Mutant - Mémoire de recherches en design de produits

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MUTANT

Valentin Penault DSAA Design responsable et ĂŠcoconception option design de produit session 2016 sous la direction de Sophie ClĂŠment, Sophie Devaud-Judas et Julien Borie


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AVANT-PROPOS « Pas d’idées, pas de projets, pas d’horizon. En termes évolutifs, cela signifie : pas de mutation ni de variation, donc plus de sélection ni d’évolution. Le principe est simple : ce qui se reproduit sans se modifier ne peut s’adapter et finit par disparaître. La diversité, c’est la vie ; l’uniformité, c’est la mort. Vous avez envie de finir votre existence dans la peau d’un fossile vivant en train de regarder bouche bée un astéroïde cogner la planète bleue ? Pas nous ! Nous sommes différents. Nous sommes les premiers mutants. » 1 Je ne sais pas si je suis mutant, mais j’aime le changement. Je ne suis pas lunatique, ni schizophrène, mais j’ai des avis variés. J’ai une personnalité singulière, je recherche la différence. J’aime que tout soit ordonné, mais j’aime aussi le hasard. Adepte des jeux de construction, j’aime construire, déconstruire, reconstruire. Je ne sais pas si je suis mutant, mais j’aime le changement.

1 - www.lesmutants.com, Le Manifeste Mutant, 2001.


6 INTRODUCTION 13 NOUS SOMMES PAR NATURE DESTINÉS À NOUS ADAPTER ET ÉVOLUER 1. MUTATION DU NATUREL À L’ARTIFICIEL - MUTATION ET ÉVOLUTION - UNE MUTATION SOUDAINE - UNE MUTATION PROVOQUÉE

2. FAUT-il CRAINDRE LA MUTATION ? - UNE PEUR DE CHANGER - CHANGER C’EST S’AFFIRMER - COMPLEXITÉ DE CHOISIR

37 LA MUTATION DU DESIGN 1. MUTATION ET RÉVERSIBILITÉ

- UNE RÉACTIVATION DU DÉSIR - UN STATUT DÉGUISÉ - DE LA RÉINTERPRÉTATION À L’HYBRIDATION

2. LA MUTATION COMME MODE OPÉRATOIRE DANS LE DESIGN

- UN ÉLÉMENT PERTURBATEUR - LES OBJETS MUTANTS ET OBJETS LIÉS AU MILIEU - MATÉRIAU EN MUTATION


UNE INTERVENTION DURABLE ET RESPONSABLE

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1. DES CHANGEMENTS PROPICES À LA CRÉATION

- EXPÉRIMENTATIONS DE LA MUTABILITÉ DE L’OBJET ET DE SES USAGES - NOUVEAUX REGARDS SUR L’INDIVIDU - DES BOULEVERSEMENTS HUMAINS CRÉATIFS

2. UN DESIGN RESPONSABLE POUR UNE MUTATION SOCIALE

- L’OBJET, COMPAGNON DE L’HOMME - LE DESIGNER, PARTENAIRE RESPONSABLE - DES PRINCIPES STIMULANTS

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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REMERCIEMENTS

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INTRODUCTION « Si auparavant, c’était l’homme qui imposait son rythme aux objets, aujourd’hui ce sont les objets qui imposent leurs rythmes discontinus aux hommes, leur façon discontinue et soudaine d’être là, de se détraquer ou de se substituer les uns aux autres sans vieillir. » 2 Véritablement, le constat réalisé par Jean Baudrillard à la fin des années 6O est juste et est incontestablement plus évident à faire aujourd’hui. Le rythme de la consommation s’est vu bousculé par une évolution de notre production, passant progressivement d’un modèle artisanal à un modèle industriel. Nos objets et leurs utilisations ont été bouleversés dès l’inauguration du Crystal Palace pour la première Exposition universelle de l’histoire en 1851. La révolution industrielle était en marche, la technique a transformé notre système productif avec des opérations de production décomposables. Le Taylorisme et le Fordisme ont été des modèles d’organisation qui ont mis en œuvre une multitude de nouveaux biens de consommation. En résulte, une production performante, accélérant le rythme des découvertes et de leurs applications. Mais avec la découverte d’une nouvelle matière première, le pétrole, la société s’est vue envahie de produits d’un nouveau genre, compétitifs, et proposant plus de libertés formelles, les objets plastiques. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le temps est à la reconstruction, en découle l’abondance et le plaisir de consommer. Si bien qu’un principe s’est

2 - Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968.


7 inséré dans notre façon de consommer : assouvir notre désir permanent et immédiatement. C’est un élément important qui transforme notre rapport aux objets : nos besoins si vite satisfaits en engendrent d’autres, sans fin. Le statut de l’objet se voit donc transformé, avec des objets propres à rendre un service, dépourvu de toute dimension affective et qui se caractérisent par une durée d’usage écourtée. C’est l’obsolescence programmée, comme la définit le designer industriel américain, Brooks Stevens en 1954, « c’est inculquer à l’acheteur le désir de posséder quelque chose d’un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire. » 3 Cette mutation engendre un basculement dans une société de nouveauté où l’objet devient jetable, offrant exclusivement des expériences plus ou moins durables. Nous assistons actuellement à des changements radicaux qui nous invitent à penser que notre comportement, visà-vis de la consommation, évolue. En effet, nous remarquons des changements importants dans l’ensemble de notre société. Les nombreuses modifications touchent nos modèles économiques et sociaux. C’est une prise de conscience due à la grande standardisation et au désir de changer continuellement nos produits. Définie par Jérémy Rifkin, La Troisième Révolution Industrielle caractérise la nouvelle révolution industrielle et économique qui a vu le jour au milieu du XXe siècle avec l’émergence de nouvelles technologies développant les communications et l’information. En découlent des matériaux intelligents et évolutifs.

3 - Brooks Stevens. http://obsolescence-programmee.fr/


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De plus, l’exploration de nouveaux processus de production et de création comme les Fab Labs ou l’open source, permet d’établir le remplacement progressif d’une société fondée sur les machines par une société fondée sur le savoir partagé et l’intelligence collective. Centré sur une vision durable de l’industrie, motivée par la créativité et la croissance du bien commun, comme le précise en 2015, Jean Staune dans Les clés du futur, le modèle « postcapitaliste » engendre les mutations de notre époque. Mais que devons-nous comprendre par le terme mutation ? À l’origine de notre évolution, elle est le postulat de départ de tout bouleversement sociologique, économique ou scientifique. En effet, la mutation provoque le changement. Celui-ci est indispensable au renouvellement et à l’actualisation de la vie. En 2001, un groupe nommé « Les Mutants » publie Le Manifeste Mutant synthétisant les idées des « posthumanistes », concernant l’avancée technologique, ainsi que le désir radical de motiver la population à sortir de son conditionnement. Pouvons-nous choisir d’évoluer ? Ils répondent : « Certains y croient et souhaitent en revenir à ce bon vieux temps qu’ils n’ont jamais connu : tant mieux pour eux ! Nous n’avons ni haine ni mépris. Nous aimons la variété, même celle des espèces humaines à venir. À un carrefour, chacun doit choisir sa direction : nos ancêtres en ont fait ainsi, nous continuons leur geste. » 4 Pourtant, la tendance est à la récupération et aux brocantes, un retour en arrière qui ne sensibilise pas l’individu à avancer. Le changement inspire la crainte. Or, qu’avons-nous à craindre ?

4 - www.lesmutants.com, Le Manifeste Mutant, 2001.


9 Nous percevons les objets comme un moyen de nous soustraire à nos responsabilités envers la nature, qui ne cesse d’évoluer. Nos biens ont un caractère fini. Ils sont un barrage à nos désirs de changement. Leur rejet est la seule alternative à ce désir. Nous sommes indifférents face au fait de changer en moyenne notre téléphone tous les trois ans. Cependant, nous constatons un intérêt grandissant pour la conservation de nos matières premières. La mutation écologique est à ses débuts, mais la volonté de réduire nos déchets est de plus en plus présente. L’obsolescence programmée a été récemment inscrite au Parlement et punie par la loi pour les entreprises, l’utilisant afin d’inciter le consommateur à acheter davantage. On nous informe aussi en août dernier que « L’humanité vit désormais au-dessus de ses moyens. En moins de huit mois, elle a déjà consommé toutes les ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an. » 5 L’usage que l’on fait de nos produits ne favorise pas la mise en place de réponses aux graves impacts environnementaux. La durée de vie des objets du quotidien est considérablement en train de diminuer. Ce changement augmente énormément l’utilisation des matières premières en constante diminution et le nombre de déchets. La mutation pourrait-elle être un processus écoresponsable qui réactiverait le désir des citoyens à changer leurs objets sans les remplacer ? Le designer a son rôle à jouer dans nos habitudes consuméristes. Le design et la mutation peuvent remettre en question les processus de l’industrie, mais également la

5 - Depuis cette nuit, la Terre vit sur ses réserves. Le Monde.fr. Paru le 13.08.2015.


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responsabilité de chacun dans l’acte d’achat. Comment et par quels procédés le designer utiliserait-il la mutation afin de s’inscrire dans l’évolution de notre société ? La mutation peut-elle permettre au design de restituer de la souplesse à un produit devenu inadapté et encombrant ? En quoi le design peut-il contribuer à la mutation de l’individu ? Pour apporter une réponse à ces questions, nous étudierons la mutabilité et établirons les connaissances scientifiques qui fascinent et inquiètent. De là, nous nous intéresserons aux transferts possibles dans la conception de produits au travers des évolutions de l’Homme et de son temps. Finalement, notre démarche aura pour but de dégager les possibilités et redéfinir notre rapport à la mutation pour enfin imaginer les applications éventuelles pour des objets quotidiens adaptables et responsables. En route vers une mutation responsable…


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NOUS SOMMES PAR NATURE DESTINÉS À NOUS ADAPTER ET ÉVOLUER


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MUTATION DU NATUREL À L’ARTIFICIEL MUTATION ET ÉVOLUTION « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. » 6 Une des premières choses à savoir sur la mutation, c’est qu’elle constitue une étape naturelle de la vie. La nature évolue depuis l’apparition de la vie sur terre il y a environ 3,85 milliards d’années. Bien plus tard, des chercheurs et naturalistes ont analysé et identifié les espèces afin de comprendre comment et pourquoi celles-ci évoluaient. En effet, en génétique la transformation des espèces vivantes liée au changement des caractères génétiques au cours des générations, n’est pas citée comme une mutation mais nous parlerons plutôt d’évolution. Le premier naturaliste français à avancer une théorie de l’évolution est Jean Baptiste Lamarck, qui classifie les espèces avec la théorie transformiste qui consiste à dire que les êtres vivants se décomposent en multiples espèces sous l’effet de circonstances variées, notamment, le milieu diversifié dans lequel les espèces modifient leurs comportements et les organes pour répondre à leurs besoins. Caricature de Charles Darwin en singe, publiée en 1871 dans le magazine satirique The Hornet. ©DR

Toutefois, c’est Charles Darwin qui établit une théorie fondamentale en 1859 dans son livre De l’origine des espèces. Il explique ainsi que la nature sélectionne les individus les mieux adaptés. « La sélection naturelle recherche, à chaque instant et dans le monde entier,

6 - Charles Darwin, De l’origine des espèces, 1859.


15 les variations les plus légères, elle repousse celles qui sont nuisibles, elle conserve et accumule celles qui sont utiles. » 7 De plus, le naturaliste ajoute un nouvel élément jusqu’à présent non évoqué, le hasard. En d’autres termes, les mutations génétiques surviennent aléatoirement et créent par conséquent des variations. Prenons l’exemple du phalène du bouleau, un papillon nocturne qui s’est adapté à son milieu naturel par mutation puis par sélection naturelle. Cet insecte est à l’origine clair, mimétique, posé sur les troncs des bouleaux. À cause de la pollution industrielle et des rejets de fumée des usines de charbon, les arbres sont devenus plus foncés. Alors, sont apparus des individus plus foncés, couleur due à une modification de leur code génétique. Les phalènes clairs ont progressivement disparu car dépourvus de l’avantage des papillons sombres moins visibles, devenus imperceptibles aux yeux des prédateurs. Cette sélection montre l’importance du milieu dans lequel une espèce évolue. Dans le domaine de la création, le collectif Droog a édité la Highchair. Maartje Steenkamp, créatrice du projet, a utilisé la croissance de l’enfant comme référentiel afin de créer cette chaise modulable. La hauteur d’assise est sélectionnée en fonction de la taille de l’enfant. On peut scier les pieds en suivant les repères indiqués à cet effet. La chaise s’adapte suivant une évolution et suit donc dans le temps l’utilisateur. Cet objet évolutif possède donc un avantage certain sur un objet ne l’étant pas. Ici, la mutation est visible dans la manière de concevoir. Le designer

7 - ibid.


