 5 prochaines années, les capacités sur place de production d’énergie hydraulique devraient passer de 1 488 MW en 2007 à 1 602 MW en 2013. Par ailleurs, le gouvernement prévoit d’ajouter 10 000 MW de capacité d’ici 2020. A cette fin, le Bhoutan et l’Inde se sont accordés sur une liste de 10 projets hydroélectriques à développer. Source : Banque mondiale.
de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? En 2006, la CEDEAO qui représente 15 Etatsmembres de l’Afrique de l’ouest, a réorienté son ordre du jour en matière d’accès énergétique sur la promotion de l’utilisation de sources d’énergie alternatives, notamment les énergies solaire, éolienne, hydro-électrique, de la biomasse et d’autres sources d’énergies renouvelables. En conséquence de quoi, il a été fait appel à l’ONUDI et aux Etats-membres de l’Union européenne pour qu’ils apportent leur soutien au centre régional pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO. Ce centre, situé à Praia, au Cap Vert, desservira la région en élargissant l’accès à des services énergétiques modernes et en renforçant la sécurité énergétique. Avec le soutien financier des gouvernements d’Autriche et d’Espagne, les opérations ont commencé en novembre 2009 et le recrutement s’est achevé au mois de février de cette année. Un programme de travail détaillé est actuellement en cours d’élaboration. A terme, les buts spécifiques de ce centre sont de donner à 60 % des habitants des zones rurales l’accès à l’énergie
Mr Spindelegger (au milieu à droite) à un projet d’assainissement de l’eau financé par l’Autriche à Kamdini, en Ouganda, juillet 2009.
motrice pour pouvoir stimuler les activités économiques, de donner accès à 325 millions de personnes à du combustible de cuisson amélioré, et enfin l’accès individuel à l’électricité à 214 millions de personnes. L’Autriche porte un vif intérêt pour le développement économique des pays du sud-est de l’Europe, et deux autres pays prioritaires sont la Macédoine et le Monténégro qui appartenaient à l’ancienne République yougoslave. Pouvez-vous donner des précisions sur les divers projets énergétiques qui sont mis en œuvre dans ces pays ? En 1992, au moyen d’un amendement à sa constitution, le Monténégro est devenu un "Etat écologique". A titre de contribution à des travaux de construction énergétiquement rentables et écologiquement durables au Monténégro, l’Agence autrichienne du développement finance les coûts de planification, la supervision des travaux de construction et la fourniture de matériaux écoefficaces pour la construction des nouveaux bureaux des Nations Unies au Monténégro. L’Autriche soutient également un certain nombre de projets énergétiques en Macédoine,
comme par exemple le projet géothermique à Kocani, qui devrait aider la Macédoine à réaliser son indépendance énergétique. Ses principaux objectifs sont de renforcer l’usage de la géothermie comme forme d’énergie de rechange, d’en faire un usage plus efficace et d’engager des améliorations technologiques en matière de fourniture d’énergie de chauffage. Nous soutenons en outre un projet pilote du PNUD engagé en Macédoine, qui vise à améliorer l’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment et à renforcer la sensibilisation et les capacités des parties prenantes aux questions de l’efficacité énergétique. A long terme, cela devrait permettre de réduire la consommation énergétique dans les bâtiments résidentiels et publics, et donc non seulement de réduire la demande d’énergies et les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’accroître l’indépendance énergétique du pays. n
Des “éco-locaux” pour les Nations Unies au Monténégro La construction d’un nouveau bâtiment respectueux de l’environnement pour les Nations Unies à Podgorica, la capitale du Monténégro, est sur le point de commencer. Ce bâtiment, situé à proximité du pont du Millénaire qui enjambe la Morača, abritera les diverses agences des Nations Unies qui opèrent au Monténégro. Le bâtiment est destiné à contribuer de manière importante à la promotion d’une philosophie et de technologies de construction durable, écologique et faible consommatrice énergétique, non seulement au Monténégro mais dans l’ensemble du sud-est de l’Europe. La description du bâtiment comme étant "écologique" plutôt qu’énergétiquement efficace se reflète dans l’emploi de matériaux de construction disponibles sur place et l’application de technologies respectueuses de l’environnement. Ce projet souligne la détermination des Nations Unies à promouvoir le développement durable et à souligner l’importance des principes de construction environnementaux. Le système de ventilation de ces locaux écologiques fonctionnera sur le principe du déplacement, la chaleur générée dans les bureaux étant utilisée pour entraîner un système de circulation de l’air naturel. L’énergie pour les besoins d’appoint en chauffage et climatisation sera assurée par l’eau prélevée dans la Morača. L’été, la température de l’eau est inférieure à celle de l’air extérieur, et l’eau sera pompée dans le bâtiment pour le refroidir. L’hiver, les bureaux seront chauffés par l’eau de la rivière qui est pompée et chauffée à l’énergie solaire. Les panneaux solaires installés sur une superficie de 1400 m² sur le toit permettront de répondre à la totalité des besoins énergétiques annuels du bâtiment. Le bâtiment se base sur les dessins préliminaires de l’architecte autrichien Daniel Fügenschuh et de l’entreprise d’ingénierie britannique King Shaw Associates. L’achèvement est prévu fin 2011.
Le bâtiment sera chauffé et refroidi par de l’eau puisée dans la Morača.
