Réfugiés Burundais en Tanzanie "Les médias doivent éviter la propagation des rumeurs qui tuent l'espoir et qui créent la panique parmi les réfugiés". Entretien avec Jaume Obrador, Président de Voisins Sans Frontières
Photo A. Kaburahe
Depuis quelques années, l'ONG Voisins Sans Frontières s'occupe de réfugiés burundais dans les camps de Tanzanie. Jaume Obrador, son président, un ancien missionnaire des îles Baléares (Espagne), a découvert le Burundi dans les années 70 alors qu'il était curé, à Bugenyuzi, une petite paroisse perdue au cœur du pays.. Depuis, amoureux du Burundi, il a créé une ONG, Voisins Sans Frontières. Regard sur l'action d'une ONG qui a permis à des milliers de nos compatriotes de survivre dans la dignité, dans un environnement pas toujours très accueillant.
Jaume Obrador , Président de VSF
Monsieur le Président de VSF, depuis quand votre ONG s'occupet-elle des réfugiés Burundais dans les camps en Tanzanie ? e commencement de la guerre au Zaïre, puis le coup d'Etat du 25 Juillet 1996 par le major Pierre Buyoya, ont poussé un grand nombre de Burundais vers la Tanzanie. Nous avions pu constater comment les institutions de la communauté internationale et les principales puissances mondiales avaient concentré leurs efforts vers les réfugiés rwandais qui se trouvaient installés dans la région du Kivu. C'était nécessaire parce qu'il y avait des centaines de milliers de personnes qui avaient besoin d'aide, mais il était évident que les réfugiés burundais, qui s'étaient installés dans la région tanzanienne de Kigoma, étaient les grands oubliés. Personne ne parlait d'eux et cela nous a amené à proposer des actions destinées à les soutenir. Nous avons lancé un appel pour venir en aide à ces populations.
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Votre appel a-t-il été entendu ? De nombreuses ONG et des institutions des Îles Baléares ont répondu à cet appel, ainsi que d'autres de la Catalogne, créant ensemble la Plateforme "Pour les Droits de l'Homme dans la région des Grands Lacs". A la fin de l'année 1996 et au début de 1997, de l'argent et des médicaments ont été collectés. La dite Plateforme a confié à notre ONG " Voisins Sans Frontières " la gestion des ressources collectées. Des manifestations populaires en faveur des réfugiés destinées à sensibiliser nos populations ont été organisées, et nous avons présenté des propositions de résolutions au Parlement des Îles Baléares et au Parlement Européen. Qui étaient vos partenaires sur terrain ? Au début de l'année 1997, nous avons commencé le travail avec la Fondation Ndadaye en Tanzanie. Nous avons créé ensemble un Centre Civique à Dar es Salaam pour y accueillir les réfugiés burundais. Des ateliers divers et IWACU magazine
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plusieurs débats sur la paix et le respect des droits de la personne humaine y ont été organisés. Mais l'objectif fondamental était d'apporter notre aide aux réfugiés installés dans les camps dans la région de Kigoma. Pour ce faire, tout d'abord et en collaboration avec la Fondation Ndadaye, des bourses d'étude pour l'éducation à distance ont été accordées. Puis, nous avons eu la chance de découvrir à Kigoma une famille burundaise en exil : feu le Ministre de l'Intérieur, M. Simon Nyandwi et sa femme Mme Immaculée Nahayo, présentement l'Honorable Présidente de l'Assemblée Nationale du Burundi. C'est surtout grâce à elle que nous avons pu faire parvenir les premières aides aux réfugiés burundais. Cette aide leur est parvenue par l'intermédiaire de l'ONG locale " Neighbours Without Borders ", NWB en sigle, présidée par Mme Nahayo. NWB est depuis lors notre partenaire local, ce qui nous a permis de réaliser de nombreuses actions dans les camps de Mtabila I, Mtabila Extension et Muyovozi à partir de l'année 1997.
Quelle a été la ligne stratégique d'intervention dans les camps ? L'axe fondamental du travail a été l'éducation à la paix et au respect des droits de la personne humaine, ainsi que la préparation d'un retour en paix, sans envie de vengeance et en toute sécurité. Les microprojets (agriculture et travail nutritionnel, élevage, pisciculture), mis sur pied avec des ressources apportées par des institutions des Îles Baléares via notre ONG Voisins Sans Frontières, et supervisés et dynamisés par des promoteurs et des promotrices de paix, sont devenus des instruments d'apprentissage de gestion collective et de cohabitation pacifique. On ne peut pas passer sous silence dans ce travail éducatif les noms de Mme Bénigne Rurahinda comme coordinatrice, ceux des directeurs des Lycées Mrs. Laurent Kavakure, Prospère Nshimiye et Alexandre, et ceux de Mesdames Vestine, Véronique, Jacqueline et Marguerite et les abbés Taratara et Kilawila, entre autres. Et qu'avez-vous fait pour aider les nombreux jeunes réfugiés qui avaient dû interrompre leurs études ?
