"Composer des espaces de l'égarement" - Rapport d'études de Vianney CHARMETTE

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DES ESPACES

CHARMETTE Vianney

de Piranèse

des fantasmes labyrinthiques

COMPOSER

DE L’ÉGAREMENT

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Enseignante resp. : Sidonie Joly

ENSAL L3-S6 2011-12

le 21.03.2012


Composer des espaces de l’égarement Des fantasmes labyrinthiques de Piranèse à la désorientation sensorielle chez Peter Zumthor. Table DES MATIèRES Introduction : s’égarer, une expérience sensible de l’architecture ............................... p. 3 CHEMIN 1 : qu’est-ce qu’une architecture de l’errance ? ............................................................................ p. 5 La place du sensible dans le mouvement moderne ............................................................................................................................. Le labyrinthe .......................................................................................................................................................................................................................... L’errance ...................................................................................................................................................................................................................................... Errer de la ville à l’architecture .............................................................................................................................................................................. L’architecture de l’égarement en trois exemples ....................................................................................................................................

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CHEMIN 2 : construire la désorientation

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Etude de cas 1 - Le lycée Saint-Paul à Lyon : Georges Adilon et la composition maniériste.......................... p. Etude de cas 2 - La Serpentine Gallery et les thermes de Vals : la désorientation sensorielle chez Peter Zumthor ......................................................................................................................................................................... p. Etude de cas 3 - Le musée juif de Berlin : quand Daniel Libeskind raconte l’histoire à travers des espaces torturés ..................................................................................................................................................................... p.

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Se repérer, un confort nécessaire ....................................................................................................................................................................... p. Ordre ou désordre ? ...................................................................................................................................................................................................... p. Fonctionnel contre sensible ....................................................................................................................................................................................... p.

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CONCLUSION Figure 00. Illustration en couverture : le «lapin blanc» des pentes de la CroixRousse.

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXE & table des figures

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INTRODUCTION : s'égarer, une expérience sensible de l'architecture. Errer, déambuler, s’aventurer, flâner, arpenter. Sans forcément avoir de but précis, ni de repères absolus. Juste se laisser transporter dans l’architecture, prendre son temps et écouter ce qu’elle a à nous dire.

Peter Zumthor dit : «pour moi, il ne peut s’agir de qualité architecturale que si le bâtiment me touche. Il s’agit de concevoir des choses qui ont une présence.» [1] Dans son ouvrage Atmosphères, il défend l’idée que l’architecte est avant tout quelqu’un qui crée des interactions entre l’être humain et les choses. C’est une vision très sensible et sensorielle de l’architecture, que je partage absolument, et que j’ai notamment pu expérimenter dans l’une de ses toutes dernières réalisations, la Serpentine Gallery de Londres, à l’été 2011. Imaginez un édifice prenant la forme très simple d’un cloître, mais d’un cloître «hérmétique». En y entrant,

vous vous aventurez dans un espace très sombre et uniforme, fait d’un béton brut modérément éclairé par quelques lucarnes, où la ligne droite règne en maîtresse. L’effet est immédiat, presque violent : vous avez perdu tout repère lié au monde extérieur, vous ne savez plus où vous êtes, et pour peu que vous y passiez du temps, vous commencez vite à être angoissé. Jusqu’à ce que vous débouchiez sur un magnifique espace ouvert au ciel et renfermant un superbe jardin consacré à la contemplation. C’est le concept de l’hortus conclusus, ou jardin caché. On comprend assez vite l’intention de Zumthor, qui était, en travaillant la matérialité du lieu, de créer une mise en scène totale, dédiée à la découverte soudaine et surprenante de cette nature retirée. En posant une première atmosphère oppressante, il parvient à mettre la seconde en exergue. On ne sait pas forcément où l’on se trouve par rapport à l’extérieur, mais ce n’est pas grave; on est alors d’autant plus touché par ce lieu pittoresque, qui se révèle du coup aussi un peu étrange. On a presque l’impression que le fait d’y avoir atteri relève du hasard,

alors que moins de 3m et deux murs nous séparent du reste du monde. Ce n’est rien d’autre qu’une expérience propice à la contemplation et à la réflexion spirituelle. «Je suis là, mais déjà plus loin, à l’angle, quelquechose m’attire, une lumière qui tombe, et alors je poursuis ma flânerie. C’est un peu comme un voyage de découverte.» [1]

L’architecture panoptique, anti-labyrinthique par excellence, très rationnelle, parfois trop, qui par définition se laisse saisir toute entière d’un seul coup d’oeil, n’a pas selon moi cette capacité à entraîner l’utilisateur dans quelque chose de sensiblement marquant. Il y a aussi une question de temporalité. On brouille les pistes et la lecture globale de l’architecture pour offrir une expérience qui se fait pas à pas. Un peu comme si vous découvriez une ville, sans plan. J’ai toujours adoré m’attarder dans les dédales

Figure 01. Parcours dans la Serpentine Gallery, par Peter Zumthor (Londres, 2011).

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INTRODUCTION : s'égarer, une expérience sensible de l'architecture. urbains, visiter les petites ruelles dans l’espoir à chaque fois de tomber sur des lieux reculés et un peu en marge, à l’image de ce jardin à Londres. Des sortes de surprises urbaines. Alors on entrevoit toute la dimension sensitive que peut revêtir une cité. Ou à une échelle plus réduite, un édifice. Ce jeu labyrinthique de parcours alambiqués, d’univers déroutants, obligeant à la spéculation aventureuse, est une façon très intéressante de composer l’espace, jouant sur la mise en scène de matière, de lumière, de sons, d’atmosphères, qui appellent à l’imagination, et lui donnent parfois un caractère presque onirique. C’est une approche de conception qui a été expérimentée par, entre autres, Zumthor donc, mais aussi par Daniel Libeskind, ainsi que par un architecte lyonnais, Georges Adilon. Ces trois concepteurs ont notamment su gérer certains pièges inhérents à ce type d’espaces. Lorsque j’expliquais mon sujet de rapport d’étude à d’autres étudiants d’architecture, l’un d’eux n’a tout simplement pas compris quel pouvait être l’intérêt de cette façon d’appréhender un lieu. Pour lui, notre société est celle de l’instantané. On n’a pas le temps de vagabonder; l’architecture doit être fonctionnelle à l’extrême et nous permettre de vivre sans nous égarer. «Il faut optimiser !» m’a-t-il dit. Un autre étudiant lui a répondu que «c’est parfois vachement bien de prendre son temps, de profiter d’un lieu, d’une atmosphère.» J’ai tenté d’expliquer au premier que nous serons dans notre métier autant en charge du confort physique de l’usager que de son confort sensible, et que la désorientation peut-être paradoxalement un moyen efficace d’y arriver. Mais sa remarque était très importante pour moi. Elle traduisait en général le besoin que l’homme a de ne pas se perdre. L’architecture doit lui laisser suffisament d’indications, sans quoi s’il ne peut plus se repérer il en vient vite à devenir anxieux. Il est clair qu’apparait une

contradiction, et non des moindres, entre le travail de l’atmosphère, à travers des espaces destructurés dédiées à la flânerie, et celui de la rationnalité de l’espace, du fait qu’il puisse rester suffisament concret et préhensible par l’esprit humain.

Fig. 02. Les dédales urbains, dans les quartiers de Saint-Clair (Lyon) et de Montsouris (Paris).

J’en viens finalement à me demander de quelle manière certains architectes, tels que Peter Zumthor, Daniel Libeskind ou Georges Adilon, parviennent-ils à créer cette architecture de la désorientation, de l’errance, dédiée au rapport sensible entre l’être humain et son environnement ? Pour répondre à cette question, il s’agirait tout d’abord de définir exactement ce qu’est une architecture de l’égarement, ceci afin d’en cerner plus précisément les qualités, les limites éventuelles et la finalité. Ensuite, à travers trois études de cas détaillées de certains travaux de ces trois architectes, l’idée est de comprendre comment construire la désorientation? Quel est par exemple l’intérêt d’agir sur les sens ? Ou est-ce que ce doit être forcément un labyrinthe ? Me pencher sur des études de cas plus succintes concernant l’architecture de Frank O’Gehry et de Zaha Hadid me permettra d’ailleurs de mieux cerner la complexité de ces espaces atypiques. Enfin, il me faudra analyser les limites de cette architecture de l’égarement et les rapports qu’entretiennent le rationnel et le désordonné, le simple et le complexe, l’optimal et le sensible. La question sera alors de voir de quelle manière Adilon, Libeskind et Zumthor y répondent ?

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? La place du sensible dans le mouvement moderne. Le courant moderne qui a dominé tout le XXème siècle et dont l’influence est encore remarquablement présente aujourd’hui, ne jurait que par la clarté de l’architecture, sa capacité à être limpide et compréhensible par la raison humaine. C’est un héritage direct de la Renaissance, où les architectes ont cherché à définir exactement la dimension de l’homme et sa place dans l’univers. La naissance de la perspective comme outil de représentation du réel les a poussé à penser l’architecture non plus comme simple objet destiné à démontrer la beauté et la puissance divine, mais comme monument plaçant les êtres doués de raison au centre de tout. Les compositions, avant l’arrivée de l’époque baroque, étaient fondées sur la géométrie euclidienne et l’architecture, comme l’avaient conçue les grecs et les romains auparavant, se découvrait de manière frontale, d’une seule traite. Si les architectes modernes ont su faire preuve d’ouverture quant à la cinétique de l’homme, à sa nécessité de se mouvoir dans son environnement, ils sont aussi et surtout les inventeurs du plan libre, dont Le Corbusier (avec sa maison Dom-ino) et Mies Van Der Rohe ont montré l’importance nouvelle, ce dernier avec son Crown Hall, sur le Campus du IIT à Chicago, ou encore la National Gallery de Berlin. La séparation nette des fonctions dans un ensemble clair et compact est également un concept qui leur était cher. Le Couvent de la Tourette et l’Unité d’Habitation développés par Le Corbusier en sont les exemples les plus flagrants. Cette évocation rapide de l’histoire me permet de rappeller que l’ordre et la simplicité sont des valeurs primordiales de l’architecture qui aujourd’hui encore, fondent la culture de la majeure partie des architectes.

C’est une façon plus que légitime de concevoir, qui prône le rationnel, une condition nécessaire au bon fonctionnement de notre société actuelle, et dont les qualités ont été montrées et démontrées. Il y a bien entendu des exceptions, dans toute la complexité de ce mouvement moderne. Cependant, il est nécessaire de cerner les manquements dont ont fait preuve de façon générale ses protagonistes. Dans son livre Le Troisième Labyrinthe, Alain Farel exprime assez bien cela : «Le rationnel est une projection morale sur l’inerte. C’est une architecture propre, rigoureuse et rigoriste qui en découle, excluant le doute, l’hétérogénéité, le hasard, appelant l’ordre répétitif.» [7] Cette vision particulièrement ordonnée propre au modernisme a trop tendance à nier les quelques mérites du désordre, rencontré dans les structures du vivant, fondées sur bien d’autres lois que celles de la série et de la symétrie. Dans leur souci de confort absolu, qui repose sur les bases d’un modèle universel, le Modulor, nos prédécesseurs en ont presque oublié l’autre dimension du rapport entre l’homme et l’architecture : le sensible. Quelque chose qui tiendrait plus de l’émotion. Ce dont ne se soucient guère les normes incroyablement contraignantes de notre système politique français actuel en matière de construction. «Si l’on intègre l’objet architectural dans un système plus large, incluant les individus et le temps, on se donne la possibilité de concevoir une architecture complexe [...] capable d’agir en retour sur son environnement ; on peut éviter de se couper de l’aspect imaginaire/symbolique de l’activité mentale de l’homme au seul bénéfice de la pensée logique et rationnelle ; on peut ne plus mutiler l’architecture de ce qui produit son pouvoir émotionnel, et même parfois magique ; on peut retrouver le plaisir comme catégorie fondamentale de l’architecture, plaisir qui apparait comme le grand absent des théories rationalistes/fonctionnalistes. L’architecture peut alors devenir un art vivant, un art de la vie.» [7] dit aussi Alain Farel.

Nous verrons plus tard que les discours modernistes ne sont surtout pas à oublier, mais je tenais à exprimer l’importance pour moi d’un travail poussé sur la sensibilité de l’homme et de son immersion dans des ambiances propices à son émerveillement, comme l’expliquait si bien, on l’a vu, Peter Zumthor. L’intime, la surprise, l’amusant, l’étrange, l’imaginaire, etc. J’ai l’impression que toutes des choses prennent de moins en moins de place dans l’architecture contemporaine, portée par d’autres valeurs.

Le labyrinthe. Pour arriver à cela on peut se servir d’une méthode un peu à contre-courant du modernisme et peu usitée (vraiment très peu...), qui est celle de l’errance. Il s’agit en fait d’inventer des espaces dont l’agencement, mêlant le plus souvent complexité et pluralité, oblige l’homme à se déplacer pour en voir toute la portée. Associée à une perte plus ou moins forte de repères, ce type de construction peut agir sur la confusion des sens dans le but de pourquoi pas mettre en scène un élément singulièrement fort. La définition que je donne ci-dessus renvoie implicitement à l’image du labyrinthe. Cette structure, considérée comme l’un des premiers ouvrages architecturaux de l’histoire de l’humanité (bien que la réalisation originelle n’ai encore jamais été découverte, ou même prouvée), est fondée sur un paradoxe : comment une architecture rationnelle et méthodique peut-elle générer le chaos, la perte et l’errance ? Cette question est l’un des fils conducteurs d’une grande exposition passionnante qui s’est récemment dérouleée au Centre Pompidou de Metz, intitulée Erre, variations labyrinthiques.

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? Les artistes contemporains qui y ont été conviés ont tous du réflechir à cette métaphore d’un cheminement, d’une progression, construits sur des détours et des sinuosités. Selon le mythe grec, le labyrinthe est un ouvrage commandé par le roi Minos à Dédale afin d’y enfermer un monstre mi-homme mi-taureau, le Minotaure. C’est à l’origine une prison. La régularité géométrique de ses lignes a permis de créer un parcours torturé et remarquablement complexe, global et immersif, fait d’embranchement multiples, de détours et de culs-de-sac, destinés à perdre autant celui qui désire y entrer, que celui qui veut en sortir. On y a de plus une vision uniquement fragmentaire de l’espace. La perception et l’influence du contexte oblige une découverte et une appréhension de l’environnement par la motricité. La prise de conscience est graduelle.

que par l’expérience kinesthésique (c’est à dire la sensation de mouvement provoquée par le déplacement). Peter Zumthor l’affirme d’ailleurs haut et fort : «Nous nous déplaçons dans l’architecture. Les gens disent toujours que l’architecture est un art de l’espace, mais c’est aussi un art du temps. Je n’en fais pas l’expérience en une fraction de seconde.» [1]

La figure du labyrinthe, qui a traversé les âges, est très forte et soulève de très nombreuses réflexions, reflets de tendances esthétiques, politiques et intellectuelles contemporaines. C’est avant tout le siège de paradoxes énoncés dans l’exposition : organisation du chaos, progression par la lenteur ou la régression, désorientation constructive, confusion productrice de sens,... Alain Farel y ajouterait ces autres contradictions : «Espace clos et infini, construit et idéel, où peuvent se lire une grande partie des qestions qui hantent l’activité architecturale depuis ses origines : l’invention de la forme et son rapport à la fonction, les relations de la géométrie avec l’harmonie et le trouble, les corrélations entre étendue et confinement, entre variété et uniformité, entre le temps qui passe et la durée figée.» [7]

On y conteste un «modèle strictement linéaire ou une vision progressiste, et privilégie au contraire la multiplicité des pistes, la redécouverte des zones de confusion, des choix multiples et de traverses dans l’appréhension du réel, avec ce que cela suscite en termes de spéculation hasardeuse et de principes d’incertitudes» [6], tel que l’explique Hélène Guenin, comissaire de l’exposition. Le refus du statique et du conventionnel y est prépondérant, et le bouleversement des perspectives, les faux-semblants, les bifurcations ou encore les illusions sont des éléments dont le seul but est de rompre avec la lisibilité de la ligne droite, et donc d’agir directement sur le mode de représentation que l’homme se fait de son milieu. L’esprit cartésien n’a pas lieu d’être dans ce genre d’endroit. Le parcours n’est plus simple et linéaire, on erre et on déambule, porté par l’intuition et la curiosité, si ce n’est pas par la contrainte.

