ctes des Rencontres du Cadre de Ville : Recyclopolis

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Actes des 4e Rencontres du cadre de ville

RECYCLOPOLIS Une ville humaine, partagĂŠe et responsable



Actes des 4e Rencontres du cadre de ville

RECYCLOPOLIS Une ville humaine, partagĂŠe et responsable


Mode d’emploi Ce document est une contribution collective composée d’un livret et d’un DVD qui se veulent complémentaires. Ainsi, les textes du livret sont courts et synthétiques. Ils introduisent les questionnements à l’origine des thématiques des ateliers et les résultats de ces discussions. Les synthèses complètes ainsi que les retranscriptions intégrales se trouvent quant à elles dans le DVD. Par ailleurs, le ton et le style différents des écrits s’expliquent par le nombre important de contributeurs et reflètent la richesse et la diversité des personnes qui composent et font vivre Robins des Villes.


SOMMAIRE Préfaces Avant-propos Robins des Villes

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Chapitre 1 : les journées de préfiguration Lyon : quand la ville du vide devient vivante Saint-Étienne : quand la ville se dessine ensemble Grenoble : quand la ville dialogue avec ses cultures

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Chapitre 2 : Recyclopolis, une ville humaine, partagée et responsable L’usine TASE Vendredi 26 octobre : Une ville partagée, cultures de la ville Samedi 27 octobre : Ville écologique, écologie de la ville Dimanche 28 octobre : Villes consommables, terre consumable Conclusion Ingrédients et recette Et après Recyclopolis ? Remerciements Bibliographie sélective Sommaire du DVD Crédits

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PRÉFACES

Les Robins des villes, inventeurs des « Rencontres du cadre de ville », dont la dernière version a pris pour titre « Recyclopolis » pointent la nécessité de circonscrire, au bénéfice de la culture, les dérives médiatiques sinon commerciales qui entourent la double injonction de Kyoto – diminuer par quatre les émissions de gaz à effet de serre pour 2050 – et de l’Union européenne de diminuer pour 2020 de 20% ces émissions, avec une réduction d’autant des consommations pour une production d’énergie intégrant 20 % d’énergies renouvelables. Cette équivoque se retrouve dans le langage autour de l’usage qui est fait de la racine « éco », qui provient du grec /oïkos/, qui désigne la famille, la maison, qui est tout aussi bien à l’origine du mot économie que du mot écologie et qui nous conduit, avec l’écoumène, aux confins de la terre habitée. Cette dernière assimilation, qui traverse toute l’histoire de la philosophie politique est riche de sens : elle vise aussi bien la sphère privée que le domaine public et engage par là le vivre ensemble, vivre ensemble que les Robins explorent inlassablement depuis 1997, qui marque leur entrée dans le paysage associatif lyonnais. La présente livraison, diverse, foisonnante et multiple apporte sa pierre à l’édifice. On retiendra en conclusion que la métaphore d’Alberti : « la maison est une petite ville et la ville est une grand maison » est plus d’actualité que jamais : le défi de ce jour est bien de faire comprendre à quel point l’engagement de chacun répond de notre responsabilité à tous. Yves Belmont, conseiller pour l’architecture, Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes



