Making It: L'industrie pour le développement

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MakingIt Numéro 3

L’industrie pour le développement

Time Le to go choix green?

politique

n Ha-Joon Chang n Moderniser le

multilatéralisme n L’essor de la Chine n La microfinance fonctionne-t-elle ?


Numéro 1, décembre, 2009 l Rwanda means business: interview with President Paul Kagame l How I became an environmentalist: A small-town story with global implications by Phaedra Ellis-Lamkins, Green For All l ‘We must let nature inspire us’ – Gunter Pauli presents an alternative business model that is environmentally-friendly and sustainable l Old computers – new business. Microsoft on sustainable solutions for tackling e-waster l Green industry in Asia: Conference participants interviewed l Hot Topic: Is it possible to have prosperity without growth? Is ‘green growth’ really possible? l Policy Brief: Greening industrial policy; Disclosing carbon emissions

Numéro 2, mai, 2010 l Après Copenhague » : Bianca Jagger appelle à des mesures immédiates pour éviter une catastrophe climatique l Nobuo Tanaka de l’Agence internationale de l’énergie cherche à lancer la transition énergétique de l’industrie l L’énergie pour tous » : Kandeh Yumkella et Leena Srivastava nous parlent des mesures à prendre pour améliorer l’accès à l’énergie l Ces femmes entrepreneuses qui transforment le Bangladesh l Partout sous le soleil » : le PDG de Suntech, Zhengrong Shi, nous parle du pouvoir de l’énergie solaire l Sujet brûlant : les avantages et les inconvénients des biocarburants l Politique en bref : le financement des énergies renouvelables, les prix de rachat garanti

Nouveau magazine trimestriel. Stimulant, critique et constructif. Forum de discussion et d’échange au carrefour de l’industrie et du développement.


Éditorial

Le thème de ce troisième numéro de Making It: l’industrie pour le développement est la politique industrielle. En réponse à la crise économique mondiale, les gouvernements du monde entier attendent désespérément une relance de la croissance économique. Après les sauvetages des banques et des constructeurs automobiles, la plupart des plus grandes économies mondiales ont récemment utilisé l’argent public en vue de dynamiser la production industrielle. L’ère du Consensus de Washington est révolue. Même si, comme beaucoup de nos collaborateurs l’auront remarqué, la politique industrielle n’a jamais réellement disparu de la liste des priorités, elle est à présent pleinement de retour à l’ordre du jour. Selon les termes de l’auteur de notre article principal, Ha-Joon Chang, « la politique industrielle n’est plus un tabou ». Le monde entier doit trouver les politiques adaptées aux défis que représente le changement climatique. Les pays en développement doivent essayer de répondre aux attentes de leur population croissante en basant leurs économies sur une croissante verte et des énergies propres. Comme l’a souligné l’un de nos collaborateurs, les politiques industrielles ont un rôle déterminant à jouer dans la transition du monde vers une trajectoire de croissance économe en ressources et à faible empreinte carbone. En intitulant ce problème « Le choix politique », Making It souhaite mettre en avant la notion selon laquelle la véritable question concernant la politique industrielle n’est pas de savoir si elle devrait être mise en pratique, mais comment. Le site web Making It (www.makingitmagazine.net) propose une plateforme interactive d’échange de points de vue et d’idées et nous vous invitons, nos chers lecteurs, à rejoindre ce débat. Nous souhaitons savoir quelle vision vous avez de ce sujet et ce que vous pensez que la politique industrielle peut faire pour votre pays, votre communauté ou votre entreprise.

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MakingIt L’industrie pour le développement

Rédacteur en chef : Charles Arthur editor@makingitmagazine.net Comité éditorial : Ralf Bredel, Tillmann Günther, Sarwar Hobohm, Kazuki Kitaoka, Ole Lundby (président), Cormac O’Reilly Site Web et assistance : Lauren Brassaw Illustration de la couverture : Paresh Nath Design : Smith+Bell, UK – www.smithplusbell.com Merci à Donna Coleman pour son aide Imprimé par Gutenberg Press Ltd, Malta – www.gutenberg.com.mt sur un papier certifié FSC Pour consulter cette publication en ligne et pour participer aux discussions portant sur l’industrie pour le développement, rendez-vous sur www.makingitmagazine.net Pour vous abonner et recevoir les prochains numéros de Making It, veuillez envoyer un e-mail contenant votre nom et adresse à subscriptions@ makingitmagazine.net Making It: l’industrie pour le développement est publié par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienna International Centre, boîte postale 300, 1400 Vienne, Autriche Téléphone : (+43-1) 26026-0, Fax : (+43-1) 26926-69 E-mail : unido@unido.org Copyright © 2010 The United Nations Industrial Development Organization Aucun extrait de cette publication ne pourra être utilisé ou reproduit sans l’accord préalable de l’éditeur Les appellations employées et la présentation réalisée des contenus de ce magazine n’impliquent en aucun cas l’expression d’opinions de la part du Secrétariat de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) concernant le statut légal de quelconque pays, territoire, ville, région ou de ses autorités, ni concernant la délimitation de ses frontières ou limites, ni concernant son système économique ou son degré de développement. Les termes « développé », « industrialisé » et « en développement » sont utilisés pour des raisons de commodité statistique et n’exprime pas nécessairement de jugement sur le niveau de développement atteint par un pays ou une région en particulier. L’évocation de noms d’entreprises ou de produits commerciaux ne constitue en aucun cas un soutien de la part de l’ONUDI. Les opinions, données statistiques et estimations contenues dans les articles signés relèvent de la seule responsabilité de l’auteur ou des auteurs, y compris ceux qui sont membres ou employés de l’ONUDI. Vous ne devez donc pas considérer qu’elles reflètent les opinions ou qu’elles bénéficient du soutien de l’ONUDI. Ce document a été produit sans avoir été officiellement révisé par les Nations Unies.

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Contenus FORUM MONDIAL 6 Lettres 8 Des moteurs à vapeur à la conscience humaines – Alfredo Sfeir-Younis pense que le monde a besoin d’une nouvelle révolution industrielle 10 Sujet brûlant – Anis Chowdhury s’interroge : la microfinance est-elle un outil efficace de réduction de la pauvreté ? 14 Affaires des affaires : actualités et tendances ARTICLES 16 Un climat changeant pour les politiques industrielles – Wilfried Luetkenhorst nous parle de la transition vers une trajectoire de croissance économe en ressources et à faible empreinte carbone

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Politisation de la politique économique – Jayati Ghosh nous parle de l’implication de l’État dans les activités économiques.

22 ARTICLE PRINCIPAL Vers un débat plus productif : Ha-Joon Chang soutient que la politique industrielle peut être un succès et milite contre la « pensée unique » sur ce qui peut rendre le monde meilleur


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Numéro 3, juillet 2010

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30 La coopération internationale est vitale pour la prospérité nationale – Deborah WinceSmith veut saisir une opportunité en or de créer des partenariats mondiaux dynamiques 32 Moderniser le multilatéralisme pour un monde multipolaire – Robert Zoellick, de la Banque mondiale, imagine l’interconnexion des pays, des entreprises, des individus et des ONG à travers un réseau flexible 34 Zoom sur un pays : L’impressionnant essor économique de la Chine – Entretien avec Chen Deming, Ministre du Commerce de la République populaire de Chine 38 Repenser la réduction de la pauvreté – Jomo Kwame Sundaram soutient que les gouvernements doivent jouer un rôle essentiel

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40 40 Rendre plus écologique l’économie mexicaine – Juan Rafael Elvira Quesada, le Secrétaire d’État mexicain à l’environnement et aux ressources naturelles, se confie à Making It POLITIQUE EN BREF 42 Des résultats de recherche révélateurs 43 Le secteur privé et le développement 44 Le pouvoir des capitaux patients 46 Le mot de la fin – Michel Sidibé à propos du VIH/SIDA : une préoccupation dans l’entreprise MakingIt 5


FORUM MONDIAL La section « Forum Mondial » de Making It est un espace d’interaction et de discussions, dans lequel nous invitons les lecteurs à proposer leurs réactions et leurs réponses à propos de tous les problèmes soulevés dans ce magazine. Les lettres destinées à la publication dans les pages de Making It doivent comporter porter la mention « Pour publication » et doivent être envoyées par courrier électronique à l’adresse : editor@makingitmagazine.net ou par courrier à : The Editor, Making It, Room D2138, UNIDO, PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Les lettres ou les courriers électroniques peuvent faire l’objet de modifications pour des raisons d’espace).

L’énergie pour tous Les articles « Les options d’énergies renouvelables » et « L’énergie pour tous » (Making It, numéro 2) sont une source d’inspiration et de réflexion pour tous. Lorsque j’ai abordé ces domaines (en me focalisant particulièrement sur la République Dominicaine) dans le cadre de mes recherches universitaires, j’ai découvert de nombreux aspects qui ont mis en évidence mes découvertes. Si l’on considère que les pays en voie de développement représentent 80 % de la population mondiale, mais qu’ils ne consomment que 30 % de l’énergie commerciale au niveau mondial, il est évident qu’une accélération de l’accessibilité à l’énergie est nécessaire. En République Dominicaine, où de nombreux foyers n’ont pas accès à l’énergie, des entreprises privées, aussi bien que le gouvernement, multiplient les initiatives visant à promouvoir les énergies renouvelables. Les foyers en zone rurale sont particulièrement ciblés pour la mise en œuvre de solutions d’énergie renouvelable. Soluz Dominicana est une entreprise représentative qui propose des systèmes photovoltaïques selon le modèle commercial du paiement à l’acte. En 2007, le gouvernement dominicain a voté une loi qui accorde de nombreuses primes et exemptions fiscales aux investisseurs dans le domaine des énergies renouvelables. Par conséquent, les perspectives de la République Dominicaine vis-à-vis de la

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fourniture d’énergie renouvelable sont excellentes et les stratégies appliquées dans ce pays pourraient servir d’exemple à d’autres pays en voie de développement. l Isabel Freyer, reçu par courrier électronique « L’énergie pour tous » (Making It, numéro 2) est particulièrement instructif. Le modèle indien de promotion de l’accès à l’énergie pour les populations défavorisées grâce aux efforts combinés de toutes les parties intéressées représente un exemple à suivre pour de nombreux pays africains. L’Ouganda, en particulier, s’est montré très efficace sur le plan du développement de politiques, mais échoue encore quant à l’implémentation des programmes. Un médiocre cadre institutionnel, un manque de conscience ainsi qu’un manque de ressources techniques humaines et financières expliquent l’échec de ces politiques. l Doreen Namyalo-Kyazze, Directeur d’Energy Solutions Project, Kampala, Ouganda

L’accès à l’énergie et les populations défavorisées L’article « L’énergie pour tous » (Making It, numéro 2) propose de bonnes recommandations pour les gouvernements, mais en fin de compte, la quasi-totalité des gouvernements de la planète sont essentiellement intéressés par les recettes. À moins que des changements politiques fondamentaux ne surviennent, l’accès à l’énergie ne deviendra une option que dans la mesure où les populations pourront se

Foto: Suzlon

LETTRES

l’offrir. Les pauvres continueront à ne pas avoir accès à l’énergie. Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud. En 1994, les électeurs ont soutenu l’ANC qui affirmait vouloir offrir des services essentiels tels que l’eau, les soins de santé, l’éducation et l’électricité en tant que services et non en tant que sources de revenus. Que s’est-il passé ? Considérons le domaine de l’électricité. Il y a eu un manque chronique d’investissement dans la compagnie publique d’électricité, ESKOM, de sorte que cette dernière a commencé à augmenter les prix au-delà des moyens des plus pauvres. Lorsque les usagers ne parviennent pas à payer leurs factures, ESKOM leur coupe complètement l’électricité. De sorte que, sous un gouvernement qui n’est pas parvenu à tenir ses promesses électorales visant à fournir à la population des services essentiels, l’accès à l’énergie est en déclin. Heureusement, dans des villes telles que Soweto, certaines personnes ne se contentent pas d’attendre les bras croisés. Le Soweto Electricity Crisis Committee (SECC) est un groupe d’électriciens qui estiment que l’électricité gratuite est un droit

Usine d’éoliennes Suzlon.

des personnes. Lorsque les pauvres sont déconnectés du réseau parce qu’ils n’ont pas payé leurs factures, des électriciens combatifs du SECC les reconnectent. Ils reconnectent environ 40 foyers par semaine. En outre, les forces de police locale approuvent leurs actions et les agents « ferment les yeux ». « Nous restituons ce qui appartient aux gens. Ce qui n’est pas un luxe. » affirme l’un des activistes du SECC. l Ethel Red, reçu par courrier électronique

Le vent du changement Je tiens à vous féliciter pour la publication de Making It, un magazine qui aborde les problématiques et les inquiétudes relatives aux déséquilibres environnementaux, au réchauffement climatique et à la gestion des ressources naturelles ainsi qu’à la recherche de solutions alternatives dans un format très lucide et compréhensible. Les articles sur l’électricité d’origine éolienne et la biomimétique sont très intéressants.


Pour toute discussion complémentaire relative aux sujets évoqués dans Making It, veuillez accéder au site Web du magazine, à l’adresse www.makingitmagazine.net et à la page Facebook du magazine. Les lecteurs sont invités à parcourir ces sites et à participer aux discussions et aux débats en ligne à propos du secteur pour le développement.

L’environnement représente une responsabilité collective et il existe un vaste besoin de dialogue et de compréhension entre les experts, les scientifiques et le commun des mortels. En Inde, la participation des entreprises se dirige lentement vers une révolution en termes d’objectifs de développement des technologies liées à la génération d’énergies non conventionnelles et aux efforts visant à réduire l’empreinte carbone. L’une de ces entreprises, Suzlon Energy, est une société purement locale qui travaille sur l’énergie éolienne depuis 15 ans. Elle a installé d’importantes fermes éoliennes. Suite à ses efforts visant à populariser cette forme d’énergie, certains des secteurs les plus polluants, tels que ceux de la production de ciment et les secteurs du pétrole et du gaz, optent pour l’énergie éolienne comme source d’énergie alternative et propre. Cette société est très présente dans les États de Gujarat, de Maharashtra et de Kerala. l Anjana Upadhyay, Gurgaon, Inde

Entrepreneurs J’ai apprécié la lecture de l’interview en ligne, « Making it happen – an entrepreneur’s perspective : Mexico », car il m’a fourni un aperçu non seulement de la vie d’un entrepreneur, mais également d’un aspect très personnel de quelqu’un qui vit et travaille au Mexique. Je pense que ce genre d’articles contribue à soutenir les entrepreneurs du monde entier, en particulier ceux des pays en voie de développement, et à leur permettre de s’exprimer. J’aurais cependant aimé voir une interview plus développée,

car manifestement bien d’autres aspects du monde des affaires ont un impact sur le succès d’un entrepreneur, en particulier dans les pays en voie de développement où ce sont souvent les gouvernements qui ne permettent pas à l’entreprenariat de se développer. Comment alors, dans ce cas, le gouvernement mexicain a-t-il aidé ou freiné cet homme d’affaires, et, généralement parlant, est-il difficile pour les hommes d’affaires mexicains de réussir ? Le gouvernement incite-t-il à des politiques responsables sur le plan de l’environnement, etc. ? l Émile Potolsky, reçu par courrier électronique

Microsoft et Greenpeace Suite à la discussion déclenchée par l’article de Microsoft, « Old computers – new business » (Making It, numéro 1), Greenpeace a répondu à la lettre de Microsoft dans le numéro 2. Dans le tout dernier Guide to Greener Electronics de Greenpeace, Microsoft a gagné une place dans le classement des politiques d’entreprise relatives aux produits chimiques toxiques, au recyclage et au changement climatique. Le Guide to Greener Electronics évalue les pratiques et les politiques d’entreprise au-delà des exigences réglementaires... (Microsoft) s’est engagé à supprimer les PVC et BFR de ses matériels avant 2010, et les phtalates avant la fin 2010. Cependant, il doit mettre sur le marché des produits ne comportant pas de BFR dans les circuits imprimés avant de pouvoir bénéficier des points relatifs à ce critère. Il n’a pas non plus fait montre d’un meilleur

respect de la directive RoHS révisée de l’Union européenne (Limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques) ; en particulier, une méthodologie pour des restrictions plus poussées relatives aux substances dangereuses ainsi qu’une interdiction immédiate des BFR, des agents ignifuges à base de chlore et des plastiques vinyliques. Sur la question des déchets électroniques, mis à part les points supplémentaires relatifs à l’information de ses clients sur la reprise des produits et les rapports sur le recyclage, Microsoft est récompensé pour son engagement au sein d’une coalition de l’U.E. qui soutient la Responsabilité individuelle des producteurs. l Greenpeace

Après Copenhague Je tiens à applaudir l’excellent article de Bianca Jagger, « Après Copenhague » paru dans votre magazine (Making It, numéro 2). Elle a tout-à-fait raison : le sommet de Copenhague sur le changement climatique s’est conclu sur un compromis honteux. Le résultat final fut un document de trois pages – un « accord » (et non un traité, car il est sans engagement et formule simplement des principes dont il faut « prendre note ») qu’aucun pays n’a signé à aucune occasion. Il n’a pas la moindre autorité ou position légale : il ne s’agit que d’une déclaration de vague intention. En l’absence de tout traité légalement contraignant pour les nations, comment pourra-t-

on faire pression sur les sociétés multinationales ? Considérons, par exemple, la réponse des habitants du village indigène I-upiat de Kivalina, dans l’Alaska du Nord, qui est en train d’être submergé par l’océan parce que la glace, qui constituait autrefois un brise-vagues, fond en raison des émissions de gaz à effet de serre. Les villageois ont refusé de se taire. Le dossier Kivalina contre ExxonMobil Corp., et autres, (2008) représente sans doute un important développement en ce qui concerne les litiges contre les principaux responsables du changement climatique. Les parties civiles ont demandé une indemnisation liée aux changements climatiques à neuf compagnies pétrolières (parmi ExxonMobil, BP et Royal Dutch Shell), quatorze compagnies d’électricité et une compagnie minière. Leur plainte s’appuie sur les droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en affirmant que « les émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre des prévenus, en contribuant au réchauffement planétaire, constituent une ingérence substantielle et excessive dans les droits du public ». La plainte cite, le rapport de l’Évaluation de l’impact du changement climatique dans l’Arctique pour montrer que les prévenus « ont conspiré en vue de créer un faux débat scientifique sur le réchauffement planétaire afin de tromper le public ». Même si la procédure a été rejetée par une cour fédérale des États-Unis, l’esprit de l’action mérite d’être soutenu. l John Radford, Manchester, Royaume-Uni

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L’industrialisation continuera d’être la voie la plus importante du développement futur, mais Alfredo Sfeir-Younis estime que le monde a besoin d’une nouvelle révolution industrielle entièrement focalisée sur les individus.

