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Opération Tournesol: creusons-nous la tête pour dépolluer BXL Repenser la politique locale avec Pablo Servigne Ralph Böhlke contre le méchant Pictou Fabian Féraux et Velt Brussel redécouvrent l’Amérique Simon de Muynck sur les limites de la Transition Etienne Toffin: « La Transition est un travail de fourmis »
La Transition est arrivée près de chez vous.
Gazette du Centre d’ écologie urbaine - 22 mars 2013 - équinoxe de printemps - n°7 - 2 euros
SOMMAIRE 6 C’EST LA „CRISE“! QUI VA FINANCER LA TRANSITION? Par Swen sous les conseils de Ralph Böhlke et Stephan Kampelmann 10 LE MÉCHANT PICTOU DÉTRUIRA-T-IL LE MONDE? Par Swen sous les conseils de Ralph Böhlke 14 30 MILLIARDS DE BARILS ET MOI, ET MOI, ET MOI... Par Jean-Marc Jancovici 18 LE BÉNÉVOLAT, RÉACTEUR DE LA TRANSITION Par Michel Marée 22 UNE MANIÈRE ORIGINALE DE PENSER LA POLITIQUE Par Pablo Servigne 28 LA MONNAIE FAIT-ELLE L’ÉCHANGE? Par Swen et le Dr Rabbit
32 COMBIEN DE MIRACLES AU CENTRE D’ÉCOLOGIE URBAINE ? Six mois d’activités dans le rétroviseur du 789 36 INITIATIVES DE TRANSITION: LES LIMITES DU MOUVEMENT Par Simon de Muynck 44 THE PROMISED LAND OF URBAN FARMING Expo photo de Fabian Féraux 48 LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE : QUEL RÔLE
POUR L’AGRICULTURE URBAINE ? Par Pierre Serkine et le Dr Rabbit
51 OPERATION TOURNESOL: CREUSONS-NOUS LA TÊTE POUR DÉPOLLUER BXL Par Simon de Muynck, Stephan Kampelmann et Régis Remigy avec une illustration de Marie Cocquerelle 60 AUTO-ORGANISONS-NOUS!
Par Etienne Toffin
« J’adore la Transition, c’est bien tous ces mignons jeunes gens motivés... » Zaza Von Schtroumpf
EDITO: L’IMMODESTIE RIDICULE Le 22 mars 2013, c’est l’équinoxe du printemps et le premier b-day du Centre d’écologie urbaine (CEU). L’événement nous prie d’aller ressortir les flonflons et les paillettes de récup’ qui moisissent à la cave. On met les petites assiettes dans les grandes, on s’affaire dans les cuisines pour concocter d’opulents mets végétariens, on accroche aux murs les toiles des derniers artistes en vogue, on dose et dispose les lumières, on installe le didgeridoo et on fengshuise le tout pour harmoniser les bonnes énergies renouvelables. Un verre de mousseux à la main, les hommes et les femmes du CEU se font mousser à propos de leurs exploits toujours habilement magnifiés. Tout est bon pour se faire gloriole. On jacte ici et là avec des airs d’importance sur les bienfaits de la Transition en déambulant pompeusement dans les allées du parc potager. Des rires bêcheurs ponctuent le caractère convenu des discussions. De petits conciliabules de mines péteuses à collets montés se font et se défont au gré des sujets abordés. On s’y infatue en dissertant sous des airs protocolaires de l’agriculture urbaine, de la gestion des déchets, de la phytoremédiation. Mais il ne faut pas s’y fier: cette jovialité pudibonde dissimule l’effarante dimension de leurs responsabilités. Car ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que l’avenir du monde. Fort heureusement, le CEU n’est pas seul à s’acquitter de cette lourde tâche. D’autres superbes planchent sans relâche pour réaliser la Transition. Au travers de ce nouvel opus, cette illustre gazette se fait ainsi le héraut des héros de cette Transition. L’association Deltae lui a par exemple glorieusement consacré une série d’ateliers où des pointures y sont venus parler doctement de permaculture, du pic énergétique, de résilience, d’intelligence collective ou de monnaies complémentaires. Nous y avons puisé de l’inspiration en dilettante pour essayer de vous en faire un compte rendu, si ce n’est exhaustif, au moins original. Mais revenons si vous le voulez bien sur les bravoures du CEU dont cette revue est le tangible témoignage. Fort de son armée de fourmis volontaires prêtes à se sacrifier le verre de mousseux à la main pour faire triompher la Transition, le CEU gagne du terrain pour les dépolluer et en faire des potagers. C’est tellement tendance les
potagers, c’est tellement cool. A New York, à Londres, à Paris ou à Bruxelles on ne parle plus que de ça. Les journaux en font leurs choux gras en bourrant le melon du consommateur de salades fraîches. « Avec la Transition, soyons simples, soyons beaux, soyons sexy », tel est le nouveau mot d’ordre. Des personnalités de tous poils n’y résistent pas. Le milieu de la mode et du show business est conquis. Les pop-stars ratissent plus large et les top-modèles défilent dans les rangs d’oignons. Gaïa Scienza n’y échappe pas et souhaite vous présenter l’une de ses égéries : Zaza von Schtroumpf. Souvent critiquée par la presse internationale pour son côté « précieuse ridicule » cette amoureuse de la nature confesse à Gaïa Scienza être profondément affectée par « toutes ces méchancetés de gens frustrés et jaloux ». Elle se défend bec et ongles – manucurés – de ces accusations en affirmant sans détour : « je ne suis pas bobo, je suis quelqu’un de simple qui aime juste se retrouver au potager pour profiter de la nature. J’adore la Transition, c’est bien tous ces mignons jeunes gens motivés ….». Merci Zaza pour ton courage ! C’est sûr, tu n’as pas fini de faire parler de toi ! Swen
« Je ne suis pas bobo, je suis quelq’un de simple qui aime juste se retrouver au potager pour profiter de la nature...» Zaza Von Schtroumpf
C’EST LA „CRISE“! QUI VA FINANCER LA TRANSITION?
La “dette” est partout. Mais à quoi correspond-elle véritablement? Par Swen sous les conseils de Ralph Böhlke et Stephan Kampelmann
Quand on prend un journal très sérieux comme Le Soir, Le Monde ou Le Figaro, on peut y lire des gros titres tapageurs comme: « Budget : un effort de 2,5 milliards »1. En prenant la peine d’ouvrir un de ces journaux, on découvre que le jargon utilisé est immuable. On y parle de compétitivité, de croissance, d’emploi, de taux, de coût, d’investissement, de PIB, d’ajustement, de recette, d’impôt, de budget et bien sûr.... de « crise ». Or, il devient parfois bien difficile de savoir de quoi on parle exactement. Des experts se succèdent au sein des grands groupes de médias pour expliquer le cas du Portugal, le danger que représente l’Italie, la situation désastreuse de la Grèce ou de l’Espagne. Un journaliste astucieux s’est même amusé à pondre un acronyme un tantinet insultant pour tous ces pays : ce sont les PIGS2. Les PIGS sont des pays qui coûtent des milliards d’euros à l’Union Européenne. Les analystes financiers expliquent doctement que c’est à cause de la dette des États et de la crise financière de 2007-2008 elle-même suivie de la « Grande Récession ». Les élus politiques poursuivent en expliquant qu’il va falloir se serrer la ceinture pour économiser et passer en dessous de la barre des 3 % d’endettement par rapport au PIB. De toute façon ce n’est pas eux qui le disent mais le Traité de Maastricht signé en 1992 !
augmentent un peu partout dans la zone Euro, le peuple patauge dans les ténèbres de l’ignorance en se demandant « mais nom de dieu où va cet argent ? ». Du coup, ce même peuple imbécile descend dans la rue pour dire qu’il n’est pas content alors qu’il ferait mieux de bosser pour relancer la croissance. Le peuple vote à droite puis vote à gauche mais rien ne se passe : la croissance est en berne. Donc il faut relancer la croissance. Pour relancer la croissance, il faudrait se désendetter. Pour se désendetter il faut se serrer la ceinture – ce sont les « politiques d’austérité ». Mais avec moins de dépenses de l’État, il y a évidemment moins de croissance. Donc il faut bosser pour moins cher pour relancer la croissance. Aux États-Unis ou en Espagne, les banques récupèrent les maisons construites à crédit par leurs clients qui ne peuvent plus payer leurs échéances. Les plus désespérés se suicident, certains par l’immolation afin d’attirer l’attention des badauds sur le manque cruel de compassion du service clientèle de leur banque. Comment en eston arrivé là ? Toutes ces informations génèrent, on le comprend, de l’anxiété pour un nombre croissant de personnes qui se demandent si leur argent, leur patrimoine et leur futur ne risquent pas de leur échapper. Essayons de comprendre comment les choses fonctionnent en commençant par cette dette souveraine dont tout le monde parle et qui asphyxie les peuples.
Alors que la situation empire pour tous les services publics et que le chômage et la précarité
1. C’était par exemple la une du journal belge Le Soir du 2 et 3 mars 2013 que j’ai emprunté à mon voisin. 2. Portugal, Italy, Greece, Spain
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Les protagonistes de la dette publique et de la dette souveraine:
circulation, les prix montent (inflation) ; s’il n’ y en a pas assez, les prix baissent (déflation). Chacun de ces phénomènes peut avoir des conséquences graves sur l’économie réelle. Pour assurer la stabilité des prix, la masse monétaire en circulation doit théoriquement suivre la croissance économique.
L’État. L’État est une notion ancienne qui désigne un groupe de personnes partageant plus ou moins de choses en commun. Les modes d’organisation d’un « État » peuvent être très variés : monarchique, constitutionnel, parlementaire, fasciste... avec des nuances de tons et de couleurs très subtiles (religions, langues, symboles...).
2. L’État emprunte pour mener sa politique. Pour construire des écoles, des hôpitaux, des routes ou des piscines, l’État a besoin d’argent. Comme il ne dispose pas forcément des fonds nécessaires, il va emprunter à la Banque Centrale. Jusque dans les années 70, les États pouvaient emprunter auprès de leur propre Banque Nationale à taux zéro. L’argent ne coûtait alors pas cher et la dette souveraine ne posait pas de problème.
Les banques. Les banques gèrent la monnaie et le crédit en mettant en relation les emprunteurs et les créditeurs. Les Banques Centrale définissent le taux d’intérêt, les banques commerciales créent la monnaie. Les marchés financiers. Les marchés financiers sont la grande cour de récréation où des Homo sapiens regroupés en « institutions » ou en « organismes » et assistés de leurs machines qui les aident à compter (les ordinateurs), échangent des trucs et des machins appelés « capitaux », « actifs financiers » ou « produits dérivés ». Le profane imbécile qui ne comprend pas les termes de cette liturgie quotidienne est exclu du temple et doit écouter les conseils de son banquier.
3. L’État fait comme tout le monde, il va sur les marchés financiers pour emprunter. Afin d’éviter que l’État n’ait excessivement recours à la création monétaire pour financer ses folies et provoque de l’inflation, il a été convenu dans les années 70 que la création monétaire serait réservée aux banques privées et commerciales3. Ces banques fixent aujourd’hui les intérêts d’après la loi des marchés financiers. Cette règle figure dans le Traité de Maastricht à l’article 104 et est reprise dans l’article 123 du Traité de Lisbonne.
Les contribuables. Les contribuables, appelés aussi « citoyens » dans ce qu’on appelle les « démocraties », sont des Homo sapiens de sexe masculin et féminin qui travaillent et qui payent des impôts à un État censé assurer le bien commun. Il y a des contribuables riches et des contribuables pauvres. Le contribuable pauvre est intéressant car il est nombreux. Le contribuable riche est moins intéressant car il ne se laisse pas taxer (il fait de la politique, est impliqué dans des „affaires“, et s’enfuit dans des paradis fiscaux où il peut dormir avec sérénité, loin de la puanteur des pauvres. Il reviendra alors dans son beau pays en vacances où on espère que, grand seigneur, il dépensera de l’argent)
4. Les prêts entre les Banques Centrales et les banques commerciales. Les États empruntent donc sur les marchés financiers avec des taux d’intérêt variables. Les robinets de la création monétaire ne sont donc plus les Banques Nationales, mais les banques commerciales qui prêtent jusqu’à six fois l’argent qu’elles ont effectivement en réserve. 5. Les banques font payer leur création d’argent. Dans ce système, la création monétaire se fait par le crédit et coûte très cher. Dans la plupart des pays de la zone Euro, le service de la dette représente un des budgets les plus conséquents des États. 6. Mais qui sont ces prêteurs ? C’est tout le monde: au travers des fonds de pension, tous les travailleurs achètent, peut-être sans le savoir, de la dette publique de leur pays. Les pays qui s’en sont sortis le mieux pendant la crise financière sont ceux dont la dette publique est majoritairement détenue par leurs propres citoyens.
D’abord, il y a la dette publique qui est la dette contractée par les États... 1. La masse monétaire. Pour que l’économie soit stable, il faut que la quantité de monnaie en circulation soit régulée. S’il y a trop d’argent en
3. Le président Nixon suspendait en 1973 la convertibilité en or du dollar et conduisait au flottement généralisé des taux de change des monnaies.
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7. L’État n’arrive plus à suivre et se déresponsabilise. Du fait du poids de la dette souveraine, l’argent de l’impôt ne peut plus financer correctement les services publics qui, du coup, se privatisent. Voilà pourquoi beaucoup de gens parlent du démantèlement de « l’État providence ». Mais ne pourrions-nous pas en fait parler du démantèlement de l’État tout court ?
… et la dette privée contractée par les ménages et les entreprises. 1. La „crise“ interroge autant la dette publique que la dette privée. Pour pouvoir lancer son entreprise, acheter une maison ou acquérir un canapé en cuir de vachette, les particuliers et les entreprises ont recours au crédit auprès des banques privées. Si elle est faite de manière responsable et réfléchie, cette création monétaire est un moteur essentiel de l’économie. Mais la crise de 2007-2008 est bien une crise de la dette privée : trop de crédits ont été accordés à des personnes et des entreprises qui ne pouvaient pas rembourser. Alors pour éviter la faillite du système bancaire et une baisse de l’activité économique, une partie de la dette privée a été transférée à la dette publique.
8. L’État emprunte plus et fait s’emballer la dette. Pendant ce temps, les gouvernements de droite, de gauche, du milieu, d’arrière et d’avant garde doivent continuer à mener leur politique sociale en construisant des écoles, des hôpitaux, des routes, des centrales nucléaires et des politiques de « relances économiques ». Donc l’État continue à emprunter et les taux d’intérêt augmentent à mesure que sa capacité de rembourser est mise en question.
2. Comment marche une banque commerciale? Le rôle d’une banque est de mettre en relation les prêteurs et les emprunteurs. Autrement dit, permettre à l’épargne d’être investie au bon endroit au bon moment pour permettre à d’autres de lancer leur activités économiques. L’astuce, c’est que la banque prête plus d’argent que ce dont elle dispose réellement. Le problème n’est pourtant pas tant cette création monétaire elle-même que son affectation. Aux États-Unis par exemple, les banques ont fait beaucoup trop de crédit à la consommation (y compris le prêt étudiant) par rapport à des prêts pour des investissements productifs. Si la consommation peut doper artificiellement la croissance pendant un temps, le manque d’emplois sains et productifs conduit les ménages et les entreprises en situation de surendettement et de cessation de paiement.
9. Augmentation des impôts et des taxes pour payer les intérêts. Mécaniquement, le service de la dette grimpe. L’État va donc lever de nouvelles taxes pour financer son fonctionnement. Il va également faire des « coupes budgétaires » et mener des « politiques d’austérité ». 10. Objectif croissance. De nombreux politiques secouent l’étendard de la « croissance » pour s’en sortir. Le calcul est séduisant: si la production et les revenus de tout le monde augmentent, le service de la dette devient plus facile. Le problème tient au fait que la croissance soutenue par l’État coûte de l’argent que ces États n’ont pas, et que toute autre croissance est difficile à influencer. 11. Désengagement de l’État. La dette des États occidentaux empruntant sur les marchés financiers augmente sans discontinuer depuis les années 70. Ce qui peut éventuellement baisser, c’est le pourcentage de cette dette par rapport au PIB, c’est-à-dire par rapport aux dépenses et aux impôts de l’État4.
3. Pourquoi font-elles faillite? Maintenant que l’on sait qu’une banque prête plus d’argent qu’elle n’en dispose, que se passe t-il si ses épargnants viennent chercher leur économies au même moment? Cela dépend bien sûr de la somme globale que les épargnants veulent retirer, mais si cette somme dépasse les réserves de la banque, elle fait faillite. Alors pour diminuer ce risque de „bank run“, les banques se prêtent de l’argent entre elles. Et pour que la probabilité d’une faillite diminue encore, les banques doivent disposer de réserves obligatoires de 2% de ces dépôts à la Banque Centrale Européenne (accords de Bâle III).
12. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout cela? Que (1) c’est un scandale que les bénéfices des banques sont privatisés et les pertes nationalisées et que (2) ce n’est pas l’État qui va financer les mouvements de transition!
4. Voir Gaïa Scienza N°3, Le PIB et sa crôassance depuis son « big bang » jusqu’à nos jours, Polen Lloret, 2010
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4. Les banques commerciales ont la fièvre. Les perspectives de profit par l’intérêt ont poussé les banques à prêter à n’importe qui et pour n’importe quoi. Cette création monétaire par le crédit a conduit à la création de « bulles », c’est à dire à la concentration de l’argent dans des secteurs où les prix vont alors gonfler artificiellement : c’est le cas de la bulle immobilière en Espagne ou aux Etats-Unis. Ces bulles finissent par éclater ce qui se traduit par des défauts de paiement en chaîne. Donc : plus d’intérêt. Les États viennent alors à la rescousse des banques en empruntant avec intérêt. La singularité de ce phénomène qui coûte beaucoup d’argent aux contribuables est ensuite analysée comme un manque de fonds propres et un manque de déontologie dans leur manière d’accorder des prêts. Les pros de la finance ont donc décidé qu’il fallait « recapitaliser les banques », c’est-à-dire augmenter les réserves fractionnaires, et surtout « moraliser » la profession.
On comprend mieux maintenant ce « système bancaire » si souvent blâmé. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. L’économie et la finance sont des secteurs complexes qui répondent à la complexité de la nature de nos échanges économiques. Il faut garder à l’esprit les raisons profondes qui poussent à faire un investissement : créer de la richesse. Or la richesse est une chose difficile à quantifier. C’est pour cela que l’on parle de plus en plus en économie des conditions du bien-être ou de la protection de l’environnement et de ses ressources. Ces considérations surpassent largement la capacité que les chiffres ont à signifier quelque chose. A force d’être invoqués, brandis, bidouillés et utilisés, les chiffres se vident de leur capacité à exprimer quelque chose de sensé. Il deviennent donc absurdes.
5. L’innovation: un mot à la mode. La plupart des grandes banques faisant « mal leur travail » en ne prêtant qu’à des agents économiques essentiellement consommateurs et pas suffisamment à des projets d’innovation technologique et social, les gens ont le moral dans les chaussettes. La biodiversité des entreprises et des activités économiques baisse et de nouveaux secteurs de croissance5 ont du mal à émerger. Du coup, le surendettement gagne du terrain jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pour sortir de ce trou noir, il faut... de l’innovation. Mais il ne faut pas le dire, il faut le faire : c’est ce que font les « transitionneurs ».
En allemand la « dette » se dit « Schuld », la « faute ». C’est plus clair en allemand : c’est avant tout la culpabilité qui oblige au remboursement d’une dette. Or, la culpabilité est une question de morale, d’éthique et de pouvoir. Rien à voir à priori avec les sciences économiques qui recherchent des lois pour l’optimisation de l’utilisation des biens d’une maison (oikos – nomos). L’éthique nous interroge autrement. Il faut en effet se demander si une dette est forcément remboursable. Un changement de roi dans l’histoire a souvent entraîné l’effacement de la dette du précédent roi. Un changement majeur entraînant en général un changement éthique, il est naturel que le nouveau pouvoir affirme son innocence7.
6. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout cela? Que la transition ne sera pas financée par les grandes banques traditionnelles. Les sources de financement viendront plutôt de nouvelles structures financières favorables au micro crédit, ou alors de la mise en relation directe de petits et moyens investisseurs et de porteurs de projet. Nous pensons par exemple aux plateformes de prêts entre particuliers6, ou aux banques plus responsables qui s’interrogent collégialement et de manière transparente sur la nature de leur investissement.
La question est de se demander ce qui a du sens aujourd’hui et comment y investir pour que ce qui est sensé puisse se développer. Or le sens ne vient pas des marchés financiers. Il vient de ceux qui, posément et raisonnablement, inventent des solutions concrètes à des problèmes réels : pollution, pic énergétique, dégradation du lien social, crise du logement, transport de plus en plus problématique, éducation d’un autre temps... c’est sur ces thèmes qu’il faut imaginer de nouvelles sources de financement. Alors, qui financera la Transition ? Les entreprises ? Vous ?