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En 2007, avec Recyclopolis, les Robins des Villes organisent leurs quatrièmes Rencontres du cadre de ville et fêtent leurs 10 ans d’existence. Leur chemin et celui du Certu se sont souvent croisés, rapprochés par les points communs mais également par les complémentarités. La publication des actes de ces rencontres est une des réalisations conjointes du Certu et des Robins des Villes. Une parmi d’autres, telles que le montage de formations (au sein du Ministère ou à l’initiative des Robins des Villes), l’organisation de séminaires (« Gouvernance et projet de territoire » en juin 2007) ou l’édition par le Certu de publications de l’association (L’enfant et la rue en 2007, Les friches industrielles en 2008). Si nos chemins se croisent, c’est aussi par qu’ils s’écartent. Par delà ces enjeux communs, les modes de faire et les publics d’un service d’études de l’Etat et d’une association sont différents. Cette complémentarité, reconnue dans les lois Grenelle (avec le « dialogue à cinq », la représentation des acteurs de la société civile), doit constituer un moteur des politiques territoriales de développement durable. Les Rencontres du cadre de ville ont abordé des questions et des enjeux urbains qui intéressent particulièrement le Certu. Au centre des débats : les villes qui évoluent, se transforment continuellement. Que ce soit dans le cadre de politiques de planification, ou par le renouvellement de la ville sur elle-même, le recyclage qui mobilise les (derniers ?) espaces (libres ?), friches et délaissés urbains. Entre l’éloge de la densité et les dangers de l’étalement physique de l’urbanisation, les débats n’épuisent pas les scénarios de la ville de demain, une ville qui est, en très grande partie, déjà là. En filigrane : l’espace public est à tout le monde ! Le partage et l’appropriation de l’environnement urbain par tous ses usagers, l’accessibilité à la ville, dans ses différentes acceptions, se situent à l’interface du technique, du social et de la culture et forgent également le devenir urbain ; Ce qui amène la question des représentations de la ville, de l’urbanité. De leur conciliation. Des nouvelles façons d’élaborer et de mener les politiques urbaines, que l’on parle d’éco quartiers ou de gouvernance. Enfin, il s’agit de la place des différents acteurs dans le débat sur la ville et ses transformations, dans les processus d’élaboration de la décision. Quels dispositifs de concertation, quelles démarches participatives mettre en œuvre ? Pour mobiliser les citoyens sur les enjeux du développement durable ? Oui, mais pas seulement. Et la nécessité de permettre un dialogue sur la ville entre tous les acteurs est au cœur de l’activité des trois pôles des Robins des villes, qui articulent initiatives de mobilisation et de sensibilisation, actions de formation et de professionnalisation et processus participatifs. Conçues comme un espace de réflexion collective associant des acteurs de différentes disciplines, les Rencontres du cadre de ville ont constitué une expérience de dialogue entre urbanisme, culture, démocratie, grâce une approche transversale et multidisciplinaire. La construction participative de l’environnement urbain est au cœur de ces réflexions, qu’il s’agisse de partager des représentations et des cultures différentes, de renforcer les compétences des acteurs, de mettre en œuvre un agenda 21, de débattre et d’établir des priorités, de coproduire avec les habitants dans le cadre de projets urbains. Ces actes y participent, avec le parti délibéré de privilégier les questionnements et l’ouverture plutôt que l’enfermement dans des réponses toutes faites. Lydie Bosc, Certu


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AVANT-PROPOS La notion de durabilité suppose de concilier les aspects environnementaux, économiques, sociaux et culturels des activités humaines pour un développement respectueux de l’homme et de son environnement, tout en garantissant cette qualité de vie aux générations futures. Aujourd’hui, les réponses aux enjeux environnementaux existent : elles sont pensées et travaillées de manières analytiques, réflexives et efficientes. Mais lorsqu’on parle d’urbanisme et de construction urbaine, ces enjeux deviennent très complexes à mettre en œuvre et la ville durable cède parfois à la mode et la facilité... tout devient durable, du citoyen à l’immeuble HLM, de l’énergie aux déchets, en passant par le supermarché et le transport : « Il faut penser et agir durable, il faut être écoresponsable… ». Pour grand nombre d’entre nous, la ville durable et écologique ne signifie rien de plus qu’une ville avec des parc et jardins, et nous nous avérons incapables de percevoir ce que pourrait être une ville qui respecte la nature et « qui ne pollue pas ». Imaginer une telle ville « qui dure longtemps » devient alors un pari impossible relevant de l’utopie des « allumés » et des « illuminés ».

Pourtant, si la notion de ville durable est une application locale et urbaine du développement durable, alors elle devrait être bien plus qu’une simple ville verte, arborée et fleurie. En effet, le développement durable est porteur de principes tels que ceux de la solidarité, de l’équité, du respect des cultures, de l’engagement collectif et individuel... Il est basé sur un principe qui place le citoyen au cœur des décisions. Mais comment tout cela se met-il en pratique à l’échelle de la ville ? Il semble que derrière l’idée de ville durable se cachent de bien grandes ambitions, déployées et avancées pa­r nos politiciens et représentants élus, nos managers et techniciens, nos économistes, urbanistes, architectes et autres experts entrepreneurs et partenaires de l’aménagement urbain ; toutes solutions (exemple : la récupération des eaux de pluie ou l’installation de panneaux photovoltaïques) s’avérant merveilleuses pour le futur de nos villes. On entend parler de la ville durable comme d’une ville idéale, d’une ville séduisante et « tendance », « fashion », « sexy » même… Un lieu où il ferait bon vivre… Une ville plus humaine donc ?

POURQUOI RECYCLOPOLIS ? « La ville du rat bleu », titre initialement imaginé, renvoyait trop à l’univers de la décharge, de la déchetterie. Au fil des discussions, il a donc peu à peu disparu au bénéfice d’un terme plus large et plus urbain : le recyclage est apparu avec l’idée de la régénération de la ville (POLIS) sur elle-même.

Figurant l’image de la ville en cours et de ses brics-àbracs urbains, RECYCLOPOLIS parle de l’état de déliquescence des objets et des formes, mais il parle aussi de tous les possibles issus de l’imagination.