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Défi d’envergure mondiale On s’attend à ce que la demande énergétique augmente de l’ordre de 40 à 50 % dans les décennies à venir, portée principalement par l’accroissement démographique et l’accroissement de la prospérité. Une population accrue entraîne un besoin accru d’éclairage, de chauffage, de transports, de production industrielle, (etc...) Près de 1,5 milliard de personnes vivent actuellement sans électricité. Leurs attentes de gain de prospérité sont légitimes. Toutes les prévisions sérieuses montrent que le charbon, le pétrole et le gaz seront les porteurs d’énergie les plus importants des décennies à venir. Même le scénario de “2°C” de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une augmentation de la consommation de pétrole et de gaz. Les émissions sont une conséquence indésirable mais inévitable de l’augmentation de la consommation énergétique. Nous sommes donc tous confrontés à un dilemme fondamental : comment faire pour fournir au monde suffisamment d’énergie tout en réduisant dans le même temps les émissions de gaz à effet de serre qui sont produites. Il est nécessaire de déployer tout un éventail d’efforts d’atténuation pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : rendement énergétique, captage et stockage du CO2 (CCS – Carbon Capture and Storage), changement de combustibles (par ex. passage du charbon au gaz naturel), énergie nucléaire, énergies renouvelables, (etc... ) Le fait de savoir que le monde va continuer de dépendre des combustibles fossiles jusqu’à nouvel ordre souligne d’autant plus combien il est indispensable de développer des technologies capables de réduire les émissions provenant de la consommation de ces combustibles. Je ne vois pas comment il est possible de réduire les émissions de CO2 sans avoir recours à un déploiement majeur de CCS. Beaucoup d’analyses de premier ordre abondent dans ce sens, notamment le rapport du World Energy Outlook de l’AIE.
CCS d’envergure industrielle Le CCS constitue un outil d’atténuation du changement climatique qui piège le dioxyde de carbone (CO2) pour le stocker dans des formations géologiques en profondeur, loin de l’atmosphère. Le CCS est déjà utilisé à une échelle industrielle, et Statoil participe actuellement à trois projets de CCS de grande envergure : ceux de Sleipner et Snøhvit (au large des côtes norvégiennes) et celui d’In Salah (en Algérie). Il s’agit à chaque fois de projets où le CO2 est éliminé du flux du puits à haute pression dans un circuit fermé, contrairement au piégeage de CO2 des fumées de combustion qui sont produites, par exemple, lorsque des combustibles fossiles sont brûlés pour la production d’électricité. Bien que de grandes attentes entourent un CCS à pleine échelle, et malgré les nombreux excellents développements technologiques à avoir lieu, il est important de bien se rendre compte que, jusqu’à présent, il n’a jamais été possible de piéger le CO2 dans de grandes quantités à partir des fumées de combustion. Les coûts de développement d’immenses installations de captage de CO2 sont actuellement trop élevés et de plus amples développements restent à faire pour
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que le CCS parvienne à réduire les émissions de CO2 dans une mesure réellement significative. Sur le plan politique, le CCS suscite de plus en plus d’intérêt. Le nouveau paquet de l’Union européenne sur le climat comporte une directive de stockage de CO2, ainsi qu’une révision du système européen d’échange de quotas d’émission pour apporter des incitations financières pour le CCS. Les efforts de réduction de CO2 déployés aux Etats-Unis, au Canada, en Norvège, au RoyaumeUni et en Australie s’accompagnent eux aussi de systèmes importants de soutien au CCS dans cette phase introductive. Pour que le CCS fasse partie intégrale de la réponse au défi de changement climatique, je relève quatre principaux obstacles à surmonter : l Les coûts de la technologie du captage, qui sont actuellement bien plus élevés que les coûts d’émission de CO2. l L’absence d’un fondement juridique solide. l L’absence de sensibilisation du public. l Plusieurs problèmes complexes tenant aux infrastructures du CCS.
Un prix sur les émissions de CO2 Cela fait des siècles que l’humanité émet du CO2 dans l’atmosphère. Jusqu’à présent, aucun coût n’est donné à la plupart des émissions. Avant que le CCS ne soit capable de réaliser son potentiel en
tant qu’outil d’atténuation, l’industrie doit être convaincue que le coût à long terme d’émettre du CO2 dans l’atmosphère sera aussi élevé, voire plus élevé, que le coût du CCS : en résumé, il faut que le CCS devienne commercialement viable à part entière. Un élément important ici porte sur les coûts d’investissement et la consommation énergétique associée au piégeage de CO2, tous devant baisser. (Le coût élevé du piégeage de postcombustion est lié à la nécessité de commencer par collecter et stocker d’énormes volumes de fumées de combustion, puis de les chauffer pour en extraire le CO2 et le capter). L’un des facteurs les plus importants à retarder le déploiement du CCS, et en fait tous les efforts d’atténuation du changement climatique, concerne donc l’absence d’un prix mondial fixé pour le CO2, suffisamment élevé et prévisible. L’absence d’un tel prix (ainsi que l’absence d’un mécanisme mondial en vertu duquel les émissions de CO2 qui sont stockées sont comptées comme n’étant pas “émises”) explique le ralentissement du déploiement mondial à pleine échelle du CCS. Un soutien financier et technique est indispensable pour que le CCS devienne abordable et transférable, tout particulièrement dans les pays en développement où la demande énergétique augmente si rapidement. Le projet de CCS à In Salah en Algérie représente un exemple
Le captage et le stockage de CO2 porte sur la séparation, le piégeage, le transport et le stockage de CO2 qui résulte de la production, du traitement et de la combustion de pétrole, de gaz et de charbon. Dans cette illustration du projet Sleipner de Statoil dans la mer du Nord, le CO2 est séparé du flux de production de gaz naturel du projet (à gauche) pour être piégé puis réinjecté dans la roche perméable sous les fonds marins (à droite).
