Feuilleteur les picards célèbres

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LES PICARDS CÉLÈBRES

CHARLEMAGNE, RACINE, DASSAULT, DORGELES, DUMAS, CONDORCET, CALVIN, LA FONTAINE, GODIN, CLAUDEL, BABEUF, LES FRÈRES LE NAIN, LECLERC, MAC ORLAN, BRANLY, MAX LEJEUNE, JULES VERNE... et des dizaines d’autres...

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SOMMAIRE

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6 et 7 : Jean Racine, aux racines de la tragédie 8 et 9 : Jean Calvin, un penseur libre 10 et 11: Jean de La Fontaine, le libertin précurseur 12 et 13 : Jean Mermoz, l’archange du ciel 14 et 15 : Jean-Baptiste Godin, le patron humaniste 16 et 17 : Jean-Baptiste de Lamarck, l’avant-gardiste 18 et 19 : Jean-Baptiste Delambre, sept ans sur la route pour calculer le premier mètre 20 et 21 : Jean-Charles Peltier, l’inventeur discret 22 et 23 : Jeanne Hachette, entre mythe et légende 24 et 25 : Jules Verne, l’âme d’Amiens 26 et 27 : Gaston et René Caudron, les fous volants du Crotoy 28 et 29 : Les frères Le Nain, les peintres des pauvres gens 30 et 31 : Marcel Dassault, un député haut en couleur 32 et 33 : Maurice Blanchard, aviateur et poète méconnu 34 et 35 : Maurice Quentin de La Tour, le fils de Saint-Quentin 36 et 37 : Max Lejeune, jusqu’au bout de la politique 38 et 39 : Paul Claudel, une vie sous les ordres des lettres 40 et 41 : Philéas Lebesgue, l’intellectuel paysan 42 et 43 : Philippe Leclerc de Hautecloque, héros de la France libre 44 et 45 : Choderlos de Laclos n’avait pas de « Liaisons dangereuses » 46 et 47 : Pierre Mac Orlan, l’écrivain majeur 48 et 49 : Pierre Guerlain, il a réinventé le parfum 50 et 51 : Émile Joseph Porphyre Pinchon, le créateur de Bécassine 52 et 53 : Roland Dorgelès, l’écrivain combattant 54 et 55 : Rose Bertin, la couturière qui fit perdre la tête à la Reine 56 et 57 : Séraphine Louis, peintre libre et indépendante 58 et 59 : Suzanne Lenglen, star avant l’heure 60 et 61 : Valentin Haüy, instituteur des aveugles 62 et 63 : Vincent Voiture, un fin lettré oublié qui eut son heure de gloire 64 et 65 : Georges Tainturier, le champion assassiné 66 et 67 : Alfred Manessier, les traits de la poésie 68 et 69 : André Trocmé, cet homme est un Juste 70 et 71 : Antoine-Augustin Parmentier, le scientifique humaniste 72 et 73 : Charlemagne, l’empereur picard 74 et 75 : Alexandre Dumas, l’enfant illustre par excellence 76 et 77 : Camille Desmoulins, né un 12 juillet 78 et 79 : Charles Dallery, un inventeur pluriel 80 et 81 : Charles de Bovelles, mathématicien et philosophe 82 et 83 : Charles-Hubert Millevoye, arraché à la fleur de l’âge 84 et 85 : Nicolas de Condorcet, un Axonais au Panthéon 86 et 87 : Edouard Branly, un homme de laboratoire qui a révolutionné la science 88 et 89 : Eustache du Caurroy, compositeur du Requiem des Rois 90 et 91 : Ferdinand et Edmond Carré, frères, génies, rivaux 92 et 93 : Georges Guynemer, une légende de l’aviation de combat 94 et 95 : Germaine Dulac, elle a voulu faire son cinéma 96 et 97 : Gracchus Babeuf, premier communiste agissant 4

Les Picards célèbres

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La maison de naissance de Camille et Paul Claudel est à Villeneuve-sur-Fère (Aisne).