Du moteur à vapeur à la conscience de l’homme La Révolution industrielle qui a eu lieu en Europe entre 1760 et 1850 a changé le style de vie, passant ainsi d’une économie agraire à une économie urbaine et industrielle. Une technologie physique a joué un rôle central dans les progrès de la productivité de la main-d’œuvre et a considérablement augmenté l’échelle de la production industrielle et du commerce. Nous connaissons désormais les immenses défis humains et sociaux que la Révolution industrielle a engendrés à tous les niveaux, et nous savons que, même si le développement industriel a progressé sur beaucoup de fronts, il existe encore des aspects négatifs dans de nombreux pays. Souvenons-nous que la Révolution industrielle est à l’origine d’importantes inégalités, qu’elle a obligé les femmes et les enfants à travailler de longues heures pour un salaire modeste, qu’elle est à l’origine des bidonvilles sans services de base (eau, toutà-l’égout) et qu’elle n’a pas réussi à faire appliquer des lois visant à protéger les citoyens. En outre, il y avait des sans-abri, une éducation de médiocre qualité, une cristallisation du pouvoir et des structures sociales fragmentées, une augmentation de la pollution, une mauvaise utilisation des biens communaux, une migration désorganisée vers les villes, etc. Aujourd’hui, l’échelle et la composition de la production industrielle ont considérablement évolué : du bateau à vapeur aux paquebots et aux cargos les plus sophistiqués, de la Ford modèle T aux vaisseaux spatiaux qui orbitent autour de la

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Terre, des épidémies qui ont fait des millions de victimes aux médicaments (antibiotiques) qui sauvent des vies, du téléphone à deux interlocuteurs à un monde des intercommunicant. Cependant, bien qu’il existe des moteurs plus sophistiqués et de meilleures machines, les modèles structuraux de l’industrialisation n’ont pas réellement évolué, de sorte que l’on peut constater les mêmes effets humains et sociaux. Malgré des tentatives au niveau de la responsabilité sociale de l’entreprise et l’adoption de formes sophistiquées de

ALFREDO SFEIR-YOUNIS (Cho Tab Khen Zambuling) est un économiste chilien, leader spirituel, fondateur et président du Zambuling Institute for Human Transformation. Avant l’ouverture de l’Institut, en 2005, M. SfeirYounis a travaillé à la Banque mondiale pendant 29 ans en tant que conseiller principal des directeurs généraux.

gestion, de contrôle, de finance et de marketing (pour n’en nommer que quelques-unes), les grandes entreprises demeurent les plus gros pollueurs de la planète, les principales sources de destruction environnementale et les principaux agents de l’inégalité sociale et de l’injustice. Certaines grandes entreprises possèdent des actifs dont la valeur est de nombreuses fois supérieure au produit national brut de plusieurs pays en voie de développement associés, et leur pouvoir politique est sans précédent. Une nouvelle révolution industrielle est nécessaire maintenant. Son essence doit consister à nous faire passer du moteur à vapeur aux plus hauts niveaux de conscience humaine. Les entreprises sont constituées d’individus. La technologie est créée par le facteur humain. La gestion est une forme organisée d’interactions humaines. Les processus industriels consistent en un alignement d’êtres humains visant à la production. Le marketing et les communications influencent les modèles comportementaux des individus. L’environnement externe et les impacts sociaux influent les êtres humains et toutes les formes de vie. Les propriétaires, les dirigeants, les employés, les actionnaires, les consommateurs, les traders... sont tous des individus. Par conséquent, la nouvelle révolution industrielle concerne essentiellement les individus et doit être profondément interconnectée avec eux. Si l’ancienne Révolution industrielle a


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détruit la nature, nous a conduit au génocide de populations indigènes, à l’exploitation des travailleurs, à l’exclusion des femmes et à l’oppression des étrangers, la nouvelle révolution industrielle doit, elle, engendrer des instruments, des processus et des formes de gouvernance qui vont radicalement modifier ces modèles. Si l’objectif principal a été de maximiser les profits pour quelques grandes entreprises, d’accroître la puissance de quelques gouvernements et d’augmenter la qualité de vie de quelques personnes seulement, alors, aujourd’hui, la nouvelle révolution industrielle doit entraîner la maximisation du bonheur et de la richesse intérieure. Elle doit établir les meilleures formes de collaboration, de gouvernance et d’interactions humaines afin de développer le bien collectif au bénéfice de tous, de développer la meilleure qualité de vie sur toute la planète, de donner le pouvoir aux individus, de créer des opportunités et la sécurité, et ainsi, de créer un monde ancré dans la liberté, la justice, l’abondance et la paix. Nous vivons un moment crucial de l’Histoire, où des choix doivent être faits afin d’atteindre des niveaux plus élevés de conscience humaine et de cohérence. La situation exige une révolution au niveau des valeurs, de se détourner de l’économie et de la finance (compétition, indépendance et exclusion) et d’embrasser les valeurs collectives de l’interdépendance, de l’interconnectivité, de la solidarité, de la coopération, de la justice, de la liberté, de la paix, de la sécurité, des droits de l’homme, de la durabilité, de l’amour, de la compassion, de la bienveillance et du partage. Ces valeurs doivent reposer sur la réalisation de soi et l’industrie doit être l’espace humain, institutionnel et politique permettant d’atteindre ce but. Les entreprises du futur doivent devenir un espace institutionnel et organisationnel où les êtres humains peuvent atteindre le plus haut niveau de conscience, de bien-être matériel et non matériel, en particulier la santé et la paix intérieure. La population urbaine étant désormais plus importante que la population rurale, et les activités rurales ayant acquis un caractère de plus en plus industriel, l’industrialisation continuera de représenter la voie la plus importante de développement futur.

La nouvelle révolution industrielle doit être organisée autour des orientations suivantes : Le respect de la nature, de toutes les formes de vie, des générations futures et de tous les êtres humains, sans distinction de race, de couleur ou de croyance. Une nouvelle éco-moralité qui préserve, utilise, gère et contrôle les ressources naturelles ; qui protège et rétablit les niches écologiques et les formes de vie dont les effectifs diminuent, qui rétablit un équilibre écologique, une intégrité, un rythme et un son écologiques et qui s’engage dans des modèles de production, de commerce et de consommation qui ne nuisent pas à l’environnement et qui sont adaptés à ce que la Terre est en mesure de supporter.

Un épanouissement personnel humain qui place l’économie au service des individus et non les individus au service de l’économie ; qui élimine la pauvreté absolue et qui met un terme aux processus de marginalisation et d’exclusion ; qui offre un travail décent afin que le lieu de travail offre les conditions de toutes les formes d’épanouissement personnel ; qui améliore les systèmes judiciaires afin de protéger les droits des femmes, des enfants et des personnes âgées et qui met l’accent de l’éducation et des ressources humaines sur le développement intérieur et l’expansion de la conscience humaine.

Des affaires et un entreprenariat basés sur une prise de conscience intérieure de soi et orientée vers les environnements naturels et humains ; sur une conception et une mise en œuvre de la technologie qui répondent aux besoins matériels et non matériels des individus plutôt qu’au simple motif du profit ; sur un changement technologique qui crée les conditions nécessaires à la croissance et au développement intérieur humain et sur des instruments de gouvernance et de gestion d’entreprise qui profitent à tous. Une tolérance zéro de la guerre, des conflits et des armes ; des poisons de toutes sortes ; des produits de médiocre qualité ou peu sûrs ; des comportements sans éthique et de la destruction de la fibre sociale des communautés. Il existe des signes positifs qui montrent que cette forme de révolution industrielle est possible si nous pouvons approfondir et développer l’attention des grandes entreprises et l’engagement, entre autres choses, vis-à-vis de l’écoétiquetage, de la responsabilité sociale d’entreprise et des Principes Équateur de financement social et environnemental durable. Sans l’engagement total du secteur privé dans la construction d’un futur véritablement durable, aucune destinée collective positive n’est envisageable pour l’humanité. n

« Nous vivons un moment crucial de l’Histoire, où des choix doivent être faits afin d’atteindre des niveaux plus élevés de conscience humaine et de cohérence. La situation exige une révolution au niveau des valeurs… » MakingIt 9


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SUJET D’ACTUALITÉ Devenue courante aujourd’hui, d’éminents contributeurs examinent l’un des sujets controversés du moment. Suite au battage médiatique entourant les nouvelles plateformes de prêts en ligne, telles que Kiva.org, il est temps de se demander si la microfinance est un outil vraiment efficace pour réduire la pauvreté.

La microfinance fonctionne-t-elle ? ANIS CHOWDHURY est professeur d’économie à l’Université de Sydney Ouest, en Australie. Il occupe actuellement un poste d’officier supérieur des affaires économiques au Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (ONU-DAES). Le Professeur Mohammad Yunus, créateur du concept de microfinance, estime que chaque année 5 % des clients de la Banque Grameen laissent la pauvreté derrière eux. Il existe cependant peu d’estimations fiables de la mesure dans laquelle le microcrédit permet réellement de réduire la pauvreté. Idéalement, il est possible d’évaluer l’impact de la microfinance si le scénario contrefactuel – ce qui serait arrivé à une personne qui a emprunté grâce à un microcrédit si elle ne l’avait pas fait – peut facilement être testé. De nombreuses études antérieures ont comparé les emprunteurs aux non-emprunteurs. Mais si les emprunteurs sont plus entreprenants que ceux qui n’empruntent pas, de telles comparaisons sont susceptibles de nettement exagérer l’impact du microcrédit. Deux études récentes ont tenté de surmonter ce problème en utilisant des méthodes d’échantillonnage aléatoires. Aucune de ces études n’a constaté que le microcrédit réduisait la pauvreté. L’une de ces études a montré qu’il n’y avait aucun impact sur les mesures de santé, d’éducation, ou de prise de décision des femmes parmi les habitants des bidonvilles de la ville d’Hyderâbâd, en Inde.

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L’autre étude a conclu que la mise à disposition de la microfinance à Manille, aux Philippines, n’a eu aucun effet perceptible sur la probabilité d’être en dessous du seuil de pauvreté et n’a trouvé aucun impact significatif sur la qualité des aliments que les gens mangeaient. Les résultats de la série d’études la plus citée, basée sur des preuves empiriques tirées des expériences comparatives dans sept pays en développement (publiée en 1996), sont aussi très révélateurs : les ménages pauvres ne tirent pas partie de la microfinance ; seuls les emprunteurs non-pauvres s’en sortent bien

« Un prêt de 250 USD sur un an augmenterait le revenu annuel de l’emprunteur de 12,50 USD, soit environ 3 cents par jour ! »

grâce à la microfinance et profitent d’effets positifs mesurables. Une grande majorité de ceux dont le revenu de départ est au-dessous du seuil de pauvreté finissent avec moins de revenus supplémentaires après l’obtention de microcrédits, par rapport à un groupe témoin qui n’a pas obtenu de tels prêts.

Pas de remède miracle Ces résultats laissent entendre que le crédit ne représente qu’un facteur dans la génération de revenus ou de résultats. D’autres facteurs complémentaires existent, qui s’avèrent cruciaux pour rendre le crédit plus productif. Parmi eux, les compétences entrepreneuriales du bénéficiaire constituent le facteur le plus important. La plupart des personnes pauvres n’ont pas l’éducation ou l’expérience élémentaire pour comprendre et gérer des activités économiques, même à un faible niveau. Elles ont pour la plupart une aversion vis-à-vis du risque, ont souvent peur de perdre le peu qu’elles possèdent, et luttent pour survivre. La plupart des principaux promoteurs de la microfinance, y compris le professeur Yunus et Sam Daley-Harris, directeur de la campagne Microcredit Summit Campaign, reconnaissent que le microcrédit ne constitue pas un remède miracle, car d’autres facteurs complémentaires sont nécessaires pour réussir. Certaines institutions de microfinance (IMF) et organisations non gouvernementales semblent avoir compris ce besoin, et offrent des formations pour acquérir des compétences entrepreneuriales et managériales. Toutefois, l’accent est en général mis sur des facteurs liés à l’offre qui se complètent les uns les autres pour rendre le micro-investissement productif. Très peu d’attention est accordée à la demande. En l’absence d’un marché intérieur en expansion, les micro-entreprises seront plus susceptibles de reproduire une économie de troc. Dans les cas extrêmes d’un marché stagnant, la disponibilité du crédit pour faciliter les transactions peut même empirer la situation des parties, car elles doivent rembourser les prêts avec les intérêts, tout en ne voyant aucune croissance des recettes ou des revenus. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’une étude financée par la Banque mondiale (publiée en 2005) et impliquant 1 800 ménages au Bangladesh,


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Image: Damien Glez

Les institutions de microfinance revendiquent que les petits prêts réduisent la pauvreté, et les donateurs institutionnels et individuels répondent par d’énormes dons. Toutefois, les recherches indiquent que, bien que la microfinance puisse aider en temps de crise, son impact monétaire est minime sur le long terme.

n’ait constaté que des améliorations très marginales pour les emprunteurs de microcrédit. Par exemple, les revenus des femmes qui ont reçu un microcrédit ont augmenté de seulement 8 takas pour 100 empruntés. Comme l’a fait remarqué un commentateur, un prêt de 250 USD sur un an augmenterait le revenu annuel d’un emprunteur de 12,50 USD soit environ 3 cents par jour ! Ce gain modeste s’est produit dans le contexte de l’expansion rapide de la production de vêtements au Bangladesh. Cela aurait été un contrefactuel intéressant de voir ce qui se serait passé en l’absence de l’expansion rapide de l’industrie textile. L’examen des facteurs de la demande met en évidence l’importance des politiques macroéconomiques, commerciales, et industrielles en faveur de la croissance. En réponse aux conclusions modestes en

termes de mesures monétaires relatives à la pauvreté, les défenseurs de la microfinance citent d’impressionnants progrès sociaux, tels que la réduction de la mortalité infantile et maternelle au Bangladesh. Mais de telles réalisations peuvent-elles être attribuées à la microfinance ? Le Sri Lanka était un précurseur en termes de progrès social, bien avant que le mouvement de la microfinance n’apparaisse. Ces derniers temps, l’Andhra Pradesh en Inde a également obtenu des résultats bien supérieurs au reste du pays en termes d’indicateurs sociaux du développement. La microfinance ne semble pas avoir joué un grand rôle là non plus.

Taux d’intérêt Les taux d’intérêt pratiqués par les institutions de microfinance ont suscité des critiques virulentes. Les taux d’intérêt allant de 30 à 100 % sur une base annualisée

entraînent des protestations. Certains défendent les taux élevés en raison de la durabilité ; des taux moindres n’attireront pas sur ce marché les banquiers intéressés par les bénéfices. Toutefois, cet argument affaiblit l’affirmation selon laquelle la microfinance est plus rentable par rapport aux prêts des banques commerciales. Lorsque le taux d’intérêt est à l’extrémité inférieure, cela est souvent du à des subventions implicites. Cela soulève donc la question du coût d’opportunité sociale des subventions ; cet argent pourrait-il être mieux utilisé ailleurs, notamment pour la santé publique, l’éducation, ou le soutien à l’agriculture et aux industries rurales ? Certains défendent les taux d’intérêt des IFM en faisant valoir qu’ils sont toujours moins onéreux que les alternatives offertes par les prêteurs. D’autres soutiennent que les rendements du capital sont en effet élevés ‰

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FORUM MONDIAL

SUJET D’ACTUALITÉ ‰ dans les micro-entreprises, et que par conséquent le prélèvement de taux d’intérêt élevés est justifiable. En ce qui concerne ce dernier, la manière dont ces études imputent le coût du « travail individuel » – le temps et le travail consacrés par le propriétaire de la micro-entreprise – n’est pas claire. Dans une économie caractérisée par le surtravail, on peut imputer un prix implicite nul au travail individuel. Dans ce cas, la totalité de l’excédent au-delà du coût du capital peut être considérée comme un bénéfice ou un rendement du capital. Cela pourrait être l’explication la plus plausible pour les rendements élevés des prêts aux micro-entreprises. Idéalement, le prix du travail individuel devrait être fixé à un salaire minimum « décent » ou légal afin d’améliorer la réduction de la pauvreté. L’emploi (indépendant ou autre) à un salaire inférieur à un taux décent ne fait qu’accroître le nombre de « travailleurs pauvres », qui sont peut-être encore plus vulnérables aux chocs, en raison du poids de la dette du microcrédit. Cela pourrait être une autre explication du soi-disant problème de gradation des micro-entreprises, ou pourquoi tant de prêts doivent être rééchelonnés ou refinancés, comme le rapporte le Wall Street Journal.

Expansion de la microfinance Si l’impact de la microfinance sur la réduction de la pauvreté est si incertain, comment peuton expliquer l’expansion phénoménale du mouvement ? Les auteurs d’une étude approfondie de la littérature et d’entretiens avec des acteurs majeurs du mouvement, affirment que le succès de la microfinance est dû à des pratiques commerciales novatrices impliquant la conception et la gestion des produits, et des environnements favorables. De même, des études de cas approfondies des IMF au Bangladesh et aux Philippines ont révélé que la véritable explication de leur succès réside dans une attention particulière aux « fondamentaux » managériaux et stratégiques. Il s’agit notamment de maintenir des coûts de transaction faibles, et de faire coïncider le calendrier des paiements des prêts avec les revenus des emprunteurs et leurs économies potentielles.

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Une explication d’économie politique de la croissance du mouvement de la microfinance consiste à dire que les militants de la microfinance ont projeté avec succès l’image du mouvement, notamment l’autonomisation des femmes, qui est en phase avec la communauté des donateurs. La naissance du mouvement coïncide approximativement avec la montée des idées néo-libérales de la fin des années 1970 et du début des années 1980. L’idée que les programmes de microfinance sont principalement engagés dans la promotion des petites entreprises a donc attiré des donateurs de premier plan. Alors que les donateurs se méfiaient du crédit subventionné par le biais des institutions financières spécialisées publiques, ils étaient plutôt heureux de subventionner les institutions de microfinance, car elles semblaient promouvoir une économie de marché, et plus important encore, elles permettaient de diminuer le rôle du gouvernement. Dans les sociétés limitées au niveau des liquidités, la demande de crédit est toujours présente. Ainsi, lorsque les IMF soutenues par des donateurs font la promotion de l’offre de crédit, les preneurs ne manquent pas. Par conséquent, la microfinance a augmenté de façon exponentielle. Toutefois, si le marché lui-même ne se développe pas rapidement, cela ne peut que créer un endettement ou une sous-utilisation du crédit, et une pression à la baisse sur les retours sur investissement.

« Le danger de l’engouement autour de la microfinance découle du fait que les besoins des petites entreprises du secteur informel pourraient ne pas obtenir l’attention voulue. »

Contributions positives Même les critiques virulents admettent que la microfinance peut aider la consommation régulière des pauvres lors de périodes de ralentissements cycliques ou de crises inattendues. Si cette consommation régulière signifie que les parents peuvent envoyer leurs enfants à l’école, ou acheter des médicaments de première nécessité, et maintenir les apports nutritionnels de leurs enfants, alors la microfinance est susceptible d’avoir un impact à long terme positif sur la productivité. Les taux d’intérêt élevés qui sont exigés demeurent une préoccupation importante, et l’on constate que la plupart des IMF manquent à l’appel lorsqu’il s’agit de prêter aux personnes extrêmement pauvres. Néanmoins, il semble que la microfinance entame considérablement les marchés du crédit informel en ébranlant la servitude pour dettes et l’usure dans certaines sociétés agraires. La microfinance a donc un impact de modernisation. Plus important encore, en « démocratisant » le marché du crédit, le mouvement de la microfinance entrave également le propre comportement des IMF. Par exemple, lorsque certains responsables des IMF sont venus percevoir les paiements immédiatement après le cyclone dévastateur Sidr au Bangladesh en 2007, cela a été largement rapporté dans les journaux nationaux. Par conséquent, les IMF ont agi rapidement pour suspendre le recouvrement des prêts et offrir des conditions de prêt plus souples. En d’autres termes, l’expansion rapide de la microfinance autonomise non seulement les femmes, mais aussi tous les petits emprunteurs. Il faut également tenir compte de l’effet d’apprentissage par la pratique. Même lorsqu’un prix implicite nul est attribué au travail individuel dans les micro-entreprises, les personnes impliquées en bénéficient. Elles apprennent quelques principes économiques de base, et avec de la chance et peut-être un peu d’aide, les microentreprises sont susceptibles de devenir plus viables et même de se développer. Cela ressemble à l’apprentissage où l’apprenti reçoit un salaire faible, mais reçoit en


FORUM MONDIAL

Foto: Andy Aitchison/In Pictures/Corbis

Un groupe de femmes discutent à l’extérieur des bureaux d’un projet de microcrédit à Ouagadougou, Burkina Faso.

échange une formation à un métier. Par leur soutien et leurs programmes de formation, de nombreuses IMF apportent des contributions utiles. La microfinance apporte aux chômeurs et aux pauvres des opportunités, de l’espoir et de l’estime de soi. Enfin, étant elles-mêmes des entreprises prospères, les institutions de microfinance créent aussi un grand nombre d’emplois bien rémunérés, ce qui devrait avoir des effets multiplicateurs considérables. Bon nombre de ces effets positifs ne peuvent pas être mesurés en termes monétaires et, par conséquent, resteront largement méconnus dans la littérature axée sur les revenus traditionnels ou les mesures de dépenses relatives à la pauvreté.