Il raconte aussi « l’éternel re-tour », le mouvement régulier et inexorable du temps rendu mécanique ; il figure la portée du regard, et l’appui serein sur le pédalier entraînant la courroie, dans les déambulations tranquilles à travers la cité.


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Pour cette 4e édition des Rencontres du Cadre de Ville, les Robins ont choisi d’aborder ce thème de la durabilité sous l’angle du développement culturel et des enjeux sociaux, (qui correspondent aussi aux champs d’action de l’association) comme autant de moteurs du recyclage des idées comme de la ville elle-même, en reposant tout simplement la question : - Qu’est ce que la ville durable ? - Qu’apporte-t-elle de nouveau à notre façon de percevoir, concevoir, transformer et vivre notre cadre de ville ? - Ce terme vaste, flou, repris dans nombre de discours, manié, remanié, parfois galvaudé peut-il être plus qu’un simple outil de marketing urbain ? - S’agit-il d’un nouvel urbanisme, porteur de transformations profondes, ou d’un simple recyclage d’idées déjà ou toujours à l’oeuvre ? - Quels en sont les outils, les pratiques, les méthodes, les acteurs ? C’est ce que nous avons proposé d’explorer ensemble pendant « Recyclopolis », grâce à une approche pluridisciplinaire.

Notre ambition était de contribuer au partage des points de vue et à la confrontation des idées sous trois angles différents : - les friches et délaissés urbains, - le partage des cultures, - la participation et le rôle des habitants. Cette publication s’efforce de retracer et présenter l’ensemble des contributions écrites, orales, photographiques et vidéo de tous ceux qui ont participé aux 4ème Rencontres du Cadre de Ville, soit pendant les journées de préfiguration à Lyon (avril 2006), Saint-Etienne (mai 2007) et Grenoble (juin 2007), soit pendant les trois journées de Recyclopolis à Vaulx-en-Velin (octobre 2007). Loin d’être exhaustif, ce document se veut exploratoire et ouvre le champ à toujours plus de contributions et d’innovations, de témoignages, de débats et de controverses en souhaitant qu’il ouvre un cycle de Rencontres sur cette thématique inépuisable, dont une chose est certaine : s’interroger sur la ville durable, c’est en premier lieu s’interroger sur la ville contemporaine et ce qu’elle pourrait devenir… En contribuant peut-être à nous éviter « l’enfer pour l’éternité… »


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ROBINS DES VILLES Créée en 1997 à la suite des 1res Rencontres du Cadre de Ville, l’association « Robins des Villes » a pour objet la recherche, la médiation, la sensibilisation et la diffusion autour du thème du cadre de ville. Animée par des architectes, artistes, designers, urbanistes, géographes, sociologues, ingénieurs... et habitants, Robins des villes propose un autre regard sur la ville : l’environnement urbain est un champ d’interaction entre l’individu et son prochain ; le cadre en est bâti, sociologique, politique...

En outre, les territoires se diversifient, deviennent fluides et mouvants. Il nous faut donc comprendre les tenants et aboutissants de nos sociétés du XXIe siècle pour bien mesurer nos échelles d’actions inscrites dans des systèmes globaux, mais toujours spécifiques. L’association s’interroge donc sur les moyens à mettre en œuvre pour permettre aux habitants et usagers de comprendre l’urbanisme et les projets de leur ville. Comment exploiter leur connaissance du quartier, pour qu’ils interviennent à bon escient dans les projets urbains ? Comment animer cet espace pour qu’il donne envie à ses membres d’y tisser les liens du bâti et de l’humain ? Comment interroger les pratiques passées et actuelles pour se tourner vers des villes plus humaines, partagées et responsables ? Comment offrir des espaces de dialogue et de partage afin que tous les publics puissent être acteur de la transformation de leur cadre de vie en ville ?

Les techniciens et les élus sont avant tout des habitants et des usagers, et c’est à tous les habitants et usagers des villes que l’association souhaite s’adresser pour mettre en œuvre les outils qui nous permettrons d’élaborer ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler « la ville durable ».


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Depuis plus de dix ans, Robins des Villes propose donc une démarche de sensibilisation des habitants et usagers à leur espace de vie, tout en les incitant à avoir une démarche participative. En donnant des outils nécessaires pour s’informer et être créatifs, l’association se pose en « relais citoyen » au service de la ville et de ses pratiquants. Cette approche est transversale dans l’ensemble des activités de nos différents pôles : - Par l’éducation à l’environnement urbain, nous facilitons l’épanouissement des publics jeunes dans la relation à l’espace qui les entoure (leur environnement urbain) et l’appréhension de cet espace comme cadre de vie sociale et civique. - Par la sensibilisation, nous proposons au grand public une approche critique et ludique de la ville, de son architecture, de son histoire, de son évolution, de son avenir et de la place de ses habitants.