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JEAN DE LA FONTAINE

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BIO Le poète est né le 8 juillet 1621 à ChâteauThierry (sud de l’Aisne). Il meurt le 13 avril 1695 à Neuilly-sur-Seine à l’âge de 74 ans et est inhumé au Père-Lachaise à Paris. En 1668, il sort son premier recueil des fables. Le deuxième sortira dix ans plus tard Il entre à l’Académie française le 2 mai 1684 grâce à la publication de ses Fables. Il occupe le fauteuil de Colbert.

Le libertin précurseur

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’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien, Qui ne me soit souverain bien, Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. » Cette citation de Jean de La Fontaine accueille le visiteur au sein de la maison natale de l’écrivain à Château-Thierry, dans le sud de l’Aisne. Il est né dans la petite ville en 1621, à une époque où la commune s’appelait Chaury. Il a été baptisé le 8 juillet ce qui laisse supposer qu’il est né ce jour-là. À l’époque la mortalité infantile est telle que les bébés sont très vite baptisés, le jour ou le lendemain de leur naissance. Il fait ses premières études au collège de la ville. Il est décrit comme « un bon garçon, fort sage et fort modeste ». La famille fait partie de la bourgeoisie de province. Son père est maître des eaux et forêts, une charge dont le fils héritera à sa mort. Le jeune bourgeois part ensuite faire ses études à Paris. Dans un mouvement de ferveur, il entre à l’oratoire. « Il y reste quinze ou seize mois », précisent Brigida Verstraete, coordinatrice du musée, et Daniel Compant, guide. Cet engagement ne durera pas. Après cet épisode, Jean de La Fontaine mène une vie de célibataire, frivole, entre Paris, Château-Thierry et Reims. « Ça casse le mythe, s’amusent les deux spécialistes. C’était un libertin bien avant le siècle du libertinage avec le marquis de Sade et autres au XVIIIe siècle. Il était en

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avance sur son temps. C’était un précurseur, très ouvert pour l’époque. » Loin aussi de l’image des fables comme Le Corbeau et le renard qui berce les écoliers. Pour mettre fin à ses frasques, son père Charles le pousse au mariage. Il épouse Marie Héricart de la Ferté-Millon. Un mariage chaotique. Il écrit la fable Le Mal marié. « On sent qu’il règle ses comptes avec sa femme » s’amuse le guide. La coordinatrice reprend : « En ce qui concerne les femmes, la diversité est sa devise. » ACADÉMIE FRANÇAISE EN 1684 Les fables et les contes s’enchaînent tout au long de sa vie. Il est reçu à l’Académie française en 1684. Château-Thierry est souvent perçu comme l’incubateur de ses écrits. La famille La Fontaine possédait de nombreuses fermes sur le territoire. Il est aussi décrit comme un grand amateur de vin. « Il fait honneur à un vin régional qui pétille », autrement dit le champagne. Toujours amoureux, bon vivant, Jean de La Fontaine meurt le 13 avril 1695 à Paris où il est inhumé. Au moment de la Révolution ses restes sont déplacés du cimetière où il est enterré au musée des monuments français qui sera lui aussi démoli. Ses restes supposés sont maintenant au Père-Lachaise. Il avait composé de son vivant son épitaphe. « Jean s’en alla comme il étoit venu, Mangeant son fonds après son revenu ; Croyant le bien chose peu nécessaire. Quant à son temps, bien sut le dispenser : Deux parts en fit, dont il vouloit passer L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. »

A. M

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Musée Jean-de-La-Fontaine, à Château-Thierry (Aisne), dans la maison natale du fabuliste.

DEUX CENT QUARANTE FABLES Trois recueils de fables composent l’œuvre de Jean de La Fontaine. Le libertin s’est très largement inspiré d’un fabuliste antique, le grec Ésope, considéré comme le premier écrivain ayant utilisé la fable. On trouve chez Ésope les histoires du corbeau et du renard, du lièvre et de la tortue. De cela, La Fontaine n’a jamais fait mystère. Sa grande réussite, qui a permis de populariser ces histoires, à l’origine beaucoup plus courtes que ses versions que nous connaissons, est de les avoir rendues plus gaies, plus vivantes, plus littéraires aussi. Déjà, à l’époque de La Fontaine, les fables d’Ésope étaient enseignées aux enfants pour leur aspect moral. La Fontaine a modernisé cet enseignement d’une manière spectaculaire en recréant des récits drôles ou tragiques émaillés de dialogues.