Captage et stockage du CO2 L’outil d’atténuation indispensable HELGE LUND, président et CEO de Statoil, compagnie énergétique internationale implantée dans 40 pays et leader mondial dans le domaine du développement et de l’application du CCS. très intéressant, car il se trouve dans un pays en développement qui n’a pas fixé d’objectif de limitation des gaz à effet de serre. Je suis convaincu que bien d’autres projets industriels de CCS de ce type auraient pu voir le jour s’il avait existé un mécanisme pour en assurer le financement. Cela fait de nombreuses années que l’on tente d’inclure le CCS dans les mécanismes pour un développement propre, mais jusqu’à présent toutes les tentatives ont échoué. A ce jour, aucun projet à pleine échelle de piégeage de CO2 à partir des fumées de combustion (centrales électriques, fumées de combustion industrielle) n’a été réalisé. Nous n’avons donc aucune expérience de coûts à laquelle nous pourrions nous reporter, et les estimations financières qui se basent uniquement sur des études théoriques varient de plusieurs centaines de pourcentages, en fonction du pays, de l’entreprise, du site choisi, ou s’il s’agit de techniques d’adaptation ou de constructions nouvelles. Il n’existe aucune base de données pour ce type de coûts de piégeage et jusqu’à présent, les différents acteurs de centrales électriques commerciales du monde entier se sont abstenus de partager leurs estimations en termes de dépenses d’investissements. Un partenariat public-privé s’impose dans une période pré-commerciale jusqu’à ce que les coûts d’atténuation aient baissé et que les coûts des
émissions aient suffisamment augmenté. La plupart des pays doivent accroître leur financement pré-commercial pour la première phase de démonstration du CCS. A la raffinerie de Mongstad en Norvège, nous avons pour projet de piéger le CO2 des gaz d’échappement de la centrale mixte électrocalogène et de différents points d’émission à la raffinerie. Il s’agit là d’un projet technologiquement très difficile. Statoil, aux côtés des autorités norvégiennes et d’autres partenaires industriels, a donc établi un European Carbon Dioxide Test Centre à Mongstad. Ici, deux technologies de piégeage seront mises à l’essai pour améliorer la performance et réduire les risques.
Questions juridiques Des efforts importants ont été déployés dans l’UE, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie dans le but d’établir un cadre juridique pour le CCS. Il reste toutefois encore de nombreuses questions à régler. Citons parmi elles les règlements concernant le transfert de la responsabilité à long terme des sites de stockage entre un opérateur de stockage commercial et le gouvernement, la concession de licence des périmètres de stockage, les programmes de travail d’obtention de licences de la sorte, et les règlements portant sur les questions environnementales, de la sécurité et de la santé.
Un succès a récemment été remporté en revoyant la rédaction des Conventions de Londres et Ospar pour permettre le stockage de CO2 dans des formations géologiques sous les fonds marins, et de permettre le transport transfrontalier de CO2. Les gouvernements font un excellent travail dans ce domaine, et pourtant, les procédures de mise en œuvre de ces Conventions sont relativement lentes à ratifier des changements. Même avec un cadre juridique en place, ce projet ne verra le jour que si le public l’accepte et en comprend la nature. L’industrie et les gouvernements doivent œuvrer pour sensibiliser le public aux mérites du CCS, le lui faire comprendre et l’accepter comme outil d’atténuation viable.
Infrastructures du CCS Un cadre pour les infrastructures du CCS, notamment en ce qui concerne les réseaux de transport et les sites de stockage, doit être en place pour pouvoir déployer un CCS de pleine échelle. S’il est envisagé de piéger le CCS depuis différentes sources, il va falloir mettre au point un système ou un autre de collecte pour transporter le CO2 vers les sites de stockage. Un réseau de transport de CO2 doit être planifié et instauré parallèlement au développement à pleine échelle d’installations de piégeage. Le besoin se fait de plus en plus sentir d’établir un plus grand nombre de sites de stockage en exploitation, afin d’en apprendre plus sur les aspects pratiques du stockage et pour prouver au public qu’il est possible d’assurer un stockage sûr dans diverses conditions géologiques. Statoil compte plus de 13 années d’expérience dans le domaine du stockage de CO2 à la formation géologique du gisement de Sleipner, dans la Mer du Nord. Le CO2 y est empêché de s’infiltrer dans l’atmosphère, par la présence d’une roche-couverture imperméable de 800 m d’épaisseur qui recouvre le lieu de stockage à proprement parler. Fin 2008, 11 millions de tonnes de CO2 y étaient conservées. Statoil a fait preuve d’une très grande ouverture au sujet de la surveillance des données de Sleipner, qui ont été cartographiées et analysées par divers projets de recherche, partiellement financés par l’UE. Les essais séismiques réalisés en juin 2008 ont montré que le panache de CO2 se comporte de la manière attendue. Malgré plusieurs problèmes qu’il reste à résoudre, nous sommes convaincus que le CCS constituera l’un des principaux outils d’atténuation de CO2. Il nous faut des pionniers venus de l’industrie, des gouvernements, des chercheurs et des ONG environnementales pour explorer cette nouvelle voie. Le changement climatique est le plus gros défi de notre temps et il est urgent de trouver des solutions durables. Une responsabilité considérable incombe à chacun et chacun se doit d’apporter sa contribution. Pour un acteur de l’industrie à long terme comme Statoil, il est indispensable de pouvoir évoluer sur un pied d’égalité et de disposer d’une bonne prévisibilité. Dans ce contexte, les dirigeants politiques du monde entier doivent accepter leurs responsabilités et ne pas sous-estimer leurs marges de manœuvre. n
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POLITIQUE EN BREF
Le financement des énergies renouvelables Extrait de “Private financing of renewable energy – a guide for policymakers”, guide pour les décisionnaires du financement privé des énergies renouvelables, rédigé par Sophie Justice et publié conjointement par le projet Renewable Energy Finance de Chatham House, Bloomberg New Energy Finance, et la Sustainable Energy Finance Initiative du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Toute une variété d’institutions financières investissent aujourd’hui dans le secteur des énergies renouvelables (ER) ou lui accordent des prêts. Les investissements mondiaux ont explosé, passant de 22 milliards dollars É.U. en 2002 à 155 milliards dollars É.U. en 2008, année où pour la première fois, les investissements dans des capacités nouvelles de production d’électricité ER (y compris de gros projets hydrauliques) ont été supérieurs aux investissements engagés dans la production à base de combustibles fossiles. Le secteur a été durement frappé par la crise financière de fin 2008/premier trimestre 2009, pour se ressaisir ensuite, et sans que l’intérêt des investisseurs pour ce secteur ne fléchisse à aucun moment. Les institutions financières opèrent en fonction du risque et du rendement, en évaluant chaque opportunité potentielle d’investissement selon ses propres mérites. A l’instar des investissements dans d’autres secteurs, chaque projet fait l’objet d’évaluation, de documentation et de due diligence. L’éventail de profils de risques des ER est parfaitement illustré par le spectre des institutions financières impliquées, qu’il s’agisse de banques, de fonds de pension, de prises de participation privées et de capital risque. Il n’empêche que le secteur ER nécessite un cadre de politique clair pour lui assurer une assise économique afin que des projets attirent les dettes et prises de
