Allez savoir! 60 - mai 2015

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NUMÉRO

60

POLITIQUE La Suisse,

CULTURE Gustave Roud,

un exemple pour la France 16

la fascination des corps paysans 30

PHAGOTHÉRAPIE

Comment des virus combattent des bactéries 54

!

ALLEZ

SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2015 | Gratuit

SOCIÉTÉ

LES ROBOTS VONT-ILS NOUS REMPLACER ?


LA BOUTIQUE

WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE R É C E P T I O N A M P H I M A X , 2e É T A G E

DE L’UNIL

WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE


ÉDITO

IMPRESSUM

Magazine de l’Université de Lausanne No 60, mai 2015 www.unil.ch/allezsavoir Editeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring (UNICOM) Création de la maquette Edy Ceppi (UNICOM) Rédacteurs Mélanie Affentranger Sonia Arnal Mireille Descombes Elisabeth Gordon Cynthia Khattar Virginie Jobé Nadine Richon Anne-Sylvie Sprenger Correcteurs Albert Grun Fabienne Trivier Nadia Stango Direction artistique Secteur B Sàrl www.secteurb.ch Photographie Nicole Chuard Illustration Eric Pitteloud (pp. 3, 29)

LES DINOSAURES ONT FAIT DE VIEUX OS

S

eule la tête de l’énorme bête écailleuse émerge de la mare où elle barbote. Son poids l’empêche d’en sortir. Le regard vide, ce dinosaure verdâtre va terminer sa carrière sous les crocs d’une brute plus féroce que lui, dans une jungle moite du Crétacé. Cette série de clichés a bercé bien des enfances. Heureusement, dans les années 70, les géants du passé ont connu un coup de jeune. La Dinosaur Renaissance a permis de véhiculer de nouvelles images. En 1975, le Scientific American publiait un dessin de dinosaure à plumes, bien en avance sur son temps. Trois ans plus tard, des illustrations de Roy Andersen parues dans le National Geographic fournissaient un carburant puissant à l’imaginaire de toute une génération de fanatiques de ces grandes bêtes, dont le soussigné. Lors de la décennie suivante, le dessinateur Bill Watterson a représenté de nombreux dinosaures sophistiqués dans Calvin & Hobbes. C’est également la passion

Illustration parue en été 1978 dans le National Geographic. © Roy Andersen/National Geographic Creative

Couverture Thinkstock Impression IRL plus SA Tirage 17 000 exemplaires Parution Trois fois par an, en janvier, mai et septembre ISSN 1422-5220

Rédacteur, UNIL

enfantine – et plutôt masculine – pour les tricératops et les allosaures que l’Américain a saisie. Un enthousiasme durable. Conservateur au Musée cantonal de géologie de Lausanne, Robin Marchant rencontre régulièrement de jeunes visiteurs capables de citer, des étoiles dans les yeux, des noms en –us d’une douzaine de lettres (lire en p. 22). C’est évidemment Jurassic Park, en 1993, qui a popularisé ces animaux préhistoriques. Place à des bestioles vives, capables de courir derrière une jeep ou d’ouvrir une porte. Mais le quatrième opus, Jurassic World (2015), tient-il compte des découvertes les plus récentes réalisées en Chine ? Même si l’idée existe depuis longtemps dans la communauté scientifique, la parenté des théropodes avec les oiseaux ne passe pas vraiment. Confirmée pour la première fois en 1996, la présence de plumes primitives sur près de 40 espèces de dinosaures à ce jour semble incroyable. Et pour cause: réduire le splendide tyrannosaure à un lointain grand-oncle du poulet (-frites) est un crime de lèse-majesté déprimant. Et pourtant, cette constatation signifie que si tous les dinosaures terrestres ont disparu, les espèces aviaires ont survécu. Cela veut dire que dans l’arbre généalogique très étendu des pigeons ou des moineaux sont perchées des créatures de 6 tonnes et 12 mètres de long. Les oiseaux existent depuis au moins 150 millions d’années. Leurs ancêtres ont plané au dessus d’une sorte de fin du monde il y a 65 millions d’années. Cet exploit et leur parenté prestigieuse consolent les orphelins des diplodocus. 

TRICÉRATOPS

Abonnements allezsavoir@unil.ch (p. 4) 021 692 22 80

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DAVID SPRING

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Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université   de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à allezsavoir@unil.ch NOM / PRÉNOM

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SOMMAIRE

PORTFOLIO Théâtre, recherche, exposition.

BRÈVES L’actualité du campus: distinctions, formation, international, publications.

POLITIQUE La Suisse, un exemple pour la France.

MOT COMPTE TRIPLE Hagiographie. Avec Eric Chevalley.

PALÉONTOLOGIE S’il te plaît, dessine-moi un dinosaure.

RÉFLEXION La science au service de la pratique. Par Joerg Dietz.

CULTURE Gustave Roud, la fascination des corps paysans.

SUPPLÉMENT SPÉCIAL Gustave Roud photographe.

TECHNOLOGIE Les robots vont-ils nous piquer nos emplois? Entretien avec Daniela Cerqui.

BIOLOGIE Comment les plantes se parlent du soleil et de leurs bobos.

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!

ALLEZ

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SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2015 | Gratuit

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RELIGION

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IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

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MÉDECINE

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C’ÉTAIT DANS «ALLEZ SAVOIR !»

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LIVRES

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FORMATION CONTINUE

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RENDEZ-VOUS

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CAFÉ GOURMAND

L’Islam, c’est compliqué.

Noëlle Revaz, écrivaine (pas) banale.

Phagothérapie: comment lutter contre les infections... avec des virus. Premier essai clinique au CHUV.

Force et attrapes. Article paru en 1999.

Mythologie, grossesse, universités, management, roman, formation, théâtre.

L’humain replacé au cœur de la transition écologique. Scientific Communication.

Evènements, conférences, sorties et expositions.

«On ne peut pas tout avoir». Avec Bettina Klaus.

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CAGE DE CRISTAL

Au Théâtre La Grange de Dorigny, le 20 février. Véra (incarnée par Valérie Liengme) et son mari Michael ont convié leur ami Ferdinand à venir admirer leur nouvelle décoration d’intérieur. En affichant leur bonheur outrancier, les hôtes exercent une pression croissante sur leur invité et tentent de lui imposer de changer sa vie, jusque dans ses aspects les plus intimes. Ferdinand, de plus en plus abasourdi, leur oppose une résistance passive. Ecrite par Václav Havel en 1975, Vernissage est une farce cruelle et drôle, dans laquelle les spectateurs se retrouvent facilement. A Dorigny, ce texte a été mis en scène par Matthias Urban, qui vient de conclure sa résidence d’artiste, entamée trois ans plus tôt avec 1984, d’après Orwell. Les thèmes de la surveillance, du contrôle et de l’enfermement ont été placés au centre de plusieurs spectacles et ateliers. DS Reportage photo et rencontre avec Matthias Urban sur www.unil.ch/allezsavoir PHOTO NICOLE CHUARD © UNIL


DANS LA TÊTE D’UNE PERSONNE LÉSÉE MÉDULLAIRE

Au Laboratoire de recherche expérimentale sur le comporte­ ment de la Faculté des sciences sociales et politiques, le 23 février. Maître d'enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport, Jérôme Barral s’entretient avec Marie Simonet, doctorante (de dos), qui incarne le rôle d’un «sujet contrôle», donc sans déficience motrice. Dans le cadre d’un projet pilote qui implique également des étudiantes, ces chercheurs s’intéressent à l’activité cérébrale chez les personnes lésées médullaires, grâce à l’électro­encéphalographie. Il s’agira d’essayer de comprendre comment le cerveau de ces dernières se réorganise, que ce soit chez des paraplégiques ou des tétraplégiques. La recherche portera en particulier sur les mécanismes d’inhibition motrice, c’est-à-dire le fait d’arrêter une tâche en cours pour en entreprendre une autre, ainsi que sur l’observation d’actions motrices. A terme, ces travaux visent également à trouver des alternatives à l’entraînement physique régulier des personnes concernées, une part très importante de leur réhabilitation. DS Entretien avec Jérôme Barral sur www.unil.ch/allezsavoir PHOTO FABRICE DUCREST © UNIL



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ARTISTE, VOS PAPIERS !

Les collections de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) s’enrichissent régulièrement de manuscrits et d’ouvrages rares, anciens et modernes. Afin de mieux faire connaître les trésors acquis ou reçus par l’institution entre 2011 et 2014, une exposition présente une sélection de documents, sur le site de la BCUL à la Riponne (jusqu’au 31 juillet, 8h-22h). L’occasion de se rendre compte que, en Suisse romande, des artistes réalisent des livres aussi magnifiques qu’originaux. Quelques exemples sur cette double page, avec Le grand signe d’abandon (Marcel Miracle). Matin brun (texte de Franck Pavloff, estampes de Coralie Hirschi). Les citrons (texte d’Eugenio Montale, illustrations de Claire Nydegger). Micromégas (texte de Voltaire, eaux fortes de Thierry Bourquin). DS Exposition virtuelle sur www.unil.ch/ rarissima. De plus, Silvio Corsini (conservateur de la Réserve précieuse) commente un choix de documents sur www.unil.ch/allezsavoir PHOTOS © LAURENT DUBOIS BCUL

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BRÈVES

LE SITE

ENQUÊTE

EN DIRECT DE LA RECHERCHE Lancé en janvier dernier, le blog www.hecimpact.ch (en anglais) est dédié à la recherche menée à la Faculté des hautes études commerciales. Rédigés par des scientifiques, mais accessibles à toutes les personnes intéressées par l’économie, les articles traitent de nombreux sujets, bien souvent d’actualité, comme par exemple le risque systémique financier en Europe, le leadership ou le management. (RÉD.)

Fabrice Ducrest © UNIL

PLÂTRE ET CIMENT

LA BANANE S’ÉTEND L’Unithèque, qui abrite la Bibliothèque cantonale et universitaire, ne désemplit pas. Construit en 1983, alors que l’UNIL comptait 6000 étudiants (contre plus de 14 000 aujourd’hui), ce bâtiment emblématique du campus va être agrandi et mis en conformité en regard des normes actuelles, notamment en ce qui concerne la sécurité et la consommation d’énergie. Pour un coût estimé à 73,3 millions de francs, le nombre de places de travail va passer de 863 à 2000, et l’espace de stockage des ouvrages va être doublé (47 000 mètres linéaires de plus). En effet, malgré le numérique, la pression pour la conservation des imprimés augmente. De plus, la capacité du restaurant universitaire va être accrue. Selon les prévisions, la nouvelle «Banane» devrait être mise en service en 2019. (RÉD.) 12

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COMMENT ALLEZ-VOUS? PLUTÔT BIEN! L’Université de Lausanne prend soin de ses étudiants. Chaque année depuis 2006, une enquête téléphonique est menée auprès des personnes en première année, six semaines après leurs débuts. Une opération organisée par le Service d’orientation et carrières et la Fédération des associations d’étudiant-e-s (FAE). En novembre 2014, des entretiens d’une vingtaine de minutes avec 1042 nouveaux ont été réalisés: un taux de réponse de 41 %. Les nouvelles sont bonnes: 93 % d’entre eux se déclarent satisfaits du choix de leurs études. Au fil des réponses, c’est un véritable portrait chiffré qui se dessine. 64 % des débutants habitent chez leurs parents, et 56 % dans la région lausannoise (des données stables). Un peu moins de la moitié travaillent à côté des études (pendant les semestres), en moyenne 6 heure 30 par semaine. Les activités sociales et culturelles sur le campus (théâtre, vie

associative) intéressent 47,4 % des personnes interrogées. Cette hausse nette par rapport aux années précédentes prouve la volonté d’intégration des nouveaux sur le site, qui devient un lieu de vie. Les réseaux sociaux restent très populaires: seuls 8,1 % n’en n’utilisent aucun. Facebook, YouTube et Instagram sont les plus courus. Les grands fans de ces médias se recrutent en Faculté des HEC, puis en Médecine. Enfin, les personnes sondées apprécient particulièrement d’être appelées par d’autres étudiants de l’UNIL. Les confidences, par rapport à d’éventuels problèmes, viennent plus facilement. Des entretiens avec des psychologues professionnels, à l’UNIL, sont proposés aux débutants en difficulté (isolement, soucis financiers). DS Les résultats: www.unil.ch/soc/comment-allez-vous

47,4 % 91,9 % 72,3 % La participation aux activités sociales et culturelles sur le campus.

La proportion d’utilisateurs d’au moins un réseau social.

La majorité s’adapte sans difficulté à la vie universitaire.

BIBLIOTHÈQUE

LA LECTURE, C’EST PARTOUT ET TOUT LE TEMPS Dès le 28 mai, grâce à «eLectures», les usagers inscrits à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) pourront emprunter gratuitement des ouvrages numériques, pour une durée de 28 jours. Il suffit d’un accès au net et d’un appareil de lecture, comme un smartphone ou une tablette (iOS ou Android), une liseuse compatible ADE ou un Kindle Fire. Ainsi, il n’est plus nécessaire de se déplacer sur l’un des sites de la BCU, à Lausanne, pour faire le plein de bouquins. De plus, le prêt est possible depuis l’étranger, ce qui UNIL | Université de Lausanne

s’annonce bien pratique pour les vacances d’été. Tourné vers le grand public, le catalogue propose plus de 8000 titres, dont 2400 en anglais. L’offre, où l’on retrouve de grands éditeurs comme Seuil ou Gallimard, comprend de la littérature (y compris de la poésie, du théâtre, des polars et de la SF), mais également des essais en sciences humaines et sociales, ou relatifs à l’actualité. Bien entendu, le nombre de titres va augmenter avec le temps. RACHEL VEZ FRIDRICH www.bcu-lausanne.ch


DR

A LA DIFFÉRENCE DE FACEBOOK, OÙ DES PAGES OFFICIELLES PEUVENT DIFFUSER UN PROGRAMME POLITIQUE, TWITTER EST UN LIEU OÙ L’INDIVIDU COMPTE BEAUCOUP PLUS QUE LE GROUPE OU LE PARTI. Martin Grandjean, doctorant à l’Université de Lausanne et chercheur en Humanités digitales, dans La Liberté du 7 février 2015.

DANSE À BANGALORE grâce aux mouvements de leurs corps. Une manière innovante d’appréhender les liens entre l’humain et la machine. Organisés par Swissnex India et Pro Helvetia, les spectacles de New Dehli et de Bangalore étaient enrichis d’ateliers animés par Marco Cantalupo, cofondateur de Linga, ainsi que de conférences données par Daniela Cerqui, chercheuse à l’UNIL (lire également en p. 36). (RÉD.)

© Marco Cantalupo

Lors de sa tournée en Inde, fin février, la Compagnie Linga a présenté Re-mapping the Body. Donnée pour la première fois à Pully en 2012, cette performance mêle la danse contemporaine et les nouvelles technologies, en collaboration avec l’Institut des sciences du sport. Equipés de capteurs qui recueillent leurs données physiologiques, les artistes créent une bande-son poétique et déroutante sur scène,

SPORT © Olivier Zeller/Photographicglance.com

INTERNATIONAL

VOLLEYEURS AU SOMMET Le 28 mars dernier à Fribourg, le LUC Volleyball a remporté la Coupe de Suisse face au TV Schönenwerd. Le club lausannois décroche ainsi ce trophée pour la cinquième fois. Tout n’a pas été facile pour l’équipe, qui a sauvé trois balles de match avant de s’imposer. Egalement en lice pour le titre de champion suisse, le LUC s’est finalement incliné lors de sa 5e rencontre avec Lugano, le 19 avril au Tessin. Deux jours plus tôt, le 4e match des play-off, qui s’est soldé par une défaite, a rassemblé plus de 1800 spectateurs à Dorigny. Ce qui a fait dire à son entraîneur Georges-André Carrel : «Nous avons perdu un match mais gagné un public !». De leur côté, les jeunes de l’équipe des M19 sont devenus champions suisses. En septembre 2015, le LUC Volleyball va fêter ses 40 ans en grandes pompes. (RÉD.) www.lucvolleyball.ch

FORMATION

LES HABITS NEUFS DES MASTERS La Faculté des sciences sociales et politiques a réformé en profondeur deux de ses masters, qui passent de 90 à 120 crédits ECTS (soit deux ans). Dès la rentrée de septembre 2015, de nouvelles orientations attendent les étudiants. En Sciences sociales, il s’agit de «Parcours de vie, inégalités et politiques sociales», «Droits humains, diversité et globalisation», «Culture, communication et médias» et «Corps, science et santé». En Science

DÈS LA RENTRÉE DE SEPTEMBRE 2015, DE NOUVELLES ORIENTATIONS ATTENDENT LES ÉTUDIANTS EN SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES.

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politique, il s’agit de «Métiers politiques», «Mondialisation» et «Politique et histoire internationale». Dans les deux cas, les nouvelles formules visent à faciliter la mobilité internationale, ainsi que la possibilité de faire des stages en milieu professionnel. Un lien plus étroit avec la recherche distingue également ces cursus de la formation de base, donnée au niveau du bachelor. (RÉD.) www.unil.ch/ssp

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BRÈVES

L’UNIL DANS LES MÉDIAS

LIVRE

PASSAGE EN REVUE

VERTIGE, PLANTES ET SOLITUDE MORTELLE

LE TOUR DE L’ÎLE

ESTRELLA LAUSANNENSIS LIVRE SES SECRETS

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Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV dans les médias en 2015, selon la revue de presse Argus, au 8 avril 2015. Sur son site web, le 9 janvier, le New York Times a raconté l’exploit de deux grimpeurs, parvenus en escalade libre au sommet d’El Capitan, terrifiante falaise située dans le parc de Yosemite. Le quotidien a utilisé une modélisation en 3 dimensions de la formation rocheuse, réalisée par des chercheurs de la Faculté des géosciences et de l’environnement. En février, le rapport SPACE 2013 (pour Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe) a été publié. Marcelo Aebi, professeur à l’Institut de criminologie et de droit pénal, et co-auteur du document, a été interrogé par les médias à cette occasion. Toujours en février, The Irish Times a mis en valeur les recherches menées à l’UNIL par Edward Farmer. Lorsqu’elle est agressée par un insecte glouton, la plante Arabidopsis thaliana utilise l’électricité pour propager l’information d’une plante à l’autre et organiser une riposte chimique (lire également en p. 42). Tout début mars, le New Yorker se demandait: «Qu’arrive-t-il à la fourmi solitaire ?». Les recherches menées par Laurent Keller, au Département d’écologie et d’évolution, montrent que les ouvrières seules vivent nettement moins longtemps que celles qui restent en groupe, même si elles sont nourries. En économie, l’abandon du taux plancher, le franc fort et l’idée de la création d’un fonds souverain suisse ont mobilisé Philippe Bacchetta, professeur en HEC. Enfin, les sociologues Gianni Haver et Olivier Glassey ont été régulièrement interrogés par les médias, notamment sur des thématiques touchant les réseaux sociaux et le numérique. DS 14

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Puissants aimants pour l’imagination, les îles prennent aussi bien des atours de paradis, de refuges contre le monde, de lieux d’expérimentation de sociétés idéales ou de terminus des illusions. Les liens entre la nature et l’homme s’y expriment de manière forte. Réelles ou rêvées, elles forment le sujet central d’un ouvrage collectif né d’un colloque qui s’est tenu en 2012 à l’Université de Genève. Après avoir traité des jardins, ce nouveau volume d’une série consacrée aux mondes clos aborde les territoires insulaires sous de nombreux angles, comme par exemple l’histoire de l’art, l’anthropologie, l’ethnologie, l’histoire des religions ou la littérature. Ainsi, Neil Forsyth, professeur honoraire de l’UNIL, s’est intéressé à Bermudes, un poème d’Andrew Marvell (1621-1678). Dans des mers plus froides, Nicolas Meylan, maître assistant à l’Institut religions, cultures et modernité, s’est penché sur l’Islande du XIIIe siècle et sur sa relation aussi bien conflictuelle qu’admirative avec sa métropole, la Norvège. DS

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C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont publiés dans des revues scientifiques cette année (d’après Serval, au 8 avril 2015). Dans Frontiers in Microbiology, le 19 février, une équipe de chercheurs et d’étudiants a présenté ses travaux sur le génome d’Estrella lausannensis 1 ). Il s’agit d’une bactérie apparentée aux chlamydia découverte dans l’eau du fleuve Llobregat de Barcelone. Cet article est l’un des fruits d’un cours original lancé en 2010, «Sequence a Genome» 2 ). Pendant deux semestres, des étudiants de master en Biologie apprennent à isoler et préparer l’ADN d’un micro-organisme, se familiarisent avec les technologies de séquençage et la bioinformatique, traitent et analysent les données produites, afin de définir quels gènes possède cette bactérie et de comprendre quels gènes produisent quelles protéines. «Le génome d’une bactérie nous donne également des idées sur ses résistances aux métaux lourds et aux antibiotiques, ainsi que sur ses facteurs de virulence, explique Gilbert Greub, médecinchef des laboratoires de microbiologie diagnostique à l’Institut de microbiologie et cosignataire de l’article. Les applications médicales pour les patients sont évidentes. Ce professeur fait partie de l’équipe d’enseignants enthousiastes qui encadre Sequence a Genome, un cursus très apprécié, puisqu’il a décroché un «Excellence in Teaching Awards» de la Faculté de biologie et de médecine en 2012. «Dès le premier jour, nos étudiants sont immergés dans le monde de la recherche, c’est-à-dire hors de leur zone de confort. Ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver et ils doivent se dépasser», remarque Gilbert Greub. Une vraie découverte et une publication dans une revue ont récompensé leurs efforts, puisque le génome d’Estrella lausannensis était inconnu auparavant. Autre avantage: ce cours prépare également la relève en génomique, un domaine qui progresse à toute vitesse, grâce aux avancées des technologies de séquençage et de la bioinformatique. Plusieurs des participants aux premières éditions se sont d’ailleurs lancés dans des carrières de chercheurs. DS L’article: journal.frontiersin.org/article/10.3389/fmicb.2015.00101/ abstract 1)

MONDES CLOS. LES ÎLES. Infolio (2015), 320 p.