JEAN-BAPTISTE GODIN

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Le patron humaniste

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a ville de Guise au nord de l’Aisne n’a pas enfanté seulement le révolutionnaire Camille Desmoulins. Son Familistère est le témoignage vibrant d’un patron hors normes, en avance sur son temps, Jean-Baptiste Godin. Il est né d’une famille très modeste à Esquéhéries (Aisne) près de Guise. C’est en parcourant la France pour se perfectionner à son métier de serrurier qu’il s’est mis en quête d’un idéal pratique de justice sociale. Il a permis l’érection d’un palais social et celui-ci vit encore près d’un siècle et demi après sa mort ; le Familistère de Guise de Jean-Baptiste Godin, créateur de la fonderie aux cocottes, cuisinières et poêles à bois en fonte. Son visage austère avec son regard sombre et sa barbe de commandeur, ne doit pas travestir la réalité. Juste et humaniste, droit et idéaliste, l’industriel Godin (1817-1888), nourri des idées de Saint-Simon notamment, et inspiré par Fourié et son phalanstère, a bâti à sa façon l’émancipation ouvrière, à une époque où le gréviste trop revendicatif pouvait se faire tirer dessus par le gendarme. Lui a réfléchi et bâti un habitat collectif pour ses ouvriers équipés aussi d’une buanderie, d’une piscine, d’un théâtre, d’un économat, d’une crèche et d’une école. « Une machine à habiter ensemble » dira l’architecte Le Corbusier, qui sera située à deux pas de l’usine. Parce que le travail ne devait pas empêcher l’éducation, l’hygiène et l’élévation des âmes, le tout dans le cadre d’un fonctionnement coopératif qui ne s’éteindra qu’en… 1968. Les travailleurs participent à la gestion et aux décisions de la manufacture, autrement dit le Familistère de Godin est bien différent des cités ouvrières patronales. UTOPIE CONCRÈTE C’est l’utopie concrète réalisée avec pour cœur le pavillon central, l’agora des Familistériens qui bénéficiaient tous du même logement avec des commodités à l’avantgarde pour un peuple ouvrier bien malheureux à l’époque dans les corons du Nord ou les filatures de Picardie. Godin s’efforça de bâtir une société nouvelle en mettant le capital industriel au service du travail, en distribuant aux travailleurs les équivalents matériels et intellectuels Bref, un apôtre de la juste redistribution, une notion souvent honnie par les financiers et les industriels. Dérangeant ce Godin, considéré comme un des pères de l’économie sociale, pour les libéraux bon teint. Ne devrait-il pas donner à penser, à réfléchir et même mieux à agir pour contrecarrer cette désindustrialisation galopante depuis des décennies ? Le Palais se devait de constituer le milieu favorable à la transformation sociale. À l’intérieur, mais aussi tout autour du Familistère, l’espace libre, l’air pur, la lumière et l’eau en abondance sont les éléments d’un

urbanisme et d’une architecture à la mesure de l’homme, de tous les hommes. Pendant trente ans, Godin s’est consacré à sa mission réformatrice. À sa mort, en 1888, il laisse un patrimoine exceptionnel, des ouvrages importants sur la question sociale et l’exemple d’une organisation. Aujourd’hui, les temps ont changé. La fonderie Godin tourne toujours, la marque vit, se vend dans le monde entier et le sentiment d’appartenance suscite encore la fierté de ses ouvriers. Les fondeurs ont même produit en 200 exemplaires le « petit Godin » de 1858. De là-haut, le vieux barbu les contemple.

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LE MAUSOLÉE RESTAURÉ .................................................................................................... BIO De 1859 à 1884, il fait bâtir le Familistère une cité de 2000 habitants, à proximité immédiate de son usine. Député de l’Aisne en 1871. Godin meurt en 1888. L’année 2017 est marquée par le bicentenaire de la naissance de Jean-Baptiste Godin.