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participation du privé. L’établissement d’un cadre de politique et la réglementation permettront de garantir la stabilité des projets au long terme, tant du point de vue des revenus que de l’exploitation. Il est impératif d’énoncer clairement la réglementation et la politique, qu’elles s’inscrivent dans la durée et reposent sur les fondements juridiques pour que de plus en plus de fonds privés investissent dans le secteur ER. Les projets ER dans les pays émergents ou en voie de développement font non seulement l’objet du même niveau de due diligence et de contrôles d’investissements, mais sont en plus confrontés à des complications supplémentaires qu’il est nécessaire de réduire du mieux possible. Il s’agira d’accorder une attention particulière aux facteurs suivants : l La stabilité et la maturité du système politique : celui-ci influe sur la capacité des projets à arriver à leur terme, plus l’instabilité étant grande, moins le nombre d’investisseurs et de prêteurs privés étant
disposés à financer des projets. Les risques peuvent être atténués au moyen d’une assurance risque politique qu’offrent des organismes comme MIGA, la Multilateral Investment Guarantee Agency, contre les risques de manquements contractuels, d’inconvertibilité de devise, d’expropriation, et de guerre et conflits. l Un cadre global juridique, réglementaire, fiscal et commercial : s’il est difficile de faire affaire sur une base légale et transparente, alors il sera difficile de mettre en place un projet ER destiné à produire de l’électricité sur le long terme. Les investisseurs privilégient naturellement les pays qui adoptent des pratiques commerciales standard, comme par exemple, en désignant des conseils d’administration et publiant des comptes annuels. Le profil de risque global d’un projet se trouve amélioré s’il est envisageable de conclure des accords de rachat d’électricité sur le long terme, de concessions et si le bien foncier du projet s’appuie sur des droits juridiques solides. Les marchés émergents et le pays en
POLITIQUE EN BREF
développement, aux économies de moindre envergure, sont dotés de places boursières et de réglementations sous-jacentes moins développées, et connaissent donc comparativement des restrictions de liquidités. Pour y remédier, il est possible de structurer les investissements de sorte qu’ils en tiennent compte, par exemple, en obtenant des garanties solides de la part du gouvernement ou d’un sponsor qui confirme des flux de rentrées continues. Le fait de travailler avec un interlocuteur local respecté a souvent pour effet d’améliorer la qualité du projet et de le faire aboutir plus rapidement. Devise locale : les investissements réalisés dans la devise locale peuvent être soumis à des variations des taux de change, à des dévaluations ou aux aléas de la politique monétaire nationale. Le fait de s’associer avec des institutions financières locales, éventuellement dans le but de structurer des prêts à double devise, peut apporter aux prêteurs et sponsors du projet la garantie requise. Il est sinon possible de structurer les projets au moyen de garanties de crédit, de garanties de risque et des produits de couverture fournis par des banques de développement et des agences de crédit à l’exportation. Marché de l’énergie et infrastructures énergétiques : les prêteurs et investisseurs doivent bien prendre conscience des différences qui existent au niveau du marché entre les différents pays, d’où la nécessité de faire appel aux technologies adéquates, et à des solutions autoproductrices, et d’y inclure les projets ER distincts ou de plus petite envergure. Les projets peuvent être entravés par le manque de récipiendaires dignes de recevoir des crédits pour l’électricité produite par les projets ER proposés. Il est nécessaire de bien tenir compte des difficultés présentées par l’absence d’infrastructures et l’impact qu’elle peut avoir sur la construction du projet et la pérennité de son exploitation. Le financement public au sein des marchés émergents peut constituer un moyen très efficace de donner jour à des projets ER, surtout quand on considère le fort degré de risque qui est souvent associé aux marchés émergents. Les subventions directes et la fourniture de prêts commerciaux ou à des conditions libérales facilitent de beaucoup les
possibilités concrètes de mise en application, lorsque, par exemple, un projet commercial présente des lacunes de financement ou qu’un prêteur commercial n’est pas disposé à assumer l’intégralité du risque. Il faut cependant que les subventions ou les prêts soient disponibles, structurés et livrés sur une base commerciale et en temps opportun, en fonction du développement du projet et du calendrier des autres investisseurs et prêteurs du projet pour veiller à ce que le projet ER ne
périclite pas. Les financiers privés ont fait remarquer qu’historiquement, beaucoup de projets ont échoué lorsqu’ils étaient associés à un financement public, en raison de l’absence de réactivité, de perspective commerciale et de flexibilité, autant de problèmes que des transactions privées réussies parviennent à résoudre. n Le rapport complet est disponible en ligne sur : www.chathamhouse.org.uk/publications/papers/ view/-/id/811/
Toute la différence que peuvent apporter les décisionnaires MARIANNE OSTERKORN, Directrice Générale de REEEP, le Partenariat pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, relate à Making It quelques enseignements tirés des 130 projets ciblés de l’organisation ces 5 dernières années. REEEP est un partenariat mondial qui œuvre pour faire tomber les barrières limitant l’adoption d’énergies renouvelables et de technologies d’efficacité énergétique, en se concentrant principalement sur les marchés émergents et les pays en développement. Qu’est-ce qu’on entend par « projet ciblé » ? Pour faire simple, il existe deux éléments critiques pour veiller à l’adoption d’énergies propres dans quelque pays que ce soit : un pays a besoin, avant tout, d’un cadre politique et réglementaire qui soit stable et crée les conditions nécessaires pour permettre au marché de se développer. Deuxièmement, des modèles de financement et commerciaux doivent exister qui font des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique des projets aptes à bénéficier de concours bancaire, tout particulièrement pour les entrepreneurs. Les projets REEEP sont divisés à parts égales entre ces deux types d’interventions ciblées. En matière de politique et de réglementation, vous avez des idées claires sur ce qui marche et ne marche pas. Sur quoi appuyez-vous vos opinions ? Mes opinions s’appuient sur l’expérience. Près de la moitié des 130 projets financés par le REEEP, qu’ils soient achevés ou en cours,