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Le blog du cours: wp.unil.ch/sequenceagenome


ARCHÉOLOGIE

ÉNERGIE

Le 29 mai, lors du Dies academicus, le Prix de l’Université de Lausanne est décerné à Gilbert Kaenel. Ce dernier a dirigé le Musée d’archéologie et d’histoire du canton de Vaud pendant trente ans, jusqu’en avril dernier. Cet archéologue passionné, spécialiste de l’âge du fer, a également été fait commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en mars dernier. Lorsque l’on évoque La Tène, le mystérieux Mormont ou l’Helvétie romaine, c’est souvent à lui que l’on pense. Le numéro 151 des Cahiers d’archéologie romande, paru en automne 2014, est un volume de mélanges offert à l’occasion du 65e anniversaire de celui que l’on surnomme «Auguste». (RÉD.) © Corinne Aeberhard

Fabrice Ducrest © UNIL

DES LAURIERS POUR GILBERT KAENEL

TRANSITION EN CHANTIER Le premier évènement Volteface s’est déroulé à l’UNIL le 2 février dernier. Cette plateforme, née d’un partenariat entre l’UNIL et Romande Energie, est consacrée aux aspects sociaux et culturels de la transition énergétique, pensée trop souvent uniquement comme un défi technologique. Lors d’ateliers, les participants venus de milieux très différents (économie, politique, associations) ont fait émerger des thèmes sur lesquels des scientifiques vont se pencher ces prochaines années. Des liens entre les préoccupations du public et la recherche se créent ainsi. Le projet Volteface bénéficie d’un soutien de l’Etat de Vaud. (RÉD.) Résultats des ateliers et prochains évènements sur www.volteface.ch

À L'HONNEUR

Privat-docente et chercheuse au Laboratoire de recherche en neuroimagerie, Marzia De Lucia a obtenu une subvention «EUREKAEurostars Program» d’un montant de 870 000 euros pour trois ans. Ce montant est destiné à financer le projet «ComAlert». Ce dernier se base sur un nouveau test développé par Marzia De Lucia, en collaboration avec Andrea Rossetti et Mauro Oddo (UNILCHUV). Il permet de prédire les chances de réveil des patients comateux après un arrêt cardiaque. Pour cela, les médecins se basent sur un système de surveillance des ondes cérébrales des patients (lire également Allez savoir  ! no 53 de janvier 2013). (RÉD.)

Etudiants à la Faculté des HEC, Florian Gharib et Matthieu Charlot ont participé au 4L Trophy 2015. Annuelle, cette course automobile humanitaire est destinée aux étudiants. 2300 d’entre eux ont parcouru, exclusivement au volant de la petite Renault, un itinéraire de 6000 km à travers la France, l’Espagne et le Maroc. Les deux compères ont transporté des fournitures scolaires (cahiers, crayons, etc.), qui ont ensuite été redistribués aux enfants du Sud marocain par l’Association Enfants Du Désert. Une aventure humaine et mécanique: les deux étudiants ont beaucoup aimé la solidarité qui régnait entre les participants. NOÉMIE WALTER

DR

Fabrice Ducrest©UNIL

© HEC

Nicole Chuard © UNIL

MÉDECINE, 4L, EUROPE ET GÉOGRAPHIE Depuis ce 1er janvier, Pat Cox préside la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. Cet ancien président du Parlement européen, de nationalité irlandaise, succède à José Maria Gil-Robles. Sexagénaire, cet habitant de Dublin au français excellent fut professeur d’économie, journaliste et député européen. Après les élections générales britanniques du 7 mai, un colloque sera consacré à l’hypothèse du «Britxit», c’est-à-dire la sortie potentielle de l’Europe par le Royaume-Uni, où l’euroscepticisme – notamment dans les médias – est puissant. Dans son édition d’avril 2015, L’uniscope, le journal du campus de l’UNIL, a réalisé un portrait de Pat Cox. DS Allez savoir !

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L’Association des géographes de l’Université de Lausanne (ArGile) a récompensé Jonathan Bussard pour son Mémoire de master, intitulé Protection et valorisation du patrimoine géomorphologique du Parc naturel régional Gruyère Paysd’Enhaut. Etats des lieux et perspectives. L’objet principal est la réalisation d’un inventaire des géomorphosites de ce parc de 503 km2, c’est-à-dire les lieux qui possèdent un intérêt scientifique, écologique ou esthétique. Son travail sert de base pour analyser les usages et la gestion des sites, notamment en termes de protection et de valorisation. (RÉD.) http://mesoscaphe.unil.ch/igul/ memoires/bd/

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POLITIQUE

MODÈLE

La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et François Hollande, lors de la finale de la Coupe Davis remportée par la Suisse, le 22 novembre 2014 à Lille. © DUKAS / Corbis

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, LA SUISSE UN EXEMPLE POUR LA

FRANCE Ils sont de droite comme de gauche, nationalistes ou écolos, allemands et français, politiciens ou chercheurs. Ils apprécient le modèle suisse et le disent. Comme Dominique Bourg, professeur à l’UNIL, qui a sorti récemment un livre où il propose d’«Helvétiser la France». Voici pourquoi. PROPOS RECUEILLIS PAR JOCELYN ROCHAT

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POLITIQUE

AS: Quand vous voyagez en train, vous pensez à «Helvétiser la France» ? Dominique Bourg: C’est vrai. Je prends souvent le train, et c’est là que m’est venue l’idée du livre. Notamment dans le TGV, qui est un train bruyant, construit avec des matériaux qui n’ont pas été choisis pour durer, comme cette moquette qui ne se nettoie pas, sans parler des WC chimiques qui dysfonctionnent. Je ne comprends pas que ce soit si mal conçu. Alors que les constructeurs des rames sont souvent les mêmes, les cahiers des charges suisses et français privilégient des paramètres différents. En France, c’est la vitesse. Pourquoi pas, mais il vaudrait mieux un train qui va un peu moins vite et qui soit plus confortable. Comme un train suisse ? Oui, ils sont rapides, mais pas de façon inutile. Ils sont confortables, propres et bien insonorisés. Et surtout, ils desservent efficacement l’ensemble du pays. Ici, vous n’avez pas besoin de voiture, vous pouvez aller partout en transports publics. En France, si vous sortez de Paris ou d’autres métropoles, c’est impossible. Le réseau ferroviaire suisse est une merveille d’équilibre, et c’est aussi une manifestation très intéressante de la puissance publique.

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lle est bien révolue, l’époque où les Suisses vivaient cachés. Désormais, de nombreuses voix s’élèvent à l’étranger pour saluer leur système politique, avant de suggérer de s’en inspirer. L’an dernier, au Forum des 100 organisé chaque année par L’Hebdo à l’UNIL, c’est l’ex-numéro 2 du gouvernement allemand, l’écologiste Joschka Fischer, qui a conseillé à l’Europe de s’inspirer de la Suisse qui, «en centralisant le pouvoir dans un “Etat de la raison” quadrilingue, a pu échapper aux nationalismes des Etats ethniquement homogènes et devenir une petite Europe moderne». Plus récemment, c’est le philosophe Michel Onfray qui a confessé son intérêt pour la démocratie helvétique, dans Le Journal du matin de RSR La Première. Très critique avec l’Europe, ce Français de gauche apprécie l’attitude «libertaire» des Suisses. Une admiration que partagent d’autres antieuropéens, mais de droite, comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour qui défendent les votes antiminarets ou sur l’immigration de masse des Suisses. La patronne du rassemblement Bleu Marine a ainsi fait la Une du Matin en déclarant «Les Suisses ont raison». Il y a enfin eu une série de best-sellers qui, à l’image de François Garçon, tentent d’expliquer Le modèle suisse. Sans oublier L’Allemagne disparaît du banquier socialiste allemand controversé Thilo Sarrazin, qui cite plusieurs fois la Suisse en exemple. Et enfin ce livre d’entretiens où le professeur franco-suisse de l’UNIL, Dominique Bourg, envisage carrément d’«Helvétiser la France». Est-ce bien sérieux ? Allez savoir ! lui a posé la question. 18

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DOMINIQUE BOURG Professeur à l’Institut de géographie et durabilité. Nicole Chuard © UNIL

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Les trains nous en diraient donc long sur la façon dont un pays est gouverné ? Je le pense. Le train suisse est consensuel. Il a été imaginé pour satisfaire une clientèle dont on sait qu’elle est plurielle. Ce n’est pas le cas en France. Et cela vaut aussi pour la politique. Dans l’Hexagone, le système ne fonctionne que dans l’affrontement. C’est un sport national, les gens adorent ça. Mais quand ça va mal et qu’il faut aborder des sujets très importants, on devrait pouvoir trouver des consensus et prendre des décisions qui rassemblent des majorités, ce qui est impossible dans la culture française. Les institutions ne font que renforcer les fractures et les oppositions. La France est un pays divisé qui reste dans la logique du tout ou rien. Et l’alternance entre la droite et la gauche n’arrange rien, puisqu’elle offre, momentanément, tout le pouvoir à un seul camp, et qu’elle interdit à des politiciens issus de partis différents de travailler ensemble. Justement, le système suisse oblige des adversaires politiques à collaborer. Dans votre livre, vous aimeriez qu’un socialiste français soit parfois forcé de travailler avec un élu Front national. Mais franchement, est-ce possible ? C’est bien le problème. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’est pas souhaitable que cette situation évolue. «Helvétiser la France», c’est vraiment imaginable ? Il y a, aujourd’hui en France, un intérêt pour le changement constitutionnel. Les gens se rendent bien compte qu’on est arrivé à la fin de la Ve République, et qu’il y a un risque de


Sipa/Chamussy/DUKAS - Reuters/Charles Platiau - Keystone/DPA/Horst Galuschka - Sipa/Lamachere/DUKAS

CE QU’ILS EN PENSENT

«LE MODÈLE SUISSE, J’AIME BEAUCOUP. VOUS ÊTES DES LIBER­ TAIRES BIEN PLUS PROCHES DE LA DÉMOCRATIE QUE NOUS» MICHEL ONFRAY

«LA SUISSE A RÉUSSI À METTRE EN ŒUVRE CE QUE NOUS RÉCLAMONS DEPUIS DES DÉCENNIES» MARINE LE PEN

voir arriver Marine Le Pen au pouvoir. Donc changement constitutionnel il y aura, puisque la France ne sait pas se changer sans changer ses institutions. Les institutions actuelles ont été imaginées pour sortir de la IVe République. Elles ont été très utiles à un moment donné, mais elles ont été complètement dénaturées avec le mandat présidentiel raccourci, les problèmes de cohabitation, etc. Elles dysfonctionnent, et elles ont encore intensifié les tares nationales. Notamment en focalisant l’attention sur la présidentielle. Dès qu’un candidat est élu, la guerre reprend en prévision de l’élection suivante. C’en est ridicule, et ce système a transformé les partis en petites coteries de militants qui ne débattent plus du fond, et sont prêts à se tuer au détriment de l’intelligence, de l’intérêt général et du reste de la population. C’est effrayant et totalement inefficace. La Suisse élit son Parlement à la proportionnelle. Si on transpose ce système en France, cela permet à Marine Le Pen d’obtenir une forte délégation, peutêtre même la plus importante du pays, comme c’est le cas pour l’UDC en Suisse. Vous pensez toujours que c’est une bonne idée ? Le Front national, ce n’est pas ma tasse de thé, mais si on a un FN à 30%, c’est parce qu’on a une représentation parlementaire et des partis qui dysfonctionnent. C’est parce que les gens ont l’impression de ne plus être écoutés du tout – ce qui est foncièrement vrai – et parce que les gens ont l’impression d’être extrêmement mal représentés, ce qui est aussi extrêmement vrai. Si on tient compte de l’abs-

«LA SUISSE EST LE SEUL MODÈLE FÉDÉRALISTE QUI POURRAIT SERVIR À L’UNION EUROPÉENNE»

«LES SUISSES SONT LES VRAIS, LES SEULS HÉRITIERS DE LA DÉMOCRATIE SELON JEAN-JACQUES ROUSSEAU»

JOSCHKA FISCHER

ERIC ZEMMOUR

tention, la majorité qui gouverne la France représente au mieux 20 à 25% de la population. Et le Parlement français est l’un des plus masculins, et un de ceux qui représentent le moins bien les catégories socioprofessionnelles, y compris des classes d’âge, donc un Parlement qui ne représente plus grand monde. Si on imagine une Assemblée nationale élue à la proportionnelle, le pays devient ingouvernable... Nous sommes d’accord. Deux réponses à cette difficulté: d’abord, on n’est pas obligé de pratiquer une proportionnelle stricte. On peut choisir un système mixte, comme en Allemagne. Ensuite, il faut bien voir que 30% d’UDC en Suisse ne représentent pas un danger, parce qu’ils sont élus dans des gouvernements collégiaux où les autres grandes tendances politiques sont aussi représentées. En France, c’est très différent, puisqu’un FN qui obtient 30% des voix peut gagner une élection, et ensuite gouverner tout seul. Tout seul et durablement... Le système français permet à une faible majorité d’imposer ses vues durant plusieurs années, même si le reste de la population trouve certaines de ces idées extrêmes. Quand vous votez pour la droite ou la gauche, vous choisissez aussi un paquet électoral. Mais quand vous interrogez les Français, vous découvrez qu’ils ne se reconnaissent jamais dans la totalité du programme proposé par les candidats. En revanche, quand on a des gouvernements collégiaux comme en Suisse, il en va tout autrement. Allez savoir !

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en plus souvent des politiciens et des experts évoquer des modèles étrangers. C’est souvent l’Allemagne, parfois la Suisse. Comment expliquer ce changement de perspective ? Les Français ne sont pas fous: ils sont bien conscients que leur pays dégringole. Du coup, la fierté gauloise en prend un coup, on devient plus modeste et on regarde ce qui marche ailleurs, ce que les Suisses ont toujours fait. Ici, on est très fier d’être Suisse, mais ce sentiment n’a jamais empêché les gens de tirer des leçons de ce qui arrive dans le reste du monde. La fierté française, elle, a longtemps aveuglé les Français. Ce n’est plus le cas, heureusement. Profitons-en.

Ce gouvernement plus diversifié travaille de manière collégiale, et cherche des compromis, des consensus. Il lui arrive très souvent de prendre une décision que les citoyens n’approuvent pas dans sa totalité, mais qu’ils admettent, parce qu’ils pensent que c’est la moins mauvaise solution, ou la plus acceptable. C’est pour cela que la Suisse est le royaume des centristes, alors qu’en France, des figures comme François Bayrou et Jean-François Kahn n’accèdent jamais au pouvoir... Exactement. En Suisse, les modérés des différents partis travaillent ensemble. Quand je propose d’helvétiser la France, je pense à cette recherche de consensus. C’est un système bien plus intéressant. Et quand les problèmes environnementaux se poseront de manière plus insistante, dans 20 ou 30 ans, on aura besoin de mécanismes de ce genre. Comment voulez-vous – j’imagine un scénario horrible – organiser des rationnements dans un système français ? Il y aurait tout le monde dans la rue. Alors que c’est imaginable en Suisse, où des politiciens peuvent expliquer que le rationnement est la solution la moins injuste qui a été trouvée pour résoudre une crise. Et ça passerait probablement en votation, dans le calme.

HELVÉTISER LA FRANCE. Entretiens de Dominique Bourg avec Philippe Dumartheray. Ed. L’Aire/Ginkgo (2014), 96 p.

Vous voyez beaucoup d’avantages à la machine suisse à dégager des consensus. Ici, pourtant, ce système est souvent critiqué dans les médias parce qu’il ne permettrait pas de faire des choix clairs, et qu’il accoucherait toujours de demi-mesures... En Suisse, on fait vraiment la différence entre ses convictions profondes, son analyse de la situation et le type de solution qui peut être efficace et qui va convenir à l’ensemble du pays pour permettre à la nation d’avancer. C’est vraiment génial. Le consensus, ça ne veut pas dire que vous êtes d’accord sur tout et sur le fond, mais que vous êtes d’accord pour vous entendre sur une solution de compromis, parce qu’il n’y a pas d’autre issue dans les démocraties qui sont forcément pluralistes. Que voulez-vous de mieux ? La majorité des Suisses sera d’accord avec vous. Reste à savoir si ce modèle suisse est soluble dans l’âme gauloise, si friande de combats politiques. Et puis, ce serait dommage pour le spectacle... C’est vrai que les téléspectateurs suisses s’amusent beaucoup en suivant la politique de leurs voisins, mais la France ne rigole pas, et le pays dégringole. Et je pense que son système politique est pour beaucoup dans ce déclin très inquiétant. Il n’y a pas si longtemps, dans les débats politiques comme dans les soirées électorales, les Français parlaient aux Français de la France et du modèle français. Mais, depuis quelque temps, on entend de plus 20

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Quand il est venu annoncer son retour en politique, sur TF1, Nicolas Sarkozy a parlé de référendums. Et Ségolène Royal a proposé récemment qu’un référendum local permette de trouver une solution au conflit relatif au barrage de Sivens... Ce sont des propositions qui vont dans la bonne direction ? Il faudra voir à l’usage. Habituellement, en France, lors des grands référendums, les citoyens ne répondent jamais à la question posée. Ils répondent à celui qui l’a posée. A partir du moment où vous remplacez l’hyper-président, cet homme qui doit sauver le pays tout seul, par un gouvernement collégial où siègent des partis différents, un tel réflexe n’a plus de sens. Vous devez répondre à la question posée. En Suisse, les gens votent beaucoup, et ils m’épatent souvent. C’est toujours sensé, même quand je ne suis pas d’accord avec le résultat. Ce n’est pas parce que le Suisse est plus intelligent dans ses gènes. Mais parce que les institutions ont élevé le niveau d’exigence citoyen des Suisses, alors que le système français abaisse le niveau d’exigence. Votre vision de la Suisse est flatteuse... C’est vrai, mais, comme je l’ai écrit dans le livre, je ne pense pas que tout est parfait, j’ai seulement rassemblé les idées et les fonctionnements que je trouve géniaux dans ce pays. Et comme j’y vis, je sais que ça marche. Pourtant, quand on parle d’écologie, votre domaine de recherche à l’UNIL, la démocratie à la Suisse n’est pas aussi efficace... Ce n’est pas la démocratie qui nous empêche de résoudre les problèmes écologiques. On le sait, les hommes ne se mobilisent que s’ils se sentent directement responsables d’un dommage, ou quand ils sont confrontés à un danger soudain, évident et perceptible par les sens. Quand on a affaire à des problèmes abstraits, compliqués, techniques et qui ne produiront des effets que dans une temporalité assez longue, comme le dérèglement climatique, c’est beaucoup plus difficile de sensibiliser des gens, parce que leur thermomètre de bien-être immédiat ne fonctionne pas. Les mécanismes de la démocratie représentative ne permettent pas de répondre à cela, mais aucun système ne le fera. 


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A mi-chemin entre récit historique et légende peuplée d’éléments merveilleux, les textes hagiographiques relatent la vie ou l’œuvre des saints. Apparus dès l’Antiquité, ils gardent aujourd’hui leur importance durant les procédures de canonisation. L’éclairage d’Eric Chevalley, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d'archéologie et des sciences de l'Antiquité.

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omposée des mots grecs hágios (saint, sacré) et gráphein (écrire), l’hagiographie qualifie l’écriture de la vie ou de l’œuvre des saints. Le terme s’applique aujourd’hui également à l’étude de ces documents qui peuvent prendre plusieurs formes,

4 notamment la vita qui retrace la vie et les miracles d’un saint et la passio qui rapporte les souffrances et les supplices endurés par un martyr chrétien. Contrairement aux biographies, les récits hagiographiques ont plutôt pour vocation de rappeler les vertus extraordinaires et la sainteté du personnage. «Destinés en premier lieu à être lus pendant une célébration liturgique, ils obéissent à toute une série de conventions stylistiques», explique Eric Chevalley, spécialiste du culte des saints et de l’Antiquité tardive. La personne dont on relate la vie est généralement qualifiée d’ «enfantvieillard», on suppose qu’elle bénéficiait dès son plus jeune âge de la sagesse d’un vieil homme. Les œuvres hagiographiques sont fréquemment peuplées d’éléments merveilleux, notamment de guérisons miraculeuses apportant la preuve de la vertu du personnage, mais dont l’historicité s’avère souvent

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discutable. Une facette de la discipline parfois décevante, car les textes ne fournissent que peu de détails sur la vie quotidienne de l’époque. Coauteur d’un ouvrage rassemblant trois documents anciens relatifs aux origines de l’abbaye de Saint-Maurice (VS)*, Eric Chevalley explique que

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les écrits ne révèlent rien sur la manière dont ce lieu était géré. Certains passages de l’histoire sont même tus. Le fait que saint Sigismond, fondateur du monastère en 515, ait fait assassiner son fils est par exemple totalement passé sous silence. Par extension, le terme «hagiographie» est d’ailleurs aujourd’hui utilisé de manière péjorative pour désigner une biographie excessivement élogieuse et le manque de recul d’un auteur envers la personne ou le sujet étudié. Le livre d’Eric Chevalley révèle une autre spécificité de la discipline. La réalisation de l’ouvrage, édité en latin et en français, a nécessité l’étude approfondie de dizaines de manuscrits anciens. Les textes hagiographiques sont en effet souvent anonymes et donc peu protégés. Au fil des ans, ils ont ainsi fréquemment été complétés, voire modifiés. Un vrai casse-tête pour les chercheurs dont la mission a été de retrouver la ver-

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sion la plus authentique et originale possible. Le latiniste a également collaboré à la réalisation d’un ouvrage plus large sur l’histoire de l’abbaye. Dirigé par Bernard Andenmatten, professeur à l’UNIL, le livre est paru en avril 2015 à l’occasion du 1500e anniversaire de la fondation du lieu. L’hagiographie, désuète ? Certainement pas. Elle joue encore un rôle essentiel lors des processus de canonisation. A l’occasion des procès de béatification, de multiples écrits sont rédigés afin de retracer la vie des saints contemporains. On y a ajoute désormais des éléments plus scientifiques comme des témoignages de médecins mais l’objectif reste toujours d’apporter la preuve de la vertu extraordinaire de la personne susceptible d’être canonisée. De nombreux historiens et latinistes s’intéressent encore à cette thématique. Par exemple, le Centre d’études médiévales et postmédiévales de l’UNIL s’est récemment penché, dans le cadre d’un cours public, sur les saints et la sainteté au Moyen Age, à Lausanne et en Suisse romande. Yann Dahhaoui, chercheur à l’Institut religions, cultures, modernité y relevait l’importance des récits hagiographiques dans la création du mythe de saint Nicolas.  MÉLANIE AFFENTRANGER

* La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune - Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond. Par Eric Chevalley et Cédric Roduit. Cahiers lausannois d’histoire médiévale, vol. 53 (2014), 289 p.