5. Entendons un autre genre de croissance que la croissance du PIB: voir la bande dessinée de Guillaume Carreau dans le Gaïa Scienza n°5. 6. Voir par exemple www.friendsclear.com ou www.babyloan.org/fr 7. C’est le cas par exemple avec la révolution de 1917 où les bolchéviques ont répudié la dette Russe détenue majoritairement par les épargnants français. De vastes campagnes de publicité avaient en effet pendant des dizaines d’années vanté que « prêter à la Russie, c’est prêter à la France ».
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LE MÉCHANT PICTOU DÉTRUIRA-T-IL LE MONDE ?
Une aventure de la résilience où se dessine un monde avec moins d’énergie fossile Par Swen sous les conseils de Ralph Böhlke
L’aventure de « notre » système de production est fantastique. Sans blague. Grâce aux progrès techniques et à la division du travail industriel notre pouvoir d’achat a considérablement augmenté (pas pour tout le monde c’est vrai mais ne rentrons pas ici dans le débat). Ce système de production, donc, est fantastique. Entre le moment de l’extraction des ressources jusqu’au produit fini, des milliers de kilomètres ont été effectués par les différents composants de nos voitures, ordinateurs, téléphones, saucissons, yaourts... C’est fascinant. Pendant 200 ans de révolution industrielle, des quantités pharamineuses d’énergie ont été utilisées qui ont permis des progrès à tous les niveaux de la société1. Mais cela a également conduit à des déséquilibres majeurs. Parmi ces déséquilibres, il y a le problème des déchets et de la pollution. La définition du « déchet » et de la « pollution » c’est au fond « une choses qui ne sert à rien et qui dérange ». Un trognon de pomme qui traîne sur la table du salon, c’est un déchet, ça ne sert à rien et ça dérange. Mais un trognon de pomme dans un compost, c’est de la matière organique et ça sert à faire de l’engrais. Or ce système de production est conçu de manière à produire une quantité tout également pharamineuses de choses non utilisées, non valorisées, abandonnées, délaissées : il est pensé comme une droite entre deux infinis : un input de ressources naturelles infinies et un output de capacité infinie d’absorption de déchets de la nature. Ce fantastique système de production ne connait donc globalement que deux fonctions : produire et faire consommer. Pour faire consommer, il faut produire du signe et des machines à le diffuser avec comme message : « Consommer, c’est exister. La réalité est dans ce message ». Les banques soutiennent donc la consommation qui soutient la production. La machine productive de son côté cherche à créer de nouveaux marchés
par l’innovation technique et la publicité dans le divertissement. Tous ça nous donne une croissance perpétuelle, c’est fantastique. L’État quand à lui est là pour assurer les bonnes conditions de réalisation de cette croissance (législation, sécurité, guerre...) en essayant d’investir dans des secteurs clefs de l’innovation et de la conciliation sociale. Bon an mal an, la croissance continue. Puis, soudain, les problèmes arrivent, c’est l’élément perturbateur de notre aventure. Ce qu’on appelle les externalités négatives s’exacerbent (destruction de l’environnement, obésité, stress, violence, replis communautaires...) et le prix des inputs de ce fantastique système (les énergies fossiles, les matières premières...) augmentent du fait de leur raréfaction. Eh oui ! Les ressources de la planète sont limitées ! Mais comme du coup la production, elle, diminue, alors on rentre en récession : la croissance devient négative. Les financiers ont beau essayer de maintenir artificiellement la croissance par le crédit, le résultat sera tôt ou tard le même : baisse du PIB, c’est-à-dire baisse de la dépense en général. Il y a une expression anglaise qui fait référence aux limites des ressources non-renouvelables, c’est le « peak everything »2 . Ce « peak everything » a des conséquences graves pour l’ensemble de notre société. Comme ça sonne un peu plus rigolo en français on dira que c’est le « pic tout » : le pic du pétrole3, le pic de la production agricole, le pic des matières premières etc... « Pictou » est donc le méchant dans notre aventure. D’où notre problématique : le méchant Pictou détruira-t-il le monde ?
1. Vous pouvez consulter sur cette question les travaux de Jean-Marc Jancovici qui s’attache notamment à montrer que le coût de l’énergie dans notre fantastique système est en fait complètement dérisoire : www.youtube.com/watch?v=MULmZYhvXik 2. C’est le titre d’un livre de Richard Heinberg. 3. L’Agence Internationale de l’Énergie a reconnu pour la première fois en 2010 l’existence du pic.
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Voici le synopsis: Pictou rend tout plus compliqué et plus cher. Pictou s’est attaqué au sang du système : l’énergie. Les politiques monétaires ne peuvent rien faire que ralentir le processus de hausse des prix. Pire : plus on essaye de relancer la croâssance, plus Pictou devient fort. Les citoyens sont désespérés, ils attendent un sauveur qui ne vient pas. Les consommateurs paniquent : privés de l’usage d’une partie de leur faculté de socialisation pour coopérer avec d’autres individus, ces consommateurs se replient sur eux-mêmes, construisent des bunkers et font des provisions de conserves. D’autres heureusement ont compris : pour vaincre Pictou, il faut briser les chaînes logistiques, autonomiser les différentes parties du système sans pour autant détruire le système. En re-localisant une partie de l’activité économique, Pictou sera submergé par une armée gigantesque d’hommes et de femmes formant de la résilience, c’est-à-dire une capacité à résister et à s’adapter à un environnement changeant. Tout le monde se met au travail pour vaincre Pictou le méchant qui finit par devenir gentil. Pictou est alors un ami de ces hommes et de ces femmes qui prennent grâce à lui profondément conscience de la nature de leurs liens avec l’environnement. Pour que cette histoire en happy-end ne soit pas que du cinéma, il s’agit d’accélérer la mise en place de systèmes d’organisation et de production beaucoup plus résilients. Une des solutions considérées comme la plus pertinentes, c’est la « modernisation écologique » ou la « croissance qualitative ». Autant dire la « croissance verte », c’est-à-dire tout comme avant, mais en vert. Mais il s’agit selon nous d’un feu de paille. Le développement des éoliennes et des énergies alternatives sont certes de bonnes choses, mais le problème reste fondamentalement le même. Une fois toutes les installations énergétiques mises en place, la croissance reposera le même problème : la raréfaction des ressources. Selon Tim Jackson4, la question ne doit clairement plus tourner autour de la croissance et du PIB, bien qu’il ne s’agisse pas non plus de décroissance ou de récession qui sont de toutes façons inévitables. L’enjeu est plutôt celui d’une prospérité et d’un
hédonisme alternatif. Cette proposition ouvre à d’autres dimensions que purement « économiques » et repose sur une observation d’ordre psychologique de nos sociétés : après avoir atteint un certain niveau de mobilité et de développement matériel, le bonheur subjectivement ressenti n’augmente plus. La surcharge de sensation et de sollicitation au détriment du sens et de l’utilité conduit les individus vers des états dépressifs : la dépression est aujourd’hui la « maladie » numéro un dans les pays développés. Il faut donc développer ce que nous pourrions appeler des « sciences du bonheur ». Stéphane Hessel5 racontait ainsi que sa mère l’avait exhorté à être heureux. « Pourquoi ? » avait-il demandé... « Parce que quand on est heureux, on peut rendre d’autres gens heureux !». Cette réponse l’avait convaincu et il s’est efforcé de l’être tout au long de sa vie. Cette manière de penser doit alors nous interroger sur tous les aspects de notre vie quotidienne. Être heureux demande du travail et de la discipline et cherche à réduire tout ce dont on a pas besoin6. Comprenons-nous bien : ce mouvement de simplicité volontaire n’a rien à voir avec la paupérisation ou l’austérité et encore moins avec l’oisiveté. Au contraire, la simplicité volontaire est un effort d’intensification et de redéfinition de la notion de « travail ». Le développement de la résilience demande ainsi une reconsidération des notions de travail et de temps libre. Souvent, le travail est compris comme une activité rémunérée qui doit figurer dans la comptabilité nationale afin de faire croitre le PIB. En ce sens, le travail est essentiellement salarial, déclaré ou non. Cette notion se complète par son antonyme, le loisir. Le loisir est le temps où le travailleur n’est pas rémunéré mais où il dépense de l’argent afin d’en faire travailler d’autres et faire ainsi croître le PIB. Travail et loisir son donc le ying et le yang d’une même réalité. Pour construire de la résilience, il faut sortir de cette logique. Cela ne veut pas dire que l’on va moins travailler, cela veut dire que l’on va élargir la notion de travail.
4. Luc Semal, « Tim Jackson, Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable, De Boeck-Etopia, 2010, 247 pages », Développement durable et territoires [En ligne], Vol.2, n° 1 Mars 2011 http://developpementdurable.revues.org/8899 5. Séphane Hessel est un diplomate, ambassadeur, résistant, écrivain et militant politique français décédé le 27 février 2013. 6. André Comte-Sponville écrivait ainsi du bonheur qu’il n’est pas un état mais une dynamique. Il suppose mouvement, action, implication.
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Voici la définition la plus large du travail que nous avons trouvé : ce qui nous permet de remonter le cours de l’entropie. Autrement dit, le travail est tout ce qui ordonne, maintient et fait avancer le groupe. Le travail permet de s’épanouir personnellement en créant de la prospérité. Dans cette optique, nul besoin de passer entièrement par une comptabilité nationale. Au contraire, il s’agirait plutôt de consacrer une partie de son temps au développement d’activités non rémunérées mais bénéfiques pour soi et sa communauté (jardin collectif, échanges de services, célébration). L’économie s’ouvre alors à la question du sens des actions en termes de bien-être individuel et collectif. Les modes d’organisation du travail changent alors radicalement. Car ce qui motive les travailleurs dans ce modèle ce n’est plus le salaire mais les résultats réels dont ils se sentent directement auteurs7. Le volontariat et l’amateurisme (celui qui aime) reprennent du même coup du poil de la bête dans les modèles économiques8. C’est ainsi que la coopération entre individus peut évoluer vers plus de richesse et de complexité. Car si la simplicité volontaire implique une décomplexification des chaînes logistiques en faveur d’une relocalisation d’une partie de l’économie, elle implique en même temps une multiplication des formes et des occasions de la coopération et
de l’échange de savoir et de savoir-faire à l’échelle locale. Ce ré-agencement de la complexité est notamment possible par l’utilisation appropriée de l’espace public et l’usage raisonné des nouveaux outils de mise en réseau (ordinateur, internet) et des technologies d’ « inter-individuation » (facebook, e-mail, forum, site web...). L’avènement de notre ami Pictou ne signifie donc pas la fin de l’évolution de nos sociétés. Nous entamons seulement les dernières pages du chapitre « quantité ». Soyons donc sans peur et plein de témérité ! Le prochain chapitre promet d’être passionnant et plein de rebondissements. Il s’interrogera sur le sens et la « qualité » de nos vies. Mais la quantité est une chose beaucoup plus complexe à évaluer. Il sera question des conditions de transmission de la connaissance pour redistribuer le pouvoir de faire et de penser. A commencer par le pouvoir sur soi-même et sur sa propre vie. Impossible sinon d’être heureux. Cet effort de connaissance de soi nous propulse alors naturellement vers l’autre et vers l’envie de coopérer pour construire les conditions du bien être de notre génération et des générations futures. Sont-ce là les linéaments d’un hédonisme alternatif ? Il n’y a en tous cas pas de temps à perdre pour botter Pictou en touche.
7. « Auteur » vient d’ « autorité ». Il s’agit donc bien d’une forme d’auto-organisation. 8. Voir page 20 l’article sur le bénévolat de Michel Marée
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30 MILLIARDS DE BARILS ET MOI, ET MOI, ET MOI...
Comment s’est comporté le prix du pétrole depuis que nous en consommons ? Par Jean-Marc Jancovici
Si cette question est posée à l’automobiliste français, nous connaissons tous la réponse : il vous dira que le pétrole n’a pas cessé de monter, puisque son plein vaut de plus en plus cher ! Et, indépendamment des effets qui seront discutés plus bas, notre automobiliste a bien raison de conclure de la sorte si nous regardons les prix dits courants, c’est-à-dire ce qui est effectivement payé avec la monnaie de l’époque pour l’achat d’un baril de pétrole. Mais ce qu’oublie notre automobiliste, c’est que le montant de sa fiche de paie a aussi tendance à augmenter avec le temps, et depuis 1860 elle a même augmenté bien plus vite que le prix du baril. Une première manière de le montrer est simplement de “corriger de l’inflation” les prix courants. Cette opération ne prend pas en compte l’augmentation des revenus, juste le fait qu’un dollar (courant) de 1980 “vaut” moins cher qu’un dollar de 1960, mais plus cher qu’un dollar de 2000 Il s’avère donc que le choc de 2008 n’a pas fait franchir un seuil “historique” en monnaie constante ; ce seuil avait déjà été franchi en 1979, ainsi qu’en 1864, mais il est vrai qu’il n’y avait pas le même nombre d’automobilistes au 19è siècle qu’aujourd’hui, et donc cet événement a moins marqué les mémoires. En pratique, le pétrole représentait à l’époque une toute petite partie de ce que la population achetait. Regarder l’évolution en monnaie constante est déjà plus juste que de la regarder en monnaie courante, mais nous n’avons pas encore toute l’histoire : le “vrai prix” d’un objet n’est même pas sa valeur en monnaie constante, mais la fraction de ses revenus qu’il faut consacrer à son achat. A peu de choses près, cette notion de “prix rapporté au pouvoir d’achat” représente le temps qu’il faut travailler pour pouvoir se payer l’objet en question (car la seule chose qui ne varie pas au cours des âges est le temps dont nous disposons chaque jour, avec une limite immuablement fixée à 24 heures). Et là, nouvelle surprise ! Ceci expliquant cela, si nous regardons comment a évolué la facture pétrolière de la France, pour une consommation de pétrole qui en ordre de grandeur
est restée la même (elle était de 120 millions de tonnes par an en 1979, est redescendue à 85 en 1985 puis est remontée à 95 en 2000 avant de decendre un peu à nouveau), nous voyons que, exprimée en euros constants elle n’est pas plus élevée qu’en 1979, mais que rapportée au PIB elle était en 2008 moitié moins élevée qu’en 1980. En fait, rapportée au PIB, c’est de 1986 à 2003 que notre facture énergétique a été la plus basse de la période, encore plus basse qu’en 1970... et en 2008 elle était de 40% inférieure à ce qu’elle a été en 1979. Après ces belles digressions sur le brut, une réflexion peut venir à l’esprit d’observateurs avertis : peu de gens achètent directement du pétrole brut. En France comme ailleurs, l’essentiel du pétrole que nous consommons sert aux transports, et donc ce que nous achetons le plus comme produit pétrolier est de l’essence ou du gasoil. En pareil cas, ce que nous achetons inclut aussi des coûts de transformation (raffinage) et de distribution (fonctionnement des stations service) ainsi que des taxes. Cette partie représente près de 2 fois le cout du pétrole initial, et nous allons maintenant regarder comment a évolué des carburants routiers en prenant tout en compte. Et voilà encore une autre conclusion ! Nos concitoyens ont eu raison de penser que les prix du carburant n’ont jamais été aussi élevés qu’en 2008, puisqu’en euros constants c’est effectivement le cas, cependant... depuis 1970 le prix en euros constants n’a augmenté “que” de 15% pour l’essence, le diesel ayant augmenté de manière plus importante, mais cela est surtout le fait du rattrapage fiscal décidé sur ce carburant. Dans le même temps, le PIB par personne a doublé, de telle sorte que le prix de l’essence ramené au pouvoir d’achat a été divisé par deux environ pour le Français “moyen” par rapport à avant le premier choc pétrolier. Dit autrement, notre Français doit travailler deux fois moins longtemps en 2010 qu’en 1970 pour se payer un litre d’essence. Même pour le diesel, le prix en termes réels est environ 10% plus bas que ce qu’il était avant le premier choc, alors que ce carburant a fait l’objet de hausses significatives au niveau des taxes...
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Et pour le smicard, dont le revenu a été multiplié par 3 et non par 2 sur la période, le prix réel de l’essence - celui exprimé en minutes de temps de travail - a été divisé par 3 entre 1970 et 2010. Alors, l’essence n’a jamais été aussi chère, vraiment ? Plus généralement, si nous regardons comment a évolué l’énergie dans le budget des ménages, nous constatons que cela représentait près de 10% des dépenses en 1970, et... 7% des dépenses en 2010. Dans le même temps la consommation directe d’énergie finale par Français a augmenté de 20% à 30% (il s’agit ici de la consommation directe, pas de l’énergie contenue dans les biens et services achetés), et dans cette consommation l’électricité a été multipliée par 6. Or utiliser 1 en énergie finale en électricité revient à utiliser 3 en énergie primaire. Nous retrouvons ici une conclusion cohérente avec ce qui figure ci-dessus, à savoir que depuis 1970 le prix de l’énergie a eu tendance à fortement diminuer en termes réels (disons d’un facteur 2 à 3), et pas du tout à augmenter, contrairement à l’impression de quasiment tout le monde. Et avant 1970? Bien évidemment, nos parents n’ont pas commencé à acheter du carburant en 1970, puisqu’à cette époque il y avait déjà plus
de 10 millions de véhicules en circulation en France. Faute de disposer de séries sur le prix de l’essence depuis 1900, nous allons revenir au prix du pétrole : en dollars constants le prix du baril en 1880 était égal à celui en... 1998. Pendant ce temps là, le PIB par Américain a été multiplié par 8 à 10 (il a même été multiplié par 20 si nous allons de 1850 à 2000). Dit autrement le prix du pétrole rapporté au PIB - ce qui est à peu de choses près le prix rapporté au pouvoir d’achat - a été divisé par 8 à 10 pour un Américain, et par extension l’ordre de grandeur de ce multiple doit pouvoir s’appliquer à un occidental sur la même période. Dans le même temps, l’efficacité de l’utilisation de ce pétrole a été multipliée par un facteur difficile à calculer de manière précise, mais qui doit se situer entre 3 et 10. Pour les voitures, en un demi-siècle la technique a permis de gagner un facteur 10 à 20 sur le service mécanique issu du pétrole, selon que l’on compte la puissance ou l’énergie cinétique à pleine vitesse. Comme dans le même temps - nous l’avons vu plus haut - le prix réel du carburant luimême a été divisé par un facteur 2 à 3, nous en arrivons à cette conclusion étonnante que le prix réel d’un kWh mécanique issu du pétrole a vu son prix divisé par quelque chose entre 30 et 60 depuis 1950 ! Plus cher, le pétrole ?
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30 milliards de barils et moi, et moi, et moi... Après cette avalanche d’analyses de séries historiques, montrant que notre appréciation “intuitive” d’une hausse du prix du pétrole est complètement erronée, finisssons par un petit calcul amusant : la comparaison du prix de l’énergie fournie par le pétrole avec celle fournie... par nos muscles. Un homme bien entraîné peut fournir, avec ses jambes, guère plus d’un demi-kWh d’énergie mécanique par jour, et avec ses bras c’est 10 fois moins qui est envisageable. Si nous avons payé ce travailleur de force au SMIC, à environ 15 euros par heure charges comprises, le kWh mécanique va nous revenir à environ 200 euros dans le meilleur cas de figure (les jambes) ou 2000 dans le plus mauvais (les bras). Dans un litre d’essence nous avons 10 kWh d’énergie thermique, qui fourniront 2 à 4 kWh d’énergie mécanique une fois passés dans un moteur. Avec une essence à 1 euro le litre en ordre de grandeur, le kWh mécanique issu du pétrole vaut
donc 25 à 50 centimes, soit.... 500 à 10.000 fois moins cher que le kWh issu du travail humain en occident. Soyons politiquement totalement incorrects : même en utilisant des esclaves, dont le travail est gratuit, mais qui doivent néanmoins être maintenus en vie, ce qui suppose de la nourriture, un toit (notamment sous les moyennes latitudes en hiver), une défense contre les prédateurs et les maladies, etc, un calcul d’ordre de grandeur montrerait que le kWh mécanique vaut encore quelques euros, soit 10 à 100 fois plus qu’avec un moteur. Un tracteur de 70 kW (soit 100 chevaux) remplace ainsi le travail mécanique de 100 chevaux ou 1000 ouvriers agricoles ; pas étonnant que les campagnes se soient vidées ! Voici donc le mot de la fin sur le prix réel du pétrole : compte tenu du changement d’ordre de grandeur qu’il nous permet d’obtenir dans la création de flux physiques (puisque l’énergie, par définition, correspond à l’apparition de flux physiques), le prix du pétrole n’est pas élevé, il est nul. La seule bonne question est de savoir ce qui va se passer quand il cessera de l’être...