Il faut bien comprendre que si le dédale n’a en soi rien de positif pour les sensations, les interrogations qu’il entraîne suggèrent finalement que l’être humain, pour découvrir son environnement et le percevoir, n’a d’autre choix que d’y évoluer, de l’arpenter dans ses moindres recoins pour en sentir l’essence même. L’architecture nécessite bien sûr cet acte de la marche, ce rapport au temps. La question de l’espace ne se comprend

L’errance. L’expérience par l’arpentage trouve évidemment son apothéose dans les lieux dit labyrinthiques, propices à l’errance.

On notera toutefois que le terme «labyrinthique» recouvre trop facilement une dimension de perdition totale. En effet, on ne sort pas d’un labyrinthe, on s’y perd à l’infini. Cette connotation trop extrême ne m’intéresse pas, notamment parce qu’en architecture,

Fig. 03. L'image du labyrinthe. De haut en bas : fil d’Arianne dans un labyrinthe crétois,Wunderkrels («le cercle miraculeux», Allemagne), le labyrinthe sur le sol de la Cathédrale de Chartres.

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? qui est entièrement au service de l’homme, il est funeste de se perdre complètement. Il faut un minimum de confort. Voilà une première limite primordiale à ne pas franchir. La perte de repères doit être significativement positive. Je préfère donc traiter dans ce rapport des espaces de l’égarement et de l’errance, plutôt que de perdition à proprement parler. (NB que le qualificatif «labyrinthique» que j’utiliserais dès lors dans le reste de ce rapport ne fera pas référence à cette perte absolue mais désignera juste les notions de sinuosité, de changements fréquents de direction et de diversité des parcours) L’errance. Du latin errare, qui veut dire «aller au hasard, à l’aventure». C’est l’imprévu. «L’errance est l’un de ces mots qui interrogent les espaces, les temps, les mouvements et les lieux» [6] a dit Luc Gwiazdzinski, géographe, toujours dans le cadre de l’exposition. «Errer c’est flâner, activité urbaine par excellence magnifiée et érigée en art par Pierre Sansot : ‘‘à parcourir la ville, nous ressentons la fatigue comme une sorte de bonheur [...]. En mouvement, elle redistribue en permanence les cartes, elle provoque des collisions, elle invente des rimes inédites, des associations surprenantes.’’ C’est cette épreuve qui permet de faire l’expérience de la présence en un lieu.» [6] Errer c’est aussi être là, dans le mouvement, sans imaginer de retour, car en fait, on ne sait pas où l’on va, on ne connait jamais vraiment la finalité de notre parcours. Et je plaide surtout pour l’errance car c’est une manière de se perdre pour mieux se retrouver. Pierre Sansot, souvent cité dans l’exposition, est un philosophe français qui a oeuvré très sérieusement pour la défense des choses simples et des petits plaisirs de la vie, afin de sortir d’un quotidien selon lui aliénant. Son premier livre, Poétique de la ville, rend compte de cette manière humble mais étonnante de faire l’expérience de la ville à travers la pratique de la promenade et de la lenteur, des rencontres et des hasards, des surprises et des lieux étranges : la flânerie.

Errer : de la ville à l’architecture. Qui n’a jamais aimé s’adonner à ce jeu, que moi j’apprécie tout particulièrement, qui est de se balader dans une ville mais sans le nez rivé sur un plan ? De se laisser-aller au hasard des détours et des surprises que renferment nos cités anciennes ? Vagabonder... La ville est un terrain d’exploration sans fond. Automatiquement on pense alors aux réflexions sur la ville auxquelles se sont adonnés les situationnistes, un courant de penseurs né à la moitié du XXème siècle, dont le fer de lance, Guy Debord, a largement fait l’éloge de cette pratique urbaine évoquée par Sansot. Dans son article intitulé Théorie de la dérive, Debord définit la dérive comme une sorte d’expérience scientifique accessible à tous et destinée à caractériser son concept de «psychogéographie», c’est-à-dire l’ensemble des lois et effets propres à un milieu géographique qui agissent directement sur le comportement affectif des individus. La dérive est pour lui «une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. [...] Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir , pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent.» [18] En faisant apparaître les villes comme des labyrinthes dans lesquels la diversité des trajets possibles permet des situations inattendues, il donne l’occasion d’un cheminement autant physique que psychique dans lequel il faut savoir accepter de se perdre. Il enjoint en fait les gens à renoncer à leurs déplacements habituels pour expérimenter la ville sur le mode de l’imprévu et du sensible. Guy Debord insiste en outre lourdement sur l’importance de la représentation spatiale que se fait un citadin d’un quartier, influencée par sa sensibilité du lieu. En 1957, il a ainsi tiré des dérives auxquelles il s’est lui même livré un Guide psychogéographique de Paris, une

Parcours urbains ou architecturaux ? Fig. 04. Comparaison entre l’échelle des cheminements dans le quartier de la Croix-Rousse (cidessus) et dans le lycée Saint-Paul de Georges Adilon (ci-contre).

Fig. 05. Le parcours urbain atypique de Port-Grimaud.

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? sorte de carte sur laquelle il tente de traduire les sensations - changements d’ambiances, distances, noeuds, ruptures, discontinuités - éprouvées lors d’un corps-àcorps avec la cité. Son guide est dans la veine des travaux développés par Kevin Lynch sur les cartes mentales. Il dira même dans son article qu’ «un jour, on construira des villes pour dériver» [18], alors même que le monde avait le regard braqué sur un certain Charles-Edouard Jeanneret, qui proposait le concept d’une ville fonctionnelle, instantanée et parfaitement réglée, destinée à répondre avant tout au confort de l’homme. Cette manière peu commune de vivre la ville, n’importe qui peut la tenter pour peu qu’il accepte d’oublier plans, cartes et outils d’orientation un moment. Non pas que ce soient des obstacles à l’appréciation d’univers urbains, mais sans ces éléments qui empêchent la ville de se voiler, de résister un peu pour ne pas se donner toute entière au premier venu, nous sommes tout de suite plus facilement en proie à la déviance. Qui n’aime pas ça, se perdre dans les méandres de la ville, ce tissu digne des labyrinthes les plus complexes ? La ville dessine un réseau compréhensible à distance qui s’avère inextricable à l’arpentage. C’est un terrain de jeu, et on s’y laisser-aller selon notre intuition, à travers arrières-cours, ruelles étroites, petits escaliers, jardins cachés, placettes, passages, tous ces endroits introvertis qui ne laissent pas de marbre comme savent le faire certaines avenues-corridors bordées de bureaux. On peut découvrir au détour d’un immeuble un lieu étrange, un peu suspendu dans le temps, qui appartient au tissu de la ville en même temps qu’il semble vouloir totalement s’en détacher. Pittoresque, le charme y côtoit l’agréable. Même s’il n’y a pas foule, on sent que l’endroit est habité, que de la vie s’y est déroulé et éventuellement qu’elle s’y déroule encore. On y fait plus que jamais attention, transporté par une curiosité presque intrusive. «La ville a constitué pendant près de cent ans une merveilleuse machine à se perdre» [6] explique pour l’exposition Philippe Vasset, écrivain. «Il suffisait de la considérer non plus comme

Fig. 06. Extrait du guide psychogéographique de Paris, Guy Debord (1957).

une surface mais comme un milieu, d’ignorer routes ménagés et marqueurs culturels, et d’y tracer des itinéraires arbitraires trachant à vif le bâti et la matière sociale, pour y faire surgir des phénomènes hors normes.» [6] Lorsque l’on dérive dans une ville, on parvient, le plus souvent par hasard, à tomber sur des atmosphères peu banales et intimistes. Lyon est pour cela une ville vraiment fabuleuse qui, du fait de sa densité historique, fait la part belle aux parcours étonnants, que ce soit à travers les traboules de la Croix-Rousse ou les ruelles du Vieux Lyon, les escaliers de Saint-Clair ou les passages de la Presqu’île. A Paris également, où les quartiers de faubourgs tels que Belleville, Montmartre et Saint-Martin

nous amènent à sillonner une multitude de chemins de traverse et autres venelles. Autrement, l’un des exemples les plus intéressants est sans nul doute Port-Grimaud, construit par François Spoerry, qui est l’un des premiers à aller à contre-courant de l’urbanisme de la Charte d’Athènes, et à renouer avec la densité des villes traditionnelles françaises. La cité-lacustre de Spoerry est un cas isolé, car en général ces parcours urbains sont rarement le fruit de planifications ou d’intervention programmées. Ces micro-urbanités se sont formées presque par nécessité fonctionnelle à travers le temps. Les traboules de la Croix-Rousse par exemple, servaient avant tout aux ouvriers de la soie pour descendre le plus rapidement possible la marchandise, depuis les ateliers jusqu’au port.

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? Luc Gwiazdzinski écrit aussi : «nous plaidons pour un droit à l’errance et à la désorientation [...]; un droit à la vacance et à l’inutilité supposée de certains espaces, temps et activités; d’un droit à l’erreur, à la réversibilité et aux bifurcations; et d’un droit au hasard, à la surprise, à la rencontre, aux conflits et au plaisir; autant de choses qui font l’essence même de la belle ville et qui demandent un peu de temps et d’espace pour s’y déployer.» [6] L’errance métropolitaine nous incite ainsi à intensifier le présent en faisant passer nos vies et nos villes du statut d’objet à celui d’évènement. C’est une pratique qui s’applique également très bien à une échelle plus réduite, celle de l’architecture. Les mêmes phénomènes peuvent s’y manifester - densité, vacance, bifurcations, étroitesse, droit à l’erreur et au hasard, surprises - selon d’autres principes, d’autres limites éventuellement, mais surtout selon une autre temporalité. L’architecture peut ainsi pousser ses visiteurs à une exploration, à une dynamique de l’égarement, qui la lui fait vivre d’une manière très particulière et subjective. La perception temporelle est bien évidemment différente de la ville à l’architecture, mais sinon, quelle que soit l’échelle, l’errance s’applique sur la base des mêmes perceptions spatiales. D’ailleurs assez souvent il m’est arrivé de prendre certaines architecture, celle d’Adilon par exemple, pour de petites cités.

L’architecture de l’égarement en quelques exemples. Toutes ces notions de sensoriel, de labyrinthique, de dérive urbaine, renvoient en fait à l’idée que se mouvoir dans notre environnement nous fait prendre la mesure de l’espace et de ce qu’il peut nous transmettre. Dans le labyrinthe, perdre a pour but à la fois

d’emprisonner le Minotaure et de le protéger. Dans la ville, s’égarer permet de l’expérimenter émotionnellement et de véritablement découvrir ce qu’elle a à nous offrir, plus qu’en suivant un parcours tout tracé par les plans. Ceci dans le but de s’extirper d’un ordinaire trop pregnant. Mais qu’en est-il dans l’architecture ?

poétique ou esthétique d’une architecture propre à développer des esprits eux-mêmes curieux, audacieux en pensée et en imagination» [5] affirme Patrick Drevet, dans un livre dédié à l’architecte lyonnais. L’objectif n’était pourtant pas simple, on le verra.

Et bien dans l’architecture, l’errance a tout d’abord cette qualité qui est de nous faire attacher plus d’importance à ce qui nous entoure. On devient plus réceptif aux interactions que l’on peut entretenir avec les objets, les murs, le sol, la lumière, le vide. Un lieu labyrinthique nous pousse à explorer, et explorer éveille nos sens, nous rend curieux et attentifs. On devient beaucoup plus apte à se questionner, à réflechir, ou plus simplement, à se détendre. Si de surcroît une atmosphère ou une ambiance est travaillée en conséquence, l’architecture peut alors même nous emporter dans notre propre imaginaire et nous faire ressentir les choses plus personnellement que jamais, d’une manière que même l’architecte ne peut prévoir. L’espace peut évoquer des souvenirs de notre enfance, quelque chose d’agréable ou de beau, ou à contrario quelque chose de plutôt violent, sordide et inconfortable. En nous faisant percevoir plus que ce qu’elle a réellement à nous offrir, l’architecture se dépasse elle-même.

L’oeuvre d’Adilon est à l’image d’une architecture romantique, comme celle dépeinte par Piranèse en son temps. Au XVIIIème siècle, Giovanni Battista Piranesi, graveur de génie, a créé des oeuvres remarquables, les Carceri (Prisons). Ces seize planches représentent des Fig. 07. Carceri, par Giovanni Battista Piranesi, dit Piranèse. Planche VII.

J’ai eu la chance l’année dernière de découvrir l’oeuvre de Georges Adilon. Le lycée Saint-Paul qu’il a construit pour les Maristes à Lyon est un petit bijou d’architecture alambiquée. On se perd dans de nombreux sentiers, à travers une multitude d’escaliers, d’arbres, de poteaux et de volumes, massifs ou légers, brisés, éclatés, rectilignes ou courbes, faits de vieille pierre ou de béton artisanal, de vitrage, de métal ou de bois. Cette architecture qui touche, celle dont parle Peter Zumthor, elle est là, toute autour, et on y déambule avec grand plaisir. «L’émergence vigoureuse des formes, l’originalité des espaces, généreux dans les volumes et les matériaux, ouverts à la lumière comme à la nature, témoignent de la fonction

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ? univers denses, sombres, énigmatiques et presque terrifiants. Le dessin tout en clairs-obscurs donne à voir des espaces particulièrement labyrinthiques, faits d’un enchevêtrement d’escaliers, de passerelles, de souterrains et de voûtes en pierre. Multipliés à l’infini, ces éléments sont associés à un usage exemplaire de la perspective, avec deux points de fuite situés à l’extérieur du cadre, qui donnent alors l’illusion de lieux clos mais sans fond. Le décor annihile tout balisage éventuel ce qui, conjugué à la sensation de vertige, a vite fait mettre mal à l’aise le spectateur. Ce ne sont que des caprices d’architectures, des monuments irréalisables, mais qui rendent superbement compte d’une ambiance forte et dramatique. Piranèse a ainsi su poser les fondements du romantisme, qui a inspiré entre autres Victor Hugo, en plongeant littéralement l’individu dans un imaginaire esthétique obscur, torturé et chaotique. En ne sachant rien de tous ces aspects très noirs, j’avais même trouvé je l’avoue, la première fois que je les avais vus, que ces univers dépeints avaient quelque chose d’amusant. Ces lieux étranges me rappellaient des images puériles de cabanes dans les arbres, de passerelles suspendues ou de raccourcis secrets. C’est très bizarre, car je n’en donne plus du tout le même sens aujourd’hui. Il n’empêche que le romantisme de ces planches transporte assez facilement l’observateur dans son propre imaginaire, souvent surréaliste. J’ai eu le même sentiment en découvrant le lycée des Maristes à Saint-Paul. Errer dans l’architecture est parfois également affaire de mise en scène. L’architecte peut utiliser la désorientation momentanée de l’usager et le fait qu’il ne sache plus ce qui l’attend dans la suite pour travailler un certain suspens et alors mettre en avant un espace, une ambiance ou un objet en particulier. La composition spatiale est alors fragmentée et joue à la fois sur le contraste entre plusieurs atmosphères, et sur les seuils. C’est quelque chose que Zumthor aime tout par-

ticulièrement pratiquer, pour la Serpentine Gallery par exemple, comme on l’a vu en introduction. Mais cette flânerie à travers plusieurs ambiances, on la retrouve également très clairement dans ses thermes de Vals. En travaillant un contraste entre un espace global, froid et massif, et d’autres lieux plus intimes et singuliers, il offre de nouvelles expériences, en l’occurence ici de l’eau. On retrouve ainsi cette immersion, cette interaction très forte entre les êtres et les choses. Autrement, l’usage de la complexité des formes et des espaces peut revêtir une dimension plus symbolique. Présenter un lieu à l’aspect torturé peut ainsi servir à faire passer un message, à forcer les visiteurs à ressentir un sentiment précis, tel que c’est le cas dans le musée juif de Berlin, construit par Daniel Libeskind. Le but de l’architecte était de faire parcourir l’esprit au milieu d’espaces déstructurés, de lignes brisées, d’angles forts, de vides inutiles et d’images dures, pour le mettre en violence et l’aider à mieux cerner le vécu du peuple juif durant la Seconde Guerre Mondiale. Il y a encore bien d’autres buts à se servir de l’errance dans l’architecture. Par exemple, comme il a été décrit dans Erre, le pavillon de sculptures d’Aldo Van Eyck à Arnhem (1966) a prouvé que la perte d’orientation pouvait insufler une véritable dynamique au visiteur venu découvrir les expositions. L’architecte usait de diverses altérations dans un plan très simple, géométrisé et fonctionnel, pour faire naître un mouvement fluide au milieu d’une intrication d’espaces par la multiplication des perspectives et la disparitions des repères. Le labyrinthe devenait mental, et le jeu de l’exploration total, faisant de la contemplation des oeuvres d’art une expérience de la désorientation. Le déboussollement peut donc être à l’origine d’une motricité, d’un acte de la marche pouvant être exploitée à bon escient par les architectes. Fig. 08. Pavillon du parc de Sensbeck, à Arnhem (Pays-Bas). Plan et vue intérieure.