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Membre des Tyrannosauroidea découvert en Chine, ce petit dinosaure possédait des plumes simples. Il a vécu il y a environ 130 millions d’années. © Portia Sloan Rollings/ National Geographic Creative

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, S’IL TE PLAÎT DESSINE-MOI UN

DINOSAURE Ils bondissent et rugissent. A leur approche, les humains fuient ou finissent en casse-croûtes. Les dinosaures de Jurassic World, quatrième opus de la série lancée par Steven Spielberg, occupent le terrain cet été. Même s’ils sont spectaculaires, les animaux montrés dans le film ne collent pas aux découvertes les plus récentes de la paléontologie. TEXTE DAVID SPRING Allez savoir !

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Le Musée cantonal de géologie www.unil.ch/mcg/fr/home.html

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raptor trouvé en Mongolie ont permis de démontrer qu’il possédait également des plumes primitives.*» Au total, les restes de plus d’une quarantaine d’espèces emplumées ont été identifiés à ce jour. Leur point commun: ils sont tous terrestres, contrairement à l’Archaeopteryx, un dinosaure volant connu depuis 1861.

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e mélange de la préhistoire et du moteur à explosion fait toujours plaisir à voir. Ainsi, dans une séquence de Jurassic World (sortie le 10 juin), un groupe de raptors galope autour d’une moto. Comme pour s’inscrire dans la continuité du premier Jurassic Park (1993), ces animaux sont dotés d’une peau écailleuse. Cette scène d’action exotique a agacé le zoologue Darren Naish, de l’Université de Southampton. Sur son compte Twitter@TetZoo, il a indiqué que le message basique du film est «que la science aille se faire voir, nous n’avons pas besoin de plumes puantes». La raison de son ire ? Depuis vingt ans, on sait que bien des espèces du grand groupe (ou clade) des Coelurosauria – dont font partie de nombreux carnivores comme les tyrannosaures – possédaient un plumage archaïque. Les preuves ont été dénichées dans le nord-est de la Chine, où la province du Liaoning est devenue l’un des hauts lieux de la paléontologie. Localement, des cendres volcaniques ont permis une conservation exceptionnelle des fossiles. Parmi eux figure le Sinosauropteryx, décrit en 1996 *. Le corps de cet animal, qui a vécu il y a environ 130 millions d’années, était couvert de plumes filamentaires simples. En 2004, dans Nature *, des scientifiques chinois annonçaient la présence de protoplumes sur Dilong paradoxus, membre des prestigieux Tyrannosauroidea. En 2007, rappelle Robin Marchant, conservateur au Musée cantonal de géologie et chercheur à l’UNIL, «des nodosités régulières observées sur le radius d’un Veloci24

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ROBIN MARCHANT Conservateur au Musée cantonal de géologie et chercheur à l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

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Du pain aux dinos Voici bien la découverte la plus troublante de ces dernières décennies: apparus il y a environ 150 millions d’années, les oiseaux ont émergé d’une branche des dinosaures, celle des théropodes (où l’on trouve l’essentiel des prédateurs). Ce qui signifie que les ancêtres de nos moineaux ont survécu à l’extinction massive qui sonne la fin du Crétacé, il y a 65 millions d’années. Et que nous donnons du pain à des dinosaures aquatiques, le dimanche au bord du lac. Cette hypothèse, qui rencontre un large consensus chez les scientifiques, ne date pourtant pas d’hier. Elle a été émise par Thomas Henry Huxley, peu après la publication De l’origine des espèces de Charles Darwin, en 1859. Le nom de ce biologiste anglais a été donné à Anchiornis huxleyi * exhumé dans le Liaoning. Cette bête a gambadé à la fin du Jurassique, il y a environ 160 millions d’années. Elle est devenue célèbre en 2010, lorsqu’une équipe de chercheurs de l’Université de Yale a réussi à reconstituer sa couleur *, grâce aux vestiges de ses mélanosomes. C’est-à-dire les organites qui fabriquent les couleurs noir et rouge-brun. «Selon ces travaux, l’animal ressemblait un peu à une pie avec ses plumes noires et blanches, et il possédait une crête rouge !», note Robin Marchant. Ce dernier incite toutefois à la prudence: «Nous connaissons les os et les empreintes des dinosaures: tout le reste, ce sont des suppositions.» Mais, au vu de l’extraordinaire richesse de couleurs de leurs pépillants descendants, il est légitime de supposer qu’ils n’étaient pas seulement gris ou verts, comme ils ont été représentés depuis un siècle et continuent à l’être dans la fiction. Quel bruit émettaient-ils ? Là aussi, seules des conjectures sont permises. «Avant de sortir de l’œuf, les crocodiles piaillent. Les oiseaux possèdent un répertoire incroyable. Je ne serais donc pas étonné que les dinosaures fussent bien plus mélodieux que les épouvantables barrissements que l’on entend dans Jurassic Park», sourit Robin Marchant. Passage à l’horizontale Le maintien de ces créatures préhistoriques a beaucoup évolué. «Par le passé, certains dinosaures étaient représentés à la manière des kangourous, debout sur leurs pattes arrière. D’autres barbotaient en permanence dans des mares, car on les supposait trop lourds pour se déplacer, se souvient Robin Marchant. Mais de nos jours, les illustrations les montrent avec la colonne vertébrale à l’horizontale, leur queue se balançant afin de compenser le mouvement.» Un spectacle nettement plus gracieux.


Ainsi, il est réaliste de penser que les sauropodes (les grands quadrupèdes herbivores dont font partie les diplodocus), «pouvaient se dresser sur leurs pattes arrière, ou même courir. Les éléphants en sont bien capables», note le chercheur. Dans plusieurs épisodes de Jurassic Park, on voit des théropodes se déplacer à grande vitesse, au point de rattraper une Jeep ou une moto. «Grâce aux empreintes de pas et à la longueur des fémurs des dinosaures, nous possédons quelques indications sur leurs capacités de course, indique Robin Marchant. Mais le problème consiste à déterminer quel animal a laissé quelle trace.» Toutefois, grâce à des simulations, on estime que le frêle Compsognathus pouvait dépasser les 60 km/h. Le tyrannosaure tournait plutôt autour des 30 km/h, ce qui est déjà pas mal pour une bête de 6 tonnes, et de toute façon beaucoup trop pour ses victimes au cinéma. Dans son récent ouvrage Jurassique Suisse: des dinosaures et des mammouths dans nos jardins !, Robin Marchant met l’accent sur une différence importante entre les reptiles et les dinosaures. Les membres des premiers sont pliés, et se trouvent sur les côtés de leur corps. Les seconds, comme les humains d’ailleurs, se déplacent sur des pattes droites. Cette posture demande moins de force pour transporter un poids important. C’est probablement cette caractéristique qui a permis à certaines espèces d’atteindre des tailles comme 13 mètres de haut et 22 mètres de long, à l’image du brachiosaure. Esprit de famille Notre pays recense plusieurs milliers de traces de pas de dinosaures, comme par exemple au Piz dal Diavel (GR) ou sur le site de Béchat Bovais (JU). Ces pistes tendent à montrer que bien des herbivores vivaient en troupeaux. «Les nombreuses empreintes trouvées autour des nids accréditent l’idée que certains étaient de véritables mères poules, et qu’ils s’occupaient de leurs petits, tout comme les oiseaux.» Le dimorphisme sexuel reste largement un mystère: comment distinguer les femelles des mâles ? En 2005, trois chercheurs américains, parmi lesquels figure «Jack» Horner, qui a collaboré avec Steven Spielberg, ont annoncé une découverte importante (et contestée) dans Science*. A l’intérieur d’un os de tyrannosaure, Mary Schweitzer a repéré la présence de tissus particuliers, appelés os médullaires. Ceux-ci n’existent que chez les femelles oiseaux en gestation, et leur servent à stocker le calcium nécessaire à la fabrication des œufs. Ce qui a permis à la fois de déterminer le sexe de la créature et de renforcer le lien entre dinosaures et volatiles. Loin des fantasmes génétiques de Jurassic Park, c’est la géochimie qui a fourni des informations intéressantes, grâce à l’analyse des dents et des os. Ces derniers fixent, au moment de leur formation, l’oxygène de l’eau que nous absorbons, que cette dernière soit contenue dans la nour-

TORSTEN VENNEMANN Professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre. Nicole Chuard © UNIL

riture ou dans l’air – sous forme de vapeur ou de pluie. Cet élément indispensable à la vie possède plusieurs isotopes stables. Dans la nature, 16O (8 protons et 8 neutrons) est le plus abondant (plus de 99% des effectifs). Son cousin 18O (8 protons et 10 neutrons) est nettement plus rare (0,2 %). Le quotient entre le second et le premier, noté δ18O, donne de précieuses indications aux paléoclimatologues. «Ce ratio varie en fonction de la température, de la latitude et de la quantité d’eau condensée dans l’air», explique Torsten Vennemann, professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre. Mais à quoi comparer ce chiffre ? «Depuis près de cinquante ans, les stations météorologiques du monde entier mesurent ces valeurs.» Les saisons jouent également un rôle: en été, on trouve davantage de 18O dans les précipitations, et c’est l’inverse en hiver. Cette dernière information se croise avec la suivante: les os se remplacent au cours de la vie à un rythme qui varie selon les espèces. Il est possible d’y repérer des anneaux de croissance et donc d’avoir une idée de la vitesse à laquelle l’animal a grandi, selon que les saisons furent chaudes ou froides dans les dernières années de sa vie, voire même dans les premières années si l’on utilise les dents. Sang chaud ou froid ? La concentration des différents isotopes dépend également de la température du corps au moment où le tissu osseux se forme. Ce qui nous amène à la question suivante:

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L’Institut des dynamiques de la surface terrestre www.unil.ch/idyst/en/home.html

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les dinosaures avaient-ils le sang froid comme les reptiles ou chaud comme les oiseaux ? Les premiers, dits ectothermes, ont la même température que leur milieu. Leur croissance est lente et ils consomment beaucoup moins de nourriture que les endothermes, qui maintiennent leur organisme à température constante et dont la croissance est rapide. Même s’ils vivent côte à côte et partagent l’eau de mares communes, leurs δ18O seront différents, puisque leurs températures internes le sont également. Imaginons maintenant des restes de dinosaures et d’ectothermes (crocodiles et tortues), datant de la même période préhistorique et trouvés dans le même gisement. Mesurons leurs concentrations respectives en isotopes d’oxygène. Faisons exactement le même travail, mais avec des mammifères et des ectothermes contemporains. Les différences observées entre les deux groupes de fossiles et les deux groupes modernes sont similaires, ce qui permet à une équipe de chercheurs de soutenir que l’endothermie était répandue chez les dinosaures *. 26

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SINOSAUROPTERYX

Découvert en Chine et décrit en 1996, ce dinosaure à plumes d’un mètre de long a vécu il y a environ 130 millions d’années. Sa couleur a pu être déduite de ses fossiles. © Keystone/Science Photo Library/Julius T. Csotonyi

ANCHIORNIS HUXLEYI

Les couleurs de ce minuscule dinosaure, qui a vécu il y a 160 millions d’années, ont été reconstituées par des chercheurs de l’Université de Yale. © Keystone/Science Photo Library/Julius T Csotonyi

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Croissance rapide Avec un étudiant de master, Torsten Vennemann a travaillé sur un os d’un membre de la famille des Tyrannosauroidea, en utilisant une approche déjà publiée par son groupe de recherche sur un autre dinosaure en 2004*. Ce tissu a crû de 15 cm de diamètre en 5 ans, ce qui est énorme. «Une telle croissance n’est possible que si l’animal mange beaucoup», ajoute le professeur. Les quantités deviennent carrément astronomiques si l’on visualise le menu d’un diplodocus ou d’un brachiosaure, des herbivores à côté desquels l’éléphant d’Afrique fait figure de petite chose. Un tel métabolisme est-il vraisemblable ? En 2014, dans Science*, des scientifiques proposent une troisième voie: la mésothermie. L’un des animaux souvent étudié par Torsten Vennemann, le requin blanc, la pratique. «En temps normal, cet animal possède la même température que celle de l’eau. Mais il peut la faire monter de 5 degrés afin d’être plus actif que ses proies, par exemple en eaux froides. Cela lui procure un avantage par rapport aux autres espèces.» Les


dinosaures auraient donc fonctionné ainsi. «Cela devait être très pratique de pouvoir passer d’un système à l’autre, c’està- dire de manger davantage et de croître quand la nourriture était abondante, et de passer à l’ectothermie, bien plus économique, lorsque les conditions deviennent difficiles.» This is the end Les oiseaux furent les seuls dinosaures à franchir la limite Crétacé-Tertiaire (C-T), c’est-à-dire une grande extinction qui a eu lieu il y a 65 millions d’années. Adieu, tricératops et ptéranodons ! Mais quelle est l’arme du crime ? Météorite ou éruptions ? Le sujet fait l’objet d’une controverse durable. Expert scientifique à l’Institut des sciences de la Terre, Thierry Adatte est l’un des co-auteurs d’un article paru dans Science, fin 2014*. Grâce aux zircons, soit des cristaux recueillis dans des couches de roches et cendres volcaniques en Inde (lire également Allez savoir ! N°57), il a été possible de dater les différentes éruptions colossales qui ont eu lieu à l’époque. L’essentiel des coulées a commencé

JURASSIQUE SUISSE. Des dinosaures et des mammouths dans nos jardins. Par Robin Marchant en collaboration avec Bernard Pichon. Ed. Favre (2014), 231 p.

* Les références des articles se trouvent sur www.unil.ch/allezsavoir

250 000 ans avant la limite C-T, pour se terminer 300 ou 400 000 ans après. Les quantités folles de gaz et de poussières émises pendant des millénaires ont modifié le climat. Si l’on ajoute un (ou deux) astéroïdes géants à la facture, le compte est réglé. Les dinosaures terrestres sont-ils perdus à jamais ? Jurassic World, comme les autres films de la série, imagine que de l’ADN de ces créatures, isolé depuis le sang de moustiques figés dans l’ambre, serve à les faire renaître. Hélas, cette idée poétique reste aussi invraisemblable qu’en 1993, car la fragile molécule d’ADN ne peut se préserver, en partie, que pendant quelques centaines de milliers d’années dans des conditions de froid bien particulières. Il n’y a rien à espérer de fossiles minéralisés depuis des éons. Pour nous consoler, la nature nous a laissé 10 000 espèces d’oiseaux, présents sous tous les climats, du sommet des montagnes au bord des océans. Leurs couleurs et leurs chants nous laissent entrevoir la richesse de la vie lorsque les dinosaures régnaient sur la planète. 

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4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne 28 Allez savoir ! N° 60 Mai 2015 UNIL | Université de Lausanne


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LA SCIENCE AU SERVICE DE LA PRATIQUE

A

la Faculté des hautes études commerciales, où j’enseigne depuis 2009, nous pouvons mettre à la disposition des entreprises non pas seulement un contenu scientifique qui a fait ses preuves dans de nombreuses situations, mais encore une manière analytique d’appréhender les problèmes par-delà les savoirs établis et les intuitions. Le manager idéal, à mes yeux, développe sa compréhension des mécanismes de causalité et se révèle ainsi capable de critiquer ses propres propositions de départ. En quelque sorte, il devient un scientifique. Cette manière de penser et de faire, qui implique souvent la nécessité de revenir vers le terrain pour tester les savoirs et les intuitions dans un contexte particulier, j’essaie de la transmettre aux étudiantes et aux étudiants du cours Evidence-based Management, leur permettant de travailler sur des cas pratiques. Un exemple. Nous avons étudié l’histoire d’une petite société alémanique qui, dans un contexte compétitif, envisageait d’augmenter la commission journalière touchée par ses livreurscyclistes. La rémunération est déterminante pour doper la motivation, en principe, mais l’entreprise concernée voulait tester cette proposition éprouvée. Eh bien, dans ce cas, avec des livreurs-cyclistes exerçant pour la plupart d’entre eux cette activité à côté de leurs études, la motivation

AMENER SUR LE MARCHÉ DES JEUNES BIEN FORMÉS REPRÉSENTE À NOS YEUX UNE PRIORITÉ.

JOERG DIETZ Professeur à la Faculté des HEC

financière s’est révélée unique et peu inspirante en termes d’engagement personnel. Après avoir atteint un montant à leur convenance, les employés n’en faisaient pas davantage. Au contraire de leurs intuitions initiales, les managers ayant testé ces hypothèses d’une manière expérimentale ont abandonné l’idée d’augmenter la commission des cyclistes. Pour citer deux chercheurs de Stanford University: «Parce que les compagnies varient tellement en termes d’âge, de taille, de forme, d’histoire, il est dans ce domaine encore plus risqué que sur le terrain médical de considérer qu’un traitement valable dans un cas particulier le sera forcément ailleurs.» Autrement dit, on trouve bien souvent dans le business des facteurs uniques qui ne changent pas les principes de base mais introduisent des variations inattendues. C’est pourquoi, dans notre faculté, nous mettons l’accent non seulement sur les savoirs acquis mais également sur les processus scientifiques permettant de tester les propositions causales. Enfin, notre message veut souligner que la méthode expérimentale exécutée sur le terrain reste le meilleur moyen de valider ces propositions (par exemple, comment les incitations financières influencent la performance au travail). L’université est là pour le rappeler et offrir son expertise. Hélas, que ce soit dans le monde médical ou dans

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celui des affaires, il faut bien constater que les savoirs, les méthodes et les expériences scientifiquement établies – Evidence based – ne se transmettent pas facilement aux professionnels engagés quotidiennement dans des pratiques exigeantes. Il faut dès lors améliorer les liens entre le monde de la recherche académique et la société. Pour ce qui me concerne, en tant que professeur au Département de comportement organisationnel et vice-doyen en charge de la recherche, il s’agit aussi de préparer nos étudiantes et nos étudiants à apporter dans le monde du travail cet esprit scientifique capable d’améliorer la compréhension des causalités. Pour cela, il faut que les universitaires travaillent avec rigueur et ne cèdent en rien à certaines facilités, par exemple aux ambitions personnelles qui viennent interférer avec la recherche au risque de produire des travaux et des résultats bâclés. Diverses, les exigences externes ne doivent pas entraver l’activité scientifique. Sans oublier que la qualité de la recherche est essentielle pour améliorer l’enseignement. Amener sur le marché des jeunes bien formés représente à nos yeux une priorité. 

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Le Centre de recherches sur les lettres romandes www.unil.ch/crlr

CULTURE

GUSTAVE ROUD LA FASCINATION DES CORPS

PAYSANS A l’initiative du Centre de recherches sur les lettres romandes, qui fête son 50e anniversaire, trois professeurs en Lettres ont lancé une «Année Roud 2015», soit des publications et des manifestations universitaires ou muséales destinées à explorer les multiples pratiques du poète vaudois. De quoi découvrir cet auteur sous un tout autre jour. TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

D’

abord, il y a la légende. Une représentation collective qui traverse les décennies et fige une personnalité sous quelques traits spécifiques. Ainsi, dans l’opinion publique, Gustave Roud, lorsqu’on se souvient de lui, n’a gardé qu’un seul visage. Celui de ce poète du Haut-Jorat qui n’a cessé de chercher, pendant toute sa vie, au cœur des campagnes vaudoises et de leurs paysages brumeux, les traces éparses d’un paradis perdu. Les poèmes de l’auteur de l’Essai pour un paradis sont, en effet, tous marqués par cette tension métaphysique, la quête d’un accord réalisé et éprouvé ici et maintenant: un accord vécu dans le monde réel. Qu’ils prennent leur ancrage dans la contemplation des paysages qui l’entourent ou dans les scènes d’un quotidien rural, ses textes tendent tous vers une forme de sacré terrestre, que Roud nomme le «paradis humain». Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs du poète se concentrent essentiellement sur ces rapports entre nature et spiritualité, solitude et plénitude. Et ce, d’autant plus que la biographie de l’écrivain, qui le dessine en colocataire éternel de sa sœur aînée dans la maison familiale 30

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COMME UNE STATUE

Fernand Cherpillod à la charrue. Diapositive, années 1940. © Fonds Gustave Roud, BCU/Lausanne, C.-A. Subilia

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de Carrouge, vient encore grossir cette représentation d’un poète esseulé retranché dans sa campagne. «Pour beaucoup, hélas, persiste la vision d’un homme solitaire, marchant dans les plaines et enfermé chez lui avec sa sœur», relève le professeur Antonio Rodriguez, par ailleurs président de l’Association des amis de Gustave Roud. «Il écrirait des poèmes, prendrait quelques photos le reste du temps, et voilà tout...» La réalité derrière la légende L’image d’Epinal est assez jolie, il est vrai, mais passablement sommaire. C’est ce que s’apprêtent à mettre en avant les différentes manifestations liées à cette «Année Gustave Roud» (lire l’encadré p. 34), nourries par les documents et les archives conservés au Centre de recherches sur les lettres romandes et à la Bibliothèque cantonale et universitaire. En premier lieu, Gustave Roud n’est pas ce poète isolé, retiré du monde et de ses congénères, qu’a cristallisé sa légende. «Ce n’était pas un homme qui vivait dans sa tour d’ivoire», corrige immédiatement le professeur Daniel Maggetti. Et son collègue Philippe Kaenel, historien de l’art, d’enchaîner: «Gustave Roud est un homme de réseau, qui a une correspondance considérable avec les principaux acteurs


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L’Année Gustave Roud gustave-roud.ch

CULTURE

culturels, non seulement locaux mais bien au-delà. Et ceux-ci appartiennent d’ailleurs aussi bien au monde littéraire, de l’édition ou de l’art, comme les peintres René Auberjonois, Steven-Paul Robert, Jean Clerc ou Jean Lecoultre.» Pour preuve, ses échanges épistolaires foisonnants, attestant de la diversité de ses contacts et de la richesse de ses relations professionnelles. Antonio Rodriguez évoque également l’influence que le poète aura sur l’histoire même de la poésie romande: «Après la mort de Ramuz, Roud dirige pratiquement tout le milieu poétique. Il est en lien avec les éditeurs, les jurés des Prix, les revues... La plupart des jeunes poètes passent par lui pour commencer leur carrière poétique. Ils lui écrivent, lui rendent visite... Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet ou encore Pierre-Alain Tâche sont tous venus à Carrouge.» De quoi en effet bousculer la légende d’un promeneur solitaire en terres vaudoises... Le correctif n’est pas anodin. Ce malentendu a en effet marqué de son empreinte la réception de l’œuvre photographique. On pourrait même dire qu’il est indirectement en lien avec ce qui s’apparente à une éviction...