Conclusion Le danger de l’engouement autour de la microfinance – et l’attention portée aux micro-entreprises – découle du fait que les besoins des petites entreprises du secteur informel pourraient ne pas obtenir l’attention voulue. Les propriétaires-exploitants de ces petites entreprises ont déjà prouvé leur sens des affaires, mais ils se heurtent à de nombreuses contraintes, allant de l’incapacité d’accéder au marché formel du crédit, à des difficultés relatives à la commercialisation de leurs produits. Ces entreprises doivent être prises en charge avec un accès facile au crédit et d’autres services financiers, tels que l’assurance. Leurs problèmes sont exacerbés par les réformes néo-libérales du secteur financier qui ont cherché à promouvoir les

institutions financières motivées par les bénéfices en éliminant les institutions financières spécialisées gérées par l’État qui répondaient aux besoins des petites et moyennes entreprises (PME) et du secteur agricole. On sait maintenant que ces réformes avaient leurs propres limites, et que les PME et le secteur agricole, la production alimentaire en particulier, ont besoin du soutien de l’État. Les enseignements managériaux et opérationnels tirés des IMF prospères peuvent être d’une aide précieuse pour la conception d’institutions financières spécialisées pour les PME et le secteur agricole. l Ce qui précède est une version modifiée et abrégée du document de travail ONU-DAES n°89

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tendances n La plupart des pays industrialisés ont observé une baisse importante de leur production industrielle ces deux dernières années, l’Amérique du Nord étant la plus touchée avec une chute de 20 % depuis 2007, a indiqué l’ONUDI dans l’édition 2010 de son Annuaire international des statistiques industrielles. La croissance industrielle s’est perpétuée de manière quasiment

ininterrompue dans les pays les moins avancés (PMA), particulièrement en Afrique qui conserve un taux de croissance industrielle de 5 % en 2009. (ONUDI) n Avant la crise financière mondiale, la croissance de l’Afrique subsaharienne s’est améliorée rapidement, avec un taux de croissance annuelle

moyen de 6 % entre 2002 et 2008. La région, qui a supporté le ralentissement économique mondial mieux que le reste du monde, devrait connaître une croissance de 3,8 % en 2010 et 4,5 % en 2011, plus rapide que l’Amérique Latine, l’Europe et l’Asie centrale. Selon le trimestriel McKinsey, les télécommunications, les banques, et le commerce de détail

prospèrent. La construction est en plein essor. Les fonds d’investissement privés augmentent de manière considérable. La plupart des 50 économies individuelles d’Afrique font face à de sérieux défis, comme la pauvreté, la maladie et un fort taux de mortalité infantile. Pourtant le PIB global de l’Afrique, de 1 600 milliards de dollars en 2008, est désormais à peu près égal à celui du Brésil ou de la Russie. De plus, le continent fait partie des régions économiques ayant la croissance la plus rapide du monde. (McKinsey Quarterly)

AFFAIRES DES AFFAIRES Impact des entreprises sur les Objectifs du millénaire pour le développement La date limite pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) n’étant plus que dans cinq ans, des questions ont été soulevées concernant la capacité du secteur privé à jouer un rôle dans la réussite du projet. Une nouvelle enquête étudie la contribution de 20 multinationales connues à la réussite des OMD. L’une des principales constatations est que le secteur privé occupe un rôle plus important que prévu dans la contribution aux OMD : les activités combinées du groupe échantillon ont eu un impact sur plus de 8,2 millions de bénéficiaires. L’étude révèle également que la recherche d’opportunités commerciales dans les pays en développement peut avoir un impact positif sur les OMD, de manière aussi efficace que les interventions en matière de développement axées sur l’investissement communautaire. La recherche d’activités commerciales mène à la création d’emplois et de valeur et a des effets sur les chaînes d’approvisionnement, ce qui

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contribue au développement économique et joue sur divers OMD. Les activités commerciales ont notamment un impact considérable sur la diminution de la pauvreté (OMD1). Cette réduction de la pauvreté a ellemême un impact sur les OMD 2, 4 et 5. Ces éléments permettent de constater l’importante convergence entre la recherche d’opportunités commerciales par les entreprises dans les pays en développement et l’impératif moral de contribuer au développement humain. Ainsi, c’est en faisant des affaires que les entreprises contribuent le plus aux OMD : elles risquent d’adopter cette vision des choses avec plus d’enthousiasme. – Business Impact Report, 2010

Opportunités économiques pour les femmes Un nouveau rapport novateur d’Economist Intelligence Unit met en lumière le paysage économique que rencontrent les femmes à l’échelle mondiale et met en évidence les pays offrant le plus d’opportunités. L’Indice des opportunités économiques pour les femmes est un guide très complet pour évaluer les lois, les réglementations, les pratiques et les attitudes qui touchent employés et entrepreneurs féminins. Il utilise 26 indicateurs pour évaluer chaque aspect de la chaîne de valeurs économiques et sociales chez les femmes, de la fertilité jusqu’à la retraite. En examinant les contraintes avec lesquelles les femmes doivent composer, l’indice montre les étapes que les gouvernements peuvent suivre pour améliorer les opportunités pour les femmes et stimuler les performances économiques globales. Comme l’explique Leila Butt, économiste à l’Economic Intelligence Unit et directrice de recherche pour le projet, « les pays ont fait de nets progrès concernant l’égalité des femmes au cours des dernières décennies, mais trop d’entre elles ne peuvent

toujours pas exercer tous leurs droits économiques ». Les opportunités économiques pour les femmes ne sont pas uniquement influencées par l’environnement réglementaire d’un pays, mais aussi par les attitudes sociales et les coutumes. C’est pourquoi la part des femmes dans les populations actives reste largement inférieure à celle des hommes. Les femmes sont également moins payées que leurs homologues masculins et les hommes continuent de dominer dans les secteurs avec un potentiel


dépendants du marché américain. La croissance devrait fluctuer autour de 4 % dans les années à venir. C’est encore largement endeca de la moyenne de 5,2 % enregistrée durant les années d’expansion entre 2004 et 2007. Il s’agit toutefois d’une performance positive si on la compare à la croissance historique à long terme de cette région. (Economist Intelligence Unit) n L’investissement de capitaux dans les nouveaux systèmes éoliens devrait passer de 63,5 milliards de dollars en 2009 à 114,5 milliards de dollars en 2019.

L’année dernière, les installations éoliennes mondiales ont atteint un record de 37 500 MW. La Chine, leader mondial dans les nouvelles installations pour la première fois, en compte plus d’un tiers, soit l’équivalent de 13 000 MW. L’énergie solaire photovoltaïque (y compris les modules, les composants système, et les installations) va passer de 36,1 milliards de dollars en 2009 à 116,5 milliards de dollars en 2019. Les nouvelles installations s’élèvent à plus de 7 GW à travers le monde en 2009, soit sept fois plus que cinq ans plus tôt.

Clean Edge a déclaré que l’énergie solaire photovoltaïque et l’industrie éolienne sont actuellement à l’origine de 267 562 emplois directs et 563 577 emplois indirects à travers le monde, soit un total de plus de 830 000 emplois. Le rapport indique qu’en 2019 le nombre d’emplois sera de 2 178 919 pour l’énergie solaire et 1 122 815 pour l’énergie éolienne, soit un total de plus de 3,3 millions d’emplois. (Clean Edge)

Photo: Robert Churchill/istock

n Après une contraction de 2,1 % en Amérique Latine en 2009, l’Economist Intelligence Unit prévoit une reprise sérieuse de 4,1 % en 2010. Une politique de relance agressive et la demande chinoise ont permis aux exportateurs de matières premières de la région de mener la reprise, avec la sortie du Brésil du ralentissement économique dès le deuxième trimestre de 2009. Cependant, au cours des six derniers mois, une politique de relance alimentée par les ÉtatsUnis a encouragé un renforcement de l’activité dans ces pays particulièrement

Top 5 des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique AFRIQUE 1 Mauritanie 2 Afrique du Sud 3 Tunisie 4 Namibie 5 Égypte ASIE 1 Hong Kong RAS, Chine 2 Israël 3 Japon 4 Singapour 5 République de Corée

salarial élevé, tels que la technologie ou la finance. L’étude montre que même lorsque la législation est destinée à aider les femmes, sa mise en œuvre est souvent faible et les opportunités restent limitées. Cependant, les attitudes changent au fur et à mesure que les économies se développent et les opportunités pour les femmes s’élargissent. Les pays avec une population stagnante ou à faible croissance réalisent de plus en plus que les femmes sont essentielles au développement de la population active.

Dans le classement des opportunités économiques pour les femmes établies entre 113 économies, la Suède, la Belgique et la Norvège occupent le podium. Ces pays ont un marché du travail particulièrement ouvert aux femmes, un niveau d’instruction élevé, et un régime libéral, légal et social. Mais l’indice donne également d’autres renseignements. La Hong Kong RAS, Chine est la meilleure en Asie et se classe dans le top 25 % de la plupart des catégories. En Afrique, c’est la Mauritanie qui obtient la

première place : sa politique du travail compte parmi les plus favorables aux femmes dans la région. Après le Canada et les ÉtatsUnis, le Brésil se rapproche du Chili et du Mexique pour la meilleure note en Amérique. Les pays d’Europe de l’Est, notamment la Bulgarie, ont particulièrement équilibré la protection des droits du travail, même si l’âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes est souvent différent. La Tunisie est première en Afrique du Nord, et le Sri Lanka en Asie du Sud.

AMÉRIQUE 1 Canada 2 États-Unis 3 Brésil 4 Chili 5 Mexique – Opportunités économiques pour les femmes. Nouvel indice pilote et classement mondial de l’Economist Intelligence Unit

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Les politiques industrielles ont un rôle déterminant à jouer dans la transition vers une trajectoire de croissance économe en ressources et à faible empreinte carbone. WILFRIED LÜTKENHORST, directeur de la Division des stratégies régionales et des opérations hors-siège de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), évoque les implications que cela implique.

Unclimat changeant pour les politiques industrielles Le retour, la renaissance, la redécouverte ou encore le « come-back » des politiques industrielles ont été maintes et maintes fois annoncés. C’est une bonne nouvelle. Mais soyons honnêtes : les politiques industrielles n’ont jamais quitté le devant de la scène. Elles ont été exercées sous diverses formes et dans tous les pays, qu’ils soient développés ou en développement. Voici le véritable problème : les différents instruments politiques sont-ils appliqués de manière désordonnée, improvisée et parfois même clandestine ? Ou bien sont-ils ouvertement intégrés à une stratégie clairement formulée et clairement communiquée derrière laquelle un pays et tous les actionnaires publiques et privés concernés peuvent s’unir et avancer ? C’est cette notion de vision convenue ‰

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Image: Andrew Wood/istock

Des ouvriers construisent une usine près de Hanoï, Viet Nam.

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‰ (où souhaitons-nous emmener notre économie et comment y parvenons-nous ?) qui fait un retour en force à l’ordre du jour. Malheureusement, il a fallu une crise économique mondiale majeure pour mettre en avant l’argument selon lequel les marchés consistaient avant toute chose en une bonne allocation des ressources et en une bonne efficacité, mais qu’ils ne s’occupaient pas, en eux-mêmes et par eux-mêmes, des objectifs de société à long terme.

« Nouvelle politique industrielle » Aujourd’hui, en observant le débat politique, on ressent, à de nombreux égards, une impression de déjà-vu. Les discours de certains économistes revisitent des préoccupations déjà débattues dans les années 1980 : accepter ou, au contraire, défier les avantages comparatifs d’une économie donnée ; définir uniquement des conditions de base ou alors choisir et promouvoir les vainqueurs ; diriger les investissements étrangers vers des secteurs prioritaires ou permettre un afflux hasardeux des investissements ; encourager les industries naissantes ou laisser triompher les forces de la mondialisation, etc. Parallèlement, il existe effectivement un accord unanime sur les caractéristiques clés de ladite « nouvelle politique industrielle », selon lequel : l il est nécessaire de s’appuyer sur certaines conditions de base, à savoir une stabilité macroéconomique, un environnement propice aux affaires et une transparence commerciale ; l il est essentiel de passer d’une action gouvernementale autonome à un dialogue stratégique entre secteur public et privé ; l il faut, plutôt qu’établir des résultats prédéfinis, mettre en ordre les processus politiques (notion de Dani Rodrik comparant la politique industrielle à un « processus de découverte ») ; l bien trop souvent, nous sommes obsédés par la formulation de stratégies sophistiquées et nous oublions que certaines capacités institutionnelles sont nécessaires à leur entrée en vigueur ; l nous devons délaisser nos formules dogmatiques (Consensus de Washington) au profit d’un sens du pragmatisme, nous devons nous préparer à « sortir de la pensée unique », à innover et à faire des expériences (concept parfois appelé le « Consensus de Pékin », terme inventé par Joshua Cooper Ramo en 2004) ; et l enfin, nous devons conserver une bonne dose de réalisme et de modestie. L’histoire est truffée de politiques industrielles, a priori parfaitement conçues, qui n’ont pas atteint les objectifs fixés et qui sont devenues prisonnières des pôles d’intérêt commun.

Le changement climatique : l’échec du marché mondial Tout ce qui a été dit plus haut fonctionne comme sur des roulettes. À présent, le changement climatique modifie les règles du jeu : Il est, selon les termes du Secrétaire général des Nations Unies, « l’élément déterminant des tendances de notre temps », mais « l’échec le plus cuisant que le monde ait jamais connu » aux yeux de Sir Nicholas Stern. Vous souvenez-vous de l’économie version 1.01 ? L’échec des marchés n’est-il pas l’une des

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« La politique industrielle actuelle ne peut être ni pertinente, ni efficace, ni crédible à moins d’être explicitement pensée dans un contexte de pénurie des ressources naturelles ».

raisons fondamentales des interventions politiques, à moins, bien sûr, que le risque d’échec de la politique ne soit considéré comme un risque encore plus grand ? Je soutiens en outre que la politique industrielle actuelle ne peut être ni pertinente, ni efficace, ni crédible à moins d’être explicitement pensée dans un contexte de pénurie des ressources naturelles. Nous devons prendre en compte les limites mondiales (mais également régionales et locales !) du changement climatique, sous peine d’atteindre le point de non retour. Et des indicateurs positifs nous montrent que les économistes et, plus important encore, les décideurs politiques commencent à comprendre cela, en particulier au sein des économies émergentes. En voici quelques exemples : l En Inde, la population est de plus en plus consciente que ce sont les segments les plus pauvres de la société qui seront les plus touchés par les facteurs climatiques et que ces facteurs entraîneront un ralentissement considérable de la croissance du PIB. Le Ministre de l’environnement indien considère que son pays est le pays le plus vulnérable au changement climatique. Le débat au sujet de la croissance verte et des énergies renouvelables y fait rage, avec ou sans accords mondiaux. l En Chine, des investissements massifs sont réalisés dans l’efficacité énergétique, dans les sources renouvelables d’énergie et dans les technologies vertes en général, avec plus de 60 milliards de USD destinés au développement des technologies automobiles hybrides et électriques, et à l’amélioration des infrastructures de transport ferroviaire et de réseau électrique, ainsi qu’à un nouveau plan énergétique décennal. Selon l’agence de protection de l’environnement du pays, environ 15 % du PIB est perdu chaque année à cause de divers types de pollutions environnementales. l Au Vietnam, les conditions climatiques extrêmes et la hausse de niveau de la mer constituent des menaces pour la production agricole et industrielle de la moitié du pays et mettent sérieusement en péril la croissance économique future. La réponse du gouvernement a été d’intégrer ces préoccupations aux plans de développement de l’ensemble des ministères. l Enfin, le Brésil redécouvre les « mérites » de sa politique de promotion des carburants renouvelables, établie depuis longtemps. Cette politique remonte au début des années 1970 et grâce à elle, l’éthanol représente à présent plus de 50 % de la demande en carburant pour les véhicules légers du pays.

Croissance à faible émission de carbone Si nous acceptons l’argument fondamental selon lequel une transition vers une trajectoire de croissance économe en ressources et à faible empreinte carbone est impérative et que la politique industrielle a un rôle essentiel à jouer, qu’est-ce que cela implique ? Avant toute chose, nous devons partir du principe que les politiques industrielles sont dirigées par des objectifs multiples. La formulation et la mise en œuvre d’une politique


Image: Andrew Wood/istock

donnée sont toujours ancrées dans un contexte politique et économique qui justifie sa légitimité. Même s’il est crucial de mener une réflexion au sujet du changement climatique et de l’utilisation efficace des ressources, d’autres objectifs doivent également être pris en compte. Cela concerne, entre autres, la diminution de la pauvreté, la sécurité alimentaire et énergétique, la création d’emplois, la réduction des inégalités régionales et des inégalités de revenus, la stimulation de la croissance et de la productivité, ainsi que la promotion de l’innovation et de l’entreprenariat. Quelles sont les complémentarités et quels sont les compromis existant, par exemple, entre l’efficacité énergétique, la productivité et le rapport coûtefficacité ? Entre la promotion des sources d’énergie renouvelables et l’élargissement de l’accès à l’énergie ? Entre les mesures d’adaptation, les modèles d’installations industrielles et les disparités régionales ? Et entre les actions de diminution de CO2 et la rentabilité industrielle ? L’incertitude et la spéculation prédomineront, à moins que des bases solides ne soient posées pour encourager les décisions de politique factuelle. En second lieu, l’accent traditionnellement mis par les politiques industrielles sur la promotion des sous-secteurs prioritaires (qu’il s’agisse des secteurs textiles, des industries alimentaires ou du secteur électronique) pourrait avoir besoin d’être revisité et pensé dans le cadre plus vaste d’une promotion des technologies économes en ressources à travers l’ensemble du spectre des secteurs. Cela demanderait, entre autres choses, d’améliorer les efforts d’évaluation comparative, d’aligner les primes de recherche et de développement ainsi que les systèmes d’innovation avec le besoin de diminuer les conséquences sur le climat, et de permettre aux entreprises d’accéder aux instruments financiers tels que capital-risque, pour financer leurs investissements écologiques. En troisième lieu, il faudra revoir les approches de promotion des investissements. Les investissements directs à l’étranger (IDE) sont les vecteurs clés de transmission des nouvelles technologies dans de nombreux pays en développement. Dans une plus large mesure, ce sont les afflux d’IDE qui déterminent le scénario technologique à venir, les modèles de production et d’articulations industrielles, ainsi que l’effet d’apprentissage pour les entreprises nationales. L’utilisation d’instruments politiques adaptés pourrait permettre de diriger davantage d’investissements vers les technologies économes en ressources. Dans un tel contexte, les approches de zonage industriel visant les investisseurs propres et respectueux de l’environnement (destinées à un effet de présentation et de retombées pour les entreprises locales) ou, au contraire, le ciblage des industries polluantes (afin de permettre de réaliser des économies liées à la lutte contre la pollution) pourraient revêtir une importance toute particulière. En quatrième lieu, nous devons reconnaître que les différentes catégories de pays font face à des défis distincts, et que les priorités politiques doivent par conséquent s’adapter à cette réalité. Dans les pays les moins avancés, les stratégies

d’adaptation seront souvent plus urgentes que les stratégies d’atténuation, et les objectifs d’accès à l’énergie seront probablement plus urgents que les considérations en matière d’efficacité énergétique. Mais ce même argument ne peut pas s’appliquer aux pays à revenus intermédiaires. Dans ces pays, les avancées en terme d’efficacité énergétique pour les industries établies (notamment pour les industries lourdes, comme la sidérurgie et les produits chimiques) doivent devenir une priorité, et sont largement considérées comme étant une tâche simple à accomplir. Mais ces avancées requièrent une certaine contribution en termes d’information, de sensibilisation et d’encouragement pour être pleinement réalisées. Enfin, il existe des défis généraux et pluridisciplinaires, comme la mise au vert du commerce (c’est-à-dire la réduction de l’empreinte carbone de l’ensemble de la chaîne de valeur) et, en particulier, la promotion du transfert des technologies au travers d’une multitude de mécanismes allant des investissements directs à l’étranger à l’aide officielle au développement, en passant par le mécanisme de développement propre. Les technologies écologiques et ultramodernes s’avèrent généralement high-tech et onéreuses. Qui va financer le transfert des technologies brevetées ? À moins de trouver une solution internationale pour régler ce problème de financement, de nombreux pays en développement qui souhaitent « passer au vert » risquent de faire face à un véritable dilemme. Nous sommes donc en présence d’une importante nécessité d’action au niveau mondial et de coordination des politiques internationales.

Sur la bonne voie

« À moins de trouver une solution internationale pour régler ce problème de financement du transfert des technologies, de nombreux pays en développement qui souhaitent « passer au vert » risquent de faire face à un véritable dilemme ».

Les politiques industrielles ont toujours dû faire face aux dangers de l’incertitude et au besoin de porter des évaluations et des jugements visant à anticiper et à dessiner les scénarios souhaités pour l’avenir. Toutefois, avec la nouvelle dimension créée par un contexte mondial de changement climatique et d’épuisement des ressources, le risque d’une catastrophe mondiale « constitue l’argument le plus puissant en faveur d’une forte politique climatique », comme l’a souligné récemment Paul Krugman dans le New York Times. Bien que l’industrie soit une composante du problème (représentant à elle seule 36 % des émissions de CO2), elle offre également de grandes opportunités. Aucune solution ne sera possible sans développer et diffuser de nouvelles technologies industrielles qui consomment moins de ressources, qui réduisent les émissions de CO2, qui atténuent la pollution et qui recyclent et réutilisent les déchets qu’elles génèrent. Établir le cadre permettant de mettre en œuvre cette solution, encourager la production et la consommation responsables, puis définir un chemin durable vers la prospérité sont les défis que doivent relever les politiques industrielles actuelles. La dissociation progressive qui se dessine entre la croissance économique, la dégradation de l’environnement et l’épuisement des ressources définit la voie de l’industrialisation que doivent s’efforcer de suivre les différents pays, à la fois pour sauver notre planète et fixer les nouvelles frontières de la compétitivité. n

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JAYATI GHOSH est convaincue que l’implication de l’État dans l’activité économique est devenue impérative, et qu’une telle implication se doit d’être plus démocratique et responsable.