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offre à l’objet la capacité d’évoluer lui-même au cours de sa vie et de celle de l’usager. Enfin, l’adaptation de la Highchair se fait par rapport à l’usager, celle du phalène se fait par rapport à son habitat. Finalement, ces deux exemples utilisent un principe d’appropriation similaire.

Hight Chair, Maartje Steenkamp, Droog, 2003. ©madeindesign.com

Nous constatons clairement ici que le milieu (ou bien le sujet) peut faire varier les espèces y vivant. Les études réalisées permettent d’établir que notre environnement actuel est le fruit de l’évolution, de mutations variées. Cette adaptation à un milieu encouragée aussi par d’autres éléments comme les relations sociales ou la coopération favorisent la sélection naturelle, donc le développement d’un caractère mutant.


17 UNE MUTATION SOUDAINE Nous venons de le voir, l’évolution est par définition un processus de transformation, un passage progressif d’un état à un autre. Ce processus naturel est le résultat de mutations qui se manifestent à cause de coïncidences variées. Les variations identifiées sont des éléments déclencheurs qui provoquent des mutations. Existe-t-il d’autres mutations qui se manifestent de manière inattendue et imprévisible ? Au cours des derniers siècles écoulés, des modifications étranges ont suscité l’observation des scientifiques et médecins. Les maladies et autres cancers qui se sont développés ont suscité des analyses approfondies afin de comprendre l’origine de ces manifestations curieuses. Effectivement, une mutation importante est examinée sur un homme qui intéressa un grand nombre de pathologistes en 1884 : Joseph Merrick est présenté comme un phénomène de foire sous le surnom de Elephant Man. Des recherches ont prouvé que l’homme souffrait du syndrome de Protée. Cette maladie génétique se caractérise par la naissance d’excroissances d’une répartition anormale des graisses, de malformations ou disproportions des tissus et des membres. Protée, une divinité grecque, pouvait prendre toutes sortes de formes, d’où le terme « protéiforme : qui peut prendre de multiples formes variées, qui se présentent sous les aspects les plus divers. » 8

Joseph Merrick, publié dans The Elephant Man : A Study in Human Dignity, Londres, 1889. ©Ashley Montagu 8 - Définition. cnrtl.fr


18 The Elephant Man,

Affiche originale du film, 1980. ©DR

The Elephant Man, le film de David Lynch réalisé en 1980, permet de retracer la vie difficile qu’a endurée « l’homme-éléphant », étant considéré à l’époque comme une extravagance de la nature. D’ailleurs, l’homme explique « Je ne suis pas un animal, je suis un être humain. » 9 pour effectivement montrer qu’une maladie, une anomalie génétique est le fruit du hasard et n’est pas pour autant positive. Le réalisateur met l’accent sur l’apparence difforme qui se répercute sur la personnalité de l’individu victime malgré lui, à cause de cette différence. Il faut bien comprendre que cette variation de la mutation alimente une vision négative auprès de la population. L’individu est traité comme un monstre, un être hors-norme qui, porteur d’une « maladie » est synonyme de propagation et contamination. Il fascine et crée un intérêt social à cause de ses propriétés exclusives. La mutation en tant que processus de design pourrait advenir à la mise à mal de la norme. Et par conséquent, ceci pose problème en termes de production sérielle à moyenne et grande échelle.

9 - David Lynch, The Elephant Man, 1980.


19 Dans le domaine de l’objet, un artiste-designer a exploré cette capacité créatrice d’unicité dans une production industrielle nécessairement sérielle. Gaetano Pesce, créateur italien, a traduit l’acte de conception comme des « occasions d’expressions ». Son travail se caractérise par la recherche de série où chacune des pièces réalisées, ayant subi un même processus de fabrication, présente des qualités uniques qui permettent de les différencier. En 1983, la collection Pratt réunit des chaises en résine uréthane polychrome de différentes densités et couleurs variées, moulées artisanalement. Chaque production est obtenue par le même procédé technique, cependant elle est distinguée par sa couleur, sa rigidité et par conséquent sa résistance au temps. Gaetano Pesce introduit le hasard dans le processus de mise en œuvre. Il recherche à s’éloigner de la conformité des productions industrielles établies et de la standardisation des produits. Cette collection de chaises présente des caractéristiques propres à sa conception de la même manière que Joseph Merrick et la pathologie qui le singularise.

Trois fauteuils de la collection Pratt, Gaetano Pesce, 1983. ©DR


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Nous observons un intérêt porté à quelque chose de différent dans le cas où ce qui observé est anormal, hors du commun. L’unique dans la série est un parallèle possible à la découverte de la différence génétique. Le domaine de la création peut refléter des réflexions anticonformistes et bousculer les normes. Les changements radicaux sont alors volontaires et contrôlés. L’Homme a son rôle à jouer dans cette transformation. Il peut être à l’origine des mutations. Comment et dans quels buts le designer peut-il intervenir ?

UNE MUTATION PROVOQUÉE Depuis les vingt dernières années, l’avancée scientifique dans le domaine de la médecine a proposé de nouveaux horizons créatifs. Pourtant, il y a longtemps que les croisements d’espèces sont les premières formes de mutation opérées par l’agriculteur ou l’éleveur, dans le but d’inventer une meilleure espèce pour des raisons personnelles, économiques, esthétiques. Ces derniers vont utiliser les mutations génétiques pour créer un idéal. L’ADN constitue la macromolécule qui va être la matière première de toutes les modifications. C’est avec elle que l’Homme expérimentera des combinaisons. Une mutation contrôlée permet de choisir, agir à un endroit précis. Ainsi, elle est une manière de résoudre une déficience ou « d’améliorer » une « chose naturelle » pour la plier à nos désirs. Les projets obtenus ont pour but d’être les plus justes par rapport aux attentes


21 désirées. L’Homme recherche le meilleur pour lui et plie, de cette façon, la nature à ses propres Désirs. Cela consiste pour lui à classifier son environnement. Par exemple, l’humanité a créé des « OGM » organismes vivants dont le patrimoine génétique a été modifié par l’intervention de l’homme. Cette intervention transgénique, c’est-à-dire une implantation de nouveaux gènes dans l’organisme initial, modifie son code génétique. Ils ont permis entre autres la création du maïs BT, une plante possédant un gène lui donnant la capacité de produire des protéines insecticides, et donc lui conférant une résistance aux insectes qui lui sont nuisibles. Cela peut paraître séduisant à première vue, toutefois ces produits modifiés peuvent présenter des effets néfastes sur les organismes les consommant. Il existe des risques de tolérance au poison chez les insectes nuisibles concernés mais également des problèmes de destructions d’autres insectes ayant un rôle positif dans la nature. Les OGM sont aujourd’hui produits, vendus, consommés et ainsi confortent une agriculture industrielle et mécanisée. Ce type d’agriculture promue par l’homme engendre de nombreuses polémiques. L’influence de l’homme modifie l’évolution en engendrant des changements, des mutations artificielles. Plus précisément, des actions voulues et contrôlées résultent de l’intervention de l’homme sur la nature. Ce n’est pas naturel et ces modifications du vivant, qui intriguent, mènent sur l’inconnu, l’impossibilité de savoir si cela peut exister. Cela provoque une curiosité particulière pour les chercheurs.


22 Mushroom Materials, Ecovative, 2015. ©ecovativedesign.com

Après 1996 et la brebis Dolly 10, un engouement important pour les modifications génétiques et leurs applications est apparu. Rétrécissant ainsi les frontières entre rêve et réalité, la manipulation à l’échelle chromosomique est accessible. Et nous l’utilisons. La science l’a découverte, le design l’utilise. Nous voyons apparaître de tout nouveaux produits utilisant des matériaux organiques. Le Mushroom Materials est une mousse de plastique expansé composée de mycélium (« racines » du champignon) et de sous-produits des cultures tels que les enveloppes de graines ou de tiges. Ce matériau innovant est une alternative aux produits en polystyrène expansé (PSE) utilisés pour le transport de marchandises. Il est ainsi plus performant, biologique et décomposable. Cet emballage protecteur est utilisé pour de nombreuses autres applications. Nous constatons la volonté de bousculer l’existant

10 - Premier mammifère cloné de l’histoire.


23 et de trouver de meilleurs possibles en nous tournant vers d’autres matières premières. Dans ce cas, nous ne pouvons pas parler de mutation 11, cependant, c’est l’usage de cette matière pour remplacer le PSE, plus polluant (il est difficile de transporter une matière plastique constituée à 98 % d’air.), afin de proposer des objets responsables. Elles procurent de nouvelles propriétés intéressantes à des objets qui en étaient auparavant dépourvus. Durable, recyclable ou encore biodégradable sont autant de caractéristiques que de bénéfices motivants pour l’avenir. En résumé, les points de vue évoqués jusqu’ici nous ont permis d’identifier que la mutation est en effet une des raisons pour lesquelles nous changeons. L’idée de pouvoir manipuler la matière vivante, végétale et animale en toute légalité pour avoir comme objectif d’augmenter ses fonctionnalités ou sa durabilité incite la curiosité. De plus, c’est un processus qui tend à être apprivoisé par l’homme, qui cherche à contrôler et cibler les problèmes afin de les résoudre. Nous constatons une absence de limites et de distinctions entre les mutations naturelles et hasardeuses, et les mutations artificielles et contrôlées. Par quels moyens l’individu dans une société en mouvance, identifie-t-il les limites de la mutation ? Comment ce manque de précision est-il perçu ? Comment le designer peut-il les utiliser ?

11 - Changement radical et profond, cnrtl.fr


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FAUT-il CRAINDRE LA MUTATION ? UNE PEUR DE CHANGER «  Aujourd’hui, notre environnement est à ce point artificiel que le temps cyclique de la nature semble disparaître de notre expérience directe des choses. Tout cela imprime une marque profonde sur notre culture dans sa perception du temps. » 12 Effectivement, l’homme se positionne sur une temporalité autre que celle de la nature. L’être humain ne veut pas vivre une expérience cyclique mais plusieurs expériences. Il crée un environnement artificiel où il peut influencer les courbes du possible, de l’imaginaire et du temps. L’industrialisation, cette culture matérielle de notre société actuelle et l’actualisation des découvertes et avancées techniques nous contraignent à nous surpasser sans cesse. Par conséquent, les objets produits modifient notre fréquence d’achat. Plus courtes, les durées de vie des objets influencent notre rythme de consommation. Les industriels nous incitent à posséder la nouveauté et donc alimentent notre désir de changer. Autrement dit, l’homme cherche à se surpasser et être dans la démesure. Ce désir est appelé pendant l’antiquité grecque « hybris ». Par définition, c’est le dépassement des limites. Ce terme était employé dans la mythologie grecque où l’homme voulait être égal ou bien supérieur à une divinité, c’est-à-dire un être surhumain. Aujourd’hui, il est encore bien utilisé et alimente notre culture. Ce

12 - Ezio Manzini, Artefacts, 1992.