s’attachent spécifiquement à aider les gouvernements à instaurer une politique et une règlementation en matière d’énergies propres. Nous avons financé des projets de politique partout dans le monde : en Inde, en Equateur, à Fidji... Parmi les trois exemples les plus récents, nous avons ainsi œuvré à la formulation d’une loi sur les énergies renouvelables dans le Liberia d’après-guerre, nous avons revu la loi sur les énergies renouvelables en Chine, et nous avons dirigé un projet conjointement avec le PNUD qui a abouti à la promulgation d’une loi sur les énergies renouvelables au Kazakhstan en juin dernier. En matière de réglementation, nous avons travaillé avec l’organisme de régulation énergétique au Mexique en vue d’identifier des procédures et des codes nouveaux pour venir étayer le développement des énergies renouvelables. Pour l’avenir, nous finançons actuellement une étude par le Centre pour le développement des énergies renouvelables qui cherche à déterminer par quels moyens la Chine pourrait répondre à 30 % de ses besoins énergétiques à partir de sources renouvelables, en vue de les intégrer dans le cycle de planification quinquennale du Gouvernement. Pensez-vous que les gouvernements ont un rôle important à jouer dans le passage à une économie à faibles émissions de CO2 ? Oui, tout à fait. Dans la plupart des pays en voie de développement, l’Etat est propriétaire et contrôle, directement ou indirectement, ‰
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POLITIQUE EN BREF
‰ le secteur énergétique. Et même s’il n’en est pas le propriétaire, le secteur énergétique fait toujours l’objet d’une forte réglementation, qui est décidée par le gouvernement. Il n’y a donc pas de doute que le gouvernement détient la clé de la transformation énergétique. Il s’agit là d’une réalité élémentaire qui est pourtant souvent ignorée. A votre avis, sur quoi les gouvernements devraient-ils commencer par se concentrer ? La priorité est très certainement la politique et la réglementation en matière d’efficacité énergétique. Et cela ne concerne pas seulement les pays développés. Dans les régions du monde en développement, l’efficacité énergétique présente un formidable potentiel pour soulager les pointes de charge et pour ralentir la demande accrue de nouvelles centrales électriques. Quels sont les outils qui fonctionnent pour encourager une consommation efficace ? Les normes et l’étiquetage constituent les moyens les plus efficaces. Ils nécessitent peu de dépenses de la part des gouvernements et sont relativement simples à mettre en œuvre. Pour ce qui est de l’étiquetage des appareils ménagers, par exemple, les ménages privés peuvent faire un choix informé lors de leurs achats, et les fabricants ont un intérêt à prouver l’efficacité technique de leurs luminaires, réfrigérateurs et climatiseurs, par exemple. Le REEEP a ainsi apporté son soutien au premier programme d’étiquetage des appareils ménagers au Ghana. Nous avons également contribué au financement de l’expansion du système de normes énergétiques ESIS (Energy Standards Information System) de l’APEC, pour faire en sorte que les autres pays n’aient pas à démarrer à partir de zéro pour élaborer des programmes de normes ou d’étiquetage d’appareils ménagers. Que peuvent faire les entités sous-nationales pour promouvoir l’efficacité ? L’efficacité énergétique des bâtiments est un bon exemple à cet égard. Les codes du bâtiment sont souvent locaux ou provinciaux, et l’établissement de normes de faible consommation énergétique pour les bâtiments neufs constitue une bonne stratégie à long terme qui peut être mise en œuvre dans l’immédiat. Le REEEP travaille par l’intermédiaire de sa Energy Efficiency Coalition (EEC) dans le but d’établir des réseaux locaux de parties prenantes en vue de
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promouvoir sur le terrain l’efficacité énergétique dans les bâtiments. Un réseau de la sorte a été créé au Mexique et des efforts similaires sont en train de voir le jour en Chine. Dans le domaine des énergies renouvelables, quelles mesures recommandez-vous aux décisionnaires ? Il n’existe pas de solution universelle dans le domaine des énergies renouvelables. Chaque solution dépend de la géographie et du climat du pays concerné, de sa politique locale et de bien d’autres variables. Ceci étant dit, les chauffe-eau solaires sont maintenant commercialement viables dans la plupart des pays en développement. Il s’agit là d’une technologie énergétique à faibles émissions de CO2 qui est supérieure aux alternatives conventionnelles et qui, dans le même temps, constitue un outil efficace de gestion de la demande pour les zones qui souffrent de pénuries d’électricité à des moments de pointe. L’obligation d’installer des chauffe-eau solaires dans tous les bâtiments neufs et remis à neuf peut avoir des conséquences phénoménales. Il s’agit là d’un autre exemple de mesure qui peut être mise en place au niveau de la ville, de l’Etat ou de la province. Les efforts du Cap à cet égard, qui ont reçu le soutien du REEEP, sont exemplaires. Quels autres conseils auriez-vous à donner aux décisionnaires ? Et bien j’aurais deux réflexions à faire. La première concerne l’électrification rurale, pour laquelle de nombreux pays ont d’ores et déjà des programmes ambitieux en place. A cet égard, j’encouragerais les décisionnaires à ne pas se contenter de réfléchir en termes d’électricité rurale, mais plutôt en termes d’énergie rurale. Par exemple, si de l’électricité est apportée pour subvenir aux besoins d’éclairage alors qu’il faut encore aller ramasser du bois pour se chauffer et cuisiner, l’électrification ne contribuera pas au développement durable de la manière envisagée. Deuxièmement, dans les villes et banlieues, il est nécessaire de réfléchir de manière globale. La production d’électricité renouvelable ne constitue qu’un élément de l’équation, toute politique énergétique intégrée d’une agglomération doit tenir compte aussi de la gestion des déchets et de l’efficacité énergétique. n
FiT, la tarification préférentielle De MIGUEL MENDONÇA, responsable de recherche auprès du World Future Council La loi FiT est une loi de tarification préférentielle de l’électricité qui oblige les fournisseurs d’énergie à acheter de l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables à un tarif fixe, généralement au cours d’une période fixe. Le mécanisme FiT est utilisé dans plus de 50 pays du monde entier. Il est à l’origine de la majorité des efforts d’investissements et de déploiement d’énergies renouvelables jusqu’à ce jour, et crée des industries leaders mondiales dans plusieurs pays. Il a permis de faire baisser les coûts et d’accroître les taux de rendement et il est adaptable aux pays les moins développés et aux économies émergentes. Les lois FiT bien conçues et bien mises en œuvre peuvent permettre l’accès à des énergies tout en réduisant la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et en assurant le développement des énergies à faibles émissions de CO2. Toute la question centrale reste cependant de savoir comment les financer. Plusieurs propositions clés se sont faites jour à l’occasion de la conférence sur le changement climatique à Copenhague, COP15, dans le but de débloquer l’impasse quant au financement du transfert de technologie de l’hémisphère nord vers l’hémisphère sud : La World Wind Energy Association et l’International Renewable Energy Alliance sont favorables à un programme mondial d’investissements dans les énergies renouvelables, comportant un fonds mondial FiT, qui serait financé par des contributions annuelles obligatoires de la part des pays de l’Annexe I (développés). Elles suggèrent également les moyens de réformer le mécanisme pour un développement propre pour qu’il soit plus efficace à déployer les énergies éoliennes et d’autres technologies. Le World Future Council (WFC) a proposé de “créer de l’argent neuf” pour engager des mesures de protection du climat, selon le
POLITIQUE EN BREF
Image: Alliance for Rural Electrification
Des mini-réseaux d’électricité villageois peuvent s’appuyer sur le mécanisme FiT pour vendre les excédents d’électricité à une compagnie d’électricité locale.