Politiser la politique économique Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous devons réfléchir sérieusement et rapidement à des politiques industrielles appropriées. Il y a bien sûr les anciennes raisons (qui sont toujours d’actualité) : le projet d’expansion ne peut suivre son cours sans une forme de politique explicite ou implicite ; ces économies d’échelle statiques et dynamiques signifient que, s’ils veulent survivre, les « industriels récents » doivent prévoir des méthodes pour atteindre une échelle compétitive dans des secteurs particuliers ; si aucune intervention n’a lieu, les investissements conduits par le marché dans un contexte d’inégalités économiques ne génèreront pas les échelles de production nécessaires. Mais il existe également de nouvelles raisons, certainement plus urgentes pour la mise en œuvre d’une politique industrielle. Ces raisons émergent des tendances structurelles (en particulier les défaillances du marché liées à l’impact humain sur l’environnement naturel) et conjoncturelles (le fait que la politique fiscale anticyclique accroît de force le rôle des dépenses du gouvernement pour les économies en pleine maturité comme pour celles en développement). Les modèles considérés comme des modèles de production et de consommation non durables sont profondément ancrés dans les mentalités des pays riches, et les pays en développement y aspirent. Des millions de citoyens des pays en développement n’ont toujours pas, ou pas suffisamment accès à des

JAYATI GHOSH est professeur d’économie à l’université Jawaharlal Nehru, à New Delhi, et secrétaire exécutive d’IDEAS (International Development Economics Associates). Elle est chroniqueuse pour plusieurs revues et journaux indiens, et membre de la National Knowledge Commission, groupe de conseil du Premier ministre indien.

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conditions de vie élémentaires, rendues possibles par un minimum d’infrastructures matérielles comme l’électricité, les transports et la communication, l’assainissement, la santé, la nutrition et l’éducation. Pour assurer un accès universel à ces services, il faudra utiliser davantage de ressources naturelles par habitant et augmenter la production de carbone. Ainsi, la durabilité et l’égalité demandent une réduction de l’utilisation excessive des ressources par les riches, particulièrement dans les pays développés, mais aussi par les élites des pays en développement, dans le but d’harmoniser l’utilisation des ressources chez les pauvres de ce monde.

Consommation des ressources Cela signifie que les politiques de redistribution fiscale ainsi que les autres mesures économiques doivent s’orienter vers la réduction des inégalités de consommation des ressources, sur le plan national et mondial. Par exemple, les dépenses sociales essentielles et celles liées au développement des pays peuvent être financées par une taxe pénalisant le gaspillage des ressources. Une partie du changement peut sans aucun doute être atteinte grâce à des « technologies de production plus propres et plus vertes » ; des politiques industrielles proactives sont nécessaires pour promouvoir de telles technologies. Mais cela exige également de nouveaux modèles de demande, étant donné qu’il n’est plus suffisant de parler de nouvelles formes de production basées sur d’anciens modèles de consommation. Au lieu de cela, il faut faire preuve de créativité à propos de la consommation en elle-même, et identifier quels biens et services sont les plus utiles et souhaitables pour nos sociétés. C’est pourquoi la préoccupation actuelle concernant le développement de nouveaux moyens de mesure du progrès réel, du bien-être, et de la qualité de vie est si importante. Les objectifs de croissance du produit intérieur brut

(PIB), dominant toujours la pensée des décideurs régionaux, ne font pas simplement perdre de vue ces objectifs plus importants, mais peuvent également s’avérer contre-productifs. Par exemple, un système de transport urbain privé chaotique et polluant, impliquant de nombreux véhicules privés et des routes encombrées, génère en réalité plus de PIB qu’un système de transport public sain, efficace et abordable réduisant les embouteillages et fournissant une mode de vie agréable ainsi qu’un bon environnement de travail.

Pensée stratégique Évidemment, le changement ne peut pas être laissé aux seules forces du marché, puisque que l’effet de démonstration international et le pouvoir de la publicité continueront de contracter des demandes indésirables chez les consommateurs, ainsi qu’une consommation et une production non durables. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas se contenter de donner des réponses toutes faites au changement permanent des conditions à court terme du marché. Au lieu de cela, la planification, pas dans le sens de la planification détaillée qui a détruit la réputation des régimes dirigistes mais dans le sens d’une pensée stratégique sur les exigences et les objectifs sociaux pour le futur,


Image: Csuka László/istock

« Comment la politique industrielle – ainsi que la politique macroéconomique en général – peut-elle être réellement démocratisée ? »

est absolument essentielle. Les politiques fiscales et monétaires, ainsi que d’autres formes d’intervention, devront être utilisées pour rediriger la consommation et la production vers ces objectifs sociaux, en vue de modifier les aspirations sociales et les besoins matériels et de réorganiser la vie économique pour qu’elle soit plus durable et moins fondée sur le profit. L’intervention de l’état dans l’activité économique étant désormais impérative, il est nécessaire de s’assurer que ces interventions seront plus démocratiques et justifiables au sein de nos pays et sur le plan international. Une grande quantité de l’argent public est utilisé et (malgré le débat actuel sur la sortie des plans de relance) continuera à l’être pour les sauvetages financiers et pour fournir des incitations fiscales dans un futur proche. La manière dont cela est fait aura de sérieuses conséquences sur la distribution, l’accès aux ressources et les conditions de vie des gens ordinaires dont les impôts serviront à ces fins. Il est donc indispensable de concevoir une architecture économique mondiale plus démocratique. Et il est encore plus important que les pays du monde entier soient plus ouvert et à l’écoute des besoins de la majorité de leurs citoyens lorsqu’ils formulent et mettent en place des politiques économiques.

Démocratiser la politique Comment y parvenir ? En d’autres termes, comment la politique industrielle – ainsi que la politique macroéconomique en général – peutelle être réellement démocratisée ? De manière évidente, les méthodes et les mécanismes diffèreront selon les économies et les sociétés. Mais on peut énumérer quelques principes fondamentaux. Premièrement, il faut cesser de penser que les politiques économiques appartiennent au domaine technocratique, se plaçant au-dessus des politiques. Depuis que les politiques économiques concernent également les revenus et la répartition des biens, elles concernent aussi forcément la politique, et cela doit être reconnu, en expliquant clairement toutes les participations de politiques particulières. Deuxièmement, cela signifie que les politiques économiques des pays doivent être développées sur une véritable base participative, et non pas uniquement de manière centralisée descendante par des « consultations » symboliques avec de soi disant « parties prenantes ». Il ne s’agit pas d’un simple appel à la décentralisation, devenu une nouvelle « mode » chez les donateurs internationaux. Au lieu de cela, la décentralisation de la distribution du service public pour plus de contrôle des citoyens,

doit être associée à une forme de contrôle central plus nuancée et complexe sur les décisions macroéconomiques cruciales. Les organismes élus nationalement (et non pas les organismes extra nationaux et non responsables comme les institutions Bretton Woods et les multinationales) doivent décider de la nature de la stratégie économique. Équilibrer les besoins et les intérêts des différentes régions et des strates de la société assurera que la création d’emplois bien payés et productifs aura la priorité sur l’augmentation du PIB à ses propres fins. Troisièmement, les acteurs non étatiques exerçant une influence excessive sur les politiques de l’état et recevant de l’état des bénéfices disproportionnés (comme les grosses sociétés ou les gros acteurs financiers) doivent être dirigés vers le domaine de la comptabilité publique de manière plus explicite. Comme le suggèrent la fuite de gaz à Bhopal en Inde, il y a plus de vingt ans, et la marée noire dans le Golf du Mexique cette année, il faut également attribuer des responsabilités dans les dégâts causés à l’environnement. Mais cela voudrait également dire que les sociétés recevant des subventions implicites ou explicites doivent fonctionner au nom d’un intérêt social plus développé en termes de prévention de l’instabilité excessive, de concentration sur les objectifs sociaux comme l’équilibre entre les régions et la création d’emplois, de garantie de la qualité pour les consommateurs, et ainsi de suite. Enfin, les objectifs économiques de la société doivent être élargis, s’éloignant de la fixation sur l’augmentation des revenus et des profits, pour se concentrer sur la création d’emplois décents ; l’amélioration des conditions de vie plutôt que la simple accumulation d’objets matériels ; la garantie de la sûreté et de la sécurité ainsi qu’un droit de parole pour chaque citoyen et l’encouragement de la créativité humaine. Par conséquent, la nouvelle politique industrielle ne concerne plus seulement l’industrie. Elle devra en plus donner naissance à la liberté humaine. n

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Vers un débat plus productif Avec le discrédit des politiques orthodoxes et la dénonciation des systèmes à deux poids deux mesures, la politique industrielle n’est plus un tabou. HA-JOON CHANG plaide pour l’acceptation du fait que la politique industrielle peut fonctionner, au moins à certains moments, ainsi que pour une pensée qui sorte des sentiers battus afin de la rendre plus efficace.

HA-JOON CHANG enseigne l’économie à l’université de Cambridge, Royaume-Uni. Il est l’auteur de plusieurs livres politiques influents, dont Kicking Away the Ladder: Development Strategy in Historical Perspective, et a occupé le poste de conseiller à la Banque mondiale, à la Banque asiatique de développement et à la Banque européenne d’investissement, ainsi qu’à Oxfam. Il a été récompensé par le prix Leontief pour l’avancement des limites de la pensée économique 2005.

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« Comme l'a dit avec humour Lord Peter Mandelson, il faut davantage d'« ingénierie réelle » et moins d'« ingénierie financière », reconnaissant qu'une politique industrielle sélective a un rôle important à jouer »

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Pendant les trois dernières décennies, la politique industrielle – ou plus précisément, la politique industrielle sélective, dans laquelle le gouvernement intervient d’une manière qui fait la distinction entre les secteurs industriels – a été ignorée de l’agenda de la politique dominante. Dans le monde développé anglophone d’où est originaire le néo-libéralisme, la politique industrielle est dénoncée pour « sélectionner des perdants » dans une tentative mal orientée visant à « sélectionner des gagnants ». Grâce à un changement intellectuel et politique orienté vers le néo-libéralisme à la Banque mondiale et au FMI, des programmes d’ajustement structurels (SAP) ont démantelé les politiques industrielles existantes grâce à la libéralisation du commerce, à la privatisation et à la dérégulation des activités commerciales domestiques et de l’investissement direct étranger – ce qu’on appelle plus généralement les politiques du consensus de Washington. La montée de l’économie japonaise et d’autres pays de l’Asie orientale a forcé le débat sur la politique industrielle entre la fin des années 80 et le milieu des années 90, mais, même alors, cela a été écarté comme quelque chose ne fonctionnant que grâce aux conditions politiques et culturelles uniques des pays de l’Asie orientale, telles qu’une bureaucratie exceptionnellement douée. Lorsque les économies de l’Asie orientale ont été victimes de problèmes, avec l’éclatement de la bulle financière japonaise du milieu des années 90 et la crise financière asiatique de 1997, la politique industrielle a été blâmée comme étant l’une des causes de leurs problèmes économiques, et déclarée défunte. Cependant, les problèmes économiques persistants en matière de développement et d’économies de transition qui ont fidèlement mis en œuvre des politiques orthodoxes – augmentation de l’inégalité des revenus, crises financières à répétition, et, par dessus tout, un ralentissement (voire, un effondrement) de la croissance, – ont profondément entamé la réputation du Consensus de Washington. Au début des années 2000, même les principaux partisans de Consensus de Washington ont commencé à modifier leurs positions, quand bien même ils ne sont pas parvenus à changer quoi que ce soit de fondamental. Certains autres ont évoqué un post-Consensus de Washington, bien qu’il n’y ait pas de consensus sur la signification réelle de ce terme. Même dans cette retraite de l’orthodoxie du marché libre, le rejet d’une politique industrielle sélective – et de toutes les mesures politiques qui l’accompagnent, telles que la protection douanière, les subventions, la régulation des investissements étrangers, la nationalisation de sociétés financières et industrielles – a persisté. De nombreuses personnes ayant critiqué l’orthodoxie du marché libre ont fixé des limites à la politique industrielle sélective et ont soutenu que, bien qu’il y ait des arguments pour une politique industrielle, elle doit être d’un type « général » qui n’engendre pas de discrimination entre les secteurs – éducation, formation, infrastructures, etc. Une politique industrielle sélective, pour de nombreuses personnes, est encore inadmissible. Cependant, les choses sont en train de changer. La crise financière internationale de 2008 a un peu plus dévoilé les limites de l’orthodoxie du marché libre. Jusqu’alors, de nombreuses personnes estimaient que les politiques orthodoxes fonctionnaient dans les pays riches, en particulier dans les pays anglo-américains d’où elles proviennent. Le problème, selon les critiques, résidait dans le fait que ces politiques avaient été imposées aux pays en développement auxquels elles ne convenaient pas. Mais la crise de 2008 a montré que ces politiques ne conviennent pas non plus aux pays riches. Avec l’explosion de la crise aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans les économies plus restreintes qui avaient le plus agressivement mené une stratégie néolibérale relativement à la dérégulation financière (Irlande, Islande, Doubaï, Lettonie, etc.), on constate un changement d’opinion. Comme l’a dit avec humour l’ancien secrétaire au commerce britannique, Lord Peter Mandelson, il faut davantage d’« ingénierie réelle » et moins d’« ingénierie financière », reconnaissant qu’une politique industrielle sélective a un rôle important à jouer dans le processus. Dans le même temps, le gouvernement a renfloué GM et Chrysler aux États-Unis, et les subventions accordées au secteur automobile et autres par les gouvernements d’autres pays développés, ont dévoilé un système à deux poids deux mesures que ces pays ont appliqué en conseillant aux pays en développement de ne pas recourir à une politique industrielle active. Il est bien évidemment trop tôt pour dire si tout cela – le discrédit des politiques orthodoxes et le dévoilement des systèmes à deux poids deux mesures des pays riches – mènera à un rétablissement de la politique


industrielle. Cependant, il est indéniable que les termes du débat relatif à la politique industrielle ont changé. La politique industrielle n’est plus un tabou. Il existe une reconnaissance ouverte, même parmi les critiques et les sceptiques, du fait que la déclaration de la disparition de la politique industrielle peut avoir été prématurée. De plus en plus de personnes acceptent le fait qu’au moins certaines économies doivent rééquilibrer leurs économies à l’abri du secteur financier pléthorique, et que cela peut nécessiter une politique industrielle active. Avec la mise en évidence du système à deux poids deux mesures des pays riches, les pays en développement vont pouvoir plus facilement défendre leur politique industrielle vis-à-vis des critiques émanant des gouvernements donateurs et des institutions financières internationales. Cela pourrait également avoir une influence sur l’évolution de l’Organisation mondiale du commerce et d’autres éléments du système de commerce international.

Comprendre la politique industrielle La politique industrielle est une chose tellement controversée que les gens ne s’accordent même pas quant à sa définition, mais que la plupart d’entre nous la définirait comme une « politique industrielle ciblée » ou « sélective ». Dans ce sens, la politique industrielle est généralement associée aux économies de l’Asie orientale (Japon, Corée du sud, province chinoise de Taïwan et Singapour) pendant leurs années « miracle », entre les années 50 et 80. Au début du débat relatif à la politique industrielle (à la fin des années 70 et au début des années 80), certaines personnes ont nié son existence même sous prétexte que les pays de l’Asie orientale n’ont pas beaucoup dépensé en subventions. Néanmoins, il était manifestement évident que la politique industrielle en Asie orientale a impliqué bien plus que la distribution de droits de douane et de subventions à des secteurs orientés vers le marché domestique et non compétitifs sur le plan international. L’ampleur des outils de politique déployés était très importante : subventions directes et indirectes à l’exportation ; politiques visant à assurer une économie d’échelle ; politiques visant à restreindre une « concurrence excessive » ; réglementation des importations technologiques ; exigences imposées sur l’investissement direct étranger ; provisions et/ou subventionnement étatiques de la recherche et développement (R&D) et formation des travailleurs. De surcroît, la politique industrielle n’était pas une pratique limitée à l’Asie orientale de la fin du XXe siècle. En premier lieu, des expériences réussies de politique industrielle de la fin du XXe siècle se trouvent également dans de nombreux pays européens (politiques industrielles nationales en Autriche, en Finlande, en France et en Norvège ; politiques industrielles régionales en Allemagne et en Italie). Même dans le cas des États-Unis, il existait de nombreuses politiques industrielles « masquées » par l’intermédiaire de programmes fédéraux de R&D. En dépit de sa rhétorique du marché libre, lorsque l’on a abordé les dépenses de R&D, le gouvernement américain s’est montré plus interventionniste que nombre de gouvernements concurrents. Tout au long de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la part du gouvernement dans le financement total de la R&D aux États-Unis représentait 40 à 65 %, contre environ 20 % au Japon et en Corée du sud et moins de 40 % en Belgique, en Finlande, en Allemagne et en Suède. Il est notable que la plupart des secteurs où les États-Unis possèdent une avance technologique internationale sont ceux ayant bénéficié d’un financement de R&D important de la part du gouvernement via des programmes militaires (par exemple, l’informatique, les semi-conducteurs, l’aviation) et des programmes de santé (par exemple, les produits pharmaceutiques, les biotechnologies). Deuxièmement, au XIXe siècle et au début du XXe, lorsqu’ils étaient euxmêmes des pays en développement, tous les pays riches actuels ont pratiqué le protectionnisme et développé une politique industrielle via des subventions, des détentions publiques, une réglementation des investissements directs étrangers et se sont délibérément montrés laxistes vis-à-vis du régime des droits de la propriété intellectuelle. Par exemple, la Grande-Bretagne et les États-Unis, pays dont la plupart des gens pensent qu’ils ont inventé le libreéchange, figuraient parmi les pays les plus protectionnistes au monde pendant leur période de rattrapage (respectivement du milieu du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, et du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle). La France, l’Autriche, la Finlande, la Norvège, Singapour et Taïwan ont utilisé de manière importante des entreprises nationalisées pendant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, le Japon, ‰

« En dépit de la rhétorique du marché libre, lorsque l'on aborde les dépenses de R&D, le gouvernement américain s'est montré plus interventionniste que nombre de gouvernements concurrents »

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« Si la politique industrielle est tellement mauvaise, comment se fait-il qu'à chaque ère les économies à la croissance la plus rapide sont celles qui ont une politique industrielle forte ? »

‰ la Corée du sud, Taïwan et la Finlande ont fortement réglementé l’investissement direct étranger lorsqu’ils en ont fait les frais. Les Pays-Bas et la Suisse, deux pays qui ont (presque) pratiqué le libre-échange, ont refusé d’introduire un droit des brevets et jusqu’à 1912 et 1907, respectivement (sous prétexte qu’un brevet, en tant que monopole créé artificiellement, est incompatible avec le principe du libre-échange). Troisièmement, contrairement à la perception populaire, les pays en développement ne se sont pas mal comportés lorsqu’ils ont mené plus activement des politiques industrielles pendant la période d’industrialisation par substitution aux importations (ISI) des années 60 et 70. En fait, au cours de cette période, ils ont bénéficié d’une croissance beaucoup plus rapide qu’à l’« ère de l’impérialisme », lorsqu’ils étaient contraints au libre-échange et à des politiques industrielles de laisser-faire via des règles coloniales ou des « traités inégaux » (qui les ont privés de leur autonomie de tarifs douaniers). Sous les gouvernements coloniaux et les traités inégaux, les économies de nombreux pays en développement se sont contractées ou, au mieux, se sont développées de manière anémique. Leurs performances de croissance pendant la période ISI étaient également bien meilleures que celles de la période la plus récente du néo-libéralisme, lorsqu’ils avaient moins recours à la politique industrielle. Par exemple, au cours des années 60 et 70, le revenu par tête en Amérique latine et en Afrique subsaharienne a augmenté de 3,1 % et de 1,6 % par an respectivement. Ces taux sont tombés à 1,1 % et 0,2 % entre 1980 et 2009. Individuellement, les preuves ci-dessus, ainsi que la preuve relative à l’expérience de l’Asie orientale que nous avons abordée plus haut, ne prouvent rien. Cependant, prises ensemble, elle soulèvent quelques questions difficiles pour les sceptiques de la politique industrielle. Si la politique industrielle n’a pas été confinée à l’Asie orientale à la fin du XXe siècle, il devient difficile de minimiser l’importance de son rôle en Asie orientale en recourant à des « forces compensatoires » propres à certaines régions et à certaines époques. Même si de nombreux pays ayant eu recours à la politique industrielle n’ont pas réussi, le fait que quelques-uns des pays riches actuels soient devenus riches sans politique industrielle nous invite à nous demander si une bonne politique industrielle peut être une condition nécessaire, bien que non suffisante, au développement économique. En examinant l’ensemble de ces groupes de faits, nous allons certainement nous demander si la politique industrielle est tellement mauvaise, comment il se fait qu’à chaque ère les économies à la croissance la plus rapide sont celles qui ont une politique industrielle forte : la Grande-Bretagne entre le milieu du XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle, les États-Unis, l’Allemagne et la Suède entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ; l’Asie orientale, la France, la Finlande, la Norvège et l’Autriche à la fin du XXe siècle ; et la Chine actuellement.