25 sentiment de supériorité est un ressort très employé dans l’univers de la Science-Fiction notamment dans les œuvres cinématographiques : « Si le cinéma est l’art de reconstruire virtuellement l’espace et le temps pour donner l’illusion de la vie, il permet surtout à l’homme de réaliser ses rêves les plus fous, de passer du rêve à la réalité-cauchemar. » 13 L’homme aime rêver et sortir de sa condition. Par définition, ce genre cinématographique est une exploration imaginaire se composant d’hypothèses sur ce que pourrait être un monde futuriste ou issu d’une autre réalité, d’un autre espace/temps. Le plus souvent, les films caractéristiques du genre inventent et proposent des scénarios dystopiques. Celui-ci met en place à chaque nouveau film, des effets spéciaux qui rendent les scènes de plus en plus réalistes afin de convaincre les spectateurs que les transformations ont réellement été filmées. Prenons le film de science-fiction qui en inspira bien d’autres par la suite : Blade Runner réalisé par Ridley Scott en 1980. En 2019, un ancien policier reprend du service pour traquer et « retirer » un groupe d’androïdes créés par l’homme à son image, des « répliquants ». Des individus semblables à l’être humain ont pour but de l’aider dans les domaines militaire ou domestique. Plus ils sont évolués, plus leur durée de vie est courte. Cela n’est pas sans rappeler une réalité actuelle qui touche nos biens de consommation. Chaque élément caractérisé par des performances améliorées est sujet à être renouvelé et par conséquent être remplacé rapidement à son tour par un autre augmenté.

13 - TDC N° 847, Les Métamorphoses.


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Dans le film, une problématique se pose, les répliquants sont difficiles à distinguer. La peur de se tromper est un facteur important qui anime le héros tout le long du film. Les répliquants sont l’égal de l’homme et par conséquent remettent en question son statut. Vouloir se surpasser induit la peur de l’inconnu. Et comme dans le long-métrage, dans le domaine de la création, il faut savoir si l’on peut garder le contrôle sur sa création. Un objet doit-il

Blade Runner, Ridley Scott, Affiche originale du film, 1982. ©John Alvin


27 être capable de changer ? Identifié dans le film, dans le design, le créateur doit penser à l’impact écologique de l’objet. Le designer doit veiller à ce que l’objet n’engendre pas des dégâts imprévus. Nous constatons très souvent et trop tard, que ces précautions ne sont pas prises en compte et engagent des solutions palliatives ou de remédiation. Dans Blade Runner, nous constatons la responsabilité et le devoir de l’homme de chercher à reprendre le contrôle sur quelque chose qu’il avait délaissé. « Cette falsification de la représentation témoigne de la volonté humaine de dépasser sa condition en se faisant démiurge de la création. » 14 C’est une façon pour l’individu de scinder le rêve et la réalité. De cette façon, l’homme se permet l’impossible, changer le caractère éphémère de la vie. L’immortalité anime de nombreux fantasmes et idéologies. Échapper éternellement à la mort, à sa fragilité. Et l’homme transpose sa peur sur les objets, il extériorise ses craintes et ses peurs. Ce transfert émotionnel l’encourage a s’en défaire. Jean Baudrillard exprime cette idée « […], si les rêves ont pour fonction d’assurer la continuité du sommeil, les objets assurent la continuité de la vie. » 15 Se transformer n’est ce pas se détacher de toute temporalité. La mutation est ici un moyen d’expérimenter l’imaginaire, des possibles et établir des limites ou non. Changer, c’est également se singulariser. Volonté de fonder sa propre personnalité ou ne pas suivre les tendances. L’action de changer n’est-elle pas une façon de se différencier ? Comment le designer peut-il proposer des objets à la fois identiques et uniques ?

14 - ibid. 15 - Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968.


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CHANGER C’EST S’AFFIRMER

Stan Lee. 2011. ©DR

Pourtant, « Certains y croient et souhaitent en revenir à ce bon vieux temps qu’ils n’ont jamais connu : tant mieux pour eux ! » 16 Se dessinent alors deux versions : il y a les personnes qui se basent sur le passé et ce qu’il se faisait auparavant, et celles qui ont la volonté de changer, de vouloir s’affirmer différemment en tant qu’individu. L’objet sert de moyen intermédiaire, c’est lui qui va permettre à l’homme d’appartenir à des rangs sociaux différents, accéder à un statut social particulier, une appartenance à un groupe de même intérêt. La mutation est à l’origine de la différence. C’est elle qui peut réécrire l’identité génétique d’un individu et ainsi le rendre différent. Dans le design, la mutation permettrait-elle de créer des variations au sein d’une production ? En quoi cette transformation pourrait-elle modifier le caractère identitaire d’un objet ? La mutation peut être traduite différemment. Par exemple, dans les bandes dessinées américaines, les comics, la mutation a été pensée comme un super-pouvoir. The X-Men, créés par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby, dont les aventures ont été publiées dans les comics X- Men édités par Marvel Comics en 1963, traitent la question de la différence au sein de la population. Sur papier ou au cinéma, les X-Men sont un groupe de super-héros mutants. Dans leur univers, les mutations génétiques octroient des super-pouvoirs à une part croissante de la population. Ils sont appelés

The X-Men No. 1, Jack Kirby, 1963. ©Marvel Comics

16 - www.lesmutants.com, Le Manifeste Mutant, 2001.


29 « Homo Superior », le stade de l’évolution qui vient après les « Homo Sapiens ». Les aventures de ce groupe de « mutants » sont rythmées par le problème du rapport de l’homme à son évolution et de l’intégration des différences. Les mutants, eux, se répartissent en deux groupes : ceux qui croient à l’avantage de la différence et aux bénéfices du métissage des capacités ; et ceux qui se considèrent comme le stade évolué de l’homme et à ce titre, considèrent que ce dernier est condamné à disparaître car il ralentit l’émergence d’une nouvelle humanité. La population « normale » craint donc ces personnes différentes, uniques en leur genre. De plus, nous pouvons remarquer une certaine analogie avec notre système de production sérielle. Nous l’avons vu précédemment avec les expérimentations du designer Gaetano Pesce, la démarche est de créer des objets se détachant des autres issus du même processus de fabrication, en d’autres termes, introduire le seul caractère changeant dans une production. Cet objet rare alimente notre désir de posséder et par conséquent notre capacité à progresser. Mais c’est donc plus particulièrement la symbolique que nous donnons à cela qui lui permet d’exister. Le styliste turc, Hussein Chalayan propose, lui, un travail axé sur l’innovation et les nouvelles technologies, dans lequel il expérimente sur de nombreuses collections des créations changeantes. Pour la collection Printemps-Été 2000, la robe Airplane Dress composée de fibres de verre peut se commander à distance pour se déployer. Ici, le corps se trouve métamorphosé et contrôlé par la

Airplane Dress,

Hussein Chalayan, 2000. ©designboom.com


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technologie. Le créateur imagine des vêtements se modulant en y intégrant la technologie. Les pièces textiles se déploient ou rétrécissent sur le mannequin. Il intègre la technologie à l’intérieur de ses créations. En 2008, Issey Miyake 17 a imaginé avec son studio de recherche Reality Lab, la ligne de vêtement 132 5. Conçue en fibres textiles en polyester recyclé, cette seule pièce de tissu pliée peut une fois déployée, devenir une forme tridimensionnelle déclinable en robes, boléros, jupes ou bien même en sac. Le designer joue sur la métamorphose des formes pliées en vêtements lorsqu’elles sont portées. Cette nouvelle méthode de travail explore la relation de la couture et les logiciels de modélisation offrant un rapport particulier entre le vêtement et le corps humain. Ces exemples sont intéressants par la confrontation d’une matière et de l’utilisation de la technologie dans le but de faire muter leurs créations. En général, nous pensons qu’une mutation génétique se fait rarement au bénéfice de l’individu. Et que celle-ci va plutôt engendrer une maladie que développer des super-pouvoirs. Qu’en est-il réellement ? Par ailleurs, cette quête de l’identité se retrouve également dans notre rapport à l’objet, avec la volonté de posséder un objet unique. Toutefois, il est par son caractère « fini », éphémère. « Nous ne pouvons vivre dans la singularité absolue, dans l’irréversibilité dont le moment de la naissance est le signe. C’est cette irréversibilité de la naissance vers la mort que les objets nous aident à résoudre. »  18 Cet objet permet de résoudre le sens du cycle d’une vie humaine.

Robe 132 5, Issey Miyake,

2008. ©DR 17 - Styliste Japonais, né en 1938. 18 - Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968.


31 Par opposition, un objet peut parfois devenir gênant, car moins adapté ou ne nous satisfaisant plus. Il faut donc faire des choix. Comment la mutation peut-elle intervenir ? Est-il possible de modifier la finalité d’un objet ?

COMPLEXITÉ DE CHOISIR « Le seul fait de choisir, tel ou tel objet pour vous distinguer des autres est en soi-même un service social » 19 disait Stuart Mill en réaction à une société changeante lors des premières révolutions industrielles et où celles-ci proposaient une multitude de nouveaux produits. En proposant de la diversité, le consommateur est obligatoirement contraint de choisir. Par conséquent, le designer a une place prépondérante dans cette société qui le positionne comme créateur d’éventualités. Il doit pouvoir proposer des alternatives à quelque chose qui peut poser problème aujourd’hui. Le concepteur doit faire des choix et savoir sur quoi agir, quelles sont les raisons qui motivent tel choix plutôt qu’un autre ? Toutefois, comment faire un choix dans une société où nous avons l’impression que le « champ du possible » est infini ? Et cette grande diversité de connaissances pose la question de savoir si tout est susceptible de changer, de muter.

19 - ibid.


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En effet, le progrès participe à l’émancipation des moyens techniques mis à notre disposition et complique la tâche de choisir la bonne voie. Mais le choix invite le consommateur à élargir le désir d’achat. Jean Baudrillard explique « [qu’en] multipliant les objets, la société dérive sur eux la faculté de choisir et neutralise ainsi le danger que constitue toujours pour elle cette exigence personnelle. » 20 Et aujourd’hui, notre société utilise le choix comme un argument publicitaire, appelé la « personnalisation ». C’est une liberté personnelle prétendument offerte à l’acheteur. Prenons pour exemple, un projet qui précise bien cette liberté de possibilité due à une prise de conscience récente. En 2013, le designer hollandais Dave Hakkens a eu l’idée de créer un smartphone entièrement personnalisable, le Phonebloks. L’innovation consiste à se procurer une base unique pour le Smartphone auquel nous pourrions ajouter toutes les fonctionnalités de notre choix. L’objet est imaginé pour être adaptable aux besoins de chaque utilisateur. La base électronique est indispensable, sinon l’appareil ne fait pas le lien avec les différents éléments. Les « blocks » qui s’ajoutent paramètrent l’objet et le caractérisent. Nous obtenons des objets diversifiés issus d’une production en série. Serait-ce une alternative à l’obsolescence programmée ? Pas réellement. Le projet offre simplement la possibilité de ne plus jeter un ensemble mais seulement une « pièce du puzzle ». Cela ne résout donc en rien nos problèmes environnementaux, en particulier le nombre de déchets et la dispersion accrue des métaux

20 - ibid.


33 rares. La société d’aujourd’hui cherche la nouveauté, l’exclusivité et par conséquent un objet en perpétuelle évolution. Bien plus qu’un appareil pouvant se transformer au fil du temps, le téléphone n’en reste pas moins réceptif à la capacité de combler les désirs de l’utilisateur. C’est-àdire qu’il va appartenir à une typologie d’objets se rapprochant plus d’un accessoire de mode qu’à un téléphone. Néanmoins, Le projet Phonebloks entre dans la dynamique du marché actuel du mobile qui s’intéresse surtout à la miniaturisation et l’amélioration des composants. On peut donc considérer que l’objet propose un service jusqu’à présent non exploité et qu’il est « mutant » par sa configuration intelligente. Voilà une faculté novatrice pour cette typologie d’objet. Début 2016, Google, après avoir racheté le projet, commercialise son adaptation « marketing » le projet Ara. Le système a été repensé pour faciliter la volonté d’interchanger, modifier, reprogrammer le produit. De même

Phonebloks, Dave Hakkens, 2013. ©Dave Hakkens


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chacune des pièces affiche un motif différent. Pour finir, en plus de choisir initialement des fonctions on choisira des coloris ou des motifs. Au départ, le choix donné à l’utilisateur permettait de rendre unique et personnel un objet jusqu’alors standardisé et suggestif de rang social. Il était possible de se concentrer sur l’utilisation que chacun en faisait. C’est un principe de mutation adaptable au plus grand nombre qui était centré sur les besoins à assouvir. Ce choix est aujourd’hui animé par la dimension commerciale et marketing d’un type d’objet dicté par les tendances et autres effets de style, où chaque objet est amené à devenir une palette colorée démontable. On peut considérer cela comme un calvaire écologique dont la prise en charge n’est toujours pas communiquée par le géant de la recherche internet. Le choix ouvre sur des possibles, qui nous correspondent en tant qu’acheteur et utilisateur d’un produit. Nous pouvons faire la corrélation avec l’existentialisme, un mouvement philosophique qui explique entre autres que l’être humain forme « l’essence » de sa vie par ses propres actions, celles-ci n’étant pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. Ce mouvement considère chaque personne comme un être particulier maître de son destin, de ses actes, et des valeurs qu’il décide d’adopter. Alors, pouvons-nous remettre en question nos choix ? Choisir la mutation de tel ou tel autre objet permettrait-il de résoudre les contraintes environnementales dictées par l’obsolescence programmée ? En somme, le choix est-il irréversible ?