DANIEL MAGGETTI, ANTONIO RODRIGUEZ ET PHILIPPE KAENEL Professeurs à la Faculté des Lettres de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

Une véritable œuvre photographique «La photographie de Roud a longtemps été considérée comme une partie subalterne et secondaire de ses activités. Un des buts des manifestations de cette année est justement de rééquilibrer, ou plutôt de mettre en perspective les différentes pratiques de Gustave Roud, en tenant compte aussi de son travail de traducteur, de critique littéraire, de commentateur des arts visuels», explique Daniel Maggetti, tout en soulignant que «Roud est évidemment d’abord un poète et 32

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un écrivain». Sur ce point, Antonio Rodriguez est quant à lui très clair: «C’est un écrivain qui fait de la photographie, sans doute un important écrivain-photographe européen, et non un auteur qui illustrerait ses textes ou qui mènerait une unique esthétique à travers deux arts.» Si le Vaudois a en effet souvent vendu des publireportages à la presse romande, y compris à L’illustré, il n’en reste pas moins qu’il entretenait avec cet art un vrai rapport d’artiste. «Gustave Roud a une pratique précoce de la photographie, à laquelle il s’intéresse non seulement esthétiquement, mais aussi d’un point de vue technique», rappelle Daniel Maggetti. Le poète va ainsi travailler le noir et blanc, mais aussi la couleur dès ses débuts, lorsqu’il réalise notamment des autochromes. Et évidemment il développe luimême ses clichés et essaie divers procédés, en se tournant aussi, dans la dernière partie de sa vie, vers la diapositive. «Il a été particulièrement expérimental en matière de photographie», souligne Antonio Rodriguez. «Finalement bien plus qu’en littérature, où il était plus conservateur et classique, marqué par Claudel...» Aujourd’hui, l’œuvre laissée par Gustave Roud est à un tournant. Avec ses 13 000 clichés environ, le fonds photographique Roud de la Bibliothèque cantonale et universitaire s’apprête à révéler ce pan méconnu de la création du Vaudois. Mais pourquoi l’œuvre photographique a-t-elle mis autant de temps à être reconnue pour sa valeur intrinsèque ? En premier lieu, les chercheurs avancent le fait que la photographie n’était pas aussi institutionnalisée que de nos jours lorsque Roud s’y est illustré: «La place de la photo, dans l’œuvre de Roud, apparaissait alors comme forcément périphérique, voire anecdotique. Si elle pouvait présenter un intérêt historique ou même ethnologique, elle ne faisait en aucun cas œuvre», relate Philippe Kaenel, avant d’ajouter: «Nous ne sommes pas de cet avis.» En effet, l’étude des photographies de Roud met en lumière la constance de son travail artistique et de ses recherches dans ce domaine. «C’est une pratique raisonnée, assidue, construite et réfléchie. De plus, c’est une pratique qui a donné lieu à une présence publique: elle ne saurait être strictement de l’ordre de l’intime, puisqu’elle a été en partie publiée», analyse encore l’historien de l’art. Photographies intimes ? Publique ou privée ? Voilà la question qui a longtemps freiné la reconnaissance de ce formidable travail photographique, comme nous l’expose Daniel Maggetti: «Une des raisons de la marginalisation des photos de Roud tient au fait que ce qu’on en avait vu était très connoté: il s’agissait essentiellement de jeunes paysans à la plastique irréprochable, en partie dénudés. On n’avait pas vu grand-chose de plus. Du coup, Philippe Jaccottet, qui a joué un rôle de premier plan dans la prise en charge posthume de l’œuvre de Roud, éprouvait un certain malaise face à des images qui lui semblaient laisser transparaître une part de voyeurisme. A ses yeux, la


mise à distance ou la sublimation n’étaient pas suffisantes dans ces photos-là pour qu’on les prenne en considération sous un angle strictement esthétique.» Disons-le plus simplement: le caractère érotique de nombreux clichés de Gustave Roud, toujours avec des hommes pour seuls objets de désir, dérangeait. Et Antonio Rodriguez de confirmer que «pendant plus d’une trentaine d’années, Philippe Jaccottet n’a pas souhaité que l’on mette cette photographie en avant. Sur un certain plan, il avait raison: il fallait d’abord faire vivre sa poésie. Mais pour lui, la photo relevait du domaine privé et menaçait l’œuvre littéraire. C’était une autre époque où les liens entre photographie et littérature ou encore les rapports à l’homo-érotisme étaient différents des nôtres.» Gustave Roud ne cachait pas ses photographies Partant de la concomitance entre le désir chez Roud et sa figure de poète solitaire retranché chez lui, la crainte de faire de lui, aux yeux du grand public, un voyeur transi apparaissait comme une menace potentielle pour l’œuvre. C’était pourtant ne pas voir ce que nous révèlent justement ces photographies. Soit le contact réel noué par le poète avec ces paysans, ainsi que leur participation active à ces prises de vue. «On a fait de Roud cet être introverti, enfermé dans sa maison du Jorat, qui aurait dérobé des clichés de jeunes hommes dans les campagnes. Ce n’était pas son but évidemment», pense Antonio Rodriguez, qui poursuit: «Il développe une esthétique identifiable, il a photographié des générations de paysans, faisant des séries, avec des protocoles précis, leur demandant de prendre des poses identiques, mitraillant parfois son modèle, tournant autour de lui avec l’appa-

COMME UN ATHLÈTE

A gauche, une image tirée d’Olympia, de Leni Riefenstahl (1936-1938). A droite, «Fernand en train d’aiguiser sa faux», une photographie de Gustave Roud datant des années 1935-40. © Akg-images | ullstein bild © Fonds Gustave Roud, BCU/Lausanne, C.-A. Subilia

reil. Il ne cachait absolument pas sa production, il en tirait des cartes postales, partageait des tirages dans sa correspondance, quand il ne les exposait pas dans son bureau. Il a d’ailleurs conservé ce vaste matériel chez lui, sans doute pour le transmettre après sa mort.» Sur le rapport au paysan, Daniel Maggetti ajoute a contrario: «La photographie s’apparente aussi à une forme de médiation qui lui permettait d’entrer en contact avec les autres, et notamment avec ces travailleurs des champs. Cette activité ouvertement assumée lui donne accès à eux, elle lui confère un rôle, celui de preneur d’images, et lui offre l’occasion de fixer ces moments, sans être considéré comme quelqu’un de complètement hors de propos: il vient avec son appareil, il est à sa place.» Le poète se met d’ailleurs souvent en scène dans l’image, son ombre apparaissant au côté du modèle photographié. «Cette mise en abyme est une manière pour Roud de se projeter dans le monde qu’il capture. C’est un peu la relation entre la proie et l’ombre qui se joue dans ces photos», résume le professeur. Les athlètes des champs en pleine action La production photographique de Gustave Roud ne se limite pas aux clichés de corps masculins. Le poète a été inspiré par les paysages, par les natures mortes et par les fleurs; il a tiré des portraits, et photographié des tableaux de ses amis peintres, des animaux (surtout des chats), ainsi que d’innombrables scènes de vie paysanne. Mais c’est dans ces images de corps semi-dénudés, toujours masculins, que se réalise la vraie intersection entre sa poésie et les images qu’il capte. «Le lien et la comparaison entre l’écrivain et le photographe se font surtout par ce biais-là»,

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CULTURE

confirme Antonio Rodriguez. «Dans les écrits de Roud, il est déjà question de corps d’hommes, que l’on voit se baigner ou se reposer nus, mais ce n’est pas si explicite, simplement évoqué. Dans sa photographie, le corps masculin, jeune, musclé, glabre, est mis en scène en tant que force.» Et de poursuivre encore: «Il y a des composantes érotiques dans l’œuvre littéraire, mais la figure d’Aimé, cet être adoré comme la promesse d’une fusion entre l’homme et la terre, est toujours associée à celle d’un ange. Une plume se pose sur son épaule ou des cloches résonnent au loin, avec un arrière-plan spirituel. Dans la photo, cela est différent. Quand Roud photographie le corps de ses jeunes amis paysans, il les magnifie en les prenant en contre-plongée. Il n’en fait pas des paysans naturalistes en train de peiner au travail, mais plutôt des figures d’athlètes des champs en pleine action, proches de statues grecques.» Et le professeur associé de faire le lien avec l’esthétique des sportifs dans les années 30, représentée notamment par une Riefenstahl lorsqu’elle filme les Jeux olympiques de Berlin. Ces images prolongent l’œuvre littéraire du poète La composante érotique chez Roud n’était pas inconnue de son vivant, mais elle était masquée: on n’en parlait pas. Pour certains commentateurs, mettre en avant ces images serait revenu à évoquer une homosexualité possible, à quitter le plan artistique pour entrer dans le domaine du privé. Sentiment que nuance aujourd’hui le président de l’Association: «Peu importe que Roud ait été homosexuel ou non. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’on est homosexuel qu’on développe forcément une esthétique homosexuelle. Il est possible de passer par l’évocation d’une femme. Je ne me prononce pas sur l’homosexualité de l’auteur, mais il y a une composante érotique du corps masculin dans sa photographie, qui a donc été pensée et construite. Le reconnaître, ce n’est pas tomber dans des anecdotes intimes à la façon de Sainte-Beuve, mais simplement décrire son esthétique.» Quel éclairage ce fonds photographique apporte-t-il ? «L’œuvre de Roud est fragmentaire, disséminée, liée à des figures ou à des moments précis; on la lit différemment lorsqu’on la met en dialogue avec sa photo, qui arrête ces instants, ou qui en est un complément, voire un prolongement», déclare Daniel Maggetti. Le regard nouveau qu’on porte sur les textes en ayant pris connaissance des photographies induit une perte de terrain du sacré face au profane. L’accès à ce fameux «paradis humain» tant recherché par le poète ne serait-il pas donné par la beauté des corps et par leur célébration dans le désir ? C’est en cela précisément que l’œuvre photographique de Gustave Roud se révèle résolument moderne, ou plutôt intemporelle. Et Antonio Rodriguez de conclure: «Qui que l’on soit, et quelle que soit notre identité sexuelle, ces photographies touchent, parce qu’elles célèbrent le désir par le regard et la beauté tragique qui le constitue.» Tel le chant mélancolique de la séparation toujours irrésolue entre le sujet désirant et l’objet du désir.  34

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GUSTAVE ROUD

Photographié par Simone Oppliger. © Fonds G. Roud, CRLR / © Mémoires d’Ici, Centre de recherche et de documentation du Jura bernois, fonds Simone Oppliger

L’ANNÉE GUSTAVE ROUD En collaboration exceptionnelle avec des institutions hors de l’UNIL, l’Année Gustave Roud promet mille et une découvertes savoureuses. UN SITE A partir du site de l’Association des Amis de Gustave Roud, un nouveau site de référence vient d’être inauguré: biographie illustrée avec de nombreux documents inédits, exposition de photographies du Fonds de la BCU, actualités sur l’auteur. gustave-roud.ch TROIS LIVRES Gustave Roud, la plume et le regard. Dirigé par Philippe Kaenel et Daniel Maggetti. Ed. Infolio, octobre 2015.

L’ACCÈS À CE FAMEUX «PARADIS HUMAIN» TANT RECHERCHÉ PAR LE POÈTE NE SERAIT-IL PAS DONNÉ PAR LA BEAUTÉ DES CORPS ET PAR LEUR CÉLÉBRATION DANS LE DÉSIR?

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Chez Gustave Roud: une demeure en poésie. Dirigé par AnneFrédérique Schlaepfer, avec des photographies de Philippe Pache et Gustave Roud, accompagnées de textes de Georges Borgeaud, Philippe Jaccottet, Antonio Rodriguez et PierreAlain Tâche. Ed. Infolio, octobre 2015. Correspondance C. F. Ramuz - Gustave Roud. Edition établie et commentée par Ivana Bogevic et Daniel Maggetti. Cahiers Gustave Roud N° 16, 2016. QUATRE EXPOSITIONS Roud - Burnand, deux visions de la campagne. Du 20 mai au 29 novembre 2015, Moudon, Musée Eugène-Burnand. www.eugene-burnand.ch Gustave Roud, Le monde des signes et l’univers des choses. Du 27 juin au 25 octobre 2015, Montricher, Fondation Jan Michalski. www.fondation-janmichalski.com Gustave Roud: correspondances électives. Du 10 septembre au 31 janvier, Lausanne, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, site Riponne. www.bcu-lausanne.ch Gustave Roud, les traces éparses du paradis. Du 8 octobre au 13 décembre 2015, Musée d’art de Pully. www.musees.vd.ch/fr/musee-de-pully ET ENCORE... Le Centre de recherches sur les lettres romandes fête ses 50 ans cette année. Il sera présent au Livre sur les quais 2015, du 4 au 6 septembre à Morges. Un site iconographique consacré à la vie littéraire romande en images vient d’être ouvert. Extraits des fonds Suzi Pilet, Henry-Louis Mermod, René Auberjonois, Charles Clément, Alexandre Cingria, etc. http://wp.unil.ch/crlrimages


Restez en contact avec l’UNIL

L’application SmartCampus

Pour suivre au quotidien l’actualité de l’université, voir les dernières vidéos ou consulter l’agenda des évènements. SmartCampus permet également de se géolocaliser sur le site de Dorigny. Avec « Share My Mood », partagez votre humeur du moment et découvrez celle de l’UNIL. Pratique, ludique et gratuite. www.unil.ch/smartcampus


Le Groupe de biologie computationnelle www.unil.ch/cbg

TECHNOLOGIE

LES ROBOTS VONT-ILS NOUS PIQUER NOS

EMPLOIS? Oncologues, psychologues, conducteurs de bus, analystes financiers, assistants personnels ou vendeurs dans les magasins: les machines savent tout faire. Comment ont-elles pu devenir si performantes en une vingtaine d’années, quels métiers sont les plus menacés, et y a-t-il encore des domaines où les êtres humains sont meilleurs ? TEXTE SONIA ARNAL

D

ans l’inconscient collectif, un robot est soit un ordinateur omniscient qui finit par prendre le dessus sur les humains, comme HAL 9000 dans le film 2001 L’odyssée de l’espace, soit un androïde capable de sentiments, tellement proche de nous qu’il devient impossible de le démasquer, comme dans Blade Runner, un autre film culte. Et ce n’est pas demain, croit-on naïvement, 36

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qu’on croisera dans notre vraie vie un robot de ce genre. Erreur. Ils sont déjà partout, mais on ne les remarque pas: ils ne ressemblent évidemment pas au portrait que les films ou les livres ont dressé. L’intelligence artificielle est omniprésente: vous recevez un mail de confirmation après un achat sur Internet, ce n’est évidemment pas un humain qui l’a écrit, mais


ÉTRANGETÉ

En Occident, les robots clairement nonhumanoïdes sont bien acceptés. Mais quand la distinction n’est plus possible, le rejet devient fort. © Thinkstock

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Portrait-Robot Exposition à La Maison d’Ailleurs, à Yverdon-les-Bains. Dès le 21 juin. www.ailleurs.ch

TECHNOLOGIE

une machine. Vous allez en voiture quelque part, c’est aussi une machine qui calcule votre itinéraire en fonction des bouchons, des travaux, et qui vous guide. Vous achetez un livre sur un site Internet, c’est encore une intelligence artificielle qui vous suggère une liste d’autres ouvrages qui pourraient aussi vous intéresser. 3 millions d’emplois pour les machines De nombreux universitaires ou think tanks étudient les conséquences de cette évolution, notamment sur le marché de l’emploi. Roland Berger Strategy Consultants l’a fait pour la France et relève que dans les prochaines dix années, 3 millions d’emplois pourraient être confiés à des machines. Ce bureau de consultants en stratégie a calculé que 42% des métiers sont concernés par ce risque. Deux chercheurs d’Oxford se sont livrés à une analyse similaire sur l’emploi aux USA et arrivent à un nombre relativement proche: 47% des métiers pourraient être automatisés d’ici dix à vingt ans. Les progrès des robots Comment expliquer l’essor des robots dans le monde du travail ? Par diverses avancées technologiques. La première est la puissance de calcul – dans un article du magazine Science et Vie de novembre 2014, cette intéressante comparaison était donnée en exemple: en 1997, le supercalculateur ASCI Red, élaboré pour la simulation d’essais nucléaires, occupait la surface d’un court de tennis, réalisait 1800 milliards d’opérations par seconde, et coûtait 55 millions de dollars. Une dizaine d’années plus tard, la PS3 atteignait la même puissance pour une poignée de dollars et quelques centimètres cubes. Les machines s’adaptent à l’inconnu Deuxième élément déterminant, le Big Data, ou banques de données qui contiennent des masses d’informations – depuis que tout ou presque est digitalisé et stocké dans le Cloud, un robot connecté pourvu d’algorithmes performants qui fait des miracles quand il s’agit de trouver, trier et analyser des informations, voire les interpréter et prendre des décisions. Enfin, ces dernières années ont vu des améliorations notables dans la faculté des robots à s’adapter à des environnements inconnus. «C’est un point crucial, analyse Micha Hersch, auteur d’une thèse en robotique cognitive et chercheur au groupe de Biologie computationnelle de l’UNIL. Cela permet au robot de sortir de la chaîne de montage et de réagir aux évènements de son entourage, voire d’interagir avec des humains ou avec d’autres machines dans un espace ouvert. Grâce à cette nouvelle compétence, on voit des robots déployés en zone de combat, ou la voiture de Google, qui se conduit elle-même.» De 42% à 47% des métiers concernés d’ici 10 à 20 ans – voilà qui est inquiétant. Dans Le Temps du 12 décembre 2014, Olivier Feller, conseiller national vaudois (PLR), s’en 38

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est d’ailleurs préoccupé, relevant que si cette robotisation imminente va créer des emplois dans les secteurs de la technologie, «ils ne remplaceront de loin pas tous les emplois détruits, ni en nombre ni en termes de compétences requises».

47%

LA PROPORTION DES MÉTIERS QUI POURRAIENT ÊTRE AUTOMATISÉS D’ICI VINGT ANS.

Les métiers que les robots vont nous voler Tout employé est-il également menacé ? Non. Après les ouvriers, qui ont déjà payé un lourd tribut à l’industrialisation puis à l’automatisation, c’est le tertiaire qui va être investi par les machines. Carl Frey et Michael Osborne, les deux chercheurs d’Oxford qui ont analysé le marché de l’emploi américain, ont dans leur étude également dressé la liste des domaines les plus à risque. Dans l’ordre, ils citent les transports et la logistique, via l’interconnexion des bases de données, puis les employés de bureau et services administratifs, la production de biens, qui devrait être encore plus automatisée qu’aujourd’hui, l’aide à la personne, les caissières. C’est lié comme on l’a vu aux évolutions techniques. Mais comme le relève Micha Hersch, «c’est aussi parce que la manière de pratiquer ces métiers a énormément changé. En établissant des protocoles et des procédures pour toutes les décisions, on se rapproche de la façon de fonctionner d’un ordinateur. Avant, un banquier accordait un prêt pour une maison en fonction de ce qu’il savait de son client après des années de relations bancaires – il y avait les chiffres, les salaires, mais aussi l’intuition. Aujourd’hui, que ce soit pour les prêts, la gestion de portefeuilles, etc., un banquier applique souvent des protocoles décidés par la hiérarchie. Avec de tels critères, c’est facile de créer un logiciel qui dit oui ou non aux demandes online». Nous ne sommes pas égaux face aux machines Dans le «combat» entre hommes et machines pour un job, tout le monde n’est pas égal. Il y a bien sûr certaines tâches

WATSON, ROBOT À TOUT FAIRE Le premier emploi de cet ordinateur ferait pâlir d’envie tous les aspirants à la célébrité: star de la TV américaine. Ce produit d’IBM, conçu pour comprendre des questions posées en langage naturel et y répondre pertinemment, a gagné l’équivalent de Questions pour un champion, soit Jeopardy !, aux Etats-Unis. Il a battu les humains champions des champions. Les principales qualités de Watson sont un accès à une foultitude de connaissances – il a avalé toutes les encyclopédies possibles et imaginables dans toutes les spécialités couvertes par le savoir humain – et des algorithmes très efficients qui lui permettent d’extraire de toutes ces infos la meilleure réponse en un temps record. Son exploit dans ce jeu a été particulièrement apprécié: utiliser les indices donnés par le présentateur implique de «comprendre» des jeux de mots, l’ironie, bref le deuxième degré plutôt que le sens littéral, ce qui n’est pas donné au premier ordinateur venu. Aujourd’hui Watson est aussi médecin – il aide au diagnostic et au choix du bon traitement dans différents hôpitaux américains, notamment dans le domaine du cancer – analyste financier, outil de soutien pour manager, et il se lance dans la gastronomie via la création de recettes: il analyse les assemblages de molécules chimiques mieux que personne...  SA

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qu’il est difficile de déléguer à des machines, celles par exemple qui impliquent une grande part de créativité ou sont basées sur le lien social et humain – enseignants, assistants sociaux, éducateurs... Mais ce n’est pas le seul critère; le statut social de ceux dont les emplois sont menacés est un paramètre de poids. Il est facile pour un ordinateur de prendre la place du médecin: on enregistre les symptômes et les analyses d’un patient, le logiciel les compare avec sa banque de données, établit un diagnostic et conseille une thérapie. «Outre une probable demande des patients pour une médecine exercée par les êtres humains, il est très probable que les médecins sauront se défendre et garantir la pérennité de leurs emplois. Les chauffeurs de métro, moins», analyse Micha Hersch. Une menace pour les humains ? Si des chercheurs ou politiciens s’inquiètent des conséquences de la robotisation des métiers sur le marché de l’emploi, d’autres ont peur pour l’être humain tout court. C’est le cas du célèbre physicien Stephen Hawking qui, dans une interview à la BBC, a fait part de ses craintes devant l’intelligence artificielle qui pourrait «décoller seule, et se redéfinir de plus en plus vite, sans que les humains, limités par leur évolution biologique, ne puissent rivaliser». Cette évolution est de l’ordre du fantasme. Laurent Keller, professeur au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine, a utilisé des robots

AUTOMATISATION

L’industrie recourt déjà largement aux robots. Aujourd’hui, c’est au tour du secteur tertiaire. Ici, les usines Porsche à Leipzig. © Thorsten Futh/LAIF-REA

pour des recherches sur sa spécialité. «L’idée était de mieux comprendre la collaboration et l’altruisme chez les fourmis, en étudiant notamment l’importance du lien de parenté, et de retracer comment ils se sont construits à l’origine – maintenant que toutes sont altruistes, il nous est impossible de savoir comment cela a commencé.» Les robots utilisés pour cette recherche ont un réseau de neurones qui peut évoluer au cours des générations de sélection auxquels ils ont été soumis. Ils ont donc surtout permis à Laurent Keller de remonter le temps, en jouant en quelque sorte le rôle de fourmis originelles avec et sans lien de parenté, mais aussi de l’accélérer, en sélectionnant des robots sur des centaines de générations dans l’ordinateur. Il a ainsi découvert que les «fourmis robotiques apprennent à mentir pour ne pas partager la nourriture quand elles sont sélectionnées au cours des générations dans des colonies contenant des individus non apparentés... Au contraire, des comportements coopérateurs et altruistes apparaissent rapidement au cours des générations d’évolution expérimentale quand les fourmis artificielles étaient dans des sociétés composées d’individus apparentés», précise le chercheur. Qui, on le voit, n’est donc pas près d’être remplacé par un robot. Mais il continue à s’aider de machines dans ses recherches, cette fois-ci un ordinateur, pour analyser les déplacements de centaines de fourmis et dégager des patterns qu’une intelligence humaine prendrait des années à voir. 