Comment faire une meilleure politique industrielle ? Bien qu’il existe en réalité une preuve empirique beaucoup plus forte pour la politique industrielle que ne le pensent la plupart des gens, le débat fait rage et ne sera probablement jamais résolu de façon concluante. Mais le point positif est que nous n’avons pas besoin de « preuve » absolue de son mérite, d’une manière ou d’une autre, pour faire progresser le débat. Dans la mesure où nous sommes d’accord sur le fait que les politiques industrielles peuvent fonctionner, nous pouvons encore avoir un débat productif sur la manière de la rendre plus efficace.

Politique industrielle ciblée – sélective contre politique industrielle générale De nombreuses personnes soutiennent que la politique industrielle devrait être de type « général » (ou « fonctionnel ») plutôt que « sélectif » (ou « sectoriel »), qu’elle devrait offrir des éléments tels que l’éducation, la R&D et une infrastructure qui profitent également à tous les secteurs plutôt que d’essayer de « sélectionner les gagnants ». L’un des problèmes de cette opinion réside dans le fait que dans un monde aux ressources rares, il n’existe pas vraiment de politiques industrielles générales ayant un impact identique sur chaque secteur. Les subventions à la R&D favorisent les secteurs qui utilisent intensivement la R&D ; l’investissement dans les infrastructures dépend des lieux et nous ne pouvons pas former des ingénieurs également utiles à tous les secteurs. Maintenant, si le ciblage est inévitable, sommes-nous au moins en mesure d’affirmer que des politiques moins ciblées sont meilleures ? Malheureusement non : le ciblage a ses avantages et ses problèmes. En effet, en politique sociale, de nombreuses personnes estiment que plus une

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politique est ciblée, meilleur c’est. Au lieu de discuter quant à savoir si nous devons cibler, nous devrions discuter des niveaux optimaux de ciblage pour les différents types de politiques.

L’État peut-il « devancer le marché » ? Un argument classique à l’encontre de la politique industrielle est que, étant donné les limites des informations et des capacités, l’État n’est pas en mesure de « devancer le marché ». Cependant, il existe quelques exemples dans l’Histoire où les fonctionnaires du gouvernement ont pris des décisions qui sont allées ouvertement à l’encontre des signaux du marché, uniquement afin de développer les entreprises les plus couronnées de succès de l’Histoire (par exemple, le secteur automobile japonais, l’aciériste coréen POSCO et la compagnie aérospatiale brésilienne Embraer). De plus, pour expliquer ces cas de réussite, il n’est pas nécessaire de supposer que les fonctionnaires du gouvernement soient omniscients ni même qu’ils soient plus intelligents que les capitalistes. Beaucoup de décisions « supérieures » (mais pas toutes) prises par l’État l’ont été car les fonctionnaires du gouvernement étaient en mesure de considérer les choses sur un plan national et à long terme plutôt que catégoriel et à court terme. Au lieu de discuter afin de savoir si l’État peut devancer le marché, nous devrions discuter de la manière d’améliorer les conditions du personnel et les conditions organisationnelles d’une bonne prise de décision par l’État.

Économie politique Un autre ensemble d’objections à la politique industrielle peut être décrit sous la forme d’arguments d’« économie politique » où les critiques se sont à juste titre interrogés sur le leadership politique en développement économique, sur la cohérence de la machine étatique et sur la capacité de l’État à discipliner les bénéficiaires de son soutien. Les problèmes d’économie politique doivent être considérés sérieusement. Cependant, nous ne devons pas laisser le mieux devenir l’ennemi du bien. Si nous attendons que l’état parfait émerge, rien ne sera jamais réalisé. Dans le monde réel, les pays qui réussissent sont ceux qui sont parvenus à trouver des solutions « suffisamment bonnes » à leurs problèmes d’économie politique, et qui ont mis en œuvre des politiques. Pour faire avancer le débat, nous devons aborder la façon dont il est possible de réaliser des améliorations pragmatiques au sein de la politique d’un pays. Nous devons améliorer notre compréhension de problèmes tels que : comment peut-on créer des visions politiques efficaces et les déployer afin d’ inciter plusieurs personnes et groupes à agir de manière concertée ; comment peut-on développer des nations et des communautés à partir de groupes disparates qui peuvent même avoir une très longue histoire d’hostilité et de méfiance mutuelles ; comment peut-on concevoir des pactes sociaux et développer des conditions durables à leur suite ; comment accepter en partie mais améliorer les traditions et les routines organisationnelles de la bureaucratie et comment peut-on minimiser l’activité des groupes de pressions et les pots-de-vin socialement néfastes tout en maximisant les flux d’informations entre l’État et le secteur privé. Afin d’aborder pleinement ces problèmes, nous, les économistes, devons dépasser les limites ordinaires et travailler avec les intéressés (politiciens, fonctionnaires du gouvernement, hommes d’affaires) ainsi qu’avec les intellectuels d’autres domaines (sciences politiques, sociologie, anthropologie, psychologie, études culturelles).

« Au lieu de discuter quant à savoir si nous devons cibler, nous devrions discuter des niveaux optimaux de ciblage pour les différents types de politiques »

Capacités bureaucratiques Quelle que soit la volonté et la force de l’État, et aussi « correcte » que soit sa vision, les politiques sont susceptibles d’échouer si les fonctionnaires du gouvernement qui les mettent en œuvre ne sont pas capables. Des décisions difficiles doivent être prises avec des informations restreintes et des incertitudes fondamentales, souvent sous une pression politique de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Cela nécessite des décideurs intelligents et dotés de connaissances appropriées. Dans ce contexte, des personnes ont soutenu que des politiques « difficiles », telles qu’une politique industrielle (sélective) ne doivent pas être tentées par des pays aux capacités bureaucratiques limitées. Et c’est pour cette raison que le rapport de 1993, Le miracle de l’Asie orientale, de la banque mondiale a recommandé les modèles du Sud-Est asiatique (Thaïlande, Malaisie et Indonésie), où la politique industrielle était parfaitement circonscrite ‰

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‰ partiellement en reconnaissance de la relativement médiocre qualité de

est souvent exagéré dans le

leur bureaucratie, en tant que modèle de politique industrielle pour d’autres pays en développement. Au niveau général, je ne peux pas contester la proposition selon laquelle nous avons besoin de bureaucrates capables afin de concevoir et de mettre en œuvre de bonnes politiques. Cependant, ce point sensible est souvent exagéré dans le monde des politiques sous la forme de l’avertissement « ne tentez pas de le faire chez vous » que l’on peut voir à la télévision lors de cascades dangereuses. Le premier problème soulevé par l’argument « ne tentez pas de le faire chez vous » est qu’il n’existe aucune base à la supposition qu’une politique industrielle est plus difficile que d’autres. Deuxièmement, une autre supposition implicite, qu’une politique industrielle nécessite une connaissance sophistiquée de l’économie, n’est pas non plus certaine. Les décideurs politiques industriels de l’Asie orientale n’étaient pas des économistes (ils étaient hommes de loi au Japon et en Corée du sud, et ingénieurs à Taïwan et en Chine) et jusque dans les années 70, le peu d’économie qu’ils connaissaient était du « mauvais » type : Marx, L’École historique allemande, Schumpeter, et ainsi de suite. Troisièmement, l’argument « ne tentez pas de le faire chez vous » suppose que les bureaucraties de haute qualité sont très difficiles à développer et que les pays de l’Asie orientale ont été exceptionnellement chanceux d’en avoir hérité des périodes précédentes. Cependant, une bureaucratie de haute qualité peut se développer assez rapidement, comme le montrent les exemples de la Corée du Sud et de Taïwan. Quatrièmement, les politiques comprennent également un aspect d’« apprentissage sur le tas ». Si vous n’« essayez » pas, vous ne maîtriserez jamais les politiques difficiles. Et finalement, le fait que quelque chose soit « difficile » n’est pas une raison pour ne pas le recommander. Après tout, on répète aux pays en développement d’adopter des institutions de « meilleures pratiques » ou de « normes internationales » utilisées par les pays les plus riches, même s’il semble évident que nombre d’entre eux ne possèdent pas les capacités pour gérer de telles institutions. Pour être davantage productif, plutôt que de déplorer le manque de capacités bureaucratiques des pays en développement, nous devons discuter davantage de la manière de les améliorer.

monde des politiques sous

Mesure des performances

« Nous avons besoin de bureaucrates capables afin de concevoir et de mettre en œuvre de bonnes politiques. Cependant, ce point sensible

la forme de l'avertissement « ne tentez pas de le faire chez vous » que l'on peut voir à la télévision lors de cascades dangereuses »

Les performances deviennent difficiles à mesurer, surtout lorsqu’une politique industrielle est globale, car quasiment tous les prix sont « déformés » et sont également sujets à des manipulations. Mais plutôt que de discuter quant à savoir s’il est possible de définir et de mettre en œuvre des cibles de performance efficaces (ce qui l’est certainement), nous aimerions nous concentrer sur des questions telles que : l quels sont les indicateurs de performance à utiliser et pour quels secteurs ? l comment pouvons-nous définir des cibles de performance crédibles sans devenir trop rigides à leur sujet ? l comment le gouvernement peut-il être à l’écoute du secteur privé sans lui être redevable ? et l comment devons-nous agir à long terme, mais non sur une période illimitée ?

Politique industrielle d’exportation Les exportations jouent un rôle critique dans la gestion de la politique industrielle des pays en développement. Pour parler franchement, le développement économique est impossible sans de bonnes performances à l’exportation. Le développement économique nécessite l’importation de technologies avancées, lesquelles doivent être payées avec des devises étrangères, lesquelles à leur tour doivent être acquises, essentiellement au moyen d’exportations. Maintenant, affirmer que les exportations sont la clé du développement économique ne signifie pas que les pays en développement doivent adopter le libre-échange. Le succès des exportations nécessite une politique industrielle importante, même pour les secteurs qui se conforment aux avantages comparatifs, car les marchés d’exportation ont des coûts d’entrée fixes élevés, que les sociétés et les exploitants agricoles les plus modestes ne peuvent pas supporter. Des subventions directes à l’exportation peuvent décaler les coûts d’entrée, mais celles-ci sont désormais interdites par l’OMC,

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sauf pour les PVD, de sorte que l’aide doit emprunter des canaux différents. Elle peut comprendre une aide d’étatisation du commerce, des schémas de partage du risque, des initiatives visant à aider les petits exportateurs à satisfaire aux normes de qualité et des politiques visant à aider les coopératives parmi les exportateurs. À la longue, si un pays doit continuer sur la dynamique de ses réussites à l’exportation, il n’est pas suffisant de compter sur ses secteurs qui se conforment aux avantages comparatifs. Tôt ou tard, il devra mettre à niveau ces secteurs d’exportation en secteurs défiant les avantages comparatifs, ce qui nécessite une politique industrielle encore plus forte. Nous devons quitter le débat stérile sur l’ouverture et la croissance, et explorer la manière dont le libre-échange, la promotion des exportations (ce qui, bien évidemment, n’est pas du libre-échange) et la protection des secteurs naissants peuvent être intégrés les uns aux autres.

Modification de l’environnement international De nombreuses personnes soutiennent que les récents changements au niveau de l’environnement commercial international (tels que l’importance montante des IDE et la concentration industrielle croissante) et les changements au niveau du commerce international et des règles d’investissement ont rendu quasiment impossible la mise en œuvre d’une politique industrielle. Il est vrai que la gamme des mesures de politique industrielle que peuvent utiliser les pays en développement s’est considérablement réduite par rapport à l’âge d’or de la politique industrielle des années 60 et 70. Cependant, il existe encore une marge de manœuvre pour les pays suffisamment doués et déterminés. En outre, et surtout dans le contexte de la récente crise financière internationale, le paysage commercial international peut changer de manière importante, ouvrant des possibilités inattendues permettant de progresser ou de traverser des chaînes de valeurs internationales, pour au moins certains des pays en développement. En ce qui concerne les règles internationales du commerce et de l’investissement, ce n’est pas comme s’il s’agissait de lois inaltérables de la nature. Elles peuvent, et doivent être, modifiées si nécessaire. Bien sûr, l’espace des politiques est en pratique soumis à de fortes contraintes par les conditions liées aux aides et aux emprunts bilatéraux et multilatéraux et aux accords de commerce et d’investissement bilatéraux et régionaux, lesquels sont plus restrictifs que l’OMC. Cela dit, je voudrais dire que, dans la mesure où il s’agit de règles établies par des hommes, nous pouvons les modifier si nous nous accordons sur le fait qu’elles doivent l’être.

« Le paysage commercial international peut changer de manière importante, ouvrant des possibilités inattendues permettant de progresser ou de traverser des chaînes de valeurs internationales, pour au moins certains des pays en développement »

Conclusion Mon principal objectif ici est de plaider pour une « pensée hors des sentiers battus » et de rechercher un terrain d’entente pour les personnes situées de chaque côté du débat relatif aux politiques industrielles. Je pense que, une fois que les adversaires auront renoncé à être aux premières loges et se concentreront sur davantage de problèmes pratiques, il y aura davantage de vastes et fertiles terrains d’entente à explorer.

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Avec la mondialisation croissante du commerce, des technologies et des compétences d’une part, et des économies nationales de plus en plus interdépendantes d’autre part, DEBORAH WINCE-SMITH croit que le monde a besoin de partenariats stratégiques dynamiques pour stimuler la croissance économique, le développement et l’emploi.

LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EST VITALE POUR LA PROSPÉRITÉ NATIONALE En 1986, lorsque les producteurs des ÉtatsUnis perdaient leur part de marché mondiale en faveur des Japonais, le PDG de HewlettPackard à cette époque, John Young, a alors créé le US Council on Competitiveness afin de réunir les dirigeants du secteur privé pour développer et promouvoir un programme de compétitivité nationale pour les États-Unis. Cette idée a trouvé un écho parmi les PDG américains, les présidents d’université et les dirigeants syndicaux, et les 150 membres du Council fêteront son 25ème anniversaire l’année prochaine. En l’espace d’un quart de siècle, les défis économiques auxquels sont confrontés les États-Unis ont évolué, à l’instar des acteurs de l’économie mondiale. En réalité, la nature même de ce que signifie la concurrence sur le marché mondial a évolué. Des bouleversements remodèlent radicalement le paysage concurrentiel. Toute personne qui possède un iPhone ou un Blackberry, ou utilise Internet, sait que la révolution numérique est une force de changement monumentale. Elle alimente une intégration sans précédent des économies nationales à travers le monde. L’incroyable prolifération des télécommunications de pointe signifie que la connaissance, l’information, les capitaux et le savoir-faire technologique circulent à travers les frontières nationales à la vitesse de la lumière. Grâce aux appareils sans fil, chaque endroit devient un lieu de travail potentiel. Auparavant contraints par leur taille et leurs DEBORAH WINCE-SMITH est présidente et PDG du US Council on Competitiveness

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ressources, les entrepreneurs et les petites entreprises peuvent maintenant entrer en contact avec des employés et des clients au niveau mondial.

Les économies émergentes L’avancée rapide des économies émergentes est un autre changement transformationnel. Il y a à peine 20 ans, la Chine, l’Inde et d’autres économies émergentes auraient seulement été de taille à concurrencer les autres nations sur les marchés des produits de base, évoluant lentement sur l’échelle du développement économique. Ce modèle s’est effondré depuis. En une seule génération, les parts des économies émergentes dans les importations et les exportations mondiales et les investissements directs étrangers ont presque doublé. Mais il ne s’agit pas de se demander seulement si les économies émergentes se développent de plus en plus, il s’agit plutôt de savoir comment elles se développent. Le rôle central de l’innovation dans la création de richesse nationale, associé à une progression du niveau de vie, a incité de nombreux pays à adopter des stratégies de croissance fondées sur l’innovation similaires à celles des États-Unis. À travers le monde, des gouvernements augmentent les dépenses publiques en recherche et développement (R&D), construisent des parcs de recherche et des centres d’innovation, et renforcent la formation de scientifiques et d’ingénieurs. Les entreprises multinationales ayant évolué pour devenir des entreprises véritablement mondiales, un autre changement fondamental concerne le commerce international. Il y a vingt ans, le commerce se limitait la plupart du temps

aux biens qui se déplaçaient physiquement à travers les frontières nationales. Mais à l’heure actuelle, la couverture géographique des chaînes d’approvisionnement est devenue mondiale. Par exemple, les entreprises américaines développent de plus en plus de produits et services, et servent leurs clients par le biais de filiales étrangères et d’entreprises commerciales étrangères. En réalité, les ventes des filiales étrangères des sociétés américaines sont plus de trois fois supérieures aux exportations américaines de biens et services. Compte tenu de ces données, nous devons nous demander quelle est la signification d’un déficit commercial.

Une main-d’œuvre mondiale La transformation finale est la croissance de la population active mondiale. Avec l’entrée de milliards de personnes des économies émergentes dans le commerce mondial, l’offre de travail effective mondiale a quadruplé entre 1980 et 2005, avec l’augmentation la plus importante après 1990. Une multitude de gens instruits et qualifiés issus des économies émergentes sont en concurrence sur le marché du travail mondial. Les effets concrets de cette tendance : chaque jour, il est plus facile d’expédier du travail dans le monde entier en bits et en octets. Par conséquent, les entreprises externalisent une variété de tâches toujours plus large, allant du développement de logiciels à la recherche, en passant par la comptabilité. Si le travail est routinier, fondé sur des règles et s’il peut être numérisé, alors il existe une source de travail à faible coût quelque part dans le monde prête à rivaliser pour obtenir ce travail et ces missions.


36%

35% Part des économies émergentes par rapport au total mondial

30% 25%

23% 19%

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1986 2005

1986 2005

1986 2005

1986 2005

1986 2005

Produit intérieur brut

Exportations

Importations

Consommation d’énergie

Investissements directs étrangers

10% 5% 0%

Bien que l’impact de ces transformations soit global, chaque pays cherche à identifier des politiques qui serviront ses intérêts nationaux et soutiendront la prospérité nationale. Mais en raison de la nature mondiale du commerce, des technologies et des compétences, et parce que les économies mondiales sont de plus en plus liées les unes aux autres, ces politiques ne peuvent pas être adoptées hors de tout contexte. Depuis que le US Council on Competitiveness a convoqué la première réunion de la Global

l L’identification des défis et des obstacles émergents qui compromettent la compétitivité nationale, la croissance mondiale et la prospérité grâce à la collaboration des dirigeants des conseils de la compétitivité à travers le monde. l L’établissement d’un modèle de coopération mondiale pour la compétitivité qui soutienne la prospérité nationale fondée sur l’innovation, la croissance et le développement économiques durables.

Federation of Competitiveness Councils (GFCC) à Washington, D.C. en septembre 2009, des progrès énormes ont été accomplis vers le développement d’une meilleure compréhension des questions économiques et de compétitivité au niveau mondial. Les huit membres fondateurs de la GFCC sont : le Brésil, le Chili, l’Égypte, l’Inde, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, la République de Corée et les États-Unis, qui ont engagé leur temps et leurs ressources afin d’assurer une base solide pour la nouvelle organisation. Les objectifs principaux de la GFCC comprennent : l La création d’un dialogue permanent entre les dirigeants des conseils de la compétitivité à travers le monde qui se sont engagés pour assurer leur prospérité nationale et la prospérité du monde. l L’établissement d’un forum mondial pour l’échange d’informations, d’idées et de meilleures pratiques entre les conseils de la compétitivité pour promouvoir la compétitivité nationale et ainsi promouvoir la croissance économique mondiale.