35 Ara, projet, Google, 2014. ©projectara.com



LA MUTATION DU DESIGN


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LA MUTATION ET LA RÉVERSIBILITÉ UNE RÉACTIVATION DU DÉSIR Nous sommes emprisonnés par nos habitudes qui nous conditionnent. L’objet y contribue car il matérialise les désirs de l’homme. « L’objet devient d’ailleurs immédiatement support d’un réseau d’habitudes, point de cristallisation de routines du comportement. » 21 Le design est une recherche sans cesse de nouveauté et ainsi de renouvellement. Pour les objets, la durée de vie est par conséquent de plus en plus limitée. De ce fait, les produits demandent une mise à jour continue. Comment la mutation permet-elle un renouvellement de nos biens de consommation ? Par quels moyens peut-on changer le regard porté sur ces produits ? Pour rappel, en biologie, la mutation est causée par l’intervention dans le système organique par un élément extérieur à celui-ci. C’est cet élément qui parvient à la modification génétique de l’ensemble. À l’instar de cette modification, le designer vient lui aussi intervenir dans la création de l’objet. Jurgen Bey, designer ayant travaillé avec l’agence de design hollandaise, Droog Design, a imaginé une série de combinaisons de meubles Kokon Furniture. D’anciens meubles, comme une table et une chaise sont assemblés par le biais d’un matériau, qui comme une peau élastique recouvre le mobilier. L’empaquetage donne une interprétation des fonctions à la fois distinctes mais inutilisables par le biais de formes lissées par l’enveloppe en Polychlorure de vinyle. Ce revêtement, faisant coha-

21 - ibid.


39 biter les pièces disjointes, permet de redéfinir la forme et par conséquent l’identité de l’objet. La mutation est rendue possible par une matière. Cette combinaison de deux objets identifiables (au départ) a pour résultat un objet « hétéroclite », c’est-à-dire, un objet mélangeant différentes caractéristiques et donc effaçant l’état initial. La mutation est ici un processus de redéfinition. Elle propose quelque chose d’inconnu. Par conséquent, la mutation est utilisée comme un facteur de nouveauté. Le travail de la designer hollandaise n’est pas sans rappeler celui de Christo et Jeanne Claude. Leurs œuvres consistent à recouvrir des monuments entiers afin de les cacher aux yeux du public. Ce processus permet aux visiteurs, après le déballage des bâtiments, de poser un regard neuf sur les édifices. En effet, l’action de déballer le sujet, de lui

Kokon Furniture, Jurgen Bey, 1999. ©droog.com


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rendre son apparence, restitue l’aspect stimulant originel de ce dernier. L’objet est identique mais le désir de celui-ci est réactivé. Cette mutation est une modification de la perception réversible. Par cette technique, le designer peut donc choisir d’actualiser l’intérêt porté sur l’objet et influencer l’acte de possession. En gardant l’existant et en utilisant un élément extérieur à la création initiale, l’objet est reconsidéré. Nos habitudes et lassitudes ne sont plus.

Pont Neuf, Christo et Jeanne Claude, 1985. ©DR

Le design emploie dans ce sens des procédés qui réengagent une surprise. La mutation ici suggérée est traitée de façon différente par chaque designer, mais suggère l’idée de créer une nouvelle image de l’objet. La mutation de celui-ci réinstaure sa convoitise. Et si dans le design, l’apparence avait un rôle important dans l’identification de l’usager par rapport à l’objet ? Mais l’esthétique est-elle le seul paramètre à prendre en compte dans la compréhension d’un objet ? En effet, le designer ne pourrait-il pas créer des « objets panoplie » ? C’est-à-dire, des objets offrant un ensemble de possibilités d’usage. Certes, le designer peut valoriser l’esthétique de son objet, mais il est plus intéressant de donner une fonction à cette valeur esthétique : elle peut être un moyen de créer la surprise par exemple, et de remettre en cause l’usage de nos objets quotidiens. Attirer l’œil de l’usager peut être une sorte de stratégie, ce n’est pas une fin en soi.


41 UN STATUT DÉGUISÉ L’intervention de la mutation est diverse. Naturelle ou artificielle, elle intervient à différentes échelles et propose de développer une nouvelle capacité liée à un milieu, engendrer le changement d’une couleur identitaire ou bien améliorer ses aptitudes défensives. La mutation, ce changement, se caractérise également par des métamorphoses. La métamorphose, du grec méta- : « après », « au-delà de » et morphê : « la forme », est un changement de forme, de nature ou de structure si importante que l’être ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable. Observable par exemple dans la nature avec la chenille qui se « métamorphose » en papillon, mais ayant cherché à l’appliquer à d’autres domaines, elle peut se traduire également au théâtre par le rôle du costume.

Costume, Plus que parfait… Corps augmenté en scène. Bordeaux, 2015. ©Valentin Penault


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Lors de l’exposition bordelaise Plus que parfaits… Corps augmenté en scène, a été présentée une rétrospective des différents costumes et accessoires, issus de diverses pièces et cultures. C’est pour rendre vraisemblables ces corps éphémères qui n’existent que sur scène, que les acteurs portent toutes sortes d’objets qui participent à augmenter, modeler, le corps du comédien, du chanteur, du danseur. Ainsi, le personnage représenté est un corps qui ne peut advenir que dans l’éloignement, voire la négation du corps naturel. Les tenues des personnages sont très importantes sur scène et doivent être au plus juste. Les costumes qui transforment la silhouette de l’artiste permettent au spectateur de rêver, de laisser de côté ce qu’il connaît pour se laisser transporter dans les pièces de théâtre, opéras, et concerts. « La réalité n’est pas ce que l’on croit. Tout est faux et tout est vrai. » 22 L’objet relève ici des artifices, ruses, comme des pièces d’un automate, des prothèses de corps mutants, sans quoi la magie n’opère pas. Si bien qu’il est important de garder l’illusion dans le but de donner au spectateur l’impression de réalité. C’est cela, la métamorphose via le costume, est une mutation éphémère qui voit l’image du corps transformée. Sa représentation formelle mais aussi sémantique. Le corps dit autre chose, le corps est autre chose. Son statut est « déguisé » en un autre. Il faut néanmoins faire la différence entre « l’objet vêtement » et le costume, c’està-dire « l’acte de vêtement » 23 c’est-à-dire la différence

22 - Extrait de l’exposition, Plus que parfait… Corps augmenté en scène. Bordeaux. 2015 23 - Propos de Roland Barthes, Denis Fleurdorge, Du vêtement en général et celui de l’exclusion en particulier, Le sociographe, n° 17, 2005


43 entre le vêtement exprimant la personnalité d’une personne, et l’apparence qui peut être parfois trompeuse. « Mais voilà, qu’en apercevant brusquement dans la glace, il ne s’était pas même reconnu ; il s’était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu’il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d’œil. » 24 Guy de Maupassant raconte bien dans son livre, les effets du costume sur celui qui le porte. Le designer peut utiliser un costume pour la conception de produits. Matali Crasset imagine en 2000, la Table Travestie, un objet adapté à trois usages d’une table 25. La créatrice dessine donc trois nappes qui viennent recouvrir une table classique. La housse va signifier et spécifier un scénario usuel interchangeable suivant l’occasion. Celle-ci travestit la table, un objet devenu pluriel symbolisé par ses couvertures colorées fonctionnelles. Cette création matérialise l’état changeant de la table en fonction des trois scénarii d’usage car dans les petits appartements la table sert à la fois de table de réception, de plan de travail, de bureau, etc. Une table est faite pour y réaliser de nombreuses actions et avoir plusieurs utilisations. En somme, l’objet est ici mutant par ses services multiples soulignés par des « habits » identitaires interchangeables.

24 - Guy de Maupassant, Bel ami, 1885 25 - n° 1 Je cuisine, n° 2 Je reçois, n° 3 Je travaille.

Table Travestie, Exposition Matali Crasset, Un pas de côté, 2002. © DR


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Donc le statut des objets peut muter. Du moins, l’ajout de quelque chose de plus vient « augmenter » le sujet. À l’inverse, il existe d’autres exemples où les comédiens d‘une pièce ne possèdent aucun accessoire pour transformer leur corps. En effet, L’artiste, David Bowie 26, joua le rôle-titre dans la pièce de théâtre The Elephant Man. Le chanteur ne possédait pas de masque ou de prothèse pour jouer le physique particulier de Joseph Merrick. L’artifice n’est donc pas systématique pour muter. De ce fait, un objet a-t-il la nécessité de modifier son aspect, son allure, sa forme pour entrer en mutation ?

DE LA RÉINTERPRÉTATION À L’HYBRIDATION La mutation est-elle obligatoirement une modification physique et génétique d’un être ? L’objet, ou plutôt, son David Bowie dans le premier utilisation peut être également amené à subir des chanrôle pour The Elephant Man, gements suivant notre utilisation. Les Monty Python, 1980. ©Ron Scherl groupe d’humoristes britanniques ont réalisé leur premier film original en 1975. Sacré Graal ! est un film qui inventa l’un des gags devenus cultes au cinéma. Parodiant la légende arthurienne, avec un budget limité, le film fut tourné sans chevaux. Pour les remplacer lorsque le scénario incluait des chevaliers et leurs montures, les acteurs mimaient la chevauchée à pied, tandis que les écuyers tapaient deux demi-noix de coco l’une contre l’autre pour imiter le bruit des sabots. Pourtant l’objet est complètement contradictoire avec le contexte du film, c’est son

26 - Connu également pour ses nombreuses transformations physiques et looks différents qu’il a pu revêtir.


45 détournement qui en assure la force comique. La déficience d’un budget, devient ici comique. L’objet utilisé est hyperadaptable. Il peut dire autre chose afin d’alimenter un récit. Cette alternative montre bien ici qu’un objet peut être et dire autre chose sans changer formellement. Les propriétés acoustiques de ses demi-fruits à coques engendrent une nouvelle fonction. L’usage que l’on fait de l’objet est très déterminant sur la valeur que l’on va lui donner. Ces objets participent au comique de situation. Ils sont donc des objets scénarisés, mis en scène afin de renforcer leur impact auprès du spectateur. Plus l’objet correspond harmonieusement bien aux usages que l’on en fait, plus dans ce cas, il aura une valeur différente aux yeux de son propriétaire. « Il leur semblerait parfois qu’une vie entière pourrait harmonieusement s’écouler entre ces murs couverts de livres, entre ces objets si parfaitement domestiqués qu’ils auraient finis par les croire de tout temps créés à leur unique usage, entre ces choses simples, douces, lumineuses. » 27 Alors l’utilisation d’un objet est multiple, redéfinissable et interprétable. Celui-ci développe plusieurs fonctionnalités. En poussant cette adaptabilité à l’extrême, nos objets peuvent donc devenir hybrides. Pour rappel, l’hybridation est le croisement de deux individus de deux variétés, sous-espèces (dit croisement « intraspécifique »), espèces (croisement « interspécifique ») ou genres (croisement « intergénérique ») différents. Provoquée par l’homme ou non, elle est utilisée, par exemple, pour créer de nouvelles variétés de pommes, en