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’année du bicentenaire de la naissance de Godin a fait l’objet d’une commémoration nationale en 2017. Le Familistère de Guise est l’un des lieux touristiques et historiques les plus visités des Hauts-de-France. Créé en 2000, le syndicat mixte du Familistère Godin entretient une ambition culturelle, touristique, sociale et économique, via son programme Utopia. L’objectif est d’attirer de 70 000 à 100 000 visiteurs par an. Le pavillon central comprend douze nouvelles salles d’expo-

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sition depuis 2014. La restructuration de l’aile droite permettra d’offrir 70 appartements dans un ensemble collectif confortable et attractif, ouvert à un large éventail de ménages dans l’esprit du Palais social historique et innovant. En hommage à l’industriel bienfaiteur, son mausolée dans le jardin d’agrément est aussi restauré pour le bicentenaire.


GASTON ET RENÉ CAUDRON

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DES FRÈRES FÉMINISTES ....................................................................................................

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Gaston

éministes avant l’heure, les frères Caudron ont très tôt su faire confiance aux femmes. Dès 1913, ils accueillent dans leur école de pilotage du Crotoy, Hélène Boucher qui leur restera fidèle jusqu’à sa mort le 30 novembre 1934, aux commandes d’un Caudron « Rafale ». Ce même appareil avec lequel elle avait remporté la coupe de vitesse créée en 1931 par Suzanne Deutsch de la Meurthe. Mais c’est surtout en 1920 que René Caudron se signalera en recrutant comme pilote d’essai Adrienne Bolland. Une ancienne élève de l’école de pilotage du Crotoy qui accompagnera le développement d’une bonne partie de leurs appareils jusqu’au rachat de la société par Louis Renault et 1933. Treizième femme française à avoir obtenu son brevet de pilote, elle est la première à traverser la Manche depuis la France. Mais c’est l’année suivante qu’elle entrera définitivement dans l’histoire pour avoir été la première pilote à avoir survolé la Cordillère des Andes et être sortie vivante

de cette épreuve. Au cours du grand rassemblement aérien de Buc, en octobre 1920 elle entend parler des « macchabées de la cordillère des Andes ». Elle supplie René Caudron de l’envoyer là-bas, « juste pour voir ». Pour la firme Caudron, c’est une occasion unique d’entrer dans l’histoire. René accepte et envoie Adrienne Bolland en Argentine avec deux Caudron G3 dotés de moteurs de 80 CV. Partie de Mendoza à l’aube du 1er avril, malgré le refus de Caudron de lui envoyer un avion plus puissant, elle passe à proximité du point culminant de la Cordillère, l’Aconcagua, à 6 962 mètres d’altitude. Elle qui pilote un avion dont le plafond ne dépasse pas 4000 mètres. Après 4h15 de vol, elle se pose sur la piste de Lo Espejo, l’école militaire d’aviation de Santiago du Chili. Elle y est accueillie triomphalement. Seul l’ambassadeur de France qui a cru à un poisson d’avril, n’a pas jugé utile de se déplacer…

Des roues de vélo, du bois, de la toile et un moteur de 25 CV pour le prototype du G4... Si les problèmes sont nombreux, les frères les résoudront très vite avant de passer à la fabrication industrielle.

Les fous volants du Crotoy

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e fut probablement le premier coup de génie des frères Caudron. Transformer la plage de la Maye, au nord du Crotoy, en piste d’aviation pour une école de pilotage. Le « tarmac » le plus « lowcost » qui soit, et qui verra défiler au fil des ans 4 700 pilotes, parmi lesquels des célébrités telles que René Fonck, le premier as de l’aviation militaire française, mais aussi Jean Mermoz, Bessie Coleman ou Adrienne Bolland. L’aventure débute en 1882, avec la naissance de Gaston Caudron dans une ferme de Favières et celle, deux années plus tard, de son frère René. Le premier n’a donc que 8 ans lorsque Clément Ader parvient à arracher du sol son « Eole », un aéroplane au design inspiré de la chauve-souris. En cette fin de XIXème siècle, l’expérience inachevée va susciter des vocations. Dont celle des frères Wright que les frères Caudron découvrent en lisant les journaux. Bien plus passionnés par la technique que par l’agriculture, ils avaient eu l’occasion de décortiquer en baie de Somme, le mécanisme du vol des oiseaux. La naissance d’une vocation qui les amène en mai 1909, à concevoir un premier engin volant. C’est un planeur comparable à ceux des frères Wright. Il est tracté par la jument de la ferme, Luciole, dans un champ de Romiotte, à côté du hameau de Ponthoile. René est au manche. Gaston drive la jument. Ils réaliseront neuf vols en ligne droite de 800 à 1 200 mètres. Une réussite qui les amène à concevoir très vite un engin à moteur.