« Mais en raison de la nature mondiale du commerce, des technologies et des compétences, et parce que les économies mondiales sont de plus en plus liées les unes aux autres, ces politiques ne peuvent pas être adoptées hors de tout contexte ».

Les initiatives politiques En 2010, la GFCC poursuivra deux initiatives politiques révolutionnaires : l’élaboration d’un ensemble de principes de compétitivité mondiale et un examen des mesures de compétitivité actuelles utilisées dans les classements nationaux. Conçus sur le modèle de l’« Appel à l’action » mondial édité à l’occasion du Council on Competitiveness National

Energy Security, Innovation and Sustainability Summit and International Dialogue l’an dernier, les principes de compétitivité seront un outil précieux pour développer la compréhension globale des facteurs qui influent sur la compétitivité nationale dans une économie mondialisée. Pilotée par le Presidential Council on National Competitiveness de la République de Corée, l’initiative visant à réviser la liste actuelle des indicateurs de compétitivité s’appuie sur une discussion entamée lors de la réunion de la GFCC en septembre 2009. Lors de cette réunion, les participants ont demandé si les mesures adaptées étaient utilisées, et quels nouveaux indicateurs devraient être envisagés pour évaluer adéquatement la compétitivité d’un pays. Partout à travers le monde se développe une convergence croissante vers les intérêts nationaux affectés par la conjoncture économique mondiale. L’interdépendance croissante entre les nations offre une occasion idéale pour dépasser l’engagement statique et viser des partenariats stratégiques mondiaux dynamiques qui stimuleront la croissance économique, le développement et l’emploi. n

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Après avoir assisté à la disparition du « deuxième monde » en 1989, lors de la chute du communisme, nous avons observé en 2009 la fin de ce que l’on appelait le « tiers monde » : nous vivons maintenant dans une nouvelle économie mondiale multipolaire qui évolue rapidement, où le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest ont cessé d’être l’expression d’un destin économique pour ne plus être que des points cardinaux sur une boussole. La pauvreté continue de sévir et doit être combattue. Les États défaillants existent toujours et doivent être pris en compte. Les défis mondiaux s’intensifient et doivent être relevés. Toutefois, nous devons aborder ces questions dans une optique différente. Les notions désuètes de pays développés et de tiers monde, de donateurs et de demandeurs, de leaders et de suiveurs ne correspondent plus à la réalité. Aujourd’hui, nous constatons déjà les limites du multilatéralisme. Le cycle de négociations mondiales de Doha et les discours sur les changements climatiques à Copenhague ont révélé à quel point il était difficile de partager les responsabilités et les bénéfices mutuels entre les pays développés et les pays en voie de développement. Et cela vaut pour un grand nombre de défis qui se profilent à l’horizon : l’eau,

les maladies, les migrations, la démographie et les États fragiles et sortant de conflits. Il n’est plus possible de résoudre d’importants problèmes internationaux sans développer la coopération entre les pays. Au moment où nous considérons le G-20 comme un nouveau forum, nous devons prendre garde de ne pas imposer une nouvelle hiérarchie rigide au monde. Nous ne pouvons pas non plus aborder ce monde en pleine évolution à travers le prisme de l’ancien G-7 ; les pays développés, aussi bien intentionnés soient-ils, ne peuvent pas représenter le point de vue des économies émergentes.

Pouvoir et responsabilité Mais pour moderniser le multilatéralisme, il ne suffit pas que les pays développés apprennent à s’adapter aux besoins des puissances émergentes. Le pouvoir confère des responsabilités. Les pays en développement doivent reconnaître qu’ils font aujourd’hui partie de l’architecture mondiale et qu’ils ont tout à gagner d’un multilatéralisme salutaire. Le statu quo géopolitique n’est pas une option viable. La « nouvelle géopolitique de l’économie multipolaire » doit répartir les responsabilités tout en tenant compte de la diversité des

perspectives et des circonstances, afin de promouvoir les intérêts communs. Prenons l’exemple de la réforme financière : il est bien entendu nécessaire d’améliorer la réglementation financière. Mais méfions-nous des conséquences indésirables telles que le protectionnisme financier. Les réglementations élaborées à Bruxelles, Londres, Paris ou Washington peuvent donner de bons résultats dans le cas des grandes banques, mais pourraient stopper la croissance et les opportunités économiques dans les pays en voie de développement. Wall Street a mis en évidence les dangers de l’imprudence financière et nous devons en tenir compte et prendre des mesures énergiques. Mais l’innovation financière, lorsqu’elle est utilisée et supervisée avec prudence, engendre des gains d’efficacité et protège contre les risques, y compris pour le développement. Le prisme populiste du G-7 risquerait de priver d’opportunités des milliards d’êtres humains. Prenons l’exemple du changement climatique : il peut aller de pair avec le développement et gagner le soutien des pays en développement pour une croissance faible en carbone, mais à condition cela ne leur lie pas les mains. Les pays en développement ont besoin d’aide et de moyens

Foto: World Bank

Le statu quo géopolitique n’est pas une option viable. ROBERT ZOELLICK, président du Groupe de la Banque mondiale, constate que les décisions et les sources d'influence existent en dehors de la sphère gouvernementale.

Moderniser le multilatéralisme pour un monde multipolaire 32 MakingIt


Perspectives des pays en développement Prenons la réponse à la crise : dans un monde en transition, le danger est que les pays développés privilégient les sommets consacrés aux systèmes financiers ou qu’ils se focalisent sur les problèmes de gestion de pays développés comme la Grèce. Les pays en développement ont besoin de sommets consacrés aux pauvres. Écouter les problèmes des pays en développement n’est plus une simple question de charité ou de solidarité : il y va de notre propre intérêt. Ces pays sont aujourd’hui des moteurs de croissance et des importateurs de biens d’équipement et de services produits par les pays

développés. Les pays en développement ne veulent pas débattre uniquement du niveau élevé de la dette dans les pays développés ; ils veulent que la réflexion porte sur des investissements productifs dans l’infrastructure et le développement du jeune enfant. Ils veulent avoir libre accès aux marchés pour créer des emplois, améliorer la productivité et accélérer la croissance. Ce nouveau monde requiert des institutions multilatérales rapides, flexibles et responsables, capables de mobiliser les ressources nécessaires pour donner la parole à ceux qui ne peuvent faire entendre leur voix. Pour les aider à jouer ce rôle, le Groupe de la Banque mondiale doit évoluer. Et il doit le faire à un rythme toujours plus rapide. C’est pourquoi nous avons lancé les réformes les plus ambitieuses de toute l’histoire de notre institution, notamment l’encouragement du droit de vote et de la représentation des pays en développement. Mais pour résoudre des problèmes, il faut des ressources. La Banque mondiale a besoin de davantage de ressources pour soutenir la reprise de la croissance et faire du multilatéralisme moderne une réalité dans cette nouvelle économie mondiale multipolaire. Si cette reprise s’essouffle, nous ne pourrons pas intervenir. C’est pourquoi la Banque mondiale,

pour la première fois en plus de 20 ans, cherche à augmenter son capital.

Multilatéralisme moderne Dans la nouvelle économie mondiale multipolaire, l’autorité gouvernementale relève encore pour l’essentiel des États-nations Mais de nombreuses décision et sources d’influence existent en dehors de la sphère gouvernementale. Le multilatéralisme moderne doit faire intervenir de nouveaux acteurs, promouvoir la coopération entre anciens et nouveaux intervenants et mobiliser les institutions mondiales et régionales pour faire face aux menaces et saisir les opportunités qui dépassent les capacités des États individuels. Le multilatéralisme moderne ne sera pas un système hiérarchique mais ressemblera davantage au maillage souple d’Internet, qui relie de plus en plus de pays, d’entreprises, d’individus et d’ONG dans un réseau flexible. Des institutions multilatérales légitimes et efficaces, telles que le Groupe de la Banque mondiale, peuvent former un tissu d’interconnexion qui viendra étoffer la structure de ce système multipolaire dynamique. Nous devons soutenir l’émergence de plusieurs pôles de croissance qui profitent à tous. n

Image: Feng Yu/istock

financiers pour investir dans une croissance plus propre. Pas moins de 1,6 milliard de personnes sont privées d’accès à l’électricité. Bien que nous devions protéger l’environnement, nous ne pouvons condamner les enfants africains à faire leurs devoirs à la lueur d’une chandelle ou priver les travailleurs africains de possibilités d’emploi dans le secteur manufacturier. Le défi est de soutenir les transitions vers des énergies plus propres sans compromettre l’accès, la productivité et la croissance nécessaires pour arracher des centaines de millions de personnes à la pauvreté.

MakingIt 33


ZOOM SUR UN PAYS

la Chine

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Image: Alex Nikada/istock

L’impressionnant essor économique de la

Chine Shanghai : modèle de la puissance économique qui se développe le plus rapidement.

En tout juste trois décennies, soit depuis le début de sa politique de réforme et d’ouverture, la Chine a connu un formidable succès économique. Le Produit intérieur brut a enregistré une croissance d’environ 10 % par an depuis la fin des années 1970, ce qui a permis de sortir plusieurs centaines de millions de personnes de la pauvreté absolue. La Chine représente à elle seule plus de 75 % de la diminution de la pauvreté qu’ont connue les pays en développement au cours de ces 20 dernières années. L’essor de ce pays, qui est à présent la troisième plus grande économie au monde, remonte à la fin des années 1970, lorsque les dirigeants du pays ont adopté des politiques de réforme économique conçues pour accroître les revenus et les subventions accordées au milieu rural, encourager les expérimentations en matière d’autonomie des entreprises, diminuer la planification centralisée et encourager les investissements directs à l’étranger. La stratégie employée pour atteindre ces objectifs a été surnommée le « socialisme aux caractéristiques chinoises ». À l’échelle locale, les paysans furent autorisés à obtenir des revenus complémentaires en vendant le produit de leurs propres parcelles sur le marché libre. Au niveau national, l’avancée vers une économie de marché a permis à des municipalités locales et à des provinces d’investir dans les secteurs d’activité qu’elles considéraient comme les plus rentables, ce qui a favorisé les investissements dans l’industrie légère. La stratégie de développement de la Chine a cessé de mettre l’accent sur l’agriculture pour le placer sur

l’industrie légère et la croissance tournée vers l’export. Le développement du secteur de la production industrielle légère s’est avéré vital pour un pays en développement travaillant avec relativement peu de capital. Les revenus générés par ce secteur ont été réinvestis dans une production plus perfectionnée sur le plan technologique, dans les dépenses en capital et dans les investissements. Le boom économique chinois est fondé sur de très hauts niveaux d’investissement et, ces dernières années, sur une forte croissance des exportations. L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001 a servi d’élément déclencheur au recul du secteur public, à l’augmentation des investissements étrangers et à la croissance explosive des activités du secteur privé. Aujourd’hui, le pays est l’un des plus grands exportateurs au monde et attire des montants record d’investissements étrangers. En retour, il investit des milliards de dollars à l’étranger. En tant que membre de l’Organisation mondiale du commerce, la Chine bénéficie d’un accès aux marchés étrangers et accepte de s’exposer à la concurrence étrangère. Les relations de la Chine avec ses partenaires commerciaux ont été tendues en raison de l’énorme excédent commercial du pays, qui a mené Pékin à demander que la valeur de sa monnaie soit réévaluée à la hausse, afin d’augmenter le prix des produits chinois pour les acheteurs étrangers. Au début des années 1990, le secteur industriel chinois se caractérisait par la production ‰

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ZOOM SUR UN PAYS

la Chine ‰ d’assemblage de biens de faible technicité, mais ce n’est plus le cas à présent. La politique industrielle de la Chine est passée du développement d’une industrie de maind’œuvre, pendant les deux premières décennies de la réforme, lorsque la compétitivité du pays sur le plan de l’industrie de main-d’œuvre tournée vers l’export était à son paroxysme, à une industrie capitalistique et high-tech. Bien que certains secteurs comme celui du textile représentent encore une grande part de la production manufacturière, une importante part de la production à valeur ajoutée provient à présent des produits électroniques, relativement modernes. La Chine est aujourd’hui un important producteur et, dans certains cas, un leader mondial, comme dans les secteurs de la téléphonie mobile, des circuits intégrés et de l’automobile. La rapide croissance économique a suscité une plus grande demande énergétique. La Chine est le plus grand consommateur de pétrole derrière les États-Unis et le premier producteur et consommateur de charbon au monde. Cette dépendance considérable vis-à-vis des importations de pétrole et de charbon, ainsi que les conséquences environnementales liées à l’augmentation massive de l’utilisation de combustibles fossiles, ont incité le gouvernement à favoriser les énergies propres. Selon les estimations de Bloomberg New Energy Finance, la Chine a dépensé 34,6 milliards d’USD en 2009 en projets de combustibles propres, soit presque le double du montant investi par les États-Unis. Les prix de rachat garanti pour l’énergie éolienne ont été fixés l’an dernier et le gouvernement a également proposé des primes aux compagnies électriques afin qu’elles installent des panneaux solaires. L’objectif de la Chine est de produire en énergies renouvelables, d’ici à 2020, l’équivalent de 700 millions de tonnes de charbon, soit 15 % de son énergie totale. Le gouvernement souhaite, d’ici à 2020, réduire de 45 % les émissions de carbone par unité de produit intérieur brut par rapport aux niveaux de 2005 ; en outre, la première usine commerciale de capture et de stockage du carbone devrait être opérationnelle d’ici la fin de l’année. n

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Entretien avec Son Excellence CHEN DEMING, Ministre du Commerce de la République populaire de Chine

S’implanterrapidement sur le marché mondial La Chine a réalisé d’impressionnantes performances économiques au cours des trois dernières décennies. Selon vous, quelles ont été les clés de ce succès ? La clé de l’extraordinaire succès économique de la Chine est sans conteste son attachement ferme au socialisme aux caractéristiques chinoises et à sa politique de « réforme et d’ouverture » sur le monde qui l’entoure. L’économie de marché socialiste est née en Chine, où le secteur privé représente aujourd’hui environ 60 % du PIB du pays et plus de 70 % des créations d’emploi dans les villes et les communes […]. La Chine ne s’est jamais écartée de sa stratégie d’ouverture pour s’implanter rapidement sur le marché mondial, notamment en établissant des zones économiques spéciales afin de désenclaver des régions côtières, frontalières et intérieures et en attirant, à grande échelle, des capitaux, des technologies et des talents. L’avancée immuable des réformes a permis d’augmenter considérablement la productivité, d’instaurer un cadre institutionnel, en constante amélioration, pour la politique d’ouverture et de promouvoir efficacement le développement d’une économie tournée vers l’extérieur […]. La compétitivité de la Chine s’est considérablement améliorée grâce à son utilisation efficace des ressources et des marchés nationaux et internationaux, à sa participation active à la division internationale du travail, au renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle et au soutien apporté à l’innovation. Prenons comme exemple le développement industriel déterminé par le processus d’ouverture : la part du secteur industriel à valeur ajoutée chinois par rapport au secteur industriel mondial était de moins de 1,5 % en 1980 et elle est passée à 14 % en 2007. En 2008, la Chine est devenue le plus gros producteur dans 172 catégories de produits manufacturés, rapportant plus de mille milliards d’USD en industrie à valeur ajoutée, et est devenue le deuxième plus gros exportateur de biens manufacturés au monde. La politique de réforme et d’ouverture est une politique d’État que la Chine doit faire perdurer. Grâce à la réforme et l’ouverture, l’environnement chinois des échanges et des

investissements va continuer à s’améliorer et aussi bien la Chine que le reste du monde y trouveront leur compte. La Chine ne fermera pas ses portes uniquement pour des raisons de protectionnisme et demeurera l’une des destinations les plus attractives pour les investisseurs. Comment la Chine est-elle parvenue à maîtriser la crise et la récession économique mondiale ? Lorsqu’il a dû faire face aux défis soulevés par la crise la plus grave qu’il ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement chinois a rapidement réorienté sa politique macroéconomique en donnant la priorité au maintien d’une croissance économique régulière et rapide et en tentant de dynamiser la demande nationale. Une politique fiscale proactive et une politique monétaire modérée ont été instaurées dans le but d’intensifier les investissements et la croissance, de stimuler la consommation pour le bien-être de la population et de dynamiser l’emploi pour créer une certaine stabilité. Un ensemble de contre-mesures ont été mises en œuvre pour lutter contre la crise : Tout d’abord, dans le but de dynamiser la demande intérieure, les dépenses budgétaires ont été augmentées pour encourager les investissements privés. Un plan d’investissement a été établi sur deux ans, d’une valeur de 4 000 milliards de renminbi (Rmb), soit 14 % du PIB de la Chine en 2008. Une baisse des impôts d’un montant de 550 milliards de Rmb a été décidée pour relancer les investissements et la consommation. Le commerce a été revigoré et la consommation des ménages stimulée par le biais d’un certain nombre de mesures, notamment en accordant des primes pour le remplacement d’anciennes voitures ou d’appareils électroménagers et en promouvant, entre autre, l’automobile, les appareils électroménagers et les machines agricoles dans les campagnes. Deuxièmement, pour stabiliser les marchés financier, le taux d’intérêt a été revu à la baisse cinq fois d’affilée, ce qui a permis de libérer environ 800 milliards de Rmb de liquidités. Par ailleurs, l’agriculture et les petites et moyennes entreprises ont bénéficié d’un soutien financier plus important.


Troisièmement, pour revitaliser l’industrie, des plans ont été établis pour dix secteurs industriels clés, dont l’automobile et la sidérurgie, en vue de promouvoir la restructuration et la modernisation de l’industrie. Quatrièmement, afin de stimuler l’innovation technologique, un Programme National pour le Développement Technologique et Scientifique à moyen et long terme a été mis en place ; il met un accent tout particulier sur 16 projets majeurs, notamment l’intégration d’appareils électroniques centraux, le développement et l’utilisation de l’énergie nucléaire et l’utilisation de machines-outils à contrôle numérique avancées. Le développement des industries émergentes, telles que les nouvelles énergies et la protection de l’environnement, a été mis en avant. Cinquièmement, pour assurer le bien-être de la population, 850 milliards de Rmb vont être investis dans la réforme du système médical et de santé sur trois ans ; un programme d’assurance médicale en milieu rural, qui concernerait 90 millions de personnes, a été introduit à titre expérimental ; et un soutien financier a été fourni pour l’emploi des diplômés et des travailleurs migrants en milieu rural. Outre l’augmentation de la demande intérieure, le gouvernement chinois a également stabilisé la demande des marchés étrangers, en conservant la valeur du Renminbi et en améliorant la facilitation du commerce. En 2009, les effets préliminaires de ces politiques (le PIB a augmenté de 8,7 %, les recettes fiscales de 11,7 % et 11,2 millions d’emplois ont été créés dans les zones urbaines) indiquent que l’économie chinoise se porte de mieux en mieux et qu’elle contribue largement à la reprise de l’économie mondiale. En termes de développement économique futur, quels sont les défis et les difficultés qui attendent la Chine et comment seront-ils abordés ? Bien que la Chine soit l’un des premiers pays au monde à rebondir, elle connaît encore quelques problèmes profonds. Ce sont principalement les problèmes suivants : les revenus des ménages ne représentent qu’une petite part du revenu intérieur et les consommateurs ne se situent pas dans un élan d’achat ; certains secteurs industriels disposent d’une capacité trop importante, ils utilisent trop de ressources énergétiques et causent de sérieux dégâts à l’environnement ; le niveau d’urbanisation reste bas, l’économie rurale est vulnérable et le développement des entreprises sociales est faible, avec notamment une contribution insuffisante dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et de l’administration sociale. La clé pour aborder ces défis et ces difficultés et pour conserver un développement économique régulier et rapide, réside dans la transformation du modèle de croissance économique. Cette transformation permettra d’atténuer l’étranglement systématique et structurel contraignant le bon développement économique de la Chine, de booster le

« Le gouvernement chinois est prêt à renforcer sa coopération et à partager son expérience et ses opportunités de développement avec d’autres pays... » dynamisme endogène et la durabilité de l’économie et de mener à bien un développement complet, équilibré et durable. En premier lieu, nous devons accélérer la restructuration industrielle. De gros efforts seront réalisés afin de faire progresser la modernisation technologique des industries traditionnelles et afin d’encourager les entreprises à utiliser de nouvelles technologies, de nouvelles techniques et de nouveaux équipements. Une nouvelle croissance économique sera encouragée, axée sur les industries stratégiques et émergentes. Des systèmes industriels émettant peu de CO2 seront conçus dans le cadre de l’effort mené pour économiser l’énergie et réduire les émissions. Le développement du secteur tertiaire, en particulier des services à la production des entreprises et des services quotidiens à la personne, sera accéléré pour tenter de tirer le meilleur parti du rôle du secteur dans la création d’emplois. En second lieu, nous devons susciter la consommation des ménages. Les efforts visant à ajuster la distribution des revenus nationaux seront renforcés, afin d’augmenter la rémunération des travailleurs en milieu urbain et rural, d’améliorer le pouvoir d’achat de la population et de tirer profit du rôle que la consommation joue auprès de la production. En troisième lieu, nous devons prêter davantage d’attention aux projets relatifs aux moyens de subsistance. Une politique d’emploi plus proactive sera mise en place afin de créer davantage d’emplois et de développer le travail de toutes les manières possibles. Le

perfectionnement du système de sécurité sociale couvrant à la fois les régions urbaines et rurales sera accéléré, les investissements dans les services sociaux pour l’assistance publique seront encouragés et le réseau de sécurité sociale sera amélioré. En quatrième lieu, nous devons continuer à nous ouvrir davantage au monde extérieur. Des efforts seront réalisés pour développer le commerce extérieur en continu. La physionomie des exportations sera optimisée, les importations augmentées et le régime de perfectionnement sera transformé et modernisé. Les directives d’utilisation des investissements directs à l’étranger (IDE) seront respectées et la structure d’utilisation des IDE sera optimisée. Nous encouragerons les IDE à jouer un rôle plus important dans la construction de l’économie. La mise en œuvre de la stratégie « d’implantation mondiale » sera accélérée et nous encouragerons les entreprises à développer une coopération économique internationale. Les relations économiques et commerciales multilatérales et bilatérales seront approfondies pour un soutien mutuel, des opportunités gagnant-gagnant et un développement partagé avec d’autres pays. Pour conclure, je souhaite souligner que le fait d’accélérer la transformation du modèle de croissance économique constitue une profonde révolution qui doit être explorée et qui doit progresser de manière pragmatique. Le gouvernement chinois est prêt à renforcer sa coopération et à partager son expérience et ses opportunités de développement avec d’autres pays, afin de contribuer à une meilleure stabilité et à une plus grande prospérité dans le monde. n

MakingIt 37


Les approches conventionnelles n'ont pas su fournir une croissance rapide et une stabilité économique. Jomo Kwame Sundaram pense que les gouvernements doivent jouer un rôle sur le plan du développement.