-P ar la concertation, nous élaborons et animons des dispositifs de participation dans le cadre de projets d’aménagement urbain, afin que l’ensemble des acteurs puisse passer du rôle de spectateur à celui d’une réelle force de proposition sur l’aménagement de leur cadre de vie. -P ar la formation, nous proposons aux professionnels, élus, techniciens et habitants des moyens d’échanger, transmettre et acquérir des savoirs et pratiques actuelles ou innovantes. - Enfin, par la recherche-action, nous réalisons des études sur des thématiques alternatives dans le champ de l’urbain.


JOURNÉES DE PRÉFIGURATION


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LYON /

Quand la ville du vide devient vivante

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE

Qu’il se décline sous la forme de friche industrielle, de bureaux inoccupés ou de logements vacants, situé en centre-ville ou en banlieue, le délaissé urbain se trouve imbriqué dans le tissu urbain, à la croisée de plusieurs échelles de temps et de territoire. Espace transitoire et de transition, refuge ou lieu ressource, investi individuellement ou en collectif, il est le lieu du ni privé, ni public, au statut juridique mal identifié ; une forme de « bien communal » urbain. À travers le délaissé, qui exerce une « forte attractivité poétique », s’exprime un désir d’appropriation de la ville, notamment par des populations qui n’ont pas, ou peu, droit au chapitre. Cette position, à la fois en marge et au centre, entre institutionnel et illégalité, interroge le territoire et ses modes d’occupation, mais aussi ses modes de gestion et plus généralement l’action politique. C’est en tout cas les questions qui ont rythmé cette première journée de préfiguration de Recyclopolis. AT.1

MODES D’UTILISATIONS DES DÉLAISSÉS URBAINS

Dans la plupart des cas, les délaissés urbains sont dans l’attente d’une future urbanisation, programmée ou non. Propriétés de collectivités locales, de bailleurs sociaux ou de propriétaires privés, elles sont l’objet d’une forte demande, de la part du monde associatif, artistique et plus largement de la société civile, besoins qu’ignorent les opérateurs immobiliers classiques. Cependant, l’occupation continue d’un site est, sans doute, le meilleur gage de la réussite de sa reconversion, assurée, à long terme, par son intégration aux projets de développement du territoire et de développement culturel.

AT.2

enjeux de friches et stratégies d’engagement dans la cité

Pour répondre à cette demande forte, la gestion de la vacance implique une nouvelle culture politique « d’anticipation des besoins », de négociation entre la puissance publique et l’usager. Dans une sorte d’opposition à l’espace public, qui par définition n’est pas appropriable, ces lieux peuvent acquérir un certain degré « d’autonomie locale ». La flexibilité et la précarité qui les caractérisent introduisent un glissement de la notion de « propriété » à celle de « responsabilité ». Ce phénomène, allant à l’opposé du processus de « patrimonialisation de tout par tous », serait une sorte d’avant goût d’une « décentralisation généralisée » du pouvoir vers le citoyen, processus qui irait plus loin qu’une simple décentralisation territoriale. AT.3

Dynamiques conflictuelles autour des délaissés urbains

Les délaissés urbains sont, avant tout, des lieux de relégation. Relégation de population : le squat, le taudis, le bidonville. Relégation de pratiques culturelles en marge de la culture légitime. Relégation géographique loin des centres urbains. Ces formes de relégation suscitent, en réaction, la création de réseaux, de structures, des regroupements, la constitution de savoir-faire,… Cet ensemble, sans former une entité clairement définie, compose réellement un mouvement qui s’inscrit dans une « démarche sociale » et participe pleinement au débat démocratique, même s’il peut parfois développer des « stratégies d’acteurs conflictuelles ». Comme le rappelle l’un des intervenants en citant le sociologue Michel Anselme : « Il n’y a pas de bonne solution technique à la cohabitation, il n’y a que des solutions négociées ».


L’avis sur...