Les débuts sont compliqués. Le moteur Anzani avec ses 25 CV est à la peine et la transmission à chaîne pose des problèmes. Gaston qui est peu la tête – quand René possède plutôt les bras – reprend ses plans et construit dès le mois d’octobre un second appareil. L’hélice cette fois est en prise directe sur l’axe du moteur. Le début du succès. Dès 1910, le duo construit une usine à proximité de la gare de Rue. C’est la naissance des « aéroplanes Caudron frères », complétés la même année, par une école de pilotage civile, suivie d’une école militaire, utilisant l’estran de la Maye comme terrain d’aviation. Moins dangereux que les champs étriqués de Ponthoile bordés d’arbres et parsemés de meules de foin… LES HYDRAVIONS Proximité de la mer oblige, les Frères Caudron se tournent aussi, dès 1912, vers la conception d’hydravions. Ils réaliseront ainsi le premier décollage depuis un navire de guerre, le Foudre. Un créneau qui leur permettra d’occuper une place à part dans l’histoire de l’aviation française. La guerre de 1914-18 met un terme à l’aventure industrielle des frères Caudron en baie de Somme. L’état-major, considérant qu’il y a suffisamment d’écoles d’aviation en France, ferme l’école militaire du Crotoy et déménage l’usine de Rue à Bron dans la banlieue de Lyon. C’est Gaston qui s’occupe de ce nouveau site industriel, tandis que René lance à partir d’un simple atelier, une nouvelle usine à Issy-les-Moulineaux. L’armée leur a confié la fabrication à grande échelle d’appareils de

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René

reconnaissance et d’observation pour guider les tirs d’artillerie. Le G3 monomoteur fera merveille avant d’être remplacé par le G4, bimoteur et donc plus fiable, qui donnera luimême naissance au R4. Le premier appareil doté d’un vrai fuselage, quand les « G » ne possédaient qu’une nacelle. Mais sa mise au point coûte la vie à Gaston. Le 12 décembre 1920, lors d’un vol d’essai à Bron, la structure se rompt et l’appareil s’écrase. René reprendra les rênes de la société, embauchant l’ingénieur Paul Deville qui donnera naissance à une belle lignée d’appareils. La paix revenue, René réussit le pari de reconvertir la production en appareils civils. En 1932, il embauche Paul Riffard, un nouvel ingénieur qui donnera la ligne aérodynamique si caractéristique des appareils Caudron. Peu après, en manque de liquidités, il s’associe à Louis Renault pour créer une nouvelle entité : les avions Renault-Caudron. La série « C » naît sous cette nouvelle marque. Elle permet à Caudron de s’imposer dans la coupe Deutsch de la Meurthe. Hélène Boucher sur son C 430 Rafale devient la femme la plus rapide du monde. René lui, finit par revendre ses parts à Renault pour se consacrer en 1939 à la mise au point du C 800 « Épervier ». Un superbe planeur a l’aérodynamique parfaite, qui permet de mesurer le chemin parcouru depuis 1909 et le vol du Romiotte 1 à Ponthoile. PHILIPPE FLUCKIGER

BIO 18 janvier 1882 : naissance à Favières (Somme) d’Alphonse dit « Gaston » Caudron. 1er juillet 1884 : naissance de René Caudron. Septembre 1909 : vol à la Ferme entre Ponthoile et Forest-Montiers, de Romiotte 1, planeur tracté par une jument. 1910 : Création de la première usine d’avions, d’abord au Crotoy puis à Rue. 10 juillet 1910 : René Caudron est le premier pilote à se poser au Touquet. Octobre 1910 : Les frères Caudron font voler leur premier appareil à moteur et lancent leur école de pilotage civile. 1913 : Création au Crotoy d’une école d’aviation militaire. 1914 : Confrontés à l’avancée des troupes allemandes, les frères Caudron qui travaillent pour l’armée, déménagent leur usine à Issyles-Moulineaux (92). 10 décembre 1915 : Gaston Caudron se tue à Bron en effectuant un vol d’essai sur le Caudron R4. Février 1920 : René Caudron recrute Adrienne Bolland, une ancienne élève de l'école Caudron, comme pilote d'essai. Une première. 27 septembre 1959 : décès de René Caudron

L’usine d’Issy-les-Moulineaux d’où sont sortis quelques-uns des plus beaux avions des frères Caudron.