Repenser la réduction de la

pauvreté $$$$$$$$$$$ « Les 40 % les plus pauvres de la population mondiale représentent seulement 5 % des revenus mondiaux » 38 MakingIt

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture annonçait l’année dernière que le nombre de personnes souffrant de famine dans le monde avait augmenté depuis dix ans. En 2008, la Banque Mondiale avait annoncé un recul significatif du nombre de pauvres jusqu’en 2005. Mais si la pauvreté se définit principalement en termes des revenus financiers nécessaires pour éviter la faim, comment peut-on réconcilier ces deux annonces ? Selon le fameux critère du « tant de dollars par jour » de la Banque Mondiale pour définir le seuil de pauvreté, fixé en 2008 à 1,25 dollar par jour en prix de 2005, 1,4 milliard de personnes vivent encore dans la pauvreté ; ce chiffre, qui était de 1,9 milliard en 1981 est donc en diminution. Cependant, même si la Chine a largement contribué à cette diminution, il n’en reste pas moins que la planète comptait au moins 100 millions de pauvres supplémentaires, sans compter la Chine, en 2005 par rapport à 1981. Dans l’Afrique sub-saharienne et dans certaines parties de l’Asie, la pauvreté et la faim demeurent toujours aussi élevées. Les agences

internationales estiment que plus de 100 millions de personnes ont sombré dans la pauvreté en conséquence de la hausse des prix de l’alimentation en 2007 et 2008 et évaluent que la crise financière et économique aura contribué à appauvrir 200 millions de personnes supplémentaires en 2008-2009. La relance de l’emploi freinée par ce déclin économique reste un défi majeur pour la réduction de la pauvreté dans les années à venir. Pendant ce temps, les controverses autour du mode de mesure du seuil de pauvreté continuent de jeter un doute sur les progrès actuels. La situation pourrait être bien pire que ne le suggère le calcul basé sur les moyens financiers si l’on doit considérer les critères adoptés par le Sommet social de 1995 qui élargit la définition de la pauvreté en y intégrant la privation, l’exclusion sociale et le manque de participation. Les inégalités semblent être en augmentation au niveau international ces dernières années et dans la plupart des pays. Plus de 80 % de la population mondiale vit dans des pays où les écarts de revenus sont de plus en plus importants. Seuls 5 % des revenus mondiaux sont assurés par 40 % des plus pauvres alors que

JOMO KWAME SUNDARAM est Sous-Secrétaire général des Nations Unies pour le développement économique.


75 % des revenus sont produits par 20 % des plus riches. Ces chiffres mitigés de la réduction de la pauvreté obligent à réfléchir à la question de l’efficacité des approches conventionnelles. Des pays se sont vus conseiller d’abandonner leurs stratégies de développement national au profit de la mondialisation, de la libéralisation du marché et des privatisations. Au lieu de produire une croissance rapide durable et une stabilité économique, ces politiques ont rendu ces pays plus vulnérables au pouvoir des riches et aux caprices de la finance internationale et de l’instabilité mondiale, bien plus fréquente et sévère à cause de la dérégulation. La plus importante leçon à tirer est la nécessité impérative d’une croissance rapide durable et des transformations économiques structurelles. Les gouvernements doivent jouer leur rôle dans le développement en mettant en œuvre des politiques intégrées conçues pour soutenir la production intérieure et la relance de l’emploi et pour réduire les inégalités et promouvoir la justice sociale. Une telle approche doit être complétée par des investissements industriels appropriés et des politiques en faveur de la technologie ainsi que des facilités financières incluantes pour permettre cette mise en œuvre. Des capacités de production nouvelles et potentiellement viables doivent être encouragées par des politiques de développement complémentaires. Par contre, l’intervention minime des gouvernements et la dépendance sur le marché ont entraîné une forte baisse des investissements dans les infrastructures, particulièrement dans le secteur agricole. Cela a non seulement freiné la croissance à long terme mais a aussi entraîné une insécurité alimentaire. Les partisans de politiques économiques libérales rappellent souvent la réussite des économies d’Asie de l’Est et de leur industrialisation rapide. Mais aucune de ces économies n’avaient adopté le « tout libéral ». Ces gouvernements ont plutôt joué un rôle de développement en soutenant l’industrialisation, une agriculture et des services à forte valeur ajoutée et en améliorant leurs capacités technologiques et humaines. Les transformations structurelles devraient promouvoir le plein emploi productif ainsi qu’un travail décent, tandis que les gouvernements devraient avoir suffisamment de marge de manœuvre politique et budgétaire

pour leur permettre de jouer un rôle proactif et pour garantir une protection sociale universelle adaptée. Depuis les années 80, la tendance vers une intervention plus réduite des gouvernements a entraîné un divorce entre les politiques sociales et les stratégies globales de développement. Les stratégies nationales de développement économique ont cédé la place à des programmes de donateurs en faveur de la réduction de la pauvreté, tels que l’allocation des terres, le micro crédit et un marketing « bas de la pyramide » à l’intention des pauvres. De telles tentatives n’ont pas permis de réduire la pauvreté de manière significative mais ont tout de même eu des conséquences positives. Le microcrédit, par exemple, a permis à des millions de femmes de se prendre en main et ces programmes ainsi que leur mise en œuvre ont été très révélateurs. Par ailleurs, les programmes sociaux universels ont permis d’améliorer le bien-être humain bien mieux que certains programmes ciblés et sous conditions, alors même que certains des programmes d’aide financière sous condition ont permis d’améliorer de façon significative certains des indicateurs du développement humain. Mais la pauvreté reste malheureusement endémique avec plus d’un milliard de personnes souffrant de la faim chaque jour. Il est urgent d’agir, car l’on estime que la récente crise économique et financière, qui fait suite à la crise des prix de l’alimentaire, a freiné plus encore les progrès sur la réduction de la pauvreté. Il est aussi à craindre que les changements climatiques ne soient une menace supplémentaire pour les conditions de vie des populations pauvres. Le Rapport bisannuel 2010 sur le développement social dans le monde des Nations Unies, intitulé Rethinking Poverty (Repenser la pauvreté), insiste sur la nécessité de réexaminer le mode de mesure de la pauvreté et les efforts en faveur de la réduction de la pauvreté. Pour les pauvres du monde, le « retour aux affaires, comme d’habitude » n’a jamais été une option acceptable. Et les tendances plébiscitées de ces trente dernières années non plus, d’ailleurs. Il ne peut y avoir d’éradication de la pauvreté sans un développement économique durable et équitable que la dérégulation des marchés n’a pas été capable d’apporter. l Copyright: Project Syndicate, 2010. www.project-

syndicate.org

$$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ $$$$$$$$$$$$$$ « Les 20 % les plus riches de la population mondiale représentent 75 % des revenus mondiaux » MakingIt 39


Le Mexique se prépare à accueillir la 16ème Conventioncadre des Nations unies sur le changement climatique (COP16), qui se déroulera du 29 novembre au 10 décembre 2010 à Cancún. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec JUAN RAFAEL ELVIRA QUESADA, le Secrétaire fédéral de l’environnement et des ressources naturelles du pays.

Image: Ronaldo Schemidt/AFP/Getty Images

RENDRE PLUS ÉCOLOGIQUE L’ÉCONOMIE MEXICAINE Militants de la lutte contre le changement climatique faisant campagne contre le réchauffement planétaire, Mexico.

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En décembre 2006, le président Felipe Calderón a nommé Juan Rafael Elvira Quesada à la tête du secrétariat fédéral de l’environnement et des ressources naturelles (Secretaría del Medio Ambiente y Recursos Naturales, SEMARNAT). Fort d’une longue et éminente carrière dans le domaine de la protection environnementale au Mexique, le Secrétaire a également été maire de la ville d’Uruapan dans l’état du Michoacán. À la direction du SEMARNAT, Elvira est chargé de l’extension des zones protégées, du développement forestier, de l’amélioration de l’accès à l’eau potable et du traitement des eaux usées, du développement de l’irrigation et du renforcement des mesures de préservation de l’eau. Il conduit également la réponse du gouvernement mexicain face aux changements climatiques. « Notre objectif principal est de travailler avec la société, car notre réussite dépend en grande partie de son implication et de son inclusion. Nous renforçons nos actions à l’aide d’un enseignement sur les thèmes de l’environnement et d’une puissante politique de mise en conformité avec la loi et de mise en application de celle-ci », explique Elvira. Il ajoute que : « Le gouvernement fédéral applique une politique environnementale dans laquelle les ressources naturelles et la stabilité du climat sont considérées comme des biens publics qui doivent être préservés. » Deuxième puissance économique d’Amérique Latine, le Mexique a été durement frappé par la crise économique mondiale et l’effondrement des échanges internationaux survenus au cours du dernier trimestre 2008 et du premier trimestre 2009. À présent, l’économie du pays commence à se ressaisir, grâce à un sursaut de l’activité économique au second semestre 2009 et un puissant redémarrage début 2010. Lorsqu’on demande à Juan Rafael Elvira

Quesada si le Mexique est engagé à muter vers une ‘économie écologique’, sa réponse est précise : « Pour atteindre un développement durable il faut diriger les investissements vers des technologies propres, des énergies renouvelables, une gestion de l’eau et un traitement des déchets, afin que chaque secteur de l’économie devienne ‘écologique’. Cela comprend la création d’emplois écologiques, parce que l’un des principaux objectifs de cette administration est d’augmenter l’emploi. » Elvira continue : « Rendre l’économie plus écologique signifie reconfigurer les activités et les infrastructures afin de fournir de meilleurs retours sur investissements en capitaux naturels, humains et économiques, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation des ressources naturelles, la production de déchets et les disparités sociales. » Atténuer les changements climatiques est au cœur de la politique nationale de développement du pays. Le Mexique est le plus gros consommateur d’énergies fossiles d’Amérique Latine car la majorité de ses émissions de gaz à effet de serre provient de la production et de la consommation d’énergie. C’est pourquoi, on a introduit en priorité des mesures d’éco-rendement. Selon Elvira, le point crucial est d’améliorer les performances environnementales du secteur industriel. « Nous avons collaboré étroitement avec le secteur industriel afin d’améliorer les performances environnementales : le registre des émissions et transferts de polluants est une base d’informations publique qui évalue les performances du secteur industriel et des autres sources de pollution et qui aide à identifier les opportunités de réduction d’émissions et de transferts, tandis que le Programme d’audit environnemental évalue la conformité des différentes industries avec les lois environnementales et met en application les mesures préventives et correctives. »


« Les investissements doivent être orientés vers des technologies propres, des énergies renouvelables ainsi que vers la gestion de l’eau et le traitement des déchets, afin que chaque secteur de l’économie devienne ‘écologique’. » Juan Rafael Elvira Quesada, responsable de haut rang du ministère de l'environnement du Mexique.

Certaines des industries de production de matériaux de base à grande échelle au Mexique, tels que le fer, l’acier et le béton, sont parmi les plus efficaces au monde. Cependant, une grande partie du secteur industriel du pays est composée de petites et moyennes entreprises avec des intensités énergétiques relativement élevées, utilisant souvent des équipements vétustes et n’ayant pas accès aux connaissances et aux moyens financiers leur permettant de se moderniser. Pour répondre à ces défis, SEMARNAT met en place un Programme de compétitivité du leadership environnemental dans le but d’améliorer la compétitivité des chaînes d’approvisionnement des fournisseurs industriels de petite et moyenne taille à l’aide d’un mécanisme de gestion environnementale centré sur l’éco-rendement. Elvira est enthousiaste quant à l’impact de ce programme. « Les résultats sont très prometteurs : plus de 1,7 million de mètres cubes d’économies d’eau, c’est à dire assez pour alimenter à demeure 3 400 familles ; des économies d’énergie annuelles de 190 millions kW h, soit l’équivalent de l’approvisionnement en électricité de 66 000 foyers ; et des réductions annuelles de presque 198 000 tonnes de CO2 et de 62 000 tonnes de déchets. Les industries participant au projet ont réalisé des économies de presque 69 millions de dollars US. » Quant à l’approvisionnement énergétique, la demande en électricité au Mexique a augmenté plus rapidement que le produit intérieur brut au cours des dernières décennies et va probablement continuer de la sorte dans le futur proche compte tenu d’une augmentation de la consommation associée à la croissance de l’économie. Le développement des énergies renouvelables est une autre stratégie de diminution essentielle. « Nous nous sommes fixés un objectif de 1 957 MW de capacité de

production issu des sources renouvelables, ce qui demandera des investissements du secteur privé d’environ 3 milliard de dollars US », explique Elvira. L’éolien constitue une formidable source d’électricité, en particulier sur l’isthme de Tehuantepec situé au sud-est des Etats de Veracruz et d’Oaxaca où la haute qualité des ressources éoliennes est en mesure de fournir l’énergie éolienne la moins chère au monde. Sous la présidence de Felipe Calderón, le Mexique a fait de nombreux efforts pour devenir une voix prépondérante dans les domaines environnementaux, notamment en organisant de nombreux sommets internationaux sur les changements climatiques et en invitant Al Gore, le gourou du climat, à discuter des dangers de l’inaction. Elvira déclare : « Dans les négociations internationales sur les changements climatiques, le Mexique est considéré comme un des leaders. Nous avons introduit le Fond multinational pour les changements climatiques, connu sous le nom de ‘fond vert’. C’est un système financier qui complète les mécanismes existants et permet de réaliser la Convention sur les changements climatiques. » Pendant la phase préparatoire du COP16, le sommet sur le climat de Cancún, le Mexique envisage déjà les perspectives de résultats positifs, mais pour Elvira il faudra de nouvelles manières de négocier si on veut aboutir à un accord avec des objectifs et des actions bien définis. « Les parties en route vers la Convention de Cancún doivent venir avec du concret et pas seulement pour planifier encore quelque chose. Nous devons travailler avec des signes et des objectifs clairs : réduire les émissions causées par la déforestation et la dégradation des sols et financer à long terme avec des fonds rapidement mis à disposition des programmes d’adaptation dans les pays en voie de développement. » n

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POLITIQUE EN BREF

Pesage et conditionnement de produits à base de viande, Matadero Central S.A., Chontales, Nicaragua. Le secteur des boissons et de l'alimentation constitue la colonne vertébrale de l'économie de nombreux pays. Photo: Antonio Aragón Renuncio, CREA Comunicaciones, pour l’ONUDI

Des résultats de recherche révélateurs Par NOBUYA HARAGUCHI, responsable du développement industriel de la branche Politique de développement et recherche stratégique chez l’ONUDI L’avènement de l’industrie et le déclin de l’agriculture est une manifestation bien connue de la mutation structurelle associée au développement économique d’un état. Mais que savons-nous des changements qui s’opèrent au sein de l’industrie de fabrication au cours du processus de développement vécu par un pays ? Par exemple, à quel moment le secteur de l’habillement est-il susceptible de décoller dans un pays donné ? À quelle vitesse peut-il croître, et pendant combien de temps ? Quels sont les secteurs les plus durables ? Ce sont des questions particulièrement pertinentes pour les décideurs impliqués dans le développement économique mais, malheureusement, peu d’études empiriques solides ont été menées sur les parcours de développement de différents secteurs de la fabrication. Pour donner aux décideurs une vision plus détaillée de ce sujet, l’ONUDI a examiné les schémas de développement industriel en s’appuyant sur des statistiques disponibles depuis peu et couvrant les quelques 40 dernières années. Ces recherches apportent des informations utiles pour l’élaboration de politiques. Tout d’abord, contrairement à ce que suggèrent les études existantes et les preuves anecdotiques, qui tendent les unes comme les autres à sous-estimer le rôle de l’industrie agro-alimentaire dans le développement économique, les résultats indiquent que le secteur des boissons et de l’alimentation constituent en réalité la colonne vertébrale de l’économie de nombreux pays. Généralement, il s’agit du secteur le plus

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important au sein de l’industrie de fabrication pendant l’essentiel de la période d’industrialisation ; ensuite, même à un niveau de développement avancé, rares sont les secteurs susceptibles de dépasser ses niveaux de production. Deuxièmement, les petits pays (c’est-à-dire les pays plus petits que la moyenne mondiale), qui constituent plus de 80 % de tous les pays, tendent à faire face à un degré d’incertitude plus élevé que les grands au cours du développement de l’industrie de fabrication. On trouve en effet dans ces pays

« Le secteur des boissons et de l’alimentation reste généralement le plus important au sein de l’industrie de fabrication pendant l’essentiel de la période d’industrialisation ; ensuite, même à un niveau de développement avancé, rares sont les secteurs susceptibles de dépasser ses niveaux de production. »

moins de secteurs capables de maintenir une croissance rapide aux stades plus avancés d’industrialisation, tels que la chimie, les machines et équipements et les appareils électriques, et moins de secteurs d’échelle à forte consommation de capital, comme les métaux de base et les métaux fabriqués, à même de conserver leur croissance après avoir atteint le seuil de revenu de 10 000 $US par habitant. D’autre part, dans les petits pays, plus de 30 % des modèles de développement de nombreux secteurs s’expliquent par des caractéristiques locales autres que les niveaux de revenu, comme la dotation en ressources naturelles et humaines, la taille du pays et les niveaux de salaire. L’influence des caractéristiques locales peut être telle que certains secteurs ne démarreront pas, et ce quel que soit le degré de développement du pays. Un état peut simplement souffrir de l’absence de facteurs de production essentiels pour le développement de ces secteurs, comme des ressources naturelles, l’abondance de compétences spécifiques ou l’espace requis pour réaliser des économies d’échelle indispensables. C’est pourquoi il est plus vital encore pour les petits pays que pour les grands d’orienter leur industrie vers les secteurs les plus susceptibles d’être avantagés d’après les caractéristiques locales. Les soutiens gouvernementaux et internationaux doivent faire consciemment l’effort de


POLITIQUE EN BREF

maximiser le potentiel de développement de ces secteurs en renforçant leurs infrastructures, leurs institutions et leurs ressources humaines. Troisièmement, les économies d’échelle aident la majorité des secteurs à augmenter ses niveaux de production. Toutefois, l’agglomération, qui facilite les interactions avec les clients, les fournisseurs et les prestataires de services connexes situés à proximité, semble plus importante pour la production de produits chimiques (notamment les engrais et les savons), de plastiques, d’appareils électriques et de minéraux non métalliques (ciments, poterie et porcelaine). Cela suggère que pour ces secteurs, la formation de zones industrielles – qu’elle soit naturelle ou bien le fruit de politiques visant à fournir une infrastructure appropriée aux producteurs et aux prestataires de services connexes – peut faciliter la croissance de la production. Le développement en clusters et la promotion des consortiums d’exportation peuvent constituer des approches adaptées pour les producteurs à fort besoin en main d’œuvre de ces secteurs. Enfin, les résultats de recherche tendent à démontrer que dans les petits pays, où le marché national est généralement trop restreint pour soutenir une croissance sectorielle durable, et où le développement industriel est trop souvent dépendant des exportations, il est essentiel de maintenir un coût de main d’œuvre par unité bas par rapport aux producteurs concurrents. Préserver la compétitivité de la main d’œuvre est un facteur important pour la réussite du commerce d’exportation. Pour y parvenir, deux moyens, à employer ensemble ou séparément : maintenir les salaires à un niveau bas et augmenter la productivité du travail. Dans la mesure où, dans de nombreux pays en développement, les salaires des travailleurs de l’industrie sont déjà bas, on cherche habituellement à améliorer continuellement leur productivité. Faire le choix de l’augmentation de la productivité pour produire des biens aux prix compétitifs peut avoir des retombées positives gigantesques pour les petits pays qui peuvent avoir une échelle de production aux dimensions disproportionnées, au service des marchés internationaux. n

Le secteur privé et le développement Par KAREN ELLIS, chef du programme Commerce et développement de l’Overseas Development Institute On prend de plus en plus conscience du fait que la contribution potentielle du secteur privé au développement dépasse largement l’impact possible de l’aide humanitaire. La demande croissante en produits éthiques et issus du commerce équitable est symptomatique de cette sensibilisation au rôle potentiel du commerce. Mais on pourrait faire plus, notamment grâce à de nouveaux outils qui permettent de mesurer l’impact du commerce sur le développement, de nouveaux modèles commerciaux qui maximisent la contribution du secteur privé au développement et un meilleur cadre réglementaire pour régir l’implication économique.