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CHEMIN 1 : qu'est-ce qu'une architecture de l'errance ?

On comprend finalement, même sans avoir encore profondément étudié ces édifices, que leur caractère labyrinthique et leur manière respective d’égarer l’usager contribuent énormément à faire ressentir au visiteur des atmosphères, des messages et des compositions plastiques propices à son émerveillement, sa spiritualité et sa réflexion. Alain Farel l’écrit très bien : «l’architecture est donc aussi mise en présence de l’homme avec sa sensibilité à l’espace, dans laquelle se conjuguent la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, une perception du temps, une conception du monde. En cela, elle doit faire naître le plaisir ; plaisir intellectuel et sensoriel.» [7] Car l’architecture se vit, par les sens. Et elle se doit de procurer ce genre de plaisirs.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

Se servir de la perte de repères des usagers, c’est bien. Mais comment concevoir l’architecture pour arriver à cette fin ? Y a-t-il une méthode en particulier ? Peut-être est-ce la complexité de la volumétrie ? Ou alors l’absence totale d’indications ? Ou encore la mise en oeuvre d’une diversité de lieux très importante ? C’est peut-être aussi toutes ces intentions à la fois, qui se recoupent pour créer des parcours et des séquences essentielles au dessein de l’architecte. Pour tenter de répondre à cette question, penchons-nous sur trois exemples clés : le travail de Georges Adilon, de Peter Zumthor et de Daniel Libeskind.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

Cas 1 - Le lycée Saint-Paul des Maristes à Lyon : Georges Adilon et la composition maniériste. Là-bas, pas de grand hall d’entrée qui dessert toutes les classes. Non, là-bas, on monte un long escalier situé dans le sombre porche d’entrée, puis on arrive dans une cour toute petite, à peine plus lumineuse, qui offre plusieurs choix de parcours. Dans le premier livre ΠAIΔEIA (lire Paideia, terme grec signifiant «éducation») dédié à l’oeuvre de Georges Adilon, Patrick Drevet dit à propos de ce porche que c’est «une antichambre où nous connaissons cette seconde d’hésitation. Il convient que nous ne voyions pas tout de suite, que nous sachions et ne sachions plus où nous nous trouvons, que nous connaissions ce vertige [...] que nous soyons démunis et sans repères, sans appuis, vulnérables» [5]

En face de nous, une baie laisse voir un espace intérieur, le centre de documentation, tandis qu’une porte vitrée à droite nous permet d’atteindre l’accueil. Et si on se retourne, on a le choix de prendre un bel escalier qui accède à une petite ouverture dans le mur aveugle de gauche, recouvert d’une peinture monumentale de l’architecte. Le caractère abstrait des lignes peintes déconcerte déjà le visiteur. Son mode de représentation cartésien de la réalité est mis en doute. En haut, après avoir monté les marches, une succession de petits escaliers enfermés dans une sorte de tranchée se trouve bizarrement surmontée par encore un autre escalier. A gauche se succèdent plusieurs accès possibles vers les classes. On ressort un peu plus loin de cette perspective ensserrée, pour découvrir une grande cour ouverte, dominée à l’est par une superbe percée visuelle sur les toits de la ville.

Cette première séquence en précède bien

d’autres qui mènent à des salles de classe, des terrains de jeu, la chapelle, les sanitaires, le réfectoire, etc. On marche au milieu de poteaux obliques de béton artisanal, de barrières métalliques, de vieux murs en pierre, d’arbres, de grandes baies vitrées. Les volumes prennent la lumière comme s’ils l’avaient toujours fait et dilatent l’espace, puis le contractent. Je qualifierais personnellement la conception de Georges Adilon de «maniériste» car elles semble être l’aboutissement inavoué de toutes les tentatives effectuées par les architectes baroques du XVIIème siècle. On dépasse ici le système simple et orthogonal de la géométrie cartésienne, ainsi que les codes classiques de composition : le travail porte plutôt sur la discontinuité, l’arythmie, l’asymétrie, la non répétition, la création ininterrompue, le surgissement, l’aléatoire, parfois la permanence. Au premier abord, rien de tout ce spectacle ne semble maîtrisé. Grossière erreur. Le génie de la forme dont Adilon fait preuve réside justement dans l’harmonie de l’ensemble.

Fig. 09. Parcours séquentiel au lycée de Saint-Paul (cf. plan p.15): du porche d’entrée à la première cour commune.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. Georges Adilon est à l’origine un peintre. Son travail pour l’institution religieuse des Maristes a été de longue haleine et s’est fait sur près de quarante ans, en étroite collaboration avec le directeur de l’époque, le Père Perrot. Ce dernier lui a fait confiance pour un collège et un lycée à Lyon, ainsi qu’un troisème établissement à la Verpillère, au sud-est de l’agglomération. C’est en tant que plasticien qu’Adilon a abordé dans les années 50 le projet du lycée Sainte-Marie, dans le quartier Saint-Paul du Vieux Lyon. «La retenue qui transparaît dans ses premiers travaux devait très tôt laisser place à une plus grande liberté expressive qui se conjugue avec ses expérimentations plastiques, l’artiste transposant dans les volumes comme dans l’acier les jeux de lignes qui ne cessent de le fasciner» [4] explique Philippe Dufieux, docteur de l’Ephe au CAUE du Rhône, dans le dernier tome de ΠAIΔEIA. L’importance de sa vision de peintre et de son travail sur la ligne sont en effet très importants. Il suffit de voir la multiplication des escaliers et des rampes, des décrochements et des reliefs, les jeux de pleins et de vides en façades, le travail en détail des menuiseries pour cerner cette poétique qui renvoie invariablement à ses expériences graphiques. Cela se ressent jusque dans les moindres détails de cette architecture totale, pour laquelle il a du se reposer sur la force de l’artisanat. Que ce soit pour l’édification de volumes étonamment compliqués en béton brut ou de ces barrières aux lignes courbes en acier forgé, Adilon a créé son architecture par le détail, comme une ode au savoir-faire de l’homme, à la création par la main. Un artisan maçon, José Silva, témoigne : «Adilon arrangeait roujours les choses. Il avait des idées mais ne savaient pas comment les mettre en oeuvre. Ses chantiers n’étaient pas faciles. Il n’y avait rien de standard. [...] On se trompait toujours de 2 ou 3m dans l’éxecution de ses plans. Et puis il ne refaisait jamais la même chose. [...] A chaque fois il fallait faire un travail de recherche. C’était aux maçons de trouver la solution.» [4] Cette volonté de s’en remettre aux artisans est sûrement en grande partie

à l’origine de cette architecture décomplexée, qui dialogue avec l’individu jusque dans ses moindres recoins. On a l’impression d’avoir affaire à un lieu qu’on a pas fini d’approcher et de déchiffrer. Cela nous pousse à laissealler le regard et la main. Tout le bâtiment n’est en fait qu’une nouvelle expérimentation plastique d’Adilon, qui doit cette fois-ci faire face à un programme. Après de nombreuses discussions entretenues avec le client, Marc Perrot, à propos de nouvelles idéologies sur l’éducation de jeunes esprits, l’architecte lyonnais en est venu à travailler sur la création d’ «unités cellulaires», de systèmes d‘enseignements. Il y ainsi dans le seul lycée des maristes 5 systèmes différents correspondant à 5 ensembles distincts (les secondes, les premières, les terminales, les classes supérieures et les professeurs), qu’il s’est employé à articuler autour d’un dernier système collectif, éparpillé en plusieurs espaces communs sur toute la parcelle. D’où cet ensemble à l’apparence éclatée. Adilon a même poussé le concept d’unités cellulaires jusqu’à une esthétique de l’ovoïde et de la forme naturelle rompant avec le développement de formes carrées héritées de De Stijl. D’où ces volumes courbes élégants et ces gardes-corps voluptueux, qui participent à rendre l’architecture plus vivante, et à donner envie de la vivre. Michel Lavialle écrit là-dessus : «par elle [la grille des gardes-corps] l’espace s’anime. Si solidement ancrée pourtant, la grille ouvre, allège, éclaire et dynamise. Déployant son réseau suspendu, elle maille l’air qu’elle explore pour nous et réveille de ses lignes prestes.» [5] La puissance des courbes et de ces lignes surréalistes nous font nous interroger sur la manière dont nous nous représentons le monde. Privé de références, on découvre quelque chose de nouveau et un peu coupé de la réalité, qu’Adilon s’empresse de nous rappeller avec les marques des coffrages laissées sur le béton.

Fig. 10. L’oeuvre totale d’Adilon. De haut en bas : les gardes-corps, la salle des professeurs, une porte dérobée dans la cour.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. L’aspect surréaliste du paysage voulu par Adilon n’est pas sans rappeller les décors incroyables du longmétrage Le Cabinet du Docteur Caligari. Ce film muet allemand réalisé en 1919 par Robert Wiene est une oeuvre majeure du courant expressioniste d’alors. Il est développé dans le film tout un questionnement sur le rapport à la réalité, qui prend pour décor ces environnements déstructurés sont en fait censés représenter l’imaginaire d’un fou. Ce sont des univers dérangés et en même temps fabuleux, dans lesquels réapparaît la notion toute relative d’ «anormal», et que l’on retrouve très bien dans l’oeuvre de Georges Adilon, notamment dans certains de ses dessins. Tout ce spectacle surprenant est majestueusement mis en avant par les jeux d’ombre et de lumière, dont Adilon se délecte.Ceci notamment dans la chapelle, à l’intérieur de laquelle il modère l’utilisation de symboles religieux pour faire avec juste de la lumière du soleil une ambiance idéale au recueillement des élèves. Que ce soit en accumulant la noirceur derrière des décrochés, en reflétant les rayons sur une vitre ou de l’acier, ou bien en les piégeant à l’intérieur par le biais de larges baies, de fentes discrètes ou de canons de lumière (comme ceux utilisés par Le Corbusier à la Tourette), l’architecte invente des espaces dans lesquels les blancs et les noirs s’affrontent violemment, rappellant quelque chose des Carceri à l’eau forte de Piranèse. La complexité du lieu, à la fois voulue par Adilon et imposée par une topographie du site très contraignante - le lycée est implanté à flanc de la colline de Fourvière - induit donc des configurations multipliant les parcours piétonniers, les escaliers et les séquences d’ambiances. C’est bien simple, de n’importe quel point de vue que ce soit il est impossible d’avoir une vision d’ensemble. Je l’ai expérimenté moi-même en allant prendre des photos là-bas. Les différents espaces s’enchaînent de façon apparement désordonnée, sans lien apparent entre eux, et l’absence de hiérarchie empêche de donner sens

Comparaison inévitable entre l’oeuvre d’Adilon et celle de Robert Wiene. Fig. 11. Ci-contre : l’externat Sainte-Marie de la Verpillère. Fig. 12. Ci-dessous : dessins pour un projet de cent-seize chambres dans l’établissement de la Verpillère. Fig. 13. A droite : trois scènes de Cabinet du Docteur Caligari.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. à l’ensemble. On n’identifie même plus d’ordre entre intérieur et extérieur. Adilon efface avec un talent indéniable les limites. Dans sa bibliothèque par exemple, il intégre trois arbres dans des vides qui traversent tout le volume de haut en bas, et fait de son dehors un dedans, ce qui contribue largement à troubler la compréhension d’un tout. Et cela sans parler de l’organisation des salles intérieures aux corps de bâtiments, particulièrement confuse. Adilon refuse la globalité, et cela se ressent d’autant plus lorsque l’on passe d’une salle de classe écorchée de vifs traits de lumière à un préau sombre, puis d’un escalier étriqué à un toit-terrasse spacieux et très ouvert, laissant au visiteur la chance de profiter d’une splendide vue sur Lyon. Cette succession de vides extérieurs très nombreux, parfois à priori accessoires, est un élément clé pour comprendre le potentiel du lieu. «Le moindre espace n’y est pas récupéré et peut-être que les espaces les plus utiles sont ici les espaces perdus. Là réside le côté luxueux de cette architecture.» [4] explique Antoine Marcha, toujours dans ΠAIΔEIA. Brigitte David continue sur cette générosité de l’espace en écrivant à propos des élèves qui habitent ce lieu que «ce qu’ils préfèrent, ce sont les terrasses qui s’ouvrent sur la ville [...]. Ils parlent des matins d’hiver où du brouillard quand ils arrivent, de la lumière à ce moment-là. ‘‘On se repère mal au début. Cela favorise l’exploration’’ dit Lucie.» [4] Les espaces inutiles ne sont donc pas forcément synonymes de délaissés. Leur multiplication donne même lieu à une parenté intéressante. Sans lien direct avec Adilon, Alain Farrel écrit que «s’il n’y a plus de centre absolu, il peut y avoir des centres partiels, centres de vie, de rencontres, reliés par des cheminements plus ou moins réguliers, irréguliers, singuliers. Retour à l’urbanisme des petites places et des ruelles : Les Hautes Formes de Portzamparc et Benamo, le Kresge College de Charles Moore et William Turnbull, ou Port-Grimaud de Spoerry.» [7] Oui, c’est fou mais ce lycée a en fait

tout d’une minuscule ville.Voilà un terrain de jeu que l’on s’amuse à explorer, constitué de rues, d’escaliers, d’impassent, de raccourcis, de plein de bâtiments différents, de places et d’espaces végétalisés à travers lesquels on aime errer, pour rencontrer, se retrouver, s’étonner. Tout cela participe ainsi à «une poétique de l’espace prônant l’imprévisible, l’émotionnel» [Pascal Buffard]. Il s’avère que même la construction de l’établissement a été proche de celle d’un vrai quartier puisque, débutée par la chapelle en 1957, elle s’est étalée sur quatre décennies. Année après année, lorsque les moyens financiers tombaient enfin, le Père Perrot demandait une nouvelle pièce, une nouvelle tour, un nouvel escalier. Si bien que l’édifice apparait en fait comme le résultat de l’agrégation d’éléments architecturaux autonomes, tombés les uns après les autres sous le coup de crayon du maître plasticien. L’explication est donc en partie plutôt rationnelle. Au final, l’architecture de ce lycée me laisse encore un peu perplexe : est-ce que son penchant labyrinthique était réellement intentionnel de la part de l’architecte ? Difficile à dire tant elle semble à la fois maîtrisée et involontaire lorsqu’on l’arpente. Dans tous les cas, elle atteint son but. Car ce dont je me souviens c’est que le symbolisme et la spiritualité qu’Adilon a du retranscrire n’ont pas besoin de l’ajout ci-et-là de quelques croix du christ pour être effectifs. La simple expression matérielle suffit à rendre le lieu mystique. Il y d’ailleurs cette citation, selon moi très parlante, de Michel Lavialle qui a écrit : «refusant le pittoresque racoleur qui décore et distrait, l’architecture sera douce et dépouillée, sobre sans être sévère; ses formes vivifiées par la lumière mouvante enseigneront que l’ombre n’est pas à redouter tant qu’elle suggère le mystère des êtres et des choses.» [5] Errer chez Georges Adilon permet de comprendre ce «mystère des êtres et des choses», que l’on retrouve aussi chez Peter Zumthor.