sans ressource pour acheter, n'était pas viable. Les gens se demandaient souvent : quoi faire ? On voyait des gens désœuvrées, sans espoir, sans pouvoir regarder l'avenir avec une certaine confiance. La ration alimentaire était en général insuffisante et parfois de très mauvaise qualité. Il ne faut pas oublier que les réfugiés se sentent étrangers dans le pays d'accueil. Une petite anecdote : à la fin de l'année 1998, une plate-forme des ONG des Îles Baléares a décidé de célébrer le 50ème Anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de la Personne humaine avec les réfugiés burundais. Lorsque j'ai commencé mon discours en kirundi, à chaque phrase, à chaque proverbe, les tambours résonnaient et les gens applaudissaient. Les réfugiés étaient très contents car on s'adressait habituellement à eux en anglais ou en swahili, mais jamais dans leur langue maternelle ou en français. J'ai réalisé combien les réfugiés sont sensibles à ce qu'on les écoute et à ce qu'on les traite avec la dignité inhérente à toute personne humaine.
Quel a été l'apport des réfugiés eux-mêmes ? La créativité et les efforts faits par les intellectuels réfugiés pour mettre en marche de façon bénévole les dits Lycées méritent d'être soulignés et reconnus : ce sont eux qui ont assuré, avec un patriotisme et un dévouement exceptionnels, la préparation d'une importante partie de " l'intelligentsia " burundaise d'aujourd'hui. Le travail des promoteurs et des promotrices de paix à servi à préparer les esprits des gens pour un retour au Burundi sans envie de vengeance. Que dire de la vie de ces réfugiés dans les camps ?
Quels sont les sentiments profonds de ces populations?
Très difficile à tous points de vue. Sachez par exemple que les réfugiés dans les camps se sentaient comme des prisonniers,comme s'ils étaient pris en otage : s'ils étaient surpris à plus de 4 kms en dehors des camps, ils étaient punis par la police tanzanienne ! Leurs initiatives étaient des plus limitées parce que, en tant que réfugiés, ils ne pouvaient faire du commerce à l'extérieur du camp. Le marché à l'intérieur des camps, avec des clients potentiels
Photo VSF
Nous avons soutenu trois Lycées d'enseignement secondaire par une dotation de matériel scolaire, d'une multi copieuse, d'un groupe électrogène et d'appareils audiovisuels. Nous avons construit en dur une salle polyvalente avec bibliothèque et un restaurant populaire. Nous avons aussi apporté une
aide d'urgence à plusieurs reprises et construit différentes salles de classe. Il faut ajouter à cela d'avoir pu obtenir, grâce à la collaboration du Ministère de l'Éducation de la RDC, que les examens d'Etat des élèves des camps, qui avaient lieu à Kigoma dans des bâtiments construits par NWB et financés via Voisins Sans Frontières, fussent validés.
Misère des camps de réfugiés en Tanzanie. Les réfugiés s'y sentaient comme des prisonniers, ils ne devaient pas s'éloigner des camps plus de 4 kilomètres IWACU magazine
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Notre dernière visite aux camps remonte à septembre 2005 dernier. Beaucoup d'activités sont interrompues, des petites boutiques fermées, plus de gens désœuvrés, moins de services en marche, et une grande préoccupation pour l'avenir. Une jeune fille m'a demandé en kirundi : d'où suis-je ? Mes parents étaient des Burundais qui ont fui au Zaïre où je suis née ; après leur mort, on m'a amenée dans ce camp où je me sens comme une étrangère ; et si je pars au Burundi, quel sera mon avenir ? Les mots me manquent pour exprimer ce que ce témoignage m'a fait sentir. Nous avons eu l'opportunité lors de notre dernière visite de pouvoir nous entretenir en kirundi avec des nombreux réfugiés, sous le regard des autorités des camps. Nous venions de participer à la cérémonie d'investiture du nouveau Président du Burundi, S.E. Pierre Nkurunziza. Les réfugiés étaient vraiment intéressés à recevoir des nouvelles fraîches sur la situation politique, sociale et sécuritaire de leur pays, le Burundi. Nous avons essayé de leur expliquer comment le processus avance et qu'il y a de changements significatifs et encourageants. Les lettres qu'ils nous
Au moment où le Burundi amorce un virage important vers la paix, à votre avis comment réussir le rapatriement de ces populations ? Quels sont les problèmes qui pourraient se poser ? Le rapatriement doit être volontaire et avec tous sortes garanties de sécurité. L'incertitude de connaître où ils pourront s'installer, de quoi ils pourront survivre, de comment ils pourront refaire leur vie d'une façon digne pèse énormément sur eux. Pour réussir un rapatriement de ces populations sans courir trop de risques dangereux pour l'avenir du pays, il faudra organiser leur retour volontaire d'une façon progressive, avec un accompagnement bien précis, avec un accueil fraternel et avec les moyens nécessaires pour éviter le désordre et la peur. Les endroits où les orienter doivent être bien préparés. Par ailleurs, on