Cet article est paru originellement sur www.manicore.com
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LE BENEVOLAT, REACTEUR DE LA TRANSITION
Morceaux choisis d’une intervention de Michel Marée lors d’une journée d’étude du FDSS1 en 2002 sur l’état du volontariat en Belgique (Mon dieu, plus de dix ans!) Par Michel Marée
Pourquoi ressortir une vielle étude pleine de poussière? C’est vrai qu’il doit se trouver quelque part des travaux un peu plus actuels avec des chiffres encore tout chauds qui sortent du four. Mais qu’importe ? Nous les avons supprimés, voilà tout. C’est du recyclage de la connaissance. Car notre but n’est pas de faire de la statistique en flux tendu2 : nous souhaitons simplement mettre en lumière cette curieuse économie qu’est le bénévolat sans laquelle le Centre d’écologie urbaine n’existerait pas. N’est-ce pas une chose étrange que des hommes et des femmes acceptent de travailler gratuitement? La plupart des gens sérieux ne s’embarrassent pas de cette question et considèrent que le bénévolat n’a tout simplement rien à voir avec le travail. Le bénévolat représente à leur yeux une activité semblable au loisir ou au coup de main amical. A ce titre, le bénévolat n’a rien à faire avec l’économie. Mais c’est pourtant tout autre chose que nous explique l’économiste Michel Marée:
« L’engagement libre et gratuit de personnes qui agissent pour d’autres, pour l’intérêt collectif et ceci dans le cadre d’une structure qui déborde de celle de la simple entraide familiale ou amicale. »
Je souhaiterais d’abord préciser en quoi le bénévolat est effectivement une activité économique. Dans un deuxième temps nous verrons quelles sont les fonctions économiques du bénévolat. Qu’est-ce que le bénévolat permet de réaliser comme fonctions importantes au niveau du fonctionnement de nos sociétés ? J’embrayerai ensuite sur un thème important : est-ce que le bénévolat, finalement - pour dire les choses crûment -, tue l’emploi ou favorise l’emploi ?
Un jour, dans une réunion, une personne me demande ce que je fais. Je réponds « je suis économiste ». Elle me dit « mais alors vous aimez l’argent ? » Effectivement, quand on parle d’économiste, on met parfois derrière ce motlà des choses qui en réalité ne correspondent pas à la notion même d’économie, d’économiste. L’économiste ne se s’intéresse pas à l’argent, au profit, à ce qui est rentable en tant que tel. Quelle est la fonction de l’économiste ? C’est d’étudier les mécanismes par lesquels des ressources qui sont disponibles dans l’économie - ressources en main d’œuvre, en capital, en travail - sont utilisées pour rencontrer des besoins. Est-ce que le bénévolat est conforme aux critères de la science économique : l’utilisation des ressources pour rencontrer les besoins? Bien sûr que oui, à 100%. Puisque le bénévolat c’est des ressources humaines, du travail qui est utilisé pour rencontrer des besoins. Il y a bien là une rencontre parfaite avec la définition de la science économique.
Il faut d’abord définir la notion de bénévolat... Il existe de nombreuses définitions du bénévolat, mais le plus simple est de reprendre celle qui est à mon sens la plus commode à retenir. C’est celle que Léon Lemercier contribue à développer dans le cadre de l’Association pour le volontariat, une association qui existe depuis très longtemps [l’association existe toujours]3. Cette définition dit que le bénévolat est :
Engagement libre : il s’agit bien d’être volontaire. Gratuit: le bénévolat est une activité qui n’est pas rémunérée, qui ne se passe pas dans le cadre d’un contrat de travail. Troisième caractéristique importante : il s’agit d’agir pour d’autres ou pour l’intérêt collectif dans une structure qui n’est pas l’entraide familiale ou amicale. Si vous aidez votre voisin, votre voisine à sortir les poubelles, ce n’est pas du bénévolat, dans le sens où on va en discuter ici. Simplement une relation de voisinage. On prend la précaution de dire que le bénévolat s’entend en dehors des structures strictement familiales ou de strict voisinage. C’est la définition que nous devons avoir en tête pour la suite.
Bénévolat = activité économique
1. Fédération Des Services Sociaux 2. Vous pouvez cependant consulter le site du Centre d’Économie Sociale de l’université de Liège où se trouvent des chiffres plus récents concernant le volontariat et le bénévolat en Belgique. 3. www.levolontariat.be
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économique. Si parfois l’économiste a des difficultés à se dire que le bénévolat est une activité économique, c’est parce que c’est une activité qui est peut-être difficile à mesurer. Pourquoi difficile à mesurer ? Où le bénévolat se situe-t-il ? Pratiquement pas dans l’entreprise classique, le secteur marchand, l’économie de marché. Essentiellement dans le secteur non marchand. C’est-à-dire le secteur public et les asbl. Un secteur qui est moins bien maîtrisé par l’économiste. C’est déjà une première raison. Par exemple, concernant les pouvoirs publics, si les économistes arrivent à mesurer la production des services publics, c’est par des artifices puisqu’il n’y a pas de marché, pas de prix. Comment valoriser la production publique ? On le fait en utilisant l’artifice des rémunérations. La valeur de ce qu’un service public produit est mesurée par l’ensemble des rémunérations payées aux fonctionnaires. Pour pouvoir faire la même chose avec le bénévolat, on se heurte à une autre difficulté. En effet, non seulement on retrouve le bénévolat dans la sphère non marchande de l’économie, mais il est également une activité non monétaire, puisque que c’est une activité gratuite, où il n’y a pas de rémunération. Comment faire pour mesurer la valeur produite par les bénévoles si c’est une activité non marchande et en plus non monétaire ? On voit là pourquoi le bénévolat n’est pas l’objet de l’attention des économistes, alors même qu’il s’agit d’une activité qui est économique en soi. Économique ne signifie pas vouloir donner au travail du bénévole un sens utilitariste, le voir essentiellement comme répondant aux mêmes critères de l’économie de marché quant à la rentabilité. Pas du tout. Dans la définition de l’économie que j’ai rappelée, il n’est pas fait mention de rentabilité mais d’utilisation des ressources pour satisfaire des besoins. La notion de rentabilité a plutôt cours en économie de marché, où il s’agit de produire sans faire de pertes. Là, cette notion est importante, mais pas évidemment au niveau du bénévolat. Bénévolat = activité économique. Il faut vraiment en être convaincu.
Fonctions économiques du bénévolat Quel rôle peut-on trouver au bénévolat dans l’activité économique? Je vais mettre en avant trois fonctions fondamentales du bénévolat.
1. La fonction d’innovation sociale C’est la rencontre de nouveaux besoins. Le bénévolat joue véritablement un rôle de pionnier dans l’activité économique. Il est notamment à la base de l’émergence de nouvelles activités. C’est parce que les personnes sont d’accord de travailler gratuitement dans certains secteurs qui ne sont pas encore reconnus par les pouvoirs publics, que des activités se créent, se lancent et finissent par être reconnues. C’est à dire réglementées, financées et subsidiées. La plupart des activités du secteur social, de la santé trouvent leur origine il y un siècle ou deux dans des activités bénévoles. Il ne faut pas l’oublier. Ce sont des activités bénévoles qui ont permis le lancement de la plupart des activités de type santé, social, culturel. C’est parce que les pouvoirs publics se sont rendus compte qu’il y avait là effectivement des besoins importants, qu’ils ont réglementé et finalement trouvé les moyens de financer ces activités. Pourquoi le bénévolat ? Parce que ces activités n’étaient pas rentables en soi, répondaient à une demande qui n’est pas solvable. Il s’agit souvent de faire de l’assistance sociale par rapport à un public qui ne peut pas payer. 2. Réponse durable à des demandes particulières Un ou deux exemples qui se cachent derrière les « réponses durables à des demandes particulières ». Les pouvoirs publics ont tendance à réglementer et à intervenir financièrement pour des activités qui finissent par être des activités reconnues, mais il y a aussi des besoins qui sont très ponctuels et pour lesquels les pouvoirs publics interviennent très peu. Il est important qu’il y ait là du bénévolat. Par exemple les écoles de devoirs. Elles sont très peu réglementées parce qu’elles ont des activités très ponctuelles pour des publics en général pas du tout solvables, souvent des publics de populations immigrées. La plupart du temps c’est pratiquement 100% bénévole. Plus fondamentalement encore, il y a le fait que le bénévolat peut répondre à des demandes où il n’est pas possible de mettre en avant des concepts de rentabilité. Par exemple le cas de l’accompagnement de personnes à l’hôpital. Les personnes qui sont mourantes : là on ne voit pas comment on pourrait imaginer un accompagnement autre que par des personnes bénévoles. Des personnes qui
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ont du temps, de la disponibilité. La disponibilité est un facteur important. La disponibilité permet de s’affranchir de la contrainte de rentabilité. Les personnes qui viennent, ne regardent pas, elles passent l’après-midi, elles passent des journées. S’il fallait faire appel à des professionnels, on serait vite confronté à un problème de coût/bénéfice, de calcul économique. On serait confronté à un problème important. Le bénévolat trouve là un interstice très important qui est celui justement où il ne faut pas que la rentabilité intervienne. Il faut permettre justement le développement du service, sans que cette contrainte (de calcul économique) puise venir pervertir les règles du jeu. La disponibilité du bénévolat permet de répondre à ce type de demandes qui continueront toujours à exister. En quoi le bénévolat a-t-il encore une fonction fondamentale ? Il nous interpelle ou peut nous interpeller fondamentalement par rapport à nos choix de société. 30% du bénévolat est constitué par des personnes qui ont entre 35 et 44 ans. Cela doit nous inciter à nous poser des questions. Est-ce que notre société est organisée rationnellement ? C’est ceux qui ont une activité professionnelle qui, en même temps, souhaitent avoir une activité dans le cadre de la société civile. L’approche est ici plutôt sociologique. Il y a des raisonnements, des théories qui se font jour pour dire qu’il faudrait peut-être imaginer un autre fonctionnement de la société. Le bénévolat est là pour nous montrer qu’il faudrait peut-être modifier les règles du jeu et donner plus de place à ce type d’activité gratuite que chacun est peut-être prêt à faire pour peu qu’on lui donne la possibilité. Je vais évoquer rapidement une proposition qui a été faite par André Gorz, un sociologue français célèbre : la société des 1/5ème. Que voulait-t-il dire par là ? On peut imaginer de modifier notre façon de travailler. On ne travaillerait pas un jour sur cinq. On ne travaillerait pas une semaine sur cinq. On ne travaillerait pas, un mois sur cinq. Un semestre sur cinq. Une année sur cinq. Le principe du 1/5ème permettrait alors de développer du temps pour faire autre chose. Pourquoi pas ?Ce genre de raisonnement est interpellant. Comment concilier à la fois le fait qu’on a envie de faire quelque chose dans des asbl avec les contraintes professionnelles ? Il y a aussi la proposition des 2/10ème. 2/10ème au lieu de 1/5ème. C’est à dire la même chose ? Non,
cette proposition des 2/10ème émanait elle des hautes sphères, des hommes d’affaires au niveau mondial, dans le cadre d’une réunion qui s’était tenue aux États-Unis il y a quelques années. Des hommes d’affaires de grosses boîtes se réunissent régulièrement pour planifier l’économie mondiale, un peu en dehors de nous, dans une optique un peu visionnaire qui n’est peut-être pas tout à fait la nôtre. Leur projection était de dire : on risque d’ici quelques décennies d’arriver à la société des 2/10ème. Pas l’idée de Gorz mais l’idée que deux personnes sur dix travailleront, auront un emploi rémunéré full time. Et les autres ? Il n’y aura pas de travail pour eux, tout simplement. Et que vat-on faire pour ces personnes ? Ils avaient trouvé l’astuce : le bénévolat. L’idée était : le bénévolat va trouver tout son sens, le bénévolat en faveur de la collectivité. Les services de proximité, les activités sportives serviront à donner un sens à l’existence et garantiront l’intégration sociale des 8/10ème de personnes qui ne pourront pas avoir un emploi rémunéré. Pour que la proposition de Gorz soit faisable, 1 jour sur 5, 1 semaine sur 5, il faut une répartition du temps de travail entre les gens. Sinon on retombe sur l’hypothèse des 2/10ème.
Le bénévolat détruit-il l’emploi ? Une façon de raisonner, est de dire : le bénévolat tue l’emploi. Les activités bénévoles, l’encouragement du bénévolat se font au détriment de contrats d’emploi, d’activités rémunérées. C’est une question importante qui est souvent soulevée. Il faut apporter des éléments de réponse clairs à cette discussion vraiment fondamentale. Il faut distinguer deux situations sur base des données statistiques dont on dispose. Hier, aujourd’hui [et demain... enfin aujourd’hui !] : le bénévolat favorise l’emploi. Quelle relation entre bénévolat et emploi ? Que s’est-il passé depuis un siècle ou deux et que risque-t-il de se passer demain [aujourd’hui] ? Sur base du passé, sur base de la situation qu’on a vécue depuis l’émergence du monde associatif, je réponds que le bénévolat favorise l’emploi. On ne va certainement pas dire qu’il est concurrent, qu’il détruit l’emploi. Le bénévolat favorise l’emploi. En fait, le bénévolat est un facteur de dynamique pour la création d’emploi. Pour quelle raison ? [...] Il y a trois critères qui permettent de délimiter assez clairement la sphère du bénévolat et la sphère du travail rémunéré.
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Premier critère, je viens de l’évoquer : le bénévolat a un rôle d’amorçage par rapport à des activités. Il amorce des activités quand il n’y a pas de mécanismes de financement et qu’il faut qu’il y ait un travail gratuit. Deuxième critère : là où la rentabilité ne peut pas intervenir, le rôle du bénévolat apparaît. Exemple : l’accompagnement de mourants. Critère clair : il n’est pas possible de payer des gens full time pour accompagner des heures durant, le soir, peut-être même la nuit, des personnes. Troisième critère de délimitation : critère technique, qui a joué dans la plupart des asbl. Par exemple le cas de la Croix-Rouge dans le secteur de la santé. La répartition entre travail bénévole et travail rémunéré à la CroixRouge est très claire. Cela dépend du type de fonction. S’il s’agit d’un acte technique, par exemple une transfusion sanguine, il est clair que ce sera une infirmière rémunérée, s’il
s’agit au contraire de tenir une permanence, ce sera une bénévole. En cumulant les trois critères on arrive facilement à délimiter les sphères respectives du travail rémunéré et du travail bénévole. [D’autres points sur le bénévolat ont été abordés par Michel Marée dans son intervention, comme les questions de la valorisation, de la promotion et de la législation de cette activité économique. Vous pouvez consulter le pdf entier de cette journée d’étude à cette adresse : http://www.fdss.be/ uploads/Volontariat/VolontariatCombo.pdf] En quelques mots et pour conclure : gloire à tous ceux qui ont fait et qui feront le Centre d’écologie urbaine !
UNE MANIERE ORIGINALE DE PENSER LA POLITIQUE Article originalement publié par l'asbl Barricade Par Pablo Servigne
D’abord, partons de ce que nous entendons par « politique ». Un bref coup d’oeil montre que les malentendus fleurissent assez vite, car chacun comprend le mot à sa manière. Pour certains, il signifiera aller voter ou militer pour un parti. Pour d’autres, il s’agira plutôt de militer pour plus (ou moins) de justice sociale dans des organisations appartenant à la nébuleuse qu’on appelle « gauche » (ou « droite », respectivement). Pour d’autres encore, tout est politique, car il faut « changer la vie » au quotidien et à tous les niveaux d’organisation, et même dans les foyers (on se souviendra par exemple du célèbre slogan « le sexe est politique » de Mai 68). Pour certains enfin, « politique » recoupe deux ou trois sens. S’engager en politique serait par exemple aller voter, militer dans un syndicat, participer à l’organisation d’une coopérative d’énergie éolienne, et pourquoi pas envisager de se présenter au élections… Ainsi, si l’on se réfère à cette analyse simplifiée, un mouvement qualifié d’« apolitique », comme on l’entend parfois pour les initiatives de Transition (ou celui des Indignés) signifierait pour les uns un mouvement où l’on ne soutient pas un parti spécifique, où l’on « ne fait pas le jeu d’un parti » (pour reprendre une expression en vogue), c’està-dire un mouvement qui a décidé de changer le monde autrement que par les urnes. D’autres y verraient plutôt un mouvement qui ne s’occupe pas des conflits sociaux et de lutte des classes1. Enfin, pour certains, être apolitique n’a carrément aucun sens quand on veut changer le monde… D’où une certaine confusion et des débats animés ! En réalité, le mouvement des Villes en Transition (Transition towns), rebaptisé mouvement des Initiatives de Transition, fait plusieurs paris stratégiques qui, au premier abord, peuvent troubler les militants habitués aux conflits sociaux ou à la vie politique classique. Le premier est le
pari de l’action par le niveau communal (« Ce que nous pouvons faire si les gouvernements ne font rien2 »). Le deuxième pari est d’agir « de bas en haut » (bottom up), c’est-à-dire en construisant un mouvement populaire solide avant un programme politique, plutôt que d’essayer d’imposer un programme politique sans avoir l’adhésion des citoyens, c’est-à-dire imposer ses idées « d’en haut » (top down). Le troisième pari est d’éviter tout conflit, toute critique, toute opposition, et d’adopter par conséquent une vision positive et inclusive. Voilà de quoi nous déboussoler. Mais passons-les en revue.
Le niveau d’action communal La crise actuelle implique un changement radical (à la racine) de mode de vie et d’organisation sociale. Qui peut encore le nier ? Mais le constat des initiateurs de la Transition est qu’un tel changement ne peut pas venir des partis politiques « gouvernementaux ». Comme le dit Rob Hopkins, « de façon générale, les gouvernements n’ouvrent pas la voie, ils réagissent. Ils sont réactifs, et non pas proactifs3 ». « Supporters de la victoire », ils sont capables de revirements spectaculaires lorsque l’opinion publique le commande. Partant du constat que les gouvernements nationaux (et même l’Europe) sont bloqués dans des logiques institutionnelles et ne peuvent pas se décider à agir pour construire un monde résilient et planifier l’imminente descente énergétique, le mouvement de la Transition s’est rendu compte que l’échelle communale était finalement la seule qui permettait aux citoyens d’agir ici et maintenant. Dans les faits, l’échelle communale est celle que nous connaissons le mieux. Nous connaissons son histoire, ses rues, sa géographie, ses commerçants, ses enjeux, ses problèmes… nous connaissons parfois les élus personnellement !
1. Le mouvement de la Transition est parfois perçu comme un mouvement qui ne s’occupe que du problème énergétique… à tort me semble-t-il. 2. C’est le sous-titre d’un livre publié par le réseau de la Transition, et pas encore traduit en français. Il faut comprendre ici «gouvernement» au niveau national. Alexis Rowell, Communities, councils & a low-carbon future. What we can do if governments won’t, Transition Books, 2010. Alexis Rowell est un élu communal très impliqué dans les initiatives de Transition. Il explique dans ce livre les liens que peuvent entretenir les Initiatives avec leurs élus communaux. 3. Rob Hopkins, Manuel de transition, Ecosociété / Silence, 2010.
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Nous pouvons donc agir concrètement sur l’organisation locale de nos quartiers et de nos villes. Le grand pari des initiatives de Transition est donc de reprendre collectivement possession de cet échelon communal, et d’en réhabiliter la puissance. Il parait assez logique d’ailleurs que lorsqu’on créé un mouvement de relocalisation de l’économie, on commence par là où l’on vit. Recréer des relations entre personnes du quartier, des liens sociaux, des liens économiques, des liens solides… qui d’autre peut le faire sinon les habitants eux-mêmes ? Bien sûr cette démarche troublera les personnes qui croient qu’un changement « crédible », « valable », ou « rapide » doit nécessairement passer par le niveau national ou européen (voire mondial). Et parfois à juste titre, car il y a des problèmes qui ne se résolvent qu’à une grande échelle: le tracé d’une ligne ferroviaire, la gestion d’un grand fleuve, ou le réchauffement climatique par exemple. On se rend donc bien compte que l’unique niveau communal ne résoudra pas tous les problèmes du monde. Mais les initiateurs l’ont bien compris : ils veulent simplement retrouver la puissance du levier d’action communal, sans pour autant délaisser les autres niveaux. Ainsi, pour Rob Hopkins, nous aurons toujours besoin de « protocoles internationaux sur le changement climatique, du scénario de contraction et convergence4, d’un moratoire sur la production de biodiesel, d’un protocole sur l’épuisement des ressources pétrolières, d’un « repensement » de la croissance économique, et d’une protection de la biodiversité5 ». Au niveau national, il est également utile de mettre en œuvre une « législation forte sur le changement climatique », d’appliquer des « quotas d’émissions de carbone » ou de planifier une « stratégie pour la sécurité alimentaire ». « Il nous faut nous rappeler que nous pouvons faire énormément de choses sans le gouvernement, mais que nous pouvons aussi en faire considérablement plus avec lui6 » résume-t-il dans le Manuel de
Transition. Une échelle n’efface pas l’autre, mais le point important que soulèvent les initiatives de Transition est que l’échelle communale est pour l’instant la seule sur laquelle le citoyen a encore un grand levier d’action. C’est cette action, collective et immédiate, qui redonne confiance aux citoyens et qui peut engendrer une vision positive qui permet de sortir du déni ou de l’impuissance. Voilà la clé.