Fig. 14. Plan extérieur du lycée et séquence de vues montrées au début de cette étude de cas.

Fig. 15. Vue d’ «ensemble» (représentée en bleu sur le plan ci-dessus).

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

Briser les codes classiques de la composition par l’irrégulier, le brisé, l’organique. Fig. 16. Ci-conntre : la bibliothèque surplombant le préau.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

CAS 2 - La Serpentine Gallery et les Thermes de Vals : la désorientation sensorielle chez Peter Zumthor. A la forme complexe et hors normes que prennent les espaces chez Adilon, on peut opposer le minimalisme chez Peter Zumthor. Deux architectures ; un même but: proposer aux visiteurs le plaisir de la découverte par l’errance. Le concept de l’hortus conclusus expérimenté par Zumthor à Londres, on l’a vu au tout début de ce rapport, n’est qu’affaire de mise en scène. On entre d’abord dans l’édifice par une entrée taillée dans le béton, puis on déambule dans un couloir sombre, brut, linéaire et uniforme, n’offrant presque aucune vue sur l’extérieur et nous privant ainsi de toute orientation globale. Jusqu’à ce qu’on découvre le magnifique jardin aménagé au centre du pavillon. Enfermé entre quatre murs, uniquement ouvert au ciel, le lieu a quelque chose de particulièrement étrange. Tout y est calme et serein. Il est idéal pour la contemplation et le repos, après l’angoisse relative vécue dans le cloître fermé. Toute la séquence expérimentée par le visiteur a pour point final ce petit jardin, modeste, mais sublimé par la naissance d’un certain suspense dans l’esprit de l’explorateur. Voilà une belle interprétation cinématographique de Zumthor, qui reprend le modèle d’une trame principale avec pour unique but la résolution finale du mystère. «Les réalisateurs travaillent avec la même succesion de séquences» [1] rappelle-t-il d’ailleurs. La Serpentine Gallery créée par l’architecte suisse n’a pourtant rien d’un labyrinthe au sens figuré. Le couloir forme une boucle rectangulaire toute en lignes droites. Il est impossible de réellement s’y perdre. Et c’est là que Peter Zumthor fait fort, puisque tout se fait sur le simple plan psychologique de l’usager. Pas besoin de le perdre réellement. L’uniformité matérielle du lieu et la coupure totale depuis le reste du monde débous-

solent complétement, et, associées à une gestion avare de la lumière, une résonnance particulière des sons ainsi qu’une brutalité dans le choix du matériau, tout cela contribue à rendre l’espace irrespirable et à oppresser ceux qui ont osé s’aventurer dans cette masse insondable. Le contraste avec l’hortus conclusus est enfin tel que sa découverte très soudaine nous pousse à croire au hasard, ce qui en fait alors l’une des meilleures surprises de la journée. La dimension temporelle est indéniablement essentielle, puisque la découverte du jardin caché prend du temps. Plus ce temps de déambulation est long, plus

l’arrivée dans le coeur de l’édifice est satisfaisante, et plus l’envie d’y rester pour en profiter est grande. Néanmoins, il est nécessaire de noter que la Serpentine Gallery est un petit programme. C’est une simple installation évènementielle, temporaire (chaque installation par chaque architecte ne dure qu’un été) dont la vocation est de faire vivre aux visiteurs un concept. Rien ne nous dit bien entendu qu’il n’est pas possible d’utiliser le même genre de composition spatiale pour des programmes de plus grande importance, mais l’oeuvre de Zumthor sembler accuser quelques limites que nous développerons dans la suite de ce rapport.

Fig. 17. La Serpentine Gallery 2011 de Zumthor et le travail d’un entredeux désorientant voué à la mise en valeur du jardin.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. La Serpentine Gallery est en somme une très belle articulation entre deux ambiances uniques, bien discinctes, l’une permettant de sublimer l’autre. Le parcours proposé est en effet particulièrement restreint, il offre peu de possibilités. Dans les thermes de pierre, à Vals en Suisse, bien que le registre architectural soit aussi minimaliste, les moyens employés pour obtenir la possibilité d’égarer les gens sont de plus grande dimension, et de nature aussi un peu différente.

Peter Zumthor est un architecte qui accorde énormément d’importance aux rapport de sensations entre l’homme et l’architecture. La plupart de ses oeuvres se caractérisent par une approche très sensible, qui met l’interaction du corps avec son environnement au centre de toutes ses préoccupations. Les cinq sens représentent son principal matériau. Là où dans sa Serpentine Gallery la confusion sensorielle permettait avant tout de mettre en scène la découverte du jardin, pour les thermes, il se sert du mouvement, de la déambulation du visiteur pour mettre ces cinq sens en excergue. Dans son ouvrage De la forme au lieu, Pierre Von Meiss écrit : «le mouvement du corps, s’il n’est pas luimême un de nos cinq sens, nous offre pourtant la mesure des choses et de l’espace. Parcours, visite, danse, geste... permettent l’appréciation des grandeurs et l’exploration du caché : s’approcher, s’éloigner, contourner, monter, descendre, pénétrer, échapper, etc., sont tous des agissements qui invitent à contrôler nous-mêmes ce que nous voulons voir, entendre, sentir, goûter et toucher dans un environnement donné. L’architecture n’est image qu’en dessin ou photographie. Dès qu’elle est bâtie, elle devient la scène et parfois le scénario de parcours et de gestes, voir d’une succession de sensations.» [8] C’est exactement de ces principes-là que Zumthor se sert pour créer sont chef d’oeuvre.

Fig. 18. Croquis d’étude pour la composition des blocs.

Fig. 19. Plan final du niveau accessible au public.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. Situés au fin-fond des Alpes suisses, dans le canton des Grissons, les thermes ont intégré en 1996, date de leur ouverture, un complexe hôtelier des années 7080. Le programme est simple. Il est demandé à Zumthor de proposer aux clients de l’hôtel et aux habitants de Vals des bains utilisant les ressources thermales du site. L’architecte suisse va en faire un véritable théâtre de l’eau, où l’austérité visuelle du lieu laisse place à de multiples expériences sensuelles. Si l’on devait grossièrement résumer l’organisation des thermes, on pourrait dire que c’est une succession de quatre espaces principaux : le couloir d’accès, qui court sous la montagne depuis l’un des hôtel jusqu’à l’entrée des thermes; les vestiaires; les bains intérieurs; et le grand bain extérieur. Ces deux derniers sont en fait imbriqués l’un dans l’autre d’une manière un peu particulière. Ce sont eux qui nous intéressent avant tout dans le cadre de ce rapport. L’organisation de l’espace des deux grands bains est à la fois simple, de part la rigueur de sa géométrie, et compliquée, de part l’agencement des différents éléments entre eux. Zumthor et son équipe l’ont conçu comme un «continuum spatial» [3], selon leurs propres mots, ponctué d’imposantes masses de pierre. Ces «blocs» sont à la fois piliers porteurs, et masses pleines dans la composition du continuum. Ils obligent les visiteurs à longer, contourner, éviter, suivre. Ces blocs cadrent des vues, créent des perspectives ou les masquent. L’espace libre devient, par leur présence, «parcourable». Fait de sinuosités, de virages, de dilatations et de contractions, de détours et de zigzags, c’en devient un véritable «méandre», comme aime l’appeller Zumthor. «Le travail sur la forme et la disposition des blocs était toujours en même temps un travail sur le tracé et la forme du méandre. Pour les hôtes des bains, le méandre est un grand espace libre collectif dans lequel on se déplace. Sa structure est semblable à un tissage. Les paysages sont largement ramifiés et forment des boucles. Se déplacer dans cet espace est une découverte. On s’y promène comme dans une

forêt. Chacune, chacun y cherche son propre chemin.» [3] Comment faire coexister plan libre et parcours sinueux ? Comment rendre possible de la liberté à partir de contraintes ? Zumthor a tout simplement construit à sa manière de l’errance. Les blocs lui servent à manifester des seuils au final peu marqués entre chaque espace, qui appartiennent en réalité tous au même. On peut par exemple passer du grand bain extérieur au grand bain intérieur en marchant simplement, ou bien en nageant à travers une petite ouverture pratiquée dans une paroi vitrée. La continuité est assurée à un tel point que la succesion des atmosphères se fait sans ruptures fortes, ce qui tend à troubler d’autant plus le cheminement et à perdre les visiteurs. Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que la composition en plan de ces blocs est en fait bien plus ordonnée qu’elle n’y paraît. L’architecte s’est imposé des règles très strictes d’alignement par rapport à d’autres blocs, ou par rapport aux traits de lumière zénithale, de pleins/vides, de lignes visuelles, etc. Et effectivement, en évoluant à l’intérieur de ce qui semble être une grotte, de superbes vues sur le paysage alpin se dévoilent progressivement à nous, subtilement ménagées par l’alignement des différents piliers. Ceci jusqu’à les découvrir entièrement, cadrées par des ouvertures immenses taillées dans la pierre. Le lien avec l’environnement agit sur le mode de surprises visuelles, comme a su le faire Adilon. Autrement, en plus de composer l’espace à partir de chemins multiples, de détours, de seuils et de cadrages, ces blocs renferment chacun une surprise. Dans sa volonté de proposer aux visiteurs de nombreuses expériences sensorielles de l’eau, l’architecte a mis en scène pour chaque bloc une rencontre unique avec. Il y a ainsi un bain de feu (42°c), un bain de glace (14°c), de l’eau à goûter (l’eau de Vals était bien avant les thermes mise en bouteille et vendue à travers le monde), de l’eau à écouter, un bain à fleurs, et un bain de vapeur. On

Fig. 20 - 21. D’un ensemble massif et austère on peut rapidement passer à des lieux plus intimes et sensoriels.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. retrouve le thème cher à Zumthor des cinq sens. Chaque volume, toujours intimiste (on peut rarement y entrer à plus de cinq personnes à la fois), contraste nettement avec le reste uniforme et austère des thermes, que ce soit par les dimensions ou le traitement de la matière et de la lumière. Le bain de feu est ainsi mis en valeur par des murs peints en rouge, qui augmentent par là -même la sensation de chaleur. Zumthor disait à propos de ces petits endroits que «la composition architecturale offre ainsi deux espèces d’espace aux utilisateurs des bains : l’espace entre les blocs, formant un vaste réseau ramifié entourant tout, et des esapces introvertis dans les blocs mêmes, intimes, presque comme des cachettes, un peu secrets.» [3] La découverte des bains devient une expérience ludique, ou chacun se laisse-aller selon sa curiosité et selon ses propres désirs de parcours, dans l’espoir de découvrir, au détour d’un mur de pierre, un autre de ces lieux un peu étranges faits pour vivre l’eau.

L’architecte suisse explique en outre qu’il était constamment guidé par l’idée de rendre à l’eau ce caractère spirituel qui l’accompagne depuis toujours. L’établissement se devait d’être un temple dédié au culte de l’eau, comme ça pouvait être le cas chez les druides celtes ou dans n’importe quelle autre religion.Autant chez les chrétiens que chez les juifs ou chez les musulmans, l’immersion dans l’eau est un acte à forte image de purification de l’âme. En proposant une diversité des expériences de l’élément, Zumthor pousse ce culte à l’extrême en le rendant avant tout physique et même sensuel, mais aussi émotionnel. C’est là qu’intervient le travail conjugué de la lumière naturelle et de la matière. S’il a longtemps été question du choix des matériaux, la décision d’avoir préféré la seule et unique pierre de Vals est aujourd’hui plus qu’admirée. Cette sorte de gneiss, qui fait la fierté de la région de Vals, a des tons

gris infinis aux reflets verts et bleus, marqués par des veines fines de mica luisant doucement au milieu d’autres micro-cristaux. La pierre est monacale, mais elle est magnifique, notamment sous le spectacle double de l’eau et de la lumière, finement amenée à l’intérieur par Zumthor, qui explique très bien ses choix : «l’eau et la pierre peuvent établir une relation naturelle, presque magique. La pierre aime l’eau. Et l’eau aime la pierre peut-être plus que tout autre matériau. Les pierres forment un espace; l’espace des pierres retient l’eau; la lumière s’infiltre par certains endroits déterminés et la pierre luit; et l’eau commence à briller, parfois à la façon d’un miroir, parfois comme une masse. Et voilà que cette ambiance, cette atmosphère particulière est déjà là. Il faut juste la voir, un cadeau.» [3] La lumière est un aute matériau précieux pour Zumthor. Elle lui sert à diriger la personne qui s’aventure dans son univers froid et sévère. Il use notamment

Fig. 22. Parcours séquentiel des ambiances lumineuses rencontrées depuis l’escalier des vestiaires jusqu’à la sortie sur le bassin extérieur.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. dans ses thermes de lignes lumineuses fortes venant d’interstices au plafond, qui correspondent en fait aux joints de dilatation entre les différentes parties en béton du toit, portées par les blocs. Ces lignes sont un éléments particulièrement marquant du projet, qui ont pris une place première dans la composition de l’espace. Les rayons changeants du soleil glissent ainsi sur les parois humides minérales pour finalement atteindre l’eau des bains, et donner au lieu toute la dimension spirituelle que l’architecte désirait tant. Il dit s’être beaucoup inspiré de la mise en scène lumineuse dans certains bains orientaux. Il use également de l’apport conséquent de lumière en façade Est, à travers différents cadrages donnés par les blocs, ainsi que de touches plus modérées de points lumineux dans la masse sombre des thermes, au fond des bains, au plafond ou sur le reflet né à la surface discrète d’un bronze. Zumthor pense toujours en premier lieu un bâtiment comme une entité d’ombre. L’atmosphère dans les thermes y gagne quelque chose de médidatif et de mystique, digne des cathédrales. Pour donner toute l’intensité qu’il désirait, Zumthor a d’ailleurs voulu faire de l’aventure des thermes une expérience complètement atemporelle, durant laquelle on ne doit pas sentir les minutes passer. A la demande du client, il a tout de même du installer à contrecoeur, pour les visiteurs anxieux, des horloges, qu’il a discrétement intégré dans des cylindres verticaux de laiton, avec des cadrans à peine plus gros que celui d’une montre. Toutes ces séquences d’ambiances, l’architecte les a pensées avec une image dominante en tête, celle d’une carrière de pierre née de la montagne. C’est pour cela que les thermes sont intégrés à la pente naturelle, et ça explique aussi en partie les dimensions monumentales des blocs de pierre, qui atteigent les 5m de hauts. Il a réussi à créer un paysage abstrait et presque naturel, fait de masses diverses et d’interstices étriqués, si bien qu’une fois dedans on a l’impression de se perdre au milieu de failles et de falaises, de cavités et de trous d’eau.