LES DÉLAISSÉS POUR SAUVER LA VILLE

L’urbanisme moderne (1930-1970) est fondé sur un cloisonnement systématique des temps sociaux : habiter, travailler, se divertir, consommer, etc. Mais ceci n’a pas empêché l’émergence d’espaces intermédiaires flous, sans usage, « dents creuses » de la ville. Les crises et l’urbanisme contemporain ont ainsi (re-) découvert que la vacance d’espaces est intrinsèque à l’aménagement urbain et à sa temporalité. Or, si autrefois ces espaces étaient rendus disponibles aux citadins par leur abandon plus ou moins tacite et temporaire, aujourd’hui, l’administration des aménageurs tend à garder un contrôle sur ces jachères urbaines, dont les enjeux économiques et symboliques sont forts pour les grandes métropoles en développement. Si, dans les métropoles des pays du sud le phénomène majeur des bidonvilles exprime de façon frontale la défaillance des institutions locales, les pouvoirs publics occidentaux quant à eux interdisent de plus en plus farouchement toutes formes d’urbanité spontanée. Au nom d’une idée hygiéniste du faire la ville, ils condamnent toutes « citadinetés » jugées marginales, condamnant les plus modestes toujours plus nombreux, français ou étrangers, à l’errance sans domicile propre.

Pourtant, ces lieux délaissés ont toujours été le support de dynamiques marginales. Par du refuge ponctuel ou prolongé, par de la pratique artistique sauvage ou conventionnée, par des rencontres discrètes ou les jeux d’enfants du quartier, etc., ces lieux furent ouverts à tous les usages, sans discrimination fonctionnelle, parfois simultanés, parfois conflictuels. Au rythme d’investissements individuels ou collectifs d’usagers pour les aménager spontanément, ces espaces ont su répondre au moins en partie à leurs différentes fonctions temporaires sans jamais figer les suivantes et ont parfois été pérennisés. Mais bien souvent les aménageurs les détruiront pour les fonctionnaliser de façon irrémédiable. Les délaissés portent alors plus que jamais l’enjeu du renouveau d’un « penser la ville », en ayant la conscience de laisser l’inventivité (re)naître. Les lieux de la frange, de la survie, les délaissés, constituent un ensemble d’espaces urbains et périurbains plus ou moins vastes, avec plus ou moins d’intérêts économiques, plus ou moins bâtis, plus ou moins végétalisés, plus ou moins à l’abandon. Ils doivent donc retenir toute notre attention, car sans venir s’opposer à la construction de la métropolis générique, ils peuvent également offrir les opportunités du développement de la cité parallèle, interstitielle et parasitaire, la ville des Hommes.


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ST-ÉTIENNE / SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE

La citoyenneté se trouve placée au coeur du développement durable. La participation est brandie par tous comme un levier d’action, un principe évident… Tout le monde en fait, ou essaie à sa façon. Mais un problème se pose : le « citoyen » n’est pas toujours au rendez-vous ! Il manque à l’appel ou s’épuise… L’objectif de cette deuxième journée de préfiguration était d’aborder le thème de la participation en décryptant ses enjeux, ses outils et les nouvelles pratiques à mettre en oeuvre pour permettre à chacun d’être acteur de son cadre de ville, selon trois angles d’approche : - les vertus et limites de la participation - les conditions d’existence d’une pratique de la participation - les défis pour une plus grande participation

séance pleinière

Origines de la participation, acteurs et enjeux

L’ouverture de cette journée a permis de revenir sur le sens des mots et les ambitions qui s’y rattachent, quelle est l’origine historique de la participation et de poser la question de fond de la journée : que pouvons-nous attendre de la mobilisation citoyenne ? AT.1

Les processus de participation dans les politiques publiques locales

Les politiques publiques locales expérimentent de nouvelles formes de gouvernance. Ainsi, dans les trois champs d’action que sont la démocratie de proximité, la Politique de la Ville et les Agendas 21 locaux, la participation des habitants est érigée comme un principe de mise en oeuvre.

Quand la ville SE DESSINE ENSEMBLE

AT.2

Quels rôles et quelle légitimité des initiatives issues de la société civile ?

Les dispositifs de participation sont aujourd’hui appliqués par des collectivités «du haut vers le bas», entraînant une certaine dévalorisation des initiatives issues de la société civile. Pourtant, il existe bon nombre d’actions habitantes ou citoyennes se regroupant pour faire valoir des intérêts communs, soit par la création de différents types de structures, soit de façon informelle. Leur reconnaissance leur est-elle (ou non) qui leur est accordée ? AT. 3

Des outils innovants pour l’émergence d’une culture de la participation

Les démarches de participation sont souvent l’occasion de créer des outils innovants (intervention artistique sur l’espace public, ateliers de coproduction...) s’inscrivant dans une démarche de sensibilisation, de diffusion d’une culture partagée de la ville et de mobilisation citoyenne. AT.4

Les défis de la participation des habitants dans les projets urbains

La participation des habitants pose beaucoup de questions quant aux pré-requis nécessaires à la création de dispositifs de participation des habitants au projet urbain et aux difficultés rencontrées. Mais que ce soit par des systèmes d’écoute, d’accompagnement, de compromis, de partenariat, etc., de nombreuses solutions sont possibles. SYNTHÈSe

Faire de la politique autrement

La journée s’est clôturée par une conférence grand public, présentée par Hélène Hatzfeld, sur un bilan des expériences participatives des 70’ et de leurs conséquences


L’avis sur...