Un lien très fort avec les élus locaux Une autre originalité des initiatives de Transition est d’utiliser d’autres moyens d’action que le simple vote. Par exemple, les citoyens peuvent (et doivent) participer activement à l’élaboration de l’agenda communal des actions des 25 ou 30 prochaines années pour la construction de leur résilience. Rien de moins ! C’est ce qu’on appelle le Plan d’Action de Descente Énergétique7 (PADE). Le mouvement de la Transition n’a pas de programme politique général à proposer, et pour cause : il vise à créer des solutions adaptées aux réalités locales. C’est donc à chaque initiative de créer ou d’influencer son programme communal. Pour ce faire, le mouvement propose simplement une boite à outils souple (théorique, pratique et émotionnelle) qui doit s’utiliser collectivement, et dans laquelle les initiatives locales peuvent piocher ce qu’ils jugent pertinents en fonction de leurs besoins et aspirations. Ainsi, l’important n’est donc pas de chercher à se placer sous la houlette d’un parti, d’élus ou d’une couleur politique, mais de créer un mouvement citoyen large et puissant, et de considérer les élus communaux comme des acteurs de la Transition parmi d’autres. « La puissance du processus de Transition réside dans sa capacité à créer une véritable dynamique, dirigée par les communautés, qui se relie ensuite à la politique locale, mais aux conditions de la communauté. Le rôle que nous attribuons aux autorités locales dans ce processus est de le soutenir, pas de le diriger8. »
4. S’il était appliqué, ce scénario permettrait aux pays en développement (PED) de continuer à augmenter jusqu’en 2020 leurs émissions du fait de leur incapacité technique et parce que leur « développement » en cours nécessite toujours une croissance des émissions. Parallèlement, les émissions des pays industrialisés (PI) devraient diminuer d’environ 20 % par rapport au niveau de leurs émissions en 1990. Passé 2020, les émissions des PED et PI devraient tendre vers la convergence « pour atteindre respectivement en 2050 un minimum de 80 % de réductions et une fourchette comprise entre 25 et 40 % de réductions, par rapports aux niveaux de 1990 », François Gemenne, Géopolitique du changement climatique, Armand Colin, 2009, pp. 150-151. 5. Rob Hopkins, op. cit., p. 81. 6. Ibidem, p. 82. 7. Ibidem, p. 194. 8. Ibidem, p. 142.
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En fait, Rob Hopkins part du double postulat suivant : premièrement, une fois l’idée de Transition bien implantée dans la commune, elle se retrouvera logiquement dans les programmes politiques des partis au pouvoir (quelle que soit la couleur du parti), vu sa pertinence et sa légitimité. Deuxièmement, « les réponses nationales et internationales sont plus probables dans un environnement où les réponses des collectivités locales sont nombreuses et enthousiastes9». C’est une belle illustration d’une politique « par la base » (bottom up). Il nous semble important de mettre l’accent sur cette démarche politique « par la base ». D’abord parce que dans notre culture, nous n’en avons pas l’habitude, et il est enrichissant de la comprendre et de l’intégrer. Ensuite, parce que bien la comprendre, c’est éviter les pièges qu’elle pourrait receler. Les Agendas 21, par exemple10, sont des mécanismes institutionnels qui, « bien qu’ils aient engendré plusieurs initiatives intéressantes, […] étaient fondamentalement des processus du sommet vers la base (top down) qui faisaient semblant de ne pas l’être. » Tirant la leçon de cet échec relatif, Rob Hopkins propose donc de commencer lentement mais sûrement ce processus bottom up. Il conseille que « les initiatives de Transition opèrent indépendamment des élus locaux, du moins au début. Par définition, une initiative de Transition ne peut pas être conçue et dirigée par le conseil municipal, mais est un projet où le soutien actif et enthousiaste de l’administration locale vaut son pesant d’or11 ». Ce soutien n’est à « rechercher qu’à partir du moment où le projet a développé sa propre identité et a obtenu quelques succès12 ». Tout est donc question de timing13… Un des points cruciaux de la bonne tenue d’une initiative est la relation qu’elle entretient avec le pouvoir local (élus et administration). Pour cela, il faut créer des ponts (neuvième des douze étapes du
Manuel de Transition) via notamment la formation d’un « groupe de liaison avec le gouvernement local », sans quoi le projet serait très probablement voué à l’échec. L’idéal est de veiller à ne pas créer un climat d’opposition et de méfiance entre l’initiative et les élus communaux (ne pas créer une séparation entre « eux et nous »). « Quel que soit le degré de mobilisation que votre initiative de transition parvient à générer, quel que soit le nombre de projets concrets que vous ayez entrepris et aussi merveilleux que soit votre Plan d’action de descente énergétique, vous ne progresserez jamais très loin sans cultiver une relation positive et productive avec les autorités locales […]. De plus, vous pourrez tout aussi bien constater que vous vous apprêtez à enfoncer des portes ouvertes14. »
Une posture non-critique Il est évident que le changement de « système » que beaucoup attendent ne viendra que d’un mouvement apte à fédérer très largement, c’est-àdire se situant au delà des appartenances politiques classiques. Mais quelle stratégie adopter pour fédérer au delà des clivages politiques ? On peut fédérer par l’indignation (un sentiment très puissant pour faire passer à l’action), mais on peut aussi fédérer en mettant l’accent sur une vision positive de l’avenir. Ainsi, le mouvement de la Transition ne se place jamais « contre » quelque chose et veille à ne surtout pas critiquer de personnes, d’idées, de courants ou de théories afin de ne pas « braquer » des personnes ou même prendre le risque de se voir assimiler à un mouvement critique plus qu’à une stratégie d’organisation collective15. Se positionner en critique créé systématiquement des polarités : « vous êtes avec nous ou contre nous ». La question est donc stratégique, voilà la raison pour laquelle que les initiatives de Transition sont si attentives à leur image « positive ».
9. Ibidem, p. 82. 10. Plan d’action décidé au niveau international (Sommet de la Terre à Rio en 1992) et destiné à être appliqué par les « collectivités territoriales », c’est-à-dire à un niveau très local. On voit bien la démarche « par le haut » (top down). 11. Rob Hopkins, op. cit., p. 142. 12. Ibidem, p. 143. 13, Une étude de 2009 portant sur 33 initiatives officielles de Transition a montré que 42 % d’entre elles n’avaient pas encore demandé la moindre aide à leurs autorités politiques locale. Le mouvement n’est jusqu’à présent que très faiblement institutionnalisé, tout au plus bénéficie-t-il de bons rapports avec les autorités politiques locales en place. Lire le travail de Simon De Muynck, Les villes en transition : discours, réalité, reproductibilité, Mémoire de fin d’études, ULB, 2010. Disponible sur internet 14. Rob Hopkins, op. cit., p. 162. 15. Edwin Zaccai, 25 ans de développement durable, et après ? , PUF, Paris, 2001, pp. 227-228.
Le mouvement est donc forcément très consensuel et ne dénonce jamais explicitement d’inégalités sociales. On peut évidemment être sensible aux inégalités sociales lorsqu’on participe à une initiative de Transition, mais stratégiquement, on ne le dira pas avec l’étiquette de la Transition. Néanmoins, le mouvement prend acte que certaines organisations tiennent un rôle critique (partis, associations, syndicats, etc.) et les encourage même à continuer. Selon Hopkins, « les autres mouvements politiques d’opposition restent nécessaires et il faudra toujours veiller à conserver ces méthodes de contestation (manifestations, lobbys, etc.) car nous en avons besoin16 ». Il est vrai que « pour les militants de l’écologie radicale souvent très politisés, l’approche quasiment apolitique proposée par la Transition peut apparaître bien fade, voire contre-productive17». Cela fait même dire, en public, à une habitante du quartier Pierreuse18 que « c’est troublant de ne pas entendre la revendication d’égalité dans la transition, moi ça me gêne ! » Avouons que la question stratégique est assez subtile car il faut à la fois éviter la confrontation tout en gardant à l’esprit ce vers quoi nous avançons, c’est-à-dire un monde radicalement différent. À la question : le mouvement estil anticapitaliste ? Certains répondent que « le mouvement ne se définit pas comme un mouvement anticapitaliste : sa position serait plutôt de dire que la question ne se pose pas en ces termes, mais qu’en revanche il serait intéressant d’envisager que le capitalisme ne puisse pas survivre à la fin du pétrole abondant et bon marché… La Transition ne s’interdit pas d’être anticapitaliste, mais elle ne se l’impose pas non plus. Cet exercice d’équilibre permanent entre ouverture et radicalité peut s’expliquer, entre autres, par le caractère local de la démarche des Villes en Transition : dans une ville de 9 000 habitants comme Totnes, mieux vaut parfois une démarche fondée sur le dialogue
qu’une hostilité franche et ouverte19 ».
Une stratégie suffisante ? Nous l’avons vu, les initiatives de Transition adoptent une stratégie politique originale : retrouver l’action politique citoyenne au niveau communal par un mouvement ascendant, rester inclusif en ne développant pas de discours critique, et éviter de s’enfermer dans la logique des partis politiques. L’avenir n’est pas écrit et nous ne savons pas ce qu’il adviendra des résultats de cette stratégie. Mais il est d’ores et déjà clair qu’en temps de crise, la tension monte et la question sociale ne peut rester longtemps occultée. En réalité, bien qu’ils évitent les discours offensifs et accusateurs, les transitionneurs mettent bel et bien la justice sociale au cœur de leur action. On sait que Rob Hopkins s’est largement inspiré de la permaculture (il est formateur) pour créer le mouvement de la Transition, ou autrement dit, que la Transition est l’application des principes de permaculture à grande échelle. Or, la justice sociale (fairshare) est l’un des trois principes éthiques de la permaculture. Dans son nouveau livre, The Transition Companion, Rob Hopkins explique que « vouloir un monde plus juste », est l’une des principales raisons que les gens avancent pour s’engager dans le mouvement. Il cite en référence l’ouvrage-phare de Richard Wilkinson & Claire Pickett20, qui décrit comment l’écart entre riches et pauvres provoque de graves dommages dans la société. Puis ajoute que « de nombreuses personnes trouvent la motivation de s’engager dans la Transition car une économie plus locale, dans laquelle les actifs et les entreprises clés sont possédés et gérés par et pour le compte de la communauté locale, offre
16. Conférence de Rob Hopkins à Bruxelles le 27 septembre 2011. 17. Luc Semal & Mathilde Szuba, France qui décroît, France en transition, in Rob Hopkins, Manuel de Transition, p. 181. 18. Lors d’une conférence-débat organisée par Barricade autour de la Transition le 16 Juin 2011. 19. Luc Semal & Mathilde Szuba, Villes en transition : imaginer des relocalisations en urgence, Mouvements, 27 septembre 2010. Disponible sur www.mouvements.info Lire aussi l’analyse de Sébastien Biet, Les initiatives de Transition sont-elles anticapitalistes ? , Barricade, 2011. Disponible sur www.barricade.be 20. Wilkinson & Pickett, The spirit Level : Why equality is better for everyone, Penguin, 2010. L’ouvrage, bientôt traduit en français, est commenté et résumé dans l’article de Pablo Servigne, L’inégalité économique, un agent socialement toxique, Barricade, 2010. Disponible sur www.barricade.be
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un bien meilleur chemin vers la justice sociale, la résilience économique locale, que ne le fait le business-as-usual. Ceci est d’autant plus vrai que ce climat économique d’austérité, qui fait des coupes budgétaires drastiques ou ferme carrément des services, favorise la montée d’un sentiment d’injustice et d’inégalité ». On le voit, la question de l’image que le mouvement se donne pour rassembler est cruciale. Mais dans la culture francophone, ne vaut-il mieux pas – stratégiquement – mettre en avant la question de
la justice sociale pour rassembler plus largement ? Alors que ce tout nouveau mouvement se répand comme une traînée de poudre à travers le monde, on commence déjà à entrevoir certaines limites théoriques et stratégiques21. Les questions politiques et sociales de la Transition restent donc ouvertes et méritent d’être discutées au sein du mouvement. Le débat ne fait que commencer !
21. Voir l’article Initiatives de Transition : les limites du mouvement, page 36. Voir également Christian Jonet, Initiatives de Transition : les risques d’un imaginaire politique ambigu, Barricade, 2011. Textes disponibles sur www.barricade.be
Pour aller plus loin
Livres en français Toutes les bases théoriques du mouvement des initiatives de Transition sont dans le manuel. Rob Hopkins, Manuel de Transition, Ecosociété / Silence, 2010. Cependant, ce manuel décrit un mouvement bien particulier. Il existe d’autres visions de la Transition. Je recommande vivement de lire des visions plus macroéconomiques, plus globales et plus politiques de la Transition, décrites dans ces ouvrages : Thomas Coutrot, David Flacher, Dominique Méda (coord.). Les chemins de la transition. Pour en finir avec ce vieux monde, Éditions Utopia, 2011. Isabelle Cassiers et al. (coord.) Redéfinir la prospérité : Jalons pour un débat public, Éditions de l’Aube, 2011. Christian Arnsperger. L’homme économique et le sens de la vie. Petit traité d’alter-économie, Textuel, 2011. On pourra aussi aller voir le blog très nourri de Christian Arnsperger. Tim Jackson, Prospérité sans croissance, De Boeck / Etopia, 2010. Serge Latouche, Petit traité de décroissance sereine, Mille et une nuits, 2007. Le mouvement de la Décroissance est plus « politisé » que les initiatives de Transition, mais s’inscrit, malgré des différences, dans la même démarche. Livres en anglais Comme le mouvement vient d’Angleterre, il existe encore beaucoup de livres essentiels qui ne sont pas encore traduits. Les plus courageux liront avec plaisir et curiosité : Alexis Rowell, Communities, councils & a low-carbon future. What we can do if governments won’t, Transition Books, 2010. L’auteur y explique la stratégie politique des initiatives de Transition. Le sous-titre est explicite : « ce que nous pouvons faire si les gouvernements ne font rien ». Rob Hopkins, The Transition Companion, Transition Books, 2011. C’est le nouveau livre du fondateur du mouvement, une belle synthèse collective et en couleur de toutes les réalisations concrètes du mouvement depuis 5 ans et une réponse à toutes les questions que l’on se pose fréquemment en découvrant la Transition. Très enthousiasmant !
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LA MONNAIE FAIT-ELLE L’ECHANGE ?
Notre objectif est ici de dissiper un certain nombre de brumes et ainsi encourager l’invention de nouveaux moyens d’échanges, monétaires ou non. Par Swen et le Dr Rabbit
Qu’est-ce que la monnaie ? En se référant grossièrement à la taxinomie zoologique, les Homo sapiens qui jouent pour beaucoup au réchauffement climatique sont des primates supérieurs de la famille des hominidés. Ces primates doués de conscience et de parole s’organisent en groupe afin d’accroître leurs chances de survie et de développement. Entre compétition et coopération, l’Homo sapiens échange des biens et des services qui permettent en principe la prospérité du groupe et de l’individu. Un individu ou un groupe d’individus ne pouvant souvent subvenir à l’entièreté de ses besoins (des plus élémentaires aux plus artificiels), il échange avec d’autres individus ou groupes d’individus. Ces trafics forment des structures très complexes qui font la joie de tous un tas de chercheurs qui s’organisent en groupes de papotage spécialisés (groupe anthropologie, groupe économie, groupe sociologie etc.) afin de comprendre comment tout ça s’organise. Les besoins d’un Homo sapiens variant en fonction des situations et des contextes (besoin de banane, besoin d’amour ou besoin de bois...), la nature des échanges entre les individus et les groupes apparaît comme infinie. C’est pour cela qu’on parle autant de commerce des idées, de commerce des sentiments ou bien sûr de commerce de marchandises. La question qui se pose alors est le moyen que les Homo sapiens vont utiliser pour faciliter leurs échanges. « La monnaie », vous dira le premier venu. Soit. Mais « qu’est-ce que la monnaie ? », telle est la question. Nous espérons ensuite que les réponses à la question « comment crée-t-on une monnaie alternative ? » couleront de source... Pour faciliter une grande partie de leur échange, les Homo sapiens vont d’abord essayer de standardiser la notion de « valeur » : cela permettra le
déplacement du fruit de leur travail dans le temps et dans l’espace. Pour cela, et si l’on raisonne par exemple à partir de bananes, de bois et d’amour, on se demandera : (1) Combien de bois par rapport à une banane, combien de banane pour de l’amour, combien d’amour pour se chauffer tout l’hiver ? Puis (2) si ces rapports sont immuables et ensuite (3) si l’amour et les bananes sont éternelles. On voit tout de suite que les rapports entre les Homo sapiens recouvrent des dimensions très larges et très complexes qu’il n’est pas toujours possible de normaliser. C’est ce qui fait chanter aux Beatles « can’t buy me love » et qui font papoter des économistes comme Smith ou Ricardo sur les concepts de « richesse » et de « valeur ». Quoi qu’il en soit des anglais, nous avons là les trois fonctions de la monnaie que sont : (1) l’intermédiaire des échanges, (2) l’unité de compte et (3) la réserve de valeur. Peu importe alors que la monnaie soit sous forme de cauris, de dents de chiens ou de fèves de cacao du moment que tout le monde soit d’accord. Pour des raisons d’ordre pratique cependant, l’Homo sapiens évitera certains écueils dans le choix de sa monnaie : les troncs d’arbres sont encombrants, les fleurs sont périssables, les bonbons sont collants, les coquilles de moules en mer du nord sont pléthore et les colliers de nouilles sont aisément falsifiables. Chacune de ces options nuirait à la confiance des agents économiques en leur monnaie et lui ferait perdre du même coup sa valeur. C’est donc le degré de confiance que l’on a dans une monnaie qui confère à cette monnaie de la valeur1. Mais pour autant, la confiance ne va malheureusement pas de pair avec la garantie que cette monnaie gardera sa valeur. Les économistes parlent alors d’inflation (baisse de la valeur de la monnaie et donc hausse des prix) ou de déflation, son contraire.
1. Cette proposition peut en fait s’appliquer à de nombreuses choses : si plus personne ne fait confiance à la Fortis, il n’y a plus de Fortis ; si plus personne ne fait confiance au Vatican, il n’y a plus de Vatican ; si plus personne ne fait confiance à l’État, il n’y a plus d’État ; si plus personne ne fait confiance à Justin Bieber, il n’y a plus de Justin Bieber, etc..
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Dans leur présentation au cycle sur la « transition » de Deltae2, Jean-Luc Roux et Fabian Dortu ont ainsi rappelé que les formes de la monnaie ont évolué tout au long de l’histoire de l’Homo sapiens. Du troc aux transactions financières informatisées, la monnaie tend vraisemblablement vers toujours plus de dématérialisation. Avec l’invention de l’écriture il y a environ 5000 ans, l’Homo sapiens, en même temps qu’il facilitait le commerce de ses idées, facilitait celui de ses biens et services par le biais des lettres de change, des lettres de dépôt, des bons à payer et surtout grâce à l’élaboration de systèmes de comptabilité3. Mais si cette dématérialisation de la monnaie a bien des avantages en termes de rapidité, de sécurité ou de transport, les fonctions fondamentales de la monnaie restent toujours les mêmes et supposent pour sa stabilité beaucoup de confiance et de contrôle. Les mouvements de transition peuvent-ils s’engager sur cette voie en battant monnaie ?
Usages sociaux des monnaies complémentaires Le Trésor de la Couronne et l’État n’ont pas attendu les mouvements de transition pour constater avec plus ou moins d’amusement l’existence d’activités monétaires alternatives ou complémentaires. Ainsi, au début du 20e siècle, un certain Silvio Gesell, grand amateur de gelato italiano, s’aperçut avec effroi qu’une fois fondue et répandue au sol, sa glace avait un goût nettement moins savoureux qu’au moment où il la recevait des mains de son glacier. Il extrapola cette découverte au système monétaire et inventa la « monnaie fondante », une devise qui se déprécie à intervalle fixe, et qui n’est donc pas thésaurisable. Une petite ville minière, Schwanenkirchen en Bavière, mit ainsi en circulation en 1931 la « Wära », qui perdait 1 % de sa valeur tous les mois. Deux ans après, en France, on lançait le « Valor », calqué sur l’exemple du « Wära ». Ces deux expériences furent interdites par le ministère allemand des finances et le ministère français de l’intérieur, qui, vraisemblablement, étaient indifférents aux saveurs du gelato italiano.
Plusieurs expériences plus ou moins éphémères ont ainsi émergé de loin en loin, sans parvenir à s’institutionnaliser. Depuis 2002, toutefois, on assiste à un essor des monnaies complémentaires. Le célèbre Brixton pound (B£) ou le Toronto Dollar ne sont pas uniquement des trophées encadrés sur la cheminée des touristes qui ont visité le Canada ou les quartiers de Londres. Ce sont des devises courantes que l’on voit passer de main en main dans les marchés et les magasins locaux. Bien souvent, ces monnaies s’inscrivent dans des démarches de transition et visent à encourager le commerce de proximité et la production locale. En somme, elles ont la même fonction qu’un label : les produits ou les commerces auxquels elles donnent accès sont démarqués du reste du marché. Avec un B£, on ne paie pas à la caisse du supermarché et des magasins franchisés, mais dans des commerces indépendants. L’introduction d’une devise locale tend ainsi à créer une segmentation entre le marché de l’économie globalisée et un marché de biens et de services locaux. Elle crée donc également une segmentation dans le portefeuille de Mme Germaine qui n’arrive jamais à attraper les bonnes pièces avec ses doigts tout boudinés. Quel est l’avenir de ces monnaies complémentaires ? Quels espoirs peut-on fonder en elles ? L’enjeu est de créer des espaces économiques où la politique monétaire n’est pas définie par l’État ou les marchés financiers. On peut ainsi imaginer une monnaie qui serait émise par ceux qui créent de la valeur et non par ceux qui la gèrent. On pourrait aussi, en suivant la piste de la monnaie-label qui met en valeur un marché particulier du marché globalisé, imaginer une monnaie « oil free » (produits élaborés et acheminés sans consommation de pétrole), une monnaie « veggie » (produits élaborés sans exploiter d’animal) ? Eh quoi ? comme le dollar ou l’euro, elle n’existeront que tant que les gens leur feront confiance. En attendant, un petit malin va peut-être faire fortune en lançant un modèle de portefeuille pour monnaies multiples. C’est Mme Germaine qui va être contente.