modèle qui a récemment été appliqué au secteur bancaire. Les gouvernements peuvent les autoriser sous la forme de droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international. Ces fonds seraient dépourvus d’intérêts et non inflationnistes. Le WFC envisage d’adapter spécialement le modèle FiT pour les pays les moins avancés. Une nouvelle publication intitulée “Powering
the Green Economy – The Feed-in Tariff Handbook” propose des méthodologies pour des installations tant connectées au réseau d’électricité qu’autoproductrices, notamment des mini-réseaux villageois. Elle propose également la création d’un fonds FiT dédié, financé à partir de budgets nationaux et/ou de donateurs internationaux. Greenpeace et l’European Renewable Energy Council se sont également penché sur la possibilité d’établir un fonds de premier ordre, intitulé le Feed-in Tariff Support Mechanism (FTSM). Il aurait pour fonction de relier les mécanismes FiT à des systèmes d’échange de quotas d’émissions et/ou des dispositions de financement et d’utiliser des dispositions et institutions financières internationales existantes pour assurer le financement de projets à faibles risques. Il cherche à créer une solution de rechange fiable au mécanisme pour un développement propre, qui relève d’une planification du bas vers le haut conjuguée d’un financement du haut vers le bas. Il serait financé à partir de contributions émanant des pays de l’OCDE. Une autre possibilité qui se fait jour consisterait à “surfacturer” les
consommateurs d’électricité commerciale et industrielle afin de générer les fonds pour FiT. Le projet de tarification RPT (Renewable Energy Premium Tariff ) se propose quant à lui d’adapter le système FiT aux zones hors du réseau électrique dans les pays en développement. A l’instar de FiT, il récompense la performance plutôt que de se contenter d’apporter les fonds d’investissements initiaux pour l’installation. Le modèle RPT a été analysé dans le cadre de différentes structures propriétaires, réglementaires et institutionnelles et des options d’applications pratiques sont à l’étude. En 2009, les économies émergentes majeures de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud ont toutes trois introduit des modèles nationaux de FiT. L’Afrique du Sud, qui fait à la fois l’objet de limites de capacité électrique
« Des lois FiT bien conçues et bien mises en œuvre peuvent permettre l’accès à des énergies tout en réduisant la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et en assurant le développement d’énergies à faibles émissions de CO2. Toute la question centrale reste de savoir comment les financer. »
majeures et d’objectifs de réduction de CO2 élevés, s’est embarquée dans l’établissement d’un modèle FiT ambitieux, mais il reste encore à en finaliser les détails opérationnels pour permettre de signer des accords de rachat d’électricité. Le Kenya a lui aussi mis en place un FiT en 2009, et l’Ouganda, le Botswana et l’île Maurice étudient actuellement la possibilité de promulguer une loi FiT. La Chine a introduit un programme FiT pour l’énergie éolienne, qui remplace le système d’appel d’offres. La Commission pour le développement national et la réforme, l’agence de planification économique du pays, s’attend à ce que ce programme oriente plus clairement les décisions d’investissement. Un programme FiT pour l’énergie solaire devrait également être mis en place. L’Inde compte des programmes régionaux FiT dans une demi-douzaine d’Etats, mais a opté pour un système national qui couvre l’ensemble des énergies renouvelables et présente des taux de rendement intéressants. Les principales recommandations pour des programmes FiT dans le monde en développement concernent le financement (garantissant des fonds internationaux FiT pour 20 ans) et l’établissement d’un cadre institutionnel et juridique qui soit solide. Les fonds existants sont souvent placés sous la gestion d’institutions internationales, comme des organisations des Nations Unies, ou le Fonds monétaire international, ou encore la Banque mondiale. IRENA, l’International Renewable Energy Agency, pourrait éventuellement jouer un rôle dans la création de ce cadre. Les FiT pourraient être combinés au mécanisme d’un développement propre, du fait que les critères d’additionnalité ont été changés depuis novembre 2001, pour en permettre la coexistence avec des programmes de soutien nationaux déjà en place (on parle d’additionnalité lorsque les réductions d’émissions doivent aller au-delà ou s’ajouter à ce qui se serait produit en l’absence du projet). Ce domaine est cependant complexe et devant l’incertitude qui continue d’entourer les mécanismes internationaux comme ceux d’un développement propre, il est recommandé pour le moment de préserver l’autonomie des programmes FiT, à l’écart de tout ce qui serait susceptible d’accroître les risques d’investissement. n
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Alice Amsden est membre du Committee for Development Policy des Nations Unies
Les politiques industrielles communautaires A titre de mise en bouche pour le troisième numéro de Making It, ALICE AMSDEN, professeur d’économie politique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), nous fait part de quelques réflexions sur la politique industrielle et la réduction de la pauvreté. Il ne faudrait pas se borner à limiter l’actuelle approche communautaire en matière de réduction de la pauvreté à de simples opérations d’amorçage ou d’auto-assistance. Les politiques et institutions participatives qui sont actuellement en train d’être mises en œuvre en Afrique et dans d’autres régions pauvres comportent des éléments hautement innovants. Un élément particulièrement révolutionnaire tient au fait que contrairement à autrefois, les pauvres ne sont plus considérés comme des fainéants ! Au lieu de cela, ils sont perçus comme affichant un formidable esprit d’entreprise. L’accroissement du capital humain se donne pour objet de libérer l’entreprenariat latent qui existe chez les