ne pourra pas oublier les efforts faits par beaucoup parmi eux pour enseigner les enfants et la jeunesse à se préparer pour bâtir le Burundi de demain. Ne pas reconnaître leurs mérites pourrait être décourageant pour tous les hommes et les femmes qui ont passé des années et des années en exil préparant la construction d'UN AUTRE BURUNDI POSSIBLE. Un pays de justice sociale, de paix et cohabitation pacifique, de non discrimination. Il semblerait qu'une certaine peur du retour est palpable dans ces camps. Pourquoi cette peur ? Comment apaiser ces craintes ? Oui, les réfugiés entendent beaucoup de rumeurs qui se propagent dans les camps, Ils voient des gens qui, étant partis vers le Burundi pour se rapatrier, sont rentrés découragés au vu de la situation sécuritaire dans leur province d'origine, ils lisent les nouvelles sur l'internet, et ils ont peur. Les médias ont une tache très importante pour éviter la propagation
des rumeurs qui tuent l'espoir des Burundais en général et qui créent la panique parmi les réfugiés. C'est pour cela que nous croyons qu'il sera bon que les nouvelles autorités envoient des délégations pour visiter les réfugiés et causer avec eux. Il faut tenir compte d'eux, parler avec eux de leur avenir, ils ont été victimes d'une guerre et ce n'est pas facile de reprendre une nouvelle vie sans moyens et sans sécurité. Le paquet-retour doit aussi être adapté à la situation de chaque personne : un enseignant ne peut se sentir satisfait avec une houe, c'est un exemple cité par les réfugiés . Le retour doit être bien organisé et rassurant.
se préparer pour accueillir en dignité les rapatriés et les aider à s'intégrer dans ces efforts collectifs d'en finir une fois pour toutes, avec le mensonge, la violence, la destruction et toute sorte de discrimination. Nous avons commencé déjà ce travail dans certains coins du pays et les résultats sont positifs. La parole n'est pas seulement celle des autorités, l'avenir du Burundi est une tache qui concerne tout le monde et les ONG auront un rôle définitif pour garantir la paix, la réconciliation et la reconstruction matérielle et morale du pays. Propos recueillis par Antoine Kaburahe
Le FNL poursuit la guerre au Burundi, cela doit avoir un impact sur les réfugiés ? Oui, malheureusement. La traque des gens du FNL et de tous ceux qui sont soupçonnés de le soutenir n'a pas encouragé l'envie de retour dans certains cercles des réfugiés parce qu'ils pensent qu'il deviendra facile d'être accusé d'être " pro FNL " si quelqu'un veut leur faire du mal. Ils craignent la guerre et la violence parce qu'ils en ont été des victimes. Ils aimeraient à notre avis un engagement sérieux de la communauté internationale pour faciliter et rassurer un dialogue avec le FNL sans violence afin de finir d'une fois pour toutes avec la guerre et toute sorte de discrimination. Dans cette phase de rapatriement, que va faire VSF pour accompagner ce processus ? Nous sommes une petite ONG des Îles Baléares très engagée avec le Burundi et qui aime la paix mais nos moyens sont limités : nos ressources proviennent de la sensibilité des bailleurs de fonds de chez nous. Notre engagement continue dans le sens de chercher du financement pour des microprojets productifs, pour former à la gestion collective des dits projets, pour éduquer à la paix et à la cohabitation pacifique. Nous avons participé activement à la création au Burundi d'un réseau des ONG locales et des amis du Burundi qui s'appelle " Amashirahamwe yishinze gusanura Uburundi ", AGUBU en sigle, dont plus de 180 ONG font déjà partie. Nous allons essayer d'encourager et de soutenir cette société civile organisée à IWACU magazine
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Des jeunes réfugiés travaillent dans un projet de construction de VSF
Combien sont-ils dans ces camps ? Selon Jaume Obrador, il est très difficile de donner un chiffre, même approximatif, du nombre de réfugiés burundais encore présents en Tanzanie. Les chiffres généralement utilisés ne comptabilisent que les réfugiés qui sont dans les camps situés le long de la frontière tanzanienne avec le Burundi et les estimations varient généralement entre 200.000 et 300.000 personnes. Certaines statistiques avancent parfois des chiffres de l'ordre de 400.000 et même de 500.000 réfugiés qui seraient encore dans le pays voisin. VSF estime très difficile de connaître leur nombre exact : beaucoup d'entre eux se sont fait passer pour des Tanzaniens afin d'éviter d'être enfermés dans les camps, et d'autres se sont mariés et ont bâti un foyer en Tanzanie, loin des camps.
Photo VSF
ont données avec leurs doléances sont très significatives quant à leur état d'insécurité concernant leur avenir. Nous leur avons promis de faire tout ce qui était en notre pouvoir pour faire parvenir leurs doléances au Président de la République et aux autres autorités et institutions concernées, et nous sommes particulièrement satisfait d'avoir réussi à le faire.