2. http://blog.deltae.be/ 3. Des comptes-rendus de transactions commerciales datant de quatre mille ans avant Jésus Christ ont été trouvés dans les Vallées du Tigre et de l’Euphrate. La comptabilité, du moins sous sa forme écrite, trouve probablement ses origines dans ces régions qu’on appelle communément la Mésopotamie. Voir la Mésopotamie, berceau de la finance et de la comptabilité de Jean-Guy Degos dans la Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n°174, p. 53.
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Au-delà de la monnaie ? Alors, monnaie ou label ? L’alternative est en fait bien plus large. Dans la palette des moyens d’échange disponibles ou à inventer, les systèmes non-monétaires ne sont pas à écarter. Depuis une dizaine d’année, des « systèmes d’échange locaux » (SEL) et des « réseaux d’échanges réciproques de savoirs » (RERS) éclosent dans nos quartiers et nos campagnes. Grâce à eux, on peut apprendre à construire un four à pain en l’échange de quelques heures de cours d’anglais, par exemple. En revanche, ils ne prévoient pas l’échange d’amour contre une initiation à la plantation de bananiers. Mais, au-delà des systèmes d’échanges formels, il y a le vaste monde des services rendus, du troc et de la valse à deux temps du don / contre-don dont fait
partie par exemple le bénévolat. C’est l’économie informelle, cette grande invisible, qui fait des systèmes d’échanges formels, il y a le vaste monde des services rendus, du troc et de la valse à deux temps du don / contre-don dont fait partie par exemple le bénévolat. C’est l’économie informelle, cette grande invisible, qui fait s’arracher les cheveux aux administrateurs des finances de l’État. Ils aimeraient tant la faire entrer dans la comptabilité nationale : elle élèverait le PIB ! Ce petit tour d’horizon est suffisant pour tirer une leçon : tous les systèmes d’échanges, monétaires ou non, déterminent l’échange : ils déterminent ce qui est échangé, comment il est échangé, quand et avec qui.
Pour aller plus loin
Louis Baudin, La monnaie ce que tout le monde devrait en savoir, Institut Coppet, 2011. Edition originale de 1947
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COMBIEN DE MIRACLES AU CENTRE D’ECOLOGIE ? Six mois d’activités dans le rétroviseur du 789
Des paquets de gens sont passés au 789 depuis ces six derniers mois. Ils sont venus célébrer, apprendre, échanger, travailler. Des associations sont venues y présenter leurs activités et leurs ateliers, des personnes sont venues y parler de leurs expériences et de leurs travaux, des fermiers sont venus y vendre leurs fruits et légumes, des badauds sont venus y satisfaire leur curiosité et leur soif de connaissance... le 789 est un espace ouvert dédié à l’engagement, c’est-à-dire à faire ce que l’on pense, à joindre le geste à la parole. C’est aussi un lieu de travail et de convivialité où nous nous appliquons à fédérer les acteurs de l’écologie urbaine. Nous avons ainsi eu le plaisir de recevoir de nombreux messagers transfrontaliers de la « transition » venus présenter leur livre, leur expérience, leur travail. La
transition est un nuage de petits cumulus : lien social, lien intergénérationnel, moins de dépendance aux énergies fossiles, plus d’agriculture locale et de saison, plus de convivialité, moins de stress, plus de bien-être. C’est ainsi que chaque semaine, nous accueillons de la capoeira, le trio de thérapeutes « nature en soi » pour des séances de massage, l’asbl Emergence qui développe une double approche de développement de soi et de solidarité internationale, un marché de saison chaque mercredi de 12h à 19h avec la ferme Nos Pilifs et la ferme du Peuplier, ou encore les fameux apéros acoustiques où tout a vibré des murs aux cordes de guitare en passant par le public. Voici donc résumées les soirées thématiques du 789...
« Et si la transition était de créer des villages en ville ? » fut le fil conducteur de cette soirée où Ans Rossy est venue nous raconter son odyssée cyclique à travers la France où elle a notamment pu rencontrer le philosophe-écrivain et agroécologiste Pierre Rabhi, le couple Baronnet et leur projet de vie « La Maison Autonome » en Bretagne ou encore l’éthologue Anglaise Marthe KileyWorthington dans la Drôme qui, tout au long de sa vie, a créé cinq fermes agro-écologiques. La permaculture ? on connaît. Le permaculteur, c’est un type très malin qui sait qu’il ne faut surtout pas labourer la terre pour laisser les vers de terre bosser tranquillement. Le permaculteur sait aussi des tas de choses sur les emplacements relatifs bénéfiques, sur les principes éthiques, sur les éco-systèmes, les zones de culture... Mais que fait concrètement le permaculteur à part donner des conférences? Est-ce bien sérieux de parler de « comment il faut faire » au lieu de tout simplement le faire ?
patience. Conciliabule applique donc ce principe au permaculteur lui-même et observe son attitude parfois hautaine de conférencier savant. Ca nous plaît. Le fait que les enjeux de la Transition soient sérieux ne justifie pas que nous nous prenions trop au sérieux...
Une réponse exhilarante nous est venue de « Conciliabule », un duo des comédiens Steve et Chloé (Drôme). Dans cette conférence décalée, ils proposaient la rencontre avec les alternatives de transition présentées... par un clown. Et pas triste le clown. La première leçon a porté sur l’importance de l’observation et de l’humilité qui justifient la
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et leur mise en réseau. C’est la diffusion du savoir et du savoir-faire en matière de maraîchage, de respect de l’environnement. N’ayons pas peur des flagorneries, les haricots sont formidables. Ces héros ont organisé au 789 des rencontres autour de la mise en réseau des jardins potagers et une formation de réalisation de vergers collectifs.
Photo: Claude1660.wordpress.com Qui ne connaît pas le début des haricots7 ? Le début des haricots, c’est la croissance fantastique de fruits et de légumes à Bruxelles : dans les écoles, sur les toits, dans la ferme urbaine de NederOver-Heembeek... Le début des haricots c’est le développement d’une alimentation saine dans nos assiettes. C’est la multiplication des potagers
Si vous souhaitez vous renseigner sur ces dynamiques potagères, rentrer dans le cercle des jardins potagers, si vous avez un terrain à proposer ou dieu sait quoi qui ait rapport avec ça, il y a le site de la mise en réseau : www.potagersurbains. be/Mise-en-reseau-des-potagers. C’est Bruxelles Environnement qui l’a financé alors vous auriez tort de vous en priver.
Comment les initiatives d’agriculture urbaine dans la « big apple » peuvent-elles nous inspirer, ici à Bruxelles ? Jan Vannoppen, directeur de l’association De Velt est venu nous raconter son trip à New York où il a pu y étudier comment les New Yorkais en sont venus à cultiver en ville. Cela fait distinctement écho au projet de court métrage de Fabian Féraux auquel nous avons consacré les pages 44-48 de cette gazette. Cette soirée s’est déroulée dans le cadre du développement des activités de De Velt à Bruxelles. Pour plus d’info il y a un site internet : velt.be/brussel et vous pouvez les contacter à veltbrussel@gmail.com
Apis Bruoc Sella et Nature et Progrès sont venues pour un atelier de découverte des abeilles sauvages, toujours très menacées et pourtant essentielles à la pollinisation d’innombrables plantes. Afin de
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pouvoir les accueillir dans nos jardins ou sur nos balcons, nous avons appris à faire des hôtels à abeilles, autrement dit des nichoirs.
Charles Einsenstein (à droite sur la photo) est notamment l’auteur de sacred economics. En partenariat avec Etopia et le réseau WallonieBruxelles en transition, nous avons eu le plaisir de le recevoir pour qu’il nous présente de manière interactive ses réflexions sur le futur de la monnaie, du don et de la transition.
Est-il possible de vivre correctement de la production de légumes « bio » d’une ferme de moins d’un hectare? Oui ! Jean-Martin Fortier le démontre avec l’alacrité joyeuse d’un homme heureux. Il exploite depuis une dizaine d’années une microferme en Estrie (Quebec) qui ne connaît pas les invasions de limaces. La rotation des cultures y est bien huilée, les mauvaises herbes tenues en respect, les hordes d’insectes repoussées. Dans ce manuel de maraîchage biologique, il explique généreusement les ficelles de son métier qui ont permis de rentabiliser sa petite entreprise agricole qui ne connaît pas la crise.
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Extrait de son livre: « L’argent est aujourd’hui l’antithèse du sacré. Notre système monétaire moderne contribue à l’aliénation, à la compétition et à la rareté et favorise la destruction des communautés en nécessitant une croissance infinie. Mais aujourd’hui ce système tombe en ruine ».
La Fondation Roi Baudouin et Elia font la courte échelle au CEU La Transition des villes doit se faire avec tous, y compris avec les plus agés Dans le mouvement des villes en transition, nous partons à la rencontre de nos aînés, derrière le mur mitoyen, afin qu’ils nous enseignent le patrimoine à pérenniser. C’est l’opération « légumes oubliés » qui commence en mars 2013 sous de bons hospices avec la maison de repos des jardins de longchamp. Pour nous aider, la Fondation Roi Baudouin nous fait la courte échelle avec un soutien financier. Nous avons donc pu enfiler nos bottes de sept lieues. Enfin, le CEU s’active pour établir des liens transgénérationnels forts et productifs dans son environnement immédiat. Un mur seulement sépare les espaces du Centre d’écologie et des Jardins de Longchamp. Un mur seulement, et
pas très haut, cloisonne des générations. Un tout petit mur qui empêche l’échange des expériences de notre humanité. Œillère et oubli, rabat-joie et trouble-fête... nous allons symboliquement démonter ce mur, élaborer une arche magnifique; autrement dit nous allons faire le mur pour une école buissonnière: 12 ateliers de jardinage de mars à septembre 2013, un vendredi après-midi par mois. Nous y expérimenterons les principes de la permaculture, nous échangerons nos connaissances, nous planterons pour les mois à venir et les générations futures... Plus d’info ? Contactez charlotte@jardins-racines. be, la responsable de ce projet.
Les apéros acoustiques du vendredi soir... une bouffée d’air frais!
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INITIATIVES DE TRANSITION: LES LIMITES DU MOUVEMENT
Une analyse originalement publiée par l’asbl Barricade Par Simon De Muynck
« Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses ; c’est celui qui pose les vraies questions » Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, t. 1 : Le Cru et le cuit, Paris, Plon, 1964.
Le mouvement des villes ou initiatives de Transition s’étend comme une traînée de poudre à travers le monde depuis sa création aux alentours de l’année 2006. Fin 2011, on compte 382 initiatives officielles (official, c’est-à-dire qui ont reçu l’aval du Network) et 458 initiatives démarrées (muller, qui postulent pour avoir le label officiel), sans compter les initiatives naissantes… En Belgique francophone, l’année 2011 a été celle du lancement de la Transition grâce à la traduction en français du Manuel de Transition (Rob Hopkins, Éditions Écosociété/Silence) à la fin de l’année 2010. Plusieurs initiatives se sont ainsi constituées, un réseau s’est structuré et les premiers évènements ont rassemblé plusieurs centaines de personnes. L’enthousiasme, palpable, est dû à de nombreux facteurs qu’il convient d’encourager. Mais ceux-ci ne doivent pas occulter les écueils que risque d’affronter le mouvement, à moyen et long termes. Voici quelques pistes de recherche. Un mouvement bien « reproductible » Le mouvement de la Transition s’appuie sur plusieurs éléments-clés, qui garantissent sans doute sa pérennité à court et peut-être à moyen termes. La permaculture1 est utilisée comme « fondement éthique qui étaye le Mouvement pour la transition2 » et la base idéologique de la Transition. Le livre fondateur du mouvement, le Manuel de Transition et les écrits connexes précisent le discours théorique de la transition.
De façon pertinente, le mouvement vise à conscientiser les citoyens à propos de la nécessité de diminuer nos consommations énergétiques et d’agir collectivement pour prendre à bras le corps le double problème incontournable de la dépendance au pétrole et du changement climatique. Le mouvement manie des concepts jusque-là peu utilisés comme la résilience territoriale, définie comme la «capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser tout en subissant un changement, pour finalement conserver l’essentiel des fonctions, structure, identité et rétroactions3 ». Les acteurs des initiatives de Transition recherchent un mode de vie nouveau, relocalisé, inspiré du passé (mais sans en faire l’apologie) et tourné vers l’avenir, au travers de visions prospectives qui mobilisent l’imaginaire et fixent notamment – autre nouveauté – des Plans d’action de descente énergétique (PADE). La démarche de la Transition est singulièrement positive, ce qui favoriserait l’inclusion de nombreux acteurs, et les fondateurs du mouvement font pour cela appel à des modèles de psychologie du changement. Rob Hopkins compare en effet la situation d’un citoyen occidental à celle d’un individu victime d’une addiction. Il a donc institué la création de groupes au sein desquels les citoyens ont la possibilité d’exprimer leurs craintes par rapport au changement sociétal annoncé. Ils peuvent également mettre des mots sur leur vision du futur, ce qui est censé les préparer efficacement à l’action réelle, au travers de comportements en faveur de l’environnement.
1. Voire l’article de Pablo Servigne, se lancer en permaculture dans Gaïa Scienza 6 disponible sur le site www.urban-ecology.be 2. Rob Hopkins, Manuel de Transition, Écosociété/Silence, 2010. 3. Brian Walker & al., Resilience, Adaptability and Transformability in Social-ecological Systems, Ecology and society 9 (2), 2004.
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Par ailleurs, l’approche open space et les outils de facilitation4 que les initiatives utilisent et qui visent à augmenter l’efficacité des réunions, constitue un autre argument en faveur de la très bonne reproductibilité du mouvement. Enfin, le mouvement de la Transition s’est très vite renforcé autour d’un réseau très performant qui inspire, relie, encourage, soutient et entraîne les collectivités engagées dans le mouvement5. Le réseau fournit des outils (cartes, graphiques, schémas utilisés lors des présentations, etc.), organise des évènements, des conférences, des formations, définit formellement les objectifs et principes, met en place un forum, une radio et soutient différents médias. Alors, quelles critiques est-il permis d’adresser à l’encontre d’un mouvement qui pose comme incontournables deux des enjeux probablement les plus pertinents de notre siècle (le pic de pétrole et le réchauffement climatique), fait participer les citoyens à la réflexion et à l’action en misant sur leur génie collectif, utilise un discours inclusif, et s’est constitué un réseau extrêmement performant, le tout en un temps record ? Limite I : un public restreint ? Comme le rappelle Takis Fotopoulos, « le grand problème d’une politique d’émancipation, c’est de trouver comment unir tous les groupes sociaux qui forment la base potentielle du nouveau sujet de la libération, comment les rassem bler autour d’une vision commune du monde, d’un paradigme commun6 […] ». Or, les préoccupations environnementales, et plus
rarement sociales, du mouvement des initiatives de Transition constituent des sujets parfois mal compris ou peu intégrés par le citoyen lambda. Rob Hopkins l’a d’ailleurs bien compris puisqu’il tente de conscientiser de façon profonde les citoyens intéressés par le mouvement. Néanmoins, la construction du discours du mouvement des initiatives de Transition relève d’un contexte culturel, géographique et idéologique très particulier. Par exemple, Gill Seyfang a analysé le public engagé dans les initiatives de Norwich et en a montré le caractère assez peu commun : une population post-matérialiste7 travaillant davantage à temps partiel et plus diplômée que la moyenne de la population, qui évite les statuts élevés d’emplois et de consommation en faveur de l’épanouissement et de l’activisme à dimension environnementale principalement8. Reste à savoir si ces personnes présentaient ce profil avant d’intégrer le mouvement, ou si c’est celui-ci les a transformées… Par ailleurs, une autre étude de 2009 portant sur 33 initiatives officielles à travers le monde a permis de dresser un profil-type d’une initiative : une petite ville (ou sa banlieue) de moins de 10 000 habitants de classe moyenne, qui abrite des citoyens et des élus politiques sensibilisés aux enjeux écologiques, qui recèle un passé historique relatif à ces questions ou qui fait que la ville est plus sensible aux questions traitées par le discours du mouvement9. Il est interpellant de noter que Totnes, berceau historique du mouvement, est une ville de 7 700 habitants impliquée dans le développement d’activités économiques durables, accueillant l’université alternative Schumacher College et abritant une communauté alternative new age10… Profil peu courant !
4. À ce sujet, lire Pablo Servigne, Au delà du vote démocratique. Les nouveaux modes de gouvernance, Barricade, 2010 ; et Pablo Servigne, Outils de facilitation et techniques d’intelligence collective, Barricade, 2011. Textes disponibles sur www. barricade.be 5. Site internet du Transition Network, www.transitionnetwork.org 6. Takis Fotopoulos, Vers une démocratie générale. Une démocratie directe, économique, écologique et sociale, Seuil, 2002, p. 244. 7. Pour résumer, le post-matérialisme est un système de valeurs déterminé par l’expérience d’un niveau de bien-être et de sécurité économique et physique suffisant, lié à un niveau d’instruction élevé, qui voit l’affirmation de l’autonomie individuelle, de la liberté d’expression et de la démocratie participative, de valeurs permissives, libérales ou humanistes, de tendance plutôt de gauche. Il fait suite au matérialisme au sens de « ce qui est nécessaire au plan matériel, pour assurer la satisfaction des besoins physiques et élémentaires », Etienne Schweisguth, Le post-matérialisme revisité : R. Inglehart persiste et signe, Persée, 1997, p.654, http:// www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article rfsp_0035-2950_1997_num_47_5_395208 8. Gill Seyfang, Report of the 2009 membership survey, Transition Norwich, 2009, pp. 2-4, Disponible sur www.uea.ac.uk 9. Simon De Muynck, Les villes en transition : discours, réalité, reproductibilité, Mémoire de fin d’études, ULB, 2010. p. 93. Disponible sur http://mem-envi.ulb.ac.be/Memoires_en_pdf/MFE_09_10/MFE_De_Muynck_09_10.pdf 10. Cécile Cros, Les villes en transition : un contrat social pour l’environnement, Nature & Progrès n°75, 2009-2010, pp. 14-15.
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Paul Hatterton et Alice Cutler s’inscrivent dans ce même raisonnement lorsqu’ils expriment leurs craintes quant au caractère élitiste des personnes instigatrices du mouvement11. Alex Haxeltine et Gill Seyfang, quant à eux, recommandent au mouvement de développer son réseau en dehors de ce qu’ils appellent la « niche sociotechnique » afin de tisser des liens avec les acteurs principaux de différents niveaux, tels que les « compagnies de bus, promoteurs, supermarchés », etc12. En effet, cela permettrait non seulement au mouvement d’élargir son audience mais aussi de dénicher des moyens qui pourraient venir soutenir ses activités. À ce jour en Belgique, aucune initiative n’a réalisé une telle inclusion d’acteurs. Mais peut-être est-il trop tôt pour espérer constater pareil accomplissement… Limite II : le financement structurel et permanent Côté budget, les initiatives sont fragiles. L’analyse des 33 initiatives officielles de Transition a montré que 58 % d’entre elles avaient demandé de l’aide (soutien financier, logistique ou matériel) à leur autorité locale, et parmi celles-ci, 40 % en avaient reçue une. Notons que la plupart des aides financières sont assez faibles (entre 250 et 6 000 euros – si l’on excepte les deux sommes plus conséquentes provenant de fonds financés par les gouvernements anglais et écossais), et ne constituent donc que des aides dérisoires au regard des enjeux. Par ailleurs, aucune aide financière recensée parmi les 33 interviews réalisées dans cette étude ne constitue un appui financier permanent et structurel13. Or, il est évident que ces moyens matériels et financiers sont une des conditions indispensables à la pérennité d’un tel mouvement à long terme. De son côté, Tim Jackson14, un autre théoricien de la Transition, évoque les réelles potentialités du soutien des collectivités locales, mais souligne surtout
l’importance d’un puissant appui des gouvernements dans l’encouragement des comportements pro-environnementaux. L’institutionnalisation insuffisante (et donc le financement non-structurel et non-permanent) du mouvement de la Transition pourrait constituer une des limites du mouvement à long terme. Vouloir garder la main sur les affaires de la Transition est une chose. Refuser toute contribution financière de la part des autorités par peur d’une récupération en est une autre. L’affaire n’est pas simple, car les initiatives ne refusent pas d’aide financière des entreprises privées, pour autant qu’elles participent au mouvement de relocalisation de l’économie. À suivre donc… Limite III : la sous-estimation du rôle des gouvernements « C’est du vécu concret des citoyens que procèdent les attentes des possibles. » Takis Fotopoulos Il ne faut pas non plus caricaturer : si Rob Hopkins insiste sur l’importance d’une dynamique citoyenne locale en faveur du changement, il souligne aussi le fait que des mécanismes nationaux et internationaux devront impérativement être mis en place. À l’échelle internationale, il faudra des protocoles internationaux forts sur le changement climatique, l’application du scénario de contraction et convergence15, un moratoire sur la production de biocarburants, un protocole sur l’épuisement des ressources pétrolières, le « repensement » de la croissance économique et la protection de la biodiversité, etc. Mais il faudra également faire bouger les choses à l’échelle nationale. Nous aurons besoin d’une législation forte sur le changement climatique, des quotas d’émissions carbones personnalisés, d’une stratégie nationale sur la sécurité alimentaire et de la dévolution de pouvoirs aux collectivités locales.