On peut par conséquent faire le rapprochement avec l’architecture de Zaha Hadid pour son bâtiment «paysage», le Phaeno. Ce centre pédagogique des sciences, élevé sur deux niveaux en plateaux libres, est d’une forme particulièrement complexe et organique. Si le parcours est laissé libre et sans contraintes, ni salle close ni couloir, au même titre que les thermes de Vals, il se trouve rythmé par des talus, des percées, des canyons, des cratères et d’autres jeux perspectifs qui organisent l’espace de façon fluide, sans heurts ni ruptures complètes. Zaha Hadid dit d’ailleurs à propos de Phaeno que «en créant de la complexité, vous pouvez éprouver l’espace d’une façon apaisante, ou exaltante. J’appelle cela un paysage.» [15] L’espace n’est pas fragmenté comme c’est le cas chez Georges Adilon. La quête de complexité porte ici sur une formalisation spatiale d’inspiration naturelle. Tout invite à la promenade et à la succesion des points de vue, exactement comme dans les thermes de Vals. Zumthor dit de ses bains que c’est «un grand continuum spatial, un espace que je perçois comme un tout dès que j’y pénètre, mais que je ne peux jamais englober du regard. Je dois le parcourir, le découvrir en marchant.» [3] On peut tout à fait appliquer cette citation au Phaeno. Chez Zaha Hadid c’est aussi la forme de l’espace qui génère la désorientation. La composition tout en déséquilibres et en tensions entre les volumes, que l’on retrouve un peu chez Adilon, achève d’égarer le visiteur. En revanche, le travail de la matérialité et de l’ambiance y est beaucoup moins prépondérant que pour le lycée Saint-Paul ou que pour les thermes. L’atmosphère y est neutre et surexposée, globale et sans surprise. L’effet est saisissant, mais pas de la même manière. Dans les thermes, le paysage est d’autant plus marqué par cette diversité des atmosphères, qui souvent offre une composition paradoxale entre monumentalité et intimité. Les imposantes masses de pierre qui sortent majestueusement de l’ombre peuvent en fait laisser le spectateur lire

Fig. 23. Etudes en maquette et croquis des raies de lumière zénithale et de leur dialogue avec les blocs et l’eau.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. des espaces ténus et intimistes. En vérité très profonds, ils sont mis en lumière de telle façon que notre perception, troublée, n’en distingue qu’une partie, à échelle humaine. Ce qu’il n’y a pas dans le Phaeno, dont la vision générale est traitée beaucoup moins subtilement. En imaginant ce splendide paysage au sein d’un paysage, Peter Zumthor a réussi à offrir un lieu destiné à découvrir l’eau dans tous ses états. On s’égare avec plaisir dans ce temple également paysage artificiel, qui dans toute sa monumentalité parvient malgré tout à donner à l’homme sa place, afin d’expérimenter à travers tous ses sens les relations entre sa peau, la pierre, l’eau et la lumière.Voici pour conclure une autre citation de l’architecte : «ce que nous voulions, c’était créer un environnement sensuel pour le corps humain. Les espaces de pierre devaient caresser le corps; non pas le concurrencer, mais lui donner de l’espace. De l’espace pour une présence digne, de l’espace pour être. Des formes calmes, une présence matérielle intense». [3] L’intensité de l’espace engendre ici un dialogue entre l’homme et l’eau. Mais elle peut aussi symboliser autre chose. Une histoire par exemple. Celle des juifs.

Fig. 24. Ci-contre : Croquis d’étude montrant l’évolution du visiteur dans le «méandre» des thermes de Vals, depuis les vestiaires en haut (Ouest) jusqu’aux immenses ouvertures en bas (Est). Fig. 25. Ci-dessous : Le grand «méandre» du Phaeno, un immense terrain de jeu et de découverte fait de talus, de galeries, de passerelles, de parois penchées, de grottes, de trous et de failles.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

CAS 3 - Le musée juif de Berlin : quand Daniel Libeskind raconte l’Histoire à travers des espaces torturés. Le cas du musée juif de Libeskind est un peu particulier (c’est un euphémisme...) car contrairement aux deux autres, la finalité de son caractère alambiqué est ici porteuse d’un message symbolique plus que de sensations. Les formes tourmentées du musée ont en effet pour vocation de raconter l’histoire justement tourmentée des juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir visiter l’édifice, mais un questionnaire adressé à mes camarades qui l’ont fait m’a permis de plutôt bien comprendre ce à quoi toute cette complexification, qui semble excessive lorsqu’on ne l’a pas éprouvée, pouvait bien servir. Lorsque je demandais «quels sentiments ont dominé le parcours du musée ?», la plupart des réponses faisaient état d’une certaine brutalité, d’une violence et d’une peur fortement marquées. Tous les interrogés ont d’ailleurs confirmé que la mise en scène voulue par Libeskind était en parfait accord avec le sujet abordé, et que le musée y gagnait largement en présence, touchant ainsi assez facilement les visiteurs. La dimension symbolique n’est pas primordiale dans ce musée; elle est sa raison d’être. Pour retranscrire cela, Daniel Libeskind, architecte américain d’origine polonaise (ses parents ont survécu à l’Holocauste), a du énormément se battre avec son maître d’ouvrage. Il faut dire que ce qu’il a réussi à faire passer, peu de monde aurait déboursé autant pour. La construction de Libeskind vient s’ajouter en 1999 à un bâtiment historique déjà existant, le Kollegienhaus. Elle prend la forme d’un éclair qui lui vaudra son célèbre surnom de «blitz». Le musée juif est un manifeste du mouvement déconstructiviste, né dans les années 90 sous la houlette

de Peter Eisenmann, Zaha Hadid, Frank O’Gehry, Bernard Tschumi ou encore Coop-Himmelb(l)au. Le but de ces architectes n’a pas été de se réunir sous un style architectural, mais de s’émanciper, chacun à leur manière, des traditions constructivistes à l’origine même de l’architecture. Leur remise en question permanente des systèmes formels habituels, de la géométrie euclidienne, de la verticalité d’un mur, de la dissociation des fonctions porteuses et d’enveloppe, etc., a ouvert la voie à de nouvelles possibilités d’expressivité. A l’aide notamment des nouvelles technologies de construction, ils interviennent dans des registres plastiques de décomposition, de nonlinéaire et de fragmentation afin de questionner l’usager sur «ses notions de bases qui fondent sa compréhension et son appréhension de l’espace bâti» [7], explique Alain Farel. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il s’agit là non pas d’une pensée architecturale uniquement destructrice, mais plutôt créatrice de nouvelles façons de se représenter le monde, en se libérant de suffisances stériles. Ces architectes assument des évolutions très risquées de leur vocabulaire : le rationnel devient hasard, l’ordre chaos, et l’économie générosité. Farel dit ainsi que «l’architecture participe de la même démarche, s’enfle et se dérobe, se creuse, se perce, se fracture, s’emplit de matière au hasard de péripéties agrégeantes, conjugue l’ambiguité et le doute, décline l’erreur et l’écart génératifs, s’ouvre aux excès.» [7] Daniel Libeskind a du porter ses intuitions esthétiques «excessives» à bout de bras, comme Georges Adilon avant lui, défendant que le surréalisme mis en oeuvre, qu’on dirait lui aussi tout droit sorti du Cabinet du Docteur Caligari, n’est que le reflet de quelque chose de plus profond, auquel il est proposé de réfléchir. L’organisation générale se fait le long d’un parcours muséal très particulier et assez destabilisant. Tout d’abord, ne cherchez pas l’entrée au pied de cet immense bâtiment en ligne cassée. L’architecte chamboule dès le début les codes classiques de l’architecture : de manière proche au thermes de Zumthor, l’entrée se trouve dans l’autre bâtiment. Un volume en béton, qui se démarque

Fig. 26. Confrontée au bâti existant, la façade du nouvel édifice donne le ton...

Fig. 27. L’organisation du souterrain : évidente ici, mais impossible à comprendre du premier coup d’oeil sur les lieux (de droite à gauche : l’escalier d’entrée, la Tour de l’Holocauste, le Jardin de l’Exil et l’escalier de la Continuité).

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. assez fortement du reste à l’intérieur de l’ancien édifice, donne le ton. Il contient un escalier sombre, qui coupe définitivement le visiteur du monde extérieur. La liaison avec le nouveau musée se fait en réalité à travers un souterrain. On ne monte pas pour entrer dans ce musée, on descend. En bas, l’architecte a opté pour un parcours tout en perspectives brisées. Il y a trois axes, séparés par un cloisonnement central ne permettant toujours la vision que de deux des axes à la fois seulement. Les possibilités de parcours sont ainsi multipliées et sont caractérisées par des virages brusques, des perspectives doubles, de multiples embranchements, des traverses et des impasses. L’espace y est en outre marqué par des traits de lumières au plafond bas qui écrase l’usager et l’enferme dans ce parcours initiatique déroutant. En fait, que ce soit la forme globale extérieur du bâtiment, plié de façon extraordinaire d’un bout à l’autre de la parcelle, les stries sur sa façade ou les raies intenses de lumière à l’intérieur, la ligne se donne en spectacle et domine l’architecture.

Ce n’est pourtant rien qu’un autre symbole des violentes déviations rencontrées par le déroulement de l’histoire juive. Dans le questionnaire proposé il est ressorti que le souterrain est de ce fait un lieu assez fort de sens et qui suscite ouvertement de l’émotion. C’est l’un des plus marquants du musée. Peut-être aussi parce qu’il s’agit de la première découverte. La visite ne fait que démarrer. Depuis le souterrain, parmi les trois scénarii possibles, on peut accéder à un jardin étrange, dit le «jardin de l’exil», représentant la fuite des juifs de l’Allemagne. Voilà une autre sorte de hortus conclusus qui prend cette fois-ci la forme d’une trame orthogonale de piliers massifs, droits et contenant des arbres, dont la cime bloque tout regard vers le ciel. Ce qui semble être l’une des seules choses carrée dans ce musée est en fait basculé dans sa totalité, les 49 piles de béton avec. Ce geste léger et presque poétique de l’architecte fait de ce lieu à l’origine parfaitement orthonormé une tourmente pour les sens : on marche sur une double pente à 10° au milieu d’une forêt de masses elles aussi penchées. Du fait de la trame répétitive, laissant presque la même vision à chaque changement de direction, l’espace devient laby-

rinthique et la désorientation totale, jusqu’à un certain malaise. Et quand on pense enfin en sortir, on tombe sur des douves coupant définitivement le jardin du monde environnant, pourtant visible. Se retrouver à l’air libre n’est qu’une illusion de plus. L’ «exil» est un cul-de-sac, on n’a pas d’autre choix que de retourner dans le souterrain. Du reste, notons que ce jardin ressemble beaucoup à une autre réalisation berlinoise, elle aussi dédiée à la mémoire juive : le mémorial de l’Holocauste, construit par Peter Eisenman. L’expérience singulière du jardin de l’exil est démonstrative de la volonté de l’architecte qui était de faire ressentir aux individus une tourmente psychologique proche de celle ayant marqué le passé juif. Le fait de les égarer dans des déambulations à priori inutiles n’est qu’un prétexte pour des évenements dramatiques provoquant de l’empathie. D’ailleurs, Libeskind intégre dans sa séquence d’immenses volumes vides dans des blocs de béton brut. La plupart sont inaccessibles et forment la dernière ligne, la «ligne fantôme», un ensemble d’espaces que l’on ne devine même pas depuis l’extérieur et que l’on ne peut expérimenter qu’à travers de rares

Fig. 28. Parcours séquentiel des différentes expériences à vivre selon les trois axes du souterrain.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. ouvertures disséminées tout au long du parcours. Encore une fois, ce geste architectural fort, un peu superflu dans sa fonction même, est un autre non-dit exprimé par Libeskind, qui donne à prendre conscience de l’absence. On ne peut entrer que dans deux de ces vides. En premier lieu la Tour de l’Holocauste, un vide total entre quatre murs obliques dans lequel il n’y a rien d’autre qu’une ouverture en fente donnant sur l’extérieur, dissimulée dans un angle tout en haut, comme une lueur d’espoir inatteignable, traduisant la réalité humaine du vide. Et il y a également le «vide de la mémoire», qui renferme une oeuvre de l’artiste israélien Menashe Kadishman. Le sol est jonché de 10 000 pièces d’acier représentant des visages torturés, qui font étrangement penser au tableau «Le Cri» d’Edvard Munch. La personne qui marche dessus entraîne alors un cliquetis métallique mis en résonnance par la hauteur démesurée de la salle et les parois aveugles de béton. Le bruit stridant rompt le silence et éprouve l’oreille. Le visiteur comprend alors par le tumulte des sens la signification d’une telle mise en scène. On constate qu’à l’inverse de Zumthor qui installe un paysage sur une base en plan libre, créant ainsi une continuité entre toutes les zones et les faisant appartenir à un seul et même vide, Libeskind arrange lui plutôt une succession déléments autonomes, de vides renfermant différentes ambiances, qui participent à une autre forme de scénographie suscitant tout autant la curiosité. Ceci dans un volume global qui ne peut jamais se lire dans son entièreté depuis l’intérieur (à noter que ce phénomène est constant dans chaque étude de cas). En comparant les schémas des différents tracés de parcours entre le musée de Libeskind et le l’extérieur du lycée d’Adilon (cf. p.28), on comprend nettement que sous son aspect tortueux, le réseau muséal est finalement plutôt linéaire, dans le sens où Libeskind cadre implicitement l’usager dans un chemin très tracé. Il dit à ce propos : «Ce ne sont pas des espaces libres. Je fais partie de ceux qui croient que l’espace doit faire éprouver quelque chose d’authentique [ce

que dit aussi Zumthor] sinon on aurait pas besoin de l’architecture. Les escaliers et circulations principales ne sont pas du tout dans l’ordre auquel on s’attend à les trouver. [...] Ca parle de l’expérience des juifs allemands, ce qu’il me semblait important de transmettre.» [13] A propos de cette relative liberté dans le parcours, lorsque je demandais dans le questionnaire quel sentiment avait dominé la visite, entre laisser-aller, désorientation ou perdition absolue, on me répondait principalement un certain laisser-aller, en étant en même temps tout à fait conscient de la complexité du cheminement et de ses diverses ramifications. L’architecte a réussi là un sacré tour de force. En travaillant un parcours embrouillé fait de multiples détours - qui s’avère en réalité composé d’un seul et unique chemin possible - il est arrivé à rendre l’errance suffisamment naturelle pour que les gens ne se sentent pas totalement perdus, en se servant notamment de la déclivité du sol et des lignes de lumières comme d’indications implicites de directions à prendre. Si on se penche sur le problème dans l’autre sens, on peut aussi dire que l’architecte parvient à diriger, à l’aide de ces mêmes outils, mais en laissant malgré tout chez le visiteur un sentiment de fausse liberté. Cette double définition est caractéristique du laisser-aller. Le travail des seuils est notamment un aspect très important, contrairement à ce que l’on peut observer dans les thermes de Vals ou au lycée Saint-Paul. Ils permettent de donner quelques rares indices sur l’évolution du parcours. Le simple fait que chaque salle ne ressemble à aucune autre rend compte d’un changement efficace dans l’esprit de l’usager, qui peut par conséquent se créer quelques repères. Ici, paradoxallement, la variété d’espaces permet donc de s’y retrouver. Certes, les espaces sont également très varié dans le lycée des Maristes. Mais là-bas, le cheminement beaucoup plus libre et l’effacement des limites empêche de se former aussi facilement une carte mentale du lieu. Chez Libeskind, on

Fig. 29. Quand l’architecture nous fait perdre toute mesure de l’espace et rend les parcours hasardeux à l’extrême. Le mémorial des juifs assassinés d’europe, Eisenman (Berlin, 2005).