De nouveaux outils L’année dernière, l’Overseas Development Institute (ODI), le Department for International Development (DFID) britannique et Business Action for Africa ont organisé une série de rencontres sur le thème du commerce et du développement, auxquelles ont participé de nombreuses entreprises désireuses d’obtenir des conseils pour l’amélioration et la communication de leur impact sur le développement. L’ODI met au point des outils dans ce sens, dont la proposition de nouveau label « Good for Development », qui serait utilisable par les entreprises obtenant un score suffisant pour un certain nombre d’indicateurs liés aux Objectifs du millénaire pour le développement. Le soutien de la part du DFID pourrait permettre à l’ODI de tester cette initiative dès cette année. Le label Good for Development pourrait

apporter un avantage commercial aux entreprises qui apportent une contribution substantielle et positive à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, à la fois par leur cœur d’activité et par leurs activités liées à la responsabilité sociale. Il se distinguerait des autres programmes du genre en se concentrant sur les contributions positives apportées au développement économique (par la création d’emplois et le développement des compétences par exemple), plutôt qu’en sanctionnant simplement le respect de normes minimales en matière de main d’œuvre ou la réduction de l’impact environnemental.

De nouveaux cadres réglementaires Dans le même temps, l’impact du commerce sur le développement dans les pays en développement dépend du cadre politique dans lequel il s’exerce. Les recherches conduites par l’ODI confirment qu’un bon climat d’investissement et des marchés ouverts et concurrentiels peuvent avoir un bon impact sur le développement, mais un tel contexte est rare dans les pays en développement. De nouvelles approches sont nécessaires pour contrer les distorsions économiques créées par des intérêts opposés aux réformes favorisant la croissance. Par exemple, l’ODI propose de nouvelles approches pour mobiliser les intérêts commerciaux favorables à des réformes procroissance, afin de lutter contre les droits acquis qui s’y opposent. Depuis la crise financière, on a mis en avant le rôle de l’état dans la régulation et la gestion des marchés. Dans les pays en développement, les gouvernements interviennent lourdement sur le marché, par exemple par le biais de politiques industrielles qui bien souvent déforment ‰

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POLITIQUE EN BREF

‰ les marchés et leur nuisent. Le temps est venu d’imaginer une nouvelle génération de politiques industrielles. Il ne s’agit plus de sélectionner les gagnants, d’apporter des subventions ou de protéger les importations. Il faut au contraire employer les politiques gouvernementales de façon intelligente et soigneusement hiérarchisée afin d’encourager et de faciliter le développement du secteur privé dans des domaines à forte croissance potentielle, dans le respect des mécanismes naturels des marchés.

Propositions concrètes Si le Consensus de Washington a interdit toute discussion intelligente sur ce thème, la crise a permis de rouvrir le débat. L’ODI a des propositions concrètes à faire en la matière, qui s’appuient sur d’importants travaux de terrain : l Consulter les entreprises pour identifier les secteurs de croissance qui présentent un potentiel de transformation et peuvent permettre aux économies de passer d’industries de matières premières employant une main d’œuvre faiblement qualifiée, à des secteurs présentant une marge de progrès technologique et favorisant le développement d’un capital humain. l Aider ces secteurs à se développement en identifiant, toujours par la consultation, les domaines à cibler en priorité par des réformes. l Travailler avec les entreprises pour encourager des modèles commerciaux favorables au développement. Le secteur privé a également un rôle stratégique à jouer en matière de croissance à faible intensité de carbone dans les pays en développement, mais il ne pourra réaliser son plein potentiel que si les bonnes politiques sont en place. L’ODI a étudié les stratégies de croissance à faible intensité de carbone et de réponse au changement climatique d’un certain nombre de pays en développement, et en a tiré des enseignements, dont l’importance d’une approche proactive dans l’identification et l’exploitation des nouvelles opportunités de croissance verte. Par contre, peu d’entre elles fournissaient suffisamment de garanties et d’informations sur une orientation future

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pour permettre au secteur privé d’investir avec confiance. L’ODI tient à faciliter le dialogue entre les gouvernements et le secteur privé sur ces questions difficiles ; tout soutien en ce sens sera le bienvenu. L’accès à la finance est indispensable pour le développement du secteur privé et pour la réduction de la pauvreté. Les recherches de l’ODI montrent qu’un accès à l’épargne ou au crédit aide les individus de toutes les catégories de revenus à investir dans l’éducation et la micro-entreprise, et ainsi de sortir de la pauvreté. Si l’effort des donateurs est souvent concentré sur les institutions de microfinance, le secteur bancaire a également un rôle important à jouer. Nous avons également examiné des politiques qui vont dans le sens des marchés et peuvent encourager l’élargissement de l’offre de services financiers par le secteur bancaire ; voici nos recommandations concrètes dans le domaine : l établir des objectifs d’élargissement de l’accès aux services pour le secteur bancaire, puis surveiller et publier les résultats ; l faciliter la création de liens entre le secteur bancaire formel et les institutions semi-formelles qui touchent plus facilement les populations pauvres ; l soutenir les technologies et les modèles commerciaux novateurs qui permettent de réduire les coûts. n

Le pouvoir des capitaux patients Par JACQUELINE NOVOGRATZ, fondatrice et PDG d’Acumen Fund, un fonds à capitalrisque international à but non lucratif qui adopte les approches de la gestion d'entreprise pour résoudre les problèmes de la pauvreté dans le monde. Un nouveau domaine de développement international a émergé au cours des dix dernières années et cherche à exploiter la puissance des forces du marché. Les investisseurs sociaux et les donateurs utilisent des « capitaux patients » pour miser sur des entreprises qui s'attaquent aux défis internationaux tels que la menace persistante de la malaria, le manque d'eau potable, la malnutrition chronique et le manque de scolarisation. Les capitaux patients comblent une importante lacune sur les marchés de l'aide humanitaire et des capitaux : ils permettent l'expérimentation et l'innovation et commencent à donner des résultats tangibles. Alors que l'investissement de capital se concentre traditionnellement sur la maximisation des retours financiers, les capitaux patients tiennent compte des défis spécifiques rencontrés dans les communautés à faibles revenus : nécessité de créer l'acceptation des nouveaux produits, fonctionnement avec des infrastructures médiocres, clients à faibles niveaux de revenus et de confiance, etc. Les capitaux patients présentent une tolérance au risque plus élevée et un horizon d'investissement à plus long terme que les capitaux traditionnels ; en outre, ils sont souvent accompagnés d'une importante aide à la gestion et ils se concentrent essentiellement sur l'impact social. Acumen Fund a été créé en 2001 pour


POLITIQUE EN BREF

opposer ce modèle de développement aux grands défis mondiaux, en se concentrant à l'origine sur l'Inde, le Pakistan et l'est de l'Afrique. Depuis lors, nous avons investi environ 40 millions d'USD dans 40 entreprises qui ouvrent une voie nouvelle pour apporter des produits et des services essentiels à des millions de personnes, et ce de façon durable à long terme. Le portefeuille d'Acumen Fund réunit des entreprises telles que Water Health International en Inde, qui régit 285 systèmes de purification d'eau de village et fournit ainsi à 240 000 personnes à faibles revenus un accès à une eau saine, ou bien D.Light Design, présente en Inde et en Tanzanie, qui a vendu plus de 200 000 lampes LED solaires à bas coût, fournissant ainsi une énergie sûre et abordable à plus d'un million de personnes. Chacune de ces entreprises représente un nouveau modèle pour un changement durable à grande échelle. Le défi consiste à renforcer les modèles commerciaux qui ont fait leurs preuves et à les étendre pour fournir des produits et des services de qualité à des dizaines de millions de personnes qui veulent avoir une chance d'améliorer leur vie. Surtout, ces idées n'auront un impact maximal que par le biais de partenariats avec les grandes institutions du secteur privé comme les banques et les multinationales, ainsi qu'avec les institutions gouvernementales qui sont en mesure de mettre en place un environnement favorable au développement de ces innovations. Aujourd'hui, je constate que les financements manquent pour faire germer les idées prometteuses et accélérer la croissance de celles qui ont commencé à faire leurs preuves mais dont les modèles financiers ne sont pas encore attractifs pour le marché des capitaux traditionnels. Dans de nombreux cas, les entrepreneurs apportent un point de vue très précieux dans la mesure où ils ont pour obligation de rester à l'écoute des besoins de leurs clients. Prenons un exemple en Inde. Dans ce pays, plus de 75 % des agriculteurs cultivent moins de deux hectares de terre mais pendant des décennies, les programmes d'aide ainsi que les marchés ont négligé les petits paysans et limité leur accès à des

« Ce qui fait le plus défaut est un leadership moral déterminé à développer des solutions issues du point de vue des pauvres euxmêmes, et non à leur imposer de grands projets bâtis sur des théories. »

technologies agricoles d'importance stratégique. En 2001, Amitabha Sadangi a mis au point une technologie d'irrigation à la goutte à goutte à la fois abordable et utile pour les agriculteurs les plus pauvres du monde. Son organisation, International Development Enterprises – India (IDE-I), s'est d'abord appuyé sur des subventions pour construire un prototype et apprendre à aborder les paysans à faibles revenus de la bonne manière. Les capitaux patients d'Acumen Fund lui ont permis de constituer une entreprise commerciale, Global Easy Water Products (GEWP), pour tirer parti des recherches et des atouts marketing d'IDE-I et se consacrer à l'extension de la distribution et l'entrée sur les marchés d'exportation. Plus de 250 000 agriculteurs ont acheté des produits d'irrigation auprès d'IDE-I et de GEWP, et nombre d'entre eux ont vu leurs revenus annuels doubler voire tripler. Comme je l'ai écrit dans mon livre, The Blue Sweater : Bridging the Gap between Rich and Poor in an Interconnected World (Le pull bleu : combler l'écart entre riches et pauvres dans un monde interconnecté), « J'ai appris qu'une grande partie des réponses à la pauvreté se trouvent dans l'espace qui sépare marchés et charité, et que ce qui fait le plus défaut est un leadership moral déterminé à développer des solutions issues du point de vue des pauvres eux-mêmes, et non à leur imposer de grands projets bâtis sur des théories. » Les capitaux patients sont investis dans les entreprises qui mettent au point ces solutions. Le monde a besoin d'une nouvelle vision de l'aide au développement. À l'heure où les systèmes d'aide font l'objet d'une grande attention et de critiques de plus en plus vives, la communauté internationale a la possibilité de renforcer les programmes d'assistance en leur associant une approche complémentaire centrée sur l'innovation sociale et l'entreprenariat. n

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LE MOT DE LA FIN

Prise de conscience des travailleurs à Djibouti. Le SIDA est un problème pour les entreprises non seulement car il affecte les conditions de travail et la productivité mais aussi parce que le lieu de travail constitue l’un des cadres les plus efficaces pour lutter contre l’épidémie.

VIH/SIDA : une préoccupation dans l’entreprise MICHEL SIDIBÉ, le Directeur général d'ONUSIDA, est convaincu que le lieu de travail a un rôle vital à jouer dans la lutte contre la propagation et les effets de l'épidémie du SIDA La grande majorité des 33 millions de personnes atteintes du VIH sont âgées de 15 à 49 ans et sont à l'apogée de leurs vies professionnelles. Cela a des conséquences cruciales pour les entreprises et les économies nationales, ainsi que pour les travailleurs individuels et leurs familles. Le SIDA est un problème pour les entreprises à de nombreux égards. La stigmatisation et la discrimination sont susceptibles de menacer les droits fondamentaux des employés atteints du VIH. La perte des travailleurs, ainsi que la perte de leurs compétences et de leur expérience, risque de provoquer une augmentation de la charge de travail sur le personnel restant, une baisse du moral et une diminution de la productivité.

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L'impact économique est particulièrement important dans les pays les moins avancés (PMA), où les conséquences combinées de l'absentéisme lié au VIH, le déclin de la productivité, les dépenses de santé ainsi que les dépenses relatives au recrutement et à la formation, provoquent une baisse des bénéfices. Parce que deux personnes vivant avec le VIH sur trois se rendent au travail chaque jour, le lieu de travail constitue l'un des cadres les plus efficaces pour lutter contre l'épidémie. Le monde de l'entreprise a un rôle vital à jouer pour limiter la propagation du VIH et l'impact de l'épidémie, et de plus en plus d'entreprises, même dans les pays les plus pauvres, relèvent le défi.

Que peuvent faire les entreprises ? Chaque entreprise peut apporter sa propre contribution à la lutte contre le SIDA, selon sa taille, son type de main-d'œuvre, sa situation géographique, sa santé financière et ses compétences clés. Les activités se classent souvent en cinq catégories principales : programmes de lutte contre le VIH sur le lieu de travail, défense des intérêts, aide financière, contributions en nature (y compris assistance technique) et recherche. Programmes de lutte contre le VIH sur le lieu de travail : ces programmes permettent d'étendre l'accès à la prévention du VIH et de fournir des services de traitement, de soins et

de soutien directement aux employés. L'Organisation internationale du travail et ONUSIDA travaillent auprès des entreprises pour promouvoir des politiques et des programmes de lutte contre le VIH au travail. Défense des intérêts : les entreprises peuvent ainsi diffuser des informations cruciales sur le VIH aux médias de masse. Elles sont également en mesure de participer au dialogue politique et au lobbying pour des politiques anti-VIH plus efficaces. Dons monétaires : des ressources financières sont nécessaires en urgence pour soutenir la prévention du VIH ainsi que les services de traitement, de soins et de soutien. Les entreprises apportent leur contribution à la lutte contre le SIDA en procurant des ressources financières aux programmes pour la lutte contre le VIH et aux programmes de santé. Contributions en nature : l'expertise, les services et la documentation des entreprises sont nécessaires dans chaque aspect de la lutte contre le SIDA. Les contributions en nature des entreprises peuvent consister en une offre de services d'aide et de conseil, de personnel détaché, d'impressions, de bureaux, d'équipements, de fournitures et d'accès aux réseaux de distribution. Les entreprises peuvent proposer un soutien et un réseau logistiques pour la distribution de marchandises telles que des préservatifs et des antirétroviraux.


LE MOT DE LA FIN

MakingIt L’industrie pour le développement

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Recherche : l'ONUSIDA soutient les partenariats public-privé et travaille à accélérer le développement des technologies de prévention du VIH, comme les microbicides (une substance synthétique ou naturelle sous forme de gel, de crème, de suppositoire ou de pellicule capable de tuer ou neutraliser les virus et les bactéries) ; le programme cherche également à perfectionner le préservatif féminin, à développer un vaccin et à trouver de meilleurs traitements, comme des médicaments nouvelle génération plus simples et plus efficaces. L'ONUSIDA travaille en étroite collaboration avec des entreprises et des fondations dans chacun de ses domaines prioritaires, en particulier la baisse de la transmission du VIH par voie sexuelle, la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant (PTME), la diminution de la co-infection tuberculose/VIH et l'émancipation des femmes et des jeunes filles. Parmi les exemples de partenariat, nous pouvons citer la contribution financière de Chevron pour la PTME en Angola et la campagne mondiale ONUSIDA Body Shop lors de la journée mondiale de lutte contre le SIDA. Après vingt ans d'épidémie, nous sommes en mesure d'affirmer avec confiance que les premiers investissements réalisés dans la lutte contre le SIDA ont eu des bénéfices à long terme. Par exemple, nous avons ainsi pu constater comment les investissements réalisés dans l'éducation et la prévention du VIH au Sénégal ont permis d'obtenir l'un des taux d'infection les plus bas de l'Afrique subsaharienne. Les coalitions d'entreprises ONUSIDA ont soutenu le développement d'un certain nombre de coalitions d'entreprises nationales dans les régions les plus touchées par l'épidémie de VIH. ONUSIDA collabore actuellement avec plus de 30 coalitions d'entreprises nationales afin d'aider le secteur privé à lutter contre le SIDA. En Tanzanie, la coalition d'entreprises contre le SIDA a accompli des progrès considérables en matière de mobilisation des entreprises pour lutter contre le VIH.

Elle a soutenu l'instauration de programmes adaptés au lieu de travail dans plusieurs entreprises, a organisé divers ateliers et formations à la prévention et au traitement du VIH, et a développé une politique commune en matière de VIH qui devra être observée par toutes les entreprises. En tout juste douze mois, le nombre de ses membres a augmenté de 91 %. La coalition d'entreprises éthiopiennes contre le VIH/SIDA, créée en 2004 a également encouragé les entreprises à ne plus simplement fournir des informations à ses employés, mais à leur fournir également des services. Cela comprend notamment des conseils bénévoles et des tests de dépistage du VIH, des soins apportés aux personnes atteintes du VIH, un accès simplifié aux antirétroviraux et des recommandations locales. Certaines entreprises sont allées au delà du lieu de travail et ont étendu leur soutien aux familles des employés séropositifs. Au Bangladesh, l'organisation américaine Pathfinder travaille avec des organisations non gouvernementales (ONG) pour fournir des services de santé encadrés par l'usine aux travailleurs du secteur textile, dont la majeure partie sont des jeunes femmes célibataires. Les programmes instaurés sur les lieux de travail font partie d'un grand programme national visant à fournir des services sanitaires délivrés par les cliniques et la communauté, en partenariat avec 41 ONG locales et nationales. Le message est clair : si les PMA souhaitent booster leur économie, les employeurs doivent faire du VIH leur préoccupation. En protégeant leurs salariés du VIH, les entreprises privées comme le secteur public pourront bénéficier d'une hausse de leur productivité et recueillir des gains financiers. n

Arun, Thankom and Hulme, David (Editors) – Microfinance: A Reader Chang, Ha-Joon – Bad Samaritans: The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism Chossudovsky, Michel – The Globalization of Poverty and the New World Order Chowdhury, Anis and Islam Iyanatul – Growth, Employment, and Poverty Reduction in Indonesia Easterly, William – The White Man’s Burden: Why the West’s Efforts to Aid the Rest Have Done So Much Ill and So Little Good Gupta, Anil K. and Wang, Haiyan – Getting China and India Right: Strategies for Leveraging the World’s Fastest Growing Economies for Global Advantage McNeill, Desmond and St. Clair, Asunción Lera – Global Poverty, Ethics and Human Rights: The Role of Multilateral Organizations Rodrik, Dani – One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth Sachs, Jeffrey – The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time Sanchez, Teodoro – The Hidden Energy Crisis: How Policies are Failing the World’s Poor Smith, Michael, et al. – Cents and Sustainability: Making Sense of How to Grow Economies, Build Communities and Revive the Environment in Our Lifetime. Tse, Edward – The China Strategy: Harnessing the Power of the World’s Fastest-Growing Economy

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