11. Paul Chatterton & Alice Cutler, The rocky road to a real transition: the transition towns movement and what it means for social change, Trapese Collective, 2008, p. 26. Disponible sur http://trapese.clearerchannel.org/resources/rocky-road-a5-web.pdf 12. Alex Haxeltine & Gill Seyfang, Transitions for the people: Theory and practice of transition and resilience in the UK’s transition movement, Tyndall Centre Working Papers, 2009, p. 12. Disponible en pdf sur http://files.uniteddiversity.com 13. La durée de l’aide la plus longue en faveur des 33 initiatives de transition analysées est celle qui provient du LCCC (Low Carbon Communities Challenge) et dure deux ans. 14. Tim Jackson, Prospérité sans croissance, la transition vers une économie durable, De Boeck/Etopia, 2010. 15. Permet aux pays en développement (PED) de continuer à augmenter jusqu’en 2020 leurs émissions du fait de leur incapacité technique et parce que leur développement en cours implique la croissance de leurs émissions. Parallèlement, les émissions des pays industrialisés (PI) devraient diminuer d’environ 20 % par rapport au niveau de leurs émissions en 1990. Passé 2020, les émissions des PED et PI devraient tendre vers la convergence « pour atteindre respectivement en 2050 un minimum de 80 % de réductions et une fourchette comprise entre 25 et 40 % de réductions, par rapports aux niveaux de 1990 ». François Gemenne, Géopolitique du changement Climatique, Armand Colin, 2009, pp. 150-151.
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Face à ces défis colossaux, on se demande comment les initiatives de Transition vont bien pouvoir agir… car il leur faut d’abord régler au niveau local les nombreux problèmes d’application de certains de ces mécanismes globaux16. Rob Hopkins postule (et parie) que l’impulsion du changement doit venir du bas, du citoyen, des collectivités locales, et que celles-ci fourniront un cadre dynamique et créateur pour les initiatives à un niveau supérieur, c’est-à-dire gouvernemental ou au-delà. Il pense que « les réponses nationales et internationales sont plus probables dans un environnement où les réponses des collectivités locales sont nombreuses et enthousiastes17 ». Ainsi, selon lui, le mouvement devra générer des forces de changement ascendantes, depuis les groupes de citoyens, vers les entreprises, les organisations et enfin les institutions gouvernementales. La Sustainable Development Commission18 (SDC) a formulé une série de recommandations au gouvernement britannique à propos de la relocalisation d’infrastructures, pour prendre à bras le corps le changement climatique et augmenter la résilience des collectivités territoriales19. Cellesci impliquent pour la plupart des efforts du gouvernement qui devrait notamment investir dans l’amélioration des infrastructures locales du secteur public. Mais ces investissements proviendront très probablement de décisions politiques venues « d’en haut ». Tim Jackson, commissaire économique de la SDC, confirme la nécessité d’un immense financement provenant des structures étatiques. Cette
constatation
laisse
à
penser
que
la
relocalisation de tous les systèmes sociotechniques et de tous les pans de la société – infrastructures, mais aussi agriculture, transports, économie etc. – nécessitera des investissements à l’échelle nationale et internationale dont le niveau de prise de décision semble très éloigné du mouvement des initiatives de Transition, certes en pleine expansion mais très peu impliqué dans les rouages gouvernementaux. Face à de tels enjeux, il paraît donc difficile de faire l’économie d’une action des États. Les changements devront à l’avenir être significatifs au niveau des pratiques mais aussi et surtout au niveau des « politiques [et des] institutions20». La question de l’échelle du changement est donc fondamentale : si c’est à l’échelle locale qu’on enregistre le plus d’initiatives, de mobilisations et d’avancées en matière d’environnement, les changements en faveur de l’environnement à l’échelle globale restent limités. Dès lors, si la thèse de Rob Hopkins ne semble pas fausse, elle surestime probablement la capacité de changement de la dynamique citoyenne du mouvement, aussi entreprenante soit-elle. Pire, les institutions nationales ou internationales peuvent très bien être des obstacles à la relocalisation de l’économie ! La relocalisation des systèmes de production et de consommation, par exemple, est perçue comme subversive21 par certains, voire proscrite par les lois de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou contraire à la politique économique de l’Union européenne, basée sur la libre circulation des biens. Il est donc d’autant plus important d’agir pour que ces leviers institutionnels soient du côté de la Transition.
16. Les quotas d’émissions personnalisés par exemple, (Tradable Energy Quotas) entraînent selon certains experts des « difficultés de mise en place, de comptabilisation des émissions de chacun », ou encore la « possibilité de fraude à grande échelle ». Voir François Gemenne, op. cit., p. 81. 17. Rob Hopkins, op. cit., p. 82. 18. La SDC est un organisme gouvernemental qui conseille le gouvernement britannique à propos des questions de société et des décisions pertinentes à prendre pour le futur, dans une optique de développement durable. Site Internet de la SDC : www. sd-commission.org.uk 19. Sustainable Development Commission (SDC), The Future is Local Empowering communities to improve their neighbourhoods, Report Summary, 2010, p. 5, http://www.sdcommission.org.uk/publications/downloads 20. Edwin Zaccai, 25 ans de Développement durable, et après ?, PUF, 2011, pp.223-224. 21. Peter North, A Sympathetic Critique of Localisation by Peter North, Transition Culture, 2008. Disponible sur transitionculture. org Miller & Stephen Rollnick, Motivational Interviewing: Preparing People for Change [2nd edition], Guilford Press, 2002.
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Limite IV : la simplification outrancière des leviers de changements comportementaux Le mouvement des initiatives de Transition utilise des méthodes de psychologie du changement pour susciter des réactions collectives innovantes et positives face aux conséquences effrayantes d’un avenir marqué par le pic pétrolier et le changement climatique. L’objectif est d’éviter les réactions primaires habituellement constatées, comme le déni, la foi en des solutions irréalistes (ou scientifiques), la peur sclérosante, la tentation du survivalisme22 ou l’optimisme outrancier. C’est une vrai originalité du mouvement23. Rob Hopkins fait appel au Transtheoretical Change Model (TTM) de Carlo DiClemente, qui postule que « le processus de changement par lequel un individu entre et sort d’une addiction est le même que bon nombre de processus de changements24» (y compris les changements comportementaux donc). En d’autres termes, nous serions devenus « accros » au pétrole bon marché, et modifier nos comportements liés à cet état nécessiterait de faire appel à des modèles de changements comportementaux issus de travaux portant sur l’addiction ! Selon, ce modèle TTM, le changement serait progressif et passerait par diverses étapes :
1. 2.
3. 4. 5.
La précontemplation, qui est la reconnaissance de la nécessité de changer ; La contemplation qui désigne l’évaluation des facteurs en faveur et en défaveur du changement en visant à augmenter les facteurs en faveur de celui-ci ; La préparation qui indique la planification du changement et l’exercice de la capacité à répondre au problème ; L’action qui évoque la mise en œuvre du changement en fonction des étapes précitées, et ; La consolidation qui signifie l’intégration du changement dans la vie quotidienne de sorte qu’il se maintienne à plus long terme, afin d’éviter tout risque de rechute.
De plus en plus de gens auraient atteint l’étape [1] de la reconnaissance de la nécessité de changer (précontemplation). La phase [2] de contemplation équivaudrait à imaginer nos futurs sans pétrole avec créativité, entrain et envie. Le TTM est en pratique couplé à une autre modèle (FRAME25) et au Motivational Interviewing26 qui fournissent un espace d’expression pour les personnes qui présentent des contradictions internes et les aident à y voir plus clair à propos de ce qu’ils veulent vraiment, et à penser aux étapes suivantes que sont l’action [4] et la consolidation [5] du changement de comportement.
22. Le survivalisme est une méthode que promeuvent certains groupes humains, qui consiste à préparer des stratégies de survie au sein d’un monde post-effondrement (techniques de survie, rudiments de notions médicales, stockage de nourriture, construction d’abris, etc.). 23. Voir l’article de Pablo Servigne La transition. Histoire d’une idée, Barricade, 2011. Disponible sur www.barricade.be 24. Rob Hopkins, op. cit, p. 90 25. FRAME : Feedback (rétroaction des risques personnels de continuer dans cette voie), Responsibility (responsabilisation de tous dans le problème actuel), Advice (conseils avisés en vue du changement), Menu of options (présentation d’un panel d’options en vue du changement), Empathy (encouragements en vue du changement), Self-efficacy (renforcement de la capacité de chacun à atteindre l’objectif poursuivi). 26. Approche développée William R. Miller et Stephen Rollnick, qui vise à régler l’ambivalence interne du sujet, au travers d’un suivi psychologique, dans le but de motiver le changement comportemental. L’entretien est non-conflictuel et pose le principe de non-jugement de la personne concernée, le but étant à terme d’envisager un futur plus attrayant si le changement de comportement est effectif. Voir William R. Miller & Stephen Rollnick, Motivational Interviewing: Preparing People for Change [2nd edition], Guilford Press, 2002.
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L’idée de mêler des éléments de psychologie comportementale et des espaces d’expression pour tendre vers des changements comportementaux proenvironnementaux paraît séduisante, voire puissante. Néanmoins, il convient d’évoquer les travaux scientifiques de Tim Jackson (encore lui !) qui portent sur la consommation et les motivations humaines – et conséquemment aussi sur le changement de comportement. Ses travaux, particulièrement imposants, nous enseignent qu’il est « pratiquement impossible de construire des modèles causaux universels avec lesquels on pourrait construire des politiques de changement de comportement dans différents domaines27 ». En effet, les biens matériels et les services sont enchâssés dans la structure culturelle de nos vies. À travers eux, on satisfait nos besoins, nos désirs, on communique à propos de notre identité ou de notre culture… Dès lors, changer les comportements nécessite d’agir sur tous les volets (psychologiques, sociaux, normatifs, …) qui leur sont associés. C’est une tâche immense et tellement complexe, que se servir d’un seul modèle de psychologie du changement (parmi des dizaines) semble quelque peu simplificateur. En outre, il y a selon lui jusqu’à présent un manque de preuves empiriques démontrant que ces processus partant des collectivités locales puissent atteindre les niveaux de changements de comportements nécessaires pour rencontrer les objectifs environnementaux et sociaux. On ne sait pas encore à l’heure actuelle « quelles formes ces initiatives doivent prendre, comment elles doivent être soutenues, quelle forme devrait prendre la relation avec le gouvernement pour que celle-ci soit la plus efficace […] et quels types de ressources ces initiatives requièrent28 […] ». Mais si Tim Jackson met là un bémol, il n’en est pas pour autant défaitiste. Il évoque les processus citoyens (partant de la base) participatifs comme pouvant selon lui constituer des voies intéressantes dans l’exploration de changements comportementaux pro-environnementaux et pro-sociaux, et insiste également sur la difficulté (et l’importance) de débloquer nos habitudes et d’en créer de nouvelles, tout comme de « comprendre la logique sociale
dans laquelle nos comportements de consommation sont enchâssés29 ». Ainsi, il pense qu’une bonne compréhension du contexte social et institutionnel dans lequel sont insérés ces comportements (de consommation) offre des perspectives intéressantes pour l’innovation politique. Pour lui, il est aussi essentiel de motiver la consommation soutenable et le changement de comportement qui risquent de rencontrer de nombreuses résistances, en « créant des collectivités solidaires, en promouvant des sociétés inclusives, en fournissant un travail qui donne un sens à la vie, tout comme en conscientisant les gens, et en usant de politique fiscale notamment30 ». Limite V : des visions prospectives positives aux effets limités? Rob Hopkins accorde une grande importance à l’exercice de style qui consiste à faire tracer par les citoyens les contours d’une société future « décarbonisée », relocalisée, conviviale et résiliente. L’objectif est d’aider à visualiser un futur désiré au travers de la création de nouveaux mythes, de nouvelles histoires, de nouveaux possibles31. Cette sorte de méthode Couet permettrait l’émulsion d’idées collectives. La pensée positive aurait donc le pouvoir de nous faire imaginer, espérer un futur abondant, sobre en énergie, moins stressant, plus heureux et plus prospère. Elle diminuerait le découragement inhérent à la crise protéiforme actuelle. En plus de cette vision prospective positive, Rob Hopkins a imaginé l’utilisation des Transition Tales (les contes de la transition). Chaque citoyen est invité à y prendre part : activistes, écrivains, journalistes, poètes, artistes… Leur objectif est de coucher sur papier des futurs désirés, d’exalter l’imagination citoyenne, le plus souvent en rédigeant un « journal du futur » décrivant les nouvelles de l’année 203032… Les plans d’action de descente énergétique (PADE) s’inscrivent aussi dans cette idée, bien qu’ils comportent une dimension plus stratégique et surtout plus opérationnelle.
27. Tim Jackson, Motivating Sustainable Consumption : a review of evidence on consumer behaviour and behavioural change, SDRN, London: Policy Studies Institute, 2005, p. 6, www.c2p2online.com/documents/MotivatingSC.pdf 28. Tim Jackson, ibidem, p. 133. 29. Ibidem. 30. Ibidem, p. 134. 31. Voir l’article de Pablo Servigne, La transition. Histoire d’une idée, Barricade, 2011. Disponible sur www.barricade.be 32. Rob Hopkins, op. cit, p. 108.
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Cette pensée positive tranche avec les positions souvent contestataires d’organismes militants écologistes ou de partisans de la désobéissance civile. Elle valorise les visions, les possibilités de chacun, plus qu’elle ne fustige le système. Néanmoins, ces exercices comportent certaines limites. Si ceux-ci ont le mérite de préciser les contours d’un futur imaginé sous les traits de la Transition, ils semblent néanmoins trop abstraits, et surtout trop déterminés par le présent, ce qui implique l’omission possible de changements ultérieurs imprévisibles. Si le contenu d’un rêve comporte des idées pertinentes, celles-ci semblent plus appartenir à l’imagination d’un homme qu’à un futur tangible, tant elles nécessitent d’importants changements culturels et sociaux – que le mouvement n’attaque pas frontalement –, de paradigmes inamovibles et de normes sociales immanentes à ceux-ci. Ces visions, si positives soient-elles doivent donc à l’avenir franchir le cap des « robinsonnades » théoriques inopérantes.
Pour aller plus loin
Tim Jackson, Prospérité sans croissance, De Boeck/Etopia, 2010. Rob Hopkins, Manuel de Transition, Écosociété/Silence, 2010. Simon De Muynck, Les villes en transition : discours, réalité, reproductibilité, Mémoire de fin d’études, ULB, 2010. Disponible sur internet en pdf (avec un bon moteur de recherche). En anglais Tim Jackson, « Motivating Sustainable Consumption: a review of evidence on consumer behaviour and behavioural change. », SDRN, London: Policy Studies Institute, 2005.
Comme « un projet social et politique ne vaut jamais uniquement par l’horizon idéal qu’il décrit, ses conditions de réalisation comptent tout autant, et peut-être plus33», Alex Haxeltine et Gill Seyfang recommandent explicitement au mouvement de « fournir des occasions d’action plus tangibles34 » à un public plus large, de sorte de propager le mouvement de façon plus efficace. Une piste néanmoins très intéressante On l’a vu, le mouvement comporte certaines limites. Le profil-type d’une initiative de transition n’est pas très répandu. Les aides en faveur des initiatives ne sont pas structurelles et permanentes. L’inclusion de divers acteurs sociétaux n’est pas encore très aboutie. Les liens avec les politiques ne sont pas encore très performants et les questions de l’échelle d’influence et de la relocalisation ne sont pas encore résolues. La simplification des modèles de psychologie sociale appliqués aux changements de comportement doit peut-être être revue et les conditions de réalisation des initiatives de Transition pourraient être précisées. Malgré tout, le mouvement reste très prometteur. Prendre conscience des problèmes qu’engendreront ces limites, c’est déjà faire un pas vers leur résolution. Peut-être faut-il simplement laisser du temps au mouvement afin qu’il consolide son expansion, gageant que son discours inclusif et que sa stratégie générale, qui comporte un grand nombre d’atouts, permettra à terme de combler ces lacunes. Il me semble que les théoriciens et les acteurs du mouvement devront se pencher sur ces problèmes s’ils veulent que le mouvement réponde de façon pertinente et adaptée aux enjeux qu’il affronte et pérennise sa structure, ses actions et sa portée politique. Mais le temps presse et la Nature n’attend pas. Le mouvement de la Transition saura-t-il se consolider à temps et construire un mouvement citoyen à la portée politique performante ? L’avenir nous le dira.
33. Yannick Rumpala, La décroissance soutenable face à la question du comment ?, Mouvements, 2009, Disponible sur www. mouvements.info/La-decroissance-soutenable-face-a.html 34. Alex Haxeltine & Gill Seyfang, op. cit
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Don’t trespass, make a deal !
THE PROMISED LAND OF URBAN AGRICULTURE
Reportage photo et projet de court-métrage sur l’agriculture urbaine aux Etats-Unis Par Fabian Féraux Fabian Féraux étudie divers aspects du design et des systèmes complexes d’organisation. Un pied dans les technologies des médias et un pied dans le design en permaculture, Fabian explore de nouvelles méthodes d’approche de la complexité, entre ordre et chaos. A cet égard, il travaille notamment avec le Centre d’écologie urbaine sur le développement de l’agriculture urbaine et de ses enjeux stratégiques. En septembre dernier, Fabian le cowboy s’est envolé vers les USA avec comme projet d’y rencontrer les pionniers du urban farming et d’en faire un court métrage. Armé de deux petites caméras HD et d’un
micro pro, il débarque dans le Mid-West à Milwaukee pour assister à la Conférence Internationale des mini fermes et fermes urbaines, puis taille la route jusqu’à New York et Detroit où il y rencontrera ces nouveaux paysans et pisciculteurs qui ont su prendre de la hauteur en plein cœur des villes. Faute de moyens, les images qu’il a ramenées attendent aujourd’hui d’être montées pour pouvoir être librement diffusées. Cette courte exposition de photos est donc un appel au soutien ! Si vous êtes motivé, vous pouvez lui écrire à contribute@usouf. com (United States of Urban Farming).
Together, We Are Growing Power. Au-dessus: Milwaukee, cette ville du Midwest aux abords des Grands Lacs, où Will Allen, un ancien basketteur, s’est reconverti en fermier urbain. Son lieu est une antre incroyable du « Do-It-Yourself », où les salades suspendues font la nique aux étages successifs de cultures en aquaponie, ses chèvres se prélassent dans leurs propres abreuvoirs, et il produit des tonnes de compost, le grande secret de son coup de baguette magique. Aujourd’hui, Growing Power est mondialement reconnue et visitée. Voir le site www.growingpower.org A gauche: Une scène de deal classique à Detroit, cette ville complètement ravagée par la crise des subprimes : à la fois fantôme et à la fois pleine d’une vie underground grouillante.
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Chicago-train-station
On ne lésine pas sur l’épaisseur Au-dessus: Il est passé onze heure du soir à Chicago. J’y attends le bus Greyhound qui doit m’amener à New York pendant la nuit. La scène capturée ici est typique des USA : plus grand, plus haut, plus fort, mieux et en plus grande quantité. J’ai été frappé de n’avoir la sensation que d’y goûter soit du sucre, soit du sel emballés sous une forme comestible, ou de n’y boire que des glaçons qui me stressaient les dents. Rien n’y a du goût et tout le monde gonfle ! C’est une des problématiques essentielles des soins de santé états-uniens : la malbouffe ! Le combat pour l’agriculture urbaine se fait sur deux fronts : celui de la densité des cités, mais aussi celui de ne pas se nourrir que de graisses hyper-saturées.
Albany-radix-center
Radical : vient de radix, au cœur des choses.
Au-dessus: Le Radix Center est le lieu d’expérimentation et d’éducation fondé par Scott Kellogg et sa compagne Stacy Pettigrew. Scott est un des ex-punks pionniers de la permaculture urbaine. Il roule dans un énorme 4x4 à l’huile végétale recyclée, et son action de fait dans l’esprit « radical ». Il a compilé ses découvertes dans un livre-clé extrêmement pratique : « Toolbox for Sustainable City Living », une bible du DiY.
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Who’s Cassandra ?
Au-dessus: les filles de Scott Kellogg, radicalement habituées à la proximité de la ferme ... en plein centre de la ville d’Albany, dans l’état de New York.