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Le laboratoire d’anthropologie culturelle www.unil.ch/lacs

TECHNOLOGIE

«LES GENS ACCEPTENT BIEN LES ROBOTS QUAND IL EST CLAIR QU’ILS NE SONT PAS HUMAINS»

Daniela Cerqui, maître d’enseignement et de recherche notamment au laboratoire d’Anthropologie culturelle et sociale de l’UNIL, a fait du lien qui unit l’homme et la machine, et de l’acceptation de ces dernières parmi nous, l’une de ses spécialités. Est-ce que vous voyez quelque chose de positif dans la présence de robots dans le monde du travail ? L’aspect positif que tout le monde met en avant est le remplacement de l’homme dans les tâches rébarbatives ou dangereuses, par exemple les chaînes de montage ou le déminage. C’est vrai qu’il existe, mais la question est: quel intérêt ? En théorie, la société

de loisirs nous tend les bras et on devrait avoir plus de temps pour aller à la plage. Dans les faits, ça fait plus de vingt ans que les ordinateurs et les robots travaillent avec nous ou pour nous, et qu’on ne va pas plus à la plage qu’avant... Et je note un glissement dangereux: avant, on concevait une machine à laquelle on déléguait un acte technique pénible, maintenant on lui

délègue aussi la production du savoir technique.

DANIELA CERQUI Maître d’enseignement et de recherche. Nicole Chuard © UNIL

Donc les robots sont dangereux et ne servent à rien ? Ce n’est pas ce que je dis. Evidemment qu’ils servent à quelque chose: on ne va pas envoyer un homme sauter sur une mine si on peut envoyer une machine à la place. Mais poser la question en termes d’usage, c’est mal poser la question: on répondra toujours positivement. Si on a créé un robot, c’est toujours pour remplir un usage. Quelle est la bonne question, alors ? Celle de la société que nous voulons, de l’idée de l’humain que nous avons et défendons. Au Japon, dans les EMS, les personnes âgées peuvent tripoter un robot en forme de bébé phoque, pourvu de poils, d’expressions faciales et de bruits. On peut trouver super de créer un lien avec une machine qui leur permet d’aller mieux. Moi je trouve pathétique qu’un automate doive prendre le relais du lien familial et social que nous laissons tomber. Avoir un collègue robot, ce sera comment ? Nous travaillons tous déjà avec des robots – ou de l’intelligence artificielle, c’est pareil. Mais nous ne le remar-

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quons souvent pas, parce que nous vivons un peu dans cette illusion qu’un robot est une machine qui ressemble à un être humain. Ce qui n’est presque jamais le cas – le plus souvent, c’est un ordinateur. Je ne pense donc pas que c’est un problème pour les gens d’accepter des collègues machines. Le point qui risque d’être délicat, c’est celui de la comparaison. Un robot sera forcément «meilleur» à l’aune des critères du monde du travail, qui quantifient tout, donc n’accordent de la valeur qu’à ce qui se compte, soit la vitesse, la performance, la productivité. Ça ne va pas être très gratifiant de se comparer à une telle «perfection». Mais encore une fois, ce qu’il faudrait, c’est remettre en question ces critères, pas la capacité de l’humain à les atteindre. De façon générale, comment l’être humain accepte-t-il la cohabitation avec la machine ? Il y a des différences culturelles. Au Japon par exemple, l’acceptation est très forte. On l’explique par la tradition animiste qui est la leur: les animaux et les objets ont une âme, comme les

SCIENCE-FICTION

En mars 1956, Ed Emshwiller représente un robot solitaire à la surface de Mars. Toujours dans les années 50, le même illustrateur imagine un salon de beauté du 3e millénaire, entièrement robotisé. © Coll. Maison d’Ailleurs / Agence Martienne

humains, et donc les automates aussi. On y trouve ainsi beaucoup de robots anthropomorphes. En Occident, il n’y a pas de rejet de principe, et les machines sont le plus souvent acceptées, pour la fonction qu’elles remplissent. Est-ce qu’un robot est mieux accepté quand il a une apparence humaine ? Pour les Occidentaux, il existe ce qu’on appelle «la vallée de l’étrange». Schématiquement parlant, on peut dire que les gens acceptent bien les robots quand il est clair qu’ils ne sont pas humains. Jusqu’à un certain point, ils peuvent être humanoïdes. Mais quand on n’arrive plus à les distinguer du premier coup d’œil d’un être de chair et de sang, que le doute s’installe, il y a un rejet très fort – de l’ordre de la peur, à cause de ce sentiment d’étrangeté. Mais l’intelligence artificielle est très bien acceptée. Est-ce aussi le cas lorsque la machine occupe une fonction plus «relationnelle» – il y a par exemple un robot psychologue... Allez savoir !

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Oui, et ça n’est pas nouveau. Dès les débuts de l’intelligence artificielle, un logiciel a joué ce rôle en échangeant avec des patients. Bien qu’assez basique – il posait surtout des questions en rebond à des mots-clés écrits par les patients, comme «mère» ou «rêve» – Eliza a très bien été acceptée par les humains. Le constructeur des robots aspirateurs Roomba, iRobot, dit que certains propriétaires l’emmènent en vacances parce qu’il le mérite, ou le débranchent quand il a bien travaillé, pour qu’il se repose... Ce fabricant relève que des soldats qui ont «collaboré» avec l’un de ses robots démineurs Warrior le supplient de le réparer quand il saute sur une mine. Ils l’aiment et n’en veulent pas un autre tout neuf à la place... Eh bien ça me réjouit ! J’y vois un signe de rébellion. Le lien affectif reste le plus fort, il est réinvesti là où l’on voudrait que tout ne soit que quantification et efficacité. Mais ça reste pathétique qu’on en soit à développer des relations affectives avec des machines plutôt qu’avec les gens qui nous entourent...  SA

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Le Centre intégratif de génomique www.unil.ch/cig

BIOLOGIE

COMMENT LES PLANTES

SE PARLENT

DU SOLEIL ET DE LEURS BOBOS Elles n’ont pas de cerveau, pas d’yeux. Elles ne crient pas et restent incapables de marcher. Pourtant, les plantes ont des facultés sophistiquées de défense contre les attaques d’herbivores et elles savent même détecter les voisines qui pourraient leur faire de l’ombre. Des chercheurs de l’UNIL étudient leurs étonnants modes de communication. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

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FUTÉE

Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui lui vient d’une voisine. © Thinkstock

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Département de biologie moléculaire végétale www.unil.ch/dbmv

BIOLOGIE

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es plantes ne peuvent pas se permettre qu’on leur fasse de l’ombre. Parce que le soleil, c’est leur survie. Elles doivent donc résister contre des ennemis végétaux tentés de voler leur lumière, qu’elles soient entourées de membres de la famille ou de fleurs étrangères. Mais aussi contre des intrus dentés, chenilles ou ongulés, qui, par la verdure alléchés, viennent mordiller leurs feuilles, autrement dit leurs panneaux solaires. Au pays des plantes, on se bat donc contre des herbivores affamés et aussi contre des parasols intempestifs. Sans violence affichée, mais avec des procédés chimiques et électriques aussi raffinés que complexes. Bienvenue dans le monde fascinant de ces organismes qui, privés de système nerveux central, ont développé d’incroyables pouvoirs. De quoi cultiver la curiosité des biologistes de l’UNIL. Plus près de toi mon soleil «Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui vient d’une voisine», indique Christian Fankhauser, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et spécialiste du développement des plantes. «Cette capacité formidable lui permet de ne pas s’exciter et ainsi d’éviter de pousser inutilement à la moindre baisse de lumière.» Une plante éloignée de la lumière va chercher à tout prix à grandir en allongeant sa tige plutôt que de dépérir. Une technique d’«évitement de l’ombre» intelligente qui se réalise cependant au détriment de la croissance des feuilles et des organes de stockage, comme les racines, précise le biologiste. «Dans un environnement naturel, ça lui donne un avantage compétitif, mais dans un milieu agricole, il s’agit d’un problème. La tige est rarement ce qui intéresse le cultivateur qui se retrouve avec moins d’éléments à récolter.» La plante analyse les ondes qui l’entourent Le professeur rappelle les premières recherches effectuées sur la perception de la lumière dans les années 20 aux EtatsUnis suite aux déconvenues de paysans. «Les agriculteurs ont remarqué que s’ils bougeaient d’est en ouest, ils pouvaient prendre leurs semences avec eux et les planter sans problème. Mais quand ils voulaient bouger du nord au sud, ça ne fonctionnait pas. On a donc financé des recherches pour comprendre d’où venait cette différence. Et on a découvert que le temps de floraison est contrôlé par la longueur des jours, qui fluctue de façon différente au long de l’année. La perception de la lumière passe avant les changements de température.» Et comment la plante arrive-t-elle à savoir qui est responsable de son manque d’ensoleillement ? Grâce à sa savante sensibilité qui l’aide à analyser les ondes qui l’entourent. «Elle peut mesurer le rapport qu’il y a entre deux longueurs d’onde: le rouge – que l’être humain voit aussi et que la plante absorbe autant que le bleu, ce qui fait que les feuilles nous 44

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EDWARD FARMER Professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

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apparaissent vertes – et le rouge lointain, que notre œil détecte mal, et que la plante reflète. A l’ombre d’une congénère, la plante ne capte presque pas de rouge, car celui-ci est utilisé pour la photosynthèse de celle qui lui cache la lumière. Mais il lui reste alors beaucoup de rouge lointain, et elle va s’allonger.» En d’autres termes, Madame la plante individualiste détecte le rouge lointain de ses voisines, s’insurge contre ses ennemies potentielles et déclenche alors tout un tas de réactions à l’interne afin de montrer sa supériorité. Le langage corporel des plantes Séverine Lorrain, docteur en Biologie qui a écrit sa thèse sur les mécanismes de défense des plantes à Toulouse, est venue à l’UNIL afin de réaliser un post-doc sur le sujet avec l’équipe de Christian Fankhauser. Les résultats de ses recherches, menées durant plus de trois ans avec un ingénieur, Micha Hersch, ont été publiés dans la revue PNAS. Car, pour comprendre la complexité du langage corporel de la jolie Arabette des dames, ou Arabidopsis thaliana, à savoir la «souris de laboratoire» d’un biologiste végétal, il a fallu jouer de pluridisciplinarité. «J’étais aux fourneaux


DE DEUX NATURALISTES GENEVOIS À UNE AGRICULTURE DE POINTE

CHRISTIAN FANKHAUSER Professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

© BGE, Centre d'iconographie genevoise

et il écrivait les recettes, résume Séverine Lorrain. Nous sommes arrivés à la conclusion que les végétaux utilisent les mêmes principes d’ingénierie que ceux appliqués dans les systèmes de communication de l’être humain. En gros, la plante module sa capacité “d’écoute” en fonction de la force du signal produit: si le signal est fort, pas besoin de bien écouter. Mais si le signal généré est faible, elle va “tendre l’oreille”.» Dans ce cas précis, elle perçoit la présence d’autres plantes à travers le changement du rapport de la quantité de rouge sur le rouge lointain grâce à des photorécepteurs particuliers appelés phytochromes, explique la biologiste. «On pourrait comparer ces phytochromes avec des variateurs qui modulent la synthèse d’une hormone de croissance, l’auxine. Lorsqu’il y a plus de rouge que de rouge lointain, le variateur est à pleine puissance et freine la synthèse d’auxine. Une plante n’est pas très loin ? Le rapport rouge sur rouge lointain diminue et diminue le variateur. La conséquence ? Une synthèse importante d’auxine.» Cette hormone va aider le végétal à rester compétitif par rapport à ses voisines. «En se déplaçant dans la plante, elle va inhiber la croissance des feuilles, mais favoriser celle des tiges, ajoute Séverine Lorrain. Plus fort que ça, une

Le docteur en Biologie Edward Farmer, originaire du Pays de Galles et qui a étudié entre autres en Allemagne et aux Etats-Unis, s’est retrouvé par hasard en Suisse romande afin de faire des recherches sur les mécanismes de défense des plantes. Une aubaine, car ce sont deux physiologistes genevois du XVIIIe siècle qui ont influencé son travail. Charles Bonnet et son livre Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes (1754) et Jean Senebier, «qui a combiné la biologie végétale avec la chimie organique pour faire cette incroyable découverte: les plantes fixent le CO2». Sans ces deux illustres genevois, les professeurs Edward Farmer et Christian Fankhauser n’auraient peut-être pas pu unir leurs forces autour d’une nouvelle recherche sur l’Arabette des dames. En effet, en collaboration avec un groupe de l’Université de Genève, ils viennent d’obtenir une bourse d’études afin d’analyser les effets de la lumière sur les signaux électriques longue distance et les mécanismes de défense. «Face à un terrible dilemme – entrer en compétition avec ses voisines pour accéder à la lumière ou se défendre contre un agent pathogène – une plante met en général la priorité sur la croissance, signale Christian Fankhauser. Du coup, elle se défend moins bien. Ce qui explique, peut-être, pourquoi on a besoin d’employer autant de pesticides dans les champs. Nous allons étudier les mécanismes qui font qu’elle pousse plutôt que de se protéger. Nos conclusions pourront potentiellement être utiles à l’agriculture.» En outre, le laboratoire du prof. Fankhauser va travailler avec des membres de l’EPFL sur un projet de cellules photovoltaïques et de tomates sous serres. «Nous allons utiliser des cellules photovoltaïques transparentes de plusieurs couleurs afin de déterminer quelles longueurs d’onde permettent de faire pousser des plantes en parfaite santé qui donnent un bon rendement. Et qui permettent, en plus, à l’agriculteur de générer suffisamment d’électricité pour pouvoir alimenter sa ferme et éventuellement le réseau.»  VJ

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plante à l’ombre va produire plus d’auxines, mais également plus de transporteurs pour acheminer les hormones de croissance plus facilement aux endroits désirés.» Et non pas partout, car cela générerait des dépenses d’énergie inutiles. Pas folle la plante. Le génie de la plante d’appartement Les végétaux, décidément étonnants, ont plus d’un pétale à leur corolle pour parer aux tracas du quotidien. Du genre: comment arriver à avoir de la lumière quand il n’y en a presque pas. Par exemple lorsque l’on est une plante d’appartement. «On l’a tous expérimenté, rappelle Christian Fankhauser. Dans une pièce peu lumineuse, la plante penche ses feuilles vers la fenêtre. Il s’agit du phénomène de phototropisme: pousser de façon oblique pour attraper les rayons du soleil.» Ici, les photorécepteurs sont des phototropines, que l’on trouve surtout dans la tige, et qui captent la lumière bleue utile à la croissance directionnelle. Ils permettent des réponses locales et à distance. «La partie de la tige qui est du côté de l’ombre va pousser plus vite, grâce à une accumulation d’auxines, que celle qui est exposée à la lumière, signale le professeur au CIG. Automatiquement, cela va réorienter la croissance de la tige et de la sorte permettre aux feuilles de se tourner vers le soleil.» Ingénieuse, la plante. Pourquoi les plantes sont si difficiles à manger Et comme si les soucis de lumière ne suffisaient pas, les végétaux ont aussi à faire face aux assauts de prédateurs voraces, parfois coriaces, contre lesquels ils ont développé des armes efficaces. Comme le remarque Edward Farmer, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, «théoriquement, nous devrions pouvoir nous nourrir en broutant le gazon ou en mangeant des feuilles d’arbre. Mais les périodes de disette en Europe ont prouvé le contraire. Pourquoi les plantes sont-elles si difficiles à manger ?» Il ne faut jamais sous-estimer un végétal blessé. Le professeur a d’abord découvert que lorsqu’une feuille d’Arabette des dames est attaquée par un insecte, la plante va augmenter sa production d’une toute petite phytohormone dénommée jasmonate. «Cette hormone déclenche une série d’évènements moléculaires invisibles à l’œil nu qui activent des mécanismes de défense dans les feuilles. C’est-à-dire qu’elle provoque une surexpression de deux types de gènes: les gènes de signalisation, importants pour le contrôle des mécanismes de défense, et les gènes de défense. Ces gènes sont contrôlés par ce que l’on nomme la voie du jasmonate.» Détail notable: les mécanismes de défense activés par le jasmonate agissent principalement sur le système digestif des herbivores. Ils rendent, mélangés à des toxines et des protéines, la plante indigeste. Ce qui explique que nous, humains, soyons obligés de cuire des pommes de terre 46

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SÉVERINE LORRAIN Docteur en biologie. Nicole Chuard © UNIL

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par exemple pour les assimiler. Simplement parce qu’elles contiennent des protéines antidigestives. «Une plante possède un niveau de défense de base et des défenses induites. La voie du jasmonate contrôle en large partie les deux», précise Edward Farmer. Comment la plante parle à ses feuilles Si ce cocktail explosif ne tue pas l’assaillant, il lui complique sérieusement la vie. Un insecte non spécialisé goûte la plante, se dit «beurk», part chercher une autre victime et perd beaucoup de temps à trouver ce qui lui conviendra. Un herbivore spécialisé, c’est-à-dire habitué à avaler toujours la même espèce, va quant à lui investir un temps fou à la détoxification des molécules de défense. «Cela freine sa croissance et il devient à son tour une proie facile pour les oiseaux ou tout autre prédateur.» Une question restait en suspens: comment la plante prévient-elle ses feuilles saines que l’une d’elles est accidentée ? Il y a peu, l’équipe du laboratoire d’Edward Farmer a mis au jour l’existence de signaux électriques qui font office de messagers grâce à l’utilisation de petites électrodes placées sur les feuilles, comparables à un élec-


troencéphalogramme. «Il s’agissait de réaliser une cartographie de l’activité électrique de la plante à la suite d’une blessure, comme on peut en faire une de l’activité cérébrale sur le crâne humain.» Les résultats de ces recherches sont sortis dans la revue Nature. «Les signaux électriques, les WASPs (wound-activated surface potentials), comme la guêpe en anglais, sont propagés à travers le système vasculaire dans certaines autres feuilles afin d’activer la synthèse du jasmonate qui ensuite active les gènes de défense, relate le biologiste. Seules certaines parties de la plante réagissent. Car si cela se propageait partout, elle devrait le payer cher. Comme la société civile paie pour les avions de l’armée suisse. C’est une dépense significative.» Des découvertes intrigantes Une étrange cellule, vide et morte, captive actuellement l’équipe du professeur en Biologie moléculaire végétale: le xylème, qui produit des conduites pour l’eau et les minéraux dans la plante. «La pression dans cette cellule est inférieure à notre pression atmosphérique. En revanche, quand un insecte attaque une feuille et qu’il casse une veine, la

ARABIDOPSIS THALIANA

L’Arabette des dames est très utilisée dans les laboratoires des biologistes. © DBMV – UNIL

pression dans le xylème monte pour égaler celle de l’atmosphère dans laquelle nous sommes.» Ce changement est transmis rapidement à travers la plante. D’abord au niveau des feuilles et de la tige, puis dans les racines. Autour du xylème mort se trouvent d’autres petites cellules vivantes. «Ces cellules semblent être importantes dans la propagation de signaux et surtout être le tout premier site de production de l’acide jasmonique dans une feuille éloignée de la feuille blessée, c’est-à-dire à distance d’une blessure. Elles ont été très peu étudiées par les biologistes, n’ont même pas de rôle connu. Cela va nous occuper pour des années, je pense», s’enthousiasme Edward Farmer. Autre découverte, «intrigante», selon le professeur au DBMV, certains gènes nécessaires à la transmission des signaux électriques, tels les GLR (Glutamate Receptor-Like), «ressemblent très fortement aux gènes qui agissent sur les synapses rapides du cerveau humain. On ne sait pas encore s’ils fonctionnent de la même manière. Les plantes sont très sophistiquées. On ne peut plus dire qu’elles sont primitives ou qu’elles réagissent lentement. En défendant ses feuilles, chaque plante défend la photosynthèse, c’est-à-dire les réactions biochimiques les plus primordiales pour la vie.»  Allez savoir !

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RELIGION

L’ISLAM C’EST L’attentat contre Charlie Hebdo a attiré l’attention des Occidentaux sur la guerre que se livrent les musulmans dans de nombreux pays. Voici quelques clés pour comprendre ce conflit aussi opaque que sanglant, où s’affrontent des conceptions différentes du Coran et de la tradition islamique. TEXTE JOCELYN ROCHAT

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ela semble incompréhensible. Et pourtant, tout est malheureusement vrai. Dans le film Timbuktu, on voit des djihadistes africains détruire les tombes de saints musulmans. Ailleurs, ce sont des attentats commis au nom d’Al-Qaida qui ciblent des mosquées au Yémen, faisant près de 150 morts et 350 blessés chez les croyants. Et, encore plus inimaginable, il y a ces avions iraniens qui bombardent l’Etat islamique (Daech) qui se retrouvent aux côtés des Américains. L’ex-«grand Satan» est devenu allié de circonstance... Chaque jour qui passe vient troubler davantage les Occidentaux. Choqués par les attentats de Paris, Copenhague et Tunis, les Européens découvrent qu’ils ne sont pas la première cible des fous de dieu. Qu’il ne s’agit pas d’un conflit de civilisation entre la chrétienté et l’islam, mais plutôt d’une guerre mondiale au sein de l’islam qui fait beaucoup plus de victimes chez les musulmans que chez les caricaturistes européens. 48

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BATAILLE DE KERBALA

Décapitation de Hussein, en 680. Ce martyre scelle la séparation religieuse entre les sunnites et les chiites. © akg-images / British Library

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Un Coran, mais deux messages Pour comprendre ce qui se passe, un peu partout sur la planète, mais aussi en Suisse, il faut remonter aux origines de l’islam. Tout commence dans une montagne des environs de La Mecque, vers 610 après Jésus-Christ. Selon la tradition, Muhammad (qu’on traduit souvent, mais improprement, par Mahomet) a entendu la voix de l’ange Gabriel lui révéler des sourates (fragments) qui deviendront les chapitres du Coran. Alors que le prophète essaie de convertir les foules polythéistes d’Arabie au monothéisme, il reçoit un accueil mitigé dans sa ville natale, qui le pousse à partir pour l’oasis de Médine. Muhammad y développe les règles de l’islam, avant de prendre les armes contre La Mecque et de conquérir sa ville natale en 630. Après sa mort en 632, l’enseignement de Muhammad est rassemblé dans le Coran. Ce livre raconte deux histoires sensiblement différentes. «Dans la première partie, qui correspond à l’époque où le prophète vivait à


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Connaissance 3 wp.unil.ch/connaissance3

RELIGION

nombreuses répétitions et de notables contradictions. «La difficulté est de savoir ce qu’il faut faire dans des cas de ce genre. Sur le principe, les juristes de l’islam ont décidé que c’était la période la plus récente qui prévalait. Or c’est la période des enjeux politiques, et aussi celle du djihad», explique Jean-Claude Basset. Mais dans le détail, comment gérer les contradictions du texte ? Qui va décider en cas de doute ? C’est problématique, car l’islam ne connaît pas, comme l’Académie française, par exemple, une instance reconnue qui arbitre. Quand il y avait un pouvoir politique, comme le calife, celui-ci pouvait rendre des avis, après discussion avec les savants, les oulémas, les responsables religieux. Mais le dernier califat a été aboli par Atatürk en 1924. Du coup, on assiste à d’innombrables conflits d’interprétation, depuis la crise majeure qui a provoqué la séparation des sunnites et des chiites en 657.