27 - Georges Perec, Les Choses, 1965

Sacré Graal ! Monty Python, Affiche originale du film, 1975. ©DR


46 Chimères d’objets, Agence L’air de rien, 2006. ©DR

croisant deux variétés existantes ayant des caractéristiques intéressantes. L’hybride présente un mélange des caractéristiques génétiques des deux parents. Les chimères d’objets de l’agence L’air de rien, sont pensées comme des animaux fabuleux qui sont composés de parties hétérogènes. Les réalisations utilisent donc des objets, ou parties d’objets du quotidien, assemblés. En les associant, l’agence crée de nouveaux usages qui engagent une réflexion autour de la réutilisation de produits sans en produire de nouveaux. Nous pouvons alors parler « d’objets valises » comme nous pouvons parler de « mots-valises » 28 en linguistique. Les Animali Domestici d’Andrea Branzi caractérisent bien aussi cette hybridation par le mobilier aux deux matériaux de même nature mais d’états opposés : d’un côté du bois industrialisé et de l’autre des pousses de bois. Cette association s’abstient volontairement de couleurs et de motifs décoratifs. La série d’objets se caractérise par des formes radicales et naturelles jointes au seul matériau, le bois. La valeur sentimentale et unique de cette collection l’emporte sur la valeur fonctionnelle de l’objet. « Car l’objet, lui est un animal domestique parfait. […] L’objet est ce qui se laisse le mieux « personnali-

28 - Création verbale formée par le télescopage de deux (ou trois) mots existant dans la langue. cnrtl.fr


47 ser » et comptabiliser à la fois. […] Et c’est un miroir parfait, puisqu’il ne renvoie pas les images réelles, mais les images désirées. » 29 Grâce à la mutation, l’usager aurait la liberté de sélectionner les caractères les plus avantageux pour ses besoins, de les joindre et ainsi de posséder des produits « sur-mesure ». Sélection et hybridation sont la grande majorité de notre nourriture aujourd’hui cultivée dans le monde. C’est le résultat d’un nombre considérable de mutations génétiques successives que celles-ci ont rendu non seulement plus productive mais aussi mieux adaptée à différents usages, à différentes conditions d’exploitation. Parallèlement, l’objet doit répondre à de nombreuses contraintes, comme son adaptation à un milieu et les besoins de son utilisateur. De plus, « muter » est une pratique naturelle de l’évolution. De ce fait, la mutation peut donc être une réponse aux besoins d’un objet durable. Alors comment l’intégrer dans le processus même de conception d’un produit, afin de pouvoir imaginer des objets aux changements récurrents ?

29 - Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968

Animali Domestici, Andrea Branzi, 1985. ©DR


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LA MUTATION COMME MODE OPÉRATOIRE DANS LE DESIGN UN ÉLÉMENT PERTURBATEUR Nous l’avons exploré au départ, il y a mutation à partir du moment où un élément extérieur intervient dans le code génétique d’un organisme. C’est le point essentiel et déclencheur de la mutation. Dans notre production de grandes séries, les pièces, présentant un défaut dû au mauvais calibrage ou un dérèglement au cours de la fabrication, sont rejetées comme pièces « défectueuses » ou présentant des imperfections déterminées d’après les normes fixées par le fabricant. Ces pièces sont reléguées au rang de rebuts alors qu’elles présentent des singularités intéressantes. En 2005, dans le cadre de la Nouvelle Biennale de Châteauroux, « Céramique dans l’art contemporain », le projet Ouvriers-Designers commandé par Frédéric Bodet a été réalisé avec les 5.5 Designers dans les ateliers de la société de céramique Bernardaud. Les jeunes créateurs sont intervenus dans la chaîne industrielle de la manufacture, afin de proposer une nouvelle production en série, la réinterpréter et ainsi établir un processus de conception innovant. Leur idée est d’interroger le geste des ouvriers et de les placer en tant que facteurs réels de créativité. Revenir au statut d’artisanat tel que l’entendaient les Arts & Craft. John Ruskin défendait l’idée que créer, c’est se réaliser en tant qu’être et que donc le geste


49 et l’identité des artisans devaient être privilégiés pour qu’ils se réalisent dans leur travail. Cet exemple montre une vision différente d’une production industrielle qui sépare le créateur de la production finale. Cette démonstration explore une nouvelle facette du design, un design non plus pour « faire du beau » mais un design qui questionne sur la façon même de concevoir. De plus, les compétences artisanales employées ne trouvent plus leur légitimité dans un contexte de mutation économique. La démarche des 5.5 designers est essentiellement humaine : elle vise à mettre en valeur le savoir-faire des ouvriers d’une manufacture, mais aussi, au-delà d’une tâche répétitive et soignée, à leur proposer d’exprimer une liberté, une revendication, une prise de distance sur ce qu’ils font habituellement, machinalement. Cette collection est en fait une expérience inédite de créativité instantanée qui donne naissance à des objets « mutants ». Ce sont des objets qui ne répondent plus aux conventions d’une société automatisée où chaque produit est standardisé, calibré, répondant à une norme. Cela peut engendrer des libertés de créativité chez l’utilisateur pendant le temps où l’on possède l’objet. Si la capacité de muter est pensée lors de la conception de l’objet, ce dernier peut répondre aux envies divergentes durant la vie de l’utilisateur.

Anse de côté, Ouvriers-Designers, 5.5 Design Studio, 2005. ©DR


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Dans le design comme en biologie, la mutation doit introduire une pensée créative ou un caractère unique. D’ailleurs « créer » vient du latin « Creare » qui signifie « tirer du néant », « faire advenir » ; en génétique, ce caractère unique fait partie du critère de sélection dans toutes les familles animales. Il est déterminant pour l’émancipation de l’espèce. De même, l’élément (caractère unique) qui vient perturber l’ADN devra montrer sa résistance au milieu dans lequel il va évoluer. En effet, les « mutants » sont également le résultat d’un changement encouragé par la survie d’une espèce dans un environnement lui aussi mouvant.

Empilement, Ouvriers-Designers, 5.5 Design Studio. 2005. ©DR


51 OBJETS MUTANTS ET OBJETS LIÉS AU MILIEU C’est en 2008, que Katharina Mischer et Thomas Traxler imaginent un processus autonome de production qui combine l’intervention de la nature et un procédé mécanique. The idea of tree est une conception nomade, entraînée par l’énergie solaire qui traduit l’intensité du soleil en données exploitables pour la construction d’un seul objet par jour. L’objet est l’image des différentes conditions d’ensoleillement qui se produisent lors d’une journée. Comme un arbre, l’objet est un enregistrement en trois dimensions de son développement par rapport au temps de la création. La machine ne commence à enregistrer le processus qu’à partir du moment où le soleil se lève, et s’arrête quand il se couche. Après le coucher du soleil, l’objet fini peut être « récolté ». Il se développe plus ou moins lentement, en utilisant un fil qui passe à travers un dispositif de coloration et un bassin de colle pour enfin s’enrouler autour d’un gabarit. La longueur/hauteur de l’objet résulte et dépend des heures d’ensoleillement de la journée. L’épaisseur de la couche et la couleur réagissent en fonction de la quantité d’énergie émise par le soleil. Le processus répond non seulement aux différentes situations météorologiques, mais aussi aux ombres des nuages qui peuvent passer au-dessus de la machine. Ici, le produit est le fruit d’une production propre à un milieu. Il est comme un individu vivant dans des conditions réelles (spatiales et temporelles) s’adaptant à son biotope. Nous ne parlons


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pas d’objet en mutation mais d’un objet mutant. Par son procédé, l’objet a subi une mutation. Il a changé sa constitution, sa couleur, sa solidité par rapport à un temps et un espace précis. Pourtant, les objets obtenus ne sont pas pour autant des objets à changer de nouveau. C’est un processus complexe pour les modestes abat-jour produits. Néanmoins, le produit se détache de toute contrainte consumériste avec des processus de fabrication définis et par conséquent un temps accéléré pour répondre à une société de surproduction.

The idea of tree, objets, Katharina Mischer & Thomas Traxler, 2008. ©DR

Ainsi, ce projet explicite l’intérêt de prendre du recul sur notre rythme de production mais également de penser à des objets endémiques, c’est-à-dire, des objets caractéristiques d’un environnement défini. Une espèce endémique est une espèce « qui sévit constamment dans un pays, un milieu ». L’objet devient mutant par un procédé ou par les conditions imposées par l’homme lors de sa conception, mais a-t-il la capacité de « muter » de lui-même ?


53 The idea of tree, dispositif Katharina Mischer & Thomas Traxler, 2008. Š DR


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MATÉRIAU EN MUTATION L’objet mutant, précisément ne pouvant plus de nouveau muter, ne dure qu’un temps. L’objet est issu d’une mutation, il la subit. Il est donc mutant mais dans sa forme finale. L’intérêt ne serait-il pas de réaliser un objet en mutation, que nous pourrions faire évoluer puis changer et encore muter ? On peut penser aux polymères. Le plastique est un bon exemple de « matière magique » 30 transformable et qui donne une liberté mystérieuse d’applications diverses. Roland Barthes le décrypte comme ceci : « Ainsi, plus qu’une substance, le plastique est l’idée même de sa transformation infinie, il est, comme son nom vulgaire l’indique, l’ubiquité rendue visible ; et c’est d’ailleurs en cela qu’il est une matière miraculeuse : le miracle est toujours une conversion brusque de la nature. Le plastique reste tout imprégné de cet étonnement : il est moins objet que trace d’un mouvement. » 31 Ce matériau est en effet dans l’impossibilité sauf exception seulement de figer une forme. Par sa production massive, il n’a pas de transformation infinie mais des applications polluantes nombreuses. C’est un mirage et non une réalité. Au contraire, les matériaux organiques utilisés récemment dans la réalisation d’objets permettent une vision prospective sur les applications industrielles. Cette matière vivante s’adapte dans le propre entourage de celle-ci. Enfin, elle encourage la possible intervention de l’homme de modifier l’objet par la suite.

30 - Roland Barthes, Mythologies, 1956 31 - ibid.


55 En collaboration avec des scientifiques de l’Université de Aachen, Eric Klarenbeek développe la Mycelium Chair, une nouvelle facette de l’impression 3D avec l’impression d’organismes vivants. Le designer a utilisé des matières premières expérimentales : substrat organique pour la culture des champignons et les bio-plastiques. Cette chaise est mutante par sa qualité vivante, visible par l’intervention de champignons qui viennent proliférer à sa surface. De plus, ces derniers peuvent être récoltés localement, réduisant ainsi le transport de la matière première. En combinant l’utilisation des ressources locales et de la production, il devient possible de créer également des produits avec une empreinte carbone positive. De plus, l’objet ne gaspille pas de matière première car il pousse sur et dans le support. C’est une des règles de la nature, il n’y a rien de superflu. Ce fauteuil utilise très peu d’énergie pour produire l’objet hormis l’impression en 3D. La prolifération des champignons à la surface du fauteuil lui confère la capacité de consommer autrement l’objet.

Mycelium Chair, Eric Klarenbeek, 2014. ©DR


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Enfin, ce sont donc des objets dont on a pris en compte la durabilité et la capacité du matériau à se bio-dégrader. Les modifications pouvant faire muter des objets pourraient être entreprises par le matériau lui-même. La mutation incarne le changement de nature d’un état initial. Par quels moyens et comment le designer, soucieux de l’environnement, peut-il proposer des objets du quotidien en mutation ? Avec et pour qui ? Mycelium Chair, Eric Klarenbeek, 2014. ©DR


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UNE INTERVENTION DURABLE ET RESPONSABLE


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DES CHANGEMENTS PROPICES À LA CRÉATION EXPÉRIMENTATIONS DE LA MUTABILITÉ DE L’OBJET ET DE SES USAGES À ce stade de la recherche, il est temps de se demander en quoi la question de la mutation peut amener à une pratique responsable qui dépasse le caractère anecdotique que peut prendre un objet composable. C’est-à-dire, un assemblage de divers éléments, de natures différentes, qui n’enrichissent pas l’usage ni la durabilité de l’ensemble. Nous l’avons vu, la mutation va au-delà de cela. Son apparition est ciblée et change la nature de l’individu. La mutation ne doit pas entrer dans un processus gratuit ou bien s’inscrire dans une tendance ou une mode à la manière d’un objet « déco ». Il ne faut pas que le rôle du designer se résume à la mise en place d’objets futiles, proches du gadget qui ne produisent aucun sens et qui bien évidemment, ne répondent pas à une problématique de design, au sens vertueux de service rendu. La mutation étant un terme aux multiples facettes, il est important en tant que designer de choisir un positionnement. Pour cela, notre recherche a débuté par l’exploration du terme « mutation » dans le but de faire des transferts fonctionnels et plastiques dans le design.