LA PARTICIPATION DES HABITANTS 1 RASSURER La frilosité des politiques Les élus sont nombreux à redouter le débat public par peur que leur projet soit sans cesse remis en cause. Toutefois, lorsque l’ensemble des acteurs a la possibilité de s’exprimer de manière transparente et que ces paroles sont entendues, porter des décisions partagées renforce la légitimité des élus. Le rejet des investisseurs La logique de l’investisseur est essentiellement financière : il investit sur une opportunité foncière, qui se doit d’un « bon rapport » et n’aime pas le temps perdu en discussions hasardeuses sur la mémoire des lieux ou le charme des délaissés urbains. Pourtant, « ralentir » le projet par un processus de participation peut limiter les dépenses en réduisant le risque de recours souvent coûteux. La réticence des concepteurs Les concepteurs organisent et dessinent les formes du dessein de leurs commanditaires. Ils ne souhaitent pas ajouter des propositions incompatibles avec la leur, c’est-à-dire une remise en cause de leur métier et

Si de nombreux projets d’aménagement ne font pas l’objet d’un dispositif participatif, c’est qu’il existe encore des craintes chez l’ensemble des acteurs malgré tout l’intérêt que représente l’implication des usagers dans les projets.Le tout est de mettre en avant l’intérêt d’une concertation bien cadrée.

savoir-faire. Pourtant, la coproduction issue de l’analyse des usages n’est-elle pas l’un des fondements de la production architecturale et urbaine ? La méfiance des habitants Cette méfiance à l’égard des élus, investisseurs et architectes est un problème récurrent. Pourtant, rassurer les habitants sur le fait qu’ils seront écoutés est primordial. Il s’agit donc de trouver les outils de « l’échange » avec des décideurs et concepteurs parfois dépassés par leurs revendications programmatiques pour pouvoir intégrer les besoins des usagers au projet. 2 INTÉRESSER Enrichir le projet par l’expertise des usages Robins des Villes reconnaît aux habitants et usagers leur expertise en matière d’usage. Souvent non formulée, elle est néanmoins essentielle pour l’aménageur, afin que les transformations apportées par les projets intègrent les réalités du territoire et répondent mieux aux attentes et besoins de tous. Toutefois, la reconnaissance de cette expertise nécessite de trouver les moyens de l’insérer au sein du dispositif de projet.

Donner la parole aux « sans voix » Un problème se pose dans la presque totalité des démarches : comment toucher les « sans voix », les « invisibles », c’est-à-dire la grande proportion des publics qui ne participent pas. Nous avons dû inventer des modes d’actions particuliers, souvent basés sur l’évènementiel, en s’appuyant sur les réseaux locaux et en improvisant parfois des situations « à risques ». Cela permet de recueillir leurs attentes et besoins sur le projet et ainsi d’en anticiper les conflits potentiels. Initier une dynamique participative L’expérience montre que les processus de participation dans l’urbanisme peuvent faire « boule de neige » : dans nombre de territoires, la rencontre entre différents acteurs entraîne la construction de partenariats ou d’actions dans beaucoup d’autres domaines : festifs, culturels, éducatifs, emploi, etc.

3 CADRER Faire de la concer tation poussée sur les projets de grande ampleur est difficile et suppose que les règles définies soient rigoureusement respectées. Pour ceci il faut des compétences particulières : nous avons choisi d’être le « 4e acteur », le « facilitateur », au sein du triptyque habitants/élus/professionnels. Notre métier consiste donc à offrir des méthodes et outils favorisant l’expression de tous, ceci étant facilité par une position extérieure au territoire, notre seule revendication étant de porter au mieux la parole des habitants auprès des décideurs. Il est toujours envisageable d’imaginer une société où la confiance règnerait entre habitants, maîtres d’oeuvre et décideurs. Mais la confiance est instable et il suffit d’un échec pour tout devoir reconstruire. Le métier de « facilitateur » est donc amené à se développer, le plus dur pour une structure associative étant de convaincre de sa légitimité et de son professionnalisme…