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. peut se dire «au début c’est le souterrain, à partir duquel je peux accéder au jardin ou au vide, ensuite c’est l’escalier...». Il y a un ordre qui s’instaure dans la succession des espaces, ce qui en facilite la mémorisation.

des expositions. Les étages ne sont au final pas les plus intéressants pour la notion de parcours, dans le sens où ils s’imposent dans une perception bien moins progressive que celle que l’on pouvait avoir en bas.

Pour monter ensuite dans les véritables salles d’expositions, au coeur du volume principal, après avoir quitté le souterrain, le visiteur n’a pas d’autre choix que d’emprunter justement un entre-deux encore une fois assez particulier. Libeskind va théâtraliser un escalier que l’on juge au premier abord plutôt modeste, et qui, une fois arrivé au premier palier, s’avère en vérité monumental. Procédé classique, mais effet garanti : l’espace souterrain se dilate afin de libérer la vue sur une perspective spectaculaire, qui trace l’escalier depuis le sous-sol jusqu’au troisième. C’est une nouvelle mise en avant de l’effort, de la difficulté du cheminement. La montée est en outre traversée au-dessus par de nouveaux éléments de béton brut sortis de nulle part. On ne sait même pas s’ils sont structurels.

Je conclurais en exprimant que le plus étonnant est la capacité, plus généralement propre aux déconstructivistes, que l’architecte a eu de dépasser à ce point les normes modernes très contraignantes et les codes autant classiques que modernes de composition pour créer une oeuvre aussi singulière. Tout cela semble être le fruit du hasard. L’ensemble fait pourtant preuve d’une certaine harmonie du même ordre que celle des oeuvres d’Adilon. Et nous ne saurons peut-être jamais quelle a été véritablement la part d’aléatoire dans la conception de l’édifice. Il n’en reste pas moins que la dimension labyrinthique, qui agit sans que l’on s’en rende compte sur notre perception, plait beaucoup d’après ce que j’ai pu comprendre dans les témoignages. Ceci car Libeskind ose proposer une expérience de l’architecture par l’errance, dans le but de donner une autre lecutre de l’histoire, toute en suggestions et en messages cachés. Sans être forcément plaisante ni confortable (c’est même plutôt l’inverse qui est visé), cette promenade muséale aux allures d’épreuve marque tellement qu’il est difficile d’y rester insensible. Elle fait naître divers sentiments (brutalité, violence, tristesse, peur, isolement, tournis,...) tournant tous autour du souvenir des atrocités commises par les nazis.

Une fois arrivé dans la deuxième partie du bâtiment, Libeskind use des même procédés que dans le souterrain, à savoir des obstacles, des détours, dans angles vifs, etc. Et pourtant l’effet n’est pas aussi saisissant. Sûrement à cause de l’étendue de l’environnement, qui donne à voir un ensemble spatial bien plus vaste et uniforme. On a bien ci-et-là des pièces isolés par un mur fendu, et l’enveloppe, qui offre pour la première fois des vues sur la ville et le ciel, est scarifiée de ces nombreuses ouvertures intrigantes. Mais l’ambiance n’agit plus à la même échelle. Il n’y a plus que très peu de couloir étroits, de plafonds bas et d’éléments de paysage avec lesquels l’homme intéragit directement. De plus, la séquence spatiale n’est plus autant divisée, les seuils devenant de moindre importance et la richesse des espaces moins appréciable. Seuls les six vides fantômes créent le véritable évènement architectural, dont l’importance initiale a de plus été passablement amenuisé par la scénographie

L’architecture a au final une présence telle que les expositions en deviennent de trop, voir même «nuise à la force symbolique et au message», selon une des réponses au questionnaire. L’édifice est sa propre scénographie. Le mystère symbolique incarné par sa forme et ses ambiances fait indiscutablement mouche. S’égarer dans cette complexité généreuse et hasardeuse de lignes est formidablement bénéfique pour l’esprit.

Fig. 30. Même l’intersticiel n’échappe pas à la torture enduré par le bâti. Ici, le grand escalier menant aux étages d’exposition.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation. Fig. 33. Analyse comparée des différentes possibilités de parcours dans les espaces extérieurs du lycée Saint-Paul (en haut) et à l’intérieur du musée juif de Berlin (en bas). Les différentes opacités correspondent aux étages (sachant que le même plan s’applique sur 3 niveaux pour le musée juif) et les traits transversaux représentent les seuils particulièrement marqués. Une flèche indique à chaque fois l’entrée principale dans le bâtiment. Schémas sans échelle..

Fig. 31 - 32. Les étages d’exposition, plus sages dans leur caractère globalisé.

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CHEMIN 2 : construire la désorientation.

En somme, ces trois études de cas m’ont permises de mettre en évidence divers procédés de constitution d’espaces architecturaux dédiés à l’errance. Les jeux d’ombre et de lumière, de monotonie et de surprises, d’homogénéité et de contrastes, de formes régulières et de lignes complexes, de continuité et de ruptures, de normes et de hasard, d’étrange et de banal, d’absence de repères et d’indications évidentes, de lecture globale et d’éclatement des espaces, toutes ces manifestations spatiales apparaissent comme autant d’outils destinés à agir directement sur la perception sensorielle de l’homme. Ce sont des stratégies de désorientation donnant la possibilité à Zumthor, Adilon et Libeskind de réussir à provoquer chez les gens une sorte de dynamique, à les lancer dans une démarche d’exploration leur donnant à voir par le biais de l’architecture des atmosphères agréables, des images oniriques ou des symboles mystiques, que ce soit de manière inconsciente ou plus explicite. Mais pour parvenir à cela, ils ont du se confronter à des problématiques diverses et importantes, qui rendent cette approche architecturale en fait assez dangereuse.

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique A ce stade, on comprend que l’errance peut-être un élément particulièrement stimulant dans l’architecture, favorisant une certaine curiosité pour l’espace par le plaisir de la flânerie. C’est une tactique de composition qui revêt un caractère hautement sensible, mis en excergue par des désorientations successives.Toutefois, il est évident que ce type d’architecture accuse des limites, en grande partie liées au confort de l’usager et aux coûts de mise en oeuvre. On se pose alors la question de savoir quels sont exactement les problèmes soulevés et quelles solutions proposent les trois architectes vus précédemment ?

S’orienter, un confort nécessaire. L’homme a besoin de se situer dans son environnement. C’est un aspect de confort qui a été très largement étudié par les architectes rationnalistes des CIAM, qui prônaient une clarté poussée à l’extrême dans la lecture d’un bâtiment, afin d’éviter tout mal-être lié à l’usage qu’on en fait. Ceci au point d’en faire un principe premier dans beaucoup d’oeuvres architecturales. Voici l’une des principales raisons qui font que l’architecture «labyrinthique» et la notion de complexité qu’elle implique sont aussi souvent rejetées dans les courants actuels. Il y a un refus général de la perte de repères. Pierre Von Meiss le confirme : «nous avons besoin, pour nous orienter dans ce monde, de simplifier mentalement et visuellement sa complexité.» [8] Il nuance ensuite : « Les variations peuvent être stimulante, mais pas le désordre.» [8] A une époque où règnent les grands programmes tels que les hôpitaux, aéroports, universités, musées et bâtiments administratifs, l’orientation est une problématique primordiale qui fonde la plupart des projets contemporains. C’est un phénomène que je remarque personnellement tous les jours à l’école d’architecture : très peu de professeurs laissent leur élèves explorer dans leur projet des notions de complexité et de sensi-

bilité de l’errance. La raison pédagogique est indiscutable. Pour comprendre le désordre et ne pas tomber sur des écueils insurmontables, il faut avant tout apprendre l’ordre. On peut garder à l’esprit toutes les qualités précédemment énoncées d’une organisation dite de l’égarement. Mais on admettra que dans de grands équipements de l’ordre d’une université, le rôle de l’architecte est en premier lieu de savoir faire en sorte que les gens puissent s’y retrouver aisément. Dans son livre, Meiss s’attaque ainsi de façon virulente aux problèmes d’organisation de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, dans laquelle il enseignait. Au sein d’un édifice tel que l’EPFL, où n’importe qui doit pouvoir accéder le plus rapidement possible à toutes les salles de cours, le fait d’intégrer d’innombrables couloirs sinueux dans lesquels on se perd sans peine peut être très gênant En fait, notamment lorsqu’il «franchit des limites, graduellement ou au contraire brusquement» [8] explique le professeur suisse, le parcours effectué à l’intérieur ne fournit pas les indications suffisantes pour que l’homme puisse se situer après chaque seuil ou limite, chaque changement. «Les changements de direction sont fréquents, et lorsqu’ils s’opèrent en l’absence de référence cardinale, d’une hiérarchisation directionnelle ou d’une référence à un extérieur connu, il suffit de trois changements de direction pour qu’un être normalement constitué

se trompe de 90° quant à sa direction.» Il rajoute : «une vision d’ensemble et même de sous-ensembles cohérents est impossible.» [8] On observe cela aux Maristes. Même si le fait de pouvoir parfois se resituer par rapport au monde extérieur aide à ne pas s’y perdre, le manque d’une hiérarchisation claire des systèmes liés d’une manière ou d’une autre rend l’ensemble incompréhensible. Et c’est encore pire à l’intérieur, où la diversité des salles se conjugue à l’impossibilité de les relier d’un coup d’oeil ou de les recontextucaliser. Un élève qui y arrive pour la première fois doit je pense mettre un certain temps à se répérer dans ce dédale de formes étranges, et se créer sa propre carte mentale du lieu, ce qui doit conduire à pas mal de retards en cours... La preuve en est qu’il m’a fallu 15 minutes juste pour trouver la chapelle, située en haut d’un bâtiment, et qui était pourtant en plus signalée par un fléchage. La désorientation implique plus précisément deux défauts majeurs. Premièrement celui de rapidement décourager un visiteur dans son élan d’exploration, dont l’impatience de trouver enfin son objectif remplace rapidement la curiosité. Deuxièmement le cas, extrême, de la perdition, où la disparition totale de repères provoque forcément l’angoisse de ne plus pouvoir sortir. C’est la

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique limite entre un espace de l’errance et un véritable labyrinthe, celui dans lequel moi-même j’essaye de ne pas tomber depuis le début de ce rapport. Tous deux traduisent la notion très importante de temporalité, qui n’est pas la même de la ville à un service public d’envergure, ou encore d’un grand équipement à un établissement plus modeste de bains. Meiss écrit en effet que l’errance «a peu de conséquences pour les intérieurs à petite échelle, car la désorientation est de courte durée.» [8] A l’échelle urbaine, le problème est formellement tout autre, mais il part du même principe. Dans une ville, où les fondations construites à travers les siècles sont généralement un peu chaotiques, il est préférable de toujours avoir une carte à disposition. A nous de décider si on s’en sert ou pas. Pour un hôpital, il en va différemment, bien entendu. On imagine très mal un service des urgences ou une clinique sous la forme de quelque chose proche du musée juif. «C’est la plus haute mission de l’architecture que d’être un art appliqué» [1] affirme Zumthor. Un architecte doit savoir retenir sa fibre créatrice de dédales pour autoriser un minimum de lecture, proportionnellement à l’importance du cahier des charges. Il s’agit donc de trouver un équilibre «entre sérénité et séduction» [1], comme l’explique l’architecte suisse. «Diriger, séduire, laisser aller, donner de la liberté. Pour un usage déterminé, il est bien plus judicieux de créer un calme, une sérénité, un lieu où vous ne devez pas chercher la porte.» [1] Bien qu’il ne soit pas très clair sur sa position entre présence ou absence de repères, on comprend ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que «comme architecte, je dois veiller à ce que cela ne devienne trop labyrinthique, si ce n’est pas ce que je veux.» [1]

Ordre ou désordre ? On l’a vu, la confusion productrice de mouvement est souvent due à une volumétrie complexe et atypique, qui entraîne une remise en doute des principes normés de représentation de notre monde environnant. Quelles sont les limites de ce qui peut alors sembler chaotique et désordonné ? En se penchant sur le cas du Parthénon, Pierre Von Meiss écrit à se propos qu’en le regardant sous un angle oblique, «nous sommes en mesure d’en saisir même les faces cachées. Tous ses éléments, base, colonnes, chapiteaux, architraves, etc. contribuent à créer une unité, évitant toute ambiguïté de lecture. L’oeil est invité à l’accepter plus qu’à l’explorer.» [8] Une architecture classique, qui use de modes de représentation éprouvés, est d’autant plus limpide pour le regard humain que les éléments auxquels elle renvoie sont des modèles reconnus par ce dernier. «Il semble que l’expérience accumulée lors de nos parcours urbains nous permette d’intérioriser des archétypes d’organisations spatiales pour affronter et évaluer des situations nouvelles» [8] poursuit Meiss. Il explique que si on est capable d’évoluer dans une cité, c’est parce que notre mémoire sait qu’une rue ressemble à cette ligne droite bordée d’immeubles, qu’elle a un début et une fin et qu’elle est habituellement traversée par de multiples autres axes. Dès lors que l’architecture s’éloigne trop de ces «archétypes», généralement orthogonaux, l’usager ne peut plus prendre ses marques censées étancher sa soif d’ordre et de régularité, qui sont sources de satisfaction élevée pour l’esprit.

Fig. 34. Dédale de couloirs à l'intérieur du lycée SaintPaul : aucune référence extérieure possible, on ne sait pas où l’on se dirige.

Fig. 35. L’ordre dans l’architecture antique : la lecture du Parthénon est claire, presque forcée (Acropole d’Athènes).