La Mecque, Muhammad est un prédicateur qui peine à convaincre les riches Mecquois polythéistes dont il trouble les coutumes. Il a donc besoin de s’appuyer sur les Juifs et les chrétiens, et son message est pacifique. La seconde partie du Coran correspond aux années durant lesquelles le prophète réside à Médine, où il devient à la fois chef d’Etat, juge et même commandant militaire qui mène des razzias. Ces textes sont bien plus juridiques et polémiques», détaille Jean-Claude Basset, qui a donné à l’UNIL un cours intitulé «Courants de pensée dans l’islam contemporain». A l’inverse de la Bible des chrétiens, qui commence par des périodes belliqueuses pour aller vers un message pacifique, «le Coran débute avec une période pacifique et se termine sur la période belliqueuse. Cette organisation du livre peut en influencer la compréhension, ajoute Philippe Gonzalez, sociologue à l’UNIL. Imaginez, par exemple, que la Bible ne se termine pas sur le message de Jésus, mais sur Le Livre de Josué qui campe la conquête de la terre promise... Cela donnerait une tonalité moins pacifique à ces textes.»

JEAN-CLAUDE BASSET Chargé de cours à la retraite. A l’UNIL, il a notamment donné «Courants de pensée dans l’islam contemporain». Ses cours sur «L’islam et les musulmans», dans le cadre de Connaissance 3, sont très suivis. Nicole Chuard © UNIL

Qui sont les arbitres ? Comme le prophète a été prédicateur puis chef d’Etat, son enseignement développé dans le Coran (un texte poétique et juridique, narratif et éthique compliqué) comporte de 50

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Un texte, mais tellement de lectures Pour comprendre la diversité de l’islam et ses conflits actuels, il ne suffit pas de lire le Coran. Il vaut mieux examiner ses lecteurs. Ce qui n’est guère plus facile, car «le monde musulman est traversé par des courants très nombreux, qui peuvent être parfaitement contradictoires», observe Jean-Claude Basset. «Tout commence par une question plus politique que religieuse: qui va succéder à Muhammad à la tête du mouvement ?» En 632, le prophète meurt subitement sans avoir organisé sa succession. Dès lors, deux clans s’opposent. Certains pensent qu’il faut se tourner vers la famille. Ils verraient bien Ali, le cousin et gendre du prophète, devenir calife. D’autres estiment qu’il est trop jeune, et préfèrent coopter celui qui semble le plus apte à diriger le mouvement. S’ensuivent des intrigues, des conflits fratricides et des assassinats comme ceux d’Ali et de son fils Hussein, dont le martyre à Kerbala scelle la séparation religieuse entre les sunnites et les chiites, qui perdure encore aujourd’hui Qui sont les chiites ? Ces chiites, toutes sectes confondues, représentent entre 10 et 13% des musulmans (selon le PEW Research Center). Souvent minoritaires, ils ont été persécutés, ce qui a poussé certains d’entre eux à se réfugier dans les montagnes, comme les Druzes. En Occident, on associe volontiers ce courant à l’ayatollah Khomeiny. C’est logique, quand on sait que le chiisme est la religion officielle de l’Iran, dont la population est composée à 80% de chiites. Pourtant, cela reste très réducteur, parce que, «en focalisant sur l’Iran perse, on oublie de dire que les bases de ce courant sont arabes. On sait aujourd’hui que l’Irak est un pays à majorité chiite, et qu’il y a des chiites un peu partout dans le monde arabe, comme les zaïdites du Yémen. Quant aux chiites ismaéliens, dont le plus connu est l’Aga Khan, ils sont présents aussi bien en Occident qu’en Afrique», précise Jean-Claude Basset. Les chiites considèrent que Dieu a choisi les imams, Ali et


ses descendants, pour conduire la communauté musulmane. Souvent privés du pouvoir, ils ont développé une interprétation plus spirituelle du Coran. Beaucoup d’entre eux vivent dans l’attente du retour de l’imam caché qui doit venir juger les vivants et les morts. Enfin, les chiites ont des divergences politiques et géostratégiques avec les sunnites. Leur zone d’influence part d’Iran pour s’étendre à la moitié de l’Irak, mais encore à Bahreïn (chiite à 70%). Sans oublier la Syrie, où les Iraniens soutiennent le régime de Bachar al-Assad. Pas forcément pour des raisons religieuses, puisque les chiites alaouites sont considérés comme des hérétiques, mais pour une forme de solidarité face à la poussée des sunnites dans la région. Qui sont les sunnites ? Les sunnites, c’est le courant très largement majoritaire dans l’islam, puisque 87 à 90% des musulmans s’en réclament (toujours selon le PEW). A la mort de Muhammad, ils ont opté pour des califes issus de la tribu mecquoise des quraychites. Le troisième de ces califes a fixé le texte du Coran sous la forme que nous connaissons aujourd’hui, et il a fait disparaître les variantes qui ont pu circuler précédemment. Enfin, au moment de situer les sunnites sur la carte du monde, on cherche l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Turquie... «Une fois encore, c’est un peu plus compliqué, sourit JeanClaude Basset, parce que le premier pays sunnite, c’est l’Indonésie. On trouve ensuite le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh. Et là, vous n’avez pas encore donné le nom d’un seul pays arabe. Si on reste dans la région où est né l’islam, on voit effectivement qu’il y a la version turque, avec les héritiers des Ottomans. Il y a aussi l’Egypte, qui a toujours été un phare, l’Arabie saoudite, qui est le nouveau venu, et le Qatar, qui joue de son influence grâce à l’argent du pétrole.» Il y a une guerre au sein de l’islam La rivalité ancestrale entre les sunnites et les chiites a été réactivée ces dernières décennies, et elle a pris un tour sanglant. Pourquoi ? Jean-Claude Basset remonte à la Révolution iranienne de 1979, menée par l’ayatollah Khomeiny. «Pour la première fois, un mouvement populaire musulman a réussi à faire tomber un régime autoritaire, soutenu par l’Occident et relativement armé. C’est un évènement qui a donné des raisons d’espérer à tout le monde musulman, chiite comme sunnite, de l’Indonésie jusqu’au Maroc.» Cette révolution, explique Jean-Claude Basset, «est l’aboutissement d’un mouvement de réformes qui commence au début du XXe siècle. Des intellectuels, choqués par l’état catastrophique des pays musulmans, comme par les pressions exercées par l’Occident, ont développé l’idée d’un retour aux origines». Cela se passe notamment en Arabie saoudite, où se développent des courants fondamentalistes comme le wahhabisme. Et aussi en Egypte, qui «est le noyau de ce mouvement de réislamisation. Pourtant, les Frères musulmans, qui ont mené ce projet ne sont arrivés

PHILIPPE GONZALEZ Sociologue des médias à l’UNIL. Il travaille sur les religions dans l’espace public et propose entre autres un cours sur «L’après-Charlie Hebdo». Nicole Chuard © UNIL

au pouvoir qu’en 2011, et n’y sont restés qu’un an et demi, contrairement aux Iraniens dont la révolution est à la fois l’aboutissement de cette réflexion visant à réformer l’islam, et le déclencheur d’autres changements». Après, il y a eu l’attaque de l’Iran par l’Irak, menée par Saddam Hussein, bien conscient que la majorité des Irakiens étaient chiites, et qu’ils risquaient d’être influencés par leurs voisins iraniens. Puis les guerres d’Afghanistan, et de nombreux crimes religieux, comme ceux du commandant Massoud (sunnite), coupable d’une attaque de la tribu chiite des Hazaras, qui s’est soldée par le massacre de 6000 personnes et le viol de 3000 femmes. Bref, une succession de drames qui ont ravivé la tension latente entre les deux grands concurrents de l’islam. Pourquoi tuer des musulmans quand on vise l’Occident Les journaux en témoignent tous les jours: des organisations terroristes comme Al-Qaida et Daech ont fait assassiner bien plus de musulmans que d’Occidentaux. «Ces mouvements frappent des pouvoirs musulmans parce qu’ils estiment qu’il y a trop de croyants qui sont prêts au compromis avec l’Occident, et parce qu’ils les considèrent comme des vendus, explique Jean-Claude Basset. Dans le monde musulman, il y a une frustration énorme, celle d’avoir été une

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L’Institut des sciences sociales www.unil.ch/iss

RELIGION

que le XXIe siècle est perçu comme une nouvelle crise, où les Occidentaux auraient remplacé les Mongols. A l’image de Muhammad, qui est passé du discours pacifique de la Mecque, au ton guerrier de Médine, des musulmans réactivent la violence latente des textes religieux en période de crise. Cette caractéristique du Coran explique peut-être aussi son succès au XXIe siècle. «C’est une religion qui a pensé la politique dès le départ avec Muhammad, ce qui n’était pas du tout le cas d’un Jésus, par exemple. Dans un moment de crise, face à la chute des idéologies et à la mondialisation qui bouleverse toutes les structures, on peut imaginer que l’islam, avec son discours de résistance violent peut constituer une sorte de valeur refuge», suggère Jean-Claude Basset.

grande civilisation et de ne plus l’être. A l’âge d’or de l’islam, tout le monde, de l’Inde à l’Espagne, allait étudier dans les universités de Bagdad. Et puis, au XVe siècle, il y a eu un renversement complet. Les musulmans ont été chassés d’Espagne, et, simultanément, de nouvelles voies de navigation ont été découvertes. Elles ont permis l’essor de l’Occident qui ne s’est plus laissé rattraper. La colonisation a aussi constitué un choc énorme, parce qu’une terre islamique doit rester islamique. Enfin, il y a eu George Bush qui a parlé de croisade, et les Américains qui ont détruit l’Irak et laissé la place à Daech.» «Si on a une diffusion du wahhabisme et du salafisme à l’international, c’est aussi à cause des pétrodollars des pays du Golfe qui ont financé des traductions, des imams, des écoles, des réseaux et qui ont diffusé ces idées fondamentalistes, estime Philippe Gonzalez. Jusqu’à ce que la créature se retourne contre le créateur. Car désormais, l’Arabie saoudite est aussi menacée. Si le califat de Daech devait réussir son implantation, il tenterait de prendre le contrôle des lieux saints de l’islam dont l’Arabie est la gardienne.»

INDONÉSIE

Cet archipel est le premier pays sunnite au monde. Ici, la mosquée Istiqlal de Jakarta, qui peut accueillir 120 000 personnes. © REUTERS/Beawiharta

La violence, c’est un phénomène récent Reste à comprendre pourquoi cette violence n’a éclaté que ces dernières décennies, alors que le ressentiment est bien plus ancien. «Il y a des siècles entiers durant lesquels on ne parle pas de djihad, précise Jean-Claude Basset. C’est un discours qui réapparaît dans les temps de crise. Ce concept de «guerre juste», plutôt que de «guerre sainte», a notamment été développé par le penseur Ibn Taymiyya, qui a vécu peu après la chute de Bagdad, en 1258. Ce juriste musulman, qui appartenait à l’école minoritaire des hanbalites, l’école de Droit la plus restrictive de l’islam, a tenté d’organiser la résistance par le djihad sur les ruines laissées par les Mongols.» Et aujourd’hui, c’est ce juriste qui est le plus traduit et qui se retrouve cité dans la propagande de Daech. Parce 52

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La Suisse et l’islamisme Reste à comprendre pourquoi la Suisse, comme l’Europe, n’est pas sensibilisée à cette guerre mondiale dans l’islam. «La première difficulté, c’est que la majorité de nos contemporains manquent de repères religieux, répond Philippe Gonzalez, sociologue des médias à l’UNIL. Dans mon cours sur l’après-Charlie Hebdo, je suis obligé de donner des précisions sur l’histoire chrétienne, sur le blasphème notamment, parce que le référent religieux est devenu très mince, sans parler du traitement médiatique qui est expéditif et sommaire. Et le deuxième élément, c’est que la Suisse n’a pas d’histoire avec l’islam. Devoir expliquer les différences entre les sunnites et les chiites, c’est comme si on devait expliquer l’histoire des guerres de religions dans le christianisme depuis la Réforme à une population qui n’en a jamais entendu parler.» S’ajoute une troisième difficulté: l’omniprésence dans les médias d’interlocuteurs folkloriques. «Les deux acteurs qui sont intéressés à donner une représentation publique de l’islam en Suisse sont soit des musulmans ultraconservateurs qui essaient d’imposer l’image la plus rigoriste de leur religion, soit des politiciens qui veulent thématiser la question de l’étranger, en mettant la photo d’Oussama ben Laden sur un passeport suisse», observe Philippe Gonzalez. Un problème bien réel, une méconnaissance de la gravité de la crise comme de ses enjeux... il y a là un cocktail détonnant. «Le religieux fait un retour dans nos sociétés qui ont perdu le sens du danger que peuvent représenter des fanatiques, ajoute Philippe Gonzalez. Ici, on traite volontiers du religieux sous l’angle de l’opinion, comme un phénomène culturel, comme des goûts et des couleurs qui ne se discuteraient pas. Et nous sommes rattrapés par des gens qui ne pensent pas du tout de la même manière. Du coup, il faudra bien réguler ces discours, parce qu’il y a des gens qui prêchent la haine.» Des gens qui sont prêts à en découdre, ce qui laisse imaginer que «ces problèmes vont se poser durant les vingt prochaines années, au moins», estime Jean-Claude Basset. C’est dire s’il est devenu impératif de s’y intéresser. 


IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

NOËLLE REVAZ, ÉCRIVAINE (PAS) BANALE

A

vant de la rencontrer, on s’est demandé quel effet l’écrivaine nous ferait, au-delà d’être admirative du Prix de littérature suisse qu’elle venait de recevoir. Première impression court-circuitée: c’est en entrant dans les toilettes que nous l’avons d’abord croisée, à La Rotonde, le café biennois où Noëlle Revaz a proposé de se voir. Présage d’un entretien avec une écrivaine plutôt anticonformiste ? Il y a des rencontres qu’on préférerait garder pour soi. Poser le stylo et juste échanger. D’autant plus quand la personne face à vous se livre comme sans défense. Une innocence presque malgré elle. Un regard doux, mais des traits anguleux. Car Noëlle Revaz est écrivaine, et si la parole jaillit sans frein, elle n’en est pas pour le moins maitrisée. Voire même un peu provocante. «On a souvent dit de moi que j’étais douce, j’étais stupéfaite. Je me voyais rude, brute, un peu sauvage. J’associais la douceur à quelque chose de négatif. Mais petit à petit je m’y fais.» Un peu brutale ? Peut-être. Car d’emblée elle l’affirme: si c’était à refaire, elle ne retournerait pas à l’Université ! «J’aurais voyagé ou fait des petits boulots...» Une écrivaine en devenir qui étudie la littérature, ce n’est pas si évident. «Il y a un côté intimidant en Lettres, il faut élaborer des théories, être analytique. Le contraire de la créativité.» Noëlle Revaz avoue avoir mal vécu cette période et aurait préféré étudier ailleurs que sur ce «campus froid» de Dorigny. «J’étais une étudiante perdue, solitaire. Je voulais écrire mais comment mettre cela en place ?» Peut-être pas anodin, elle opte pour l’étude du latin, une langue morte. «Ça m’arrangeait de ne pas avoir à la parler !» Mais paradoxalement, c’est grâce à la radio, un média où il faut faire entendre sa voix, que vient le

NOËLLE REVAZ Licence en Lettres en 1995. © Thierry Porchet / Strates

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

déclic. Après sa licence, alors qu’elle enseigne le latin dans une école privée, un ami lui propose de rédiger pour Espace 2 de courtes histoires autour du sport. Pas du tout son domaine. «Sous un pseudonyme masculin, j’avais ma fierté ! Je m’écoutais, cachée sous la couverture.» C’est à 33 ans, avec son premier roman Rapport aux bêtes, qu’éclot l’écrivaine, émancipée des grandes références et des règles grammaticales aussi. «Moi qui aimais Proust, il m’a fallu des mois pour parvenir à exagérer la langue et ne plus respecter la grammaire.» Jusqu’à élaborer un parler «primitif». Emancipée, Noëlle Revaz semble l’être aussi aujourd’hui de la littérature elle-même. «J’ai l’impression de m’en détacher. Je continuerai à écrire mais les livres ont moins de poids dans ma vie.» Au profit d’autre chose ? Lorsque nous la rencontrons, Noëlle Revaz est mère depuis deux mois. «Je pense souvent qu’on peut choisir l’âge qu’on a, c’est un concept. Moi, pour l’instant, j’ai envie d’avoir dans les 35 ans.» Elle nous avait prévenus. Ne pas se fier à ses traits doux, la donc éternelle jeune femme aime casser les codes. Jusqu’à s’attaquer à la figure de l’auteur elle-même. «Etre écrivaine, c’est quelque chose de banal. Cela me semble beaucoup moins extraordinaire qu’auparavant.» Depuis qu’elle travaille à l’Institut littéraire suisse, Noëlle Revaz s’est habituée à avoir des écrivains comme collègues et comme étudiants, des écrivains en herbe aussi. Comme pour confirmer ses propos, durant l’entretien, Noëlle Revaz interrogera le photographe sur son activité, parlera avec nous de voyages. Puis ira retrouver son compagnon qui promène leur bébé en ville. Ecrivain, un métier comme un autre ? Ce n’est qu’une impression...  CYNTHIA KHATTAR

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Le programme européen Phagoburn www.phagoburn.eu

MÉDECINE

COMMENT LUTTER CONTRE LES INFECTIONS... AVEC DES

VIRUS Avant l’apparition des antibiotiques, on utilisait des virus pour lutter contre les bactéries pathogènes. Cet ancien traitement, aujourd’hui abandonné dans nos pays, pourrait connaître une seconde vie. La phagothérapie offre en effet une alternative aux antibiotiques qui se heurtent de plus en plus à la résistance des bactéries. Dans ce domaine, les chercheurs de l’UNIL et du CHUV font figure de pionniers, en Suisse et en Europe TEXTE ÉLISABETH GORDON 54

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C’

est devenu un véritable problème de santé publique: de plus en plus de bactéries s’adaptent aux antibiotiques censés les éliminer. En l’absence d’alternative à ces médicaments, certains experts estiment que «ces microbes résistants pourraient provoquer 10 millions de décès d’ici à 2050, soit plus que le cancer», souligne Grégory Resch, maître-assistant suppléant au Département de microbiologie fondamentale de l’UNIL. Compte tenu de l’augmentation du phénomène de résistance, les médecins risquent d’être bientôt démunis face à de nombreuses infections devenues intraitables. D’autant que «la mise sur le marché de nouveaux antibiotiques a drastiquement chuté depuis 1980», constate Yok-Ai Que, médecin-adjoint au Service de médecine intensive adulte du CHUV. Des «mangeurs» de bactéries L’une des solutions pour sortir de cette impasse pourrait venir des bactériophages, ces virus qui sont des prédateurs naturels des bactéries. Leur nom vient des termes grecs baktêria (bâton, à cause de la forme des premières bactéries observées) et phagos (mangeur). En fait, ces phages, comme on les appelle aussi, ne «mangent» pas les micro-organismes. Comme tous les virus, ils ont besoin de la machinerie enzymatique d’une cellule hôte pour se multiplier. A cette fin, ils utilisent donc une bactérie qu’ils détruisent une fois leur réplication achevée. Ces bactériophages ont véritablement colonisé la planète. «Ils sont présents là où il y a des bactéries», souligne Grégory Resch et l’on estime qu’il y aurait sur terre 1031 particules (dix mille milliards de milliards de mil-

PHAGES

Photographie en microscopie électronique de ces virus, prédateurs naturels des bactéries. Une goutte d’eau de mer en contient plus d’un million. © Frank Oechslin, Département de microbiologie fondamentale

liards !), ce qui fait d’eux «l’entité biologique la plus représentée à la surface du globe». Ils affectionnent tout particulièrement le sol et les eaux usées, mais on en trouve partout, y compris dans les eaux de surface «où il y en a plus de 1 million par goutte d’eau de mer, précise le microbiologiste. Quand vous vous baignez et que vous buvez la tasse, vous en ingurgitez des milliards !» Le corps humain (les intestins, la salive, le nez, etc.) en renferme aussi. Le pouvoir bactéricide des eaux du Gange Fort heureusement, ces virus sont inoffensifs pour l’être humain. Non seulement ils ne s’attaquent qu’aux bactéries, mais en outre chacun d’eux ne s’en prend qu’à une proie particulière – «un phage qui détruit une Escherichia coli ne va pas s’attaquer à un streptocoque», précise Grégory Resch – et même à un nombre limité de souches de cette espèce. Cette spécificité fait d’eux des alliés de choix dans la lutte contre les maladies infectieuses d’origine bactérienne. La découverte de l’activité bactéricide des phages remonte aux années 1890. Parti en Inde pour analyser les eaux du Gange, le bactériologiste britannique Ernest Hankin «a été surpris de n’y trouver que très peu de vibrions du choléra, alors que cette maladie provoquait des épidémies dans le pays, raconte le microbiologiste de l’UNIL. C’était d’autant plus étonnant qu’à l’époque, on pensait que les bactéries étaient véhiculées par les fleuves.» C’est ainsi que le chercheur britannique a compris que ces eaux contenaient des particules qui avaient un pouvoir antibactérien. «Il n’a pas deviné qu’il s’agissait de virus, mais il a mis le phénomène en évidence pour la première fois.»