Neenah-aquaponie-grande-echelle
For profit !
Au-dessus: Début 2012, trois jeunes se lancent dans un défi original : produire de la nourriture dans une ferme en aquaponie, une succession de légumes qui purifient l’eau dans laquelle nagent les poissons, qui se nourrissent de divers nutriments, et renvoient le tout à l’étage. Leur objectif : prouver qu’on peut en vivre, et qu’on peut produire de la nourriture saine à des marchés locaux à proximité de la zone urbaine, dont on voit les contours en arrière-plan.
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LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE (PAC)
La réforme de la PAC peut-elle jouer un rôle dans le développement de l’agriculture urbaine? Par Pierre Serkine et le Dr Rabbit
La mise en politique de l’agriculture urbaine semble pleinement achevée. Dans les discours du moins1. Mais... dans les pratiques ? Cet article propose une plongée rafraichissante dans les rouages de la Politique Agricole Commune (PAC). Heurts et malheurs de la PAC En 2012, la PAC a représenté 40,8 % du budget de l’Union Européenne (soit 60 milliards d’euros), ce qui en fait le premier poste de dépenses. Historiquement, la PAC est apparue en 1962 et avait pour objectif majeur de garantir: 1. la sécurité alimentaire de la Communauté de l’époque 2. l’accroissement de la productivité agricole par agriculteur (et non par hectare ou quantité d’énergie utilisée donc principalement par le biais de la mécanisation) 3. un niveau de vie convenable aux agriculteurs 4. la stabilisation du marché et l’encadrement des prix pour éviter de surcharger le consommateur Ces objectifs passaient par une politique de construction d’un marché interne européen des biens alimentaires, protégé du marché mondial au moyen de droits de douane et de subventions à l’exportation. Par exemple, le prix de chaque matière première agricole était fixé au niveau de la communauté. La PAC a eu le mérite de renforcer la sécurité alimentaire en Europe. Mais à quel prix ? Elle a également engendré une surproduction endémique car le soutien financier était proportionnel à la quantité produite. Elle a également accentué les inégalités entre exploitants : les grandes exploitations (déjà rentables sans le soutien de la PAC) captaient la plus grande partie des aides, encore en raison du lien entre soutien financier et quantité produite. Elle a fait croitre la valeur du prix des terres. C’est arithmétique : plus de terre = plus de quantité = plus de soutien financier ! Le bilan ? Les plus heureux bénéficiaires de cette politique agricole « commune »
furent les grands propriétaires terriens. Les années 1990, temps fort du néo-libéralisme et du libre-échange, font souffler un vent de réforme pour la PAC. Au moment du traité de Maastricht de 1992, on décide de baisser les barrières douanières et de réduire les risques d’explosion des dépenses communautaires. On instaure le paiement direct avec l’idée de découpler l’aide aux agriculteurs de la production. Dès lors, un revenu minimum est garanti aux agriculteurs indépendamment de leur production. En 2000, la PAC intègre un second pilier prenant en compte le développement rural et les aspects environnementaux. En 2011, pour la première fois, on propose de plafonner les aides directes à 300 000 € par exploitation. En 2013, cette idée est en cours de discussion. Si la mesure est approuvée, rien ne dit qu’elle soit coercitive : elle sera sans doute laissée à la discrétion des États membres. Aujourd’hui, 85 % des fonds de la PAC sont alloués à moins de 20 % des agriculteurs. Cette disparité est encore plus flagrante dans certains pays de l’union, comme la Slovaquie où moins d’1 % des agriculteurs bénéficie de près d’un tiers des aides directes. Ainsi, la PAC, plus gros budget de l’Union Européenne, profite majoritairement aux grands exploitants agricoles, à l’industrie des semences et des produits phytosanitaires ou aux grands propriétaires terriens. Quant à la sécurité alimentaire, elle fait aujourd’hui pâle figure devant les contraintes énergétiques et climatiques toujours plus prégnantes : épuisement des énergies fossiles, changement climatique, pollution des sols et des cours d’eau, érosion accélérée par les techniques de production alimentaire intensives, etc. Le tableau est plutôt sombre... Toutefois, les pratiques agricoles se transforment : on incite à faire de l’agriculture « raisonnée », à pratiquer la rotation des cultures, à réduire l’utilisation de pesticides. Mais tout cela reste bien timide face aux enjeux présents.
1. Le 20 avril 2012 à Bruxelles, le Commissaire Européen en charge de l’Agriculture et du Développement Rural, Dacian Cioloș déclarait ainsi: « Comment renouer le lien entre les grands bassins de consommation urbains et les bassins de production alentours ? Nous devons permettre à la Politique agricole de franchir les portes des villes, soutenir les initiatives de marchés urbains. C’est un des éléments de la rénovation de notre politique de développement rural pour l’après 2013. »
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Une alternative à la PAC
Avantages de l’agriculture urbaine
C’est dans cette optique que Nicolas Pieret a publié un article dans Barricade en décembre 20103 dans lequel il fait trois propositions pour transformer la PAC en PARCS (Politique Agricole Relocalisée, Commune et Solidaire) :
Les zones urbaines font peiner l’imagination du jardinier. Et pourtant...
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renforcer le second pilier de la PAC, notamment par la mise en place de primes à la biodiversité et la réduction des pollutions ; mettre en avant la « biodiversité productive » par exemple en encourageant l’emploi de races rustiques ; reconnaître l’agriculture comme un service d’intérêt général, au même titre que les réseaux énergétiques, postaux et de télécommunication, afin de promouvoir les réseaux locaux d’approvisionnement agricole.
C’est cette dernière proposition qui retient à présent note attention : l’agriculture urbaine permet-elle de développer les réseaux locaux d’approvisionnement agricole ? Quel rôle pour l’agriculture urbaine ? L’agriculture urbaine peut être vue comme un moyen de rapprocher la production alimentaire des zones de consommation. Pour le moment, la fonction vivrière dans l’ Union Européenne est essentiellement assurée par les grandes exploitations et la logique commerciale qui la gouverne est indifférente à la question de la localisation de la production. Il existe néanmoins des exceptions à cette règle qui se structurent à travers les réseaux tels que les AMAP en France et les GASAP en Belgique. Il y a également des jardins partagés qui commencent à (ré)apparaitre dans certaines grandes villes, comme à Paris ou à Bruxelles. Si certains de ces jardins produisent de bonnes quantités de fruits et de légumes, ils ont davantage une fonction éducative et récréative que strictement vivrière. Le constat est rapidement dressé : l’agriculture urbaine est une pratique encore embryonnaire, et ne fait pas contrepoids aux pratiques d’agriculture intensive.
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Elles concentrent fournissent facilement quantité d’engrais naturels à travers les eaux usées et les déchets organiques La force de travail des individus y est présente en masse Elles sont moins exposées aux pesticides que les campagnes et plus propices aux insectes pollinisateurs
Les zones de production alimentaire en ville permettent de réduire la quantité d’intrants, de recycler les eaux usées, de valoriser les déchets organiques, et de diminuer les flux énergétiques (transport). On peut ajouter que l’agriculture en ville, en déminéralisant le territoire, contribue à le protéger des inondations et à réduire le phénomène d’Ilot de Chaleur Urbaine. Quelles options ? Bien entendu, certains produits agricoles sont incompatibles avec les espaces réduits des villes, comme par exemple pour les céréales ou les oléagineux. L’agriculture urbaine ne peut être que complémentaire à l’agriculture en milieu rural. Les produits propices à une culture en zone urbaine ou périurbaine sont les aliments très rapidement altérables comme les fruits et les légumes. Adieu les oignons de Nouvelle Zélande ! Ceux-ci sont tout frais, récoltés sur le toit de la bibliothèque royale4 de Bruxelles! Au-delà des fruits et légumes, la ville représente un espace adapté à la culture, à la conservation et à l’expérimentation de semences, notamment celles qui ont une bonne capacité d’adaptation au changement climatique. Une usine a fermé ? Créons une zone d’expérimentation de semences rustiques ! À propos d’usines fermées, il existe de nombreux terrains disponibles au sein des villes, actuellement peu valorisés. Le financement de projets de jardins partagés, à travers
3. Après la PAC, vive la PARCS ! Pour une Politique Agricole Relocalisée, Commune et Solidaire, Nicolas Pieret, Barricade, Décembre 2010 4. Voir Gaïa Scienza n°6, le projet d’agriculture urbaine « potage-toit » ou www.potage-toit.be
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l’achat de matériel, la formation et la dépollution des sols, pourrait s’inscrire dans une démarche de réforme de la PAC.
rustiques), y compris pour les exploitations agricoles traditionnelles pour anticiper le changement climatique.
Une PAC encourageant l’écologie urbaine, ça donnerait quoi ?
Si une réforme de la PAC permet de limiter les paiements directs à 300 000 € par exploitation et par an, d’après les statistiques fournies par la commission européenne, cela dégagerait plus de 1030 millions d’euros par an. Avec une telle somme, combien d’oignons pousseraient plus près de nos assiettes ? Combien de traders se reconvertiront en producteurs de semences rustiques ? Combien de terrains vagues seront dépollués par des projets de phyto-remédiation ? Une réforme de la PAC peut-elle rendre ces nouvelles activités agricoles rentables ? La question reste ouverte et les gestes y répondront mieux que les paroles.
Si l’on souhaite intégrer la PAC dans une démarche de transition vers une société écologiquement soutenable, il serait bénéfique de promouvoir l’agriculture urbaine de diverses manières : par la contractualisation entre producteurs locaux et consommateurs pour la dimension vivrière et commerciale, par la mise à disposition de terrains et de matériel en zone urbaine pour augmenter la résilience et la capacité de subsistance des populations citadines tout en favorisant l’insertion sociale et la fonction éducative et récréative de l’agriculture, et enfin par l’assouplissement voire la promotion de l’emploi des espèces anciennes (ou
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OPERATION TOURNESOL: CREUSONS-NOUS LA TÊTE POUR DÉPOLLUER BXL
Les enjeux de la phytoremédiation en Région de Bruxelles-Capitale
Par Simon De Muynck, Stephan Kampelmann et Régis Remigy avec une illustration de Marie Cocquerelle
Le Centre d’écologie urbaine (CEU) organisait le 19 février 2013 une journée de rencontre pluridisciplinaire réunissant chercheurs, entreprises, associations, administrations et curieux afin d’évaluer le potentiel qui réside dans le fait d’utiliser les plantes pour décontaminer nos sols et la pertinence de cette utilisation pour une large gamme d’acteurs. Cette journée a permis de rassembler un panel de personnes clés in-
téressées par une approche alternative de dépollution de sol en Région de Bruxelles-Capitale. Le bal fut ouvert avec une introduction de Stephan Kampelmann, coordinateur du projet et membre du CEU. Les pages suivantes vous permettent de prendre connaissance de la quintessence de cette journée de travail. Vous pouvez également consultez le site www.phytoremediation.be
Des suites de son lourd développement industriel, la RBC compte aujourd’hui de nombreux terrains dont le sol contient des hauts niveaux de polluants : en 2006, les surfaces potentiellement polluées recensées par l’inventaire de l’état du sol de l’IBGE représentaient environ 8 % du territoire régional. La seule commune de Bruxelles ville est confrontée à presque 500 hectares pollués ou potentiellement pollués.
la disponibilité des terrains en vue de la transition et comporte des risques pour la santé humaine.
A l’heure où de nombreuses voix des milieux académiques, associatifs et politiques préconisent une transition écologique basée sur des solutions locales – relocalisation des activités de consommation et de production, agriculture urbaine, revalorisation de l’espace urbain, biodiversité en ville, attractivité territoriale... - la pollution des sols représente un obstacle réel car elle empêche dans des nombreux cas
En RBC, les polluants les plus fréquents sont les hydrocarbures et différents types de métaux lourds (le triptyque plomb, zinc, cuivre, ...). Leur présence menace l’environnement et empêche, par exemple, l’installation d’un jardin collectif cultivé en pleine terre. Les techniques conventionnelles utilisées pour la dépollution des sols sont très coûteuses et impliquent souvent une excavation pure et simple. Une approche novatrice et écologique existe : elle consiste en l’extraction ou la stabilisation par les plantes d’un large éventail de polluants dans les sols affectés. Cette technique - que l’on appelle la phytoremédiation - ouvre des possibilités uniques pour remédier à la contamination de ces sites tout en utilisant durablement la biomasse ainsi produite.
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Les principes de base et la mise en œuvre (Thomas Lambrechts, UCL) T.homas Lambrechts de l’UCL définit la phytoremédiation comme un « ensemble de techniques visant à remédier in situ des sols pollués via l’utilisation de plantes et d’amendements ». Ces techniques constituent des alternatives aux techniques dites « conventionnelles » de dépollution des sols qui sont plus coûteuses et ont un bilan environnemental plus défavorable. Les phytotechnologies bénéficient de près de trente années de recherche, mais ne sont toujours pas utilisées de façon structurelle et récurrente par les pouvoirs publics et les sociétés privées. T. Lambrechts identifie quatre raisons à ce manque d’institutionnalisation des phytotechnologies : La complexité des termes et des techniques. Phytoextraction, phytostabilisation, phytofiltration, phytovolatilisation, phytotransformation… Autant d’appellations barbares qui sont parfois déclinées en sous-branches : les termes sont indéniablement trop nombreux, trop complexes et leur sémantique est bien trop plurielle pour espérer une prise en considération aisée de ces techniques par le citoyen et même par les pouvoirs publics tout enthousiastes qu’ils soient. Pour surmonter cet obstacle, il convient d’abord de caractériser correctement le site concerné via : •
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la définition des types de polluants qui contaminent le site : les polluants sont soit organiques (HAP, hydrocarbures, PCB, solvants chlorés, pesticides, …) et dégradables en molécules plus simples, soit inorganiques (ETM1, Cd, Zn, Pb, …) et donc persistants. la définition du nombre de polluants : la multiplicité des pollutions complique la tâche. la définition de leur concentration : une pollution trop importante rend la dépollution d’un sol impossible. la détermination de leur localisation: plus la profondeur des pollutions est élevée, plus la
1. Eléments Traces Métalliques (métaux lourds)
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tâche est complexe. la détermination des risques de dispersion, en prenant en compte la pente éventuelle du terrain, les habitations avoisinantes. la détermination des conditions environnementales du site : envisager le site du point de vue agronomique est essentiel.
Après avoir caractérisé de façon exhaustive le site concerné, il convient de déterminer le type de technique (de phytotechnologie) à utiliser : l’ADEME l’a bien compris puisqu’elle a mis au point un arbre de décision qui dirige le lecteur selon les objectifs qu’il s’assigne en termes de diminution de pollution du sol et selon les pollutions rencontrées. Selon T. Lambrechts, le manque de retour provenant d’expériences de terrain est aussi pénalisant : intrinsèquement liée à la première raison (complexité des techniques), cette deuxième difficulté constitue un écueil de taille pour ce qui concerne le développement des phytotechnologies. Ce faible feedback provenant des terrains s’explique notamment par l’absence d’un réseau de phytoremédiation en région bruxelloise, qui permettrait de catalyser les expériences issues du monde académique et de les transcrire dans un langage vulgarisé et compréhensible : il convient donc de jeter des ponts entre les chercheurs travaillant dans leurs laboratoires, les semeurs de graines, les agronomes, les paysagistes, les permaculteurs et les membres du réseau de phytoremédiation. Ces derniers assureraient une veille, un suivi et une compilation écrite des expériences qui sont pratiquées sur le terrain (voir conclusion). Par ailleurs, malgré les travaux de l’ADEME, il semble que les chercheurs et praticiens des phytotechniques manquent de lignes directrices : bien que ces techniques commencent à être caractérisées de façon précise et qu’on peut commencer à esquisser les types de site, de plantes, les itinéraires techniques et les pratiques culturales adaptées et circonstancielles, aucun organisme et aucune structure en Belgique ne recense et compile ces paramètres en vue de constituer un arbre de décision aussi complexe que les phytotechnologies ne l’exigent.
Enfin, l’incertitude financière liée aux spécificités du site concernés tue les derniers espoirs d’institutionnalisation des techniques de phytoremédiation : à l’heure actuelle, il est difficile de comparer les coûts liés à ces techniques aux coûts liés aux méthodes de dépollution traditionnelles (excavation). Ce manque de clarté effraie les entrepreneurs et les élus politiques. Au vu des ces obstacles, T. Lambrechts appelle à une plus grande collaboration entre les secteurs académique et privé, à des retours plus systématiques des expériences de terrain (réalisation de monitoring, …), à ne pas exclure une combinaison des techniques conventionnelles et de phytoremédiation. Il énonce la possibilité d’ajouter une plus-value économique à la remédiation des sols au moyen de la valorisation des filières de bios-énergie ou de biodiesel qui permettraient d’éviter que ces dernières entrent en compétition avec les terres arables.
polluants exceptionnellement élevées, y compris des polluants qui n’ont pour ces plantes aucune fonction biologique connue. Selon N. Noret, les sols légèrement pollués pourraient être dépollués au moyen des techniques de phytoextraction. La dépollution des anciennes mines, très polluées, ne doit par contre pas être envisagée via les phytotechniques. Elle a également rappelé les principales difficultés relatives aux pollutions par les métaux lourds des potagers bruxellois : les origines diverses, la (bio) disponibilité2 du sol qui dépend de son pH et de sa matière organique, l’absorption différenciée par les diverses espèces de légumes et les toxicités variables pour l’homme. La chercheuse de l’ULB a effectué des tests dans des jardins privés et collectifs bruxellois pour le Plomb, le Zinc et le Cadmium.
Extraire les métaux lourds des espaces verts Bruxellois au moyen de plantes hyper accumulatrices (Nausicaa Noret & Thomas Drouet, ULB)
Pour ce qui concerne le Plomb : 6 terrains sur 6 dépassaient la valeur référence (25 mg/kg), 3 sur 6 dépassaient la valeur seuil (120-200 mg/kg) et 2 terrains atteignaient presque la valeur d’intervention (200-560 mg/ kg).
Nausicaa Noret et Thomas Drouet travaillent sur la possibilité d’extraire les métaux lourds des potagers bruxellois par des plantes dites « hyperaccumulatrices ». Or on retrouve ce type de pollution des sols de façon systématique en région Bruxelloise.
Pour ce qui concerne le Cadmium : 4 terrains sur 6 dépassaient la valeur référence (0,2 mg/kg) et aucun terrain ne dépassait les valeurs seuil (1 mg/kg) et d’intervention (10 mg/kg).
L’air de rien, ces plantes à faible biomasse parviennent à concentrer en leurs feuilles des quantités de
Pour ce qui concerne le Zinc, certains terrains affichaient aussi des concentrations supérieures aux valeurs édictées par l’Ordonnance Sol.
2. Aptitude d’un élément à être transféré d’un compartiment quelconque du sol vers un organisme vivant (INRA).
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Noccasea Caerulescens est une plante hyperaccumulatrice
N. Noret estime que Noccaea Caerulescens présente un certain nombre d’atouts : • • • •
son cycle de vie est court (1 an), ce qui permettait d’effectuer un monitoring des expériences d’un printemps à l’autre elle produit peu de biomasse et induit donc peu de problèmes liés à la valorisation des déchets verts pollués la deuxième année, elle produit une belle floraison (jugez plutôt sur la photo ) – ce qui permet une intégration paysagère optimale elle peut dépolluer des petites surfaces : cela règle le problème lié à des sites dont la pollution est hétérogène et permet de régler le problème de pollution de façon très localisée. Enfin, cette plante ne nécessite aucun amendement, aucun additif destiné à augmenter sa capacité d’extraction.
Malgré ses atouts, la technique de phytoextraction par Noccaea Caerulescens n’est pas encore instituée de manière systématique : N. Noret identifie le manque de fonds alloués à ses recherches comme un des écueils principaux à l’extension possible de cette technique.
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Cas d’étude Dépollution par rhizodegradation d’un site pollué par des hydrocarbures (Marc Duchateau, Royal Haskoning DHV)
Le site en question est un ancien dépôt pétrolier désaffecté de la société TOTAL, de plus de deux hectares, situé en zone industrielle5. Dans le cadre de la revente du terrain, une étude de sol a été réalisée. Au plan législatif, le dossier s’inscrit dans le cadre de la réhabilitation d’un site pollué. Royal Haskoning devait donc considérer les normes de l’arrêté stationservice6 ainsi que les valeurs du nouveau Décret Sol du 1er janvier 2013 : cette procédure hybride les a forcés à considérer les normes les plus restrictives de l’arrêté et du Décret.L’objectif à terme était d’obtenir le « CCS » : le Certificat de Contrôle du Sol. Dans le courant des années 2010 et 2011, des études de sol ont été réalisées pour traquer les hydrocarbures et les métaux lourds : les hydrocarbures ont été trouvés dans la zone ouest du site, la zone centrale était composée d’hydrocarbures et de métaux lourds, et la zone à l’est était contaminée en métaux lourds : l’étude de risque a montré que cette dernière zone ne devait pas être décontaminée en raison de son affectation future : les terres ont malgré tout été excavées et envoyées en centre de traitement (méthode conventionnelle) L’étude de risque a déterminé que la pollution de la zone centrale pouvait être envoyée en centre de traitement (339m3 de terres). Cette même étude de risque a pointé la zone ouest, polluée aux hydrocarbures, comme devant être décontaminée.