Tandis que le parti pris plutôt ordonné de Zumthor a un impact bien moins direct sur notre manière de percevoir notre environnement, chez Libeskind la complexité formelle est un aspect très important. C’est une évidence dans son musée juif. Il joue radicalement de lignes brisées, de murs obliques et d’ouvertures tout

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique sauf orthogonales pour précisément pousser le visiteur jusqu’au malaise, dans le but symbolique de lui faire entrevoir le vécu des juifs. Pour ça, ça fonctionne. On voit alors bien ici que le présupposé désordre est source de gêne pour l’esprit humain. Mais comment le reprocher à Libeskind qui en a fait la raison d’être de son projet ? Dans d’autres cas, le désordre n’est qu’un moyen de dépasser la monotonie et la banalité, qui sont au final des dérives des termes plus généraux que sont «régulier», «ordonné» et «simple». Mais il manque parfois la subtilité qui rend ce chaos producteur de surprises. Prenons par exemple le musée Guggenheim de Bilbao. «Ah bah enfin...» me direz-vous. «Comment parler de désorientation sans aborder Ghery ?» Et oui, mais Ghery n’a jamais été intentionnellement un créateur d’errance. Je m’explique. Cet architecte est très interessé par l’art contemporain et ses qualités plastiques. Il en a fait la base de son architecture, dont la grande complexité de la volumétrie, à première vue désordonnée, n’est souvent qu’un pretexte esthétique. A Bilbao, l’enveloppe de son édifice, incroyablement belle et marquante, personne ne le niera, est en fait un objet à part entière, dans le sens où cette image superbement éclatée, enroulée, vibrante, glissante ne trouve de sens qu’à l’extérieur. C’est une façade qui ne correspond pas au contenu. C’est à dire que contrairement aux oeuvres d’Adilon, Zumthor ou Libeskind, l’organisation intérieure d’un parcours chez Ghery n’est presque pas le reflet de la volumétrie extérieure. Sauf dans le hall d’entrée. Autrement, tous les espaces d’expositions se basent sur un schéma d’organisation plutôt simple et clair : le grand hall d’accueil joue le rôle d’atrium central à partir duquel on peut accéder à toutes les autres pièces, disposées de manière concentrique autour de circulations générales au final peu tortueuses. Le grand vide central fait de volumes tordus endosse ainsi le rôle de référence centrale et absolue, visible depuis chaque salle d’exposition, et empêchant toute possibilité de véritablement s’égarer. La mise en scène n’a pas la même dimension que chez les trois autres; l’effet de

surprise n’y est pas. Ghery fait un bel objet, dans lequel il place un ensemble fonctionnel. Voilà donc l’exemple même d’une architecture désordonnée et même désorientante par certains aspects, qui ne développe pas le concept de l’errance. La seule situation où l’on peut se perdre pour apprécier pleinement la découverte d’espaces c’est à l’extérieur, comme si on tournait autour d’une sculpture pour la voir sous tous les angles. Ce qui est plutôt limité comparé au musée berlinois de Libeskind, qui travaille pourtant dans le même registre. L’architecture du Guggenheim a toutefois le mérite par rapport à celle de Libeskind d’être très fonctionnelle, et de savoir se mettre en retrait pour laisser place aux oeuvres. Le désordre peut donc servir plusieurs intentions architecturales, dédiées ou non à l’errance, mais révèle vite des faiblesses dans la perception par le piéton. Il ne faut cependant pas croire qu’il n’est possible de provoquer la déambulation que par le chaos, comme le laisse croire l’image persistante et erronée que l’on se fait du labyrinthe. Preuve en est l’architecture de Peter Zumthor, qui se sert de l’ordre et de la régularité pour troubler la lecture du visiteur, et mettre en scène des évènements architecturaux. Il est même presque plus facile de créer des coups de théâtre lorsque l’on travaille un objet global et uniforme. C’est aussi un peu le paradoxe du dédale, qui place quelque chose d’incroyable au centre d’un espace homogène et linéaire, mis en valeur par une répétition de couloirs et de tournants et qui, à chaque changement de direction, présente la même image au vagabond. D’ailleurs il ne faut pas s’y tromper.Tout comme le désordonné, l’ordonné présente ses propres limites. Il est par exemple assez facile pour l’architecte de tomber dans le banal, ou de jouer d’évènements dans un espace très ordonné d’une façon qui sonne faux, dans une composition qui n’est pas sur un ton juste. Comme une musique dont le minimalisme imposerait de travailler d’autant plus toutes les subtilités. Que se passerait-il si la

Fig. 36. L’organisation des salles d’exposition du musée de Bilbao autour d’un noeud central, est plutôt limpide.

Fig. 37. Rigueur méthodique dans le choix des différents alignements de blocs.Thermes de Vals, Peter Zumthor.

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique découverte soudaine d’un évènement n’arrivait pas au bon moment, si elle se situait au mauvais endroit dans le parcours, trop tard, trop tôt ou de manière pas suffisamment marquante ?

primordial d’économie, ancré, et fort heureusement, dans la pensée de la plupart des architectes contemporains, refuse tout cela. C’est une conception architecturale qui prône l’optimisation. En urbanisme, pareil.

Il peut tout à fait y avoir aussi, comme dans le cas du musée Guggenheim de Bilbao, une superposition de deux systèmes, un ordonné et un désordonné, qui entraîne le risque d’obtenir quelque chose d’incohérent. Dans tous les cas, que le choix se porte sur l’ordre, le désordre ou les deux, il implique aussi de décider si l’on préfère avoir une organisation très pratique ou plutôt tournée vers le sensible. Gehry voulait des espaces d’expositions efficaces pour présenter logiquement des expositions; Libeskind a préféré donner de la force aux murs mêmes. On en vient à se demander quels rapports doivent-donc entrenir le fonctionnel et l’émotionnel ?

Selon ces préceptes, construire des espaces urbains de l’égarement, incluant des vides parfois inutiles, des cheminements longs et fastidieux, et des volumétries complexes et coûteuses, va trop à l’encontre de la raison humaine et surtout des contraintes énoncées juste avant. Mais Luc Gwiazdzinski leur répond ceci : «A la ville dense et étalée nous opposons les friches, les tiers-paysages, espaces d’aventure non aménagés capables d’ancrer les imaginaires fertiles. A la ville fonctionnelle et numérique où tout est accessible, lisible, compréhensible, nous opposons la ville sensible, celle qui se voile, résiste un peu et ne se donne pas au premier venu. Aux techniques rodées et aux techniciens aguerris, nous associons le bricolage, le sensible, les artistes. Aux approches fonctionnalistes nous opposons d’autres imaginaires plus ouverts et baroques. A la ville qui s’ennuie dans la tristesse et la répétition nous préférons le jeu des événements, des surprises et de l’aventure.» [6] On pourrait lui reprocher un propos un peu trop radical et sans nuance. Mais il a su pointer du doigt deux approches assez dissemblables, dont l’une peut assez aisément tendre vers le gaspillage. Ce qui est plus que jamais d’actualité avec les problématiques de développement durable, où toute déviance de choses simples, compactes et normées et considéré comme du gaspillage. C’est à l’origine plus que légitime, et j’ai même tendance à le défendre. Attention toutefois à ne pas tomber dans le piège du trop rationnel et de complétement rayer de sa mémoire les vertues d’une architecture de l’égarement.

Fonctionnel contre sensible. Les deux ne sont pas incompatibles. Mais dans une approche d’architecture par l’errance, on se retrouve assez vite confronté aux soucis fonctionnels, autres que l’orientation, remis à l’ordre du jour par les modernistes de la première moitié du XXème siècle. Ces derniers ont mis en évidence les problématiques d’efficacité structurelle, d’efficacité financière, d’efficacité de durée de construction, d’efficacité dans l’occupation de la surface, d’efficacité dans le temps mis pour passer d’un espace à un autre,... L’architecture de l’égarement a ce problème de nécessiter, dans les trois cas étudiés, une relative vacuité traduite par des espaces réduits à la simple mise en scène de perceptions et de sensibilités. C’est à dire des espaces que n’importe quel maître d’ouvrage pourrait considérer inutiles. Le soucis

Fig. 38 - 39. Le Crown Hall de Mies Van de Rohe (Chicago) contre la bibliothèque du lycée Saint-Paul; le plan libre fonctionnel et sans espace vacant, contre l’espace alambiqué, ponctué de poteaux massifs et de patios renfermant des arbres.

En effet, là où la flânerie sensible trouve ses limites, on peut aussi la voir comme une méthode pour corriger une neutralité affligeante dans des projets manquant de profondeur. De nombreux endroits dans le lycée Saint Paul sont contestables par leur utilité réduite.

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CHEMIN 3 : affronter les limites du labyrinthique Les points de vue sur la ville sont peut-être inutilement nombreux, et l’organisation générale, très éclatée, n’est pas très économe en surface. De même dans les thermes de pierre, où l’étendue de vide est peut-être trop grande. Ou encore dans le musée juif, où l’architecte a donné une place importane à d’immenses vides inaccessibles. Evidemment, défendre ce genre d’éléments clés auprès du maître d’ouvrage, qui a de la peine a trouver les fonds nécessaires pour ces volontés «superficielles», n’est pas chose facile. Et pourtant, il est évident aujourd’hui que sans tout ce luxe et cette générosité d’espace, impliquant une mise en oeuvre à chaque fois très coûteuse, ces projets perdraient de leur potentiel de désorientation. Car le désaffecté contribue dans les trois cas largement à produire de l’errance, et par là même à une éventuelle exacerbation sensorielle. Il y a d’autre part une efficacité programmatique à respecter. Un bâtiment est par définition destiné à abriter une fonction. Les projets sur lesquels s’est penché Zumthor sont par exemple très souvent des programmes légers et peu conventionnels, implantés dans des sites reculés et rarement urbanisés. C’est ce qu’on appelle la «slow architecture». On est ainsi amené à penser que l’architecture des bains comme celle de la Serpentine Gallery ne fonctionnerait peut-être pas aussi bien pour des programmes d’une autre envergure, une gare ou des bureaux. Mais parmi les trois, le musée juif est celui qui laisse le plus perplexe, quand on sait que son contenu, les expositions, passent complétement en arrière-plan, laissant l’architecture devenir elle-même objet de toutes les attentions. Ce n’est pas forcément une mauvais chose. Le musée a d’ailleurs très bien fonctionné pendant deux ans après son inauguration, attirant plusieurs milliers de spectateurs alors que la scénographie n’était pas encore installée. On peut tout de même s’interroger quant au fait que le bâtiment ne remplisse plus tout à fait sa condition. Car d’après tous les témoignages recueillis, les éléments d’expositions sont les moins intéressants, et interfèrent même parfois avec l’effet architectural.

Il s’agit alors de trouver l’équilibre entre des espaces de perdition et des espaces fonctionnels à tous les niveaux. C’est souvent une affaire de compromis. Georges Adilon a réussi à construire ses volumes étranges et fourmillant de détails malgré les difficultés financières de Maristes, ne l’oublions pas. Et que ce soit la Serpentine Gallery ou les Thermes, les réalisations de Zumthor elles se démarquent par leur relative simplicité constructive, ce qui ne prive pas pour autant le lieu d’un certain charme labyrinthique. A la vue de l’effet provoqué proche, on peut dire que la composition spatiale est donc tout de même particulièrement efficace. Comme quoi rationnalisme et sensible ne sont pas du tout incompatibles

Au final, qu’elles soient fonctionnelles, constructives ou financières, les limites de l’architecture de l’errance sont donc bien là. On pourrait même penser à un problème éthique, les dédales denses et étroits comme celui de Saint-Paul étant peu appréciables pour une personne à mobilité réduite. Mais en définitive, il s’agit en fait d’assumer un choix qui, comme toujours, se décide au détriment d’autres options, et qui doit surtout faire attention à trouver la frontière juste, celle jusqu’à quel point cette prise de position peut marcher et rester légitime sans être impossible à vivre.

Fig. 40 - 41. Le musée juif de Libeskind a grandement perdu de sa portée une fois que les expositions ont pris place, adoucissant les angles, masquant les fenêtres, occupant les vides.

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CONCLUSION On se demandait comment certains architectes font pour composer des espaces de l’errance, et on a bien vu que les trois choisis avaient chacun une manière bien à eux d’y répondre et d’utiliser à bon escient ces stratégies de destabilisation. En résumé, on a Georges Adilon, dont le talent de plasticien a considérablement contribué à donner à ses formes des lignes propices à la déambulation, se mouvant sous des jeux fins de lumière. Le résultat, ce système éparse de volumes kinesthésiques, est en réalité autant du à un étalement sur la durée de la construction et à l’arrivée successive des finacements qu’à la véritable volonté de l’architecte. Mais si la composition volumétrique et plastique apparait finalement très maîtrisé, le manque de qualité d’orientation semble quasi subi, tellement on se perd facilement dans ce lacis d’escaliers et de couloirs. Dans d’autres cas cela ne choquerait pas outre mesure. Ici par contre, ça entre en contradiction avec les obligations fonctionnelles du programme scolaire. De l’autre côté des Alpes on a Peter Zumthor et ses thermes de pierre. Jouant constamment sur un ton rigoureux mais juste, sa composition ordonnée de volumes de pierre et de bassins d’eau est fondée sur la «flânerie libre» au gré des rayons raréfiés de lumière naturelle et des surprises sensitives. L’expérience au sein de ce paysage artificiel est théâtrale, touchante, et les rencontres avec l’eau incroyables. Même si il a largement dépassé le devis initial et mis longtemps la petite commune de Vals dans une situation financière inconfortable, l’objectif est réussi pour Zumthor, et l’est également pour son pavillon évènementiel à Londres. On se demande malgré tout s’il le serait autant pour un aéroport ou une université, dont les contraintes fonctionnelles sont toutes autres. Et enfin, on a Daniel Libeskind, qui a su insufler par le biais de la destructuration des séquences spatiales

dans son musée une expérience hautement symbolique, qui ne peut définitivement pas s’apprécier à sa juste valeur si on ne s’y laisse pas aller, porté par les vides significativement marquants et les lignes surréalistes qui mitent les murs et les plafonds. Résultat : une construction au coût démesuré qui ne remplit pas vraiment son cahier des charges, mais qui attire des dizaines de milliers de visiteurs chaque année.

Branly de Jean Nouvel à Paris est un exemple flagrant de ces équipements constitués de parcours alambiqués qui ont été conçus à partir de la muséographie désirée. L’ambiance est là-bas très particulière, faite d’univers différents se détachant du cheminement principal sombre et déroutant, et j’ai personnellement beaucoup aimé en faire l’expérience. Les objets présentés y prenaient une toute autre dimension très intéressante.

On peut bien sûr critiquer pas mal de choses à chacune de ces oeuvres, en particulier le coût de leur construction qui a à chaque fois dépassé les attentes du maître d’ouvrage. D’un autre côté comment en vouloir à ces architectes qui ont osé s’aventurer en eaux troubles pour proposer une expérience subjective et unique à chaque fois de l’architecture ? Tandis que dans d’autres domaines de culture, le cinéma notamment, le labyrinthique est un puit d’inspiration sans fond pour parler d’univers oniriques ahurissants, la production architecturale actuelle est quant à elle loin de montrer beaucoup d’intérêt pour ce modèle fait de spéculations hasardeuses et d’étrangetés diverses, et l’histoire ne regorge pas non plus d’exemples caractéristiques. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais je pense que l’importance des principes architecturaux posés par le mouvement moderne est pour longtemps encore ancré dans nos cultures, et freinera donc pour longtemps encore des élans de création architecturale dédiée à la dérive.

Quoi qu’il en soit, ces architectures labyrinthiques sont indiscutablement très ardues à concevoir, mais porteuses d’un potentiel énorme, basée sur la variété des esapces et leur liens entre eux. Jean-Pierre Le Dantec a écrit à ce propos dans Dédale le Héros que «l’approche spatiale d’Aalto était ‘hétérotopique’, c’est-à-dire sensible à la singularité des lieux, unis par des rapports de voisinage agissant selon le principe de patchwork, au moyen de coutures et de tensions. Contrairement à celle ‘homotopique’ de Mies Van der Rohe ou de Le Corbusier, qui voyaient dans l’espace un continuum homogène et isotrope, réglé par des distances entre points équivalents.» [11] Cette qualité de diversité est aujourd’hui un peu trop sous-exploitée à mon goût, ce qui, si on extrapole le problème, induit des questionnements fondamentaux sur la banalité et la pregnance de l’habituel dans notre rapport à notre environnement, comme en ont pris part les grands ensembles rigides, uniformes, austères et largement contestés des Trentes Glorieuses en France.

On remarque d’ailleurs que ce genre d’expérimentation de l’espace se fait beaucoup plus à l’échelle réduite de la scénographie. Les coordinateurs de musées contemporains, entre autres, laissent plus facilement cours à une volonté de faire déambuler les visiteurs au fil des surprises dont regorgent certaines expositions. Cela est bien sûr du au fait que le caractère évolutif d’une scénographie rend le pari moins risqué que dans une architecture entière et définitive. On en voit également certaines influencer l’architecture. Le musée du Quai

L’architecture labyrinthique dans la culture cinématograhpique. Image tirée du film Amer Béton, de Michael Arias (2006).