61 En génétique, la mutation peut être identifiée par trois types de mutations dites « ponctuelles » : - Mutation par « substitution », un changement d’une base (cellule) par une autre. - Mutation par « addition », l’insertion d’une base supplémentaire à celle existante. - Mutation par « délétion », la perte d’une ou de plusieurs bases.

Mutations ponctuelles schématisées. ©Valentin Penault

Ces points d’entrée ont dirigé mes recherches d’abord formelles puis fonctionnelles. Le but était de sonder ces types de changements sur des objets de notre quotidien. Par ailleurs, ces modifications à échelle chromosomique intervenant dans la nature, ont interrogé ce qui structure l’objet, la matière. La céramique, matière ancienne et tou-


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jours employée dans la conception de nos biens actuels, propose des entrées multiples, par ses différentes phases de mise en forme ou l’aléatoire peut s’immiscer. Mais aussi pour sa plasticité, sa prédisposition malléable. C’est donc par ces premiers choix que j’ai débuté ma recherche. En utilisant la technique de moulage par « coulé-revidé » avec un moule en plâtre, les pièces obtenues sont des traductions littérales des trois types de mutations préalablement citées. La tasse et le vase, deux objets contenants, sont réinterprétés en passant par diverses actions. Par exemple, nous avons remplacé la structure de l’objet afin d’induire une autre application ou encore multiplier un modèle pour additionner les usages. Enlever les caractéristiques d’une pièce engendre une incapacité de remplir la fonction initiale et donc de détourner son usage. Ces modifications inspirées de mutations génétiques, permettent d’identifier la question de l’usage de tels objets. Il est nécessaire de rappeler le travail d’Anne Xiradakis qui a inspiré ma pratique. En 2004, la designer basque a imaginé pour le restaurant trois étoiles du chef Guy Savoy et avec l’entreprise Bernardaud, un ensemble de pièces en porcelaine qui envisage de nouvelles relations entre le contenu et le contenant, où contenu et contenant « cohabitent ». Elle fusionne et combine des objets semblables afin de réinventer la dégustation de mets. L’objet a muté par la multiplication de la forme usuelle et propose donc un assemblage de nourriture. Ce service propose une interprétation formelle de l’association d’un plat, le plus

Réalisations personnelles autour des mutations ponctuelles, grès, 2016. ©Valentin Penault


63 souvent, viande et garnitures. Chaque aliment est signalé dans son espace réservé. Le rapport contenant-contenu est réinterprété. Ceci démontre bien l’importance qu’a le contenu pour l’objet qui va le contenir. Anne Xiradakis mêle aussi scénarios et service de table. Les cafés éphémères qu’elle a organisés également proposent une nouvelle scénarisation de ce moment où les individus partagent ensemble un repas. Ici les objets combinés s’intègrent dans un contexte propice à la fusion d’objet. Ce service évolue lors d’un repas, c’est un moment vécu à plusieurs, avec différentes temporalités (l’entrée, le plat ou encore le dessert). La nature mutante d’un tel service prend donc en considération l’usager et son environnement, en somme, le cadre dans lequel peut évoluer un produit mutant. Cela établit l’une des questions auxquelles nous devons répondre à cette étape de la recherche. Service Guy Savoy, Anne Xiradakis, 2004. ©Laurence Mouton


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L’objectif de cette action de recherche en design est principalement de créer des objets durables. Posséder des objets qui changent de fonction suivant les variations de nos utilisations, c’est éviter de jeter des objets devenus obsolètes et/ou encombrants dans notre quotidien. C’est sortir notre bien de son caractère « fini » ou « immuable », en d’autres termes immodifiable. Mais c’est surtout s’interroger sur leur place dans notre quotidien. Avoir des objets évolutifs, c’est se questionner sur nos besoins et la valeur donnée aux objets qui nous entourent. En tant que designer, c’est savoir dans quelles situations et pour quels services nous aurions besoin d’objets mutants. C’est se questionner également sur la proximité entre l’individu et l’objet. Enfin, c’est se poser la question de l’éventuel degré d’intervention de l’usager vis-à-vis d’un tel objet.

Service Guy Savoy, Anne Xiradakis, 2004. ©Laurence Mouton

Depuis soixante-dix ans, l’évolution de notre société de consommation a modifié les comportements de l’individu. Ceci pourrait être une entrée en matière pour ainsi déterminer l’usage de ces objets mutants.


65 NOUVEAUX REGARDS SUR L’INDIVIDU Ces notions d’adaptation, d’évolution ou de sélection sont des termes préalablement définis dans ce mémoire qui sont intégrés dans le processus d’expérimentation. Pour rappel, nous avons bien identifié cela : nous dépendons de la qualité du milieu dans lequel nous vivons et évoluons. L’homme a besoin de s’adapter à son environnement afin d’y prospérer et y survivre. En revanche, nos modes de vie se basant sur l’accélération de notre modèle de production et notre préoccupation environnementale questionnent notre adaptation. Le philosophe Gilles Lipovetsky nous éclaire sur le parcours que l’Homme a adopté concernant son accommodation. Il développe dans L’ère du vide, le statut d’individu hypermoderne né d’une seconde révolution individualiste. Ce nouveau cycle de la culture est une conséquence de la consommation et de la communication de masse à partir des années 5O. Nous assistons donc à une revalorisation de l’individu autonome, libre, qui considère le monde en « self-service ». Cet « autogouvernement de soi », autrement dit, la possibilité de construire sa propre vie est motivée par le règne du désir éphémère instauré par la consommation à grande échelle. Le corps social est donc tourné sur l’épanouissement de lui-même. « Aujourd’hui nous vivons pour nousmême, sans nous soucier de nos traditions et de postérité : le sens historique se trouve déserté au même titre que les valeurs et institutions sociales. »

32 - Gilles Lipovetsky, L’Ère du vide, 1983

Consommation

Désir Sensation de vide

Schéma du modèle consumériste. ©Valentin Penault


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L’individu ne devrait-il donc pas tourner son regard sur autrui plutôt que d’alimenter son « narcissisme contemporain » ? En effet, nous ne ressentons plus aucune émotion durable. Celle-ci est en partie due à la surabondance d’informations et la rapidité avec laquelle elles nous parviennent. La mutation peut-elle réengager l’utilisateur dans une possession réfléchie, donc durable, plutôt que dans une consommation outrancière ? 32

PALETTA, Antonio Cos, 2003. ©Emanuele Biondi

Prenons le cas de l’héritage et plus précisément la responsabilité de ce que l’on va pouvoir laisser derrière soi, ce que l’on va laisser à l’autre, est de plus en plus pensé comme insignifiant. Que puis-je laisser à mon successeur ? Aujourd’hui, l’individu consomme le bien en ignorant la possibilité de le transmettre à un autre. Au départ, l’héritage est un moyen de prendre connaissance de ses origines et de transmettre un patrimoine. Cela est vu comme un acte de partage constituant la marque d’une identité unique. De plus en plus, cette vision tend à se perdre. Pour exemple, les quelques biens récupérés, comme des services de table, n’ont plus qu’une simple valeur d’estime et sont rangés au fond d’un placard, si ceux-ci y logent encore. La fonction pour laquelle ils ont été conçus ne perdure pas. Ce processus est également motivé par la courte durée de l’usage de nos biens. Les objets du quotidien sont devenus jetables et remplaçables, laissant peu de trace des actes des usagers les ayant possédés. Ceci est également lié à l’éphémérité de la satisfaction. C’est-à-dire l’éternelle inadaptation de nos objets et de nos environnements. C’est ce que le philosophe Gilles


67 Lipovetsky appelle le bonheur paradoxal. Cette question est on ne peut plus actuelle puisqu’elle résonne aussi pour l’avenir durable de notre planète. En effet, nous consommons plus que ce qu’elle produit. L’héritage, comme d’autres événements ou rituels, autrefois liés à la religion, ne sont plus aussi présents. Aujourd’hui l’individu perd de plus en plus d’intérêt et d’implication pour ces moments. Le designer peut-il aider à accompagner ce changement de valeur donné à des événements comme celui-ci ? Cette recherche de recontextualisation d’objets relative à des situations, nous la retrouvons également dans le travail du designer Antonio Cos avec sa collection Déjà vu. Son travail rassemble une combinaison de plusieurs contenants empruntés à des marques du quotidien. Les objets obtenus permettent à l’utilisateur de poser un nouveau regard et un usage différent pour des contenants banals. Par cette expérimentation, le designer propose donc de réinventer les usages, du corps d’une bouteille en carafe, d’une demi-bouteille en pelle pour la farine ou encore deux bouteilles en une pour s’en servir comme rouleau à pâtisserie. Les objets, auparavant utilisés pour contenir du liquide, se voient trans-

Déjà vu, recherche, Antonio Cos, 2009-2011. ©Max Rommel


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formés et adaptés dans divers scénarii. Ces situations sont généralement vécues car elles sont généralement liées à des objets spécifiques et peu utilisés dans notre quotidien, comme avec le rouleau à pâtisserie. Ce travail fait également écho à l’investigation que j’ai effectuée sur l’usage des « demi-objets ».

½ Service, grès émaillé, 2015. ©Valentin Penault

Les moitiés de pièces moulées sont séparées ou assemblées avec d’autres pour imaginer une nouvelle utilisation. Ces demi-parties proposaient à l’utilisateur de requestionner les fonctions initiales d’objets connus par le biais de leur moitié. C’est une façon de l’impliquer dans l’appropriation d’une demi-bouteille par exemple. En tant que designer, nous devons nous intéresser à l’individu, futur utilisateur, sujet à des variations de statuts. Car nous sommes le résultat d’une longue adaptation qui nous amène, en tant que personne, à nous construire, nous redéfinir, nous rechercher, à combler nos besoins.


69 Au cours de notre vie, nous changeons. Après nous être intéressés à l’individu et sa condition, nous allons analyser les paliers de maturité et de sociabilité qui génèrent chez une personne des bouleversements importants ainsi qu’au sein de son environnement matériel. Comment le designer peut-il répondre aux problématiques découlant de ces bouleversements ?

DES BOULEVERSEMENTS HUMAINS CRÉATIFS Les changements qui rythment nos vies sont importants à analyser si le designer veut intégrer les objets mutants dans nos quotidiens. Nous venons de voir avec le propos de Gilles Lipovetsky que l’attention de l’individu semble se singulariser. Néanmoins, cette tendance est plutôt encouragée par les mouvements sociaux importants, avec la mise en place de nouveaux modèles économiques tournés vers le partage et la solidarité comme l’apparition de Fab Lab. Cette autonomie singulière est donc susceptible de se modifier. Elle est également déterminée par les changements de nature rencontrés dans une vie. Ces changements engendrent une modification de l’entourage matériel de l’individu. Nos objets du quotidien, à l’instar des services de table, sont amenés à être inutilisés dans nos intérieurs mouvants. La mutation aurait-elle la capacité de réduire la part d’inutilité au cours de l’existence de nos objets du quotidien ?