pauvres : par les soins de santé, le logement, l’éducation, la formation, et la “liberté de choisir”, comme le souligne le lauréat au prix Nobel, Amartya Sen. De nouveaux types d’institutions financières, comme la banque Grameen, et de nouveaux types d’instruments financiers, comme des micro-prêts, peuvent aider les pauvres à démarrer. Il est possible en outre d’accentuer plus encore cette création de capital humain du côté de l’offre en combinant des technologies les plus avancées, mais qui restent appropriées, conçues pour des opérations de petite échelle. Citons ainsi comme exemple le fourneau à bas coût sur lequel des inventeurs de tout premier rang mondial ont travaillé pour aider les pauvres du monde entier à éviter de dégrader l’environnement et à se prévenir de maladies pulmonaires provenant des fumées dans des espaces clos. Le gouvernement cesse d’être perçu comme étant le vecteur de changement, pour être
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supplanté par l’organisation nongouvernementale, l’ONG. Au lieu de maind’œuvre salariée, des bénévoles animés d’une conscience sociale et originaires de pays développés et en développement peuvent contribuer à faire avancer la lutte contre la pauvreté. Et pourtant, malgré toutes ces innovations et les efforts déployés en matière de création de capital humain, il ne semble pas que la pauvreté dans la majeure partie des régions pauvres du monde en développement soit en recul. Les chiffres de la Banque mondiale pour l’Afrique montrent qu’entre 1981 et 2005, le pourcentage d’habitants se situant endessous du niveau de vie socialement accepté (l’équivalent de 1,25 dollars É.U. par jour) n’a pas baissé. L’espérance de vie dans les pays les plus pauvres reste incroyablement faible, avoisinant seulement les 40 ou 50 ans. L’esprit d’entreprise n’a toujours pas changé fondamentalement la manière dont les gens vivent.
Politiques de la demande La raison à cela pourrait bien s’expliquer par une faille fondamentale au niveau de la réflexion communautaire : que l’offre crée sa propre demande, concept erroné avancé par un économiste français, Jean-Baptiste Say, au XVIIIe siècle. L’offre d’entrepreneurs potentiellement productifs n’a pas automatiquement créé de la demande pour les employer de manière rentable. Ceci s’explique par le trop peu de politiques qui opèrent du côté de la demande (en matière
fiscale, des échanges, de la main-d’œuvre et sur le plan industriel) pour créer davantage d’opportunités économiques que les entrepreneurs pourraient exploiter. Pour faire simple, peu importe combien un demandeur d’emploi peut être en bonne santé ou bien éduqué s’il n’y a pas suffisamment de bonnes opportunités commerciales ou d’emplois rémunérés pour tout le monde. Il faut pour cela que les débouchés pour les entrepreneurs augmentent du côté de la demande. Est-il possible d’avoir recours à des “politiques industrielles communautaires” pour créer des entreprises gérées professionnellement, qui augmenteront la demande de services d’employés de bureau et de gérants, d’ouvriers de production, de fournisseurs de pièces détachées et de prestataires de service ? Un objectif de telles politiques du côté de la demande consisterait à créer des entreprises commerciales “professionnelles” dans des régions rurales et des communautés urbaines à faibles revenus qui sont de taille plus importante que des micro-entreprises, afin de diffuser des techniques de gestion moderne et des pratiques d’ingénierie à des entrepreneurs inexpérimentés, pour leur permettre d’acquérir de l’expérience commerciale concrète sur le terrain. C’est bien l’expérience qui fait défaut à la plupart des entrepreneurs dans les pays pauvres lorsqu’ils s’efforcent d’exporter leurs produits vers les marchés voisins ou mondiaux.
Les modèles à émuler Tout comme la réduction de la pauvreté au niveau local ne relève plus que de simples programmes d’auto-assistance, il est dorénavant de s’appuyer sur des “modèles à émuler” à succès pour aider les pays pauvres à devenir des fabricants et prestataires de service expérimentés. Pour ce qui est des sources de financement de projets de la sorte, on compte plus d’une quarantaine de pays pauvres qui produisent plus d’un million de barils de pétrole par jour, et les membres de l’OPEC présentent un excellent modèle à émuler pour créer des compagnies pétrolières nationales extrêmement bien gérées au sein de systèmes politiques qui étaient autrefois considérés hautement corrompus. Les compagnies pétrolières nationales des membres de l’OPEC ont réussi à endiguer la
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MakingIt L’industrie pour le développement
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fuite des cerveaux et à créer des possibilités d’investissement de création de petites et moyennes entreprises qui fournissent des pièces et composants dans des secteurs apparentés. Petrobras, le géant pétrolier brésilien, a lancé un programme destiné à créer 80 000 entreprises de ce type. En même temps que ces entreprises seront gérées de manière professionnelle, elles présenteront des débouchés pour des cadres, ingénieurs et contremaîtres d’atelier expérimentés, qui pourront revenir de leur exil à l’étranger, ce qui ne fera que renforcer les opportunités d’investissement selon un cercle vertueux. Sans politiques industrielles destinées à accroître les perspectives d’investissement, de tels talents seraient alors entièrement perdus pour ces pays qui en ont le plus besoin. Le Japon de l’ère Meiji (1868 -1912) est un très bon exemple de pays qui a accéléré l’acquisition d’expérience sur le terrain par la création “d’usines modèles”, particulièrement au sein de l’industrie de la soie à forte intensité de main-d’œuvre, basée sur une ressource naturelle. Même si beaucoup de ces entreprises ont commencé par péricliter, les employés formés ont alors pris la relève pour ouvrir des usines qui, elles, ont réussi à faire du Japon le leader dans son domaine avant la Première Guerre mondiale.