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GRENOBLE /

Quand la ville DIALOGUE AVEC SES CULTURES

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE

La culture est aujourd’hui revendiquée comme un pilier du développement durable, au nom de la préservation des « diversités ». Derrière ce mot, de nombreuses interprétations sont possibles. Parle-t-on de pratiques, d’art, de patrimoine, d’identité, de vivre ensemble, de diversité, d’intégration, de musées, de fêtes... ? Elle est également un terme du discours sur la transformation des villes, et la multiplication d’actions culturelles menées ces dernières années marque les liens de plus en plus forts tissés entre les sphères « ville » et « culture ». Au cours de cette troisième journée de préfiguration des Rencontres, nous avons souhaité aborder la culture en tant que processus individuel et collectif de construction identitaire qui façonne notre rapport au monde, nos modes de penser, de vivre, de percevoir, de s’exprimer. La culture comme «chose publique» rencontre alors la ville, lieu d’échange, de création, espace de pratiques sociales où s’élaborent et s’expriment les cultures et les identités, mais aussi les valeurs du vivre ensemble. Une séance plénière d’ouverture et trois ateliers se sont donc penchés sur la question des pratiques culturelles dans et sur la ville, en lien avec les populations (et non les publics) et se sont interrogés sur l’espace urbain comme terreau de la démocratie culturelle.

CERCLE SAMOAN

VILLE ET CULTURES… DE QUOI PARLE-T-ON ?

Débat sans modérateur sur les définitions de « la culture » ou « des cultures ». AT.1

PROJET DE VILLE, IMAGE ET CULTURE : QUELS OBJECTIFS ?

Lorsqu’on associe le terme « image » à celui de « culture », l’aspect économique émerge en premier lieu. Bien qu’incontournable, il n’est pas le seul : pour assurer une durabilité à de tels projets, il doit s’appuyer sur la société civile et entrer dans l’équation au même titre que les aspects sociaux, culturels et territoriaux. L’oubli de l’un d’eux peut, à terme, remettre en question la faisabilité du projet et en tout cas sa pérennisation. AT.2

L’ESPACE PUBLIC COMME LIEU DE CULTURE : QUELLES CONDITIONS ?

Il semblerait que l’espace public ait encore la capacité d’être un lieu de culture partagée, comme le montre le nombre de projets culturels qui s’y déroulent et qui tentent de s’intégrer, d’interpréter, d’interpeller et d’interroger les processus de transformation de la ville. AT.3

L’INTERVENTION ARTISTIQUE DANS LES QUARTIERS : QUEL SENS ?

Beaucoup d’actions culturelles sont menées dans les « quartiers ». Aujourd’hui se posent les questions du sens et de la valeur qui leur sont données, ainsi que de leur mode de construction et de la place des habitants au sein de ceux-ci. Réflexions sur le rôle de l’artiste tirées de citations d’intervenants.


L’avis sur...

LES DÉLAISSÉS POUR SAUVER LA VILLE

« Moi, ce que j’aime pas, c’est l’artiste-pompier » A. Cubizol Mais qui sont ces artistes chargés de mission de sauvetage ? Sauver qui ? Sauver quoi ? Les artistes présents ont tous fait part de leur malaise face au rôle que leur assignent parfois les commanditaires d’interventions artistiques dans les « quartiers ». De la même façon, ils ont aussi du mal à positionner leur rôle, leur engagement face aux publics, aux institutions et autres acteurs d’un territoire. « C’est quand même d’une grande technicité de travailler avec l’humain » M. Jeannès Au coeur de l’action culturelle, artistique, celle qui part à la rencontre des autres, il y a la vie, ses souffrances et ses bonheurs et puis des moments d’étincelles provoqués par ceux qui passent et nous ouvrent à nos fragilités. Et puis soudain, ces artistes, ces saltimbanques reprennent la route. Ceux qui ont vécu des moments d’exception restent là, dans un sentiment d’abandon. Peut-on rêver à une action culturelle qui se soucie réellement de la temporalité des émotions des Hommes ? « La programmation artistique n’est pas une affaire d’expert » H. Millex Enfin ! Sortons du secret des couloirs des Grandes Institutions où se décident ce qui fait La Culture. Parce que nos cultures et nos sensibilités sont aussi diverses que nos parcours individuels, et qu’il ne peut y avoir une culture ayant plus de valeur qu’une autre.

« Les artistes sont des acteurs sociaux comme des autres ! » A. Guillot Face à certaines postures d’artistes refusant le rôle de médiateur, on peut s’interroger sur la responsabilité qu’ils souhaitent prendre dans la construction d’un « vivre ensemble » quand ils participent à des actions sur l’espace public… Des artistes médiateurs malgré eux ?!! « Quartiers difficiles, quartiers en difficulté, mais il est difficile pour qui le quartier ? » M. Jeannès Les interventions dans certaines zones urbaines dites « sensibles » sont le plus souvent commanditées par les collectivités locales. Mais prendra-t-on le temps de commencer par rencontrer les habitants et de co-construire des projets en s’appuyant sur les richesses individuelles présentes sur le territoire ? « Tout porteur de projet doit positionner l’évaluation comme dimension majeure de l’action » J-M Monfort Rêvons un instant de pouvoir prendre le temps à chaque étape du projet, de sa conception à sa période dite de bilan, de s’interroger, d’interroger les acteurs, spectateurs proches ou lointains et chaque fois réajuster la portée, le sens, l’orientation de l’action… Mesurer une action culturelle ne peut se limiter à un bilan comptable. Mais face aux demandes des financeurs, les porteurs de projet sont généralement démunis d’outils pour construire une réelle évaluation de leur travail.