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Cette part d’inutilité présente à un instant dans chacun de nos objets est synonyme d’encombrement. Le philosophe Tchèque, Vilem Flusser considère que les objets sont des obstacles à l’élimination des obstacles. C’est-à-dire, que tout objet, ayant servi et ne répondant plus à la situation de l’individu, doit être jeté car devenu inutile. L’auteur explique que le produit résulte d’une élaboration complexe incluant une multiplicité d’acteurs. L’objet est jeté à cause d’« une situation de totale irresponsabilité face aux actes résultant de la production industrielle. » 33 L’objet usuel, est un objet dont on a besoin et que l’on utilise pour « écarter du chemin » d’autres objets. Par conséquent, une fois que l’objet a répondu au besoin, l’objet passe du statut d’aide à la résolution d’un besoin à celui d’encombrant, d’obstacle. Et c’est ici que l’auteur place la responsabilité du designer comme responsable de l’embarras matériel du monde car c’est lui qui invente ces objets qui en remplacent d’autres. Le facteur durable d’un objet est donc relativement important à prendre en considération. Comment permettre à l’objet d’allonger son service rendu à l’homme ? Prenons l’exemple de l’adolescence. Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste française, parle du complexe du Homard. « L’enfant se défait de sa carapace, soudain étroite, pour en acquérir une autre. » 34. Pour un produit, c’est avoir la possibilité de réactualiser son désir. C’est ce que j’ai pu expérimenter dans une de mes recherches avec la céramique. En superposant des couches successives de barbotine cuite l’une après l’autre, nous obtenons

33 - Petite philosophie du design, Vilem Flusser, 2002 34 - Paroles pour adolescents ou le Complexe du homard, Catherine Dolto, Françoise Dolto, 1992


71 des surfaces stratifiées dissociables. Une tasse peut posséder plusieurs couches pour proposer des séparations et plusieurs niveaux de lecture. En effet, chaque sédiment successif propose de représenter la personnalité de l’usager. Cet objet donne la possibilité d’être décortiqué inégalement suivant notre volonté. Ceci peut être interprété comme des marques d’usages et par conséquent d’usures. Nous pouvons obtenir des objets décomposables, décomposés dans le temps par les usages ou l’humeur de l’utilisateur. « Ce que l’usage use, c’est la durabilité » 35 disait Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne. En d’autres termes, les objets d’usages sont utiles et c’est pourquoi ils s’usent. De plus, les objets ont une « objectivité », qui les rendent indépendants des hommes et de leur nature changeante. Ces derniers peuvent reconquérir leur identité dans leurs rapports avec la même chaise, la même table. Ceci engage alors la question de l’usage de plusieurs utilisateurs. Dans sa vie, l’individu se construit également avec des changements sociaux. La cohabitation par exemple, invite à s’ouvrir à l’autre, ce moment peut être délicat et

35 - Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt, 1961

Recherches mutations, couches de grès, 2016. ©Valentin Penault


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engendre la nécessité de partager et s’adapter, avec et à l’autre. Nous pouvons justement le constater avec humour avec la série DO du collectif Droog Design. Plus particulièrement, le projet Do Break est un vase à l’épreuve de toute querelle. Ce vase possède une paroi intérieure en silicone qui l’empêche de s’éparpiller en mille morceaux. En plus de garder son utilité, le vase arbore fièrement les fissures de son choc. Ce principe fait de lui un objet mutant car il défie la fragilité de la matière. En quelque sorte, cette capacité annule l’usure de vase. De plus, l’objet devient unique car il fige son aspect au moment où il est brisé. Par cette action, une dispute peut donc devenir vecteur de mutation.

Do Break, Frank Tjepkema & Peter van der Jagt, Série DO, 2000. ©Bianca Pillet

L’individu est au centre de la création du design. Il devient un utilisateur qui use des objets dans son quotidien. Le designer imagine et conçoit des lieux, des images ou des produits dans le but de répondre au mieux aux besoins de l’Homme. La mutation permet une nouvelle durabilité en changeant le caractère consommable d’un produit vis-àvis de son utilisation. Ceci pose la question du lien entre un objet d’usage et son possesseur. Et si la mutation d’un objet correspondait avec la mutation des utilisateurs au travers des besoins et des scénarios de vie ?


73 UN DESIGN RESPONSABLE POUR UNE MUTATION SOCIALE L’OBJET, COMPAGNON DE L’HOMME « Les objets sont pour nous, souvent sans que nous nous rendions compte, les compagnons de nos actions, de nos pensées. » 36 En effet, ce que nous explique Serge Tisseron dans Comment l’esprit vient aux objets, c’est que les objets sont témoins des choix que font ceux qui les possèdent. Pour l’usager, l’objet est le résultat de désirs humains qui lui confèrent une fiche d’identité précise. De ce fait, l’objet nous caractérise. Lors de mes expérimentations, j’ai choisi de travailler sur des pièces de notre quotidien ayant des particularités distinctes. La tasse et le vase sont deux objets ayant comme fonction, celle de contenant. Ils contiennent cependant un liquide différent. De plus l’un a une relation directe au corps alors que l’autre non. Par ce choix ma recherche a porté sur la capacité des deux objets à changer leurs utilisations mais également les rapports mêmes à l’usager, c’est-à-dire, les rapports fonctionnel et d’estime qui pourraient être changeants. L’individu changeant, l’objet devrait le faire également. En quoi est-il important d’inclure la place de l’individu dans le processus de mutation éventuelle ? L’individu peut-il calculer l’impact de celle-ci sur un objet usuel ? Nous retrouvons ce questionnement dans mes expérimentations qui intègrent un élément qui permettrait à l’objet de rentrer en mutation dans son utilisation. À la

36 - Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, 1999


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manière d’un élément perturbateur qui engendre la mutabilité d’une cellule, nous avons conçu des outils afin de creuser ou d’enlever de la matière sur les pièces encore façonnables. En enlevant une infime quantité de matière, la surface est fragilisée. Cette faiblesse ciblée peut participer à la transformation du produit et le faire entrer en mutation. En effet, divers essais ont permis d’identifier la manière avec laquelle on peut briser l’objet et paramétrer la faiblesse du matériau.

Outils conçus pour être fragilisés, recherches, 2016. ©Valentin Penault

Cette démarche créative offre à l’objet un caractère modifiable et évolutif. Il peut être modifié au moment où l’individu le décide. Cela s’oppose à l’état stable de l’objet, qui le condamne à un usage particulier. L’acte de casser est vu comme une action positive au même titre que le vase Do Break. Ainsi, la possibilité de casser offre un principe fondamental : dépasser un état initial. Ici, l’usage est réinventé.


75 Cependant, l’objet a plus qu’un simple usage utilitaire selon Serge Tisseron, il « renvoie à un fragment de [l’] histoire » 37 de plusieurs personnes. Le psychiatre et docteur en psychologie argumente en précisant que les objets du quotidien restent des supports privilégiés pouvant « jouer un rôle sur plusieurs générations à l’insu même de leurs possesseurs » 38. Donc nos objets ont des importances supplémentaires dans nos vies en racontant des moments vécus. En effet, certains objets, plus imposants et donc plus difficiles à faire transiter autour de nous, sont témoins de nos générations successives. Arthur Rimbaud l’illustre avec son poème Le Buffet. « […] Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ; […]O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires. » 39 Ces histoires de vie incarnée dans les objets, sont aussi rythmées par des choix pouvant être décisives. Et si le designer pouvait matérialiser cette volonté. L’exploration de matérialiser et rendre visible un choix peut permettre d’inscrire l’usager dans l’évolution de ce qui lui appartient. En d’autres termes, permettre à l’utilisateur de séparer en plusieurs morceaux un produit afin de changer ses usages

37 - Ibid. 38 - Ibid. 39 - Arthur Rimbaud, Le Buffet, strophe 2 et 4, 1870

Échantillons de prédécoupes, recherches, grés, 2016. ©Valentin Penault


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et ainsi impliquer l’idée qu’il est possible d’agir dessus. « Casser » c’est aussi « séparer ». En 1998, les frères Bouroullec imaginent des vases combinatoires. Ce sont des vases constitués de plusieurs parties qui peuvent être combinées différemment pour répondre aux désirs de l’utilisateur. Chaque élément est dissociable et l’emboîtement de chacun offre des possibilités multiples. Les vases évoluent suivant leurs contenus et l’envie de l’utilisateur. Comme l’écrit Tisseron, « Tout objet peut constituer pour son utilisateur, dans le moment de son utilisation, un outil au service de la symbolisation de ses expériences personnelles du monde. » 40 L’objet gagne de la valeur aux yeux de son possesseur lorsque celui-ci correspond au mieux à ses attentes. À l’inverse, si le produit ne peut plus répondre aux besoins de son utilisateur alors il tombe dans l’oubli. De plus, nos objets sont en relation avec l’environnement, les rythmes et l’espace qui composent notre vie. L’auteur parle « d’objets-balises » c’est-à-dire des objets comme repères marquant notre vie. Certains objets, comme le mobilier ou encore la vaisselle, peuvent accompagner la vie de l’utilisateur. Par conséquent, ces objets ont le devoir d’être durables.

Vases Combinatoires, Ronan & Erwan Bouroullec, 1998. ©Morgane Le Gall

Cette problématique concernant la durabilité de nos produits interroge le rôle du designer. La stratégie en design serait d’intervenir sur le cœur du problème de consommation, c’est-à-dire l’objet. Un objet est porteur de vécu et témoigne à son entourage, l’identité de celui qui le possède. Il est important d’inclure la place du designer dans une démarche responsable.

40 - Op. cit. p. 75


77 LE DESIGNER, PARTENAIRE RESPONSABLE En tant que designer, nous devons nous demander en quoi un objet ayant la capacité de changer par la volonté de son possesseur, peut être au service des différents instants de la vie. Cette aptitude peut-elle aboutir sur des objets durables et transmissibles ? Dans le Court traité du design, Stéphane Vial parle de l’effet socioplastique, une face indispensable à cette discipline. « Inventer de nouvelles manières d’exister ensemble et côte à côte. » 41 Sans même créer de nouvelles formes, il s’agit de mettre ainsi l’accent sur la valeur d’usage qui est capable d’agir sur la société et de la remodeler. Actuellement, la multiplicité d’une vie, les différentes orientations qu’elle peut prendre, implique la mise en place de repères. Par exemple, nous savons que l’individu aura plusieurs parcours professionnels et devra donc être en mesure de répondre à chacune des attentes spécifiques. Le design est présent pour améliorer notre cadre de vie, et composer d’autres façons d’habiter et de cohabiter. En effet, le caractère changeant d’une situation permet de ne pas poser l’objet comme invariable. Celui-ci pourrait être sujet à une multitude de scénarii et par conséquent, s’adapter. Nous pouvons constater par exemple que le transport de l’enfant se fait maintenant avec une poussette mais également avec un siège automobile. Nous pouvons donc observer un objet qui combine ces deux formes. Le desi-

41 - Stéphane Vial, Court traité du design, 2014


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gner recherche la viabilité pour toutes situations. Restons un instant sur le cas de l’enfant. La croissance d’un enfant est la meilleure période pour constater les phases d’adaptation qu’il peut rencontrer lors de son évolution. Car les évolutions sont fréquentes et sur une courte durée. En résulte l’achat d’objets spécifiques pour la bonne appréhension de l’environnement de l’enfant ainsi qu’une recherche de praticité pour les parents. Des objets sont caractéristiques de ce moment comme le lit réversible, proposant le statut de lit bébé et celui de lit une personne.

Rouleau à pâtisserie, Antonio Cos, 2002. ©Carlos Jones

Les recherches en design ont abouti aux choix des principes à mettre en place dans ce qui est un objet « mutant ». Nous l’avons vu, le designer peut bousculer les usages d’objets de notre quotidien, en intervenant sur leur forme. Deux simples bouteilles deviennent un rouleau à pâtisserie. Il s’inspire de la manipulation faite de certains objets lorsque nous sommes dépourvus de ceux qui ont été initialement conçus pour cet effet. Les objets mutants accompagnent la mutation des situations et des valeurs que porte la personne. Ceci passe par l’utilisation des produits qui nous entourent. Enfin grâce à leur durabilité, ces objets peuvent être transmis et ainsi témoigner de l’usage qu’en a fait l’individu. Ils pourraient donc être réversibles dans l’usage que l’on en fait à l’instar du lit pour enfant qui pourra accompagner également la vie d’un jeune nourrisson. Des objets ajustables où le designer prend en compte l’utilisateur et ses besoins améliorent leur durabilité.


79 Nous avons proposé un objet adaptable et guidant l’utilisateur avec le projet Tact co-imaginé avec Estelle Pannier pour la quatrième édition du concours Orange Jeunes Designers. Ce dispositif rend tangible la perception du réseau pour les non-voyants. Un signal inaudible, imperceptible et irréel devient bien plus qu’une montre. Sa surface évolutive, engendre une distinction de l’intensité ou de l’orientation de cette source technologique, devenue aujourd’hui nécessaire pour communiquer avec son entourage. L’outil technologique accompagne différemment l’utilisateur par le biais d’un objet matériel, et non d’une application. Nous avons cherché à intégrer le possesseur d’un tel objet afin que celui-ci corresponde au mieux à ses attentes. La mise en relation avec des professionnels œuvrant pour le handicap et l’accompagnement de ces personnes, nous a permis d’en comprendre les besoins. Le designer et l’usager sont importants dans l’élaboration d’un processus qui use de la mutation. Il faut à la fois une programmation du designer pour que l’objet puisse changer et également l’intervention de l’usager pour qu’il applique ce changement. L’objet mutant peut donc faire le lien entre les utilisations et les situations qui engendrent des bouleversements chez l’homme.