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MARCEL DASSAULT

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Les Picards célèbres

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Un député haut en couleur

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n dit qu’il convoquait son tailleur. Mais honorait toujours son chapelier de ses déplacements. Ah, les célèbres couvrechefs de Marcel Dassault ! Beige ou gris, ses chapeaux achevaient de façonner son côté aristocratique, costume troispièces, pardessus et gants. Mais derrière les lunettes à grosses montures, s’écarquillaient deux yeux juvéniles d’une étonnante candeur. Pour couronner le tout, son parler « parigot » vous campait un homme pittoresque. « Je vis modestement. On ne peut pas manger sept poulets par jour ! », disait-il. C’est dans l’Oise, où il est député de 1958 à 1986 sans y habiter, que l’avionneur donne libre cours à cette « générosité légendaire » tant de fois décriée. « Mon grand-père a mis la main au porte-monnaie pour tant de clochers d’église, tant de courts de tennis, qu’il est impossible de tous les citer… », résume avec émotion Olivier Dassault, son petit-fils, devenu député à son tour. « C’était avant la Décentralisation… Songez, il faisait à lui seul autant pour sa circonscription que le conseil départemental aujourd’hui ! » Dans cette France des années-70, les comptes de campagne ne sont pas passés à la loupe comme aujourd’hui. « Les maires déjeunaient avec mon grand-père. Au cours du repas, il leur demandait de quoi ils avaient besoin… », raconte Olivier Dassault. « Au moment des élections, c’était le défilé ! » En revanche, Olivier Dassault dément que son aïeul distribuait des billets de 500 francs à ses électeurs, ou aux jeunes croisés dans la rue, pour les encourager. « Il donnait des pourboires et jamais n’importe quoi à n’importe qui », nuance-t-il. À BUCHENWALD, IL SE LIE D’AMITIÉ AVEC LE COMMUNISTE MARCEL PAUL Inventeur de l’hélice Éclair, des Mystère, des Mirage et du Rafale, Marcel Dassault naît le 22 janvier 1892 à Paris sous le nom de Maurice Bloch. Lors de la Première Guerre mondiale, tout juste diplômé de l’école supérieure d’aéronautique et de construction mécanique, il rencontre sous les drapeaux Henry Potez, originaire de Méaulte (Somme). Tous deux conçoivent un biplace d’observation dont l’armée commandera 1 000 exemplaires. Redoutable inventeur et homme d’affaires, l’industriel juif voit ses avions défendre le ciel de France, quand il est déporté à Buchenwald (1944). Parmi des centaines de prisonniers politiques du IIIo Reich, il se lie d’amitié avec le communiste Marcel Paul. C’est à ce héros de la Résistance qu’il doit de rester en vie. En 1949, Marcel Bloch change de patronyme. Il devient Marcel Bloch Dassault, puis Marcel Dassault « en ajoutant le nom de résistant de son frère (Char d’asssault), le général Darius Paul Bloch », rappelle Olivier Dassault. En remerciement à Marcel Paul, l’avion-

Olivier Dassault et son grand-père Marcel, tous deux élus sur la même terre de l’Oise à quelques années de différence.