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CONCLUSION La question que je me suis posé au début de ce rapport trouve donc, en conclusion, une réponse à l’image du sujet traité : plurielle, complexe, sensible, et qui demande de savoir se perdre dans ses détours pour en percevoir tous les ressorts. Je suis déçu dans le sens où il n’y a pas une seule recette idéale. Et en même temps très content qu’il n’y ait pas qu’une seule recette idéale... Je m’attendais en effet à trouver des réponses plus ou moins généralistes. Mais il est passionnant de voir tous les moyens différents que mettent en oeuvre certains concepteurs, dans ce travail particulièrement humaniste qui place les sens et l’imaginaire au coeur de toutes les préoccupations. Je suis plutôt satisfait de mes choix d’études de cas, qui m’ont permis d’avoir une vision suffisamment large de la problématique. Ceci bien que je regrette de ne pas avoir pu apporter de témoignage plus personnel concernant Zumthor et Libeskind, ce qui m’aurait peut-être permis d’avoir une réflexion plus fouillée sur les limites de leur architecture. Le sujet était au départ difficile. Je suis parti de ces deux expériences personnelles qui m’avaient beaucoup plues (les architectures de Georges Adilon et la Serpentine Gallery) ainsi que de celle de la ville de Lyon, de son tissu dense et regorgeant de surprises cachées, ce que je tenais à faire partager. Le labyrinthique avait ce caractère ludique qui m’intéressait beaucoup, mais j’avais énormément de mal à rendre mes idées claires et à les communiquer. C’est une expérience tellement subjective de l’architecture qu’il est très délicat de mettre des mots dessus, d’où une première partie qui a pris peut-être trop d’importance. En réalité, je me rend compte que ce mémoire n’apporte pas spécialement de nouvelles notions, mais met juste le doigt sur des choses que tout le monde connait déjà inconsciemment, et je désirais mettre ces choses en évidence de la manière la plus universellement compréhensible, ce que j’espère avoir réussi à faire.

D’autant plus que les références étaient rarissimes, et que le travail de documentation a nécessité une majeure partie de mon temps de travail. Il a fallut que j’élargisse suffisamment mon champ de vision pour trouver des ouvrages traitant un tant soit peu du sujet. J’ai donc un peu peur que la pertinence du propos en pâtisse, puisque je n’ai pas réussi à me procurer d’autres avis clairement énoncés sur la question. Et bien entendu, comme n’importe qui d’autre, j’aurais souhaité plus de temps pour étudier tout cela. Le sujet m’a réellement passionné, et j’estime qu’il me reste encore énormément de choses à voir. J’avais même à l’origine eu dans l’idée d’étudier en plus la question à une échelle urbaine, en m’intéressant aux traboules lyonnaises. Mais je ne regrette pas aujourd’hui que l’on m’ai dit de plutôt me concentrer sur la seule échelle architecturale, car travailler dans un corpus d’étude trop élargi m’aurait sûrement fait passer à côté de certaines choses fondamentales. Le manque de temps m’a également empêché d’effectuer un travail plus graphique, de schémas et de croquis, ou de m’intéresser à d’autres modes de représentation peut-être plus adéquats. J’aurais par exemple aimé faire une vidéo dans l’établissement SaintPaul, pourquoi pas avec des témoignages de lycéens, afin de mieux montrer la succesion des différentes séquences. Je vois en définitive plus ce rapport comme une première ébauche à partir de laquelle je pourrais dans le futur, je l’espère, construire quelque chose de plus fondé, pourquoi pas dans le cadre d’un mémoire. Car voilà un exercice bien difficile que de comprendre cette manière très en marge de composer l’espace, qui s’avère ellemême être, je pense, l’une des pratiques architecturales les plus exigeantes. Heureusement, à ceux qui ont le talent suffisant pourra être attribué le mérite de proposer une architectures fabuleuse et onirique, dont j’ai eu la chance de faire l’expérience. Celle de voyages architecturaux permettant de vivre la présence en un lieu.

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BIBLIOGRAPHIE

FILMOGRAPHIE

AUTRES DOCUMENTS

Ouvrages

[1] - ZUMTHOR Peter, Atmosphères. 2008 - Birkhauser - 75p. [2] - ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture. 2008 - Birkhauser - 95p. [3] - HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. 2007 - Infolio - 191p. [4] - PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon.

[5] - PERROT Marc, ΠAIΔEIA /Paideia 3. 1999 - Sainte-Maire Lyon - 230p. [6] - Guénin Hélène, Erre : variations labyrinthiques. Catalogue de l’exposition homonyme qui s’est déroulée

[7] - FAREL Alain, Le troisième labyrinthe : architecture et complexité. 1991 - Editions de la Passion - 231p. [8] - VON MEISS Pierre, De la forme au lieu, une introduction à l’étude de l’architecture.

2010 - Sainte-Marie Lyon - 207p.

du 12.09.11 au 05.03.12 au Centre Pompidou de Metz - 2011 - Editions du Centre Georges Pompidou - 271p.

2007 (Ed. orig. 1986) - Presses polytechniques et universitaires normandes - 223p.

OUVRAGES COMPLEMENTAIRES

[9] - EISENMAN Peter, Feints. 2006 - Skira Editore (traduit de l’italien en anglais) - 208p. [10] - SANSOT Pierre, Poétique de la ville. 1900 - Armand Colin - 422p. [11] - LE DANTEC Jean-Pierre, Dédale le héros. 1992 - Balland - 259p.

VIDEOS

[12] - COPANS Richard, Les thermes de pierre de Peter Zumthor. 2001 - Arte Video - 26min. [13] - COPANS Richard, Le musée juif de Berlin de Daniel Libeskind. 2003 - Arte Video - 26min. [14] - DONADA Julien, Le musée Guggenheim de Bilbao de Franck O’Gehry. 2005 - Arte Video - 26min. [15] - COPANS Richard, Phaeno, le bâtiment paysage de Zaha Hadid. 2001 - Arte Video - 26min. [16] - WIENE Robert, Le cabinet du docteur Caligari. Film muet en n&b - 1920 - Allemagne - 72min.

AUTRES [17] - Giovanni Battista PIRANESI (dit Piranèse), Carceri d’invenzione (Prisons imaginaires). Série de 16 eaux-fortes - 1745-1761 - Venise. [18] - DEBORD Guy, La théorie de la dérive. Internationale situationniste n°2. 1958 - Paris

(http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article38)

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ANNEXE Questionnaire sur le Musée Juif de Berlin : Envoyé le 14 février 2012 à l’ensemble de la promotion L3 de l’ENSAL - 13 réponses reçues

1) Combien de temps a durée votre visite ? Etait-ce un temps de visite de musée habituel pour vous ? Trop long, trop court ou juste ce qu’il fallait ? 2) Quel espace, de part son atmosphère et sa configuration, vous a le plus marqué lors de votre visite ? Pourquoi ? 3) Quel sentiment général a dominé votre visite : celui d’être perdu, désorienté ou de s’être laissé-aller (dans le sens de flâner dans un parcours tout tracé pour vous) ? Pourquoi ? Quels sont les éléments de l’architecture qui ont provoqués cette sensation de perte de repères, s’il y en a eu ? Exemples : le jeu très complexe des volumes, un parcours tout en lignes brisées, manque de compréhension d’un ensemble/d’un tout, pas d’indications, caractère à priori inutile de beaucoup d’espaces, désorientation sensorielle, séquence d’ambiances/ atmosphères particulières... 4) Cette question renvoie à votre réponse précédente. Le parcours muséal voulu par Liebeskind est particulièrement torturé. Avez-vous eu l’impression frustrante de subir le parcours, comme une contrainte, sans échappatoire possible, ou plutôt de l’avoir arpenté librement, de façon désirée, presque naturelle ? 5) Qualiferiez-vous dès lors cet édifice de «labyrinthique» ? Quel sens approximatif donnez-vous à ce mot ? 6) Est-ce que vous avez trouvé que l’architecture présentait une succession d’atmosphères diverses, voir très différentes, ou plutôt une ambiance générale propre à tout le bâtiment ? Etait-ce lié selon vous au caractère labyrinthique que vous avez pu éventuellement trouver à l’édifice ? Sinon, ne pas répondre. 7) Quels autres types de sentiments et sensations, autres que ceux liés à la simple perte de repères, cela a-t-il fait naître chez vous ? Exemple : la stupeur, l’onirisme, la tristesse, etc. 8) Est-ce que cette manière particulière et très sensible de faire l’expérience de l’architecture vous a plu ? Ou auriez-vous préféré une organisation plus claire ? Est-ce que le rationnel aurait été selon vous une meilleure réponse architecturale ? 9) Toute cette mise en scène créée par l’architecte a-t-elle eu un sens pour vous ? Une finalité ? A quoi peut bien servir cette volonté de plus ou moins perdre l’usager ? 10) Un musée est sensé exposer des pièces de collection, montrer et expliquer au public des évènements culturels et historiques, à sa manière. Est-ce que vous pensez que la mission est réussie pour le Musée de Liebeskind ?

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TABLES DES FIGURES - Figure 00 (de couverture) : le «lapin blanc» des pentes de la Croix-Rousse (Lyon), http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2012/01/10/white-rabbits.html. - Figure 01 : Parcours dans la Serpentine Gallery 2011, Peter Zumthor, Londres, http://www.serpentinegallery.org/2011/04/serpentine_gallery_pavillion_2011_zumthor.html. - Figure 02 : Photos des quartiers de Saint-Clair (Lyon) et Montsouris (Paris), CHARMETTE Vianney. - Figure 03 : Différentes images du mythe du labyrinthe, GUéNIN Hélène, Erre, variations labyrinthiques. - Figure 04 : Photos du quartier de la Croix-Rousse et du lycée Saint-Paul des maristes, Lyon, CHARMMETTE Vianney. - Figure 05 : Photo de Port-Grimaud, François Spoerry (France), http://fr.wikipedia.org/wiki/Port_Grimaud. - Figure 06 : Extrait du guide Psychogéographique de Paris, Guy Debord, 1957,

GUéNIN Hélène, Erre, variations labyrinthiques.

- Figure 07 : Planche VII, dite «Le Pont-Levis», des Carceri de Piranèse, http://fr.wikipedia.org/wiki/Giovanni_Battista_Piranesi. - Figure 08 : Plan et photo du pavillon du parc de Sensbeck, Aldo Van Eyck, 1966, Arnhem (Pays-Bas), GUéNIN Hélène, Erre, variations labyrinthiques. - Figure 09 : Parcours au lycée Saint-Paul des Maristes, Georges Adilon, Lyon, CHARMETTE Vianney. - Figure 10 : Photos du lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon. - Figure 11 : Photo de l’externat Sainte-Marie, Georges Adilon, La Verpillère,

PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon.

- Figure 12 : Croquis d’études pour l’externat Sainte-Marie, Georges Adilon, La Verpillère,

PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture [...].

- Figure 13 : Trois scènes expressionistes tirées du film Le Cabinet Du Docteur Caligari, WIENE Robert, le Cabinet du Docteur Caligari. - Figure 14 : Plan extérieur du lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon. - Figure 15 : Photo du Lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, CHARMETTE Vianney. - Figure 16 : Photos du Lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon. - Figure 17 : Photo de la Serpentine Gallery 2011, Peter Zumthor, Londres, http://www.serpentinegallery.org/2011/04/serpentine_gallery_pavillion_2011_zumthor.html. - Figure 18 : Croquis d’études pour les thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. - Figure 19 : Plan du niveau public des thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals.

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- Figure 20 : Photo du grand bain intérieur des thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals.

TABLES DES FIGURES

- Figure 21 : Photos des thermes de Vals, Peter Zumthor, tirées du film Les Thermes de Pierre de Peter Zumthor de Richard Copans. - Figure 22 : Parcours dans les thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. - Figure 23 : Maquette et croquis d’études pour les thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. - Figure 24 : Croquis d’études pour les thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. - Figure 25 : Photo du Phaeno, Zaha Hadid, Wolfsburg (Allemagne), tirée du film Phaeno, le bâtiment paysage de Zaha Hadid de Richard Copans. - Figure 26 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, DONNET Gaétan. - Figure 27 : Maquette du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, tirée du film Le musée juif de Berlin de Daniel Libeskind de Richard Copans. - Figure 28 : Parcours dans le musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, DONNET Gaétan. - Figure 29 : Photos du mémorial de l’Holocauste, Peter Eisenman, EISENMAN Peter, Feints. - Figure 30 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, DONNET Gaétan. - Figure 31 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, DONNET Gaétan. - Figure 32 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, tirée du film Le musée juif de Berlin de Daniel Libeskind de Richard Copans. - Figure 33 : Schémas des tracés de parcours dans le lycée Saint-Paul de Georges Adilon et dans le musée juif de Berlin de Daniel Libeskind, CHARMETTE Vianney. - Figure 34 : Photo de l’intérieur du lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, CHARMETTE Vianney. - Figure 35 : Photo du Parthénon, http://employees.oneonta.edu/farberas/arth/arth209/parthenon_gallery.html. - Figure 36 : Maquette du musée Guggenheim de Bilbao, Frank O’Gehry, tirée du film Le musée Guggenheim de Bilbao de Frank O’Gehry de Julien Donada. - Figure 37 : Croquis d’études pour les thermes de Vals, Peter Zumthor, HAUSER Sigrid, Peter Zumthor; les thermes de Vals. - Figure 38 : Photo de l’intérieur du Crown Hall, Mies Van Der Rohe, Chicago, http://acsa100.org/bookcontent.html. - Figure 39 : Photo de l’intérieur du lycée Saint-Paul, Georges Adilon, Lyon, PERROT Marc, ΠAIΔEIA/Paideia 4 : Georges Adilon, 40 ans d’architecture à Sainte-Marie Lyon. - Figure 40 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, tirée du film Le musée juif de Berlin de Daniel Libeskind de Richard Copans. - Figure 41 : Photo du musée juif de Berlin, Daniel Libeskind, http://www.jmberlin.de.

40


E

perte de repères

COMPOSITION SPATIALE

Pendant près d’un siècle l’architecture a tendu majoritairement vers la simplicité de la construction et l’uniformité de la composition, réinventant ainsi tout un paysage traditionnel architectural et urbain, notamment européen, fait de densité, de pluralité et de sinuosité. Dans cette envergure rationaliste se démarquent ci-et-là des architectes qui plaident pour des espaces complexe, tortueux, variés et intimistes. En créant ces lieux acomposés, sur les bases de la désorientation et de la perte de repères, ils proposent aux gens des parcours séquentiels anti-ligne droite, destinés à leur offrir les plaisirs de la flânerie et de l’errance. L’architecture labyrinthique est une alternative spatiale profondément inscrite dans les questions de la temporalité et de la perception sensorielle, mais aussi dans celles des contraintes fonctionnelles et constructives. Ce rapport se propose dans ce contexte de parcourir les problématiques soulevées par des architectes comme Peter Zumthor ou Daniel Libeskind, qui au-delà de leur différences de vocabulaire architectural, dessinent plus ou moins dans le même but: celui de pousser les visiteurs à laisser tomber un instant les raisons pour lesquels ils marchaient, afin de faire l’expérience particulièrement subjective, parfois même onirique, d’un espace dont les surprises se découvrent pas à pas, au fur et à mesure que l’on s’égare.

ATMOSPHÈRES

ERRER

LABYRINTHIQUE

SE

MI

EN

N CÈ

S

PARCOURS

For nearly a century, architecture principally defend simplicity of construction and homogeneity of composition, thereby reinviting a whole traditional european architectural and urban landscape, made of density, plurality and sinuosity. In this rationalist culture, some architects stand out and uphold for complexes, serpentines, several and intimists spaces. Creating uncompound places, on bases of disorientation and loss of brands, they give people sequential way against straight line, dedicated to offer pleasure of drifting and spatial wandering. Labyrinthine architecture is a spatial alternative deeply inscribed in temporality and sensory perception issues, but also in those of the fonctional and constructive constraints. The purpose of this study report is to reckon in this context every problematic raised by architects like Peter Zumthor or Daniel Libeskind who, beyond the difference of their own architectural language, draw more or less in the same wish : pushed visitors to let go for a moment the reasons of their walk, in order to do particularly subjective experience, sometimes dreamlike, of a space which we can discover step by step each surprise, throughout wandering.


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