RECYCLOPOLIS UNE VILLE  HUMAINE PARTAGÉE ET RESPONSABLE


Interroger le concept de ville durable n’est pas simple. Derrière cette notion, on peut mettre beaucoup, souvent tout, et parfois n’importe quoi. C’est pourquoi ces 4e Rencontres du Cadre de Ville ont choisi de l’aborder sous trois angles (délaissés urbains, culture et participation), que les trois journées de préfiguration de Lyon, Grenoble et Saint-Etienne ont permis d’introduire. La 4e édition des Rencontres du Cadre de Ville s’est ensuite achevée par la tenue de Recyclopolis, trois jours au cours desquels ces thématiques ont été approfondies, débattues mais non conclues, afin de laisser le champ à toujours plus d’explorations et de réflexion sur l’évolution de notre environnement urbain.


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L’USINE TASE L’ensemble industriel de l’usine TASE et du quartier de la soie est un symbole historique, fort et actuel à plusieurs titres.

Fleuron de la mécanisation et de l’industrialisation de la production de la soie, jusqu’à lors réservée à l’artisanat lyonnais des Canuts, elle a été construite au début des années 1920 dans la grande plaine de l’Est lyonnais en prolongement du quartier « moderne » des Brotteaux. C’est un exemple caractéristique du système de l’industrie paternaliste issue de la philosophie des lumières (cité idéale de Nicolas Ledoux : Salines Royales d’Arc-et-Senans), puis des modèles « utopiques » des phalanstères et familistères de Fourier et Godin. L’architecture du bâtiment lui-même, simple, tramée, régulière, constituée en plans libres et lumineux car bénéficiant de hauteurs sous plafond importantes préfigure déjà la « Charte d’Athènes » contemporaine. Les principes tayloristes de la production rationalisée prennent définitivement le pas sur les ateliers artisanaux des Canuts.


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L’aménagement extérieur est lui aussi emblématique. Tout est pensé pour que les ouvriers et leurs familles vivent avec l’usine, pendant les heures de travail bien sûr, mais également en dehors de celles-ci. Ainsi, tout autour du site sont construits les maisons des directeurs, des ingénieurs et contremaîtres et les immeubles collectifs des ouvriers. Chacun bénéficie d’un jardin plus ou moins important pour cultiver ses légumes. On trouve également tous les équipements nécessaires à la vie quotidienne (école, commerces, église, thermes, cabinet médical…) ou aux moments de loisirs (stade, MJC, jeux de boule…). L’usine et le quartier structurent de façon majeure et pérenne l’urbanisation de l’Est lyonnais, symbolisant l’histoire contemporaine de la soie devenue artificielle. Mais son histoire en a fait également un haut lieu de l’histoire sociale, des luttes ouvrières, de toutes les vagues d’immigrations successives européennes et nord-africaines.

Il nous a semblé opportun que s’y déroule Recyclopolis, car elle cristallise en un seul lieu tous les enjeux mis en lumière et discutés durant les débats de ces journées d’octobre.

D’abord en pleine expansion (jusqu’à 3000 ouvriers), faisant partie intégrante de la « route de la soie », elle est aussi victime à la fin des années 1970 de la mondialisation et de la concurrence internationale, qui conduisent à l’arrêt de la production textile dès les années 1980. Différentes tentatives de reconversion (hôtel, magasins du second marché) n’empêcheront pas son glissement progressif vers l’état de friche industrielle ouverte aux occupations et activités diverses et partielles tout en se dégradant au fur et à mesure des intempéries. Elle devient alors un symbole supplémentaire de la destinée de nombreux bâtiments industriels dans les pratiques de l’urbanisme actuel. Au cœur d’un gigantesque projet de développement de l’Est de l’agglomération lyonnaise, elle est aujourd’hui l’objet d’un conflit entre des concepteurs qui envisagent de la démolir pour « faire du neuf » et des citoyens et associations qui demandent sa protection et son intégration dans le projet Carré de Soie comme trait d’union entre l’histoire industrielle et les mutations actuelles de l’agglomération.


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