BIO Naissance le 22 janvier 1892 à Paris. Décès le 17 avril 1986 à Neuilly-sur-Seine à l’âge de 94 ans. Ingénieur en aérospatiale, inventeur, patron de presse, scénariste, homme politique gaulliste. Fondateur du groupe d’aviation militaire Marcel Bloch en 1929, devenu au fil du temps Dassault Aviation, avec pour filiales les plus connues Dassault Falcon Jet (États-Unis) et Dassault Falcon Service (Le Bourget) Député des Alpes-Maritimes de 1951 à 1955. Sénateur des Alpes-Maritimes de 1957 à 1958. Député de l’Oise de 1958 à 1986. Presse : fondateur en 1958 de Jours de France, magazine people consacré aux célébrités et familles royales. Marcel Dassault y commente l’actualité dans une chronique intitulée « Le café du commerce ». Au cinéma : producteur (entre autres) de La Boum et La Septième Cible (Claude Pinoteau). Scénariste (entre autres) de L’Été de nos Quinze Ans (Marcel Jullian), Le Temps des Vacances (Claude Vital). Hommage : de nombreux boulevards et édifices portent son nom, ainsi que le rond-point des Champs-Élysées rebaptisé Rond-Point des Champs-Elysées-Marcel-Dassault en 1992. Marcel Dassaut (à droite), en compagnie de son fils Serge. Marcel et Olivier, son petit-fils, ont été élus sur la même terre de l’Oise. Serge a été élu dans l’Essonne.

neur verse chaque année une somme d’argent au journal l’Humanité. UN LIEN PRIVILÉGIÉ AVEC SON PETIT-FILS OLIVIER Converti au catholicisme, Marcel Dassault propulse ensuite son groupe au rang des plus puissants au monde. Il lance aussi l’hebdomadaire Jours de France, et finance quelques-uns des plus gros succès cinématographiques français, comme La Boum, préférant les comédies et détestant les films qui se terminent mal. « D’un coup de trait, il résolvait les problèmes aéronautiques les plus complexes », se souvient surtout Olivier Dassault, qui a travaillé à ses côtés dès 1974, avant de devenir président du conseil de surveillance du Groupe industriel Marcel-Dassault (GIMD). « Un jour, instinctivement, je lui fais remarquer qu’il est dommage que le Falcon 50, premier tri réacteur de sa catégorie, puisse traverser la Méditerranée mais pas l’Atlantique. Le soir même, il faisait venir les ingénieurs de Bordeaux…

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C’est aussi comme ça qu’une autre fois il a toqué à la porte de mon bureau avec une nouvelle maquette, celle du Falcon 900, dans lequel on pouvait enfin tenir debout, en me disant : voilà l’avion que tu voulais que je fasse ! » LORS D’UN LOTO, IL OFFRE 35 RENAULT 5 En 1975, Marcel Dassault et son petit-fils animent un loto lors d’une fête populaire à Grandvilliers. Le premier lot est une Renault 5, la voiture la plus vendue en France à cette époque. « J’étais Monsieur Loyal et annonçais les numéros », en rigole encore Olivier Dassault. « D’un coup, 35 mains se lèvent, la carte pleine, suite au dernier numéro tiré ! C’est la consternation. Je propose un tirage au sort. Mais mon grand-père annonce : il y avait une R5 pour le gagnant, mais comme il y a 35 gagnants, il y aura 35 R5 ! Beaucoup s’en souviennent et certains l’ont même conservée. »

MARCEL DASSAULT ET LES NATIONALISATIONS ....................................................................................................

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ntre Marcel Dassault et l’État français, le torchon a brûlé plus d’une fois ! C’est que, pendant longtemps, la République a voulu avoir la mainmise sur un groupe extrêmement stratégique pour sa défense. La société (alors Bloch) est nationalisée pour la première fois en 1936 par le Front populaire. Elle est alors incorporée à la Société nationale des constructions aéronautiques du sud-ouest (SNCASO). L’État est majoritaire. Mais Marcel Bloch est nommé administrateur délégué, c’est-à-dire dirigeant principal. Et il n’a pas dit son dernier mot. Avec l’argent reçu pour son expropriation, le génial avionneur

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crée la Société anonyme des avions Marcel Bloch. Un bureau d’études… qui reçoit ses commandes directement de la SNCASO, percevant ainsi de juteux droits de licence. L’avionneur est alors la cible de l’extrême-droite qui critique violemment cette situation. En 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le groupe est de nouveau sous la menace d’une privatisation. Marcel Dassault offre alors 26 % de ses actions à l’État, qui s’ajoutent aux 20 % déjà détenus. L’avionneur a toujours gardé sa liberté de mouvement. En 1996, son ami Jacques Chirac parvient toutefois à marier Dassault Aviation et Aérospatiale.


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