Considérant le fait que la société TOTAL disposait de temps et d’espace, une dépollution par les phytotechnologies (rhizodégradation) a été proposée en partenariat avec l’UCL. TOTAL avait décidé que si cette technique ne fonctionnait pas, les méthodes conventionnelles seraient utilisées pour toutes les zones. Les travaux d’assainissement ont été menés de du 25/01/2012 au 18/04/2012. 2 527m3 de terres ont été réparties en deux parcelles destinées à la phytoremédiation. Cette mise en place des parcelles a permis de déterminer la nature hétérogène du sol composé de trois substrats différents : remblai, limon et tourbe. Une pente de 1% a été réalisée afin d’assurer l’écoulement des eaux, qui a été géré de telle sorte que celles-ci soient contenues et drainées : un géotextile a été posé et des cailloux et cribles du site ont formé la massif drainant. Les eaux ont été passées dans une chambre de collecte puis ont été redirigées vers un séparateur d’hydrocarbures. Une fois dépolluées, elles ont été récoltées dans une citerne enterrée et ont été utilisées pour arroser abondamment les plantes servant à la rhizodégradation. Ensuite, les espèces végétales ont été sélectionnées par Thomas Lambrechts de l’UCL : dans un premier temps neuf plantes ont été utilisées. Quatre graminées sont sorties du lot : Lolium perenne, Dactylis glomerata, Phleum pratense et Festuca arundinacea. Des essais pilotes ont été réalisés durant le second semestre de l’année 2011, et des amendements organiques ont été apportés afin de favoriser la croissance et donc l’efficacité des graminées choisies. Le semis des parcelles in situ a été effectué le 25 mai 2012.
5. Une zone industrielle (ZI) est une zone dans laquelle l’industrie se développe. La ZI est une des affectations du Plan de Secteur, qui définit les affectations au sol afin d’assurer le développement des activités humaines de manière harmonieuse. Zone d’habitat, Zone agricole, Zone forestière, sont d’autres exemples d’affectations de ce Plan de Secteur. Chacune d’entre elles possède des normes différentes : ainsi, les normes environnementales d’une Zone Industrielle seront moins poussées que les normes environnementales d’une zone d’habitat. 6. AGW 04/03/1999
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Un monitoring, c’est-à-dire un suivi des parcelles a été effectué par Royal Haskoning et l’UCL. Les tendances après une saison de culture peuvent être résumées comme suit : •
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Une diminution des hydrocarbures a été observée, mais les effets du lessivage et de la volatilisation (lors de l’excavation et du déplacement des terres) semblent avoir été prépondérants en ce qu’une diminution quasi identique des hydrocarbures a été observée sur les parcelles qui n’ont pas fait l’objet de rhizodégradation. L’hétérogénéité des sols a complexifié le processus : il conviendrait de maximiser les échantillons pour avoir une idée plus claire des effets de la rhizodégradation sur les divers sols. L’arrosage des parcelles au moyen de l’eau dépolluée a été trop important. La biomasse racinaire des plantes sélectionnées a été jugée trop faible pour capter des polluants plus profondément enfouis, notamment en raison de l’arrosage trop important. Les coûts de dépollution ont été réduits de moitié par rapport aux techniques conventionnelles. Les amendements choisis semblent avoir été peu optimaux.
En conclusion, il semble que la rhizodégradation ne soit pas la phytotechnique la plus appropriée pour un cas de pollution et de sol hétérogènes. Cette technique semble en revanche plus pertinente pour ce qui concerne les pollutions aux hydrocarbures uniquement. La technique de phytostabilisation pourrait être une solution alternative pour les sols bruxellois souvent pollués aux « polluants inorganiques (ETM, Cd, Zn, Pb, …) ». (métaux lourd ?) Par ailleurs, il ressort des échanges avec la salle que le choix des amendements, de l’intensité de l’arrosage et de la phytotechnique aurait pu faire l’objet d’une réflexion plus inclusive et pluridisciplinaire, ce qui aurait pu optimiser l’efficacité entière du processus.
Pose du géotextile et du massif drainant (Royal Haskoning)
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Valoriser la biomasse. Le saule est-il bon candidat dans la remédiation douce des sols contaminés? (Aricia Evlard, Gembloux Agro-BioTech-ULG)
A. Evlard définit le principe de tolérance comme « l’aptitude de certaines plantes à survivre dans un environnement où les concentrations en métaux lourds seraient toxiques pour d’autres » (Tilstone & Macnair, 1997; Macnair et al., 2000). A. Evlard rappelle la différence entre : • •
phytoextraction qui consiste en la séquestration cellulaire (tige, foliaire – parties aériennes) Phytostabilisation qui consiste en la séquestration cellulaire des polluants au niveau des racines.
Le projet ECOLIRIMED consiste à la mise sur pied d’une filière d’écotypes ligneux (saule, aulne) pour la fixation durable et la phytoremédiation des berges des cours d’eau, dont la pollution pose souvent problème. Le saule a été choisi car il est une espèce pionnière (indigène) qui possède de nombreux hybrides naturels (diversité génétique élevée) et qui est tolérant aux conditions environnementales difficiles : il s’adapte aux terrains rocailleux et aime parfois être les pieds dans l’eau. Par ailleurs, il engendre une grande production de biomasse (jusqu’à 10 tonne par hectare et par an) et est un accumulateur de métaux lourds tant au niveau de ses racines qu’au niveau de son fût et de sa couronne. Des essais ont été effectués par l’équipe du projet ECOLIRIMED afin de mesurer la croissance des saules, leur capacité de tolérance ou encore leurs teneurs en métaux . Les résultats sont les suivants : 1. 2. 3.
Leur croissance est variable d’un individu à un autre. Leur capacité de tolérance (mesures physiologiques et protéomiques) est prouvée. Les teneurs en métaux mesurées sont variables d’un clone à l’autre et les plus forts producteurs de biomasse ne sont pas forcément ceux qui concentrent le plus de métaux (en µg/g).
Le projet ECOLIRIMED distingue deux solutions de recherche possible : 1. La phytoextraction qui privilégie la production de biomasse, les taillis à courte rotation (récolte de 3 à 5 ans, biomasse de 10 tonnes par hectare et par an), qui permet d’extraire des quantités de polluants non négligeables et qui offre la possibilité de valoriser énergétiquement la biomasse produite. La question de la faisabilité juridique de la valorisation énergétique est évoquée : il semble qu’un vide législatif existe à ce niveau : la loi belge ne dit pas si le bois pollué est un déchet ou une source de valorisation possible, contrairement aux droits suisse, français, ou allemand qui précisent les teneurs qui vont déterminer l’utilisation ultérieure (chauffage, valorisation énergétique/matière) du bois concerné. En se basant sur les teneurs issues des législations des pays précités, Il semble que les teneurs en polluants du bois de l’étude ECOLIRIMED soient trop faibles pour que celui-ci soit considéré comme un déchet pollué. A. Evlard estime cependant que le risque d’émission polluante est trop fort en cas de combustion de ce bois : il devrait donc être intégré dans un processus de « valorisation industrielle énergétique » incluant la récupération des métaux brûlés. La « valorisation matière » est également envisageable (cimenterie, panneaux de particules, papeterie, …). A. Evlard et ses collègues ont également testé l’hypothèse suivante : le saule peut-il permettre d’assainir des terrains pollués ? Les résultats montrent que c’est possible mais sur des échelles de temps très longues (de 100 à 600 ans). 2. La phytostabilisation qui permet de limiter l’accumulation des polluants dans les parties aériennes de la plante (ou de l’arbre) : la pollution, reste dans les parties racinaires. La technique permet donc de limiter le lessivage des polluants, de savoir précisément où se trouve la pollution et d’améliorer la qualité du bois.
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Des essais de phytostabilisation ont été effectués partout en Europe : la technique semble adaptée à la réhabilitation des sites industriels désaffectés car elle permet de fixer les polluants tout en valorisant ces sites contaminés d’un point de vue biologique (fixation de la pollution, dégradation des polluants organiques, favorise la biodiversité), économique et social (exploitation de la biomasse, implication possible de comités de quartier) mais aussi esthétique, récréatif et didactique (visites des écoles, éducation relative à l’environnement etc.).
Planter l’arbre à solutions Les phytotechniques bénéficient d’une recherche académique longue de trois décennies. De nombreux écueils ont été identifiés et permettent de comprendre leur manque d’institutionnalisation: complexité des termes et techniques, manque de retours provenant d’expériences de terrain, incertitudes financières, hétérogénéité des terrains etdes types de polluants rencontrés, lacunes dans l’inclusion d’acteurs pluridisciplinaires concernant le processus entier des phytotechniques (choix des plantes, des amendements, méthode de semis, arrosage, …), besoin de systématisation de monitoring efficaces et vulgarisés, de partenariats nouveaux, pression foncière élevée, manque de fonds alloués à la recherche académique, … Il semble que la création d’une plateforme de phytoremédiation à Bruxelles pourrait permettre de surmonter un certain nombre de ces écueils. A terme, il est possible d’imaginer la création collaborative et pluridisciplinaire d’un grand arbre à solutions -par opposition aux arbres à problèmes), inspiré de l’arbre de décision de l’ADEME, qui formaliserait et vulgariserait les pollutions rencontrées et les techniques proposées en fonction des objectifs souhaités tout en respectant le cadre légal en vigueur. Un grand nombre de questions restent donc en suspend à commencer par celle des sources de financement qui permettraient la création d’une plateforme pour le développement de ces techniques et des connaissances que nous en avons. Ce qui est sûr, c’est que le temps passe et que les défis à relever sont immenses.
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AUTO-ORGANISONS-NOUS !
Structurer la pensée et l’action dans la Transition Par Etienne Toffin
Le mouvement des villes en transition invite à une réorientation progressive du mouvement de notre société globalisée par la mise en place d’initiatives collectives et locales. Que chacun ait les mêmes droits durant les processus décisionnels est un des enjeux majeurs qui implique une refondation profonde des mécanismes de collaboration et de choix au sein des groupes tels que notre société les connait. L’auto-organisation1, phénomène à l’œuvre dans de nombreuses sociétés animales, pourrait-elle être une solution pertinente et viable à cette question ?
L’auto-organisation animales
dans
les
sociétés
Pour décrire ce qu’est l’auto-organisation, penchonsnous sur l’organisation d’une colonie de fourmis. Les ouvrières partagent leur temps entre différentes tâches, parmi lesquelles la collecte alimentaire pour l’ensemble du groupe, qui a lieu de la façon suivante2. Les ouvrières en quête de nourriture explorent les environs du nid de manière aléatoire. Lorsqu’une ouvrière découvre une source de nourriture, elle se restaure jusqu’à satiété, et retourne au nid afin de partager sa récolte. Lors de son trajet de retour, elle dépose au sol une phéromone, un signal chimique qui permettra aux autres ouvrières de retrouver la source de nourriture. Ces dernières, une fois repues, retournent en déposant à leur tour des phéromones : cette répétition conduit à la formation d’une véritable piste chimique, le long de laquelle
s’organisent des flux de fourmis quittant et regagnant le nid. On observe alors une transition d’une exploration totalement aléatoire vers une exploitation dirigée et efficace des ressources du milieu. À ce stade, on peut s’apercevoir que les événements peuvent être caractérisés selon deux niveaux de description : un premier niveau qualifié de microscopique, celui des fourmis et de leurs comportements ; un second niveau appelé macroscopique3, celui de la piste de phéromones et des flux d’ouvrières. Dans les systèmes auto-organisés, la différence d’échelle entre ces deux niveaux de description peut être extrêmement importante : chez certains termites, le nid construit par la colonie peut atteindre jusqu’à 10 m de haut, pour des individus ayant une longueur moyenne de 10 mm !4
1. L’auto-organisation est une famille de phénomènes observés aussi bien dans les systèmes biologiques, physiques ou encore chimiques, mais aussi dans le domaine de l’anthropologie, de l’économie ou des sciences sociales. 2. La collecte de nourriture diffère dans une plus ou moins grande mesure entre les espèces. La description qui est faite ici correspond entre autre à l’espèce Lasius niger, la fourmi noire des jardins. 3. L’auto-organisation est visible chez de très nombreuses espèces dont les individus formant des groupes coordonnés produisent dans le temps et dans l’espace des structures macroscopiques élaborées : bancs de poisson, nid collectif chez les termites et les abeilles, vol en groupe des étourneaux… 4. À titre de comparaison, il faudrait ériger une tour de presque 2km de haut pour atteindre un tel rapport de dimension constructeur/édifice. À ce jour, le plus haut édifice construit par l’homme, la Burj Khalifa de Dubaï, atteint la hauteur de 828 m. Par ailleurs, toujours chez les termites, la construction collective génère des structures régulières à plusieurs échelles intermédiaires (chambres et galeries ; étages ; escaliers ; formant des sous-unités structurelles de nid).
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Revenons à notre histoire, qui contient quelques intéressantes subtilités : l’intensité du dépôt de phéromone est proportionnelle à la qualité nutritionnelle de la ressource. Ainsi, lorsque plusieurs sources de nourriture sont présentes, la piste la plus intense est préférée par les ouvrières et la ressource la plus riche est donc sélectionnée par le groupe. Cette capacité de discrimination et de sélection est une propriété émergente du système, en ce sens que l’observation des comportements des ouvrières ne permet pas de prévoir ce comportement collectif… Ajoutons enfin que les ouvrières ont une légère tendance à s’écarter du chemin établi : dès lors, de nouvelles ressources peuvent être découvertes par hasard, et l’activité peut se réorienter spontanément vers d’autres ressources qui s’avèreraient plus intéressantes5. On peut donc constater qu’en l’absence de chef et de plan, une colonie de fourmis est capable d’explorer son environnement, d’établir une comparaison entre différentes options, et de réaliser des choix pertinents et souples.
L’auto-organisation chez les humains ? Chiche ! À voir l’efficacité et la flexibilité de ces comportements de groupe et l’équité entre les individus dans l’influence du choix collectif, l’auto-organisation
semble être un mécanisme de coordination des activités humaines bien séduisant. Mais l’autoorganisation observée chez les animaux est-elle transposable chez les humains ? Et un tel mode de fonctionnement est-il viable, ou même possible ? En premier lieu, il est intéressant de savoir que des comportements auto-organisés ont été mis en évidence chez les humains, notamment lors du déplacement structuré de piétons : nous manifestons de manière spontanée des comportements qui génèrent en groupe des structures organisées et efficaces. Par ailleurs, la connaissance des phénomènes auto-organisés a été mise à profit pour améliorer la gestion de divers phénomènes impliquant de nombreux acteurs et/ou de multiples interactions6 : il est donc possible de mettre en œuvre de manière active des stratégies auto-organisées. Toute la difficulté est de trouver les règles comportementales à même de produire la réponse collective désirée, sans ajouter un quelconque contrôle centralisé. En outre, en essayant de mettre en place cette organisation par une planification en amont des objectifs à atteindre par le groupe, ne s’éloigne-t-on pas de l’idée du principe même de l’auto-organisation où la perception du phénomène n’est que locale ? N’est-on pas voué à reproduire une gestion de type top-down et cette entreprise n’est-elle pas dès lors condamnée à l’échec ?
5. À partir de cet exemple, nous pouvons édicter quelques principes régissant les phénomènes auto-organisés et permettant l’apparition au niveau macroscopique d’un comportement de groupe coordonné : 1°) un nombre suffisant d’individus est nécessaire (masse critique) ; 2°) ces individus ont une perception uniquement locale de l’environnement ; 3°) les comportements des individus suivent des règles précises (en gros, un signal=une réponse), tout en laissant une place plus ou moins importante au hasard ; 4°) la réponse d’un individu à l’environnement stimule la réponse de ses congénères, provoquant un effet boule de neige. 6. Ainsi, on a cherché à mettre à profit l’auto-organisation dans des domaines variés : gestion de la demande sur les réseaux de distribution d’énergie, organisation des flux automobiles, optimisation des chaînes de montage, distribution des flux de données sur internet, organisation de flottes de robots…
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Chez les animaux, ces règles comportementales ont été façonnées par des millions d’années d’évolution : la nature du stimulus déclenchant une réponse, la sensibilité des organismes à cette dernière, les comportements-réponses en retour, tous ces éléments ont été sélectionnés par le temps, conservant les comportements permettant d’organiser les groupes de la manière la plus efficace7. Il nous faudrait donc procéder, comme la nature l’a fait, par essais/erreurs, en mettant en place un cadre d’expression ouvert8 et en proposant des règles9. Des ajustements successifs permettraient de préciser les règles pour obtenir les résultats escomptés. Mais d’un point de vue expérimental10 il serait aussi intéressant de voir la question par l’autre bout de la lorgnette : dans le cadre d’activités collectives, des règles de bonne conduite ont été émises, afin de s’assurer que chacun suivait des règles cohérentes. Plusieurs projets de grande ampleur impliquant un grand nombre de participants tiennent déjà la route sur la durée, prouvant leur résilience11. Ainsi, de nombreux jardins collectifs sont gérés en groupe par des apprentis jardiniers ayant des connaissances de base relativement standards et codifiées12 (=les règles comportementales), ce qui fait de ces projets de bons candidats au statut de projets auto-organisés. Il serait donc intéressant de regarder au niveau macroscopique (échelle du jardin, des communautés
de jardins ; activité des participants) pour décrire d’éventuelles propriétés émergentes (structuration spatiale et temporelle, adaptabilité, résilience) qui n’ont pas été explicitement prévues lors de la mise en place de ces projets. Dans notre recherche d’autres manières de penser et d’agir ensemble, l’auto-organisation s’avère porteuse d’un potentiel immense. Toutefois, sa mise en œuvre dans des actions collectives nécessiterait de faire table rase des cadres, des restrictions, des codes actuellement appliqués, afin de créer un nouvel espace vierge propice à imaginer et à expérimenter de nouvelles règles de fonctionnement. C’est grâce à la multiplication et à la pluralité de ces expérimentations, dans ce processus de déconstruction et de reconstruction, que pourraient émerger de nouvelles dynamiques de groupe viables et harmonieuses. Lâcher prise, abandonner ses repères, s’engager vers une voie sinueuse et incertaine peut évidemment être inquiétant et paralysant. Mais si l’auto-organisation est un processus fondamentalement imprévisible, et que de nombreuses expériences seront infructueuses, la confiance doit rester le maître mot : notre imagination, notre motivation et notre esprit de groupe sont nos seules limites !
7. Ces avantages, hormis leur aspect quantitatif (manger plus, manger mieux, se bâtir un environnement sûr) ou qualitatif (mener en groupe une activité impossible à mener seul comme par exemple rapatrier une charge lourde ou divertir un prédateur à la manière des bancs de poissons), sont caractérisés par un dénominateur commun : l’apport systématique de la coordination du groupe, afin de lui permettre de répondre à toute une série de situations données. 8. Ce cadre ouvert pourrait nécessiter une remise à plat totale des contraintes et des règles établies, comme cela a été le cas à Drachten, au Pays-Bas : la suppression des panneaux routiers a permis à une nouvelle organisation du trafic spontanée et plus efficace d’émerger. 9. Nous pourrions aussi qualifier les règles de protocoles, de recettes… le vocabulaire n’a que peu de sens. Ce qui importe, c’est la cohérence entre la nature des éléments auxquels être attentif, et la réponse qu’ils provoquent. 10. Puisque c’est aussi de ça qu’il s’agit lorsqu’on entre en Transition : on expérimente ! 11. On peut citer comme exemple l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Dans ce cas, le volume de données disponibles n’a cessé de croître. Des règles précises de rédaction et de correction ont permis aux articles d’atteindre une qualité largement reconnue, par corrections successives de la part de contributeurs anonymes, et ce en l’absence d’une réelle entité de régulation. 12. Planter et entretenir un plant de tomates, récolter ses fruits, selon les principes de la permaculture… Tout cela implique des gestes et des procédures, ainsi que des critères de décision, qui sont bien connus et codifiés et qui sont autant de règles comportementales.
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Gaïa Scienza est la gazette du Centre d'écologie urbaine 789 chaussée de Waterloo, 1180 Bruxelles postman@urban-ecology.be www.urban-ecology.be
Ont participé à ce numéro : Dr Rabbit, Stephan Kampelmann, Simon De Muynck, Juliette Duchange, Swen, Etienne Toffin, Marie Cocquerelle, Pierre Serkine, Pablo Servigne, Jéremie Degives, Zaza von Schtroumpf, Ralph Böhlke, Fabian Féraux, Régis Remigy, Florian Guibert Imprimé sur les presses de la Maison de la Poésie D’Amay Crédits photos: Première de couverture et page 59 : Marie Cocquerelle / Dernière de couverture : CC Dominic’s / Page 6: CC Zigazou76 / Page 14: CC OliBac / Page 18: CC Groume / Page 22: CC Zigazou76 / Page 28: Môsieur J. / Page 36: CC Alex Peperhill / Page 60: CC Walt Jabsco. ISSN 2034-0133