Tact, Estelle Pannier & Valentin Penault, Concours Orange Jeunes Designers #4, 2015. ©Valentin Penault


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Lors de ces transformations, les consommations et les rejets d’objets sont assez fréquents. Une consommation exagérée est souvent à l’œuvre dans les moments de transition ou de mutation des individus. Combien d’objets sont-ils jetés dans une vie pour cause de non-adaptation à notre besoin ? Proposer une nouvelle façon de transmettre des biens indispensables à un moment de notre vie, offrirait la satisfaction de ne plus réinvestir dans de nouveaux.

DES PRINCIPES STIMULANTS Du contexte établi jusqu’ici et des différents points soulevés par ma pratique de la mutation, je me suis interrogé sur la manière de comprendre un objet adaptable, changeant. Est ce que l’objet est lui-même mutant ? Suivant la situation de la personne ? Est-ce que l’un peut aller sans l’autre ? Un contenant, amené à changer peut-il avoir plusieurs propriétaires ? Celui qui est au centre du scénario que nous envisageons pour la suite est l’utilisateur, plus précisément, l’individu qui utilise des produits qui correspondraient aux mutations sociales qu’il subit. Certains objets ne sont pas pensés pour changer, par leurs utilisations répétées ou dans le temps. Et pourtant, parmi eux, nous pouvons penser aux objets ultra-spécifiques adaptés à la croissance de l’enfant par exemple.


81 Dans un contexte de durabilité, le produit aurait la capacité d’effacer ses spécificités au regard du désir de l’adulte de posséder un objet moins complexe et standard. Par exemple, les mêmes assiettes compartimentées deviendraient des assiettes plates. Les couteaux à bout rond deviendraient pointus. Les cuillères rondes pour enfant s’affineraient. Les timbales seraient des verres, puis des verres à pied. La transformation de tels objets se caractériserait par une création unique, propre à l’utilisation quotidienne de la personne. On peut évoquer à ce sujet, la collection Vases#44 réalisée en 2008 par François Brument. Laissons la fonction de l’objet produit de côté, mais intéressons-nous à la mise en forme assistée par ordinateur mettant en production des vases de formes diverses et variées. La conception résulte d’un programme informatique interactif qui modélise la voix pour générer des objets. La mutation est ici visible par le processus employé. Cet algorithme est établi par un son capté qui le matérialise en fichier 3D imprimable par prototypage rapide. Ce processus met en évidence des données inexploitées afin de les utiliser comme une matière créative. Cependant, le vase obtenu est figé et ne pourra pas évoluer. Pas d’évolution, pas non plus de nouvel intérêt pour l’usager de le garder.

Vases#44, François Brument, 2008. ©Studio In-flexions


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L’une des pistes de ma pratique, celle où l’objet peut être cassé par son possesseur, propose une autre orientation. Nous pouvons imaginer un objet qui au départ n’est pas considéré comme incomplet, mais c’est au fil de l’évolution de l’usager qu’il va le devenir et qu’il aura besoin d’être complété. Un objet peut être divisé afin de créer des objets incomplets. L’incomplet provisoire induit un besoin de combler un manque. Cette décomposition permise et actionnable par l’utilisateur enlève le signe « fini » de l’objet. D’ailleurs, nous pouvons de nouveau parler de la série DO basée sur l’exploration d’expérience d’utilisateur. Un autre projet imaginé par Jurgen Bey intitulé Do Add propose ici l’intervention de l’usager. Voilà pourquoi le designer conçoit une chaise n’étant pas stable afin d’inviter son utilisateur à lui rendre sa fonctionnalité. Avec l’aide de différentes interventions, qui impliquent l’ajout d’un substitut, la chaise est utilisable. Celle-ci peut éventuellement être un banc pour accueillir un animal de compagnie si seulement vous êtes assis dessus. Autant d’expériences qui incitent à interagir et jouer avec cette collection d’objets. C’est une manière de proposer une appropriation individuelle ou collective d’un objet. Ma pratique mise en œuvre et les recherches en parallèle proposent diverses entrées possibles qui pour certaines demandent d’être explorées. La place de l’usager est primordiale, est pris en compte son inévitable changement

Objet décomposable, recherches, 2016. ©Valentin Penault


83 physiologique ou social et son désir, adaptés à son quotidien. C’est ce qui semble être le contexte idéal pour l’intégration d’objets mutants. Par ces démarches analysées, le designer doit-il recomposer avec l’existant ou proposer quelque chose de totalement nouveau ? Dans tous les cas, il ne peut que créer du changement.

Do Add, « short leg », Jurgen Bey, 2000. ©droog.com


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CONCLUSION « Le futur proche se projette en de multiples dimensions et de multiples facettes et fait naître un design en mouvance, des idées en croissance, comme si les pièces pouvaient se propager tels des virus, proliférer comme des bactéries. » 42 Lidewij Edelkoort plante le décor de la sélection d’objets « mutants » lors de l’exposition Oracles du Design. En effet, l’industrie et la technologie ont participé activement à cette mutation et ont bouleversé nos rapports sociologiques et économiques. La mutation est un développement naturel à la base de toute transformation et croissance de chaque espèce vivant sur cette planète. Sans doute, sans elle, il n’y a pas d’évolution possible. Nous évoluons grâce à notre capacité à nous adapter au milieu dans lequel nous apprenons à nous nourrir des possibles qu’il offre. Ces principes d’appropriation et d’adaptation permettent de sélectionner les individus qui sont les plus propices à suivre ces changements ou à leur survivre. Cependant, en tant qu’individus pensants et conscients de notre condition, nous n’acceptons pas toujours un changement. Il peut en effet avoir lieu malgré nous. Pourtant, la mutation permet le rassemblement, le renouvellement et surtout une durabilité dont notre société actuelle a cruellement besoin. Le stock de matières premières s’épuise, nous continuons à produire en grande quantité, et nous produisons du « jetable » sans en mesurer les conséquences pour notre environnement.

42 - Oracles du design, Lidewig Edelkoort, 2015


85 Notre milieu est en constante redéfinition. Pour que l’homme puisse évoluer dans cet environnement mouvant, le designer doit lui fournir des biens adaptés et adaptables. Le design est incontestablement lié à la condition humaine. La mutation n’est pas seulement un costume, un artifice ni un ajout supplémentaire. Ces formes sont des variations de transformations. La mutation, comme le design, est un processus facteur d’innovation et accompagnant chaque individu. Si l’homme change, afin de palier ses habitudes et la lassitude qui s’installent dans son quotidien, le design doit également participer à modifier nos objets pour qu’ils soient toujours en adéquation avec les désirs de l’homme. Or, les objets ne sont pas suffisamment prévus pour muter. La mutation dans le design paraît pourtant essentielle en tant que solution. Ma pratique a développé une grande production de principes sur lesquels je peux appuyer ma démarche de recherche en design. Détourner, intervenir ou encore accompagner font partie des champs d’action à investir pour me positionner en tant que designer. L’utilisation des objets mutants permettant d’acquérir des biens durables, je dois donc me concentrer sur une typologie précise d’objets qui offrira le meilleur contexte à nos usages. Le design ayant déjà traité la question de la modularité ou de la personnalisation dans le domaine du mobilier ou des nouvelles technologies, doit maintenant étendre ses recherches sur la mutation à d’autres domaines.


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C’est le rôle du designer de dégager le service que peut rendre la mutation dans notre quotidien. Les retombées écologiques sont évidentes pour une société qui doit prendre conscience des changements en cours et à venir. Le designer doit imaginer les applications éventuelles, savoir où intervenir et si l’utilisateur le peut également. Je souhaite donc placer l’individu au centre de ma recherche afin d’établir une proximité entre lui et ces objets transformables. Cette recherche proposera d’imaginer un quotidien qui est fait d’objets réinterprétés et/ou interchangeables, légitimes dans une société où la mutation des valeurs modifie le rapport entre les individus. Ce changement de nature initiale n’est pas toujours bien perçu. Les mutations peuvent être incontrôlables et aléatoires. Pour cela, l’usager doit accepter l’incertitude des changements et arriver à se détacher de la standardisation actuelle de notre production. Pour cela, les pistes sont à questionner de manière responsable dans l’optique d’être respectueux, conscient de notre environnement et du pouvoir que la nature nous offre, le pouvoir d’évoluer.


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BIBLIOGRAPHIE LECTURES

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Le copyright de chaque image du corpus appartient aux entreprises ou auteurs respectivement cités. Malgré les recherches entreprises pour identifier les ayants droit des images reproduites, l’étudiant-rédacteur s’excuse pour les oublis éventuels et se tient à la disposition des personnes dont involontairement, il n’aurait pas cité le nom.


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REMERCIEMENTS Je veux donc adresser tous mes remerciements aux personnes avec lesquelles j’ai pu échanger et qui m’ont aidé pour la rédaction de ce mémoire. Ceci est le résultat d’un travail de recherche de près de deux ans qui n’existerait pas sans mes tuteurs qui m’ont accompagné, conseillé, guidé et qui ont su m’encourager tout le long de mon questionnement et de ma recherche. Je remercie chaleureusement Sophie Devaud-Judas, Sophie Clément et Julien Borie. Merci à toute l’équipe pédagogique, Ann Pham Ngoc Cuong, Élisabeth Charvet pour leurs recommandations et à Cyril Nicolas, pour son implication dans la conception des éditions de la promotion 2015-2016. Je tiens à remercier mes camarades de classe pour leurs soutiens, leurs rires, leurs bonnes attentions et leurs recommandations lors de mes doutes et interrogations. Un grand merci à Lauranne Mauillon, Manon Beligni, Anne Lécuyer, Marylou Petot, Alexis Quessard, Adrien Fuchs, Vincent Guerard et mes autres collègues qui ont été tous aussi présents. Présent malgré la distance, je remercie enfin ma famille pour son œil extérieur mais avisé dans un domaine qu’elle a appris à connaître et à apprécier depuis mon choix pour ces études. Merci à Mélanie Aubray pour ses encouragements et son aide pour ses suggestions graphiques de qualité. Merci.


Conception graphique : Valentin Penault. Fontes : Joanna MT Pro Regular et Bold, Sabon MT Pro Italic et Semibold italic et Classic Grostesque Std Book et Bold. Papiers : couverture Canson® 160 g, intérieur Antalis Cocoon Preprint (100 % recyclé) 100 g. Imprimé en 10 exemplaires par Agi Graphic, dans le cadre du DSAA design responsable et écoconception, mention design produit. Édité en mai 2016 par le lycée des métiers du Design et des Arts Appliqués Raymond Loewy, La Souterraine.



Mutant, se dit d’une cellule, d’un gène ou d’un individu qui a subi une mutation, c’est-à-dire un changement ou une transformation. La mutation est un acte naturel qui est à l’origine du développement de toute espèce vivante. Muter, c’est se transformer, se modifier par rapport à un état initial. Cette capacité n’est pas seulement vérifiable dans la nature ou en génétique. Ce terme est employé dans de nombreux domaines : politique, économique, social, etc. Notre envie de changer est devenue une volonté importante dans une société qui se redéfinit sans cesse. Le propre de la société de consommation est de produire des objets en réduisant leur résistance à l’usure ou en les rendant obsolètes rapidement. Nos objets sont devenus temporaires, éphémères, jetables. Le design est lui aussi en constante recherche de nouveauté. Les avancées technologiques et les découvertes scientifiques en sont les principaux vecteurs d’innovation. Utiliser la mutation comme principe constitutif de nos objets du quotidien permettrait de réintroduire une adaptabilité de nos produits et par conséquent d’augmenter leur durabilité. L’enjeu pour le designer soucieux de l’environnement est de rendre les objets mutants. En quoi la mutation peut-elle permettre au design de restituer de la souplesse à un produit devenu gênant ? Ce mémoire s’intéresse à ce défi en analysant notre rapport à la mutation, notre relation à elle et sa place dans le monde du design. L’investigation se poursuit par l’analyse de pistes d’actions et de pratiques personnelles permettant l’intégration d’une mutation responsable dans nos objets usuels.


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