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Le Service de médecine intensive adulte du CHUV www.chuv.ch/soinsintensifs/sia_home

MÉDECINE

Il a ensuite fallu attendre 1917 pour qu’un chercheur franco-canadien travaillant à l’Institut Pasteur, Félix d’Hérelle, isole ces agents actifs – auxquels il a donné leur nom de bactériophages – dans les selles de patients infectés. «Il a constaté qu’en introduisant d’importantes quantités de phages dans les puits de villages en Inde, on parvenait à éradiquer une épidémie de choléra en deux jours au lieu de sept», selon Grégory Resch. Malgré le scepticisme de nombre de ses collègues, Félix d’Hérelle a proposé d’utiliser ces virus en médecine humaine et, à partir de 1919, ils ont été employés pour traiter les infections bactériennes. L’âge d’or des bactériophages s’est terminé dix ans plus tard avec l’arrivée sur le marché des premiers antibiotiques. On disposait alors de médicaments «qui sont faciles à utiliser, qui donnent de bons résultats et dont le modèle économique a beaucoup de succès: l’industrie les produit, les médecins les prescrivent et les patients les reçoivent», explique Yok-Ai Que. Grâce à eux, on pensait pouvoir éradiquer les épidémies. Les phages sont donc tombés en désuétude. Ce qui n’a pas empêché un chercheur lausannois, Jean-Pierre Feihl, de faire, en 1949, sa thèse sur «La thérapeutique des staphylococcies par le bactériophage», dans laquelle il expliquait qu’il avait guéri 83% des 77 patients qu’il avait traités avec des phages. 56

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GRÉGORY RESCH Maître-assistant suppléant au Département de microbiologie fondamentale. Nicole Chuard © UNIL

LES PHAGES NE SONT PAS DIFFICILES À CULTIVER

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Mais il en aurait fallu beaucoup plus pour faire de l’ombre aux antibiotiques qui avaient fait leurs preuves et relégué les virus tueurs de bactéries au rang d’antiquités. La phagothérapie a depuis été totalement abandonnée en Europe de l’Ouest, et notamment en Suisse. Elle est cependant toujours utilisée en Russie, en Pologne et en Géorgie, pays qui abrite un institut dédié à la recherche et à l’application médicale des bactériophages, le George Eliava Institute of Bacteriophages, Microbiology and Virology, ainsi qu’un centre consacré à la thérapie. «Les médecins y traitent chaque année 2000 patients, atteints surtout d’infections urinaires et intestinales, uniquement avec des bactériophages», constate Grégory Resch, qui a passé récemment plusieurs semaines en Géorgie. Dans le reste de l’Europe, la roue est toutefois en train de tourner pour les phages, car les antibiotiques ont montré leurs limites. De plus en plus de bactéries se sont en effet adaptées à ces médicaments auxquelles elles opposent de la résistance. Pour faire face à ce phénomène inquiétant, les chercheurs et médecins s’intéressent donc à nouveau à la phagothérapie. «Leur spécificité était auparavant le talon d’Achille de ces virus, car il était beaucoup plus aisé d’utiliser des antibiotiques à large spectre. Aujourd’hui, cela devient l’un de leurs principaux avantages», explique Yok-Ai Que. La phagothérapie nécessite toutefois «un couplage entre le diagnostic microbiologique et la prescription des phages», ajoute le médecin intensiviste. Fort heureusement, on dispose actuellement de techniques capables d’identifier rapidement l’agent pathogène afin de savoir quel virus utiliser. Il est aussi possible d’utiliser des cocktails de bactériophages, ce qui élargit leur spectre d’action. Les phages ne détruisent pas la flore intestinale Autre intérêt de ces virus: ils ne s’attaquent pas aux bactéries commensales (qui vivent à l’intérieur de notre organisme). D’ailleurs, nos intestins en renferment une grande quantité. Contrairement aux antibiotiques, souligne Grégory Resch, «ils ne détruisent donc pas la flore intestinale», le fameux microbiote dont on mesure aujourd’hui l’importance pour notre santé. En outre, «en nonante ans d’expériences, les Géorgiens disent n’avoir jamais constaté de complications graves, poursuit le microbiologiste. Au pire, ils n’ont observé que quelques poussées de fièvre chez leurs patients.» Certes, comme avec les antibiotiques, on pourrait aussi observer avec les phages des phénomènes de résistance, mais ceux-ci devraient pouvoir être plus facilement maîtrisés. «Contrairement aux médicaments, les phages ont co-évolué avec leurs hôtes depuis des millions d’années, constate Yok-Ai Que. Dans la nature, si une bactérie devient résistante à un phage, elle se multiplie et la probabilité qu’elle rencontre un autre virus auquel elle est sensible augmente. Aussitôt, celui-ci se reproduit en grandes quantités et il parvient à contrôler l’expansion de la bac-


térie.» En cas de résistance, «le répertoire de phages disponibles dans la nature étant presque infini, on trouvera sans doute plus aisément la parade en recherchant d’autres phages, ajoute Grégory Resch. Leur identification et leur isolation ne prennent que quelques jours, alors qu’il faut des années de recherche pour mettre au point un nouvel antibiotique potentiel.» Dans les eaux usées des stations d’épuration En outre, les phages ne sont pas particulièrement difficiles à cultiver. «Dans notre laboratoire, précise Grégory Resch, nous isolons les bactériophages à partir d’échantillons d’eaux usées que nous récupérons notamment à la station d’épuration de Vidy. Une fois centrifugés (pour éliminer les bactéries restantes), puis filtrés, ces échantillons donnent une “soupe” renfermant de nombreux phages que l’on isole en les mettant en contact avec la bactérie qui nous intéresse.» Ils se reproduisent alors très rapidement. Les bactériophages ainsi obtenus peuvent ensuite être conservés pendant plusieurs années à 4 °C; ils peuvent aussi être congelés ou lyophilisés. Ça marche, mais il faudra quand même le prouver ! Les bactériophages présentent donc de nombreux avantages. Pourquoi tarder à les utiliser dans la pratique clinique, comme on le faisait au début du XXe siècle ? «La documentation scientifique existante n’a pas la qualité requise aujourd’hui par les agences de régulation des médicaments, comme Swissmedic en Suisse», répond Yok-Ai Que. Pour que les phages puissent recevoir une autorisation de mise sur le marché, il faut que leur fabrication réponde aux critères très stricts de “bonne pratique de fabrication” et de “bonne pratique des essais cliniques”. Autant dire que les chercheurs et médecins doivent remettre l’ouvrage sur le métier et – presque – tout reprendre à zéro, comme cela se fait pour n’importe quel médicament, afin de prouver scientifiquement l’intérêt et l’innocuité de la phagothérapie. C’est à cette tâche que Yok-Ai Que, Grégory Resch et leurs

YOK-AIE QUE Médecin-adjoint au Service de médecine intensive adulte du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

«PHAGEBACK», UN ATELIER OUVERT AU PUBLIC Le laboratoire public de l’UNIL, L’Eprouvette, propose à tout un chacun de se familiariser avec les phages. Dans le cadre du programme Agora du FNS qui vise à favoriser la communication entre les chercheurs et le public, un atelier bactériophage, «Phageback, le retour des virus guérisseurs», a été ouvert en février 2015. «Les visiteurs vont récupérer un échantillon d’eau usée à la station d’épuration de Vidy, comme nous le faisons dans notre laboratoire, explique Grégory Resch, chercheur au Département de microbiologie fondamentale de l’UNIL. Puis ils reviennent à L’Eprouvette pour isoler les phages qu’ils peuvent ensuite observer à la plate-forme de microscopie électronique et photographier.» Outre cet atelier, des expositions et des débats seront aussi organisés afin «de discuter avec le public des enjeux de la phagothérapie», conclut le microbiologiste. EG Inscriptions et renseignements: mathilde.ythier@unil.ch

collègues de l’UNIL et du CHUV se sont attelés. Ils participent à la première étude clinique européenne sur la phagothérapie, Phagoburn (lire en page 58). Par ailleurs, dans le cadre du programme SCOPES du FNS (qui favorise les échanges scientifiques entre le Suisse et les pays d’Europe de l’Est), ils collaborent avec leurs collègues de l’Institut géorgien. «Nous étudions des bactériophages qui luttent contre les Acinetobacter. Les Géorgiens isolent des phages que, dans notre laboratoire, nous séquençons et testerons sur un modèle animal. Notre objectif est de trouver un cocktail de phages actifs contre cette bactérie résistante aux antibiotiques.» Autre projet: la constitution d’une banque de phages. Pour traiter rapidement les patients infectés par une bactérie pathogène, les médecins doivent en effet pouvoir disposer très rapidement des phages adéquats. «Grâce à une subvention que nous avons reçue de la Loterie Romande, nous allons isoler, identifier et séquencer 150 phages cette année et autant l’année prochaine», précise Yok-Ai Que. Les projets ne manquent donc pas. L’UNIL et le CHUV comptent ainsi conforter leur rôle de pionniers en remettant au goût du jour la phagothérapie qui fournira aux médecins une nouvelle arme, complémentaire aux antibiotiques, pour lutter contre les bactéries pathogènes. 

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MÉDECINE

PHAGOTHÉRAPIE: PREMIER ESSAI CLINIQUE AU CHUV

L’été prochain, le CHUV devrait démarrer des tests cliniques visant à traiter à l’aide de bactériophages des patients brûlés infectés par Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa.

C

et essai, le premier du genre, s’inscrit dans le cadre du programme européen, Phagoburn, coordonné par le Ministère français de la défense et regroupant la France, la Belgique et la Suisse. Au total, 220 patients devraient y participer, «dont 10 à 15 à Lausanne», précise Yok-Ai Que, médecin-adjoint au Service de médecine intensive adulte du CHUV. Pourquoi s’intéresser tout particulièrement aux grands brûlés ?

«Ces patients ont un système immunitaire déficient et toutes leurs défenses physiques sont altérées puisqu’ils n’ont plus de peau pour les protéger contre le monde extérieur, explique le médecin. En outre, ils restent longtemps à l’hôpital et sont statistiquement plus exposés que d’autres à des germes résistants.» Ils sont donc particulièrement sensibles aux infections «qui augmentent la morbidité, car elles

détruisent les greffes de peau qui sont la pierre angulaire du traitement». Parmi les fauteurs de troubles, on trouve Escherichia coli, «qui infecte fréquemment les patients brûlés, et Pseudomonas aeruginosa, «un germe très récalcitrant aux antibiotiques». D’où l’idée d’essayer de traiter ces malades avec des bactériophages qui seront mis dans des pansements.

EN ACTION

Les ronds blancs sont des «plages de lyses», c’est à dire le résultat de la rencontre entre un phage et une bactérie. Le premier se multiplie au sein de la seconde, qui meurt. Les descendants s’en prennent ensuite aux cellules voisines. Dans ce cas, la bactérie est une souche clinique de Klebsiella pneumoniae résistante à plusieurs antibiotiques (pathogène humain important). © Gregory Resch

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Des résultats chez l’animal Les comités d’éthique des trois pays concernés ont déjà donné leur accord et il ne reste plus qu’à attendre le feu vert de leurs agences de régulation des médicaments pour démarrer les tests cliniques. Ceux-ci devraient commencer en mai en France et en juin à Lausanne. Au total, «au moins sept centres hospitaliers y participeront dont un seul, le CHUV, en Suisse», précise Yok-Ai Que. «Chez l’animal, les essais ont été prometteurs» et le spécialiste de médecine intensive espère bien que les résultats obtenus sur des patients, que l’on devrait connaître d’ici dixhuit à vingt-quatre mois, seront aussi enthousiasmants. Si tel est le cas, cela pourrait accélérer l’autorisation de mise sur le marché de ces phages. Et inciter les chercheurs et les médecins lausannois à explorer les bénéfices de la phagothérapie pour lutter contre des infections affectant les patients atteints de mucoviscidose ou d’autres maladies.  EG


1999

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

FORCE ET ATTRAPES

Le septième épisode de Star Wars sortira en décembre de cette année. Il y a bien longtemps, dans un numéro lointain d’Allez savoir !, le journaliste Michel Beuret s’était intéressé aux raisons du succès de la saga de George Lucas.

É

té 1999, Star Wars, épisode I: La Menace fantôme débarque dans les salles. L’occasion pour Allez savoir ! de dénicher quelques-unes des sources auxquelles cette série à grand succès s’abreuve. «Les médiévistes ont l’habitude de lire les chansons de geste avec environ 70% de motifs et de clichés, explique Alain Corbellari, aujourd’hui professeur associé en Section de français. En voyant Star Wars, ce sont ces motifs qui m’ont frappé. Pour qu’un mythe soit efficace, il faut qu’il soit très simple. C’est le cas ici. On reprend des schémas d’aventure vieux comme le monde.» Mais on retrouve aussi les mythes de l’ère moderne, comme celui de l’Homme contre la machine, alternativement idéalisé et décrié au cours du XXe siècle: «Star Wars mélange un monde ultra­technologique, incompréhensible, et un monde fait de valeurs fondamentalement humaines», souligne Alexander Schwarz, actuellement professeur en Section d’allemand. Pour illustrer la lutte entre le Bien et le Mal, Lucas a recouru à la mythologie médiévale. «Il dit avoir voulu faire de Luke une sorte de Perceval. Mais si la référence au héros médiéval existe bel et bien, à y regarder de près, il y a confusion entre plusieurs personnages, relève Alain Corbellari.

Texte paru dans Allez savoir ! No 14, juin 1999. Archives du magazine : http ://scriptorium.bculausanne.ch

L’ASTUCE NARRATIVE DE LUCAS EST SANS DOUTE D'AVOIR OPÉRÉ DES «CONJOINTURES» ENTRE LES MYTHES MÉDIÉVAUX ET ANTIQUES.

Ainsi, le déclencheur qui provoque le départ vers l’aventure est plus proche de l’histoire de Lancelot. Comme lui, Luke a échappé très jeune à un massacre d’envahisseurs. Comme Lancelot enfant, il est tenu éloigné des évènements tragiques et sa vraie nature ne se révèle que petit à petit. Perceval aussi apprend ses origines par un ermite et leur destin commun sera de restaurer le lignage. Le psychanalyste freudien Otto Rank a bien mis à jour le canevas de la naissance du héros (Œdipe, la légende d’Alexandre le Grand, Jésus, Arthur, Tristan, etc.). Cet archétype appartient entre autres au réservoir mythologique indo-européen.» L’astuce narrative de Lucas est sans doute d’avoir opéré des «conjointures» entre les mythes médiévaux et antiques: par exemple, lorsque Luke doit délivrer la princesse Leia dans le labyrinthe de l’Etoile noire où évolue Dark Vador (Thésée, Ariane et le Minotaure). C’est encore le cas lorsque, comme Œdipe, sa destinée le conduit à tuer son père contre son gré. «Au sens freudien, le parallèle fonctionne, explique Susanne Wokusch, aujourd’hui privat-docente à l’Ecole de français langue étrangère et grande amatrice de sciencefiction, tuer le père, symboliquement du moins, c’est devenir un homme.» Alain Corbellari suspecte aussi Lucas d’avoir puisé dans la mythologie

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scandinave. Des personnages qui rappellent des elfes, des trolls, etc., bien sûr, mais aussi de manière plus subtile, comme dans l’épisode de la main coupée: «En duel contre son père, qui s’est révélé être Dark Vador, Luke se fait couper la main. Il découvre, plus tard, que Vador porte aussi les stigmates du bras tranché. Comme Týr (dieu nordique garant du droit et de la justice), qui a mis la main dans la gueule du loup Fenrir en gage de sa bonne foi pour que ce dernier se laisse attacher (Fenrir, ne pouvant se délivrer, tranche l’avantbras de Týr). La main que l’on donne, c’est le tribut que l’on paie pour être délivré. De manière plus générale, perdre son intégrité physique est une étape de l’initiation du héros.» Le scénario de la première trilogie de La Guerre des étoiles a repris le mythe de la naissance du héros, son parcours initiatique et sa lutte contre des monstres qui représentent avant tout des peurs enfouies dans l’inconscient et dont chaque individu doit pouvoir se libérer. Cette dimension représente sans doute un puissant antirides pour la saga de Lucas. La sortie de Star Wars, épisode VII: Le Réveil de la Force pour décembre 2015, soit 38 ans après le premier film, prouve en tous cas que les archétypes mis en images par George Lucas ont trouvé leur public, sur plusieurs générations.  DS

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LIVRES

VOUS AVEZ DIT MYTHES? Dans un essai fort savant, l'anthropologue et helléniste Claude Calame démontre que la mythologie grecque n'a pas fini de nous surprendre.

© Francis Mobio

QU'EST-CE QUE LA MYTHOLOGIE GRECQUE? De Claude Calame. Folio Essais (2015), 732 p.

«Q

u’est-ce que la mythologie ?», s’interroge Claude Calame dans un gros ouvrage publié chez Folio Essais. La réponse, on s’en doute, n’est pas simple. Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en Sciences sociales à Paris, l’anthropologue et helléniste suisse – qui a longtemps enseigné à l’Université de Lausanne – rappelle en préambule l’existence de multiples versions des mythes grecs «qui invitent à de constantes réinterprétations et à des puissantes recréations». Il souligne aussi que la signification du mot grec mûthos diffère profondément de celle du français moderne: elle n’a pas le sens de récit traditionnel ou fictif. Quels termes utilisaient alors les Grecs pour désigner ces fables magnifiques qui nous fascinent toujours autant ? Ils se référaient à la pratique poétique, explique Claude Calame, 60

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Hélène de Troie. Œuvre de Dante Gabriel Rossetti (1863), conservée à la Kunsthalle de Hambourg. © AKG-images

LA BELLE HÉLÈNE, STIGMATISÉE ET JUGÉE RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX DANS L'ILIADE, EST EN REVANCHE BLANCHIE PAR PLUSIEURS ÉCRIVAINS.

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prenant pour exemple L’Hymne homérique à Déméter qui évoque le rapt de Perséphone par Hadès. Raconter un mythe, précise-t-il, c’est recourir «à une forme poétique pour avoir des effets d’ordre esthétique, émotionnel, politique et moral sur un public particulier dans des circonstances d’énonciations précises». A travers différents exemples, l’auteur nous démontre ensuite que rien n’est plus instable, plus variable qu’un mythe grec. Le chapitre VI consacré à «Hélène, la guerre de Troie et les desseins d’une première historiographie» se révèle particulièrement éclairant. Claude Calame nous y explique comment la belle Hélène, stigmatisée et jugée responsable de tous les maux dans L’Iliade, est en revanche blanchie par plusieurs écrivains, le philosophe Gorgias, le poète tragique Euripide ou l’historien Hérodote. Pour ce dernier, qui rapporte une version qu’il aurait

recueillie auprès des prêtres en Egypte, Hélène ne se serait pas rendue à Troie, mais aurait séjourné sur les bords du Nil durant toute la guerre. Une version «orientée vers le présent, politiquement et moralement marqué par les récentes guerres médiques». Toujours aussi savant et complexe, Claude Calame interroge ensuite le célèbre devin Tirésias et l’ardent Hippolyte, héros victime de son amour trop exclusif pour Artémis, avant de conclure: «Dans la profusion de leurs versions sans cesse revisitées, par une plasticité qui relève d’une poétique touchant formes et contenus, les mythes grecs continuent à nous offrir non seulement des scénarios d’action, mais aussi des figures d’une extraordinaire épaisseur humaine, emportés que sont les protagonistes des mythes grecs par passions et destinées de mortelles et de mortels éphémères.»  MIREILLE DESCOMBES


Cet ouvrage collectif est le fruit d’enquêtes de terrain menées par des sociologues et des anthropologues, en Suisse. La grossesse et l’accouchement y sont abordés sous différents angles. Comme par exemple la procréation médicalement assistée, la médicalisation de la maternité, les liens entre les gynécologuesobstétriciens et les sages-femmes ou encore une immersion dans un service de néonatologie. Bien qu’académiques, les articles intéresseront un large public.  DS ACCOMPAGNER LA NAISSANCE. TERRAINS SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES EN SUISSE ROMANDE. Sous la dir. de Claudine Burton-Jeangros, Raphaël Hammer et Irene Maffi. BSN Press (2014), 203 p.

Depuis les années 2000, et notamment sous l’influence de la réforme de Bologne, l’interdisciplinarité a pris une importance croissante dans le monde universitaire. Dans ce contexte, que sont devenues les disciplines académiques «classiques»? Cet ouvrage collectif passe cette question au crible, sous quatre points de vue: la gouvernance des institutions, la recherche, les pratiques pédagogiques et le métier d’enseignant-chercheur.  DS DISCIPLINES ACADÉMIQUES EN TRANSFORMATION. ENTRE INNOVATION ET RÉSISTANCE. Sous la dir. d’Adriana Gorga et Jean-Philippe Leresche. Editions des Archives contemporaines (2015), 257 p.

Concocté notamment par Yves Pigneur, professeur en HEC et Alex Osterwalder, co-fondateur de Strategyzer, cet ouvrage constitue la suite de Business Model nouvelle génération, qui s’est vendu à 1 million d’exemplaires en une trentaine de langues. Il se concentre sur la proposition de valeur et donne des outils pour réussir à créer des produits ou des services que les consommateurs veulent. Un livre accessible à tous, grâce à son graphisme exceptionnel, à sa clarté et à ses compléments en ligne.  DS VALUE PROPOSITION DESIGN. Par Alex Osterwalder, Yves Pigneur, Greg Bernard, Alan Smith. Wiley (2014), 290 p. La version française paraît en mai chez Pearson.

Valaisan, Jérôme Meizoz (Faculté des lettres) connaît son coin de pays. Les loups dans ces parages ont bien souvent figure humaine. De cette sorte d’hommes qui détruisent les paysages au nom de la croissance illimitée. Le romancier conte l’agression jamais élucidée subie par un jeune écolo en 1991. Des chapitres brefs font défiler des figures comme celles de Chappaz, Bourdieu ou Franz Weber. Un narrateur mi-ironique et mi-empathique s’adresse en «tu» à un personnage qui fut l’ami du garçon tabassé. Des phrases courtes pour ne pas charger encore ce réel boursouflé par l’activité économique.  NR HAUT VAL DES LOUPS. Par Jérôme Meizoz. Zoé (2015), 123 pages.

La notion de «formation la vie durant» s’arrêterait-elle d’un coup à l’âge de la retraite? Professeur honoraire à l’UNIL, Roland J. Campiche déplore le manque de reconnaissance publique des neuf «universités des seniors» que compte la Suisse, ainsi que le faible intérêt des chercheurs pour ce sujet. Pourtant, l’accroissement de l’espérance de vie ouvre des perspectives, à la fois pour de nouvelles formations et des pédagogies à inventer.  DS ADULTES AÎNÉS, LES OUBLIÉS DE LA FORMATION. Roland J. Campiche et Afi Sika Kuzeawu. Antipodes (2014), 172 p.