Inverser la fuite des cerveaux Taïwan, province de Chine, petit en termes de population comme beaucoup de pays pauvres aujourd’hui, a bâti tout un réseau de petites entreprises avec l’aide de politiques d’encouragement gouvernemental, qui se sont mises à parsemer la campagne et à fournir des débouchés pour les agriculteurs en quête de travail. Au début, ces entreprises étaient considérées incompétentes et arriérées, mais elles n’ont pas tardé à s’améliorer alors que le gouvernement a ouvert des technocentres pour les aider, et les “cerveaux qui s’étaient enfuis” se sont mis à revenir pour devenir propriétaires de leurs propres entreprises. Ces technocentres offraient de meilleurs salaires aux ouvriers et ingénieurs expérimentés pour inverser la fuite des cerveaux. Au bout du compte, les dépenses engagées ont fini par payer et la
main-d’œuvre locale est devenue plus expérimentée et mieux éduquée. Pour établir des entreprises davantage basées sur l’esprit d’entreprise et des emplois mieux payés, le gouvernement a offert des incitations au fabricant de machines à coudre Singer pour qu’elle vienne s’implanter à Taïwan et serve de tuteur à des petites et moyennes entreprises locales qui se sont mises à produire les milliers de pièces qui constituent une machine à coudre. Les “entreprises urbaines et villageoises” (TVE) de Chine ont été un type d’institution qui a profité des circonstances du moment, c’est-à-dire de la main-œuvre au chômage dans les régions rurales et des excédents de matériels d’équipement de grandes entreprises étatiques, sous la coordination de chefs politiques locaux. Les TVE sont créditées de la croissance ultra-rapide tant en termes de production que d’emploi qui a suivi les réformes de 1978 en Chine. Aujourd’hui, il est possible d’acheter à l’étranger du matériel d’occasion moderne. La plupart des rapports sur le “climat d’investissement” (c’est-à-dire les études de faisabilité) établis par la Banque mondiale et des cabinets de consulting privés font part du potentiel d’opportunités d’investissement rentables dans les pays pauvres. Comme l’a fait remarquer le propriétaire de l’un des plus gros groupes commerciaux de la République de Corée après son retour d’Afrique, tout ce qu’il a pu voir pousser sur les arbres était de l’argent, tout en concédant qu’il faudrait pour cela du travail acharné et un gros effort de coordination.
Première étape Aujourd’hui, face à la multitude des modèles à émuler dans le monde en développement, il y a moins de raison de se sentir fataliste ou de penser que rien de ce que font les gouvernements n’aboutira. Bien que ce soit au niveau communautaire que doivent profiter les nouvelles initiatives de politiques et d’investissements industriels dans les industries modernes de petite échelle, la première étape consiste à redonner la priorité à la demande et à regarder au-delà du plan local et de simples mesures uniquement du côté de l’offre. n
Amsden, Alice – Escape from Empire: The Developing World's Journey through Heaven and Hell Barnes, Douglas F. (Editor) – The Challenge of Rural Electrification: Strategies for Developing Countries International Energy Agency – Transport, Energy and CO2: Moving Towards Sustainability Jacobs, David and Kiene, Ansgar (World Future Council) – Renewable Energy Policies for Sustainable African Development Kamkwamba, William – The Boy Who Harnessed the Wind Kane, Gareth – The Three Secrets of Green Business: Unlocking Competitive Advantage in a Low Carbon Economy Mendonça, Miguel et al. – Powering the Green Economy: The Feed-in Tariff Handbook Shaad, Brian and Wilson, Emma – Access to Sustainable Energy: What Role for International Oil and Gas Companies? Focus on Nigeria UNIDO – Policies for promoting industrial energy efficiency in developing countries and transition economies UNIDO – Energy Efficiency: A Low-Carbon Path for Industry UNIDO – Navigating Bioenergy: Contributing to Informed Decision Making on Bioenergy Issues Von Uexküll, Jakob (World Future Council) – Breaking the Funding Deadlock: Creating New Money to Finance Climate Security and Climate Justice
AUTRES SITES http://cogen.unep.org/ – ‘Cogeneration for Africa’ is an innovative and first-of-its-kind clean energy regional initiative, funded by the Global Environment Facility. http://earthtrends.wri.org/ – EarthTrends is a comprehensive online database, maintained by the World Resources Institute that focuses on the environmental, social, and economic trends that shape our world. http://solar.coolerplanet.com – Cooler Planet is a business dedicated to helping consumers and small business owners reduce their carbon footprints, and help limit global climate change. http://theenergycollective.com – Power, Policy, Climate: a place where conversation happens. www.ashdenawards.org/ – Inspiring sustainable energy solutions. www.chathamhouse.org.uk/ – Chatham House’s mission is to be a world-leading source of independent analysis, informed debate, and influential ideas on how to build a prosperous and secure world for all. www.japanfs.org/en/ – Japan for Sustainability is a nonprofit communication platform to disseminate environmental information from Japan to the world. www.ren21.net/map – A map containing a wealth of information on renewable energy including support policies, expansion targets, current shares, installed capacity, current production, future scenarios, and policy pledges. www.RenewableEnergyWorld.com – Source for renewable energy news and information. www.wind-works.org/ – An on-line archive of articles and commentary primarily on wind energy, Feed-in Tariffs, and Advanced Renewable Tariffs. www.worldenergy.org/ – The World Energy Council is the “foremost multi-energy organization in the world today”.
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MakingIt L’industrie pour le développement
Magazine trimestriel destiné à encourager les débats autour des questions portant sur le développement industriel dans le monde