UN MÉTIER DIFFICILE ET SÉDUISANT

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récaire, fluctuant, le métier de comédien n’est pas facile. Il n’en exerce pas moins un formidable pouvoir d’appel auprès des jeunes. «De l’école à la scène» s’articule autour de cette «apparente antinomie». Réalisée par les sociologues Valérie Rolle et Olivier Moeschler, tous deux rattachés à l’Université de Lausanne, cette étude s’inscrit dans la mission de recherche de la Manufacture-HETSR et a été financée par la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Se focalisant sur les quatre premières promotions issues de la Manufacture, soit une soixantaine d’individus, elle interroge les «conditions structurelles, institutionnelles et individuelles d’entrée, de maintien et, le cas échéant, de sortie du métier». Les auteurs situent leur démarche dans le champ de l’analyse sociale des professions et du travail artistiques, se référant notamment aux recherches de Nathalie Heinich et Pierre-Michel Menger. Ils rappellent que les problèmes d’insertion professionnelle ne datent pas d’aujourd’hui, mais qu’ils sont rendus plus visibles par l’exigence «d’employabilité» imposée aux HES (Hautes écoles spécialisées). Les deux sociologues se sont immergés dans les rythmes et les routines de la Manufacture. Ils en évoquent la naissance en 2003, le choix de former une quinzaine de comédiennes et comédiens au rythme de deuxvolées tous les trois ans, la reconnaissance HES différée – elle est acquise en 2010 – les exigeants critères pédagogiques de départ et les adaptations nécessaires, le passage du modèle de «théâtre école» à celui d’«école de théâtre». Comment et qui choisir ? Doit-on privilégier les fortes personnalités ou penser prioritairement groupe, cohésion et donc malléabilité ? Emaillant leurs propos avec les témoignages des étudiants, des trois directeurs et des administrateurs, Valérie Rolle et Olivier Moeschler relèvent que les étudiants sont «d’une origine sociale aisée pour la grande majorité». La fin des études et l’entrée dans la vie professionnelle s’avèrent cruciales pour les comédiens. De compagnons d’aventure artistique à la Manufacture, les voilà qui se retrouvent concurrents et rivaux. Savoir se faire élire, savoir collaborer et se diversifier tout en gardant confiance en soi deviennent des stratégies nécessaires pour trouver des engagements et durer. Et plusieurs y parviennent, pour autant que l’on puisse déjà en juger.  MIREILLE DESCOMBES DE L’ÉCOLE À LA SCÈNE. De Valérie Rolle et Olivier Moeschler. Editions Antipodes (2014), 222 p.

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La Formation Continue UNIL-EPFL www.formation-continue-unil-epfl.ch 021 693 71 20

FORMATION CONTINUE

L’HUMAIN REPLACÉ AU CŒUR DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE Une formation continue interdisciplinaire en urbanisme durable, tournée vers la pratique et nourrie par la recherche académique, est consacrée aux transformations des villes dans la perspective du développement durable.

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epuis quelques années, les projets d’agglomérations connaissent une incroyable dynamique en Suisse. La mutation du pays, dans lequel les citadins composent désormais 84% de la population, se voit partout. Comment faire en sorte que cette valse des grues et des pelles mécaniques ne signifie pas la fin de notre qualité de vie ? Une des réponses réside dans le programme de formation continue «Urbanisme durable». Ce Master of Advanced Studies (MAS), composé de trois modules d’un semestre chacun, suivi d’un mémoire de fin d’études, prépare «des professionnels polyvalents, capables d’intégrer les enjeux sociaux et environnementaux à la démarche de transformation des espaces urbains», expose Antonio Da Cunha, professeur à l’Institut de géographie et durabilité et directeur du MAS, dont la troisième édition démarre cet automne. Le chercheur relève que les villes dominent les sociétés contemporaines pour le meilleur et pour le pire. La pauvreté s’y loge au cœur même de l’abondance. Leur mode de croissance étalée ne cesse d’alourdir leur empreinte écologique. Elles consomment deux tiers des ressources matérielles de la planète. Les logements, les bâtiments dans lesquels nous travaillons et nos déplacements urbains constituent 60% de la facture énergétique. Mais les villes constituent aussi le passage obligé de la recherche d’avenirs de substitution. Le développement de nos sociétés ne sera durable que si nos villes deviennent plus innovatrices, plus équitables, plus belles et plus économes. La construction d’écoquartiers exemplaires, conçus dans la perspective de la transition énergétique, se poursuit chaque jour. L’un des enjeux consiste à les relier à la ville ordinaire, qui doit être «impliquée plus fortement dans le changement», relève le professeur. Ce dernier insiste enfin sur l’importance des «démarches participatives: l’urbanisme est l’affaire de tous, c’est-à-dire des professionnels, des élus et des habitants». Autant dire que les étudiants du MAS, admis sur dossier, s’attaquent à des projets complexes, dont la durée dépasse celle des cycles politiques. «Ces futurs chefs d’orchestre ou “ensembliers” de l’action urbaine en suivent toutes les étapes: depuis la programmation des ouvrages urbains jusqu’à la restitution de ceux-ci aux usagers», ajoute Antonio Da Cunha. 62

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ANTONIO DA CUNHA Professeur à l’Institut de géographie et durabilité et directeur du MAS «Urbanisme durable». Nicole Chuard © UNIL

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Leurs tâches comprennent le soutien aux élus, la coordination et le décloisonnement de l’action publique, l’organisation de la participation et de la communication. Il s’agit de faire émerger le récit collectif des projets en cours et de faire partager une nouvelle ambition pour les territoires urbanisés.» Mélange de compétences Les volées comprennent naturellement des géographes, des architectes et des urbanistes. Mais des ingénieurs, des politologues, des psychologues et même des anthropologues ont déjà suivi le cursus. Un mélange de compétences et une interdisciplinarité qui ravissent Antonio Da Cunha. Comme de nombreux travaux de groupe figurent au pro-


gramme, «tous les talents sont mobilisés». Le professeur est d’ailleurs impressionné par la rapidité avec laquelle les participants produisent des résultats de qualité. Les novices qui cherchent avant tout à se familiariser avec les langages de l’urbanisme et de la conduite du projet ne doivent pas s’inquiéter: les pédagogies actives et le travail de groupe en atelier permettent une mutualisation des connaissances dans les meilleures conditions. La théorie et la pratique se partagent le temps de cette formation continue à égalité. «Nos étudiants sont placés dans des situations réelles de projets de commandes publiques. Il peut s’agir par exemple d’une friche à revaloriser, de jardins familiaux à transformer, de la création d’un nouveau quartier ou de la conception d’un vaste espace, comme par exemple, cette année, le Val-de-Ruz», détaille Antonio Da Cunha. Toutes les échelles, du très local au transfrontalier, sont traitées. Bien sûr, des visites sur le terrain et des rencontres avec des professionnels et des responsables locaux sont organisées. Au total, le MAS mobilise plus d’une centaine d’intervenants, dont une large majorité de praticiens. Trois institutions partenaires Les trois modules du cursus sont donnés sur les sites des trois institutions partenaires: les Université de Lausanne, de Genève et de Neuchâtel. Chacun d’entre eux se conclut par la présentation d’un poster réalisé en petits groupes. Plongés dans une situation réelle, comme par exemple l’étalement urbain le long du littoral neuchâtelois, ou la régénération d’une friche urbaine, les participants défendent leurs diagnostics, leurs principes stratégiques et les mesures qu’ils ont choisies, en présence d’urbanistes actifs dans les lieux concernés. «Le retour est donc immédiat», note Antonio Da Cunha. Les personnes qui ne souhaitent pas suivre l’entier du cursus peuvent se lancer dans l’un des trois modules et le faire valider sous la forme d’un Certificate of Advanced Studies. Pour les participants au MAS, le parcours se conclut par un mémoire personnel de fin d’études, en général d’une cinquantaine de pages. «Le but consiste à produire un document stratégique qui servira de guide dans la pratique», indique le directeur du programme. Quel genre de travaux ? Par exemple, comment rendre aux piétons le centre historique de Nicosie, envahi aujourd’hui par les voitures. Les conflits entre la vie nocturne et le repos des habitants à Bellinzone. Ou encore la manière d’appliquer les principes de la durabilité dans les quartiers urbains comme dans les zones rurales. Les cours représentent l’occasion de se constituer un réseau de contacts. Pour le renforcer, une rencontre entre alumni et professionnels est organisée chaque été. Enfin, les participants sont invités au colloque annuel de la Fédération suisse des urbanistes.  DS www.formation-continue-unil-epfl.ch/urbanisme-durable-mas Prochaine rentrée en septembre 2015.

NOUVELLE FORMATION

SCIENTIFIC COMMUNICATION

84 %

LA PROPORTION DE SUISSES QUI HABITENT DANS UN ESPACE URBAIN.

La rédaction de rapports, de demandes de fonds et d’articles pour des revues spécialisées prend une place importante dans la vie des scientifiques. C’est également le cas dans l’industrie, et certaines start-ups . «Savoir communiquer par écrit et en anglais, de manière efficace, est indispensable à de nombreuses personnes actives dans le monde de la recherche», explique Giorgio Margaritondo, professeur et directeur de la Formation continue à l’EPFL. Fort de sa longue expérience personnelle de physicien et d’éditeur d’un journal scientifique, ce dernier propose un nouveau cursus, qui permet aux participants «d’arriver à un très bon niveau de communication, grâce à des stratégies et des règles simples». Le tout en quatre demi-journées, durant octobre et novembre 2015. Les journalistes et les chercheurs partagent un souci commun: comment saisir l’attention de leurs lecteurs, lessivés par un déluge d’informations ? Parmi les modèles, Giorgio Margaritondo mentionne le New York Times et Ernest Hemingway: «L’essentiel du contenu doit être donné dès le début du document. Pendant le cours, nous allons beaucoup travailler sur les titres, les figures et les premières phrases.» Les erreurs les plus courantes, comme par exemple celle qui consiste à écrire son texte dans sa propre langue puis à le traduire dans celle d’Alan Turing, font partie du cursus, tourné vers la pratique. Des exercices de réécriture sont naturellement inscrits au programme. Car «il est souvent possible d’exprimer la même idée avec deux fois moins de mots», sourit Giorgio Margaritondo. Une démarche qui fonctionne à travers les disciplines. Ainsi, «des physiciens peuvent améliorer des documents rédigés par des chimistes. Même si certains détails leur échappent, il reste possible de chercher le message et d’éliminer le superflu.» Le cursus comprend enfin des aspects plus stratégiques, comme la planification de l’écriture dans le temps et la relecture critique. Le seul prérequis consiste en un niveau d’anglais moyen, car il ne s’agit pas d’un cours de langue. Toutefois, pour garantir que le contenu produit par les participants soit correct, Ann Bless, anglophone et professionnelle expérimentée de la communication scientifique, intervient tout au long de la formation. Afin de garantir de bonnes interactions, le nombre de participants est limité à 12. En 2016, deux nouvelles formations courtes (Effective Oral Presentation et Successful Research Proposals) seront proposées pour compléter Scientific Communication. De quoi travailler des compétences transversales très utiles.  DS www.formation-continue-unil-epfl.ch/ scientific-communication-writing

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RENDEZ-VOUS

Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Jusqu’au ve 31 juillet

LES DÉCOMBRES DE LA FINITUDE

RARISSIMA

© Fataneh

© Isabelle Franciosa Castermann

Le Cabanon accueille Tarik Hayward, lauréat de la Triennale de sculpture de l’UNIL. Il interrogera la relation du travail de l’artiste avec l’environnement fermé de la galerie. UNILDorigny. Anthropole. Le Cabanon. Du lu au ve de 8h à 19h et sa de 10h à 17h. www.lecabanon-unil.ch

Sélection d’ouvrages rares et de manuscrits acquis par l’institution entre 2011 et 2014. Une exposition pour découvrir la richesse de la création contemporaine dans le domaine du livre d’artiste (lire également en p. 10). Lausanne. BCUL site Riponne. 8h à 22h. www.bcu-lausanne.ch. Exposition virtuelle sur www.unil.ch/ rarissima. 021 316 78 63

Me 20 mai

CES VOISINS INCONNUS

Der Mann mit den zwei Augen de Matthias Zschokke. Un roman acerbe et brillant qui met en scène un héros moderne dans un monde vide de sens. Lecture bilingue (all/fr) par l’auteur et sa traductrice, Patricia Zurcher. Rencontre modérée par Marie Fleury Wullschleger. Lausanne. Palais de Rumine, Aula. 19h. www. bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63 Ve 29 mai

DIES ACADEMICUS

Cette cérémonie annuelle ouverte au public mêle allocutions officielles, remise de prix et de doctorats honoris causa à des personnalités, ainsi que des intermèdes musicaux proposés par l’OSUL (lire en p. 15). Un moment important de la vie de l’institution. UNIL-Amphimax. Auditoire Erna Hamburger, 10h. www.unil.ch

Je 28 mai

LEÇONS INAUGURALES

Les nouveaux professeurs de la Faculté de biologie et de médecine donnent des conférences ouvertes à tous. L’occasion de s’informer sur l’autisme ou les neurosciences. Autres dates: 11 et 12 juin. Lausanne. CHUV, Auditoire César-Roux. 17h15. www.unil.ch/fbm > Faculté > Communication > Leçons inaugurales et symposiums Félix Imhof © UNIL

Jusqu’au ve 29 mai

MDLR

Di 31 mai

FÊTE DE LA NATURE Di 31 mai

MYSTÈRES DE L’UNIL

Dans le cadre des Mystères de l’UNIL, l’artiste John Howe (Le Seigneur des Anneaux) et le scénariste Benoît Peeters (Les Cités obscures) donnent deux conférences, suivies d’une séance de dédicaces. Intervention des professeurs Dominique Bourg et Alain Boillat. En partenariat avec la Maison d’Ailleurs. UNIL-Sorge. Amphimax, 11h. www.unil.ch/mysteres.

Dès le di 21 juin

© Croteam2014

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Après un week-end de portes ouvertes les 9 et 10 mai pour son ouverture, la Maison de la Rivière participe à la Fête de la nature. L’occasion de découvrir ce centre, grâce à des visites guidées de l’exposition et du site. Tolochenaz. Maison de la Rivière.11h et 14h. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75

PORTRAIT-ROBOT

Cette exposition réfléchit aux relations complexes se tissant entre le robot et l’être humain. Elle vous invite à découvrir pourquoi les portraits esquissés par nos cousins de métal permettent à l’homme de se réinventer (lire également en p. 36). Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h. www.ailleurs.ch. 024 425 64 38

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Di 21 juin

LETTRES FRONTIÈRE

ELINA DUNI QUARTET

L’ÉPROUVETTE

Grande voix de la musique actuelle, Elina Duni et son trio jazz offrent une alchimie étonnante entre des airs inspirés du répertoire traditionnel albanais et le jazz contemporain. Du folklore des Balkans sublimé par la beauté d’un timbre de voix unique. Lausanne. Palais de Rumine, Corps central. 20h. www.bculausanne.ch. 021 316 78 63 Je 25 et ve 26 juin

Aménagée comme un vrai laboratoire de biologie, l’Eprouvette invite tous les publics (familles, enfants, associations, curieux, etc.) à se glisser dans la peau de cher­cheurs pour expérimenter certains grands principes des sciences expérimentales et discuter des enjeux de la recherche. http://wp.unil.ch/media­-  tion­­­s­cientifique. 021 692 20 79

Du lu 29 juin au ve 28 août

DE L’ADMINISTRATION À LA COURS D’ÉTÉ vivre au rythme du français au GOUVERNANCE OLYMPIQUE Pour cœur de l’été ! L’UNIL propose des Un symposium organisé à l’occasion du 100e anniversaire de la présence du CIO à Lausanne. Il est question de sport pour tous, d’antidopage, etc. UNIL-Mouline. Idheap, Aula. Participation gratuite, mais inscription obligatoire jusqu’au 30 mai, sur: www.idheap.ch/100symposium

Cours de français intensifs de 3 semaines et de 6 semaines. Ils sont ouverts à tous les non-francophones dès le niveau «Complet débutant» (âge minimum: 17 ans). Délai d’inscription: 2 juin. www.unil.ch/cvac. 021 692 30 90

MUSÉE DE GÉOLOGIE

Pour côtoyer des dinosaures (lire également en p. 22), voir un squelette de mammouth, admirer une collection fabuleuse de cristaux et tout apprendre du passé de notre région et des Alpes, une visite au Musée de géologie s’impose. Lausanne. Palais de Rumine. Ma-je 11h - 18h, ve - di 11h - 17h. www. unil.ch/mcg. 021 316 33 10

Nicole Chuard © UNIL

MDLR

© 2009/CIO/Juilliart

La BCU Lausanne vous convie à participer à son club de lecture et à découvrir, début juin, la nouvelle Sélection Lettres frontière qui réunit les dix meilleurs livres de RhôneAlpes et de Suisse romande. Inscriptions: manifestations@bcu.unil.ch ou 021 316 78 75/44. Lausanne. Palais de Rumine. 12h–14h. www.bcu-lausanne.ch

En permanence

DR

Me 10 juin

FRÉQUENCE BANANE

Pilotée par des étudiants de l’UNIL et de l’EPFL, la radio diffuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7. A retrouver sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net. Au programme: beaucoup de musique, mais également des infos, des débats, des interviews et des chroniques. Pour ne rien rater de la vie du campus. www.frequencebanane.ch Di 30 août

Lu 14 septembre

C’EST LA RENTRÉE D’AUTOMNE

Début des cours pour le semestre d’automne 2015-2016. Une semaine d’accueil pour les nouveaux étudiants est organisée du 7 au 11 septembre. Les cours prennent fin le 18 décembre. Calendrier académique: www.unil.ch/central/page4804. html. 021 692 21 00 Allez savoir !

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Nicole Chuard © UNIL

Avec un guide, partez à la découverte des poissons de la rivière et du lac (comme le brochet, la truite, le vairon, etc.) en les observant dans le canal et les aquariums de la Maison de la Rivière, inaugurée début mai 2015. Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 14h à 16h. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75

Guillaume Conne @ UNIL

LE MONDE DES POISSONS

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CAFÉ GOURMAND

«ON NE PEUT PAS TOUT AVOIR»

Bettina Klaus étudie d’un point de vue économique l’assignation des biens divisibles et indivisibles entre les individus. Moment de partage autour d’une table.

G

rande, patiente, Bettina Klaus attend sagement son interlocutrice. Mathématicienne, professeure à la Faculté des HEC, Bettina Klaus est une spécialiste de la théorie des jeux appliquée à l’économie. A ses étudiants en 3e année de bachelor, elle explique avec beaucoup d’exemples les principes fondamentaux du partage ou de l’allocation des ressources limitées. Il peut s’agir d’un gâteau (bien divisible) ou d’un billet de concert (bien indivisible ou impartageable). «Nous voulons tout et c’est une équation impossible. Par exemple, payer peu d’impôts et en même temps bénéficier d’un service public partout accessible et de grande qualité», résume-t-elle. Trois principes régulent les choix économiques, mais aussi politiques: l’efficacité, la justice et la motivation ou la «non-manipulabilité». Or, ces trois principes entrent en contradiction. Il s’agit donc de déterminer lesquels sont compatibles avec la situation étudiée. Que faire avec un seul billet de concert pour deux personnes ? «Je peux leur demander leur motivation et donner ce billet au plus grand fan du musicien concerné mais alors je ne tiens pas compte des désirs exprimés par ces deux personnes. Je peux jeter le billet à la poubelle, histoire de ne favoriser personne, mais alors je contreviens au principe d’efficacité», explique Bettina Klaus. Cela vaut pour la répartition des élèves dans les différentes écoles, l’admission des étudiants à l’université, la distribution des doses d’un vaccin, l’attribution des voix à tel parti, le partage d’un volume de travail entre plusieurs personnes qui sou-

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BETTINA KLAUS au restaurant Le P’tit Lausannois... au centre de Lausanne. © Nicole Chuard

haitent toutes travailler beaucoup, par exemple. Ou pas suffisamment pour permettre la réalisation de la tâche assignée en termes d’heures de travail. Comment appliquer le principe de justice dans le domaine économique, se demande-t-elle. Question difficile quand on sait que les humains n’agissent pas forcément d’une manière rationnelle. La science économique ne peut plus se passer de la psychologie. Ni des mathématiques. La théorie des jeux étant très répandue parmi les économistes et d’autres scientifiques, Bettina Klaus a très tôt noué des liens avec des collègues aux quatre coins du monde. Lorsque l’UNIL l’engage, elle est appelée à Boston par Alvin Roth qui enseigne alors à la Harvard Business School. Le futur Prix Nobel d’Economie connaît les recherches menées par la jeune femme aux Pays-Bas (Maastricht) ou encore en Espagne

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UN GOÛT DE L’ENFANCE

Les biscuits et gâteaux confectionnés par une spécialiste du genre, ma mère.

UNE VILLE DE GOÛT ?

Barcelone pour le jambon d’Espagne et les merveilleux tapas. J’aime aussi la cuisine impressionnante et légère du Japon.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?

Je rencontre tant de personnes intéressantes mais elles sont éparpillées dans le monde. Je voudrais les avoir à ma table plus souvent.

(Barcelone). L’UNIL attendra donc une année. Professeure ordinaire depuis 2009, Bettina Klaus n’a jamais regretté son choix lausannois. En HEC, elle apprécie la collaboration entre les membres du Département d’économétrie et d’économie politique. Elle aime son travail et la vie en Suisse, voyage et retrouve régulièrement ses parents en Allemagne, son pays d’origine. En ce moment, elle dirige deux thèses de doctorat et profite de ses connexions pour permettre à ses doctorants de passer un semestre à Stanford ou ailleurs. Bettina Klaus soigne ses étudiants, quitte à bousculer un peu les plus jeunes en leur proposant dès la 3e année de bachelor de donner son cours en anglais. Ils sont plutôt contents dans la mesure où ils devront effectuer leur master dans cette langue. Mais cette polyglotte répond volontiers aux questions en français... et en allemand.  NADINE RICHON


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LES

Mystères DE L’UNIL'15 Trouve la

CLEF DES JOURS avec les chercheurs de l’Université

30 31 SAMEDI

DIMANCHE 11 h - 17 h MAI

Entrée libre Arrêt m1 : UNIL-Sorge www.unil.ch/mysteres

Concept : UNICOM / Image : jsmonzani.com

DIXIÈME ÉDITION Portes ouvertes


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